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Rapport sur l'aval du cycle nucléaire
Par M. Christian Bataille et Robert Galley
Députés
Tome II : Les coûts de production de l’électricité

Suite du Chapitre III (partie II)

II. Le nucléaire et l’estimation de ses coûts externes 266

A. Rejets et radioactivité naturelle 268

1. L'exposition d'origine naturelle 268

2. L'exposition d'origine artificielle 270

B. L’estimation des effets sanitaires des rejets radioactifs 271

1. La question des rejets à prendre en compte 271

2. L'action sur la santé humaine des radionucléides rejetés dans l’environnement 275

3. La courbe dose-réponse 284

C. La question des accidents graves 287

1. L’évaluation probabiliste des risques 287

2. L’approche par les utilités 290

II. Le nucléaire et l’estimation de ses coûts externes

L’évaluation des coûts des filières par les méthodes traditionnelles a montré que certains coûts externes étaient pris en compte pour le nucléaire.

Un effort supplémentaire d’analyse mérite d’être fait s’agissant des émissions de radioéléments et des accidents graves, avant de considérer globalement la question des effets externes et de leur prise en compte.

Le premier phénomène à prendre en compte est celui de la radioactivité naturelle, une réalité de notre environnement. Tous les êtres vivants sur la Terre sont soumis à une radioactivité naturelle qui représente une exposition de 2 400 µSv/an.

Ces doses sont à comparer à la dose efficace moyenne pour une personne vivant en limite du site d'une centrale qui serait de l'ordre de 1 à 20 µSv/an, soit 1000 fois moins.

Par ailleurs, l’évolution enregistrée depuis 30 ans en matière de rejets des installations nucléaires, qu’elles appartiennent au cycle du combustible ou soient des réacteurs de production d’électricité est incontestablement à la baisse si on la rapporte à l’électricité produite relative.

D’une manière certaine, on peut dire que le fonctionnement des installations nucléaires conduit à des rejets de radionucléides dans l’atmosphère qui sont négligeables par rapport à la radioactivité naturelle. Leur impact sur l’individu en limite de site se situe entre 1 et 20 µSv/an à rapprocher des 2 400 µSv/an de la radioactivité naturelle.

Minimiser autant que faire se peut les rejets dans l’environnement, privilégier le piégeage des radioéléments sous forme de déchets solides, et assurer la dispersion maximale des radioéléments lorsque les rejets ont un impact négligeable sur les populations cibles : ces trois orientations constantes de la politique des autorités de sûreté assure une radioprotection satisfaisante.

Sur ces bases il est possible de calculer les coûts externes de la filière nucléaire. La fonction dose-réponse recommandée par la CIPR permet de déduire le nombre de cancers attribuables à la radioactivité supplémentaire induite par les activités nucléaires.

Mais la question du coût d’un éventuel accident grave doit nécessairement être étudiée dans le cadre de la détermination des coûts externes du nucléaire. Elle nécessite toutefois d’être traitée isolément et en toute clarté.

La méthode traditionnelle de calcul du coût d’un accident grave – méthode dite de l’évaluation probabiliste des risques – consiste d’abord à en évaluer les conséquences physiques, sanitaires et environnementales. Ces conséquences sont ensuite pondérées par la probabilité d’occurrence de l’accident de référence, pour estimer la charge à affecter à l’activité présente.

Cette méthode présente une difficulté, celle de la valorisation des conséquences, encore que des hypothèses conservatives puissent être adoptées de façon à limiter les risques d’erreur.

Mais cette méthode comporte d’autre part un atout, à savoir la base solide que constituent les calculs des probabilités d’accident. L’expérience acquise en matière de fonctionnement du parc électronucléaire dépasse en France huit cent années réacteurs. Les probabilités d’accidents calculées à partir des « études probabilistes de sûreté » ont donc un fondement analytique et expérimental rigoureux.

La méthode de l’évaluation probabiliste des risques nécessite cependant d’être enrichie par la prise en compte de l’aversion pour le risque. La perception des probabilités très faibles est en effet difficile.

En tout état de cause, il convient de séparer l’analyse du fonctionnement régulier de celle des accidents. S’agissant de l’analyse des accidents, il faut considérer l’ensemble des filières et non pas le seul nucléaire et expertiser la totalité des étapes du cycle du combustible en plus de la production d’électricité.

A. Rejets et radioactivité naturelle

L’évaluation des coûts externes du nucléaire est centrée sur l’impact des rejets de radioéléments sur la santé et l’environnement. Avant de prendre en compte les rejets et les différents chemins d’impact sur la santé, il est nécessaire de replacer cette question dans son contexte, celui d’une radioactivité naturelle qui constitue le bruit de fond auquel tous les êtres vivants sont soumis.

On distingue traditionnellement l’exposition naturelle due au milieu ambiant et l’exposition artificielle due aux activités humaines.

1. L'exposition d'origine naturelle

Les rayonnements cosmiques ou telluriques et l’exposition interne sont à l’origine de la plus grande part des doses reçues. S’agissant des doses reçues de par la radioactivité artificielle, ce sont les doses correspondant aux examens et traitements médicaux qui sont les plus importantes.

1 - a) les rayonnements cosmiques

La première catégorie des rayonnements cosmiques est constituée des rayonnements d'origine galactique. Il s'agit de protons, de particules alpha, d'électrons, de positons, de noyaux d'éléments plus lourds comme le fer, le nickel. Ces particules chargées, accélérées par les champs interstellaires, acquièrent des énergies très élevées, supérieures à 100 MeV1.

La deuxième catégorie des rayonnements cosmiques est constituée de rayonnements d'origine solaire. Les particules correspondantes varient en nombre et en énergie avec l'activité du soleil. Leur énergie dépasse rarement 100 MeV.

Les rayonnements cosmiques, quelle que soit leur origine, interagissent avec les noyaux présents dans l'atmosphère et donnent des particules élémentaires très variées et de nombreux radionucléides.

Par exemple, l’azote de l’atmosphère sous l’action des rayonnements cosmiques se transforme en carbone 14, qui possède deux neutrons de plus que l’isotope du carbone le plus abondant (carbone 12). L’atmosphère terrestre comprend environ 0,1 million de TBq de carbone 14. Chaque année, sous l’effet des rayonnements cosmiques, environ mille TBq de carbone 14 sont produits. La même quantité, environ, disparaît sous l’effet de la décroissance naturelle de ce radioélément dont la période est de 5 730 ans2. Un équilibre s’établit de sorte que le taux de carbone 14 dans l’atmosphère est pratiquement constant3. Le carbone 14 qui a bien sûr les mêmes propriétés chimiques que le carbone 12, est le plus souvent dans l’atmosphère combiné à l’oxygène pour former du gaz carbonique «radioactif ».

L’impact radiologique individuel du carbone 14 présent dans le milieu naturel est estimé à 12 µSv/an.

D’une manière générale, l'exposition aux rayonnements cosmiques varie selon la latitude. Elle est forte aux pôles et faible à l'équateur. Elle varie en fonction de l'altitude et double tous les 1 500 m.

En moyenne, les rayonnements cosmiques délivrent une dose efficace de 0,39 mSv/an

1-b) les rayonnements telluriques

Ce sont les rayonnements émis par des radionucléides primordiaux, présents lors de la formation de la Terre et dont la période est au moins égale à 300 millions d'années.

Les principaux éléments primordiaux radioactifs sont le potassium 40, le rubidium 87, le thorium 232, le radium, l’uranium 238 et l’uranium 235.

Le potassium 40 et le rubidium 87 se transforment par désintégration b en éléments stables. Le thorium 232, l'uranium 238 et l'uranium 235 sont des émetteurs a qui donnent chacun par filiation une famille de descendants radioactifs aboutissant au plomb stable.

L'exposition externe due aux rayonnements telluriques est de 0,46 mSv/an

1-c) l’exposition interne

L'exposition interne est principalement due à l'inhalation du radon, provenant de la désintégration radioactive du radium présent dans les roches. Le radon se désintègre à son tour en des émetteurs a.

L'air présent dans les roches d'une part et les eaux souterraines d'autre part présentent fréquemment des activités de 40 000 Bq/m3 dues au radon.

La dose efficace annuelle due au radon et à ses descendants est très variable selon les régions et peut être estimée à 1,3 mSv/an en moyenne.

L'exposition interne est également due à l'ingestion de radioéléments primordiaux contenus dans les aliments et les eaux. Parmi ces radioéléments primordiaux, le plus abondant est le potassium 40. Le corps humain recèle environ 4000 à 6000 Bq.

La dose efficace annuelle chez l'adulte, due aux radionucléides présents dans l'organisme est estimée à 0,23 mSv/an

1-d) total :

- au total, l'exposition naturelle moyenne est estimée à 2,4 mSv/an

2. L'exposition d'origine artificielle

2-a) la dose efficace due aux utilisations médicales des radiations ionisantes est estimée à 1,1 mSv/an dans les pays développés

2-b) la dose efficace engagée par les essais nucléaires atmosphériques est estimée à 14 µSv

2-c) la dose efficace moyenne pour une personne vivant en limite du site d'une centrale serait de l'ordre de 1 à 20 µSv/an.

B. L’estimation des effets sanitaires des rejets radioactifs

L’estimation des effets sanitaires des rejets des installations nucléaires commence par un recensement des radioéléments à prendre en compte et par une estimation de leurs volumes. Il est ensuite nécessaire d’examiner les mécanismes d’action sur la santé de ces rejets et enfin d’évaluer les atteintes à cette dernière. Ce sont ces différentes questions qui sont traitées dans la suite.

1. La question des rejets à prendre en compte

Les installations nucléaires, comme toutes les installations industrielles, produisent des déchets. L’essentiel des déchets est conservé sous forme solide – combustibles irradiés, déchets technologiques -. Une faible partie des déchets est rejetée dans l’atmosphère sous forme gazeuse et la dernière est rejetée en rivière ou en mer sous forme liquide.

Les installations du cycle du combustible et les centrales nucléaires reposent sur des technologies différentes, ce qui se traduit par des rejets de compositions différentes.

Selon les paramètres de fonctionnement et le stade de la durée de vie, des variations peuvent être enregistrées d’une installation à une autre et bien évidemment d’un pays à un autre pour une même technologie. Par ailleurs, les pratiques peuvent enfin diverger : par exemple, certains exploitants peuvent utiliser à plein leurs autorisations de rejets, alors que d’autres cherchent à les minimiser.

L’évolution des quantités de radioéléments émises par les installations du cycle du combustible et les centrales nucléaires

L’évolution enregistrée depuis 30 ans en matière de rejets des installations nucléaires, qu’elles appartiennent au cycle du combustible ou qu’elles soient des réacteurs de production d’électricité, est incontestablement à la baisse si on la rapporte à l’électricité produite relative.

Ainsi que l’illustre la figure suivante, la dose collective totale dans les pays de l’OCDE est passée de 1,7 homme.Sv/TWh en 1969 à 0,2 homme.Sv/TWh en 1994, ce qui revient à dire qu’elle a été divisée par 8,5.

Figure : Evolution du nombre de réacteurs en fonctionnement et de la dose collective totale par TWh dans les pays de l’OCDE4

L’explication de cette baisse de la dose collective totale est à trouver dans la diminution des rejets. La figure suivante illustre le cas de la France, où les rejets liquides (hors tritium) par TWh produit ont fortement diminué.

Figure : Evolution du nombre de réacteurs nucléaires opérationnels en France et des rejets liquides (hors tritium) par TWh

L’extension du parc électronucléaire et des installations du combustible a conduit à une augmentation du volume total des émissions de radionucléides. Mais une gestion rigoureuse de celles-ci dans le cadre de l’application du principe ALARA, a permis une baisse des rejets rapportés à l’électricité produite.

Les radionucléides des rejets atmosphériques et des effluents liquides

Tant les installations du cycle du combustible que les centrales nucléaires elles-mêmes rejettent des radioéléments dans l’environnement. Les tableaux suivants en font la liste et indiquent dans le cas des installations françaises les quantités rejetées, en millions de Becquerels par TWh d’électricité produite, pour chaque étape du cycle du combustible5.

Tableau : Terme source en France des rejets atmosphériques du nucléaire en fonctionnement normal en millions de Becquerels / TWh

radionucléide / MBq/TWh extraction et concassage conversion – Malvesi & Pierrelatte enrichissement fabrication du combustible production d’électricité retraitement (UP3)
Tritium (H 3)         6,9.104 – 3,3.105 4,5.104
Carbone 14         1,4.104 7,13.104
Cobalt 58         2,5.10-1 – 9,4.10-1  
Cobalt 60         2,5.10-1 – 9,4.10-1  
Krypton 85         3,5.104 -1,7.105 7,13.108
Iode 129         - 5,11.101
Iode 131         1,5-5,6 7,08.10-1
Iode 133         3,0 – 11 3,13.10-1
Xenon 133         4,8.105-2,3.106  
Césium 134         2,5.10-1 – 9,4.10-1  
Césium 137         2,5.10-1 – 9,5. 10-1  
Radon 222 5,1.108          
Uranium 234 2,1.103 4,03.10-1 1,9.10-1 2,0.10-3    
Uranium 235 8,9.101 1,75.10-2 9,7.10-3 2,0.10-4    
Uranium 238 2,1.103 3,8.10-1 1,0.10-1 7,4.10-4    
Plutonium 238           1,02.10-5
Plutonium 239           2,33. 10-5

Tableau : Terme source en France des effluents liquides du nucléaire en fonctionnement normal en millions de Becquerels / TWh

radionucléide / MBq/TWh extraction et concassage conversion enrichissement fabrication du combustible production d’électricité retraitement (UP3)
Tritium (H 3)         1,4.106-2,9.106 2,89.107
Carbone 14           4,55.104
Manganèse 54         24 – 95  
Cobalt 58         3,8.102-1,4.103  
Cobalt 60         1,2.102-7,3.102 9,1.103
Strontium 90 (Sr)           1,46.105
Ruthénium 106           8,77.104
Argent 110m         3,9.101-3,5.102  
Antimoine 124 (Sb)         80 - 4,2.102  
Antimoine 125 (Sb)           6,17.104
Iode 129           6,84.102
Iode 131         5,2-14  
Césium 134         7,76-1,3.102 1,5.103
Césium 137         10-2,3.102 1,38.104
Uranium 234   1,28.10 3,8.10-2 4,33    
Uranium 235   5,49.10-1 1,9.10-3 2,86.10-1    
Uranium 238 8,6 Bq/l 1,21.E10-1 2,0.10-2 1,06   1,47
Plutonium 238           90,4
Plutonium 239           54,3
Américium 241           92,1
Curium 244           44,2

En complément aux rejets atmosphériques et aux effluents liquides, il est nécessaire de tenir compte des déchets solides. Pour ce faire, il est possible de calculer l’inventaire, pour chaque radionucléide, des activités totales contenues dans le centre de stockage des déchets de faible activité de l’Aube, après 30 années de fonctionnement.

Il est possible de faire de même pour les déchets radioactifs de moyenne et haute activité, générés par le parc électronucléaire actuel pendant 30 années de fonctionnement.

Les résultats de ces inventaires sont présentés dans le tableau suivant.

Tableau : inventaire pour 30 années de fonctionnement du parc électronucléaire français des radionucléides contenus par les déchets de faible et moyenne activité du Centre de l’Aube et d’un centre de stockage de déchets radioactifs de haute activité.

radionucléide Centre de l’Aube – Inventaire pour 30 années de fonctionnement du parc électronucléaire Centre de stockage de déchets B et C – Inventaire pour 30 années de fonctionnement du parc électronucléaire
  activité (MBq) activité (MBq)
type de radioéléments faible et moyenne activité à vie courte moyenne et haute activité à vie longue
Tritium H 3 4,09.109  
Carbone 14 4,0.108  
Cobalt 60 4,0.1011  
Nickel 59 4,0.109  
Nickel 63 4,0.1010  
Sélénium 79   5,8.108
Strontium 90 4,0.1010  
Zirconium 93 4,0.108 5,1.109
Niobium 94 2,0.107  
Molybdène 93 1,0.108  
Technétium 99 1,2. 107 2,5.1010
Palladium 107 3,0.109 1,8.108
Etain 126   1,0.109
Iode 129 3,0.106  
Césium 135 6,0.107 2,7.109
Césium 137 2,0.1011  
Uranium 233   3,0.106
Uranium 234 2,0.107  
Neptunium 237   5,4.108
Uranium 238 2,0.107  
Plutonium 239 2,4.108 2,0.109
Plutonium 240   3,2.109
Américium 241   1,3.107
Plutonium 241 2,3.108  
Américium 241 3,5.108  
Américium 243   3,6.1010
Neptunium 237 1,0.106  

Les valeurs indiquées dans le tableau précédent correspondent aux estimations de 1995, qui sont probablement surestimées par rapport aux valeurs actuelles, compte tenu des progrès faits pour minimiser les déchets, notamment par un temps de présence accru des combustibles dans les réacteurs.

2. Les mécanismes d’action sur la santé humaine des radionucléides rejetés dans l’environnement

L’action des radioéléments sur la santé est analysée en trois catégories : l’exposition externe et l’impact interne suite à l’inhalation et l’ingestion des radionucléides.

L’impact des radioéléments sur la santé humaine a été schématisé, dans le cadre de l’approche générale des chemins d’impacts, dans l’étude ExternE, menée sous l’égide de la Commission européenne. On trouvera ce schéma représenté dans la figure suivantes.

Figure : Chemins d’impact des émissions de radionucléides dans l’environnement6

Ce schéma met en évidence la complexité du problème de mesure de l’impact sur la santé humaine des différents types de déchets radioactifs, d’autant que le cas de chaque radionucléide est spécifique.

On trouvera à titre d’exemple dans le tableau suivant les caractéristiques radiologiques de différents radionucléides, avec notamment la dose par gramme inhalé. Les différences sont considérables d’un élément à un autre.

Tableau : caractéristiques radiologiques de plusieurs radionucléides7

isotope période (années) activité spécifique (Bq/g) facteur de conversion en dose efficace pour une inhalation (Sv/Bq) Dose par gramme inhalé

(Sv/g)

Tritium (H 3) 12,3 3,6.1014 1,8.10-11 6480
Carbone 14 5700 1,7.1011 5,6.10-10 95
Strontium 90 28 5,3.1012 7,7.10-8 4,1.105
Iode 129 17.106 6,2.106 5,1.10-8 0,3
Césium 137 30 3,2.1012 6,7.10-9 2,1.104
Thorium 232 1,4.1010 4,1.103 1,2.10-5 0,05
Uranium 235 7,1.108 7,9.104 6,1.10-6 0,48
Uranium 238 4,5.109 1,2.104 5,7.10-6 0,07

La question des modèles de dispersion et d’exposition

La question des modèles de dispersion des radionucléides et d’exposition des effets de ceux-ci à l’homme est une question difficile.

M. Claude Birraux écrit ainsi, pour le compte de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, dans son rapport de décembre 1994 sur le contrôle de la sûreté et de la sécurité des installations nucléaires 8 : « la modélisation est un point particulièrement sensible. En effet rien ne sert de mesurer des activités dans différents milieux si on ne sait pas traduire ces activités en doses reçues par le public. La mesure directe des transferts de radioactivité entre les différents compartiments de l’écosystème est évidemment impossible. On doit se reposer sur des modèles simplifiés représentant ces différentes voies de transfert. »

Le rapporteur de l’Office note encore qu’il « conviendrait de réfléchir à mettre au point un modèle standard national pour la détermination des transferts dans l’environnement des effluents radioactifs. Aujourd’hui chacun calcule dans son coin, sans que les modèles en question ne soient véritablement accessibles ou tout au moins présentables ».

A la date du rapport, l’ex-SCPRI calculait les doses reçues par la population en fonction des données fournies par l’exploitant au moment du dépôt de l’étude préliminaire. EDF de son côté a mis au point un modèle de transfert d’effluents liquides et un autre modèle de transfert d’effluents gazeux. Enfin, l’IPSN a adopté la démarche suivante :

- définition du groupe critique

- évaluation des transferts atmosphériques et des dépôts

- évaluation des transferts en milieu marin ou en rivière

- transferts à la chaîne alimentaire

- évaluation des doses.

Les mécanismes et les résultats du calcul des doses

Deux questions sont fondamentales dans le calcul des doses générées par le nucléaire.

La première question est celle des durées à considérer pour évaluer l’impact des radionucléides, sachant que certains d’entre eux ont des périodes extrêmement longues.

Un étude approfondie de ces questions, comme l’a fait ExternE, distingue une première période d’un an, correspondant aux impacts immédiats comme les accidents du travail. La deuxième période correspond au moyen terme, d’une à cent années. La troisième période va de cent à cent mille ans. Des hypothèses conservatives peuvent être faites pour calculer les doses à long terme, notamment pour la population mondiale à long terme.

La deuxième question est celle de l’étendue de la zone géographique à prendre en compte. De la même façon, il est nécessaire de sérier différents types de zones géographiques autour des installations nucléaires. On distingue généralement l’échelon local à moins de 100 km, l’échelon régional à moins de 1000 km et le global entendu comme le restant de la planète.

Le croisement des deux catégorisations conduit à calculer les doses suivant une matrice, comme indiqué au tableau suivant.

Tableau : Ventilation des répartitions des évaluations des doses

période / zone court terme

<1 an

moyen terme

1 an £ < 100 ans

long terme

100 ans £ < 100 000 ans

local : < 100 km      
régional : 100 km £ < 1000 km      
global : ³ 1000 km      

L’approche considérée comprend en résumé plusieurs éléments fondamentaux :

- les émissions de radionucléides relatives aux différentes étapes du cycle du combustible et de la production d’électricité

- les caractéristiques radiologiques des éléments émis dans l’environnement, avec notamment le coefficient de radiotoxicité permettant de passer des Bq (désintégration par seconde) aux quantités de dose en Sv

- l’impact suivant la distance et la période considérée, et donc les populations concernées pour obtenir les doses collectives.

On trouvera à titre d’exemple les doses collectives calculées relatives à la filière nucléaire française.

Tableau : Estimation des doses collectives par TWh des différents éléments de la filière nucléaire

doses collectives (homme.Sv/TWh) travailleurs public – local public régional public global total public total général
intégration non intégration sur 100 000 ans
mine 1,12.10-1 8,5.10-2 9,17.10-2 1,05.10-4 1,77.10-1 2,89.10-1
conversion 2,29.10-3 2,4.10-5 1,0.10-5 9,53.10-7 3,5.10-5 2,32.10-3
enrichissement 8,33.10-6 2,22.10-5 4,27.10-6 3,9.10-7 2,68.10-5 3,52.10-5
fabrication du combustible 7,14.10-3 3,5.10-7 8,86.10-6 5,18.10-9 9,21.10-6 7,15.10-3
production d’électricité (1300 MWe) 2,02.10-1 1,42.10-3 1,78.10-1 1,98 2,16 2,36
démantèlement 2,16.10-2 1,45.10-4 0   1,45.10-4 2,17.10-2
retraitement 1,76.10-3 2,04.10-4 6,07.10-2 10,2 10,3 10,3
déchets de faible activité 1,99.10-4 1,27.10-5   2,57.10-2 2,57.10-2 2,58.10-2
déchets de haute activité 6.10-7 1,36.10-1     1,36.10-1 1,36.10-1
transport 1,14.10-3 9,5.10-4 0   9,5.10-4 2,09.10-3
total 0,348 0,224 0,33 12,2 12,8 13,1

A titre d’exemple, dans le cas étudié, c’est-à-dire la filière nucléaire française dans toutes ses composantes, la dose collective totale intégrée sur 100 000 ans représente, en fonctionnement normal 13,1 homme.Sv/TWh.

Une légère augmentation de la dose collective au niveau global est introduite par le Mox mais elle reste très inférieure au bruit de fond de la radioactivité naturelle.

Tableau : Doses collectives selon la nature du cycle du combustible, sur une durée d’un siècle9

pour 1 TWh – durée d’intégration : 100 ans Stockage direct du combustible Retraitement et Mox
Travailleurs : dose collective

principaux contributeurs

0,38 homme.Sv/TWh

réacteurs : 69 %

extraction : 29 %

0,37 homme.Sv/TWh

réacteurs : 72 %

extraction : 26%

exposition locale 0,08 homme.Sv/TWh

principal contributeur : Radon 222 (mines)

0,07 homme.Sv/TWh

principal contributeur : Radon 222 (mines)

exposition régionale 0,11 homme.Sv/TWh

principal contributeur : Radon 222 (mines)

0,16 homme.SvTWh

principaux contributeurs : Radon 222 (mines) ; rejets du retraitement

exposition globale 0,14 homme.Sv/TWh

principal contributeur : carbone 14 des réacteurs

0,55 homme.Sv/TWh

principal contributeur : carbone 14 des réacteurs et du retraitement

La majoration des doses collectives introduite par la prise en compte des doses globales

Ainsi qu’on a pu le constater dans le tableau sur les doses collectives par TWh, la dose globale collective calculée pour le « public global »10, soit 12,2 homme.Sv/TWh, représente 92 % du total qui est de 13,1 homme.Sv/TWh.

Ceci met en évidence un problème méthodologique majeur, à savoir la difficulté de prendre en compte les doses au demeurant très faibles correspondant aux radionucléides à vie longue.

La dose globale collective (à plus de 1000 km) correspond à l’impact à long terme et à longue distance de certains radionucléides comme le carbone 14 et l’iode 12911.

Les indications ci-dessus, et en particulier le biais méthodologique introduit par les radionucléides à vie longue, peuvent être comparées à celles de l’UNSCEAR, qui délivrent à peu près les mêmes enseignements.

L’UNSCEAR, le Comité scientifique des Nations Unies sur les Effets des radiations atomiques, a en effet publié dans son rapport 1993, une évaluation de l’exposition radiologique due aux rayonnements des activités humaines. Le tableau suivant montre que le tritium et le carbone 14 forment l’essentiel de l’impact radiologique global. Par rapport à l’estimation d’ExternE, le rôle du tritium dans les rejets atmosphériques est mis en évidence mais le carbone 14 joue le rôle le plus important avec 81 % de la dose collective totale.

Tableau : Doses collectives de l’ensemble de la population mondiale occasionnées par les réacteurs à eau pressurisée12

effluents gazeux effluents liquides
éléments dose collective rapportée à la quantité d’énergie produite en une année [H.Sv.(GW.année)-1] éléments dose collective rapportée à la quantité d’énergie produite en une année [H.Sv.(GW.année)-1]
gaz rares 0,010 tritium 0,020
tritium 0,030 autres radionucléides 0,0009
carbone 14 * 0,220    
iode 131 0,0003    
aérosols 0,011    

* l’intégration par l’UNSCEAR est faite sur 10 000 ans, au lieu des 100 000 ans d’ExternE ; par ailleurs, cette intégration porte sur la population locale et régionale et non pas sur la population mondiale comme dans ExternE

Le tritium est dans un réacteur nucléaire à la fois un produit d’activation et un produit de fission. Son coefficient de radiotoxicité est faible : 1,8.10-11 Sv/Bq contre 10-8 à 10-9 Sv/Bq pour la plupart des radioéléments. Dans la pratique française, les rejets de tritium sont comptabilisés avec les gaz rares.

La méthode de calcul de la dose globale à long terme pour l’ensemble de la population concernée prédétermine le résultat.

La dose globale est en effet calculée par sommation de doses très faibles sur une population de 10 milliards d’habitants et ceci sur une période de 100 000 années. Le résultat ne peut être que très important. Il s’agit d’un biais méthodologique majeur.

En réalité, en appliquant une méthodologie plus réaliste, la dose collective totale calculée sur une période de 100 ans et pour la population locale et régionale, ressort à 0,6 homme.Sv/TWh, au lieu des 12,2 homme.Sv/Twh d’ExternE.

Le cas du carbone 14 ou l’influence d’un biais méthodologique dans la perception de la réalité

Le cas du carbone 14 permet de mieux cerner les limites de la méthode de calcul de la dose collective globale.

On a vu précédemment que la dose collective globale13, soit 12,1 homme.Sv/TWh, représente 92 % de la dose collective totale qui est de 13,1 homme.Sv/TWh.

Or cette dose collective globale est calculée en intégrant des faibles doses sur une période de 100 000 ans et pour une population prise égale par hypothèse égale à 10 milliards de personnes.

On peut appliquer la même méthode pour calculer la dose collective globale correspondant à l’impact radiologique du carbone 14 présent dans le milieu naturel.

L’impact radiologique individuel du carbone 14 présent dans le milieu naturel est de 12 µSv/an. La dose collective globale correspondante, calculée sur les mêmes bases, est de 0,01 mSv multipliée par 1010 personnes et par 100 000 ans. Elle est donc de 1010 homme.Sv/an.

Cette dose « naturelle » peut être comparée à la dose provenant de la filière nucléaire.

Le carbone 14 est formé de deux façons dans les centrales nucléaires. La première source de carbone 14 est extérieure au coeur du réacteur. C’est l’eau pressurisée des circuits de refroidissement du réacteur. Par irradiation de l’oxygène 16, l’oxygène 18 instable est formé et se transforme en carbone 14. Les centrales nucléaires émettent du carbone 14 dans l’atmosphère, sous forme gazeuse

La deuxième source de carbone 14 est constituée par le combustible lui-même. La formation de l’oxygène 18 et sa décroissance, ainsi que la désintégration de l’azote 14 conduisent également au carbone 14, qui reste emprisonné dans le combustible. Ce carbone 14 provenant du combustible est libéré lors du retraitement. Une usine de ce type rejette en conséquence du carbone 14, sous forme liquide et gazeuse.

La dose collective globale correspondant au nucléaire est de 12,1 homme.Sv/TWh. Pour une production annuelle d’électricité d’origine nucléaire de 376 TWh, comme la production annuelle du parc électronucléaire français, la dose globale correspondant au carbone 14 est donc bornée supérieurement par la valeur de 4 550 homme.Sv/an.

Le tableau suivant récapitule les ordres de grandeur.

Tableau : Comparaison des doses globales collectives du carbone 14 rejeté par la filière électronucléaire avec la radioactivité naturelle

  dose annuelle en homme.Sv
carbone 14 provenant de la filière nucléaire sur un an < 4,55. 103
carbone 14 d’origine naturelle 1,2. 1010
ensemble de la radioactivité naturelle 2,4.1012

On voit donc que, selon la méthode d’intégration des faibles doses, le carbone 14 rejeté est négligeable par rapport au carbone 14 naturel et à la radioactivité naturelle dans son ensemble. Le carbone 14 naturel « pèse » trois millions de fois plus lourd que le carbone 14 « nucléaire ».

Les estimations des doses annuelles individuelles

Une évaluation de la dose individuelle est possible à partir de la dose globale collective notamment pour les travailleurs de la filière.

On trouvera ci-dessous une évaluation des doses annuelles individuelles moyennes pour les travailleurs du nucléaire et pour le public.

Tableau : Expositions individuelles pour chacune des étapes du cycle14,15

  exposition professionnelle exposition du public (0-100 ans)
étape du cycle exposition individuelle moyenne (mSv/an) exposition collective (homme.Sv/TWh) exposition individuelle moyenne autour des installations nucléaires (mSv/an)
mine et traitement du minerai 2-5 0,112 <1
conversion 1 0,002 0,001-0,020

(1-20 µSv/an)

enrichissement 0,25 <0,001  
fabrication du combustible 0,78 0,006  
production d’électricité 3 0,263  
démantèlement des réacteurs nd 0,022  
retraitement 0,19 @ 0,001  
transport nd @ 0,001  
total - 0,406  

Quant aux doses individuelles maximales du public autour des installations du cycle nucléaire, toutes les estimations conduisent à des valeurs très faibles, variant de 1 µSv/an à 20 µSv/an au plus selon le type d’installation.

S’agissant du carbone 14, en particulier, la dose globale collective lui est imputable à raison de 12 homme.Sv/TWh, soit près de 92 %. Il semble en conséquence important de comparer la dose individuelle avec le « bruit de fond » de la radioactivité naturelle.

Le tableau suivant présente cette comparaison, qui montre que la dose individuelle due à la filière nucléaire est négligeable par rapport à la radioactivité naturelle.

Tableau : Comparaisons des doses annuelles dues au carbone 14 rejeté ou naturel

  dose individuelle moyenne
rejets de carbone 14 atmosphérique dus à la production d’électricité et au retraitement 0,002 µSv/TWh
rejets de carbone 14 atmosphérique dus à la production d’électricité de 7 TWh, soit la production d’une tranche de 1300 MWe 0,014 µSv/an
carbone 14 naturel 12 µSv/an
rayonnement naturel 2400 µSv/an

Ces évaluations sont cohérentes avec celles réalisées par EDF, par l’IPSN et l’OPRI, ainsi que le montre le tableau suivant concernant l’impact radiologique des installations nucléaires françaises, qui représente un point d’accord global entre les trois sources précitées.

Tableau : Evaluation des doses annuelles reçues par le groupe de référence 16

type d’installation doses reçues par le groupe de référence
amont du cycle du combustible 1µSv
centrales nucléaires 10 µSv
usine de La Hague quelques dizaines de µSv

Si l’on considère le fonctionnement normal d’une installation nucléaire, la dangerosité des rejets représente le principal coût externe à prendre en compte. Les rejets sont autorisés par les pouvoirs publics sur la base de modèles de dispersion et d’exposition et en fonction de limites de doses moyennes considérées comme des limites acceptables. La question sous-jacente est celle des faibles doses.

3. La courbe dose-réponse

Ainsi que l’indiquent les recommandations 1990 de la Commission Internationale de Protection Radiologique17, la forme de la relation dose-effet pour les doses élevées délivrées à des débits de dose élevés est vraisemblablement linéaire-quadratique dans la plupart des systèmes biologiques. « Cependant, pour l’exposition à des faibles doses délivrées à faible débit de dose, la réponse est effectivement souvent linéaire, comme on peut s’y attendre pour une relation dose-effet linéaire quadratique à faible dose ».

Les deux autres possibilités, c’est-à-dire une fonction linéaire à seuil ou une fonction « supralinéaire » – voir figure ci-après – ne sont pas prises en considération.

Figure : Principaux modèles de la courbe dose-réponse pour les faibles doses

Dans la plupart des études concernant l’impact sur la santé de la filière nucléaire en fonctionnement normal, comme pour ExternE, on considère que les effets radiologiques sont directement proportionnels aux doses collectives totales.

Dans le cas où la dose collective est rapportée à la production d’électricité, on exprime alors l’impact en termes de cancers mortels, de cancers non mortels et en effets héréditaires graves. Le tableau suivant donne les résultats pour ExternE, dans son édition 1995, résultats qui intègrent les impacts à long terme.

Tableau : Impacts sur la santé de la filière nucléaire rapportés à la production d’électricité

  nombre de cancers mortels nombre de cancers non mortels nombre d’altérations héréditaires
nombre / TWh 0,65 1,57 0,13

Il est possible d’aller encore plus loin dans l’estimation de l’impact de la filière nucléaire et de calculer, sur les mêmes bases, l’impact du fonctionnement d’un réacteur de 1300 MWe supplémentaire. ExternE s’y est risqué en intégrant les doses collectives sur 100 000 ans.

L’impact sur l’ensemble de la population de l’Europe serait seulement d’un cancer supplémentaire, à comparer aux huit cent mille cancers mortels répertoriés chaque année sur cette même zone géographique. Il semble en tout état de cause que pour ce type de calcul, on atteigne aux limites de la méthode.

C. La question des accidents graves

La question des accidents graves en matière d’électronucléaire occupe à juste raison une place importante en particulier dans le domaine de l’évaluation du coût réel de cette filière.

Une première remarque doit être faite. La connaissance des conséquences dramatiques de l’accident de Tchernobyl est utile à l’analyse. Mais les réacteurs à eau légère des parcs électronucléaires ne peuvent pas être comparés au réacteur RBMK n°4 de Tchernobyl qui explosa le 26 avril 1986, non plus que les procédures et les personnels de conduite.

L’approche traditionnelle en matière d’évaluation des conséquences d’un accident nucléaire grave est l’approche dite par l’évaluation probabiliste des risques. Cette méthode consiste certes à chiffrer les conséquences d’un accident grave, mais aussi à les pondérer par une probabilité d’occurrence, qui, étant très faible, de l’ordre de 10-6 à 10-5, en réduit fortement l’impact.

Cette approche par les risques est parfaitement justifiée pour les experts. Elle est toutefois difficilement comprise et acceptée par le public, qui aurait plutôt tendance à raisonner en terme d’aversion pour le risque.

Ce divorce entre les experts et le public sur le coût des accidents graves a déclenché la mise au point récente et encore inachevée d’autres méthodes d’approche.

1. L’évaluation probabiliste des risques

Les accidents graves de référence étudiés par les spécialistes pour les réacteurs des parcs occidentaux reposent sur des scénarios diversifiés. Pour chaque scénario, les conséquences sont assorties d’une probabilité de réalisation, le risque global consistant en la somme des risques spécifiques, selon la formule :

Risque = S Pi.Ci (C)

avec :

P: probabilité du scénario i

Ci : conséquences du scénario i

Les différents scénarios se distinguent essentiellement par l’importance des rejets des radionucléides provenant de la fusion du coeur.

Dans le cas de la France, on considère à cet égard que les réacteurs du palier P4-P’4 (1300 MWe) se caractérisent par une probabilité d’un accident de fusion du coeur inférieure à celle du palier CP0-CP1-CP2 (900 MWe).

A cet égard, la probabilité utilisée par exemple dans l’étude ExternE est de 10-5 par réacteur et par an. Cette probabilité a été calculée par EDF sur la base d’une étude probabiliste de sûreté pour les réacteurs à eau pressurisée du palier 1300 MWe18. Ce chiffre se situe entre les valeurs guides de la NRC aux Etats-Unis pour les réacteurs américains, et les valeurs utilisées en Europe.

Les scénarios d’accident se distinguent les uns des autres par la gravité de l’accident survenu au coeur mais aussi et surtout par les quantités et la nature des radioéléments rejetées à l’extérieur de l’enceinte de confinement.

On trouvera ci-après les caractéristiques des différents scénarios mis au point par l’AEN-OCDE et la Commission européenne19. Ces scénarios sont proches de ceux utilisés en France. Le scénario ST21 est le scénario de référence.

Tableau : Exemples de scénarios d’accident grave

  >>>>>>>>>>>>Scénarios de gravité croissante : >>>>>>>>>
référence ExternE ST23 ST22 ST21 ST1
enceinte de confinement     rupture partielle d’étanchéité rupture importante d’étanchéité
rejets 0,01 % du coeur 0,1 % du coeur 1 % du coeur dont

- 10 % des gaz rares

- 1 % des éléments volatils (césium et iode)

10 % du coeur

Le scénario ST21 correspond approximativement au scénario de référence de l’autorité de sûreté française.

Une fois défini l’éventail du possible, les méthodes d’évaluation par le risque s’efforcent de déterminer les conséquences des différents scénarios, en choisissant généralement un scénario de référence, par rapport auquel sont chiffrés en plus ou en moins les conséquences des autres scénarios.

Il est à remarquer que le chiffrage des conséquences doit obéir à une analyse des impacts spécifique, qui diffère des chemins d’impact correspondant au fonctionnement normal.

On trouvera à la figure suivante, la grille d’analyse utilisée par ExternE pour l’évaluation des conséquences d’un accident nucléaire grave.

Figure : Chemins d’impact des émissions de radionucléides dans l’environnement dans le cas d’un accident grave20

Les conséquences d’un accident sur la santé sont occasionnées par les rejets atmosphériques de radionucléides provenant de la fusion du coeur et pouvant s’échapper dans l’atmosphère en raison d’une brèche de l’enceinte de confinement elle-même provoquée par une explosion d’une ampleur plus ou moins grande.

Les conditions météorologiques sont donc d’une grande importance. C’est pourquoi il est nécessaire à ce stade également, de bâtir des scénarios. La définition de l’aire géographique où l’on prend en considération les conséquences de l’accident, est également d’une grande importance.

A titre d’exemple, à cet égard, les évaluations conduites dans le cadre de l’étude ExternE retiennent un cercle de 3000 km autour du site où s’est produit l’accident.

On trouvera ci-après les évaluations des doses collectives correspondant à un accident majeur, selon les différents scénarios étudiés.

Tableau : Exemples de doses collectives générées par un accident grave21, 22

scénario

(gravité

croissante de haut en bas)

probabilité de fusion du coeur (par réacteur et par an)

(col. A)

probabilité conditionnelle

(col. B)

dose collective (homme.Sv)

(col. C)

dose collective pondérée par les probabilités

(col. D)

risque exprimé en dose collective en homme.Sv par TWh

(col. E)

ST23 10-5 0,81 1 840 0,01 0,001
ST22 10-5 0,19 12 180 0,02 0,003
ST21 10-5 0,19 58 300 0,11 0,016
ST2 10-5 0,19 291 200 0,55 0,078

En réalité, les effets d’un accident grave sur la santé peuvent être répartis en deux catégories.

La première catégorie correspond aux effets déterministes immédiats. Seuls les deux scénarios correspondant aux accidents les plus graves (ST21 et ST2) entraînent des effets déterministes.

Les effets stochastiques à long terme sont supposés être, comme pour les faibles doses, proportionnels aux doses collectives. Selon le scénario considéré, l’estimation du nombre de cancers mortels induits à long terme par l’accident s’établit entre 3,9.10-3 et 10-4 cas par TWh.

2. L’approche par les utilités

L’opinion des experts sur la probabilité d’un accident nucléaire prend appui sur des calculs complexes sur les probabilités de fusion du coeur et sur les probabilités de relâchement de radionucléides dans l’atmosphère à la suite d’une rupture du confinement.

Il s’agit d’évaluations reposant sur l’expérience considérable accumulée sur les quelques 442 réacteurs opérationnels dans le monde à la fin 1997. Par ailleurs, même en cas d’accident, la dose collective ressort à 58 000 homme.Sv/TWh. Corrigée par la probabilité, elle est de 0,016 homme.Sv/TWh, ce qui est bien entendu un montant élevé mais à comparer aux 13,1 homme.Sv/TWh correspondant au fonctionnement normal.

Pour autant, les conséquences d’un accident nucléaire sont intuitivement chiffrées par le public comme s’élevant à des milliards de francs et constituent un sujet de préoccupation, non pas vis-à-vis du parc électronucléaire français mais pour les centrales des pays de l’Est.

Cette attitude du public vis-à-vis de l’éventualité d’un accident nucléaire traduit une aversion pour le risque que certains experts ont essayé de quantifier.

Les différentes méthodes récemment développées pour tenter de réduire ce fossé dans les perceptions sont décrites dans la suite23. Chacune d’entre elles présente des lacunes. En réalité, la présentation de ces tentatives théoriques rend compte de la complexité de la prise en compte d’événements peu probables dans le raisonnement économique.

Les divergences dans les scénarios adoptés par les experts de différents pays

L’analyse des études conduites par les experts de différents pays montre que ceux-ci divergent sur la définition des accidents à prendre en compte et donc sur la gravité relative de leurs conséquences. Le tableau ci-après met en lumière ces divergences.

Tableau : Scénarios de rejets en cas d’accident nucléaire, selon différents pays

pays rejet maximum de césium en % de la quantité présente dans le coeur probabilité de rejet remarques
France 10 % 2-3. 10-6 absence d’explosion ; 4 scénarios étudiés
Allemagne 70 % 10-7 6 scénarios étudiés
Royaume Uni 50 % 2,4. 10-9  

Cette situation rend les comparaisons internationales difficiles. Elle traduit également l’impossibilité de définir les probabilités d’accident d’une manière objective.

Face à cette impasse, plusieurs auteurs ont développé des théories alternatives, sans toutefois, pour nombre d’entre eux, avoir démontré leur vraisemblance et leur utilité.

Les estimations empiriques d’un coefficient multiplicateur d’aversion pour le risque

Le postulat a été posé que les conséquences d’un accident augmenteraient en fonction du carré du nombre de personnes touchées par l’accident24. De la sorte, un accident concernant un million de personnes aurait des conséquences un million de fois supérieures à celles d’un accident touchant mille personnes. Le même auteur estime que lorsque l’équilibre général, social et environnemental est affecté par l’accident, le coût de celui-ci augmente exponentiellement. Au vrai, ces assertions n’ont fait l’objet d’aucune vérification statistique.

Une autre théorie conclut que le coût d’un accident doit être affecté d’une pondération représentant une « aversion pour les catastrophes », le coefficient correspondant étant de 300. L’estimation empirique de ce coefficient manque toutefois de solidité.

La théorie du choix de portefeuille a d’autre part été appliquée à la question des accidents nucléaires. L’idée est que l’écart type d’un ensemble de probabilités d’accident est représentatif du consentement à payer pour éviter celui-ci.

L’utilisation de l’écart type pour mesurer le risque est fréquente dans la théorie du choix de portefeuille, la moyenne et la variance servant à classer les portefeuilles les uns par rapport aux autres. Le modèle sous-jacent est celui de la maximisation de l’utilité attendue, dans le cas où la fonction d’utilité est une fonction quadratique. En réalité, on peut démontrer qu’une fonction d’utilité quadratique ne s’applique pas au cas de la décision en univers aléatoire, ce qui disqualifie la méthode.

L’approche par l’utilité espérée

Le principe de cette approche est d’utiliser une fonction d’aversion pour le risque qui dépend du revenu du ménage25. La prime de risque est estimée en calculant le prix de la sécurité. Les conséquences d’un accident sont analysées en termes d’interdictions de consommations alimentaires, de coût des évacuations et des relogements, ainsi que de dépenses médicales et de calculs concernant la valeur statistique de la vie humaine. La fonction d’aversion pour le risque serait en réalité fonction du carré du niveau de revenu. Un paramètre important dans cette méthode est le niveau de vie initial des individus touchés par l’accident.

En tout état de cause, cette approche permet d’estimer un coefficient multiplicateur à appliquer au coût de l’accident nucléaire établi par l’approche par le risque. Ce coefficient serait de 20.

L’approche par les probabilités recomposées

L’approche la plus récente - intitulée EURDP26 - intègre les derniers acquis de la théorie du risque. Elle consiste à ajuster les probabilités des différents événements par une fonction de transformation27.

Par l’intermédiaire de cette fonction, le poids des événements peu probables est supérieur à celui des événements assortis d’une probabilité plus élevée. Ce mécanisme rend compte du fait que le public surestime généralement la probabilité d’occurrence d’un événement rare. Il rend compte aussi du fait que le public estime intuitivement que la probabilité d’un accident nucléaire est supérieure à celle énoncée par les experts. Concrètement, la forme de la fonction de transformation est tirée des travaux sur la théorie du risque.

Comme on peut s’y attendre, le résultat de cette approche, qui augmente la probabilité d’un accident nucléaire, fait croître dans des proportions considérables le coût calculé par l’approche par le risque.

Cette approche semble intéressante en ce qu’elle permet de réduire le fossé entre les conceptions du public et les dires d’experts. Toutefois, la détermination de la fonction de transformation reste un point critique et mérite en tout état de cause de trouver des justifications expérimentales solides.

*

Au final, il apparaît que des recherches supplémentaires sont nécessaires pour déterminer une méthode totalement fondée que l’on pourrait appliquer au cas difficile de l’estimation des conséquences d’un événement très peu probable.

Dans le cours du deuxième chapitre du présent rapport, les limites de la méthode des coûts moyens actualisés ont été mises en évidence.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser a priori, la théorie est également d’un faible secours pour traiter la question d’un accident nucléaire. Les tentatives actuelles peuvent au moins servir à décrypter les approches qualitatives et les rattacher à une grande catégorie de problématique, ce qui est loin d’être inutile, compte tenu de l’aspect polémique que prennent souvent les controverses sur la question du coût d’un accident nucléaire.

On peut aussi aller plus loin. Il est en effet nécessaire de rendre compte de l’aversion pour le risque. A cette fin, dans un premier temps, on peut partir du coût de l’accident nucléaire calculé par l’évaluation probabiliste du risque. Ce coût doit à l’évidence être ensuite majoré. En dernière analyse et pour le moment, il semble que le résultat le mieux assuré pour ce faire soit celui obtenu par l’approche de l’utilité espérée, ce qui revient à appliquer un coefficient égal à vingt au coût de départ.

Cliquer ici pour accéder à la partie III du chapitre III:
La synthèse par le calcul des externalités avec externe : une percée méthodologique qui confirme l'intérêt économique et environnemental du nucléaire
A. Les principes de la méthode des externalités développée par l'étude externe
B. Les coûts externes de la production d'électricité dans l'Union européenne, selon les résultats de 1995

Cliquer ici pour retourner au sommaire général

1 MeV : Mega Electron Volt ; l’électron volt est l’énergie acquise par un électron accéléré dans un champ électrique d’un volt ; 1 eV = 1,6.10-19 J ; 1 MeV = 1,6. 10-13 J

2 Le CO2 émis à partir des combustibles fossiles est formé de carbone 12. Du fait des rejets de ce carbone 12 dans l’atmosphère, la concentration du carbone 14 dans l’atmosphère en réalité diminue en réalité légèrement chaque année.

3 Les organismes vivants – végétaux et animaux – absorbent sans cesse du gaz carbonique. Tant qu’ils sont vivants, la concentration en carbone 14 dans leur organisme ne varie pas mais au contraire diminue après leur mort, en fonction de la décroissance radioactive. Ce phénomène est à la base de la datation par le carbone 14.

4 Nuclear Fuel Cycle and Reactor Strategies : Adjusting to New Realities, Proceedings Series, Vienna Symposium, 3-6 June 1997, International Atomic Energy Agency.

5 M. Dreicer, V. Tort, H. Margerie, The External Costs of the Nuclear Fuel Cycle, Implementation in France, Rapport n° 238, Centre d’étude sur l’évaluation de la protection dans le domaine nucléaire, 1995.

6 M. Dreicer, V. Tort et H. Margerie, The External Costs of the nuclear fuel cycle, Report n° 238, CEPN, Paris, 1995.

7 Nuclear Fuel Cycle and Reactor Strategies : Adjusting to New Realities, IAEA, Vienne, 1997.

8 Claude Birraux, député de Haute-Savoie, rapport sur le contrôle de la sûreté et de la sécurité des installations nucléaires, n° 1825 – Assemblée nationale, n° 172 – Sénat, Paris, décembre 1994.

9 Nuclear Fuel Cycle and Reactor Strategies : Adjusting to New Realities, Proceedings Series, Vienna Symposium, 3-6 June 1997, International Atomic Energy Agency.

10 Au-delà d’un rayon de 1000 km.

11 M. Dreicer, V. Tort et H. Margerie, op.cit.

12 B.G. Bennett, « UNSCEAR 1993 Report », in IAEA Yearbook 1994, septembre 1994 ; article publié également dans le Radiological Protection Bulletin, NRPB, n°9, janvier 1994 ; cité dans Claude Birraux, rapport 1994, op. cit.

13 Global entendu comme distant d’au moins 1000 km du site considéré.

14 J. Lochard et V. Tort, L’impact radiologique des installations du cycle nucléaire, Contrôle, la Revue de l’Autorité de Sûreté Nucléaire, n° 117, juin 1997.

15 Cogema, Dosimétrie 1996.

16 Claude Birraux, rapport 1994, op. cit.

17 Recommandations 1990 de la Commission Internationale de Protection Radiologique, Pergammon Press, Oxford, 1993.

18 Electricité de France, Etude probabiliste de sûreté des réacteurs à eau sous pression de 1300 MWe, EPS 1300, France, 1990.

19 AEN/OCDE, CEC, Probabilistic Accident Consequences Assessment Codes, Second International Comparison, Overview Report, Paris, France, 1994.

20 M. Dreicer, V. Tort et H. Margerie, The External Costs of the nuclear fuel cycle, CEPN, Paris, 1995.

21 M. Dreicer, V. Tort et H. Margerie, CEPN, op. cit.

22 Col.D=(Col. A)*(Col. B)*(Col. C) ; Col. E = (Col.D)/ (7 TWh).

23 A. Markandya, University of Bath, et T ; Schneider, CEPN, ExternE – Task 1.5 Accidents, Improvement of the Assessment of Severe Accidents, Rapport final, mai 1998.

24 R. Ferguson, Environmental Costs of Energy Technologies, cité par H.J. Ewers, K. Rennings : Abschätzung der Schäden durch einen sogenannten ‘SuperGAU », in : Prognos-Schriftenreihe Identifizierung und Internalisierung externer Kosten der Energieversorgung, Vol. 2, prognos, Bâle, 192.

25 L. Eeckhoudt, C. Schieber, T. Schneider, Integration of Risk Aversion in the Calculation of the External Costs of a Nuclear Accident : Expected Utility Approach, ExternE – Task 1.5 Accidents, Improvement of the Assessment of Severe Accidents, Rapport final, mai 1998.

26 EURDP : Expected Utility with Rank Dependent Probability

27 S. Ascari et M. Bernasconi, The Economics of Risk and Uncertainty and the Valuation of Severe Accidents, ExternE – Task 1.5 Accidents, Improvement of the Assessment of Severe Accidents, Rapport final, mai 1998.



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