- -

Rapport sur l'aval du cycle nucléaire
Par M. Christian Bataille et Robert Galley
Députés
Tome II : Les coûts de production de l’électricité

Chapitre III (partie III)

III. La synthese par le calcul des externalités avec ExternE : une percee methodologique qui confirme l’interet economique et environnemental du nucleaire 265

A. Les principes de la méthode des externalités développée par l’étude ExternE 268

1. L’objectif de l’étude : le chiffrage des coûts environnementaux des différentes filières de production de l’électricité 268

2. Le cadre méthodologique d’ExternE 271

3. L’approche par les chemins d’impact 273

4. Une question difficile : la valeur statistique de la vie humaine 277

5. Les questions connexes : les aspects qualitatifs 281

B .Les coûts externes de la production d’électricité dans l’Union européenne, selon les résultats de 1995 283

1. Principales hypothèses 283

2. Les résultats de 1995 hors effet de serre 283

3. Les résultats de 1995 pour l’effet de serre 286

III. La synthese par le calcul des externalités avec ExternE : une percee methodologique qui confirme l’interet economique et environnemental du nucleaire

La Direction générale XII (Science, Recherche et Développement) de la Commission européenne a fait réaliser, depuis le début des années 1990 et par un ensemble d’équipes de recherche et de scientifiques universitaires, une étude sur les coûts externes de l’énergie.

Cette étude fournit un cadre méthodologique détaillé et cohérent pour l’analyse des coûts sur la santé et l’environnement de chacune des étapes du cycle du combustible et de la production d’électricité. Ce cadre est d’ailleurs sensiblement le même que celui utilisé par le Department of Energy des Etats-Unis qui a été d’ailleurs été associé à ExternE lors des travaux méthodologiques préliminaires

Un paramètre clé de la méthode des externalités est la valeur statistique de la vie humaine

Les méthodes de calcul de la « valeur » de la vie humaine peuvent être classées en deux grandes catégories.

La première catégorie est celle des évaluations institutionnelles élaborées par les Etats ou les secteurs économiques comme, par exemple, les compagnies d’assurance ou les compagnies aériennes. Ces évaluations institutionnelles correspondent à un point de vue extérieur à la personne humaine, celle-ci étant considérée essentiellement comme un agent économique.

La deuxième catégorie d’évaluations correspond à un point de vue individuel et subjectif où des personnes interrogées expriment un point de vue, lui-même entaché d’artefact.

L’étude ExternE a publié une série de résultats très complets en 1995, qui ont été ultérieurement discutés en profondeur non seulement par les différentes parties prenantes du projet mais également dans différents colloques et symposiums scientifiques.

Des modifications et des ajustements méthodologiques qui ont ensuite été réalisés, il résulte les résultats publiés en 1998, qui dénotent des changements des montants exacts de coûts externes de production de l’électricité, changements qui, toutefois, ne touchent pas les ordres grandeur.

En réalité, on peut considérer ExternE comme la référence en termes de méthode et de résultats pour l’évaluation des coûts externes de l’énergie. Comme toute méthode, ses limites doivent être posées ainsi que l’intervalle de confiance de ses résultats.

Ses limites proviennent principalement de l’utilisation de valeurs moyennes pour la concentration des polluants dans les modèles de transmission et d’exposition.

Ce fait néglige la possibilité d’accumulations ponctuelles et momentanées et leurs conséquences éventuelles à la fois sur la santé et l’environnement. Néanmoins, il faut considérer la prudence systématique des études, qui se traduit par le choix répété des valeurs les plus élevées pour les dommages.

Un élément renforce toutefois la crédibilité des résultats d’ExternE. C’est que cette étude est essentiellement comparative, ayant essentiellement pour objet de comparer les coûts de plusieurs énergies.

L’essentiel dans ce cas de figure est la mise au point d’une méthode pertinente pour chaque cas spécifique. Les valeurs absolues sont alors moins à retenir que les valeurs relatives. On peut donc considérer que les hiérarchies établies par ExternE ont une vraisemblance satisfaisante.

Pour améliorer l’évaluation des coûts externes du nucléaire, et pour aller dans le sens de la Commission européenne, des évaluations ont été faites par le CEPN, en intégrant l’aversion pour le risque et en prenant des hypothèses majorantes.

En réalité, il semble bien que l’approche monétaire touche à ses limites dans le cas difficile à traiter des accidents très peu probables.

Sans doute faudrait-il en premier lieu comparer entre eux les risques d’accidents liés à chacune des filières.

Sans doute faudrait-il également sur ce sujet raisonner avec une méthode faisant appel aux courbes d’indifférence entre le gain en termes de revenus et le risque d’accident et donc mettre au point une autre approche – spécifique cette fois – pour le traitement des accidents.

L’étude ExternE a récemment exposé une approche originale et prometteuse visant à déterminer les marges d’erreur pour les valeurs des coûts externes calculés pour la France.

Cette approche a pour objectif de définir une courbe enveloppe pour les résultats des coûts externes, en se basant sur les caractéristiques statistiques de la distribution des valeurs proposées pour les différents coûts.

Ainsi, compte tenu des incertitudes sur les émissions, sur la dispersion, sur l’exposition et sur les effets sanitaires, et au terme de raisonnements complexes sur les méthodes d’estimation, ExternE définit des intervalles de confiance assortis de probabilités.

On constate que les incertitudes sur les coûts externes en fonctionnement normal ne remettent pas en cause la hiérarchie des coûts.

La même démarche reste à faire pour l’évaluation des risques d’accident pour l’ensemble des filières de production de l’électricité.

A. Les principes généraux de la méthode des externalités développée par l’étude ExternE

L’étude ExternE1, conduite par la Commission européenne, porte sur l’évaluation des externalités environnementales de l’utilisation de l’énergie. Cette étude de très grande ampleur a mobilisé plusieurs équipes de recherche dans plusieurs pays de l’Union européenne et s’est déroulée en deux temps.

La première étape a commencé en 1991 et s’est achevée en 1995. Dans le cadre d’une coopération avec le Département de l’Energie américain, une méthodologie globale a d’abord été mise au point pour la mesure des coûts environnementaux des différentes énergies. Cette méthodologie a ensuite été appliquée par la Commission, en coopération avec différents laboratoires ou organismes de recherche appartenant à différents pays membres de l’Union européenne.

La deuxième étape s’est achevée fin 1998. Elle est consacrée à l’approfondissement de questions fondamentales comme l’évaluation de l’impact des différentes énergies en termes d’effets de serre, comme la valeur statistique de la vie humaine, l’amélioration de la prise en compte des accidents majeurs, et la définition d’intervalles de confiance pour les résultats obtenus.

Les développements qui suivent font le départ entre les résultats de 1995 et ceux de 1997, dans la mesure ou des améliorations significatives ont été apportées à la méthodologie, sans toutefois rendre totalement obsolètes les résultats initiaux.

1. L’objectif de l’étude : le chiffrage des coûts environnementaux des différentes filières de production de l’électricité

C’est l’impact sur l’environnement et la santé qui est étudié pour chacune des énergies, impact mesuré en termes physiques et en termes monétaires. La totalité du cycle du combustible est prise en compte dans les évaluations, depuis l’extraction jusqu’à la gestion des déchets en passant par la production d’énergie, celle-ci incluant l’exploitation et les accidents.

En outre, pour certaines formes d’énergie, en particulier les énergies renouvelables, la fabrication des matériaux utilisés dans le cycle est également intégrée, si elle n’est pas négligeable c’est-à-dire du second ordre. C’est le cas pour l’éolien du fait de la technicité et du contenu relatif en émissions de CO2 des matériaux utilisés.

Tableau 1 : Champs de l’étude ExternE2

Energies prises en compte Polluants recensés Dommages chiffrés sur :
a) combustibles fossiles

- charbon

- pétrole

- gaz

- lignite

- orimulsion

- tourbe

b) nucléaire

c) énergies renouvelables :

- photovoltaïque

- solaire thermique

- biomasse

- éolien

- hydro

- biogaz

d) économies d’énergie

e) transport

- SO2

- Nox

- Particules (PM10)

- Aérosols (sulfates et nitrates

- Ozone

- Radionucléides

- Méthane (CH4)

- N20

- CO2

- santé publique

- ressources minérales

- récoltes

- forêts

- ressources halieutiques

- systèmes écologiques libres

- accidents internes aux sites

- accidents à portée externe

- bruit

- occupation des sols

- emprise visuelle

- potentiel d’effet de serre

Les résultats d’ExternE fondée sur les contextes nationaux

Ce sont des équipes de recherche nationales qui ont eu la responsabilité de mener à bien les évaluations d’ExternE. Les informations détaillées nécessaires à la réalisation des calculs ont pu être puisées dans les systèmes nationaux.

Du fait de la disparité des structures énergétiques nationales et sans doute aussi dans une certaines mesure, des différences de performances des filières de production de chacun des pays, la mention du contexte national est systématiquement faite pour les résultats.

Le tableau suivant présente les auteurs des différentes évaluations ainsi que les bases concrètes de celles-ci, pour l’ensemble des filières étudiées.

Tableau 2 : Principaux organismes contributeurs et principales références technologiques de l’étude ExternE 3

  charbon lignite fioul gaz nucléaire
organismes responsables de l’étude Royaume Uni :

- ETSU, Harwell Didcot

- Eyre Energy Environment, Carnforth

- Institute of Occupational Medicine, Edinburgh

- Institute of Terrestrial Ecology, Grange-over-Sands

- Metroeconomica

Allemagne :

- IER, Universität Stuttgart

- IWS, Universität Stuttgart

Allemagne :

- IER, Universität Stuttgart

- BM, Berlin

- Universität Stuttgart

- Universität Bremen

Allemagne :

- IER, Universität Stuttgart

- Universität Kiel

- BM, Berlin

Royaume Uni :

- ETSU, Didcot

- AEA Technology

France :

- CEPN

Royaume Uni :

- ETSU, Didcot

cas de référence - centrale thermique de West Burton ‘B’ : 1800 MW, rendement thermique : 37,5 % ; mise en service industriel : projet hypothétique abandonné

- centrale thermique de Lauffen : 689 MW, rendement thermique : 37,6 ; projet hypothétique abandonné

- centrale thermique de Grevenbroich : 624 MW ; rendement thermique : 26,2 % ; projet hypothétique abandonné - centrale thermique de Heizöl EL : 157 MW, fonctionnant en pointe ; mise en service industriel : 1989

- centrale thermique de Heizöl S : 548 MW ; cycle combiné gaz-vapeur à partir de fuel lourd ; mise en service industriel : 2005

- gisement de Caister (mer du Nord)

- centrale à cycle combiné gaz-vapeur (3 turbines ABB GT13E de 145 MW et une turbine à vapeur de 227 MW)

- mine d’uranium de Lodève

- site de transformation de Malvesi

- conversion, enrichissement, fabrication du combustible à Tricastin

- réacteurs nucléaires (4) de 900 MWe de Tricastin

- retraitement à La Hague

- centre de l’Aube pour les déchets A

- centre hypothétique d’Auriat (granite) près de Limoges pour le stockage des déchets de haute activité

On voit qu’ont été mises à contribution des équipes de recherche, le plus souvent universitaires, de plusieurs pays. Par ailleurs, dans le cas du nucléaire, les évaluations réalisées par la France en 1995 et en 1998 ont été doublées d’évaluations britanniques pour 1998.

2. Le cadre méthodologique d’ExternE

L’étude ExternE se caractérise par des limites générales et des limites spécifiques au nucléaire.

Le coeur de cible d’ExternE a été défini comme étant la production d’électricité et les transports4. Ce n’est que par raccroc que l’étude a porté sur l’utilisation de l’énergie dans l’habitat, au travers des économies d’énergie.

Il semble que ceci soit un biais important, même si l’on peut reconnaître que le traitement méthodologique des économies d’énergie est particulièrement difficile. En effet le traitement des rejets est beaucoup plus efficace sur un plan technique pour des sites centralisés de production d’électricité que pour des sites décentralisés. Ceci pourrait ainsi fausser l’évaluation des impacts des politiques de réduction des émissions polluantes.

Par ailleurs, les externalités positives ou économies externes ne sont pas prises en compte expressément par l’étude. Des études complémentaires ont été faites pour la sécurité d’approvisionnement. Mais la création d’emplois directs et induits et l’impact sur la balance des paiements ne sont pas pris en compte.

Tableau 3 : Principales options méthodologiques d’ExternE 5

  Combustibles fossiles nucléaire énergies renouvelables
impact principal santé

systèmes biologiques

effet de serre

santé agrément
principales étapes du cycle production d’électricité 9 cycle de vie et production d’électricité
type d’approche des événements déterministe déterministe et probabiliste déterministe
échelles de temps du court au long terme du court au très long terme court terme
champ d’action du local au global du local au global local
type d’installations concernées coût marginal ou incrémental, c’est-à-dire coûts relatifs à de nouvelles unités de production
type de coût pas de coût moyen pour une filière mais calcul spécifique à une installation d’une technologie spécifique et pour un combustible donnés
méthode de calcul utilisation de fonctions de dommage : il s’agit des valeurs que la population serait prête à donner à la réparation de telle ou telle nuisance (évaluations fondées sur le consentement à payer)

L’évaluation des dommages sur la santé suppose une valeur donnée à la vie humaine. L’étude ExternE adopte une valeur située plutôt dans le haut de l’intervalle des estimations disponibles, avec un montant de 2,6 millions d’euros.

3. L’approche par les chemins d’impact

Figure 1 : L’approche par les chemins d’impact des rejets et l’évaluation de leurs coûts 6

Parmi les différentes étapes de l’analyse, certaines sont critiques. Le schéma simplifié présenté ci-après permet de resituer les enjeux de la méthode générique utilisée par l’étude ExternE.

Figure : Schéma de principe de l’analyse par les chemins d’impacts

A chacune des étapes – évaluation des caractéristiques de l’émission, évaluation de la dispersion, impact sur la santé et au final évaluation économique – intervient une modélisation physique, biologique ou économique qui comporte des hypothèses pour permettre l’indispensable simplification de la réalité et sa représentation.

Cette analyse est appliquée dans l’étude ExternE à chaque étape du cycle complet de chacune des filières de production de l’électricité selon le schéma ci-après.

Figure : Application de la méthode des chemins d’impact au cycle de production de l’électricité

Chemins d’impact

/ étape du cycle de production

émission dispersion fonction

dose-réponse

évaluation économique
extraction du combustible        
transport        
production d’électricité        
transmission de l’électricité        
gestion des déchets        
démantèlement des installations        

Les solutions apportées dans le cadre d’ExternE pour différentes étapes délicates sont discutées dans la suite.

L’addition des coûts externes entre eux

La question est la suivante. Une centrale électrique d’une technologie donnée occasionne plusieurs nuisances. Supposons que l’on sache mesurer avec une précision raisonnable le coût de chacune de ces nuisances. Est-il possible d’additionner chacun de ces coûts pour avoir le coût global ?

Il existe une solution théorique à cette question. Mais elle difficile à mettre en œuvre. Elle suppose en tout état de cause que les composantes du coût soient des variables indépendantes.

Il s’agit d’une hypothèse forte. En effet on peut considérer par exemple que la sensibilité au NOx et donc le dommage occasionné à l’organisme par ce polluant ne soient pas indépendants de la présence d’un autre polluant comme les SOx.

En tout état de cause, les études croisées sur les interactions des polluantes sont rares et semblent constituer une limite aux connaissances épidémiologiques actuelles. L’étude ExternE ne peut que refléter cette indépendance supposée des effets des polluants.

Une solution cohérente pour additionner coûts privés et coûts externes

La méthode des externalités apporte une réponse intéressante à la difficile question de l’addition de coûts privés et de coûts externes.

Les coûts privés sont les coûts assumés par le producteur dans le cadre de son activité. Les coûts externes sont assumés par l’environnement et par la collectivité.

Les coûts privés de production sont calculés par les exploitants. Ils dépendent du système de prix des facteurs et des biens de production. Ils sont également tributaires des conventions comptables internes à l’entreprise, conventions elles-mêmes issues de choix nationaux en la matière.

Les coûts externes sont soit dérivés de systèmes de prix soit forgés à partir de méthodes de substitution.

A supposer qu’ils existent, les systèmes de prix invoqués dans l’estimation des coûts externes ne sont pas automatiquement en mesure de donner une appréciation correcte des coûts. Quand les systèmes de prix n’existent pas, ce qui est le cas le plus fréquent, des systèmes de substitution sont utilisés. On recourt au sondage, au vote ou à un marché fictif pour conduire les consommateurs à révéler leurs préférences. Il n’est pas acquis que ces substituts soient performants.

La deuxième question porte sur les incertitudes entachant les évaluations respectives des coûts privés et celles des coûts externes.

La comptabilité analytique des entreprises permet de cerner avec une erreur très faible les coûts de production. L’incertitude provient essentiellement des règles et des méthodes comptables utilisées. En revanche la question des marges d’erreur sur les coûts externes est importante. Ces erreurs sont sensiblement plus élevées que pour les coûts privés. L’addition des coûts nécessite donc des précautions.

Un champ d’investigation de plus en plus large

Le tableau suivant montre le champ couvert par ExternE, qui s’est élargi au fur et à mesure du temps et atteint presque l’exhaustivité.

Tableau 4 : Opérations dont les coûts externes sont pris en compte par ExternE pour chaque filière 7

Nucléaire Charbon (a) Fuel Gaz naturel
Opérations habituelles
extraction et traitement du minerai extraction extraction du pétrole exploration et extraction

fonctionnement des gazoducs offshore

conversion     traitement du gaz
enrichissement     fonctionnement des gazoducs
fabrication du combustible extraction du calcaire (si désulfurisation) raffinage  
production d’électricité :

construction de la centrale

exploitation

démantèlement

production d’électricité : construction de la centrale

exploitation

démantèlement

production d’électricité :

construction de la centrale

exploitation

démantèlement

production d’électricité :

construction de la centrale

exploitation

démantèlement

retraitement      
stockage8 des déchets A et B stockage des déchets stockage des déchets stockage des déchets
stockage profond des déchets C      
Transport transport des matières et du personnel transport des matières et du personnel transport des matières et du personnel
  acheminement de l’électricité au réseau acheminement de l’électricité au réseau acheminement de l’électricité au réseau
Situations accidentelles
production d’électricité tous les risques pris en compte mais toutes les étapes prises en compte toutes les étapes prises en compte
transport importance relative forte des accidents miniers importance relative forte des accidents d’extraction et de transport importance relative forte des accidents d’extraction

4. Une question au coeur de la méthode des externalités : la « valeur » statistique de la vie humaine

Les méthodes de calcul de la valeur statistique de la vie humaine peuvent être classées en deux grandes catégories9.

La première catégorie est celle des évaluations institutionnelles élaborées par les Etats ou les secteurs économiques comme, par exemple, les compagnies d’assurance ou les compagnies aériennes. Ces évaluations institutionnelles correspondent à un point de vue extérieur à la personne humaine, celle-ci étant considérée essentiellement comme un agent économique.

La deuxième catégorie d’évaluations correspond à un point de vue individuel et subjectif où des personnes interrogées expriment un point de vue, lui-même entaché d’artefact.

Le schéma suivant indique la classification que l’on peut faire des méthodes utilisées.

Figure : Classification des méthodes de calcul de la « valeur » de la vie humaine

a) les estimations institutionnelles

La méthode institutionnelle la plus usitée est celle des pertes productives. On considère l’individu dans sa seule dimension d’agent économique, sa contribution productive étant représentée par ses revenus du moment. La valeur de la vie à un instant donné est égale à la somme actualisée des revenus espérés durant le reste de vie. Au-delà de ces postulats restrictifs, des imperfections de la connaissance des revenus par âge et des espérances de vie par classe d’âge, le choix du taux d’actualisation est d’une grande importance.

Le second grand type d’évaluations institutionnelles est celui de la disponibilité sociale à payer que l’on peut considérer comme l’estimation sociale consensuelle.

On trouvera ci-après quelques estimations datant de 1989 dont les disparités soulignent les difficultés de l’exercice.

Tableau : Estimations institutionnelles de la valeur statistique de la vie humaine

Pays coûts en milliers d’Ecu 1989 Méthode
Allemagne 630 coûts et pertes de production bruts
Australie 407 Coûts et pertes de production bruts
Autriche 545 Coûts et pertes de production bruts
Belgique 300 coûts et pertes de production bruts
Danemark 600 coûts et pertes de production bruts
Espagne 145 Perte de production brute
Etats-Unis 441 Coûts et pertes de production bruts
Etats-Unis 2350 Disponibilité à payer
Finlande 1600 Disponibilité à payer
France 255 Valorisation du temps de vie
France 344 Coûts et pertes de production bruts
Luxembourg 330 Coûts et pertes de production bruts
Norvège 340 Coûts et pertes de production bruts
Nouvelle-Zélande 300 Coûts et pertes de production bruts
Pays-Bas 85 Coûts et pertes de production nets
Portugal 12,5 Coûts et pertes de production bruts
Royaume Uni 890 Disponibilité à payer
Suède 1070 Disponibilité à payer
Suisse 1665 Disponibilité sociale à payer

Le premier paramètre est le niveau de développement du pays considéré. Entre le Portugal et la France, par exemple, le rapport des estimations de la « valeur » de la vie humaine est de 1 à 20. Le deuxième paramètre est celui de la méthode utilisée, avec une différence considérable entre le résultat calculé par la méthode des coûts et pertes de production bruts et celui obtenu par la disponibilité à payer.

Ces divergences de résultats peuvent être un obstacle important au bon déroulement des négociations internationales.

La figure suivante montre quelle est la dispersion des valeurs de référence telles qu’elles étaient utilisées en 1993 pour la protection de la vie humaine. L’échelle des abscisses est logarithmique et est exprimée en livres sterling de 1990.

On voit sur ce graphique la dispersion très importante des valeurs de références. Celles-ci s’étagent entre environ 100 000 francs et 100 millions de francs, avec une valeur moyenne d’un million de francs.

Ce graphique, établi à la suite d’un recensement effectué en 1993 par Ives10, montre aussi que les valeurs de référence de la vie humaine suivent une loi de probabilités « log normale ». Cette propriété est utilisée dans le calcul d’erreur sur les externalités (voir IIIème partie).

Figure : Distribution des valeurs institutionnelles de référence de la vie humaine utilisées pour la protection de la vie humaine, exprimées en £1990, telles que recensées en 199311

b) les estimations résultant de consultations du public

La deuxième grande catégorie d’estimations résulte de consultations directes ou indirectes du public. On distingue alors deux situations, celle où le risque est supposé connu de la population interrogée et celle où une information préalable est nécessaire avant l’enquête proprement dite.

Au sein de cette catégorie d’estimations, intervient la méthode consistant en l’étude des compensations salariales. Cette méthode souffre la critique d’être fondée sur une notion de risque accepté plutôt que sur un risque imposé, de concerner des populations qui ne sont pas toujours représentatives de la population globale et de faire intervenir de près ou de loin des rapports de force sur un marché rarement parfait. Au demeurant les valeurs trouvées aux Etats-Unis selon cette approche se situent entre 8 et 42 millions de francs.

Le tableau suivant synthétise les principales valeurs récentes, en rappelant la méthode utilisée.12, 13,14

Tableau : Principales estimations récentes de la valeur statistique de la vie humaine

origine date valeur méthode
France – sécurité routière, 15,16 1994 3,6 millions de francs perte de production
France17 1995 5,5 millions de francs révélations des propensions à payer
Europe - ExternE18 1996 17 millions de francs révélation des préférences individuelles
Etats-Unis – entreprises19 1992 15 – 35 millions de francs primes de risque
Europe – ExternE 1998 20 millions de francs révélation des préférences individuelles

5. Les questions connexes : les différents types d’atteinte à la santé et les aspects qualitatifs

Les atteintes à la santé actuellement prises en compte dans les études sur les coûts externes sont essentiellement les atteintes graves pouvant se traduire par une augmentation des décès dans la population de référence.

Les pertes de qualité de la vie, due à des atteintes physiques non létales, ne sont pas chiffrées. Il est clair que ceci constitue une autre limitation importante à la méthode des coûts externes.

Cette limitation est en fait fréquente dans la plupart des méthodes d’évaluation. Pour la surmonter, il est nécessaire d’élaborer des indicateurs rendant compte de différences qualitatives, ce qui est une tâche difficile en soi, qui doit s’accompagner, au surplus, de méthodes complémentaires pour additionner des aspects quantitatifs et des aspects qualitatifs.

B. Les coûts externes de la production d’électricité dans l’Union européenne, selon les résultats de 1995

L’étude ExternE a publié une série de résultats très complets en 1995, qui ont été ultérieurement discutés en profondeur non seulement par les différentes parties prenantes du projet mais également dans différents colloques et symposiums scientifiques.

Bien que des ajustements méthodologiques aient été faits en conséquence, un bref rappel des principaux résultats de 1995 est utile et est fait dans la suite.

1. Principales hypothèses

Les principales hypothèses d’ExternE dans sa version 1995 sont indiquées dans le tableau suivant. On remarquera qu’à cette date, la valeur statistique de la vie humaine est prise égale à 17 millions de francs. Par ailleurs, l’évaluation monétaire des décès est faite par une méthode majorante, consistant à multiplier le nombre de décès par la valeur statistique de la vie humaine. Enfin, la valeur de la tonne de CO2 est de 2 à 20 euros.

Tableau : Principales hypothèses de l’étude ExternE de 1995

rubrique valeur
valeur de référence de la vie 2,6 millions d’euros (17 millions de francs)
évaluation des décès prématurés multiplication du nombre de décès par la valeur de la vie
fonction dose-réponse pour la mortalité aiguë seulement
fonction dose-réponse pour les cancers 0,05 cancers fatals/homme. Sv
effet de serre 2-20 euros / tCO2 (13 à 132 francs / tCO2)

Compte tenu des incertitudes sur les coûts externes du CO2, il paraît nécessaire de comparer les filières entre elles d’abord hors effet de serre et ensuite de les comparer entre elles vis-à-vis des rejets de CO2.

2. Les résultats de 1995 hors effet de serre

Les résultats concernant les centrales thermiques classiques sont indiqués dans le tableau suivant. Ainsi, s’agissant des polluants classiques, les coûts externes du charbon représentent 8 centimes par kWh, contre 1,5 pour le gaz.

Tableau : Coûts externes de la production d’électricité avec les combustibles fossiles – résultats de 199520

centimes (cF) / kWh Charbon Pétrole Gaz
Santé publique 6,56 7,21 1,38
Maladies professionnelles 1,05 0,33 0,04
Agriculture 0,02 0,05 nc
Charpentes 0,01 0,03 0,00
Ecosystèmes terrestres nc nc nc
Ecosystèmes aqueux nc nc nc
Milieux marins – accidents 0,00 0,13 0,00
Ressources minérales 0,33 0,46 0,07
Bruit nc nc nc
Sous-total 7,97 8,21 1,48

La figure suivante détaille les coûts externes pris en compte pour le nucléaire.

Tableau 5 : Coûts externes pris en compte pour le nucléaire – résultats de 1995 21

- Travailleurs du nucléaire : impacts radiologiques et non-radiologiques

- Rejets atmosphériques : impacts radiologiques sur la santé publique

- Effluents liquides : impacts radiologiques sur la santé publique

- Stockage des déchets en couche géologique : impacts radiologiques sur la santé publique

- Transport des combustibles et des déchets : impacts radiologiques et non-radiologiques sur les travailleurs et la santé publique

- Accidents : impacts sur la santé publique et coûts des protections contre les radiations

Les résultats des calculs montrent une grande sensibilité au taux d’actualisation choisi. Ceci est dû au fait que l’actualisation écrase les coûts à long terme, qui sont majoritaires dans le cas du nucléaire.

Tableau 6 : Coûts externes de la production d’électricité d’origine nucléaire – résultats de 1995 22

Nucléaire – coûts en centimes (cF) / kWh local local + régional local + régional + global
taux d'actualisation : 0 %
dommages à court terme 0,05 0,05 0,05
dommages à court et moyen terme 0,11 0,13 0,26
dommages à court, moyen et long terme 0,13 0,15 1,64
taux d'actualisation : 3 %
dommages à court terme 0,04 0,04 0,04
dommages à court et moyen terme 0,05 0,05 0,07
dommages à court, moyen et long terme 0,05 0,05 0,07

La figure compare les coûts externes des différentes filières, en distinguant le cas où la méthode de l’actualisation est appliquée et celui où l’on n’y recourt pas.

Figure : Coûts externes en cF/kWh hors effet de serre de la production d’électricité, selon ExternE 1995.

Au total, il est intéressant de noter que le nucléaire présente les coûts externes les moins élevés dans le cas d’une actualisation à 3 %. En revanche, si l’on ne recourt à aucune actualisation, les coûts externes du gaz viennent à son niveau.

Le cas des énergies renouvelables a aussi été traité par ExternE. Le tableau suivant indique les résultats obtenus pour l’éolien et l’hydroélectricité.

Tableau 7 : Coûts externes de la production d’électricité avec des énergies renouvelables – résultats de 1995 23

centimes (cF) / kWh aérogénérateurs -

Angleterre (a) et Pays de Galles (b)

hydroélectricité – Norvège
impact des pluies acides 0,46  
réchauffement global 0,13  
accidents à impact public 0,06  
accidents d'exploitation 0,20 0,00
bruit – (a) 0,66 0,00
bruit – (b) 0,05  
confort visuel   1,31
loisirs   1,31
écosystèmes   1,31
agriculture   0,01
forêts   0,00
approvisionnement en eau   0,01
Sous-total 1,50 (a) 3,95
  0,89 (b)  

Comme on peut s’y attendre, les coûts externes de l’éolien et de l’hydroélectricité sont extrêmement réduits. Toutefois, les coûts externes de cette dernière sont relativement élevés, supérieurs à ceux du gaz, ce qui ne laisse pas de surprendre si l’on ne prend pas en considération les atteintes au milieu naturel.

3. Les résultats de 1995 pour l’effet de serre

Le tableau suivant donne les résultats d’ExternE pour les coûts externes des différentes centrales thermiques classiques, en ne considérant que le seul effet de serre.

Tableau : Comparaison des coûts externes des différentes filières à combustibles fossiles en matière de CO2

centimes (cF) / kWh Charbon Pétrole Gaz
Effet de serre : taux d'actualisation nul
Cline, 1992 9,84 6,56 3,94
Fankhauser, 1993 6,56 3,94 2,62
Effet de serre : taux d'actualisation de 1%
Tol, 1995 11,81 7,87 5,25
Effet de serre : taux d'actualisation de 3%
Cline, 1992 1,44 0,98 0,66
Fankhauser, 1993 0,98 0,66 0,46
Tol, 1995 7,67 5,18 3,48

Le coût externe du nucléaire en matière d’effet de serre est considéré comme nul. La figure suivante montre les valeurs minimales et maximales des coûts externes des centrales tels qu’ils résultent d’ExternE version 1995. On voit que le gaz est le mieux placé, quel que soit le taux d’actualisation retenu.

Figure : Coûts externes du CO2 émis par les centrales électriques en cF/kWh selon ExternE 1995.

Hormis le nucléaire, dont le coût externe en matière d’effet de serre est considéré comme nul, le gaz apparaît comme le mieux placé, quel que soit le taux d’actualisation retenu.

Cliquer ici pour accéder à la fin de la partie III du chapitre III:
C. Les résultats d'ExternE 1998
D. L'évaluation monétaire des conséquences d'un accident grave
E. Des incertitudes chiffrée

Cliquer ici pour retourner au sommaire général

1 ExternE, Externalities of Energy, Commission européenne, DG XII, Eur 16520EN, Bruxelles, 1995.

2 P. Valette, DG XII – Commission européenne, audition du 19/11/98, Paris.

3 source : Externalities of Energy « ExternE » - Vol. 5, Nuclear, EUR 16524 EN, DGXII Science, Recherche et Développement, Commission Européenne, Office des Publications officielles des Communautés européennes, 1995.

4 Ce champ est totalement laissé de côté, compte tenu de l’objet du présent rapport.

5 P. Valette, op. cit.

6 P. Valette, op. cit.

7 P. Valette, op. cit.

8 stockage au sens de dépôt définitif sans reprise ultérieure.

9 O.Chanel, G. Genieaux, F. Rychen, C. Deniau, B . Ghattas, Evaluation monétaire des effets à court terme de la pollution atmosphérique sur la santé. Application à l’Ile-de-France, groupement de recherche en économie quantitative d’Aix-Marseille, 1996, cité dans M. Cohen de Lara et D. Dron, Evaluation économique et environnement dans les décisions publiques, Rapport au ministre de l’environnement, Paris, 1997.

10 DP Ives, RV Kemp, The statistical value of life and safety investment research, Report n°13, Norwich, Environmental Risk Assessment Unit, University of East Anglia, 1993, cité par E. Rabl et JV Spadaro, Damages and costs of air pollution, voir plus loin.

11 A. Rabl et JV Spadaro, Damages and Costs of Air Pollution : an Analysis of Uncertainties, Environment International, Vol. 25, n°1, 1999.

12 M. Cohen de Lara, D. Dron, Evaluation économique et environnement dans les décisions publiques, rapport au ministre de l’environnement, Documentation française, Paris, 1997.

13 A. Markandya et al. Green Accounting in Europe, The Role of Damage Estimation, Four Case Studies, Commission européenne, DGXII, 1996.

14 A. Rabl and J.V. Spadaro, Damages and Costs of Air Pollution, op. cit.

15 M. Le Net, Le prix de la vie humaine, Commissariat général du Plan, Paris, 1992

16 M. Le Net, Le prix de la vie humaine : calcul par la méthode des préférences individuelles, Commissariat Général du Plan, Paris, 1994.

17 B. Desaigues, A. Rabl, Reference Values for Human Life, dans N. Schwab et N. Soguel (Eds), Contingent Valuation, Transport Safety and Value of Life, Kluwer, 1995.

18 ExternE, Externalities of Energy, Commission européenne, DG XII (Science, Recherche, Développement), Eur 16520 EN.

19 W. Viscusi, Fatal Tradoffs : Public and Private Responsibilities for Risk, Oxford University Press, New York, 1992.

20 P. Valette, op. cit.

21 P. Valette, op. cit.

22 P. Valette, op. cit.

23 P. Valette, op. cit.



© Assemblée nationale