- -

Rapport sur l'aval du cycle nucléaire
Par M. Christian Bataille et Robert Galley
Députés
Tome II : Les coûts de production de l’électricité

Suite et fin du Chapitre III

III. La synthese par le calcul des externalités avec ExternE : une percee methodologique qui confirme l’interet economique et environnemental du nucleaire

C. Les résultats d’ExternE 1998 265

1. Nouvelles méthodes et hypothèses 265

2. Les résultats d’ExternE 1998 pour le Royaume Uni 266

3. Les résultats d’ExternE 1998 pour la France 268

D. L’évaluation monétaire des conséquences d’un accident grave 272

1. L’évaluation du coût d’un accident résultant de l’approche par les risques 272

2. Les nouvelles approches par l’aversion pour le risque 273

3. Les limites de l’évaluation du coût d’un accident 274

E. Des incertitudes chiffrées 276

1. La portée théorique du problème 276

2. Les incertitudes sur les coûts externes des polluants classiques 277

3. Les incertitudes des coûts externes du CO2 281

4. Les incertitudes concernant les coûts externes des énergies renouvelables 282

5. Le cas du nucléaire 283

C. Les résultats d’ExternE 1998

Des modifications et des ajustements méthodologiques qui ont été réalisés par les équipes d’Externe après la publication des résultats initiaux de 1995, il résulte les évaluations nouvelles publiées en 1998, qui dénotent des changements des montants exacts de coûts externes de production de l’électricité.

En réalité, on peut désormais considérer ExternE comme la référence en termes de méthode et de résultats pour l’évaluation des coûts externes de l’énergie. Comme toute méthode, ses limites doivent être posées ainsi que l’intervalle de confiance de ses résultats.

Ses limites proviennent principalement de l’utilisation de valeurs moyennes pour la concentration des polluants dans les modèles de transmission et d’exposition.

Ce fait néglige la possibilité d’accumulations ponctuelles et momentanées et leurs conséquences éventuelles à la fois sur la santé et l’environnement. Néanmoins, il faut considérer la prudence systématique des études, qui se traduit par le choix répété des valeurs les plus élevées pour les dommages.

Un élément renforce la crédibilité des résultats d’ExternE. C’est que cette étude est essentiellement comparative, ayant essentiellement pour objet de comparer les coûts de plusieurs énergies.

L’essentiel dans ce cas de figure est la mise au point d’une méthode pertinente pour chaque cas spécifique. Les valeurs absolues sont alors moins à retenir que les valeurs relatives. On peut donc considérer que les hiérarchies établies par ExternE ont une vraisemblance satisfaisante.

1. Nouvelles méthodes et hypothèses

Le tableau suivant expose les valeurs des paramètres critiques pour l’estimation des coûts externes, que sont notamment la valeur statistique de la vie humaine, l’estimation des valeurs de la mortalité et de la morbidité et le coût externe du CO2.

Tableau : Principales innovations de méthode et nouvelles hypothèses de l’étude ExternE de 1998

rubrique valeur
valeur de référence de la vie 3,1 millions d’Euros (20 millions de francs)
évaluation d’un décès prématuré • au prorata de la réduction de l’espérance de vie ;

• valeurs de l’année de vie :

- 0,155 million d’Euros (1,02 million de francs) pour la mortalité aiguë

- 0,083 million d’Euros (544 000 francs) pour la mortalité chronique

fonction dose-réponse pour la santé - linéarité de l’impact incrémental dû à une dose incrémentale

- linéarité de toutes les fonctions dose-réponse au dessus de la concentration préexistante

fonction dose-réponse pour les cancers - 0,05 cancers fatals/homme. Sv

- 0,12 cancers non fatals/homme.Sv

- 0,01 effets hériditaires sévères /homme.Sv

effet de serre 18-46 Euros / tCO2 (118 à 302 francs / tCO2)

2. Les résultats d’ExternE 1998 pour le Royaume Uni

Les résultats 1998 d’ExternE pour le Royaume Uni, sont présentés avec une addition des coûts externes des polluants classiques aux coûts externes du CO2. Une ventilation des deux est néanmoins faite dans la suite.

L’intérêt des travaux menés au Royaume Uni est notamment de porter sur les énergies nouvelles renouvelables.

Tableau 1 : Coûts externes de la production d’électricité selon la filière utilisée au Royaume Uni – résultats ExternE 1998 1

centimes (cF)/kWh2 Nucléaire Charbon Pétrole Gaz Eolien Biomasse
Santé publique 1,36 15,35 10,72 2,18 0,46 3,10
Maladies professionnelles 0,07 0,56 0,56 0,07 0,17 0,01
Récoltes 0,00 0,52 0,19 0,10 0,00 0,10
Ressources minérales 0,00 0,43 0,27 0,02 0,00 0,02
Bruit 0,00 0,10 0,10 0,02 0,05 0,07
Sous-total hors CO2 (arrondi) 1,4 17,0 11,8 2,4 0,7 3,3
Réchauffement global 0,5 18,8 13,7 8,5 0,9 0,3
Sous-total 1,9 35,8 25,5 10,9 1,6 3,6

Les coûts externes hors CO2 sont calculés sur la base des chemins d’impact d’ExternE. On constate que les énergies renouvelables que sont l’éolien et la biomasse n’ont pas un coût nul en matière de santé publique. Les étapes de la construction des moyens de production pour les deux et du combustible pour la biomasse ne sont pas exemptes de coûts, par exemple en matière de rejets ou d’accidents.

Les seuls coûts externes d’impact sur l’environnement pris en compte pour les éoliennes sont ceux occasionnés par le bruit. Les nuisances, en termes d’encombrement visuel et d’éclairage ne sont pas quantifiées.

Figure : Coûts externes hors CO2 de la production d’électricité selon la filière utilisée au Royaume Uni – résultats ExternE 1998

Les résultats de 1998 relatifs au Royaume Uni confirment en tout état de cause que si l’on traite à part le cas du CO2, les coûts externes du nucléaire, du gaz et de l’éolien sont très proches les uns des autres.

En revanche, l’écart important déjà signalé pour le CO2 est confirmé par les évaluations de 1998, le nucléaire, l’éolien et la biomasse étant cette fois encore pratiquement au même niveau.

Figure 2 : Coûts externes du CO2 de la production d’électricité selon la filière utilisée au Royaume Uni – résultats ExternE 1998

3. Les résultats d’ExternE 1998 pour la France

Les calculs relatifs à la France ont été refaits en 1998 en tenant compte des changements d’hypothèses indiqués plus haut. On trouvera ci-dessous les résultats hors CO2, qui distinguent les coûts des différents polluants classiques pour les centrales thermiques classiques et les résultats relatifs aux coûts externes de l’effet de serre.

Les résultats hors effet de serre

Les résultats de 1998 pour les coûts externes hors effet de serre et en fonctionnement normal, tendent à creuser l’avantage du nucléaire par rapport au gaz et aux autres combustibles fossiles.

Le tableau suivant donne ces résultats qui sont illustrés par le graphique ci-après.

Tableau : Coûts externes de la production d’électricité selon la filière utilisée en France - résultats ExternE 19983

cF/kWh charbon gaz fioul nucléaire
particules 1,8 0,0 0,2 0
SO2 8,2 0,0 8,2 0
NO2 24,4 8,5 12,2 0
radioéléments - - - 0,2
total 34,4 8,5 20,6 0,2

Figure : Coûts externes en cF/kWh hors effet de serre de la production d’électricité en France, selon ExternE 1998.

Les coûts externes du CO2

Les coûts externes du CO2 ont été également recalculés, en prenant en compte les résultats obtenus en 1995 par l’IPCC. Les nouvelles valeurs adoptées pour ExternE sont présentées comme des intervalles de valeur, les bornes de ces intervalles correspondant à diverses hypothèses sur la valeur de la vie humaine ou le taux d’actualisation

Pour la première version de l’étude ExternE, qui date de 1995, le coût externe de la tonne de CO2 équivalent était comprise entre 2 à 20 Euros – soit entre 13 et 130 francs par tonne -.

Les valeurs adoptées pour l’étude ExternE de 1998 sont largement supérieures, comme l’indique la figure suivante. Les valeurs sont désormais comprises entre 18 et 46 Euros / tonne de CO2 équivalent – soit entre 118 et 302 F / tonne de CO2 équivalent. La méthode utilisée est toujours celle des dommages, dont on a vu précédemment les limites.

La révision à la hausse du coût de la tonne de CO2 est due la prise en compte nouvelle de la mortalité anticipée résultant d’un réchauffement climatique – par exemple, inondations, vagues de chaleur, malaria, etc.-.

En outre, et c’est là le facteur décisif, la valeur utilisée de la vie humaine est nettement plus élevée que dans l’étude précédente. Pour déterminer cette valeur, on ne procède pas par la méthode de la valorisation du capital humain4 qui prendrait comme seule référence le PIB/habitant.

Un transfert fictif de ressources au profit des pays en développement est effectué afin de rapprocher les valeurs de la vie humaine dans les pays en développement de celles utilisées dans les pays industrialisés.

Pour les calculs de 1998 relatifs à la France, l’étude ExternE adopte finalement la valeur centrale de 29 Euros / tonne de CO2 équivalent, soit 189 francs par tonne de CO2 équivalent.5

Figure : Ajustement des coûts externes du CO2 entre 1995 et 1998, selon l’étude ExternE

On voit que la modification de la « valeur » de la vie humaine entre les deux études ExternE 1995 et ExternE 1998 conduit à faire passer le coût de la tonne de CO2équivalent de 38,1 à 188,7 F6, soit une multiplication par près de 5 du coût.

Ceci montre bien le rôle clé de la valeur de la vie humaine, dans l’estimation du coût externe du CO2 par la méthode des dommages et les limitations de cette dernière.

Figure : Coûts externes du CO2 émis par les centrales électriques en France en cF/kWh selon ExternE 1998.

La Commission indique clairement les limites de l’exercice ExternE pour le cas du nucléaire. Les estimations ne sont pas jugées fiables pour les accidents nucléaires, les déchets radioactifs à haute activité, la prolifération nucléaire et le terrorisme. Ces lacunes pourraient être significatives et doivent être clairement soulignées pour toute évaluation

D. L’évaluation monétaire des conséquences d’un accident grave

Les différentes évaluations de la compétitivité des différentes filières présentées précédemment correspondent au fonctionnement normal d’une centrale nucléaire.

Si les conséquences d’un accident grave devaient être incorporées au coût du kWh, le nucléaire serait-il encore compétitif ? Telle est la question qui semble fondamentale à nombre d’observateurs.

On a vu précédemment les difficultés d’évaluer les dommages entraînés par un accident nucléaire grave. L’approche par l’évaluation des risques présente des insuffisances manifestes en terme de vraisemblance, du fait de la non-acceptation par le public des dires d’experts.

On examine dans la suite les conclusions des méthodes classiques et celles des nouvelles méthodes.

En réalité, il semble bien que l’approche monétaire touche à ses limites dans le cas difficile à traiter des accidents très peu probables.

Sans doute faudrait-il en premier lieu comparer entre eux les risques d’accidents liés à chacune des filières.

Sans doute faudrait-il également sur ce sujet raisonner avec une méthode faisant appel aux courbes d’indifférence entre le gain en termes de revenus et le risque d’accident et donc mettre au point une autre approche – spécifique cette fois – pour le traitement des accidents.

1. L’évaluation du coût d’un accident résultant de l’approche par les risques

L’étude ExternE propose dans sa version 1995 une évaluation du coût d’un accident. Le tableau suivant en présente les résultats principaux.

Tableau : Estimation du coût d’un accident grave rapporté au kWh produit

scénario (terme source)

(Col. A)

% du coeur rejeté dans l’atmosphère

(Col. B)

probabilité de fusion du coeur

(Col. C)

probabilité conditionnelle

(Col. D)

coût total

(millions de francs)

(Col. E)

coût pondéré par la probabilité (millions de francs par réacteur et par an) (Col. F)7 coût rapporté au kWh

(cF / kWh)

(Col. G)8

ST23 0,01 % 10-5 0,81 2 827 0,0197 0,0033
ST22 0,1 % 10-5 0,19 21 900 0,0394 0,0059
ST21 1 % 10-5 0,19 112 113 0,2099 0,0302
ST2 10 % 10-5 0,19 546 049 1,0363 0,1509

La probabilité d’occurrence d’un accident de fusion du coeur du réacteur est assortie d’une probabilité de rupture de l’enceinte de confinement. Cette probabilité conditionnelle est évidemment déterminante pour la gravité de l’accident.

Les statistiques de NUREG montrent que dans 81 % des cas d’incident sur le coeur, il n’y a pas de rejet. C’est pourquoi dans le cas de l’accident le moins pénalisant correspondant au scénario ST23, la probabilité de fusion du coeur est multipliée par le coefficient de 0,81. Au contraire, les mêmes statistiques indiquent que dans 19 % des cas d’accident, il y a rejets dans l’atmosphère. Le coefficient de 0,19 est donc appliqué à la probabilité de fusion du coeur pour les autres scénarios et en particulier le scénario de référence (ST21).

Suivant cette méthode, le coût externe de l’accident de référence (SZT21) est de 0,03 centime par kWh.

2. Les nouvelles approches par l’aversion pour le risque

Le CEPN a recalculé en 1998 le coût d’un accident grave correspondant au scénario ST21. Les coûts indirects de l’accident sur l’économie régionale ont été intégrés. D’autre part, l’approche d’aversion du risque a également été utilisée. Les différents résultats obtenus sont indiqués au tableau suivant.

Tableau : Evaluations 1995 et 1998 du coût d’un accident nucléaire, selon ExternE9

coût d’un accident rapporté au kWh produit cF / kWh
1995
coût de l’accident de référence (ST21) selon l’évaluation par le risque 0,0302
1998
coût de l’accident de référence, après augmentation de 25 % des coûts indirects sur l’économie régionale 0,0308
coût révisé après application d’un coefficient d’aversion pour le risque de 20 0,616
coût social incluant le coût direct d’un accident

(actualisation au taux de 3 %)

0,1312

Les dernières estimations intègrent une révision à la hausse pour mieux tenir compte des effets d’un accident nucléaire sur l’économie régionale. On considère en effet désormais les effets directs de l’accident sur l’économie locale, considérée dans un rayon de moins de 100 km. Aux coûts directs de relogement et aux pertes de production, s’ajoutent les effets de la baisse d’activité sur l’économie locale. C’est pourquoi ces coûts directs sont augmentés de 25 %.

Par ailleurs, un coefficient d’aversion pour le risque de 20 a été appliqué pour tenir compte des acquis des nouvelles méthodes (voir plus haut).

Enfin, une actualisation au taux de 3 % a été appliquée, afin de tenir compte du fait que les conséquences d’un tel événement se produisent à long terme. Ce taux apparaît comme un moyen terme entre les taux généralement choisis pour les durées de 30 ans et le taux intergénérationnel qui pourrait convenir pour intégrer les conséquences sanitaires héréditaires.

Le coût d’un accident grave, selon les derniers calculs ressort donc finalement à 0,1312 centime par kWh.

3. Les limites de l’évaluation du coût d’un accident

Si l’on accepte le principe de la méthode de l’évaluation par le risque, éventuellement complétée par l’incidence de l’aversion pour le risque, de multiples paramètres sont révisables.

D’une part, bien sûr, le terme source, la probabilité d’accident mais aussi la probabilité conditionnelle pourraient être fixés à d’autres niveaux, encore que les valeurs adoptées soient vraisemblables. On peut s’étonner aussi que l’accident de référence n’inclut pas de décès accidentel dans l’installation concernée.

D’autre part l’impact sur le fonctionnement de l’économie pourrait être réévalué.

Par ailleurs, les évaluations actuelles ne tiennent pas compte des dommages sur l’environnement, telles que la perte éventuelles d’espèces végétales ou animales et donc l’altération de la biodiversité.

Enfin, les dommages qualitatifs ne sont pas non plus valorisés, alors que le « pressium doloris » en cas d’accident peut être considérable pour les populations concernées.

Les résultats des nouvelles méthodes d’approche conduisent à une ré-estimation des coûts des accidents. Si cette ré-estimation ne semble pas non plus entraîner l’adhésion, c’est parce qu’en réalité l’approche économique toute entière de ce type de problème heurte la sensibilité.

En tout état de cause il semble bien que l’analyse du risque et l’analyse des compétitivités doivent rester disjointes parce qu’elle n’appartienne pas au même ordre de réalités.

Il paraît en définitive indispensable de comparer terme à terme d’une part les compétitivités économiques des différentes filières et d’autre part les risques d’accident correspondant à chacune d’entre elles. A cet égard, il serait judicieux de pouvoir comparer les risques d’accident nucléaire englobant l’ensemble du cycle nucléaire avec les risques relatifs à la filière charbon englobant les accidents miniers ou avec ceux de la filière gaz en incluant les accidents survenant sur le réseau ou chez les utilisateurs.

E. Des incertitudes chiffrées

Le calcul d’erreur est inséparable de toute méthode scientifique de mesure d’un phénomène, quel qu’il soit. Toute mesure présente une incertitude. En particulier, dans les cas de mesure de phénomènes physiques, toute valeur centrale est assortie d’une erreur relative d’un certain pourcentage lié à la précision de l’appareil de mesure. Au demeurant, le calcul d’erreur est toujours un exercice indispensable d’humilité et de réflexion sur la valeur des résultats trouvés.

Pour autant, dans la vie courante, l’usage est malheureusement à la publication de chiffres bruts, sans aucune mention de la précision avec lesquels ils sont déterminés. Rares sont les médias qui rendent compte des incertitudes relatives aux sondages, par exemple, ou qui assortissent les prévisions économiques des probabilités de réalisation qui conviennent.

L’étude ExternE a, quant à elle, récemment exposé une approche originale et prometteuse visant à déterminer les marges d’erreur pour les valeurs des coûts externes calculés pour la France10.

Dans le cas des coûts externes de la production de l’électricité, il ne peut y avoir de mesure directe des dommages à l’environnement ou à la santé. En conséquence, le calcul des marges d’erreur des évaluations proposées repose sur la détermination des lois statistiques que suivent les différents phénomènes et sur celle des liens qui peuvent exister ou non entre les différentes variables.

Pour exposer les grandes lignes de la méthode proposée dans l’étude ExternE, il est utile de commencer par les polluants classiques pour lesquels les résultats des calculs semblent les mieux justifiés, pour aller ensuite vers les considérations concernant les radioéléments qui ne constituent encore qu’une première approche..

1. La portée théorique du problème

Le problème est simple à énoncer. Sachant qu’une centrale thermique émet plusieurs types de polluants, comment peut-on calculer l’incertitude sur le coût externe de ces rejets ?

L’objectif dans ce type de problème est de déterminer la loi de probabilité suivie par le coût externe total et en premier lieu de savoir de quelles variables dépend ce coût.

Il existe une réponse théorique à cette question, celle apportée par la méthode de Monte Carlo.

La méthode de Monte Carlo permet de résoudre la question statistique de l’estimation d’une fonction dépendant de plusieurs variables11.

Cette méthode consiste en premier lieu à déterminer la distribution de probabilités de chacune des variables indépendantes. On constitue ensuite un échantillon représentatif sur la base d’une table de nombres au hasard. Cet échantillon permet d’estimer la fonction.

Le méthode de Monte Carlo concerne le cas d’une fonction de variables indépendantes les unes des autres. C’est une condition essentielle à son application.

Cette méthode n’est pas utilisée dans le cas des coûts externes car elle est complexe et longue à mettre en oeuvre. Une méthode de substitution a été mise au point dans le cadre du projet ExternE.

Il s’agit d’une méthode d’approche que l’on pourrait qualifier de méthode d’ingéniérie, c’est-à-dire une méthode qui cherche en premier lieu à résoudre les problèmes d’indétermination et à définir des ordres de grandeur. L’objectif n’est pas d’apporter un modèle théorique détaillé et fondé dans tous ses éléments. Le but est d’essayer de trouver une estimation aussi bonne que possible des valeurs recherchées et d’apporter des résultats dont les ordres de grandeur soient plausibles.

2. Les incertitudes des coûts externes des polluants émis par les centrales thermiques à combustible fossile

Le résultat essentiel d’ExternE pour le calcul des incertitudes relatives aux coûts externes des polluants classiques (SO2, NOx, poussières) est que les dommages de ces polluants peuvent être calculés à partir d’une formule multiplicative. En conséquence, les différents types de coûts externes correspondants peuvent valablement être additionnés.

Le dommage total causé par un polluant est le produit de plusieurs variables

La méthode proposée par ExternE repose sur le fait que les dommages occasionnés par les polluants classiques peuvent être estimés avec une formule multiplicative.

D = Duni = fE-R.runi. Q / kuni (A)

avec

D : dommage

fE-R. : pente de la fonction dose-réponse

runi. : densité des récepteurs

Q : quantité de polluants émise par la source

kuni : vitesse de disparition (cm/s)

La formule ci-dessus permet de calculer le nombre de décès par quantité émise de polluants. Sa validité a été testée et confirmée dans le cas des polluants classiques sur 50 sites en Europe.

Les auteurs du volet incertitude d’ExternE montrent que la loi de distribution statistique correspondante est une loi « log normale ». Mais qu’est-ce qu’une loi de probabilités « log normale » ?

La distribution de probabilités d’une variable x est « log normale » lorsque le logarithme de x12 suit une distribution normale. Pour mémoire, la densité de probabilité de la loi Normale est indiquée ci-après.

Figure : Densité de probabilité de la loi Normale

Dans le cas de chacun des polluants SO2, NOx et poussières, on peut estimer les différents paramètres du dommage, selon la formule (A). Les observations montrent que la plupart d’entre eux suivent une loi « log normale ».

Peut-on considérer pour autant que le dommage, produit des paramètres suivant une loi « log normale » suit lui-même une loi « log normale » ? Par ailleurs, une centrale électrique d’une technologie donnée émettant plusieurs types de polluants, peut-on à partir de l’évaluation du dommage de chacun de ces polluants calculer le dommage total ?

La loi de probabilités suivie par la somme de plusieurs variables

Le théorème de la limite centrale indique que si plusieurs variables aléatoires indépendantes suivent la même loi de probabilité, la somme de ces variables tend à suivre une loi normale à condition que le nombre de ces variables soit grand.

Dans le cas considéré, à savoir les polluants dits classiques émis par une centrale thermique à charbon ou à gaz, les paramètres du dommage (formule A) et les polluants émis sont peu nombreux. Pour l’analyse statistique, le nombre de variables n’est donc pas grand. Le théorème de la limite centrale ne s’applique donc pas.

L’étude Externe propose en conséquence une méthode pour surmonter cette difficulté. Cette méthode consiste à estimer l’écart type pour chacune des variables, à comparer les valeurs de ces écarts types et à en déduire une proposition pour avancer.

La proposition d’ExternE est que, dans la mesure où les écarts types de chacune des variables ne sont pas très différents les uns des autres, on peut considérer en première approximation que la somme de variables suivant une loi « log normale » de paramètres proches les uns des autres, suit elle-même une « loi log normale ».

Si les écarts types des paramètres et les dommages occasionnés par chacun des paramètres sont proches les uns des autres, alors le problème est résolu selon ExternE.

Les deux points clés de la méthode sont donc les suivants : la distribution « log normale » des paramètres et la cohérence des écarts types.

La possibilité d’en déduire des intervalles de confiance

Compte tenu des caractéristiques de la loi de probabilités « log normale » qui sert de base à l’analyse, la moyenne et l’écart type diffèrent de ceux utilisés classiquement avec une loi normale. On utilise ici d’une part la moyenne géométrique notée µg et d’autre part l’écart type géométrique noté sg. Il est possible de définir, comme avec une loi normale, des intervalles de confiance.

Les intervalles de confiance pour une variable x suivant une loi « log normale » sont indiqués dans la figure suivante.

Figure : intervalle de confiance pour une loi « log normale »

Les valeurs des écarts types pour les paramètres et pour les dommages

Le constat de base fait dans la méthode d’évaluation des incertitudes proposée par ExternE est que les écarts types des différents paramètres sont proches les uns des autres, ainsi que le tableau ci-après le montre.

Tableau : Caractéristiques statistiques des paramètres du coût externe des émissions de particules pour les centrales thermiques au charbon

étape du chemin d’impact Nature de la loi de distribution de probabilités écart type géométrique
    Fonction dose-réponse : mortalité chronique Fonction dose-réponse : mortalité aigüe Fonction dose-réponse : hospitalisation
Emission log normale (approximativement) 1,2 1,2 1,2
Dispersion log normale 2 2 2
durée log normale (probablement) - - 1,2
nombre d’années de vie perdues log normale (probablement) 1,5 4  
valeur statistique de la vie log normale 2 2  
valeur de l’année de vie perdue inconnue 1,3 1,3  
total   4,0 6,6 2,9
sous total (sans la valeur statistique de la vie)   3,2 5,6 2,9

3. Les incertitudes des coûts externes du CO2

La question qui se pose à propos du CO2 dans l’application de la méthode des externalités est double.

Il s’agit d’une part de savoir quelle marge d’erreur on doit affecter aux estimations relatives au CO2. Il s’agit d’autre part de déterminer si le coût externe dû au CO2 peut être ajouté aux autres coûts. Ces deux questions sont essentielles dans la mesure où la prise en compte du CO2 dans les coûts externes peut conduire à réviser l’utilité des différentes filières de production de l’électricité vis-à-vis de la protection de l’environnement.

Deux paramètres ont une influence particulière sur les évaluations du coût des émissions de CO2. Ce sont d’une part le valeur attribuée à la vie humaine et d’autre part le montant de l’élévation du niveau des mers.

Les différentes évaluations produites dans l’étude ExternE, au demeurant très dispersées, obéissent à une loi de distribution log normale. Le facteur de dispersion est de 2 à 3. Par précaution, un facteur de 4 est adopté, dans la mesure où toutes les incertitudes ne sont pas prises en compte.

Dans cette hypothèse, on peut justifier l’ajout du coût externe du CO2 aux autres coûts externes

Si l’on admet – sans pour autant que des explications soient nécessaires à cet égard - que les estimations des coûts du CO2 suivent une loi de distribution log normale, alors il est possible d’ajouter le coût externe dû au CO2 aux autres coûts.

La valeur recommandée par ExternE en 1998, est, on l’a vu plus haut, comprise entre 18 et 46 Euro / tCO2, contre des évaluations de 2 à 17 Euros / tCO2.

Le coût externe total du kWh produit avec les combustibles fossiles

La figure suivante rend compte des incertitudes sur les coûts externes totaux du kWh produit avec les combustibles fossiles. Les chiffres relatifs à une énergie en particulier doivent être lus de la manière suivante.

Les coûts externes totaux relatifs à la production d’électricité avec une centrale thermique de nouvelle génération sont compris 23,3 et 75,4 centimes par kWh, avec une probabilité de 95 %.

Ou bien encore, la probabilité pour que les coûts externes du kWh produit avec un cycle combiné à gaz soient compris entre 7,5 et 24,2 centimes est de 95 %.

Figure : Intervalles des valeurs des coûts externes totaux de la production d’électricité à partir de combustibles fossiles correspondant à une probabilité de 95 %

4. Les incertitudes concernant les coûts externes des énergies renouvelables

Les coûts externes des énergies renouvelables sont faibles au regard de l’expérience actuelle.

Sur la base des coûts déterminés par les différentes équipes en charge des différentes parties, des calculs d’incertitude ont été effectués selon la même méthode que celle exposée pour les polluants atmosphérique des centrales thermiques classiques.

Toutefois, compte tenu de l’importance très grande du site et de l’emprise au sol pour les coûts externes générés par une installation hydroélectrique ou une éolienne, les équipes ExternE ont produit diverses estimations, dont la plus haute et la plus basse ont à chaque fois été retenues pour les calculs d’incertitude.

On trouvera ci-après les résultats de ces calculs. Comme la précédente, cette figure représente les intervalles de valeurs des coûts externes correspondant à une probabilité de 95 %, ce qui veut dire que, selon la méthode précitée, la probabilité que le coût externe de l’éolien dans l’hypothèse basse soit compris entre 0,1 et 0,5 est de 95 %.

Figure : Intervalles des valeurs des coûts externes totaux de la production d’électricité à partir de combustibles fossiles correspondant à une probabilité de 95 %

5. Le cas du nucléaire

Le calcul d’incertitude concernant le coût externe du nucléaire repose sur les caractéristiques statistiques des différents impacts, telles qu’indiquées au tableau suivant.

Le cas traité est bien évidemment celui du fonctionnement normal. Le tableau suivant récapitule la connaissance statistique que l’équipe d’ExternE chargée des évaluations a de chacun des impacts.

Tableau : Caractéristiques statistiques des paramètres du coût externe des émissions de radioéléments

étape du chemin d’impact Nature de la loi de distribution de probabilités Cancers dus aux radioéléments

écart type géométrique

émission log normale (approximativement) 1,5
dispersion log normale 2
facteur pour les chemins autres que l’inhalation log normale (probablement) 2 à 5
pente de la fonction dose-réponse pour un risque unitaire indéterminée 2
facteur d’efficacité13   2,5
% des décès   1,3
     
nombre d’années de vie perdues log normale (probablement) 1,5
valeur statistique de la vie log normale 2
valeur de l’année de vie perdue inconnue 1,3
total   6,1 – 9,9
sous total (sans la valeur statistique de la vie)   5,2 – 8,8

Malgré les inconnues statistiques, l’équipe d’ExternE estime possible de considérer que les évaluations du coût externe total du nucléaire suivent une loi log normale d’écart type géométrique 6.

L’intervalle de coût externe du nucléaire serait donc de 0,1 à 0,3. Autrement dit, la probabilité que le coût externe soit compris entre 0,1 et 0,3 cF / kWh est de 95 %.

Figure : intervalle des valeurs du coût externe total du kWh nucléaire pour des installations nouvelles

*

L’étude ExternE a récemment exposé une approche originale et prometteuse visant à déterminer les marges d’erreur pour les valeurs des coûts externes calculés pour la France.

Cette approche a pour objectif de définir une courbe enveloppe pour les résultats des coûts externes, en se basant sur les caractéristiques statistiques de la distribution des valeurs proposées pour les différents coûts.

Ainsi, compte tenu des incertitudes sur les émissions, sur la dispersion, sur l’exposition et sur les effets sanitaires, et au terme de raisonnements complexes sur les méthodes d’estimation, ExternE définit des intervalles de confiance assortis de probabilités pour toutes les filières considérées dans leur fonctionnement normal.

Il reste que les incertitudes sur les coûts des accidents graves semblent hors de portée des moyens d’analyse actuels.

*

Conclusion

Il semble désormais établi que l’étude ExternE constitue une avancée méthodologique de nature à guider très utilement les travaux d’évaluation des coûts externes de la production d’électricité.

Si des progrès restent à faire en matière d’évaluation des dommages, quelquefois sur des points capitaux, il convient toutefois que le Secrétariat d’Etat à l’industrie l’intègre à sa réflexion concernant l’évaluation des coûts de référence de la production d’électricité.

Il paraît par ailleurs souhaitable que, dans la mesure où la réduction des émissions de CO2 a été décidée par les gouvernements, l’impact de celle-ci sur le coût du kWh soit pris en compte.

Cliquer ici pour accéder à la partie :
Conclusion par Robert GALLEY
Recommandations
Adoption du rapport par l'Office
Personnalités auditionnées

Cliquer ici pour retourner au sommaire général

1 P. Valette, op. cit.

2 Taux de change : 1 Euro = 6,559 FF

3 A. Rabl et JV Spadaro, Coûts externes et décisions à long terme des électriciens, Paris, novembre 1998.

4 Voir plus loin la discussion des méthodes de calcul de la « valeur » de la vie humaine.

5 Cette valeur centrale est la moyenne géométrique des deux valeurs extrêmes.

6 Les deux valeurs moyennes sont des moyennes géométriques.

7 Col. F = (Col. C)*(Col. D)*(Col. E)

8 Col. G = (Col. F) / 7 TWh, 7 TWh correspondant à la production annuelle d’un réacteur 1300 MWe

9 J. Lochard, The External Costs of the French Nuclear Fuel Cycle, CEPN, Juin 1998.

10 A. Rabl and JV Spadaro, Damages and Costs of Air Pollution : an Analysis of Uncertainties, Environment International, Vo. 25, n°1, 1999.

11 V. Giard, Statistique appliquée à la gestion, 7ème édition, Economica, Paris, 1995.

12 Si z=10y, alors log z = y.

13 H = D.Q, avec H : dose exprimée en Sv ; D : quantité d’énergie exprimée en Joule/kg ; Q : facteur d’efficacité.



© Assemblée nationale