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Document E3071
(Mise à jour : 12 décembre 2009)


Proposition de règlement du Conseil relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d'origine des produits agricoles et des denrées alimentaires.


E3071 déposé le 23 janvier 2006 distribué le 24 janvier 2006 (12ème législature)
   (Référence communautaire : COM(2005) 0698 final du 23 décembre 2005, transmis au Conseil de l'Union européenne le 23 décembre 2005)

La Délégation est saisie d’une proposition de règlement sur la protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires, présentée par la Commission européenne le 4 janvier 2006.

La Communauté européenne a créé, par un règlement adopté en 1992, un système de protection et de valorisation des produits agro-alimentaires qui s’appuie sur deux grandes notions :

- l’appellation d’origine protégée (AOP), qui désigne la dénomination d’un produit dont la production, la transformation et l’élaboration doivent avoir lieu dans une aire géographique déterminée, avec un savoir-faire reconnu et constaté ;

- l’indication géographique protégée (IGP), avec laquelle le lien avec le terroir doit exister au moins à l’un des stades suivants : la production, la transformation ou l’élaboration.

La procédure instituée par le règlement (CEE) n° 2081/92 du Conseil du 14 juillet de 1992 prévoit que le groupement de producteurs, souhaitant protéger la réputation d’un produit, doit d’abord définir celui-ci dans un cahier des charges, puis qu’une demande d’enregistrement, comprenant le cahier de charges, doit être déposée auprès de l’autorité nationale compétente, qui l’étudie et la transmet à la Commission.

Si la demande satisfait les contrôles prévus, la Commission procède à une première publication au Journal officiel des Communautés européennes, qui permet d’informer toute personne intéressée, dans tous les Etats membres, de la demande d’enregistrement. Lorsqu’il n’y a pas eu d’opposition à cette demande pendant le délai de six mois prévu par le règlement, la Commission publie au Journal officiel des Communautés européennes la dénomination protégée.

La proposition soumise à l’examen de la Délégation modifie le système communautaire d’enregistrement des indications géographiques et des appellations d’origine.

Elle vise, d’une part, à rationaliser les informations demandées et à renforcer les dispositions concernant les identifiants visuels et, d’autre part, à mettre en conformité le droit communautaire avec les résultats d’un panel de l’OMC ayant, partiellement, condamné le règlement (CEE) n° 2081/92.

Sur ce dernier point, rappelons ici que les Etats-Unis et l’Australie ont déposé, à l’OMC, en août 2003, une plainte contre ce texte, au motif qu’il constitue une discrimination à l’égard des producteurs de pays tiers.

Le rapport adopté par l’Organe de règlement des différends de l’OMC le 30 avril 2005 reconnaît la validité de la protection accordée aux indications géographiques dans l’Union. En particulier, ce dernier défend la possibilité de coexistence entre une indication géographique et une marque antérieure, un point capital pour les producteurs européens victimes d’usurpations.

Dans le même temps, le règlement a été condamné pour ne pas permettre aux producteurs des pays tiers d’enregistrer, dans la Communauté, leurs propres indications géographiques.

Les parties à ce différend s’étant mises d’accord sur un délai de mise en conformité de la réglementation au 3 avril 2006, la Commission souhaitait une adoption rapide de cette proposition.

I. les principales dispositions de la proposition

La proposition rationalise les informations-clés devant faire l’objet d’une publication officielle avant leur enregistrement, lesquelles seront regroupées dans un document unique, le cahier des charges, et recouvreront le nom de la dénomination, la description du produit aux fins de son contrôle, de son étiquetage et de sa présentation (y compris les éventuelles restrictions à son conditionnement) et la preuve du lien entre le produit et son origine géographique.

Elle prévoit également de renforcer les dispositions en matière d’identifiants visuels, avec une nouvelle obligation, pour les dénominations de la Communauté : indiquer, sur l’étiquetage des produits commercialisés sous une dénomination enregistrée, à la fois les mentions (« AOP » et « IGP ») et les logos communautaires correspondants. L’apposition de ces logos sur les produits originaires de pays tiers est également prévue.

S’agissant de la répartition des compétences ente les Etats membres et la Commission, ceux-ci seront chargés de s’assurer que toute demande correspondant à une zone délimitée de la Communauté remplit les conditions posées par le règlement. En outre, chaque Etat membre de rendre public tout projet visant à transmettre à la Commission une demande satisfaisant ces conditions, afin que tout opérateur communautaire puisse, dans un délai de quatre mois et non plus de six mois, exercer son droit d’opposition. La Commission, quant à elle, vérifiera que les conditions du règlement son effectivement remplies, avant de procéder à la publication des éléments d’information et, à la suite de la procédure d’opposition, de prendre une décision acceptant ou rejetant l’enregistrement de la dénomination.

Par ailleurs, la proposition étend la procédure d’enregistrement et de traitement des oppositions aux demandes émanant des groupements de producteurs de pays tiers. Cette modification répond à la demande du « jugement » rendu par le panel de l’OMC en avril 2005.

Les dénominations correspondant à des aires géographiques situées dans ces pays auront donc un plein accès au régime communautaire de protection des indications géographiques pour les produits agricoles, à condition que ces dénominations soient elles-mêmes protégées dans leurs pays d’origine, conformément aux dispositions de l’article 24.9 de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce de l’OMC.

Enfin, la proposition, sur la base de la décision n° 1999/468/CE du 28 juin 1999 relative à la « comitologie », laquelle définit les modalités d’association des Etats membres, représentés au sein de « comités », à l’adoption des mesures d’application d’un acte communautaire, met en place un comité « hybride ». Ce dernier est en effet appelé à se prononcer selon la procédure de réglementation pour l’adoption des règles détaillées complétant le règlement de 1992 et selon la procédure de gestion pour l’adoption de décisions portant sur les dossiers relatifs aux dénominations.

II. Les observations de la France

La France s’associe aux objectifs de simplification et de rationalisation du dispositif proposés par la Commission, mais elle émet des réserves ou s’interroge sur quatre points :

a) La modification de la définition de l’indication géographique

A son article 2, la proposition donne une nouvelle définition de l’indication géographique protégée pour se rapprocher avec la définition, plus large, des indications géographiques, de l’article 22 de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC).

Définition actuelle

Définition proposée

« indication géographique » : le nom d’une région, d’un lieu déterminé ou, dans des cas exceptionnels, d’un pays, qui sert à désigner un produit agricole ou une denrée alimentaire :

- originaire de cette région, de ce lieu déterminé ou de ce pays

et

- dont une qualité déterminée, la réputation ou une autre caractéristique peut être attribuée à cette origine géographique et dont la production et/ou la transformation et/ou l’élaboration ont lieu dans l’aire géographique délimitée.

 

« indication géographique » : une indication qui sert à identifier un produit agricole ou une denrée alimentaire

 

- comme étant originaire d’une région, d’un lieu déterminé ou d’un pays,

 

- dont une qualité déterminée, la réputation ou une autre caractéristique peut être attribuée essentiellement à cette origine géographique, et

- dont la production, la transformation ou l’élaboration ont lieu dans l’aire géographique délimitée.

 

 

Or, cette redéfinition n’est pas rendue nécessaire par les résultats du panel, lesquels ne concernent pas les définitions de l’appellation d’origine protégée et de l’indication géographique protégée.

En outre, le rapprochement avec la définition prévue par l’Accord ADPIC conduit à un appauvrissement de la notion communautaire. En effet, l’IGP ne sera plus constituée d’un nom géographique, mais s’assimilera, de plus en plus, à une simple indication de provenance.

Pour ces deux raisons, la France s’inquiète de la modification proposée et préconise, en conséquence, le maintien de la définition actuelle. La Commission répond à cela en indiquant qu’elle ne fait que tenir compte de la « norme » OMC, qui, elle, ignore la notion de nom de pays.

b) La modification en matière de comitologie

Le passage d’un comité de réglementation, mis en place depuis 1992, à un comité hybride, qui mélange les procédures de gestion et de réglementation, pose problème.

L’adoption, pour les dossiers relatifs aux dénominations, d’une procédure fondée sur un comité de gestion remet en cause la participation des Etats membres dans le processus de décision, compte tenu du caractère peu contraignant des avis rendus par ce comité.

Dans ce cas de figure, en effet, le comité de gestion rend, à la majorité qualifiée, un avis que la Commission peut ne pas suivre. A l’inverse, la procédure de réglementation impose à la Commission de soumettre une proposition au Conseil lorsque les mesures qu’elle envisage ne sont pas conformes à l’avis rendu par le comité.

La France n’est donc pas favorable à cette modification : d’après elle, les Etats membres doivent être associés, par la procédure de réglementation, à la totalité des sujets relatifs aux AOP-IGP, qu’ils portent sur des questions d’ensemble comme sur des dossiers particuliers.

c) L’apposition du logo communautaire sur les produits des pays tiers

La France s’interroge sur l’opportunité de la disposition prévoyant l’apposition du logo communautaire sur les produits des pays tiers.

En effet, l’utilisation du logo sur ces produits serait trompeuse pour les consommateurs européens, dans la mesure où l’Union ne dispose d’aucun droit de regard sur les contrôles réalisés par les entités des pays tiers.

d) La faisabilité pratique de certaines dispositions

La France a fait part à la Commission de ses préoccupations concernant :

- la mise en ligne et la publication, sans délai, des cahiers des charges ayant fait l’objet de la décision nationale de reconnaissance, qui incombent à l’Etat membre. A l’heure actuelle, l’INAO ne dispose pas des moyens logistiques lui permettant de s’acquitter de cette nouvelle obligation ;

- l’accréditation des organismes privés chargés de contrôler le respect du cahier des charges par les opérateurs, celle-ci devant se faire sans délai. La proposition confère à ceux-ci un pouvoir important, puisqu’ils doivent, le cas échéant, assurer ce respect par l’imposition de sanctions. La France conteste qu’un règlement communautaire puisse habiliter des organismes privés à sanctionner les organisations de producteurs, une position partagée par d’autres Etats membres.

Conclusion :

La Présidence autrichienne de l’Union a proposé, fin février, un compromis sur le texte de la proposition, qui satisfait deux revendications essentielles de la France : il réintroduit la définition de l’indication géographique protégée de l’actuel règlement et revient au comité de réglementation en vigueur.

M. Jean-Marie Sermier, rapporteur, a présenté ce document au cours de la réunion de la Délégation du 15 mars 2006. Un court débat s’est engagé après son exposé.

M. François Guillaume a souhaité savoir si la proposition de règlement permet de prolonger l’effort de simplification des appellations poursuivi par la nouvelle loi d’orientation agricole. Il a souligné le caractère nécessaire d’une telle démarche, le régime actuel, par sa complexité, créant trop de confusion chez le consommateur. Le système de valorisation que constituent les appellations ne doit mettre en évidence que les produits qui le méritent.

M. François Guillaume a cité l’exemple du jambon de Parme, qui doit être fumé pendant 24 heures dans cette région pour bénéficier de l’IGP. Il a déclaré, à cet égard, qu’il était partisan d’une simplification plus radicale, abandonnant le système des deux notions AOP et IGP. Il a considéré d’ailleurs que l’utilisation de l’adjectif « protégé » pour les appellations d’origine et les indications géographiques ne permet pas de répondre à l’objectif de simplification.

Il a enfin demandé comment le récent accord viticole signé avec les Etats-Unis, qui tend à favoriser les usurpations, s’articule avec la refonte du système des dénominations protégées en Europe.

M. Pierre Forgues s’est interrogé sur la différence existant entre les AOP et les IGP qui, à ses yeux, lui paraît très ténue. Puis il a estimé que la volonté de protéger, au niveau mondial, toutes les appellations et les indications est une « belle illusion ». Cette démarche se justifie pleinement au niveau national, voire au niveau européen, mais voir plus grand, c’est aller vers la déception et tomber dans le ridicule.

En réponse aux intervenants, le rapporteur a apporté les éléments de précision suivants :

- la loi d’orientation agricole a cherché à simplifier le régime des appellations, dont la complexité croît avec la coexistence des appellations, des labels « bio » et autres et les marques. Le souci de rationalisation doit nous guider et la proposition de la Commission y répond en partie ;

- l'Europe doit mettre en conformité son système avec les résultats du panel de l’OMC, lequel a jugé le système d’enregistrement discriminatoire. Il reste que l’apparition des logos communautaires sur les produits des pays tiers risque de créer de la confusion chez le consommateur européen, lequel fera son choix sur des produits ainsi labellisés, sans que l'Europe ait contrôlé le bon fonctionnement du système d’appellation des pays tiers ;

- il est important que la procédure de réglementation soit maintenue pour impliquer les Etats membres à tous les stades de décisions ;

- l'Europe n’est pas la seule à recourir à des appellations. Des règles mondiales sont par ailleurs souhaitables, afin d’éviter les distorsions de concurrence préjudiciables aux produits de qualité ;

- malgré une certaine complexité, nos appellations ont fait leur preuve : elles sont reconnues et jouent un rôle dans la commercialisation des produits.

A l’issue de ce débat, la Délégation a approuvé les conclusions proposées par le rapporteur, dont le texte figure ci-après :

« La Délégation,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de règlement du Conseil relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d'origine des produits agricoles et des denrées alimentaires,

1. Approuve la simplification des informations exigées pour l’instruction d’une demande d'enregistrement d'une dénomination,

2. Demande le maintien de la définition actuelle des indications géographiques, établissant un lien fort, constitutif de notre modèle agricole, entre nom géographique et savoir-faire, dont la révision n’est pas exigée par le rapport du « panel » adopté le 20 avril 2005 par l’Organe de règlement des différends de l'Organisation mondiale du commerce,

3. Soutient la demande du Gouvernement français concernant le recours à une procédure dite de réglementation pour l’adoption des mesures d'application du futur règlement, permettant d’associer les Etats membres à l'ensemble des décisions à prendre. »