N° 1111

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN (1) SUR LE PROJET DE loi de finances pour 1999 (n° 1078),

TOME I

PAR M. DIDIER MIGAUD
Rapporteur général,
Député

SOMMAIRE
____

DEUXIÈME PARTIE : QUELLE POLITIQUE BUDGÉTAIRE POUR LA FRANCE AU SEIN DE L’UNION ÉCONOMIQUE ET MONÉTAIRE ?

CHAPITRE PREMIER : LES FINANCES PUBLIQUES FACE AU PACTE DE STABILITÉ ET DE CROISSANCE : LE POLITIQUE A-T-IL TOUJOURS UNE MARGE DE MANOEUVRE ?

CHAPITRE II : LA COOPÉRATION ET l’HARMONISATION DES POLITIQUES BUDGÉTAIRES ET FISCALES : UNE RÉPONSE A L’INTÉGRATION ÉCONOMIQUE ET MONÉTAIRE DE L’EUROPE

DEUXIÈME PARTIE

QUELLE POLITIQUE BUDGÉTAIRE POUR LA FRANCE AU SEIN DE L’UNION ÉCONOMIQUE ET MONÉTAIRE ?

      L’Union économique et monétaire (UEM) est désormais sur les rails. En ce début d’automne 1998, on ne peut cependant s’empêcher de songer – pour s’en féliciter – au contraste évident qui sépare les acquis d’aujourd’hui des interrogations et inquiétudes exprimées hier.

      Au printemps 1997, le gouvernement allemand tentait, sans succès d’ailleurs, de provoquer une réévaluation du stock d’or de la Bundesbank, semant ainsi le doute sur sa capacité à satisfaire au critère de déficit posé par le traité de Maastricht. En France, des perspectives budgétaires jugées difficiles provoquaient un retour anticipé des députés devant leurs électeurs et une alternance politique porteuse d’espoir dans un contexte financier assombri.

      Un an après, l’achèvement de la construction monétaire de l’Europe et la mise en place, à partir du 1er janvier 1999, de la monnaie unique, sont acquis. A cet égard, la décision du Conseil européen extraordinaire de Bruxelles, le 2 mai 1998, ne relevait pas d’un volontarisme politique irréaliste, mais s’appuyait sur une réalité incontestable : les efforts de redressement des finances publiques, pour coûteux qu’ils fussent parfois, avaient porté leurs fruits dans la plupart des États membres. La liste des États membres admis à participer à la troisième phase de l’UEM était donc large, avec onze Etats, ainsi qu’il était souhaitable pour établir les conditions du succès de l’euro.

      Les marchés ne s’y sont d’ailleurs pas trompés : ils ont, jusqu’ici, épargné l’Europe des turbulences qui perturbent sans cesse les relations monétaires et financières internationales depuis la dévaluation du bath thaïlandais en juillet 1997. On peut imaginer ce qu’il serait advenu du système monétaire européen dans sa version actuelle si, faute d’un assainissement budgétaire suffisant, faute d’une perspective crédible pour l’introduction de l’euro, les monnaies des États membres s’étaient présentées en ordre dispersé devant les spéculateurs internationaux. Heureusement, l’ « Euroland » s’est imposé aux esprits et aux comportements avant même de naître officiellement.

      Le dossier n’est pas clos pour autant : l’Union économique et monétaire est un acquis, mais elle n’est pas une fin en soi. Elle doit servir la croissance et l’emploi. On ne saurait, en effet, se satisfaire d’une version minimaliste de la construction européenne, réduite à un marché et une monnaie uniques.

      Parmi les questions soulevées, celle de la redéfinition éventuelle de la politique budgétaire a naturellement vocation à retenir l’attention du Rapporteur général de la Commission des finances. Les pays participant à l’UEM devront, en effet, appliquer le pacte de stabilité et de croissance, adopté en juin 1997 par le Conseil européen réuni à Amsterdam, qui prolonge les dispositions similaires mises en œuvre depuis l’entrée en vigueur du traité de Maastricht.

      Par ailleurs, l’union monétaire pose dans des termes nouveaux la problématique de la coopération entre les autorités économiques et financières des pays concernés. En particulier, parce qu’elle touche à un domaine essentiel de la souveraineté et à l’un des fondements des États démocratiques modernes, l’harmonisation des fiscalités revêt un caractère éminemment sensible.

CHAPITRE PREMIER

LES FINANCES PUBLIQUES FACE AU PACTE DE STABILITÉ ET DE CROISSANCE : LE POLITIQUE A-T-IL TOUJOURS UNE MARGE DE MANOEUVRE ?

      L’impératif de discipline budgétaire, exigence de bon sens, est inscrit de longue date dans les objectifs et mécanismes des politiques communautaires. Le 22 mars 1971, par exemple, une décision du Conseil instaurait la procédure des concours financiers à moyen terme entre États membres. Cette procédure prévoyait notamment des obligations telles que « la limitation du taux de progression des dépenses de l’État, la limitation du déficit des opérations du Trésor, le retour à l’équilibre budgétaire dans les cinq ans ». L’évolution des finances publiques en Italie ou en Grèce dans les années soixante-dix et quatre-vingt, alors même que ces pays bénéficiaient de tels concours, traduit à l’évidence l’impuissance des règles communautaires d’alors à infléchir de façon significative et durable les pratiques budgétaires de certains États membres.

      Les travaux conduits en vue de préparer l’union économique et monétaire ont donné un nouveau lustre à la notion de discipline budgétaire dans la deuxième moitié des années quatre-vingt. En 1989, le rapport du « Comité Delors » (1) proposait ainsi de plafonner les déficits budgétaires nationaux, soulevant une vague de critiques et amorçant un vif débat de politique économique et institutionnelle ; il fut néanmoins adopté lors du Conseil européen de Madrid en juin 1989. La maturation progressive de ces idées a ensuite trouvé une consécration juridique en prenant place parmi les dispositions de l’article 104 C du traité instituant la Communauté européenne : « 2. La Commission […] examine notamment si la discipline budgétaire a été respectée », dont les termes font écho au premier alinéa : « 1. Les États membres évitent les déficits excessifs ».

      Les trois premiers textes constitutifs du pacte de stabilité et de croissance (2) précisent les dispositions de l’article 104 C du traité. Ils forment ensemble le cadre dans lequel évoluera la politique budgétaire des États membres participant à la monnaie unique à partir du 1er janvier 1999.

      Entre appréciation politique et jugement technique, entre théorie économique et évaluations économétriques, le contenu et la portée de ces textes ne se laissent pas saisir facilement. Il apparaît cependant que, même si l’assainissement et la stabilité budgétaires ont été érigés en vertus cardinales, le potentiel régulateur des finances publiques a été préservé tout en étant fortement encadré.

A.– L’ASSAINISSEMENT ET LA STABILITÉ BUDGÉTAIRES ONT ÉTÉ ÉRIGÉS EN VERTUS CARDINALES

1.– L’assainissement des finances publiques devra se poursuivre

a) La réussite de l’assainissement est considérée comme le gage d’un fonctionnement harmonieux de l’Union monétaire

      · Les « grandes orientations de politique économique », adoptées par le Conseil, conformément à l’article 103 du traité instituant la Communauté européenne, présentent chaque année la vision commune des États membres sur leur stratégie économique. Cette stratégie comporte trois grands volets : une politique monétaire axée sur la stabilité des prix, des efforts soutenus d’assainissement des finances publiques, une évolution des salaires nominaux compatible avec l’objectif de stabilité des prix (l’évolution des salaires réels devant, pour sa part, préserver leur pouvoir d’achat, tout en accroissant la rentabilité du capital).

      L’idée sous-jacente est que « des politiques budgétaires saines faciliteront la tâche de la politique monétaire unique, qui est de préserver la stabilité des prix » (3). Bien entendu, selon la pure théorie libérale de l’équilibre général, tout déficit budgétaire (voire tout accroissement de la dépense publique) serait censé perturber les conditions de réalisation de l’équilibre de marché et provoquer un ajustement par les prix.

      Au demeurant, ce n’est cependant plus sur ce terrain mouvant que se situerait l’argument, selon les tenants de ce libéralisme exacerbé. Il ferait plutôt appel aux capacités d’analyse prêtées aux agents économiques et reposerait sur l’interaction entre la crédibilité de la politique budgétaire et celle de la politique monétaire. M. Jean-Claude Trichet, gouverneur de la Banque de France, a ainsi pu écrire que « l’accroissement massif du déficit d’un ou de plusieurs États de l’Union européenne susciterait par exemple un risque de dégradation de la confiance, à même de pénaliser l’ensemble de la zone, via l’émergence de primes de risque sur les taux d’intérêt. Le risque est alors de « surcharger » la politique monétaire et de réduire ses marges de manœuvre, et au-delà son efficacité et sa crédibilité » (4).

      L’impact du besoin de financement des administrations publiques sur l’inflation ou les anticipations d’inflation n’est cependant pas aussi direct que ce que la formulation rapide des « grandes orientations des politiques économiques » pourrait laisser croire. Les conditions du financement de ce déficit sont tout aussi importantes, sinon plus, que son montant en valeur absolue.

      On rejoint alors ce que votre Rapporteur général est tenté d’appeler les « thèses catastrophistes » présentées par les apôtres de la stabilité. La persistance du déficit amène à perdre le contrôle du niveau de la dette publique, entraînant ainsi une charge d’intérêt insupportable pour le budget des administrations publiques. Dans ces conditions, la seule échappatoire réside dans la monétisation de la dette, grâce à la complaisance (ou à la soumission) des autorités monétaires envers le pouvoir politique. L’inflation est au bout du chemin.

      C’est pourquoi le traité de Maastricht a introduit deux dispositions visant à éviter ces difficultés :

      – l’article 107 pose le principe de l’indépendance de la Banque centrale européenne, des banques centrales nationales ainsi que de leurs membres et organes de décision, qui « ne peuvent solliciter ni accepter des instructions des institutions ou organes communautaires, des gouvernements des États membres ou de tout autre organisme » ;

      – l’article 104 interdit à la Banque centrale européenne et aux banques centrales nationales d’accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux États membres, ainsi que d’acquérir directement auprès d’eux des instruments de leur dette.

      Certains auteurs estiment que ces deux dispositions conjuguées constituent des garanties suffisantes pour la stabilité de la monnaie. Cependant, les rédacteurs du traité ont préféré s’entourer d’une garantie supplémentaire en instaurant, avec l’article 104 C, la surveillance des politiques budgétaires et la procédure des déficits excessifs. Il est vrai que, pour ne parler que de l’interdiction posée par l’article 104, le mode de fonctionnement actuel du marché monétaire amène les banques centrales nationales à détenir dans leurs actifs une fraction de la dette de l’État, comme contrepartie des concours qu’elles accordent aux établissements financiers dans le cadre du réglage de la liquidité bancaire.

      Pour autant, il serait erroné d’en conclure que les mécanismes pervers qui prévalaient dans les décennies antérieures subsistent aujourd’hui. Intervenant devant les élèves de l’Institut d’études politiques de Paris, le 18 mai dernier, M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, pouvait ainsi affirmer : « en adoptant la monnaie unique, nous renonçons définitivement à l’option de monétiser nos erreurs, nous nous engageons de ce fait à respecter des contraintes intertemporelles ».

      · S’ils ne sont plus monétisables, le déficit et la dette publique viennent en concurrence avec le besoin de financement et la dette des acteurs privés sur les marchés financiers. Dans cette perspective, l’assainissement budgétaire devient la condition sine qua non d’une meilleure allocation des ressources et d’une diminution des taux d’intérêt. Les documents émanant des services de la Commission européenne s’appuient ainsi largement sur la thèse ancienne et bien connue des « effets d’éviction » provoqués par le secteur public : éviction de l’investissement privé par le taux d’intérêt ; éviction de la demande privée par la demande publique.

      Les grandes orientations des politiques économiques elles-mêmes reflètent de façon récurrente l’opinion des États membres selon laquelle « des situations budgétaires saines permettront de maintenir les taux d’intérêt à long terme à un niveau peu élevé, ce qui exercera un effet d’attraction sur l’investissement privé. Comme, dans de pareilles circonstances, les administrations publiques n’absorbent plus l’épargne privée, mais contribuent positivement à l’épargne dans l’économie, l’accroissement du taux d’investissement peut, toutes choses égales par ailleurs, s’accomplir sans faire naître de tensions sur la balance des paiements et sur les taux d’intérêt à long terme » (5).

      Il est vrai que l’examen des séries statistiques longues relatives à l’épargne brute dans les pays de la Communauté européenne montre une stabilité assez notable du taux d’épargne du secteur privé depuis le début des années soixante. Certes, les parts respectives des ménages et des entreprises ont fluctué comme « en miroir » par-delà la stabilité de leur tout. Par ailleurs, la désépargne des administrations publiques depuis le milieu des années soixante-dix a contribué négativement au niveau de l’épargne brute nationale.

ÉPARGNE ET INVESTISSEMENT AU SEIN DE L’ÉCONOMIE EUROPÉENNE

      (en % du PIB)

     

    1961-73

    1974-85

    1986-90

    1991-96

    1997 (b)

    1998 (b)

    1999 (b)

    Secteur privé

    21,2

    21,1

    20,8

    20,9

    19,9

    19,8

    19,8

      – ménages

    10,3

    12,5

    10,0

    9,1

    8,1

    7,9

    7,7

      – entreprises

    10,9

    8,6

    10,8

    11,8

    11,8

    11,9

    12,1

    Administrations publiques

    4,1

    0,5

    0,2

    – 1,7

    – 0,2

    0,4

    0,9

    Epargne nationale

    25,3

    21,6

    21,0

    19,2

    19,8

    20,2

    20,7

    FBCF (a)

    24,7

    21,9

    20,8

    19,4

    18,7

    19,0

    19,4

    Balance courante

    0,4

    – 0,4

    0,1

    – 0,3

    1,3

    1,4

    1,4

    (a) FBCF : formation brute de capital fixe.

    (b) Prévisions économiques d’automne 1997.

Source : Économie européenne, n° 65, 1998.

      Cependant, il est clair que le redémarrage de l’investissement, dans un contexte de stabilité de l’épargne privée, suppose que les administrations augmentent leur capacité propre d’épargne si la Communauté veut éviter d’enregistrer un déséquilibre persistant de sa balance courante. A tort ou à raison, l’appel à l’épargne étrangère ne semble pas constituer, aux yeux des autorités communautaires, une solution souhaitable de financement de la croissance.

      Il convient de remarquer que cette analyse fait justement l’impasse sur le rôle international de l’Europe et de sa future monnaie unique. Dans un premier temps, il peut paraître souhaitable, effectivement, d’équilibrer la balance courante de l’Union, afin de préserver la valeur externe de l’euro et, par voie de conséquence, de favoriser sa stabilité interne.

      L’affirmation de l’euro sur la scène financière internationale semble cependant inéluctable, et acceptée comme telle par nombre d’analystes et de responsables, y compris américains. Cette affirmation annoncée passe par un accroissement de la détention d’euros par les non-résidents. Dans cette perspective, l’Europe devra fournir au reste du monde un volume suffisant d’euros pour que celui-ci acquière le statut de véritable monnaie de réserve.

      Pour l’heure, la stimulation de l’investissement, nécessaire pour replacer l’économie européenne sur un sentier de croissance soutenue et durable, ne saurait conduire à oublier la nécessité d’un redressement des comptes publics.

b) L’assainissement budgétaire s’impose avant tout par ses vertus intrinsèques sur les comptes publics

      · Au point le plus bas de la récession du début des années quatre-vingt, le déficit budgétaire total des États membres de la Communauté s’était creusé jusqu’au niveau, jamais enregistré jusqu’alors, d’environ 5% du PIB. A la fin de la décennie, le déficit budgétaire global dans la Communauté était revenu à 2,5% du PIB environ. Le début des années quatre-vingt-dix a vu une détérioration considérable de la situation dans les États membres : en l’espace de quatre ans, le déficit s’est accru de près de 4 points de PIB, pour atteindre le niveau de 6,3% du PIB en 1993.

      Indépendamment de ses effets immédiats sur l’équilibre des marchés financiers, la persistance des déficits, conjuguée au niveau positif des taux d’intérêt réels qui prévaut depuis le début des années quatre-vingt, fait peser une charge croissante sur les budgets publics. Chacun connaît désormais l’existence d’un « effet boule de neige » de la dette, qui apparaît lorsque le taux d’intérêt moyen servi sur la dette est supérieur au taux de croissance nominale du PIB. La part de la dette dans le PIB (le taux d’endettement public) tend alors à s’accroître de façon mécanique, sauf si les administrations parviennent à dégager un excédent primaire (6) suffisant.

      La dette dans une Europe de quinze États s’élevait aux alentours de 35% vers le milieu des années soixante-dix. Elle franchit le seuil de 40% en 1980, des 50% en 1984, des 55% en 1987. La récession de 1993 fait augmenter de 10 points en deux ans le taux d’endettement, qui s’élève alors à 66% du PIB. Le point culminant est atteint en 1996 : le taux d’endettement public dans l’Europe des Quinze est égal à 73% du PIB.

      Dans le même temps, les paiements effectifs d’intérêts passaient au-dessus de 4% du PIB dans les années quatre-vingt, alors qu’ils étaient restés inférieurs à 2% du PIB depuis 1960 (7). Ils ont culminé à 5,4% du PIB en 1995 et 1996, avant de décroître à 5% du PIB en 1997 (8).

      En France, les informations recueillies à l’occasion du débat d’orientation budgétaire du 9 juin 1998 montrent que la dette publique par actif devrait atteindre plus de 190.000 francs en 1998, après 80.000 francs en 1988 et seulement 21.000 francs en 1978. Cet indicateur peu usuel donne une image saisissante de la contrainte exercée par l’endettement passé et présent sur les forces productives de notre économie – même si la dette publique est détenue par les agents privés et se trouve parfois assimilée à une richesse détenue par ces agents. Le paiement des intérêts sur la dette de l’État absorbait 5% des recettes fiscales en 1980 ; cette proportion s’élève à près de 20% en 1998. Les paiements effectifs d’intérêts des administrations publiques représentaient 3,8% du PIB en 1997, à comparer à 2% du PIB en 1981.

      De telles évolutions sont clairement insupportables à terme pour les finances publiques. La rémunération des capitaux prêtés aux administrations publiques se fait, dans des budgets par ailleurs contraints, au détriment de dépenses peut-être plus profitables au bien-être national. Cette rémunération constitue d’ailleurs, comme le remarquait le rapport du Gouvernement déposé en vue du débat d’orientation budgétaire, une forme de redistribution à rebours, puisque les apporteurs de capitaux ne sont pas parmi les personnes les plus démunies de notre société… Enfin, l’endettement excessif peut provoquer la défiance des marchés et induire un niveau trop élevé du taux d’intérêt préjudiciable à l’investissement. La réduction du taux d’endettement public est une nécessité, même s’il est délicat de déterminer de façon précise un niveau optimal d’endettement.

      · Il faudra bien, de plus, garder quelque souplesse afin d’absorber le « choc des retraites » qui devrait s’amorcer dans une dizaine ou une quinzaine d’années. Parce qu’il récuse un processus qui conduirait à se reposer sur l’endettement pour financer les retraites, le Gouvernement a annoncé de premières mesures de soutien aux régimes de retraite par répartition : le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 prévoit, en effet, la constitution d’un Fonds de réserve pour les retraites, établissement public placé sous la tutelle du ministère de l’emploi et de la solidarité. Les ressources du fonds seraient constituées, dans un premier temps, par des excédents tirés du Fonds de solidarité vieillesse, puis d’autres recettes provenant de la réforme des caisses d’épargne ou du produit de la mise sur le marché du capital de certaines entreprises publiques.

      Aujourd’hui, la plupart des pays de l’OCDE affichent une démographie favorable, où la génération du baby boom prend en charge des retraités relativement moins nombreux. Toutefois, d’ici à la deuxième décennie du siècle prochain, cette génération aura atteint l’âge de la retraite, tandis que la population active aura diminué dans de nombreux pays.

      En 1990, le rapport de la population « âgée » (plus de 65 ans) à la population active (24 à 64 ans) était de 19% en moyenne pour l’ensemble de la zone OCDE ; en 2030, ce ratio de dépendance pourrait atteindre 37%. Au Japon, le ratio, qui était l’un des plus faibles de l’OCDE en 1980, pourrait au contraire atteindre l’une des valeurs les plus élevées avec 44%. En Europe, la progression a commencé depuis 1990 et devrait enregistrer un accroissement rapide après 2010. Aux États-Unis, l’augmentation du taux de dépendance ne devrait commencer qu’après 2010.

      Dans le même mouvement, le nombre de personnes âgées de plus de 80 ans augmentera sensiblement. Or, si l’évolution de la société et les progrès de la science font que la plupart des sexagénaires et des septuagénaires ont, dans le domaine de la santé comme dans le domaine social, de nombreuses caractéristiques communes avec des groupes plus jeunes, actuellement, il semble que 80 ans soit la limite au-delà de laquelle les dépenses de santé augmentent très sensiblement, atteignant près du quadruple de la moyenne par personne.

      L’impact négatif de cette dégradation du rapport démographique sur l’équilibre financier des régimes de retraites est – au plan qualitatif – évident. Sa quantification repose cependant sur des scénarios et des faisceaux d’hypothèses, qui rendent les résultats numériques plus incertains. L’intérêt des pouvoirs publics envers une évaluation plus précise du « choc des retraites » a été ranimé, il y a une dizaine d’années, par deux études conduites par le Fonds monétaire international en 1986 et l’OCDE en 1988. Dans le cadre du modèle retenu par l’OCDE, les charges de pensions atteindraient 30% du revenu national en 2040 en Autriche, en France, en Allemagne, en Italie et aux Pays-Bas. Cette part serait limitée à 20% environ en Belgique, au Danemark, en Grèce, en Espagne et en Suède. Enfin, l’Irlande et le Royaume-Uni connaîtraient une évolution privilégiée, puisque les charges de pension n’y atteindraient que 10% du revenu national.

      Avec des hypothèses légèrement différentes (9) et un champ limité à sept pays, le FMI concluait que la France, l’Allemagne, l’Italie et le Japon connaîtraient une augmentation sensible de la part des charges de pensions dans le PNB, tandis que les pays anglo-saxons (États-Unis, Royaume-Uni, Canada) seraient relativement peu touchés.

PROJECTIONS DU FMI (1986)

(charges de pensions/PIB, en %)

                   
       

    Scénario de base

    Scénario pessimiste

     

    1980

    2000

    2010

    2025

    2000

    2010

    2025

    Allemagne

    13,3

    17,1

    18,6

    20,5

    17,1

    18,8

    21,1

    Canada

    3,5

    3,1

    3,1

    4,3

    3,4

    3,6

    5,3

    États-Unis

    6,3

    5,8

    5,7

    6,9

    6,4

    6,6

    8,5

    France

    10,0

    11,0

    11,5

    13,0

    11,0

    12,6

    16,3

    Italie

    10,5

    12,7

    14,4

    18,0

    13,1

    15,4

    20,1

    Japon

    4,2

    9,6

    12,9

    13,4

    10,5

    14,4

    15,5

    Royaume-Uni

    5,8

    6,6

    7,2

    8,4

    6,8

    7,7

    9,3

Source : European Economy, Reports and studies, n°3, 1996.

      Ces évaluations ont été, dans leurs grandes lignes, confirmées par une étude comparative effectuée par les services de la Commission européenne, portant sur les prévisions des organismes internationaux et les études diligentées par les autorités des États membres. Les auteurs de l’étude notent en particulier que, depuis le début des années quatre-vingt, plusieurs pays ont réformé leur système de retraites afin de réduire l’augmentation tendancielle future des dépenses (Autriche, Finlande, Allemagne, Italie, France, Grèce, Portugal, Suède et Royaume-Uni). Les résultats des projections révèlent, cependant, que la dynamique des charges de retraite frappera non seulement les pays qui n’ont pas encore engagé de réformes (Belgique, Danemark, Irlande, Luxembourg et Pays-Bas), mais aussi certains de ceux qui s’y sont employés (Finlande, France, Allemagne).

      A moyen terme – la maîtrise de la charge de la dette publique – comme à plus long terme – le contrôle des dépenses de pension dans le respect des objectifs sociaux essentiels des systèmes de retraite –, les défis opposés aux gestionnaires des finances publiques sont immenses. Pour les relever dans de bonnes conditions, le pacte de stabilité et de croissance les incite à s’appuyer sur une norme budgétaire déterminée.

2.– La stabilité budgétaire suppose le respect d’une norme stricte, mais ne peut s’y résumer

a) Le pacte de stabilité et de croissance met en avant
la notion d’équilibre du budget à moyen terme

      Dans la résolution du Conseil européen relative au pacte de stabilité et de croissance, les États membres réaffirment leur engagement à éviter les « déficits excessifs » au sens de l’article 104 C du Traité et « s’engagent à respecter l’objectif budgétaire à moyen terme d’une position proche de l’équilibre ou excédentaire, conformément à leur programme de stabilité ou de convergence ».

      Cette norme est certes frappée du sceau du bon sens. Il serait cependant illusoire d’afficher un objectif de budget équilibré, voire excédentaire, chaque année, et nul ne saurait prétendre que cet objectif soit pertinent pour la régulation de l’activité ou pour le soutien de la croissance. Le budget a vocation à traduire, en recettes comme en dépenses, les fluctuations économiques et les cycles conjoncturels. Dans ces conditions, un objectif d’équilibre du budget à moyen terme peut s’entendre sur la durée moyenne d’un cycle, objectif qui associe alors la rigueur rassurante de l’équilibre à la dynamique apaisante de l’excédent et du déficit. De plus, le critère de déficit nul en moyenne période est facile à mettre en œuvre et à contrôler.

PROJECTIONS DES PROGRAMMES DE CONVERGENCE (a) (b)

      (capacité / besoin de financement des administrations publiques, en % du PIB)

     

    Date de présentation

    1997

    1998

    1999

    2000

    2001

    Belgique

    1.1997

    – 2,9

    – 2,3

    – 1,7

    – 1,4

    Danemark

    6.1997

    0,7

    0,7

    0,9

    1,1

    Allemagne

    1.1997

    – 2,9

    – 2,5

    – 2,0

    – 1,5

    Grèce

    7.1997

    – 4,2

    – 2,4

    – 2,1

    Espagne

    4.1997

    – 3,0

    – 2,5

    – 2,0

    – 1,6

    France

    1.1997

    – 3,0

    – 2,8

    – 2,3

    – 1,8

    – 1,4

    Irlande

    12.1997

    0,4

    0,3

    0,7

    Italie

    6.1997

    – 3,0

    – 2,8

    – 2,4

    – 1,8

    Pays-Bas

    12.1996

    – 2,2

    – 2,25

    Autriche

    10.1997

    – 2,7

    – 2,5

    – 2,2

    – 1,9

    Portugal

    3.1997

    – 2,9

    – 2,5

    – 2,0

    – 1,5

    Finlande

    9.1997

    – 1,3

    – 0,1

    0,3

    1,0

    1,9

    Suède

    9.1997

    – 1,9

    0,6

    0,5

    1,5

    Royaume-Uni

    9.1997

    – 1,6

    – 0,3

    – 0,1/0,4

    0,5/1,5

    0,9/2,4

    (a) A la date de constitution du tableau, la décision du Conseil relative à la liste des pays admis à participer à la troisième phase de l’UEM n’était pas encore adoptée. Les programmes sont donc de « convergence » et non de « stabilité ».

    (b) Compte tenu de la situation durablement excédentaire de ses finances publiques, le Luxembourg n’a jamais présenté de programme de convergence.

Source : Rapport sur la convergence en 1998, Economie européenne, n° 65, 1998.

      Lors du débat d’orientation budgétaire du 9 juin dernier, les orateurs qui se sont succédés à la tribune de l’Assemblée nationale n’ont d’ailleurs pas mis en cause les développements correspondants contenus dans le rapport du Gouvernement.

      En dépit des avantages évidents qui découlent du choix d’une norme d’équilibre budgétaire en moyenne période, on n’a peut-être pas pesé toutes les conséquences qui s’attachent à ce choix.

      Tout d’abord, l’équilibre budgétaire en moyenne période conduit, mécaniquement, à une diminution du taux d’endettement. C’est justement, dira-t-on, l’un des objectifs recherchés par le pacte de stabilité. La « soutenabilité » des finances publiques suppose une diminution du taux d’endettement public, pour les raisons qui ont été exposées ci-avant. A long terme, l’équilibre budgétaire de moyenne période conduit à l’annulation du taux d’endettement.

      Assurément le rythme de décroissance est modéré. Il faudrait ainsi 20 ans pour diviser par deux le taux d’endettement, avec une croissance nominale de 3,5% (par exemple 2,5% en volume et 1% d’inflation). Mais un taux d’endettement nul est-il souhaitable ? Force est de constater que, ces dernières années, on a insisté sur le niveau maximal souhaitable du taux d’endettement plus que sur un éventuel niveau minimal. La situation des finances publiques lors les deux décennies écoulées a, bien évidemment, orienté la réflexion des pouvoirs publics et des économistes dans cette direction privilégiée. Mais elle gagnerait peut-être à être complétée par l’étude des éventuels effets bénéfiques d’un endettement public raisonnable.

      Le volume de la dette publique, par exemple, facilite le fonctionnement des marchés financiers. La liquidité de la dette permet au Trésor de se financer à moindre coût – bien que cet effet soit difficile à quantifier – tandis que l’essentiel des transactions sur le marché monétaire s’effectue en titres publics, qui conjuguent volumes importants, faible risque, bonne substituabilité, bonne négociabilité, etc. La dette publique se met, en quelque sorte, au service de la « main invisible » chère aux économistes de l’offre et aux zélateurs du désengagement de l’État.

      Le principal reproche que l’on peut adresser à la norme d’équilibre moyen est qu’elle ignore la question du sous-emploi dans l’économie. Passant ainsi sous silence la réalité la plus cruelle dans notre société, la norme d’équilibre en moyenne période repose sur le présupposé que la trajectoire moyenne du PIB d’un bout à l’autre du cycle correspond à la trajectoire de plein emploi. Dans cette optique, l’équilibre du budget reste le garant de l’équilibre général de l’économie : l’État se fait neutre, au-delà des inévitables fluctuations conjoncturelles. Ce schéma de pensée est cohérent avec l’approche généralement développée au niveau communautaire depuis une quinzaine d’années sur la place et le rôle respectifs des États et des forces de marché, supposées placer par elles-mêmes l’économie dans un état optimal.

      Or, lorsque les services de la Commission parlent de solde budgétaire « structurel », ils assimilent trop hâtivement les notions de « structurel » et de « tendanciel », qui recouvrent des réalités différentes.

      Il existe, en effet, théoriquement deux méthodes d’analyse du solde budgétaire, qui n’ont pas vocation à se recouper totalement :

      – une approche en termes d’emploi des ressources disponibles, qui permet de distinguer le solde « structurel », correspondant au plein emploi des ressources, du solde « conjoncturel », qui mesure l’impact de la conjoncture sur l’emploi des ressources et sur les finances publiques ;

      – une approche en termes d’évolution moyenne autour d’une tendance, qui permet de distinguer le solde budgétaire « tendanciel », c’est-à-dire corrigé des variations cycliques, correspondant à une tendance de moyen terme calculée sur une période suffisamment longue, du solde budgétaire « cyclique ».

      Cette seconde approche est purement statistique, alors que la première est analytique : elle repose sur la mesure des ressources disponibles, la détermination des ressources de plein emploi, l’utilisation d’une fonction de production qui permet de calculer la production de plein emploi et la production réelle, etc...

      Le caractère restrictif ou expansif de la politique budgétaire ne peut se concevoir que par rapport au degré d’emploi des ressources disponibles. En ce sens, seule l’approche en termes de solde « structurel » et de solde « conjoncturel » est pertinente pour qualifier la politique budgétaire. Au contraire, l’approche en termes de solde « tendanciel » et de « solde « cyclique », qui est retenue par le pacte de stabilité et de croissance, ne permet pas de juger de l’impact de la politique budgétaire, ni de son adéquation aux conditions économiques du moment.

      Au demeurant, l’OCDE a modifié en 1995 son mode de calcul des soldes dits « structurel » et « conjoncturel ». Fondé auparavant sur une simple évaluation de la tendance entre deux pics conjoncturels, l’institution a opté désormais pour une estimation analytique de la production potentielle, par le biais d’une fonction de production. Cette révision débouche sur des résultats contrastés : aux États-Unis, le solde structurel est égal au solde tendanciel depuis la fin des années quatre-vingt ; en France, la nouvelle méthode suggère que le solde structurel est bien plus dégradé que le solde précédemment estimé (– 2,6% du PIB pour le premier à rapprocher de – 1,6% pour le second), ce qui devrait conduire à relativiser l’importance de la conjoncture sur la dégradation des finances publiques dans les années récentes ; pour l’Allemagne, au contraire, le solde structurel se révèle moins dégradé que le solde antérieurement estimé (– 2,3% du PIB au lieu de
      – 2,8%).

b) La stabilité des finances publiques passe aussi par un remodelage de leurs structures et de leurs mécanismes

      A juste titre, la Commission européenne insiste de façon répétitive sur la nécessité de parvenir à un assainissement durable des finances publiques. Cela suppose, dans un premier temps, que ce processus ne repose pas uniquement ou préférentiellement sur des mesures ponctuelles, dont l’impact sur la situation budgétaire n’est que temporaire. La Commission admet cependant que, « en règle générale, l’inclusion de diverses mesures de ce type dans les budgets publics est une pratique habituelle et l’ampleur de ces mesures demeure le plus souvent limitée » (10). En définitive, « même si les mesures d’ordre ponctuel ont partiellement contribué à la réduction des déficits observée depuis le début de la deuxième phase de l’UEM […] la part de ces mesures dans l’ajustement global peut être considérée comme relativement faible » (11).

      Pour parvenir à une maîtrise réelle des finances publiques, il est désormais nécessaire d’inverser la logique d’une croissance à tout va de la dépense publique, suivie, mais avec retard, par une augmentation des prélèvements obligatoires. La méthode la plus judicieuse consiste donc, sans aucun doute, à encadrer étroitement la croissance des dépenses publiques.

      Cela ne saurait empêcher de définir des priorités et d’y affecter les moyens nécessaires. De même, encadrer les dépenses ne signifie pas nécessairement les réduire. Remarquons, à cet égard, que la norme inscrite dans le pacte de stabilité est relative à l’équilibre des finances publiques, et non au montant des dépenses publiques. A l’opposé, la définition d’une limite de croissance des crédits budgétaires à 1% du PIB en valeur dans le projet de loi de finances pour 1999 est, au contraire, une première étape vers une maîtrise « normée » de la dépense. C’est la ligne de conduite à laquelle s’est attachée l’actuel Gouvernement et il convient de conforter cette approche à la fois saine, raisonnable et volontaire.

      Les arguments en faveur de la maîtrise de la dépense ne manquent pas : le niveau des prélèvements obligatoires est déjà trop élevé, en France comme dans les pays de la Communauté pris dans leur ensemble ; la restructuration des dépenses publiques oblige à ouvrir le chantier de l’efficience du secteur public ; la restructuration doit amener à privilégier les dépenses les plus productives au bénéfice de la société (lutte contre le chômage et l’exclusion, amélioration de l’éducation, relance de l’investissement, etc.) ; la maîtrise des dépenses permettra d’aborder dans de meilleures conditions les conséquences du vieillissement de la population.

      Quelle répartition, alors, entre les contraintes qu’il est nécessaire d’imposer à chaque grande catégorie de dépense : investissement des administrations publiques, transferts, consommation publique ? Quel poids idéal leur donner, in fine, dans la masse totale de la dépense publique ?

      Relevant que, dans les trente-cinq dernières années, on a assisté, au niveau communautaire, à une augmentation rapide de la part prise par les finances publiques dans l’économie, la Commission met l’accent sur les transferts courants, dont l’accroissement sensible s’explique presque exclusivement par la politique menée en direction des ménages. L’élargissement de la couverture des programmes, l’assouplissement des conditions d’indemnisation et la valorisation du montant des prestations ont contribué pendant deux décennies à la croissance des dépenses de transfert. Les pressions exercées sur les budgets publics par les difficultés conjoncturelles à partir des années quatre-vingt ont amené, dans la plupart des États membres, les pouvoirs publics à durcir les conditions d’accès au système de transferts.

LES DÉPENSES DES ADMINISTRATIONS PUBLIQUES EN EUROPE (a)

      (en % du PIB)

     

    1961

    1970

    1973

    1982

    1989

    1993

    1994

    1995

    1996

    1997

    Transferts courants

    11,5

    14,7

    16,0

    21,6

    20,7

    23,7

    23,5

    23,3

    23,1

    22,5

      dont ménages

    n.d.

    12,1

    13,0

    17,9

    17,1

    20,0

    19,9

    19,8

    19,7

    19,3

    Paiements d’intérêts

    3,1

    1,8

    1,7

    4,1

    4,6

    5,4

    5,2

    5,4

    5,4

    5,0

    Consommation publique

    13,7

    15,4

    16,4

    19,6

    18,2

    19,6

    19,2

    19,0

    18,9

    18,7

    Transferts nets en capital

    0,8

    0,7

    0,9

    1,0

    0,9

    1,1

    0,8

    0,8

    0,6

    0,3

    Formation brute de capital

    4,5

    4,2

    3,7

    2,9

    2,8

    2,8

    2,7

    2,5

    2,4

    2,2

    Dépenses totales

    33,6

    36,9

    38,7

    49,3

    47,2

    52,4

    51,3

    51,0

    50,4

    48,7

(a) Changements de périmètre en 1961, 1970 et 1973.

Source : Économie européenne, n° 65, 1998.

      Pour leur part, du début des années soixante à la fin des années soixante-dix, les dépenses de consommation courante ont contribué pour près de six points à la croissance des dépenses publiques. Les années quatre-vingt ont vu les paiements d’intérêt devenir une composante dynamique de ces mêmes dépenses. En revanche, l’investissement pèse, en 1997, près de deux fois moins qu’en 1961. Les changements de structure, liés à la privatisation, depuis une vingtaine d’années, de certains services publics, ont pu jouer un rôle, ainsi que l’achèvement de grands programmes d’infrastructures. Le décrochage est cependant patent.

      Pour la Commission européenne, la conduite à tenir est claire : « parmi les mesures de rigueur budgétaire, les plus efficaces sont celles qui visent à réduire le déficit principalement par des réductions dans les dépenses primaires courantes, alors que les mesures comme des hausses d’impôt ou les réductions des dépenses en capital se traduisent par des ajustements moins durables ».

      Ainsi, tout en reprenant le thème classique du recul de l’État dans l’économie, la Commission européenne, suivie en cela par le Conseil, adhère implicitement aux conceptions les plus récentes relatives à la théorie de la croissance. Les approches dites de « croissance endogène », qui mettent l’accent sur l’asymétrie des informations, sur les phénomènes de rendements croissants, ou sur la présence d’externalités, réhabilitent un usage ciblé de la dépense publique : l’investissement public, lorsqu’il porte sur des biens appropriés, est susceptible d’élever durablement le taux de croissance de l’économie.

      Il va de soi qu’une réorientation aussi radicale des politiques publiques, fondée au premier chef sur une réduction des dépenses de transfert, doit être considérée a priori avec beaucoup de circonspection. Elle suppose tout à la fois une forte acceptation par le corps social et une redéfinition des modes de régulation de la dépense et de la recette, qui n’implique pas seulement l’État mais l’ensemble des administrations publiques. Cette dernière condition ne vaut peut-être pas tant pour les collectivités locales – qui sont relativement enserrées dans l’exigence de l’équilibre simultané des sections de fonctionnement et d’investissement – que pour les administrations de sécurité sociale.

c) Le niveau de la dépense publique : quelques vérités à rétablir

      D’aucuns ont tenté, ces dernières semaines, de raviver une polémique sur le niveau des dépenses des administrations publiques en France, sur la foi de chiffres – assurément véridiques – publiés par des organisations internationales, mais présentés de façon « cursive », voire détournée de leur contexte véritable.

      Le mauvais procès qui est ainsi intenté au Gouvernement, à l’occasion de la présentation du projet de loi de finances pour 1999, a pris un caractère trop réducteur et trop caricatural pour que votre Rapporteur général ne se sente pas tenu de rétablir quelques vérités et de replacer sereinement les éléments du débat dans une perspective moins biaisée.

      Il doit être clair, tout d’abord, qu’il n’est pas question pour la majorité qui gouverne aujourd’hui la France de renier en quoi que ce soit l’augmentation – au demeurant modérée – des dépenses du budget de l’État qui est soumise à l’approbation du Parlement dans le cadre du présent projet de loi. Il s’agit là d’un choix politique pleinement assumé, qui répond aux attentes des Français, telles qu’elles se sont exprimées au printemps 1997. Ces attentes ne doivent pas être trahies.

      Les statistiques publiées en juin 1998 dans la dernière parution des Perspectives économiques de l’OCDE devraient troubler les apôtres de la réduction systématique des dépenses publiques. Aux commandes de notre pays de 1993 à 1997, ils ont réalisé, ces années là, des performances d’autant plus médiocres que leur discours était plus radical : comme le montre le tableau ci-après, la vigoureuse reprise de 1994 n’a réussi à écorner le niveau record atteint en 1993 (55% du PIB) que de 0,6 point ; en 1996, le niveau de la dépense publique était remonté, en proportion du PIB, quasiment au niveau de celui enregistré en 1993. La réduction engagée en 1997 (54,1% du PIB) et poursuivie en 1998 (53,9%) et 1999 (53,4% du PIB) devrait rassurer ces censeurs sur la capacité du Gouvernement actuel de maîtriser les finances publiques mieux qu’ils ne l’ont fait eux-mêmes.

DÉPENSES TOTALES DES ADMINISTRATIONS PUBLIQUES

      (en % du PIB nominal)

     

    1993

    1994

    1995

    1996

    1997

    1998

    1999

    États-Unis

    33,8

    32,8

    32,9

    32,7

    32,0

    31,6

    31,6

    Japon

    33,7

    34,4

    35,6

    35,9

    35,2

    35,6

    35,5

    Allemagne

    49,5

    48,9

    49,5

    48,9

    47,7

    47,4

    46,7

    France

    55,0

    54,4

    54,3

    54,8

    54,1

    53,9

    53,4

    Italie

    57,4

    54,9

    52,7

    52,7

    50,6

    49,5

    49,1

    Royaume-Uni

    43,6

    43,2

    43,0

    41,9

    39,7

    39,2

    39,0

    Total des pays ci-dessus

    40,2

    39,5

    39,6

    39,3

    38,3

    38,0

    37,8

    Total OCDE

    41,3

    40,5

    40,4

    40,0

    39,1

    38,6

    38,3

    Total Union européenne

    51,9

    50,8

    50,2

    49,7

    48,2

    47,5

    47,0

Source : Perspectives économiques de l’OCDE, n° 63, juin 1998.

      Une appréciation raisonnée du niveau des dépenses publiques doit d’ailleurs reposer sur un degré de détail plus fin, tout à la fois pour la composition des recettes et pour celle des dépenses. Les annexes statistiques de la publication périodique Économie européenne, éditée par la direction générale « Affaires économiques et financières » de la Commission européenne, constituent, à cet égard, un outil pertinent.

RECETTES ET DÉPENSES DES ADMINISTRATIONS PUBLIQUES

(en % du PIB nominal)

     

    France

    Eur-14 (a)

    États-Unis

    Japon

    Impôts indirects 15,6 14,2 7,0 8,3
    Impôts directs 12,6 13,4 14,9 9,0
    Contribution à la sécurité sociale 19,1 15,2 9,4 11,2
    Autres recettes courantes 3,6 3,2 5,6 3,9
    Total Recettes courantes 50,7 46,0 36,9 32,5

      Transferts aux entreprises

    2,6 1,9 0,4 0,8

      Transferts aux ménages

    23,2 19,0 14,0 15,2
    Sous-total Transferts (b) 28,0 22,1 14,7 16,0

      Rémunérations des salariés

    14,2 11,2 9,8

      Achats courants

    4,8 6,8 5,4
    Sous-total Consommation publique 19,1 18,5 15,5 9,6

      Paiements d’intérêts

    3,6 4,7 4,0 3,6
    Total Dépenses courantes 50,6 45,3 34,2 29,2
    Total Dépenses en capital 3,0 2,2 2,9 7,0
    TOTAL Dépenses des administrations 53,6 48,0 36,8 36,1

      (a) Eur-14 : États membres de l’Union européenne, à l’exception du Luxembourg.

      (b) Les transferts aux entreprises et les transferts aux ménages ne constituent pas l’intégralité des transferts des administrations publiques. Les transferts totaux incluent, par exemple, les transferts nets avec l’étranger.

Établi d’après Économie européenne, n° 65, 1998.

      La structure des recettes montre, en France, une fiscalité légèrement supérieure, mais tout à fait comparable, à la moyenne européenne. La caractéristique principale des recettes publiques est, en fait, la part nettement prédominante des cotisations de sécurité sociale. Elle doit être mise en parallèle avec le montant particulièrement élevé des transferts à destination des ménages. Au demeurant, les entreprises ne sont pas tenues à l’écart du système de transferts : elles perçoivent, en proportion du PIB, 0,7 point de plus que la moyenne européenne.

      Au-delà des chiffres bruts, qui donnent une image très abstraite de ce que recouvrent les dépenses publiques, il est nécessaire d’évoquer le niveau, ou l’évolution, de certains indicateurs « physiques » qui peuvent être rattachés à l’action des administrations. Une appréciation plus concrète de la dépense publique et de ses effets peut alors être recherchée. On peut d’ailleurs observer que très souvent ceux qui prônent des réductions drastiques de la dépense publique à Paris sont aussi ceux qui, sur le terrain, protestent contre toute diminution des moyens de nos services publics. Là comme ailleurs, tout est question d’équilibre et de maîtrise.

      Dans le domaine de la santé, la France se situe en bonne position par rapport aux autres pays industrialisés. L’espérance de vie à la naissance est l’une des plus élevées au monde, ce qui est dû, dans le cas de la France et pour les dernières décennies, au recul progressif des taux de mortalité aux âges élevés, qui sont faibles par rapport aux pays comparables. De plus, l’augmentation de la durée de vie aux âges élevés est allée de pair avec une progression de l’espérance de vie sans incapacité, qui a été supérieure à celle de l’espérance de vie totale, sur la décennie 1981-1991 (12).

      Il subsiste, certes, des résultats peu satisfaisants, comme une surmortalité « prématurée » (13) chez les hommes, traditionnelle en France, et le développement plus récent – et peut-être plus préoccupant – des phénomènes de mal-être, de mal-vivre, fortement dépendants de la dégradation de l’environnement socio-économique, due pour l’essentiel au fléau du chômage. Cependant il s’agit là de domaines où l’impact de la dépense publique de santé ne peut être que relativement indirect, les phénomènes sociaux ou, au contraire, purement individuels, prenant ici une dimension accrue.

      En matière d’éducation, le pays assume un effort soutenu et croissant en faveur du système éducatif. Depuis 1975, la croissance annuelle moyenne de la dépense intérieure d’éducation (14) a été supérieure à celle du PIB. L’État participe pour près des deux tiers au financement de la dépense d’éducation, et les collectivités locales assurent près d’un cinquième de la dépense. Le niveau général des connaissances a incontestablement augmenté, comme en témoignent l’indicateur synthétique du niveau des conscrits ou les résultats des enquêtes périodiques sur les connaissances à des degrés déterminés du cursus scolaire : « les jeunes qui quittent le système éducatif, apprentis compris, sont de plus en plus qualifiés et l’on sait que la qualification de la main d’œuvre influe directement sur la productivité » (15).

      Bien entendu, il reste toujours un nombre trop important de jeunes quittant le système scolaire sans diplôme ni qualification. Mais il est aujourd’hui reconnu que les inégalités d’accès à l’éducation se sont réduites au cours des dernières années. Qu’il soit permis d’y voir un effet positif des efforts consentis par les pouvoirs publics en faveur d’une fonction essentielle à la cohésion de la Nation : la lutte contre l’exclusion commence déjà à l’école.

      Enfin, le cas du logement est typique de certaines évolutions fondamentales enregistrées depuis le début des années quatre-vingt, parfois difficiles à interpréter. Il semble que le taux de prise en charge par la collectivité des dépenses de logement ait légèrement diminué depuis cette date. D’une part, l’augmentation significative des taux d’intérêt jusque vers 1985 a dégradé les conditions de financement du logement et pesé sur les dépenses des ménages. D’autre part, le conventionnement progressif du parc HLM au cours des années quatre-vingt a entraîné un alourdissement sensible des loyers, cependant compensé par l’augmentation des aides à la personne. Malgré cela, l’extension en 1992 de l’allocation de logement sociale à de nouvelles catégories de bénéficiaires, en particulier les étudiants, et les mesures de même inspiration qui lui ont succédé, ont renforcé le dynamisme de la dépense totale de logement. Ainsi, l’implication des pouvoirs publics dans le financement du logement, même érodée en valeur relative, a accompagné la croissance de la dépense correspondante, accentuant avec bonheur son caractère de consommation « socialisée » (16), qui garantit une plus grande équité et une meilleure justice sociale.

      Ces quelques indications, qui ne sauraient épuiser le sujet, visent simplement à rappeler que la dépense publique ne saurait être analysée uniquement en termes « bruts », sans la rapporter au niveau et à la qualité des prestations fournies à la Nation. La dépense publique participe du contrat qui cimente le corps social : elle est difficilement réductible à de froids pourcentages.

      Cela ne veut pas dire pour autant que toute dépense publique est bonne ou nécessaire, ni qu’il faut considérer son augmentation comme une fin en soi. L’un des enjeux des finances publiques et du contrôle parlementaire exercé sur celles-ci consistera justement, à l’avenir, à raisonner moins en termes de moyens qu’en termes d’objectifs et de résultats. Le Parlement manque encore, à cet égard, des outils et des méthodes qui lui permettraient de juger de l’efficacité de la dépense publique comme de celles de l’impôt.

      L’initiative, récemment annoncée, du Président de notre Assemblée, M. Laurent Fabius, tendant à la constitution d’un groupe de travail sur ce thème devrait, à cet égard, permettre d’ouvrir des pistes pour construire ces méthodes et ces outils.

      En tout état de cause, la refonte de la structure des dépenses publiques ne saurait se limiter à un exercice comptable. Elle devra rester compatible avec les préférences sociales qui seront exprimées, dans un cadre démocratique, par chacun des peuples européens. Au demeurant, ces préférences peuvent diverger entre les États membres. Il suffit de constater combien sont parfois éloignés l’un de l’autre les deux « contrats sociaux » de part et d’autre de la Manche.

      Il est donc heureux que les dispositions du pacte de stabilité et de croissance relatives aux programmes de stabilité ne donnent pouvoir au Conseil que d’adresser des recommandations en cas de dérapage sensible par rapport aux objectifs fixés dans le programme, ou d’inviter l’État concerné à adapter son programme si le Conseil estime que ses objectifs et son contenu devrait être renforcés.

      La prégnance communautaire, en revanche, sera beaucoup plus sensible en matière de réponse des finances publiques aux fluctuations de la conjoncture. En effet, si le discours officiel des instances communautaires tend à réhabiliter le rôle régulateur des finances publiques, les règles du traité de Maastricht et du pacte de stabilité enserrent celui-ci dans un réseau de contraintes.

B.– LE POTENTIEL RÉGULATEUR DES FINANCES PUBLIQUES A ÉTÉ PRÉSERVÉ, TOUT EN ÉTANT FORTEMENT ENCADRÉ

1.– La limitation du déficit à 3% du PIB :
entre souplesse et fermeté

      L’adoption par le Conseil européen de Dublin, en décembre 1996, des principes fondant le pacte de stabilité avait cristallisé les passions et provoqué de vifs débats. Fallait-il accepter le système de sanctions proposé par le projet de pacte ? Fallait-il limiter l’accord des États membres aux seules préoccupations de stabilité et d’équilibre ? Sur ce dernier point, au Conseil européen d’Amsterdam, en juin 1997, l’action résolue du Gouvernement français tout juste constitué a conduit à infléchir dans un sens heureux les principes communs destinés à guider les politiques budgétaires dans les États participant à la troisième phase de l’UEM.

      Pour autant, il est permis de s’interroger sur le caractère pleinement opératoire du dispositif de sanctions défini dans le pacte de stabilité et de croissance.

a) La question de la crédibilité du pacte de stabilité
et de croissance n’est pas close

      · Il faut tout d’abord constater qu’un assez large pouvoir d’appréciation est reconnu aux deux instances chargées de mettre en œuvre la procédure des déficits excessifs : la Commission européenne et le Conseil. Pour ce qui concerne la Commission, chargée au premier chef de « l’instruction » du dossier :

      – elle doit se fonder sur des critères (dette et déficit) dont la valeur est fixée dans le traité, mais qui ne doivent pas nécessairement être respectés stricto sensu ; le débat bienvenu du printemps 1997 sur « l’appréciation en tendance » de ces critères est encore dans toutes les mémoires ; l’année 1998 a validé de façon éclatante, avec la fixation de la liste des États participant à l’euro, la pertinence de cette approche, défendue par notre assemblée et par le Gouvernement, mais parfois vilipendée une année auparavant ;

      – dans le même esprit, ce n’est qu’ « en principe » que la Commission doit considérer qu’un dépassement du critère de déficit consécutif à une grave récession n’est exceptionnel (17) que si le PIB réel diminue d’au moins 2% ;

      – la valeur de 3% peut, sous conditions, être légèrement dépassée, sans qu’aucune précision soit donnée dans les textes sur le degré de liberté supplémentaire qui est ainsi accordé aux finances publiques des États concernés ;

      – pour élaborer son rapport, au cas où les critères sont ou risquent d’être dépassés (en tendance), la Commission doit tenir compte d’autres facteurs, tels que le niveau comparé du déficit et de l’investissement public, la position économique et budgétaire à moyen terme, et « tous les autres facteurs pertinents » ;

      – la procédure introduit une disjonction entre le rapport de la Commission, élaboré en cas de dépassement constaté ou prévisible de la valeur de référence pour le déficit, et la poursuite formelle de la procédure des déficits excessifs auprès du Conseil par transmission d’un avis et d’une recommandation.

      Le Conseil, pour sa part, a vu sa marge discrétionnaire légèrement érodée par rapport à la lettre du traité. L’article 104 C, paragraphe 11, du traité instituant la Communauté européenne lui donnait la simple possibilité de décider d’appliquer une sanction ; l’article 6 du règlement (CE) 1467/97 relatif à la procédure concernant les déficits excessifs paraît prévoir, quant à lui, une obligation : « lorsque les conditions régissant l’application de l’article 104 C, paragraphe 11 sont remplies, le Conseil décide d’imposer des sanctions ».

      Par ailleurs, en vertu de l’article 11 du règlement précité, la sanction par défaut est désormais le dépôt sans intérêt (18), alors que l’article 104 C du traité ouvrait un choix plus large a priori. Pareillement, si dans les deux années suivant la décision d’imposer un dépôt, le déficit excessif n’a pas, de l’avis du Conseil, été corrigé, le dépôt est « en principe » converti en amende.

      Il demeure qu’un vote à la majorité qualifiée est toujours nécessaire pour déclarer un État membre en déficit excessif, comme pour décider d’appliquer ou d’intensifier des sanctions. Le Conseil reste donc maître de sa décision.

      · Comment ces deux institutions sont-elles susceptibles d’utiliser les marges de liberté qui leur sont laissées par les textes ? Le mécanisme du pacte se révélerait effectivement contraignant si les gouvernements jugeaient que la Commission était susceptible de déclarer « excessif » tout déficit excédant strictement la valeur de référence, ou s’ils en arrivaient à être persuadés que le Conseil appliquerait des sanctions sans états d’âme.

      S’agissant du comportement de la Commission et du Conseil, on ne peut s’empêcher de penser que la volonté d’exercer avec conscience les missions qui leur sont imparties devra se conjuguer avec le désir – non moins honorable – d’éviter à l’Union une crise politique. Car si, jusqu’ici, la mise en œuvre de la procédure des déficits excessifs n’avait qu’une portée réduite en pratique, il n’en sera plus de même après le lancement de la troisième phase de l’UEM.

      L’intervention de la Commission européenne se situe assez largement en amont d’une éventuelle décision de sanction. Or l’objectif prioritaire de la Commission est de favoriser le consensus entre les États membres afin de faire progresser le processus d’intégration européenne. C’est bien la Commission, d’ailleurs, qui, lors des négociations politiques autour du pacte de stabilité proposé à l’origine, en novembre 1995, par M. Théo Waigel, ministre des finances du gouvernement fédéral allemand, a recherché un compromis entre les thèses françaises et les thèses allemandes. Elle pourrait, pour cette raison, hésiter à enclencher une procédure relative à un déficit excessif ou apprécier avec souplesse les possibilités de dépassement des critères.

      Le Conseil, pour sa part, une fois saisi d’une procédure de déficit excessif, sera au cœur de la contradiction essentielle entre l’application stricte et loyale du traité et du pacte, et le souhait de ne pas entraver, à plus long terme, le développement du projet européen. Pour l’État membre concerné, deux options sont alors envisageables : la crise ou le contournement. On pourra, bien entendu, estimer d’abord que l’État provoquant une crise ne respecte pas ses engagements, ensuite qu’une telle crise remettrait en cause la notion même de discipline budgétaire et enfin que le risque d’une sanction sévère infligée par les marchés financiers serait singulièrement accru. Pour improbable qu’elle soit, l’hypothèse de la crise ne peut pourtant être totalement écartée.

      L’option du « contournement », en revanche, pourrait mieux s’accorder aux impératifs de cohésion européenne. Un observateur a pu ainsi évoquer des stratégies de coalition ou de division que pourrait mettre en œuvre un État menacé auprès de ses homologues, afin d’empêcher la réunion de la majorité qualifiée nécessaire (19). Les thèses ainsi développées sont peut-être excessives ; elles ne sauraient cependant, dans leur principe, être écartées.

      C’est donc à la lumière de ces ambiguïtés persistantes que l’on peut réinterpréter une disposition « clair-obscur » du pacte de stabilité et de croissance : celui-ci a « un objectif à la fois préventif et dissuasif » (20). La dissuasion ne provient-elle pas tout autant de ce que son détenteur s’affirme prêt à employer l’arme suprême, que du fait l’on ne sait pas si cette arme sera effectivement employée ?

      Mais si le point de non-retour n’est pas atteint, point n’est besoin de menacer l’adversaire de l’arme suprême. Quelle est donc la valeur intrinsèque de la référence à 3% du PIB ?

b) La valeur de référence retenue pour le déficit des administrations publiques semble avoir été calibrée au plus juste

      Pour la Commission européenne, la question d’un franchissement du seuil de 3% n’a pratiquement plus lieu d’être posée. Dans son Rapport économique annuel pour 1997 (21), elle estimait encore, de façon prudente, que l’objectif à moyen terme d’un solde budgétaire proche de l’équilibre, voire excédentaire, aboutirait à « dégager une marge de manœuvre aux politiques budgétaires pour leur permettre d’absorber les perturbations conjoncturelles, sans que le déficit dépasse 3% du PIB lors de ralentissements conjoncturels « normaux ».

      La formulation est pratiquement reprise mot pour mot dans le huitième considérant du règlement relatif à la procédure des déficits excessifs : l’équilibre budgétaire à moyen terme « permettra de faire face aux fluctuations conjoncturelles normales tout en maintenant le déficit public dans les limites de la valeur de référence de 3% du produit intérieur brut ».

      Une année après, dans son Rapport sur la convergence 1998, la Commission se fait encore plus affirmative : « une situation budgétaire proche de l’équilibre ou excédentaire dans des conditions conjoncturelles normales offre une marge suffisante pour affronter jusqu’aux plus graves perturbations sans s’écarter de la valeur de référence de 3% » (22). Tout au plus concède-t-elle que « dans des circonstances exceptionnelles (prévues par le pacte de stabilité et de croissance), les États membres seront autorisés à dépasser cette valeur » (23).

      Une étude publiée par la direction générale « Affaires économiques et financières » (DG II) de la Commission européenne (24) permet de fonder les écrits de la Commission sur des bases factuelles solides.

      A travers l’étude des soldes budgétaires et des réactions de politique budgétaire, dans les quinze États membres, pendant les récessions survenues au cours de la période 1961-1996, les services de la Commission tentent de déterminer si ces politiques étaient appropriées, au regard (virtuel puisque rétrospectif) des exigences du pacte de stabilité et de croissance en matière de déficit public. En d’autres termes, en ayant suivi ces politiques budgétaires dans le contexte économique d’alors, les États membres auraient-ils pu être passibles d’une procédure de « déficit excessif » si le pacte de stabilité et de croissance avait été en vigueur à l’époque ? Quels enseignements peut-on en tirer vis-à-vis de la vulnérabilité des finances publiques par rapport à la valeur de référence de 3% ?

      · Des 45 épisodes de récession recensés (année où la croissance du PIB en volume est négative), les auteurs commencent par extraire les 30 épisodes de « récession sérieuse », c’est-à-dire marqués par une diminution du PIB en volume supérieure ou égale à 0,75%. Parmi celles-ci, les récessions à caractère « exceptionnel » (diminution du PIB supérieure à 2%) sont au nombre de 7. Afin de travailler sur un échantillon suffisamment fourni, la matière de l’étude est constituée des récessions sérieuses.

      Lors de ces récessions, la plupart des États membres ont vu leur déficit s’aggraver, pour une valeur pouvant atteindre 7% du PIB. Cependant, la Finlande et la Suède, qui ont traversé de 1991 à 1993 la plus grave récession de leur histoire, ont alors enregistré, pour leur part, des déficits publics s’élevant respectivement à 14% et 17% du PIB. En moyenne, sur l’ensemble des États membres, les déficits publics se sont détériorés de quelque 3,5 points de PIB lors de ces récessions.

      Ces évolutions ne sont pas nécessairement le signe d’un relâchement de la politique budgétaire. Le Royaume-Uni (1980-1981)  (25) et le Portugal (1983-1984) pratiquent une politique restrictive : le solde tendanciel (26) est amélioré de 4 points et 6 points de PIB, respectivement. A l’inverse, le gouvernement suédois (1991-1993) estime que la dégradation de la conjoncture est trop brutale et qu’il dispose de suffisamment de marges de manœuvre pour mettre en œuvre une politique résolument contra-cyclique : le solde tendanciel est dégradé de plus de 8 points de PIB. Il reste qu’en moyenne, pour l’ensemble des quinze États membres et durant l’ensemble de la période de récession, le solde tendanciel est resté inchangé : le déficit budgétaire est certes un instrument de politique économique, mais il n’est cependant pas exclusif.

      Cependant, la diversité des réactions, considérées séparément au niveau de chaque État membre concerné, amène les auteurs à poser deux questions nouvelles : la réaction budgétaire des pouvoirs publics a-t-elle changé au cours du temps ? La situation des finances publiques lors du déclenchement de la récession a-t-elle une influence sur la réaction de politique économique ?

      w Les récessions sont concentrées sur trois périodes : 1974-1975, 1980-1982 et 1991-1993. Au cours de la première période, les gouvernements ont accru leur solde tendanciel de 0,5 point de PIB en moyenne, ce qui recouvre cependant des situations contrastées : le Danemark, l’Allemagne, le Luxembourg et l’Italie pratiquent des politiques de soutien à l’activité, tandis que le Royaume-Uni « serre la vis budgétaire » ; la Belgique et le Portugal sont d’abord modérément contra-cycliques ensuite plus sensiblement pro-cycliques. La deuxième période a été marquée par une politique largement partagée de consolidation budgétaire : le solde tendanciel s’est rétracté de 1,7 point de PIB en moyenne. Dans la dernière période, les États très endettés, comme la Belgique ou l’Italie, ont entrepris un resserrement budgétaire très sensible, tandis que la plupart des autres États adoptaient des politiques relativement accommodantes ; les pays nordiques, confrontés à une grave récession, ont un comportement divergent : la Suède pratique une relance massive, alors que la Finlande « laisse filer le déficit » puis revient à une politique restrictive, ramenant ainsi à 0,2 point de PIB la dégradation de son solde tendanciel en fin de période.

      w L’analyse de l’échantillon suggère que les marges de manœuvre offertes par la situation budgétaire l’année précédant la récession ont une influence réelle sur les choix de politique économique. Les États membres dont le déficit et la dette sont ensemble au-dessus de leur moyenne communautaire inclinent à la rigueur : ils tendent à augmenter leurs recettes fiscales et à réduire leur solde tendanciel de 1,2 point de PIB en moyenne. Les Etats membres dont le déficit et la dette sont ensemble au-dessous de leur moyenne communautaire penchent pour des politiques assouplies pendant les récessions : le déficit tendanciel s’accroît de 0,8 point de PIB.

      Après avoir détaillé les composantes de l’ajustement budgétaire, à travers l’évolution des recettes et des dépenses des administrations, les auteurs mettent en évidence un résultat curieux : les politiques budgétaires conduites pendant les récessions ne semblent pas avoir contribué de façon substantielle à l’accroissement de la dette publique sur les trois décennies étudiées. Cette affirmation paradoxale se fonde sur le fait que, en moyenne, les déficits tendanciels primaires, c’est-à-dire hors les charges d’intérêt de la dette publique, n’ont augmenté ni pendant ni immédiatement après les récessions. L’essentiel des « impulsions de dette » proviendrait ainsi de la composante cyclique des déficits et du poids de la dette déjà accumulée.

      En fait, trois groupes d’États peuvent être distingués : ceux pour qui les effets d’une récession sur la dette sont entièrement effacés par les périodes de croissance (27) ; ceux pour qui la dette s’accumule essentiellement pendant les périodes de récession (28) ; ceux pour qui l’accumulation de dette se produit plutôt lors des périodes de croissance (29).

      · L’application rétrospective des dispositions du pacte de stabilité et de croissance en cas de récession « sérieuse » vise à déterminer si, et dans quelle mesure, les cas où il y a présomption de déficit excessif (le déficit public est supérieur à 3%) remplissent les autres conditions permettant de déclarer que le déficit est effectivement excessif (30). Elle repose sur la définition de deux scénarios. Dans le premier, l’évolution budgétaire (31) de l’État membre est étudiée en considérant que le déficit au moment de l’entrée en récession est nul ; dans le second, le déficit initial est pris égal à 2% du PIB. Les résultats sont éclairants :

      – comme cela était prévisible, la probabilité de franchir le seuil de 3% et de remplir les conditions d’un déficit excessif est d’autant plus forte que le déficit initial est élevé ;

      – le risque d’encourir un déficit excessif est très élevé en cas de récession « exceptionnelle » (chute du PIB supérieure ou égale à 2%) ; dans ce cas de figure, un déficit initial de 2% donne une quasi-certitude de connaître un déficit excessif ;

      – presque tous les cas où il y a présomption de déficit excessif (le déficit étant supérieur à 3% l’année de la récession) remplissent les autres conditions nécessaires pour placer l’État concerné en situation de déficit excessif ;

      – un déficit initial nul suffirait à empêcher que les récessions sérieuses limitées à un an ne donnent lieu à un déficit excessif ;

      – en sens inverse, un déficit initial de 2% aurait des conséquences délicates en cas de récession sérieuse : sur la période considérée, près des trois quarts des épisodes récessifs débouchent soit sur un déficit supérieur à 3,5% l’année de la récession (32), soit sur un déficit supérieur à 3% l’année qui suit la récession (33) ; or de nombreux États participant à la troisième phase de l’UEM auront, la première année, des déficits proches ou supérieurs à 2% du PIB ; ils apparaissent ainsi très vulnérables à un éventuel retournement de conjoncture.

      · Après avoir traité des récessions dites « sérieuses », l’étude se penche sur le cas des récessions légères pluriannuelles, ainsi que sur celui des décrochages brutaux par rapport à la tendance (34). Dans les deux cas, l’accroissement des déficits est limité (0,7 point de PIB et 0,3 point de PIB respectivement) du fait de l’ajustement sensible opéré par les autorités sur le solde tendanciel (– 1,1 point de PIB et – 0,9 point respectivement).

      Dans les deux cas, il apparaît également que le risque est faible d’encourir un déficit excessif si le déficit initial est nul. En sens contraire, ce risque est relativement élevé dès que le déficit initial est égal à 2%.

      En définitive, l’expérience des années 1961-1996 suggère que seules des récessions sérieuses sont à même de dégrader les finances publiques à un point tel qu’un déficit excessif soit envisageable.

      S’intéressant enfin à la stratégie de redressement financier après une déclaration de déficit excessif, les auteurs montrent qu’un budget équilibré avant l’entrée en récession permet d’éviter le prononcé d’une sanction et qu’il ne subsiste, dans ce cas, qu’un minimum de situations où une politique d’ajustement plus volontariste est nécessaire… et d’ailleurs suffisante.

      Malgré les lacunes de leur travail qu’ils reconnaissent (35), les auteurs de cette étude éclairent de façon très concrète les difficultés et les enjeux du pacte de stabilité. Leur « projection rétrospective » permet de mesurer le passé à l’aune des contraintes à venir. Cet exercice conforte la validité d’une stratégie d’équilibre à moyen terme et confirme la rigueur sous-jacente au critère de déficit.

      Bornée par un fatidique « 3% du PIB », la politique budgétaire n’est pas dépourvue de possibilités, mais reste en liberté surveillée. Accroître l’efficacité de son rôle régulateur sur la conjoncture n’en est que plus indispensable.

2.– Les capacités régulatrices de la politique budgétaire
nécessitent d’être renforcées

      « Avec la dilution des effets d’éviction financière, les politiques budgétaires nationales auront au sein d’un ensemble monétairement et financièrement intégré une efficacité conjoncturelle accrue ». S’exprimant le 18 mai dernier devant les étudiants de l’Institut d’études politiques de Paris, M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, résumait ainsi d’une phrase un résultat fondamental du modèle de Mundell-Fleming.

      Ce modèle présente une description simplifiée d’une économie ouverte à un seul bien, où les prix et les salaires sont rigides à court terme et où les mouvements de capitaux répondent aux écarts de taux d’intérêt (36). Il constitue le cadre d’analyse privilégié pour juger de l’efficacité conjoncturelle des politiques économiques. Lorsque le taux de change est fixe – et, par extension, lorsque le pays est en régime d’union monétaire avec ses partenaires – l’impact de la politique budgétaire sans accompagnement monétaire (37) dépend du degré de mobilité internationale des capitaux :

      – faible, il empêche tout ajustement de la quantité de monnaie créée ou détruite du fait des échanges extérieurs ; un effet d’éviction financière se manifeste alors par le biais du taux d’intérêt ; ainsi, par exemple, une politique budgétaire expansionniste se traduit par un déficit extérieur, qui engendre une perte de monnaie donc une hausse du taux d’intérêt ;

      – fort, il égalise à tout instant le taux d’intérêt national au taux d’intérêt global prévalant dans la zone d’échanges ; il n’y a pas d’éviction financière et la politique budgétaire peut être efficace ; cette dernière situation est, à l’évidence, celle que connaît l’Europe depuis la libéralisation financière.

      Mais il y a parfois loin de la théorie à la pratique. En particulier – et malgré les différences essentielles qui séparent le SME de l’UEM – l’évaluation du comportement récent des stabilisateurs automatiques en France dans le régime actuel de changes fixes suggère qu’ils se seraient fortement émoussés depuis le début des années quatre-vingt-dix. La question reste posée du caractère temporaire ou permanent d’une telle évolution.

a) Il n’est pas certain que la récente perte d’efficacité des stabilisateurs automatiques en France soit seulement temporaire

      Remarquant que le creusement historique des déficits publics au début des années quatre-vingt-dix en France s’était accompagné d’un renforcement de la balance courante et d’un fort accroissement de la capacité de financement des agents privés au cours de la période 1990-1994, la direction de la prévision a tenté d’analyser l’impact des déficits publics sur la conjoncture. Le résultat, mis à la disposition du public sous forme de document de travail en 1996 (38), vise à comprendre si ces évolutions macroéconomiques doivent simplement être mises au débit d’une récession exceptionnelle ou si la politique budgétaire n’a pas eu toute l’efficacité attendue en termes de stimulation de la demande intérieure (39).

      En fait, le comportement d’épargne des ménages (ou le comportement de consommation, l’un étant le miroir de l’autre) s’est considérablement transformé au début des années quatre-ving-dix. Alors que les analyses théoriques et les évaluations empiriques mettent en avant deux déterminants essentiels du comportement réel des ménages, celui-ci s’est écarté notablement de ce qu’il était possible de prévoir au vu des évolutions enregistrées pour ces déterminants :

      – le revenu disponible, auquel la consommation s’ajuste avec retard, a vu la progression de son pouvoir d’achat sensiblement ralentir après 1990 ; celle-ci est revenue de 3,9% par an en 1990 à 0,3% par an en 1993 ;

      – la hausse des prix, qui stimule l’épargne des ménages par un effet d’encaisses réelles, a elle aussi ralenti sur la période, son rythme annuel diminuant de 3,5% à 2,3%.

      Dans le même temps, le taux d’épargne des ménages (40) augmentait de 11,7% à 13,8%. Tout se passe comme si les ménages n’avaient pas réagi à l’impulsion donnée par la politique budgétaire et s’étaient contenté d’épargner le supplément de revenu distribué par le déficit, empêchant dès lors les multiplicateurs budgétaires de déployer leurs effets.

      Expliquer l’inefficacité manifeste de la politique budgétaire équivaut ainsi à expliquer l’évolution paradoxale du taux d’épargne des ménages.

      Les auteurs commencent par écarter, comme aujourd’hui nombre d’économistes, la solution d’un effet dit « néo-ricardien ». Suivant l’approche néo-ricardienne, les agents économiques ont un horizon temporel infini et ne subissent pas de contrainte de liquidité, arbitrant ainsi librement entre consommation et épargne ; ils fondent leur comportement de consommation sur l’appréciation qu’ils se font de leur revenu permanent, au-delà des fluctuations aléatoires que peut subir leur revenu instantané. Ces agents néo-ricardiens intègrent donc dans leur projet de consommation la contrainte budgétaire intertemporelle due à l’État, tant en dépenses qu’en recettes. Un accroissement du déficit aujourd’hui entraînant nécessairement un accroissement des impôts demain, il ne modifie pas le revenu permanent : le revenu distribué dans l’économie par le déficit est alors épargné par les agents privés pour faire face aux hausses futures d’impôts.

      Or les deux hypothèses fondamentales du modèle ricardien ne sont pas satisfaites : certains agents subissent une contrainte de liquidité ; les horizons temporels sont finis, et la plupart du temps variables selon les groupes sociaux. Par ailleurs, les projets de consommation – ou dans un vocabulaire et une optique plus keynésienne, les propensions à consommer – diffèrent également selon les groupes sociaux. Dans ces conditions, le déficit public peut organiser une intermédiation financière intéressante entre un groupe social prêteur (avec une faible propension à consommer et un horizon temporel lointain) et un groupe social contraint sur sa liquidité (ménages modestes ou en difficulté, petites et moyennes entreprises), caractérisé par une plus forte propension à consommer et un horizon temporel plus rapproché. Cette description répond mieux à la réalité des sociétés contemporaines – et de la société française en particulier – et montre que la politique budgétaire peut y être efficace.

      Il ne semble donc pas que, de façon générale, une hausse du taux d’épargne des ménages puisse être mise en relation directe avec un accroissement du déficit.

      On ne peut pourtant pas exclure, selon les auteurs de l’étude, que le comportement d’épargne ait été affecté dans les années récentes par une sensibilité accrue des ménages aux risques de taxation future. Deux arguments peuvent aller en ce sens :

      – le montant de la dette publique s’est considérablement accru depuis le début des années quatre-vingt, renforçant ainsi la probabilité de relèvement rapide des impôts en cas de dérapage budgétaire ; le poids de la dette a pu contribuer à rétrécir la contrainte budgétaire intertemporelle pesant sur les agents ;

      – la proximité des échéances concernant la participation de la France à la troisième phase de l’Union économique et monétaire, dans un contexte de déficits supérieurs à la norme déterminée dans le traité de Maastricht, a pu justifier la constitution d’une épargne de précaution par une opinion sensibilisée du fait de l’intensité du débat public sur l’union monétaire.

      Les tentatives conduites par les auteurs de l’étude pour corroborer quantitativement, grâce aux ressources de l’économétrie, leurs hypothèses de comportements « non keynésiens » (41) ne donnent pas de résultat probant, concèdent-ils. Tout au plus semblent-elles « apporter un début de confirmation » à de telles conjectures. En revanche, la mise en évidence des comportements « non keynésiens » apparaît très clairement après l’année 1992.

      Les auteurs envisagent ensuite la possibilité que les stabilisateurs automatiques aient pu être contrariés par des effets d’éviction financière. Notons à ce propos que l’effet d’éviction évoqué ici n’a rien à voir avec l’éviction financière « classique » par le taux d’intérêt : l’augmentation du taux d’épargne des ménages compense, en effet, la désépargne des administrations publiques et contribue à stabiliser le taux d’intérêt auquel s’égalisent l’offre et la demande de monnaie. En revanche, les taux d’intérêt observés sur les marchés peuvent incorporer des primes de risque, dont les évolutions ne préjugent pas d’un déséquilibre sur le marché de la monnaie et des titres. Ces variations de taux influent à leur tour sur la consommation, l’épargne et l’investissement.

      Or, justement, les modalités d’entrée dans la troisième phase de l’UEM ont incontestablement renforcé le lien existant entre la dégradation des déficits publics et les tensions sur les taux d’intérêt via les primes de risque. En cas de dérapage par rapport au critère de déficit retenu par le traité de Maastricht, les marchés pouvaient être tentés de croire que le pays concerné ne serait pas en mesure de participer à l’UEM, donc pourrait connaître des perturbations de son taux de change. Comme le notent les auteurs, « l’histoire récente des pays européens a confirmé, par ailleurs, le potentiel de tensions sur les taux que recèle la période de transition vers l’UEM ».

      La diminution spectaculaire des taux d’intérêt en Italie et en Espagne, sous l’impulsion favorable de la diminution des déficits publics ces toutes dernières années, illustre a contrario l’effet d’éviction décrit ci-avant. Plus encore, l’annonce et la mise en place d’un plan de redressement des comptes publics peuvent provoquer une diminution sensible des taux d’intérêt – pour leur partie « prime de risque » – avant même que le plan n’ait produit ses effets.

      L’étude met ainsi en avant deux hypothèses susceptibles d’expliquer la rupture du comportement d’épargne des ménages, toutes deux liées au processus transitoire que constitue la préparation de l’économie française et des finances publiques au lancement de la troisième phase de l’UEM. Même si, dans leur conclusion, les auteurs préviennent que « il serait imprudent d’aller au-delà de simples conjectures », ils estiment finalement que, « une fois l’intégration économique et monétaire réalisée, il ne serait alors pas surprenant que la politique budgétaire retrouve une plus grande efficacité, fût-ce à l’intérieur de marges de manœuvre en apparence moins larges qu’aujourd’hui ».

      « Plus grande efficacité » par rapport à la situation actuelle ne veut pas dire nécessairement « efficacité aussi grande » que ce que l’on connaissait auparavant. Au contraire, certains éléments incitent à penser que les stabilisateurs budgétaires automatiques pourraient être émoussés de façon durable, au-delà de l’influence transitoire de la qualification pour l’euro. La politique économique devrait alors se fixer comme objectif de leur redonner une nouvelle vigueur.

b) Les performances modestes des stabilisateurs automatiques en France doivent inciter à engager des actions structurelles

      · Quelques facteurs d’affaiblissement permanent peuvent être identifiés. En premier lieu, l’influence du niveau de la dette publique a été évoquée ci-avant. A cet égard, les perspectives d’évolution du stock de dette à un horizon de quelques années vont plutôt dans le sens d’une poursuite de la réaction « non keynésienne » des ménages – même si le Gouvernement actuel a engagé les finances publiques sur la voie d’une stabilisation, puis, si possible, d’une diminution, du taux d’endettement public.

      En deuxième lieu, la sensibilité des ménages aux fluctuations du taux d’intérêt réel paraît avoir augmenté depuis le milieu des années quatre-vingt. Ce phénomène va, d’une part, renforcer l’effet d’éviction financière mentionné ci-avant, qui est de nature transitoire. Il va surtout, de façon plus durable, déconnecter un peu plus le comportement de consommation et d’épargne des ménages des évolutions de leur revenu disponible. Très clairement, le mouvement de déréglementation financière engagé au milieu des années quatre-vingt a provoqué une sensibilité accrue de l’arbitrage consommation / épargne aux variables financières, et tout particulièrement aux taux d’intérêt réels à court terme. Certes, l’effet des taux réels est traditionnellement difficile à mettre en évidence dans les évaluations économétriques pratiquées sur des données françaises. Mais il est des phénomènes dont la preuve ne passe pas nécessairement par une analyse globale menée sous un angle macro-économique.

      En dernier lieu, la constitution par les ménages d’une épargne de précaution destinée à les préserver des incertitudes sur le marché du travail apparaît comme un déterminant récent des variations de la consommation des ménages. Par delà même son augmentation, le taux de chômage est devenu plus volatil depuis le milieu des années quatre-vingt. Le marché du travail étant marqué par la précarité, l’emploi est devenu plus sensible aux évolutions conjoncturelles. Malgré les premiers résultats encourageants obtenus par le Gouvernement sur le front du chômage, il est à craindre que les motivations d’une épargne de précaution ne perdurent encore plusieurs années.

      · En fait, force est de constater que les performances des stabilisateurs automatiques sont en France relativement modestes comparées à celles de certains de nos partenaires.

      Non pas que la réaction du budget à la conjoncture soit plus faible qu’ailleurs. Le tableau présenté ci-après montre que la sensibilité du solde budgétaire aux évolutions du PIB est conforme en France à la moyenne européenne. En moyenne, dans l’Europe des Quinze, une diminution de 1 point du PIB conjoncturel (42) entraîne une diminution des recettes publiques à hauteur de 0,4% du PIB et une augmentation des dépenses publiques à hauteur de 0,1% du PIB ; le solde budgétaire se dégrade donc de 0,5% du PIB. La France ne s’écarte de ces chiffres que de façon marginale.

SENSIBILITÉ MARGINALE AU PIB DES RECETTES, DÉPENSES ET SOLDE BUDGÉTAIRE DANS L’EUROPE DES QUINZE (1995)

(en % du PIB)

     

    Sensibilité des recettes
    (A)

    Sensibilité des dépenses
    (B)

    Sensibilité du solde budgétaire
    (C) = (A) – (B)

    Allemagne

    0,4

    – 0,1

    0,5

    Autriche

    0,4

    – 0,1

    0,5

    Belgique

    0,5

    – 0,1

    0,6

    Danemark

    0,5

    – 0,3

    0,7

    Espagne

    0,5

    – 0,2

    0,6

    Finlande

    0,5

    – 0,2

    0,6

    France

    0,5

    – 0,1

    0,5

    Grèce

    0,3

    – 0,1

    0,4

    Irlande

    0,4

    – 0,2

    0,5

    Italie

    0,3

    – 0,1

    0,5

    Luxembourg

    0,4

    – 0,2

    0,6

    Pays-Bas

    0,5

    – 0,2

    0,8

    Portugal

    0,4

    – 0,1

    0,5

    Royaume-Uni

    0,5

    – 0,2

    0,6

    Suède

    0,6

    – 0,2

    0,9

    Europe des Quinze

    0,4

    – 0,1

    0,5

Source : Economic policy in EMU. Part B. Specific topics, DG II - Affaires économiques et financières, Economic papers, n° 125, novembre 1997.

      L’évaluation du degré de stabilisation procuré par ces stabilisateurs est délicate au plan quantitatif. On connaît, bien entendu, les principaux déterminants qualitatifs : l’ouverture internationale de l’économie concernée (43), la taille du secteur public (mesurée par un indicateur représentatif des prélèvements obligatoires) (44), et tous autres phénomènes qui accroissent les « fuites » de monnaie hors du circuit de la production. Ainsi, les « petits » pays nordiques, comparativement très ouverts sur l’extérieur, doivent mettre en place des stabilisateurs budgétaires importants (et endurer, par conséquent, de plus amples fluctuations de leurs finances publiques) pour réaliser le même degré de stabilisation que celui obtenu dans les « grands » pays européens, dont le degré d’ouverture est plus réduit.

      Les estimations récentes de l’effet stabilisant du budget pour un choc conjoncturel donné s’échelonnent entre 20% et 50% pour les États membres de la Communauté européenne comme pour la plupart des autres pays industrialisés. Une étude conduite par l’OCDE en 1993 montre par exemple qu’en moyenne, les fluctuations de la production provoquées par un choc donné sont amorties à hauteur d’environ 25% par les stabilisateurs budgétaires automatiques.

      L’estimation effectuée par la Commission consiste, de façon tout à fait classique, à comparer, pour chaque pays et dans le cadre d’un choc conjoncturel donné (ici une augmentation de 1% de la consommation), la variation de la production lorsque les stabilisateurs sont « bloqués » (45) et la variation de la production lorsqu’ils peuvent fonctionner librement.

DEGRÉ DE STABILISATION PROCURÉ
PAR LES STABILISATEURS BUDGÉTAIRES

      (en %)

     

    Variation de production (stabilisateurs bloqués)

    (A)

    Variation de production (stabilisateurs libres)

    (B)

    Stabilisation absolue

    (C) = (A) – (B)

    Impact des stabilisateurs automatiques

    (D) = (C) / (A)

    Allemagne

    1,38

    0,96

    0,42

    30

    Autriche

    0,96

    0,71

    0,25

    26

    Belgique

    1,02

    0,76

    0,26

    26

    Danemark

    1,09

    0,75

    0,34

    31

    Espagne

    0,99

    0,81

    0,18

    18

    Finlande

    1,33

    0,79

    0,54

    41

    France

    1,21

    0,93

    0,28

    23

    Grèce

    1,09

    0,93

    0,16

    15

    Irlande

    1,51

    1,04

    0,47

    31

    Italie

    1,18

    0,87

    0,31

    26

    Luxembourg

    Pays-Bas

    1,08

    0,76

    0,32

    30

    Portugal

    0,94

    0,77

    0,17

    18

    Royaume-Uni

    1,18

    0,77

    0,41

    35

    Suède

    1,39

    0,86

    0,53

    38

    Europe des Quinze

    1,21

    0,87

    0,34

    28

Source : Economic policy in EMU. Part B. Specific topics, DG II - Affaires économiques et financières, Economic papers, n° 125, novembre 1997.

      Le résultat le plus notable est que, de tous les « grands » pays européens, la France est celui qui a le degré de stabilisation le plus faible, talonné de peu par l’Italie. Il est ainsi loisible de s’interroger sur l’opportunité d’une action contra-cyclique délibérée, qui viendrait compléter la stabilisation insuffisante offerte par les automatismes budgétaires.

      · On ne peut cependant se contenter de ces performances modestes, même si notre jugement ne peut s’appuyer en l’occurrence que sur des éléments très partiels. Pour autant qu’ils adhèrent à l’idée que l’État a un rôle à jouer dans l’économie, y compris dans la régulation des fluctuations consubstantielles au fonctionnement des marchés, l’enjeu pour les responsables politiques consiste à donner aux stabilisateurs automatiques une efficience qui leur fait aujourd’hui défaut.

      Dans le contexte contraint qui sera désormais celui de la politique budgétaire, il convient d’améliorer le rapport coût-efficacité de nos stabilisateurs budgétaires, en agissant sur deux plans :

      – recalibrer le « volume » des stabilisateurs de façon à rester en tout état de cause au-dessous de la valeur de référence posée par le traité de Maastricht ;

      – améliorer l’effet des stabilisateurs, sur la conjoncture, à « volume » donné, de façon à éviter d’avoir recours à une politique expansive délibérée en cas de retournement conjoncturel, qui pourrait conduire la France sur le chemin d’un déficit excessif.

      Cet objectif ambitieux suppose de résoudre des difficultés techniques importantes : notre système fiscal est-il suffisamment progressif ? Notre système d’indemnisation du chômage apporte-t-il une contribution suffisante à la stabilisation par les dépenses (46) ? On voit également les difficultés politiques et sociales qui s’attachent à de telles questions. Pour la seconde, par exemple, il apparaît rapidement que la réduction progressive des « avantages » offert par le régime d’assurance chômage a considérablement réduit l’effet stabilisateur du dispositif. Plus subtilement, la diminution progressive des prestations au fur et à mesure que la durée du chômage augmente induit un effet macroéconomique négatif, le montant des transferts à destination des chômeurs se réduisant au fil du temps (47)

      Des questions comme l’impact de la précarisation du marché du travail sur les stabilisateurs dépenses et recettes mériteraient également d’être étudiées. Le fait que la croissance soit aujourd’hui plus riche en emplois induit, par effet de miroir, qu’une récession sera plus douloureuse en termes de pertes d’emplois. Il est probable que les nouvelles conditions de fonctionnement du marché du travail limitent l’importance du cycle de productivité (48). Or, celui-ci avait une influence reconnue sur l’impôt sur les sociétés. Dans ces conditions, l’effet stabilisant traditionnellement supporté par l’impôt sur les sociétés pourrait désormais être transféré vers l’impôt sur le revenu, voire disparaître en partie si les emplois concernés génèrent des revenus insuffisants pour donner lieu au paiement d’un impôt.

      *

* *

      Soumise aux impératifs du pacte de stabilité et de croissance et confortée – bien qu’encadrée – dans sa légitimité de régulateur de la conjoncture, la politique budgétaire se voit désormais assigner un horizon plus lointain, une dimension temporelle plus évidente. Le cadre de l’exercice annuel se révèle aujourd’hui trop étroit pour que la politique budgétaire puisse se déployer pleinement. Dans ce domaine aussi, un effort de rénovation s’impose aux pouvoirs publics.

3.- La pluriannualité : de la rénovation des conceptions budgétaires
à la refondation de l’action publique

      Par un heureux mouvement, le concept de pluriannualité de la politique budgétaire est revenu récemment sur le devant de la scène, assorti de connotations plus positives qu’auparavant. Il est vrai que, ces dernières années, la pluriannualité était surtout associée aux impératifs de réduction du besoin de financement des administrations publiques. Cependant, n’en déplaise aux adeptes impénitents de « l’État minimum », elle peut également être déployée dans une conception plus « offensive » des finances publiques. La majorité actuelle de l’Assemblée nationale adhère à cette conception et reconnaît à l’État la légitimité d’intervenir dans le domaine économique et social, d’agir en tant que garant de l’intérêt général et de mettre en œuvre les grandes lignes du contrat social qui unit les composantes de la Nation.

      Or, comment l’État peut-il être « stratège » lorsque lui fait défaut la définition précise d’un cadre d’action à moyen terme ? Comment peut-il sélectionner et ajuster les priorités de son action, y affecter les moyens nécessaires et juger de leur efficacité, s’il ne dispose pas d’un outil lui permettant de se projeter dans l’avenir et d’y inscrire des perspectives financières pertinentes ?

      · La pluriannualité s’impose aujourd’hui, clairement, comme le cadre privilégié des choix politiques en matière budgétaire.

      Bien entendu, la dimension contraignante du contexte européen n’a pas disparu avec la décision du Conseil extraordinaire de Bruxelles, le 2 mai dernier, fixant la liste des États membres admis à participer à la troisième phase de l’Union économique et monétaire. Au contraire, la deuxième partie du présent volume a montré la nécessité, au regard des règles du pacte de stabilité et de croissance, d’inscrire les évolutions des finances publiques, donc du budget de l’État, dans une perspective de moyen terme, avec la notion d’ « équilibre financier de moyenne période » que doivent présenter et respecter les États participants dans les programmes de stabilité qu’ils seront tenus de soumettre à la Commission européenne et au Conseil.

      Pareillement, l’ampleur de certains engagements de l’État oblige à raisonner au-delà de la périodisation classique de l’exercice budgétaire. Les travaux préparatoires au débat d’orientation budgétaire du 9 juin 1998 ont identifié les trois principales catégories de charges qui contraignent, à moyen et long terme, l’évolution de la dépense publique : le service de la dette de l’État, les dépenses de personnel (fonction publique et assimilés), les charges de pension. Ces catégories sont, par essence, celles où l’inertie l’emporte sur la souplesse et où l’inflexion ne se conçoit que dans la durée (49). De même, la part croissante des dépenses de l’État ou de sécurité sociale destinées à financer des mécanismes légaux fonctionnant « à guichet ouvert », notamment en matière d’action sociale, rend la dépense publique particulièrement autonome vis-à-vis des décisions discrétionnaires des pouvoirs publics, à législation constante.

      · Force est alors de constater que les outils actuels de la pluriannualité ne répondent plus aux objectifs qui leur avaient été assignés ni aux défis auxquels sont aujourd’hui confrontées les finances publiques.

      Les autorisations de programme, instruments de gestion naturels de la pluriannualité, ont vu leur légitimité contestée. La nécessité de contenir les dépenses publiques et la réfaction corrélative des crédits de paiement ont conduit à la constitution d’un stock d’autorisations de programme inutilisées et progressivement privées de tout lien avec un éventuel engagement de dépenses (50). De plus, la concentration des opérations de régulation budgétaire sur les dépenses en capital, ces dernières années, a perturbé la mise en œuvre des politiques d’investissement, qui sont par nature pluriannuelles.

      Pour leur part, les outils de programmation n’ont pas réussi à s’intégrer à la logique de la procédure budgétaire ni à une vision prospective d’ensemble. Les lois de programme ou les plans, définis à l’article premier de l’ordonnance organique du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances, ont été dépourvus dès l’origine de toute portée budgétaire, de même que les lois de programmation. Il n’est donc pas étonnant que les prévisions de dépenses associées aux lois de programmation aient été si souvent démenties en exécution : à l’inverse de ce que la logique aurait voulu, programmation n’a pas souvent signifié sanctuarisation de la dépense.

      Par ailleurs, il est patent que les tentatives de programmation ont échoué à s’inscrire dans un cadre d’ensemble cohérent, comme le montre un certain foisonnement des lois « d’orientation », « de programme » ou « de programmation » qui ont été adoptées depuis le début des années quatre-vingt-dix. A cet égard, la loi d’orientation quinquennale n° 94-66 du 24 janvier 1994 relative à la maîtrise des finances publiques apparaît plus comme un instrument d’affichage que comme l’outil d’une véritable rationalisation des engagements de l’État en cours à l’époque ou à venir sur la période visée.

      Remarquons enfin que la pratique des budgets de programme, qui était censée à l’origine recentrer la discussion budgétaire sur les actions conduites par les ministères et pas seulement sur les moyens mis à leur disposition, a rapidement perdu de sa substance. Elle est désormais tombée en désuétude.

      · En fait, une réintroduction réussie de la pluriannualité dans la politique budgétaire repose plus sur un engagement politique fort que sur un encadrement juridique étroit.

      La programmation pluriannuelle des finances publiques doit viser préférentiellement à expliciter les contraintes financières auxquelles sont soumis les budgets publics. Elle peut ainsi acquérir tout à la fois une vertu pédagogique – en favorisant l’approfondissement du débat public – et une dimension quasi normative. Une véritable pluriannualité ne se conçoit, en effet, qu’en allouant les moyens dégagés à des objectifs précisément définis : elle ne saurait dériver en un blanc-seing accordé sans précaution aux administrations. Elle suppose un faisceau d’hypothèses économiques et sociales pertinentes à moyen terme, un programme d’actions clairement identifiées, assorties d’indicateurs fiables, et un échéancier de rendez-vous permettant d’ajuster ces actions en tant que de besoin.

      En ce sens, la pluriannualité ne peut s’abstraire des règles essentielles qui fondent notre droit budgétaire. A l’inverse, elle se conjugue nécessairement avec celles-ci. En l’espèce, il ne semble pas que l’on puisse valablement soutenir l’idée selon laquelle la pluriannualité priverait le Parlement de son pouvoir souverain de consentir annuellement à l’impôt et de déterminer les domaines d’action de l’État. Le débat parlementaire, au contraire, trouverait plus à s’épanouir dans la discussion des grandes orientations à donner aux finances publiques, sur des programmes précis et des engagements quantifiés, par grandes catégories de dépenses, que dans les discussions technico-politiques de relatif détail.

      Ainsi, la programmation pluriannuelle des finances publiques n’est pas incompatible avec l’annualité de la discussion budgétaire, moment essentiel et fondateur de la vie démocratique.

      Cette approche nouvelle ne pourra cependant réussir que si l’État remanie profondément ses modes de gestion, ses modalités d’intervention, ses relations internes, vis-à-vis de ses agents, et externes, vis-à-vis des citoyens. L’introduction des « centres de responsabilité » en 1989, la mise en place des « contrats de service » à partir de 1996, ont représenté des étapes importantes dans un processus de rénovation des modes de gestion publique. Cependant, ils ne peuvent être considérés comme un aboutissement.

      Il faut donc se féliciter des orientations qui ont été définies depuis quelques mois par le Gouvernement, tendant à introduire une dimension pluriannuelle dans la gestion publique. La décision la plus importante, à cet égard, est la circulaire du Premier ministre du 3 juin 1998 relative à la préparation des programmes pluriannuels de modernisation des administrations. Dans un document unique élaboré au niveau de chaque département ministériel, les ministres devront présenter leurs grandes orientations stratégiques et les évolutions envisagées à moyen terme, tant pour les services centraux ou déconcentrés que pour les établissements sous tutelle. La circulaire indique également que la mise en œuvre du programme pourra donner lieu à une contractualisation, préparée en 1999 pour la période 2000-2002, pour ce qui concerne les effectifs et les crédits de fonctionnement.

      Transformer la gestion publique, c’est aussi refonder l’action publique. C’est à cette condition que pourra être affermie la confiance des citoyens dans leur administration et dans la légitimité de l’action de l’État au quotidien, que les assauts répétés des idéologies ultralibérales ont tenté d’ébranler au cours des dernières années.

      En juin 1997, pourtant, la majorité du pays a récusé la fatalité prétendue d’un État impotent. Elle doit savoir donner à celui-ci un horizon plus vaste, plus profond, pour concrétiser, dans la durée, le contrat de croissance, de solidarité et de justice qui la lie au peuple français.

      *

* *

      Des modalités de l’assainissement budgétaire à la refonte des mécanismes de stabilisation automatique, il apparaît que les perspectives sont largement ouvertes, dans le cadre d’une pluriannualité rénovée, pour un redéploiement des objectifs structurels de la politique budgétaire.

      Cependant, il serait erroné de croire que celle-ci peut rester limitée au cadre rassurant du champ national. L’application, même bien comprise, du principe de subsidiarité ne préservera pas la politique budgétaire d’une « communautarisation » accrue. Coopération et harmonisation sont deux nouvelles lignes directrices qu’il conviendra de prendre en compte dans la définition des orientations futures de nos finances publiques.

CHAPITRE II

LA COOPÉRATION ET L’HARMONISATION DES POLITIQUES BUDGÉTAIRES ET FISCALES : UNE RÉPONSE A L’INTÉGRATION ÉCONOMIQUE ET MONÉTAIRE DE L’EUROPE

A.- COORDINATION DES POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET « FÉDÉRALISME BUDGÉTAIRE »

1.- La nécessité d’une convergence des politiques budgétaires

a) Les risques d’une absence de coopération
entre les Etats participant à l’euro

      · Les dangers d’une absence de coopération entre les Etats membres de l’Union européenne s’agissant des politiques budgétaire et économique se sont très largement manifestés depuis 1993. L’Europe a en effet enregistré des performances qui se comparent très désavantageusement à celles des Etats-Unis. Les quinze ont connu une croissance faible qui a conduit à un maintien du chômage à des niveaux moyens élevés, supérieurs à 11% de la population active, alors même que la durée du chômage ne cessait de s’accroître. A l’inverse, quel que soit le jugement que l’on porte sur la nature des emplois créés, les Etats-Unis ont connu une décrue massive du chômage, celui-ci passant de près de 8% en 1992 à environ 5% en 1997.

      Dans le même temps, le déséquilibre des finances publiques en Europe a été très profond, tant en raison de la faible croissance que de taux d’intérêt élevés accroissant la charge de la dette. Le rétablissement ne s’est fait que progressivement et n’est pas terminé, alors que la forte croissance américaine a permis une résorption rapide des déficits budgétaires.

      Sur les origines de ces divergences profondes entre économies nord-américaines et européennes, il existe un consensus assez large chez les économistes (51). L’écart constaté en Europe par rapport au sentier de croissance potentielle résulterait très largement d’une absence de stratégie de coopération économique face au choc asymétrique de la réunification allemande. Une forte différence de conjoncture s’est alors manifestée entre la plupart des Etats membres, connaissant un ralentissement de l’activité économique, et la surchauffe allemande, combattue par une politique monétaire restrictive de la Bundesbank. Le choix alors fait en France d’un maintien des parités a conduit à une très forte hausse des taux d’intérêt et à une détérioration des finances publiques. Ces choix de politiques nationales n’ont pas été concertés et il n’a pas été possible d’infléchir les politiques monétaires dans un sens plus accommodant. Les dangers d’un fossé profond entre les progrès remarquables de l’intégration des économies européennes et l’insuffisance des institutions politiques au niveau communautaire ont ainsi été mis très crûment en lumière.

      · Or, la réalisation de l’euro n’exclut pas la possibilité de nouveaux chocs asymétriques en Europe.

      Si un événement de l’importance historique de la réunification allemande n’intervient que très exceptionnellement, il n’en reste pas moins que le risque de tels chocs persiste. Les conjonctures économiques de « grands » pays étant dans l’ensemble proches, à l’exception du Royaume-Uni, dont le cycle est toujours décalé, mais qui ne participe pas encore à l’euro, ce sont plutôt les « petits » pays, aux économies plus spécialisées, qui sont menacés d’un décrochage éventuel (52).

      Un des avantages de la politique monétaire unique est de conduire à une prise en compte des besoins de l’ensemble des Etats membres via une souveraineté partagée. Il n’en reste pas moins que le système mis en place exclut par définition tout ajustement par le taux de change pour un pays connaissant une crise spécifique. Mais, contrairement aux Etats-Unis, l’Europe ne dispose pas de mécanismes de transferts se substituant aux variations de change pour stabiliser les conjonctures locales. Les fonds structurels ne peuvent, loin s’en faut, être assimilés à un instrument budgétaire « fédéral » et la mobilité des personnes reste faible, notamment en raison des barrières linguistiques. Le pacte de stabilité ne permettant de laisser jouer les stabilisateurs automatiques que de façon relativement limitée, la principale variable d’ajustement resterait le chômage. Une poussée massive de ce dernier dans un ou des pays connaissant une récession spécifique conduirait à des tensions politiques extrêmement vives.

b) La réalisation de l’union monétaire offre une opportunité pour l’utilisation raisonnée de l’outil budgétaire

      · L’instauration du pacte de stabilité et de croissance impose désormais une limite à l’utilisation des déficits publics, rendue nécessaire par le besoin d’édicter un code de bonne conduite entre partenaires d’une zone monétaire unique. Le respect des critères relatifs aux déficits publics et à la dette publique figurant en annexe du traité instituant la Communauté européenne est indispensable pour éviter qu’un ou plusieurs Etats membres ne laissent déraper leurs finances publiques en en faisant payer le prix en termes de hausse des taux d’intérêt à leurs partenaires.

      Si les règles comprises dans le pacte visent à assurer ce respect, éventuellement au moyen de sanctions, elles ne constituent pas pour autant un carcan irréductible, comme on l’a vu dans le chapitre premier ci-dessus. Une marge de manoeuvre existe bien dans le dosage des déficits publics jusqu’aux fameux 3%. Tel est le sens des recommandations de la Commission européenne et des efforts suivis par les Etats membres : bénéficier de finances saines en période de croissance pour pouvoir aborder dans de bonnes conditions les retournements de conjoncture, toujours possibles.

      D’ailleurs, le règlement concernant la surveillance et la coordination des politiques économiques précise bien que l’application des sanctions n’est pas automatique (53). Le dépassement du critère de 3% du déficit public peut être considéré comme exceptionnel et temporaire s’il résulte d’une circonstance inhabituelle indépendante de l’Etat concerné ou s’il est consécutif à une grave récession économique (soit une baisse annuelle du PIB en termes réels d’au moins 2%). De plus, même si la baisse du PIB est inférieure à 2%, le Conseil n’est pas tenu d’appliquer des sanctions s’il juge que la situation présente un caractère exceptionnel.

      · Dans la mesure où ni la flexibilité du taux de change, ni la mobilité du travail ne sont possibles ou suffisantes, c’est la politique budgétaire qui est appelée à jouer un rôle essentiel pour la stabilisation face aux chocs asymétriques. Or, l’instauration de l’union monétaire change fondamentalement les conditions de son utilisation. L’ouverture des pays de la zone euro à l’international est certes forte, mais elle résulte avant tout des échanges intracommunautaires (54). D’une certaine manière, le degré d’ouverture extérieure de l’Union européenne est comparable à celui des Etats-Unis, tandis que l’interdépendance des économies des Etats membres est de plus en plus grande. Il en résulte une relative autonomie de la zone euro, qui pourrait être mise à profit pour une utilisation efficace de l’outil budgétaire.

      Si les économies européennes sont presque aussi interdépendantes que celles des Etats américains, force est de constater que les institutions capables d’opérer une régulation macro-économique à l’échelle de ce grand marché intégré sont encore embryonnaires.

2.- Quelles méthodes et quels instruments de coordination ?

      L’utilisation de l’outil budgétaire apparaît souhaitable afin d’élaborer un dosage de politiques économiques équilibré, ne reposant pas uniquement sur la politique monétaire définie par la Banque centrale européenne (BCE). Il reste d’abord à déterminer quelles doivent être les méthodes de convergence budgétaire – coordination renforcée ou « fédéralisme budgétaire » – et ensuite, à renforcer les instruments institutionnels permettant l’élaboration de politiques concertées ou communes en la matière.

a) Un fédéralisme budgétaire introuvable

      La relative similitude des situations européennes et américaines induirait à penser qu’une orientation fédérale serait naturellement le nécessaire et inévitable prolongement de l’UEM. En effet, dans une union monétaire disposant d’un budget fédéral, en cas de choc particulier touchant l’un des Etats, l’ensemble des partenaires participe au rétablissement économique de celui qui connaît des difficultés. Ainsi, lorsqu’un Etat américain est touché par une catastrophe naturelle par exemple, le budget fédéral est contraint d’investir massivement pour la reconstruction, entraînant généralement une forte expansion bénéficiant à l’ensemble des partenaires.

      Malgré des similitudes en termes d’imbrication des économies et de degrés d’ouverture extérieure, les situations de l’Union européenne et des Etats-Unis ne sont pas identiques. Ainsi, en raison des barrières linguistiques et culturelles, la mobilité des travailleurs est infiniment moins grande.

      Surtout, il n’y a aucune comparaison possible entre l’ampleur des capacités d’intervention du budget fédéral américain et celles du budget communautaire, ne serait-ce que parce que ce dernier doit, en application des traités, être voté en équilibre. Certes, le budget communautaire est avant tout un budget d’intervention et les actions structurelles constituent près de 38% des dépenses totales, jouant un rôle certain en faveur du rééquilibrage des niveaux de développement entre les différentes régions. Toutefois, par sa taille, le budget communautaire n’est pas actuellement en mesure d’être un instrument réellement efficace. On rappellera à cet égard que le plafond des ressources propres et, par voie de conséquence, des dépenses, est fixé à 1,27% du PIB communautaire pour 1999.

      Pour acquérir une « masse critique », le budget communautaire devrait donc être sensiblement accru. Tel n’est cependant pas le chemin pris récemment. En raison des efforts considérables consentis par les Etats membres pour respecter les critères de convergence en vue de participer à la première vague de l’euro, la tendance a été ces dernières années à une stabilisation des dépenses communautaires. La revendication allemande d’une limitation de sa contribution nette illustre par ailleurs le contrôle étroit que les Etats membres veulent maintenir sur leur participation financière aux actions communautaires. L’accroissement des ressources du budget communautaire nécessiterait soit une augmentation importante de la pression fiscale, qui n’est pas à l’ordre du jour, soit, à prélèvements obligatoires constants, le transfert au niveau communautaire de ressources fiscales et de missions relevant actuellement des Etats membres. On mesure aisément qu’une telle piste, si elle peut être d’avenir, n’est guère réalisable à court et moyen terme. L’idée d’un « fédéralisme budgétaire » ne peut donc guère constituer une solution en vue d’une revalorisation de l’outil budgétaire.

b) Les instruments d’une coopération budgétaire renforcée

      · En matière de coopération économique et budgétaire, les économistes distinguent traditionnellement la coordination par la règle de la coordination discrétionnaire.

      La première consiste à mettre en place un ensemble d’institutions et d’élaborer de grandes règles, assorties de procédures visant à assurer le respect de ces dernières. Dans une large mesure, la coordination par la règle a été la principale méthode utilisée récemment pour la construction communautaire, notamment en matière monétaire. Ainsi, la définition de critères de convergence en vue de la réalisation de l’union économique et monétaire, l’instauration d’une banque centrale indépendante et l’adoption du pacte de stabilité et de croissance participent du même esprit de coordination par la règle.

      Inversement, la coordination par le biais d’interventions discrétionnaires est demeurée limitée. Cette dernière peut être ainsi définie : « la coordination stratégique, celle qui exploite l’interdépendance, reposera plutôt sur la capacité des gouvernements à exercer leur politique discrétionnaire de façon conjointement organisée » (55). L’auteur de cette définition note que cette forme de coordination est beaucoup plus difficile à mettre en oeuvre, car elle suppose une volonté commune d’aboutir qui doit être maintenue dans la durée. Elle consiste en fait à élaborer en commun un ensemble de politiques communes fondé sur l’utilisation, au besoin différenciée, des instruments de politique économique qui restent à la disposition des Etats membres. Le traité n’ignore pourtant pas cette forme de coopération. Ainsi, la définition des grandes orientations de politiques économiques des Etats membres et de la Communauté, prévue par l’article 103, aurait pu fournir un cadre naturel à l’élaboration de politiques communes. Force est cependant de constater que dans les faits, ces grandes orientations sont rédigées de façon plutôt vague et imprécise et n’engagent pas véritablement les Etats membres dans leur exécution. La relative monotonie de cette procédure a d’ailleurs été soulignée par certains ministres lors du Conseil Ecofin du 5 juin dernier portant sur ces grandes orientations, lesquelles ont été formellement adoptées lors du Conseil européen de Cardiff les 15 et 16 juin dernier.

      Si une revitalisation de la procédure de l’article 103 du Traité est toujours concevable, il n’en reste pas moins que la réalisation de l’UEM impose désormais qu’une coordination plus développée et plus souple soit mise en oeuvre, afin notamment de réagir à des retournements de conjoncture ou à des événements que le simple respect des règles visant à la stabilité des prix ne permet pas de prendre en considération.

      · La réorientation de la coordination des politiques économiques et budgétaires implique en fait que toute sa place soit véritablement donnée au politique. Elle nécessite aussi une diversification de la coordination à des secteurs de politique économique jusqu’ici négligés.

      A cet égard, le Conseil européen extraordinaire de Luxembourg sur l’emploi de novembre 1997 a permis d’anticiper, largement à l’initiative de la France, sur l’entrée en vigueur du nouveau chapitre sur l’emploi du traité d’Amsterdam. Ainsi, il a été décidé de mettre en oeuvre les lignes directrices pour l’emploi. Dix-neuf lignes directrices pour l’emploi en 1998 ont été définies et visent à mobiliser l’ensemble des politiques communautaires au service de l’emploi et à coordonner les politiques de l’emploi des Etats membres, sur la base d’orientations communes. Elles sont organisées autour de quatre axes principaux : l’amélioration de la capacité d’insertion professionnelle, le développement de l’esprit d’entreprise, l’encouragement de la capacité d’adaptation des entreprises ainsi que des travailleurs pour permettre au marché du travail de réagir aux mutations économiques et le renforcement des politiques d’égalité des chances. On le voit, l’approche est globale, complétant ainsi la mise en place d’un cadre macro-économique favorable à la croissance.

      La mise en oeuvre de ces lignes directrices s’est concrétisée avec l’élaboration, par chacun des Etats membres, de plans nationaux pour l’emploi qui feront l’objet d’une évaluation à chaque réunion du Conseil européen de décembre. Toutefois, pour 1998, les Etats membres ont été invités à soumettre au plus tôt leur premier plan national d’action pour l’emploi à la Commission européenne et au Conseil, afin que l’examen pût avoir lieu lors du Conseil européen de Cardiff de juin dernier.

      Par-delà cette nouvelle procédure, c’est cependant la mise en place du Conseil de l’euro qui est porteuse des plus grandes espérances en matière de convergence des politiques économiques.

      La résolution sur la croissance et l’emploi adoptée lors du Conseil européen d’Amsterdam avait notamment fixé pour objectif de développer le pilier économique de l’Union. La France avait alors manifesté sa volonté d’un renforcement d’un véritable « pôle économique » parallèlement à la mise en place du pôle monétaire constitué par le SEBC.

      Cette volonté a reçu une traduction substantielle lors du Conseil européen de Luxembourg de décembre 1997, avec l’adoption d’une résolution sur la coordination des politiques économiques au cours de la troisième phase de l’UEM (56).

      Partant du constat que le renforcement de la coordination des politiques menées par les Etats membres participant à la zone euro constitue un élément déterminant pour la réussite de l’UEM, le Conseil européen a tout d’abord exprimé sa volonté de faire des grandes orientations des politiques économiques un instrument efficace au service d’une convergence soutenue entre les Etats membres. Cette amélioration suppose qu’il soit donné un caractère plus concret à ces grandes lignes, qui devraient être davantage « axées sur des mesures destinées à améliorer le potentiel de croissance des Etats membres, augmentant ainsi l’emploi ».

      Surtout, la résolution a autorisé la constitution du Conseil de l’euro. Elle dispose en effet que : « les ministres des Etats participant à la zone « euro » peuvent se réunir entre eux de façon informelle pour discuter des questions liées aux responsabilités spécifiques qu’ils partagent en matière de monnaie unique. La Commission ainsi que, le cas échéant, la Banque centrale européenne (BCE), sont invitées à participer aux réunions. »

      Cette création n’a pu être obtenue que grâce à une double concession. Pour répondre à la volonté manifestée par l’Allemagne de conserver tout son rôle au Conseil Ecofin, il est réaffirmé que ce dernier est au coeur de la coordination économique des Etats membres et qu’il est seul habilité à statuer dans les domaines concernés. Par ailleurs, le Royaume-Uni, conscient de l’enjeu politique que représentera le Conseil de l’euro, a obtenu qu’il soit mentionné que « chaque fois que des questions d’intérêt commun sont concernées, elles sont discutées par les ministres de tous les Etats membres ».

      Le Conseil de l’euro, ou Euro 11, s’est réuni à deux reprises jusqu’à présent. Sa réunion du 6 juillet dernier a été l’occasion de débats sur l’utilisation des recettes budgétaires supplémentaires. D’ores et déjà, cette instance informelle est un lieu de débat qui compte et cette tendance ne devrait pas se démentir.

      Votre Rapporteur général a toujours estimé nécessaire un rééquilibrage politique et économique au sein de l’UEM, afin que la BCE ne soit pas le seul organe réellement décisionnel. Au-delà de la nécessité de donner une légitimité politique à l’euro, il y a là une question qui touche au bon fonctionnement même de l’UEM. La crédibilité de la politique monétaire suivie par la BCE dépendra en effet du dialogue qu’elle entretiendra avec les autres institutions et de sa capacité à mettre en œuvre une politique monétaire à même de répondre aux orientations de politique économique définies par ceux dont la légitimité procède du suffrage universel. Rien ne serait plus périlleux, pour tout le monde, qu’elle soit coupée des gouvernements et de l’opinion publique.

B.- UNE NÉCESSAIRE, MAIS DIFFICILE, HARMONISATION DES FISCALITÉS

1.- L’avènement de l’euro rend encore plus souhaitable une coordination approfondie en matière fiscale

a) Des niveaux et des structures des prélèvements obligatoires
extrêmement variés

      Tant pour des raisons historiques que pour des raisons de différences de développement économique, les niveaux et la structure des prélèvements obligatoires au sein de la Communauté européenne sont caractérisés par une forte diversité.

      Si les données pour 1997 ne sont pas encore toutes disponibles, elles n’en confirment pas moins que les écarts entre Etats s’agissant du poids des prélèvements obligatoires restent très importants, allant d’un minimum de 34,5% du PIB au Portugal à un maximum de 53,3% en Suède.

      L’hétérogénéité des situations est également patente si l’on prend en compte la structure même de ces prélèvements, notamment en raison des différences concernant les prélèvements sociaux (fiscalisation et/ou cotisations assises sur les salaires).

      La réalisation de l’euro, comme en bien d’autres domaines, rendra ces différences plus immédiatement perceptibles par les acteurs économiques, qu’il s’agisse des entreprises ou des ménages. L’euro va donc être l’instrument d’une intensification de la concurrence au sein de la Communauté et cette concurrence portera naturellement sur le domaine fiscal.

    LES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES DANS LES PAYS INDUSTRIALISÉS

    (en % du PIB)

    Pays

    1987

    1988

    1989

    1990

    1991

    1992

    1993

    1994

    1995

    1996

    1997 (2)

    France 44,5 43,8 43,7 43,7 43,9 43,7 43,9 44,1 44,5 45,7 46,1
    Allemagne (1) 38,0 37,7 38,2 36,7 38,2 39,0 39,0 39,2 39,2 38,1 37,5
    Belgique 46,6 45,2 43,6 44,0 44,1 44,3 44,9 46,0 46,0 46,0 46,5
    Danemark 51,5 51,7 50,7 48,7 48,8 49,2 50,4 51,9 51,4 52,2 ND
    Espagne 32,3 32,5 34,4 34,2 34,5 35,6 34,7 34,7 34,0 33,7 35,3
    Grèce 37,2 33,8 33,5 37,1 37,6 39,0 39,5 40,2 40,8 40,6 ND
    Irlande 37,4 38,7 35,2 34,8 35,2 35,4 35,4 36,1 33,8 33,7 34,8
    Italie 36,1 36,8 37,9 39,2 39,7 42,1 43,8 41,7 41,3 43,2 44,9
    Luxembourg 44,5 43,1 42,1 43,4 42,6 41,8 43,9 44,3 44,1 44,7 45,6
    Pays-Bas 47,5 47,6 44,9 44,6 47,2 46,8 47,5 44,7 43,8 43,3 43,4
    Portugal 27,5 29,9 30,6 30,9 32,2 34,4 32,4 33,8 34,9 34,9 34,5
    Royaume-Uni 36,6 36,9 36,3 36,5 35,6 35,1 33,5 34,5 35,6 36,0 35,3
    Suède 55,4 54,8 55,5 55,6 53,7 51,0 50,1 50,8 49,5 52,0 53,3
    Moyenne UE 15 41,1 41,2 40,7 41,0 41,4 41,8 41,9 42,2 41,8 42,4 ND
    Etats-Unis 27,1 26,9 27,0 26,7 26,8 26,7 27,0 27,5 27,9 28,5 ND
    Japon 29,7 30,3 30,7 31,3 30,8 29,2 29,1 27,8 28,5 28,4 ND
    Ensemble OCDE 35,9 35,9 35,9 36,1 36,6 36,9 37,3 37,5 37,3 37,7 ND
    (1) Allemagne unifiée à partir de 1991.
    (2) Chiffres provisoires.

    Source : Ministère de l’économie, des finances et de l’industrie d’après les statistiques des recettes publiques des pays membres de l’OCDE 1965-1997.

    STRUCTURE DES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES (1997)

    (en % du PIB)

    Pays

    Impôts sur le revenu

    Impôts sur le bénéfice des sociétés

    Sécurité sociale

    Impôts sur les salaires à la charge des employeurs

    Impôts sur le patrimoine

    Impôts sur les biens et services

    Autres

    Total

    France 14,8 4,5   41,6 2,3 5,5 27,2 4,1 100
    Allemagne 23,2 4,7   41,6 - 2,8 27,7 - 100
    Belgique     38,7 (2) 31,8 - 2,8 26,6 - 100
    Danemark (1) 53,3 4,6 60,3 (2) 3,1 0,4 3,3 32,7 0,2 100
    Espagne 22,5 7,5   35,1 - 5,7 29,0 0,3 100
    Grèce (1) 12,3 6,4 22,4 (2) 30,5 0,7 3,4 42,9 - 100
    Irlande 31,0 10,1   12,8 1,1 5,4 39,6 - 100
    Italie 29,8 6,5 36,3 (2) 33,5 0,2 5,1 24,8 - 100
    Luxembourg 20,7 19,0   25,8 - 7,9 26,7 - 100
    Pays-Bas 15,7 10,5   40,7 - 4,6 28,0 0,5 100
    Portugal 17,9 10,9   25,9 - 2,4 42,1 0,8 100
    Royaume-Uni 25,8 11,2   17,0 - 10,8 35,2 - 100
    Suède 34,1 6,3   29,8 3,2 3,9 22,5 0,2 100
    Moyenne UE (1) 26,8 7,3 34,7 (2) 28,9 0,9 4,2 30,8 0,5 100
    Etats-Unis (1) 37,7 9,5   24,7 - 11,0 17,2 - 100
    Japon (1) 20,0 16,6   36,5 - 11,3 15,4 0,2 100
    Ensemble OCDE (1) 27,5 8,3   25,1 0,8 5,4 32,5 1,1 100
    (1) Chiffres 1996 (1997 non disponibles).
    (2) Comporte certaines rubriques non ventilables ; les chiffres en italique donnent un ordre de grandeur.

    Source : Ministère de l’économie, des finances et de l’industrie, d’après les statistiques des recettes publiques des pays membres de l’OCDE 1965-1997.

b) Les risques inhérents à une concurrence fiscale non maîtrisée

      L’existence d’une monnaie unique permettant d’effectuer des comparaisons instantanées renforcera la possibilité de délocalisations d’activités pour des raisons fiscales, même si ce dernier facteur n’est pas le seul déterminant de leur implantation. L’OCDE note ainsi que les mutations de la technologie, notamment dans l’information, les communications et les transports, ainsi que la libéralisation des transactions commerciales et financières, ont accru la mobilité géographique des bases d’imposition (57). Ainsi, les activités industrielles et commerciales peuvent être transférées dans des pays à fiscalité réduite, tandis que les actifs financiers peuvent être détenus sur une place extra-territoriale.

      La concurrence n’est pas en soi nuisible, même en matière fiscale. Elle peut contribuer à faire diminuer des charges fiscales trop élevées. Certains gouvernements, notamment celui du Royaume-Uni, ont ainsi une attitude très réservée face aux politiques d’harmonisation fiscale. Ils font valoir que le jeu du marché doit aussi s’appliquer aux facteurs fiscaux pour assurer une bonne allocation des ressources.

      Pourtant, même l’OCDE s’est inquiétée des conséquences d’une concurrence fiscale non maîtrisée. En effet, la menace pesant sur les bases d’imposition peut se traduire par un système fiscal faussé. Toutes les bases d’imposition n’ont pas la même mobilité, de sorte qu’en cas de concurrence fiscale, il se produit un déplacement de la charge fiscale vers les facteurs les moins mobiles. Or, les capitaux étant très mobiles, le fardeau fiscal a tendance à frapper davantage le facteur travail, et par voie de conséquence, à faire augmenter le chômage. Cette situation a conduit à l’adoption d’un rapport du Comité fiscal de l’OCDE, visant à mettre au point des mesures pour limiter les distorsions introduites par la compétition fiscale dommageable dans les décisions d’investissement et de financement (58).

      Il traite des pratiques fiscales dommageables qui prennent la forme de paradis fiscaux et de régimes fiscaux préférentiels dommageables dans les pays membres de l’OCDE et les pays non-membres, ainsi que dans leurs territoires dépendants. Il est centré sur les activités géographiques mobiles telles que les activités financières et autres prestations de services.

      Le rapport définit en outre les facteurs à utiliser pour identifier les pratiques fiscales dommageables et se poursuit par la formulation de dix-neuf recommandations de large portée destinées à lutter contre de telles pratiques.

      Le Comité préconise notamment :

      – l’établissement de principes directeurs sur les régimes fiscaux préférentiels dommageables ;

      – la création d’un forum sur les pratiques fiscales dommageables ;

      – l’établissement d’une liste de paradis fiscaux ;

      – un certain nombre de recommandations d’action au niveau de la législation nationale et des conventions fiscales.

      Outre le danger d’une aggravation du chômage et de distorsions fiscales contraires aussi bien à l’équité qu’à l’efficacité, la concurrence fiscale présente le risque d’un « moins disant fiscal » conduisant à une contraction des recettes fiscales. Si tous les Etats cherchent à attirer la base imposable et suivent des comportements non coopératifs, à la limite les taux tendent vers zéro pour les facteurs délocalisables. Le risque est dès lors très grand d’une insuffisance de recettes pesant fortement sur le niveau des services collectifs.

c) L’harmonisation, seule voie raisonnable

      · Le rejet d’une concurrence fiscale comme facteur de convergence « par le bas » des fiscalités des différents Etats membres ne signifie cependant pas que la voie à suivre soit une uniformisation stricte des fiscalités.

      Cette perspective paraît, en tout état de cause, quelque peu irréaliste. On remarquera en effet que rien dans les traités ne conduit à un espace fiscal européen uniforme. Bien au contraire, un choix a été fait, consistant à préserver la plus grande souveraineté nationale compatible avec l’intégration complète des marchés. La fiscalité répond en effet à des exigences de financement d’un ensemble de consommations collectives et de services publics qui demeure, pour l’essentiel, à la discrétion des Etats membres car étroitement dépendant de facteurs nationaux (tradition plus ou moins interventionniste, niveau de l’acquis et des exigences du corps social). Par ailleurs, les options en matière de redistribution des revenus restent des choix de politique nationale. Le principe de subsidiarité joue là tout son rôle et l’on voit mal dans un horizon proche comment le Parlement européen pourrait se substituer aux parlements nationaux pour définir des choix de fiscalité - qui sont aussi des choix de société. Le principe séculaire qui lie imposition et représentation impose que les spécificités nationales soient respectées.

      Cette considération institutionnelle et politique est d’ailleurs renforcée par le fait que l’acceptation d’un impôt, sa légitimité démocratique, est essentielle pour son bon recouvrement. Un transfert brusqué à l’échelon communautaire pourrait ainsi se montrer contre-productif.

      · La voie de l’harmonisation fiscale apparaît ainsi comme la seule solution réaliste pour faire face à l’imbrication croissante des économies européennes. Cette harmonisation peut être définie « non pas comme la détermination d’un système optimal au regard d’un seul objectif bien précis, mais comme la recherche du meilleur compromis possible entre les impératifs économiques dictés par l’intégration, d’une part, et les exigences d’autonomie des Etats membres en matière de choix fiscaux, d’autre part » (59).

      Le but de cette harmonisation est de concilier la plus grande souveraineté des Etats membres en matière fiscale tout en minimisant les distorsions géographiques résultant des différences de fiscalité.

      Ce principe étant posé, il est certain que l’impératif d’harmonisation n’a pas une force identique selon les types d’imposition.

      De fait, l’harmonisation des fiscalités a progressé très inégalement selon qu’il s’agisse de fiscalité directe ou indirecte. Ainsi, l’harmonisation en matière de TVA a considérablement progressé depuis l’adoption de la première directive TVA en 1967, alors qu’en matière d’impositions directes, les résultats sont encore pour le moins timides.

      Ainsi, aucune mesure de coordination particulière n’a été prise s’agissant de l’impôt sur le revenu. Tout d’abord, l’impact des différences d’imposition n’entraîne pas d’accroissement sensible de la mobilité des personnes. Ensuite, il s’agit d’un impôt particulièrement sensible du point de vue politique, qui doit reposer sur une légitimité démocratique forte.

      S’agissant de l’impôt sur les sociétés, les divergences en matière d’imposition peuvent avoir un impact sur la localisation des investissements. Il convient toutefois de remarquer que d’autres facteurs interviennent dans ce choix de localisation (coût et qualification de la main-d’oeuvre, qualité des infrastructures...). Les effets de la concurrence fiscale sont donc relativement limités, même si une certaine coordination paraît nécessaire pour éviter toute surenchère ponctuelle à la baisse, lorsque l’implantation d’une société de grande taille est en jeu à un moment donné et/ou dans une région donnée (60).

      L’harmonisation de la fiscalité de l’épargne est sans doute l’une des grandes priorités du chantier de l’harmonisation fiscale. La fiscalité joue en effet un rôle déterminant sur les structures de l’épargne et sur sa localisation. En l’absence d’harmonisation, l’évasion et la fraude peuvent être largement facilitées, et ce d’autant plus que les contrôles sont difficiles, chaque pays ayant des traditions assez différentes en la matière.

      Si la nécessité d’une harmonisation n’est pas contestable, son degré dépend assez largement de la nature des impositions concernées. Surtout, il s’agit d’un processus complexe en raison des dispositions même du traité.

2.- Une relance récente du processus d’harmonisation fiscale,
dans un cadre juridique contraignant

a) Une harmonisation qui doit tenir compte de difficultés institutionnelles

      La nécessité de réorienter l’harmonisation des fiscalités vers le problème de la fiscalité directe se heurte cependant à un certain nombre de contraintes juridiques qui rendent l’exercice difficile.

      La base juridique d’une telle action est assez étroite puisque seul l’article 98 du traité instituant la Communauté européenne évoque la fiscalité directe en stipulant « qu’en ce qui concerne les impositions autres que les taxes sur le chiffre d’affaires, les droits d’accises et les autres impôts indirects », les Etats membres s’engagent à ne pas réintroduire des mesures protectrices par le biais d’exonérations et de remboursement à l’exportation.

      N’étant pas directement et particulièrement visée par un article du traité, ce type de fiscalité relève des « dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres qui ont une incidence directe sur l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur », selon les termes de l’article 100 (61). Selon ce dernier, le Conseil doit statuer à l’unanimité, sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen et du Comité économique et social, pour arrêter les directives nécessaires au rapprochement.

      L’intervention communautaire est donc encadrée par d’étroites contraintes juridiques.

      L’article 100 ne donne pas aux autorités communautaires une habilitation générale pour entreprendre tout rapprochement qu’elle jugerait souhaitable. Il faut au préalable apporter la démonstration que ces disparités ont « une incidence directe » sur le fonctionnement du marché commun. L’intervention communautaire est de surcroît particulièrement soumise au principe de subsidiarité, puisque la compétence fiscale est conservée par les Etats membres.

      Enfin, et surtout, ces mêmes Etats ont tenu à maintenir autant que possible leur souveraineté, ce qui explique qu’ait été maintenu le principe de l’unanimité. Toute mesure dans le domaine fiscal doit donc faire l’objet d’une étroite concertation afin de ne pas conduire à un blocage institutionnel. Ces contraintes expliquent largement la méthode retenue par la Commission européenne pour relancer l’harmonisation fiscale.

b) La relance récente du processus d’harmonisation fiscale

      · Après avoir marqué une pause au début des années 1990, le processus d’harmonisation fiscale a connu une certaine relance à partir de 1996. Le 20 mars 1996, la Commission européenne a présenté un document de réflexion intitulé « La fiscalité dans l’Union européenne », qui a reçu un accueil favorable de la part des ministres des finances lors de la réunion informelle de Vérone au mois d’avril suivant. Pour le commissaire en charge de la fiscalité, M. Mario Monti, la nécessité d’une nouvelle impulsion à la coordination en matière fiscale doit s’effectuer dans le cadre d’une vision globale des politiques fiscales des Etats membres. En effet, chaque mesure fiscale dans un domaine spécifique entraîne des effets différents pour les Etats membres et un examen trop fragmentaire rend plus difficile l’adoption de propositions.

      En raison du rôle déterminant des Etats en la matière, la Commission a souhaité les associer très en amont à la préparation des divers textes, via un groupe de politique fiscale composé de représentants des ministres des finances des Etats membres et de fonctionnaires communautaires.

      Suite aux travaux de ce groupe, la Commission a présenté le 13 octobre 1997 une communication sur les mesures en vue de limiter la concurrence fiscale dommageable, souvent qualifiée de « paquet Monti ».

      · La Commission a ainsi proposé l’adoption d’un code de bonne conduite dans la fiscalité des entreprises. Après un examen lors du Conseil Ecofin de Luxembourg du 13 octobre 1997, ce code a été formellement adopté par le Conseil Ecofin du 1er décembre suivant.

      L’élaboration d’un code de conduite dans le domaine de la fiscalité des entreprises tend à prévenir les distorsions des bases d’imposition dans la Communauté. Il s’agit d’un instrument non contraignant juridiquement mais par lequel les Etats membres s’engagent à respecter les principes d’une concurrence loyale et à s’abstenir de toute mesure fiscale dommageable. Pour jouer efficacement son rôle dans la lutte contre la concurrence dommageable, ce code doit pouvoir s’appuyer sur un engagement politique sans faille des Etats membres.

      Il prévoit des mesures d’évaluation et de suivi. A cet effet, un groupe de suivi a été mis en place le 8 mai 1998, associant des fonctionnaires nationaux et européens. Il a pour objet de dresser un inventaire des mesures fiscales potentiellement dommageables ainsi que d’établir une évaluation de leur impact, afin de présenter un ensemble de conclusions au Conseil Ecofin de décembre prochain.

      Le code de conduite couvre, dans le domaine de la fiscalité des entreprises, les mesures qui ont, ou pourraient avoir, une incidence sensible sur la localisation des activités économiques au sein de la Communauté. Les activités économiques visées comprennent toutes les activités exercées à l’intérieur d’un groupe de sociétés. Le code couvre aussi les régimes fiscaux spéciaux pour salariés qui ont la même incidence. Les mesures fiscales visées par le code incluent à la fois les dispositions législatives et réglementaires et les pratiques administratives.

      Sont reconnues comme potentiellement dommageables les mesures fiscales établissant un niveau d’imposition effective nettement inférieur au niveau général du pays concerné, y compris une imposition zéro. De tels régimes peuvent porter sur le taux d’imposition nominal, sur la base d’imposition ou sur tout autre facteur. Il convient en outre de vérifier si :

      – des facilités particulières sont accordées exclusivement aux non-résidents du pays considéré ou s’appliquent exclusivement aux transactions conclues avec des non-résidents ;

      – les facilités en question sont pour le reste totalement isolées de l’économie domestique, de sorte qu’elles n’ont aucune incidence sur l’assiette fiscale nationale ;

      – ces facilités sont disponibles même en l’absence de toute activité économique réelle ;

      – les règles de détermination des bénéfices issus des activités internes d’un groupe multinational divergent des normes généralement admises sur le plan international, notamment les règles approuvées par l’OCDE ;

      – le dispositif fiscal manque de transparence, notamment lorsque les facilités fiscales résultent d’une application moins rigoureuse des exigences légales par l’autorité administrative, sans que cette pratique soit rendue publique.

      Par ailleurs, conformément aux principes de transparence et d’ouverture, les Etats membres doivent s’informer mutuellement des mesures en vigueur ou envisagées entrant dans le champ d’application du code. En outre, ils peuvent demander des précisions à leurs partenaires concernant toute mesure fiscale paraissant entrer dans le champ desdits paragraphes. Il reviendra à la Commission, à qui les Etats membres communiqueront également ces informations, d’en coordonner l’échange entre les Etats membres.

      Le code de bonne conduite comprend aussi l’engagement des Etats membres de ne pas adopter de nouvelle mesure ou pratique fiscale dommageable. Ils doivent réexaminer en outre leurs dispositions existantes et pratiques en vigueur à la lumière des principes énoncés plus haut et des conclusions de la procédure d’évaluation. Ils sont invités à modifier ces dispositions et pratiques chaque fois que c’est nécessaire, afin de supprimer toute mesure dommageable dans un délai maximal de cinq ans.

      Enfin, les Etats membres s’engagent à coopérer pleinement dans la lutte contre l’évasion et la fraude fiscale.

      On remarquera que le champ géographique du code couvre non seulement le territoire de la Communauté, mais aussi les territoires dépendants ou associés, qui constituent parfois de véritables paradis fiscaux.

      · Dans la droite ligne des propositions du « Paquet Monti », la Commission a présenté le 4 mars dernier une proposition de directive relative à un régime fiscal commun applicable aux paiements d’intérêts et redevances effectués entre des sociétés associées d’Etats membres différents (62). Ce sujet avait déjà fait l’objet d’une proposition de directive en 1990, qui avait finalement été retirée en 1994, l’unanimité ne pouvant être obtenue. La nouvelle proposition vise à éliminer les retenues à la source grevant les paiements d’intérêts et de redevances entre sociétés associées d’Etats membres différents. Au titre de la directive, ces paiements devraient toutefois être soumis à l’impôt dans l’Etat membre où est située l’entreprise qui en est bénéficiaire. Nouveauté par rapport à la proposition de 1990, la directive s’appliquerait aux paiements d’intérêts et de redevances effectués entre sociétés associées d’Etats membres différents y compris entre leurs établissements stables et non plus seulement, comme dans la précédente proposition, aux paiements effectués entre sociétés mères et leurs filiales. Les sociétés associées doivent être liées entre elles par la détention croisée de capital d’au moins 25% de ce capital.

      · Enfin, la Commission européenne a présenté le 20 mai 1998 une proposition de directive du Conseil visant à garantir un minimum d’imposition effective des revenus de l’épargne sous forme d’intérêts à l’intérieur de la Communauté (63). Elle a pour objectif de freiner ainsi une concurrence fiscale de plus en plus sensible et durement ressentie par certains Etats membres à mesure que progresse la libéralisation des mouvements de capitaux.

      Concrètement, les dispositions proposées s’appliqueraient uniquement aux intérêts versés dans chaque Etats membre à des personnes physiques qui résident dans un autre Etat membre. Sont ainsi couverts par la proposition de directive tous les intérêts transfrontaliers payés à des personnes physiques dans la Communauté sans tenir compte du lieu d’établissement du débiteur.

      Plus difficile est la fixation d’un taux minimal commun d’imposition, compte tenu de la grande diversité des niveaux d’imposition. Comme l’indique le tableau suivant, ces taux vont de 50% dans certains cas en France, à 35% en Allemagne et à 0% au Luxembourg, au Pays-Bas ou au Danemark. Un équilibre délicat doit être trouvé entre un taux trop bas, qui pourrait être libératoire si le bénéficiaire ne déclare pas dans son pays de résidence le revenu perçu, alors qu’un taux trop élevé pourrait mettre à mal la compétitivité des places financières européennes. La Commission a proposé de fixer à 20% le taux minimal commun d’imposition. Si le Luxembourg ne veut pas aller au-delà de 10%, la France souhaite quant à elle que ce taux ne soit pas inférieur à 25%.

      La Commission propose en tout cas aux Etats membres d’opter soit pour le régime de retenue à la source à un taux de 20%, soit pour le régime de l’information (fourniture d’informations à tout autre Etat membre dans lequel le bénéficiaire est résident). Il appartient aux Etats membres de choisir un seul et même régime et d’appliquer ce seul régime à tous les paiements d’intérêts effectués sur son territoire à des résidents de tout autre Etat membre. Un système de certificat établi par l’administration fiscale du pays de résidence attestant que le bénéficiaire a informé cette administration des montants d’intérêts à recevoir devrait moduler ce régime en faveur du bénéficiaire et lui permettre d’être imposé, s’il le désire, exclusivement dans l’Etat membre de résidence fiscale tout comme celui qui reçoit un paiement dans un Etat ayant opté pour le régime d’information.

      Selon la Commission, l’efficacité de ce système ne peut être assurée que par la collaboration des opérateurs de marché, dans ce cas, l’agent payeur des intérêts. Celui-ci serait le plus à même de vérifier d’une manière simple et peu coûteuse si l’intérêt est versé à une personne physique et de lui demander de fournir la preuve de sa résidence fiscale.

           

    LA FISCALITÉ DE L’ÉPARGNE (INTÉRÊTS) DANS LES QUINZE ETATS MEMBRES

    Etats membres

    Retenue à la source pour les résidents

    Montant des intérêts non taxables

    Retenue à la source pour les non-résidents

    Allemagne 30% en général, 35% pour les transactions directes, 25% pour les obligations convertibles 3.000 écus pour les isolés, 6.000 écus pour les couples mariés

    0%

    Autriche 25% sur la dette contractée à partir de septembre 1992

    0%

    0%

    Belgique

    15%

    1.220 écus (dans certaines banques d’épargne)

    0%

    Danemark

    0%

    0%

    0%

    Espagne 25% (0% sur les bons du Trésor) Information non disponible

    0%

    France Entre 15% et 50% 1.200 écus pour certaines banques

    0%

    Finlande 28% sur les dépôts et les obligations

    0%

    0%

    Grèce 15% pour les dépôts bancaires et les obligations des entreprises privées, 7,5% pour les obligations d’Etat

    0%

    15%

    Irlande 27% sur les dépôts, 15% pour les dépôts de moins de 65.000 écus, 10% sur certains investissements spéciaux

    0%

    0% sur les dépôts si le non-résident demande une exemption
    Italie 12,5% sur la dette du secteur public et des entreprises cotées en Italie, 27% sur les dépôts et obligations à court terme des entreprises privées

    0%

    0% dans les cas où les résidents sont taxés à 12,5%, 12,5% à 30% dans les autres cas
    Luxembourg

    0%

    Information non disponible

    0%

    Pays-Bas

    0%

    Information non disponible

    0%

    Portugal 20% sur les obligations et les dépôts bancaires, 15% sur les prêts et les comptes courants

    0%

    20%

    Royaume-Uni

    20%

    13.500 écus pour certains dispositifs d’épargne d’Etat 0% sur les comptes bancaires et sociétés de crédits hypothécaires ou 20% dans les autres cas
    Suède 30% sur les intérêts bancaires

    0%

    0%

    Source : Commission européenne.

      Le chantier de l’harmonisation des fiscalités au sein de la Communauté a donc été réouvert, les Etats membres prenant conscience de l’acuité croissante des problèmes posés par la concurrence fiscale dommageable. Pour autant, cette harmonisation ne peut porter que sur des points précis qui faussent la concurrence, car elle n’a pas vocation à procéder à une uniformisation totale. Le champ d’action est donc à la fois important et étroit ; important par le péril qu’entraînerait un blocage des négociations ; étroit parce que les Etats membres restent vigilants sur le maintien de leur souveraineté en matière fiscale.

CONCLUSION

      « Notre pays saura-t-il retrouver les chemins d’une croissance affermie et solidaire ? ». Telle était l’interrogation qui, à l’automne dernier, concluait la première partie de mon rapport général. Indéniablement, la réponse est aujourd’hui positive et la politique budgétaire menée depuis l’été 1997 y a contribué.

      Les choix de politique économique et sociale du Gouvernement ont donné à notre économie, dès l’été 1997, les moyens de développer ses potentialités et de bénéficier pleinement de l’amélioration du contexte économique.

      La reprise de la consommation et de l’investissement, la hausse du pouvoir d’achat des salariés et les mesures sociales prises en faveur des plus démunis sont, en effet, tout autant des fruits de la croissance d’aujourd’hui que le gage de la croissance de demain.

      Compte tenu de la dégradation de l’environnement international, installer la croissance dans la durée, tel est maintenant l’objectif premier de ce projet de budget, qui, à cette fin, s’articule autour de trois idées forces :

      – stimuler aujourd’hui une croissance solidaire par une progression maîtrisée de la dépense publique ;

      – préserver, à terme, la possibilité de mener une politique active de la dépense publique en poursuivant la maîtrise des comptes publics et la réduction des déficits ;

      – favoriser le dynamisme de l’économie, en amorçant la décrue des prélèvements obligatoires et en réduisant les impôts pesant sur la croissance et l’emploi.

      Ni laxiste, ni rigoriste, cette démarche équilibrée rompt avec les erreurs d’un passé récent. Elle peut permettre, dans un environnement lourd de menaces mais au sein d’une Europe qui peut desserrer l’étau de la spéculation, de tenir le cap du projet collectif qui a fait renaître la confiance dans notre pays : la croissance, l’emploi, la justice sociale, la modernisation de la société, la préparation de l’avenir.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

I.- AUDITION DE MM. DOMINIQUE STRAUSS-KHAN, MINISTRE DE L’ÉCONOMIE, DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE, ET
CHRISTIAN SAUTTER, SECRÉTAIRE D’ÉTAT AU BUDGET

      La Commission a procédé, le mercredi 9 septembre 1998, à 14 heures, à l’audition de MM. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, et Christian Sautter, secrétaire d’État au budget, sur le projet de loi de finances pour 1999.

      M. Dominique  Strauss-Kahn a tout d’abord rappelé que, dans la préparation du projet de loi de finances pour 1999, le Gouvernement avait cherché à donner plus de temps à la discussion au sein du Parlement et que cette volonté s’était manifestée, à la fois, par la présentation générale de ce projet dès la fin du mois de juillet dernier et par une importante concertation avec la commission des Finances, notamment par le biais des rapports publiés par Mme Nicole Bricq, M. Edmond Hervé et votre Rapporteur général sur les questions mises à l’étude par le Gouvernement, respectivement la fiscalité écologique, la fiscalité locale et la fiscalité du patrimoine. Il a exprimé l’espoir que le conseil des ministres puisse adopter désormais le prochain projet de budget au mois de juillet, selon un calendrier proche de la pratique de nombreux pays voisins de la France. Il a souligné le souci particulier de transparence qui avait conduit le Gouvernement, non seulement à rebudgétiser des dépenses qui avaient fait l’objet de débudgétisations au cours des années récentes, mais également à inscrire en loi de finances des dotations comme les « crédits d’articles » qui n’y avaient jamais figuré, ceci pour répondre aux critiques du Conseil constitutionnel.

      Abordant la question du contexte international, il a constaté que la crise en Asie, si elle ne s’aggravait pas, ne trouvait pas de solution et que l’émoi suscité par la crise russe était sans doute disproportionné à ses conséquences économiques, certes réelles, pour l’Europe. Il a estimé qu’une analyse rigoureuse des facteurs de crise impliquait de prendre en compte la situation spécifique de chaque pays. Il a ajouté que les nouveaux désordres internationaux reposaient la question de la mise en place de nouveaux instruments de régulation internationaux et justifiaient les deux orientations prises par le Gouvernement français : le soutien de la croissance par la demande intérieure et l’engagement résolu de notre pays dans la construction de l’euro, facteur de stabilité et de protection des économies. Il a précisé que le Gouvernement, compte tenu des incertitudes internationales, avait fondé ses prévisions de croissance sur la même vision prudente que celle adoptée en 1998 et évalué le taux de croissance du produit intérieur brut (PIB) à 2,7% pour 1999, au lieu de 3,1% en 1998.

      Le ministre a fait observer que le projet de budget était construit sur la volonté d’utiliser le plus efficacement possible les marges de la croissance qui avaient apporté, à législation fiscale constante, 74 milliards de francs de recettes fiscales spontanées supplémentaires. Il a indiqué que 16 milliards de francs seraient affectés à la baisse des impôts, à hauteur de 10 milliards de francs pour les ménages et de 8 milliards de francs pour les entreprises, compte tenu d’une augmentation du produit de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) de 2 milliards de francs, tandis que 21 milliards de francs seraient consacrés à la réduction du déficit à 2,3% du PIB ; il a confirmé que l’équilibre primaire serait atteint en 1999 et que le ratio dette/PIB baisserait à partir de 2000. Il a ensuite annoncé que les dépenses publiques seraient augmentées de 37 milliards de francs, 21 milliards de francs correspondant à la hausse des prix et 16 milliards de francs à une croissance réelle des dépenses, affectée principalement au financement de la réduction du temps de travail et des mesures de lutte contre l’exclusion, ainsi qu’au soutien de la demande intérieure. Il a fait remarquer que les effectifs civils seraient stabilisés, mais redéployés en direction de services publics, tels que la justice ou l’enseignement supérieur. Il a enfin déclaré que le taux des prélèvements obligatoires baisserait en 1999 de 0,2%, comme en 1998.

      M. Dominique Strauss-Kahn a ensuite affirmé que les mesures fiscales du projet de loi de finances pour 1999 constituaient la réforme la plus importante depuis le début des années quatre-vingts, comme en témoignait le nombre d’articles fiscaux, deux fois plus élevé que de coutume, et que le Gouvernement avait d’ailleurs été contraint, pour ce motif, de prévoir l’insertion de certaines mesures, comme la réforme de la taxe d’habitation, dans le collectif de fin d’année. Parmi les réformes de structures souvent envisagées de plusieurs parts et jamais encore réalisées, que le projet de loi prévoyait, il a cité la taxe professionnelle, la réduction des droits de mutation immobilière, la réforme de l’ISF et de l’assurance-vie, la baisse de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), la modification de l’avoir fiscal et la suppression de plusieurs impôts obsolètes. Il a également évoqué les mesures à préoccupation écologique, telles que le rattrapage de la fiscalité pesant sur le gazole. Enfin, il a mentionné particulièrement les mesures de simplification, illustrées notamment par la suppression de l’obligation de déclaration de la TVA pour les 500.000 entreprises ayant moins de 500.000 francs de chiffre d’affaires ou par celle de la déclaration de droit au bail, et qui auraient pour effet la disparition, en 1999, de 15 millions de formulaires.

      M. Christian Sautter, secrétaire d’État au budget, a indiqué que parmi les dépenses prioritaires, les crédits consacrés à l’emploi et à la justice sociale seraient augmentés de 3,9% pour le volet « emplois-jeunes, réduction du temps de travail, allégement du coût du travail non qualifié », de 4,5% pour la santé et la solidarité, de 4% pour le logement social, de 32% pour la ville, tandis que les crédits relatifs à la lutte contre l’exclusion passeraient de 2,4 milliards de francs en 1998 à 7,7 milliards de francs en 1999. S’agissant de l’éducation, le ministre a annoncé que les crédits de l’enseignement scolaire croîtraient de 4,1%, notamment pour financer 60 000 emplois-jeunes, que ceux de l’enseignement supérieur augmenteraient de 5,5%, permettant le financement de 800 emplois supplémentaires et du futur plan social étudiant, et que ceux de la jeunesse et des sports bénéficieraient d’une hausse de 3,4%. Il a précisé que l’amélioration des conditions de la vie quotidienne des Français justifiait une augmentation des crédits de la justice de 5,6%, ainsi que la création de 930 emplois, mais aussi un accroissement des crédits de la sécurité publique de 3%, une augmentation des crédits de la culture permettant à ceux–ci d’atteindre 0,97% du PIB et un effort de près de 15% en faveur de l’environnement, à structure constante, donc compte non tenu du produit de la taxe sur les activités polluantes.

      Ensuite, le ministre a évoqué les efforts de redéploiements concernant 30 milliards de francs et près de 2 400 emplois, au profit principalement du ministère de la justice et du budget de l’enseignement supérieur. Il a précisé que si la progression des dépenses de fonctionnement était limitée à 0,3%, les dépenses d’équipement augmenteraient, à nouveau, de 2,8%, après l’interruption intervenue en 1996 et 1997, tandis que les crédits consacrés à la défense seraient accrus de 21,2%, portant de 81 à 86 milliards de francs l’effort d’équipement militaire. Il a également fait remarquer que la hausse de la charge de la dette se limiterait à 2,4 milliards de francs, grâce à la modération des taux d’intérêt et à la réduction du déficit budgétaire.

      Enfin, M. Christian Sautter a fait observer que les rebudgétisations opérées sur les recommandations réitérées du Conseil constitutionnel en 1994 et en 1997 atteindraient, pour 1999, près de 45,6 milliards de francs et affecteraient notamment le budget des services financiers et les charges de pensions des fonctionnaires de La Poste.

      Votre Rapporteur général a exprimé sa satisfaction devant ce projet de budget qu’il a jugé en parfaite continuité avec les orientations défendues par le Gouvernement depuis quinze mois. S’interrogeant sur l’effet du contexte macro-économique mondial sur la croissance française, il a approuvé l’attitude prudente du ministre qui le conduisait à réviser légèrement en baisse sa prévision de croissance pour 1999. Estimant que, plus que la crise russe, la situation au Japon était porteuse de risques, notamment par la diffusion de ses effets à travers les économies asiatiques et latino-américaines, il a demandé au ministre s’il disposait de simulations capables d’évaluer les répercussions de la crise actuelle sur les finances publiques. Il a fait observer que le désordre de l’économie mondiale montrait l’inadaptation des thèses libérales et validait la recherche, caractéristique de la politique française, d’un juste milieu dans l’encadrement de l’activité économique. Il a, d’autre part, souhaité savoir si la revalorisation du taux de croissance pour 1998 et l’augmentation des recettes fiscales qui en découlait amèneraient le Gouvernement à revoir à la baisse le niveau de déficit public prévu pour cet exercice. Il a interrogé le ministre sur la décomposition des 2,3% de déficit annoncés pour 1999. Il a enfin demandé des précisions sur les possibilités de baisse ciblée du taux de TVA et s’est enquis des résultats des négociations menées avec la Commission européenne sur l’extension du taux réduit aux services à domicile.

      Répondant à votre Rapporteur général, M. Dominique Strauss-Kahn a considéré que la pérennisation de la crise en Asie constituait en soi un facteur de ralentissement de la croissance dans le reste du monde. Il a fait observer que, si les trois pays dans lesquels la crise était apparue – à savoir, la Corée, la Thaïlande et la Malaisie – s’acheminaient lentement, moyennant d’ailleurs un coût social bien plus important que prévu, vers un retour à l’équilibre, le Japon ne connaissait pour le moment pas d’évolution positive, ni de sa situation macro-économique, ni dans la restructuration de son système bancaire. Il a salué la grande détermination des dirigeants chinois à faire de leur pays un pôle de stabilité dans la région, notamment en maintenant la parité du yuan. Il a jugé que la crise russe, de nature essentiellement politique, aurait des effets très limités sur la balance commerciale et que le risque de propagation résultait bien davantage des investissements bancaires, même si les banques françaises étaient quatre fois moins engagées dans cette région que les banques allemandes, et surtout de la réaction globale des marchés et des épargnants. Il a conclu que l’évolution de l’économie mondiale n’était pas de nature à remettre en cause la croissance française, davantage poussée que par le passé par la demande interne.

      S’agissant de l’exécution du budget 1998, le ministre a fait observer que l’amélioration de 0,1% du taux de croissance se traduisait directement par un supplément de recettes limité à environ 1,2 milliard de francs, mais que la contribution plus forte de la demande interne à la croissance entraînait des plus-values de TVA d’une ampleur beaucoup plus importante, et avait, par conséquent, autorisé le Gouvernement à ramener la prévision du taux de déficit public pour 1998 de 3 à 2,9% du PIB. Il a, par ailleurs, précisé que les 2,3% de déficit public prévus pour 1999 se décomposaient en 2,7% de déficit pour l’État, 0,25% d’excédent pour les collectivités locales et les autres organismes publics et 0,15% d’excédent pour les organismes de sécurité sociale, le Gouvernement prévoyant un retour à l’équilibre du régime général et le maintien des excédents pour les autres régimes.

      M. Christian Sautter a rappelé que le Gouvernement avait pris en 1998 quatre mesures de réduction du taux de TVA, d’un coût total de 5 milliards de francs, d’une part, en étendant le taux réduit à la réhabilitation de logements sociaux et locatifs à l’achat de terrains à bâtir pour la construction de logements sociaux et à la construction de logements-foyers et, d’autre part, en modifiant le régime de crédit d’impôt pour l’amélioration des logements. Il a, en outre, précisé que le Gouvernement avait, d’ores et déjà, décidé d’étendre en 1999 le taux réduit aux abonnements de gaz et d’électricité, au traitement des déchets par tri sélectif, à l’appareillage des diabétiques et des handicapés et aux travaux d’amélioration de l’habitat exécutés par des bailleurs privés de logements sociaux. Il s’est, d’autre part, félicité que la Commission européenne n’ait pas opposé une réponse négative à la requête française visant à étendre le taux réduit aux services à domicile, en considérant qu’une telle extension, si elle n’était pas conforme à la lettre du droit communautaire, répondait à son intention d’alléger la fiscalité pesant sur les secteurs de main d’œuvre.

      Après avoir fait observer que le pic de croissance de la production industrielle avait été atteint au troisième trimestre 1997, M. Philippe Auberger a émis des doutes sur la fiabilité des prévisions de croissance retenues par le Gouvernement. Il a, par ailleurs, appelé le Gouvernement à davantage de prudence dans son évaluation des conséquences de la crise russe, observant que, pour le moment, aucune grande banque française n’avait publié l’état de ses engagements dans ce pays. Il a, d’autre part, souligné que le taux de croissance des dépenses retenu dans le projet de budget pour 1999 était le plus haut des trois dernières années et que, le Gouvernement n’ayant annoncé aucune économie significative au sein du régime d’assurance maladie, l’évolution des comptes de ce régime risquait de compromettre les 2,3% de déficit public annoncés. Il a fait part de son scepticisme devant l’évolution des prélèvements obligatoires, rappelant qu’en 1997 la part de ces prélèvements dans le PIB avait atteint 46,2% contre 46% prévus et que pour 1998 les plus-values de recettes ne permettraient pas de s’en tenir au taux annoncé de 45,9%. Il a, par ailleurs, regretté qu’un tiers de l’avantage tiré de la suppression de la part salariale de la taxe professionnelle soit annulé par la récente décision d’augmenter la cotisation minimale et de supprimer la réduction pour embauche et investissement. Il a, en outre, relevé la discrétion du ministre sur la réforme du quotient familial, dont il a jugé qu’elle toucherait plus de 200.000 familles ayant un enfant et gagnant 35.000 francs de salaire brut mensuel. Il a qualifié cette mesure de véritable provocation, au regard du projet de pacte civil de solidarité, qui, en étendant la possibilité de déclaration commune de revenus, entraînerait un coût fiscal de plusieurs milliards de francs. Il a fait observer que le plafonnement des avantages successoraux de l’assurance vie à 30% de l’ensemble de la succession aurait pour effet mécanique d’avantager les ménages les plus riches. Il a, en dernier lieu, souhaité disposer, avant la distribution du rapport de votre Rapporteur général, de la liste de l’ensemble des rebudgétisations annoncées par le Gouvernement et avoir des précisions sur les opérations de privatisation du Crédit lyonnais et, plus généralement, sur l’état du compte d’affectation spéciale enregistrant les recettes des privatisations.

      Se félicitant de ce que le projet de loi de finances pour 1999 ait été préparé à la fois dans la sérénité et dans la concertation et que les travaux réalisés par Mme Nicole Bricq, par M. Edmond Hervé et votre Rapporteur général aient utilement contribué à ce texte, M. Jean-Louis Idiart a salué un budget qui soutiendra une croissance forte et créatrice d’emplois. Remarquant que les résultats observés cette année montraient que l’optimisme du Gouvernement, ainsi que les choix opérés par la loi de finances pour 1998, étaient pleinement justifiés, il a relevé que la croissance serait employée, en 1999, à réduire le déficit budgétaire, ce qui permettra d’atteindre l’équilibre « primaire » dès cet exercice, à renforcer de manière significative certains secteurs - tels l’environnement, la solidarité et la santé, la ville, le logement, l’enseignement scolaire et supérieur, la jeunesse et les sports, la justice et la culture -, afin de répondre aux attentes de nos concitoyens en matière de justice sociale, et, enfin, à réduire les impôts pesant sur les entreprises et sur les ménages. Il a souhaité que les entreprises bénéficiaires de la réforme de la taxe professionnelle soient incitées à s’engager effectivement dans la création d’emplois, que les allégements de TVA contenus dans le projet de loi de finances, qui vont dans le bon sens, puissent être étendus et que soit donnée une cohérence aux différentes réformes envisagées de la fiscalité locale, sur le fondement des travaux de M. Edmond Hervé.

      Estimant que la croissance permettait de masquer les faiblesses de notre économie, à savoir la persistance d’un taux record de prélèvements obligatoires et le poids excessif des dépenses de fonctionnement de l’État, M. Pierre Méhaignerie a annoncé que les propositions de son groupe sur ce point rejoindraient l’excellente suggestion formulée par MM. Laurent Fabius, Jack Lang et Jacques Delors, visant à limiter le déficit budgétaire à 1,7% du PIB en 1999. Il s’est demandé pourquoi le Gouvernement avait privilégié un allégement de la taxe professionnelle, par rapport à la franchise de charges sociales sur les salaires proposée par M. Jacques Barrot. Il a estimé que cette réforme de la taxe professionnelle aurait moins d’incidences positives sur l’emploi que la franchise, comme le montre le rapport remis, au cours de l’été, par M. Edmond Malinvaud, qu’elle serait socialement injuste, dans la mesure où elle bénéficiera beaucoup plus aux professions libérales et entreprises de service où les salariés perçoivent des rémunérations élevées qu’aux entreprises présentes dans les secteurs industriels exposés à la concurrence internationale, où les salaires sont pourtant bien moins élevés, et qu’elle aurait enfin pour effet de déresponsabiliser les collectivités locales, dont la dépendance vis-à-vis de l’État sera accrue. Sur ce dernier point, il a relevé que l’importance qu’aura prise la DGF au terme de la réforme justifierait son indexation sur les salaires de la fonction publique, faute de quoi les collectivités locales seraient à nouveau obligées d’augmenter la pression fiscale.

      Souscrivant pleinement aux objectifs d’emploi et de justice sociale retenus par le Gouvernement, M. Christian Cuvilliez a considéré que les questions posées en juillet dernier n’avaient pas encore reçu de réponses complètes. Il a regretté que la répartition des allégements fiscaux entre les entreprises et les ménages ne soit pas proportionnelle à l’effort fiscal exigé des uns et des autres. Il a plaidé, en conséquence, pour des baisses supplémentaires de TVA, notamment pour les services de proximité, d’autant que cette taxe frappe tout particulièrement les familles modestes, dont elle représente 13% du revenu. Il a jugé que les mesures de simplification fiscale étaient à la fois appréciables et appréciées et s’est déclaré sensible à la progression des dépenses dans le domaine social. Faisant part de ses interrogations sur la réforme proposée de la taxe professionnelle, il a indiqué qu’il aurait préféré, à la suppression pure et simple de la part salariale de l’assiette, une intégration, dans cette assiette, des actifs financiers, qui aurait maintenu, voire augmenté, le rendement de la taxe. Il a souhaité que la réforme comporte des mesures d’accompagnement assurant son plein effet sur l’emploi et empêchant d’alimenter soit la spéculation financière, soit le seul investissement. Il a enfin regretté que la question de la péréquation entre les taux par le biais de la taxe professionnelle d’agglomération, évoquée par le ministre de l’intérieur, n’ait pas encore été réglée.

      Qualifiant le projet du Gouvernement de « budget des occasions manquées », M. Marc Laffineur a craint que l’hypothèse de croissance retenue ne soit trop optimiste, compte tenu des risques de contagion des crises asiatique et, surtout, russe. Estimant qu’il n’était plus possible de considérer qu’un bon budget était celui dont les dépenses progressaient, il a déploré que les dépenses ne soient pas réduites en 1999, ce qui aurait autorisé une politique plus ambitieuse d’allégements fiscaux. Relevant que l’hypothèse de 2,3% de déficits publics par rapport au PIB se fondait sur un excédent aléatoire des comptes des organismes sociaux, il a vivement critiqué la perte de crédibilité de l’État, résultant de la remise en cause de sa parole, que constituent, selon lui, les mesures proposées en matière d’assurance vie, d’autant que celles-ci auront également pour conséquence d’encourager la délocalisation des patrimoines. Convenant que la réforme de la taxe professionnelle diminuerait la pression fiscale sur les entreprises, il a cependant regretté que la compensation prévue pour les collectivités locales ne soit pas totale et redouté qu’un « effet de ciseau » ne se produise, sous l’influence conjointe de la faible progression de la DGF et de la hausse des charges salariales. Abordant enfin l’allégement de la TVA sur les abonnements d’électricité, il a demandé s’il était exact que la Commission européenne souhaitait son extension à la consommation.

      Se félicitant de l’ambition du Gouvernement, qu’illustre l’hypothèse de croissance de 2,7% retenue pour 1999, M. Michel Suchod s’est interrogé sur l’utilisation des marges offertes par la situation économique. Rappelant que, telle qu’elle était proposée par le projet de loi, la réforme de la taxe professionnelle aurait certainement été qualifiée, en d’autres temps, de « cadeau aux entreprises », il a rappelé que le rapport remis par M. Edmond Malinvaud, ainsi que l’expérience des mesures adoptées sous le Gouvernement de M. Édouard Balladur, montraient que l’effet de ce type de dispositif sur l’emploi est très incertain. Il a en conséquence évoqué la possibilité d’un aménagement du dispositif par un transfert de la part salariale sur la valeur ajoutée, qui permettrait de baisser la TVA ainsi que les charges sociales et de relancer la demande interne, seule de nature à conforter la croissance. Il a relevé que la prévision de croissance retenue par le Gouvernement traduisait une appréciation favorable de l’évolution de la crise en Russie, tout en remarquant que, depuis l’audition du ministre, le 22 juillet dernier, elle avait déjà été révisée à la baisse et que toute diminution supplémentaire ne pourrait d’ailleurs que contraindre excessivement les différents budgets.

      Se demandant pourquoi l’accroissement des rentrées fiscales n’avait pas permis de relever les minima sociaux, M. Yves Cochet a salué les premiers pas accomplis vers une fiscalité écologique, souhaitant toutefois que le principe pollueur-payeur s’applique également à la consommation d’eau par les agriculteurs et se demandant si la taxe générale sur les activités polluantes servirait, le moment venu, de cadre à la future « écotaxe ». Soulignant que les crédits d’équipement militaire bénéficieraient, en 1999, d’une augmentation de 5 milliards de francs, il a estimé que l’abandon du Laser Mégajoule et des générateurs de rayons X, préconisé en son temps par le Premier ministre, serait une source appréciable d’économies. Il s’est enfin prononcé en faveur d’une réforme plus audacieuse de l’impôt sur le revenu, afin de conforter son statut d’impôt universel et républicain par excellence.

      M. Dominique Strauss-Kahn a ensuite répondu aux intervenants.

      A propos des prévisions de croissance du Gouvernement, il a indiqué que :

      – il est toujours possible de contester les prévisions faites par le Gouvernement ; cependant la relecture des propos négatifs tenus l’an dernier par des membres de l’opposition, et notamment par M. Philippe Auberger, sur la prévision de croissance avancée par le Gouvernement pour 1998, qui sera finalement dépassée, doit inciter les auteurs de critiques à la prudence ;

      – aucune banque importante de quelque pays que ce soit n’a publié ses engagements en Russie et leur degré de couverture ; il existe tout au plus des statistiques globales sur l’engagement des banques par région ;

      – la prévision de croissance présentée le 22 juillet dernier date du mois d’avril ; ce n’est donc pas en quarante jours, mais en quatre mois, que le Gouvernement a été amené à réviser de 0,1% sa prévision pour 1999, la ramenant de 2,8 à 2,7%.

      S’agissant de l’évolution des dépenses et de l’équilibre des finances publiques, le ministre a observé que :

      – les dépenses de l’État ont fortement augmenté en 1995 et 1996, et ce, au demeurant, malgré des débudgétisations qui sont à l’origine de certaines des « rebudgétisations » proposées dans le budget 1999 ;

      – il ne suffit pas d’invoquer, de façon générale, la nécessité de diminuer les dépenses publiques ; il faut préciser les coupes que l’on ferait, sauf à tomber dans des propos de « café du commerce » ;

      – en tout état de cause, le ratio de la dépense de l’État sur le PIB continuera à diminuer en 1999, ce qui n’était pas le cas en 1995 et 1996 ;

      – la prévision d’un retour à l’équilibre des régimes de sécurité sociale en 1999 s’explique, en sus des mesures de redressement prises par le Gouvernement, par l’évolution dynamique de leurs recettes, qui est directement liée à celle de la masse salariale et donc à la croissance ; après l’augmentation de 4% en 1998, cette masse augmentera de 4,3% en 1999 ;

      – pour évaluer le partage entre ménages et entreprises des baisses d’impôt, il convient de prendre en compte les deux années 1998 et 1999 ; compte tenu de l’alourdissement de 32 milliards de francs des prélèvements sur les entreprises opéré en 1998, l’allégement de 8 milliards de francs proposé pour 1999 et la réduction, conformément à la loi, de 4 milliards de francs de la contribution exceptionnelle d’impôt sur les sociétés conduiront tout de même à un alourdissement de 20 milliards de francs en deux ans, à comparer aux 10 milliards de francs d’allégements décidés au profit des ménages sur ces deux exercices ;

      – le surcroît de recettes fiscales constaté en 1998 grâce à la croissance ne peut être affecté au relèvement des minima sociaux, car il existe d’autres dépenses à financer, comme le maintien à 1.600 francs de l’allocation de rentrée scolaire.

      En ce qui concerne la suppression de la part salariale de l’assiette de la taxe professionnelle, il a précisé que :

      – la décision du Gouvernement d’augmenter d’autres éléments de cette taxe, en particulier la cotisation minimale, ne peut pas être qualifiée de retour en arrière, car le coût brut de la mesure, soit 12 milliards de francs en 1999, avait, dès l’origine, été distingué de son coût net, soit 7,2 milliards de francs cette même année ;

      – cette mesure a bien pour vocation de soutenir l’emploi directement (par l’allégement du coût du travail) et indirectement (en favorisant l’investissement), ce que devraient expliquer tous ses défenseurs, y compris ses partisans au sein de l’ancienne majorité ; l’opposer, en tant que « mesure de gauche », à la baisse des charges sociales, en tant que « mesure de droite », n’a pas de sens ; au contraire, le retour à l’excédent de la sécurité sociale pourrait permettre de procéder également à l’allégement des cotisations, afin de ne pas avoir à choisir, en matière d’emploi, « entre fromage et dessert » ; ce qu’il faut en revanche éviter, c’est de financer des baisses de charges sociales par des prélèvements sur les ménages qui ont, à l’instar de l’augmentation de la TVA décidée par le Gouvernement de M. Alain Juppé, un effet récessif et donc négatif pour l’emploi ;

      – un sondage effectué pour le compte du ministère après l’annonce de cette mesure, en juillet dernier, a montré que 79% de nos concitoyens considéraient qu’il ne s’agissait pas d’un « cadeau aux entreprises », mais d’une disposition qui servirait l’emploi ;

      – ce dispositif ne conduira pas à l’asphyxie des collectivités locales ; en effet, le Gouvernement a adopté vis-à-vis des collectivités locales une position qui rompt avec la rigueur du « pacte de stabilité » du Gouvernement de M. Alain Juppé. Plus précisément, la compensation de la réforme de la taxe professionnelle se fera franc pour franc en 1999 et ensuite la dotation versée, à ce titre, aux collectivités locales sera indexée sur l’évolution de la dotation générale de fonctionnement. Compte tenu du mode d’indexation de celle–ci, les communes où l’emploi sera très dynamique recevront donc un peu moins de recettes, tandis que pour celles, moins favorisées, où l’emploi baisse ou stagne, le mécanisme de compensation induira une garantie de ressources et le dispositif aura ainsi un certain effet péréquateur ;

      – de façon générale, le degré d’autonomie des collectivités locales ne se mesure pas à leur pouvoir de décision en matière fiscale, mais à leur indépendance dans la détermination des choix de dépenses, comme aux Pays–Bas où les communes arrêtent librement leurs dépenses, mais ne votent aucune décision fiscale ; la récente proposition de M. Jean-Pierre Fourcade, consistant à affecter aux communes une partie de l’impôt sur les sociétés, conduirait d’ailleurs à une situation de cet ordre ;

      – il n’était pas possible d’envisager d’asseoir, même partiellement, la taxe professionnelle, qui est un impôt local sur la valeur ajoutée, puisqu’il est très difficile de déterminer celle-ci par établissement ;

      – la réforme de la taxe professionnelle sera coordonnée avec l’institution de la taxe professionnelle d’agglomération étudiée par M. Jean–Pierre Chevènement ; plus largement, l’ensemble des mesures envisagées en matière de fiscalité locale pourrait déboucher sur une réflexion générale sur le financement des collectivités locales.

      En ce qui concerne la limitation de l’exonération de droits de succession attachée à l’assurance-vie, le ministre a considéré que :

      – cette exonération n’a pas été instituée afin de permettre aux plus grosses successions d’échapper à l’imposition, mais pour favoriser, en son temps, le développement d’un produit nouveau ; il est donc légitime de la plafonner ;

      – le débat sur la rétroactivité de la loi fiscale n’est pas nouveau ; il n’y a pas en l’espèce de rétroactivité au sens légal du terme, mais simplement la remise en cause d’une situation considérée par certains comme acquise.

      M. Dominique Strauss-Kahn a, enfin, apporté les précisions suivantes :

      – la réduction du plafond de l’avantage procuré par le quotient familial est une mesure, arrêtée le 12 juin dernier, qui a été proposée par les associations familiales, lors de la conférence sur la famille. Cette réduction sera plus que compensée par le rétablissement des allocations familiales pour toutes les familles, puisque celui–ci coûtera 4,7 milliards de francs, contre 3,9 milliards de francs de recettes supplémentaires apportées par la mesure fiscale ;

      – le débat sur le pacte civil de solidarité va, enfin, fournir l’occasion, dont il se réjouit, d’une véritable opposition entre la gauche et la droite.

      – les modalités de la privatisation du Crédit lyonnais ne sont pas encore fixées et la Représentation nationale en sera informée quand ce sera le cas ; en tout état de cause, il n’y aura pas d’incidence sur le compte d’affectation spéciale destiné aux produits des privatisations, car le produit de celle du Crédit lyonnais servira au désendettement de l’Établissement public de financement et de restructuration (EPFR) ; quant aux recettes du compte d’affectation spéciale, elles sont évaluées à 28 milliards de francs en 1998 et 17 milliards de francs en 1999 ;

      – il existe effectivement un débat en cours, dans les instances communautaires, sur la conformité au droit européen d’une application du taux de TVA aux seuls abonnements à EDF-GDF  ; la France estime ceci clairement conforme, même si l’on peut regretter que ce problème ait été créé par la décision de M. Edouard Balladur de relever, en 1994, au taux normal la TVA sur les abonnements ;

      – une application plus rigoureuse du principe pollueur/payeur en matière d’eau n’a pas pu être prise en compte dès 1999, ce qui n’empêcherait pas d’examiner des propositions nouvelles, éventuellement d’origine parlementaire, pour avancer dans le projet de budget 2000 ;

      – s’agissant de la réforme de l’impôt sur le revenu, elle peut être, après la fiscalité locale, la fiscalité du patrimoine et la fiscalité écologique, au programme de travail des années suivantes, si c’est le souhait de la représentation nationale.

II.- AUDITION DE M. CHRISTIAN SAUTTER,
SECRÉTAIRE D’ÉTAT AU BUDGET

      La Commission a procédé, le mardi 15 septembre 1998, à 18 heures, à l’audition de M. Christian Sautter, secrétaire d’État au budget, sur le projet de loi de finances pour 1999.

      Votre Rapporteur général a tout d’abord interrogé le ministre sur le contenu du décret d’avance du 21 août dernier et ses incidences sur l’exécution de la loi de finances pour 1998, notamment sur les dépenses en capital du budget de la Défense. Il s’est ensuite demandé si l’hypothèse d’un taux d’inflation de 1,3% pour 1999 n’était pas trop pessimiste, compte tenu de l’évolution de la conjoncture et, en particulier, du ralentissement de la croissance. Il a souhaité connaître l’impact sur les recettes de TVA et sur l’équilibre budgétaire d’une nouvelle diminution de la hausse des prix.

      Il s’est félicité du coup d’arrêt mis par le projet de loi de finances pour 1999, comme par la loi de finances de 1998, à la dégradation constante du rapport des dépenses en capital à l’ensemble des dépenses de l’État, observée de 1993 à 1997. Il a ensuite demandé, pour 1998 et 1999, le montant des recettes de cessions des participations de l’État au sein du secteur public et des dotations versées pour la recapitalisation des entreprises publiques. Rappelant que la fixation à 11.000 francs, au lieu de 16.300 francs, du plafonnement de la demi-part de quotient familial était la traduction d’une décision acceptée par la Conférence sur la famille réunie sous la présidence du Premier ministre, le 12 juin dernier, et qu’elle était la contrepartie du rétablissement des allocations familiales sans conditions de ressources, il a souligné qu’elle frappait aussi certaines catégories, comme les veuves ou les anciens combattants, qui ne relèvent pas de la politique familiale. Aussi a-t-il demandé sur quelle argumentation le Conseil d’État s’était fondé pour estimer nécessaire la fixation du plafond à un montant uniforme, alors même qu’il existait déjà, pour l’imposition des contribuables isolés, un plafond distinct auquel le Conseil constitutionnel n’avait rien trouvé à redire.

      Par ailleurs, votre Rapporteur général a souhaité que le Gouvernement communique à la Commission des finances le résultat des simulations relatives à l’impact de la réforme de la taxe professionnelle. Il a rappelé que, lors de la précédente discussion budgétaire, le Secrétaire d’État au budget s’était déclaré prêt à débattre, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 1999, de l’éligibilité au Fonds de compensation à la taxe à la valeur ajoutée (FCTVA) de certains travaux urgents pour la sécurité publique. Tout en saluant l’intérêt manifesté par la Commission européenne pour l’application du taux réduit de TVA aux services à la personne, il s’est interrogé sur la portée réelle d’une mesure dont la mise en œuvre requérait le consentement unanime des États membres, alors, de plus, que les activités en cause étaient souvent le fait d’associations déjà exonérées de TVA. Il s’est enquis des perspectives de réalisation de l’idée, évoquée par le commissaire européen Mario Monti, d’une réduction de la TVA pesant sur les travaux de rénovation et de réparation de logements. Il a enfin demandé des précisions sur l’instruction, publiée ce jour même, relative au régime fiscal des associations.

      Répondant à votre Rapporteur général, M. Christian Sautter a indiqué que le décret d’avance d’août dernier, de caractère essentiellement technique, redéployait 5 milliards de francs, dont 3,8 milliards de francs au titre des rémunérations de personnel du ministère de la Défense, 343 millions de francs pour le ministère de l’Éducation, le solde correspondant à des dépenses de manifestations et commémorations, telles que l’année de la France au Japon, la célébration de l’an 2000 ou le 80ème anniversaire de l’armistice du 11 novembre. Il a précisé que ces mesures étaient financées à hauteur de 4,357 milliards de francs par un arrêté d’annulation, le solde étant constitué par un prélèvement exceptionnel de 500 millions de francs sur l’AGEFAL et le produit, soit 179 millions de francs, de la vente du terrain Beaujon par le ministère de l’Intérieur.

      Relevant que l’interrogation de votre Rapporteur général sur le caractère pessimiste d’une prévision d’inflation de 1,3% manifestait bien l’évolution de la conjoncture depuis quelques années, le ministre a fait valoir que cette prévision était conforme à l’appréciation portée par des organismes internationaux, comme l’OCDE ou le FMI, et qu’elle traduisait, en particulier, la forte baisse, en 1998, des prix du pétrole et des matières premières, qui devraient se stabiliser, voire même augmenter, en 1999. Il a relativisé les conséquences budgétaires d’une éventuelle surestimation de l’inflation, en rappelant que certaines recettes, comme l’impôt sur les sociétés ou l’impôt sur le revenu, étaient affectées de manière décalée par la hausse des prix et que d’autres, comme la TIPP, ne le sont pas du tout, par construction. Il a, en outre, rappelé qu’une variation d’un dixième de point entraînait une perte de recettes de TVA d’environ 600 millions de francs, à rapprocher du produit total de cette taxe, soit 670 milliards de francs. Il a, en outre, souligné que de nombreuses dépenses à caractère social, comme le revenu minimum d’insertion ou l’allocation aux adultes handicapés, étaient indexées sur la hausse des prix et que tout ralentissement de l’inflation impliquait, dès lors, de moindres dépenses à ces titres.

      S’agissant des dépenses d’investissements, M. Christian Sautter a fait observer qu’elles augmentaient de 2,8% dans le projet de loi de finances pour 1999, soit 168 milliards de francs, alors que la croissance des dépenses de l’État était en moyenne de 2,3%. Il a précisé que cette augmentation était principalement due aux dépenses en capital du ministère de la Défense, qui passaient de 82 à 86 milliards de francs, les dépenses civiles en capital demeurant stables. Il a ajouté que l’appréciation portée sur l’évolution des dépenses civiles devait tenir compte des dotations inscrites dans les comptes spéciaux du Trésor, tels que le Fonds d’aménagement pour la région Île-de-France (FARIF) ou le Fonds d’investissement des transports terrestres et des voies navigables (FITTVN), gérés par le ministère de l’Équipement, du logement et des transports. Il a indiqué que le produit total attendu des cessions d’actifs du secteur public s’élevait, en 1999, à 17,5 milliards de francs, se répartissant entre la privatisation du GAN (9,5 milliards de francs, compte tenu de la nécessité de préserver les mécanismes de garantie), des cessions de participations minoritaires (5,5 milliards de francs) et du solde des opérations de France Télécom (2,5 milliards de francs). Il a précisé que les ressources du compte d’affectation spéciale (64 milliards de francs pour 1998 et 1999, dont 17,5 milliards de francs au titre de 1997, 43 milliards de francs au titre de 1998 et 3,5 milliards de francs de report de 1997 sur 1998) permettraient ainsi de recapitaliser, à hauteur de 30 milliards de francs, les entreprises publiques du secteur financier, de 23 milliards de francs les entreprises du secteur des transports et de 5 milliards de francs les entreprises du secteur minier. Il a rappelé que le produit de la privatisation du Crédit lyonnais serait directement affecté au désendettement de l’Établissement public de financement et de réalisation (EPFR).

      Convenant de l’impact particulier qu’aurait la diminution du quotient familial applicable à des catégories dignes d’intérêt, comme les anciens combattants ou les invalides, il a expliqué que le Conseil d’État avait jugé impossible, au regard de l’égalité devant l’impôt, de prévoir une diminution du plafond plus importante pour une famille avec enfants que pour une personne sans enfants et que le Gouvernement n’avait pas voulu courir le risque de l’annulation par le Conseil constitutionnel d’une mesure dont le produit, soit 3,9 milliards de francs, était tel que l’annulation de la loi de finances tout entière, par voie de conséquence, ne pouvait être exclue. Il a ajouté que l’application de la réduction du plafond aux invalides et anciens combattants toucherait de 25.000 à 30.000 ménages à partir d’un revenu mensuel de 35.000 francs et que le débat budgétaire serait l’occasion d’un réexamen de la question. Il a, ensuite, rappelé que les services du ministère des Finances étaient à la disposition de la commission des Finances et qu’ils étaient prêts, par conséquent, à procéder aux simulations sur l’impact de la réforme de la taxe professionnelle qui leur avaient été demandées.

      En ce qui concerne l’évolution des critères d’éligibilité au Fonds de compensation de la TVA de certains travaux sur des cours d’eau non domaniaux, le ministre a exprimé son attachement au principe de la patrimonialité, qui conduit à réserver le reversement de TVA aux propriétaires des terrains, mais a rappelé l’existence des aides spécifiques, inscrites dans le programme décennal d’entretien des rivières, arrêté en juin 1994, renvoyant au débat parlementaire la question d’éventuelles évolutions.

      M. Christian Sautter a ensuite évoqué la question de la diminution du taux de TVA pour les services rendus à domicile. Il a rappelé que le Gouvernement français avait attiré l’attention de ses partenaires européens sur ce problème, lors du Conseil de Luxembourg sur l’emploi de décembre dernier, conformément au programme national sur l’emploi, et qu’à la suite des démarches entreprises auprès de lui, le Commissaire européen chargé de la fiscalité, M. Mario Monti, avait répondu que la lettre du Traité ne permettait pas une telle mesure, mais que l’esprit des propositions de la Commission européenne était proche de la demande française. Il a, en revanche, souligné que les travaux de réparation et d’amélioration des logements couvriraient un champ plus vaste et que, si l’impact positif d’une éventuelle baisse de taux sur l’emploi, voire dans la lutte contre le travail clandestin, devait être reconnu, son coût était très important. Il a estimé que le crédit d’impôt sur le revenu, prévu dans la loi de finances pour 1998, en faveur des propriétaires et des locataires procédant à de grosses réparations dans leur résidence principale constituait une première réponse, équivalant à une réduction de TVA.

      Le ministre a enfin exposé le contenu de la dernière instruction relative à la fiscalité des associations, dont il a considéré qu’elle apportait, après une longue période d’incertitude, une clarification, que la multiplication des contrôles fiscaux rendait nécessaire, tout en respectant la lettre et l’esprit de la loi de 1901. Il a précisé que l’instruction détaillait les critères permettant de qualifier de commerciales les activités des associations et entraînant par là même leur assujettissement à la TVA, à l’impôt sur les sociétés et à la taxe professionnelle : une rémunération des dirigeants excédant les trois-quarts du SMIC ; l’existence dans le voisinage d’une entreprise ayant une activité comparable et, enfin, en cas de doute, l’application de la règle des « quatre P », un produit et un prix comparables, un public proche de la clientèle d’une entreprise et une publicité s’apparentant aux méthodes commerciales. Il a annoncé que le Gouvernement renonçait aux contrôles fiscaux sur 3.000 associations, dont la bonne foi pouvait être reconnue et aux redressements auxquels ces contrôles avaient donné lieu. Il a enfin précisé que les associations avaient jusqu’au 31 mars 1999 pour mettre leurs statuts en conformité avec la nouvelle instruction ministérielle et que, dans chaque direction des services fiscaux, un fonctionnaire serait désigné comme interlocuteur pour conseiller les associations et porter sur le caractère commercial ou non de leurs activités un avis liant l’administration fiscale.

      Après avoir fait observer que la taille remarquable du projet de loi de finances, 83 articles au total, promettait de longs débats en séance publique, M. Philippe Auberger a émis de sérieux doutes sur les prévisions de diminution du taux des prélèvements obligatoires en 1998 et 1999. Rappelant que l’augmentation des recettes fiscales attendue en 1999 s’élevait à 75 milliards de francs, il a estimé que la diminution du taux de prélèvement de l’État de 0,2 point en 1998 et 0,1 point en 1999 n’était guère crédible et jugé sujette à caution, au vu des évolutions des années antérieures, la baisse annoncée du prélèvement des collectivités locales.

      Il s’est également interrogé sur la pertinence des prévisions d’évolution du revenu disponible des ménages (+ 4% en 1998 et + 4,2% en 1999), alors que, par exemple, la plupart des accords conclus en matière de réduction du temps de travail prévoyait une stabilisation des revenus sur une période de trois ans. Il a fait observer que ce probable optimisme en matière d’évolution du revenu disponible faisait douter du rétablissement des comptes de la sécurité sociale prévu par le Gouvernement.

      Après avoir donné acte des efforts de rebudgétisation effectivement consentis par le projet de loi de finances, M. Philippe Auberger a indiqué ne pas comprendre pourquoi les recettes provenant du Crédit lyonnais ne transitaient pas par le compte d’affectation spéciale retraçant les recettes de privatisation. De même, il a souhaité que cet effort de clarification concerne à l’avenir l’ensemble des relations financières entre l’État et les collectivités locales, ainsi que la contribution de la France au budget de l’Union européenne. Enfin, doutant de l’efficacité de la suppression progressive de la part salariale de l’assiette de la taxe professionnelle, il a estimé qu’un allégement de la taxe sur les salaires, qui représente environ 49 milliards de francs, constituerait un stimulant plus efficace à la création d’emplois.

      Évoquant les récents propos tenus par le ministre des affaires étrangères sur l’insuffisance des moyens des banques centrales et des institutions financières internationales face aux « tourbillons » incessants des masses monétaires, M. Daniel Feurtet s’est interrogé sur les moyens de remettre de l’ordre dans les mouvements internationaux de capitaux.

      Rappelant le rôle important joué par les collectivités locales dans la croissance et l’investissement, il a souhaité que la part de la croissance qui leur est redistribuée soit plus significative, afin qu’elles puissent continuer à participer pleinement à la création d’emplois et au soutien de la croissance durable. Il s’est également déclaré préoccupé de la disparition de la dotation globale d’équipement et a demandé si le rétablissement d’un concours comparable pouvait être envisagé. Tout en reconnaissant que la disparition de l’assiette salariale pouvait être un stimulant de nature à encourager le civisme des chefs d’entreprises, il s’est néanmoins interrogé sur les moyens de mesurer ses conséquences réelles sur l’emploi. Il a appelé de ses vœux une réflexion globale sur le moyen de réalimenter la taxe professionnelle et d’éviter qu’une part croissante en soit supportée par l’État. Afin qu’elle reste un impôt favorable à l’emploi et à l’investissement, il a estimé nécessaire de réfléchir à la détermination de nouvelles assiettes, notamment en prenant en compte les actifs financiers. Il a insisté sur le fait que la taxe professionnelle devait rester sous la responsabilité des collectivités locales et considéré que le rôle de l’État était d’assurer la péréquation.

      Se déclarant préoccupé par le fait que de moins en moins de personnes payent la taxe d’habitation, M. Daniel Feurtet a souhaité qu’une réflexion s’engage de manière à ce que chaque famille – fut-ce modestement – se sente associée à la vie communale, dont elle attend des services collectifs. A défaut, il a craint qu’une opposition grandissante entre celles qui payaient et celles qui ne payaient pas ne fasse courir de grands risques à la solidarité communale.

      M. François Loos, après avoir jugé que le projet de budget était trop optimiste et augmentait les dépenses, alors qu’il conviendrait de les réduire, a relevé une contradiction entre la taxation nouvelle du gaz de pétrole liquéfié et du gaz naturel véhicules et la création d’un amortissement exceptionnel pour les véhicules fonctionnant en bicarburation.

      A propos de la part de la croissance du PIB attribuée aux collectivités locales, il a fait observer que la prise en compte des traitements versés aux fonctionnaires territoriaux, qui représentent en moyenne plus de 40% des dépenses des collectivités locales, aboutissait à réduire, de fait, le montant de l’enveloppe normée attribuée à ces collectivités, diminuant ainsi d’autant leur marge de manœuvre.

      Indiquant qu’il partageait certaines analyses de M. Daniel Feurtet, M. Pierre Méhaignerie a estimé que, pour des salariés à ressources modestes, l’incitation au retour à l’emploi n’était actuellement pas suffisante. Il a rappelé que des études britanniques et danoises avaient conclu qu’il fallait une incitation d’un montant d’au moins 35% supérieur au revenu de remplacement pour assurer un tel retour et a jugé que la France était encore loin d’atteindre ce chiffre.

      Regrettant ensuite, avec M. François Loos, que les collectivités locales voient leur marge de manœuvre, et donc leur autonomie, se réduire encore, il a suggéré que la dotation globale de fonctionnement soit à l’avenir indexée sur les traitements de la fonction publique, dont le Gouvernement fixe lui-même la progression et le niveau, ajoutant que l’enjeu était la sauvegarde de la confiance entre les collectivités locales et les populations.

      Sans revenir sur le débat né de la réforme de l’assurance vie, il a insisté enfin sur la nécessité de réfléchir à des mécanismes favorisant la transmission des entreprises. Jugeant que bien souvent, les chefs d’entreprise avaient avantage à vendre plutôt qu’à transmettre leurs biens, il a plaidé pour la mise au point d’un « pacte d’entreprise », susceptible de redonner confiance aux entrepreneurs.

      Mme Nicole Bricq s’est félicitée tout d’abord que le projet de budget favorise à la fois l’emploi et l’investissement, accompagnant ainsi la croissance revenue. Puis, à propos de la fiscalité écologique, elle a souhaité que le rééquilibrage des taxes sur le gazole ne soit pas l’arbre qui cache la forêt : soulignant les avancées sur la bicarburation, elle a estimé indispensables d’autres mesures incitatives, ainsi que des dispositions plus fortes en matière de protection des sols et des paysages.

      Rappelant que l’augmentation de deux points du taux normal de TVA avait représenté un prélèvement supplémentaire d’environ 60 milliards de francs, elle a jugé ensuite que les mesures prévues dans le projet de loi de finances, représentant une diminution de 10 milliards de francs, ne devaient constituer qu’un début. Consciente des contraintes européennes, elle a néanmoins souhaité que toutes les possibilités permises par la sixième directive européenne sur la TVA soient explorées. Évoquant la baisse de la TVA sur l’abonnement EDF, elle s’est prononcée en faveur de son extension aux réseaux de chaleur. Elle a estimé également que la baisse de la TVA sur les opérations de tri sélectif ne présentait qu’un intérêt limité, si elle n’était pas appliquée à l’ensemble des opérations de valorisation énergétique des déchets, alors même que la loi de 1992 avait incité les collectivités locales à mener ces actions de façon conjointe. Enfin, elle a fait observer que d’autres handicaps, notamment la surdité, pourraient être pris en compte dans le cadre de la diminution de la TVA sur certains appareillages.

      M. Michel Bouvard s’est demandé, au vu de la réponse du secrétaire d’État au budget, comment le Gouvernement allait pouvoir aborder la question de l’éligibilité au FCTVA des travaux réalisés par les collectivités locales sur les cours d’eau domaniaux, classés en voies navigables non fréquentées. Il a rappelé que le prélèvement de TVA supplémentaire de 60 milliards de francs avait été décidé au moment où certains contestaient l’applicabilité à la France des critères de Maastricht et a constaté que, trois ans après, seuls 10 milliards de francs avaient été restitués. Appuyant l’idée d’une application du taux réduit aux réseaux de chaleur, il s’est félicité de voir le Gouvernement reprendre une de ses propres suggestions de l’an passé, en proposant que les travaux d’amélioration de l’habitat réalisés avec une subvention de l’Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat (ANAH) bénéficient de ce taux. Il s’est interrogé sur la pertinence des objections faites à l’application d’une mesure semblable à la restauration, alors que certains États entrés après la France dans l’Union européenne avaient pu décider une telle réduction après leur adhésion, et a estimé que cette mesure permettrait à la fois d’augmenter le nombre d’emplois et de lutter contre l’économie souterraine.

      Il a ensuite demandé au ministre des précisions sur le champ d’application du dispositif destiné à se substituer à l’amortissement « Périssol » et a suggéré son extension à l’immobilier de loisir. Il s’est ému des idées récemment avancées en sa présence par le directeur général des collectivités locales, en vue d’une éventuelle péréquation de la compensation de la suppression graduelle de la part salariale dans l’assiette de la taxe professionnelle. Enfin, il a déploré que le parallélisme entre les évolutions de la dotation de solidarité urbaine et la dotation de solidarité rurale ne soit pas respecté, alors que, si un village qui meurt fait moins de bruit qu’une banlieue qui brûle, sa disparition est aussi dommageable.

      M. Dominique Baert a questionné le ministre sur les raisons de la disparition du fonds de soutien aux hydrocarbures et son intégration au budget général, sur l’augmentation de 600 millions de francs des recettes du Fonds d’aménagement de la région Île-de-France (FARIF) prévue pour 1999 et sur les motifs de la création du nouveau compte d’affectation spéciale, intitulé Fonds d’intervention, pour les aéroports et le transport aérien.

      M. Gérard Saumade a déploré qu’on se croie obligé de s’excuser parce que le projet de loi de finances augmente la dépense publique, alors qu’on n’en a jamais eu autant besoin. Il a mis au défi les adversaires de cette dépense d’exposer clairement leurs intentions quant à la privatisation de services publics essentiels, comme l’enseignement, la santé ou la police. Il a ajouté que, paradoxalement, le développement de la concurrence internationale obligeait tous les pays à mener une politique publique forte et dynamique. Abordant le problème de la réforme de la taxe professionnelle, il a constaté que le consensus sur la nécessité de changer cet impôt imbécile, contraire à l’emploi et à l’investissement, ne se traduisait toujours pas malheureusement par une réforme d’envergure. Il s’est prononcé pour la substitution à l’actuelle taxe professionnelle d’un impôt sur la valeur ajoutée, collecté et ensuite réparti par l’État, seul gage à ses yeux d’une véritable péréquation et du respect des exigences d’aménagement du territoire. Il a conclu en estimant que des modifications par trop discrètes et partielles ne pourraient que conduire à la perpétuation des critiques.

      M. Maurice Adevah-Poeuf, après avoir exprimé son soutien à l’architecture générale du projet de loi de finances et à la logique de la réforme appliquée à la taxe professionnelle, a estimé opportun un aménagement de ses modalités. Il a interrogé le ministre sur sa position vis-à-vis d’éventuels amendements parlementaires visant à intégrer dans la réforme proposée par le Gouvernement une forme de dégrèvement, à masse constante, dans une perspective de sauvegarde de l’autonomie de décision des collectivités locales. Il s’est enfin interrogé sur les motifs de la disparition du fonds de soutien aux hydrocarbures.

      M. Gilbert Gantier s’est demandé comment la diminution à 11.000 francs de l’avantage maximal procuré par l’application du dispositif fiscal de quotient familial pouvait être jugée compatible avec une véritable politique familiale.

      Répondant aux intervenants, M. Christian Sautter a notamment précisé que :

      – le nombre important d’articles fiscaux contenus cette année dans le projet de loi de finances traduit la volonté de réforme du Gouvernement, mais ne conduirait pas cependant à un alourdissement des textes en vigueur, puisque 60 articles du code général des impôts devraient être abrogés ;

      – le délai supplémentaire laissé cette année au Parlement pour examiner le projet de loi de finances devrait permettre aux parlementaires de démontrer la réalité des intentions du Gouvernement de diminuer le taux des prélèvements obligatoires de 0,1 point en 1998 et 0,2 point en 1999 ;

      – il est peu probable que les accords d’entreprises conclus dans le cadre de la loi du 13 juin 1998 d’orientation et d’incitation relative à la réduction du temps de travail aboutissent à une stabilisation, et encore moins, à une diminution de la masse salariale versée par les entreprises ;

      – il ne voit pas l’intérêt d’inscrire les recettes de privatisation du Crédit lyonnais dans le compte d’affectation spéciale, dans la mesure où celles-ci devraient revenir automatiquement à l’établissement public de financement et de réalisation ; cependant, la proposition de comptabiliser les prélèvements sur recettes, tant aux collectivités locales qu’au budget de l’Union européenne, au sein du budget de l’État, mérite réflexion ;

      – l’existence de la taxe sur les salaires s’analyse comme la contrepartie d’une non-imposition à la TVA ;

      – le Gouvernement est préoccupé par le risque d’instabilité du système monétaire international, faute d’un minimum de règles du jeu, dont la situation actuelle, comme l’a rappelé le Premier ministre, souligne la nécessité. Après la déclaration commune des ministres des Finances du G7, reprise par le Président des États-Unis, de nouveaux progrès restent à faire ; il convient en particulier de soutenir le FMI, qui a la capacité d’intervenir pour éteindre les foyers de crise ;

      – alors que le « pacte de stabilité » arrêté par le précédent gouvernement privait les collectivités locales, par décision unilatérale, de toute participation aux fruits de la croissance, le contrat de croissance et de solidarité, qui lui a été substitué, présentait le mérite d’associer ces collectivités aux progrès de la croissance et d’établir ainsi une relation de confiance avec l’État ;

      – dans le sens de la taxation des actifs financiers, un article du projet de loi de finances prévoit une diminution de 50 à 45% de l’avoir fiscal au préjudice des entreprises, effectuant des placements complètement indépendants de leur activité économique ;

      – dans le cadre de la réforme proposée de la taxe professionnelle, les collectivités locales garderont la maîtrise des deux tiers de cette taxe. En « sanctuarisant » la compensation de la taxe professionnelle dans la dotation globale de fonctionnement, le Gouvernement va plutôt dans le sens d’une compensation pérenne, qui ne sera pas à la merci des circonstances, comme peuvent l’être certains autres mécanismes compensateurs d’abattement de taxe professionnelle, décidés en 1987 ;

      – il peut être préoccupant que certains ne paient aucun impôt local, alors qu’ils attendent légitimement des services de la collectivité locale ; l’idée de taxe d’habitation minimale, évoquée par M. Daniel Feurtet, ouvre une piste de réflexion pour une question qui pourrait être abordée dans le cadre de la discussion du collectif budgétaire ;

      – loin d’alourdir l’imposition du GPL ou du gaz naturel, le projet de loi de finances propose la création, dans le sens des propositions faites par Mme Nicole Bricq dans son récent rapport d’information, d’un amortissement exceptionnel des véhicules fonctionnant grâce à ses énergies non polluantes. 1998 n’est que l’an I de la fiscalité écologique ; l’an II pourrait voir l’extension du champ de la taxe générale sur les activités polluantes, qui est presque exclusivement, pour l’heure, le regroupement de taxes existantes, de sorte qu’il serait possible d’y introduire des mesures punitives ou incitatives pour l’évolution des sols et des paysages ;

      – le doublement du rythme de croissance de la dotation globale de fonctionnement (1,4% de progression de 1997 à 1998, contre 2,8% de 1998 à 1999) constitue un effort substantiel en direction des collectivités locales ;

      – le projet de réduction du taux de TVA sur les réseaux de chaleur a fait l’objet d’une démarche insistante du Gouvernement auprès du Commissaire européen chargé de la fiscalité ; le Gouvernement n’est pas hostile à une extension de la mesure proposée pour la TVA sur le tri sélectif ;

      – l’abaissement du taux de TVA sur les appareillages de certaines personnes handicapées répond à la demande de nombreux parlementaires ; la possibilité d’étendre cette mesure à d’autres types d’appareillage peut être étudiée ;

      – sur l’application du taux réduit de TVA à la restauration, le Commissaire européen à fait une réponse négative, en précisant que ce secteur ne figurait pas parmi les activités de main-d’œuvre auxquelles la Commission songeait de manière privilégiée ; une insistance excessive pourrait au demeurant avoir des effets négatifs, compte tenu de l’assiette effective de la taxe ;

      – la hausse de deux points de TVA décidée en 1995 a provoqué, en 1996, une baisse du revenu disponible brut des ménages et a ainsi brutalement freiné la croissance, alimentée pour les deux tiers par la consommation des ménages ; à l’inverse, les baisses du taux de TVA proposées dans le projet de loi de finances pour 1999, estimées à 10 milliards de francs, constituent un effort important ;

      – en aménageant le dispositif dit « amortissement Périssol », le Gouvernement s’est donné pour priorité d’accroître le parc de logements sociaux privés, pour développer l’offre de logements destinés à la résidence principale de ménages modestes ou moyens ; l’extension de cet amortissement à l’immobilier de loisir n’a pas de rapport avec cet objectif prioritaire ;

      – dans la mise au point du mécanisme de compensation de la taxe professionnelle, le Gouvernement a visé la simplicité ; c’est pourquoi, il l’a fondé sur une photographie des bases de 1999 et des taux de 1998 de cette taxe. La compensation aura lieu chaque année, sur une période de cinq ans, en indexant cette référence sur la dotation globale de fonctionnement. En ce sens, comme l’a déclaré, le 9 septembre dernier, M. Dominique Strauss-Kahn devant la commission des Finances, la compensation procurerait aux communes victimes de pertes d’emploi une ressource supérieure au produit de taxe professionnelle que leur aurait assuré le droit actuellement en vigueur. Elle renforce donc la péréquation entre collectivités riches et collectivités pauvres ;

      – la suppression de la part salariale dans l’assiette de la taxe professionnelle équivaut pour le secteur du bâtiment et des travaux publics à une diminution de 48% du montant de cette taxe, dont l’impact sera d’autant plus fort que ce secteur emploie trop de main-d’œuvre ;

      – on ne peut parler sans contradiction de dégrèvement à masse constante. Recourir à la technique du dégrèvement introduirait un aléa inopportun quant à l’évaluation de l’impact de la mesure de taxe professionnelle et serait, de surcroît, une source de complication inutile pour les entreprises ; pour ces raisons, la solution du dégrèvement ne correspond pas au choix du Gouvernement ;

      – la suppression du fonds de soutien aux hydrocarbures et l’intégration corrélative de la taxe additionnelle à la TIPP constituent des mesures de simplification ;

      – s’il est vrai que l’existence d’infrastructures et de services publics de qualité sont des facteurs attractifs pour l’investissement étranger, il faut savoir raison garder ; l’augmentation de 1% en francs constants du budget représente d’ailleurs un coup de pouce non négligeable pour la croissance ;

      – le produit de l’abaissement du plafond du quotient familial à 11.000 francs peut être évalué à 3,9 milliards de francs, alors que la suppression de la condition de ressources représente une dépense de 4,7 milliards de francs, ce qui correspond à un transfert de 800 millions de francs au profit des familles ; ces mesures font partie d’une politique familiale cohérente avec les propositions issues de la conférence sur la famille de juin dernier ;

      – un effort substantiel a été consenti en faveur des communes rurales ; la progression de la dotation de solidarité rurale dans le projet de loi de finances (2,2 milliards de francs, soit une augmentation de 25% par rapport à 1998) témoigne par son ampleur de l’intérêt manifesté par le Gouvernement à l’égard de ces communes.

       

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() Rapport sur l’Union économique et monétaire dans la Communauté européenne, Luxembourg, 1989.

() Règlement (CE) n° 1466/97 du Conseil, du 7 juillet 1997, relatif au renforcement de la surveillance des positions budgétaires ainsi que de la surveillance et de la coordination des politiques économiques ; Règlement (CE) n° 1467/97 du Conseil, du 7 juillet 1997, visant à accélérer et clarifier la mise en œuvre de la procédure concernant les déficits excessifs ; Résolution du Conseil européen relative au pacte de stabilité et de croissance.

() Recommandation de la Commission concernant les grandes orientations des politiques économiques des États membres et de la Communauté, document II/144/98-FR, Bruxelles, 6 mai 1998.

() J.C. Trichet, « L’équilibre du policy-mix de l’UEM : une condition essentielle de réussite pour la politique monétaire unique », Revue d’économie financière, janvier 1998.

() Recommandation précitée.

() Le solde budgétaire primaire est le solde budgétaire duquel est défalqué le montant des intérêts de la dette.

() Les chiffres précis donnés par les services de la Commission pour les années soixante et soixante-dix sont difficilement comparables en raison de modifications dans le périmètre des États retenus.

() « Croissance et emploi dans le cadre de stabilité de l’UEM. Réflexions de politique économique en vue des grandes orientations de 1998 ». Communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen, au Comité économique et social et au Comité des Régions.

() Portant notamment sur le niveau et les évolutions des taux de fertilité, de l’espérance de vie, des flux migratoires, etc...

() Rapport sur l’état de la convergence, 1998.

() Ibid.

() L’espérance de vie sans incapacité s’est accrue de 3 ans pour les hommes et 2,6 ans pour les femmes, alors que l’espérance de vie totale ne s’est accrue « que » de 2,5 ans pour chacun des deux sexes.

() C’est-à-dire intervenant, en l’espèce, avant 65 ans.

() La dépense intérieure d’éducation ne se limite pas à la seule dépense publique : elle recouvre toutes les dépenses effectuées par l’ensemble des agents économiques, administrations publiques centrales et locales, entreprises ou ménages, pour les activités d’éducation en métropole : activités d’enseignement scolaire et extra-scolaire, activités visant à organiser le système éducatif (administration générale, orientation, documentation pédagogique, recherche sur l’éducation), activités destinées à favoriser la fréquentation scolaire (cantines, internats, médecine scolaire, transports) et les dépenses demandées par les institutions (fournitures, livres, habillement). (Source : INSEE, Données sociales 1996).

() J.C. Émin, P. Fallourd, « L’état du système éducatif français », Données sociales 1996, INSEE, 1996.

() Le consommation socialisée peut être définie, soit comme la consommation d’un service non marchand rendu par les administrations publiques, soit comme une consommation marchande prise en charge par la collectivité, totalement ou partiellement, en nature ou par le biais d’un transfert financier.

() Au sens que donne à ce terme l’article 104 C du traité instituant la Communauté européenne.

() Le règlement (CE) n° 1467/97 du Conseil dispose, à cet égard, que « lorsqu’il décide d’infliger des sanctions à un État membre participant […], le Conseil exige en principe un dépôt ne portant pas intérêt. »

() D. Stasavage, « Le pacte de stabilité de l’UEM : crédible et efficace ? », Politique étrangère, n° 4, hiver 1997-1998.

() Résolution du Conseil relative au pacte de stabilité et de croissance, Amsterdam, juin 1997.

() Adopté en février 1997.

() Reproduit dans Économie européenne, n° 65, 1998, p. 188.

() Ibid.

() M. Buti, D. Franco, H. Ongena, Budgetary policies during recessions – Retrospective application of the « Stability and growth pact » to the post-war period, Economic Papers, n° 121, mai 1997.

() Les dates entre parenthèses se rapportent à l’épisode de récession considéré.

() La détermination d’un solde tendanciel vise à dégager une tendance de moyen terme pour le solde budgétaire, au-delà des variations dues aux fluctuations de la conjoncture. Plusieurs méthodes peuvent être employées pour calculer un solde tendanciel. La plus répandue consiste à passer par le calcul du PIB tendanciel, grâce au « lissage » des fluctuations courantes du PIB par une moyenne mobile.

() Luxembourg, Royaume-Uni.

() Finlande, Irlande, Suède, étant entendu qu’une partie de l’accroissement de la dette publique en Suède et en Finlande serait due aux flux nets de dettes et créances et n’aurait ainsi qu’un rapport éloigné avec des déterminants budgétaires.

() Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Grèce, France, Italie, Pays-Bas, Portugal.

() Condition d’ « exceptionnalité » : le déficit ne peut dépasser 3% du PIB qu’en cas de situation ou d’événement exceptionnel (cette condition n’a pas à être prise en compte ici, l’enjeu de l’étude étant justement d’évaluer la gravité des récessions susceptibles de conduire à des sanctions) ; condition de « proximité » : le déficit ne peut dépasser 3% du PIB qu’à condition de ne pas trop s’éloigner de cette valeur ( dans leur étude, les auteurs ont choisi une marge de 0,5%) ; condition de « brièveté » : le déficit ne peut dépasser 3% du PIB que pendant une période de temps limitée (les auteurs ont choisi un an).

() Pour « éliminer » le fait que, aux périodes considérées, le pacte de stabilité n’existait pas et que la norme de 3% n’avait donc aucune valeur particulière, les auteurs proposent de raisonner à partir de la différence entre le déficit constaté pendant la récession (et l’année suivante, car l’évaluation au regard du pacte de stabilité doit porter sur deux années) et le déficit constaté l’année précédant l’entrée en récession. La grandeur considérée comme significative est donc l’évolution du solde budgétaire consécutive à la récession et non son niveau absolu.

() Violation de la condition de « proximité ».

() Violation de la condition de « brièveté ».

() La chute brutale de croissance ne signifie pas pour autant que l’économie entre en récession. Les auteurs choisissent d’étudier les cas où la chute de croissance atteint 2,5%.

() Les principales lacunes évoquées sont les suivantes : d’abord, par construction, l’étude ne peut prendre en compte d’éventuelles modifications dans le comportement des autorités budgétaires découlant de l’existence du pacte de stabilité ; ensuite, l’influence du niveau initial réel du déficit, éliminée dans la construction des scénarios, a peut-être une influence sur la réaction des autorités budgétaires ; ensuite, l’étude devrait être prolongée sur la durée du cycle conjoncturel tout entier ; enfin, les modalités d’ajustement budgétaires peuvent induire des variantes par rapport à l’analyse actuelle, conduite uniquement en termes de solde budgétaire.

() Bien entendu, le modèle de base a subi, au fil des années, des transformations visant à améliorer sa capacité représentative d’une économie réelle : distinction entre biens d’équipement et de consommation, intégration des mouvements de prix, etc...

() En union monétaire, les impulsions budgétaires se font nécessairement sans accompagnement monétaire, puisque la politique monétaire est déterminée par une banque centrale indépendante et extra-nationale.

() Les documents de travail de la direction de la prévision n’engagent que leurs auteurs et non la direction.

() J.P. Cotis, B. Crépon, Y. L’Horty, R. Méary, Les stabilisateurs économiques automatiques sont-ils encore efficaces ? Le cas de la France dans les années 90, Direction de la prévision, document de travail n° 36-15, décembre 1996.

() Rapport de l’épargne brute au revenu disponible brut.

() En l’occurrence, le caractère « non keynésien » du comportement des ménages découle de l’augmentation du taux d’épargne alors même que le revenu disponible varie peu.

() Le PIB conjoncturel est égal à la différence entre le PIB réel et le PIB tendanciel ; il est négatif dans la phase descendante du cycle, positif dans la phase ascendante.

() Un plus grand degré d’ouverture réduit l’efficacité du multiplicateur budgétaire, les « fuites » hors du circuit national étant plus importantes.

() Un secteur public plus important accroissant le « fuites » par le biais de l’impôt.

() Dans la simulation effectuée par les services de la Commission, les pouvoirs publics équilibrent le budget par des augmentations d’impôts.

() La stabilisation par les dépenses ne représente que 20% de l’effet stabilisant, 80% provenant de la variation des recettes. Le stabilisateur « dépenses » repose quasi exclusivement sur le système d’indmenisation du chômage.

() Bien entendu, cette remarque ne prend pas en compte l’effet stabilisant des prestations « maximales » servies aux nouveaux chômeurs entrant dans le système.

() Le « cycle de productivité » résulte de ce que les effetifs des entreprises ne s’ajustent que progressivement aux fluctuations del’activité. Ainsi, en phase de reprise, la production augmente alors que les effectifs ne suivent pas : la productivité augmente. Au sontraire, en phase de dépression, les effectifs restent stables quelque temps avant que l’entreprise ne les adapte à ses conditions dégradées de procution : la productivité diminue.

() Même si, au demeurant, on prévoit un « choc » sur les dépenses de pension à partir de 2005 environ.

() Rappelons que, dans son rapport sur « l’exécution budgétaire et la programmation au ministère de la Défense », la Cour des comptes estimait à 233 milliards de francs le stock des AP « dormantes » en 1995.

() P.-A. MUET, Déficit de croissance en Europe et défaut de coordination : une analyse rétrospective, in Coordination européenne des politiques économiques, rapport du Conseil d’analyse économique, p. 13 et s., 1998. Elie COHEN, intervention lors du colloque international « l’Europe après l’euro : stratégies pour la croissance et l’emploi », p. 17 et s., 1997, DIAN 5/98.

() Patrick ARTUS, « Débrider la politique budgétaire européenne », in Sociétal, février 1998.

() Règlement [CE] n° 1466/97 du Conseil.

() Voir sur ce point la première partie, pages 72 et suivantes.

() P. Jacquet, « L’Union monétaire et la coordination des politiques macro-économiques », rapport précité du Conseil d’analyse économique, p. 37.

() Résolution du Conseil européen (n° 98/C 35/01) du 13 décembre 1997.

() Les déterminants de la politique fiscale, Perspectives économiques de l’OCDE, juin 1998, p. 187.

() Concurrence fiscale dommageable - Un problème mondial, Ed. de l’OCDE, 1998.

() Vers une fiscalité européenne, ouvrage collectif, p. 83, édition Economica, 1991.

() Impôts directs et politique fiscale européenne, A. Gaudillat et E. Rimbaux, in Revue d’économie politique, mars-avril 1997.

() Guy Gest, Réforme fiscale - Les contraintes d’origine communautaire en matière de fiscalité directe, RFFP n° 60, novembre 1997.

() COM (1998) 67 final du 4 mars 1998/Document E 1042.

() COM (98) 295 final du 20 mai 1998/ Document E 1105.

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