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TOME II
SOMMAIRE DES AUDITIONS
LES TEMOIGNAGES DES PARTENAIRES SOCIAUX

Les témoignages du patronat

__  Messieurs Denis KESSLER, Vice-président délégué du MEDEF, Jacques CREYSSEL, Directeur délégué et Madame Anne MOUNOLOU, Chef du service des études législatives (19 janvier 1999)

__  Monsieur Thierry JACQUILLAT, Président de la commission des affaires économiques de la chambre de commerce et d'industrie de Paris (20 janvier 1999)

__  Monsieur Dominique BARBEY, Secrétaire général de la Confédération Générale des Petites et Moyennes Entreprises et du patronat réel (CGPME) (2 février 1999)

Avertissement

Conformément aux alinéas 1er et 3 de l'article 142 du règlement de l'Assemblée nationale qui disposent que « les personnes entendues par une commission d'enquête sont admises à prendre connaissance du compte-rendu de leur audition », (les intéressés ayant la faculté de produire des observations par écrit), toutes les personnalités entendues ont été invitées à faire part des observations éventuelles que pouvait appeler de leur part le procès-verbal de leur audition.
Certaines n'ayant pas cru devoir donner suite à cette invitation, la Commission a été amenée à considérer que leur silence valait approbation et le procès-verbal les concernant est publié dans le texte qui leur a été soumis.
En outre, un certain nombre de personnalités ont eu l'obligeance de transmettre à la Commission divers documents, soit avant, soit à l'issue de leur audition. Le volume de ces dépôts ou de ces envois est tel qu'il a été matériellement impossible de les reproduire au sein du présent rapport qui s'en tient strictement aux procès-verbaux des auditions.
Seul le relevé des aides reçues par le groupe Moulinex, tel qu'il a été fourni par sa direction, fait exception dans la mesure où ce relevé constitue une information essentielle à la réflexion de la commission d'enquête, celle-ci regrettant que les autres groupes n'aient pu fournir les mêmes renseignements avec autant de précision.

Le témoignage du Mouvement national des Entreprises de France
(M.E.D.E.F.)

Audition de MM. Denis KESSLER,
Vice président délégué,

Jacques CREYSSEL,
Directeur délégué et

Mme Anne MOUNOLOU
Chef du service des études législatives

du MEDEF (Mouvement des entreprises de France)

(extrait du procès-verbal de la séance du 19 janvier 1999)

Présidence de M. Alain FABRE-PUJOL, Président

MM. Denis Kessler, Jacques Creyssel et Mme Anne Mounolou sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Denis Kessler, Jacques Creyssel et Mme Anne Mounolou prêtent serment.

M. Denis KESSLER : Le secteur des entreprises que je représente est à la disposition du Parlement et bien entendu prêt à répondre à l'ensemble de vos questions. Je me bornerai, dans une très courte intervention, à dire la très grande surprise du MEDEF devant la création de cette commission d'enquête dont le nom est clair : "commission d'enquête sur certaines pratiques des groupes industriels de services et financiers relatifs à l'emploi et à l'aménagement du territoire ». Les termes « certaines pratiques » n'ayant pas été précisés ni dans le texte de la résolution, ni dans le débat qui a précédé son adoption, je ne peux pas évidemment répondre en lieu et place et pour le compte des sociétés éventuellement concernées.

Quant à répondre globalement, pour l'ensemble des entreprises françaises, j'y suis prêt car c'est le rôle du MEDEF que de les représenter toutes et je le ferai bien volontiers.

Bien entendu je pense être invité en tant que représentant non pas des accusés mais des victimes en tout cas des victimes éventuelles d'un certain nombre de handicaps qui freinent à l'heure actuelle le développement des entreprises françaises, qui freinent la création d'emplois, qui freinent la création de richesses et qui ne nous permettent pas d'être aussi compétitifs que nous le souhaiterions. Nous souffrons effectivement de pertes de PIB, nous souffrons de pertes de production parce que «le site de production France» n'est pas aussi attractif, aussi productif que d'autres sites de production.

Nous pâtissons d'une situation qui se traduit par des prélèvements obligatoires importants, une législation relativement complexe et surtout par le fait que, grosso modo, les choix qui ont été faits n'ont pas conduit à développer « le secteur productif » mais au contraire, depuis maintenant une vingtaine d'années, à développer le secteur non productif c'est-à-dire l'activité non marchande.

Regardez cette dissymétrie formidable : il y a eu à peu près autant d'emplois productifs qui ont disparu pendant cette période qu'il y a eu d'emplois non marchands créés c'est-à-dire d'emplois de fonctionnaires de l'État ou des collectivités territoriales, quasiment un pour un. Ceci montre bien qu'au cours de cette période nous avons subi une situation dans laquelle les entreprises n'ont pas été au c_ur des préoccupations des gouvernements successifs. Je le dis sans ambiguïté : les entreprises françaises n'ont pas été mise dans la position de pouvoir résister aux deux grands phénomènes qui nous affectent de plein fouet .

Le premier phénomène, c'est l'Europe.

Votre commission au moment où nous faisons l'euro nous semble avoir des préoccupations très «bizarres». L'euro est en _uvre depuis vingt jours, nous avons à l'heure actuelle un libre marché des biens et des services, un libre marché du capital et des services financiers, la circulation des personnes est totalement libre au moins pour une partie de la zone euro, nous sommes dans une situation dans laquelle les entreprises françaises sont obligées non plus de raisonner «France» mais de raisonner «Europe», c'est-à-dire en termes de consommateurs européens, de législation européenne, de compétition européenne. C'est le premier grand défi auquel nous sommes tenus de nous adapter au risque de perdre des marchés voire les droits de propriété que les Français détiennent sur leurs entreprises.

Le second phénomène, c'est la mondialisation.

Nous ne l'avons pas choisi mais une suite de décisions a fait que l'Europe elle-même s'est ouverte au monde ; au delà des accords de l'O.M.C., au delà des accords européens nous devons soutenir une compétition qui s'est développée au cours des vingt dernières années. Dès lors les entreprises françaises n'ont pas d'autres possibilités que de s'adapter, de trouver les moyens de survivre dans cet univers de libre concurrence.

Or cette concurrence, il ne faut pas le nier, se voit chaque jour davantage. Il faut savoir que, pour un économiste, la concurrence se traduit toujours par des prix et lorsqu'il y a concurrence, il y a baisse des prix. Regardez la façon dont la désinflation s'est faite en France par une concurrence exacerbée qui a porté sur les prix. Contraints par la compétition, les prix hors taxe désormais ne croissent plus, voire baissent pour ce qui concerne les prix industriels et, quand vous regardez l'indice des prix, vous constatez une forte asymétrie entre l'indice des prix de la consommation marchande et de la consommation non marchande : si nous avons une inflation nominale, c'est surtout parce que les prix des secteurs marchands continuent à augmenter.

Comme nous ne sommes pas «coupables», mais que nous sommes «victimes», je tiens quand même à rappeler que d'une manière ou d'une autre que sur la période, nous sommes à l'origine de 14,5 millions d'emplois marchands. Avant de nous accuser de ce que l'on détruit, avant de nous accuser éventuellement des 10 % de chômeurs, il faut d'abord nous « remercier » pour les 90 % qui ont à l'heure actuelle un emploi et participent à l'activité productive de ce pays.

Nous sommes, dans la comptabilité nationale, responsables de la création de la totalité du PIB, puisque sans PIB marchand, il n'y a pas de PIB non marchand, puisque le PIB non marchand se définit simplement par ce que l'on prélève sur le PIB marchand pour financer des activités non marchandes.

Nous sommes à l'origine de la richesse produite en France qui permet de financer les dépenses publiques et les dépenses sociales : pas de redistribution sans production  et à ce titre, nous revendiquons le fait que nous sommes à l'origine de la redistribution des richesses, des revenus, par l'intermédiaire de l'ensemble des dispositifs sociaux qui ont été mis en place et complétés au cours des décennies passées.

Nous ne nous considérons en rien responsables du chômage, au contraire, nous nous considérons comme pleinement responsables de l'emploi en France.

Nous pourrions produire davantage, je l'ai dit ; nous pourrions employer davantage de monde  mais pour cela il faudrait créer un environnement qui soit favorable, qui soit compétitif, qui donne la priorité d'abord et avant tout au secteur productif, car je l'ai dit, je le répète, nous sommes contraints de nous adapter, de nous moderniser, nous sommes contraints notamment de dégager des gains de productivité en permanence, pour compenser l'alourdissement des charges qui pèsent sur le secteur productif et sur les entreprises.

Je donnerai un seul chiffre pour conclure ce propos liminaire et répondre à l'ensemble de vos questions : grâce aux entreprises françaises, nous avons passé le cap de Maastricht. Depuis 1996 les entreprises françaises ont supporté 55 milliards de francs d'impôts supplémentaires et c'est grâce à ces 55 milliards de francs d'impôts supplémentaires - c'est un chiffre officiel présenté au Parlement dans le rapport sur les comptes de la Nation - que nous avons réussi à réduire le déficit, répondu aux critères de Maastricht, permis l'euro.

Ceci dit, quand en trois ans vous prélevez 55 milliards de francs d'impôts supplémentaires, il faut bien les payer : cela a été l'augmentation de la taxation des plus-values et par deux fois consécutives de l'impôt sur les sociétés. Que voulez-vous ? Quand vous avez une charge supplémentaire, vous êtes obligé, pour rester compétitif, de dégager des gains de productivité ; c'est ce que nous avons fait contre vents et marées.

Nous sommes totalement dans une économie ouverte, européenne et mondiale. Pour autant les entreprises françaises ne sont pas frileuses et d'ailleurs elles l'ont montré en adoptant une position favorable à l'euro. Je vous rappelle que nous sommes le seul patronat en Europe qui dès 1996 a pris une position très claire en faveur de l'euro. Nous avons, bon gré mal gré, financé ce passage à l'euro et nous sommes à l'heure actuelle exposés à une compétition «féroce» dont on pense qu'elle va encore aller en s'aiguisant.

Voilà la situation telle que nous la percevons  et vraiment, au nom de l'ensemble des entreprises rassemblées dans le MEDEF, qui sont de toutes tailles, de tous secteurs, de toutes régions, nous avons le sentiment que le vrai problème à poser est de savoir comment faire en sorte que les entreprises puissent davantage créer et davantage investir.

Or il faut savoir que l'année 1998 s'est achevée sur de très mauvaises nouvelles :

1°) 1998 a été une année extrêmement médiocre en ce qui concerne la création d'entreprises ce qui est absolument dramatique pour notre pays.

2°) nous avons déposé en 1998 moins de brevets qu'en 1968 ce qui montre que la France doit faire face à un problème d'innovation.

3°) en 1998, le taux d'investissement est resté faible succédant à sept années ininterrompues de crises de l'investissement au point que le taux d'investissement est à l'heure actuelle à peu près égal à celui de 1989.

Voilà trois très mauvaises nouvelles pour les entreprises mais surtout trois mauvaises nouvelles pour les Français car qui dit moins d'innovation et moins d'investissement en France signifie qu'il y aura à terme moins de richesse produite.

Dans la même période, nous avons quand même créé 300 000 emplois qui ne doivent rien à la loi sur les 35 heures ; on peut toujours regarder ces emplois, leur nature, peu importe, depuis un an en dépit de toutes ces difficultés, les entreprises du secteur concurrentiel ont participé à la création de 300 000 emplois qui ont permis, même modestement, de contribuer à la réduction du chômage.

Voilà comment nous percevons à l'heure actuelle la situation.

Je suis bien entendu prêt à répondre très précisément à toutes les questions sachant que nous ne comprenons pas tout à fait le rôle dans lequel nous sommes.

M. le Président : Je pense que l'échange que nous aurons vous montrera la pertinence de notre propos et de nos réflexions mais pour que cela soit bien clair entre nous j'affirme d'entrée de jeu qu'il n'y a ici ni victime, ni accusé, ni défenseur, ni juge mais que notre l'Assemblée représentative de la souveraineté nationale a décidé de mener une réflexion sur un sujet qui lui semble capital.

Au delà de tout problème de vocabulaire et de tout débat d'ordre sémantique nous entendons examiner, à quelques semaines du prochain siècle, le paysage économique et social de notre pays, ce dans une perspective européenne ce qui fait que, pour la première fois dans l'histoire du Parlement français, une commission d'enquête se déplacera toute entière dans les prochains jours à Bruxelles auprès des institutions de l'Union européenne.

Qui peut nier qu'il soit du devoir du Parlement de se soucier de la pertinence des aides que la puissance publique octroie aux entreprises, de prendre la mesure de la considérable mutation que connaissent nos structures industrielles et financières et de l'impact que ces aides et que cette mutation peuvent avoir sur l'emploi et sur la vie même de nos concitoyens ?

Que nul ne s'y trompe ! C'est dans le souci de la plus large ouverture d'esprit, de la plus grande sérénité que la commission que j'ai l'honneur de présider a entamé ses travaux et qu'elle les poursuivra jusqu'à son terme !

M. Jean Luc WARSMANN : De fait, des personnes ici présentes, je ne vois ni accusé, ni juge.

M. le Président : Les choses étant désormais claires pour tous, M. le rapporteur a probablement d'ores et déjà des questions à vous poser.

M. le Rapporteur : Je voudrais confirmer tout d'abord ce que vient de dire M. le Président : notre seul objectif est d'observer  et de comprendre.

Je suis quand même un peu surpris par le fait que personne ne soit capable - et peut-être qu'à l'issue de six mois de travaux, notre commission n'en sera guère plus capable - de déterminer le montant des aides qui sont attribuées, d'un bout à l'autre de la chaîne, aux entreprises et quel rôle jouent ces aides au sein de cette considérable mutation de nos structures économiques dont faisait état à l'instant M. le Président.

Selon les estimations cela va au moins du simple au double. On nous cite 150, 200, 250, 300 milliards de francs, sinon plus, mais sans avoir aucun élément probant.

Le fait est, en tout cas, que ce sentiment est partagé sur tous les bancs de l'hémicycle, comme dans toutes les collectivités territoriales, que tous les élus à quelque niveau qu'ils se situent se posent la même question : au fond les aides aux entreprises, cela sert à quoi ?

Non pas que nous ayons envie de les supprimer, dans la mesure où nous sentons bien qu'elles contribuent vraisemblablement à plus de justice, à plus d'équité, qu'elles permettent finalement à l'économie sans doute de mieux fonctionner ; mais il semble quand même qu'il soit nécessaire d'améliorer le système, de faire en sorte qu'il soit plus performant, d'éviter un certain nombre de dérives ; c'est cela l'objet de notre commission d'enquête. Je le répète à mon tour, nous ne sommes pas des juges, ni les uns ni les autres ici, nous cherchons à observer et à comprendre tout simplement.

Ceci dit, vous vous exemptez quand même M. Kessler d'un certain nombre de responsabilités en matière de chômage ; plusieurs de nos interlocuteurs et non des moindres nous ont dit que le taux d'autofinancement des entreprises dépasse 100 % depuis plusieurs années, atteint des niveaux qui ont rarement été atteints dans le passé ; est-ce que cela ne vous paraît pas révélateur d'un profit qui passe son temps à progresser, si vous me permettez l'expression, au détriment quand même de l'emploi ?

Ne voyez, M. Kessler, dans mes questions aucune provocation.

M. Denis KESSLER : Quand bien même cela serait, je suis prêt à les accepter.

M. le Rapporteur : Vous dénoncez également la création excessive d'emplois non marchands, mais pensez-vous que l'on puisse ainsi opposer secteur productif et secteur non productif ?

Car finalement le secteur non marchand est quand même celui qui met en place les infrastructures sans lesquelles il n'y aurait pas d'investissements privés et celui qui assure l'éducation de notre jeunesse sans laquelle les entreprises n'auraient demain ni les cadres, ni les travailleurs qualifiés dont elles ont impérativement besoin.

Une troisième question portera sur le phénomène suivant : contrairement à ce que je pensais, contrairement à ce que sans doute beaucoup d'entre nous pensent, dans la dernière période, le jeu conjoint des remboursements des emprunts et des prêts bancaires fait que les banques « se nourrissent » plus des entreprises qu'elles ne les financent donc qu'elles nuisent quelque part au développement économique.

Ma dernière question portera sur les fonds de pension. Je sais que vous êtes partisan de la mise en place en France d'un système, quel que soit le terme que vous lui donnerez, qui s'apparente à ce que les anglo-saxons ont mis en place depuis plusieurs années déjà.

Ne pensez-vous pas que l'expérience de ces derniers mois au niveau international milite pour une plus grande prudence à l'égard de ce qu'il faut bien appeler des prédateurs qui s'installent là où cela rapporte le plus, et sans doute, probablement même, au détriment en premier lieu de l'emploi ?

M. Denis KESSLER : M. le Député, je vais répondre à toutes les questions qui m'ont été posées, et je vais commencer par la première : je vais peut être vous surprendre mais nous n'avons plus aucune illusion sur les aides.

Croire qu'elles constituent un gain net, allons ! Soyons sérieux ! D'un côté, il y a tout ce que les entreprises versent, au titre de l'I.S., de la T.P., des cotisations sociales, de l'autre côté, on nous le reverse sous conditions. Alors, très honnêtement, je vais droit au but, le MEDEF déclare solennellement « ne nous prenez pas les ressources, ne nous versez pas d'aide ». Ne nous faites pas croire que nous sommes là à rechercher des aides. Nous ne souhaitons pas d'aide : la preuve, nous n'avons jamais demandé les 35 heures, nous n'avons jamais demandé les aides sur les 35 heures ; or demain, on nous dira « vous avez accepté les aides sur les 35 heures » alors que nous ne les avons pas demandées. Nous n'avons pas demandé d'ailleurs davantage les aides de la loi ROBIEN ; la plupart des aides viennent des initiatives des gouvernements et non pas des demandes des entreprises.

Au nom des entreprises, je vous le dis très clairement, supprimez les prélèvements, supprimez les aides, ceci sera infiniment meilleur pour l'emploi que tous les circuits, que ces 43 ou 45 dispositifs d'aide à l'emploi qui ont été accumulés au cours du temps, qui sont à l'origine d'effets pervers, dont personne ne connaît vraiment les bénéficiaires, dont personne ne connaît éventuellement les véritables effets ; sur ce sujet, soyons très clairs et très directs : nous ne souhaitons pas le maintien de l'ensemble de ces dispositifs à l'emploi.

De grâce, ne nous prenez pas les ressources et ne nous donnez plus d'aide.  Nous n'avons plus d'illusion sur les aides. Nous avons proposé très clairement et cela a été réaffirmé par le Président Ernest Antoine Seillière à Strasbourg que la seule chose que nous demandons pour promouvoir l'emploi peu qualifié, notez bien « peu qualifié », je n'ai pas parlé d'emploi non qualifié, c'est l'idée très simple de franchise des charges qui permettrait de faire en sorte que l'emploi peu qualifié soit à l'heure actuelle d'un coût moins élevé car l'emploi peu qualifié est trop cher en France ce qui explique, tout le monde le sait, que ce soit parmi les emplois peu qualifiés qu'il y a la plus grande destruction d'emplois. C'est la raison pour laquelle nous demandons non pas une aide mais cette espèce de franchise qui permettrait de promouvoir l'emploi peu qualifié.

On nous dit sans arrêt « vous êtes à la recherche des aides », la réponse est non. Nous ne les souhaitons pas  et toute proposition venant des parlementaires tendant par une «formidable» réforme à laisser l'argent dans le circuit productif plutôt que de le prélever pour le redistribuer sous conditions sera bienvenue et appuyée par notre organisation avec beaucoup de plaisir. Cela va dans le sens de la transparence, de l'égalité des entreprises et de l'Europe qui nous interdit déjà les aides sectorielles et d'avance nous nous en réjouissons.

Vous pouvez noter notamment que dans la discussion sur l'ARPE que nous avons eue en décembre, le MEDEF a décidé de ne pas demander d'aide à l'État, alors que l'État souhaitait absolument nous donner une aide. Je vous rappelle que nous avons refusé 40 000 francs par « arpiste » - puisque c'est le nom que l'on utilise - à la grande surprise de tous nos interlocuteurs, et d'abord de l'État, qui disaient « ce n'est pas possible, prenez cet argent ». Comme nous savions que, de toute façon nous aurions à le payer, il nous a semblé plus intelligent de dire que nous ne le souhaitions pas.

Sur ce sujet, très honnêtement, sur l'efficacité des aides, comme j'ai le sentiment de partager le même avis que vous, laissez-nous l'argent, ne nous donnez plus d'aide, chacun dans son «coin» et j'ai l'impression que le secteur des entreprises s'en portera extrêmement bien.

Sur le taux d'autofinancement...le taux d'autofinancement, si je m'en souviens bien, c'est un numérateur et un dénominateur ; or, au numérateur, c'est la capacité brute, la marge brute, et au dénominateur  c'est la part des investissements financés à partir des ressources propres de l'entreprise. Mais, je l'ai dit dans mon exposé liminaire, comme cela fait exactement dix ans que nous sommes en état de sous-investissement, il est inévitable que le taux d'autofinancement soit très élevé !

Je m'en réjouis ? Non, je suis comme vous, je m'en plains et je m'en plains au nom de l'ensemble des entreprises françaises ! Je rêverai au contraire d'un taux d'autofinancement dégradé, ce qui prouverait que nous serions en train de produire un formidable effort d'investissement, ce qui irait tout à fait dans le sens du développement de l'économie productive, du développement des entreprises françaises et du développement du «site de production France».

Vous allez me demander : mais pourquoi n'y a-t-il pas d'investissement ?

Mais la réponse est claire : nous avons encore à l'heure actuelle, en France, une rentabilité des investissements qui est inférieure à la rentabilité de projets identiques poursuivis à l'étranger, ce qui conduit les entreprises multinationales à choisir les endroits dans lesquels les taux de rendement sont les plus élevés.

Deuxième raison : comment voulez-vous, M. le Député, persuader les investisseurs français d'investir alors qu'en permanence on change les règles du jeu fiscal et législatif ? Comment à l'heure actuelle expliquer l'atonie de l'investissement ? Mais pour une raison bien simple : nous avons passé l'année 1998 à évoquer l'introduction de l'outil de travail dans l'ISF. Si vous croyez que les patrons des PME vont se ruer vers l'investissement en se disant que tout ce qu'ils mettront dans leurs entreprises sera immédiatement l'objet d'une taxation supplémentaire ? Il n'y a pas d'autre raison à leur attentisme !

Troisième raison : les 35 heures ou plutôt l'effet pervers des 35 heures. Nous ne connaissons pas le contenu de la seconde loi. Ecoutez, si vous croyez que les chefs d'entreprise vont accroître leurs capacités de production, embaucher des gens sans connaître le niveau du SMIC, le volume des heures supplémentaires, le coût des heures supplémentaires ! Le développement des contrats à durée déterminée, l'attentisme en matière d'investissement s'expliquent par le fait que, sans arrêt, sans arrêt, sans arrêt, on change les règles du jeu.

J'ai cité les deux modifications de l'I.S. en quatre ans ; est-ce que vous connaissez un pays qui a changé deux fois l'I.S. en quatre ans ?

Oui, le taux d'autofinancement est élevé parce que nous n'avons pas d'investissement. Je le regrette profondément mais la seule manière d'obtenir la reprise de l'investissement, c'est d'avoir de la visibilité sur la politique économique, c'est de dire à l'ensemble des entreprises françaises : » allez-y, vous pouvez y aller, on ne changera pas sans arrêt les règles du jeu ».

Voilà pourquoi je partage votre sentiment : le taux d'autofinancement est trop élevé mais la seule manière de le réduire n'est pas de réduire encore la rentabilité déjà insuffisante des entreprises, c'est en faisant tout pour leur créer un environnement favorable et, M. le Député, le taux d'autofinancement comme par magie diminuera, ce dont je me réjouirai car derrière il y aura des investissements productifs.

Le troisième point porte sur le secteur non productif et le secteur productif  : entre 1990 et 1997 l'INSEE a constaté la disparition de 822 000 emplois marchands et la création de 736 000 emplois publics. Vous allez me dire : » est-ce que vous pouvez en apporter la démonstration ? » Oui, je peux en apporter la démonstration par un tableau que je vous ferai tenir. Dans tous les pays qui ont réussi à retrouver le plein emploi ou du moins qui s'en approche, cela a été systématiquement du à une augmentation de l'emploi marchand par rapport à l'emploi non marchand ; tel est le cas de la Hollande, du Royaume Uni, de l'Irlande, des États-Unis mais dans les pays au sein desquels on a développé l'emploi non marchand, par définition on a supprimé beaucoup d'emplois marchands. C'est clair, nous avons là un cas d'école d'une extraordinaire pureté à l'occasion duquel, malheureusement, on ne s'est pas rendu compte que développant le secteur non productif, nous aurions à terme un problème pour développer l'emploi marchand.

Sur la même période c'est à dire 1990-1997, quand on fait la somme de l'augmentation des prélèvements obligatoires et de la dette publique - laquelle représente des impôts pour demain -, nous arrivons à 3 045 milliards de francs et quand vous prenez la croissance du PIB marchand nous n'arrivons qu'à 1 025 milliards de francs supplémentaires. Le rapport est de 1 à 3 entre la richesse produite et celle qui est retenue par l'État. C'est incroyable !

Mon propos n'est pas d'accabler tel ou tel gouvernement. J'ai volontairement pris une période durant laquelle il y a eu des alternances nombreuses et variées - je crois avoir eu cinq ministres des finances comme interlocuteurs pendant cette période -. Oui, nous avons un problème structurel d'asymétrie dans le développement de la sphère publique par rapport à la sphère marchande. Tous les chiffres que je produis ressortent de l'INSEE, il n'y a aucune ambiguïté sur ce point.

Très honnêtement, quand vous regardez la structure du budget de l'État pendant la même période, tout le monde sait que l'on a augmenté les dépenses de fonctionnement par rapport aux dépenses d'investissement; Je sais bien qu'une dépense de fonctionnement de l'État peut être productive. Je sais très bien qu'un professeur est productif. Je l'ai été et je ne veux pas renier tout mon passé ; mais quand on regarde dans le détail les frais de fonctionnement de l'État, je ne suis pas sûr que les choix collectifs durant cette période aient été toujours dans le sens du développement de ce qu'il y a dans l'État de plus productif  et je dis simplement que dans cette période nous aurions dû sans doute mieux maîtriser la dépense publique et le déficit de l'État, ce qui aurait permis un essor du secteur marchand.

Sur les deux dernières questions, je pense au contraire que la France souffre de banques insuffisamment puissantes et développées. Regardez les grands pays dans lesquels les problèmes d'emploi ont été résolus, regardez des pays comme la Hollande où le secteur bancaire est extrêmement puissant, regardez les pays d'Amérique du nord dans lesquels il y a eu un développement extrêmement puissant, on constate encore une fois, une concentration et un développement du secteur bancaire et je ne citerai pas le cas de la Suisse. Nous avons, au contraire, en France un secteur bancaire qui n'a pas la puissance, les fonds propres suffisants pour financer l'essor du système productif. Je le regrette profondément ; ceci est lié notamment au retard dans les privatisations qui a freiné les concentrations et les restructurations mais aussi à une rentabilité insuffisante du secteur bancaire. Je confirme, au contraire, que le renforcement des banques françaises est un des moyens qui permettront d'assurer le développement des entreprises productives. Je ne connais pas de grand système économique sans grand système financier, et au contraire, je me plains du fait que notre secteur bancaire n'est pas encore assez rentable et pas assez riche en fonds propres.

Sur les fonds de pension, les événements récents ne me conduisent nullement à changer une position que je défends avec obstination depuis vingt ans, à tel point d'ailleurs que je commence à considérer que les arguments que j'ai pu utiliser s'usent à force d'avoir été répétés.

En un mot, nous sommes entrés dans une économie de fonds propres mais cette modification n'a pas été perçue à temps en France. Nous étions dans une économie d'endettement, d'inflation, de création monétaire et d'entreprises dont le développement était très largement assis sur des ressources bancaires. On faisait jouer l'inflation comme effet de levier, l'État s'endettait, tous les autres acteurs étaient endettés, c'était ce que l'on appelle « l'économie d'endettement » qui a provoqué quelques difficultés quand même.

Or on a changé de modèle, on est entré dans une économie de fonds propres. Ce renversement est copernicien : une économie de fonds propres est à l'opposé d'une économie d'endettement. Dans une économie de fonds propres, il faut des investissements rentables, il faut de l'épargne préalable, il faut de l'épargne à long terme, et c'est bien la raison pour laquelle le volume de crédits distribué par les banques est en régression depuis quelques années, alors que les besoins en terme de capitaux longs, notamment en actions, sont en train d'être de plus en plus pressants.

Comme nous n'avions pas de fonds de pension pour mettre à la disposition des entreprises de l'épargne longue, ce sont les fonds de pension étrangers qui ont amené cette épargne longue et je regrette simplement qu'au cours de cette période et pour cette seule raison le capital des grandes entreprises françaises inscrites à la cote soient passées sous le contrôle des investisseurs étrangers ; je le regrette, non pas parce que je trouve que cela soit une mauvaise chose en soi, mais parce que, dans la même période, les investisseurs français n'ont pas pu prendre des participations analogues dans les grandes entreprises étrangères. C'est cette asymétrie qui me pose problème ; ce n'est pas le fait que des investisseurs étrangers soient devenus actionnaires majoritaires de telle ou telle grande banque ou de telle ou telle grande industrie française.

Je dis simplement que, malheureusement, durant cette période, nous avons du assumer une guerre menée sur les marchés financiers par le jeu d'apports en fonds propres à laquelle nous n'avions pas les moyens de répondre, tout simplement parce que les fonds de pension n'existaient pas en France.

Cela a été démontré dans le monde entier : les fonds de pension sont nécessaires pour fournir ce que l'on appelle le capital stratégique car ce sont des fonds à très long terme. Mais vous allez me dire : les vicissitudes de ces quatre derniers mois tendraient à prouver le contraire mais vous savez que la rentabilité des fonds de pension ne s'apprécie que sur un cycle boursier complet de dix sept à vingt ans et non pas sur trois, quatre ou cinq ans. Toutes les propositions qui ont été faites par le MEDEF concernent évidemment des engagements longs, de façon à ce que les épargnants d'aujourd'hui puissent retrouver au moment de leur retraite des sommes qui auront été valorisées sur les marchés.

Sur les quatre ou cinq points que vous avez abordés, je suis très clair sur les aides, je pense être clair sur l'impératif absolu d'investissement et donc sur le taux d'autofinancement, sur la priorité au secteur productif, sur la nécessité absolue de renforcer nos banques, sur le caractère indispensable des fonds de pension alors que nous sommes à sept ans de l'explosion démographique, que la guerre économique bat son plein au sein d'une économie mondialisée.

M. Jean BESSON : Je ne voudrais pas revenir sur le taux d'investissement, mais puisque vous avez parlé des fonds propres, je voudrais vous demander quelle est l'évolution de la situation des fonds propres dans les entreprises, qu'il s'agisse d'une part des grands groupes et d'autre part des PME/PMI ?

Si cette évolution est positive et favorable, ou si cela continue à devenir favorable, est-ce que vous pensez que c'est un élément de nature à favoriser l'investissement ? Sinon, y a-t-il d'autres freins, pour ne pas dire d'autres obstacles à l'investissement ?

Cela me conduit à ma deuxième question : est-ce que ce sont les mêmes freins qui conduisent à la carence que vous avez dénoncée en matière de création d'entreprises ? Sinon, quelles sont les difficultés qui nous conduisent en France à avoir une insuffisance, un déficit important, en matière de création d'entreprises ?

Autre point que je voudrais évoquer ; quand vous parlez de secteur non marchand, est-ce que vous impliquez dans ce secteur l'ensemble des mesures de politique de traitement social du chômage ? J'ai bien dit traitement social, et pas traitement économique.

Enfin, j'aimerais que vous me disiez un mot de ce que vous pensez de l'adéquation ou de l'inadéquation entre le système éducatif français, le système de formation et l'emploi . On vit encore, dans notre système éducatif, selon le principe napoléonien qui veut que la formation égale un diplôme et qu'un diplôme égale un emploi, ce qui malheureusement n'est plus tout à fait le cas ; on constate d'autre part que, pour toute une série de raisons plus ou moins politico-historiques, l'implication des entreprises dans la formation spécifique est malheureusement très marginale, très faible, et que les entreprises cherchent à recruter des personnels déjà qualifiés. Tout cela aboutit, parce que l'université et les structures françaises ne sont plus en mesure d'absorber la totalité des diplômés, à une évasion très forte des hauts diplômés français sortant des universités, ce que l'on appelle maintenant l'évasion de la matière grise. Est-ce qu'il y a là des perspectives qui pourraient se renverser ? Vous avez parlé de mouvement copernicien ; est-ce que là, on pourrait espérer un jour un mouvement copernicien ? Est-ce que cela a un lien avec la carence, le déficit que nous avons en matière de brevets et d'innovation ?

M. Denis KESSLER : M. le Député, je vous remercie de vos questions  et vais être plus rapide peut-être compte tenu du temps qui nous a été imparti.

Sur les années quatre vingt dix : quand vous regardez le début de la décennie vous avez des entreprises françaises très fortement endettées et  un phénomène que l'on a oublié maintenant à savoir des taux d'intérêt de l'ordre de 8, 9 ou 10 % lui même associé à la récession de l'année 1993 et à des dévaluations compétitives.

Le meilleur investissement qu'on fait les entreprises françaises a été de se désendetter, allégeant leurs charges d'intérêt de 9 points en net, et c'est ainsi que les entreprises françaises qui étaient à la sortie des années 1980 extrêmement endettées se sont mises en posture d'affronter ce passage à une économie de fonds propre. Elles ont restructuré leurs bilans, elles ont maintenant des bilans où la part de l'endettement par rapport aux fonds propres est moindre, et il faut s'en réjouir, mais cela a pris cinq ou six ans.

Le moment est venu je crois de faire un diagnostic sur les fonds propres ; il faut dire très clairement qu'en France, il y a toujours un problème de fonds propres et de traitement fiscal des fonds propres. Si nous avons une demande, c'est bien celle de privilégier l'investissement en fonds propres notamment en faveur des PME. La taxation du revenu des dividendes à l'IR est quelque chose qui décourage l'investissement sous la forme d'actions et diminue l'apport en fonds propres au bénéfice tant des PME que des grandes entreprises.

Il y a là une asymétrie formidable entre prélèvements libératoires, obligations et l'imposition à l'IS des apports en nature qui est à l'inverse des lois de l'économie qui voudraient que l'on privilégie la prise de risque et non la sécurité. Voilà une mesure extrêmement simple : rééquilibrer placements en obligations/placements en actions, décision qui serait de neutralité et qui irait dans le bon sens.

S'agissant de la création d'entreprises : c'est pour moi un drame. La France est historiquement une terre riche en créations d'entreprises ; notre économie ne serait pas au niveau qui est le sien s'il y n'avait pas eu dans le passé un nombre incroyable de créations d'entreprises ; quand vous interrogez le public, que vous prenez les gens dans la rue, vous avez 700 000 personnes qui vous disent : » j'aimerais bien créer une entreprise » ou « j'ai un projet de création d'entreprise » ; cela va du projet artisanal - mais peu importe, c'est de la création d'entreprise ! - au projet plus ambitieux. Or quand vous regardez le nombre de projets effectivement réalisés, il faut déjà diviser par quatre et quand vous regardez combien il en reste au bout de cinq ans, il n'en reste quasiment rien : la mortalité infantile des entreprises est absolument redoutable, mortalité qu'on ne peut pas se permettre en 1999 pour la raison simple que dans ces milliers d'entreprises qui meurent ou qui ne naissent pas, il y a quelque part une grande entreprise qui ne sera pas là dans une cinquantaine d'années.

Je rappelle quand même que la plupart des grandes entreprises françaises sont nées voici peu de temps, que les SCHNEIDER, les MICHELIN, les DASSAULT et bien d'autres encore sont nées, se sont développés, ont acquis une taille mondiale, dans les trente ou quarante dernières années ; c'est la raison pour laquelle tout ce qui peut être mis en _uvre pour favoriser la création d'entreprises et surtout pour supprimer la mortalité infantile des entreprises françaises me semble un impératif catégorique pour l'emploi de demain.

Chaque personne qui se délocalise - je reviens à votre dernière question - et qui emmène avec lui une idée, un projet ou une entreprise, c'est peut être un Bill GATES qui manquera demain à l'économie française. Or je souhaite simplement que les talents se développent sur le «site de production France» et ne trouvent pas d'autres sites plus favorables.

Il y a 13 000 français inscrits au Consulat Général de San Francisco qui sont en train d'animer la révolution technologique américaine et quand on leur demande « pourquoi vous ne faites pas cela en France ? », ils répondent « nous viendrons en France au moment de notre retraite parce qu'il y fait bon vivre ». Pour notre part nous souhaitons qu'il fasse également «bon produire en France».

S'agissant du traitement social du chômage : j'ai parlé des aides aux entreprises ; ce sont des dispositifs complexes que la plupart des gens ne connaissent pas ; seuls des initiés en bénéficient, ceux qui pour des raisons x, y ou z connaissent les ficelles. Aussi bien sommes nous prêts à envisager toute mesure qui conduirait à faire disparaître cette espèce «d'usine à gaz».

En revanche, nous sommes favorables aux aides à la personne et nous allons tellement loin en ce sens que nous venons de proposer de mieux indemniser les salariés qui se trouvent entre deux contrats à durée déterminée: à l'heure actuelle il faut avoir travaillé quatre mois au cours des huit derniers mois pour avoir droit à une indemnisation et nous sommes prêts à envisager de porter ce délai de huit à dix mois. à condition, bien entendu, que la contribution DELALANDE, qui est une taxe sur les entreprises qui sont obligées de licencier des salariés âgés n'alimente pas les caisses de l'État mais celles de l'UNEDIC, ce qui permettra de mieux indemniser les chômeurs.

Je vais jusqu'au bout de ma pensée : nous devons renégocier cette année 1999 la convention UNEDIC. Nous allons le faire dans le souci de trouver les aménagements qui permettront de tenir compte de la nouvelle évolution du marché du travail ; j'ai cité le développement de l'intérim, des contrats à durée déterminée ; je pourrai citer également l'externalisation d'un certain nombre de fonctions, le développement du travail à l'étranger pour un certain nombre de cadres, ou l'expatriation, que sais-je encore.

S'agissant du système éducatif, vous connaissez notre position : nous considérons que la révolution c'est celle des compétences substituées aux diplômes ; nous avons en France la manie des «peaux d'ânes» et les «peaux d'ânes» ne sont plus ce qui permet d'asseoir une politique de ressources humaines ; nous avons développé ce concept de compétences ; tout le monde a des compétences, le problème est de les mobiliser, de les rémunérer et bien entendu de les compléter lorsque c'est nécessaire ; c'est pour cette raison que nous souhaitons un rapprochement puissant entre les entreprises, l'école et l'université ; nous considérons même que cela devrait être un terrain d'élection du paritarisme  et que si nous manquons ce rapprochement, nous allons vers un divorce croissant entre le système éducatif et universitaire et les entreprises, que nous n'avons pas le droit que ce divorce perdure car il se traduit par un chômage des jeunes.

Il faut mettre fin aux effets pervers de l'apprentissage et de l'alternance car plus on développe l'alternance et l'apprentissage, plus on développe les contrats à durée déterminée (puisqu'un contrat en alternance est un contrat à durée déterminée) pour ensuite nous entendre dire : » mais regardez, il y a une augmentation des contrats à durée déterminée » ; évitons des débats de ce type tant il est un impératif d'offrir des possibilités d'insertion dans le monde productif aux Français ; l'on parle beaucoup de réforme de l'université et de l'école mais l'on parle peu du rapprochement entre l'école, l'université et l'entreprise, alors qu'il nous semble que c'est là que gisent des possibilités d'emploi, de carrière, de promotion et de résolution de la précarité et de la pauvreté notamment parmi les jeunes.

M. le Président : Vous avez évoqué à diverses reprises l'asymétrie qui existerait entre nos systèmes nationaux et les systèmes de nos partenaires européens ; l'un des problèmes qui se posent à nous est de bien mesurer ce qui existe dans des pays qui ont un caractère fédéral très marqué, comme l'Allemagne, ou bien ceux qui ont mis au point de façon tout à fait efficace des zones franches ou des districts industriels, comme l'Ecosse, l'Irlande, ou le Portugal par exemple.

M. Denis KESSLER : Notre sentiment est que le développement de l'euro va faire que les problèmes des nations vont progressivement disparaître derrière le problème des régions ; au fur et à mesure où l'euro et l'harmonisation vont se faire, nous aurons une situation dans laquelle certaines régions vont être en croissance tandis que d'autres vont connaître des difficultés c'est-à-dire que nous allons avoir des sites régionaux attractifs et d'autres qui le seront moins ; d'ailleurs, en lisant attentivement les débats dont est issue votre commission d'enquête, j'ai vu que vous insistiez sur le fait qu'avoir des infrastructures, des universités, des écoles qui fonctionnent bien attire les entreprises, que ce n'est donc pas uniquement une question d'aides directes mais plutôt d'aides « indirectes ». Une bonne desserte, un effort de désenclavement, des infrastructures adaptées sont souvent plus efficaces que n'importe quelle prime versée à telle entreprise.

Notre idée est que l'aménagement du territoire doit passer par la mise en place d'un environnement régional qui soit propice à attirer des entreprises et il est assez extraordinaire de voir comment en certains endroits cela marche bien grâce à une communauté de chefs d'entreprise, à une chambre de commerce, au désenclavement qu'a rendu possible une desserte aérienne, à la création d'un IUT, à la modération de la taxe professionnelle, que cela s'est su dans les entreprises qui viennent s'installer autour de ces pôles de développement.

Je prends un exemple pour illustrer mon propos. Où se localisent les entreprises japonaises ? Beaucoup de PME ou de grandes entreprises japonaises en Europe se localisent en Alsace parce les japonais ont considéré que la culture des entreprise alsaciennes était proche de la leur, qu'il ont créé le lycée japonais européen de COLMAR et que les petits japonais ayant la possibilité de suivre des cours dans leur langue maternelle, vous avez de Strasbourg à Mulhouse toute une série d'entreprises japonaises grâce à cet
« effet de grappe » qui fait qu'une entreprise en attire une seconde qui en attire une troisième...

M. Alain COUSIN : On disserte tous, assez bien d'ailleurs, sur cet effet comme sur tous ceux qui sont propices à l'aménagement du territoire et à la création d'un environnement favorable au développement des entreprises. Jusque là, tout va bien mais c'est à partir de là que les choses se corsent. Or que proposez-vous, vous es qualité MEDEF, quelle direction proposez-vous pour essayer de faire en sorte que nous n'assistions pas, dans les dix ou quinze ans qui viennent, à des différences considérables entre les régions ?

M. Denis KESSLER : Une partie de la saisine de la commission d'enquête porte sur les délocalisations ce que j'appellerai, si je devais prendre une métaphore horticole, le « rempotage », c'est-à-dire prendre une plante ici pour la rempoter ailleurs ; je crois plutôt que le développement du territoire passe par le marcottage ou ce que l'on appelle « l'essaimage ».

Nous souhaitons recourir d'abord aux micro solutions : développer par exemple le fonds de capital risque local ; il y a dans certaines régions, je pense au Nord de la France, des gens qui se sont réunis pour mobiliser les ressources, pour financer des créations d'entreprises. Je pense à certaines entreprises qui acceptent de mettre à la disposition d'un de leurs cadres les moyens de créer une autre entreprise et de voir s'il peut réussir. Je pense encore à ce que l'on appelle le « small business act » américain, ce que l'on appelle « le circuit court de l'innovation » dans lequel une personne physique peut déduire de son impôt sur le revenu des sommes qu'il consacre à la création d'une entreprise innovante ; cela a été extrêmement efficace aux États Unis  ; c'est un circuit court qui ne passe pas par des circuits intermédiés, qui permet de générer une relation «physique» entre le responsable d'une entreprise et la personne physique qui va l'aider.

Je pourrais multiplier à l'infini ce genre d'exemples ; ce sont certes de petites voies, des séries d'initiatives locales mais qu'il faut multiplier en ayant recours à cet effet de « serre » qui fait qu'à partir d'une graine, de deux graines, de trois graines des rameaux se diversifient ; cela marche ! Je vous promets !

C'est le côté passionnant de ce que je fais à l'heure actuelle avec toute l'équipe du MEDEF et quand on regarde les facteurs du développement il s'agit toujours de l'action de leaders locaux, de collectivités locales qui donnent une très grande priorité à l'entreprise et qui soutiennent la communauté des entreprises présentes sur leurs territoires..

Ce sont à chaque fois des petits cas : je prendrai l'exemple d'une entreprise qui s'est spécialisée dans la connectique, c'est-à-dire tout ce qui est câbles ; à l'heure actuelle, vous avez des ordinateurs, des modems, la téléphonie, mais tout cela ne marche que s'ils sont câblés. Cette entreprise s'est installée dans la Marne  ce qui n'est pas l'endroit que vous pourriez considérer spontanément comme le plus «high tech». Le chef d'entreprise a dû se battre comme un fou pour créer un brevet professionnel de connectique ; il y est arrivé, parce qu'il a eu le soutien local du Recteur qui a compris l'intérêt d'un tel brevet professionnel. Le résultat est là : des jeunes sont ainsi formés dans la Marne à des techniques qui relèvent de la plus haute technologie. Nous repérons à l'heure actuelle tous ces cas qui réussissent ; nous nous donnons pour mission de faire connaître dans tous les endroits de France les expériences de ce type pour pouvoir faire en sorte qu'elles soient copiées.

Nous avons donc une conception de l'aménagement du territoire qui combine très étroitement l'action des collectivités publiques et l'action des entreprises dites de terrain, si possible petites, ou les filiales des groupes nationaux.

M. Nicolas FORISSIER : J'ai bien compris votre message que personnellement je partage sur le « moins d'impôts, moins d'aides », mais ne croyez-vous pas quand même que la puissance publique, que ce soient les collectivités locales ou l'État, a un certain nombre de devoirs à l'égard des entreprises ?

Je pense notamment à certains domaines que vous avez vous-mêmes cités : la création d'entreprises, l'exportation (notamment pour les PME car les grands groupes n'en ont pas besoin), l'accompagnement de l'innovation. Il ne s'agit pas d'aider en subventionnant « à fonds perdus » ou sans véritable certitude de retour, mais plutôt d'essayer d'accompagner, dans des domaines où il y a une vraie difficulté, notamment en termes de concurrence internationale ainsi que le président de notre commission l'a bien rappelé tout à l'heure. Est-ce que vous avez au sein du MEDEF une réflexion qui vous conduit à dire : » après tout, on nous laisse nos ressources, on veut qu'on supprime les 1 000 ou 1 200 ou 1 800 dispositifs existant dans le domaine des aides à l'emploi et dans un certain nombre de subventions », je pense notamment à des subventions à l'investissement qui me paraissent destinés aux initiés ; en revanche, il existe des domaines où il faut que, pendant un temps donné, à la limite sur la base d'un contrat d'objectif, la puissance publique, quel que soit son niveau, intervienne pour accompagner les entreprises.

Je voudrais que vous précisiez votre position ; vous aviez une position très rédhibitoire tout à l'heure mais on sait bien que nous n'allons pas passer sans transition d'un système à l'autre. Est-ce que vous avez réfléchi à cette transition, est-ce que vous avez des propositions en ce sens ?

M. Denis KESSLER : Si je prends la première partie de votre intervention, M. le Député, cela voudrait dire que je me suis mal fait comprendre. Je ne suis pas là pour répéter comme un moulin à prières tibétain le message que vous avez entendu pendant des années : moins d'impôts, moins de charges, et on s'arrête là ; ce n'est pas vrai ; ceci n'est pas notre politique et si je me suis exprimé de cette manière, cela veut dire que je me suis mal exprimé.

Ce n'est pas notre position : notre position, pour ceux qui lisent attentivement ce que nous disons, qui voient les actions que nous sommes en train de mettre en _uvre, c'est l'inverse.

Permettez-moi de placer notre débat dans sa dimension historique. Il y a des périodes dans lesquelles l'État doit avoir la priorité et des périodes où l'on doit redonner la priorité au secteur productif. Il nous semble que tel est le cas aujourd'hui si l'on veut résoudre les problèmes de la France, les problèmes lancinants d'un taux de chômage important et d'une croissance ralentie : nous avons 1 % de croissance en moyenne depuis dix ans en France, c'est-à-dire un doublement du PIB tous les soixante-dix ans alors que dans le même temps les États Unis ont un PIB qui double par tête tous les 24 ans.

Nous disons donc que la collectivité nationale doit se sentir concernée par les créations d'entreprise, l'innovation, la recherche, l'investissement, le maximum d'investissements, la réussite des entreprises. Mais nous disons aussi qu'il faut que la communauté des entreprises s'organise, qu'elle assume ses responsabilités notamment dans le domaine paritaire, que la première des priorités est de rétablir la confiance.

Si je vous dis très humainement ce que je ressens, c'est que nous n'avons pas réussi en France à établir cet espèce de pacte de confiance qui doit exister entre la communauté des entrepreneurs et la puissance publique ; quand la confiance est là, l'investissement, le développement, la recherche, la création d'entreprises sont là.

Les relations entre l'État et les entreprises sont souvent posées dans des termes de tutelle ; « on vous donne, et vous devez, autrement on vous bannit et si vous n'êtes pas d'accord on vous impose une loi ». En France on est toujours menacé d'une loi dans tous les domaines.

Or nous souhaiterions que s'établisse en France entre les diverses collectivités publiques et le monde des entreprises, une relation que Tony Blair appelle « le partenariat », « le partnership ». On ne s'en sortira pas s'il y a défiance mutuelle, si l'on se renvoie la responsabilité , le patronat vous accusant de l'accabler de charges et les parlementaires accusant les patrons de délocaliser ou de rechercher à tout prix la productivité.

Il faut mettre un terme à cette situation dont chacun est responsable. Cela passe par un pacte de confiance entre les collectivités publiques et le monde de l'entreprise.

Vous voyez bien que nous avons deux ou trois échéances difficiles et notamment celle relative à la seconde loi sur les 35 heures ; ce n'est pas la peine de se le cacher, soit le débat sur la seconde loi relative aux 35 heures se passe bien, c'est-à-dire que l'on écoute les branches et les entreprises, et dans ce cas, les entreprises assument les responsabilités que leur impose le défi de la zone euro; mais si la seconde loi sur les 35 heures se passe mal, et que l'on se retrouve face à un ukase, alors je crains une démobilisation des chefs d'entreprise.

C'est la raison pour laquelle mon message est clair : établissons ensemble une relation de partenariat au niveau local, régional, national. Le partenariat entraînera la confiance, la confiance entraînera l'engagement des entreprises : telle est la mission que l'équipe actuelle du MEDEF a en tête.

M. Jean LAUNAY : Votre propos au fil de l'audition s'est assoupli, et vous êtes moins raide qu'au début. Vous vous êtes initialement placé en position d'accusé, nous plaçant ainsi en position de juges sinon de bourreau ce qui n'est évidemment pas le cas.

Sur le taux d'investissement, c'est un des points sur lesquels nous voudrions insister dans cette commission d'enquête, vous avez dit qu'il était aujourd'hui à peu près identique à celui de 1989. Pourrait-on avoir une analyse un peu plus infra-régionale pour savoir si le phénomène est global ou s'il peut y avoir, région par région, des résultats différents qui pourraient être dus aussi à l'action des politiques publiques régionales.

On a mentionné tout à l'heure certaines aides et vous avez semblé les rejeter globalement mais les primes d'aménagement du territoire, les primes régionales à la création d'emploi ont pu çà et là avoir des effets incitatifs. Certains départements ont mis en place des moyens d'accès aux fonds propres et donc des outils qui peuvent permettre de mieux structurer les finances des entreprises.

Je voulais vous demander votre analyse sur les causes de cette atonie des investissements mais cela peut pourra se faire a posteriori par la transmission d'un document écrit. Vous avez beaucoup développé les causes externes mais est-ce qu'il n'y aurait pas des causes internes aux entreprises et quelle serait la part respective de chacun ?

M. Denis KESSLER :  J'ai dis simplement au début de mon intervention et je maintiens que nous ne sommes pas à l'origine des aides qu'on nous propose et qu'on ne peut en conséquence nous reprocher de les avoir acceptées. Je prends à nouveau le cas des 35 heures; nous n'avons pas souhaité les aides qui leur sont liées et nous ne souhaitons pas en être redevables. En tout cas j'appelle moi aussi de mes v_ux une grande «ré-ingénierie» de toutes les aides pour éviter leurs effets pervers et laisser les ressources là où elles seront les mieux utilisées.

Vous avez raison d'insister sur le fait que le cycle des investissements n'est pas partout le même et sans doute l'une des principales conséquences de l'élargissement des marchés sera cette différenciation régionale de l'espace européen.

Là où vous avez raison d'insister, c'est sur la nature de l'investissement. Beaucoup d'entreprises ont fait, comme je vous l'ai dit, un premier investissement en se désendettant puis après elles font beaucoup d'investissements de productivité plutôt que des investissements de capacité. Pour quelle raison ? Parce que c'était la seule manière de résister, je le dis encore une fois, à la fois à la concurrence et aux problèmes d'amortissement des charges qui pesaient sur les entreprises et à mon avis, nous ne sommes pas au bout du phénomène.

C'est la raison pour laquelle les entreprises françaises demeurent productives mais sous réserve d'une recherche permanente des gains de productivité, que ce soit en matière d'investissement, en matière de gestion du personnel, en matière de localisation, en matière de gestion des stocks, en matière de gestion des réseaux et éventuellement bien sûr des sous-traitants ; l'énergie des entreprises est utilisée à l'heure actuelle pour faire en sorte de dégager de la productivité pour résister à la concurrence nonobstant, je le dis bien, un environnement qui a été relativement peu porteur du fait de l'accroissement des prélèvements dont elles ont été l'objet.

Si cet environnement devient plus porteur, alors elles utiliseront leurs ressources au profit d'investissements de capacité. Ceci étant, il faut bien distinguer l'investissement des entreprises françaises de l'investissement des entreprises en France ; ce n'est pas la même chose. Il y a beaucoup d'entreprises françaises qui investissent, regardez dans leurs comptes sociaux, mais elles investissent à l'étranger soit en achetant des entreprises étrangères, soit en mettant en place des capacités de production à l'étranger.

L'investissement des entreprises françaises, il peut se faire ici, en Allemagne, en Irlande, en Italie ou en Espagne et comme par hasard beaucoup se développent en Espagne et en Irlande.

L'investissement dont je parlais est celui des entreprises sur le «site de production France», que ce soit par des entreprises étrangères ou par des entreprises françaises.

Je suis responsable, si vous permettez, avec le MEDEF, du «site de production France»  même si je me réjouis que par ailleurs les entreprises françaises trouvent d'autres sites de production et se développent car c'est bon à terme pour l'ensemble des entreprises ; mais sur le fond mon problème est d'arriver à faire en sorte que le «site de production France» soit un site de production sur lequel se développent des investissements de capacités.

On dit souvent : » regardez, les flux d'investissements des entreprises étrangères en France ». Effectivement, on les a regardés. L'essentiel de ces flux d'investissements sont ce que l'on appelle des investissements de portefeuille ; les entreprises étrangères viennent acheter à la Bourse de Paris des actions ou des entreprises  mais la capacité d'investissement du «site France» est inchangée en termes physiques... malheureusement !

Au surplus beaucoup d'investissements ont été faits par les fonds de pension dont parlait tout à l'heure M. le Rapporteur à fort juste titre, et ont consisté en des achats en bourse du capital d'entreprises cotées du CAC 40. Or, ces entreprises sont des entreprises mondiales ; ce ne sont pas des entreprises françaises, ce sont des entreprises dont 70 % des profits, en moyenne, viennent d'activités effectuées hors du «site de production France». Ce qui s'est passé, en fait, pendant la période des dix dernières années, c'est que les investisseurs étrangers sont venus acheter en France des entreprises mondiales dont la localisation était française mais ceci ne se traduit, d'un point de vue macro-économique, par aucune modification du «site de production France».

Or mon problème est de faire en sorte que les entreprises localisent des activités, des hommes, des laboratoires de recherche, qu'elles déposent des brevets ici en France.  Une entreprise multinationale française peut déposer des brevets ailleurs et exercer les licences ailleurs ; mon problème est qu'elle les dépose ici, qu'elle mette son laboratoire de recherche ici, qu'elle mette sa nouvelle usine de production ici.

C'est cela le problème auquel nous sommes attachés, c'est d'essayer de faire en sorte encore une fois que notre site de production soit un site de production attractif en Europe et dans le monde.

M. Alain COUSIN : Je me réjouis de cette notion de partenariat que vous avez évoquée tout à l'heure : à ce titre, peut-on imaginer que dans les régions et départements qui réfléchissent à une stratégie de développement économique en faisant appel aux outils que vous évoquiez, les grands groupes et le MEDEF apportent leurs capacités d'expertise ?

Est-il prévu que vous mettiez en place ces capacités à disposition des comités d'expansion économique pour essayer ensemble de définir dans l'esprit partenarial que vous avez évoqué tout à l'heure des stratégies de développement économique régional ?

M. Denis KESSLER : Vous avez raison. Je citerai par exemple « les business angels » -je prends un terme américain - c'est à dire ces responsables qui viennent aider les entreprises en création, y consacrer du temps, des ressources.

Nous allons essayer de développer par la voie de MEDEF territoriaux toutes les formes de parrainage. Seconde idée très forte : à ma connaissance nous n'avons nulle part d'organismes de formation des chefs d'entreprise, je parle bien de chefs d'entreprise, notamment pour les PME. Nous allons donc renforcer ce que l'on appelle l'APM, c'est-à-dire l'action des chefs d'entreprise qui consacrent du temps à d'autres chefs d'entreprise pour les former. Troisième idée : je citerai les actions en faveur du développement du capital risque local et des fonds d'investissement de capital risque locaux.

Je voudrais insister, M. le président, MM. les Députés, sur un problème de méthode. Je le vois dans l'exercice de ma mission et de ma fonction et je crois que toute l'équipe du MEDEF le ressent. Je parlais tout à l'heure du partenariat. Il faut aussi que nous puissions ne pas être l'objet de débats permanents. L'entreprise ne doit plus être un objet partisan.

Vous allez me demander ce que cela signifie ; cela signifie que l'on ne peut pas vivre dans une situation où on nous dit « on va changer l'assiette des charges patronales » et en même temps « investissez ». Est-ce que vous croyez qu'un chef d'entreprise va engager un investissement important si tout d'un coup on lui change l'assiette des charges patronales, ce qui modifie la rentabilité de son investissement ? On ne peut pas conduire une action cohérente au milieu des effets d'annonce, des projets, des débats récurrents, des débats législatifs et notamment fiscaux à « jets continus ». Ce que nous demandons, c'est un environnement relativement stable, relativement visible sans lequel nous subirons toujours ce formidable attentisme, ce mélange d'attentisme et de défiance, qui conduit dans un certain nombre de cas à des délocalisations de fortune, à des délocalisation d'activité, ou simplement à se dire « je quitte l'activité productive et je me mets simplement dans une position patrimoniale ». Cela fait partie de ce que j'appelle la confiance.

Vous me permettrez de vous retourner la balle pour faire en sorte que nous ayons ce degré de sécurité et de lisibilité propice aux projets des entreprises. Il faut se souvenir que la durée moyenne d'un équipement, c'est sept ans. Mettre en place un équipement si l'on n'a pas la visibilité nécessaire durant cette période de sept ans cela veut dire qu'on ne le fera pas, qu'on ne le fera pas ici, qu'on ira le faire dans un environnement que l'on considère comme plus sûr.

Comment concilier la nécessité d'un débat démocratique, celle des alternances et une certaine stabilité sans laquelle l'entreprise ne peut développer son activité sur une moyenne et longue période ? Si l'on arrive à trouver la solution à cette équation magique, j'ai l'impression que nous aurons fait du bon travail.

Le témoignage du Président de la Commission des affaires économiques de la Chambre de Commerce et d'Industrie de Paris
(C.C.I.P.)

Audition de M. Thierry JACQUILLAT,
Président de la commission des affaires économiques de la chambre de commerce et d'industrie de Paris

(extrait du procès-verbal de la séance du 20 janvier 1999)

Présidence de M. Alain FABRE-PUJOL, Président

M. Thierry Jacquillat est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Thierry Jacquillat prête serment.

M. Thierry JACQUILLAT : Monsieur le président, je vous remercie de m'avoir rappelé dans quel contexte j'étais entendu, étant à la fois président de la commission économique et financière de la CCIP et président directeur général du groupe Pernod Ricard. Ce n'est donc pas en tant qu'opérateur que je suis interrogé aujourd'hui, c'est en tant que président de la commission économique et financière de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris. Cela étant, je suis là et si vous voulez faire d'une pierre deux coups, n'hésitez pas, si vous avez des questions à me poser, à m'en poser aussi sur le groupe Pernod Ricard. Je pourrai y répondre tout à fait clairement.

Cela étant, je ne vais pas faire un long discours, je vais simplement rappeler que vous avez auditionné M. Richard Zisswiller, la semaine dernière, qui vous a apporté ou confirmé quelques données objectives sur l'importance des mouvements de délocalisation quelque peu déformée par certains médias. Parmi les critères de choix d'une localisation industrielle la rentabilité en est assurément la boussole essentielle mais, rassurez vous, l'attrait du territoire français reste heureusement important.

M. Zisswiller vous a probablement aussi fait part des doutes qu'on peut avoir quant à l'efficacité économique globale à moyen terme des subventions aux entreprises. Tout a déjà été dit et écrit sur cette question et les différents rapports de la Cour des comptes constituent une somme d'analyses très fouillées désormais incontournables. Vous les connaissez certainement beaucoup mieux que moi.

Il me revient donc aujourd'hui de me faire le porte-parole de mes collègues chefs d'entreprise et de vous dire ce que nous pensons sur le terrain de ces questions.

En préalable, je me dois de rappeler à nouveau ce qui nous paraît une évidence mais dont l'opinion publique n'est pas toujours convaincue, à savoir que les chefs d'entreprise se préoccupent de l'emploi et ne se satisfont pas de la situation actuelle. Au-delà de la rhétorique connue sur l'entreprise citoyenne, il s'agit pour nous d'une évidente question de responsabilité.

Votre commission d'enquête, si j'ai bien compris, s'interroge essentiellement sur l'efficacité des aides publiques aux entreprises et sur les moyens de contrôle qui peuvent être mis en place en la matière, eu égard aux sommes importantes engagées.

La commission économique et financière que je préside à la CCIP s'est également attachée à cette question récemment sous son angle local. J'ai un rapport ici que je mettrai à votre disposition si vous ne l'avez déjà. Les interventions économiques des collectivités locales sont, en effet, en voie d'être réformées et nous nous sommes penchés au sein de la commission économique et financière à la CCIP sur ce vaste chantier.

Nos observations à ce sujet résument assez bien ce que nous en pensons et ce que nous pensons plus globalement des aides publiques. Je peux vous les présenter brièvement.

Contrairement à ce qu'on aurait pu croire, les chefs d'entreprise ne souhaitent pas un désarmement unilatéral des pouvoirs publics en matière d'aide aux entreprises, en premier lieu, parce que l'intérêt des exécutifs nationaux ou locaux pour les entreprises nous semble légitime et qu'il ne serait pas sain de les laisser sans aucun outil pour intervenir dans ce domaine, à condition, bien sûr, que ces outils soient bien conçus.

Sur ce point, au-delà des procès d'intention, nous attendons une évaluation réelle et sérieuse des dites aides, ne serait-ce que parce qu'elles nous aideraient peut-être à résoudre ce dilemme entre ce que nous pensons être l'intérêt collectif - réduction concomitante des subventions et des prélèvements obligatoires et augmentation des emplois - et ce que nous savons être nos intérêts individuels, et ne pas passer à côté d'une potentielle intervention publique dès l'instant où elle existe. Le contraire serait assurément de mauvaise gestion.

Il est clair aussi que les interventions publiques peuvent être objectivement utiles au tissu productif et, partant, à l'emploi, notamment quand elles consistent à organiser ce que les économistes, dans leur jargon, appellent les économies externes qui consistent simplement à mettre à la disposition des entreprises, mais surtout des PME, des moyens utiles à leur croissance qu'elles n'auraient pas la possibilité de développer en interne. Je pense en particulier à certaines formes de soutien à la recherche ou à la formation, sans oublier bien entendu les infrastructures qui constituent, non pas une aide, mais une responsabilité première de la puissance publique.

Il résulte de tout ceci que nous reconnaissons un rôle à jouer aux pouvoirs publics et même un rôle non négligeable. Nos voisins européens l'ont bien compris puisqu'ils mettent en place des dispositifs de soutien aux entreprises dans des proportions souvent plus importantes que les nôtres. Pourquoi ne pas s'inspirer de ce qui marche chez nos partenaires et ne semble pas contrevenir aux lois de la concurrence ? 

Quelles sont alors, à nos yeux, les conditions de succès des interventions publiques en faveur des entreprises ? 

La première bien entendu est qu'elles ne faussent pas le jeu de la concurrence et qu'elles ne se substituent pas à une initiative privée.

La deuxième, c'est qu'elle soit l'objet de pratiques régulières, de budget «base zéro», comme nous l'appelons dans notre jargon, qui pourraient lever bien des soupçons d'inefficience et contribuer parallèlement à une politique générale de réduction des prélèvements obligatoires qui reste, malgré tout, le meilleur gage de pérennité du tissu productif.

Troisième principe : s'inspirer de ce qui se passe à l'étranger, notamment en matière de cantonnement du risque dans des structures externes en matière d'instruction des dossiers par des professionnels avertis, en matière de cofinancements privés systématiques, en matière d'avances remboursables en cas de succès. Tout ceci mériterait, en outre, d'être systématiquement reconnu et garantirait pour l'avenir une meilleure utilisation des deniers publics.

Dans ces conditions, le contrôle de la distribution des aides pourrait être réservé aux aides visant directement l'implantation des entreprises qui sont effectivement celles qui risquent d'être collectivement inefficaces. Nous savons tous que le jeu est globalement, dans ce domaine, à somme nulle.

De même, afin d'éviter tous types de surenchère entre les différentes structures administratives, une spécialisation des domaines d'intervention par niveau de collectivité serait peut-être préférable. Nous avons même proposé dans notre rapport une répartition type, même si nous sommes conscients de la difficulté pratique et politique d'une telle segmentation.

A défaut, il faudrait au moins s'assurer d'une mise en réseau effective et contraignante de l'ensemble des initiatives publiques (État, Région, département, commune), mais aussi des autres intervenants dont les chambres de commerce et d'industrie.

Il reste évidemment une question essentielle sur laquelle votre commission d'enquête s'interroge certainement, c'est celle du contrôle. Quelle contrepartie notamment en matière d'emploi peut-on demander de la part des entreprises bénéficiaires des aides ? 

Nous sommes, je vous l'avoue, un peu partagés sur ce sujet, non pas tant pour des questions de principe (la nature contractuelle de l'aide permet en effet objectivement de demander aux entreprises, qui sont libres, de les accepter ou de les refuser, de s'engager sur tel ou tel point), mais pour des raisons pratiques et d'efficacité : contrôle à quelle échéance ? Selon quels critères ? Comment traiter des modifications essentielles des conditions de la concurrence ou de l'environnement toujours indépendantes de la volonté des chefs d'entreprise ? Plus généralement, comment intégrer le caractère, intrinsèquement risqué et difficilement prévisible, de l'activité entreprenariale dans un réseau d'engagements trop rigide ? 

On ne peut apporter de réponses trop simplistes à de telles questions fondamentales.

En guise de conclusion, et pour finir sur une note plus optimiste avant de répondre à vos questions, je voudrais revenir brièvement sur ce que je vous ai dit précédemment, à savoir que l'essentiel des réflexions de la commission économique et financière de la CCIP était sous-tendu par la question de la création d'emplois. Il est - vous le savez - dans le caractère des chefs d'entreprise d'aller de l'avant. C'est pourquoi toutes les réponses que nous avons proposées passent essentiellement par une dynamisation du tissu productif en terme de création d'entreprise notamment, d'innovation ou de croissance réussie des PME.

Potentiellement, il ouvre aussi aux pouvoirs publics un champ d'intervention non négligeable mais qui doit être fondamentalement repensé en ce sens. J'espère qu'ils sauront s'y attacher rapidement.

Voilà, Mesdames et Messieurs, la communication que j'avais à vous faire et je suis maintenant à votre disposition pour répondre à vos questions.

M. le Président : Nous vous remercions de cet exposé préliminaire. Vous nous avez indiqué qu'un rapport de la Chambre de commerce de Paris avait été établi et que vous le teniez à notre disposition ; nous vous remercions donc de pouvoir nous le faire parvenir.

M. Thierry JACQUILLAT : Il est ici et il s'appelle «les interventions économiques des collectivités locales : une réforme incomplète». C'est un rapport qui a été adopté par la CCIP au cours de son assemblée générale du 10 septembre 1998. C'est un rapport assez récent.

J'ai également deux autres rapports : l'un de juin 1997 et l'autre de juin 1998 - ils ne sont pas trop anciens non plus -, qui sont peut-être un peu hors sujet pour ce qui concerne votre commission mais qui, malgré tout, participent au même souci de renforcement du tissu productif en France, l'un qui s'intitule «encourager l'innovation des entreprises» - il est d'actualité - et l'autre qui s'appelle «création et développement des entreprises non cotées : quel rôle pour les investisseurs extérieurs». Je vous laisse ces trois rapports, et si vous en voulez d'autres exemplaires, la CCIP n'hésitera pas à faire marcher sa photocopieuse.

M. le Président : Vous avez aussi indiqué dans votre propos que vous souhaitiez, dans le cadre de vos réflexions au sein de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris, que nous puissions envisager sur notre territoire des aides qui soient au moins comparables à celles d'autres pays étrangers. Si vous aviez là aussi deux ou trois exemples concrets qui pourraient nourrir notre réflexion, ceci pourrait nous aider aussi.

Je donne la parole à M. Paul, rapporteur de la commission.

M. le Rapporteur : J'avais inscrit la même question que M. le président sur ce que vous avez dit concernant le fait de s'inspirer de l'étranger dès lors que ces exemples apparaissent positifs. Je souhaiterais que vous puissiez nous indiquer un certain nombre d'éléments de ce point de vue.

Vous avez également marqué le soutien à la recherche et à la formation comme étant des aides publiques qui peuvent être utiles à l'appareil productif. De quelle manière verriez-vous le lien dans ce domaine ? J'ai également cru comprendre que, contrairement aux aides qui viendraient pour une implantation des entreprises, il s'agirait là d'aides qui s'organiseraient annuellement, qui tomberaient régulièrement, si j'ai bien saisi ce que vous nous avez dit.

Quelle est la position de la CCIP sur la sur-taxation du travail peu qualifié ? 

Le MEDEF, qui est venu hier, a indiqué que les entreprises en France auraient une insuffisance de fonds propres.

J'avais pourtant le sentiment qu'il y avait depuis quelques années une augmentation considérable dans ce domaine et qu'on n'était sans doute plus dans le cadre d'une insuffisance et peut-être même d'une utilisation de ces fonds propres à des fins qui ne sont pas toujours celle que nous pourrions souhaiter, en matière d'emplois en particulier.

Ma dernière question portera sur les entreprises complexes, sur ces phénomènes d'externalisation, de division, de répartition différente des structures de production. Il nous a été indiqué qu'un certain nombre de groupes français étaient en train de se séparer, qui de leur locaux, qui de leur personnel, qui de leur production, afin de créer des divisions relativement nouvelles dans le paysage industriel ou économique français. Selon vous, où réside l'intérêt pour un groupe comme Renault, pour un groupe comme Auchan par exemple, de procéder à ce genre de séparation ou de division ?

M. Thierry JACQUILLAT : Il y a six questions. Je vais répondre à la sixième d'abord et je remonterai ensuite.

Les entreprises complexes, externalisation et division... Parlons des entreprises complexes qui externalisent, qui divisent, qui s'installent à l'étranger. Ce sont des groupes à vocation, sinon internationale, au moins européenne.

Certains groupes - on l'a vu dans des exemples qui ont choqué l'opinion publique en France, celui de Hoover en particulier - n'ont pas hésité à fermer des usines et à s'installer ailleurs pour des raisons fiscales ou des raisons de coût de main d'oeuvre moindre. Ces exemples qui ont défrayé la chronique ont été principalement des exemples de sociétés étrangères. Il n'empêche que des sociétés françaises elles-mêmes s'externalisent. Cela ne veut pas dire qu'elles ferment leurs usines en France pour aller à l'étranger, cela veut dire qu'elles ont la nécessité, pour devenir européennes et mondiales, de s'implanter sur des marchés locaux. On ne peut pas imaginer une entreprise à vocation mondiale qui produirait et qui déciderait tout de la France, c'est évident. Il faut vendre dans le pays où on est installé. Il faut donc avoir sa propre force de vente. Il faut être près du terrain, près du client, près du consommateur, et devenir national dans le pays où on a vocation à se développer.

J'en sais quelque chose puisque je suis directeur général de Pernod Ricard depuis vingt-cinq ans, et j'ai amené cette entreprise franco-française à devenir internationale et à disposer d'une centaine de filiales à l'étranger qui ont été, soit créées ex nihilo, soit rachetées, et nous l'avons fait pour être proche du client et du consommateur. Et jamais nous n'aurions pu progresser de 12 % par an pendant vingt-cinq ans, en terme de chiffre d'affaires et de résultat, si nous n'avions pas procédé de la sorte. Nous serions restés franco-français, Pernod Ricard, vendant les spiritualisés en France.

L'intérêt des groupes à vocation internationale est donc de s'implanter sur des marchés étrangers, que ce soient des groupes français en dehors de France, des groupes européens en France ou des groupes internationaux ailleurs. Et nous nous battons contre nos concurrents au travers de filiales interposées sur tous les marchés étrangers. C'est tout simplement ce qu'on appelle la mondialisation. Et eu égard au fait que les frontières s'effacent, que les droits de douane baissent et que la concurrence devient de plus en plus transparente, il est évident que le meilleur moyen d'affronter la concurrence est de se frotter à elle au plus près possible de son marché.

Dans certains cas, il y a également des implantations qui sont motivées pour d'autres raisons, pour des raisons fiscales en particulier. Il se trouve que le groupe Pernod Ricard est installé en Irlande. Il est installé en Irlande parce qu'il a acheté une entreprise en Irlande. C'est par hasard que nous avons constaté, en rachetant Irish Distiller's, que la fiscalité des entreprises était là-bas de 10 % et non pas de 40 % telle qu'elle était en France en 1988. Elle était bien moindre en Irlande qu'en France, et notre affaire d'Irlande se développe à partir de productions irlandaises qu'elle exporte dans le monde entier et elle bénéficie, sur les résultats qu'elle effectue en Irlande, d'un taux d'impôt privilégié. Nous n'avons pas, parce qu'il y a un impôt plus faible en Irlande qu'en France, délocalisé la production du pastis à Dublin. On aurait pu le faire mais on ne l'a pas fait. Le pastis est un produit français, et on continue à l'élaborer à Marseille ou dans la région parisienne, mais certainement pas à Dublin.

D'autres entreprises s'installent en choisissant effectivement les pays à moindre pression fiscale. Quand on est en Europe, l'Europe étant une zone d'union et ouverte, il est certain que les entreprises ont le choix entre les pays, et certaines s'implantent plus facilement en Irlande qu'ailleurs. C'est ce que certains appellent le dumping fiscal. L'union économique existe, la monnaie unique existe, mais la fiscalité européenne n'existe pas, la TVA européenne n'existe pas, l'impôt sur les sociétés européen n'existe pas, l'impôt sur le revenu des personnes physiques n'existe pas et je crois qu'il faudra beaucoup de temps et même beaucoup de rêves pour imaginer qu'il y aura une harmonisation ou une uniformisation au sein de l'Europe à quelque échéance que ce soit.

Voilà pour ce qui concerne les entreprises complexes.

Pour ce qui concerne les délocalisations pour cause de coût de main d'oeuvre, j'avoue que je ne peux pas répondre à cette question parce que les coûts de main d'oeuvre de mon point de vue ne motivent pas principalement les délocalisations des entreprises ou, tout au moins, l'expansion des entreprises en dehors de France vers l'Europe ou en dehors de France ailleurs. Il est sûr que ce que je dis là n'est pas vrai pour tous les secteurs.

M. le Rapporteur : Dans l'aspect des entreprises complexes, il y a ce qui nous a été dit à savoir les pratiques de groupes français implantés en France qui ont tendance, depuis quelques temps, à se séparer de leurs locaux, de leur personnel, à créer des filiales qui s'occupent de leurs locaux, de leur personnel. Quelles raisons voyez-vous à ces pratiques qui concernent, selon ce qui nous a été dit en tout cas, des groupes non négligeables ?

M. Thierry JACQUILLAT : Je ne sais pas de quelles entreprises il s'agit et quels sont les services qu'elles externalisent parce que, si j'ai bien compris, elles externalisent leurs services. Elles les sortent de leur univers d'activité et elles les externalisent auprès de sous-traitants. Quand on s'adresse à des sous-traitants, cela coûte habituellement plus cher que quand on le fait soi-même. Ce n'est pas toujours vrai. L'externalisation est un phénomène qui va grandissant. C'est loin d'être vrai dans tous les cas, mais lorsqu'il s'agit d'externaliser un siège social par exemple, je ne vois pas bien une équipe de direction par intérim qui ferait fonctionner tel ou tel grand groupe international. Par contre, il y a certains services de sièges sociaux qui peuvent être externalisés, et en particulier - et ce n'est pas d'aujourd'hui - les services de trésorerie. Il y a des groupes nationalisés qui ont externalisé leur gestion de trésorerie. Renault a montré la voie. Il y en a d'autres qui ont suivi mais Renault est en Suisse ou au Luxembourg, ou quelque part par là. Ce sont ici des raisons fiscales qui dictent ce choix. Il y a un impact fiscal certain et au niveau des recettes budgétaires mais cela n'en a aucun sur le plan de l'emploi. Un service de trésorerie aussi important que celui de Renault ne déplace pas beaucoup de personnes. Le service de trésorerie de Pernod Ricard emploie une personne ou une personne et demie pour 12 000 salariés et pour une entreprise qui fait 70 % de son chiffre d'affaires à l'étranger, ce qui n'est pas énorme.

Les capitaux propres insuffisants : on peut toujours se plaindre, on peut toujours dire que les capitaux propres des entreprises françaises sont insuffisants. Je crois qu'ils le sont effectivement. Par rapport à d'autres pays, par rapport aux capitaux propres des entreprises anglaises et allemandes, ils sont peut-être un peu inférieurs mais une grosse amélioration s'est faite depuis dix ans, et ce n'est plus le problème majeur. Cela étant, je dis que ce n'est plus le problème majeur pour les grandes entreprises ou pour les grosses PME, et celles-là ne créent pas d'emplois, elles en détruisent. Par contre, cela reste un problème majeur, même s'il y a aussi une amélioration, pour les PME et les petites entreprises qui souffrent de façon chronique et historique d'une insuffisance patente de capitaux propres. Ce qui fait que leur espérance de vie est plus incertaine, plus courte ; leur capacité d'investissement, de développement à l'étranger est plus faible. C'est un vrai problème d'où l'intérêt de la lecture du rapport «création et développement des entreprises non cotées : quel rôle pour les investisseurs externes».

M. le Rapporteur : On aura donc la réponse dans le document.

M. Thierry JACQUILLAT : Je l'espère.

En ce qui concerne la sur-taxation du travail peu qualifié, c'est un problème dont on parle beaucoup, qui est un vrai problème. Moins surtaxer le travail peu qualifié, si cela doit être à somme nulle et si cela conduit à plus taxer autre chose, quels seront les véritables effets sur l'emploi ? Je ne sais pas si quelqu'un connaît la réponse. Néanmoins, la commission économique et financière de la CCIP s'intéresse à cette question. Nous faisons travailler nos économistes et des économistes extérieurs parce que nous sommes sensibles à cette question de la taxation du travail peu qualifié, et on peut s'interroger sur les effets sur l'emploi.

Pour répondre à cette question, on sera peut-être en mesure, dans six mois, de vous donner les résultat de nos études, ce qui ne veut pas dire les solutions au problème.

Pour ce qui concerne les aides à l'étranger - je vous ai parlé de l'Irlande tout à l'heure -, des aides sont importantes en Angleterre, en Allemagne, en Italie, en Espagne. Elles sont la plupart du temps fiscales. En Irlande, je vous l'ai cité tout à l'heure. En Angleterre, ce sont des aides à l'investissement lorsqu'on s'établit dans les zones du type de la Lorraine en France ; ils font des efforts et les efforts sont assez considérables. Cela peut représenter jusqu'à 30 % des investissements d'usines et d'équipements que vous pouvez faire dans ces régions.

M. le Rapporteur : Avez-vous fait une note de synthèse à ce sujet ?

M. Thierry JACQUILLAT : Je vous parle d'expérience. C'est le chef d'entreprise qui vous parle, ce n'est pas le président de la commission économique et financière, mais cela ne m'étonnerait pas que la CCIP ait quelques éléments sur ce sujet. Cela ne m'étonnerait pas que nous ayons étudié dans le passé les aides qui peuvent être apportées à gauche et à droite au sein de l'union car c'est ce qui nous concerne.

Il y a aussi des aides fiscales en Italie et en Espagne qui sont assez intéressantes et qui concernent le sud de l'Italie, qui concernent certaines zones géographiques, qui concernent également les acquisitions d'entreprises que vous pouvez faire, et le système d'amortissements fiscaux des good weal en cas d'acquisition sont particulièrement avantageux dans les pays latins. J'essaierai donc de trouver à la CCIP des éléments de réponse à votre question en-dehors de l'expérience que je peux avoir sur ce sujet. Mais ce que je vous ai écrit est vrai et pas simplement parce que j'ai juré de dire toute la vérité.

En ce qui concerne la question du soutien à la recherche et à la formation, il existe déjà des procédures dans le droit fiscal français en matière d'aide à la recherche qui démontrent leur efficacité pour les petites moyennes et grandes entreprises. C'est de l'amortissement fiscal des suppléments de dépenses que vous faites. Je ne peux pas vous citer exactement en détail le système. C'est un amortissement fiscal qui vous est autorisé sur le supplément de recherche que vous faites. Cela vous incite à rechercher davantage de manière à bénéficier de l'avantage fiscal.

Quant au soutien à la formation, il est du devoir des grandes entreprises et des entreprises de mieux former leur personnel et d'avoir à leur disposition les personnels les plus compétents, c'est une évidence. Il n'y a de richesses que d'hommes dans l'entreprise. Les grandes entreprises peuvent se payer sur le 1 % formation qui représente des masses importantes et des systèmes de formation continue qui sont efficaces. Ce n'est pas le cas des PME, parce que précisément leur 1 % formation ne représente rien du tout et c'est là où on aurait le plus besoin de former des cadres intermédiaires compétents pour aider le patron de PME à porter plus haut son entreprise parce qu'il est tout seul souvent, trop souvent.

M. Jean BESSON : Vous avez dit dans votre préambule entre autre chose que les aides ne devaient pas fausser la concurrence. Or, dans l'intervention des collectivités, des pouvoirs publics d'une manière générale, dans le domaine économique, je pense par exemple à l'intervention des collectivités dans l'immobilier d'entreprise, où on crée des conditions, soit d'exploitation, soit des conditions fiscales, qui ne sont pas autres choses que des distorsions de concurrence par rapport aux entreprises comparables installées sur des sites différents. Pour le responsable d'une collectivité qui a la responsabilité de cette intervention, c'est évidemment toujours un cas de conscience parce que cela peut être sur un site différent, cela peut être aussi sur le même site ou très proche. Comment voyez-vous une solution à ce problème en dehors d'une uniformisation de la fiscalité locale ? 

Deuxième question : vous avez évoqué tout à l'heure la spécialisation par niveau de responsabilité. Je ne sais pas encore si c'est une idée intéressante, c'est en tout cas une idée originale dans la panoplie des mesures et des idées qui ont été agitées depuis un certain nombre d'années, et je voudrais non pas vous pousser dans vos retranchements mais je ne sais pas si vous avez approfondi cette question. Je trouve qu'il serait intéressant que vous nous fassiez part de vos réflexions. Par exemple, cette spécialisation, qui conduit fatalement à répartir les projets ou les entreprises en catégories, serait-elle une classification qualitative ou une classification quantitative et dans ce cas, où resterait la liberté d'initiative et le choix du chef d'entreprise dans son investissement et sa localisation ?

M. Thierry JACQUILLAT : Je vous ai dit que nous avions proposé dans notre rapport qu'une coordination des aides puisse être faite par une certaine centralisation par niveau de collectivité et niveau de structure administrative. Vous dites que c'est une idée intéressante, je vous en remercie. Cela ne veut pas dire qu'elle soit simple à mettre en oeuvre. Elle n'est pas simple à mettre en oeuvre parce qu'elle implique quand même un certain degré de centralisation. Si on organise, on centralise, et ce n'est pas toujours bon de centraliser. En tout cas, en tant que chefs d'entreprise, nous sommes nous-mêmes des farouches défenseurs de la décentralisation tous azimuts. Mais je pense qu'on aurait beaucoup à gagner en décentralisant au niveau de l'Etat. On a beaucoup fait dans ce domaine mais il reste encore pas mal de choses à faire.

La centralisation dans ce domaine serait néanmoins intéressante parce que les aides, de mon point de vue, ne doivent être apportées, dans le cas d'une implantation, qu'à des zones qui les méritent, qu'à des régions qui les méritent, qu'à des collectivités qui les méritent et qu'à des communes qui les méritent. Et cela doit normalement rentrer dans le cadre d'une politique d'aménagement du territoire, non seulement nationale mais européenne, puisque l'Europe alloue elle-même des sommes importantes au développement des régions d'Europe les plus développées. On pourrait donc imaginer un système qui descendrait de l'Europe à la France et de la France jusqu'à la commune. Il y aurait donc une certaine rationalisation de ces aides qui pourrait éviter les concurrences entre deux communes, comme vous le disiez tout à l'heure. S'installer sur une commune limitrophe par rapport à une autre peut avoir un impact important et cela n'en aurait plus dans ce cas.

De ce fait, ces aides seraient ouvertes à tout le monde. Par conséquent, il y aurait, certes, une distorsion de concurrence mais on n'élude pas la distorsion de concurrence à partir du moment où on aide : il y a une distorsion de concurrence par rapport à celui qui n'est pas aidé. Mais il est parfois bon de procéder à des distorsions de concurrence s'il s'agit d'avoir une meilleure politique d'aménagement du territoire. Et je pense que les aides aux entreprises doivent principalement être dispensées dans cette optique, mais pas seulement dans cette optique.

Il y a d'autres raisons d'aider les entreprises. Je parlais de la formation, je parlais de la recherche... En tout cas, pour ce qui concerne l'implantation sur telle commune, sur telle région ou sur tel département, cela procède d'une politique d'aménagement du territoire et il est certain qu'il faut un certain degré de centralisation dans ce domaine.

M. Pierre CARASSUS : Vous avez indiqué que votre commission avait élaboré un rapport sur l'investisseur d'entreprise non cotée. Je voudrais savoir si vous avez essayé de cerner les effets induits par la fiscalité et si celle-ci encourage plus les placements financiers que les investissements productifs.

Enfin, puisque vous nous avez invité à nous adresser à vous en tant que président-directeur-général de Pernod Ricard, votre groupe nous envoie tous les ans son bilan, je crois même qu'il y avait deux brochures la dernière fois... Non ?

M. Thierry JACQUILLAT : Vous êtes privilégié.

M. Pierre CARASSUS : Je les reçois peut-être en tant que consommateur, je ne sais pas. Je ne sais d'ailleurs pas comment vous faites pour les repérer.

Vous avez souligné que votre chiffre d'affaires progressait de 10 % et, autant que je m'en souvienne, les dividendes suivent, voire vont bien au-delà, mais mon souvenir me laisse à penser que la progression de la masse salariale n'était pas la même alors que vous nous indiquiez que l'emploi était votre préoccupation.

Vous devez sans doute avoir en mémoire plus que moi vos indications chiffrées.

Je vous pose la question : comment traduisez-vous cette volonté de résultat positif de votre entreprise par rapport à l'emploi puisque vous nous avez indiqué que c'était votre préoccupation - ce que je dénie pas ?

M. Thierry JACQUILLAT : Pour ce qui concerne le rapport que nous avons rédigé et adopté à la Chambre de commerce et d'industrie de Paris au cours de son assemblée du 11 juin 1998, qui a trait au rôle des investisseurs externes dans le cadre du financement des entreprises non cotées, c'est un rapport qui a une cinquantaine de pages. On a l'habitude, à la CCIP, de faire un résumé des propositions en trois pages. Vous verrez qu'il y a onze propositions et vous le verrez sur les deux premières pages. Certaines sont plus techniques que d'autres mais elles ont toutes pour objectif de favoriser le développement des capitaux propres des petites entreprises. Je ne parle même pas de PME, je parle de très petites entreprises car c'est certainement là que se situent les meilleures réserves d'emploi pour le présent et l'avenir. Ce sont les PME qui embauchent, ce sont les petites entreprises et les créateurs d'entreprise qui embauchent, ce ne sont pas les grandes entreprises.

Et dans les recommandations que nous avons faites à propos de la fiscalité, puisque vous m'avez posé une question relative à la fiscalité (je suis l'auteur de ce rapport et donc j'en prends toute la responsabilité), notre commission a donc proposé une déduction du revenu dans le cas où l'investisseur était une personne physique. Cela veut dire substituer à la loi Pons DOM-TOM une loi Pons PME en France, tout simplement parce qu'il y a plus d'urgence aujourd'hui à inciter à la création d'entreprises et à aider les petites et moyennes entreprises à se développer qu'à développer maintenant l'équipement hôtelier des Antilles ou des DOM-TOM. C'est révolutionnaire parce que c'est important. Il n'y a pas ici de limites : tout investisseur qui mettrait de l'argent dans une PME pourrait, comme pour la loi Pons, le déduire de ses revenus imposables. C'est une révolution, c'est un choc, mais je pense que c'est la recommandation la plus pertinente du rapport dont vous aurez copie.

En ce qui concerne Pernod Ricard, vous recevez notre plaquette annuelle, ce qui prouve que nous informons bien les élus.

M. Pierre CARASSUS : Je ne suis pas actionnaire.

M. Thierry JACQUILLAT : Je parle des élus. Je ne cherche pas à savoir si vous êtes actionnaire.

M. Pierre CARASSUS : Je suis surpris que vous soyez surpris que je la reçoive.

M. Thierry JACQUILLAT : Pas du tout.

Le groupe Pernod Ricard a effectivement progressé de 12 % par an depuis vingt ans à vingt-cinq ans, ce qui est quand même pas mal en terme de chiffre d'affaires. En terme de résultat, il a fait un peu moins bien, il a fait 10 %. C'est pas mal. En terme de distribution de dividendes, il a fait pareil, pas plus, 10 %. En terme de capitalisation boursière - nous n'y pouvons rien, c'est le marché -, nous avons fait 10 %, et en terme d'emploi, on a multiplié par 10 ou 12 les effectifs du groupe depuis 1975, c'est-à-dire que nous étions 1 200 personnes et que nous sommes 13 000.

Vous me direz qu'on a créé beaucoup d'emplois. Ce n'est pas forcément exact. On en a détruit et on en a créé. Il y a des secteurs où on en a détruit, et d'autres où on en a créé. Il y a des pays où on en a détruit et d'autres où on en a créé. Mais il n'y a pas d'exclusive à ce que nous ayons créé des emplois à l'étranger et détruit des emplois en France. Ce n'est pas l'objectif poursuivi. On crée des emplois là où il y a de la croissance, là où il y a des marchés porteurs, là où il y a nécessité d'en créer. On ne crée pas des emplois pour créer des emplois, on crée des emplois quand il y a des besoins et nous avons certains secteurs d'activité qui sont plus porteurs que d'autres et qui sont gros créateurs d'emploi.

Nous sommes, par exemple, le leader mondial des préparations de fruits. C'est un élément qui n'est pas très connu, sauf par les lecteurs assidus de notre rapport annuel. Il s'agit des fruits qu'on met dans les yaourts. Quand vous achetez des yaourts aux fruits, vous avez des fruits dedans. Nous sommes leader mondial et nous sommes donc les fournisseurs des grands groupes agro-alimentaires et laitiers qui élaborent des yaourts aux fruits. On en produit tous les ans 250 000 tonnes, ce qui fait beaucoup de fruits et beaucoup de coupes de yaourts.

C'est une activité qui est créatrice d'emplois depuis que nous l'avons reprise il y a une quinzaine d'années, et nous créons tous les ans des emplois en France et partout ailleurs en Europe et dans le monde parce que la consommation de yaourts progresse tout simplement beaucoup.

Nous étions dans le vin, nous en sommes sortis, nous n'y sommes d'ailleurs pas restés très longtemps. Nous avions racheté la société des Vins de France à une certaine époque mais le vin de table en France voit son marché s'effilocher tous les ans et ce n'est pas d'aujourd'hui, cela fait quarante ans que cela dure. Quand nous étions dans ce marché, on était donc obligé de fermer des usines, pas de les fermer brutalement mais de réduire les effectifs, et on ne le faisait pas de gaieté de coeur. On a toujours préféré réduire les effectifs en douceur, c'est-à-dire sans licenciement que de fermer des usines. Ce n'est pas le lot de tout le monde et tout le monde n'en a pas forcément la capacité. Mais tout le monde n'a pas forcément l'occasion de le faire parce que, quand vous avez des usines qui sont dédiées à des marchés étrangers qui se ferment ou qui s'effondrent, comme cela peut être le cas aujourd'hui avec Moulinex, vous êtes bien forcé d'arrêter votre activité. Il n'y a plus de clients.

M. Jean-Jacques FILLEUL : Vous parlez de Pernod Ricard. On pourrait poser la question d'Orangina : quelle en est l'opportunité de le céder à une entreprise étrangère ? Peut-être pouvez-vous nous le dire parce que Orangina appartenait presque au patrimoine national. Cette notion de patrimoine compte-t-elle dans une entreprise multinationale ? 

Mais sur un autre plan, je voulais dire que je partage votre point de vue concernant le besoin de fonds propres des PMI et PME et le besoin d'argent des toute petites entreprises et des petites structures. Les élus que nous sommes, les maires que nous sommes, sont confrontés à ce genre de chose. Je ne suis personnellement pas partisan de l'apport de fonds publics. Je ne milite pas dans ce cadre pour l'évolution que vous préconisez mais je milite pour une baisse des charges importante. J'espère qu'on y arrivera.

Je souhaitais vous poser une dernière question : dans ma région une grosse entreprise de télécommunications va sans doute s'installer. Elle a bénéficié, bien que n'étant pas en manque de fonds propres, d'aides de collectivités territoriales d'environ 10 millions de francs pour une implantation d'opportunité, à savoir qu'une entreprise jette son projet dans deux ou trois grandes agglomérations et dit : voilà si je viens, c'est combien ? Et il y aura de l'emploi.

L'agglomération où je suis a déjà donné, quelquefois à perte. Il y a quelques années, un Canadien est venu comme cela et a ramassé 30 millions. Il a dû travailler à peu près un mois et il est parti. C'est arrivé dans la région Centre. Je voudrais savoir quelle est votre opinion sur ces interventions financières que j'appelle d'opportunité qui, il faut bien le dire, pourraient aussi porter d'autres noms.

M. Thierry JACQUILLAT : Chasseur de primes.

M. Jean-Jacques FILLEUL : Oui, peut-être. Quelle est votre opinion ? Pour vous, est-ce une vraie pratique d'entreprise et en cas de départ, pour X raisons, dans un délai relativement raisonnable, que préconiseriez-vous comme réaction des pouvoirs publics par rapport à ce type de pratique ?

M. Thierry JACQUILLAT : Cette entreprise de télécommunications, je subodore qu'elle est étrangère.

M. Jean-Jacques FILLEUL : Elle est française.

M. Thierry JACQUILLAT : Donc elle chasse les primes. On est ici en plein dans le problème que je mentionnais tout à l'heure, c'est-à-dire que sans une certaine coordination, une entreprise ira dans telle commune plutôt que dans telle autre. S'il n'y a pas de contrepartie, elle fermera six mois après et elle aura touché l'aide de 10 millions de francs que la collectivité nationale ou locale lui aura attribuée. Les contribuables auront, en tout cas, perdu. C'est, de ce fait, totalement dommageable.

C'est là où je parlais tout à l'heure dans mon rapport d'un certain nombre de situations dont on pourrait s'inspirer, situations qu'on retrouve à l'étranger où on instruit des dossiers au travers de professionnels avertis. On cantonne le risque dans des structures externes, on co-finance avec le privé, on fait des avances remboursables en cas de succès...

Une société de télécommunications, si elle est importante, a des fonds propres et a une certaine surface. On peut lui dire par conséquent : « je vous donne cela mais vous me le rendez ». Mais si le département, la commune ou la région d'à-côté ne fait pas la même chose, elle s'en va ailleurs, d'où cette nécessaire coordination.

Ces règles sont nécessaires à mettre en place pour qu'on évite, où que ce soit, ce phénomène qui consiste à dire :  « je suis une grosse entreprise, je touche les 10 millions de francs, cela marche ou cela ne marche pas, et je ferme dans trois, six mois ou trois ans », parce que ce n'est manifestement pas fait pour cela.

Vous me dites que vous n'êtes pas d'accord pour l'aide publique aux PME mais j'ai parlé de l'aide publique aux PME dans le cadre de la formation et de la recherche. Ce n'est pas la toute petite entreprise, c'est déjà la grande entreprise. Et on a, de toute façon, besoin de la formation quelle qu'elle soit.

Pour ce qui concerne l'aide aux PME, j'ai parlé de la loi Pons. C'est l'inspiration du CCIP, du rapport sur le financement des entreprises non cotées, et je pense que c'est une idée qui mériterait d'être examinée. Son coût n'est pas aussi important. On a chiffré le coût prévisionnel, il est beaucoup moins important qu'on ne l'imagine.

Enfin, en ce qui concerne le problème plus particulier d'Orangina, vous me demandez si le groupe Pernod Ricard y est attaché. Orangina est une entreprise qu'on a rachetée, il y a une douzaine ou une quinzaine d'années, qui était nationale et qui est devenue internationale. Orangina était vendu en France. Aujourd'hui, 35 % des volumes sont vendus à l'étranger au travers d'embouteilleurs étrangers et doublement étrangers : étrangers hors de France et étrangers au groupe. Après quinze ans de croissance de volume, de chiffre d'affaires ainsi que d'effectifs, mais pas de résultat, on s'est aperçu qu'on était en danger face à la concurrence internationale et ce danger peut mettre en péril l'entreprise à long terme.

Vous avez ici deux solutions : soit vous vous battez, mais se battre contre Coca Cola et certains ténors comme Pepsi Cola revient à se battre contre des moulins à vent car vous vous battez contre des colosses ; soit vous anticipez et vous vous retirez sur la pointe des pieds. Ce n'est jamais agréable de se retirer, c'est une espèce de constat d'échec, sauf lorsque vous avez acheté l'entreprise 100 et que vous la revendez 1 000 ou 500, et que vous faites une plus-value. C'est bon pour la collectivité car ce qui est bon pour Pernod Ricard est bon pour la collectivité, si ce n'est que, par l'impôt sur les plus-values que nous payerions, il y aura 1,5 milliard d'impôt pour la collectivité nationale, ce qui n'est quand même pas rien. Mais l'affaire n'est pas encore faite.

Vous dire qu'on est ravi de céder Orangina, je vous dirais que non, mais depuis qu'on a décidé de céder Orangina, Coca Cola a racheté Schweps, et Schweps est quand même aussi une entreprise importante, qui n'a fait que suivre notre exemple. Et j'ai toujours dit à l'époque qu'autant Schweps et, à la limite, Pepsi Cola ne nous faisaient pas peur, autant Coca Cola était une entreprise contre laquelle on ne pouvait pas se battre. Il y a sur certains segments de marché des opérateurs qui ont une puissance et une taille telles que vous ne pouvez pas vous battre contre eux à armes égales.

M. le Président : A un moment de votre propos, vous nous avez indiqué que la position de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris, en tout cas de sa commission économique, était assez nuancée sur les aides publiques qui pourraient soutenir l'activité des entreprises. Si j'ai bien compris les propos de M. Kessler qui est le vice-président délégué du MEDEF, il y avait de sa part une remise en cause qui semblait plus nette et plus catégorique mettant en pendant le fait que les aides publiques pouvaient probablement être remplacées par une baisse conséquente de la fiscalité ou des charges. Il semble donc qu'il y ait débat au niveau des chefs d'entreprise.

M. Thierry JACQUILLAT : Chacun peut avoir ses opinions.

Il est vrai que nous sommes plus nuancés à la Chambre de commerce sur les aides apportées aux entreprises et les distorsions de concurrence qu'elles peuvent provoquer. Je comprends que certaines entreprises, et parmi les plus grandes en particulier, se disent qu'il faudrait plutôt baisser la charge de l'impôt ou les charges sociales que de redistribuer par des aides à X, Y, ou Z et donc de participer à la distorsion de concurrence.

Cela étant, nous sommes plus nuancés que le MEDEF car nous pensons normal qu'il existe une politique d'aménagement du territoire au niveau national et européen. Mais, pour avoir une politique d'aménagement du territoire, il faut avoir les moyens de sa politique et, pour avoir ces moyens, il faut attirer de la main d'oeuvre, il faut attirer des entreprises. Mais on n'attrape pas les mouches avec du vinaigre, il faut les aider, les inciter, et on ne peut pas les inciter autrement qu'en les aidant. Il faut bien inciter les entreprises à aller s'installer au fin fond du Portugal, au fin fond de l'Italie ou au fin fond du Massif Central.

Il faut aussi s'interroger sur l'efficacité de l'aide parce que l'aide est donnée pour une fois, et le handicap compétitif de l'éloignement ou de l'isolement est permanent. Il y a donc une sérieuse réévaluation permanente à faire des aides qu'on donne aux entreprises.

En tout cas, s'il doit exister une politique d'aménagement du territoire, il doit exister des aides aux entreprises. Cela étant, on peut aussi aider les PME à faire plus de recherche, plus de formation continue. Je parle des petites car les grandes n'ont besoin de rien, elles n'ont pas besoin d'aide. C'est pour cela que le MEDEF se soucie assez peu des aides, tout au moins les grandes entreprises qui le constituent.

Il n'y a finalement pas de contradiction. Chacun est dans son discours : le MEDEF représente et défend plus les grosses entreprises que les petites même s'il essaie de réorienter un peu son action en disant qu'il représente toutes les entreprises, y compris les petites. Les chambres de commerce, et la Chambre de Commerce de Paris en particulier, qui sont plus proches du terrain, représentent plutôt les petites et moyennes entreprises (même si je suis moi-même un élu des grandes entreprises), et celles-là ont des besoins, et celles-là sont les seules créatrices d'emploi aujourd'hui.

Le témoignage de la Confédération Générale des Petites et Moyennes Entreprises et du Patronat réel
(C.G.C.P.M.E.)

Audition de M. Dominique BARBEY,
Secrétaire général de la Confédération Générale des Petites et Moyennes Entreprises et du patronat réel (CGPME)

(extrait du procès-verbal de la séance du 2 février 1999)

Présidence de M. Alain FABRE-PUJOL, Président

M. Dominique Barbey est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Dominique Barbey prête serment.

M. Dominique BARBEY : La problématique qu'aborde votre commission d'enquête est intéressante et difficile et je crois qu'il n'est pas inutile que je vous fasse part de quelques observations d'ordre général avant de revenir sur des questions plus précises.

La tradition capitalistique française a toujours été celle d'un capitalisme descendant.

On l'a vu notamment dans les années 1960 et 1970 au moment où les grands groupes industriels, alors tout puissants, tenaient le haut du pavé et où les PME ne correspondaient certainement pas à la vision politique du moment.

C'était l'époque où le Président Georges Pompidou ne pensait qu'en termes de grands groupes multinationaux et où la France enviait les Néerlandais qui, eux, possédaient beaucoup de multinationales.

C'était, il est vrai aussi, l'époque du plein emploi.

A vrai dire, jusqu'au choc pétrolier, on a considéré les petites entreprises, qui aujourd'hui sont celles qui créent des emplois, comme des structures surannées. On était entièrement préoccupé des grandes sans se soucier d'ailleurs de leur rentabilité car ces grandes entreprises, que le mondialisme d'aujourd'hui ne menaçait pas encore, se trouvaient dans notre pays en situation de monopole. C'était l'époque des grands projets industriels d'échelle nationale : le T.G.V., l'E.D.F. et le tout atomique, l'Aérospatiale et le Concorde même si celui-ci a subi une erreur de marketing.

Je me souviens que, sous le gouvernement de M. Raymond Barre, on a beaucoup parlé du rapport Hannoun - qui n'a jamais été publié et dont il serait intéressant que vous obteniez un exemplaire - selon lequel, disait-on, la quasi-totalité des aides publiques était captée par les grands groupes français.

A cette époque, seules les grandes entreprises symbolisaient le progrès économique national dans un contexte de patriotisme économique, et il faut bien dire que celui-ci tenait la route.

Le capitalisme « transnational » ne menaçait pas notre économie et la construction du « Marché Commun » était notre seule « ligne bleue des Vosges ».

Pour les PME, à la même époque, et malgré de nombreux efforts pour améliorer leur financement par les sociétés de caution mutuelle, nous en étions restés encore , à maints égards, à Balzac et Emile Zola, c'est à dire que la PME, faute de concours bancaires, devait bien souvent se débrouiller toute seule pour trouver des capitaux et se développer.

Rappelez-vous, c'était l'époque de la « Société bloquée » et la France était encore divisée par le dogme de la lutte des classes.

Puis, les choses ont évolué et, petit à petit, au fil des années 1980 et 1990, le rôle respectif des petites et grandes entreprises s'est inversé, notamment au regard de l'emploi.

Juste avant les élections de 1981, j'avais rencontré des hommes politiques de droite comme de gauche et j'avais dit à ceux de gauche qu'il fallait abandonner le dogme de la lutte des classes pour réfléchir à l'émergence d'un capitalisme par le bas, à l'inverse de ce capitalisme descendant qui nous venait du 19éme siècle.

C'est alors qu'on s'est aperçu que les PME créaient des emplois. D'ailleurs on s'en est aperçu dès le premier choc pétrolier et dès ce moment là j'ai entendu des énarques de la rue de Martignac, des collaborateurs de M. Raymond Barre comme des experts du Parti Socialiste me dire : « Tiens, c'est intéressant, les PME, ce n'est pas aussi périmé que cela, cela pourrait être porteur d'avenir. »

C'est pendant la période 1980 - 1990, et plus précisément pendant le premier septennat de M. Mitterrand, que la France profonde s'est réconciliée avec l'esprit d'entreprise - à vrai dire pour la première fois depuis les corporations du Moyen Age - tant pendant des siècles la France conservatrice, comme la France de gauche, avaient eu des rapports faussés avec l'idée du profit (honte du profit à droite - haine du profit à gauche).

Les PME, symbole d'un capitalisme populaire, où le self made man est capable de créer son entreprise, est devenu le vecteur culturel du progrès économique et de la création d'emploi.

Il y a un tableau que vous connaissez peut-être et que voici, ci-dessous. Il explique par des chiffres, plus que par des mots, ce renversement de notre dialectique économique et permet de comprendre, à travers l'évolution de l'emploi, que des impératifs mondialistes entraînent les grandes entreprises à des pratiques incontrôlables, et parfois préjudiciables, qui inquiètent votre Commission d'enquête.

Evolution des effectifs salariés selon la taille de l'établissement
au 31 décembre de 1981 à 1996

Années

1 à 4 salariés

5 à 9 salariés

10 à 19 salariés

20 à 49 salariés

50 à 99 salariés

100 à 199 salariés

200 à 499 salariés

500 et + salariés

Total

1996

8 235

+ 0,4 %

23 191

+ 1,3 %

- 752

0,0 %

8 530

+ 0,3 %

55

0,0 %

8 662

+ 0,6 %

- 256

0,0 %

- 17 267

- 1,1 %

30 398

+ 0,2 %

1995

12 148

+ 0,7 %

14 043

+ 0,8 %

24 698

+ 1,6 %

37 348

+ 1,5 %

16 714

+ 1,1 %

10 727

+ 0,7 %

18 775

+ 1,2 %

- 3 791

- 0,3 %

130 662

+ 1,0 %

1994

33 898

+ 1,9 %

33 897

+ 2,0 %

5 902

+ 0,4 %

21 977

+ 0,9 %

17 490

+ 1,1 %

55 760

+ 3,8 %

58 106

+ 3,8 %

- 3 701

- 0,2 %

223 329

1,7 %

1993

25 525

+ 1,4 %

19 417

+ 1,2 %

169

0,0 %

- 49 357

- 2,0 %

- 36 112

- 2,3 %

- 12 696

- 0,9 %

- 43 345

- 2,8 %

- 102 329

- 6,3 %

- 198 728

- 1,5 %

1992

18 298

+ 1,1 %

- 9 031

- 0,5 %

- 3 604

- 0,2 %

- 35 108

- 1,4 %

- 47 670

- 2,9 %

- 35 796

- 2,4 %

- 36 452

- 2,3 %

- 69 793

- 4,1 %

- 219 156

- 1,6 %

1991

+ 8 552

+ 0,5 %

- 3 141

- 0,2 %

- 16 857

- 1,1 %

+ 15 872

+ 0, 6 %

- 28 599

- 1,7 %

- 676

0,0 %

- 14 914

- 0,9 %

- 53 205

- 3,1 %

- 92 968

- 0,7 %

1990

+ 29 146

+1,8 %

+ 32 788

+ 2,0 %

+ 33 676

+ 2,3 %

+ 59 617

+ 2,5 %

+ 59 338

+ 3,7 %

+ 14 925

+ 1,0 %

+ 693

0,0 %

- 2 783

- 0,2 %

+ 227 400

+ 1,7 %

1989

+ 54 328

+ 3,4 %

+ 47 204

+ 3,0 %

+ 57 451

+ 4,1 %

+ 79 750

+ 3,4 %

+ 63 528

+ 4,1 %

+ 42 855

+ 3,0 %

+ 69 100

+ 4,5 %

+ 25 268

+ 1,5 %

+ 439 484

+ 3,3 %

1988

+ 42 495

+ 2,7 %

+ 40 394

+ 2, 6 %

+ 55 542

+ 4,1 %

+ 62 114

+ 2,8 %

+ 57 632

+ 3,9 %

+ 66 725

+ 4,8 %

+ 40 528

+ 2,7 %

- 51 021

- 2,9 %

+ 314 409

+ 2,4 %

1987

+ 36 342

+ 2,4 %

+ 42 111

+ 2,8 %

+ 32 371

+ 2,4 %

+ 50 639

+ 2,3 %

+ 34 322

+ 2,4 %

+ 32 645

+ 2,4 %

- 11 209

- 0,7 %

- 81 841

- 4,4 %

+ 135 380

+ 1,1 %

1986

+ 34 027

+ 2,3 %

+ 40 300

+ 2,8 %

+ 39 358

+ 3,1 %

+ 18 933

+ 0,9 %

+ 9 313

+ 0,6 %

+ 2 698

+ 0,2 %

- 30 767

- 2,0 %

- 110 105

- 5,6 %

+ 3 757

0,0 %

1985

+ 5 927

+ 0,4 %

+ 18 994

+ 1,3 %

+ 11 108

+ 0,9 %

+ 13 659

+ 0,6 %

+ 20 775

+ 1,5 %

- 10 322

- 0,8 %

- 31 129

- 2,0 %

- 106 572

- 5,2 %

- 77 560

- 0,6 %

1984

+ 13 859

+ 0,9 %

+ 9 245

+ 0,6 %

- 12 581

- 1,0 %

- 36 037

- 1,6 %

- 14 494

- 1,0 %

- 50 947

- 3,6 %

- 58 413

- 3,6 %

- 72 615

- 3,4 %

- 221 983

- 1,7 %

1983

+ 13 895

+ 1,0 %

+ 18 669

+ 1,3 %

+ 2 957

+ 0,2 %

- 14 214

- 0,6 %

- 41 666

- 2,8 %

- 17 553

- 1,2 %

- 52 178

- 3,1 %

- 102 659

- 4,6 %

- 192 749

- 1,5 %

1982

+ 9 266

+ 0,6 %

+ 25 205

+ 1,8 %

+ 22 948

+ 1,8 %

+ 5 914

+ 0,3 %

- 7 491

- 0,5 %

- 2 447

- 0,2 %

- 23 180

- 1,4 %

- 34 428

- 1,5 %

- 4 213

0,0 %

1981

+ 23 453

+ 1,7 %

+ 32 559

+ 2,4 %

+ 2 719

+ 0,2 %

- 1 644

- 0,1 %

- 14 642

- 1,0 %

- 22 549

- 1,6 %

- 23 845

- 1,4 %

- 120 015

- 5,0 %

- 123 964

- 0,9 %

 

369 394

385 845

255 105

237 993

88 493

82 011

- 138 486

- 906 857

 

Totaux

+ 1 248 337

+ 170 504

- 1 045 343

 
 

+ 1 418 841

   

Source : Unedic

Ce sont les statistiques de créations d'emploi de l'UNEDIC sur quinze ans.

Lors de la première audience du Président Rebuffel avec M. Jospin, M. Rigaudiat, le conseiller social du Premier ministre, s'est empressé de s'en servir car on y voit que les entreprises de plus de 200 salariés ont détruit plus d'un million d'emplois durant cette période tandis que les entreprises de moins de 200 salariés en ont créé 1 418 000.

Vous essayez de faire actuellement un diagnostic de ce que peuvent faire en bien ou en mal les grands groupes. Par ricochet, je vous propose de faire également le diagnostic pour les PME. Vous avez d'ailleurs introduit une phrase dans votre résolution qui vous autorise à vous saisir de tout ce qui concerne l'emploi. Nous sommes en fait au coeur du problème.

Il faut en effet avoir conscience que dans les années 1980 un capitalisme populaire s'est développé qui a créé beaucoup d'emplois dans des conditions souvent méconnues, parce que nous n'avons pas en France une aussi bonne connaissance des PME que peuvent en avoir certains pays. Tout le monde reconnaît maintenant qu'il faut aller voir ce que fait la Small Business Administration. Mais c'est vrai ! Aux États-Unis les pouvoirs publics font preuve de sévérité à l'égard des grands groupes et un PDG convaincu de dérive va assez facilement en prison. Dans le même temps, les États-Unis consacrent seize ou dix-sept procédures d'aides publiques à la petite entreprise. La France, par contre, n'a pas de grande loi anti-trust, anti monopole ou anti-entente et il y a une carence juridique pour ce qui concerne les concentrations.

De ce fait, l'économie française a subi des effets extrêmement déstructurants car tout est lié - la grande comme la petite industrie, la grande distribution et le commerce traditionnel - et il convient de tout prendre en compte pour évaluer les dégâts qui ont été commis et voir ce que l'on peut faire pour y remédier.

Vous me direz que la CGPME a des grands groupes une vision assez manichéenne, qu'elle oppose facilement les petits et les gros, les dominés et les dominants, mais à ce propos je vous citerai une boutade qui montre combien cette vue est partagée.

Il y a quelques mois, à la fin d'un déjeuner, M. Louis Viannet, le secrétaire général de la CGT, m'a dit : « au fond la lutte des classes ne s'est-elle pas transposée de la lutte entre le prolétaire et son patron à celle qui oppose la micro-entreprise à son donneur d'ordre qui la serre à la gorge ? Le prolétaire n'est-ce pas désormais la petite entreprise commerciale obligée de fermer boutique ? Nous devrions réfléchir à ces phénomènes de déstructuration qui ont un effet négatif sur l'emploi et l'aménagement du territoire. »

Sans doute ces dérives sont-elles difficiles à mesurer. Mais il est incontestable qu'elles ont été néfastes notamment dans le domaine commercial. De façon anecdotique, je situerais le début de cette évolution lorsque M. Leclerc a rendu visite à Mme de Gaulle pour lui dire : « Si vous voulez que chaque français ait son réfrigérateur et sa machine à laver, il faut donner une incitation fiscale à la grande distribution. » Ce conseil s'est traduit par l'amendement Fontanet à partir duquel la grande distribution a eu un avantage fiscal tel qu'il lui a permis de construire gratuitement un quatrième hypermarché à partir des trois premiers.

L'idée de M. Leclerc fut efficace pour créer la société de consommation et élever le niveau de vie. Mais ses conséquences furent désastreuses pour notre tissu économique, car, en amont, toute les activités productives (agriculture, pêche, industrie, PME, PMI) ont été déstructurées et bien souvent détruites..

Il y a eu alors un renversement complet des rapports de force puisque désormais les industriels sont dans une telle dépendance à l'égard de la grande distribution qu'ils ne peuvent plus eux-mêmes tenir le coup, que des groupes aussi puissants que Danone considère qu'il n'est plus rentable pour lui de vendre en France - au point que Danone a cédé toute sa partie sèche aux américains. Il faut en effet bien se rendre compte qu'il n'y a plus en France que six acheteurs, six référenciers pour la grande distribution et que seuls les fabricants de dimension mondiale peuvent encore passer sous les fourches caudines de celle-ci.

Nous en sommes arrivés à un point tel que les Galeries Lafayette nous appellent au secours en nous disant : « Cela ne va plus. Nous fermons nos magasins dans toutes les villes de moins de 10 000 habitants. Il faut que les PME s'allient aux grands magasins pour éviter la désertification des centre-ville comme il y a eu désertification des campagnes ». Cela prouve bien la désagrégation du territoire à laquelle nous sommes arrivés.

Aussi bien la CGPME a-t-elle fait part de son inquiétude et demandé des lois pour protéger le tissu économique de proximité et préserver l'emploi. C'est ainsi qu'il y a eu des lois sur l'urbanisme commercial dite loi Raffarin, la loi sur la concurrence dite loi Galland, la loi sur le travailleur indépendant dite loi Madelin mais ces lois ont, elles aussi, des insuffisances qui rendent aujourd'hui un audit général indispensable.

De même, une grande loi portant réforme du Code des Marchés Publics est en préparation. Les PME en espèrent beaucoup dans l'attente d'un meilleur accès pour elles aux marchés publics, tout en sachant que c'est un sujet très difficile car il est évident que ce n'est pas seulement avec des lois que l'on arrivera à changer les comportements des donneurs d'ordre. Peut être faudra-t-il compter sur des accords régionaux, sur des conventions entre collectivités territoriales et PME afin de faciliter l'accès de ces dernières aux marchés publics...

Vous vous intéressez aussi aux délocalisations à l'étranger et j'ai lu, dans vos débats, que certains disaient : « Oui, c'est vrai, les grands groupes sont allés investir à l'étranger mais il y a aussi des groupes étrangers qui viennent en France et en tout cas le coût de la main d'_uvre à très bon marché n'est pas déterminant. Pour preuve : quel industriel imaginerait investir au Bangladesh ? »

Mais c'est oublier les pays qui, comme la Pologne, ont une tradition industrielle propice aux délocalisations. C'est oublier de même la promptitude de certains grands groupes français à investir à l'étranger. Je citerai à ce propos les effets indirects de la loi Galland qui a interdit la revente à perte. Cette loi a donné de l'air aux PME ce qui n'était pas un mal. Le panier de la ménagère n'en a pas pour autant souffert puisque la loi est intervenue en période de désinflation. Mais elle a surtout permis aux grands groupes de la distribution de faire des bénéfices qui sont allés s'investir massivement au Brésil, en Espagne ou ailleurs.

Bref, si vous voulez maintenir les emplois en France, il faut tenir compte du fait que les grandes entreprises ont désormais des stratégies mondiales, qu'il n'y a plus de patriotisme économique français, qu'il n'aura sans doute jamais de patriotisme européen car nous sommes passés d'un coup du niveau national au niveau mondial, rendant d'autant plus difficile la maîtrise de la politique économique de la France.

Quant à vous donner des cas précis, il est très difficile de savoir ce qui se trame dans les grandes entreprises. Nous constatons simplement combien le comportement des grands groupes peut être terrible et telle est la raison pour laquelle le CGPME est favorable à l'encadrement du capitalisme dans un système qu'il appelle le libéralisme tempéré, c'est à dire une organisation de la société dans laquelle l'État joue un rôle d'arbitre et indique les limites à ne pas dépasser. Et dans le cadre de ce libéralisme tempéré, on peut faire beaucoup pour aider l'emploi.

Comment ?

Il faut d'abord une fiscalité différenciée et un allégement des charges pour les PME. La première à l'avoir compris, c'est Mme Édith Cresson qui a mis sur pied un plan pour les PME comprenant, malgré l'incompréhension initiale habituelle des services du ministère des finances, l'amorce de cette fiscalité différenciée. M. Bérégovoy a parfaitement enchaîné de même que Mm. Balladur et Juppé.

Il faut de même réformer les secteurs sclérosés et M. Allègre a parfaitement raison de secouer un peu les chercheurs qui, au lieu d'aller dans le privé, font carrière toute leur vie dans des institutions publiques.

Il faut réformer le code des marchés publics. Dès sa prise de fonction, M. Rebuffel Président de la CGPME, est allé voir M. Jospin pour lui demander d'en parler et de parler des PME à l'occasion de sa déclaration de politique générale du 17 juin 1998, ce qu'il a fait. M. Strauss-Kahn a tout de suite pris un certain nombre de mesures. Il est venu nous annoncer, lors de notre Assemblée générale du mois d'octobre 1998, le projet de loi sur la réforme du code des marchés publics de façon à en faciliter l'accès pour les PME. Les marchés publics représentent en effet plus de 700 milliards de francs par an. Les PME font 60 % du PIB. Or elles sont loin de recevoir 60 % des marchés publics. Bien au contraire, celles qui y accèdent sont très minoritaires et quand un maire confie un petit travail à une entreprise visant à refaire un virage ou un pont, on s'aperçoit que l'entreprise sélectionnée, parce que la moins disante, est souvent la sous-filiale d'un grand groupe de travaux publics.

Le dossier est, il est vrai, très difficile.

Sans doute la prochaine loi suscitera-t-elle beaucoup d'amendements et surtout demandera beaucoup de pédagogie. A ce sujet, je me permets de vous remettre le livre blanc que nous avons établi dès septembre 1996 qui indique les améliorations à apporter dans le domaine des marchés publics et qui, dans un document annexe, rappelle les mécanismes en vigueur aux États-Unis . Tous les gouvernements depuis cette époque ont envoyé des missions aux États-Unis mais il ne s'est rien passé pour autant. Il n'y a pas à cet égard de différence entre la droite et la gauche : cette indifférence est transpolitique.

Il faut réserver les aides publiques aux entreprises qui créent des emplois, car c'est le plus souvent de l'argent perdu que d'aider celles qui n'en créent pas. Je ne suis pas contre la mondialisation. Je suis persuadé que nos grandes entreprises sont tenues de se battre et qu'il n'est certainement pas mauvais qu'elles aient pris pied sur le marché mondial mais, les bénéfices qu'elles y font doit précisément conduire à réserver les aides à celles qui n'y sont pas. Une telle politique est d'ailleurs conforme aux directives européennes qui ont fixé un seuil de cinquante millions de francs, c'est à dire de sept millions d'euros, de chiffre d'affaires au delà duquel les aides publiques ou les déductions fiscales ne sont plus tolérées.

Il faut enfin réussir cette grande _uvre qu'on n'a jamais faite, qui reste à l'état de v_u pieux, qui est le statut de la sous-traitance.

En définitive les PME créent des emplois. Elles sont les seules à en créer. Mais elles pourraient en créer beaucoup plus encore. Songez qu'il y a 1 200 000 travailleurs indépendants qui mouillent leurs chemises tous les jours et qui n'emploient aucun salarié. Ces gens là disent : « Je prendrais bien un compagnon. Mais la feuille de paie, c'est trop compliqué. » Si, pour le coup, on externalisait la feuille de paie, si on donnait une petite prime fiscale aux experts-comptables pour qu'ils la fassent, je suis sûr que 200 à 300 000 emplois seraient créés.

Sans doute l'attitude de grandes entreprises n'est-elle pas favorable aux petites mais on ne saurait oublier non plus les lourdeurs étatiques, ni les améliorations qui pourraient être apportées à la politique incitative.

M. le Président : M. le Secrétaire général, je vous remercie d'un exposé qui tout en exprimant le point de vue des PME, était en phase avec les préoccupations de la commission et dont les propositions pourront lui être utiles lorsque le temps viendra pour elle de déposer ses conclusions.

M. le Rapporteur : Cela va rejoindre ce que M. le président vient de dire. Beaucoup des PME et des PMI qui existent actuellement sont en fait des structures créées par les grands groupes pour externaliser un certain nombre d'activités, pour modifier ainsi leur bilan, pour en fait réduire la surface qu'ils présentent au public.

Et vous avez un certain nombre d'autres PME-PMI qui sont réellement des PME-PMI avec ce que cela comporte de difficultés que vous avez bien décrites. Je crois qu'il convient de bien faire la différence entre ces deux notions. Dans la présentation qui a été faite à l'Assemblée du projet de commission d'enquête, tous les orateurs avaient évoqué cet aspect : une explosion du nombre de PME-PMI dans la dernière période.

On aimerait avoir votre sentiment : la CGPME a-t-elle le même regard sur ce monde des PME et des PMI ? 

La deuxième remarque porte sur le financement des PME, des petites entreprises. On voit bien les regroupements qui s'opèrent actuellement. L'actualité a évoqué depuis quelques jours ce qui va se passer entre la Société Générale et Paribas. Je ne suis pas sûr que pour faire face aux besoins de financement des petites entreprises, ce genre de regroupements soit une bonne chose. A partir du moment où des groupes aussi importants sur le plan financier se mettent ensemble, ce n'est probablement pas pour favoriser le développement de la petite entreprise. C'est probablement plus pour jouer au niveau mondial dans la cour des très grands.

Se pose donc pour les petites entreprises un véritable problème d'accès au crédit. Comment faire pour leur permettre d'accéder au crédit ? Et quand je parle d'accès au crédit, je parle d'accès au crédit à des taux et à des conditions compatibles avec les difficultés et les enjeux auxquels sont confrontées les PME et les PMI.

J'aimerais aussi que vous nous parliez de ces difficultés.

Troisièmement : je dirais que vous avez eu raison d'évoquer les grands groupes de la distribution. Parmi les groupes que nous auditionnerons de façon plus particulière dans les semaines qui viennent, il y a un des grands groupes de la distribution auxquels nous poserons un certain nombre de questions sur les stratégies qu'il a développées depuis quelques années, tant au plan national qu'au plan international.

M. Dominique BARBEY : Je suis un peu partagé sur l'externalisation. Il est vrai qu'il y a beaucoup d'entreprises qui externalisent. C'est d'ailleurs souvent de l'essaimage, technique qui relève d'un bon esprit dans la mesure où il s'agit de procéder à des créations d'entreprises avec de jeunes cadres. Ce n'est donc pas mauvais en soi.

Il est vrai aussi que des grandes entreprises avaient autrefois des activités qui étaient périphériques par rapport à leur principal métier et que, par suite des progrès de la gestion, il est parfois souhaitable de faire procéder aux mêmes tâches à l'extérieur par des petites entreprises spécialisées. C'est mieux fait et cela coûte moins cher.

Mais il est aussi évident - même si ce n'est pas visible - qu'à partir du moment où on veut aider les PME et où on leur donne un avantage fiscal avec des effets de seuil, les grands groupes peuvent vouloir en profiter. Ils peuvent se dire : « Tiens, bonne aubaine, on va mettre un certain nombre de nos établissements en gestion autonome et en dessous du seuil des 50 millions de francs de chiffre d'affaires pour pouvoir échapper à la hausse provisoire de l'impôt sur les sociétés.

Et si on supprime les salaires de l'assiette de la taxe professionnelle, pour éviter qu'on nous reprenne néanmoins de la main droite ce qu'on nous a donné de la main gauche, faisons des entreprises de moins de 50 millions de francs de chiffre d'affaires car, en matière de taxe professionnelle elles seront également exonérées de la hausse de la cotisation minimum alors que celles de plus de 50 millions de francs n'en seront pas exonérées ».

Il peut effectivement y avoir un calcul fiscal de ce type dans les grands groupes et aussi un calcul en terme de charges sociales.

Néanmoins, je pense que cette externalisation, dans la mesure où elle permet une certaine souplesse, n'est pas mauvaise, et, par ailleurs, nous n'avons aucun élément précis permettant d'incriminer les grandes entreprises de ce type de comportement.

Il y a un autre aspect du débat qui consiste à aller vers plus de souplesse et pour paraphraser une phrase de l'évangile, je dirais : « Faites de la souplesse, vous aurez l'emploi par surcroît ». Jusqu'à il y a très peu de temps, on se demandait : « comment se fait-il qu'à taux de croissance égale, la France ne crée pas autant d'emplois que les autres pays ? ». A l'époque, il fallait 2,5 % de croissance pour commercer à créer des emplois. Maintenant on est revenu à 1,5 %. On nous dit que c'est parce qu'on fait des emplois précaires, des emplois à temps partiel. Nous, dans les PME, nous pensons qu'il faut effectivement une certaine souplesse et - je le dis au passage -, nous considérons que la loi sur les 35 heures est une erreur historique, même si nous ne y opposerons pas et que nous la feront appliquer.

Le Président de la CGPME, M. Rebuffel, le jour où nous en avons discutée à Matignon, lors du fameux sommet social du 10 octobre 1997, a dit à l'heure du déjeuner au directeur de cabinet du Premier Ministre : « Je vois que vous avez fait une promesse électorale et que vous voulez la tenir. Cela se conçoit, mais alors faites une loi d'orientation, faites une loi incitative (si vous avez un peu d'argent à donner), mais surtout n'y mettez pas de date butoir ». Vous avez d'ailleurs remarqué que les Italiens, qui font eux aussi une loi sur les 35 heures, exonèrent de date butoir les entreprises jusqu'à 15 salariés. Nous l'avons encore répété à M. Hollande il y a quelques jours : « Faites un aménagement pour les PME, sinon vous n'y arriverez pas ». Voyez que je continue, malgré les perversions que vous voyez à l'externalisation, à vous dire qu'il faut aider en France la petite et la moyenne entreprise.

Sur le deuxième point - celui du financement des PME - vous vous demandez si les restructurations bancaires en cours ne vont pas être préjudiciables au financement des PME. Le problème vient de loin. En 1950, par exemple, il n'était quasiment pas possible d'obtenir un prêt bancaire pour une PME et les banques ne savaient pas comment prêter aux PME. Il fallait que les bouchers se réunissent entre eux, fassent une société de caution de la boucherie, et la banque disait alors : « Vous allez nous dire à quels bouchers on peut prêter et à quels bouchers on ne prêtera pas ». Et les bouchers se disaient : « Celui-là est sérieux, il remboursera, vous pouvez lui financer son changement de vitrine. Celui-là, non, il n'est pas assez sérieux, vous ne lui prêterez pas ». C'était aussi sommaire que cela. Il y avait une petite analyse de gestion mais les banquiers ne savaient pas, en France, et n'ont pas encore fait des progrès décisifs en ce qui concerne les prêts aux PME. Il y a une frilosité structurelle de la part des banques.

La CGPME ne les critique pas pour autant. Elles ont également des frais généraux importants, des sureffectifs, toutes ces banques, et elles doivent gérer de près leurs risques.

Pour le financement des PME des progrès ont été faits et, grâce à la BDPME, notamment, la situation commence à s'améliorer.

Au début, cette banque, qui s'appelait le CEPME, n'avait pas de fonds propres, elle empruntait sur le Marché monétaire. Quand ce n'était pas cher, elle prêtait ensuite à bon marché, mais alors les banquiers se plaignaient de la voir casser les prix. Par contre, quand l'argent était cher, le CEPME prêtait à perte et il fallait ensuite que ce soit l'État qui « bouche le trou ».

Cet outil public très important qu'est devenu la BDPME a mis des années à trouver sa bonne finalité, après plusieurs mues successives du CEPME. Actuellement, grâce à la SOFARIS, qui a rejoint la BDPME, nous considérons que c'est une institution qui mérite de vivre et d'être développée. Mais cela ne résout pas le reste du problème de l'accès au crédit de toutes les PME à des taux intéressants. On ne prête toujours qu'aux riches et on prête moins facilement aux pauvres.

Je vous suggère quand même une piste que trace la loi Madelin sur le statut du travailleur indépendant, loi soit dit en passant, qui avait été décidée par M. Bérégovoy lequel avait adressé au président du Conseil économique et social une lettre lui disant : « Faites-moi une étude sur le statut juridique, fiscal, social, financier, du travailleur indépendant » : ce fut le rapport Barthélémy qui a été établi par le Conseil économique et social et dont découle directement la loi Madelin.

Cette loi avait un volet qui visait à améliorer la surface financière du travailleur indépendant en créant un patrimoine d'affectation qui devait lui permettre de séparer ses biens domestiques de ses biens professionnels. Ce volet n'a pas été finalisé mais, à vrai dire, c'est une chose qui peut très bien être reprise. Nous l'avons d'ailleurs dit au gouvernement et nous en avons reparlé au parti socialiste la semaine dernière. Je pense qu'il y aurait là une facilité d'accès au crédit qu'on ne saurait négliger.

Troisième point : les grands groupes de la distribution. Nous les connaissons et nous connaissons leur comportement. J'ai dit plus haut leur rôle néfaste depuis plus de 30 ans sans pour autant nier leur rôle pour la consommation de masse.

Tous ne sont pas des tueurs inéluctablement.. Il y en a certains qui ont « pollué » les autres mais il y en a, par contre, qui ont dit : « Si vous nous faites des lois qui nous permettent d'être honnêtes, nous redeviendrons honnêtes ». Je pense que vous devez être vous-mêmes au fait de leurs agissements puisqu'il y a déjà eu une commission d'enquête parlementaire sur le comportement de la grande distribution il y a cinq à six ans au Sénat et les parlementaires ont eu la possibilité, à cette occasion, de se faire leur opinion sur les comportements et le rôle de ces groupes dans l'aménagement du territoire, ou plutôt, dans la désertification du territoire.

M. le Rapporteur : J'ai quand même le sentiment, Monsieur Barbey, que vous ménagez un peu la chèvre et le chou dans vos propos. Excusez-moi, je le dis comme je le pense parce que l'élu local que je suis, qui habite à 200 mètres d'une grande surface du groupe Auchan, voit bien la façon dont ce groupe a fait en sorte, au fil des années, « d'écrabouiller » totalement - et j'utilise le terme à bon escient - tout ce qui existait dans un rayon de 500 mètres autour de lui et de « draguer » dans sa galerie marchande tout ce qui pouvait valoriser les surfaces qu'il avait de disponibles.

M. Dominique BARBEY : De ce point de vue, je partage totalement ce que vous dites. C'est une technique extrêmement bien au point : en amont, on achète les terrains au prix du terrain agricole bien longtemps avant...

M. le Rapporteur : Deuxièmement, au niveau des banques, l'élu local que je suis également, et le conseiller régional que j'ai été, sait pour avoir rencontré à plusieurs reprises vos amis de la région en question, les difficultés auxquelles sont confrontées toutes les PME et toutes les PMI pour avoir accès à des crédits qui soient à des taux corrects, correspondant tout simplement à leurs possibilités de financement, d'où la proposition qui pourrait être faite, puisqu'on voit cette envolée financière des grands groupes bancaires et autres, d'arriver à mettre en place une structure financière - publique ou non, cela se discute - afin de permettre à ceux que vous représentez ici d'avoir accès à des crédits à des taux très bas, privilégiés, les déconnectant justement de ce système bancaire qui ne porte plus intérêt aux petites entreprises, pour le moment en tout cas, qui ne les regarde plus avec beaucoup d'intérêt car ce n'est pas là que se joue son avenir.

Je crois donc que la mise en place d'un autre système financier est quelque chose d'important. C'était le sens de ma question : voir si la CGPME souhaitait s'insérer dans le dispositif bancaire tel qu'il se développe actuellement.

Vous avez très justement parlé du rôle des collectivités locales dans le développement des PME. Justement, les collectivités locales ne pourraient-elles pas être quelque part les chevilles ouvrières de la mise en place d'un certain nombre d'organismes de crédit pour que les PME et les PMI soient un peu libérées du carcan qui pèse sur elles ?

M. Dominique BARBEY : Il y a, en France, tout un environnement économique à créer. On est, de ce point de vue, très en retard sur des pays ultra-libéraux comme les États-Unis ou même l'Angleterre où il y a un grand nombre de mécanismes en faveur des PME. Aux États-Unis  - et pourtant Dieu sait si les américains peuvent être brutaux -, il n'empêche qu'il existe des crédits spéciaux pour les PME. En bénéficient par exemple les anciens du Vietnam, ou bien les mères célibataires, ou telle ou telle catégorie et, apparemment, cela est compatible avec les règles du capitalisme. C'est donc une politique qui ne saurait heurter notre patronat.

Quand vous me dites que je suis un peu complice de la grande distribution ! Si le MEDEF m'entendait, je pense, au contraire, que je serais jugé virulent contre elle !

M. le Rapporteur : Je n'ai pas dit « complice ».

M. Dominique BARBEY : Tout au moins indulgent.

Il est vrai que la CGPME n'a pas que pour priorité la lutte des petits contre les gros, que tous les entrepreneurs se retrouvent sur un certain nombre de sujets : remédier à des lourdeurs administratives incroyables, simplifier, disposer de services publics plus rentables, assurer un service minimum à l'exemple des Italiens qui viennent de créer un service obligatoire minimum deux heures le matin et de deux heures le soir pour permettre à la population de se rendre à son travail, ou bien des Espagnols qui ont aussi prévu un service minimum en cas de grève des transports en commun.

Ce sont des mesures qui me paraissent compatibles avec cette Europe sociale vers laquelle nous allons. En attendant, ayons le courage, en France, de réparer certaines dérives. Ce n'est pas le sujet mais je profite de l'occasion pour vous le dire.

M. Alain COUSIN : On retombe sur l'éternel débat où il y aurait d'un côté les méchants et de l'autre les gentils. Les choses ne sont pas si simples. Il est clair que certains grands groupes commencent à prendre conscience - commencent seulement - qu'ils ne peuvent pas être un lieu de prospérité au milieu d'un désert économique et qu'ils doivent, d'une certaine manière, s'approprier la notion d'aménagement du territoire. Et il est vrai que les PME sont une réponse en terme d'emploi dans les pays occidentaux.

Il y a une difficulté avec la GMS - la grande et moyenne surface - comme il y en a avec les grands groupes. Pour autant, vous, PME, eux, GMS ou grands groupes, êtes des acteurs économiques. Et ce qui m'intéresse, au-delà des incantations, c'est de connaître l'état de votre réflexion.

Quelles sont vos propositions ? Vous dites, par exemple, qu'il faut faire des lois. Effectivement, nous sommes là pour çà, encore qu'il n'en faille pas trop parce qu'on n'est pas franchement en retard de ce point de vue. Pour autant, vous êtes là pour nous indiquer ce qu'on peut améliorer, et j'ose imaginer que vous avez des rencontres institutionnelles, soit avec la GMS, soit avec les grands groupes pour évoquer le problème de l'emploi, le problème du développement économique sur l'ensemble du territoire national. Mais quel en est le résultat ? 

Lorsque l'externalisation a été évoquée tout à l'heure et l'essaimage, il y a bien sur de tels sujets des échanges sinon des accords - je l'imagine en tout cas - entre la CGPME et les grands groupes.

Vous évoquiez également les lourdeurs administratives. Il y a probablement un certain nombre de choses à améliorer, des dispositions législatives à prendre, des dispositions réglementaires à réformer. Mais quelles sont - à partir des réflexions qui sont les vôtres - les propositions que vous pourriez faire à la commission pour que nous puissions faire avancer les choses ? 

Car les membres de cette commission visent un objectif commun: faire en sorte qu'il y ait plus d'activités économiques dans ce pays et, du coup, mécaniquement plus d'emplois.

M. Dominique BARBEY : Pour répondre à votre question, je vais être obligé de revenir sur la répartition des rôles au sein du patronat. Les quatre lois importantes qui, pour nous, ont été votées par le Parlement ces dernières années, ce sont des lois qui ont été générées par la CGPME parce qu'elles avaient justement pour but de protéger les PME. Par conséquent, nous avons eu des contacts préparatoires avec les branches professionnelles, que ce soit pour la loi Madelin, la loi Raffarin, la loi sur l'urbanisme commercial, et la loi Galland sur la concurrence, mais le CNPF, par construction, a été obligé d'être muet. Il n'y a donc pas eu de proposition de la grande distribution sur ces sujets et, au contraire, une bataille d'amendements extrêmement « pointue » s'est déroulée jusque dans les couloirs de l'Assemblée. Les PME ont vraiment été seules avec l'artisanat qui suivait un peu derrière. A vrai dire nous n'avons jamais eu de discussions avec la grande distribution pour mettre les problèmes à plat. Telle est la vérité.

M. Alain COUSIN : Est-ce que vous l'avez demandé ?

M. Dominique BARBEY : Non, on ne l'a pas demandé. Par contre, nous les avons rencontré comme adversaires résolus sur chaque amendement avec les meilleurs avocats et les meilleurs professeurs de droit.

Avec le MÉDEF, il y a une répartition des rôles. Le MEDEF fait une action de promotion de l'entreprise en général mais il ne peut pas faire grand-chose sur les sujets qui nous préoccupent, car, en voulant à la fois représenter les petits et les gros, il doit gérer des intérêts antagonistes au plan du syndicalisme patronal.

Il en va de même dans le domaine des marchés publics. Dans l'attribution des marchés publics, on retrouve la rivalité entre les petits et les grosses entreprises, les seules ouvertures qui se sont produites ne concernant que certaines professions. Par exemple, dans le BTP, vous avez des grands majors qui donnent des directives et qui payent les cotisations, et vous avez tous les petits qui disent : « Nous, on aimerait bien avoir un peu d'air ». Les membres du BTP sont à la fois adhérents à la CGPME et au CNPF. Ce sont les tout-petits qui viennent nous voir et on étudie ensemble avec leurs juristes quels sont les moyens d'améliorer la situation pour qu'ils ne voient pas les marchés leur "filer sous le nez". Ce sont des sujets très difficiles. On a petit à petit amélioré la vision des choses avec la commission centrale des marchés.

Pour faire avancer les lois en France, il n'y a pas tellement d'interlocuteurs possibles. Ce sont les quelques parlementaires qui s'intéressent à nous, les cabinets ministériels et la CGPME. Je regrette de dire que le MEDEF et l'artisanat n'ont rien fait ou pas-grand-chose en matière de propositions législatives pour les PME et les TPE..

Quant aux marchés publics, on pourrait peut-être faire mieux qu'aujourd'hui et sans recours à la loi, par un code de déontologie à établir entre les collectivités territoriales et les agents économiques de telle sorte que le fonctionnaire chargé des marchés dans une localité n'appelle plus toujours les mêmes, fractionne mieux les lots, n'ait plus recours à un langage ésotérique pour rédiger les appels d'offres, prenne la peine d'aller à la rencontre des PME pour savoir si elles sont susceptibles de répondre. Sinon ce seront toujours les mêmes qui seront attributaires, alors qu'il y a énormément à faire pour faciliter le développement des petites entreprise de proximité si l'État veut bien s'en occuper, comme il le fait très bien - je le répète - en Grande-Bretagne et aux États-Unis .

M. Alain COUSIN : Pourquoi tout attendre de l'État ?

M. Dominique BARBEY : Pas tout, mais un peu.

M. Alain COUSIN : Beaucoup, me semble-t-il, alors qu'il me paraîtrait assez naturel que les acteurs économiques se rencontrent tout simplement pour essayer de construire l'avenir de façon aussi intelligente que possible. Je sais que c'est un exercice difficile mais, là encore, on va nous demander de légiférer, d'intervenir, pour crier après à trop d'État.

Il y a une espèce de contradiction que j'ai du mal à comprendre. Alors qu'il me semble que c'est plutôt aux acteurs économiques de prendre en charge leur propre devenir et de se parler pour essayer d'améliorer les dispositifs, pour faire en sorte que cela fonctionne mieux, quitte en cas d'échec à se retourner vers l'État pour qu'il prenne des dispositions réglementaires ou législatives.

Je reste franchement en attente de vos propositions.

M. Dominique BARBEY : Les acteurs économiques travaillent d'une façon remarquable au sein du Conseil économique et social. Malheureusement, on oublie souvent de leur demander ce qu'ils pensent. Ils font des études approfondies. Leurs travaux sont parfaits mais restent ensuite lettre morte.

Actuellement, nos meilleurs spécialistes - et c'est la même chose pour les autres partenaires sociaux - sont au Conseil économique. Ce sont les « ténors » du MEDEF, de la CGPME, de l'UNAPL, de la FNSEA de l'artisanat mais il est malheureusement très rare que le Conseil économique et social soit utilisé autant qu'il le faudrait. C'est une de nos revendications et nous l'avons encore répété récemment au gouvernement.

Mais il est vrai qu'il est assez lourd pour les organisations patronales d'organiser des séminaire ou des universités économiques pour chefs d'entreprise. Nous ne remplissons peut-être pas comme nous le devrions notre rôle de « préconisation » et de proposition et pourtant on essaie de faire un syndicalisme de propositions en allant directement à Bercy, à Matignon, auprès des rapporteurs parlementaires !

M. le Président : Pour faire suite à l'interrogation de M. Cousin, je voudrais évoquer la difficulté où nous sommes placés lorsque nous devons, comme élus locaux, présider une commission d'appel d'offres et, comme M. Paul l'a indiqué, accorder le marché à la filiale d'un grand groupe parce qu'elle est évidemment moins-disante que beaucoup d'autres mais, qui une fois le marché obtenu, le sous-traite à des artisans du cru qui doivent réaliser le chantier pour encore moins cher.

Et une des questions que je me pose - mais je ne suis probablement pas le seul à me la poser -, est de savoir si votre organisation ainsi que les chambres de commerce et les chambres de métiers  mènent un travail de pédagogie suffisant afin de susciter des groupements d'entreprises locales aptes à rentrer en concurrence directe avec les groupes nationaux ou multinationaux qui ont trop tendance, avec leurs filiales, à emporter les marchés.

M. Dominique BARBEY : C'est un problème très difficile et, pour y répondre, nous proposons de prendre exemple sur les États-Unis où il y a un corps de 6.000 fonctionnaires au rapport coût/efficacité remarquable : chaque fois qu'une administration passe un marché public, elle doit montrer son projet d'appel d'offre à un bureau dirigé par un de ces fonctionnaires qui assiste la PME sur les questions comptables, techniques et administratives, coordonne le dossier et veille à la mise en oeuvre et à la bonne fin du contrat. Chaque responsable des marchés publics dans chaque administration doit prendre des mesures d'encouragement au profit des PME. Il doit diviser les commandes en lots, planifier les marchés en fonction des garanties que l'administration peut accorder à ceux qui soumissionnent, établir des délais de livraison, encourager la sous-traitance. S'il estime impossible de contracter avec des petites entreprises, il doit le dire cinquante jours avant l'annonce de l'appel d'offres. Il doit faire la liste des petites entreprises concernées par le marché, leur envoyer l'appel d'offres. Il doit donner des délais de réponse suffisants, fournir des informations juridiques et techniques, consulter le responsable du marché...Des travaux sont conduits par des fonctionnaires eux-mêmes contre les lourdeurs de leur propre administration et une prochaine loi devrait accroître encore cet accompagnement administratif en faveur des petites entreprises.

M. le Rapporteur : Je regardais ce tableau qui est un tableau très clair, avec 1 000 000 d'emplois en moins pour les entreprises de 200 salariés et plus, et 1 400 000 d'emplois en plus pour les entreprises de moins de 200 salariés. Je suppose que, dans certains cas, certains groupes ont créé ces petites entités, c'est-à-dire qu'il y a tout simplement transfert d'emplois. Etes-vous d'accord avec cette analyse ?

M. Dominique BARBEY : C'est possible mais nous n'avons pas cherché à le quantifier. Vous êtes les premier à chercher à le faire. On sait qu'il y a des entreprises qui se créent par externalisation. C'est même une nécessité de gestion dans certaines professions. Mais à partir du moment où le chef de cette unité de production externalisée doit la faire fonctionner, il a exactement les mêmes contraintes qu'un patron de PME traditionnel. Au point de vue comportement syndical et fonctionnel, ce n'est pas une courroie de transmission de la grande entreprise.

J'ai été directeur d'une filiale d'une grande entreprise pendant quatre ans. Je connais donc la façon dont les grands groupes « pompent » les disponibilités des petites entreprises qui sont dans leur circuit.

Dans toute externalisation, il faut voir la façon dont sont rédigées les clauses de frais de siège, de frais de redevance, de transfert de technologies, d'utilisation des brevets de la maison-mère. Il y a toute une série de mécanismes mais cela relève vraiment des techniques du droit commercial et fiscal. Vous n'allez pas mettre un gendarme derrière chaque chef d'entreprise pour voir s'il verse d'une manière justifiée, ou pas, des royalties à sa maison-mère. C'est trop compliqué. Il faut essayer d'améliorer le système mais d'une autre façon.

M. le Président :  Vous avez évoqué à diverses reprises la nécessité de mettre en place une fiscalité différenciée. Est-ce que cela figure dans les documents que vous allez nous remettre ?

M. Dominique BARBEY : Il y a des dispositions qui vont dans ce sens dans les loi de finances pour 1998 et 1999. La première mesure de fiscalité différenciées a été instituée par Mme Édith Cresson. Elle a été reprise ensuite par M. Balladur. Nous sommes intervenus notamment en faveur de l'allégement des droits de mutation et pour les donations entre vifs et la CGPME a joué, à cette époque, un rôle essentiel lorsque le Conseil constitutionnel ayant jugé ces dispositions contraires à l'égalité devant l'impôt, il a fallu trouver une nouvelle formule que nous avons mise au point avec l'accord du rapporteur général, M. Auberger. Je me réjouis que le gouvernement socialiste ait décidé d'alléger encore les droits de mutation à titre gratuit pour les donations. C'est une excellente chose pour les entreprises.

Il reste à régler le problème de la transmission d'entreprise après décès et à trouver des formules pour alléger les droits afin d'éviter une mortalité d'entreprises beaucoup trop grande en France. Il faut surtout oublier les préjugés de doctrine et voir de façon réaliste ce qu'il convient de faire. Je suis surpris de constater que même certaines PME commencent à parler de s'expatrier et que des cabinets travaillent à Londres pour faire venir des PME françaises.

La défense des PME est devenue transpolitique et j'en suis content. Par contre, je m'inquiète que plus de la moitié du capital des entreprises côtées au CAC 40 soit entre les mains de porteurs étrangers. Nous sommes dans un environnement mondial qui nous surveille de près. Nous sommes aussi dans un monde que dominent les États-Unis , eux-mêmes très protectionnistes. Dans cet environnement, comment obtenir des grands groupes français - qui ne vont d'ailleurs pas très loin, guère plus loin que l'ancien rideau de fer - qu'ils arrivent à créer et à vouloir vivre en commun, avec nous ? 

M. le Président : Je pense qu'il y a néanmoins un certain nombre de grands groupes qui représentent bien la France à l'étranger et qui s'y battent bien. Même si c'est un grand groupe public, EDF gagne des marchés en Amérique Latine. Il vient d'obtenir le marché du réseau électrique à Londres, celui du gaz à Berlin, deux capitales qui sont connues pour leur dynamisme économique et entreprenarial, et il est bien que les entreprises françaises puissent y être.

M. Dominique BARBEY : Nous avons des relations très suivies avec EDF pour que les tarifs des PME comprennent plusieurs tranches comme c'est le cas pour les grands groupes.

Au demeurant les patrons de PME sont quelque peu scandalisés quand ils voient qu'on risque de dépenser 600 ou 700 millions pour arriver chez EDF aux 35 heures étant donné les conditions de travail actuelles de l'entreprise, le rabais de 90 % que consent EDF sur les factures d'électricité de ses agents, les logements à très bon marché qu'elle leur accorde, les congés payés très supérieurs à la moyenne, l'âge de la retraite plus basse qu'ailleurs... Les 14 ou 15 millions de travailleurs du secteur marchand productif sont quand même un peu étonnés de voir que ceux qui redistribuent, qui gèrent ou qui enseignent, au titre du secteur public, bénéficient d'autant d'avantages et en sont restés à camper sur le principe de l'État providence inventé en 1946 mais qu'on ne peut plus financer aujourd'hui.

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