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TOME II
SOMMAIRE DES AUDITIONS
LES TEMOIGNAGES DES EXPERTS

Les témoignages sur les contrôles

__  Monsieur Guy CASTELNAU, Directeur de la direction des entreprises de la Banque de France (14 janvier 1999).

__  Messieurs Pierre-Louis MARIEL, Chef de service à la direction générale de la comptabilité publique et Thierry LAMOUR, Rédacteur au sein de la cellule d'action économique (24 février 1999).

__  Monsieur le professeur Frédéric JENNY, Vice-président du conseil de la concurrence (23 février 1999)

__  Monsieur Alain PICHON, Conseiller maître à la cour des comptes, Président de la chambre régionale des comptes de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur et Président de l'association des présidents des chambres régionales des comptes (10 février 1999).

Avertissement

Conformément aux alinéas 1er et 3 de l'article 142 du règlement de l'Assemblée nationale qui disposent que « les personnes entendues par une commission d'enquête sont admises à prendre connaissance du compte-rendu de leur audition », (les intéressés ayant la faculté de produire des observations par écrit), toutes les personnalités entendues ont été invitées à faire part des observations éventuelles que pouvait appeler de leur part le procès-verbal de leur audition.
Certaines n'ayant pas cru devoir donner suite à cette invitation, la Commission a été amenée à considérer que leur silence valait approbation et le procès-verbal les concernant est publié dans le texte qui leur a été soumis.
En outre, un certain nombre de personnalités ont eu l'obligeance de transmettre à la Commission divers documents, soit avant, soit à l'issue de leur audition. Le volume de ces dépôts ou de ces envois est tel qu'il a été matériellement impossible de les reproduire au sein du présent rapport qui s'en tient strictement aux procès-verbaux des auditions.
Seul le relevé des aides reçues par le groupe Moulinex, tel qu'il a été fourni par sa direction, fait exception dans la mesure où ce relevé constitue une information essentielle à la réflexion de la commission d'enquête, celle-ci regrettant que les autres groupes n'aient pu fournir les mêmes renseignements avec autant de précision.

Le témoignage de la Banque de France sur les contrôles bancaires

Audition de M. Guy CASTELNAU,
Directeur de la direction des entreprises de la banque de France

(extrait du procès-verbal de la séance du jeudi 14 janvier 1999)

Présidence de M. Alain FABRE-PUJOL, Président

puis de M. Jean ESPILONDO, Vice-président

M. Guy Castelnau est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Guy Castelnau prête serment.

M. Guy CASTELNAU : Il me semble nécessaire, pour bien cadrer les limites de mon intervention, de vous préciser d'abord pourquoi nous entretenons des relations avec les entreprises, que celles-ci appartiennent à des grands groupes nationaux ou internationaux ou qu'il s'agisse de PME.

J'y vois pour ma part deux motifs qui, loin de s'opposer, se complètent et constituent le fondement de l'action d'une Banque centrale.

Le premier motif est de promouvoir la stabilité des prix, condition préalable à une reprise économique saine et durable, vocation originelle de la Banque de France lorsqu'elle avait, seule, la responsabilité de la monnaie nationale et qui, depuis le 1er janvier 1999, reste de sa responsabilité en sa qualité de membre du Système Européen des Banques Centrales.

Le deuxième motif est de faciliter un financement harmonieux de l'économie en favorisant une saine distribution du crédit liée à une claire appréciation des risques.

Dans ce cadre général reconnu et admis par l'opinion publique, notre pays présente deux particularités qui résultent de circonstances historiques.

La première est la technique de l'escompte qui, depuis la création de la Banque de France et durant près de 170 ans, est restée un mode de refinancement prioritaire ; technique qui a pleinement justifié les relations et le réseau très étroit que la Banque de France a souhaité maintenir avec l'ensemble des entreprises.

La seconde, qui explique l'originalité et la diversité des relations avec celles-ci, réside dans un réseau de succursales dont la densité fait en sorte que les directeurs de la Banque se « positionnent » au coeur de la relation la Banque/entreprises, car ils bénéficient aussi bien de la vision « entreprise », née d'activités exercées de longue date - cotation, centrale de bilans, tests de conjoncture... - ou résultant d'initiatives plus récentes - système expert GEODE - que de la vision « système bancaire » en raison des contacts réguliers qu'ils entretiennent au niveau local avec les responsables des départements « Engagements des banques ».

C'est par une description très rapide de cet outil mis à la disposition des comptoirs et à forte base d'investissements informatiques que j'aborderai mon intervention.

La Banque de France a mis en place un premier outil : le Fichier bancaire des entreprises nationales qui rassemble un ensemble de renseignements et d'informations sur toutes les entreprises soit qu'elles réalisent un certain volume de chiffres d'affaires (à l'heure actuelle de cinq millions de francs), soit qu'elles se signalent par un certain volume de risques bancaires (de l'ordre de 2,5 millions de francs, voire davantage), soit qu'elles appartiennent à un groupe dès lors que celui-ci est connu.

Ce fichier bancaire, dans lequel nous retrouvons également les entreprises aidées, regroupe 2,6 millions d'entreprises, soit la quasi-totalité des SA et près de 70 % des SARL, et tente de trouver le meilleur compromis entre le souci d'exhaustivité et le coût de la collecte.

Permettez-moi d'observer à ce stade de mon intervention trois points qui sont de nature à relativiser l'apport des travaux de la Banque au regard du sujet qui préoccupe votre commission.

D'abord, le domaine d'investigation des services économiques de nos comptoirs, c'est-à-dire leurs fonds de commerce, va bien au-delà de la notion de grands groupes, même si ces derniers font l'objet d'une attention toute particulière compte tenu du volume des crédits en cause, notamment lors d'une décision de cotation.

Ensuite le Fichier bancaire des entreprises nationales est limité aux seules entreprises françaises et n'offre pas à ce jour de renseignements sur les groupes internationaux. Certes, la Banque de France ne peut se désintéresser de leur influence sur l'activité des entreprises nationales, mais, dans cette optique, elle a privilégié une recherche d'informations qui utilise des sources de renseignements privées externes - je pense à des sociétés, telles Dun et Bradstreet - plutôt qu'une collecte par ses propres services.

Enfin la Banque de France, en raison même de l'objet de son activité qui est de réguler la masse monétaire, traite les données financières telles qu'elles sont publiées au niveau du siège alors que les données sur l'emploi font l'objet de déclarations au niveau de chaque établissement.

Au total ces trois éléments empêchent donc le Fichier bancaire des entreprises nationales de nous donner une image aussi complète qu'il serait souhaitable.

La cotation constitue le deuxième outil. Au coeur du système d'information celle-ci est matérialisée par trois éléments : une cote d'activité, une cote de crédit et une cote de paiement. Appliquée au siège des entreprises, elle traduit une appréciation qui est jugée saine, délicate ou fragile au regard des critères retenus au titre de l'éligibilité pour le refinancement.

Des trois éléments qui la constituent, nul doute que la cote de crédit présente la plus forte sensibilité car c'est d'elle que dépend l'éligibilité ou l'inéligibilité des effets privés tirés sur une entreprise ; en effet, seul le papier représentatif de créances sur des entreprises qui bénéficie de la cote de crédit 3 - dite d'excellence - est retenu. Il est intéressant d'observer que le taux de cote de crédit 3 ne cesse de s'améliorer au gré de la taille des entreprises puisque, rapporté à une moyenne nationale de 52,8 % pour la population des entreprises réalisant un chiffre d'affaires de plus de 5 millions de francs, 75 % des entreprises qui réalisent un chiffre d'affaires de 1 à 5 milliards de francs bénéficient de cette cote d'excellence, soit un gain de plus de 20 points par rapport à la moyenne, et 85 % des entreprises dont le chiffre d'affaires va au-delà de 5 milliards de francs.

Plusieurs indicateurs sont pris en compte lors de l'octroi d'une cote de crédit. Parmi ceux-ci, nous pouvons citer la situation financière de l'entreprise et son évolution, la régularité des paiements, le montant des engagements de toutes sortes, l'existence d'une procédure judiciaire ou l'appartenance ou non à un groupe d'entreprises.

Vous observerez que le système de cotation de la Banque de France se veut aussi neutre et constant que possible dans le temps. C'est ainsi qu'il ne prend pas en compte ni le niveau de l'emploi, ni les données conjoncturelles, ni les aides publiques qui peuvent modifier une année donnée la présentation des comptes, qu'il juge l'entreprise au regard de sa structure financière propre afin de mesurer la solidité finale d'une créance au titre du refinancement.

Les centralisations interbancaires constituent le troisième outil. Cette centralisation des risques a été créée par une décision du Conseil national du crédit du 7 mars 1946 et constitue le plus ancien fichier que les banques se soient donné. A ce titre, ma direction assure mensuellement le recensement des encours bruts de crédits en francs déclarés par les établissements de crédit membres de l'AFECEI et distribués aux entreprises ayant leur siège social en France, qu'il s'agisse des grandes entreprises - celles qui réalisent un chiffre d'affaires égal ou supérieur à 500 millions de francs, critère qui est distinct de celui retenu par l'INSEE - ou des PME.

La centralisation des risques bancaires est faite par les banques pour les banques et est, de ce fait, soumise à des règles de confidentialité. Nous ne pouvons diffuser sous forme individualisée des informations qu'à ceux qui nous les ont livrées. A l'inverse, à partir des informations sur les risques bancaires, il y a possibilité de diffuser des informations agrégées par établissement pour une zone géographique, un bassin d'emploi ou encore pour un secteur économique.

J'ai dit que ma direction collectait des risques bancaires. Les dernières données disponibles à fin octobre 1998 font état d'une progression annuelle des encours - en moyenne trimestrielle centrée - de 4,3 % toutes catégories d'entreprises confondues et confirment ainsi le redressement de tendance observé depuis les mois d'été. Toutefois, cette situation recouvre deux évolutions de sens opposé : une sensible augmentation des lignes au profit des grandes entreprises, soit + 9,2 % sur un an, + 20,2 % sur 3 ans, augmentation qui contraste avec le fléchissement des encours des PME - certes + 2,9 % par rapport à la même période de 1997, mais surtout -7,5 % sur 3 ans.

La Centrale des bilans est le dernier outil à la disposition des banques. Créée en 1969, la Centrale de bilans rassemble par l'intermédiaire du réseau des comptoirs une documentation économique et financière, de source principalement comptable, sur les entreprises qui acceptent de participer à cette centralisation. La centralisation porte sur un échantillon d'entreprises mais cet échantillon permet de disposer, avec 34 000 bilans collectés en 1997, d'une couverture significative du tissu productif national : plus de 60 % des effectifs employés dans l'industrie, au-dessus de 30 % pour les secteurs dépendant du bâtiment, de la construction et du commerce. Les données ainsi recueillies sont regroupées et analysées et les résultats de ces synthèses constituent autant de thèmes susceptibles d'apporter un éclairage utile dans la conduite de la politique monétaire.

Plusieurs sujets d'études font l'objet de publications comme les défaillances dans l'industrie française, l'évolution des crédits interentreprises et surtout, chaque année, la situation des entreprises industrielles.

C'est ainsi que l'étude diffusée en septembre 1998, qui portait sur l'analyse des bilans de l'année 1997, permet de tirer quelques grands enseignements.

L'accélération de l'activité des grandes entreprises en 1997, (+ 7,1 % pour une moyenne dans l'industrie manufacturière de + 6,3 %) s'explique par la bonne tenue de la demande intérieure qui est venue relayer une demande externe déjà bien disposée.

Les effectifs ont dès lors pu être maintenus dans les grandes entreprises - le mouvement de réduction des effectifs ayant été stoppé en 1997 pour la deuxième fois de la décennie - et ont de nouveau progressé dans les pme quoique les évolutions demeurent assez contrastées d'un secteur à l'autre.

En outre, bien qu'en recul d'une année à l'autre, le taux d'investissement des grandes entreprises s'inscrit toujours au-dessus de celui observé pour les pme.

Tel est l'outil statistique dont dispose la Banque de France. Il présente à la fois des richesses et des limites.

Au plan des méthodes adoptées, notamment par le biais de son fichier, il présente une architecture qui pourrait être utile pour un recensement des aides publiques. Par la procédure retenue au titre de la centralisation des risques, il offre aussi un reporting intéressant d'informations, complémentaire à celui qui pourrait être retenu pour une meilleure connaissance des systèmes d'aides octroyées aux entreprises en France.

La deuxième partie de mon intervention aura pour objet de vous rendre compte de l'enquête annuelle, réalisée notamment par l'intermédiaire des comptoirs de la Banque de France, sur les flux d'investissement directs de la France avec l'étranger et inversement de l'étranger vers la France. La Banque de France est amenée, avec le ministère de l'Économie et des Finances et de l'Industrie, à tenir des statistiques mensuelles sur ces différents éléments.

Les investissements directs à l'étranger des entreprises françaises se confirment et progressent puisque, à partir de l'échantillon d'entreprises interrogées chaque année sur leur évolution et leur prévision d'investissement, nous constatons un stock d'investissements qui est estimé à 1 000 milliards de francs en 1996 et qui serait passé à 1 200 milliards de francs en 1997 : c'est dire la propension des entreprises françaises à se déployer à l'étranger.

La France se situe en effet au cinquième rang parmi les premiers investisseurs au monde derrière les États-Unis , le Royaume-Uni, le Japon et l'Allemagne.

Les principaux pays destinataires sont les États-Unis avec 20 % du stock en 1996, puis les Pays-Bas avec 13 %, le Royaume-Uni avec un peu plus de 9 % et la Belgique avec près de 9 % ; de nombreux holdings s'installant aux Pays-Bas ou en Belgique afin de bénéficier d'une fiscalité plus avantageuse.

Au total, la répartition du stock d'investissement direct français à l'étranger fait apparaître une forte concentration vers les pays de l'Union européenne - 52 % en 1996 - et un désengagement des pays émergents, tel le Brésil, où les investissements sont relativement faibles - 3 % du total - et un désengagement des pays du Sud-Est.

Cinquième investisseur dans le monde, la France est également le troisième pays d'accueil des investissements étrangers derrière les États-Unis et le Royaume-Uni.

Au vu de la même enquête, le stock des investissements directs étrangers en France a atteint, à la fin de 1997, un peu moins de 900 milliards de francs en progression de l'ordre de 20 % par rapport à 1996.

Les échanges, qui se multiplient de part et d'autre, suivent des évolutions et des tendances assez comparables.

L'implantation étrangère en France s'organise autour de trois pôles d'activité : le secteur des holdings qui représente 20,5 % du stock, le secteur du crédit qui en représente 17,5 %, et celui des produits chimiques, chimie de base et para chimie qui atteint 12 % du total.

Les investisseurs qui prennent position sur la France s'intéressent aux entreprises industrielles de taille intermédiaire qui emploient entre 100 et 200 salariés et contrôlent ainsi 35 % des emplois des entreprises de 200 à 500 salariés et 48 % des emplois des entreprises de 500 à 2 000 salariés.

Mais au total la France est un investisseur net si l'on compare les capitaux qui sortent et qui entrent.

Dans le cadre de cette audition, nous avons demandé à nos comptoirs régionaux de réaliser une rapide synthèse sur les raisons des investissements étrangers en France et je conclurai en vous présentant les éléments que j'ai pu recueillir auprès de vingt un d'entre eux, leurs appréciations étant certes subjectives mais proches du terrain.

D'une manière générale, faire un bilan des aides à l'implantation et des reprises de sites par les grands groupes relève au moins autant de critères géographiques que financiers. Il faut, en effet, disposer de nombreuses données qualitatives sur les types d'activités, sur les localisations, sur l'identité des repreneurs, sur l'origine des fonds publics, sur la situation financière des entreprises pour pouvoir porter une appréciation.

Or, il est patent que les données sur les fonds publics, si elles sont très nombreuses, sont aussi très difficiles à rassembler, étant donné la multiplicité des procédures et l'attitude des collectivités qui souhaitent conserver par devers elles leurs informations.

De ce fait, les données financières sur les sites sont rares et la tâche est encore plus difficile pour ceux qui appartiennent à de grands groupes dont les comptes sont établis à un niveau plus élevé et souvent consolidés hors de France.

Ceci étant cette synthèse apporte les quatre enseignements suivants.

Premièrement, la diversité des structures économiques régionales entraîne une diversité des politiques d'implantation.

Très schématiquement, je distinguerai quatre types de région.

Il y a d'abord celles qui disposant déjà d'un véritable tissu industriel, sont confrontées à d'importants projets d'implantation, de reprise, de restructuration. Ce sont essentiellement les régions qui profitent d'une dynamique frontalière, appartiennent à l'axe central nord-sud et bénéficient en terme d'aides d'un certain «activisme». Il s'agit du Nord-Pas-de-Calais, de la Lorraine et de l'Alsace et la Région Rhône-Alpes notamment autour de Lyon.

La deuxième catégorie est formée des régions agricoles proches des régions industrielles et frontalières qui bénéficient de cette proximité et de cette dynamique. Je me limiterai à en citer trois : d'abord la Picardie qui bénéficie de la proximité du Nord-Pas-de-Calais mais aussi de l'Ile-de-France ; ensuite la Champagne-Ardenne et enfin la Bourgogne que caractérise une plus forte présence des capitaux américains malgré l'absence d'aides publiques.

La troisième catégorie est formée des régions à dominante agricole qui ont l'habitude de traiter avec Bruxelles. Je citerai essentiellement la Bretagne dont la pratique acquise à instruire des dossiers agricoles s'est transmise au secteur industriel avec le montage de dossiers importants et intéressants dans le secteur de l'agro-alimentaire et qui s'est étendue, quoique jouant sur moins d'emplois, au domaine de l'électronique. J'y adjoindrai volontiers la région des Pays de la Loire, qui aux côtés de la restructuration de quelques industries anciennes - telles la chaussure et l'industrie navale - et de la dynamisation de zones essentiellement rurales, a su conduire des politiques d'implantation d'activités nouvelles.

A l'inverse, la quatrième catégorie est constituée de régions qui sont restées à l'écart soit parce qu'elles ont eu une attitude de défiance par rapport aux implantations étrangères, soit parce qu'elles sont géographiquement excentrées.

Parmi les premières, je classerai, avec tout le caractère subjectif que présente ce classement, les régions de Haute et de Basse-Normandie ainsi que la région Poitou-Charentes qui non seulement se sont défiées des implantations étrangères mais ont également connu des restructurations insuffisamment réfléchies d'où des situations délicates en matière d'emploi.

Quant aux régions les plus excentrées ce sont celles du Midi : l'Aquitaine, le Midi-Pyrénées, la région paca; l'Aquitaine, parce que les projets sont en général de faible dimension au regard de ce qui se fait dans les autres régions et portent sur des secteurs difficiles - le papier, la chimie, l'agro-alimentaire -; la région Midi-Pyrénées, parce que toute la politique d'aides a été conçue pour trouver des substituts à l'activité aéronautique ; la région paca du fait de la forte priorité accordée à la métropole marseillaise.

La politique d'aides découle elle-même de cette diversité, mais trois autres enseignements sont, me semble-t-il, communs à tous les dossiers.

Tout d'abord, la politique d'aides publiques est constituée le plus souvent le fait de mesures d'accompagnement qui joue sur l'environnement des entreprises et ne se limite pas à l'octroi exclusif de subventions directes. C'est particulièrement vrai de la région de Bretagne qui a réussi à optimiser au maximum sa politique d'accompagnement grâce aux aides européennes au contraire d'autres régions que caractérisent parfois des actions au coup par coup et sans grandes lignes directrices.

Ensuite la politique d'aides publiques a essentiellement porté sur les pme plutôt que sur les grandes entreprises. D'une manière générale elle est globalement considérée comme un succès - même si certains mettent en avant des échecs - le bilan d'une telle action devant en tout état de cause être tiré avec du recul, un investissement effectué en vue de créer des emplois étant efficient si ces emplois demeurent une fois passée une période de cinq à sept ans.

Enfin pour ce qui concerne l'origine des repreneurs et des investisseurs on cite souvent les firmes américaines, alors que les opérations de reprise et d'investissements sont surtout le fait d'Européens.

L'Europe s'est faite avant que l'euro n'existe. L'axe Orange qui comprend les Anglais, les Belges, les Néerlandais représente 40 % du total du stock d'investissements étrangers en France et comprend l'essentiel des repreneurs financiers ; les investisseurs allemands - 10 % du total - ayant limité leur champ d'action à l'Alsace, à la Lorraine et à la Franche-Comté.

Les Américains, qui ont une préférence marquée pour les actions stratégiques fortes, des projets ou des restructurations qui présentent un aspect non seulement financier mais industriel, n'en détiennent que 20 %. D'une manière générale les groupes américains choisissent de s'implanter en Europe dans les régions qu'ils jugent les plus dynamiques, telle la Bretagne. Mais, à l'inverse, leurs désinvestissements peuvent être aussi brutaux que leurs investissements.

Les 30 % restants sont assez diversifiés et les opérations d'origine asiatique, si elles ont fait la « une » de la presse, restent néanmoins marginales.

Il reste que le bilan des aides d'un point de vue financier est à ce jour une opération si délicate, faute de statistiques en amont, qu'elle est à nos yeux difficile à effectuer.

Pour terminer, je citerai deux chiffres. Les crédits bancaires, toutes entreprises confondues, sont de l'ordre de 6 400 milliards de francs. Les aides publiques au sens large - dépenses à l'emploi comprises - avoisinent pour leur part 300 à 400 milliards de francs soit près de 5 % des crédits bancaires.

La question qui se pose à la commission est de savoir s'il y a lieu - et pour l'heure, telle n'a pas été l'option choisie - de mettre en place un arsenal permettant une meilleure appréciation des aides publiques et de leurs conséquences notamment en terme d'emplois.

La structure de fichiers de la Banque de France est prête à collecter ce type d'informations dans la mesure où il suffirait de codifier les entreprises aidées et d'avoir connaissance des emplois créés par les entreprises ayant bénéficié des aides. Mais si l'architecture est là, il n'en demeure pas moins que sa mise en place représente un coût administratif qui doit être pesé au regard de l'ampleur des aides elle-même et de l'enjeu politique que seule la commission est en mesure de déterminer.

M. le Président : Vous nous avez indiqué que, dans le cadre de la centralisation des risques bancaires, vous aviez à votre disposition un certain nombre d'agrégats qui permettaient, par région ou par bassin d'emploi, de mesurer certaines évolutions. Il serait intéressant que vous nous les communiquiez.

M. le Rapporteur : Votre dernière remarque me permet d'accrocher ma première question. J'ai le sentiment que nous disposons, au travers d'organismes publics - Banque de France, insee et d'autres - de tous les éléments permettant de faire le point le plus précisément possible sur l'état de la question à un moment donné et sur son évolution. Sans développer dans chacune de ces structures l'ensemble des outils, n'y aurait-il pas moyen que les organismes publics concourent à mettre en place un organisme commun, permettant de donner en permanence la réponse à la question qui nous est posée ? J'ai le sentiment, je le répète, que notre pays dispose de tous les outils nécessaires, mais qu'ils sont dispersés, chacun les conservant par devers lui, alors que les sommes en jeu sont énormes : 300 à 400 milliards de francs d'aides publiques. L'écart tenant aux approximations - 100 milliards de francs - à lui seul laisse rêveur ! C'est du même ordre, en effet que le déficit de la Sécurité sociale !

Dans le même temps, votre exposé relativise les aides publiques puisque vous nous parlez de 6 400 milliards de francs d'encours de crédits mais ceci démontre un accès à l'argent qui permet d'investir ce que les entreprises ne font manifestement pas, en tout cas pas en France. Quand on sait que le budget de l'État s'élève à 1 800 milliards de francs, le crédit actuellement disponible - il pourrait sans doute être encore plus important - est en conséquence trois ou quatre fois supérieur au budget de l'Etat. Il y a là des voies à rechercher et à creuser, éventuellement une législation à modifier, afin de permettre aux entreprises un accès au crédit plus facile qui se substituerait aux aides publiques. Ce sont autant de réflexions que je soumets à la commission.

Depuis quelque temps, l'INSEE a repéré l'émergence d'entreprises dites « complexes », où la société mère conserve le personnel et les capitaux, mais filialise ses sites de production. Deux groupes ont été cités : dans le secteur de la production, Auchan, et un grand groupe industriel, Renault. La Banque de France a-t-elle également pris acte de ce phénomène ? Selon vous, quelles sont les motivations économiques et financières, juridiques, fiscales, sociales, d'emploi qui pourraient justifier un tel mouvement, sachant que la Banque de France concentre ses efforts sur « la stabilité des prix et le financement harmonieux de l'économie et non sur le développement de l'emploi », ce que, personnellement, je regrette beaucoup, mais c'est là un constat qui résulte de vos propos.

Vous avez évoqué les PME et les grands groupes. Quelles sont les spécificités des grands groupes en matière de financement ? Y a-t-il ventilation du coût réel du crédit en fonction de la taille de groupe ?

M. Guy CASTELNAU : Votre première question portait sur la possibilité de mettre en place un organisme commun de recensement des aides, dans la mesure où les établissements publics disposent des informations en amont pour alimenter cette base.

L'organisation d'une centralisation des risques bancaires permet de penser que, si l'ensemble des organismes donnaient leur accord pour communiquer leurs informations, tout serait possible. Un intérêt évident s'attache à faire remonter ce type de renseignements. Reste à savoir quel organisme en serait chargé. Pour les risques bancaires, j'ai précisé que leur centralisation faisait suite à une décision du Conseil national du crédit et que, si une telle opération devait être menée pour les aides publiques, l'opération devrait faire suite à une décision de nature réglementaire.

Sur l'organisme commun, au sujet duquel je n'ai pas à me prononcer, il me semble que le recensement des aides ne relève pas de la mission spécifique de la Banque de France. Nos directeurs de comptoirs participent sur certaines places aux commissions d'attribution des aides en livrant l'information à leur disposition pour alerter les membres de la commission sur la viabilité et la fiabilité d'un projet ou sur l'aspect sensible d'un autre projet. Ces informations sont toujours disponibles. Pour autant, confier à la Banque de France la charge de centraliser les aides me semble peu correspondre à la fonction originelle d'une banque centrale. En revanche, parmi les organismes possibles, il en est qui s'y prête davantage que les autres. Pour avoir travaillé beaucoup sur le terrain et en province, il me semble que la SOFARIS pourrait jouer ce rôle s'il lui était confié, dans la mesure où cet établissement a une certaine pratique en ce domaine.

La Banque de France ne refuserait pas, bien entendu si elle venait à être sollicitée, car elle dispose des fichiers qui l'y autorise. La question que je me pose est de savoir si cette demande correspond à l'objectif originel de la Banque de France et si d'autres organismes ne sont pas mieux qualifiés pour procéder à ce type d'opérations.

Dans votre deuxième question, vous avez évoqué le cas d'entreprises complexes. Nous avons nous-mêmes observé cette tendance de sociétés mères qui filialisent les sites de production à l'étranger.

M. le Rapporteur : En France aussi.

M. Guy CASTELNAU : En effet. Pour autant, il ne s'agit pas là d'un phénomène récent. Outre les deux cas que vous avez évoqués, je citerai le plan textile mis en place dans les années 1990-1994, lequel avait également pour objet de réduire l'ensemble des coûts par une politique de délocalisation des unités de production et un appel plus large à la sous-traitance. Or, l'on s'aperçoit à l'heure actuelle, parce que le contexte général des pays dans lesquels se sont opérées les délocalisations s'est modifié, que des entreprises rapatrient leurs investissements. Nous nous situons à une période de retour et de rapatriement des investissements.

La stratégie se définit de plus en plus au niveau européen. De ce fait, si l'on peut rencontrer des cas de figure tels ceux que vous avez évoqués, cela n'empêche nullement des retours en arrière dont nous avons eu à connaître récemment.

M. le Rapporteur : Dans le cas précis, il ne s'agit pas d'externaliser à l'étranger, mais en France. Je cite l'hypermarché Auchan implanté sur ma circonscription, Renault-Sandoville, Cléon, affecté par ce phénomène il y a quelques semaines : nous sommes dans le cadre d'une séparation juridique. Il ne s'agit pas d'externaliser une partie de la production dans une autre région ou dans un autre pays, mais d'opérer un changement de propriétaire, de structure. La Banque de France est également intéressée à cet aspect. Quelles raisons voyez-vous à cette évolution, peut-être erratique ? Peut-être nous situons-nous dans une phase « d'avancées » et de « reculs » - je ne porte pas de jugement sur la valeur de ces éléments. Je poserai la même question au représentant de la Direction du Trésor, que je pense également concernée par de tels aspects.

M. Guy CASTELNAU : Nous procédons à un entretien de conjoncture tous les mois. Nous avons avec les entreprises des entretiens sur l'évolution conjoncturelle. Parmi les données que nous recensons figure la donnée « emploi ». De ce fait, en dehors de l'aspect financier de l'analyse des comptes, la donnée « emploi » donne lieu à des explications. Dans le cas de restructurations sur le territoire national, tels ceux que vous avez cités, c'est, me semble-t-il, la recherche - toujours la même - de coûts budgétaires les moins élevés dans le cadre d'une politique de marges et de restructuration du budget. C'est ainsi qu'il convient de l'expliquer. Ces entreprises font appel au consommateur final et sont donc très largement confrontées à la concurrence. Elles ont le souhait et le souci tout naturel d'afficher des coûts de revient aussi faibles que possibles pour travailler sur des volumes et des marges. C'est ainsi que j'explique les éléments et qu'il convient de les considérer. C'est une politique de réduction des coûts en faisant appel à des intervenants extérieurs dont la charge peut paraître moins élevée que celle que l'on retrouve en interne.

M. le Rapporteur : Je prends un exemple concret. Une entreprise se sépare de son personnel, repris par une autre entité. Il n'y a pas de diminution de salaire, pas de diminution de charges salariales ; du reste, souvent, le personnel ne s'en aperçoit d'ailleurs pas. En ce cas, où se situe le bénéficie, la marge ? Réduire les coûts peut s'effectuer en externalisant vers l'Indonésie, la Thaïlande. On enregistre une chute. Je ne conçois pas comment on arrive à réduire les coûts et quelle est la motivation de passer tel élément de Renault, d'Auchan ou autres entre les mains d'une autre entité.

M. Guy CASTELNAU : L'entreprise qui fait son travail en interne et qui a donc des coûts de revient internes cherchera à jouer sur ses coûts fixes. Dans le cas d'une filialisation, elle arrivera à contenir ses coûts fixes dans des limites préétablies et pourra jouer sur les volumes et les charges variables correspondantes pour dégager une marge. Son souci sera de limiter sa charge fixe. Ce sont des arbitrages que l'entreprise doit opérer en permanence, que ce soit en interne ou en externe.

Votre troisième question portait sur la spécificité des grands groupes et sur le fait de savoir si s'opérait une ventilation des crédits alloués entre eux.

C'est une insuffisance de notre système d'information : nous ne disposons pas de données financières sur les grands groupes. Les données sur les crédits bancaires sont faites globalement pour alimenter l'information des autorités monétaires avec une classification « petites et moyennes entreprises » - en dessous de 500 millions de francs - et « grandes entreprises » jugées comme telles par la Banque de France (ce qui nous distingue de l'INSEE) - au-dessus de 500 millions de francs. Nous ne possédons pas, dans notre outil statistique actuel, de renseignements qui nous permettent de dire « Voilà les crédits consentis aux grands groupes, nationaux ou internationaux. » Notre information reste assez limitée, dans la mesure où nous avons surtout le crédit PME, le crédit grandes entreprises, au vu du seuil de chiffres d'affaires.

M. le Président : Interrogés dans le cadre de la commission, les représentants de l'INSEE se sont montrés tout à fait disposés à transmettre les numéros SIREN des cent premiers groupes français. La Banque de France accepterait-elle d'interroger ses bases de données, notamment celles de la centrale des bilans, afin d'en extraire les éléments comptables et financiers relatifs à ces groupes, dans la mesure où vous nous dites que vous avez vous-même quelque difficulté à lire les niveaux d'intervention ? L'INSEE pouvant compléter l'information, nous pourrions arriver à des critères croisés, permettant ainsi à la commission d'obtenir des réponses et de poursuivre ses travaux de la façon la plus transparente possible.

M. Robert PANDRAUD : On constate que la quantité de statistiques en France est impressionnante. Estimez-vous que les statistiques fassent l'objet d'un effort de cohérence suffisant de la part de la Commission des Communautés européennes ? Certaines des informations que nous continuons à récolter revêtent-elles encore un sens avec le développement de l'espace unique  ?

M. Guy CASTELNAU : La cohérence des statistiques que nous collectons en matière de crédits bancaires constitue pour notre Gouverneur, membre du Conseil des gouverneurs des banques centrales, une source d'informations qui lui permettra de participer de manière et utile aux débats qui vont présider aux décisions intervenant tous les quinze jours au niveau de la Banque centrale européenne.

Il est vrai que nous devons toujours améliorer notre outil statistique. Pour l'heure, il n'est pas fait état de regroupement de statistiques au niveau européen. C'est davantage une compilation d'un ensemble de renseignements à disposition de chaque membre participant aux décisions. Il ne s'agit pas tant de cohérence, M. le Ministre. Au niveau de notre arsenal statistique, certaines informations nous échappent. J'ai évoqué l'information concernant les grandes entreprises, c'est-à-dire qu'un tri n'est pas opéré entre les grandes entreprises et les grands groupes. Il y a aussi, du fait même de la mondialisation de la sphère financière, des informations sur la titrisation qui ne procèdent pas des procédures de collecte telles qu'elles ont pu être mises en place en 1946 et régulièrement actualisées. La question se pose, non pas en termes d'utilité de l'outil par rapport à un objectif final, mais en vue d'améliorer toujours plus l'outil pour une information générale et actualisée à la disposition du Gouverneur.

M. Robert PANDRAUD : Une entreprise dont le siège social est à Paris et à majorité de capitaux étrangers est-elle française ou étrangère ?

M. Guy CASTELNAU : C'est une entreprise résidente donc française. Le lieu du siège décide de la nationalité de l'entreprise.

M. Robert PANDRAUD : Ce qui, dans le cadre de son caractère mondial de grand groupe, peut poser problème.

M. Alain COUSIN : Même s'il existe des filiales.

M. Guy CASTELNAU : Ce sont les fichiers bancaires des entreprises nationales ayant leur siège social en France ou à Monaco qui font foi.

M. Jean BESSON : Vous avez évoqué les numéros d'immatriculation siren. Ils dépendent de l'objet social tels qu'ils figurent dans les statuts de la société. Aujourd'hui et contrairement à ce qui se passait encore il y a quelques années, lorsque l'on crée une entreprise les grands cabinets consultés tiennent le stylo lors de la rédaction des objets sociaux. D'ailleurs, le libellé des objets sociaux a grandement évolué au cours du temps. Aujourd'hui, en général, les responsables des cabinets mettent en garde : tel mot apparaissant dans l'objet social pourra éventuellement ouvrir droit à tel type d'aide ; son absence empêchera d'y accéder ; d'où une immatriculation différente, ce qui conduit parfois les sociétés à organiser des assemblées générales pour modifier leurs statuts et le libellé de leur objet social et ainsi changer leur immatriculation afin d'obtenir des aides.

Ma question est celle-ci : ne serait-il pas possible d'avoir une meilleure centralisation en amont de l'amont ? Aujourd'hui, si l'on soumet à un organisme public ou privé le cas de telle entreprise et son contexte pour connaître le type d'aide à espérer, pas une seule fois on n'obtient une même réponse. Si vous en questionnez cinq, vous obtiendrez cinq avis différents. Personne n'est en mesure, à ce jour, en France, de donner, pour tel cas de figure, la solution la meilleure, de dégager le processus, la filière sur laquelle s'engager, le dossier à déposer. La Préfecture donne un avis, différent de celui de la direction du travail, lui-même différent de celui de la Banque de France, de votre propre banque, des services du Conseil général, de la CCI. C'est la jungle, le parcours du combattant ! A un moment où l'on dit connaître un retard dans les technologies modernes de communication ou d'information, ne pourrait-on organiser un vrai système informatisé permettant de connaître, pour tel cas de figure, la meilleure solution au développement de notre économie ?

Ma seconde question, que nous nous posons depuis le début de nos auditions, porte sur l'utilisation des fonds publics et les moyens dont nous disposons pour la contrôler. Si les dossiers de demandes d'aides publiques étaient systématiquement soumis à la Banque de France pour instruction et agrément, la Banque de France aurait-elle la capacité - les compétences et les moyens matériels et humains - pour assumer cette mission ? Dans le cas où ce serait possible, l'agrément attribué par la Banque de France ne pourrait-il pas déclencher une garantie par l'État de l'argent déboursé par les collectivités pour accompagner ce type d'opération ?

M. Guy CASTELNAU : A votre première question, ma réponse sera très courte : nous ne pouvons que partager votre souci d'obtenir une information en amont de l'amont commune à tous, dans la mesure où, c'est bien souvent à ce niveau que s'apprécie l'éligibilité ou la non éligibilité d'une entité à un certain type d'aides. Ce n'est pas obligatoirement de ce seul fait, mais aussi parfois par ignorance ou instruction insuffisante d'un dossier. On se retrouve avec des numéros SIREN et des codes d'activité NAF attribués par l'INSEE parfois peu conformes à la réalité économique ; l'attribution d'un numéro d'immatriculation ayant valeur de loi et reconnue par tous ceux qui ont à travailler sur une entité ou à instruire des dossiers, je ne peux que partager ce souci. C'est pourquoi, lorsque nous faisons par exemple des études de type « Centrale de bilans » mes services se doivent de vérifier et de valider des numéros SIREN - et les codes d'activité NAF correspondants - et au besoin de compléter ces informations par un code d'activité dit « Banque de France » afin de composer un panel d'entreprises comparables. Mon souci est donc commun au vôtre. Mais de quel ministère relève cette responsabilité ? Celui de la Justice, de l'industrie ?

M. Robert PANDRAUD : Personne ne sait qui décide quoi ! Le malheureux «petit» parlementaire - comme le haut fonctionnaire - est totalement ignorant de la prolifération de ces circuits ! L'organisation française est un monde inconnu, en tout cas impossible à expliquer à des étrangers.

M. Guy CASTELNAU : J'en conviens totalement. Il arrive que le numéro de siren d'une entreprise ne soit plus exactement le même cinq ans après.

La seconde question, plus délicate, dont je comprends la motivation porte sur l'utilisation de l'aide publique et le rôle que pourrait jouer la Banque de France pour assurer le suivi des dossiers.

Vous parlez d'instruction et d'agrément. J'appelle l'attention des membres de la commission sur un fait simple : la Banque de France participe déjà très largement à l'instruction des dossiers en livrant une information sur le dossier, bien souvent sur les précédents dans la mesure où, sur la base du fichier bancaire, elle arrive à connaître l'origine, le pourquoi de l'activité et de l'implantation. L'instruction des dossiers est d'ores et déjà une réalité et elle est bien souvent matérialisée par une cotation, mais pas plus que la cotation faute de disposer d'autres éléments. Par notre position un peu particulière, nous ne manquons pas d'interroger la profession bancaire pour connaître l'appréciation des banquiers avant de donner un avis sur la viabilité d'un projet. Pour autant, tout cela ne suffit pas, me semble-t-il, à donner à la Banque de France un rôle d'agrément en matière d'aides publiques compte tenu de la séparation de fait existant entre l'État et la Banque de France de par la loi de 1993, sauf à bénéficier d'une disposition législative, de même nature que celle retenue dans le cas des dossiers de surendettement dont le suivi a été conféré à la Banque de France.

M. Jean BESSON : Je ne suis pas certain qu'une modification législative soit nécessaire. Il existe des éléments. Par exemple dans le secteur du bâtiment, le code de l'urbanisme, le code de la construction exigent que certaines opérations fassent l'objet de l'utilisation soit d'entreprises, soit de matériaux agréés par un laboratoire totalement indépendant de l'Etat. Or, l'agrément a été prévu par décision réglementaire. On n'a pas fait une loi pour que le cstb soit un laboratoire agréé pour décider si tel ou tel matériau était ou non conforme à la législation. Il faudrait définir comment se fait l'agrément, l'expertise technique. L'attribution de l'agrément par l'État devrait résulter d'une circulaire ou un décret. Cela me paraît relever du domaine réglementaire, non du domaine législatif. Mais il faut laisser aux juristes le soin d'en décider.

Je reviens sur la question du Rapporteur sur les entreprises complexes. Il me semble que la démarche actuelle vise à dépouiller, dans toute la mesure du possible, toute charge périphérique à l'activité principale d'exploitation, et pas seulement les charges financières, autrement dit ne pas laisser le patrimoine, y compris sa gestion, à la charge de la société qui a l'exploitation de la production. Aujourd'hui, dans un bilan d'entreprise, l'immobilisation du foncier et de l'immobilier de l'entreprise ne vaut plus rien, même si subsiste encore une valeur comptable. On sait que si l'entreprise dépose le bilan, on n'en tire pas un « sou ». Plus personne aujourd'hui ne veut reprendre une entreprise en lui rachetant ses friches. C'est un faux bilan, une somme creuse qui apparaît comptablement au bilan. Les entreprises ont donc intérêt à dégager leur bilan de tout ce qui vient le «polluer», à avoir des propriétaires qui gèrent leur patrimoine et qui sont certains de retirer de l'argent par un loyer, pour autant qu'ils ont un locataire, et une société d'exploitation composée des mêmes qui n'exploitent que l'utilisation. A la limite - Renault l'a fait - on peut poursuivre ainsi : on fait gérer le personnel par une société qui loue son personnel. Une société qui gère uniquement du personnel use de méthodes de gestion différentes d'une société gérant un parc de machines et qui doit combiner les deux aspects. Les problématiques sont différentes et les directions font éclater les entreprises pour bénéficier de personnes spécialisées dans la gestion «pointue» du produit qui les concerne. La grande difficulté consiste à réussir la coordination de tous et de respecter le droit du travail. Mais, on peut faire confiance aux inspecteurs du travail !

M. Guy CASTELNAU : Je souhaiterais reprendre deux points. Le premier revient sur l'intervention de M. le Député Besson relative au caractère législatif ou réglementaire de l'agrément nécessaire pour accroître les missions de la Banque de France. Je ne suis pas juriste de formation et je ne sais s'il faut s'engager sur la voie d'une loi, telle celle qui a présidé au surendettement, ou d'une simple disposition d'ordre réglementaire. Je souhaiterais simplement souligner que, quelle que soit la nature de la disposition retenue -législative ou réglementaire - celle-ci devrait s'inscrire, me semble-t-il, dans le cadre d'une convention passée entre la Banque de France et l'Etat.

Le second point est celui soulevé initialement par M. le Président au sujet de la mise à disposition de la commission d'enquête d'informations sur les groupes, notamment sur les risques bancaires relatifs aux grands groupes. Aux termes des textes, la Banque de France est tenue au secret professionnel en matière d'informations sur les risques bancaires de type individuel. Il va de soi que toutes informations agrégées par secteur ou autres peuvent être divulguées mais que la levée du secret professionnel auquel sont soumis les agents de la Banque de France ne peut être autorisée qu'au profit de juridictions pénales ou autres. Si vous m'y autorisez, M. le Président, je souhaiterais soumettre le problème aux services juridiques de la Banque de France, afin de savoir jusqu'où je peux délivrer l'information. Dès lors que je serai à même de la délivrer, c'est bien volontiers que je le ferai. La centralisation bancaire étant un service tenu par la Banque de France pour le compte des banques, nous nous situons dans un partenariat fondé sur des règles qu'il convient de respecter.

M. le Rapporteur : Il semblerait que ce soit la première fois que pourrait se poser, en terme de conflit, les droits d'investigation très larges reconnus aux commissions d'enquête parlementaire et le secret bancaire. Nous allons également examiner la façon de surmonter la difficulté. Une commission d'enquête comme son nom l'indique, agissant au surplus comme la nôtre sous le sceau du secret, doit avoir accès à l'information dont elle a besoin. En outre, comme l'a rappelé M. le Président, tout ce qui est publié par la commission vous sera soumis.

M. Robert PANDRAUD : Aucune affaire judiciaire n'étant en cours sur le sujet, nous disposons de pouvoirs importants. Le problème du secret  - pour vous M. Castelnau le secret bancaire, et pour les journalistes le secret professionnel - peut être invoqué dans le cadre des commissions d'enquête. Cela pose un problème juridique sur lequel l'on pourrait écrire à l'envie. Non pas que j'aie un respect particulier pour le secret bancaire qui a camouflé beaucoup de problèmes et qui a coûté très cher aux contribuables. L'exemple du Crédit Lyonnais et du contrôle efficace que les organismes faisaient peser sur lui est éclairant mais c'est vrai qu'il faut faire preuve de prudence...

Le témoignage de la Direction de la comptabilité publique sur les contrôles du réseau des comptables du Trésor

Audition de MM. Pierre-Louis MARIEL,
Chef de service et

Thierry LAMOUR,
Rédacteur au sein de la cellule d'action économique

à la direction générale de la comptabilité publique

(extrait du procès-verbal de la séance du 24 février 1999)

Présidence de M. Alain FABRE-PUJOL, Président

MM. Pierre-Louis Mariel et Thierry Lamour sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Pierre-Louis Mariel et Thierry Lamour prêtent serment.

M. Pierre-Louis MARIEL : M. le président, je vous propose de vous livrer quelques éléments de réflexion générale puis je répondrai ensuite bien volontiers à vos questions.

Je vous indiquerai en préambule que la Direction générale de la comptabilité publique présente la particularité de ne gérer aucun dispositif d'aides.

En revanche, en tant qu'administration centrale, elle est associée aux travaux préparatoires des dispositifs d'aides publiques portant sur le volet technique de mise en _uvre, c'est-à-dire sur les modalités d'exécution des opérations d'aide, de contrôle et d'exécution matérielle des opérations de dépense.

Un autre élément est peut-être plus intéressant pour votre commission d'enquête : la Direction générale de la comptabilité publique est à la tête du réseau du Trésor public. C'est ainsi qu'au travers de ses quatre mille postes comptables, le Trésor public intervient, notamment avec les trésoriers payeurs généraux, pour ce qui relève des dépenses et des aides de l'État, et avec les comptables locaux pour les dépenses et les aides des collectivités locales. Nous avons donc des éléments d'information, non pas en tant qu'administration centrale participant à l'élaboration de la loi et du règlement, mais comme tête de réseau, le pilotant par des recommandations et recevant de lui toutes les informations nécessaires.

Je vous rappellerai d'abord le cadre dans lequel intervient le Trésor public en matière d'aides publiques aux entreprises. Je vous fournirai, ensuite, quelques éléments qui me paraissent intéressants, eu égard à votre problématique, sur les types d'aides accordées, leurs bénéficiaires et la façon dont s'effectuent les opérations. Je vous dirai, enfin, quels sont nos projets en cours pour rendre notre dispositif plus performant, notamment en matière d'observation.

J'évoquerai d'abord le champ d'intervention du Trésor pour ce qui concerne les aides publiques aux entreprises, sa finalité et son mode d'intervention.

Le Trésor public procède au paiement des aides publiques accordées directement par l'État et par les collectivités locales sauf celles versées par d'autres organismes comme l'ANVAR, l'ADEME et le CNASEA. Quant à la majorité des aides à l'emploi versées par l'UNEDIC et l'ANPE, elles échappent à son réseau. Sa vision et son intervention s'étendent en conséquence à un grand nombre de dispositifs d'aides publiques mais non à tous.

De même, nous n'intervenons pas dans le domaine des aides indirectes du type exonérations de cotisations sociales ou exonérations fiscales, qui sont naturellement en dehors de notre champ.

Mais dès lors qu'il s'agit des dépenses publiques qui s'inscrivent dans ce champ, notre intervention est directement liée au rôle et à la place du comptable public dans l'exécution des opérations financières des personnes publiques, qu'il s'agisse de l'État ou des collectivités locales. En amont, le comptable public procède à des contrôles de régularité des opérations - mais en aucun cas d'opportunité - puis il procède aux versements.

Notre intervention est à la fois juridique en amont, dans le cadre du contrôle de la régularité, et matérielle, pour ce qui concerne les versements ; ce qui nous donne ainsi la possibilité de fournir des informations comptables, mais non statistiques, plus ou moins précises sur la façon dont les opérations ont lieu concrètement.

Mais cette intervention est de nature différente selon l'autorité publique attributrice de l'aide.

Pour les collectivités locales, le comptable public peut, si la collectivité le souhaite, exercer une activité de conseil auprès du décideur local, mais ce n'est qu'une faculté. S'agissant des modalités de versement des aides, le comptable public apprécie leur régularité mais non leur légalité. En dehors des éléments qui sécurisent le versement, il apprécie la conformité des pièces justificatives par rapport au décret de 1983 modifié (qui, en application de la loi de décentralisation, a fixé le type d'informations que le comptable public doit demander à la collectivité pour procéder aux opérations) mais il ne peut, en aucun cas, procéder lui-même à une appréciation de la légalité des pièces justificatives qui lui sont remises.

Ainsi, si une collectivité locale prend, pour aider une entreprise, une délibération dont le comptable considère qu'elle n'est pas légale, il doit néanmoins l'exécuter dès lors que celle-ci n'a pas été « sanctionnée » par le contrôle de légalité exercé par le préfet ou par le sous-préfet. Conformément à une circulaire établie par M. Charasse dans les années 90, en pareil cas le comptable est invité à procéder à la dépense - il a l'obligation de le faire, sinon il empièterait sur le rôle de l'ordonnateur ou sur celui de l'autorité préfectorale en charge du contrôle de la légalité -, mais il doit néanmoins informer de cette présomption le trésorier payeur général qui en informera à son tour le préfet.

Concernant les aides accordées par l'Etat, notre intervention est triple.

D'abord, nos services, notamment au niveau régional, ont une mission de conseil économique et financier à l'égard du préfet, dans le cadre de la Commission régionale des aides de l'Etat, la CRA. En ce cas, les services du Trésor procèdent à l'étude économique de l'opération  : analyse de la situation de l'entreprise et analyse de l'adéquation entre l'aide et l'objectif poursuivi et la situation de l'entreprise. Cet éclairage économique et financier donné au préfet n'est, en aucune façon, un avis donné en opportunité et ne lie en aucune manière l'autorité préfectorale. Ce rôle d'avis est pleinement joué par les services du Trésor public, les trésoreries générales. C'est la phase d'analyse du dossier.

Ensuite la décision est soumise au contrôle financier en région qui procède au contrôle budgétaire -  quid de la disponibilité des crédits et du respect des autorisations budgétaires ? - et apprécie, au regard des lois et règlements régissant les conditions d'octroi de telle ou telle aide par l'Etat, si le projet soumis est ou non conforme au corpus réglementaire. En cas d'avis négatif, il y a, comme pour toute dépense au niveau déconcentré, un système de passer outre c'est à dire d'arbitrage au niveau ministériel.

Enfin, le trésorier payeur général, en tant que comptable, procède au contrôle classique de régularité par rapport aux pièces justificatifs, au créancier, etc.

Nous exerçons donc sur ces aides une action de conseil financier du décideur, un contrôle de régularité, c'est-à-dire du respect du corpus législatif et réglementaire qui prévaut en matière budgétaire et financière et un contrôle comptable classique.

Quant aux aides d'origine européenne, l'organisation n'est pas très différente de celle des aides de l'État. Leur principale particularité est d'obéir à une logique de programme. En phase amont, le Trésor public donne un avis au sein des comités de programme et des comités de suivi. En aval, les fonds européens sont rattachés, par un système de fonds de concours, à des crédits budgétaires. Ils font donc l'objet des contrôles classiques sur les crédits budgétaires par le contrôle financier en région ou par le service comptable de la Trésorerie générale.

Tel est le cadre de nos interventions.

S'agissant des aides versées, je ne vous fournirai pas de liste exhaustive ni des éléments chiffrés très précis pour des raisons évoquées en début de propos et me limiterai à souligner trois points.

Premièrement, il existe une différenciation assez marquée entre les aides de l'État et les aides des collectivités locales.

Pour ce qui est des aides de l'État, nous avons, je le répète, un rôle d'avis, et une fonction de contrôle qui permet de vérifier que le régime d'aide été respecté, notamment sa notification à la Commission de Bruxelles.

Eu égard aux préoccupations de votre commission, j'observerai qu'en dehors de la PAT, toutes les aides que nous payons sont centrées sur les PME et les PMI et sont assorties de critères relatifs aux nombre de salariés. Pour beaucoup d'entre elles, l'indépendance par rapport aux groupes est une condition d'éligibilité. Certains de mes collègues, gestionnaires et décideurs de ces aides ont dû vous en parler mais il me semble utile de rappeler que l'activité du Trésor public à ce sujet prend en compte le respect des critères de taille de l'entreprise et d'indépendance par rapport aux groupes.

M. le Président : M. le Directeur, permettez-moi de vous interrompre. D'autres services de l'État n'ont, semble-t-il, pas la même vision que celle que vous exposez. Certains nous ont indiqué qu'il leur était impossible de vérifier la filiation d'une PME par rapport à un groupe, donc de juger de son indépendance ; D'ailleurs, à partir de quand peut-on considérer qu'une PME est indépendante ?

M. Pierre-Louis MARIEL : A ma connaissance, la notion de groupe n'est pas une notion juridique. C'est plutôt une notion fiscale qui a abouti à l'organisation de relations entre les sociétés mères et les sociétés filiales. Par ailleurs, la notion de grande entreprise est variable selon le type de législation et d'approche. Parmi les critères qui ont été fixés par décrets ou circulaires d'application, l'entreprise ne doit pas être contrôlée à plus de 25 % .

M. le Président : 25 % !

M. Pierre-Louis MARIEL : Je vais vous fournir un exemple de ce type d'aide.

M. Thierry LAMOUR : J'apporterai une précision. Le pourcentage de contrôle de 25 % est tiré de l'encadrement communautaire des PME/PMI de juillet 1996. La Commission a fixé trois critères pour déterminer ce qu'est une moyenne et une petite entreprise : les effectifs, le total du bilan et l'indépendance. Le seuil de 25 % a été défini en comparaison de la moyenne retenue dans les autres Etats membres. Au-delà, on a tendance à penser que l'entreprise n'est plus indépendante.

M. le Président : La référence est donc une disposition communautaire.

M. Thierry LAMOUR : Tout à fait.

M. le Rapporteur : Vous demandez donc la géographie des groupes ?

M. Pierre-Louis MARIEL : Dans les dossiers qu'elles doivent compléter, les entreprises doivent fournir des éléments sur la composition de leur capital. Il est ensuite procédé à une analyse par nos services.

M. Thierry LAMOUR : M. Mariel vous a dit que nous ne gérions pas de dispositif d'aide.

Pour le FDPMI, par exemple, cela signifie que ce dispositif d'aides publiques qui accorde des subventions d'investissement aux entreprise fait l'objet d'un examen au sein du Comité régional des aides, mais qu'auparavant un service de l'État instructeur, en l'occurrence, la DRIRE, est chargé d'accueillir les entreprises, de les conseiller, de les aider à monter un dossier. C'est principalement à ce service de s'assurer au départ des conditions d'éligibilité. En recevant un dossier - en l'occurrence, au niveau régional, les DEEF - c'est à dire les départements des études économiques et financières -, nous le prenons comme il est. Si nous n'avons pas d'éléments permettant de dire avec certitude qu'une entreprise n'appartient pas à un groupe ou ne remplit pas les conditions requises, on le fera figurer dans l'avis mais en tout état de cause, nous ne pourrons pas en préjuger.

Parmi les informations transmises par une entreprise, figure bien la répartition du capital. C'est un des indices qui permet de déterminer si une entreprise est ou non contrôlée. Nous n'avons pas tout le périmètre du groupe, mais nous avons des informations qui permettent au moins de préjuger si l'entreprise est contrôlée ou pas. C'est un signal d'alerte qui peut entraîner la demande de production d'autres documents. Une entreprise qui sollicite une aide publique doit fournir les documents nécessaires à la constitution de son dossier.

M. Pierre-Louis MARIEL : La difficulté réside dans la composition éclatée des groupes avec des prises de participations multiples au travers d'entreprises de tailles moyennes. En pareil cas, nous ne sommes pas capables de reconstituer la géographie du groupe. Aucun service de l'État ne peut le faire. Du moins, j`en doute. Ou si certains le peuvent, ils ont fort à faire pour se tenir à jour, car à en juger par la lecture de la presse économique, la géographie des groupes industriels est pour le moins mouvante.

M. le Rapporteur : Pour s'informer des aides octroyées à son insu par les collectivités locales ou par l'Etat, la Commission européenne a trouvé un plus sûr moyen que d'interroger les Etats : la lecture de la presse locale.

M. Pierre-Louis MARIEL : Tout à fait !

M. le Rapporteur : Vous le faites aussi ?

M. Thierry LAMOUR : C'est d'autant plus facile que l'on se situe au niveau local.

M. le Rapporteur : C'est tout de même un problème. Même si votre formule « aucun service de l'État ne peut le faire » est un peu lapidaire, deux mois après avoir commencé de pénétrer dans le labyrinthe des aides publiques, l'État nous donne l'impression d'être mal outillé ou de ne pas utiliser les outils comme il conviendrait. Il dispose d'outils statistiques divers et variés mais qui sont fort peu croisés. Chacun conserve jalousement son outil mais cela doit nous coûter cher.

M. Pierre-Louis MARIEL : Ma formule était à la fois lapidaire et à brûle-pourpoint.

Les éléments individuels d'information sont disponibles quelque part, soit dans les greffes des tribunaux pour les aspects juridiques, soit ailleurs pour les aspects industriels, économiques, financiers, aménagement du territoire et autres. La mise en synergie de tous ces éléments supposerait une volonté - je ne doute pas qu'elle puisse exister - et des éléments techniques d'articulation de fichiers, ce qui n'est pas facile à obtenir.

Je vous en fournirai une illustration. En matière d'aide aux entreprises industrielles, les intervenants, au plan régional, sont la DRIRE pour l'ordonnateur et le service payeur et de contrôle, c'est-à-dire la Trésorerie générale de région. A l'occasion de la réforme du ministère et de la création du MEFI, donc du rapprochement de l'économie, des finances et de l'industrie, on a souhaité créer au niveau régional une articulation plus étroite entre l'industrie, l'économie et les finances, c'est-à-dire entre le TPG et la DRIRE. C'est en cours mais il n'est pas simple de mettre un place un système qui ne soit pas lourd, qui n'utilise pas le support papier et qui permette un partage d'informations informatisées sur des fichiers comportant les mêmes entreprises, afin que la transmission des informations s'effectue le plus simplement du monde. C'est que nous expérimentons dans la région Centre.

Pour deux services de l'État très proches, c'est déjà techniquement difficile à réaliser. Par conséquent, l'étendre à l'ensemble des administrations, tribunaux, structures publiques ou para-publiques est une _uvre d'une très grand complexité.

Nous sommes le service de l'État qui détient les informations brutes sur ce qui a été payé. Nous avons d'autres éléments d'information. Nous sommes le point de passage obligé de la dépense. La question est de savoir comment valoriser les éléments d'information dont nous disposons. Depuis quelques mois, nous avons mis en place une structure baptisée Infocentre territorial. Aujourd'hui, nous couvrons une petite partie de la France mais nous comptons étendre la couverture en un an, un an et demi afin d'offrir aux préfets, aux trésoriers payeurs généraux et aux différents services ordonnateurs, l'accès à l'information sur la dépense de l'État dans une logique de base de données ouverte.

Dans la région Auvergne, par exemple, les services du préfet peuvent déjà interroger cette base de données à partir de deux ou trois critères. A condition de connaître le chapitre budgétaire, ils peuvent savoir quelles aides ont été attribuées dans tel département et selon tel ou tel critère. Dès lors que l'information est disponible dans nos fichiers, l'accès est immédiat.

Nous avons des éléments d'information bruts exploitables par les services ordonnateurs mais nous n'avons pas tout. Dans nos fichiers de dépense, nous avons des éléments relatifs à l'aspect financier mais nous n'avons naturellement pas la structure du capital des entreprises ou le nombre de leurs salariés. Dès lors que les services ordonnateurs seraient capables de mettre en regard des informations que nous leur transmettons leurs propres informations décisionnelles, le pont pourrait être créé et satisfaction pourrait être donnée à une demande d'information sur la façon dont la ventilation des aides publiques est opérée selon tel ou tel critère.

Nous sommes le point de passage obligé, mais nous avons une vision limitée à notre métier, c'est-à-dire à des éléments budgétaires, financiers et d'entreprises. Au-delà, nous donnons une information et il appartient à d'autres d'en faire leur miel. Sinon, nous aurions des bases de données gigantesques.

Au début des années quatre-vingt, les lois de décentralisation ont fixé le cadre de l'interventionnisme économique des collectivités locales avec une dichotomie aides directes/aides indirectes sur laquelle je ne reviendrai pas. Les comptables publics mettent en _uvre les décisions des collectivités locales en matière d'aide. Une fois les opérations réalisées, nous procédons annuellement à une enquête sur la façon dont les aides ont été attribuées. Le champ retenu couvre la région, le département, les communes de plus de cinq mille habitants ou les structures intercommunales comportant une commune de plus de cinq mille habitants. Cette vision concerne les versements effectifs c'est à dire l'information que nous avons dans nos fichiers comptables d'exécution budgétaire.

Nous exploitons ces éléments une fois par an en réalisant une triple analyse: par type de collectivités, par type d'aides et par grands secteurs économiques: industrie, commerce et artisanat, logement, agriculture, tourisme, BTP et cette analyse est publiée sous forme d'une note bleue.

M. le Rapporteur : Dans dette analyse, vous y incluez les garanties d'emprunts accordées par les collectivités ?

M. Pierre-Louis MARIEL : Tout à fait. S'agissant des garanties d'emprunts, nous avons à la fois les garanties décidées et les garanties appelées.

M. le Rapporteur : Dans la majorité des cas, ces garanties d'emprunts s'appliquent à des opérations liées à la construction de logements, ce qui fausse totalement les données. Cela grossit démesurément le secteur de l'industrie et du BTP.

M. Pierre Louis MARIEL : C'est partiellement exact. Dans nos productions, nous distinguons nettement les aides directes et les aides indirectes, les garanties appelées et les garanties exécutées.

M. le Président : C'est un document qui nous intéresse.

M. Pierre-Louis MARIEL : Je vous le fournirai.

Lorsque l'on dit qu'en 1996, les collectivités locales ont versé X milliards de francs de subventions à l'industrie et au commerce, cela concerne les versements de subventions indépendamment des garanties d'emprunts que nous faisons figurer effectivement dans la note bleue mais dans le cadre d'une analyse qui leur est spécifique.

Sur ces aides, je ne pourrai dire que ce que la Cour des comptes en a dit. Il y a deux ou trois ans, les chambres régionales des comptes se sont préoccupées du sujet. J'ai donc rencontré leurs responsables à plusieurs reprises. Je souscris bien volontiers à ce qui figure dans le rapport. Notre système d'observation des aides est imparfait, tout simplement parce que le cadre réglementaire et juridique de détermination des aides est flou. Entre les aides directes et les aides indirectes, au sein des aides indirectes sur ce que les collectivités locales peuvent faire ou ne pas faire, il y a des marges d'incertitude assez fortes. Dès lors que la base d'observation, le cadre juridique sont flous, les informations que nous remontons peuvent être erronées, si notre interprétation ou l'interprétation faite au plan local de telle ou telle classification est juridiquement incorrecte.

C'est la conclusion à laquelle ont abouti les magistrats des Chambres régionales de comptes. Ils sont allés voir auprès du comptable comment telle ou telle aide était établie et perçue. Puis ils sont allés voir l'ordonnateur. Ils se sont aperçus que, dans certains cas, la vision de l'ordonnateur et celle du comptable étaient différentes. Ils ont donc légitimement considéré que notre agrégation au niveau national était automatiquement faussée par cette différence d'appréciation sur la nature des aides.

Comme à l'époque, ce secteur se trouvait dans mon champ d'intervention, j'ai expliqué que nous étions tout à fait conscient des limites de notre dispositif mais que c'était une machine très lourde qui mobilise beaucoup d'agents; que nous étions prêts à appliquer un système beaucoup plus performant dès lors que la base juridique serait claire. Comme on commençait à parler d'un avant-projet de loi sur les interventions économiques des collectivités locales, j'avais indiqué que dès qu'il se concrétiserait, nous pourrions mettre au point un dispositif d'observation aussi performant que l'autoriserait le cadre législatif futur.

Les éléments produits par la Cour des comptes sont tout à fait exacts mais comme la Comptabilité publique est la seule administration à assurer une couverture nationale et à tenir les comptes de toutes les collectivités, que nous sommes les seuls fournisseurs d'informations dans ce domaine, les seuls à pouvoir en faire des extractions et des valorisations, il demeurera toujours une certaine marge d'incertitude même si dans le prolongement d'une réforme législative des aides accordées aux collectivité locales nous pouvons apporter des améliorations à nos propres analyses.

S'agissant de l'administration centrale, l'opération Infocentre en cours de généralisation permettra une meilleure valorisation et une meilleure connaissance de nos données relatives à la dépense de l'État.

En ce qui concerne nos services économiques régionaux dont parlait Thierry Lamour, nous avons un système informatique assez performant de suivi des entreprises à propos desquelles nos services donnent des avis, mais ce suivi qu'effectuent les trésoreries générales n'est pas suffisamment homogène pour permettre une agrégation nationale. Un des projets suivi par Thierry Lamour, qui est achevé dans sa phase amont, c'est-à-dire celle du cahier des charges, tend précisément à mettre en place un dispositif unifié de suivi des aides aux entreprises par les services régionaux des trésoreries générales afin d'offrir la possibilité d'une exploitation nationale plus facile ; car si vous m'interrogiez aujourd'hui sur tel ou tel type d'entreprises, je serais dans l'obligation de me tourner vers nos nombreuses trésoreries générales pour leur demander de me fournir les renseignements figurant dans leur fichier puis de les exploiter.

M. le Rapporteur : Vous avez parlé de notification à Bruxelles. Celle-ci est-elle obligatoire ? 

M. Pierre-Louis MARIEL : La notification n'est pas obligatoire pour toutes les aides.. Elle dépend de l'importance de l'aide considérée. La règle de minimis cantonne la notification à certaines aides.

Concernant les collectivités locales, la notification à Bruxelles, s'il y est procédé, n'est pas le fait du Trésor public et elle ne peut pas l'être.

M. le Rapporteur : Par conséquent, si l'aide perçue par une entreprise doit être notifiée à Bruxelles, c'est à elle qu'il appartient de le faire.

M. Thierry LAMOUR : Toutes les aides n'ont pas forcément a être notifiées mais, en tout état de cause, dès lors qu'un régime d'aide a été notifié et que les conditions déclarées à la Commission sont respectées, il n'est plus besoin de notifier à nouveau. Dès lors que l'aide s'inscrit dans un régime qui a été approuvé par Bruxelles, l'aide peut être accordée à l'entreprise sans difficulté et sans que l'on ait à en référer à nouveau.

M. le Rapporteur : Je vais être plus précis. Des aides des collectivités locales à l'investissement pour des groupes qui sont dans le "collimateur" de la DG 4, à Bruxelles, peuvent-elles être notifiées puisqu'elles sont normalement interdites ?

Je vais être encore plus explicite, au risque de m'entendre reprocher par mes collègues d'évoquer constamment le sujet. Il est interdit aux collectivités locales d'investir plusieurs centaines de millions de francs pour aider la reconversion de la construction navale. Qui notifie ?  Car, à la rigueur, pas vu, pas pris mais si M. Bangueman a connaissance de cette aide à la suite d'une indiscrétion d'un journal local, il pourra en demander le remboursement. Qui doit notifier ? La collectivité locale, les services de l'État ou l'entreprise bénéficiaire ? L'aide passera bien par vos services ?

M. Pierre-Louis MARIEL : Vous avez une vision assez ciblée des choses !

Je ne sais pas à qui il appartient de le faire. En tout cas, je suis sûr qu'il n'appartient pas à mes services de notifier l'aide.

M. le Rapporteur : Je poserai la question à d'autres.

M. Pierre-Louis MARIEL : Je ne connais pas l'exemple que vous avez cité mais j'en ai d'autres à l'esprit où la situation que vous décrivez est une situation réelle. La Commission peut se retourner vers les bénéficiaires en leur disant qu'ils ont perçu irrégulièrement une aide.

M. le Rapporteur : Même si personne n'a rien dit ?

M. Pierre-Louis MARIEL : Parfois, personne ne dit rien.

M. le Rapporteur : Bien entendu ! J'ai d'autres exemples en tête, où les bénéficiaires étaient des établissements publics en concurrence.

Lorsque des aides sont octroyées, vous qui vous situez en amont et en aval, en tant que conseil et tant que contrôleur, procédez-vous au contrôle d'opportunité et intervenez-vous dans le résultat final pour voir si l'aide a permis le maintien ou le développement de l'entreprise ou bien vous en tenez-vous à un rôle financier et comptable ?

M. Pierre-Louis MARIEL : Lorsque nous intervenons en amont, comme conseil économique ou financier du décideur, soit pour un décideur national, puisque nous sommes membres du CIALA au titre de la PAT, soit au niveau local, nous ne donnons qu'un avis et non un jugement en opportunité. En tant que comptable et financier, nous faisons part au décideur de notre perception du projet, compte tenu de la situation de l'entreprise, de ses perspectives, du secteur économique dans lequel il évolue. Nous lui donnons un éclairage. Nous exécutons ensuite les opérations.

Jusqu'à une date récente, il y avait peu de contrôle sur les fonds européens. Les notes de débit reçues par la France ont fait prendre conscience de la nécessité de renforcer notre vision en terme de contrôle. Une circulaire du Premier ministre du 12 mai 1998 a organisé un dispositif de contrôle associant les services préfectoraux et les services de la trésorerie générale qui est cours de mise en place. Il est trop tôt pour en apprécier la pertinence.

La dernière partie de votre question portait en fait sur l'évaluation des politiques publiques. C'est un sujet fort intéressant mais qui reste à défricher. De temps à autre, des colloques et des réflexions sont organisés. Des initiatives ont été prises localement pour essayer d'apprécier un peu plus finement tel ou tel effet mais on ne dispose pas aujourd'hui d'une doctrine générale.

Dans ce domaine, le rôle du Trésor public se limite à donner une information fiable sur le type d'opération réalisé et au profit de qui. A titre personnel, je pense que cette démarche doit être pragmatique et qu'elle est d'autant plus efficace qu'elle est proche du terrain. Les seules expériences d'appréciation d'une politique publique qui ont donné des résultats ont été réalisées par des communes, par exemple en matière de crèches. Il faut être près du terrain pour disposer de critères significatifs. Je crains qu'une démarche nationale ne ressemble à une « usine à gaz » et ne puisse guère être opérationnelle.

M. le Rapporteur : J'irai peut-être plus loin que les communes : les bassins d'emplois.

M. Pierre-Louis MARIEL : Ou certains départements pour l'aide sociale. Le décideur près du terrain est le mieux à même de mener l'opération. Celle-ci doit être conduite en trois temps: fixation des critères, observation avec prise de conscience de ce qui a été bien fait et mal fait, puis correction.

M. le Rapporteur : Vous avez parlé d'une expérimentation en cours dans la région Centre. De quoi s'agit-il ?

M. Pierre-Louis MARIEL : En matière d'aide et d'action en direction des entreprises, la Direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement a ses propres fichiers et la trésorerie générale les siens. La DRIRE est l'ordonnateur et la trésorerie générale le comptable. Nous avions pour les mêmes entités des visions différentes. Nous avons considéré qu'il serait intéressant de réaliser un partage de l'information permettant à chacun dans sa zone propre de travailler sur un fichier identique et aux deux parties d'avoir une vision globale tant de l'entreprise que de la chaîne de la dépense publique, en amont et en aval. Dans nos fichiers, nous avons sur les entreprises des informations de nature économique tandis que la DRIRE détient des informations essentiellement de nature industrielle. Il paraît donc bien de les réunir. Cela suppose des modifications de logiciels mais cela part d'un principe de bonne administration. Plus on fédère les visions des services et meilleure est la décision administrative.

M. le Rapporteur : Quand une PME connaît une évolution de son capital, dans un sens ou dans l'autre, doit-elle le notifier ? Dans votre exposé, vous avez fait allusion à la notion de groupe. On risque de se retrouver avec des PME qui bénéficieraient d'aides tout simplement parce qu'une entreprise vit et peut se développer, se faire absorber, se faire rejeter, être externalisée, être rendue indépendante; Cette information est-elle transmise de façon régulière ou bien la vérification intervient-elle uniquement en cas de demande d'aide ?

M. Thierry LAMOUR : Je pense à l'exemple de la prime à l'aménagement du territoire avec son programme triennal mais susceptible d'être prolongé de deux ans si l'entreprise le souhaite, soit cinq ans au total. Nous connaissons quelques cas.

Comme vous le disiez à juste titre, une entreprise vit et peut rencontrer des difficultés. Certaines sont rachetées ou passent dans d'autres mains et l'on est amené a se demander si le repreneur accepte les conditions qui avaient été fixées lorsqu'elle avait bénéficié de la PAT. Il arrive que l'on acte ce changement et que la prime soit transmise à la nouvelle entreprise. Il s'agit, en quelque sorte, d'un avenant. Il y a donc tout de même bien une information.

M. le Rapporteur : La PAT ne s'adresse pas uniquement aux PME.

M. Thierry LAMOUR : Tout à fait. On peut citer également le FRED, dispositif d'aides publiques qui s'adresse à certaines grandes entreprises, sachant que la circulaire correspondante encadre cette possibilité en la limitant à 10 % de l'enveloppe annuelle des crédits. Mais s'agissant d'entreprises en restructuration relevant de la défense nationale, on ne peut, en tout état de cause, exclure les grands groupes.

Je fais référence à la PAT, parce que c'est un dispositif d'aides conditionné. L'entreprise s'engage à créer un nombre précis d'emplois, à réaliser tel montant d'investissements. La subvention est généralement versée en trois fois à mesure de l'achèvement du programme et des créations d'emplois. Des contrôles sont effectués au plan local par les CCRF, en liaison avec le préfet pour le compte de la DATAR. Ils s'assurent du respect des conditions initialement fixées.

Vous parliez de l'évaluation des politiques publiques et de la difficulté de mettre en place un tel dispositif. Sans aller jusque-là, au sein du Comité interministériel des aides à la localisation des activités - CIALA -, qui donne au ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement un avis sur le bien-fondé de l'octroi de la PAT à une entreprise, il nous arrive de demander le reversement total ou partiel de l'aide lorsque l'entreprise n'a pas respecté les conditions.

M. Pierre-Louis MARIEL : 15 millions de francs en moyenne.

M. Thierry LAMOUR : C'est ce que nous avons réussi à faire. Cela fait partie des actions que nous pouvons fiabiliser et essayer de suivre avec plus de vigilance. Lorsqu'une demande de reversement est formulée, nos services sont concernés puisqu'un titre de recette est émis par l'ordonnateur, en l'occurrence, la DATAR, qui est pris en charge par un trésorier payeur général dans notre réseau. Mais lorsque les entreprises ne peuvent mener à bien la totalité de leur programme, c'est souvent parce qu'elles rencontrent des difficultés financières, ce qui nous amène à octroyer des délais de paiement. Une entreprise peut aussi faire un recours pour demander le réexamen de sa situation.

M. le Rapporteur : Parce qu'elle est dans l'incapacité de rembourser.

M. Thierry LAMOUR : Ce n'est peut-être pas un dispositif pleinement satisfaisant, mais c'est tout de même l'exemple d'une aide qui peut donner lieu à reversement si une entreprise ne tient pas ses engagements.

Le FDPMI donne lieu aussi à l'établissement d'une convention entre l'État et l'entreprise qui définit les conditions d'octroi de l'aide et l'engagement que l'on attend d'elle en retour. Cette convention peut aussi donner lieu à un moindre reversement si l'entreprise n'a pas réalisé la totalité du programme.

M. le Rapporteur : Un département ne peut théoriquement pas se lancer dans des aides de nature économique sans que sa grande s_ur la région ait initié un programme. Pourtant, compte tenu de situations sociales et économiques difficiles, de plus en plus de départements s'engagent dans cette voie. Avez-vous la possibilité de vous opposer à ce qu'un département verse une aide ou prenne en charge une initiative dans le domaine économique en l'absence d'une initiative régionale préalable ?

M. Pierre-Louis MARIEL : Non. Nous sommes là dans le cadre juridique de la décentralisation. Les lois de 1982 ont fait de la région le pilote dont le département et la commune concernés devaient abonder l'action. La réalité est autre. Il existe des initiatives individuelles des communes et des départements n'entrant pas dans un cadre défini par la région. Lorsqu'un département prend une délibération accordant une aide sans articulation avec la région, si elle n'est pas déférée au tribunal administratif par le préfet, elle est exécutoire et elle sera exécutée par le comptable public.

M. le Rapporteur : Quel préfet s'opposera à l'aide d'une commune ou d'un département en direction d'une entreprise si elle est en difficulté ?

M. Pierre-Louis MARIEL : Cela pose le problème général du contrôle de légalité des collectivités locales. On peut dire objectivement que ce dispositif a montré ses limites et qu'il n'est pas cohérent avec la règle européenne. Les projets en cours de réalisation visent à une remise en phase avec la règle européenne.

M. le Rapporteur : Vos services aviseront donc le TPG ?

M. Pierre-Louis MARIEL : Mes services vont dire au TPG qu'il y a une présomption d'illégalité.

M. le Rapporteur : Le TPG avisera le préfet.

M. Pierre-Louis MARIEL : Le TPG avisera le préfet, qui réagira ou qui ne réagira pas.

Si l'on confie le rôle de contrôle de légalité à une structure qui n'est pas de nature judiciaire, c'est que l'on veut laisser au représentant de l'État la possibilité d'apprécier en fonction des circonstances et des exigences locales. Le seul élément qui peut être gênant, c'est qu'une aide versée par une collectivité locale soit attaquée par un concurrent. Cela ressort alors dans la presse. Cela rejoint ce que vous disiez sur le système d'information bruxellois. C'est l'élément auquel les préfets sont attentifs.

M. Thierry LAMOUR : D'autant qu'une circulaire du Premier ministre, à laquelle sera annexé prochainement un vade-mecum des aides, a été adressée début février aux préfets et aux TPG, afin de leur rappeler les règles de notification et de vigilance. Ce document, qui détaille le régime précis des aides, a vocation à mieux sensibiliser l'ensemble des services de l'Etat, au plan national et au plan local, sur les enjeux et les risques auxquels expose l'irrespect de la réglementation communautaire.

M. le Président : Je vous poserai une question complémentaire. Vous avez indiqué que lorsqu'une entreprise, quelle que soit sa taille, ne respectait pas les conditions de mise en _uvre des aides publiques, elle devait les rembourser. Nous pensons immédiatement au FNE mais il doit exister d'autres possibilités. Vous nous avez précisé que le montant des remboursements était de l'ordre de 15 millions de francs.

M. Thierry LAMOUR : Exclusivement pour le régime dont nous parlions, c'est-à-dire la PAT. C'était une moyenne des reversements pour la période comprise entre 1992 et 1996.

M. Pierre-Louis MARIEL : Ce sont les titres pris en charge et non les sommes effectivement remboursées.

M. le Président : Je n'ai donc pas posé la question pour rien !

Hors la prime d'aménagement du territoire, arrive-t-il que l'État fasse procéder à des remboursements d'aides qui n'auraient pas été utilisées à bon escient ou par ce que l'entreprise aurait changé d'orientation  ? Nous savons que c'est le cas pour le FNE où les plans sociaux sont limités et plafonnés.

M. Pierre-Louis MARIEL : Les aides attribuées sous condition, notamment la PAT mais aussi quelques autres, font l'objet d'une observation. Si les conditions ne sont pas respectées, nous demandons l'émission d'un titre de recette puis nous essayons de recouvrer. Mais la majorité des aides n'est pas soumise à ce régime.

M. Thierry LAMOUR : C'est une prérogative de l'ordonnateur, c'est-à-dire de l'autorité gestionnaire du dispositif.

M. Pierre-Louis MARIEL : Il appartient au comptable d'appeler l'attention de l'ordonnateur sur le fait que les conditions n'ont pas été respectées. La décision appartient ensuite à l'ordonnateur.

M. le Rapporteur : Ce n'est pas vous ? 

M. Pierre-Louis MARIEL : Non.

M. Thierry LAMOUR : A la place qui est la nôtre, nous pouvons essayer de moraliser.

M. Pierre-Louis MARIEL : Nous sommes en amont et en aval. En amont, nous pouvons dire que nous avons observé que telle condition n'a pas été respectée. Le TPG prévient alors le préfet. En aval, c'est au préfet d'émettre le titre de reversement que prendra en charge le TPG, lequel s'assurera si possible du recouvrement.

M. le Président : Le remboursement dans ce cas là, c'est de la théorie ou intervient-il réellement ? 

M. Thierry LAMOUR : Pour le FNE, nous pouvons effectuer une enquête rapide.

M. Pierre-Louis MARIEL : Je ne sais pas si nous serons dans la capacité de vous dire si c'est anecdotique ou si c'est une réalité, mais nous pouvons réaliser une enquête auprès de nos services régionaux.

M. Thierry LAMOUR : En ciblant quelques régions si cela peut vous éclairer.

Si une entreprise ayant déjà bénéficié d'un dispositif FNE sollicitait une nouvelle convention sans avoir payé les sommes mises à sa charge par la première convention, il est évident que cela ferait obstacle à ce qu'on la lui accorde. En tout cas, dans notre avis, nous appellerions l'attention sur le fait qu'elle est déjà débitrice et n'a pas respecté ses précédents engagements.

M. le Président : Dès lors qu'une entreprise poursuit des « plans sociaux » sans faire appel aux aides de l'État - dans mon département, j'en connais deux -, alors qu'il y en a déjà eu quatre pour l'une et au moins deux pour l'autre avec des aides de l'Etat, et que la convention n'est pas respectée, il n'y a pas d'intervention ?

M. Thierry LAMOUR : A mon avis, ce sont nos collègues du ministère de l'emploi et de la solidarité, gestionnaires du dispositif, qui sont chargés au premier chef de veiller au respect des conventions. Le Trésor public n'intervient dans une procédure que parce que la gestion des deniers publics est en cause. Toutefois, une entreprise ayant signée avec l'État une convention FNE, et qui ne solliciterait plus par la suite d'aide publique, n'échapperait pas pour autant aux contrôles exercés par la DDTEFP, au moins tant que le plan social est en cours.

M. le Rapporteur : Si vous constatez de genre de choses, suivez-vous toujours la même procédure ?

M. Thierry LAMOUR : Oui.

M. le Rapporteur : Le TPG appelle l'attention du préfet qui prend l'attache de la direction du service concerné ?

M. Thierry LAMOUR : Dès lors qu'un comptable public a pris en charge un titre de perception, il est fondé, en droit, à exercer les voies de recouvrement forcé dont il dispose si le débiteur ne s'acquitte pas sans raison valable de la somme qu'il doit.

M. Pierre-Louis MARIEL : A condition que l'ordre de reversement ait été émis par l'ordonnateur. En amont, nous pouvons alerter sur le fait que telle condition n'a pas été respectée. Il appartient ensuite au préfet, après avoir pris contact avec les services compétents, d'émettre ou pas l'ordre de reversement. Il n'y a pas obligation en matière de comptabilité publique à émettre l'ordre de reversement. Après, nous en faisons notre affaire.

Le témoignage du Conseil de la Concurrence sur les contrôles des concentrations et des positions dominantes

Audition de M. le professeur Frédéric JENNY,
Vice-Président du Conseil de la Concurrence

(extrait du procès-verbal de la séance du mardi 23 février 1999)

Présidence de M. Alain FABRE-PUJOL, Président

M. Frédéric Jenny est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Frédéric Jenny prête serment.

M. Frédéric JENNY : Je vous propose de rappeler d'abord, du point de vue juridique, quel est en France l'objet du droit de la concurrence, comment il peut s'appliquer à des grands groupes, à la fois sous l'angle du contrôle de la concentration et sous l'angle de l'abus de position dominante, et les moyens dont nous disposons dans notre arsenal - éventuellement des « trous » que celui-ci comporte - pour essayer de contrôler certains comportements des groupes, et en particulier leur comportement stratégique sur les marchés.

Je crois avoir compris que votre commission se demandait notamment si nous avions un dispositif adapté en matière de concurrence et si nous ne manquions pas d'une loi antitrust efficace ; aussi efficace en tout cas que sont réputés l'être les droits de la concurrence que se sont donnés nos partenaires.

Si je témoigne en tant que Vice-Président du Conseil de la concurrence, je ne peux oublier que je suis également Président du Comité du droit et de la concurrence de l'O.C.D.E. - ce qui me permet d'avoir une expérience comparative - et Président du groupe sur l'interaction du commerce et de la concurrence à l'OMC.

Concernant le droit français, je distinguerai le contrôle des structures et celui des comportements tels qu'ils résultent de l'ordonnance du 1er décembre 1986 sur la liberté du commerce et de la concurrence. Comme il est toujours difficile de faire des comparaisons quand on parle de pays qui ont des systèmes de droit différents et des procédures qui ne sont pas homogènes, je me bornerai à une comparaison entre la France et l'Union européenne.

Seules les concentrations qui d'une part, dépassent un certain seuil et qui, d'autre part, concernent des entreprises opérant de façon significatives sur plusieurs marchés nationaux relèvent de la compétence des autorités européennes.

C'est dire que toutes les transactions importantes qui impliquent des entreprises qui fusionnent, ou se vendent les unes les autres des actifs, ou créent des filiales communes, qui ont une dimension dite communautaire, et celles là seules, sont de la compétence exclusive de Bruxelles.

Ce système n'est pas parfait. En effet, des opérations de concentration concernant des entreprises de tailles moyennes peuvent échapper au droit de la concurrence européen même si les parties à ces opérations opèrent sur plusieurs marchés nationaux et même si ces concentrations posent des problèmes de concurrence dans plusieurs pays. Il appartient alors à chaque autorité de concurrence des pays concernés d'examiner ces opérations et cela peut impliquer que la même opération est simultanément examinée par différentes autorités de concurrence selon des procédures différentes, ce qui est une source de coûts pour les parties. A l'inverse, certaines opérations de grande dimension peuvent relever de la compétence exclusive de la Commission alors même qu'elles ne posent de problème de concurrence que dans un seul pays de la Communauté.

Du point de vue des procédures, la notification à la Commission des opérations de concentration qui sont de dimension communautaire est obligatoire. Cette obligation de notification, qui implique que toutes ces opérations donneront lieu à une décision de la Commission est un gage de transparence du processus de contrôle.

Que fait la Commission quand une opération lui est notifiée ?

Se fondant sur l'article 2 du règlement relatif aux concentrations - lequel interdit comme contraire au Traité toute opération de concentration qui conduirait à la création ou au renforcement d'une position dominante - elle regarde si l'opération est susceptible de créer ou non une telle position.

Le critère d'analyse est la création ou non d'une position dominante. Tout ce qui ne contribue pas à créer une position dominante passe au travers des mailles du contrôle. A l'inverse, tout ce qui renforce une position dominante au niveau européen est interdit.

Au niveau de la France, nous avons notre propre texte qui ne s'applique donc qu'aux opérations qui ne sont pas assujetties au contrôle de la concentration européenne.

Il existe en France un contrôle des structures prévu dans le titre V de l'ordonnance du 1er décembre 1986 qui peut être mis en _uvre lorsque les parties à la transaction :

- soit font un chiffre d'affaires global d'au moins 7 milliards de francs, étant entendu que deux des unités qui s'unissent dans le cadre d'une opération de concentration doivent chacune avoir au moins 2 milliards de francs de chiffre d'affaires,

- soit que la nouvelle entité représente plus de 25 % d'un marché.

Si l'un ou l'autre de ces seuils est atteint, et si l'on reste au-dessous des seuils européens, les autorités nationales de la concurrence sont compétentes pour examiner la concentration.

Mais contrairement au droit européen, il n'y a pas, en France, de notification obligatoire et seule une notification volontaire est prévue. Si, cependant, l'opération n'est pas notifiée, le ministre de l'Économie - qui joue un rôle tout à fait essentiel dans le contrôle des concentrations - peut à tout moment décider de la contrôler, éventuellement, de l'interdire, ou de revenir à l'état antérieur et de la défaire. L'absence de notification d'une concentration crée donc un risque juridique pour les parties à une opération de concentration.

Si au contraire l'opération est notifiée, le ministre de l'Économie, s'il veut agir et contrôler l'opération, dispose d'un délai de deux mois pour renvoyer l'affaire au Conseil de la concurrence, et d'un délai de six mois à compter du jour de la notification pour prendre sa décision après avis du Conseil.

Six mois après la notification, et sans réponse du ministre, les entreprises sont donc certaines de pouvoir poursuivre leurs opérations.

La situation semble assez équilibrée puisque d'un côté les entreprises ont à l'issue de six mois une totale sécurité juridique mais avec le risque d'attirer l'attention sur une opération à laquelle le ministre peut s'opposer dans les délais qui lui sont impartis, et de l'autre la possibilité de ne rien dire mais avec une insécurité juridique.

Il reste qu'à l'expérience, ce système n'est pas aussi satisfaisant que celui de la notification obligatoire car l'équilibre entre les deux options n'est pas aussi manifeste qu'il peut y paraître au premier abord tant il est difficile, dans tous les pays, de reconstituer les « _ufs à partir de l'omelette ». Quand une concentration a été faite, et a fortiori si elle a été faite, il y a deux ou trois ans, il est extraordinairement difficile de la défaire. C'est particulièrement vrai pour les entreprises industrielles qui se concentrent, éliminent des sites de production, modifient le statut et la répartition du personnel, mais c'est aussi difficile dans les cas où, sans restructuration, les droits de propriété ont été mêlés de telle façon que l'on ne peut pas retrouver les anciens propriétaires pour leur restituer ce qui étaient antérieurement en leur main.

Les entreprises ne l'ignorent pas, ce qui veut dire probablement qu'elles ne sont pas aussi incitées à notifier autant qu'on pourrait l'espérer. Il y a cependant quelques centaines de notifications chaque année en France dont les textes prévoient qu'elles sont faites auprès du ministre de l'Économie et, dans les faits auprès de la direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.

Le rôle du gouvernement, celui du ministre de l'Économie comme celui du ministre dont relève le secteur intéressé dans le processus de contrôle de la concentration constitue la deuxième particularité du contrôle de la concurrence « à la française ».

Le ministre de l'Économie peut garder le silence pendant deux mois, ne rien faire, et dès lors tacitement approuver l'opération sans avoir à justifier sa décision par une quelconque motivation. Au contraire, s'il estime qu'il existe un enjeu concurrentiel notoire, qu'il entend se réserver le droit de limiter le champ de l'opération voire de l'interdire ou de l'autoriser sous condition, il est obligé de saisir le Conseil de la concurrence. Celui-ci ne donne qu'un avis au ministre de l'Économie, avis juridiquement non contraignant à ceci près que la décision ministérielle, lorsqu'elle intervient, doit être publiée au Journal Officiel aux côtés de l'avis du Conseil de la concurrence.

Si le ministre de l'Économie et le ministre chargé du secteur dont relève les entreprises parties à la fusion décident de ne pas suivre l'avis du Conseil, ils se trouvent alors dans l'obligation d'expliquer pourquoi.

Dans leur arrêté conjoint les ministres peuvent bien entendu suivre l'avis du Conseil de la concurrence (comme par exemple dans l'affaire Coca-Cola-Orangina). Mais ils peuvent aussi s'en écarter. Par exemple, ils peuvent estimer que le Conseil de la concurrence s'est trompé dans son analyse ou que même s'il ne s'est pas trompé, des considérations autres que celles relevant d'une analyse concurrentielle, par exemple des enjeux stratégiques ou des intérêts sociaux sont prioritaires.

Le mécanisme français est donc différent de celui de Bruxelles. La notification des opérations de concentrations n'est pas obligatoire ; le ministre de l'Économie peut décider de faire jouer le contrôle ou de ne pas le faire jouer ; cette décision peut être soit explicite soit implicite.

M. le Rapporteur : D'autres pays européens connaissent-ils eux aussi le système de la déclaration facultative ?

M. Frédéric JENNY : Il est difficile de dire qu'il existe une uniformité, mais le modèle dominant est plutôt une notification obligatoire au-dessus d'un certain seuil.

M. le Rapporteur : Qu'est-ce qui a conduit la France à choisir ce système ?

M. Frédéric JENNY : J'applique le droit français mais ce n'est pas moi qui le fait, je ne suis donc pas le mieux placé pour répondre à cette question. Toutefois, le principe du contrôle de la concentration résulte d'une loi de 1977 dont l'initiative revient au gouvernement de M. Raymond Barre, alors Premier ministre. Il n'est donc pas impossible de rechercher par une relecture des travaux parlementaires qu'elle a été, à l'origine, la volonté du législateur.

Il y avait alors une certaine réticence vis à vis du contrôle des grandes entreprises en raison de notre longue tradition de politique industrielle pendant les années 50 et 60 visant à doter la France d'entreprises de grande taille. Aussi, s'engageant dans la voie du contrôle de la concentration afin de préserver le mécanisme concurrentiel, le gouvernement a-t-il manifesté sa volonté de ne pas mettre en place un système trop rigide, de garder une certaine souplesse, tout en faisant en sorte qu'il y ait néanmoins un examen de certaines opérations par un organisme indépendant dont les avis seraient rendus publics mais de laisser en même temps à l'autorité ministérielle le soin de prendre la décision de telle sorte que les intérêts stratégiques de la France pris au sens large restent entre les mains de ceux qui en avaient la charge.

D'ailleurs ce système existe dans un certain nombre de pays, notamment en Espagne. A l'inverse, l'Allemagne s'est ralliée au principe consistant à transférer le pouvoir de décision en matière de concentration au Bundeskartellamt, l'équivalent de notre Conseil de la concurrence. Toutefois, le ministre de l'Économie peut opposer à toute décision un veto public s'il estime que des raisons supérieures l'imposent, fut ce au détriment du bon fonctionnement du marché et à la logique de la concurrence. Les vingt dernières années n'ont connu que sept ou huit vetos et le système allemand est jugé par les experts comme plus transparent que la solution française.

De fait, le système français n'est guère transparent dans la mesure où le ministre a le monopole de la saisine du Conseil, qu'il peut - en ne disant rien et ne faisant rien - prendre néanmoins une décision implicite dont les motivations n'ont pas à être formulées tandis que, dans la formule du veto allemand, les motivations des deux parties sont rendues publiques.

M. le Rapporteur : Dans les derniers mois ou les dernières années, pouvez-vous nous donner deux ou trois exemples de fusions/regroupements qui n'ont fait, en France, l'objet d'aucune publicité ?

M. Frédéric JENNY : Il y en a eu un certain nombre dans différents secteurs mais quand une opération n'est pas renvoyée au Conseil, il lui est assez difficile d'en savoir les raisons. S'il s'agit d'une opération qui par son importance relève du contrôle de la Commission européenne, alors le ministre a eu parfaitement raison de ne pas l'avoir soumise au Conseil de la concurrence. Mais s'il s'agit d'une opération qui relevait du champ de compétences du Conseil de la concurrence, celui-ci n'a même pas connaissance de son existence dès lors que l'autorité ministérielle a décidé de ne pas l'en saisir.

Les projets de concentrations envoyés au Conseil sont en faible nombre - de l'ordre de neuf à dix projets par an.

Par comparaison, deux cents projets de concentrations sont notifiés chaque année à Bruxelles mais quand on regarde le nombre des cas à l'occasion desquels la Commission estime qu'il y a un problème de concurrence - ceux où l'on passe, selon la terminologie bruxelloise, à la phase 2 qui est celle de l'enquête approfondie - celui-ci n'est que de l'ordre de 3 %, à savoir six à dix cas par an. Le degré d'intensité du contrôle de la concentration n'est pas forcément très différent de celui de la France mais il est beaucoup moins discrétionnaire. En France, si le ministre ne souhaite pas s'opposer à une concentration importante dans l'industrie automobile ou dans le domaine des Télécoms, il a toute latitude, sans en rendre de compte à personne.

Si l'on regarde les projets de concentrations dont le Conseil est saisi, certains ont défrayé la chronique comme le rachat d'Orangina par Coca Cola ou bien le rachat d'Havas par le Groupe Vivendi qui, elles, sont des concentrations notifiées et dont le Conseil de la concurrence a été saisi pour avis. Cela ne veut pas dire que ce renvoi va se traduire automatiquement par une position négative. En l'occurrence, pour ces deux exemples qui ont été traités en 1998, le Conseil a estimé qu'il n'y avait pas de raison de s'opposer au rachat d'Havas par Vivendi, mais qu'en revanche, il y avait des raisons de s'opposer au rachat d'Orangina par Coca Cola.

M. le Rapporteur : Dans les motivations du ministre, autant que l'on puisse les connaître, outre le critère des 25 % du marché national, un certain nombre de critères sociaux jouent-ils également : fermeture éventuelle d'entreprise ou suppression d'activité ?

M. Frédéric JENNY : Je suis très mal placé pour vous répondre sur les motivations du ministre.

M. le Rapporteur : Autant que l'on puisse les connaître.

M. Frédéric JENNY : Le processus de décision est un processus qui est très peu transparent. Il est tout à fait vraisemblable, et en tout cas légitime au regard des textes, que des considérations du type de celles que vous évoquez pèsent sur la décision du ministre avant que celui-ci décide s'il est opportun d'envoyer le dossier au Conseil de la concurrence ou, lorsqu'il a décidé de demander l'avis du Conseil de la concurrence, avant qu'il prenne une décision explicite ou implicite.

La transparence des critères de saisine du conseil et de décisions des ministres est un élément important de la sécurité juridique des entreprises. Or, ces critères ne sont transparents en France. Par ailleurs, les critères retenus pour la notification des opérations de concentration doivent également être aussi simples que possible. L'une des difficultés est que le critère de notification le plus simple (le seuil en chiffre d'affaires) est le moins utile pour l'appréciation des éventuelles conséquences anticoncurrentielles d'une opération de concentration. Par exemple, beaucoup de concentrations dans la distribution dépassent le seuil de 7 milliards de chiffre d'affaires alors même que les entreprises concernées n'ont pas véritablement un pouvoir de marché important

M. le Rapporteur : Quand Auchan a « mangé » Mammouth, par exemple !

M. Frédéric JENNY : Il y a eu plusieurs affaires en matière de distribution. Quand, il y a quelques années, Carrefour a racheté une enseigne de grands magasins (SES), c'est une opération qui a pas été déférée au Conseil de la concurrence. Les pouvoirs publics se sont contentés d'une négociation avec Carrefour afin qu'il abandonne un certain nombre de magasins, abandon sans lequel il aurait eu vraiment une position dominante dans certaines régions.

A l'inverse dans l'opération Carrefour/Cora, le Conseil a été saisi et le résultat a été le même. Le Conseil après avoir procédé à l'analyse du dossier, a estimé que la concurrence en matière de distribution devait être appréciée, notamment au niveau local. Il a regardé en conséquence les régions dans lesquelles ces deux sociétés étaient implantées et les endroits où Carrefour eut été en position de dominante ou en situation d'attenter à la concurrence. Il en a conclu qu'un problème se posait dans quelques villes et a recommandé au ministre de n'accepter l'opération que sous réserve d'un désinvestissement par le Groupe Carrefour/Cora et le ministre a imposé des injonctions allant en ce sens.

Pourquoi le Conseil n'a-t-il jamais été saisi de la première affaire alors qu'il l'a été dans la seconde ? Je ne sais pas. La question reste posée. C'est pourtant la même entreprise qui, les deux fois, était acquéreur. Il n'y a donc aucune raison, a priori, qui conduise à penser que l'une des opérations devait être soumise et l'autre faire l'objet d'une procédure informelle à l'occasion de laquelle le ministre n'a officiellement rien fait mais a intimé, en fait, à Carrefour de se « débarrasser » de quelques magasins.

Quand vous me demandez ce qui pousse les ministres successifs à saisir le Conseil de la Concurrence d'une opération et non d'une autre, il y a vraisemblablement de nombreuses raisons. Certaines tiennent à l'appréciation que peut avoir le ministre de l'utilité ou de l'inutilité du contrôle de la concentration, ou à l'appréciation qu'il peut avoir de l'utilité ou de l'inutilité de publier un avis du Conseil de la Concurrence ou bien à des considérations d'opportunité qui sont d'ailleurs permises par le texte de l'ordonnance.

Personnellement, je n'ai pas à commenter l'une ou l'autre des décisions du ministre consistant à saisir ou à ne pas saisir le conseil puisque le texte lui laisse toute latitude. De même, en cas de saisine, n'ai je pas à me prononcer sur la décision finale - sur le fait que le ministre suive ou ne suive pas le Conseil - mais je constate que dans à 80 % des cas les avis du Conseil sont suivis. M. Stauss-Kahn a d'ailleurs dit à l'occasion de l'affaire Coca Cola/Orangina que son intention était de suivre l'avis du Conseil chaque fois qu'il lui soumettrait une opération.

Reconnaissons que cela n'a pas toujours été le cas dans le passé pour des raisons que j'ai pu connaître ponctuellement, mais sur lesquelles je ne souhaite pas m'étendre car ce sont aux ministres de s'expliquer. Je dirai seulement, à titre rétrospectif, que la discrétion qui a entouré certaines affaires a pu se justifier, notamment par des considérations tenant à l'emploi.

M. le Rapporteur : Peut-on penser que les raisons qui ont pu motiver qu'en 1976 ou 1977 l'institution d'un régime de déclaration non obligatoire tenaient à l'évolution de la situation économique et à l'accélération des opérations de fusion, de concentration ? Un réexamen de cette disposition se justifierait-il ?

M. Frédéric JENNY : A titre tout à fait personnel, et en n'engageant ni le Conseil de la Concurrence, ni aucune des autres organisations auxquelles je peux appartenir, j'aurais tendance à dire oui, mais pas seulement en considérant que la multiplication des concentrations exige en lui-même plus de « sérieux ».

En 1977, le droit de la concurrence en France était extrêmement peu développé.

Or il s'est depuis développé de façon considérable et les entreprises ont davantage l'habitude, plus qu'elles ne l'avaient autrefois, non pas d'aller négocier avec les autorités ministérielles compétentes mais de prendre en compte l'état du droit.

Or du point de vue de la transparence, qui s'impose dans tout État de droit, il me semble que la notification obligatoire des concentrations et l'examen de ces concentrations se traduisent par des décisions motivées, garantit mieux les droits de la défense, oblige les auteurs des décisions à être plus cohérents et moins discrétionnaires. Un tel système permet d'être davantage en phase avec une époque où les concentrations se développent tant au niveau européen qu'à celui des États Unis.

De fait, le phénomène des concentrations s'est développé à la suite de la mondialisation des échanges. La taille des marchés a changé de dimension et les entreprises sont mieux à même de tirer partie des économies d'échelle. Dans un tel univers, tant l'opportunité économique que juridique nous pousse à rendre le contrôle des opérations aussi transparent que possible.

Or je pense très honnêtement que le droit de la concentration français est vu à l'étranger avec une certaine suspicion du fait de l'opacité du processus. Même dans l'affaire Coca Cola/Orangina - j'étais aux États Unis peu de temps après - s'est développé le thème selon lequel la France avait eu un réflexe protectionniste alors même que le conflit opposait Pepsi et Coca Cola et nullement la France et les États Unis.

Le malaise que l'on ressent à l'étranger à l'égard du régime des concentrations en France tient à son absence de transparence

Le nombre assez faible d'opérations envoyées au Conseil - même s'il y en a davantage aujourd'hui - et le fait qu'il suffit de lire les quotidiens économiques pour savoir qu'il y a de nombreuses opérations en cours peuvent conduire à considérer que nous n'avons pas réellement de droit de la concurrence.

Quand le Conseil est saisi, en suivant une procédure de façon contradictoire, son rôle est de peser les avantages et les inconvénients de l'opération au regard de la concurrence mais aussi au regard de sa contribution au progrès économique.

Il y a donc une différence entre notre contrôle de la concentration et le contrôle européen. Au plan européen, la seule question pertinente est celle de savoir si l'opération va créer ou renforcer une position dominante - peu importe la contribution au progrès économique - quoique, dans la réalité, Bruxelles ait été obligé d'infléchir sa jurisprudence nonobstant l'absence d'un socle juridique qui permette cette prise en compte.

Dans le cas de la France, le Conseil a pour mission - après avoir analysé deux éléments (l'état de la concurrence et l'apport au développement économique) - de faire un bilan de l'opération et, compte tenu de ce bilan, de se prononcer.

M. le Rapporteur : Nous avons à faire, dans ces cas là, à des entreprises qui sont importantes même si ce ne sont pas les tous premiers groupes internationaux. Pourquoi ne pas éclairer l'avis du Conseil de celui des comités d'entreprise, des collectivités locales et régionales ? Dans un certain nombre de cas, ce peut être porteur de progrès.

Consulter, plus qu'ils ne le sont actuellement sur des opérations qui entraînent pour eux un certain nombre de conséquences, divers partenaires de la vie économique et sociale me paraît être en effet la bonne solution sans constituer pour autant des lourdeurs qui pénaliseraient le développement économique.

M. Frédéric JENNY : Non seulement la notification est utile car elle renseigne l'administration, elle l'oblige à regarder toutes les opérations qui pourraient poser un problème, mais vous avez eu raison de dire que l'appréciation des effets d'une opération de concentration peut être enrichie quand des avis éclairés permettent de mettre en balance ses inconvénients et sa contribution au progrès économique mais aussi à la recherche et à l'émergence de nouveaux produits.

Il est arrivé que le Conseil autorise des opérations qui posaient quelques problèmes du point de vue concurrentiel mais qui contribuaient à régler par exemple un problème de pollution. C'est ainsi que des entreprises qui avaient des usines très polluantes qu'elles ne pouvaient envisager de fermer, sauf à bénéficier d'un grand mouvement de restructuration qui pouvaient porter atteinte à la concurrence, ont été autorisées néanmoins à se restructurer. C'est cette considération du progrès économique, élargi au bénéfice de la lutte contre la pollution, qui a conduit à admettre qu'il n'y avait pas d'autres moyens que la concentration pour réaliser le bénéfice économique.

En tout cas, une fois que le ministre ou que Bruxelles se sont prononcés, il est de fait que les recours sont très rares. Le rachat de Perrier par Nestlé, pourtant validé par Bruxelles, a fait l'objet d'un recours du comité d'entreprise de Perrier devant le tribunal de première instance mais ce recours n'a pas abouti. En fait, c'est la première décision qui compte. Plus elle est transparente, mieux c'est.

Le contrôle de la concentration n'oblige pas à avoir une position doctrinaire - à être pour ou contre les concentrations - mais suppose au contraire de procéder à un examen au cas par cas des enjeux économiques à mesurer les inconvénients et les avantages ; car l'opération de concentration qui permet à une entreprise d'être plus efficace, de rationaliser sa production, de se développer à l'exportation et de créer des emplois peut être source de progrès économique.

Une question de méthode peut néanmoins se poser au Conseil : les avantages dérivés d'une opération peuvent permettre à une entreprise de devenir plus efficace et de se développer au détriment des autres. Il appartient au Conseil d'en tenir compte dans sa décision.

Au total, nous sommes saisis d'opérations assez diverses qui couvrent à la fois des domaines dérivés de l'agriculture comme les sucreries, les domaines de la distribution, de la chimie, de la communication à l'exception de deux domaines dans lesquels le Conseil ne peut pas directement intervenir : l'audiovisuel et la banque.

L'autre volet de notre compétence, en matière de concurrence, concerne le comportement des entreprises dont la puissance conduit à un abus de position dominante ou de mise en dépendance de ses concurrents.

La mécanique est alors tout à fait différente puisque le Conseil peut être saisi par n'importe quel concurrent, n'importe quelle collectivité publique, n'importe quelle collectivité privée - syndicat de travailleurs, syndicat professionnel, Chambre de Commerce. Il y a là une très large faculté de saisine qui peut concerner n'importe quelle entreprise sans aucun filtre ou monopole ministériel.

L'article 8 de l'ordonnance de 1986 permet en effet de se prononcer contre tout abus de position dominante dont une entreprise se rend responsable sur un marché, que ce soit sous forme de refus de vente, d'entraves au développement de la concurrence, voire de pratiques abusives imposées par la force, bref tout ce qui est anticoncurrentiel et ce texte est fréquemment appliqué.

Il y a eu un regain d'activité dans ce domaine du fait de la dérégulation, du fait du développement d'un certain nombre d'entreprises qui, devenues de grands acteurs sur leur marché ont eu tendance à se protéger de la concurrence d'entreprises plus petites mais qui risquaient d'être plus efficaces qu'elles.

Les sanctions prévues peuvent aller jusqu'à 5 % du chiffre d'affaires de l'entreprise, les sanctions étant couramment de l'ordre de 1 % ce qui fait quand même des dizaines de millions de francs. C'est un système réellement dissuasif et la France a une très bonne réputation à l'étranger dans le domaine du contrôle des abus de positions dominantes et des ententes car c'est un processus très transparent.

Toute saisine du Conseil doit, en effet, nécessairement donner lieu à une décision qui peut faire l'objet d'un recours devant la Cour d'appel dont le jugement est public et motivé.

M. Le Rapporteur : Que signifie avoir une bonne réputation ?

M. Frédéric JENNY : La réputation n'est pas le critère ultime.

Pour les entreprises, il est important que le processus soit prévisible, qu'elles sachent que telles ou telles pratiques ont toutes les chances d'être sanctionnées par les autorités de la concurrence, et qu'elles ne puissent supposer, surtout si elles sont étrangères, que le fait d'être étrangère vaut en soi condamnation.

Ce genre de suspicion porte d'autant plus atteinte au crédit de la France que celle-ci a déjà une réputation qu'elle ne mérite pas mais qui est ancienne de ne pas être ouverte à la transparence ou à une certaine forme de libéralisme économique.

Les étrangers disent trop : « Le ministre prend seul les décisions en matière de contrôle de la concentration, il n'y a rien à en dire. On est en dehors du droit ».

M. le Rapporteur : Dans le cas d'un groupe, comment prenez-vous en compte les filiales ? Est-ce en fonction de l'importance de la participation de la maison-mère dans une filiale ?

M. Frédéric JENNY : Pas uniquement. Une règle simple tendrait à considérer qu'à partir du moment où une filiale est possédée à plus de 50 % elle fait partie du groupe. Mais le Conseil s'est aperçu depuis longtemps que bien souvent on pouvait contrôler la stratégie d'une filiale avec beaucoup moins de 50 %.

J'ai un exemple qui, il est vrai, n'a pas donné lieu à une décision explicite du Conseil car l'affaire a été retirée de son rôle du fait du retrait de la demande : c'était une affaire concernant un sucrier à propos de laquelle le Conseil devait dire si l'acquisition, par cet opérateur, de 13 % seulement du capital d'une grosse sucrerie française allait lui donner le contrôle de cette sucrerie parce que tous les autres détenteurs du capital étaient des banquiers.

Il n'y a pas de position doctrinaire du Conseil. Nous regardons la part de capital, les processus de décisions internes à la filiale, la présence ou non de représentants de l'entreprise considérée au conseil d'administration de la filiale, la part qu'ils représentent dans les organes dirigeants avant de déterminer qu'une entreprise en contrôle une autre. Ce n'est pas une définition rigide et, de ce point de vue, notre pratique n'est pas éloignée de la pratique européenne qui fait le même genre d'analyse.

M. le Rapporteur : Y compris la présence, dans ceux qui achètent, de ce que l'on appelle communément les fonds de pension. Car il semble admis que les représentants des fonds de pension ne s'occupent ni de gestion, ni de stratégie mais, selon un intérêt strictement financier, sont prêts à faire alliance avec un opérateur éventuellement minoritaire afin de constituer une majorité. Ainsi, quelqu'un qui a 13 % se retrouve avec beaucoup plus.

M. Frédéric JENNY : Je ne me souviens pas d'avoir eu connaissance d'une affaire où la question des fonds de pension se soit posée. En revanche, vous évoquez l'idée selon laquelle les partenaires « dormants » ne sont pas véritablement des acteurs et que ce qui importe, à l'intérieur de la répartition d'un capital, c'est de voir qui, de fait, a le pouvoir d'emporter les décisions.

Nous prenons en compte des éléments du type de ceux que vous évoquez. Nous sommes aussi amenés à regarder des pactes d'actionnaires quand il peut y en avoir et s'ils ont une influence déterminante sur la gestion de l'entreprise.

Par ailleurs, la différence entre le droit européen et le droit national de la concurrence me semble importante sur un point : le contrôle des aides d'État qui est prévu dans les articles 90 et suivants du Traité, l'examen des subventions qui peuvent être utilisées à différentes fins - éliminer des concurrents, faire du dégât dans les tissus locaux, créer éventuellement une distorsion de concurrence au profit de ceux qui sont capables de capter les aides de l'État. Il n'y a pas de disposition équivalente au niveau du droit national français.

La question des aides de l'État, à mon avis, peut poser un véritable problème de concurrence, sans qu'il soit pour autant pris en compte. Il peut y avoir deux sources de problèmes dans l'attribution des aides de l'État :

    - l'entreprise qui utilise ces aides et en abuse jusqu'à fausser le marché,

    - l'État, qui en distribuant des aides à certains groupes, peut commettre, au regard de la concurrence, un acte pervers.

La question relève de Bruxelles mais elle ne peut déboucher sur un contrôle que dans la mesure où les entreprises récipiendaires opèrent sur l'ensemble du marché européen. Si elles n'opèrent que sur le marché national le problème n'est pas du ressort de la communauté. Seul l'État concerné est en mesure de s'en préoccuper. Force est de constater que cette question demeure sans réponse.

Or, il est vrai que quand une entreprise profite d'un avantage qu'elle a obtenu des Pouvoirs Publics pour se positionner face à ses concurrents, elle risque de contribuer à détruire le tissu économique au sein duquel elle opère.

M. le Président : D'autant qu'il y a les aides directes que l'on peut facilement appréhender mais aussi un certain nombre d'aides indirectes - tels que la fiscalité locale ou le prix du terrain au m2 ; mais Bruxelles dispose sans doute d'un certain nombre de dispositifs qui permettent d'étudier la question.

M. Frédéric JENNY : Pour autant que cela concerne le commerce entre les pays de la Communauté. Si c'est au niveau local français, a priori, il n'y a pas de possibilité d'intervention de la Communauté.

M. le Président : Si l'on a bien compris le Commissaire Van Meert, la semaine dernière, des dispositions seront proposées au Conseil des ministres de l'Union de façon à réguler un certain nombre de distorsions de concurrence. Je pense notamment à ce qui se pratique en Irlande. au niveau de zones franches.

Au niveau national, il semble, d'après les informations que nous avons pu recueillir qu'il n'existe pas de réels moyens de contrôle.

M. le Rapporteur : Disons qu'il en existe quelques-uns...

M. le Président : Les distorsions de concurrence existent aussi entre les territoires français et ce, de façon forte. Ce n'est pas par hasard que Toyota a choisi d'aller dans le nord de la France. Disposez-vous d'un corpus concernant ce genre d'observatoire ?

M. Frédéric JENNY : Non, car le droit ne nous permet pas de nous prononcer sur cette question. Le seul domaine où nous pouvons nous prononcer concerne l'utilisation par une entreprise d'une aide qu'elle a reçue et qui lui permet la mise en _uvre de pratiques stratégiques destructrices de son environnement concurrentiel par du dumping ou des prix de prédation.

Nous n'avons pas de pouvoir, car nous n'avons pas l'équivalent des articles 90 et suivants du traité dans le droit national, qui nous permettrait de regarder si la création ou l'octroi d'une aide constitue en lui-même une infraction parce que créant spontanément une distorsion de concurrence entre des entreprises.

La référence aux dispositions communautaires suggère que l'examen des aides soit parti intégrante du droit de la concurrence et soumise à la même autorité, mais cela peut être difficile à mettre en _uvre en France, notamment car cela conduirait le Conseil de la concurrence à mettre en cause des décisions administratives en matière d'aides. Il y aurait une résistance certaine.

M. le Rapporteur : Si l'on s'imagine que la prise de contrôle d'une entreprise en difficulté par une entreprise parfaitement saine puisse être soumise au contrôle du juge administratif, ce qui peut se concevoir, l'entreprise qui a de grandes difficultés a le temps de mourir avant que le juge administratif ait eu le temps de statuer.

M. Frédéric JENNY : Le contrôle de la concentration se fait en France dans des délais relativement courts, six mois au maximum lorsque l'opération a été notifiée. Dans des cas de grande urgence, on pourrait créer une procédure de référé - par exemple quand il y a un danger grave et immédiat pour la concurrence- par analogie avec le référé judiciaire. Une telle procédure pourrait également s'appliquer en cas d'aide d'État.

Cela permettrait, en mois d'un mois, de prendre une décision visant à interdire une aide d'État susceptible de créer un « danger grave et immédiat pour la concurrence », ce sous réserve d'un examen plus approfondi par la suite.

M. le Rapporteur : Avec ces différentes questions, on est au c_ur de notre problématique. Que ce soit au niveau international, national ou européen, ces aides servent-elles l'emploi ?

Contrôle-t-on non seulement les distorsions de concurrence mais aussi les créations effectives d'emplois ? On nous dit qu'au bout de cinq ans, l'entreprise attributaire de la Prime à l'Aménagement du territoire a le droit de s'en aller. Ce n'est pas satisfaisant. Sans mettre des boulets aux entreprises, il importe d'améliorer un système qui a l'évidence n'est pas satisfaisant. Comment faire en sorte qu'il le soit un peu mieux ?

Faire en sorte qu'il y ait obligation de déclaration de ces opérations ainsi qu'un contrôle ? Le contrôle des comportements existe déjà et est bien rôdé. Pourquoi ne pas y ajouter le contrôle des aides nationales et des aides régionales et locales qui peuvent aller jusqu'à la modification d'un plan d'occupation des sols ? Je siégeais hier au sein de mon conseil municipal où l'on a modifié le Plan d'Occupation des Sols ; ce n'est jamais neutre puisqu'en l'occurrence cela va permettre l'installation d'une grande surface sur les territoires d'un port autonome.

Je ne sais pas à quel niveau on peut étendre le contrôle ni comment il peut se pratiquer, mais cette extension s'impose.

Le témoignage d'un Président de Chambre régionale des comptes sur les contrôles des Chambres régionales

Audition de M. Alain PICHON,
Conseiller maître à la cour des comptes,
Président de la chambre régionale des comptes
de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur et
Président de l'association des présidents des chambres régionales des comptes

(extrait du procès-verbal de la séance du 10 février 1999)

Présidence de M. Alain FABRE-PUJOL, Président

M. Alain Pichon est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Alain Pichon prête serment.

M. Alain PICHON : M. le Président, dans mon esprit, je suis d'abord entendu par votre commission en ma qualité de Président de la Chambre régionale des comptes de la Région Provence-Alpes-Côte d'Azur et d'ancien Président de la Chambre régionale de comptes de la région Aquitaine, fonction que j'ai exercée de janvier 1994 à septembre 1998.

Je répondrai plus accessoirement en ma qualité de Président de l'association des présidents de Chambres Régionales puisque je n'ai pas été mandaté ni par mes collègues ni par mon bureau ; même si je peux éventuellement me faire l'interprète auprès d'eux de souhaits ou de voeux exprimés par votre commission.

J'ai pris connaissance du sujet de votre commission d'enquête et de ses objectifs et je comprends les raisons qui l'ont incitée à solliciter les Chambres régionales des comptes ainsi que moi-même pour obtenir des informations.

Je n'ose dire en prologue ma crainte que vous ne soyez sinon déçus, du moins que les Chambres régionales, par leurs travaux et leur approche, ne vous apportent peut-être pas des réponses à la hauteur de celles que vous pourriez espérer.

Il faut vous dire que, dans un premier temps, votre demande de renseignements nous a un peu surpris parce que nous n'étions pas sûrs de pouvoir vous apporter des d'informations précises et je prie la commission de considérer que, si certaines réponses lui sont apparues comme un peu hâtives ou un peu rapides, mes collègues sont prêts à fournir d'autres éléments pour répondre à vos préoccupations voire à des questions plus précises dès lors que vous aurez diagnostiqué ou repéré des comportements de tel ou tel groupe national ou international sur lesquels nous aurions mené des investigations récentes.

Nous n'avons pas, en effet, le même angle de vue ou la même approche du sujet que votre commission dans la mesure où, lorsque les Chambres régionales interviennent, elles le font pour s'exprimer sur la qualité de la gestion des collectivités locales et non pas sur le comportement des groupes et, si les bénéficiaires d'aides publiques, directes ou indirectes, peuvent être parfois critiqués, ceux-ci ne sont pas l'objet même de nos observations.

Bien souvent dans nos critiques et, en tout cas, dans nos lettres d'observations définitives, le nom du groupe ou de l'entreprise, n'apparaît pas. Nous ne visons pas tel ou tel groupe, mais nous constatons des résultats positifs ou négatifs d'une politique, d'une gestion par une collectivité locale, si bien qu'en relisant certaines lettres, il faudrait se livrer à un jeu de devinettes ou reprendre tous les dossiers pour voir quel sont les noms des entreprises qui se cachent derrière les résultats flatteurs ou malheureux des aides qui ont été accordées par les collectivités territoriales.

A cet égard, quand vous aurez diagnostiqué ou repéré des cas concrets vous intéressant plus particulièrement, sans doute serons-nous plus à l'aise pour, le cas échéant, vous fournir des renseignements.

Bien souvent les entreprises qui bénéficient des aides des collectivités territoriales pour s'implanter, dans le cadre d'actions en faveur de l'emploi ou de l'aménagement du territoire, sont des petites et moyennes entreprises, artisanales ou PME, et les politiques menées auparavant sous forme de zones industrielles, ou plus récemment sous forme d'ateliers relais, mettent plutôt en cause des petites entités.

Peut-être celles-ci sont-elles des filiales aux deuxième, troisième ou quatrième degrés de grands groupes nationaux ou internationaux mais nous ne le savons pas car ce n'est pas au coeur de nos préoccupations. En tout cas,  nous ne pouvons le savoir s'il s'agit non de filiales mais de sous-traitants de grands groupes.

Nous avons constaté que dans certaines opérations, les préoccupations d'emploi et d'aménagement du territoire étaient présentes, que les collectivités avaient le souci d'essayer soit de consolider, soit d'attirer telle ou telle entreprise pour assurer le maintien du bassin d'emploi ou son développement.

A cet égard, je voudrais ouvrir une parenthèse. J'ai constaté en Aquitaine - comme un de mes collègues en Nord-Pas-de-Calais - que souvent ces pratiques se situent dans un cadre de concurrence ou de surenchère entre collectivités et, quand elles aboutissent à attirer une grande entreprise ou une grosse unité industrielle de production ou de services, dans une collectivité de taille moyenne, alors des écarts de richesse apparaissent vite malgré l'existence d'un arsenal législatif du type écrêtement de la taxe professionnelle ou de type « intercommunalité ». Ainsi, dans un même bassin d'emploi, une seule collectivité peut-elle être la principale bénéficiaire d'une implantation qui draine la main-d'oeuvre et contribue à l'emploi de toute une zone, décourageant ses voisines, la conduisant à être à la tête de ressources considérables et ayant - je vous prie d'excuser un peu la brutalité de l'expression - un comportement de « petite fille riche », un train de vie « somptuaire »... du moins tant que la manne existe car les lendemains peuvent être difficiles.

Je peux citer deux exemples en Aquitaine et au Nord-Pas-de-Calais.

D'abord la commune de Blanquefort qui a eu la chance d'accueillir l'usine Ford - que le Président Chaban-Delmas avait fait venir à Bordeaux - et qui lui a procuré, pour 11 000 habitants, des ressources et un train de vie d'une commune de 25.000 habitants, malgré l'écrêtement de la taxe professionnelle et une redistribution - modeste - au profit de la communauté urbaine. Ensuite la commune de Gravelines, qui était au rapport public de cette année, qui a eu la chance d'obtenir une usine électrique d'origine nucléaire, qui, n'étant pas impliquée dans un cadre intercommunal, mène un très grand train, avec les excès dans l'immédiat et les risques de retour de conjoncture que cela peut impliquer à terme.

Ceci étant, sur quels sources peut-on s'appuyer pour vous fournir des informations ?

Je rappelle d'abord qu'il y a eu, en novembre 1996, un rapport public particulier, arrêté par la Cour des Comptes, sur la base de travaux de seize Chambres régionales, sur les interventions économiques des collectivités territoriales en faveur des entreprises. C'est, à ma connaissance, le dernier, sinon le meilleur, document de synthèse que les Chambres régionales ont pu établir sur les pratiques des collectivités locales visant à aider, subventionner, solliciter les entreprises afin qu'elles s'installent sur leurs territoires.

A côté, il y a de nombreuses lettres d'observations, bien entendu communicables à la Commission dont certaines ont déjà été envoyées mais qui présentent l'inconvénient d'être « anonymisées », de fournir certes des exemples de pratiques mais sans qu'il soit possible de mettre aisément le nom d'une entreprise ou d'un groupe dans des conditions de clarté et de transparence souhaitables.

Je ferai maintenant quelques constats de portée générale à partir d'une expérience de cinq années à Bordeaux puis Marseille.

En premier lieu, les interventions financières des collectivités en direction des entreprises quelles qu'elles soient, directes ou indirectes, sont nombreuses, de plus en plus multiples, parfois contradictoires, parfois concurrentielles, assez mal recensées et mal suivies.

Malgré leur foisonnement, elles demeurent, en proportion des dépenses des collectivités locales, assez modestes par rapport à ce que les collectivités territoriales ont la charge de financer au nom de leurs compétences régaliennes ou sociales.

Quand on compare les interventions directes ou indirectes des collectivités - et le recensement a été fait, même s'il n'est pas exhaustif - par rapport au total des dépenses de voirie routière, de formation, d'éducation, de social, on n'est pas du tout dans les mêmes proportions.

Ces aides directes sont nombreuses : les primes régionales à l'emploi, les primes aux créations d'entreprises, les différents plans Etat-Région, la Région donnant le signal et les autres collectivités locales pouvant soit accompagner les initiatives régionales soit, de leur propre chef, octroyer des d'aides qui mériteraient d'être, après un inventaire critique, simplifiées, sinon réduites.

Il existe aussi les aides indirectes matérielles : par exemple la collectivité prend à sa charge des opérations immobilières, elle viabilise des terrains, construit des bâtiments, des ateliers relais, ensuite les met à disposition, selon des formes variées de location, de vente, etc, des différentes entreprises qui s'y installent.

Ces aides indirectes peuvent prendre des formes financières, avec des risques divers, essentiellement des garanties d'emprunt ou des cautions, ou plus exceptionnellement, des prises directes ou indirectes de participation, souvent par le relais de sociétés d'économie mixte. Il existe un foisonnement important d'initiatives prises par les collectivités locales, et parfois sollicitées par les entreprises, fréquemment avec excès.

Il existe une troisième forme, plus subtile  que sont les aides indirectes représentées par les exonérations de fiscalité locale, essentiellement de taxe professionnelle, auxquelles d'ailleurs les entreprises sont assez sensibles, mais qui peuvent poser des problèmes de concurrence.

J'ai l'impression que ces interventions financières sont extrêmement dispersées, variées. Les demandeurs d'aides que sont les entreprises n'ont que l'embarras du choix, et devant ce maquis de sollicitations, d'offres, d'aides ou de subventions, elles sont en position de force, « elles font leur marché » un peu à leur guise, et font jouer la surenchère ou la concurrence entre les collectivités territoriales.

En principe, étant donné leur autonomie de gestion, les collectivités peuvent se livrer à de telles sollicitations, mais je ne suis pas certain que l'action publique y trouve toute la clarté et l'efficacité voulues. De ce point de vue, les collectivités avancent en ordre dispersé, c'est la lutte entre la grosse et la petite, et elles sont sous la sujétion et la pression des groupes. C'est dommage, parce que cette surenchère bénéficie parfois trop aux entreprises sans que les collectivités puissent mesurer pleinement les effets bénéfiques de leurs initiatives.

Est-ce efficace ou utile, du point de vue de l'emploi ou de l'aménagement du territoire ? Le bilan est nuancé, parce que souvent les ambitions sont grandes et les résultats parfois maigres.

Lorsque cette enquête a été menée en 1995 et 1996, et depuis que nous nous penchons sur les initiatives des collectivités et les desiderata ou les pressions des entreprises, nous constatons que ce ne sont pas forcément les aides directes ou indirectes qui sont l'élément moteur de leur décision d'implantation.

Deux facteurs sont essentiels aux yeux des entreprises :

1. l'existence d'un potentiel de croissance économique, la croyance en un marché, en un développement ; 

2. un environnement favorable, tel que : un système de formation professionnelle, des établissements scolaires, universitaires, des transports, des routes, des logements, des loisirs.

Une prime c'est plutôt « la cerise sur la gâteau » ; elle n'est pas négligeable, mais, d'après mes informations, ce n'est pas l'élément déterminant dans la décision de l'entreprise de s'implanter et de créer des emplois.

Quand nous effectuons le total du coût en termes de dépenses publiques de façon directe ou indirecte, et que nous le rapportons au nombre d'emplois net réellement créés et consolidés, nous arrivons parfois à des chiffres un peu vertigineux.

J'ai vu, dans le bassin de Lacq, une dépense qui dépassait 500.000 F par an et par emploi créé. On peut estimer que l'emploi n'a pas de prix, mais en rapportant cette action à l'effet réel, on est un peu pris de vertige. Ces 500.000 F n'auraient-ils pas été investis de façon plus utile, dans des investissements de type régalien, socioculturel, ou de formation, plutôt que d'être remis à des groupes, quel que soit leur comportement ?

Les effets en termes de concurrence territoriale peuvent parfois être néfastes, aggraver les déséquilibres, d'où le risque que la richesse aille à la richesse. Plus la collectivité a des moyens, plus elle peut attirer les autres, donc créer un pôle d'emplois au détriment de ses voisines ou d'un autre bassin.

Une analyse des créations d'emplois conduit à un bilan incertain.

Qu'en est-il dans l'espace ? Ne joue-t-on pas au « Sapeur Camembert » qui creuse un trou pour en remplir un autre ? Y a-t-il véritablement des créations nettes d'emplois ?

Qu'en est-il dans la durée ? Souvent, on est surpris de constater que les promesses faites en termes de créations d'emplois par un groupe sont plus ou moins tenues, et que deux, trois ou quatre ans plus tard, les primes octroyées ou les exonérations fiscales accordées n'ont pas résisté à la conjoncture ou à d'autres phénomènes.

Qu'en est-il des emplois qualifiés ? Souvent, les promesses ne parlent que d'emplois en termes d'effectifs sans les qualifier ce qui peut aboutir à une déqualification des emplois ainsi transférés ou implantés. A cet égard, les collectivités locales sollicitées ou qui sollicitent les entreprises disposent de peu d'outils d'analyse avant de prendre leur décision, et se livrent ensuite à aussi peu d'analyses, les élus locaux interrogés n'étant pas en mesure de répondre.

Par ailleurs, les garanties juridiques dont on s'entoure pour octroyer ces avantages ou ces primes sont parfois ténues. Des promesses ne sont assorties d'aucun engagement strict, et rares sont les cas où une collectivité, ayant constaté que les promesses n'étaient pas tenues, exige le remboursement d'une prime ou fait un rappel d'impôts. C'est hélas peu fréquent. A cet égard, il faut bien reconnaître que les entreprises bénéficiaires jouissent d'un environnement d'immunité et d'impunité.

Les collectivités sont elles-mêmes dénuées d'informations, ou n'ont pas forcément le réflexe d'aller les chercher là où elles se trouvent. Il est souvent question de chasseurs de primes, c'est-à-dire d'entreprises spécialisées, sachant qu'à tel endroit elles pourront récupérer telle manne. Et pourtant la Centrale des bilans de la Banque de France, les trésoreries générales, les préfectures, les greffes des tribunaux de commerce disposent de ces renseignements. Ces organismes sont parfois sollicités, mais pas toujours. Le sont-ils qu'ils ne donnent pas systématiquement les informations. J'ai encore présent à l'esprit - heureusement l'affaire n'a pas abouti - le cas d'une entreprise ou plutôt d'un faiseur d'entreprises qui était prêt à s'implanter dans la région d'Agen. Il suffisait d'un coup de téléphone à la Centrale des bilans de la Banque de France pour s'apercevoir qu'il s'agissait d'un failli notoire, connu pour, une fois la prime empochée, disparaître dans la nature. Mais ces précautions préalables ne sont pas toujours mises en oeuvre.

Les collectivités, dans un souci de surenchère, de bien agir aussi, prennent parfois des engagements un peu disproportionnés par rapport aux effets réels attendus : les cautions, les garanties d'emprunt, les exonérations fiscales sont données dans un premier temps dans la perspective de créer des emplois, quelquefois sans mesurer complètement les conséquences qu'une garantie peut avoir, en pensant qu'elle n'aura pas à intervenir. Des départements venant au deuxième rang ont pris des garanties au premier franc et celles-ci jouant avant même que les cautions bancaires aient pu le faire. On aboutit ainsi à des déboires financiers sérieux.

Il y avait au rapport public de 1994 et j'en communiquerai l'extrait à la Commission - un canton du nord de la Dordogne, où des garanties données par un petit syndicat de communes, relayé par le Département, vont contraindre les habitants à supporter pendant sept ou huit ans une augmentation de leur fiscalité pour couvrir ces garanties accordées avec un manque élémentaire de précautions préalables qui maintenant pèse lourd.

Il existe peu de suivi, peu d'évaluations, peu de bilans établis par les collectivités. Sans doute les régions pourraient-elles prendre des initiatives dans ce domaine, mais si certaines l'ont fait, d'autres l'ont fait beaucoup moins. Dans le souci de bien faire, inquiètes devant la situation de l'emploi ou les risques de disparition du tissu économique et social, les collectivités sont prêtes à prendre des risques correspondants à des engagements financiers très importants.

Voilà les constats que je voulais livrer à votre réflexion. Je suis un peu confus de ne pas multiplier les exemples concrets. Mon expérience, en Aquitaine surtout, me donne à penser que les grands groupes, notamment internationaux, et leurs filiales, jouent beaucoup plus avec l'argent de l'État qu'avec celui des collectivités territoriales. Celles-ci ont surtout à faire à des PME, des PMI, des entreprises artisanales qui tentent leur chance pour obtenir des petits avantages.

M. le Président : Je vous remercie. Je crois que, dans le débat, nous aurons l'occasion de revenir sur quelques opérations menées par des filiales de grands groupes nationaux, qui ont cédé à la surenchère de collectivités locales.

M. le Rapporteur : Je partage l'avis qui est le vôtre, les communes en particulier sont peu souvent face à des groupes financiers ou industriels internationaux.

Cependant, dans quelques zones industrielles, il y a des demandes de suppression ou de réduction de TP pour des investissements de plusieurs milliards de francs, d'où des conséquences non négligeables pour la commune qui s'est ainsi engagée pour des garanties d'emprunt, portant sur les montants souvent lourds.

Dans votre activité, auriez-vous l'expérience d'aides qui se seraient finalement révélées inutiles, pour satisfaire sans doute à des pressions, à une mode entre collectivités ?

M. Alain PICHON : Je n'ai pas d'exemple précis à citer. A Pau, le maire m'a dit « je refuse de céder à la surenchère, je dis à l'entreprise : « Venez chez moi, il y a une université, un Zénith, un aéroport, des transports, des logements » »...

M. le Rapporteur : ... une équipe de basket.

M. Alain PICHON : Oui. « et si ma ville et mon bassin d'emploi vous séduisent, très bien, mais je ne vous donnerai pas de prime. » Si l'entreprise a un projet sérieux, rentable, ce ne sont pas les quelques centaines de milliers de francs supplémentaires d'une prime qui la motivent. Ce n'est que la cerise sur le gâteau. Si celui-ci est bon, il devrait se suffire à lui-même.

M. Alain COUSIN : Encore faut-il qu'il soit bon !

M. Alain PICHON : Il vaut mieux que la collectivité investisse dans des infrastructures collectives de type régalien ou socioculturel ou économique plutôt que d'essayer d'attirer par des solutions un peu artificielles, de type exonération, garantie ou autres. Mais comme elles ont la faiblesse de croire qu'il faut un peu en rajouter, il existe une espèce de surenchère. Il faudrait une police collective.

M. le Rapporteur : C'est la demande ou la proposition qui nous est faite par le MEDEF, ou son représentant que nous avons reçu ici. Notre expérience dans nos régions, nos départements, nos villes montre que cela ne se passe pas ainsi. Les mêmes représentants du MEDEF sont les premiers à frapper aux portes en disant « si vous ne nous aidez pas, M. le Maire, nous irons ailleurs. » Or nous avons besoin qu'ils viennent chez nous.

Nous pourrions rêver que les Chambres Régionales soient l'outil en amont.

M. Alain PICHON : En amont c'est difficile.

M. le Rapporteur : Tout le monde nous dit que les différents services de l'Etat, partout, en régions comme à l'échelon national, disposent de moyens statistiques, d'outils, qui ne sont jamais ou très rarement croisés.

N'y a-t-il pas là un moyen de permettre aux collectivités locales de se prémunir devant certaines tentations, de savoir si elles ont affaire à un chasseur de primes ?

M. Alain PICHON : De moins en moins.

M. le Rapporteur : Ici nous cherchons surtout à mettre l'accent sur les dérives, pour trouver une meilleure adéquation entre l'utilisation des fonds publics et la réalité de l'emploi.

Quels types d'outils verriez-vous au service des collectivités locales, mais en amont de la décision, toutes n'ayant pas les moyens d'avoir à leur disposition un service juridique, économique, d'analyse, etc, et étant quelquefois un peu trompées par la belle fille qui se présente et qui n'a pas ensuite les atours qu'elle promettait ?

M. Alain PICHON : Il existe au niveau régional tous les outils d'analyse, mais ils sont dispersés, rarement croisés, mis en commun, donc les collectivités ont l'impression que l'appareil public, qu'il soit national ou régional, est mal organisé.

Qui doit prendre l'initiative et donner l'exemple ? La Région en tant que collectivité territoriale majeure, donnant l'initiative, ou les services de l'Etat, notamment ceux d'action régionale près des préfectures de région, ou un binôme des deux, de manière à ce que les collectivités puissent avoir devant elles un projet, une analyse financière, économique, un service de renseignements et d'information leur permettant de prendre leur décision avec le maximum d'informations au préalable, ce qui n'est pas toujours le cas ?

J'aurais tendance à dire, non pas parce que je suis fonctionnaire d'Etat, bien qu'ayant beaucoup de respect pour l'État ainsi que pour les collectivités locales, que la solution est à rechercher dans un système binôme SGAR et services de la Région. Il est un peu fâcheux que souvent ils travaillent en ordre dispersé, se coordonnent mal ou ne donnent pas forcément les mêmes informations.

Il faudrait que se réunissent autour de cette table des personnes de la Banque de France, du Greffe du tribunal de commerce pour donner éventuellement des avis. Or ce n'est pas le cas.

M. le Rapporteur : Seriez-vous partisan d'une analyse a posteriori des résultats ? Et si les promesses faites ne sont pas tenues en termes de nombre et de qualité des emplois, faudrait-il des sanctions ? Souvent il s'agit d'emplois précaires ou partiels. Seriez-vous pour une forme de sanction/remboursement ?

M. Alain PICHON : Si on veut attirer les entreprises, il ne faut pas brandir à la fois la carotte et le bâton. Mais il faudrait au moins que dans les protocoles d'accord, de convention et d'aide, il soit bien précisé qu'à intervalles réguliers, aura lieu une analyse des résultats concrets, et que les aides sont susceptibles d'être interrompues ou même remboursées si les engagements ne sont pas tenus, un tiers indépendant appréciant la situation. Mais s'il apparaît vraiment que l'entreprise n'a pas tenu ses engagements, elle devrait être amenée à rendre des comptes, voire à restituer ce dont elle a bénéficié indûment.

Ceci permettrait d'y gagner en crédibilité, et les entreprises pourraient dire « nous avons respecté nos engagements ». Ce serait une sorte de satisfecit. Pour le moment, ces contrôles n'existent pas, à ma connaissance, ou très peu souvent.

M. le Rapporteur : Je suppose que le type de contrôle que vous faites a posteriori en France existe également dans les autres pays européens ?

M. Alain PICHON : Oui.

M. le Rapporteur : Y a-t-il des contacts entre les Chambres régionales ?

M. Alain PICHON : Il existe un organisme qui s'appelle Euroraï qui permet de regrouper les instances supérieures de contrôle, soit nationales, soit régionales.

Je prends l'exemple de l'Espagne. L'équivalent des Chambres régionales des comptes dans ce pays sont des institutions de contrôle des comptes. Elles sont purement régionales, les présidents sont nommés, appointés et déroulent leur carrière exclusivement en région. Mon homologue de Navarre est nommé par le président de cette zone où se déroule sa carrière.

En France, la vision et les champs de compétences sont plus larges.

Sous ces réserves, je pense que certaines institutions voisines ou analogues, notamment en Allemagne ou en Italie, mènent des investigations de même nature.

Une troisième dimension prend de plus en plus sa place, c'est la Cour des Comptes des Communautés Européennes, et le contrôle de la mise en oeuvre des crédits européens, qui pose des problèmes très complexes de coordination, de programmation, mais de plus en plus des opérations complexes bénéficient de financements multiples, quelques crédits d'Etat, d'autres régionaux, et une partie européens.

La collectivité qui met en oeuvre tous ces financements a un projet, elle construit une usine, une route, un collège, une université, etc. Quand la Cour des Comptes des Communautés Européennes vient contrôler, elle se préoccupe de savoir ce qui a été fait sur les fonds européens, c'est à dire 10 % ou 30 %... Souvent les membres de la Cour sont noyés dans la masse. Les contrôles sont assez difficiles et l'appréciation assez complexe.

J'ai vécu cette expérience en Aquitaine : les membres de la Cour des Comptes des Communautés Européennes sont venus demander des informations en ne tenant compte que de leurs préoccupations spécifiques. L'approche globale ne les concernait manifestement pas.

M. le Rapporteur : Il n'y a pas délégation entre vous ?

M. Alain PICHON : Non, il y a obligation d'information réciproque. Nous ne sommes pas encore dans un système de sous-traitance où la Cour des Comptes des Communautés Européennes déléguerait en quelque sorte à la Cour des Comptes nationale ou aux Chambres régionales le soin de faire pour elle rapport sur l'ensemble d'une opération, et de lui renvoyer des informations, d'autant que si l'argent est mal employé, c'est l'État national qui « trinque ».

Faut-il dénoncer son mauvais comportement, en sachant que c'est lui, et derrière lui le contribuable national, qui sera sanctionné ?

M. Jacques FILLEUL : Je partage beaucoup des propos très justes que vous tenez, c'est assez rassurant de la part d'élus nationaux et locaux. Nous ne faisons pas de procès ici, nous analysons. Ce qui est en cause, c'est l'engagement des collectivités locales par rapport aux entreprises privées.

Je m'interroge depuis longtemps déjà. Il existe deux types d'entreprises, certaines formulent des demandes, parfois petites, souvent très grosses, et d'autres veulent ignorer complètement toute aide, considérant que si elles peuvent investir, c'est grâce à leur compte d'exploitation et à leur étude préalable.

Plusieurs points m'ennuient. Certaines actions sont impunies, j'ai l'exemple en Touraine d'une société québécoise qui est venue « extorquer de l'argent » puis est repartie. La Région, la Ville de Tours, le Conseil Général lui avaient donné de l'argent. Il est resté un bâtiment tout neuf. D'autres collectivités territoriales sont « grugées » elles-mêmes par ce type de décision.

La baisse de taxe professionnelle m'agace aussi, elle est injuste, ridicule. Elle ne devrait pas exister.

Autre exemple. Dans l'agglomération tourangelle, une très grosse entreprise de téléphone fait du chantage, à coups de dizaines de millions de francs, pour 300 à 500 emplois, soi-disant. Que peut faire le maire d'une grande ville, Président du Conseil Général ? Tout le monde apporte sa contribution, d'où des montants incroyables.

Les Conseils Généraux parfois ont des attitudes perverses. Une entreprise investit directement, elle ne reçoit aucune aide, elle se débrouille seule. Si elle passe par une collectivité locale, elle obtient une aide très importante. Y compris dans un fonctionnement qui se veut rationnel, des éléments sont complètement anormaux.

On peut considérer que les aides sont normales et qu'il faut toujours les donner, qu'elles font partie du risque, ou bien on envisager une « police » des aides. Ma tendance est plutôt pour la deuxième formule.

Je ne me sens pas très à l'aise. Les exemples que vous avez donnés me permettent de mettre en valeur ceux que je connais et que je vis quotidiennement. Je suis dans cette commission pour essayer de trouver des solutions pour corriger ces injustices entre les collectivités locales.

M. Robert PANDRAUD : Je reprends ce que disait mon collègue, personne ne se sent pas à l'aise, ni les investisseurs qui font un véritable parcours du combattant dans l'administration française, ni les fonctionnaires ou agents des services publics divers qui accumulent des statistiques, souvent ni demandées ni croisées, et les surenchères entre collectivités locales superposées, avec des contrôles épisodiques.

Ne pensez-vous pas que dans les interventions économiques, on devrait faire jouer une règle de subsidiarité, et qu'il faudrait interdire à telle ou telle collectivité d'intervenir ? Il me paraît impossible d'accepter longtemps cette surenchère, ces petites aides, car beaucoup d'argent public est perdu, sans même que les investisseurs connaissent des contrôles, d'où une dilution des responsabilités.

Il y a longtemps, nous étions fiers de notre administration, elle est devenue tellement complexe et bizarre que nous ne nous y retrouvons plus. Il faudrait un effort de clarification. Je saurais gré aux Chambres régionales des comptes d'effectuer des analyses nous permettant d'entrevoir ou de préparer une décision.

Je sais que je prêche dans le désert, et que nous ne parviendrons jamais à ces objectifs. J'ai été un des rares à être contre la décentralisation anarchique de 1982, je le reste. Quand je dépose des amendements dans ce sens, en général je ne recueille que deux ou trois voix, d'ailleurs aujourd'hui seule la mienne est sûre.

Mais cela ne me décourage pas. Je constate dans de nombreux domaines que j'avais raison, que cette décentralisation non contrôlée a généré des situations très difficiles. Quand je pense à ce qu'était le contentieux administratif et ce qu'on appelait le socialisme municipal au début du siècle, nous avons beaucoup évolué.

M. le Président : Nous avons aussi l'administration que mérite le législateur.

M. François LOOS : Trois questions un peu plus précises.

Souhaitons-nous politiquement avoir des aides à la localisation ? Pour accueillir une entreprise, il faut réunir des conditions, donc un terrain, un bâtiment, des transactions où la collectivité de proximité intervient. Même si on interdisait les aides, il y en aurait quand même. A partir du moment où une route est construite, par exemple, il y a forcément une intervention publique.

M. Robert PANDRAUD : Touchant à l'environnement général...

M. François LOOS : D'où des concurrences entre les commune. J'ai vu le cas dernièrement dans ma région : deux zones industrielles distantes de 20 km ; une entreprise avait décidé d'aller dans la zone A, la zone B a baissé le prix du terrain, moyennant quoi la société en a parlé à la zone A. Cette dernière s'est alignée, alors que ce n'était absolument pas nécessaire.

Savez-vous évaluer les écarts de coût à la localisation existant en France entre les zones, par rapport au Portugal, à la Grèce, etc ? Ma région, l'Alsace, n'a pas le droit d'apporter beaucoup d'aides quoique le pourcentage ne soit pas élevé.

A-t-on l'habitude en France d'engager des poursuites internationales quand une entreprise part  indûment ? J'ai des exemples. Après avoir obtenu des facilités, au mois d'août une entreprise déménage ses machines et s'en va. Comment lui faire honorer son contrat ? La collectivité ne sait comment engager une poursuite à l'étranger. Est-il possible de l'aider dans ce domaine ?

M. René LEROUX : Je rejoins complètement les propos de mon collègue, et en partie ceux de M. Pandraud.

J'ai vécu une petite expérience lundi. J'étais dans le département du Morbihan, deux communes se sont rencontrées sur un même dossier, l'une d'elles a dû le mettre à l'ordre du jour de son conseil municipal pour découvrir que la commune voisine avait le même affaire au sien !

Que font les maires ou les conseillers généraux ou régionaux ? Ils gardent le secret le plus longtemps possible sur une implantation de PME ou de PMI. Et certains savent en jouer.

Il faudrait connaître les antécédents des entreprises, les aides obtenues auparavant, les emplois créés, etc.

Il est vrai qu'à l'échelle régionale, le lieu serait le plus approprié pour examiner la totalité des dossiers, le département étant libéré de ses responsabilités.

M. Alain COUSIN : Nos observations démontrent combien le dossier est complexe, et s'il était simple nous le saurions.

M'occupant de ces affaires depuis quelque temps déjà dans ma région, je n'ai pas le sentiment que les dérapages aussi globalement aussi importants. Votre intervention résulte d une lecture extrêmement pessimiste de la situation même si chaque aide induit des effets pervers que je condamne comme tout un chacun évidemment.

Pour autant, la surenchère que vous avez dénoncée existe fort justement au niveau des collectivités locales, départements et régions, mais aussi des Etats. J'ai des exemples où les ministres, quel que soit le gouvernement, font ce qu'ils peuvent, « mettent la main au porte-monnaie » pour que l'implantation ait lieu au moins sur le territoire national.

Nous avons tous à balayer devant notre porte. S'agissant de développement économique, tout le monde est preneur.

Je ne comprends pas très bien votre observation s'agissant des contrôles. Dans ma région, les services de l'État font très bien leur travail et ne donnent une partie de la prime au début et le solde au bout de trois ans, que si le contrat est rempli. Sinon il y a réclamation et si le département est saisi, parce que l'entreprise est en difficulté, son cas est examinée par le Conseil général en séance plénière.

J'ai le sentiment que les contrôles existent. Lorsque vous évoquez un tiers indépendant. je suis surpris parce que, pour moi, l'administration de l'État constitue ce tiers et je ne vois pas pourquoi serait créée un échelon supplémentaire de contrôle. Lorsque la Direction du Travail, la DRIRE interviennent et me font des observations, je considère qu'elles sont à prendre en compte, je n'imagine qu'un tiers puisse s'y substituer.

Tout le monde cherche à faire preuve d'imagination pour créer de l'activité économique dans sa région. Finalement les systèmes sont semblables un peu partout : la PRCE, la PRE, les aides à l'acquisition de terrains, aux bâtiments, etc.

Lorsque certaines entreprises font leur marché, les différentiels ne me paraissent pas très importants.

Finalement, je suis convaincu que l'argent public se perd néanmoins en grade partie, qu'il faut probablement supprimer l'essentiel des aides en tout cas celles qui sont liés à l'emploi, mais accompagner les entreprises qui consentent des efforts un peu particuliers dans des secteurs inhabituels pour elles et où les investissements sont lourds.

Je serais assez disposé à retirer certaines aides liées à l'emploi au profit d'aides à l'activité économique. A partir de là, mécaniquement, l'emploi sera présent. Or, toute notre réflexion - de l'État jusqu'aux départements - est liée à celui-ci. La PRE donne tant par emploi, après, les administrations suivent.

Il faudrait peut-être revenir à l'amont, sur les Contrats de Plan Etat-Région. Quelle est la stratégie de développement économique d'une région, en fonction de ses richesses potentielles ? Certaines ont des spécificités dans tel ou tel secteur. Il serait bon de mener une véritable réflexion, d'assurer un accompagnement.

Je pense d'ailleurs que les grands groupes pourraient accompagner, dans leur réflexion stratégique, les collectivités territoriales, dont cette réflexion n'appartient pas à leur culture. et pourraient peut-être mettre à leur disposition des personnes capables d'intervenir en ce sens.

Je ne suis pas pessimiste. J'entends toujours parler des chasseurs de primes. Il en existe, c'est vrai, mais comme pour les trains, on ne parle que de ceux qui arrivent en retard. Je crois pouvoir dire qu'il y a beaucoup plus d'entreprises honnêtes que malhonnêtes. A mon humble niveau, je voudrais ainsi indiquer ce que je constate au quotidien.

Au total, Je m'orienterai davantage vers la suppression des primes liées directement à l'emploi en vous demandant ce que vous en pensez, et en apportant plutôt des aides au conseil et au bâtiment, la démarche étant la même au niveau des Etats.

Enfin, je voudrais être sûr que le contrôle est identique dans tous les pays, c'est une égalité que je revendique. Est-ce possible ?

M. Alain PICHON : Je vais essayer de reprendre les questions dans l'ordre.

Il serait intéressant, sur l'exemple de la société canadienne qui est venue s'implanter dans la région de Tours, puis a disparu corps et biens, d'avoir des précisions.

Etait-il possible de connaître à l'avance son degré de solvabilité, de sérieux, ou n'avait-elle pas organisé son insolvabilité et sa disparition en tant que personne morale saisissable sur le territoire national ? Mais il y a peut-être des possibilités d'actions hors du territoire. Jusque-là on est un peu démuni, il faut le reconnaître, celles-ci sont très rares, du moins pour des cas individuels. Les communes de Bretagne ont rencontré bien des difficultés pour obtenir des remboursements après la catastrophe de l'Amoco Cadiz.

Il est vrai que des collectivités locales sont plus séductrices que d'autres, elles peuvent avoir un environnement agréable de type climatique, des richesses urbaines, un effet de proximité. Et certaines, qui ne sont dotées ni par la nature, ni par l'histoire, ni par la géographie des mêmes avantages, essaient de séduire avec d'autres arguments, mais il y a une gradation dans les effets de séduction, elles peuvent le faire avec de beaux atours, des parfums, ou du dopage, quasiment de la drogue, pour reprendre un terme à la mode.

Il faudrait admettre les aides indirectes précédées d'études de marché, supprimer les primes à l'emploi.

Faut-il introduire un principe de subsidiarité, interdire aux collectivités de moindre rang d'intervenir ? On a essayé : la loi de 1982 avait posé comme principe que la Région était pilote et que, si elle donnait un signal, les départements et les communes pouvaient agir de façon complémentaire. Vous connaissez les résultats. Les collectivités ont décidé, dans certains cas, de jouer leur jeu propre.

De ce point de vue-là - je parle sous ma seule responsabilité - je suis un peu inquiet de voir qu'on ne fait rien de façon concrète, si je puis dire, pour réduire le nombre des collectivités, qu'on est parti pour entrelarder les niveaux actuels d'autres niveaux moins connus : quand ce ne sera pas la commune, ce sera le pays, l'agglomération, etc, d'où un maquis inextricable, dans lequel les entreprises auront du mal à se retrouver, ou, si elles sont malignes, joueront leur jeu et sauront grappiller de-ci de-là.

Je me suis peut-être mal fait comprendre tout à l'heure. Si mon propos vous a paru pessimiste, je le corrige. J'ai un métier qui, hélas, me pousse au pessimisme. Si vous interrogiez un gendarme, il vous dirait qu'il ne voit que les mauvais conducteurs sans repérer les bons.

Quand j'ai parlé de tiers indépendant, ce n'était pas une remise en cause éventuelle des services de l'Etat. Je partage votre point de vue. Dans certains départements j'ai le sentiment qu'il effectue très correctement ce travail de contrôle. Dans d'autres, je ressens un peu plus de réserve ou de réticence. Cela tient peut-être à des attitudes, à des traditions historiques, ou au fait que les services régionaux considèrent que c'est leur affaire et que les services de l'État n'ont pas à être sollicités. Je connais au moins un ou deux cas. Pourtant, tous sont dans la même « galère » et doivent travailler ensemble. Il me paraît donc positif de solliciter les services de l'État.

Faut-il avoir le courage de supprimer les aides directes, pour s'en tenir uniquement à celles indirectes ou à une analyse préalable de la qualité du dossier ? Je crains que ce soit un voeu pieux. Comment être sûr que cela sera respecté et ne sera pas rétabli autrement, de manière indirecte ou implicite ?

Faut-il aller jusqu'au bout du principe de subsidiarité et dire « désormais, les communes et les départements n'ont rien le droit de faire, seule la région peut octroyer une aide économique directe, et celles indirectes sont subordonnées à son autorisation ? ». Cela pose un problème constitutionnel en raison de l'article 72 de la Constitution relatif à la « libre administration des collectivités locales » et un problème politique que je vous laisse imaginer.

Avant la décentralisation, les communes étaient dans un système de tutorat mineur et, si l'État en la personne du préfet ne disait pas oui, il ne se passait quasiment rien.

Quand on pousse dans leurs retranchements certains élus locaux, ils disent "en définitive, avant la décentralisation ce n'était pas mal, parce qu'on était sous la tutelle de l'Etat, mais si elle était un peu lointaine et relativement objective, elle prenait ses responsabilités. Maintenant, ou on est en première ligne et on a des ennuis, ou on est sous la tutelle du Département ou de la Région et ce n'est pas mieux."

Je leur laisse la responsabilité de leurs propos. Ce n'est pas une remise en cause de la décentralisation, loin de là, mais le système de mille-feuilles actuel est un peu surprenant. Il faudrait avoir le courage de dire "les collectivités en font trop, si elles veulent intervenir, qu'elles le fassent avec la qualité de leur environnement géographique, historique, sans cette espèce de surenchère, de primes, d'avantages fiscaux qui dénature la concurrence."

Il faudrait un acte courageux et être certain d'un respect dans la durée. Sinon, très vite, chaque collectivité sera tentée d'essayer à nouveau de séduire par tous les moyens.

M. Robert PANDRAUD : La décentralisation a beaucoup désorganisé les services de l'Etat. Auparavant, dans les préfectures il y avait un excellent cadre, qui a été écrémé au profit des collectivités locales, des tribunaux administratifs, des hôpitaux, des Chambres régionales des comptes, etc. Après les départs, les remplacements n'ont pas toujours été effectués. Le contrôle de légalité est souvent une gigantesque plaisanterie. S'il existait réellement, votre chiffre d'affaires diminuerait.

Je ne demanderais pas mieux que le contrôle de légalité soit rétabli dans toute sa pertinence. Mieux on fait en amont, mieux les contrôles préalables ou préventifs jouent, moins après on a à soigner ou à constater les dégâts.

De ce point de vue, le contrôle de légalité a beaucoup été perturbé dans la période 1982-1992. Il commence un peu à se rétablir, il y a eu une amélioration parce qu'il y a eu des recrutements. Les préfets arrivent, dans certains cas, à donner des indications de façon sélective. Mais quand on voit tous les actes soumis potentiellement au contrôle de légalité, on est pris de vertiges. Il faudrait peut-être faire un tri.

Est-ce qu'en Aquitaine vous aviez des zones franches ?

M. Alain PICHON : Oui, dans l'agglomération de Bordeaux. J'ai assisté à leur naissance. En tant que Président de la Chambre régionale des comptes, je n'ai pas encore eu a posteriori à en évaluer les effets.

M. le Président : En tant que maire adjoint chargé des finances de la ville de Nîmes, je confirme la nécessité d'un meilleur contrôle de légalité des décisions municipales.

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