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TOME II
SOMMAIRE DES AUDITIONS

LES TEMOIGNAGES DES EXPERTS
Les témoignages sur la notion de groupe (suite)

Madame Isabelle MOURES, Sous directrice de la sous direction "branches et entreprises" à la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (24 février 1999).
Avertissement

Conformément aux alinéas 1er et 3 de l'article 142 du règlement de l'Assemblée nationale qui disposent que « les personnes entendues par une commission d'enquête sont admises à prendre connaissance du compte-rendu de leur audition », (les intéressés ayant la faculté de produire des observations par écrit), toutes les personnalités entendues ont été invitées à faire part des observations éventuelles que pouvait appeler de leur part le procès-verbal de leur audition.
Certaines n'ayant pas cru devoir donner suite à cette invitation, la Commission a été amenée à considérer que leur silence valait approbation et le procès-verbal les concernant est publié dans le texte qui leur a été soumis.
En outre, un certain nombre de personnalités ont eu l'obligeance de transmettre à la Commission divers documents, soit avant, soit à l'issue de leur audition. Le volume de ces dépôts ou de ces envois est tel qu'il a été matériellement impossible de les reproduire au sein du présent rapport qui s'en tient strictement aux procès-verbaux des auditions.
Seul le relevé des aides reçues par le groupe Moulinex, tel qu'il a été fourni par sa direction, fait exception dans la mesure où ce relevé constitue une information essentielle à la réflexion de la commission d'enquête, celle-ci regrettant que les autres groupes n'aient pu fournir les mêmes renseignements avec autant de précision.

Le témoignage de la Délégation à l'emploi et à la formation professionnelle et une première approche sociale

Audition de Mme Isabelle MOURES,
Sous directrice de la sous direction « branches et entreprises » à la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle

(extrait du procès-verbal de la séance du 24 février 1999)

Présidence de M. Alain FABRE-PUJOL, Président

Mme Isabelle Moures est introduite.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, Mme Isabelle Moures prête serment.

Mme Isabelle MOURES : Mme Rose-Marie Van Lerbergh, la Déléguée générale à l'emploi et à la formation professionnelle n'a pu répondre à votre convocation puisqu'elle représente Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité au sommet du G 8, et j'ai donc l'honneur de la représenter.

A ce titre, j'ai pris connaissance de la note d'orientation qui précise le mandat de votre commission de même que de la proposition de résolution initiale qui part du constat que les cinquante premiers groupes français auraient réduit leurs effectifs de 1,4 % en 1997, ce qui vous conduit à vous interroger sur l'efficacité des aides que ceux-ci peuvent percevoir de la puissance publique.

Que peut en dire la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle ?

Je rappellerai d'abord quel est le dispositif mis en place par le ministère de l'emploi et de la solidarité puis j'indiquerai, à l'aide de quelques illustrations, dans quel contexte celui-ci est mobilisé.

Ce dispositif prévoit :

1. des mesures structurelles en faveur du développement de l'emploi que sont aujourd'hui la réduction du temps de travail, les emplois-jeunes, mais aussi des allégements de charges sociales ;

2. des soutiens accordés dans le cadre de la lutte contre les exclusions, notamment pour favoriser l'embauche ou la formation des populations en difficulté ;

3. des mesures accordées aux salariés menacés de perdre leur emploi du fait des difficultés que connaît leur entreprise afin de favoriser leur reclassement ou, pour les plus âgés, organiser leur retrait du marché du travail au moyen des préretraites ;

4. la formation et la qualification des salariés et des chômeurs pour favoriser leur insertion ou leur évolution professionnelle et assurer ainsi leur «employabilité» - je pense en particulier aux engagements de développement de la formation et aux mesures du Fonds social européen Objectif 4.

Telles sont les quatre grandes actions que nous mettons en _uvre. Il s'agit de mesures générales destinées à des «populations» déterminées mais nous n'octroyons pas d'aides directes aux entreprises ou aux établissements, même si une entreprise qui s'installe dans un site donné peut profiter indirectement des investissements de la collectivité en recrutant, par exemple, des salariés qui ont été préalablement formés grâce au service public de l'emploi.

Je vous propose d'illustrer mon propos par deux exemples tirés de contextes très différents : d'une part les grands groupes industriels, d'autre part des entreprises qui dans le secteur tertiaire créent beaucoup d'emplois.

L'emploi industriel a diminué de façon importante depuis une vingtaine d'années en France, aux États-Unis , en Grande-Bretagne, en Allemagne. Seul le Japon a fait exception entre 1975 et 1980. Cela résulte d'une évolution économique sur laquelle je ne m'attarderai pas qui tient au contexte de mondialisation des échanges et de périodes de récession, mais cela résulte aussi des stratégies de gestion de l'emploi qui ont été mises en _uvre dans les grands groupes industriels.

Ces groupes se sont, comme on le dit souvent, recentrés sur leur métier et ont externalisé une partie des fonctions qui se trouvaient autrefois en leur sein. Cette situation a été parfaitement décrite dans un ouvrage de M. Bernard Bruhnes paru en 1994 sur «l'Europe de l'emploi» et je me référerai à son analyse qui montre que la situation que nous connaissons en France existe partout ailleurs, que ce n'est pas une caractéristique des grands groupes français que d'avoir externalisé bon nombre de leurs fonctions, que cette stratégie a été conduite dans toute l'Europe même si le contexte et les formes ont été parfois différentes.

Les grands groupes industriels ont commencé par externaliser des fonctions qui pouvaient être jugées périphériques comme le nettoyage et le gardiennage. Puis ils ont externalisé des fonctions de plus en plus qualifiées, comme l'informatique, la maintenance, les télécommunications et la gestion immobilière. Dès lors, aujourd'hui, si ces sociétés mères créent et font vivre un produit, en revanche une bonne partie des travailleurs qui contribuent à le fabriquer n'est plus directement employée par le groupe auquel le nom du produit est attaché.

Les dirigeants eux-mêmes nous expliquent, quel que soit le contexte dans lequel se développe leur activité, que cette externalisation est pour eux un des éléments qui leur permet de s'assurer un moment donné de la compétence la plus «pointue» dans un domaine précis.

C'est un mouvement de fond qui se traduit par la diminution des effectifs dans le secteur industriel et leur progression dans le secteur tertiaire, la progression actuelle du tertiaire tenant, pour partie, aux effectifs qui se trouvaient comptabilisés dans l'industrie il y a cinq, dix ou quinze ans.

Aussi la situation de l'emploi dans et autour des groupes est souvent décrite aujourd'hui comme comportant :

1. un « noyau dur » au sein duquel sont employés des salariés sous contrat à durée indéterminée ;

2. dans un bon nombre de cas, des fonctions jugées plus périphériques confiées à des salariés sous contrat à durée déterminée, voire à temps partiel ;

3. puis, en s'éloignant davantage du c_ur du métier, on trouve l'intérim, la sous-traitance et le travail indépendant.

Telle est la réalité à laquelle nous sommes confrontés depuis plusieurs années.

Quel rôle la politique de l'emploi est-elle en mesure de jouer face à ces évolutions qui constituent des tendances lourdes impossibles à contrecarrer sinon en les accompagnant afin que, dans la mesure du possible, la situation des salariés soit prise en considération et préservée.

Je prendrai une première illustration.

Face aux restructurations de nombreux secteurs d'activité et de bon nombre de grands groupes industriels, le ministère de l'emploi et de la solidarité a été appelé à mobiliser des mesures de préretraite en faveur des salariés âgés menacés de licenciement, mais sous certaines conditions  : 

1. que l'entreprise connaisse des difficultés économiques ou une atteinte à sa compétitivité ;

2. que soit engagée une procédure de licenciement économique qui, vous le savez, s'effectue sous le contrôle du juge lequel s'attache à vérifier qu'il y a bien un motif économique et, dans ce domaine, la Cour de cassation a joué un rôle très vigilant en refusant comme motif de licenciement économique la simple recherche d'une amélioration de la compétitivité ;

3. ces préretraites ne sont pas destinées aux entreprises mais constituent des mesures à caractère général qui profitent aux salariés et notamment à ceux des secteurs qui ont détruit beaucoup d'emplois, c'est-à-dire en premier lieu l'industrie ;

4. depuis un bon nombre d'années, nos pratiquons une régulation par les coûts, afin de provoquer une «responsabilisation» des entreprises et c'est ainsi que les contributions, qui sont déjà plus élevées pour les grandes entreprises, ont été progressivement alourdies afin d'impliquer davantage celles-ci et de tenir compte de perspectives démographiques défavorables ;

5. la vigilance de l'administration du travail à l'égard des plans sociaux et des efforts de reclassement est d'autant plus importante que l'entreprise est de taille significative tant il est clair que le reclassement des salariés peut être d'autant mieux réussi que l'entreprise y consacre des moyens importants ;

6. l'implication de l'entreprise - notamment lorsqu'il s'agit de la fermeture d'un site dans une région où il y a déjà eu beaucoup de suppressions d'emplois industriels - doit se traduire par une «réindustrialisation» de ce site, l'administration n'ayant pas, quant à elle, vocation à se substituer à l'entreprise pour estimer que tel ou tel site doit être maintenu au détriment de tel autre ou comment doit s'opérer cet effort de réindustrialisation.

Que pouvons-nous faire d'autre ?

Nous avons vu qu'autour des grands groupes se sont constitués des entreprises nouvelles, des secteurs nouveaux : les secteurs de la propreté, du gardiennage, des services informatiques... Or, au départ, il n'existait pas, dans ces secteurs, de conventions collectives. Il a donc fallu y constituer un socle de garanties sociales et c'est ainsi que les conventions collectives s'y sont largement développées de telle sorte qu'à côté des garanties dont profitent les salariés des grands groupes, se sont progressivement constituées des garanties propres à ces nouvelles branches professionnelles.

Notre vigilance a été également attirée sur un point qui nous paraît capital, qui tient à ce que la meilleure protection d'un salarié ou d'un chômeur résulte d'abord de son niveau de formation, de sa compétence, de son «employabilité», de sa qualification d'où nos efforts en faveur de la formation.

Toutefois, les interventions du ministère de l'emploi et de la solidarité sont surtout concentrées dans ce domaine sur les petites et moyennes entreprises, ce qui est tout à fait légitime et correspond aux directives communautaires relatives aux aides à la formation. S'agissant, par exemple des engagements dans le domaine de la formation professionnelle, les établissements de moins de cinq cents salariés représentent 98 % du nombre des établissements aidés et 78 % des salariés formés. Il en est de même pour les aides à la formation mises en place dans un contexte de restructuration. Je pense ici aux mesures du Fonds national de l'emploi.

Nous savons, d'ailleurs, que de petites entreprises dynamiques agissant dans des secteurs particulièrement affectés par la concurrence internationale se sont constituées des «niches» compétitives grâce à un certain nombre d'avantages comparatifs au nombre desquels figurent la formation du personnel, sa qualification, l'innovation, la valeur ajoutée que représente un travail de haut niveau intégré dans les produits. Au-delà de la seule question du coût du travail, la performance globale d'une entreprise ou d'un secteur d'activité est l'un des atouts sur lesquels les entreprises peuvent se fonder.

Pour donner une illustration des interventions du ministère de l'emploi et de la solidarité dans le domaine de la formation professionnelle, j'évoquerai les projets territoriaux de formation des salariés qui seront engagés ou poursuivis dans les principaux bassins d'emploi du textile et de l'habillement. C'est le cas à Roanne où le plan Mutex regroupe cinquante entreprises dans un programme collectif de formation qui reprend certains enseignements tirés des performances des districts industriels, notamment dans le domaine de la qualité des coopérations industrielles et se trouve porté par la commune, la chambre de commerce et d'industrie, les organisations professionnelles et les services de l'Etat.

Je donnerai une autre illustration des interventions du ministère en évoquant le secteur tertiaire qui correspond à des problématiques de gestion des emplois tout à fait différentes. Par exemple, la grande distribution est un secteur qui s'est beaucoup développé et qui a créé beaucoup d'emplois. Dans un premier temps, certains se sont substitués aux emplois dans les petites commerces dont le nombre avait progressivement beaucoup diminué. Mais une part du développement du secteur constitue aussi la réponse à des besoins nouveaux et c'est ainsi qu'en 1998 les groupes de la grandes distribution sont ceux qui ont connu les plus fortes hausses d'effectifs.

Compte tenu de la gestion de la main d'_uvre dans ce secteur, nous devons y porter une attention particulière afin d'y favoriser, d'une part, la recherche du temps partiel choisi et de contribuer, d'autre part, à renforcer les actions tendant à développer la formation.

Nous avons constaté qu'au fil des années la croissance française s'était beaucoup enrichie en emplois. Autrefois, on ne créait des emplois qu'à partir d'un taux de croissance de 3 %. Aujourd'hui, l'économie française crée des emplois à partir d'un taux de croissance de 1,5 %. Une série d'évolutions est à l'origine de cette situation, notamment ce mouvement de tertiarisation de l'économie et de la contribution de la politique de l'emploi au travers de la réduction du temps de travail, des emplois-jeunes, des allégements de charges.

Pour ce qui est du travail à temps partiel - laquelle explique une partie de l'enrichissement de la croissance en emplois - sa diffusion a été encouragée par la mise en _uvre de dispositifs tels que les allégements de charges sociales en faveur du temps partiel. Le secteur de la distribution est d'ailleurs un de ceux qui a tiré parti de ces allégements pour créer des emplois et, aujourd'hui dans certaines situations, le temps partiel peut être une opportunité pour l'entreprise et pour les salariés même si la nécessité est apparue de limiter certaines dérives et de faire en sorte que son développement ait des effets durables.

A cet égard, nous observons que dans le cadre des négociations de branche sur la réduction du temps de travail, le rapprochement du statut des salariés à temps complet et du statut des salariés à temps partiel est l'une des questions évoquées par les partenaires sociaux qui s'accordent sur une augmentation de la durée minimale de travail des salariés à temps partiel ou sur une limitation de leurs coupures d'activité.

En ce qui concerne la formation, les politiques de soutien au développement des compétences ont également tout leur sens dans la mesure où une meilleure qualification des salariés constitue aussi pour les entreprises un service plus apte à répondre aux attentes des clients et des potentialités de développement accrues.

Enfin les interventions du ministère de l'emploi et de la solidarité peuvent trouver un intérêt particulier lorsqu'elles permettent de développer l'employabilité» des salariés au travers de l'organisation de parcours professionnels. C'est ainsi que dans le secteur de la distribution alimentaire, les interventions que peut réaliser le ministère ont été concentrées sur les petites entreprises, mais un volet particulier s'adresse aux entreprises de taille plus grande, sous réserve qu'il s'agisse de projets qui débouchent sur des acquis de compétences supplémentaires.

M. le Rapporteur : Quelle définition donneriez-vous de l'employabilité ? C'est un terme dont on entend parler un peu partout. J'ai le sentiment que c'est un mot nouveau. Qu'est-ce qu'être employable ?

Ma deuxième remarque portera sur les effectifs dans les grands groupes, en particulier dans l'industrie. Un de vos prédécesseurs, nous a indiqué que contrairement à ce que l'on pense, les effectifs dans l'industrie n'ont pas diminué, si ce n'est que l'on a externalisé et surtout que l'on a recours de plus en plus à l'intérim. Or l'intérim relève du secteur tertiaire, y compris lorsque les intérimaires interviennent dans le secteur secondaire, ce qui fausse tout de même un peu la donne. C'est un élément important, car cela donne un autre sens à la notion d'intérim. 

L'exemple m'est revenu en vous écoutant du groupe Unilever qui a délocalisé le thé Lipton. C'est un grand groupe qui ne fait d'ailleurs pas partie de ceux dont nous allons auditionner les dirigeants. Ils ont regroupé autour de Marseille les entreprise permettant de fabriquer le thé noir. Ceux qui étaient d'accord pour partir de Normandie y sont allés. En tout cas, la moitié du personnel est resté sur le carreau. Ce groupe n'a jamais obtenu d'aides. Il n'a fait aucune demande d'aide pour délocaliser ni à l'Etat, ni à l'Europe, ni à la région PACA. Quelle prise a-t-on sur une opération qui résulte du seul souci d'améliorer les marges alors que l'entreprise Lipton avec ses 250 salariés du Havre était éminemment rentable.

Vous avez parlé des plans territoriaux de formation (PTF). Sur un certain nombre de territoires, ne serait-il pas possible de mieux mettre en synergie ce qui se fait au niveau des grands groupes avec les PME et les PMI même quand celles-ci ne sont pas clientes, sous-traitantes ou filiales de ceux-ci ?

Qu'est-ce ce que l'on entend au juste par les PTF ?

Vous avez noté l'explosion du temps partiel dans la grande distribution. S'il a pu exister pendant un moment un problème de concurrence, même culturelle, avec d'autres surfaces de vente, nous n'en sommes plus là aujourd'hui. La plupart des grandes villes sont entourées par des grands distributeurs et la loi ne leur permettant plus de s'agrandir ou de se multiplier, ils se mangent entre eux. Il y a quelques mois, Auchan a absorbé Mamouth. Nous recevrons les représentants de Promodès. Nous verrons bien mais j'ai le sentiment que le seul souci est d'augmenter encore leur rentabilité.

Je m'interroge donc sur les effets pervers de lois ayant pour objectif de favoriser l'accès à l'emploi, même à temps partiel, mais qui, utilisées de cette manière-là, aboutissent à des résultats contraires à ceux escomptés. L'hypermarché Auchan auquel je pense licencie sous le moindre prétexte essentiellement des personnes qui travaillent à temps complet, lesquelles sont systématiquement remplacées par des personnes qui travaillent à temps partiel, avec impossibilité pour elles d'accéder à un emploi à temps complet. Il y a donc dégradation de l'emploi, Dès qu'un élément pourrait permettre d'augmenter la durée du temps partiel, on procède systématiquement à une autre embauche à temps partiel. On crée des emplois, certes, mais dans quelles conditions !

Quelle est la part des préretraites dans les grands groupes ? Comment les grands groupes bénéficient-ils des autres aides à l'emploi ?

M. le Président : Vous nous avez indiqué que dans un premier temps, les emplois dans la grande distribution s'étaient substitués aux emplois du petit commerce et qu'aujourd'hui celle-ci était créatrice d'emplois répondant aux besoins nouveaux des consommateurs. Pouvez-vous préciser ce point ?

Mme Isabelle MOURES : Je vous fournirai les éléments dont je dispose.

Le terme d'employabilité est utilisé avec des acceptions très différentes. Il importe donc de préciser sa définition. C'est la raison pour laquelle je tâche de ne jamais l'employer seul mais avec les mots «compétence», «qualification», «formation». La définition que je propose est celle qui fait référence aux éléments qui contribuent à améliorer la capacité d'un individu à s'insérer professionnellement ou à garder son emploi en développant le triptyque compétence/qualification/formation, voire adaptation. Mais je suis consciente de la difficulté de la question. Nous avons régulièrement des échanges avec les partenaires sociaux sur ce sujet, parce que, à l'évidence, cette notion fait l'objet d'acceptions très différentes.

M. le Rapporteur : Parfois perverses !

Mme Isabelle MOURES : Concernant les effectifs des grands groupes et l'intérim, l'INSEE a dû faire allusion aux résultats publiés en 1997. Je me suis fait la même réflexion. Si l'on reprend les chiffres de l'INSEE pour 1997, cette année de croissance soutenue s'est traduite par une croissance de l'emploi de 1,1 %. L'INSEE ajoutait que la hausse de l'emploi salarié s'était cantonnée dans le secteur tertiaire où elle atteignait 2,5 %, alors que les effectifs diminuaient de 0,6 % dans l'industrie. Mais, ajoutait l'INSEE, si l'on reclasse dans l'industrie un peu plus de la moitié des emplois supplémentaires créés dans l'intérim mais qui s'exercent en milieu industriel, on observe alors qu'en 1997 l'industrie a également été créatrice d'emplois.

En revanche, ces travaux de reclassification pour l'année 1998 n'ont pas dû être encore réalisés car je ne les ai pas trouvés. Je crois que ceci est le reflet de la situation, c'est-à-dire que le recours à l'intérim masque une partie de la création d'emplois, avec des contextes et des contours très différents, car en pratique, l'intérim, comme le contrat à durée déterminée, revêt des formes différentes dans les différentes industries.

M. le Président : Je pense que vous avez des relations privilégiées avec l'ASSEDIC et l'UNEDIC, qui ont du vous fournir des chiffres ?

Mme Isabelle MOURES : Oui. Si vous souhaitez que je vous fournisse les éléments comparables provenant de l'ASSEDIC et de l'UNEDIC, je le ferai volontiers.

M. le Président : Je vous pose la question de façon assez peu courtoise puisque je connais la réponse. Il nous est apparu hier dans le cadre d'une audition que l'INSEE puisait ses chiffres auprès de l'UNEDIC ce qui interdit toutes vérifications par croisement. Il est vrai qu'une des questions que nous commencions à nous poser au bout de deux mois d'auditions était de savoir les raisons pour lesquelles les différentes administrations n'arrivaient jamais à croiser leurs informations pour aboutir à des données cohérentes. Dans le cas précis, le problème ne se pose pas puisque la source étant unique ne peut être validée.

M. le Rapporteur : C'est en effet une des questions que nous nous posons. Il existe en France une multitude d'organismes qui se préoccupent de l'emploi, des entreprises et du monde du travail. Chaque organisme public ou para-public a ces éléments statistiques, mais ceux-ci sont rarement croisés. Avec toutes les précautions d'usage en matière de garantie des libertés, j'ai le sentiment que nous nous privons là d'un outil statistique alors que nous sommes face à un problème dont la réponse exige un tel outil. Quant à ce que vous avez dit concernant les chiffres de l'INSEE pour 1997, nous l'avons su hier presque par hasard, au cours d'une audition, alors que cela aurait dû être mis en évidence beaucoup plus tôt par l'INSEE elle-même.

C'est une des questions qui sera posée avec force dans les conclusions du rapport de la commission d'enquête. Qu'est-ce qui, en France, empêche la mise en place d'un outil qui serve à tous les acteurs du terrain - délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle, UNEDIC, ministère des finances, etc. -, afin d'avoir l'appréhension la plus pertinente possible de l'évolution de la situation et d'y apporter des réponses ?

Quand aurons-nous les résultats de l'INSEE pour 1998 ?

Mme Isabelle MOURES : J'ai retrouvé les données de l'INSEE dans un livre de poche sur l'économie française qui paraît chaque année. Les données de l'UNEDIC que vous évoquiez concernent le champ de l'assurance chômage. Les questions de frontières sont déterminantes dès que l'on veut croiser des données. C'est une des difficultés de l'exercice quotidien de maniement de ces données. Je ne suis donc pas en mesure de vous dire, à la place de l'INSEE, quand ces données seront publiées.

J'en viens au cas d'Unilever.

M. le Président : Nous avons provoqué une incidente sur la mise en commun d'un certain nombre d'informations dans l'administration mais la question de mon collègue concernait aussi le regard que vous pouvez porter sur l'utilisation par les grands groupes des pratiques d'externalisation et de recours à l'intérim. Vous ou votre direction en avez-vous une analyse particulière ?

Mme Isabelle MOURES : C'est pour cela que j'ai évoqué le rôle de la négociation sociale. L'une des façons de poser le problème autrement qu'en termes généraux, c'est la négociation sociale. C'est pourquoi j'ai pris l'exemple des accords sur la réduction du temps de travail. Concrètement, ce que nous avons vu et que nous n'attendions pas dans le cadre de ces négociations sur l'organisation du travail, est le fait que les partenaires sociaux eux-mêmes, au sein des entreprises ou des branches professionnelles. ont jugé que pour traiter les sujets d'organisation du travail, il devaient intégrer la dimension de la précarité.

Je pense que c'est une bonne façon de procéder, parce que derrière l'intérim, il n'y a pas seulement le jugement que l'on peut porter sur la situation des salariés et le caractère inacceptable des différences sociales entre les salariés qui sont au c_ur de l'entreprise et les autres. Il y a aussi des questions relatives à l'organisation du travail que l'on ne peut guère poser de façon théorique, parce qu'elles correspondent à des réalités très différentes suivant les branches professionnelles et les entreprises. C'est pourquoi la façon la plus opérationnelle de poser concrètement le sujet me paraît être la négociation sociale.

M. le Rapporteur : Pour en revenir à Unilever, de quels outils dispose-t-on lorsqu'un groupe indépendant totalement privé qui ne demande rien en matière de fonds publics, qui paie ses impôts, qui est transparent, estime que son activité, déjà rentable sur le site, le sera plus encore à mille kilomètres ?

Mme Isabelle MOURES : Vous disiez que dans cette opération, la moitié du personnel était restée sur le carreau. Vous vouliez parler de licenciements pour raison économique ?

M. le Rapporteur : Oui.

Mme Isabelle MOURES : J'ai rappelé tout à l'heure la position de la Cour de cassation sur ce sujet. A l'occasion d'une affaire qui concernait Thomson Tubes électroniques, la cour de cassation a précisé la notion de motif économique en disant qu'il n'était pas la simple recherche d'une meilleure compétitivité. Elle peut être exclusivement invoquée en cas de difficulté économique ou de menace pour la compétitivité de l'entreprise. Elle ajoutait un autre élément très important s'agissant des grands groupes puisque j'ai vu que vous étiez attentifs aux transferts d'activité à l'intérieur des groupes. Elle a également précisé que la question devait être regardée au niveau du secteur d'activité du groupe. Sinon, il serait facile de priver certaines entreprises d'une compétitivité apparente par une présentation des comptes non totalement sincère.

Ces deux précisions de la Cour de cassation sont extrêmement importantes. En tout cas, elles encadrent pour nous le recours à la procédure de licenciement économique à laquelle une entreprise comme celle que vous citez, qui en arrive à laisser la moitié du personnel sur le carreau, se trouve confrontée.

M. le Président : L'exemple d'Unilever me fait penser à celui que j'ai vécu localement avec l'entreprise Perrier. On m'avait répondu qu'il existait des relations quasiment diplomatiques entre la puissance publique et l'entreprise. Dès lors, compte tenu de ce que vous venez de nous dire sur l'arrêt de la Cour de cassation, il ne reste plus aux salariés eux-mêmes qu'à amener le débat sur le terrain judiciaire pour protéger leur emploi. En d'autres termes, le gouvernement a-t-il la possibilité d'intervenir ? Qu'il s'agisse de Perrier ou d'Unilever, aucune évolution favorable aux salariés n'est envisageable dès lors que le groupe affiche sa détermination.

M. le Rapporteur : En fait, Unilever a proposé à tous les salariés de partir à Gemenos. Certains ont pu partir, d'autres pas. A partir du moment où ils sont refusé de suivre l'entreprise, la procédure de licenciement pouvait très bien se mettre en route. Renseignements pris, le bassin d'emploi de Gemenos vaut celui du Havre en terme de taux de chômage. Un certain nombre de salariés ne peuvent pas partir, ne serait-ce que parce que leurs conjoints travaillent, et se retrouvent, ipso facto, sur la paille. De surcroît, engagement avait été pris de trouver un repreneur du site, ce qui avait incité certains à ne pas partir, mais le repreneur a fait faux bond. Les pouvoirs publics sont totalement démunis. Rien n'oblige un repreneur à venir après avoir mené à terme son analyse.

Quels moyens de contrainte a-t-on à l'égard de d'un tel employeur, dès lors que l'on sait que la délocalisation de l'activité n'est pas liée à une mise en péril de l'entreprise ?

Mme Isabelle MOURES : On ne peut agir que dans le contexte de notre réglementation et des mesures existantes c'est à dire la procédure de licenciement pour raison économique et la mise en place des plans sociaux.

Les plans territoriaux de formation sont un exemple que j'ai évoqué à propos des petites et moyennes entreprises. J'ai cité le cas de Mutex. Les projets territoriaux de formation pourraient s'inscrire dans l'engagement de développement de la formation professionnelle proposé aux entreprises du secteur du textile. C'est une configuration correspondant à des petites entreprises qui souhaitent travailler ensemble, mettre en place des systèmes de coopération.

S'agissant des aides à l'emploi pour les grands groupes, les statistiques dont nous disposons sont des statistiques de la direction de l'animation, de la recherche des études et statistiques par tailles d'entreprises ou d'établissements. Je pourrai vous les communiquer.

M. le Président : Avez-vous des exemples où de grands groupes s'impliquent dans des bassins d'emploi afin de provoquer une synergie avec des PME et des PMI, filiales, sous-traitants, clients ou non ? Le ministère a-t-il des éléments à ce sujet ?

Mme Isabelle MOURES : Nous pourrons vous communiquer quelques exemples. L'un des cas connus était l'intervention de la SODI. D'autres exemples concernent le groupe Alcatel.

M. le Président : M. Guigou nous a parlé de deux directions qui travaillent sous ses ordres, l'une destinée à amener un certain nombre d'entreprises, l'autre faite pour en délocaliser, objectifs éminemment contradictoires. Votre direction porte-t-elle un regard particulier sur le travail effectué par certaines entreprises, notamment la SODI, dans ce domaine ? Avez-vous le sentiment que la SODI - créée pour la reconversion du bassin sidérurgique, elle intervient sur presque tout le territoire national - ou d'autres entreprises du même type réalisent des interventions créatrices d'emplois ou bien assistons-nous à une délocalisation interne à nos frontières ?

Mme Isabelle MOURES : Je ne réagirai pas par rapport aux exemples que vous citez et que je ne connais pas. Dans ce domaine, on peut penser que des outils peuvent être détournés de leur mission première.

M. le Président : Je vais préciser la question. Puisque l'on parlait des entreprises citoyennes porteuses de l'avenir de leur bassin d'emploi, on peut se demander si le travail réalisé dans le bassin entraîne un solde net de créations d'emplois au niveau national ou s'il n'est qu'une participation aux délocalisations interdépartementales.

Mme Isabelle MOURES : Vous souhaiteriez une évaluation de quelques opérations de réindustrialisation de site pour voir si, concrètement, elles ont abouti à une augmentation des créations d'emplois ou à des bilans différents. Je ne suis pas en mesure de vous répondre immédiatement. Je regarderai si nous avons des éléments que nous pourrions vous communiquer.

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