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TOME II
SOMMAIRE DES AUDITIONS

LES TEMOIGNAGES DES EXPERTS
Les témoignages sur la notion de groupe (suite et fin)

Messieurs Jean MARIMBERT, Directeur de la direction des relations du travail au ministère de l'emploi et de la solidarité, Frédéric CHALAMET, Chef du bureau DS4 et Madame Marie-Christine BAUDURET, Adjointe au chef du bureau DS2 (23 février 1999).

Avertissement

Conformément aux alinéas 1er et 3 de l'article 142 du règlement de l'Assemblée nationale qui disposent que « les personnes entendues par une commission d'enquête sont admises à prendre connaissance du compte-rendu de leur audition », (les intéressés ayant la faculté de produire des observations par écrit), toutes les personnalités entendues ont été invitées à faire part des observations éventuelles que pouvait appeler de leur part le procès-verbal de leur audition.
Certaines n'ayant pas cru devoir donner suite à cette invitation, la Commission a été amenée à considérer que leur silence valait approbation et le procès-verbal les concernant est publié dans le texte qui leur a été soumis.
En outre, un certain nombre de personnalités ont eu l'obligeance de transmettre à la Commission divers documents, soit avant, soit à l'issue de leur audition. Le volume de ces dépôts ou de ces envois est tel qu'il a été matériellement impossible de les reproduire au sein du présent rapport qui s'en tient strictement aux procès-verbaux des auditions.
Seul le relevé des aides reçues par le groupe Moulinex, tel qu'il a été fourni par sa direction, fait exception dans la mesure où ce relevé constitue une information essentielle à la réflexion de la commission d'enquête, celle-ci regrettant que les autres groupes n'aient pu fournir les mêmes renseignements avec autant de précision.

Le témoignage de la Direction des relations du travail et une seconde approche sociale

Audition de MM. Jean MARIMBERT,
Directeur de la direction des relations du travail,

Frédéric CHALAMET
Chef du bureau DS4 « Evolution des entreprises et diverses formes d'emplois - secteur public » et

Mme Marie-Christine BAUDURET
Adjointe au chef du bureau DS2 « Représentation des salariés »

au ministère de l'emploi et de la solidarité

(extrait du procès-verbal de la séance du mardi 23 février 1999)

Présidence de M. Alain FABRE-PUJOL, Président

MM. Jean Marimbert, Frédéric Chalamet et Mme Marie-Christine Bauduret sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Jean Marimbert, Frédéric Chalamet et Mme Marie-Christine Bauduret prêtent serment.

M. Jean MARIMBERT : La trame des travaux de votre commission telle qu'elle m'a été communiquée donne une idée de son champ d'investigation qui est très vaste et dont les angles d'attaque sont multiples.

Nous avons cherché - j'y ai travaillé ces jours derniers avec mes collaborateurs les plus directement concernés - à présélectionner deux ou trois de ces angles qui nous ont paru susceptibles d'aller dans le sens de vos préoccupations ; néanmoins, il se peut que nous ayons mal visé et vous aurez à nous l'indiquer dans les questions qui suivront.

Nous avons été frappés par le fait que votre commission s'intéressait fortement aux opérations de plus en plus fréquentes qui ont, au sein des grands groupes, des conséquences sur leur structure juridique ou la répartition géographique de leurs activités.

Ce sont des délocalisations, des externalisations et dans certains cas des opérations financières qui ont plus ou moins d'impact sur les activités : les fusions, les absorptions, les scissions voire des opérations financières qui peuvent - tout au moins à l'instant T- n'avoir aucun impact apparent sur les activités. Je pense à certaines opérations d'O.P.A. ou d'O.P.E. à l'occasion desquelles le pouvoir change de mains sans conséquences immédiates sur la répartition des activités et la continuité des droits des salariés.

Nous avons tenté de raisonner par rapport à ces hypothèses en prenant deux grandes catégories de questions qui, en tant que service chargé de la réglementation du travail, nous importent plus directement :

1. les droits des représentants du personnel dans ce type d'opérations, l'information et la consultation des représentants des salariés, les garanties que ces droits représentent ainsi que les problèmes que peut poser leur application pratique,

2. la continuité des droits des salariés sachant que ces droits peuvent être tirés de leur contrat de travail, de conventions collectives, ou tout simplement de la loi.

Derrière ces deux grandes problématiques nous pouvons faire un certain nombre d'observations et de remarques, sachant qu'il est assez commode de séparer les aspects purement nationaux des aspects transnationaux - en particulier communautaires - et c'est ainsi que, s'agissant de l'information et de la consultation des institutions représentatives du personnel, il existe une dimension tirée du droit national et une autre liée au droit communautaire laquelle a été fortement illustrée, il y a deux ans, par l'affaire Renault.

Concernant l'aspect national, nous possédons un arsenal juridique qui, en principe, permet d'assurer une information et une consultation des institutions représentatives qu'il s'agisse d'opérations purement financières touchant au contrôle du capital ou d'opérations qui touchent aux activités et à leur répartition.

Cet arsenal se retrouve aux article L 432-1 et suivants du code du travail qui prévoient l'information et la consultation du comité d'entreprise sur toutes les mesures de nature à avoir un impact direct ou indirect sur le volume et la structure des effectifs.

Dans un des articles du Livre IV qui suivent, le code vise nommément les opérations financières de type fusion, absorption, scission et autres. Il existe sur ces points une jurisprudence abondante, dont nous pourrons vous donner les références ; mais nous avons vu apparaître, depuis un ou deux ans, une problématique nouvelle : outre que ces dispositifs d'information et de consultation ont été appliqués dans des opérations de privatisation, un début de controverse s'est instauré à propos de leur application aux opérations financières.

Certains ont même développé l'idée d'une contradiction entre la réglementation boursière et son délit d'initié - qui, en principe, implique lors de la préparation d'une O.P.A. que rien ne soit divulgué - et la réglementation du travail qui prévoit une complète information et une consultation préalable du comité d'entreprise qui implique de le lui dire. Cette problématique a d'ailleurs commencé à être fortement soulignée dans un rapport réalisé au sein de la Commission des Opérations de Bourse par Mme Cumunel, ancienne dirigeante de la CFE/CGC qui pose le problème de la conciliation des droits à l'information et à la consultation des salariés et ce que les entreprises estiment devoir être la préservation du secret dans des opérations de type boursier, où le fait de garder ce secret jusqu'au bout peut être une condition de succès de l'opération.

Mais hors ce problème, la législation sur l'information et la consultation vit son régime de croisière et ne me paraît pas fondamentalement contestée.

Evoquer la gestion sociale des grands groupes conduit à rappeler aussi l'existence de cet outil que constitue le bilan social, dont il est assez peu question quoiqu'il remonte à 1977 et qu'il concerne les grandes structures c'est à dire les entreprises de plus de 300 salariés qui ne sont pas si nombreuses en France, pays où l'essentiel du tissu économique est constitué par les P.M.E.

J'évoque d'entrée de jeu ce bilan social car - nous le verrons quand j'évoquerai le sujet au niveau communautaire en faisant allusion au rapport Gyllenhammer sur les restructurations - nous voyons peu à peu apparaître l'idée selon laquelle les grandes sociétés doivent développer le plus en amont possible l'information sur leur gestion sociale, avant même l'émergence d'une crise - O.P.A., fermeture d'un site, etc. - et la mise en oeuvre des mécanismes de consultation « à chaud » que cette crise implique.

Toutefois ce sont moins les outils nationaux qui font aujourd'hui l'objet de discussion que la dimension transnationale des problèmes à la suite notamment d'affaires comme celle de Vilvoorde et d'opérations ultérieures assez comparables conduites par de très grandes entreprises : je pense notamment à Electrolux qui a effectué un vaste plan de suppression d'emplois dans des dizaines d'usines.

C'est à partir du printemps 1997 et à la suite de l'affaire Vilvoorde qu'a surgi la préoccupation de savoir à quel moment et selon quelles modalités devaient être réalisées l'information et la consultation des représentants des salariés dans des opérations à caractère transnational.

A l'époque, dans les trois mois qui ont suivi l'annonce de la fermeture de l'usine de Vilvoorde, les autorités communautaires ont cherché à réunir les partenaires sociaux - l'UNICE pour le patronat, la C.E.S. pour les syndicats et le C.E.P. pour les entreprises publiques - afin qu'ils s'entendent sur un code de bonne conduite en cas de restructuration.

Cette démarche a échoué du fait du patronat européen qui a refusé d'adhérer à ce code notamment parce que le projet, préparé sous l'égide de la Commission, prévoyait le principe d'une consultation préalable à toute annonce et, a fortiori, lors de la réalisation d'une opération de nature physique - telle une délocalisation - ou financière.

Cet échec a conduit la Commission à sortir de ses cartons un projet relatif à l'information et à la consultation des salariés  - « l'information/consultation au plan national » - visant à mettre en place des prescriptions minimales applicables à toutes les entreprises de la Communauté, qu'elles soient nationales ou transnationales et à lancer le processus prévu par le protocole social selon lequel les partenaires sociaux européens sont sollicités de négocier à charge, en cas d'échec, à la Commission de proposer aux Etats membres une directive communautaire.

Ce processus lancé aux environs de l'été 1997, et qui a demandé un certain temps, n'a pu déboucher sur une négociation puisqu'à l'automne dernier l'UNICE a confirmé son refus de négocier sur ce sujet avec la C.E.S. (l'UNICE fonctionne en effet à l'unanimité, contrairement à la C.E.S., qui s'est dotée de règles majoritaires). Dès lors, en novembre 1998, la Commission a été conduite à déposer sur le bureau du Conseil un avant-projet de directive sur l'information et la consultation des salariés au niveau national.

Nous en sommes là et la présidence allemande ne faisant pas de ce texte une priorité de son mandat, il y a fort à parier qu'il n'ait de chances d'aboutir qu'avec la présidence française, et encore sous réserve que la France soit en mesure, avec d'autres pays, de lui donner l'impulsion politique nécessaire.

La deuxième conséquence de Vilvoorde s'est traduite, lors du sommet de Luxembourg de décembre 1997, par la constitution d'un collège d'experts présidé M. Gyllenhammer, l'ancien responsable de Volvo, dont la mission a été d'étudier les restructurations au niveau européen.

Le rapport, que ce collège a rendu il y a peu de temps, met fortement l'accent sur les grandes entreprises, et notamment les grands groupes transnationaux implantés en Europe, sur leur responsabilité au regard de « l'employabilité » de leurs salariés, sur leur devoir d'éviter des situations dans lesquelles - faute d'avoir eu un accès suffisant à la formation et au développement de leurs compétences - ces salariés se trouvent confrontés à des plans sociaux et à des opérations de licenciement qui les exposent à des risques d'exclusion. Parmi les propositions apparaît notamment la nécessité pour les grands groupes de mettre au point des outils de gestion prévisionnelle et, notamment un rapport sur la gestion du changement qui rappelle, en plus dynamique, le bilan social à la française.

Ce dernier a en effet été conçu comme une photographie de la gestion sociale des grandes entreprises tandis que le rapport Gyllenhammer - qui constitue un document important même si pour l'instant aucune suite concrète ne lui a été donnée - se place dans une perspective où, compte tenu de l'évolution constante de l'organisation du travail et des technologies, les obligations des grandes entreprises doivent, sur le plan social, s'adapter au même rythme que ces évolutions.

La troisième conséquence de l'affaire de Vilvoorde se traduit par la relance du projet de société européenne ou, plus exactement du volet social de la société européenne. C'est un dossier communautaire très ancien qui a commencé à être traité au début des années 1970 - on parlait alors de la Directive Vredeling - afin d'offrir aux entreprises un cadre statutaire facilitant le déploiement de leurs activités à l'échelle communautaire.

Dans le cadre de cette réflexion, le volet social de même que les obligations de toute société de droit européen d'informer et de consulter son personnel sont apparus très rapidement comme la nécessaire contrepartie aux avantages que pouvait apporter ce statut en terme juridique et fiscal.

C'est ce débat que les présidences successives ont cherché à faire aboutir à la suite de l'affaire de Vilvoorde (les présidences luxembourgeoise au deuxième semestre 1997, britannique au premier semestre 1998, autrichienne au deuxième semestre 1998 et allemande au premier semestre 1999) dans la mesure où l'arrivée à maturité du règlement sur la société européenne et des directives sur le volet social coïncidait avec une période où se sont développées les fusions et autres opérations capitalistiques, lesquelles démontrent la nécessité de faire avancer d'un même pas le social et le financier ou, tout au moins, d'un pas qui ne soit pas trop différent.

Sur l'objectif il n'y a pas de désaccord. Mais le dossier continue d'achopper - nous verrons si la situation se dénoue définitivement sous la présidence allemande - car, en matière d'information, de consultation et de participation des salariés, tous les pays d'Europe n'ont pas la même tradition ; certains pays étant culturellement davantage portés vers l'information/consultation, d'autres vers la participation directe aux instances de décision, tels les pays germaniques et nordiques.

Nous sommes donc, pour le moment, à la recherche d'un compromis qui permette de calibrer les obligations sociales de la société européenne en trouvant une cote plus ou moins bien taillée  entre les différentes traditions nationales, mais ce dossier a d'assez bonnes chances d'aboutir dans les mois à venir.

C'est ainsi que nous avons connu récemment des évolutions assez intéressantes sur le volet information/consultation - même si elles n'ont pas toutes abouti - visant à constituer un socle de règles garantissant aux représentants des salariés un droit à l'information et à la consultation qui soit identique partout en Europe, que l'opération soit nationale ou transnationale ; évolution qui est dans la ligne de la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, adoptée sous présidence française en 1989, qui n'avait aucune portée juridique directe mais qui sert d'inspiration aujourd'hui pour élaborer des outils juridiques.

Je signale au passage que, dans l'affaire Vilvoorde, Renault a été attaqué en justice non seulement en Belgique mais également devant les tribunaux français au motif que l'annonce publique de la fermeture du site avait été effectuée quelques minutes seulement avant la consultation du comité d'entreprise mais, surtout, qu'elle avait été faite sans réunion préalable de l'instance européenne de concertation du Groupe Renault. Or les organisations syndicales qui avaient attaqué devant le tribunal de grande instance et la cour d'appel de Versailles ont eu gain de cause, la cour d'appel ayant interprété les obligations prévues par les textes communautaires, notamment la directive sur le comité d'entreprise européen, à la lumière de la Charte ; la juridiction française a estimé qu'il était de son droit d'interpréter un texte juridique à la lumière d'un texte qui n'avait qu'une portée politique.

Outre les procédures d'information/consultation, il s'agit également d'assurer la continuité des droits des salariés, au travers des opérations de restructuration physique et financière.

Au niveau national les dispositions visent à assurer la continuité des droits liés au contrat de travail et aux conventions collectives.

S'agissant du contrat de travail, l'article L. 122-12 qui a alimenté une très abondante jurisprudence depuis des décennies prévoit la continuité automatique du contrat de travail en cas de changement de la nature juridique de l'employeur ce qui permet d'assurer la continuité des droits des salariés dans le cas assez fréquent de la reprise d'une entreprise par un acquéreur. Encore faut-il pour que cette garantie joue que l'entité économique subsiste en l'état. Or, selon une jurisprudence établie depuis une douzaine d'années, un transfert de marché - par exemple un marché de nettoyage qui passe d'une entreprise à une autre - n'équivaut pas au maintien d'une entité économique sauf si le transfert de marché entraîne la transmission de matériel ou d'autres éléments corporels.

Aussi compte tenu de la fréquente «inapplicabilité» de l'article L. 122-12 les partenaires sociaux des branches concernées - ainsi des professions du nettoyage, de la restauration collective ou du gardiennage, fonctions largement externalisées par les entreprises comme par les administrations - se sont-elles réunies afin de négocier des conventions collectives qui font jouer le transfert automatique du contrat de travail. Il reste que l'article L. 122-12 et les dispositions conventionnelles qui le complètent ne jouent pas quand le cédant ou le cessionnaire se trouve être un service public administratif puisqu'il n'est pas possible de transférer des contrats de travail d'un univers de droit privé à un univers de droit public.

Il est possible également qu'une société soumise à une convention collective A soit reprise par une société soumise à une convention collective B. Dans ce cas, l'article L. 132- 8 du code du travail, au terme d'une procédure dite de « la mise en cause », prévoit une période transitoire d'un an, précédée d'un préavis de trois mois, pendant laquelle la convention collective A continue de s'appliquer au personnel de la société absorbée tandis qu'est élaboré à son intention un nouveau texte conventionnel ; à moins que la convention collective B, dûment amendée pour tenir compte des spécificités du personnel absorbé, ne lui devienne applicable à l'issue de cette période transitoire d'un an.

Cette disposition imaginée pour éviter une rupture dans la couverture conventionnelle des salariés a provoqué une certaine jurisprudence afin d'éviter l'absence de toute couverture conventionnelle des salariés ou la perte de certains droits conventionnels.

Incidemment une doctrine s'est créée pour les entreprises qui, ayant signé un accord de réduction de la durée du temps de travail (y compris un accord aidé par l'État), et qui sont reprises par une société qui n'a pas passé ce type d'accord : le mécanisme dit de la « mise en cause » entre alors en jeu ce qui amène le nouvel employeur, dans le délai d'un an, à mettre en place les 35 heures dans l'ensemble de son entité économique, moyennant quoi il garde le bénéfice de l'aide qui a été accordée à l'entreprise qu'il a absorbé, sinon il en perd le bénéfice.

Il convient de rappeler également l'existence, au niveau national, du mécanisme de la garantie des salaires en cas de faillite qui n'est pas propre aux grands groupes - car c'est un mécanisme qui est souvent appelé à jouer au sein de petites entités - et du mécanisme qui permet la couverture des créances salariales en cas d'insolvabilité. L'étendue de la couverture des créances salariales comme le niveau d'indemnisation des salariés mettent la France en très bonne place au sein de l'Europe des quinze et il existe peu d'Etats qui ont un système de garantie des salaires plus performant et plus protecteur que le nôtre.

Concernant la continuité des contrats de travail (qui est réglé chez nous depuis 1977 par l'article L. 122-12), il existe à l'échelle communautaire une directive dite « Transfert » qui a elle aussi pour objet de régler la question des contrats de travail des salariés en cas de transfert d'une entreprise au sens générique du terme c'est à dire d'une entreprise qui constitue une entité économique.

Cette directive est appliquée depuis vingt ans et a donné lieu à une très abondante jurisprudence qui est assez concordante avec celle de notre Cour de cassation. Il reste que la question relative au sort du contrat de travail d'un salarié français d'une société A reprise, à titre d'exemple, par une société allemande B n'est, dans le cas d'un tel transfert, toujours pas réglée, ce malgré la modification de la directive adoptée par le Conseil des ministres en juin 1998 ; situation que n'a pas manqué de déplorer le gouvernement français sensible à l'importance accrue des opérations transnationales au sein de l'Europe des quinze.

De même, et quoique les enjeux soient considérables pour les salariés concernés, - la question de la couverture des créances salariales en cas de faillites transfrontalières c'est à dire celles qui concernent des entités établies en plusieurs endroits de la Communauté, n'est toujours pas réglée de façon convenable, sujet préoccupant à propos duquel la délégation française concentre ses efforts afin d'aboutir à un texte.

Il arrive que, en effet, que nous assistions, en cas de faillites transfrontalières à de véritables parties de « ping-pong », l'institution de garantie des salaires du pays A refusant de couvrir les créances des salariés du pays B au motif que la faillite résulte d'une décision de justice du pays B tandis que l'institution de garantie du pays B ne veut pas couvrir les créances salariales car l'exécution du contrat de travail s'est faite dans le pays A ; ainsi d'une entreprise qui avait son siège en Irlande, des salariés en France et un établissement en Angleterre.

M. le Rapporteur : Cette entreprise appliquait en France la réglementation irlandaise : c'est la première fois que j'ai vu arriver dans mon bureau un directeur d'entreprise à la tête d'une délégation syndicale au sein de laquelle la C.G.T. était majoritaire. Lui-même parlait au nom des syndicats. Il était comme tout le monde, licencié sans aucun droit. La justice s'est saisie du problème. Le procureur de la République a fait le nécessaire pour que nous sortions de cette situation, mais cela a duré des mois.

M. Jean MARIMBERT : D'après le droit irlandais, ce sont les institutions des Etats où se trouvent les établissements qui doivent garantir les salaires tandis que les institutions de garantie anglaises et françaises estimaient que c'est l'institution du lieu de l'ouverture de la faillite qui doit garantir.

Nous étions dans une situation de déni de justice, la garantie de salaire donnant lieu à un jeu de « mistigri » entre les institutions nationales. C'est un problème sérieux qui peut paraître technique au premier abord mais qui est très concret car, qu'on le veuille ou non, les fusions et les opérations transfrontalières se multipliant, les faillites transfrontalières sont appelées à se multiplier.

Nous tentons de trouver des solutions : pour l'affaire Bell Lines cela a consisté à susciter un jugement d'une juridiction française qui a rendu applicable en France le constat de faillite prononcée en Irlande mais il s'agit d'une solution procédurière assez pragmatique qu'on ne peut étendre à tous les cas.

La solution ne peut être trouvée que dans une modification de la directive de 1980 sur l'insolvabilité au niveau communautaire qui précisera les règles de coordination entre les institutions nationales de garantie des différents Etats membres, afin de supprimer ce risque de conflit négatif.

Si, d'après nous, il paraît illusoire de vouloir harmoniser les droits de la faillite au niveau européen en raison de leur extrême diversité, d'obliger chacun des Etats membres à avoir le même régime d'accès à la garantie des salaires, le même type d'institution de garantie et de couverture des créances salariales, en revanche il convient de garantir qu'un salarié qui exécute son contrat de travail dans un pays donné, à un endroit donné de la Communauté, ait accès au système de garantie des salaires auprès de l'institution du lieu où il exécute son contrat de travail, quitte à ce que les institutions de garantie signent entre elles un accord de réciprocité. Sur ce point nous tenterons de trouver une solution satisfaisante avant la prochaine présidence française.

Dernier point enfin : je vous ai parlé de la directive sur la société européenne en vous disant qu'il existait assez peu de chances d'aboutir à un accord sous présidence allemande. Nous avons veillé que, tant dans le règlement sur le statut de la société européenne que dans la directive sur le volet social, des dispositions expresses garantissent la continuité des droits que les salariés tirent du contrat de travail ou des conventions collectives.

Nous avons été interrogés par les organisations syndicales qui souhaitaient avoir des explications et des garanties. Ces textes comportent plusieurs dispositions conçues explicitement pour garantir que si une société française A ou une société allemande B, ou italienne C, intègre une société D constituée sous forme de société européenne, cette dernière reprenne l'ensemble des droits et obligations que les salariés tiennent du contrat de travail, des conventions collectives et des dispositions législatives.

M. le Rapporteur : J'ai trouvé que l'exposé cadrait avec le sujet qui est le nôtre. J'allais vous parler de Bell Lines.

Il est possible d'organiser la mise en faillite d'une entreprise afin de s'en débarrasser. Mais comment faire pour déterminer la raison d'une faillite ? Elle peut certes être objective, mais on peut aussi se « débarrasser » à bon compte d'une filiale dont on ne veut plus. Les Irlandais, qui sont de grands « clients » des aides publiques européennes sont en revanche très durs par ailleurs. Nous en avons l'expérience dans ma région, la Normandie, car des entreprises irlandaises y ont laissées des souvenirs cuisants.

D'une manière plus large, notre sujet est : « comment peut-on faire pour, non pas éviter la totalité des risques qu'encourent les salariés, mais donner dans un cadre européen ou transnational - pour ne pas parler que de l'Europe - plus de droits, d'information, de communication, mais aussi le droit d'alerte ?  Il existe en France un droit d'alerte. Peut-on imaginer le même droit au niveau européen ?

Quand la présidence française aura-t-elle lieu ?

M. Jean MARIMBERT : Au deuxième semestre 2000.

M. le Rapporteur : Est-il envisageable d'aller dans ce sens ? Les contacts qui doivent exister entre les différents gouvernements sur ces problèmes laissent-ils envisager de telles solutions ?

S'agissant des différents Etats, les quinze actuellement - car nous sentons que nous sommes entrés, avec Amsterdam et Vienne, dans une nouvelle phase sociale - quelles sont les attitudes de chacun sur les questions que vous avez évoquées ?

Est-il possible, sinon à l'unanimité, tout au moins à la majorité de faire évoluer la situation ? Nous ressentons, chez tous les partenaires, la nécessité d'un pilier social au même titre que les autres piliers sur lesquels repose la construction européenne.

Où en sommes-nous du comité d'entreprise européen ? Existe-t-il sur ce point une jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes ?

Avez-vous des chiffres sur les opérations transfrontalières en matière d'emplois ? Combien d'emplois sont-ils en jeu et quels sont actuellement (c'est l'une des questions auxquelles nous sommes confrontés sur le plan national) les outils statistiques qui peuvent exister ?

Nous sommes surpris de nous voir confrontés à cet insuffisant croisement des outils dont la France dispose. Si nous répercutons cela au niveau européen, nous aurons sans doute des surprises énormes ; si chaque pays a les mêmes contraintes, en matière de secret, de confidentialité, à l'égard des outils statistiques, nous allons entrer dans un « capharnaüm » infernal. De quelles sources d'information disposons nous actuellement dans le domaine social ?

M. Jean MARIMBERT : Je commencerai par avouer qu'il y a très peu d'éléments voire aucun élément chiffré. Concernant les opérations transfrontalières et leur impact sur l'emploi, mon collègue M. Seibel de la Direction de l'animation de la recherche et des études et des statistiques du ministère dispose peut-être des éléments mais, pour ma part, je n'en ai aucun. En fait, la réalité des groupes n'est pas très bien appréhendée.

M. le Président : Nous ne cessons d'en faire le constat !

M. le Rapporteur : Vous avez évoqué au départ le fait que ces opérations transfrontalières augmentaient. Est-ce un sentiment ou une réalité ?

M. Jean MARIMBERT : C'est le sentiment qui est le mien à partir de mon poste d'observation qui touche aux relations du travail vues sous l'angle juridique. C'est un pronostic raisonnable et non pas une quantification.

Vous m'avez demandé ce qu'au titre de l'amélioration des droits à l'information et à la consultation pouvait faire la Communauté. Vous avez évoqué la notion de droit d'alerte. Il ne faut pas se cacher - votre commission l'a sans doute déjà ressenti dans certaines de ces auditions - que la question des modalités de l'information/consultation a été l'objet entre le début et la fin des années 1990 de débats très rudes, notamment parce que toute une partie du monde de la grande entreprise était extrêmement hostile à l'idée que, systématiquement, l'information et la consultation devaient avoir un caractère préalable à l'annonce de l'acte et à sa mise en oeuvre.

Un débat a eu lieu sur le moment de la consultation et quand vous regardez la directive sur le comité d'entreprise européen, telle qu'elle a été adoptée à l'automne 1994 et transcrite en droit français en 1996, cette dernière est restée fidèle au compromis fondateur en ne disant pas clairement que la consultation était nécessairement préalable.

Bien évidemment, Vilvoorde et ses suites ont fait avancer le débat. Quand il s'agit d'une opération où la survie ou de la disparition d'un site entier et de plusieurs milliers d'emplois sont en jeu, il est difficile d'imaginer une stratégie du secret. De ce fait, nous sommes confrontés aujourd'hui à un problème de légitimation, d'explication et de préparation des conséquences sociales d'une telle décision autant que de la reconversion elle-même. Il s'agit tout d'abord d'un travail, de débats au fond, de la direction avec les représentants du personnel.

C'est très exactement ce qu'a déclaré l'arrêt de la Cour d'appel de Versailles qui avait audacieusement interprété les textes de directives de l'accord Renault de l'époque sur le comité d'entreprise européen et de façon constructive en se réclamant de la Charte, la Cour a considéré que, si d'une façon générale il n'y avait pas d'obligation préalable, que si la directive n'exige pas que la consultation soit dans tous les cas systématiquement préalable, dans le cas d'espèce, en présence d'une opération très lourde impliquant la suppression d'un site de plusieurs milliers d'emplois avec des conséquences sur les salariés eux-mêmes et sur l'environnement économique, une information préalable était nécessaire. 

M. le Rapporteur : S'il s'était agi d'un site un peu moins grand, cela laissait sous-entendre...

M. Jean MARIMBERT : Le juge n'a pas dit ce qu'il ne pouvait pas dire en l'état du texte. Il aurait été très audacieux au regard du texte de lui faire dire que la consultation était systématiquement préalable. 

Aujourd'hui d'ailleurs le débat a évolué et si vous trouvez encore de grandes entreprises très attachées à ce qu'il n'en soit pas parlé au préalable, d'autres ont tendance au contraire à admettre que, dans le cas d'opérations de délocalisation impliquant la fermeture d'un site, il est illusoire de pouvoir se passer d'un travail préparatoire et que le caractère préalable s'impose. Par contre quand il s'agit d'une O.P.A. où les considérations de secret jouent jusqu'au dernier moment, il faudrait, d'après elles, réfléchir à un régime particulier.

Pour revenir à votre question, je ne ressens pas au niveau européen émerger l'idée d'une transposition du droit d'alerte à la française, mais plutôt celle d'accroître l'intensité des obligations en amont, à froid, sans attendre la crise, en astreignant les entreprises - dans une optique de gestion prévisionnelle des compétences et des emplois en régime de croisière - à fournir une information meilleure et régulière à la représentation du personnel pour tout ce qui concerne la gestion sociale, d'où l'intérêt du rapport Gyllenhammer qui proposait un rapport sur la gestion du changement.

A partir du moment où a lieu un vrai débat autour de la gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences en amont de la crise, notamment à partir d'une analyse des évolutions technologiques conduisant à dire à l'entreprise : « Il faut en faire davantage au profit de la requalification ou du développement des compétences de tel ou tel salarié sinon nous risquons d'être acculés à des solutions de licenciement sans retour pour les salariés et à des âges où le départ au chômage peut avoir des conséquences durables», le débat économique et social qu'engendre toute procédure de restructuration s'engage dans de meilleures conditions.

Je vois le débat évoluer dans ce sens, mais nous pouvons nous demander dans quelle mesure ce dont je parle au niveau communautaire ne nous renvoie pas à un débat national, car la question des obligations d'information/consultation le plus en amont possible, pour préparer les changements et les restructurations consiste à ne pas se contenter des procédures de licenciement pour motif économique qui, par définition sont des procédures que l'on déclenche une fois que la crise est là et que les suppressions d'emplois se profilent. A ce stade, les obligations d'information et de consultation sont, d'une certaine manière, déjà trop tardives.

M. le Président : Votre réponse peut correspondre à une procédure d'externalisation ou à un choix stratégique d'une entreprise qui décide de fermer un site. Dans ce cas, la procédure d'information/communication, le droit d'alerte peuvent cadrer mais la question est de savoir comment, au niveau européen, il est possible d'inciter un certain nombre de pays de faire évoluer leur droit social en ce sens.

Mais cela ne répond pas à la question que pose la décision d'une entreprise de se séparer d'une activité. Il a beaucoup été question de Vilvoorde mais, dans un quotidien du jour, un article est paru sur la volonté de la famille Levis de recentrer l'activité de son entreprise sur le commerce et la création, de changer la nature même de l'entreprise sans qu'il y ait pour autant d'opération physique. Dans ce cas, peut-on envisager un système de droit d'alerte ou pas ?

M. Jean MARIMBERT : Vous voulez parler d'évolution stratégique pouvant avoir des conséquences sur le plan de la nature des emplois ou sur celui de la localisation des activités ?

M. le Rapporteur : En Europe, c'est tout simplement la suppression des sites.

M. Jean MARIMBERT : Un élément de réponse peut être apporté par des dispositifs de type comité d'entreprise européen que vous évoquiez il y a quelques instants.

Le propre de ces dispositifs, qui sont aujourd'hui obligatoires pour les groupes ayant à la fois sur le territoire de la Communauté plus de 1 000 salariés et au moins deux implantations nationales distinctes comportant un minimum de 150 salariés - ce sont les critères de la directive européenne de 1994 sur le comité d'entreprise européen - est d'organiser d'emblée au sein du comité, ou d'une instance analogue résultant d'un accord, un débat sur les enjeux qui sont pertinents au niveau transnational.

C'est un élément auquel les syndicats français sont attachés.

Mais ils souhaitent aussi que l'existence d'un débat au sein du comité de groupe européen ne dévitalise pas le débat national au niveau des instances du comité d'entreprise français : à chaque niveau, son débat adéquat. Pour eux un choix qui ne concerne que l'activité de l'entreprise en France appelle un débat avec les instances représentatives au sein du comité central d'entreprise français.

Par contre, dans un choix qui consiste, par exemple, pour une entreprise à abandonner le bas de gamme et à fermer en Europe quatre usines fabriquant des produits de bas de gamme, à toucher ainsi quatre sites, à conduire une stratégie de délocalisation qui touche à son portefeuille d'activités au travers une opération transnationale, le fait d'organiser un débat avec les représentants du personnel au sein d'un comité de groupe européen est incontestablement un plus, car le but n'est pas dans ce cas, à propos d'un sujet qui n'aurait aucune dimension transnationale, de se substituer au débat national.

De plus les rencontres que permet cette instance sont l'occasion pour les syndicalistes de différents pays d'Europe de mettre au point des stratégies revendicatives communes.

Un bon comité d'entreprise européen peut ainsi organiser à froid, en amont, des débats stratégiques qui, s'ils ne sont pas traités peuvent aboutir à des restructurations sauvages et à des pertes d'emploi ; ces débats étant rendus possibles dans le cadre de la réunion annuelle du comité européen, voire à l'occasion d'autres réunions puisque des accords prévoient que des réunions complémentaires peuvent être organisées à la demande de minorités qualifiées.

Nous croyons vraiment à la piste qu'offre le comité d'entreprise européen lequel succède à un système transitoire qui obéit à la même logique et que les groupes peuvent, conformément à l'article 13 de la directive, conserver dés lors qu'ils l'ont mis en place avant que la directive ne soit transcrite en droit national.

Les groupes français ont d'ailleurs été de ceux qui ont anticipé la directive et c'est ainsi que Renault avait passé un accord d'anticipation qu'il a néanmoins modifié après Vilvoorde.

Aujourd'hui, la dynamique des comités d'entreprises européens est plus que jamais d'actualité, car ce sont des lieux de dialogue qui permettent de faire face à des décisions qui, d'emblée, dépassent la compétence des institutions nationales de chaque pays. Mais faut-il encore que les syndicats s'organisent et organisent des stratégies revendicatives au niveau de l'Europe !

M. le Rapporteur : Certains syndicalistes nous ont dit que le comité de groupe européen était frappé d'un certain formalisme, que ses débats n'avaient pas la densité de ceux qui peuvent exister au sein d'un comité d'entreprise français, que de plus la création d'un comité de groupe européen excluait en droit français l'existence d'un comité de groupe à l'échelle nationale.

M. Jean MARIMBERT : Au contraire et nous y avons veillé ! Au moment de la transcription nationale de la directive relative au comité de groupe européen préparée en 1996 et qui a fait l'objet de la loi du 12 novembre, une partie du monde de la grande entreprise réclamait la suppression automatique du comité de groupe dès lors qu'une entreprise entrait dans le champ du comité d'entreprise européen.

Nous avons refusé d'entrer dans une approche mécanique de ce type et nous avons proposé au Parlement, qui l'a adoptée, une formulation dans laquelle il n'existe aucun automatisme, la seule obligation étant d'établir des articulations entre les deux.

Il ne peut y avoir suppression du comité de groupe lors de la mise en place du comité d'entreprise européen qu'à la condition d'un accord, au sein de l'entreprise, visant à ce que le comité d'entreprise européen hérite de tous les pouvoirs donnés au comité de groupe par l'article L. 439-1 et suivants et notamment le pouvoir d'expertise.

C'est donc bien sous réserve d'un accord et d'un transfert des pouvoirs du comité de groupe au comité d'entreprise européen qu'il est possible de substituer le comité d'entreprise européen au comité de groupe français. Nous avons eu un grand débat à l'époque et nous avons veillé à ce qu'il n'existe pas d'automatisme, alors que certains nous le demandaient.

En revanche, je suis sensible à la critique portant sur le formalisme tout au moins dans les premières années d'une instance de ce type - car au sein de cette instance, siègent des délégués de plusieurs nationalités, parfois de dix ou douze avec quatre, cinq ou six langues différentes, si ce n'est plus. D'emblée, se pose un problème de formalisme en raison des traductions - qui génèrent des réunions longues - auquel s'ajoutent la diversité des mentalités nées d'univers culturels différents.

Il est tout à fait logique que les syndicalistes français - la réaction serait identique de la part de syndicalistes espagnols - disent se sentir plus libres de s'exprimer dans un comité d'entreprise national que dans un comité d'entreprise européen, mais si la société anonyme Renault a connu des déboires judiciaires en 1997 devant les tribunaux français, c'est parce que le juge a considéré que cette société n'avez pas respecté les obligations d'information et de réunion préalables qu'impliquait l'instance européenne.

Il est possible de penser autrement, d'avoir une vision différente; mais à partir du moment où les grands groupes optent pour une centralisation de leurs grandes options financières et de leurs grandes options stratégiques en matière de ressources humaines, leurs directions doivent savoir qu'elles ont en face d'elles les représentants des salariés de tous les pays sauf à accepter un dialogue bancal et l'absence de ce minimum de contre-pouvoir qui doit exister à l'échelon transnational.

Les comités d'entreprise européens ne sont pas un long fleuve tranquille. Il leur faudra un certain temps pour acquérir, au sein des groupes, de l'épaisseur mais c'est aux organisations syndicales de faire pression, si elles ont le sentiment que la direction le traite à la légère et n'inscrit pas à son ordre du jour les sujets stratégiques concernant l'évolution du groupe.

Il faut convenir que les organisations syndicales ont une attitude, à dire vrai, assez mitigée, saluant à la fois la mise en place des comités d'entreprise européens quand la directive a été adoptée et la loi de 1996 votée, déclarant qu'il s'agissait d'un droit supplémentaire s'ajoutant à la consultation nationale mais manifestant aussi la crainte que le dialogue transnational ne dévitalise le dialogue national. Or, ce dernier représente ce à quoi elles sont habituées, ce qui fonctionne de longue date et elles ne veulent pas lâcher la proie pour l'ombre.

Nous vivons dans une situation transitoire où le fonctionnement des comités européens n'est pas encore suffisamment «acclimaté» pour que les organisations syndicales le considèrent comme une conquête et un «acquis» protecteur ; mais il se peut que, d'ici quatre ou cinq ans, les organisations syndicales aient une autre vision lorsqu'elles auront fait l'expérience que le débat préalable et l'action revendicative déclenchée à partir des débats du comité d'entreprise européen permettent de peser face à des décisions transnationales.

M. le Rapporteur : Leur expérience ne concerne pour l'instant que les rapports de force qui s'établissent au plan national, à celui des entreprises et à celui des sites, alors que le comité d'entreprise européen leur paraît être une instance quelque peu éthérée dont on ignore encore le fonctionnement avec tous les inconvénients et les handicaps que vous avez cités, c'est à dire culturels et linguistiques. Certaines personnes confrontées à cette situation reviennent, il est vrai, très sceptiques.

Pour les groupes qui ne mettent pas en place les comités d'entreprise européens, des sanctions sont-elles prévues ?

M. Jean MARIMBERT : Nous pensons nous faire une idée de la façon dont se mettent en place les comités d'entreprise européens dans les entreprises françaises concernées par ces dispositions dans le courant du présent semestre.

Le nombre des entreprises concernées n'est pas connu à l'unité près ; entre 150 et 200 entités françaises seraient concernées. Nous avons entamé un travail de recueil de données en mobilisant les services déconcentrés du ministère, les directions départementales et les inspections du travail des départements les plus importants - ceux qui ont des sièges sociaux - afin de voir exactement où nous en sommes dans la mise en oeuvre de la directive puisque c'est en 1999 que la Commission de Bruxelles doit évaluer l'application de la directive de 1994 en vue de proposer, fin 1999 ou début de l'an 2000, sa modification.

L'année 2000 sera extrêmement chargée au niveau communautaire, car la présidence française, au deuxième semestre, pourrait avoir la responsabilité de traiter du dossier relatif à l'information/consultation au niveau national et de la révision éventuelle de la directive du comité d'entreprise européen, si je fais l'hypothèse que, dans l'intervalle, la directive sur la société européenne et son volet social auront été adoptés.

Quelles sont les présidences qui nous séparent de la présidence française et que feront-elles ? C'est à dire la présidence allemande de ce premier semestre, la présidence finlandaise du deuxième semestre 1999 et la présidence portugaise du premier semestre 2000.

La présidence allemande : en dehors de la mise en _uvre des plans nationaux pour l'emploi et de l'actualisation des lignes directrices communautaires, son principal sujet sera celui de la société européenne, à savoir l'adoption définitive d'une position commune sur le volet social de la société européenne et sans mise à l'ordre du jour de l'information/consultation au niveau national.

Les bons connaisseurs des travaux communautaires estiment que si l'Allemagne n'a pas mis ce point à l'ordre du jour c'est à la suite d'un accord avec les Anglais qui auraient promis - eux qui n'ont pas de tradition participative - d'aider les Allemands à faire adopter le statut de la société européenne en échange de quoi les Allemands ne feraient rien pour que soit adopté un instrument communautaire relatif à l'information/consultation au niveau national dont les Anglais ne veulent pas.

La présidence finlandaise n'éprouve pas, quant à elle, un intérêt particulier a priori sur le sujet et nous pouvons nous demander si elle aura la volonté et le poids politique pour mener à son terme un dossier de ce type.

Les Portugais ne sont pas opposés à l'information/consultation, qui existe par ailleurs dans leur pays mais auront-ils eux-mêmes le poids nécessaire pour aller jusqu'au bout ?

Il n'est donc pas impossible que ce sujet chemine et arrive à maturité lors de la présidence française.

M. le Rapporteur : L'outil statistique est donc insuffisant par rapport à ce que nous pourrions souhaiter ?

M. Jean MARIMBERT : Il n'est pas simple de savoir aujourd'hui quelle est la liste exacte des entreprises soumises à la directive relative au comité d'entreprise européen car les critères sont assez compliqués puisqu'il ne s'agit pas seulement de réunir 1 000 salariés sur l'ensemble du territoire de la Communauté mais également deux implantations d'un minimum de 150 personnes dans un seul État. Cela étant, nous savons à peu près quels sont les groupes concernés.

M. le Rapporteur : Nous pouvons vous envoyer un jeune énarque pendant quelques mois en stage !

M. Jean MARIMBERT : Ce peut être, en effet, un bon thème de rapport de stage mais je suggère d'envoyer un élève de l'ENA ayant fait auparavant de la statistique.

M. le Président : En évoquant les articles L. 122-12 et L. 132-8 sur la continuité des droits des salariés en cas d'externalisations, une question se pose, que nous vivons, M. Daniel Paul et moi-même, dans nos circonscriptions, à savoir l'inscription de ces textes dans la durée.

En règle générale, quand un groupe cède une partie de son activité ou passe un contrat avec une autre entreprise, nous avons des doutes sur la durée de l'engagement réciproque.

M. Jean MARIMBERT : Tout dépend du type de textes auxquels vous faites allusion. Les engagements pérennes sont ceux qui découlent d'une obligation législative.

Dans le cas de la reprise d'une entreprise, avec l'article L. 122-12 vous reprenez les contrats de travail. Si, par la suite, vous estimez que vous disposez d'un motif économique pour licencier une partie des personnels, vous devrez le faire valoir devant le juge. Les dispositions législatives existent avec une jurisprudence relativement stable sur ces sujets. Les droits et obligations des uns et des autres sont connus.

Faites-vous allusion aux obligations de nature contractuelle entre le repreneur et le cédant qui pourraient ne pas être respectées ?

Si ce sont des obligations contractuelles passées entre le cédant et le repreneur en tant que personne morale ou physique, je ne suis pas certain que les salariés puissent s'en prévaloir en justice.

M. le Président : Nous rencontrons ce cas de plus en plus souvent, en raison du repli des entreprises sur leur métier d'origine.

Imaginons une entreprise assurant l'ensemble des services connexes à son activité principale et qui décide de se recentrer sur son activité et d'externaliser les activités qu'elle assurait auparavant. Quid de l'avenir des salariés ? Leur situation s'entend-elle au regard du Code du travail ou de relations conventionnelles qui durent souvent ce que durent les roses ?

M. Frédéric CHALAMET : Le problème que vous soulevez, techniquement, n'est pas simple. Pour prendre l'exemple une entreprise qui, jusqu'à une date X, traitait en interne le nettoyage de ses locaux et qui décide qu'une entreprise spécialisée fera aussi bien l'affaire, il existe deux solutions possibles :

- soit nous sommes dans le cadre de l'article L. 122-12 alinéa 2 parce qu'il y a transfert d'une entité économique implantée au sein de l'entreprise vers une autre entreprise avec l'abandon des actifs correspondants,

- soit il n'y a pas transfert d'une entité économique et les salariés qui étaient affectés à cette activité risquent de se  retrouver «sur le carreau ». Dans ce cas précis, les dispositions conventionnelles en matière de nettoyage industriel font qu'il y aurait application de dispositions équivalentes à celles de l'article L. 122-12 et, probablement, l'entreprise spécialisée qui reprendrait l'activité de nettoyage serait amenée à reprendre les salariés pour les affecter à des travaux du même genre soit au sein de leur entreprise d'origine, soit dans une autre.

M. le Rapporteur : Est-ce une obligation ?

M. Frédéric CHALAMET : S'il y a un texte conventionnel, oui.

M. Jean MARIMBERT : Il faut être clair. Dans l'hypothèse d'une externalisation d'une activité de prestation de services classique par l'appel à un prestataire extérieur qui vient avec ses matériels, l'article L. 122-12 ne joue pas et ce sont éventuellement des clauses conventionnelles complémentaires qui interviennent.

Tel est le cas dans le domaine du nettoyage où il existe une convention collective comme le rappelait M. Frédéric Chalamet, mais ceci ne concerne pas la généralité des externalisations.

Nous avons été parfois amenés à défendre cette clause conventionnelle de transfert hors l'article L. 122-12 face à des critiques prononcées au nom de la liberté de concurrence (dans la mesure où tout repreneur est obligé de reprendre la totalité des obligations antérieures) mais les partenaires sociaux des secteurs concernés sont attachés à ces dispositions conventionnelles et le patronat ne les remet pas en cause.

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