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TOME II
SOMMAIRE DES AUDITIONS
LES TEMOIGNAGES DE LA REPRESENTATION PERMANENTE DE LA FRANCE AUPRES DE L'UNION EUROPENNE, DE LA COMMISSION ET DE SES SERVICES (1)

Les témoignages des services de la Commission

__  Madame Odile QUINTIN, Directrice générale adjointe - DGV (emploi, relations industrielles et affaires sociales) (16 février 1999).

__  Monsieur Michel VANDEN ABEELE, Directeur général à la DG XXI (fiscalité/questions douanières) (17 février 1999)

__  Messieurs José PALMA ANDRES, Chef de l'unité interventions France à la D.G. XVI (politique régionale et cohésion) et Michel-Eric DUFEIL, Chef de l'unité impact régional des politiques communautaires (17 février 1999)

__  Messieurs Pietro Paolo MEROLLA, Directeur général adjoint à la D.G. III (industrie), Luigi VITIELLO, Chef du secteur « aspect industriel de la politique de concurrence et des interventions structurelles » et Michel CATINAT, Conseiller rattaché à la direction générale, chargé de la prospective technologique et de l'impact des technologies sur l'emploi (17 février 1999)

Avertissement

Conformément aux alinéas 1er et 3 de l'article 142 du règlement de l'Assemblée nationale qui disposent que « les personnes entendues par une commission d'enquête sont admises à prendre connaissance du compte-rendu de leur audition », (les intéressés ayant la faculté de produire des observations par écrit), toutes les personnalités entendues ont été invitées à faire part des observations éventuelles que pouvait appeler de leur part le procès-verbal de leur audition.
Certaines n'ayant pas cru devoir donner suite à cette invitation, la Commission a été amenée à considérer que leur silence valait approbation et le procès-verbal les concernant est publié dans le texte qui leur a été soumis.
En outre, un certain nombre de personnalités ont eu l'obligeance de transmettre à la Commission divers documents, soit avant, soit à l'issue de leur audition. Le volume de ces dépôts ou de ces envois est tel qu'il a été matériellement impossible de les reproduire au sein du présent rapport qui s'en tient strictement aux procès-verbaux des auditions.
Seul le relevé des aides reçues par le groupe Moulinex, tel qu'il a été fourni par sa direction, fait exception dans la mesure où ce relevé constitue une information essentielle à la réflexion de la commission d'enquête, celle-ci regrettant que les autres groupes n'aient pu fournir les mêmes renseignements avec autant de précision.
(1) Les auditions ayant été effectuées à Bruxelles et concernant plusieurs Commissaires européens et leurs directeurs de service, le Président de la commission d'enquête a estimé qu'il n'était pas en droit de faire prêter serment hors du territoire national à des personnalités responsables d'une organisation internationale.
Le même régime a été appliqué aux membres de la représentation permanente de la France auprès de l'union europénne.

Audition de Mme Odile QUINTIN,
Directrice générale adjointe - DG V (Emploi, relations industrielles et affaires sociales)

(extrait du procès-verbal de la séance du 16 février 1999 à Bruxelles)

Présidence de M.  Alain FABRE-PUJOL, Président

Mme Odile QUINTIN : Sur les aspects sociaux et d'emploi qui sont de la compétence de ma Direction générale V, je vais vous présenter quatre éléments principaux.

Le premier élément se situe au niveau législatif communautaire : des directives communautaires prévoient des dispositions sociales minimales en matière d'information et de consultation des travailleurs dans les cas de changements en matière d'emploi.

Je vous présenterai ensuite le développement progressif d'une stratégie européenne de l'emploi puis je décrirai le dialogue social européen entre employeurs et syndicats et la manière dont il peut contribuer à apporter des solutions aux problèmex qui vous intéressent.

Enfin, je traiterai des travaux qui ont été récemment menés, à la suite d'un cas qui a suscité beaucoup de réactions à Bruxelles, à savoir la fermeture de l'usine Renault à Vilvoorde et ses conséquences sur l'action communautaire. C'est le point le plus actuel.

Les dispositions législatives existantes touchant le thème qui vous occupe sont les suivantes.

La première est une directive de la fin des années 70 sur les licenciements collectifs. Elle prévoit, entre autres, l'obligation, pour l'employeur qui va procéder à un licenciement collectif, d'informer et de consulter les travailleurs de son entreprise à temps, pour que cette consultation ait un effet utile et puisse être prise en compte dans la décision de licenciement. C'est d'ailleurs l'une des directives mises en cause lors de la fermeture de Renault à Vilvoorde. C'est elle qui n'a pas été respectée dans la partie belge du conflit.

La deuxième est ancienne, mais elle a été révisée l'année dernière. Elle porte sur les transferts d'entreprises. Elle prévoit, premièrement, l'information et la consultation des travailleurs qui vont être affectés par un transfert d'entreprise et, deuxièmement, la sauvegarde d'un certain nombre de droits en termes de salaire ou de protection sociale pour les travailleurs touchés par ce transfert.

Cette directive, révisée l'an dernier par le Conseil, a donné lieu à une très abondante jurisprudence, en particulier sur la définition du transfert de l'entreprise et sur la définition même de ce qu'est une entreprise.

L'évolution de cette directive va dans le sens de celle du droit du travail qui donne davantage - je n'ose jamais utiliser le terme de flexibilité en France - de souplesse et d'espace de négociation pour les partenaires sociaux. Elle fixe des dispositions cadres, mais laisse aux partenaires sociaux la possibilité d'en décider autrement le cas échéant. C'est une constante sur laquelle je reviendrai en parlant du dialogue social.

La troisième est probablement la plus connue : c'est la directive adoptée en 1994 sur la création des comités d'entreprises ou comités de groupes européens qui, après une longue histoire, a été relancée par la fermeture de l'usine Hoover et sa délocalisation en Ecosse.

Celle-ci prévoit, pour toutes les entreprises de plus de mille travailleurs, comportant au moins 150 travailleurs dans deux pays de la communauté, l'obligation d'avoir des mécanismes d'information et de consultation à travers un comité d'entreprise ou un comité de groupe européen, mais aussi - c'est sa grande originalité - la possibilité pour les partenaires sociaux de conclure anticipativement des accords, ce que beaucoup d'entreprises ont fait.

Avant la date butoir, les partenaires sociaux ont eu l'occasion de négocier les accords tels qu'ils les souhaitaient. Des dispositions de référence interviennent pour le cas où, les partenaires ne se mettent pas d'accord, ou pour la mise en _uvre du comité de groupe après la date.

Tout cela est lié à la volonté de laisser aux partenaires sociaux le maximum d'autonomie possible, pour autant qu'ils se mettent d'accord. S'ils n'y parviennent pas, des dispositions législatives interviennent.

Une proposition directement inspirée des réflexions et des carences que l'on a constatées au moment de la fermeture de l'usine de Vilvoorde. Est aussi évoquée devant le Conseil des ministres une proposition de directive sur un cadre général relatif à l'information et la consultation des travailleurs, qui prévoit de combler les lacunes du dispositif existant. Ce n'est encore qu'une proposition et elle rencontre la vive opposition du Royaume-Uni qui en a fait un point politique extrêmement sérieux car cela touche fortement à son système de relations industrielles.

Nous voulons créer un mécanisme d'information et de consultation pour toutes les entreprises de plus de 50 personnes. Ce seuil est élevé à 100 pour les dispositions d'information et consultation concernant ce que l'on appelle la gestion prévisionnelle de l'emploi et les données économiques de l'entreprise.

Cette directive adopte une approche plus offensive que défensive. Au lieu de prévoir l'information et la consultation uniquement au moment où la situation est difficile. Elle prévoit un mécanisme de flot continu d'informations sur l'ensemble des décisions pouvant avoir des conséquences sur l'organisation et les conditions de travail sur l'évolution économique de l'entreprise et sur les éléments prévisionnels liés à l'emploi.

Enfin, elle prévoit des sanctions. Cela a constitué le point fort de la jurisprudence à la fois des tribunaux de Nanterre et Versailles et des tribunaux belges dans le cas de Renault. Ces sanctions visent à ce que la décision prise ne produise pas d'effet juridique pour le travailleur quand il y a violation grave des dispositions de la directive.

Cette proposition vient d'être faite et nous allons voir ce qui va en advenir. Pour l'instant, le Parlement européen s'en est saisi et prépare son rapport. Le Conseil ne l'a pas encore directement abordée.

Depuis trente ans, le Conseil a sur sa table une directive, liée à l'achèvement du marché intérieur, sur le statut de la société européenne : nous espérons qu'elle va bientôt avancer.

Elle a été relancée, il y a quelques années, lorsqu'a été demandé à un groupe d'experts indépendants de haut niveau, dirigé par M. Davignon, président de la Générale de Banque, comprenant des représentants des employeurs et des salariés, d'élaborer des solutions pour relancer la partie qui bloque l'adoption de cette directive depuis trente ans, à savoir la participation des travailleurs.

En effet, les Allemands souhaitent maintenir leur tradition de cogestion, partagée également sous une forme différente par les pays nordiques, alors que d'autres pays comme la France n'ont pas cette tradition et ne souhaitent pas voir ce système s'étendre.

Nous sommes assez proches d'un compromis sur ce sujet. Il s'inspire de la méthode que je vous ai exposée précédemment : les partenaires sociaux sont invités à négocier. S'ils échouent, seront adoptées des dispositions de référence prévoyant des formes de participation liées à ce qu'était la situation avant que la société ne soit européenne, donc à la situation nationale.

Il s'agit de répondre à la diversité des systèmes nationaux. Nous espérons voir cette proposition adoptée dans le cadre de la présidence allemande qui se termine en juin.

Le deuxième élément important est le développement progressif d'une stratégie européenne de l'emploi.

Une des grandes nouveautés du Traité d'Amsterdam est d'avoir inséré un titre sur l'emploi. Pour la première fois, l'emploi est reconnu comme un sujet d'intérêt commun pour les Etats membres de la Communauté. Le traité prévoit la définition au niveau européen d'un certain nombre d'objectifs communs, de lignes directrices, et un système de suivi, de monitoring, de l'évolution permettant de faire l'analyse des meilleures pratiques conduites par les divers Etats membres pour essayer d'apporter une réponse au défi du chômage et de résoudre le problème qui nous distingue de nos partenaires industriels, États-Unis et Japon : un taux d'emploi beaucoup plus bas que dans ces deux pays.

Selon l'accord politique des chefs d'Etats et de gouvernements, cette stratégie a été mise en _uvre en anticipation du Traité d'Amsterdam par un sommet spécial sur l'emploi qui s'est tenu à Luxembourg fin 1997.

Il a pour la première fois développé des lignes directrices en matière d'emploi autour de quatre grands piliers dont trois intéressent directement les restructurations et les délocalisations.

Le premier est le pilier de « l'employabilité ». Il consiste à savoir comment assurer des dispositions suffisantes et, en particulier, une adaptation des mécanismes de protection sociale et de fiscalité, pour rendre plus efficaces les politiques de l'emploi par l'insertion des jeunes, par la réinsertion des chômeurs de longue durée, par une formation professionnelle tout au long de la vie. Il fixe des objectifs quantifiés à atteindre par les Etats membres en un certain nombre d'années.

Le deuxième pilier de ces lignes directrices concerne l'entreprenariat, avec des orientations qui visent à lever les obstacles à la création d'entreprises, à développer le secteur des services, et de manière générale, à favoriser l'esprit d'entreprise, dont la faiblesse en Europe constitue l'une des grandes différences qui nous séparent de nos partenaires américains.

Le troisième pilier intéresse très directement votre sujet : l'adaptabilité. Comment les partenaires sociaux peuvent-ils être encouragés à moderniser le cadre contractuel touchant l'organisation du travail en liaison avec les nouvelles technologies, compte tenu de l'impact de la mondialisation, de manière à concilier les exigences de flexibilité et de souplesse émanant des entreprises avec la nécessaire sécurité des travailleurs ?

Parmi les thèmes de ce débat cher à la France, figurent le temps de travail, la formation tout au long de la vie, le télétravail et toutes les nouvelles formes d'emploi.

Le quatrième thème nous intéresse moins directement et je ne ferai que le mentionner : il s'agit de la promotion de l'égalité des chances.

L'engagement de cette stratégie européenne pour l'emploi fait l'objet de lignes directrices qui doivent être comprises en articulation étroite avec les grandes orientations de politique économique qui sont liées, pour leur part, à l'achèvement de l'Union économique et monétaire.

Un pas supplémentaire a été fait lors du dernier conseil européen à Vienne avec l'idée, proposée par le nouveau chancelier allemand et soutenue dans le cadre de l'initiative franco-allemande, d'un pacte européen pour l'emploi renforçant la synergie entre politique économique et politique sociale et de l'emploi, impliquant de manière plus forte les partenaires sociaux - j'y reviendrai en parlant du dialogue social au niveau européen - et qui, le cas échéant, pourrait conduire à définir des objectifs quantifiés plus précis dans les lignes directrices en matière d'emploi.

Voilà pour l'évolution en matière d'emploi qui vise à donner une dimension sociale plus forte à ce qui était essentiellement fondé jusqu'ici sur la coordination économique.

Le dialogue social constitue le troisième grand élément. Au niveau européen, l'accent a été mis sur ce point depuis le milieu des années 1980 sous l'impulsion de Jacques Delors.

Depuis quinze ans, a été lancé un dialogue social européen entre les organisations d'employeurs et les organisations syndicales, les unes et les autres étant regroupées au niveau européen. Cela s'est concrétisé dans le protocole social du traité de Maastricht auquel le Royaume-Uni n'avait pas adhéré.

Il rendait possible de nouvelles modalités de législation communautaire en donnant à la Commission la mission de promouvoir le dialogue social. Il permettait aux partenaires sociaux, de manière autonome, d'interrompre un processus législatif lancé par la Commission, négociant des conventions collectives à la place du législateur communautaire et de demander, s'ils arrivaient à un accord, que ce dernier soit intégré dans la législation européenne, sous forme de directive.

La mise en oeuvre de ces dispositions a pris du temps, mais les partenaires sociaux sont parvenus, au niveau interprofessionnel, à conclure de tels accords à trois reprises. La première fois, il y a trois ans, sur le congé parental qui nous intéresse moins directement. Ils l'ont fait pour la deuxième fois en 1997 sur le travail à temps partiel. C'est le premier pas important accompli dans le souci d'une meilleure conciliation entre flexibilité et sécurité. Ils viennent de réussir tout récemment sur un thème encore plus difficile : les contrats à durée déterminée, sujet sur lequel les partenaires sociaux devraient signer dans un mois leur troisième convention collective européenne qui sera également transformée en directive européenne.

Au niveau sectoriel, c'est plus difficile. Le premier accord sectoriel au niveau européen sera transposé en directive communautaire dans le domaine des transports maritimes. Nous avions tenté la même méthode dans un domaine qui vous intéresse très directement, celui du transport routier. Mais les employeurs et les syndicats n'ont pas pu se mettre d'accord. Cela a donné lieu à une proposition de directive sur le temps de travail dans les transports, émanant de la Commission. Les partenaires sociaux ont ainsi la possibilité, au niveau européen, de conduire les discussions, en particulier sur les thèmes larges de l'organisation du travail, y compris le temps de travail, les nouvelles formes de travail et, la formation professionnelle ou continue.

Dans le cas de l'information et de la consultation des travailleurs, les partenaires sociaux ont refusé de négocier. La Commission a donc présenté sa proposition législative. Mais nous soutenons l'idée selon laquelle le principe de subsidiarité dans le domaine social est non seulement un principe de subsidiarité du communautaire par rapport au national, mais aussi du législateur public par rapport aux organisations professionnelles d'employeurs et de syndicats.

Les partenaires sociaux ont devant eux la possibilité de négocier sur tous les thèmes de l'organisation du travail et de l'anticipation des mutations industrielles. Nous verrons s'ils sont en mesure de développer une approche commune sur ces thèmes.

Le dernier point est le plus actuel : il concerne les initiatives que nous avons prises après la fermeture de l'usine Renault de Vilvoorde. Nous avons essayé, dans le cadre du dialogue social, d'obtenir des partenaires sociaux qu'ils essaient de tirer ensemble les conséquences des problèmes dont la gravité avait été illustrée par cette fermeture, et de réfléchir à une approche commune sur la façon d'anticiper et d'accompagner les mutations industrielles nécessaires.

Comme ils n'étaient pas parvenu à un accord, le conseil européen, qui s'est tenu à Luxembourg en 1997 et qui a mis en oeuvre pour la première fois cette stratégie européenne de l'emploi, a demandé à la Commission de créer un groupe chargé de faire des propositions concernant la manière d'aborder les conséquences économiques et sociales des mutations et restructurations industrielles.

Ce groupe, créé en 1998, était composé de représentants des employeurs et des salariés et d'experts indépendants. Il a été présidé par M. Gyllenhammar, ancien président du groupe Volvo, aujourd'hui président de l'une des principales compagnies financières au Royaume-Uni, la Commercial Union. Du côté français, il y avait deux experts, un proche des syndicats, Jacques Chérèque, et un expert indépendant, Bernard Brunhes. Les autres membres étaient l'ancien ministre portugais du travail, Mme Maria Joào Rodriguez, des représentants de l'institut McKinsey, de Deutsche Telekom AG, d'une entreprise britannique, M. Beresford et un syndicaliste, Bruno Trentin.

Ce groupe a remis un rapport qui a été bien accueilli par les chefs de gouvernements réunis à Vienne. Il s'organisait autour des éléments suivants : comment améliorer l'adaptabilité de l'entreprise et limiter les adaptations brutales ? Comment préserver « l'employabilité » des travailleurs ? Comment réduire les coûts sociaux des mutations ? Comment mieux anticiper le changement ?

Les recommandations du groupe ont été assez diversifiées. La première est relative à une approche offensive du changement. Le groupe a voulu que l'Union européenne se concentre sur le positif, sur les moyens de créer et d'améliorer. Pour cela, il a proposé l'approche du Bench marking (Etalonnage des performances) comme un outil dynamique, encourageant les entreprises à prendre des initiatives nouvelles pour essayer d'égaler les meilleures d'entre elles.

Le groupe a estimé qu'il appartenait aux autorités publiques à tous les niveaux - national, européen, mais aussi régional et local - de fixer des normes minimales contraignantes pour empêcher les comportements incorrects, notamment en matière d'information et consultation, mais que le meilleur n'était jamais obtenu par la voie législative et que les entreprises en particulier se devaient de développer sur une base volontaire les meilleures mesures pour assurer « l'employabilité » de leur main d'_uvre.

Une autre recommandation met l'accent sur le rôle du dialogue social. Les mutations industrielles sont une chance et il faut les anticiper, s'y préparer et les gérer. Pour cela, un dialogue à tous les niveaux, fondé sur une information complète et transparente, est nécessaire. Dans son analyse, le groupe a estimé que les entreprises les plus performantes sont celles qui entretiennent avec les salariés un bon dialogue social, la motivation du personnel étant une composante essentielle de la réussite commerciale.

Le groupe recommande aussi la création d'un observatoire, afin d'accroître les capacités d'anticipation ; il aurait pour mission de recueillir et de diffuser l'information sur les mutations industrielles. Cet observatoire ne devrait pas se superposer aux structures mais identifier ce qui existe, le mettre en réseau et créer un lieu qui pourrait, sur base des données dont il disposerait, aider au dialogue, notamment au niveau sectoriel, entre entreprises et syndicats.

Dans le même souci, un rapport sur la gestion du changement apparaît utile. Le groupe suggère que les grandes entreprises européennes de plus de 1 000 salariés - le seuil retenu est le même que celui qui vaut pour le comité d'entreprise européen - élaborent un rapport régulier sur la gestion du changement.

L'idée consiste à faire un rapport social parallèle au rapport financier de l'entreprise pour fournir des informations sur les mutations structurelles prévues, sur la façon dont elles sont gérées, pour présenter les politiques et programmes de formation, pour assurer « l'employabilité », l'adaptabilité, et pour définir certains thèmes du type santé-sécurité ou égalité des chances.

Il s'agit de préparer l'économie de demain, ce qui suppose le renouvellement et l'amélioration des infrastructures, un encouragement en faveur des secteurs en croissance, dont deux en particulier - les secteurs liés aux nouvelles technologies et les services aux personnes - l'incitation à des actions ciblées en matière de recherche et développement et l'accélération de l'adaptabilité et de l'acquisition de compétences nouvelles.

Le groupe souligne ensuite la nécessité d'assurer « l'employabilité » grâce à une proposition novatrice en matière d'aides d'Etat. Le groupe est d'avis que les entreprises sont responsables de « l'employabilité » des travailleurs et que celles qui licencient sans avoir auparavant réalisé des investissements suffisants en ressources humaines font porter à celles qui embauchent le coût de la formation. Le groupe suggère que ces entreprises soient inéligibles à l'aide publique, ce qui est relativement radical.

Enfin, le rapport analyse le rôle des divers acteurs. Le groupe estime qu'il incombe à chacun d'eux - entreprises, syndicats, autorités publiques - un rôle et des responsabilités suffisamment clairs pour éviter les interférences et garantir une mise en _uvre harmonieuse et efficace. Les pouvoirs publics ne doivent pas faire obstacle au changement : ils sont là pour fixer les règles du jeu, faciliter la coopération et le partenariat au plan local et créer un environnement macro-économique favorable.

Nous sommes en train d'étudier ces recommandations et de mettre en place deux d'entre elles. La première est la création de l'observatoire, la Commission ayant lancé une étude de faisabilité qui devrait se terminer cet été.

Nous avons aussi pris contact avec des réseaux d'entreprises afin de trouver des entreprises prêtes à réaliser un rapport sur la gestion du changement. Nous avons établi des relations avec la « table ronde des industriels » et avec un réseau, soutenu par la commission du réseau européen des entreprises pour la cohésion sociale, où l'on retrouve beaucoup d'entreprises qui font partie de la « table ronde ».

M. le Président : M. le Rapporteur a quelques questions à vous poser mais je souhaiterais d'abord quelques éclaircissements sur le système de l'inéligibilité des entreprises aux aides publiques.

Mme Odile QUINTIN : C'est une proposition du groupe que j'ai mentionnée mais que la Commission n'a pas retenue.

La position du groupe a évolué sur ce sujet. Dans son premier rapport, le Président proposait que les entreprises qui n'assuraient pas de manière adéquate « l'employabilité » de leur main d'_uvre, à travers l'investissement en formation professionnelle en particulier, pourraient se voir sanctionnées.

Nous avons discuté du rapport avec les représentants des employeurs et des syndicats. Ce type de proposition a soulevé les réactions que vous pouvez imaginer. Le groupe a pensé que des mesures incitatives seraient mieux acceptées.

Très sensible au respect des règles de concurrence et à la limitation des aides d'Etat, il a proposé, dans un troisième temps, l'inéligibilité de l'entreprise aux aides dans les cas de bad behaviours (mauvais comportements) en matière de formation professionnelle.

Cette proposition n'est pas appliquée à ce jour. De manière générale, les chefs d'État et de gouvernement ont pourtant favorablement reçu ce rapport du fait de l'approche générale positive que j'ai mentionnée.

M. le Rapporteur : Ne pensez-vous pas que beaucoup de réticences relatives à la construction européenne proviennent du fait qu'elle a négligé le domaine social ?

Au sein de la Commission européenne, pensez-vous que, progressivement, le social fera partie, comme l'agriculture, la pêche, l'industrie ou les finances, des domaines d'intervention naturels de l'Union  ?

Existe-t-il des sanctions en cas d'infraction à la nouvelle directive sur le comité d'entreprise européen ?

Mme Odile QUINTIN : Il apparaît nettement que, au fil des traités, le social occupe une place de plus en plus importante.

Le traité de Rome ne prenait en compte que les dispositions sociales directement liées aux distorsions de concurrence. Les deux seules dispositions sociales réellement contraignantes du Traité étaient l'égalité de rémunération entre hommes et femmes et les congés payés. S'y ajoutait tout ce qui concernait la libre circulation et la sécurité sociale des travailleurs migrants, directement liées aux quatre libertés fondamentales du Traité.

L'Acte unique européen a apporté deux nouveaux éléments qui sont la santé-sécurité sur les lieux de travail - je n'en ai pas parlé car cela nous intéresse moins ici, mais il y a un corpus législatif très important - et la promotion du dialogue social européen avec, pour la première fois, la possibilité pour les partenaires sociaux de conclure des conventions collectives.

Le traité de Maastricht a consacré une très grande avancée, mais avec le petit hiatus britannique qui constituait le premier pas vers l'idée d'une Europe à la carte. Il y avait certes ce danger en germe mais les interventions sociales étaient facilitées dans un certain nombre de domaines, où l'on pouvait adopter des dispositions à la majorité qualifiée. Les partenaires sociaux pour leur part ont obtenu la possibilité de conclure des conventions collectives. C'est ce qui a conduit à la directive sur les comités d'entreprise. Celle-ci a été adoptée dans le cadre du protocole social, tout comme la directive sur le travail à temps partiel.

Ensuite, le traité d'Amsterdam a intégré le protocole social dans le Traité, grâce à l'adhésion britannique au chapitre social, et a créé un titre pour l'emploi. Le progrès est donc continu. Avec Amsterdam, le titre pour l'emploi est explicitement et directement relié à la coordination des politiques économiques et montre la volonté, qui avait été fortement exprimée par le gouvernement français lors du sommet des chefs d'Etats et de gouvernements à Amsterdam, d'avoir en parallèle, et en synergie, politique économique et politique sociale et de l'emploi.

Historiquement, le domaine social a du retard, mais, en termes d'orientation politique, la situation s'équilibre. L'idée du pacte européen sur l'emploi, si elle se concrétise sera certainement un signal important pour ce développement.

L'Europe sociale a beaucoup progressé, à la fois par la volonté des chefs d'État et de gouvernement de donner une dimension sociale qui leur semblait indispensable pour que le projet européen soit accepté par les citoyens, et sous la pression des événements.

Mais je pense que l'Europe sociale n'est pas suffisamment connue. Il y a une législation communautaire importante dans le domaine social. Elle a donné lieu à une très large jurisprudence, y compris en France où des problèmes complexes ont été soulevés, et la partie liée à la libre circulation des travailleurs et à la sécurité sociale des travailleurs migrants est très importante dans la vie quotidienne des citoyens communautaires.

Deux autres domaines essentiels sont relatifs à l'égalité de traitement entre homme et femme, fondée sur l'égalité de rémunération, et à la santé-sécurité sur le lieu de travail. Une directive cadre et quarante-quatre directives « filles » sur des secteurs spécifiques de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs sont ainsi en révision et en adaptation permanente.

Dans le domaine du droit du travail, il y a une série de directives liées à la protection et à l'information-consultation des travailleurs dans des cas spécifiques mais aussi à d'autres questions, à l'exemple de cette récente directive sur le détachement des travailleurs.

Enfin, la nouvelle génération de directives est fondée sur les accords des partenaires sociaux. Cela nous paraît être la voie intéressante pour l'avenir. La France n'est pas exemplaire sur ce plan si on compare sa situation à l'évolution d'un certain nombre d'Etats membres où, de plus en plus, la voie conventionnelle se développe, la législation devenant un cadre général permettant aux partenaires sociaux de trouver leurs équilibres propres.

Le problème des sanctions prévues par ces textes est délicat. Pour les directives que j'ai mentionnées, les formulations relatives aux sanctions sont très générales ; les Etats membres ayant toujours été très soucieux de la subsidiarité, chacun préfère imposer les sanctions qu'il juge adéquates.

La Cour de Justice a développé une jurisprudence intéressante sur ce sujet et a condamné certains Etats membres, notamment le Royaume-Uni, qui n'avaient pas prévu de sanctions suffisantes en cas de transfert d'entreprises, si bien que la directive était privée de tout effet utile.

Dans l'affaire Renault, les deux directives en cause étaient celle relative au comité d'entreprise européen en ce qui concernait la France et celle relative aux licenciements collectifs pour la Belgique.

Les juridictions belge et française ont toutes les deux annulé la décision de Renault aussi longtemps que les modalités adéquates de consultation et d'information n'avaient pas été mises en oeuvre. Ce sont les juridictions qui ont donc prévu la nullité de la décision prise en contradiction des législations nationales appliquant les législations communautaires.

Néanmoins je suis d'accord avec vous sur le fait que les sanctions ne sont pas suffisantes. C'est pourquoi, notre proposition sur l'information-consultation prévoit des sanctions plus précises. Nous verrons ce qu'il en adviendra au cours de la discussion en conseil des ministres.

M. le Rapporteur : Nous nous demandons si, étant donné leur rôle dans la politique de l'emploi, les grands groupes ne devraient pas être plus attentifs aux avis des représentants du personnel.

Dans l'hypothèse où les modifications dans la structure du groupe qui entraînent des risques pour l'emploi seraient déterminées par un souci de rentabilité et non par des impératifs industriels - on sait fort bien que les entreprises vivent, se développent, périclitent, que des marchés disparaissent ; mais actuellement les raisons de développement ou de modification des groupes sont très souvent liées à la rémunération du capital et n'ont que très peu à voir avec des raisons industrielles pures -, peut-on imaginer, qu'au niveau européen, il y ait une possibilité de blocage par un comité de groupe de sorte que telle restructuration prévue par un groupe européen ne puisse pas s'opérer ?

Mme Odile QUINTIN : Le protocole social, bientôt intégré dans le Traité, prévoit que pour toute une série de thèmes, les décisions se prennent à la majorité qualifiée.

Avec le traité d'Amsterdam, apparaît une procédure de co-décision avec le Parlement européen, qui a toujours été très favorable au domaine social. Les seuls cas où les décisions continuent à être prises à l'unanimité dans ce domaine concernent la protection sociale, où la culture nationale est prépondérante et où il n'y a pas d'harmonisation communautaire, les modalités de participation des travailleurs et les conditions d'emploi pour les travailleurs des pays tiers.

Enfin, certains domaines sont hors compétence sociale : la détermination des salaires, le droit de grèves et le lock out. L'ensemble des autres dispositions est prise à la majorité qualifiée. La directive sur le comité d'entreprise européen a été adoptée ainsi. Celle relative au détachement des travailleurs a été acceptée malgré les deux votes négatifs du Royaume-Uni et du Portugal. Celle sur le comité d'entreprise ne prévoit pas de pouvoir de blocage du comité d'entreprise puisqu'il s'agit d'information et de consultation : nous ne sommes pas dans une perspective de cogestion ou de participation des travailleurs en tant que tels, comme on le voit dans le système allemand ou dans un certain nombre de pays nordiques.

L'objectif de la proposition de directive sur l'information-consultation des travailleurs, est que l'information et la consultation portent sur des sujets plus larges que ceux qui ont trait directement à la décision qui affecte la vie du travailleur, et permettent aussi d'avoir un échange plus large sur l'évolution économique de l'entreprise et sur ce que l'on appelle la gestion prévisionnelle de l'emploi - même si ce n'est pas le terme qui figure dans notre texte - c'est-à-dire les évolutions prévisibles et la stratégie de l'entreprise en matière d'emploi.

Cela rejoint ce que préconise le groupe Gyllenhammar, à savoir une approche d'anticipation et de dialogue beaucoup plus importante, sans aller jusqu'à un pouvoir de blocage syndical d'une décision d'entreprise.

M. le Rapporteur : Même lorsque cette décision n'est pas motivée par un impératif industriel, il peut donc y avoir des mutations dans l'entreprise.

L'une des revendications fortes en France est que dans le cas d'opérations comme Hoover, qui ne sont guidées que par des objectifs de rentabilité financière, un comité de groupe européen puisse s'y opposer.

Dans les entreprises existe déjà en France le droit d'alerte. Envisage-t-on d'aller plus loin dans certains cas ? Est-il concevable que cette possibilité soit ouverte dans le cadre des comités d'entreprise européens ?

Mme Odile QUINTIN : On n'en est pas là et, à mon avis, on en est assez loin au niveau européen car ce sont des thèmes sur lesquels les traditions de relations industrielles dans les Etats membres sont assez différentes.

Pour les Britanniques, qui sont très sensibles à ce sujet, discuter dans un comité, quelle que soit la forme que cela revêt, est déjà un bouleversement des traditions, ce dont atteste le fait qu'ils viennent seulement de se rallier à la dimension sociale.

M. Alain COUSIN : Quel est l'état de la réflexion de la Commission sur la notion de participation au sens auquel l'entendait le général De Gaulle ? Est-ce une notion au c_ur de vos préoccupations ? Et comment se développe-t-elle ?

Mme Odile QUINTIN : C'est un débat qui se développe. Nous disposons d'un instrument communautaire, une recommandation sur la participation financière, qui a fait l'objet de deux rapports de la Commission : les rapports Pepper témoignant des évolutions intéressantes des Etats membres sur ce sujet.

Nous nous sommes engagés pour cette année à prendre une initiative sur ce sujet sous une forme qui sera vraisemblablement une communication avec des éléments de programme d'action pour stimuler le débat.

Dans le rapport que nous avons fait l'an dernier pour le conseil européen de Vienne, les questions de capital-risque sont évoquées : on y retrouve un élément de participation financière. Ce n'est pas un thème qui a fait l'objet de législations contraignantes, mais sur lequel on va certainement développer une forme de stimulation.

M. Alain COUSIN : C'est un aspect de la participation financière. Il y a un autre aspect qui est la participation à la décision, au management. Est-elle l'objet d'une réflexion ?

Mme Odile QUINTIN : Sur la participation au management, le seul débat est relatif à la création de la société européenne.

Pour la création de la société européenne, sujet vieux de 30 ans, l'un des pays fondateurs de la Communauté est maintenant relayé par plusieurs autres qui ont une tradition de co-détermination : en Allemagne, par exemple, où les travailleurs participent au conseil d'administration et au conseil de surveillance selon la structure des entreprises.

Ce débat a évolué très lentement car des pays qui, comme la France, n'ont pas cette tradition, ne sont pas forcément disposés à aller vers ce type de cogestion. Le débat est pour l'instant assez brûlant, puisque l'acceptation du principe de la société européenne dépend du compromis que l'on trouvera sur ce sujet.

Le compromis en cours de discussion au Conseil consisterait à prévoir que, pour qu'une société européenne se crée, il faut une forme de participation des travailleurs qui soit à la discrétion des partenaires sociaux par le biais de la négociation. Si les négociations aboutissent à un constat d'échec, des dispositions s'appliqueraient moyennant un système de vote très complexe, et ces dispositions seraient fondées sur le principe européen avant/après, c'est-à-dire le principe selon lequel le système serait, par la détermination d'une certaine majorité, celui qui s'était appliqué avant la création de la société européenne.

Autrement dit, si on avait davantage de travailleurs venant d'une société à tendance allemande, le système de participation s'imposerait, s'il y avait davantage de travailleurs venant d'une société à type de management britannique, le système de participation ne s'appliquerait pas.

On a essayé de trouver un système où les partenaires sociaux trouveraient leur propre équilibre : c'est une tendance récurrente dans le développement du droit social européen. Dans un deuxième temps, s'il ne se mettent pas d'accord, ils sont encouragés à trouver une solution par le fait que les formules proposées ne sont intéressantes ni pour les pays qui ont une tradition de cogestion, ni pour les pays qui n'en ont pas.

C'est un dossier très sensible qui a failli faire l'objet d'un compromis lors du dernier conseil en décembre dernier, mais il a été bloqué par l'Espagne.

Un compromis est en cours de négociation mais l'issue dépend malheureusement d'une série de configurations politiques complexes concernant l'Espagne, dont le problème de Gibraltar est un élément.

M. le Rapporteur :  Pouvez-vous nous transmettre les principaux textes jurisprudentiels auxquels vous avez fait allusion ?

Vous avez parlé d'un seuil de 1 000 travailleurs. L'INSEE retient pour les grands groupes le seuil de 10 000 emplois. A l'échelon européen, avez-vous un observatoire social qui a pu déterminer une attitude différente au-delà de 10 000 salariés ? Voit-on, à partir de Bruxelles, une typologie en matière sociale dès lors que l'on s'élève en nombre de travailleurs ?

Mme Odile QUINTIN : Nous n'avons pas d'observatoire de ce genre mais nous allons réunir dans deux mois tous les comités d'entreprises et de groupes qui se sont créés depuis la directive et sous son effet, afin d'analyser les différences de comportements.

Est-ce en fonction du nombre de salariés, du nombre de pays impliqués dans un comité de groupe avec des traditions différentes en matière sociale ? Une grille d'analyse devrait nous permettre d'avoir de premiers éléments sur ce sujet.

L'enquête est en cours et elle se finalisera lors d'une conférence où toutes les personnes concernées vont se retrouver fin avril.

M. le Rapporteur : Nous aurons donc la chance d'avoir les résultats avant la conclusion des travaux de la commission.

Troisième et dernière question : vous nous avez dit que la société européenne était en gestation depuis 30 ans. D'après certains témoins ou observateurs auditionnés, la société européenne risque d'avoir encore devant elle 30 ans de gestation. D'autres sont plus optimistes et considèrent que cela devrait aboutir plus rapidement. Quel est votre sentiment sur le sujet ? Quelle est l'échéance raisonnable ?

Mme Odile QUINTIN : Pour avoir négocié tous les jours depuis un an, je pense que, soit on arrive à contourner le problème espagnol au cours des 3 ou 4 mois qui viennent, soit le dossier est renvoyé pour à peu près la même période de 30 ans.

Pour ma part, je suis relativement optimiste car le chemin le plus difficile sur la voie du rapprochement a été parcouru au cours de ces deux dernières années. Un compromis a donc de bonnes chances d'être trouvé au cours de cette année.

M. Alain COUSIN : Pourrions-nous revenir sur le problème espagnol ?

Mme Odile QUINTIN : Il est très proche du problème français. Les Espagnols estiment que les modalités de participation des travailleurs à la décision sont très différentes d'un État membre à l'autre. En particulier, en Espagne, les travailleurs, s'ils sont informés et consultés, ne sont pas associés à la décision. Les Espagnols ont peur que le texte en cours d'élaboration ne se rapproche trop du système allemand de cogestion.

S'ajoute à cette crainte le problème de statut des sociétés de Gibraltar.

Audition de M. Michel VANDEN ABEELE
Directeur général DG XXI (fiscalité/questions douanières)

(extrait du procès-verbal de la séance du 17 février 1999 à Bruxelles)

Présidence de M. Alain FABRE-PUJOL, Président

M. Michel VANDEN ABEELE : Je vais vous dire quelques mots sur ma compétence et je pourrai répondre ensuite à toutes vos questions.

Je suis responsable de la DG XXI, qui s'occupe de la fiscalité et de l'union douanière. Cette dernière expression paraît un peu désuète, mais c'est elle qui a constitué la première étape de la construction européenne, dont nous abordons la troisième étape : il y a eu l'union douanière, le marché intérieur, et maintenant l'euro.

Par l'union douanière, les Etats s'imposent librement l'obligation de ne pas créer de barrière douanière entre eux, ce qui est réalisé, mais surtout d'établir une cohérence douanière vis-à-vis des pays tiers.

Nous sommes les exécutants des décisions politiques, notamment en matière de dumping ou de quota lorsque la Communauté décide de mettre en place un dispositif relatif à l'importation d'un produit.

En effet, quand la Commission ou le Conseil décide, par exemple, de limiter l'importation de produits textiles venant d'un pays tiers, il faut qu'en temps réel nous mettions en place un système d'information des douanes de tous les pays de la Communauté européenne pour que les quotas soient respectés. Il est vain de bien les respecter à Marseille s'ils ne sont pas pris en compte à Rotterdam ou à Athènes.

Nous avons donc une obligation de résultat relativement peu connue en matière douanière qui fait que c'est ma direction générale qui gère notamment un certain nombre de systèmes d'informations en temps réel, qui donne aux administrations douanières la capacité de travailler un peu comme « une seule » administration douanière.

J'ai les meilleurs contacts avec les directeurs généraux des douanes de tous les pays de la Communauté européenne, et nous gérons un réseau informatique assez lourd qui permet d'être en contact journalier avec l'ensemble des opérations.

L'union douanière implique aussi la préparation de futurs élargissements. Dès qu'un nouveau pays entre dans la Communauté européenne, il fait partie de l'union douanière. Les frontières de la Pologne, par exemple, vont être les nôtres puisque l'union douanière consiste à vivre ensemble dans un système où les biens et les services circulent librement, et où il y a une cohérence vis-à-vis de l'extérieur.

Ce n'est pas un sujet dont on parle beaucoup mais l'union douanière est vraiment un pilier de l'Union européenne, à la fois dans le présent, mais aussi dans le futur, en ce sens que c'est l'expression d'une identité commerciale cohérente des Etats membres. Jusqu'à présent, cela se traduit essentiellement sur les droits de douane ou sur les taxes à l'importation.

Bien entendu, il y a aussi les produits agricoles. L'union douanière gère leur importation et effectue des prélèvements.

De plus, quand l'Europe met en place une clause sociale, quand elle décide de ne pas importer de ballons de football pour la coupe du monde fabriqués au Pakistan par des petites filles de moins de 12 ans, cela veut dire que les douaniers doivent faire observer cette interdiction ! Il y a donc des clauses sociales que les pays tiers sont obligés de suivre, mais leur mise en oeuvre est bien entendu dépendante de la vigilance des douaniers.

Deuxièmement, lorsque nous accordons des préférences à un certain nombre de partenaires (les pays d'Afrique par exemple, ou les pays méditerranéens), il faut faire en sorte que leur respect soit contrôlé par l'instrument douanier.

Dans le cas d'une préférence que nous devrions accorder à la Tunisie, par exemple, pour l'exportation de ses produits, il faut que la douane communautaire et les instruments douaniers nationaux soient en contact avec les administrations de Tunisie pour s'assurer que les produits en cause en viennent effectivement.

Dernièrement, on a donné à la douane des compétences en matière environnementale. Cela paraît assez curieux, mais de nouveaux produits sont désormais soumis au contrôle douanier, soit pour des raisons de santé, soit pour des raisons d'environnement.

L'autre partie de notre activité concerne la fiscalité. Il y a là deux parties : la fiscalité indirecte et la fiscalité directe.

Pour ce qui est de la fiscalité indirecte, le grand chantier de la TVA est ouvert. Nous avons mis en place depuis longtemps un système cohérent dans tous les pays membres de la Communauté européenne, fondé sur la TVA. C'est la sixième directive qui donne une base commune pour que vaille partout la même définition des taxations indirectes.

Pour le moment, le système n'est pas cohérent. Un chantier à long terme est ouvert : celui du passage du système du lieu de consommation au lieu d'origine. En France, lorsqu'un producteur lillois vend à un consommateur marseillais par exemple, la TVA est perçue par l'administration fiscale de l'agglomération lilloise, donc dans le lieu d'origine et non de consommation du bien.

Cela ne se passe pas ainsi dans la Communauté européenne. Quand un produit est vendu de Courtrai à Valenciennes, qui sont distantes de 15 kilomètres, la perception de la TVA s'opère sur le lieu de consommation, c'est-à-dire à Valenciennes.

Il y a en effet détaxation au moment de "l'exportation", et une application du taux de TVA au niveau français, ce qui est totalement illogique mais résulte d'une longue tradition et du fait que nous sommes encore à mi-chemin en matière de cohérence fiscale et de TVA.

Le projet de la Commission, auquel les Etats membres ont déjà donné leur accord vise la transformation du système de TVA à la consommation en un système de TVA à l'origine. Cela va évidemment poser énormément de problèmes, notamment au niveau des ressources, et nécessitera la mise en place d'un système de compensations.

Une série de chantiers très compliqués concerne actuellement la TVA mais, à la demande du Conseil européen des chefs d'États et de gouvernements, la Commission approuve aujourd'hui une disposition autorisant les Etats membres qui le veulent, pour une durée limitée, à appliquer un taux réduit de TVA pour les activités à forte intensité en main d'_uvre.

Vous avez peut-être lu dans la presse française que Bruxelles pourrait accepter l'idée que certains Etats membres, et la France en particulier, utilisent la TVA comme un instrument d'aide à l'emploi.

Bien entendu, nous sommes en faveur de toutes les mesures relatives à l'emploi, mais comme nous sommes gardiens du Traité et de la cohérence de la politique fiscale de la Communauté européenne, c'est à Bruxelles que nous devrons mettre en place un système autorisant les Etats membres qui le souhaitent à appliquer des taux de TVA réduits pour des activités à haute intensité en main d'_uvre qui ne sont pas considérées comme concurrentielles. Nous pensons essentiellement au domaine de la réparation des bâtiments ou à celui des services à la personne. De telles dispositions sont toujours très coûteuses en terme de ressources budgétaires, c'est pourquoi les Etats membres et les ministres des finances hésitent à ce que la Commission se lance dans cette voie.

En effet, le concept d'intensité en main d'_uvre peut concerner l'hôtellerie, la restauration. Mais il y a des exemples assez intéressants, notamment la diminution de la TVA pour les rénovations de bâtiments anciens. Certains États membres ont mis en place, pour les propriétaires, un système de TVA réduite pour les rénovations ou la réhabilitation de bâtiments anciens.

Pour les bâtiments d'habitation de plus de 50 ans, et maintenant de plus de 15 ans, la Belgique a ainsi diminué de 19 % à 6 % le taux de TVA. L'administration belge nous a fait la démonstration qu'au contraire de ce qu'on avait pu craindre, la ressource fiscale globale sur la construction n'avait pas diminué.

On réintroduit ainsi dans le système légal le travail « au noir » car les propriétaires préfèrent avoir une facture à 6 % de TVA et la garantie que le travail sera fait.

C'était assez intéressant de voir que, par une manipulation de TVA sensible à l'emploi, on peut permettre la création d'emplois légaux dans un système productif, sans une réduction générale de la TVA.

Un certain nombre de pays sont en infraction sur toute une série de dispositions, et la France est d'ailleurs un des pays où certaines dispositions fiscales ne sont pas respectées. La Grèce a également du retard en matière de fiscalité.

L'Union européenne a aussi la volonté de coordonner quelque peu les droits d'accises sur l'alcool et le tabac, pour lesquels les Etats membres sont totalement divisés, ainsi que les dispositions relatives à la taxation en matière d'énergie.

C'est un grand chantier. Jusqu'à présent, on a abordé le problème par la taxation des huiles minérales, de leurs dérivés, et de l'essence, sur la base de droit d'accises.

Une grande réflexion est en cours à l'heure actuelle avec les Etats membres pour revoir l'ensemble d'un dispositif peu cohérent. On a abordé la taxation en prenant les différents produits énergétiques, mais il n'y a pas de véritable logique. Nous sommes donc en train de revoir la taxation de l'énergie en général, y compris la taxation de l'électricité avec une conception un peu plus moderne et peut-être plus environnementale.

Toute réforme de la taxation directe s'avère en revanche très difficile. Je suppose que M. Monti, vous en a parlé hier. Sont proposés par la Commission trois éléments très forts d'un compromis politique qui repose d'abord sur la taxation de l'épargne.

Nous devrons en principe décider cette année. Il faudrait que l'épargne des non-résidents puisse être considérée de manière identique à celle des résidents. Dans un environnement tel que le nôtre, il n'y a aucune raison que les non-résidents d'un pays de la Communauté européenne ne soient pas taxés lorsqu'ils placent leur épargne dans un autre pays.

Le problème, c'est la cohérence par rapport aux pays tiers. Si on met en place un système cohérent dans la Communauté européenne, les capitaux auront tendance à la quitter.

Nous devons donc avoir pour objectif une cohérence globale. C'est la raison pour laquelle je vais en Suisse discuter de la possibilité pour ce pays de nous suivre sur cette voie.

Je suppose que M. Monti vous a également parlé du deuxième élément, qui constitue un exercice tout à fait intéressant et passionnant : la lutte contre la concurrence fiscale dommageable.

La concurrence fiscale en tant que telle n'est pas néfaste. Il n'est pas inutile de voir que d'autres pays peuvent avoir des revenus fiscaux suffisants en appliquant des méthodes différentes. Il n'est pas mauvais non plus que, la pression fiscale diminuant dans certains pays, d'autres décident de faire en sorte de limiter l'augmentation de la leur.

Ce qui pose un problème, c'est que les pays ont été conduits à mettre en place des systèmes visant à attirer les activités chez eux d'une manière un peu artificielle. Tous les pays disposent de centres de coordination, comme les centres d'entreprises et de gestion des stocks en France par exemple.

Il existe toute une série de systèmes fiscaux très complexes que nous examinons à l'heure actuelle et qui peuvent être considérés comme trop compétitifs. Le mot "trop" est important : c'est le cas lorsque l'investissement s'organise en fonction d'une disposition fiscale et pas selon les éléments de base de l'économie.

Le troisième élément est une proposition relative à la taxation entre mères et filiales. C'est une disposition assez technique mais intéressante.

Voilà où nous en sommes à l'heure actuelle, dans un domaine certes complexe, mais qui a des relations bien évidentes avec vos préoccupations relatives à l'emploi et la concurrence entre les Etats membres.

M. le Rapporteur : A ma connaissance, votre Commissaire n'a pas évoqué hier soir la taxation entre mères et filiales. C'est un point qui nous intéresse beaucoup.

M. Michel VANDEN ABEELE : La fiscalité directe couvre la fiscalité des revenus de l'épargne des non-résidents, pour laquelle nous faisons un effort, et la cohérence fiscale au niveau de ce groupe tout à fait particulier où les Etats membres s'observent entre eux et se préviennent mutuellement du fait que si tel pays adopte telle disposition, alors tel autre fera de même.

C'est une cohérence nouvelle, appliquant un schéma tout à fait différent des relations institutionnelles classiques, où la Commission propose et le Conseil décide. Il s'agit d'un examen par les pairs, d'un dispositif tout à fait intelligent et intéressant.

Le troisième élément consiste à faire en sorte qu'entre les entreprises du même groupe, la fiscalité des revenus sur les royalties versées à la maison mère ou sur les prix de transfert soit traitée d'une manière cohérente.

Le dossier a fortement avancé. Sur le plan technique, l'essentiel a été abordé. Les Etats membres l'ont approuvé mais, comme il y a trois éléments, nous ne voulons pas faire adopter celui-ci avant que les deux autres soient également bien avancés.

C'est une disposition qui intéresse fortement les Britanniques. Comme ils ne sont pas tellement préoccupés par la fiscalité de l'épargne, ce dossier peut permettre de lever leurs réticences.

M. le Rapporteur : Indépendamment de cet aspect, les relations qui se nouent entre les maisons mères et les filiales, et entre les filiales, sont à l'évidence un des aspects qui retiennent notre attention.

M. Michel VANDEN ABEELE : Il faut éviter deux choses : d'une part, la double imposition : le marché intérieur doit faire en sorte qu'il n'y en ait pas ; d'autre part, des systèmes dans lesquels, par des constructions fiscales complexes, il y a non-imposition.

Pour cela, il faut essayer de trouver comment, par certaines pratiques, les Etats membres ont mis en place des systèmes très astucieux qui permettent la non-imposition, notamment par les prix de transfert.

Cela fait l'objet du travail du groupe de Mme Primarolo qui examine mesure par mesure s'il y a ou non usage abusif de techniques fiscales permettant de ne pas être taxé ou de l'être à des taux qui n'ont plus rien à voir avec les taux normaux.

M. le Rapporteur : La proposition que vous faites concernant la fiscalité indirecte, à savoir la perception de la TVA dans le pays d'origine, peut-elle, selon vous, amener les pays lieux de production à mieux contrôler les prix imposés par la maison mère ou d'autres filiales à une filiale à l'étranger, parce qu'ils seront intéressés par la perception de la TVA ? Si le prix imposé à un transfert est sous-évalué, la TVA est également minorée.

M. Michel VANDEN ABEELE : Le problème de la TVA tel qu'il existe actuellement, avec la détaxation à « l'exportation » (je répugne à utiliser cette expression s'agissant du marché intérieur de l'Union européenne), permet deux choses : d'abord d'éviter dans un certain nombre de cas que les produits soient volontairement soumis à la taxation dans le pays où le taux de TVA est le plus faible.

Deuxièmement, il y a une méthode très utilisée pour contourner la TVA : des fraudeurs organisent un système de détaxation et retaxation, sur des produits qui circulent ou qui ne circulent même pas, si ce n'est dans des entrepôts fictifs.

La taxation à l'origine est donc plus simple et a cet effet que vous venez d'évoquer.

A supposer qu'on passe du système de taxation tel qu'il existe aujourd'hui à une taxation à l'origine, certains pays vont connaître une montée de leurs ressources fiscales de TVA, mais d'autres vont y perdre, ce qui pose problème.

Nous devons mettre en place un système de clearing et d'observation au niveau des Etats sur leurs ressources fiscales. En effet, ils n'accepteront jamais d'effectuer ce passage si, en même temps, il n'y a pas une mesure de stabilisation de leurs recettes fiscales.

M. le Rapporteur : Bien sûr. Cela peut quand même favoriser la production dans un pays. Plutôt qu'être importateur et prestataire de services, un pays aura intérêt à accueillir chez lui la production.

M. Michel VANDEN ABEELE : C'est la logique du marché intérieur. Le marché intérieur français est un marché intérieur total : une seule monnaie, un seul système fiscal et un seul système social.

En Belgique, cela commence à devenir différent. Il y a des discussions à l'heure actuelle pour savoir si on ne devrait pas établir des systèmes de protection sociale différents entre la Flandre et la Wallonie.

Vous imaginez ce que cela peut créer dans ce pays. La logique du marché intérieur, c'est un seul marché, une seule monnaie. Elle progresse, mais les systèmes fiscaux et les systèmes sociaux sont encore fortement différents.

Personnellement, je crois qu'à long terme - cela prendra du temps - l'euro va être l'accélérateur de la fiscalité européenne. Je suis persuadé que dans le cadre de cette union monétaire, les différences de niveaux de taxation vont devoir naturellement être restreintes.

Pendant longtemps, nous avons essayé de souligner la nécessité qu'il y avait d'harmoniser la fiscalité. Mais il faut respecter la règle de l'unanimité puisque nous agissons toujours au titre de l'article 99 du Traité.

Comme nous avons maintenant l'euro, nous allons voir la situation évoluer et un élément très fort de cohérence fiscale va s'organiser par le biais du marché.

M. le Rapporteur : Lorsque vous parlez de ce problème de détaxation et de retaxation au sein des groupes, nous sommes tout à fait au centre du sujet et des préoccupations de la commission d'enquête.

La Commission européenne a-t-elle des moyens d'investigation ? Grâce à cela, avez-vous pu discerner des comportements différents entre des petits groupes et des groupes majeurs ?

M. Michel VANDEN ABEELE : Nous n'avons pas pouvoir d'enquête fiscale. Il faut bien se rendre compte que nous ne sommes pas une administration de gestion.

En revanche, à l'heure actuelle, un examen des mesures fiscales des Etats membres, qui pourraient être considérées comme non-cohérentes ou par trop compétitives, est en train de se faire.

Pas plus tard qu'hier, nous étudions le système fiscal néerlandais. Par un accord conclu entre celui qui est assujetti et l'administration, et un mécanisme de prix de transfert, les holdings néerlandaises peuvent échapper à l'impôt.

Cette mise en évidence est le fait de la Commission et tous les Etats membres sont en train, non pas de dénoncer ce système parce qu'ils savent très bien qu'ils sont eux-mêmes sur la sellette, mais de mettre en garde les Néerlandais sur le fait que leur système relatif aux holdings crée des conditions de concurrence fiscale telles qu'elles expliquent des mouvements, soit de création de holdings artificielles, soit de création d'entreprises aux Pays-Bas, au détriment de la création d'entreprises dans d'autres pays.

Le travail que nous effectuons n'est pas un exercice d'observation, d'administration ou de vérification fiscale des entreprises : avec l'ensemble des Etats membres, nous sommes en train d'analyser quels dispositifs soit sont artificiels, soit créent des conditions de concurrence déloyale.

C'est l'autre face de ce que M. Van Miert vous a présenté en matière d'aides d'Etat. Ces dernières sont susceptibles d'introduire des distorsions de concurrence. Mais le traitement fiscal préférentiel que certains créent, soit directement, soit par les conditions d'amortissement, peut être aussi considéré comme une aide d'État déguisée.

Nous avons donné un code de conduite à nos Etats membres, qui définit ce qu'est qu'une aide fiscale, qui est en fait une forme d'aide directe.

M. le Rapporteur : Sur ce terrain, quelle est la position de la France ? Ses entreprises sont-elles particulièrement exemplaires ?

M. Michel VANDEN ABEELE : J'ai dit tout à l'heure qu'en matière de fiscalité, la Commission a compétence à exercer le contrôle du droit communautaire et du droit dérivé. Elle avait ce pouvoir quand on a mis en place les directives.

Il y a toute une série d'infractions, soit potentielles, soit réelles. Par exemple : la diminution de la TVA pour les abonnements de gaz et d'électricité, qui figure dans la loi de finances pour 1999 que le Parlement français a votée, a été décidée avant que la commission ne se soit prononcée sur la possibilité de la mettre en oeuvre, ce que nous allons devoir signaler à M. Strauss-Kahn.

M. le Rapporteur : Elle ne relève pourtant pas du domaine concurrentiel.

M. Michel VANDEN ABEELE : Il s'agit du respect d'une procédure prévue par la 6ème directive TVA.

M. le Rapporteur : C'est un problème formel.

M. Michel VANDEN ABEELE : Pas uniquement. J'ai pris cet exemple mais je ne vais pas le développer parce qu'il est trop actuel. Je vais devoir écrire à M. Le Floc'h-Louboutin qui s'y attend.

Il existe donc toute une série d'irrégularités. L'imagination des ministères des Finances est extraordinaire, surtout en France, et je crois d'ailleurs que c'est un gros problème dans ce pays.

Chaque année, dans le dispositif budgétaire, on apporte des changements à la fiscalité, ce qui, à mon avis, n'est bon, ni pour les entreprises, ni pour les fonctionnaires. Les fonctionnaires européens doivent trop travailler sur les dossiers français, ce qui n'est jamais agréable, et cela crée un élément d'instabilité, toujours regrettable dans ce domaine.

M. le Rapporteur : A condition que la fiscalité soit bonne, sinon il faut la changer !

M. Michel VANDEN ABEELE : Il vaut mieux changer de manière fondamentale tous les quinze ans plutôt que de manière cosmétique tous les ans.

Il y a donc une série d'infractions sur lesquelles nous avons un dialogue avec les autorités françaises.

La question intéressante est celle de savoir si les Français ont mis en place pour les entreprises des dispositifs particuliers qui peuvent être considérés, soit comme simplement compétitifs, soit comme par trop compétitifs. Ne sont-ils pas entrés dans un cercle vicieux en mettant en place des dispositifs pour concurrencer ceux d'autres pays ? On a bien l'impression que c'est le cas parfois.

C'est le problème que l'on s'efforce d'aborder ensemble. Nous essayons de faire en sorte qu'on ne crée pas un problème pour les autres en essayant d'avoir une bonne idée. Une idée peut être bonne pour le pays mais, à terme, avoir des conséquences néfastes parce que le partenaire devra prendre une disposition qui sera encore plus compétitive.

M. le Rapporteur : Hier, M. de Silguy nous a dit que la monnaie commune commandait en quelque sorte une fiscalité commune à terme.

M. Michel VANDEN ABEELE : Je ne dirai pas qu'elle implique une fiscalité commune mais une cohérence fiscale. Dans certains Etats, il n'y a pas de fiscalité commune. L'euro va être l'accélérateur d'une convergence fiscale, j'en suis persuadé.

Audition de MM. José PALMA ANDRES
Chef de l'unité interventions France à la DG XVI (politique régionale et cohésion)

et Michel-Eric DUFEIL,
Chef de l'unité impact régional des politiques communautaires

(extrait du procès-verbal de la séance du 17 février 1999 à Bruxelles)

Présidence de M.  Alain FABRE-PUJOL, Président

M. José PALMA ANDRES : Je représente la direction générale XVI, chargée des politiques régionales, en l'absence de M. Landaburu qui a été retenu par les travaux de la Commission. Je vais être rejoint par M. Dufeil, chef de l'unité impact régional des politiques communautaires.

Nous avons été mandatés pour vous parler de la problématique des délocalisations, de la programmation actuelle et des perspectives d'avenir, c'est-à-dire ce qui peut être prévu dans les règlements pour essayer de régler ce problème.

Comme vous le savez, la politique régionale communautaire, en ce qui concerne les aides aux entreprises, est ciblée essentiellement sur les PME. Il en existe une définition européenne, même si certains états membres émettent quelques critiques parce que la taille des entreprises n'est pas toujours celle qu'ils auraient souhaitée. Mais notre politique consiste essentiellement à cofinancer, dans les régions éligibles, des régimes d'aides d'état qui sont notifiés à la Commission dans le cadre de la réglementation sur la concurrence

C'est un cofinancement sur la base de la législation nationale. Pour le choix des projets, les crédits communautaires viennent appuyer la masse et le volume financier mis à disposition pour ces aides. C'est la philosophie générale de notre intervention.

On peut aussi financer des grands projets, supérieurs à une certaine taille. Pour ceux-là, il faut une notification individuelle. Quand il s'agit de projets d'infrastructures, cela relève normalement du domaine public et, lorsqu'il s'agit de projets privés, on aide des investissements productifs.

Ces grands projets doivent se conformer aux règles de la concurrence, et la Commission ne peut intervenir que dans le respect d'un plafond déterminé, incluant toutes les subventions, les exonérations fiscales et toutes sortes d'aides publiques.

Bien entendu, les aides communautaires concernent les zones éligibles ; la concertation avec l'état membre porte sur les zones relevant des objectifs 1 ou 2 mais il faut aussi tenir compte du fait qu'au niveau de l'état membre, il existe souvent des zonages type PAT qui ne coïncident pas nécessairement avec les zonages communautaires, ce qui entraîne dans quelques cas précis des délocalisations, par exemple en France même, dans un rayon de 20 km.

Un problème se pose alors au niveau interne, comme cela a été le cas dans la région Auvergne. Deux entreprises se sont délocalisées car une commune voisine offrait des conditions plus favorables, le pourcentage d'aides par rapport à l'investissement y étant plus élevé.

Dans ces situations, nous n'avons actuellement au niveau EUR 15 aucun instrument réglementaire pour empêcher qu'une entreprise ne se délocalise. La Commission a présenté une proposition dans le cadre des conventions d'agréments, mais on ne peut éviter que les entreprises, en fonction des coûts, essaient de trouver l'endroit le meilleur et le moins coûteux pour implanter leurs activités.

Normalement, quand l'état intervient dans un projet de financement, une convention est passée dans le respect de la législation CEE et national. Ce sont les termes de ces conventions qui normalement font loi. Je me souviens d'un cas dans la région lorraine où un contrat précis avait été établi. Une entreprise japonaise (JVC) s'était installée en Meurthe-et-Moselle et, selon la convention passée avec l'état, devait y rester cinq ans et créer 223 emplois. Non seulement elle est restée huit ans, mais elle a créé 243 emplois, et a donc pleinement rempli son contrat, puis elle s'est délocalisée en Ecosse.

M. Yvon ABIVEN : Est-ce qu'elle a bénéficié d'aides en s'implantant en Ecosse ?

M. José PALMA ANDRES : Je suis presque sûr que oui.

M. Yvon ABIVEN : Et des aides communautaires également ?

M. José PALMA ANDRES : Je le crois, mais je ne suis pas capable de vous le dire exactement. Je peux me renseigner si vous l'estimez utile. C'est une question générale. S'il y a des questions précises que vous nous posez ici et auxquelles nous ne sommes pas en mesure de répondre, nous en prendrons note et vous donnerons ensuite les informations les plus précises possibles.

M. le Rapporteur : Vous avez cité cinq ou six cas sans les nommer, est-ce-que les dossiers pourraient être transmis à la commission d'enquête ?

M. José PALMA ANDRES : Je crois qu'il ne devrait pas y avoir de problème.

M. René MANGIN : Je connais bien l'exemple que vous venez de citer concernant JVC parce que je suis députée de Meurthe-et-Moselle. Il est donc public.

M. José PALMA ANDRES : Quelle est notre source d'information  ? Ces cas apparaissent dans la presse et des élus se plaignent ; il y a, par exemple, des élus de la commune lésée qui protestent et demandent à la Commission de quel instrument elle dispose pour la défendre et pour faire en sorte que l'établissement ne parte pas ailleurs. La réponse de la Commission consiste à reconnaître qu'elle ne possède pas pour l'instant d'instrument pour les empêcher les délocalisations.

C'est le problème pour l'instant. Il n'y a ni cadre réglementaire qui oblige que la convention comporte certains éléments, un délai notamment, ni contrainte juridique contre les départs une fois la convention remplie.

Il faut savoir ce qu'on veut : le projet de règlement proposé par la Commission au Conseil propose actuellement la concentration des ressources communautaires et nationales d'aide au départ pour aller au secours des régions les moins développées. Je crois que le principe fait l'unanimité. Mais se pose le problème des communes qui sont à la marge ou sur la frontière.

Il y aura toujours des difficultés de ce genre. Comment l'éviter ? Telle est la question parce que si la politique régionale a pour but de faire en sorte que les régions les plus faibles puissent se rapprocher de la richesse des autres régions communautaires, il faut pour les aider attirer des industries et des investissements - c'est de cela dont elles ont besoin -, mais il faut éviter que les entreprises se délocalisent ensuite dans une zone aidée elle aussi, mais qui peut offrir de meilleures conditions.

Il faut voir ce qu'il va advenir de la proposition de la Commission et des états membres qui sont actuellement en train d'analyser le problème. Mais M. Dufeil va vous présenter la proposition actuelle.

M. Michel-Eric DUFEIL : En effet, je peux enchaîner sur ce que M. Andres vient d'introduire en soulignant que la philosophie générale consiste bien à chercher à compenser une sorte de désavantage régional de localisation qui est supposé exister au détriment des régions les plus faibles.

Si on avait à notre disposition un outil absolument parfait, on pourrait évidemment imaginer de mesurer ce désavantage, mais je crois que ce serait très compliqué et qu'il faudrait observer les cas individuels. Si on pouvait estimer que, pour compenser ses difficultés par rapport à ses concurrentes des régions centrales développées, telle entreprise prise individuellement, pour s'installer dans telle région, compte tenu des conditions d'éloignement, de retard de la formation de la main d'oeuvre, de manque d'infrastructures ou autre (toutes les caractéristiques du manque de développement régional), a besoin d'une aide à l'investissement initial de X %, tout serait beaucoup plus facile.

On ne peut évidemment pas avoir une approche aussi fine et on doit donc se contenter des plafonds d'aide. Ce sont d'abord des plafonds, et on n'est pas toujours obligé d'aller au maximum, mais ils ne constituent que des encadrements assez grossiers, ce qui peut évidemment poser des problèmes au niveau individuel.

Il faut rappeler, d'une part, que les fonds structurels interviennent dans un second temps, c'est-à-dire qu'ils abondent des régimes nationaux d'aide. Cela a en particulier une conséquence très importante pour nous : en principe, sauf dans le cas des grands projets, nous n'avons pas connaissance des cas individuels, c'est-à-dire que lorsqu'un problème individuel se pose, nous sommes dépendants de l'information qui nous est fournie par les gestionnaires de terrain, c'est-à-dire a priori l'état membre, et même, bien souvent, non pas l'administration centrale mais les administrations régionales ou préfectorales. On se heurte à un premier problème de saisie de l'information.

Deuxième point : nous intervenons bien évidemment dans les limites de ce qui est permis par les règles de concurrence, c'est-à-dire le règlement du FEDER qui n'autorise les interventions qu'en fonction des modalités approuvées de façon générale pour les régimes nationaux d'aide à finalité régionale.

De ce point de vue, notre méthode consiste à dire qu'il y a deux types de zonages : il y a les zonages nationaux, ceux qui sont approuvés au titre de la politique de concurrence, et de façon plus ou moins harmonisée avec ceux-ci mais distincts, il y a les zonages objectif 1, 2, 5B des interventions structurelles de la Commission.

Et même à l'intérieur de nos zonages, il y a des cas où les fonds structurels abondent et d'autres où ils n'interviennent pas. Le principe consiste à dire qu'il n'y a pas de raison que l'encadrement des interventions des fonds structurels soit plus strict que celui des autres interventions. En d'autres termes, pour ce problème précis des délocalisations, notre philosophie consiste à affirmer que, s'il doit y avoir des règles en matière d'encadrement des délocalisations, elles doivent être d'ordre général. Elles ne doivent pas être spécifiques pour les interventions communautaires mais s'appliquer à elles exactement de la même façon qu'elles vaudraient dans d'autres cas.

Dans ce contexte, quels sont les changements entre la présente période de programmation et la prochaine qui commence en l'an 2000 (lorsque les règlements auront été approuvés puisqu'il ne s'agit à ce stade que de propositions) ?

Nous maintenons évidemment une philosophie générale d'attractivité des régions faibles, c'est la règle de base traduite dans une proposition qui figure dans le règlement général à l'article 29 : "La participation des fonds reste acquise à une opération uniquement si celle-ci ne connaît pas de modification importante résultant, le cas échéant, avant l'échéance d'une période de cinq ans, de l'arrêt ou du changement de localisation d'une activité productrice".

Il y a une clause consistant à donner une sorte de permanence minimale. Mais le cas que M. Andres vient d'évoquer est hors de cette configuration. On a fixé un minimum et il n'est guère possible de résoudre tous les problèmes de ce type.

On a ajouté dans le règlement d'orientation une disposition précisant que "les fonds communautaires en règle générale ne devraient pas être utilisés pour faciliter le transfert de production à l'intérieur du territoire de l'Union". On peut exciper de cette clause pour examiner les cas litigieux, mais cela n'évite pas le recours à un examen individuel.

M. René MANGIN : Vous vous « piégiez » vous-même dans la mesure où vous dites que vous accompagnez le projet systématiquement. Or je prends l'exemple de JVC qui répondait aux critères, qui a même apporté de la richesse pendant longtemps sur le territoire de la Meurthe-et-Moselle et qui ensuite a profité à nouveau des aides qu'un autre état membre lui proposait, éventuellement avec un cofinancement européen. Ne pourrait-on pas imaginer de fixer la règle selon laquelle il y aurait, d'une part, un délai de cinq ans, incompressible, qui devrait être respecté sous peine de devoir rembourser les sommes perçues et, d'autre part, de poser un délai supplémentaire de trois, quatre ou cinq ans pendant lequel l'entreprise ne pourrait bénéficier d'aucune aide pour se délocaliser dans un autre pays. Sans cela, l'Europe entretient un cercle vicieux coûteux et dangereux. Il faut savoir cofinancer les aides bénéfiques et empêcher les abus.

Deuxième point que j'ai déjà défendu en d'autres lieux : les entreprises, comme JVC, implantent des usines de montage qui sont au croisement de flux d'importations et d'exportations et qui n'impliquent ni ingenering ni efforts de recherche autour de différents pôles. Les usines ne coûtent donc pas très cher et il est très facile de déménager et de se réimplanter ailleurs. Cette stratégie n'exploite pas les ressources que possède la Lorraine mais que pourraient avoir d'autres pays ou d'autres régions : tout cela est très peu porteur. Cela produit certes de la richesse à court terme, implante du capital pour cinq ou six années, mais ce n'est pas porteur d'un véritable développement économique.

M. Michel-Eric DUFEIL : Je voudrais aborder deux points : d'une part, il faut encore souligner que nous sommes dépendants de ce qui se passe au niveau de l'encadrement des aides à finalité régionale. Et l'une des évolutions qui est en train de se dessiner entre cette période-ci et la prochaine est la volonté, au niveau du contrôle des aides d'un abaissement général des plafonds d'aide à finalité régionale, ce qui devrait logiquement avoir comme effet, au niveau macro-économique, de resserrer les données de l'attractivité régionale avec la philosophie sous-jacente suivante : on a affiché des plafonds d'aide très élevés dans les régions les plus défavorisées (relevant de objectif 1 par exemple), qui sont en général les régions les plus pauvres et les plus périphériques, des plafonds plus bas dans les régions plus centrales mais tout même inférieures à la moyenne, et théoriquement pas de plafond du tout, car pas d'aide, pour les grandes entreprises des régions centrales.

Le problème, c'est que dans les régions plutôt centrales, les plafonds d'aide (en règle générale entre 20 % et 30 % de l'investissement) sont assez systématiquement atteints parce qu'on a les moyens d'aider un investissement à cette hauteur. Les chiffres sont là. Ce sont plutôt des pays ou des régions relativement prospères qui peuvent se permettre d'intervenir généreusement. Alors que dans les régions les plus périphériques où on avait des plafonds théoriques allant jusqu'à 75 % de l'investissement (ce qui est probablement assez aberrant du point de vue de la prise de risque de l'entrepreneur mais c'est un autre problème), ces plafonds sont de toute façon inaccessibles.

L'espoir de créer un différentiel d'attractivité selon la sévérité du problème régional s'avère une illusion d'optique.

L'idée consiste donc à baisser systématiquement les plafonds afin de limiter les différences de traitement, et de corriger ce problème d'attractivité.

Ma deuxième remarque est relative à l'encadrement des aides à finalité régionale, en ce qui concerne les grands projets : il prévoit précisément de moduler les taux d'intervention possibles en fonction de la nature du projet selon des paramètres tels que ceux que vous avez cités - qui concernent précisément la capacité d'un projet - : le recours au potentiel local, la qualité de l'installation, le recours à l'ingenering locale. Et cela suppose évidemment un diagnostic qui ne peut être fait que pour de grands projets.

On n'a pas la possibilité d'analyser en détail tous les projets. A notre niveau, ce serait absolument impensable. Mais c'est possible pour les plus importants. Cela suppose évidemment d'avancer davantage dans le sens d'une stratégie régionale de développement.

M. José PALMA ANDRES : Le problème, c'est que nous sommes à la Commission dans une action de politique régionale, de développement régional et de cohésion. En France, même si les départements d'outre-mer sont exclus pour l'instant, il y a des régions, comme certaines parties de la Corse, des zones enclavées de l'intérieur, où les conditions d'attractivité sont mauvaises, y compris par rapport à des zones en reconversion industrielle.

Ces dernières présentent aussi des caractéristiques contrastées et plusieurs instances interviennent dans des conditions d'accueil des entreprises : il y a les services de l'état, les collectivités territoriales (conseil régional, conseil général), et le partage des compétences est très souvent peu lisible. Certains terrains sont cédés au prix de 1 F symbolique, et d'autres pas... Tout cela peut déjà contribuer à motiver une délocalisation. Se pose évidemment en plus problème de l'absence d'harmonisation fiscale entre les états, et donc le fait que l'entreprise soit soumise à des prélèvements obligatoires un peu plus hauts en France que dans d'autres pays : cela peut constituer aussi une motivation.

On se heurte ensuite à un autre problème : nous travaillons actuellement, notamment avec l'euro, à faire en sorte que les critères de compétitivité deviennent plus clairs et plus transparents pour les entreprises en général, ce qui va entraîner une concurrence entre les régions riches elles-mêmes (Allemagne, France, Grande-Bretagne).

Je vous donne un exemple : nous venons d'être saisi par un député du Bundestag qui a demandé à la Commission de l'aider à éviter qu'une entreprise ne quitte sa circonscription pour s'installer en Picardie. C'est une entreprise appartenant à un groupe américain, implantée en Rhénanie-Palatinat et qui veut aller à Amiens parce que cette dernière est dans une zone éligible au titre de l'objectif 2. Cela provoque des protestations. Il y a un déplacement d'emplois relativement important et, si l'aide va créer des conditions plus intéressantes à Amiens, des difficultés vont surgir en Allemagne.

Et de tels exemples se multiplient. Plus on concentre les zonages, plus il y aura de concurrence, et plus il y aura des conditions contrastées dans les différents états membres, notamment en termes de fiscalité, de conditions d'accueil, c'est dire à quel point la politique des collectivités territoriales est importante. Faute d'une certaine harmonisation, si l'entreprise a besoin d'une surface très vaste pour s'installer, le prix du terrain est un facteur de localisation important. Si, en plus, elle reçoit une subvention, une exonération fiscale et quelque avantage supplémentaire, son choix sera fait : ce sont peut-être de telles mesures qui ont conduit Toyota à préférer s'implanter en France, opération que l'Union va très probablement bientôt cofinancer.

Jusqu'à quel point peut-on éviter ce phénomène ? C'est un débat important. Si les états pensent qu'il faut encore aller plus loin dans cette formulation des règlements, ils nous suggéreront de nouveaux instruments pouvant constituer de bons verrous, mais je crois qu'il va être très difficile d'éviter systématiquement ces délocalisations au-delà de certaines périodes. Les chefs d'entreprise peuvent en effet objecter que l'investissement a une durée de vie économique limitée.

M. le Rapporteur : L'Union européenne a donc aidé JVC une première fois et, lorsque le groupe est parti en Écosse, elle a vraisemblablement accordé de nouveau une aide. On pourrait imaginer un système prévoyant qu'il y ait une aide à la première localisation - pour l'aménagement du terrain par exemple -, mais que, si l'entreprise part au bout de quelques années, il n'y ait pas d'aide pour sa nouvelle implantation.

M. José PALMA ANDRES : Cela pourrait être une contrainte à inclure dans le règlement.

M. le Rapporteur : C'est une solution éventuelle.

M. Louis GUEDON : Le problème, comme le dit mon collègue, se pose lorsqu'une entreprise, pour gagner de l'argent, ne supprime pas ses usines mais les déplace. En revanche, si Renault, par exemple, a fermé un site sans en ouvrir un autre, c'est qu'il y avait une grande crise interne au groupe. C'est totalement différent. Les deux problèmes ne sont pas du tout superposables.

M. José PALMA ANDRES : Je suis d'accord. Le problème, c'est que nous sommes confrontés à la politique régionale ; notre tâche consiste à défendre des régions en détresse. Mais à partir du moment où une entreprise s'installe dans une région périphérique comme le Portugal, l'Espagne ou même l'Irlande et que, son contrat terminé, elle part et licencie brutalement 5 000 ou 6 000 salariés, elle contribue à aggraver la situation régionale. Et donc ces régions, qui n'ont pas une structure productive capable de se rétablir facilement, se retrouvent dans une situation difficile, parfois avec des effets pervers induits sur les sous-traitants, comme cela s'est passé en France avec l'industrie de Défense, en Bretagne notamment. La France a une certaine capacité de récupération, mais ce n'est pas le cas de nombreuses régions défavorisées.

Je comprends votre point de vue. Cela met en évidence encore plus clairement la difficulté que nous rencontrons pour choisir un règlement qui soit contraignant.

M. Louis GUEDON : Ce n'est pas exactement la question abordée par M. le Rapporteur. Il a dit que pour moraliser le marché, il était inadmissible qu'un groupe financier gagne de l'argent dans une délocalisation et que, après avoir bénéficié d'une aide, il en reçoive une seconde dans un autre site, aux frais de l'Europe qui plus est. Là se situe le problème. Et ce que propose M. le Rapporteur, c'est que la deuxième aide ne soit pas accordée.

Ce que vous évoquez est très différent : il s'agit des grandes difficultés économiques rencontrées par des entreprises qui, malheureusement, et au grand dam de tous les pays qui en sont victimes, ne sont plus viables sur leur site. Pour éviter des déficits et une décadence financière dans ces régions, on est alors malheureusement contraint de les fermer, au prix d'un grand sacrifice social, mais ce n'est pas du tout le même problème.

M. José PALMA ANDRES : Je suis d'accord avec vous. Pour revenir au cas de JVC par exemple, l'entreprise a effectué en 1987-1988 un investissement de 80 millions de francs. Elle a reçu une aide publique de 30 millions dont 10 émanant de l'Europe. Elle a reçu 20 millions des autorités françaises, toutes collectivités confondues.

Les entreprises peuvent soulever une objection : quand on fait un investissement, il a une durée économique de n années (cinq, dix, quinze ans, cela dépend de son poids). Une fois que l'investissement est amorti, la question qu'elles peuvent poser est celle-ci : si une crise économique mondiale les contraint à chercher ailleurs de meilleures conditions de rentabilité, n'ont-elles pas le droit d'y réaliser un nouvel investissement, même si cela induit la fermeture d'un site ?

M. le Rapporteur : Se pose en fait la question de la définition d'une délocalisation. Si une entreprise construit en Ecosse la même usine que celle qu'elle avait en Lorraine, assurant la même production, et qu'ouverture et fermeture sont simultanées, on peut penser que c'est une délocalisation. Est-ce une délocalisation si Renault ferme son usine de Vilvoorde où elle fabriquait des voitures et en ouvre une en Espagne pour produire des camions ? Si Renault ferme Vilvoorde et s'implante cinq ans plus tard en Espagne, est-ce une délocalisation ?

Ne pourrait-on pas simplement dire que, si une entreprise ou un groupe bénéficie à un certain moment d'une aide sur un site, l'Europe ne lui donnera plus d'aide pour cette production ?

On peut éventuellement envisager des aides nationales sous contrôle mais pas au niveau européen, sans cela vous mettez le doigt dans un engrenage qui consiste à délocaliser ou à permettre des délocalisations de production, alors que vous affirmez par ailleurs que vous n'êtes pas favorable à ce procédé.

La solution, face à ce que l'on peut quasiment qualifier de « déménagement » (ce n'est plus de l'aménagement du territoire européen, c'est du « déménagement du territoire »), n'est-elle pas de trouver le système permettant de dire que l'aide ne saurait être accordée qu'une fois ?

De toute évidence, les délais minima de cinq, voire huit ans, imposés par le contrat ne suffisent pas. Certes le territoire est gagnant en termes d'emplois, de recettes fiscales pour les collectivités locales, de retombées diverses, mais les quelques centaines ou les quelques milliers de salariés licenciés sont, pour leur part, les grands perdants de l'opération, et les conséquences sont encore accrues dans des régions qui ont successivement connu plusieurs problèmes : dans le Nord, en Lorraine, dans d'autres régions aussi. Ce sont des régions où les traumatismes se succèdent tous les dix ans, ce à quoi il faut mettre un terme.

L'Europe, dans un souci de crédibilité, n'a-t-elle pas à rechercher clairement et officiellement un système permettant d'éviter les aides successives ?

M. Alain COUSIN : Je suis moi-même un peu préoccupé par la réflexion que nous sommes en train de conduire parce qu'il me semble que cela nous amène à remettre en cause des stratégies industrielles de groupes sur lesquelles je ne suis pas sûr de pouvoir porter, en tant qu'homme politique, un jugement pertinent. Je comprends bien les préoccupations que nous avons les uns les autres s'agissant d'emploi. Mais jusqu'où pouvons-nous aller ? Je crois que c'est la vraie question.

Ce qu'on reproche à l'Europe, on oublie - en tout cas ici - de le reprocher aux collectivités territoriales alors que la surenchère pour attirer les projets industriels sur les territoires existe à l'intérieur même de l'hexagone. Ce qui se passe au niveau européen n'est donc que la reproduction de ce qui se produit à l'intérieur des états membres. Il faudrait au moins un minimum de cohérence sur ce point.

Ce fil est ténu, jusqu'où pouvons-nous aller ? Il me semble qu'on peut comprendre que des stratégies industrielles amènent à prendre des décisions difficiles lorsqu'il s'agit d'une fermeture, et il me semble qu'on pourrait peut-être réfléchir autrement, pas systématiquement en empêchant, mais en faisant un travail en amont qui nous permette de prévoir et de mieux gérer la turbulence qui risque de se produire. Et lorsque - cela a notamment été le cas de Vilvoorde - une décision industrielle est prise, qu'elle soit bonne ou mauvaise, des experts pourraient probablement être amenés à se prononcer pour indiquer si, tout en étant douloureux, le choix apparaît cohérent et justifié.

A partir de là, il faut plutôt songer à aider le territoire en question, ses pouvoirs publics et ses entreprises, parce que c'est un devoir incontournable de la part des grands groupes de travailler avec les acteurs politiques locaux, nationaux et européens, notamment la Commission, pour faire en sorte que puisse être recréée de l'activité économique, générant mécaniquement des emplois. Il faut d'abord penser activité économique avant de penser emploi parce que l'emploi n'en est qu'une conséquence. J'ai l'impression que l'on fait souvent l'inverse.

Je vous fait part de mes interrogations : je n'ai pas la réponse mais il me semble que, au lieu de vouloir toujours plus encadrer et contraindre, il faudrait plutôt instituer des règles, transparentes bien évidemment, mais qui permettent une respiration du monde économique parce que je doute que l'excès d'encadrement - on a vu ce que cela a donné dans certaines régions du monde - ait des résultats toujours positifs en termes de création de richesses et donc d'emplois. Nous aurons évidemment des effets pervers, je ne le discute pas, c'est inévitable, mais il faudrait néanmoins mener une réflexion de l'amont à l'aval.

M. José PALMA ANDRES : Je voudrais revenir aux propositions de M. le Député. Il faut rappeler que nous, Commission européenne, ne choisissons pas les projets. Il y a un régime d'aide national - c'est-à-dire plusieurs régimes d'aide nationaux, parce qu'il y a quinze états membres et que chacun a son régime d'aides notifiées - et, une fois que les règles de la concurrence sont respectées, il s'applique. Je ne crois pas qu'il y ait deux régimes d'aide semblables entre les Quinze, ce qui constitue une première difficulté.

Si on veut essayer d'imposer un cadre très rigoureux comme vous le proposez - et je suis d'accord avec vous sur le principe -, la difficulté qu'on va rencontrer est celle de savoir s'il faut avoir une concertation entre les états membres dès lors que, par exemple, une délocalisation peut se justifier par le fait qu'un régime d'aide dans un pays est plus favorable que le régime d'aide français. C'est ce que qui se passe très souvent. Le concours communautaire est très souvent un concours minimum. Je vous ai cité un exemple. Sur 80 millions de francs, l'Europe a donné 10 millions. Mais le gros des aides publiques a été donné par la France.

La difficulté, c'est que, comme on va de plus en plus vers un renforcement de la subsidiarité, c'est-à-dire que la Commission est de plus en plus loin de la gestion des programmes et donc des décisions locales, nous ne pouvons pas contrôler nous-mêmes des milliers et des milliers de projets par état membre.

M. le Rapporteur : Je vais vous donner dans ce cas une solution. Mes options politiques me poussent à ne pas être opposés aux aides mais à tenir à leur contrôle. Ce n'est pas obligatoirement à Bruxelles que ce dernier peut se faire. Nous recevons cet après-midi des membres du Comité économique et social, représentants des salariés et des employeurs. Je fais confiance aux habitants d'une région (le Conseil économique et social régional de Lorraine par exemple) pour tirer la sonnette d'alarme en dénonçant l'existence de menaces de délocalisation d'une entreprise vers les Sudètes, ou vers telle région de Pologne... Cela arrivera nécessairement puisque les nouveaux membres bénéficieront d'aides encore plus élevées que l'Irlande, l'Ecosse ou le Portugal, compte tenu de leur situation. Et si on ne met pas des garde-fous, les entreprises déménageront du Nord de la Grèce pour aller en Pologne, en République tchèque ou ailleurs, et l'Europe apportera chaque fois son aide de 10 % à 15 %.

Il faut tout simplement faire confiance aux représentants des salariés dans une région pour mettre l'accent sur le fait que telle entreprise a déjà touché de l'argent public pour telle production, pour tel type d'implantation, il y a cinq ou dix ans, et qu'il ne faut plus que la Communauté européenne la soutienne.

Ce n'est donc pas un contrôle qui vous est demandé, c'est une possibilité d'alarme et de blocage éventuellement donnée à un certain nombre de personnes au niveau local pour qu'elles alertent la Commission, ce qui suppose aussi qu'elles estiment que l'Europe a bien un rôle à jouer.

Tout cela me semble cohérent. Mais dire que des travailleurs et leurs représentants peuvent avoir un droit d'alerte voire un droit de blocage, tant qu'une décision n'a pas été prise, me paraît aller dans le bon sens. Cela ne nécessiterait pas obligatoirement l'institution d'une administration européenne tatillonne.

M. José PALMA ANDRES : Pour qu'une règle pareille puisse être contraignante, il faut qu'elle apparaisse dans un règlement. Pour empêcher que la Communauté puisse accorder un nouveau financement à une certaine entreprise, il faut savoir quelle forme juridique elle va prendre par la suite, et je ne rentre pas dans ce débat. Mais pour que cela puisse apparaître dans un règlement (je suis en train de me faire l'avocat du diable), il faut qu'un état membre le souhaite, que la Commission le propose, et que les quinze états membres l'acceptent parce que c'est un domaine soumis au vote à l'unanimité. Je serais très curieux de voir quels sont les états qui y seraient favorables.

Je suis d'accord avec vous pour reconnaître qu'il y a un certain manque de moralité si l'Europe, avec ses crédits, encourage les entreprises à se délocaliser. Mais je crois que le problème est complexe.

Dans la négociation actuelle du règlement-cadre des Fonds structurels, aucun état membre n'a fait effectivement de suggestions particulières pour renforcer ces aspects, pour empêcher les délocalisations, à l'exception du Danemark qui a fait une proposition sur les fameux grands projets pour dire qu'il faudrait mesurer les effets sur l'emploi, si possible à l'échelon communautaire, lorsqu'on les subventionne. Si on est en mesure de le faire, on pourra s'apercevoir que, dans certains cas, on crée des emplois sur un site au détriment d'emplois dans d'autres lieux. C'est le seul point sur lequel il y a eu une proposition concrète d'un état membre, qui est d'ailleurs en passe d'être acceptée par le Conseil à l'unanimité. Mais il est vrai qu'il y a eu une assez grande frilosité des états membres sur ce point dans la négociation.

M. le Rapporteur : Ce n'est ni en ces lieux ni dans le rapport que l'on va remettre en cause la logique de la construction européenne, mais il me semble qu'elle sert les entreprises, les grands groupes.

Ce n'est pas étonnant : elle s'est réalisée à partir de pays dont les options idéologiques n'étaient pas contraires à celles des grands groupes. Et on s'aperçoit que cette logique est progressivement en train de mettre à mal le tissu social et que, globalement, on va transférer les emplois entre la Lorraine et l'Écosse, c'est-à-dire entre régions en difficultés. Et il est nécessaire, à un certain moment, de mettre au moins un frein, en sachant que ce n'est pas facile aujourd'hui d'obtenir une décision unanime des Quinze et que ce sera encore plus difficile, demain, avec vingt-cinq membres... Mais on ne peut pas laisser faire...

M. le Président : D'où la nécessité de construire de nouveaux rapports sociaux.

M. José PALMA ANDRES : Vous avez touché un autre problème : c'est celui des pays voisins ou en pré-adhésion qui offrent des conditions favorables, surtout au niveau des coûts salariaux et d'autres types de frais (absence d'impôt, de réglementation sociale), ce qui a pour conséquence que les charges sociales sont beaucoup plus basses, à tel point que la Sabena et la Swissair font faire leur comptabilité notamment en Inde ou en Corée du nord, pour des raisons de coûts.

Vous allez voir apparaître d'autres types de délocalisations dont je suis pas sûr qu'elles seront beaucoup plus importantes que celles auxquelles on est en train d'assister. Mais je suis d'accord avec vous sur le fait qu'il faut entreprendre quelque chose. La Commission a essayé de faire un premier pas, tout en respectant les règles de la concurrence. Elle doit en effet veiller à ce que les directives qui ont été approuvées par tous les états membres soient prises en compte. Déjà au niveau même de la seule France, il faut qu'il y ait une certaine harmonisation sur les prix des terrains, par exemple dans les friches industrielles, que les collectivités ne se disputent pas les investissements les unes les autres au travers des prix, parce que les élus ne se sont pas mis d'accord au niveau du conseil régional.

M. Louis GUEDON : Ce n'est pas le même niveau.

M. José PALMA ANDRES : C'est un problème qui a plusieurs variables et il faut toucher à un certain moment, pour qu'on ait des effets plus positifs, à plusieurs d'entre elles : il faut modifier la fiscalité et la réglementation nationale, il faut qu'il y ait une certaine harmonisation des régimes d'aide nationaux pour ne pas conduire à de la concurrence.

M. René MANGIN : Les taux de taxe professionnelle sont en l'espèce un problème majeur.

M. José PALMA ANDRES : Par exemple.

M. Louis GUEDON : Ce n'est pas le même problème. Vous abordez un autre débat dont on ne va pas trouver la solution en ces lieux. Le but de la Commission n'est pas de pénaliser les régions qui, par leur dynamisme, essaieront de sortir le plus rapidement des difficultés quelles rencontrent. L'accent doit être mis sur l'initiative et le dynamisme des hommes. On ne s'attaque pas pour l'instant à cela, mais aux dégâts provoqués par des spéculateurs qui, au gré de délocalisations, obtiennent plusieurs fois des financements provenant des contribuables de la Communauté européenne.

M. José PALMA ANDRES : Je vous ai donné quelques exemples. Il y a une bonne partie des entreprises qui, à l'origine, n'ont jamais reçu d'aide communautaire parce qu'elles étaient dans une zone non éligible. C'est le cas par exemple de celle à laquelle j'ai fait allusion qui va se délocaliser en Picardie. Elle est dans une région transfrontalière allemande non éligible et elle va en Picardie qui est éligible. Ce n'est même pas seulement le problème des aides qui est en cause, il y a un phénomène plus vaste.

Je suis d'accord pour dire qu'il faut moraliser mais le problème va au-delà.

M. Louis GUEDON : Attaquons-nous d'abord à un problème pour bien le régler. Qui trop embrasse mal étreint, dit-on.

M. José PALMA ANDRES : Je suis d'accord avec vous mais je crois que c'est un point secondaire.

M. le Rapporteur : Les exemples que vous avez sous les yeux concernent-ils précisément de très grands groupes, comprenant plus de 10 000 salariés ?

M. José PALMA ANDRES : Il y a, en Auvergne, les exemples de deux entreprises qui étaient de petites et moyennes entreprises et qui se sont délocalisées de deux localités vers la commune voisine d'Issoire. En Bourgogne, c'était la société Hoover, un grand groupe donc, qui s'est délocalisée en Corse. JVC appartient au groupe Mitsubishi. Le groupe Grundig s'est délocalisé en Autriche, il y a quelques années. C'est un grand groupe chimique britannique implanté en Allemagne qui va se délocaliser en Picardie, et il y a eu un groupe américain qui s'est délocalisé de Rhône-Alpes en Wallonie.

Très souvent, il y a des déplacements du même type d'activité. Mais il y a aussi d'autres cas où il y a une modernisation. On a eu connaissance d'une autre affaire dans l'automobile : le transfert correspond souvent à la production d'un nouveau modèle. Il n'y a donc pas exactement transfert du même outil de production.

M. Alain COUSIN : Justement, avez-vous recensé l'ensemble des cas, par exemple sur dix ans ?

M. José PALMA ANDRES : Non. Il faut savoir la manière dont on a connaissance de ces cas. Il est impossible d'assurer un contrôle systématique. Pour la France, sur la période 1994-1999, nous avons à instruire environ 65 000 dossiers, alors que, très souvent pour les régimes d'aide, à un dossier régional correspondent plusieurs investissements productifs. Je parle de 65 000 projets, toutes régions confondues pour la période actuelle, pour la France, qui sont instruits par les préfectures de région.

La Commission serait obligée, en vertu des règlements qui sont proposés, d'en contrôler au moins 5 %. Mais est-ce 5% du volume financier ? du nombre de projets ?

Or, la difficulté, c'est que nous connaissons les cas par dénonciation. Normalement, ce sont ceux qui sont lésés qui posent le problème. Ensuite nous faisons une recherche et vérifions si toutes les lois ont été appliquées.

Dans tous ces cas dont je vous ai informés, nous vérifions s'il y a bien eu un financement européen. S'il n'y en a pas eu, nous avons des difficultés à faire quoi que ce soit. S'il y en a eu, nous pouvons mettre en avant le problème moral et préciser dans quelle conditions ces financements ont été donnés.

C'est le cas pour JVC, qui a été l'objet de vérifications.

Puis nous voyons si les plafonds d'aide ont été décidés conformément aux directives et au régime notifié et, si tout cela est en ordre, nous ne pouvons rien pour le plaignant.

Cela se passe systématiquement ainsi. Nous sommes aussi informés, parfois, par la presse locale. Dès que quelqu'un signale un tel cas, la Commission lance tout de suite une recherche.

Nous ne disposons pas d'autres moyens. A moins que, lors d'un contrôle de la Cour des comptes européenne ou d'un service de contrôle financier, des fonctionnaires se rendent sur place pour vérifier les dossiers cas par cas afin de voir si la directive relative à la concurrence a été respectée. Mais en dehors de cette façon de procéder, il est très difficile d'avoir connaissance des cas litigieux.

M. le Rapporteur : Au niveau de la Communauté, concernant d'autres états-membres que la France, avez-vous une idée des cas de délocalisation ?

M. José PALMA ANDRES : Je sais qu'il y a d'autres cas mais je ne m'occupe que de la France.

M. le Rapporteur : La France n'est pas un pays d'exception.

M. José PALMA ANDRES : Non, il y a d'autres cas. Je vous ai cité l'Espagne, le Portugal et même l'Irlande.

M. le Rapporteur : Et les réactions sont les mêmes ?

M. José PALMA ANDRES : Oui, tout le monde réagit de la même façon.

M. le Rapporteur : Il y a peut-être moyen d'arriver, dans ce cas, à une directive combattant les abus.

M. Yvon ABIVEN : Même ceux qui en bénéficient beaucoup aujourd'hui peuvent demain en être les victimes.

M. le Rapporteur : On trouve toujours plus pauvre que soi. Les Sudètes seront toujours plus pauvres. Les autres pays instruisent-ils un nombre de dossiers sensiblement identique à celui de la France ?

M. José PALMA ANDRES : Oui. En Allemagne, on compte 70 000 dossiers pour la période 1994-1998.

M. le Rapporteur : C'est de l'interventionnisme généralisé.

M. José PALMA ANDRES : Oui.

M. le Président : Vous avez indiqué qu'il y avait une vraie difficulté d'abord à obtenir des renseignements, puis à trouver des solutions de blocage, tant que l'on ne modifie pas une partie de la réglementation.

Mais serait-il envisageable qu'un groupe qui a reçu des aides pour s'installer dans une région soit obligé de les restituer s'il la quitte ?

M. José PALMA ANDRES : Normalement, une aide accordée en France fait l'objet d'une convention entre le représentant de l'état et l'entreprise, selon les conditions prévues par la législation nationale. Si elle ne la respecte pas, l'état a le droit d'exiger le remboursement : je crois qu'il en est ainsi dans tous les États membres.

Pour ce qui est des aides communautaires, si elles font partie de cette convention, la Commission a droit à un recouvrement si l'argent a été utilisé différemment des objectifs de la convention. Mais l'Europe ne peut empêcher qu'un état accorde une aide légale.

M. le Rapporteur : Au moins qu'elle ne participe pas à des opérations successives !

M. José PALMA ANDRES : La Commission ne peut intervenir que si cette disposition figure dans une règlement.

Si une entreprise qui était, par exemple, en Lorraine, où elle a été subventionnée, part ensuite en Ecosse, où elle a la possibilité d'obtenir une nouvelle aide, la Commission peut toujours refuser d'y participer en prenant une décision en opportunité. Mais il est juridiquement très difficile de trouver une argumentation suffisante pour le faire. Si, en revanche, un règlement mentionne une limite telle que vous la proposez, la Commission peut à ce moment-là imposer que des aides communautaires ne soient pas utilisées. Il faut que tout le monde soit d'accord sur le fait qu'il y ait une modification du règlement relative à ces situations et que ce règlement soit accepté par tous.

M. le Rapporteur : Il vaut peut-être mieux le faire avant l'élargissement aux pays de l'Est.

M. Michel-Eric DUFEIL : Comme vous le disiez tout à l'heure, on aura du mal à définir dans des termes juridiques clairs ce qu'est une délocalisation et comment on gère le système de contrôle, à quoi s'ajoute une difficulté pratique réelle.

M. José PALMA ANDRES : Parce qu'il y a des implications opérationnelles importantes...

M. le Rapporteur : Il ne s'agit pas d'empêcher les entreprises de vivre. Il faut probablement ne pas interdire à une entreprise dont le marché s'est déplacé de se déplacer elle-même. Mais le rôle de l'argent public européen est-il de participer systématiquement à tous ces mouvements ? je ne le pense pas. On peut estimer que l'entreprise s'est implantée à un endroit à un certain moment et que cela lui a permis d'accéder à un marché important. De plus, tous nos interlocuteurs français ont reconnu que les groupes se portaient bien d'un point de vue financier. Accroître encore par des financements publics des budgets d'entreprises qui se portent bien et qui n'investissent pas heurte le sens commun.

M. Louis GUEDON : Il faudrait trouver une formule efficace garantissant que les fonds communautaires viennent en aide au développement des régions défavorisées et n'entretiennent en aucune manière le confort des entreprises.

M. Michel-Eric DUFEIL : Ce que vous dites conduit à une question plus générale : faut-il ou non avoir un système d'aide, faut-il ou non aider les entreprises à investir ? Et certains répondent par la négative à cause des effets pervers induits.

M. René MANGIN : Les zones franches ont indubitablement des effets pervers.

M. José PALMA ANDRES : Il y a une difficulté en France dans la mise en oeuvre des fonds. Très souvent l'entreprise aurait sûrement réalisé l'investissement, même sans aide nationale. C'est d'ailleurs un raisonnement que le gouvernement français précédent a abordé et qui conduit à réviser en partie les régimes d'aide. Je vois que, pour l'instant, l'idée de PAT reste valide.

A la Commission, nous souhaitons plutôt aider les personnes qui seraient capables de créer des petites ou moyennes entreprises et qui n'auraient pas de patrimoine suffisant pour obtenir des garanties bancaires. La France s'engage lentement sur cette voie.

L'objectif est de réduire les aides et subventions directes en allant plutôt dans le sens des aides indirectes, c'est-à-dire des prêts, du financement des taux d'intérêt, et il faut surtout aider les personnes qui, avec de petits établissements de dix, quinze, vingt personnes, garantissent plus sûrement un niveau d'emplois élevé dans les régions que les grands groupes qui s'installent puis, tout à coup, disparaissent.

Je suis un peu inquiet pour certaines régions françaises vu le programme de restructuration des industries de défense. Alors que les casernes quittent de nombreuses communes, il va être très difficile de trouver des emplois alternatifs. Le problème est grave dans les zones rurales et dans les zones qui ont vécu de l'industrie militaire, surtout grâce aux sous-traitants. Il y avait beaucoup de petites et moyennes entreprises qui étaient vouées exclusivement à cette sous-traitance : j'ai vu cela en Bretagne, à Brest, où les difficultés sont réelles. Notre intention est de proposer aux autorités françaises un renforcement du soutien à leur reconversion.

M. le Rapporteur : Je vous rejoins totalement sur ce que vous disiez concernant une politique de bonification de crédits, plutôt que d'aides directes.

M. Michel-Eric DUFEIL : Cela suppose des relais locaux très bien établis.

M. le Rapporteur : Et des fonds régionaux.

M. José PALMA ANDRES : Il faut que les collectivités territoriales soient partie prenante.

M. Alain COUSIN : On voit bien que les subventions directes ont des effets pervers. Peut-on imaginer des systèmes d'avances remboursables beaucoup plus développés ?

M. José PALMA ANDRES : C'est possible, cela fait partie de l'ingénierie financière mais la France n'utilise pas très souvent cet instrument. Il existe même des prêts d'honneur dans les quartiers difficiles.

Il faudrait un changement des mentalités en France où règne une certaine culture des guichets, c'est-à-dire que l'administration n'assure pas un rôle d'animation mais attend qu'on vienne lui demander quelque chose.

Or, vue la concurrence qui va être poussée dans l'avenir, les régions ont tout intérêt à avoir vraiment des ingénieurs du développement, et pas seulement pour la gestion des fonds structurels car c'est une partie, mais aussi des fonds publics au niveau du contrat de plan, parce que c'est un vrai métier celui d'attirer des entreprises.

J'ai vu une agence de développement bourguignonne aller chercher des Allemands dans leur pays pour qu'ils viennent investir en Bourgogne, puis partir au Japon pour trouver des investisseurs japonais.

Voilà ce qu'il faut faire. Donc l'administration française doit, à mon avis, se préparer au niveau des préfectures de région, au niveau des conseils régionaux et des conseils généraux à faire en sorte qu'au lieu d'attendre que les gens viennent demander des aides, elle aille sur le terrain voir quels sont les projets d'investissement, d'amélioration des entreprises, de formation professionnelle, et cherche si d'autres entreprises, localisées ailleurs, sont susceptibles de s'installer sur son territoire.

Audition de MM. Pietro Paolo MEROLLA
Directeur général adjoint D.G. III (industrie)

Luigi VITIELLO,
Chef du secteur « aspect industriel de la politique de concurrence et des interventions structurelles »

et Michel CATINAT
Conseiller rattaché à la direction générale, chargé de la prospective technologique et de l'impact des technologies sur l'emploi

(extrait du procès-verbal de la séance du 17 février 1999 à Bruxelles)

Présidence de M. FABRE-PUJOL, Président

M. Pietro Paolo MEROLLA : Nous allons parler de la responsabilité de la DG III concernant la politique industrielle et la compétitivité, l'organisation du conseil de l'industrie et la politique internationale.

L'activité de la Direction générale, en particulier depuis l'arrivée du Commissaire en 1989, a été réorientée vers une approche horizontale qui vise à créer un environnement favorable afin que les décisions des entrepreneurs et des investisseurs ne soient pas influencées, ou le soient le moins possible, par des incitations directes.

Nous privilégions les investissements immatériels et la coopération industrielle internationale et nous voulons créer un cadre et des conditions pour une concurrence loyale et améliorer l'intervention de l'administration.

C'est un aspect qui a fait son chemin et qui, depuis un an, conduit à une réorientation et une réorganisation des travaux du conseil de l'industrie, pour que ce dernier soit de plus en plus un organisme qui discute de compétitivité. Est ainsi prévue la possibilité de se réunir avec des représentants de l'industrie ou de grandes organisations patronales, de façon à ce que l'échange d'avis ne soit pas limité à l'aspect administratif et aux dossiers ponctuels.

Cette approche conduit déjà à certains résultats, au moins au niveau du débat, et l'élément environnemental est de plus en plus pris en compte dans la discussion des aspects industriels au sein du Conseil.

Les discussions tenues au conseil de l'industrie fin 1997, à la suite d'un cas soulevé par la délégation danoise, portent sur la question des aides d'État et des délocalisations à l'intérieur de l'Union, et non sur les choix concernant l'extérieur de l'Union européenne.

En 1994, une étude avait été faite par le bureau du plan belge en matière de délocalisation : elle a été débattue par les délégués des directeurs régionaux de l'industrie qui sont arrivés à la conclusion que la délocalisation n'avait pas eu de conséquences particulièrement importantes sur l'emploi.

Mais cette étude a été réalisée en 1994 et depuis, le phénomène de la globalisation a évolué.

Du côté de l'Union, la question des aides à finalité régionale a été abordée par une baisse des plafonds et une limitation des intérêts aux placements, même si l'intervention en matière d'incitation n'a plus d'impact sur les nouveaux investissements mais plutôt sur les déplacements d'investissements déjà réalisés.

En accord avec les autres directions concernées, la DG III est en train de tenter d'en mesurer l'impact réel sur les décisions des entreprises, à partir d'un premier document de service concernant les rapports entre les aides d'État et les délocalisations. Notre objectif est de présenter au Conseil un nouveau rapport avec des données se rapprochant davantage de la réalité.

Le rapport qui a été fait contient des idées et des principes, mais nous voudrions maintenant montrer cet impact à partir de données réelles. Il est clair que dans le cadre d'une politique de cohésion, certains déplacements au sein de l'Union ont été réalisés. Cela fait partie des politiques communautaires.

Tout ce qui vient de l'extérieur des frontières de l'Union européenne sort un peu de ce cadre, même si je comprends que certains effets puissent être analogues.

Mais là aussi, il faut faire une distinction entre un nouvel investissement à l'étranger à l'extérieur de l'Union, destiné à conquérir les marchés locaux, et un investissement motivé par les seuls coûts comparatifs.

M. le Rapporteur : Menez-vous une réflexion sur ce qu'est un groupe à l'échelle européenne ? Cette notion est un peu floue sur le plan français, et les informations que nous recueillons depuis hier auprès des Commissaires ou de vos collègues des autres directions indiquent que nous n'avons pas la même définition.

Vous avez dit qu'une étude a été réalisée en 1994 sur les conséquences des aides directes et des délocalisations. Avez-vous le sentiment, reposant sur un certain nombre de travaux, que la situation s'est aggravée depuis 1994 ? Auquel cas, nous rejoignez-vous sur l'idée qu'une réglementation un peu plus stricte pourrait être souhaitable, même si c'est au prix de la remise en cause de certains principes fondateurs de la Communauté ?

Jusqu'à présent, l'essentiel est la libre circulation des capitaux, la liberté d'installation. Mais, à partir du moment où ces libertés aboutissent à des dysfonctionnements et à la remise en cause de l'emploi dans la Communauté ou, du moins, dans plusieurs régions, il devient nécessaire de repenser certains principes, voire des piliers fondateurs de notre Communauté.

M. Pietro Paolo MEROLLA : Je répondrai d'abord à la deuxième question. Je crois que cette étude était notamment arrivée à la conclusion selon laquelle les délocalisations n'avaient pas eu beaucoup d'impact sur l'emploi. Mais, en effet, le problème a été reposé au conseil des ministres.

Les conditions changent, et il faut vérifier si les conclusions de l'époque sont encore valables.

Pour ce qui est du principe de la libre circulation, on touche à l'un des piliers de l'Union européenne, et il est clair que la réponse n'est pas simple. Mais je pourrais ajouter que dans les décisions prises par le Conseil européen, l'emploi est considéré aujourd'hui comme une priorité. Il faut maintenant voir comment mettre en oeuvre effectivement et concrètement cette priorité.

Pour ce qui concerne les groupes, vous voulez connaître ce qu'on entend par grande, moyenne et petite entreprise. La limite fixée est, par exemple, à 250 employés pour les petites et moyennes entreprises.

Même si on essaie de trouver un dénominateur commun, on se heurte au fait qu'une petite ou une moyenne entreprise au Portugal n'aura jamais la dimension que peut atteindre une petite ou moyenne entreprise en Allemagne ou en France.

La réalité régionale empêche de déterminer un dénominateur commun, mais il a fallu fixer des seuils pour appliquer une politique d'incitation. Le nombre de salariés ne saurait suffire, dans la mesure où il peut être sans rapport avec l'importance du chiffre d'affaires.

M. Michel CATINAT : Je voudrais réagir en tant qu'économiste et non pas en tant que représentant de la DG III.

La façon dont je perçois votre première question sur le groupe m'amène à penser à ce que les économistes appellent maintenant une entreprise virtuelle.

Je ne sais pas si votre question est liée à cela, mais on observe que les relations électroniques entre les entreprises ont pour conséquence un flou dans la détermination des limites de l'entreprise.

Finalement, les entreprises acquièrent de la compétitivité grâce à leurs interactions. Il faut que tous les éléments soient réunis pour que toutes les entreprises vivent, survivent et se développent. Je crois beaucoup à cette nouvelle vision de la réalité industrielle, et cela a des conséquences très importantes pour votre réflexion.

Finalement, si on veut limiter les délocalisations de l'Europe vers l'extérieur, à cause de leurs conséquences évidentes en termes d'emploi, il faut rendre le territoire communautaire attractif. Je crois que c'est un élément essentiel pour le politique européenne.

Dans cette perspective, il faut faire en sorte qu'une entreprise qui s'y implante, trouve tout un environnement, et notamment d'autres entreprises susceptibles d'assurer un complément de savoir-faire, des universités et du personnel hautement qualifié.

M. le Rapporteur : Pensez-vous que la société Renault avait trouvé un territoire attractif à Vilvoorde ?

M. Pietro Paolo MEROLLA : Au moment de l'investissement, c'est certain.

M. le Rapporteur : Si l'attractivité du territoire avait été maintenue dans la région concernée, pensez-vous que Renault y serait restée ?

M. Luigi VITIELLO : Outre la question de l'attractivité du territoire, Renault se heurtait à un problème spécifique de surcapacité et devait utiliser de façon optimale les implantations existantes, afin de rétablir se compétitivité.

Il y a eu un problème d'information des travailleurs, la directive européenne n'ayant pas été respectée. La stratégie de Renault concernant cette problématique est liée non à une insuffisance de compétitivité de l'environnement économique belge global, mais plutôt à un problème spécifique de surcapacité au niveau du groupe, qui se traduisait par des pertes importantes.

M. Michel CATINAT : Je me plaçais au niveau de l'attraction du territoire européen par rapport au reste du monde.

Vous abordez une autre dimension du problème qui est évidemment importante au niveau local. Qu'une entreprise se délocalise de Belgique en Espagne, c'est aussi ennuyeux pour la Belgique que si elle se délocalisait vers un pays n'appartenant pas à l'Union.

Ma remarque ne portait pas sur les délocalisations internes à l'Europe, qui renvoient à des problèmes de fonds structurels ou de distorsions de concurrence par le biais d'un certain nombre d'aides, et de concurrence entre les zones européennes pour attirer de l'investissement. Je me plaçais au niveau de l'attraction de l'Europe en tant que telle vis-à-vis du reste du monde.

La DG III essaye de voir ce problème au niveau le plus global possible, avec pour objectif l'amélioration de l'environnement des entreprises, soit par la simplification des procédures administratives, soit par le développement du capital risque.

M. Pietro Paolo MEROLLA : L'impact des incitations peut jouer pour les nouveaux investissements. Il est clair que les aides importantes, qui ont par exemple été accordées au Portugal après son adhésion, pouvaient pousser certains investisseurs à s'implanter dans une région plutôt que dans une autre.

La prise de position en matière d'aide d'État consiste à réduire les incitations mais pas à éliminer la différenciation. Même dans cet exemple, l'incitation n'était pas suffisamment importante pour que l'entreprise ferme un site industriel et en ouvre un autre. Mais pour la décision du premier investissement, cela a joué énormément.

M. Luigi VITIELLO : Dans le cadre de la politique de cohésion économique et sociale, il faut maintenir une politique régionale efficace. S'il y a certaines délocalisations de zones centrales de l'Union où le taux de chômage est relativement peu élevé, vers des zones qui ont des problèmes de reconversion ou de développement, cela correspond bien à la logique d'aide aux régions en développement.

Ce n'est donc pas uniquement par la création de nouvelles activités qu'on peut favoriser ce développement, mais aussi en partie par des délocalisations. C'est un point que l'on peut difficilement remettre en question.

Pourtant, quand il y a un déplacement d'activités d'une zone aidée vers une zone qui rencontre des problèmes de reconversion, on se contente en fait de transférer les problèmes sociaux d'une région à problèmes vers une autre.

Le conseil de l'industrie a déjà discuté de cette question, et la Commission a pris des dispositions pour essayer de limiter le niveau des aides régionales afin de combattre les distorsions et éviter que les décisions de délocalisation de zone aidée à zone aidée soient essentiellement liées au niveau de l'aide. Je crois que ce principe est assez clair.

Une autre décision a été prise, celle d'obliger l'entreprise à rester sur place au moins cinq ans après l'obtention d'une aide. C'est une règle qui a été retenue au niveau des aides d'État mais qui s'applique également pour les fonds structurels.

M. le Rapporteur : Peut-on décider qu'une entreprise qui a déjà bénéficié d'une aide européenne n'en aura plus si elle délocalise ?

M. Pietro Paolo MEROLLA : Vous avez raison, ce peut être un critère.

M. Luigi VITIELLO : Pour l'instant, on a établi le principe selon lequel une entreprise qui a reçu une aide à la restructuration ne devait plus pouvoir en recevoir une autre du même type.

Concernant une entreprise qui a eu des aides régionales pour s'implanter dans une région, c'est une éventualité qui pourrait être envisagée. Je ne sais pas ce que vous a dit, sur ce point, la Direction générale directement concernée.

M. le Rapporteur : Je n'ai pas senti de rejet de principe, ce qui montre aussi une évolution de la réflexion et le fait que le problème est bien réel.

M. Luigi VITIELLO : Un délai de cinq ans a été proposé.

M. Pietro Paolo MEROLLA : Je n'ai pas d'exemple concret en tête concernant ce problème de délai.

M. le Rapporteur : Le groupe Hoover...

M. René MANGIN : Ou JVC, qui est parti de Longwy vers l'Ecosse. Au bout de cinq ans, une entreprise peut se délocaliser impunément.

Dans le cas où il s'agit vraiment du même type d'activité, des mêmes productions, du même nombre d'emplois, on doit s'interroger sur la faculté qu'aurait l'Union européenne d'empêcher qu'une entreprise qui a bénéficié d'une aide pour sa première implantation puisse en recevoir une pour la seconde.

M. Luigi VITIELLO : Vous risquez de pousser ainsi à la délocalisation à l'extérieur de l'Union.

M. le Rapporteur : Comme vous l'avez dit vous-même, pour la région concernée, à savoir Longwy, que l'usine s'installe en Ecosse ou en Nouvelle-Zélande, le résultat est le même.

M. Luigi VITIELLO : Mais pas pour l'Union, qui a intérêt à maintenir les investissements en son sein.

M. René MANGIN : Pourquoi des groupes viennent-ils s'implanter en France ? Les Japonais ne vont pas fabriquer des voitures en Australie parce que c'est en Europe que se trouve un marché porteur, ce qui permet d'économiser les frais de transport.

Il faudrait instaurer un minimum de contrainte pour que les entreprises comprennent qu'elles ne peuvent pas ponctionner indéfiniment l'Union pour le même type d'activité.

M. Luigi VITIELLO : La réponse que nous donnons consiste à limiter le niveau des aides pour faire en sorte qu'un tel cercle vicieux ne s'installe pas. C'est déjà un pas important.

Pour les grands projets d'investissement, nous avons mis en place un encadrement spécifique qui vise à réduire le niveau des aides données. Quand une entreprise ferme une usine, cela génère des coûts importants qui doivent être supportés par l'entreprise en question.

Nous considérons que l'objectif devrait être de limiter le niveau des aides aux handicaps que l'entreprise doit assumer du fait de sa localisation dans une zone aidée. Cette orientation apporte déjà une réponse au problème. Je pense que le niveau des aides sera limité pour les grands projets.

Nous disposons désormais d'encadrements spécifiques dans certains secteurs. S'y ajoute un encadrement multisectoriel qui concernera également les secteurs non couverts jusqu'à présent. La Commission a déjà adopté certaines mesures, ce qui ne veut pas dire que nous ne réfléchissons pas à la possibilité d'en prendre d'autres.

Mais, comme l'a proposé M. le Rapporteur tout à l'heure, pourrait-on envisager une réglementation plus stricte concernant la libre circulation des capitaux et le droit d'implantation des entreprises ? Je crois qu'il ne faut pas remettre en question les principes de la Communauté européenne.

On peut aborder la question du point de vue des aides régionales, mais il faut combattre un élément de distorsion considérable, celui de la fiscalité. Par exemple les délocalisations vers l'Irlande sont liées au fait que les Etats ont des fiscalités différentes.

Un code de bonne conduite a été adopté par le Conseil, et la Commission cherche à en assurer l'application pour ce qui concerne les différences de fiscalité qui peuvent impliquer des problèmes de distorsion importants, incompatibles avec le marché intérieur.

Mais la fiscalité est régie par le régime de l'unanimité au niveau du Conseil, ce qui rend l'harmonisation difficile à obtenir, même si la Commission fait également des efforts dans ce domaine.

M. le Rapporteur : Nous reprenons un débat que nous avons déjà eu précédemment. Si M. le Président le permet, je voudrais évoquer le problème de l'attractivité du territoire européen pour les entreprises japonaises ou américaines. Quelles sont nos forces et nos faiblesses ? Et compte tenu de l'enjeu, la politique que nous pouvons conduire n'est-elle pas précisément une politique dirigée vers les grandes entreprises et excluant les PME qui pourraient venir des Etats périphériques à l'Union ?

M. Pietro Paolo MEROLLA : Tous les programmes accordent la priorité aux petites et moyennes entreprises, sous la forme d'un régime spécial.

M. le Rapporteur : Je parle des entreprises qui ne sont pas implantées à l'heure actuelle sur le territoire de l'Union ou qui sont susceptibles d'y venir.

Quelles sont les forces et les faiblesses du territoire européen à leurs yeux ? Compte tenu de l'enjeu, peut-on imaginer que de très grands groupes viennent investir sur le territoire européen ?

M. Michel CATINAT : C'est déjà le cas. L'Europe reçoit beaucoup plus de flux d'investissements directs qu'elle n'en exporte. Il y a donc plus d'entreprises qui viennent s'installer sur le territoire européen que l'inverse.

Le territoire européen est incontestablement attractif. L'une des raisons est l'existence d'un marché intérieur, cela me paraît évident.

Nous constituons une zone extrêmement riche et toute entreprise qui s'installe sur le territoire européen peut exporter vers l'ensemble de la zone européenne sans rencontrer de barrières douanières.

Même si on parle d'entreprises virtuelles et de commerce électronique, la proximité demeure un élément important. Cela veut dire que beaucoup d'entreprises extérieures vont venir s'installer sur le territoire européen simplement pour pouvoir vendre sur un territoire extrêmement riche, où il y a le plus grand nombre d'habitants dotés d'un pouvoir d'achat très élevé.

Globalement, je crois que l'Europe reste très attractive, il en est de même dans le domaine de l'éducation. Dans la société de l'information qui se prépare, où le niveau d'éducation moyen de l'employé devient extrêmement important parce qu'on attend de lui de plus en plus de compétences et une formation permanente, la qualité d'éducation de l'Europe est bien supérieure à celle des États-Unis , y compris en termes de créativité. C'est un atout décisif.

M. Pietro Paolo MEROLLA : L'essentiel pour les petites et moyennes entreprises est sans doute celui de la simplification administrative pour la création d'entreprise.

L'agence a rencontré un vif succès en proposant le GAP. Beaucoup d'interlocuteurs s'y intéressent, des banques, des sociétés d'électricité, d'informatique car il permet la création rapide d'une entreprise. En Italie, où il n'y a pas d'interlocuteurs, les créateurs potentiels se perdent dans les rouages administratifs et finissent par abandonner.

Ensuite, il y a toute une série d'actions destinées en particuliers aux petites et moyennes entreprises, dans le domaine de la recherche par exemple. Mais il est clair que la grande entreprise n'a pas les mêmes besoins dans ce domaine.

Ce système a des points faibles dans la mesure où une entreprise japonaise qui vient investir en Europe et prend les statuts d'une société selon les droits locaux est traitée comme les autres.

On a discuté longuement de ce problème. Mais il est impossible de faire une discrimination entre des entreprises ayant adopté la même nationalité.

M. Luigi VITIELLO : Il est clair qu'en matière d'attractivité, des initiatives sont prises au niveau européen, mais ce qui est fait au niveau national est également essentiel, en matière de fiscalité par exemple ou de réglementation du marché du travail.

Toute une série de prérogatives ou de politiques est mise en oeuvre, mais les Etats membres auront également des instruments à leur disposition pour améliorer l'attractivité globale de leur économie pour les investissements à l'étranger.

Dans le cas français, le dernier investissement qui me vient à l'esprit est celui de Toyota à Valenciennes qui démontre que le territoire français conserve une certaine attractivité pour les grandes entreprises.

Mais il est clair que pour les PME, effectuer des investissements au niveau international est plus difficile, même si cela se développe à l'intérieur de l'Union. Une stratégie mondiale pour les PME est plus délicate à mettre en oeuvre que pour les grands groupes.

M. Pietro Paolo MEROLLA : On risque d'aboutir à des contradictions en matière de délocalisation. Le fait de limiter les déplacements à l'intérieur de l'Union est une façon de réagir. On peut réduire les plafonds d'incitation et les mettre au même niveau pour qu'il n'y ait pas de distorsion.

Mais ce n'est pas conciliable avec l'objectif de limiter les déplacements hors de l'Union car si les incitations ne sont pas intéressantes, les investissements risquent de se faire à l'extérieur de l'Union.

Ces deux réalités existent et sont difficiles à concilier. Il n'y a pas de formule magique parce que, en dernier ressort, c'est l'entrepreneur qui décide du site d'implantation.

M. Luigi VITIELLO : Dans ce domaine, l'objectif serait d'établir des règles de concurrence à un niveau international et de faire en sorte qu'elles soient respectées partout de la même manière.

On évolue vers une globalisation de l'économie, et il est donc important que les règles de concurrence que nous établissons en Europe ne nuisent pas à nos entreprises.

La Commission s'est fixée pour objectif de négocier une telle harmonisation des règles, notamment dans le cadre de l'OMC. Cela prend du temps, mais c'est un objectif prioritaire.

M. le Rapporteur : Une dernière question purement méthodologique : en France, l'INSEE suit de très près les structures des groupes et a établi un certain nombre d'arborescences.

Faites-vous le même type d'étude à l'échelle européenne ou vous en remettez-vous aux études nationales ?

M. Michel CATINAT : En quoi consiste ces « arborescences » ?

M. le Rapporteur : A partir de questionnaires, l'INSEE demande aux groupes quelles sont les relations entre la maison mère et les filiales et arrive à faire un arbre, le tronc représentant la maison mère, avec des branches figurant les filiales.

Faites-vous ce genre d'études ?

M. Pietro Paolo MEROLLA : Non. L'information est disponible à l'échelon national. On s'appuie sur ce document mais on ne fait pas d'études de ce type.

M. Luigi VITIELLO : Dans le cas de l'application de la réglementation en matière de concentration, quand deux grands groupes fusionnent, il est certain que nous devons prendre en considération la typologie des groupes et l'impact de la fusion sur les différents marchés concernés.

M. Pietro Paolo MEROLLA : Pourquoi une grande entreprise investit-t-elle à l'extérieur ou à l'intérieur de l'union ? On avait projeté d'adresser un questionnaire aux cent plus grandes entreprises européennes en leur demandant pourquoi elles sont allées s'installer en Chine. Mais on a finalement pensé qu'on n'obtiendrait pas de réponses sincères !

M. le Rapporteur : Dès lors que la stratégie de l'entreprise a des conséquences sur les finances de la Communauté européenne par les aides qui sont octroyées, ou sur la situation sociale de telle ou telle région d'Europe, je pense qu'on est amené à avoir un certain nombre d'exigences.

Il ne s'agit pas de remettre en cause le statut des entreprises ni la liberté d'entreprendre. On souhaiterait même qu'il y ait plus d'entrepreneurs.

Mais l'entrepreneur passe actuellement de plus en plus après le financier. Certains ont le sentiment que l'argent public aide des groupes qui ont plus une stratégie financière qu'une stratégie industrielle.

M. Michel CATINAT : Ce problème est fondamental pour la vitalité du tissu productif européen, mais il ne faut pas se focaliser uniquement sur les aides d'Etat.

De mon point de vue, elles constituent un élément mineur dans la décision des entreprises, et il y a bien d'autres moyens pour rendre le territoire attractif et créer des emplois.

Il faut évidemment faire en sorte qu'elles ne jouent pas un rôle discriminatoire entre les régions, mais il faut surtout se centrer sur les autres dimensions, à savoir tout l'environnement dont peut bénéficier une entreprise quand elle choisit un site, en termes d'infrastructures, d'éducation, de formation de son personnel, d'efficacité des administrations publiques, etc.

Dans une certaine mesure, ces autres dimensions me paraissent beaucoup plus importantes que le seul problème des aides d'Etat.

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