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TOME II
SOMMAIRE DES AUDITIONS
LES TEMOIGNAGES DE LA REPRESENTATION PERMANENTE DE LA FRANCE AUPRES DE L'UNION EUROPENNE, DE LA COMMISSION ET DE SES SERVICES (1)

Les témoignages des représentants du monde économique et social

__  Messieurs Bruno VEVER, Représentant des employeurs du Comité Economique et Social (CES), Vasco CAL, Représentant des travailleurs et Arie VAN de GRAAF, Chef de division de l'union économique et monétaire et cohésion économique et sociale (17 février 1999).

Avertissement

Conformément aux alinéas 1er et 3 de l'article 142 du règlement de l'Assemblée nationale qui disposent que « les personnes entendues par une commission d'enquête sont admises à prendre connaissance du compte-rendu de leur audition », (les intéressés ayant la faculté de produire des observations par écrit), toutes les personnalités entendues ont été invitées à faire part des observations éventuelles que pouvait appeler de leur part le procès-verbal de leur audition.
Certaines n'ayant pas cru devoir donner suite à cette invitation, la Commission a été amenée à considérer que leur silence valait approbation et le procès-verbal les concernant est publié dans le texte qui leur a été soumis.
En outre, un certain nombre de personnalités ont eu l'obligeance de transmettre à la Commission divers documents, soit avant, soit à l'issue de leur audition. Le volume de ces dépôts ou de ces envois est tel qu'il a été matériellement impossible de les reproduire au sein du présent rapport qui s'en tient strictement aux procès-verbaux des auditions.
Seul le relevé des aides reçues par le groupe Moulinex, tel qu'il a été fourni par sa direction, fait exception dans la mesure où ce relevé constitue une information essentielle à la réflexion de la commission d'enquête, celle-ci regrettant que les autres groupes n'aient pu fournir les mêmes renseignements avec autant de précision.
(1) Les auditions ayant été effectuées à Bruxelles et concernant plusieurs Commissaires européens et leurs directeurs de service, le Président de la commission d'enquête a estimé qu'il n'était pas en droit de faire prêter serment hors du territoire national à des personnalités responsables d'une organisation internationale.
Le même régime a été appliqué aux membres de la représentation permanente de la France auprès de l'union europénne.

Audition de MM. Bruno VEVER,
Représentant des employeurs,

Vasco CAL,
Représentant des travailleurs et

Arie VAN de GRAAF,
Chef de division de l'union économique & monétaire et cohésion économique & sociale

du comité économique et social européen (C.E.S.)

(extrait du procès-verbal de la séance du 17 février 1999 à Bruxelles)

Présidence de M. Alain FABRE-PUJOL, Président

M. Bruno VEVER : J'appartiens au groupe des employeurs et je représente le Médef au sein du Comité économique et social européen. Je préside un observatoire à l'intérieur du Comité économique et social, qui a vocation à veiller à la façon dont se développe le marché unique et à faire des auditions, notamment sur un certain nombre de thèmes prioritaires relatifs au marché européen.

M. Vasco CAL : Je suis membre du Comité économique et social depuis douze ans, représentant des syndicats portugais et j'ai été président de la section sociale et de la section régionale au cours de différents mandats. J'exerce aujourd'hui les fonctions de rapporteur du Comité sur la situation économique de la Communauté et suis aussi chargé du suivi de la politique de concurrence.

M. Arie VAN DE GRAAF : Je représente le Secrétaire général, M. VENTURINI, qui est malheureusement pris par les travaux du Parlement européen.

Je suis le responsable de la division qui s'occupe de l'Union économique et monétaire et de la cohésion économique et sociale, et je voudrais ajouter que M. Cal est rapporteur pour la préparation de l'avis du Comité sur les grandes orientations de la politique économique de la Communauté, conformément à l'article 103 du Traité, et qui correspond à peu près au travail conjoncturel du Conseil économique et social français.

M. Vasco CAL : Le Comité économique et social a pour but de suivre le travail effectué par la Commission européenne dans les domaines agricole, social, relatifs au marché unique et au transport dans l'Union économique et monétaire. Nous préparons des avis sur les propositions de directives et de règlements que la Commission présente. Cela représente 90 % du travail de notre Comité. Mais, une fois l'avis transmis, nous n'interférons pas dans la mise en _uvre des dispositions.

Les 10 % qui restent sont des avis d'initiative. Quand nous considérons une question comme très importante alors que la Commission ne s'y intéresse pas, nous pouvons décider de donner un avis d'initiative sur cette question pour obliger la Commission à mener des travaux sur ce sujet. Cela a été le cas, par exemple, dans le domaine des relations extérieures et dans le champ social : la Charte des droits sociaux fondamentaux a été élaboré dans ce cadre en 1989.

Nous pouvons aussi intervenir a posteriori en réagissant au rapport d'exécution que la Commission présente annuellement ou pluri-annuellement sur différents sujets. Chaque année, elle transmet par exemple un rapport sur la politique de concurrence dans lequel elle détaille tous les cas qui ont été traités et justifie certaines décisions.

Nous pouvons, dans notre avis sur le rapport de la concurrence, émettre des commentaires et faire des propositions sur la mise en oeuvre de la politique pour les années futures.

Nous donnons évidemment des avis sur les règlements avant qu'ils ne soient approuvés dans le cadre de la politique de la concurrence, mais aussi sur les rapports d'exécution des dépenses structurelles et du fonds de cohésion et, dans ce cadre, nous pouvons revenir sur ces problèmes, même anciens, et émettre des avis sur des questions futures. C'est ce que nous avons fait, par exemple, pendant plusieurs années, à propos des fonds structurels en demandant que la participation des partenaires économiques et sociaux soit reprise dans le cadre des règlements des dépenses structurelles, ce qui figure aujourd'hui dans l'article 4 du règlement.

Pour ce qui est du marché unique, la situation est un peu différente. Nous avons établi un observatoire et sommes en relation plus étroite avec les services de la Commission ; nous accompagnons directement la préparation de ses initiatives et sommes en mesure d'intervenir plus systématiquement. Mais pour ce qui est des politiques de la concurrence et de défense culturelle, notre intervention est faite, soit avant la décision du Conseil des ministres, soit après, quand la Commission présente des rapports d'exécution : nous n'intervenons donc pas sur les cas concrets qui se présentent quotidiennement et sur lesquels la Commission doit prendre des décisions.

Ces procédures d'intervention sont un peu limitées mais nous exerçons un rôle consultatif et notre influence dépend beaucoup des arguments que nous opposons aux propositions de la Commission.

M. Bruno VEVER : Je voudrais ajouter une précision : les domaines sur lesquels nous sommes consultés sont très larges. Cela recoupe, dans le domaine économique et social, toutes les questions sur lesquelles le Parlement européen détient un pouvoir, notamment en codécision. Nous sommes donc consultés dans de très nombreux cas. Si le Parlement avait initialement lui aussi un rôle assez largement consultatif, il a acquis grâce à l'Acte unique et au traité de Maastricht un pouvoir de décision. Aussi, le Comité intervient désormais avant que le Parlement ne se prononce, de manière à préserver son rôle consultatif, non seulement auprès du Conseil, mais aussi donc auprès du Parlement lorsqu'il est co-décideur.

Il a été prévu dans le traité d'Amsterdam que le Parlement européen puisse aussi, de sa propre initiative, consulter le Comité économique et social et respecte des délais qui nous permettent de nous exprimer en temps utile pour que nos remarques soient prises en considération.

Il y a une grande liberté de la part du Comité en ce qui concerne les avis d'initiative, ce qui nous permet de générer des débats sur des sujets qui nous paraissent importants, même si la Commission elle-même ne propose pas de directive.

M. Vasco CAL : Pour les questions que vous traitez, le Sixième Rapport de la Commission sur les aides d'état est très intéressant car il apporte une vision plus globale sur ce problème que la seule analyse du fonctionnement des fonds structurels dans la mesure où le montant qui est en cause dans les aides d'état au niveau national est quelquefois supérieur à celui des fonds structurels, qui se concentrent surtout dans les régions en développement. Je crois qu'il serait intéressant d'attirer votre attention, non seulement sur les montants, mais aussi sur les mécanismes.

Le rapport montre que l'Allemagne et l'Italie sont les deux pays qui utilisent le plus souvent ces mécanismes d'aide d'état. Cette situation est liée au fait que ces deux pays comptent des régions présentant des décalages de développement énormes, ce qui fournit un argument à l'état central pour justifier des mécanismes d'aide dans les régions les moins développées.

Ce n'est évidemment pas par hasard non plus que les pays les plus grands de la Communauté sont aussi ceux qui, en volume, utilisent le plus l'instrument d'aide d'état.

Par exemple, comme le montre un tableau du rapport, la France est le pays qui développe le montant le plus élevé d'aides d'état ad hoc, c'est-à-dire d'aides d'état qui ne sont pas encadrées dans une perspective régionale ou sectorielle, mais relèvent plutôt de décisions ponctuelles.

M. le Rapporteur : Les DOM-TOM sont-ils compris dans les chiffres ?

M. Vasco CAL : Je n'en suis pas sûr. La plupart de ces aides sont des aides au secteur manufacturier mais sont inclus aussi, dans ce dernier rapport, les services financiers, les transports...

M. Bruno VEVER : On pourrait d'ailleurs apporter un correctif, à savoir que dans les États fédéraux dans lesquels il y a des entités régionales puissantes - je pense notamment aux Länder en Allemagne - la Commission européenne prend surtout en compte les aides dispensées au niveau national. En France, les décisions relatives aux aides paraissent au Journal officiel et sont assez faciles à observer, alors qu'il est souvent beaucoup plus difficile de connaître la réalité des aides qui sont données dans un certain nombre d'états - peut-être en Espagne, certainement en Allemagne - parce que beaucoup ont une structure fédérale reposant sur des régions puissantes, dotées de budgets importants.

M. Vasco CAL : La qualité de ces rapports s'est considérablement améliorée au cours du temps. Longtemps, ils étaient centrés sur l'industrie tandis que les autres secteurs étaient oubliés.

Or, il apparaît aujourd'hui que ces derniers bénéficient de sommes comparables à celles revenant à l'industrie. Les chiffres sont donc plus significatifs.

L'annexe du Sixième rapport mentionne même le montant des aides d'état apportées à travers les fonds structurels. Nous pouvons voir que dans certains pays dits de la cohésion, comme le Portugal, la Grèce et l'Irlande, les aides d'état fournies par les fonds structurels sont relativement importantes à l'échelle de l'économie de ces pays, mais finalement pas très élevées par rapport au montant des aides, si on les compare aux aides financées par les budgets nationaux dans l'ensemble des pays de la Communauté.

Je pense qu'on s'attarde trop en France sur la façon dont les aides financées par les fonds structurels créent des distorsions de concurrence, sans voir que les aides d'état fournies par les budgets nationaux peuvent avoir les mêmes conséquences, et ce pour des montants beaucoup plus importants, comme l'attestent les cas allemand et italien.

Le deuxième élément dont je voudrais parler concerne le problème des procédures. Dans le cadre de ces rapports, la Commission est parvenue à contraindre les états à fournir le plus d'informations possibles.

De plus, conformément à ce que prévoit le Traité, la plupart des aides d'état doivent être communiquées et notifiées à la Commission, sans quoi cette dernière pourrait les bloquer a posteriori comme elle l'a déjà fait.

Cela veut dire que, quand un état décide d'accorder une aide d'état nationale à une entreprise, un secteur ou une région, la DG IV doit analyser cette proposition avant éventuellement de l'autoriser.

La procédure est différente dans le cadre des fonds structurels. Quand un pays décide de créer un régime général pour inciter aux investissements ou au développement régional, sa proposition est examinée, non seulement à la DG XVI, responsable de la politique régionale, mais aussi à la DG IV, chargée de la politique de la concurrence, et à la DG III, qui intervient si un secteur entier est concerné, comme c'était le cas du textile au Portugal par exemple.

Cela veut dire que plusieurs Directions générales de la Commission entrent en jeu. Dans la pratique, il est donc plus facile de bloquer une décision d'aide relevant des fonds structurels qu'une décision d'aide financée par le budget d'un état parce que normalement, au niveau de la Commission, la DG IV est alors la seule compétente.

Le problème, c'est que toutes ces procédures sont longues, compliquées, et incluent plusieurs Directions générales mais presque jamais les représentants des états membres, si bien que même les représentations permanentes à Bruxelles ne sont pas informées des procédures en cours pour l'octroi d'aides d'état dans un domaine ou un autre ; ce sont les services de la Commission qui s'en occupent.

Les problèmes apparaissent après que la Commission a publié sa décision et que l'aide d'état a été décidée. C'est alors seulement que les représentations des états membres prennent connaissance de cette décision et de ses effets éventuels sur leurs entreprises.

C'est aussi une opinion personnelle, mais je crois que, dans la plupart des cas, les états savent qu'il y a une procédure en cours concernant telle ou telle aide, mais il n'existe aucun mécanisme, ni dans le domaine de la politique de concurrence, ni dans celui des fonds structurels, qui associerait les états membres à la décision de la Commission. Dans la plupart des cas, c'est une compétence spécifique de la Commission européenne qui n'est même pas censée informer les états membres. Elle se contente de transmettre la décision prise.

M. Bruno VEVER : Je voudrais faire trois observations complémentaires qui n'iront pas toujours exactement dans le même sens.

Il est vrai que les aides nationales représentent en volume presque dix fois les aides communautaires structurelles. Grosso modo, les aides structurelles européennes représentent environ 0,4 % du PIB et les aides d'états à peu près 4 %.

Mais il faut apporter quelques correctifs. D'abord, les aides communautaires s'accroissent beaucoup plus vite que les aides d'état. Sur vingt ans, les aides communautaires ont été multipliées par 50, alors que les aides d'état sont restées relativement stables.

Deuxièmement, il faut aussi prendre en compte le phénomène de concentration des aides communautaires et toujours se méfier des moyennes européennes, qui ont souvent peu de sens.

Cela peut être extrêmement important pour un pays donné et représenter plusieurs points de PIB. Pour la Grèce et l'Irlande, les aides communautaires atteignent 2 %, 3 % ou 4 % du PIB.

Troisièmement, jusqu'à présent, la Commission européenne s'est bien gardée de prendre en compte, dans ses rapports annuels sur la concurrence, les effets des aides communautaires, ce que nous lui reprochons depuis des années. Depuis un an ou deux, elle se contente de les mentionner, mais sans les intégrer à son analyse.

Dans le cadre de l'Union économique et monétaire, il faudrait demander avec plus de détermination qu'il y ait un contrôle d'ensemble des aides d'état, y compris des aides communautaires, en ce qui concerne leurs effets sur la concurrence.

M. René MANGIN : Quand vous parlez d'aides d'état, il s'agit de l'ensemble des aides accordées dans l'état et pas spécifiquement par l'état lui-même ?

M. Bruno VEVER : Oui. Le traité de Rome apparaît un peu désuet de ce point de vue en ne parlant que d'aides d'état.

On devrait maintenant parler d'aides publiques, en distinguant les aides publiques financées par la Communauté, celles versées au niveau des états et celles accordées par les régions.

M. le Rapporteur : Existe-t-il le même type de rapport pour les fonds structurels ? En ce qui concerne ces derniers, il existe une annexe qu'on appelle "le jaune budgétaire" qui précise les sommes reçues par la France.

Disposez-vous ce type de document pour l'ensemble des pays de l'Union ?

M. Vasco CAL : Il y a un rapport annuel par fonds structurel, mentionnant tous les détails des décisions prises dans chaque état, les sources de financement et les actions financées.

Il y a aussi un autre rapport intéressant, le rapport périodique sur la situation des régions, dans lequel on essaie d'examiner leur évolution socio-économique. Le troisième rapport périodique vient de sortir. Il est plus complet encore parce qu'on ne fait pas seulement référence aux fonds structurels mais aussi à toutes les politiques communautaires (agriculture, concurrence, etc...). Nous pouvons ainsi mesurer les effets de toutes les politiques communautaires sur l'évolution de la situation des différentes régions.

M. Bruno VEVER : Il y a d'ailleurs eu des enseignements très intéressants. Dans le dernier rapport, la Commission a montré que les écarts se rétrécissaient nettement et que les quatre pays qui bénéficient du fonds de cohésion étaient au départ à 65 % ou 67 % de la moyenne du PIB communautaire, et qu'ils en sont maintenant à 75 %. Ils pourraient atteindre 79 % d'ici la fin de l'année.

La Commission souligne que les écarts de développement se sont rétrécis avec les pays de la cohésion. Est-ce sous l'influence du fonds de cohésion ? Bien d'autres paramètres entrent en jeu en fait.

M. Vasco CAL : J'ai travaillé plusieurs mois sur ces chiffres qui sont vraiment importants dans le cadre de l'agenda 2000.

On ne peut pas comparer l'évolution des pays dits de la cohésion de leur situation antérieure à 1990 et leur situation actuelle parce que plusieurs changements se sont opérés.

Le premier changement, c'est l'intégration des Länder de l'Est qui a mécaniquement provoqué un chute de la moyenne communautaire et augmenté la moyenne des pays les moins développés.

Le deuxième changement, c'était l'intégration des pays de l'AELE dont le niveau de développement était déjà très élevé.

Il y a un troisième aspect, très intéressant, qui n'est pas du tout connu, c'est la façon dont on calcule ces chiffres. Il y a en effet deux possibilités pour comparer la richesse de régions de différents pays : on la calcule soit sur la base des taux de change, soit sur celle des parités de pouvoir d'achat.

Le raisonnement a été le suivant : comme le taux de change variait beaucoup entre les monnaies des pays, il fallait trouver une autre formule de calcul, plus stable, et ce sont les parités de pouvoir d'achat qui ont été choisies.

Le problème, c'est que, jusqu'en 1992, les parités de pouvoir d'achat étaient calculées sur la base d'un panier de consommation nationale. Cela signifie que la parité de pouvoir d'achat de chaque pays était calculée en fonction de sa structure de consommation.

A partir de 1992/1993, le panier devient européen et comporte 2 000 produits et services qui sont les mêmes pour tous les pays. Cela a entraîné des effets sur les calculs des chiffres auxquels M. Vever a fait référence.

Je vous donne un exemple très simple et très facile à comprendre : au Portugal, tout le monde va chez le coiffeur car une coupe coûte seulement l'équivalent de 30 francs français. Dans la moyenne communautaire, le coût d'une coupe de cheveux est deux fois supérieur. Comme les Portugais vont tous chez le coiffeur, ce qui veut dire qu'il y a plus de coupes de cheveux que la moyenne dans leur structure de consommation, le résultat est qu'on surestime leur pouvoir de consommation !

Nous avons aujourd'hui la monnaie unique : les problèmes de taux de change fluctuants, qui ont conduit à fonder cette analyse sur les parités de pouvoir d'achat, vont donc disparaître. Je me demande si nous ne devons pas retourner à une comparaison des niveaux de vie sur la base des taux de change. Par exemple, le travailleur portugais gagne aujourd'hui en moyenne un quart de ce que gagne un travailleur allemand, et à peu près la moitié de ce que gagne un travailleur espagnol, si on prend en compte les taux de change.

La même conclusion s'impose à partir du calcul de la productivité. Le Portugal a une productivité qui correspond à peu près à un quart de la productivité allemande et à la moitié de la productivité espagnole. Cela veut dire que salaire et productivité sont à peu près équivalents.

Tandis que si on calculait les salaires sur la base des parités de pouvoir d'achat, les Portugais seraient les travailleurs les mieux payés de l'Union européenne.

Cette relativité doit être prise en compte. Comme M. Vever, je pense qu'il faut faire attention aux chiffres. Il est vrai que les fonds structurels sont montés en puissance tandis que les aides d'état nationales se sont stabilisées ou ont même régressé, mais les montants actuels sont encore très différents.

Je ne crois pas qu'on ait une vision d'ensemble sur la façon dont les entreprises et les groupes économiques se positionnent en Europe si on regarde seulement l'impulsion que les fonds structurels peuvent donner à leurs décisions.

M. Louis GUEDON : Une petite précision : on a bien compris que le travailleur portugais recevait le quart du salaire d'un Allemand et la moitié de celui d'un Espagnol, que la productivité du Portugal par rapport à ces deux pays était dans les mêmes proportions que le salaire.

Vous demandez de revenir à un taux de change, mais je voudrais savoir quel est le coût de la vie au Portugal par rapport à l'Allemagne ou à l'Espagne.

Vous nous dites que la coupe de cheveux est très bon marché. S'il en est de même de tous les biens de consommation courante, je ne vois pas l'intérêt de calculer une parité.

Avec un salaire moindre, le pouvoir d'achat du Portugais est-il vraiment moindre que celui d'un Allemand ou d'un Espagnol ?

M. Vasco CAL : En termes économiques, nous devons distinguer deux secteurs : le secteur des biens et services qui font l'objet de transactions internationales et le secteur de biens et services qui ne font pas l'objet de transactions internationales.

Dans tous les pays du marché intérieur, on note une tendance à la convergence des prix des biens qui font l'objet de transactions internationales. Le commerce étant actuellement beaucoup plus libre, le lait hollandais ou danois arrive au Portugal à un prix inférieur à celui du lait provenant de la région de Lisbonne. Dans ce secteur - et c'est un des effets du marché intérieur -, les prix de tous ces produits sont de plus en plus proches les uns des autres.

C'est dans un secteur de biens et services ne faisant pas l'objet de transactions internationales qu'il y a encore des différences qui viennent par exemple de facteurs comme les prix des terrains, qui sont différents selon les pays voire les régions et des différences de structure économique.

Par exemple, le Portugal a une structure économique composée de petites et micro-entreprises qui est moins productive en moyenne mais, comme le marché de ces produits et de ces services est fermé à l'extérieur, elles ne subissent pas cette concurrence internationale et sont en position de maintenir des prix plus élevés que ceux qu'elles devraient offrir si elles étaient en situation de concurrence internationale.

L'expérience nous montre que le premier secteur de biens qui font l'objet de transactions internationales s'élargit de plus en plus, et que le deuxième se rétrécit. C'est la première partie de la réponse.

Mais la question est la suivante : quand on examine la situation de compétitivité d'une économie, nous ne pouvons pas l'examiner sur la base des parités de pouvoir d'achat, nous devons l'examiner sur la base des taux de change. On exporte et on importe dans des monnaies converties selon les taux de change.

Si on importe des produits de France, il faut payer en francs français, au taux courant du franc français par rapport à l'escudo portugais. Quand on analyse le retard d'une région ou d'un pays, il faut toujours l'analyser en termes de taux de change, en termes économiques de comparaison des compétitivités internationales.

Un autre aspect concerne le niveau de vie interne. Au Portugal, il peut être plus élevé que celui qui est traduit par le seul aspect des taux de change.

Je vous donne un exemple encore plus clair et plus actuel, celui des pays de l'Est. Vous avez tous vu des rapports de la Commission européenne qui disaient que la richesse des pays de l'Est atteignait le tiers de la moyenne communautaire. On présentait cela comme un argument pour affirmer qu'il ne sera pas très difficile de les intégrer puisque le Portugal et l'Espagne étaient en fait de 30 à 40 % de la moyenne lorsqu'ils sont entrés dans l'Union.

C'est une mystification parce que ce tiers, quand on parle des pays de l'Est, représente le tiers en parité de pouvoir d'achat, c'est-à-dire le tiers du niveau de vie interne. Mais en termes de taux de change, les pays de l'Est sont à 12 % de la moyenne communautaire alors que, quand le Portugal et l'Espagne sont entrés dans la Communauté européenne, ils étaient de 30 à 40 % de la moyenne communautaire en taux de change, et non en parité de pouvoir d'achat.

Je soulevais cette question parce qu'on utilise souvent les mêmes chiffres dans différentes analyses internationales, en ne précisant pas leur signification réelle.

Quand la Commission dit que les pays de l'Est sont déjà à un tiers, que le Portugal et l'Espagne étaient à 40 % et qu'il ne serait donc pas difficile de les intégrer, non seulement elle oublie les problèmes de structures économiques puisque le Portugal et l'Espagne avaient des structures capitalistes développées, mais elle fait en plus la confusion entre parité de pouvoir d'achat et taux de change, ce qui ne permet pas, à mon avis, de quantifier le décalage qui existe entre les différentes régions.

M. Louis GUEDON : Voilà quinze ans, le salaire moyen du Portugais était-il déjà le quart de celui de l'Allemand ou la moitié de celui de l'Espagnol ?

M. Vasco CAL : C'était un cinquième de celui de l'Allemand.

M. le Rapporteur : En intégrant l'Allemagne de l'Est ou pas ?

M. Vasco CAL : Le quart auquel j'ai fait référence se situe par rapport au chiffre qui inclut l'Allemagne de l'Est, et le cinquième, par rapport à l'Allemagne de l'Ouest.

L'écart est remonté par rapport à l'Espagne. Il y a quinze ans, les salaires portugais étaient plus proches des salaires espagnols.

M. Louis GUEDON : Cela veut dire que l'Espagne améliore plus vite sa situation que le Portugal.

M. Vasco CAL : En termes de salaires, c'est le cas.

M. Louis GUEDON : Si l'Espagne s'améliore plus vite, on peut penser que le problème espagnol va moins se poser que le problème portugais.

Pour ce qui est du problème des taux de change, l'introduction de l'euro va le résoudre.

M. Vasco CAL : Oui. C'est pour cela que je dis qu'il est plus cohérent de tout calculer au taux de change normal et non pas selon la parité de pouvoir d'achat. Il y a une monnaie unique, et la parité du pouvoir d'achat est une technique que les statisticiens et les économistes ont inventée pour dépasser les difficultés de comparaison sur la base relative des taux de change.

M. Bruno VEVER : Il faudrait sans doute effectuer une pondération des deux côtés. La question se pose même à l'intérieur d'un pays. Les prix ne sont souvent pas les mêmes entre Paris et d'autres régions françaises.

M. Vasco CAL : Justement, mais quand vous comparez le niveau de vie existant dans les différentes régions de France, vous le comparez sur la base du niveau de revenu et vous ne faites pas de différence entre Paris et la province.

M. Louis GUEDON : L'euro va répondre à vos inquiétudes parce qu'on aura la même monnaie à Paris et Lisbonne, comme on l'a à Paris et Marseille.

M. le Rapporteur : La modification des fonds structurels en Irlande et probablement au Portugal est une évolution qu'on espère positive.

La suppression ou la diminution des fonds structurels, puisqu'ils vont être orientés beaucoup plus vers les pays de l'Est européen, n'est-elle pas de nature à remettre en cause certains équilibres tels qu'ils se sont finalement installés depuis quelques années ?

M. Vasco CAL : La proposition de la Commission dans l'agenda 2000 consiste à retirer à peu près le tiers des sommes prévues pour les fonds structurels afin de l'octroyer progressivement aux pays du Centre et de l'Est.

Cela repose sur une prévision - qui ne s'avère pas du tout confirmée aujourd'hui - selon laquelle les adhésions se réaliseraient au cours des années 2002 et 2003.

M. le Rapporteur : Si les adhésions ne se font pas au rythme prévu, cela veut-il dire que les pays européens contributeurs vont diminuer d'autant leur participation ?

M. Vasco CAL : Oui, de toute façon. Il est probable que les adhésions pourront avoir lieu en 2005 et 2006. La Commission travaille déjà aujourd'hui sur la base de cette prévision.

Cela veut dire que les perspectives financières pour les années 2000 à 2006 seront modifiées. Elles l'ont déjà été au niveau du Conseil européen, parce que la ligne des appuis structurels aux pays du Centre et de l'Est européen a été retirée de la rubrique des perspectives financières.

Elle fait maintenant partie de la rubrique 7, qui est une ligne à part pour le problème de l'adhésion, mais ne figure plus sous la rubrique 2, qui est celle des fonds structurels. Je crois que cela a déjà été réglé à Vienne du point de vue politique.

Quant au problème des montants, mon opinion personnelle, c'est qu'il ne fallait pas les augmenter davantage pour les régions les moins développées de l'Union européenne. On doit désormais veiller à ne pas les diminuer trop vite parce que cela va nuire à la dynamique d'investissement et à la dynamique économique qui existent aujourd'hui.

Si les acteurs économiques pensent que la situation, dans quatre ou cinq ans, sera pire que celle d'aujourd'hui parce qu'ils voient les chiffres des fonds européens diminuer très brutalement, ils agiront en conséquence, provoquant une rétraction immédiate de la consommation et de l'investissement. Ajouté à l'effet de diminution des aides communautaires, cela pourra avoir des conséquences pour la dynamique économique. Il faut donc que le Portugal, l'Irlande et la Grèce puissent avoir un surplus de croissance par rapport à la moyenne communautaire.

Si la croissance communautaire moyenne peut atteindre 2 % à 2,5 %, celle des pays de la cohésion doit remonter à 3%-3,5 %, sinon le décalage ne pourra être rattrapé. Cela devrait être un objectif.

Je crois que la Commission est consciente de ces aspects macro-économiques de la question. Les propositions d'un régime transitoire pour les régions qui ne seront plus un objectif numéro 1 les prennent en considération.

Le cas exceptionnel très difficile à régler est celui de l'Irlande parce que cette dernière a une croissance de 8 % à 10 % par an, ce qui fait qu'elle atteint presque 100 % de la moyenne communautaire en termes de parité de pouvoir d'achat, tandis qu'elle est encore à 88 % de la moyenne communautaire en termes de taux de change. L'importance de ce débat sur les parités du pouvoir d'achat et le taux de change n'est donc pas simplement technique.

L'Irlande a connu un boom économique énorme, qui est le résultat d'un pacte social pour l'emploi conclu entre les employeurs, les travailleurs et le gouvernement, qui a créé un consensus national sur l'utilisation des fonds structurels, consensus très important pour éviter des conflits politiques à l'intérieur de l'Irlande, et qui a permis un développement aussi rapide.

L'Irlande ne sera plus une région d'objectif 1 mais, s'il y a un régime transitoire jusqu'en 2005/2006, comme c'est prévu, qui ne diminue pas trop brusquement les aides communautaires, elle pourra sortir de cette situation.

Vous ne pouvez pas oublier non plus qu'il y a des différences entre les pays de la cohésion. Les fonds structurels sont moins importants en Irlande ou en Grèce qu'au Portugal, parce que l'Irlande et la Grèce reçoivent et vont continuer à recevoir beaucoup d'argent du FEOGA-Garantie, qui n'est pas un fonds structurel.

M. le Rapporteur : Il faut donc regarder la nature même des fonds européens qui sont versés.

M. Vasco CAL : Dans le cas de l'Irlande et de la Grèce, le FEOGA a beaucoup d'importance, tout comme pour l'Espagne, après la réforme de la PAC. Cette dernière, qui ne recevait auparavant pratiquement pas de contributions du FEOGA, est maintenant le troisième ou le quatrième bénéficiaire en volume.

M. le Rapporteur : Ce n'est pas ce qui va rassurer nos producteurs français, surtout ceux du bassin méditerranéen.

M. Bruno VEVER : Même s'ils ont reçu des aides agricoles, les Irlandais ont quand même reçu beaucoup d'aides structurelles. Il y a bien sûr le problème de compétitivité lié aux éléments salariaux et sociaux, mais l'aspect fiscal a également beaucoup joué en Irlande.

Par rapport à la fiscalité des autres pays européens - c'est d'ailleurs un point qui est examiné, notamment dans le cadre du code de conduite -, un certain nombre de mesures irlandaises, qui bénéficiaient d'ailleurs surtout à des sociétés étrangères, ont creusé l'écart avec les autres et ont largement contribué au décollage économique de l'Irlande.

M. Vasco CAL : Des régimes d'aides ont été autorisés par la Commission pour l'Irlande, mais ne l'ont pas été pour la Portugal, ce qui a posé des problèmes.

L'Irlande était pourtant beaucoup plus généreuse en matière d'aides directes ou fiscales.

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