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Deuxième séance du mardi 3 février 2004

148e séance de la session ordinaire 2003



PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

M. le président. L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Nous commençons par une question du groupe Union pour la démocratie française.

GRÈVE À RADIO FRANCE

M. le président. La parole est à Pierre-Christophe Baguet.

M. Pierre-Christophe Baguet. Monsieur le ministre de la culture et de la communication, la radio est le média préféré des Français. Or les journalistes de Radio France entament aujourd'hui leur deuxième semaine consécutive de grève. (« Scandaleux ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Ce mouvement, le plus dur depuis 1994, pose le problème des relations complexes entre l'Etat, d'un côté - votre ministère et celui des finances - et les sociétés du service public de l'audiovisuel, de l'autre : direction et salariés. Les journalistes se sentent légitimement malmenés dans ces rapports ambigus.

M. François Goulard. Démago !

M. Pierre-Christophe Baguet. En effet si le dialogue social doit se construire au sein de chaque entreprise publique indépendante, la tutelle financière gouvernementale est décisive.

Si l'uniformité salariale entre toutes les entreprises du service public de l'audiovisuel ne semble pas adaptée, on ne peut en revanche accepter que les journalistes de Radio France subissent un gel du point d'indice salarial depuis huit ans. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. René Couanau. Ce n'est pas vrai !

M. Pierre-Christophe Baguet. Le président de Radio France reçoit ce jour, à dix-sept heures trente, les journalistes. Souhaitons une issue positive. Dans le cas contraire, cependant, envisagez-vous, monsieur le ministre, de nommer un médiateur, tel Guy Servat dont le plan, soumis naguère à M. Sarkozy lorsqu'il était en charge de la communication, reste toujours d'actualité. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. François Goulard. C'est nul !

M. le président. La parole est à M. le ministre de la culture et de la communication.

M. Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le député, tout d'abord, je tiens à réaffirmer très nettement l'attachement du Gouvernement au service public de la radio. (« Très bien ! » sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. François Hollande. Prouvez-le !

M. Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication. Il l'a d'ailleurs démontré avec vous, au moment du vote du budget. Parmi toutes les sociétés de l'audiovisuel public, c'est Radio France, en effet, qui a bénéficié de la plus forte augmentation de la dotation issue de la redevance.

Vous évoquez le conflit de Radio France : il porte effectivement sur des revendications salariales, un certain nombre d'organisations syndicales demandant que les salaires soient alignés sur ceux de France 3. Or, vous l'avez dit vous-même, monsieur le député, cette convergence n'a mécaniquement pas lieu d'être, les situations professionnelles étant très différentes.

Aujourd'hui, le Gouvernement a fait le choix de renvoyer la responsabilité du dialogue social à l'entreprise elle-même, c'est-à-dire à la direction de la société et aux représentants du personnel. La nomination d'un médiateur est une commodité à laquelle il vaut mieux éviter d'avoir recours, selon nous. En effet elle peut, d'un côté, dédouaner la direction de la totalité de sa responsabilité et, de l'autre, constituer de la part de la tutelle, c'est-à-dire du Gouvernement, une marque de défiance à l'égard de cette direction. Or nous faisons confiance à Jean-Marie Cavada et aux personnels de Radio France, pour lesquels j'ai beaucoup de respect, pour conduire les négociations.

En tout cas, soyez-en assuré, nous sommes tous, sous l'autorité du Premier ministre, très attentifs à cette situation. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.- Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

CRISE DU LOGEMENT SOCIAL

M. le président. La parole est à M. Maxime Gremetz, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Maxime Gremetz. Cinquante ans après l'appel de l'abbé Pierre au cours de l'hiver 1954, nous sommes confrontés à une nouvelle crise du logement social. Celle-ci a de multiples visages : absence d'offre par rapport à la demande, mais aussi manque d'entretien du patrimoine locatif.

L'abbé Pierre comme les associations notent que le Gouvernement est allé de promesses non tenues en promesses non tenues. (Murmures sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) En effet, depuis deux ans, l'effort du Gouvernement s'est inversé, faisant passer le budget logement au-dessous de 2 % du PIB. Il s'est empressé de supprimer les obligations de construction de nouveaux logements sociaux que nous avions fait voter. Il faudrait au minimum construire 320 000 logements tous les ans contre 260 000 au cours des cinq dernières années.

La crise du logement social s'accompagne de l'absence de réhabilitation et d'entretien des grands ensembles, qui peut provoquer des drames, comme celui que nous avons vécu hier, lundi : un homme de soixante-sept ans est mort dans un accident d'ascenseur dans un immeuble d'HLM d'un quartier populaire d'Amiens. Je tiens ici à témoigner toute ma sympathie à l'égard de sa famille et de ses proches.

Monsieur le ministre du logement, il s'agit du deuxième accident dans un ascenseur à Amiens. Ce drame survient en outre après deux accidents mortels d'enfants à Strasbourg et à Clichy-sous-Bois.

Le Gouvernement a fait voter, il y a un an, en première lecture à l'Assemblée nationale, une loi sur la sécurité des ascenseurs. Elle a été définitivement adoptée en mai 2003 et publiée en juillet 2003. Or il est regrettable et incompréhensible que le décret d'application se fasse encore attendre, sept mois après.

Je vous ai interpellé personnellement à plusieurs reprises sur l'absence d'application des mesures prises. Le 20 octobre dernier, je vous ai ainsi adressé une question écrite à laquelle vous avez répondu le 22 décembre en m'expliquant que les décrets étaient toujours en préparation.

Monsieur le ministre, combien faudra-t-il encore de drames pour que la sécurité des locataires ne soit plus négligée, pour que le décret soit publié et que la loi s'applique enfin ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.

M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Monsieur le député, la sécurité des hommes et des femmes dans notre pays, qu'il s'agisse des routes, de la délinquance de droit commun ou des ascenseurs, est une affaire trop sérieuse pour en faire un sujet de polémique. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.- Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Maxime Gremetz. Il n'y avait aucune polémique dans mon propos !

M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Pensons d'abord à la famille de la victime.

S'agissant plus précisément de votre question, je rappelle que ce gouvernement, en arrivant, a fait savoir que la sécurité dans les ascenseurs était une de ses priorités et qu'il a proposé au Parlement un texte tendant à l'améliorer. Cette loi a été votée en juillet 2003 à l'Assemblée nationale, contre l'avis de votre groupe, monsieur le député. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.-Protestations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Mme Muguette Jacquaint. Ce n'est pas vrai !

M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Vous avez voté contre, monsieur Gremetz. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.- Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Ce texte vise à mettre aux normes les ascenseurs dans notre pays, à garantir l'obligation d'entretien et à assurer la formation de ceux qui sont chargés de cet entretien. Je précise qu'il n'est pas nécessaire d'avoir les décrets d'application pour prendre les mesures prévues. Ainsi, l'OPAC d'Amiens a immédiatement appliqué la loi. C'est d'ailleurs à l'occasion d'une opération d'entretien qu'un accident s'est malheureusement produit.

Alors, oui, monsieur Gremetz, notre pays a besoin de logements, précisément parce que, depuis des années et des années, il n'en a pas été construit assez. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.- « Eh oui ! » sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Dès 2002, nous avons prévu, quant à nous, de mobiliser des crédits supplémentaires en faveur du logement. Dès 2003, nous sommes passés de 45 000 logements sociaux financés par an avec vous à 57 996. Et en 2004, nous en construirons 80 000. Nous n'avons donc aucune raison d'être gênés ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

LUTTE CONTRE L'ANTISEMITISME

M. le président. La parole est à M. René André, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.

M. René André. Monsieur le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, ma question a trait aux actes malheureusement encore trop fréquents d'antisémitisme et de racisme.

L'ensemble du Gouvernement, sous l'impulsion du Président de la République, Jaques Chirac, a, à maintes reprises, affirmé sa détermination à lutter contre toutes les formes de racisme et d'antisémitisme. Cette lutte est d'ores et déjà couronnée de succès puisque les statistiques de 2003 montrent une diminution de ces actes. Ceux-ci sont cependant trop nombreux encore. Nos compatriotes d'origine juive en son malheureusement chaque jour et les témoins et les victimes.

La France entière a en mémoire des faits précis : ici, on s'en prend à un juge parce qu'il porte un nom juif ; là, des professeurs ne peuvent pas sereinement enseigner la shoah parce que certains de leurs élèves nient la réalité de ce drame ; des cimetières juifs, des synagogues sont régulièrement profanés ; des enfants sont battus ou maltraités dans les cours de nos écoles en raison, uniquement, de leurs origines. Hier encore, une chanteuse, Shyrel, a été grossièrement insultée au seul motif qu'elle serait d'origine juive. Tous ces comportements sont révoltants et inadmissibles. Ils justifient la poursuite de l'action des pouvoirs publics et leur vigilance.

En ce sens, la semaine dernière et sous l'autorité de M. le Premier ministre, le comité interministériel de lutte contre le racisme et l'antisémitisme a tenu sa deuxième réunion. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer les décisions prises par le Gouvernement à cette occasion ? Pouvez-vous préciser ce qui va être fait pour mettre fin aux attentats contre les synagogues et les cimetières juifs, pour réprimer et condamner les auteurs de ces actes de vandalisme, de ces actes criminels racistes et antisémites ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Monsieur le député, en matière de lutte contre l'antisémitisme, il ne faut rien accepter, pas même les facilités de langage. L'antisémitisme, ce n'est pas un affrontement communautaire. D'abord parce que personne n'a jamais vu dans notre pays un juif agresser qui que ce soit. Ensuite parce que nos compatriotes de confession musulmane sont, dans leur immense majorité, décidés à lutter contre toutes les formes de racisme dont hélas ! ils sont parfois eux-mêmes les victimes.

M. Michel Hunault. Eh oui !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. L'antisémitisme est donc, ni plus ni moins, un comportement de voyou devant être traité comme un acte délictueux.

En la matière, le Gouvernement a une seule politique : ne rien accepter. En 2003, il y a eu 37 % d'actes antisémites violents en moins. Pour autant, 125 agressions ont été à déplorer. Or tant qu'il y aura encore une seule agression antisémite sur le territoire de la République, nous ne serons pas arrivés au bout de notre action. D'ailleurs, la lutte contre l'antisémitisme n'est pas l'affaire de la communauté juive de France. Elle est celle de la communauté nationale dans son ensemble car, chaque fois qu'un juif est attaqué parce qu'il est juif, c'est une tache sur la République française dans son ensemble. Ce n'est pas le problème des seuls juifs. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire, du groupe Union pour la démocratie française et sur plusieurs bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Le Premier ministre a décidé de créer un fonds doté de 15 millions d'euros pour aider les collectivités locales qui le souhaiteront à financer des équipements de sécurisation pour tous les établissements sensibles, scolaires ou religieux. Bien sûr, dans l'esprit du Gouvernement, il s'agit de protéger non pas simplement les sites liés à la confession juive, mais tous les sites scolaires ou religieux qui, pour une raison ou pour une autre, auraient besoin d'être sécurisés.

Monsieur le député, c'est simple : nous sommes décidés à éradiquer l'antisémitisme de notre pays, y compris l'antisémitisme mondain qui sévit parfois à la télévision. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire, du groupe Union pour la démocratie française et sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

DÉCISION DU TRIBUNAL DE NANTERRE

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault, pour le groupe socialiste.

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le Premier ministre, nous sommes tous ici des républicains et, à ce titre, nous sommes attachés à la loi, à son respect, à son application. De même, nous sommes tous ici des démocrates et, à ce titre, attachés au principe sacré de la séparation des pouvoirs.

Pour ces deux raisons, majeures et impérieuses, le jugement rendu vendredi dernier par le tribunal de Nanterre, conforme à la législation en vigueur adoptée par le Parlement à l'unanimité en 1995, ne saurait souffrir, notamment de la part du Gouvernement, aucun commentaire de nature à remettre en cause ces deux principes sacrés que sont l'égalité de tous devant la loi et l'indépendance de la justice. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme Élisabeth Guigou. Très bien !

M. Francis Delattre. Pas vous !

M. Richard Mallié. Emmanuelli !

M. Jean-Marc Ayrault. Si vous êtes en désaccord avec ces propos, allez-y, criez-le encore plus fort ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Richard Mallié. Souvenez-vous : Henri Emmanuelli, en 1996 !

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le Premier ministre, comment pouvez-vous justifier les déclarations de plusieurs membres de votre gouvernement - les vôtres également - qui, depuis quelques jours, semblent remettre en cause le respect de ces principes ? (Vives protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Pierre Micaux. Scandaleux !

M. Richard Mallié. Quel culot !

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le Premier ministre, ma question est très simple : quelles assurances pouvez-vous donner à la représentation nationale quant à la sérénité nécessaire au bon fonctionnement de la justice dans notre pays ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, nous sommes tous ici des républicains et nous partageons tous, en effet, l'idée républicaine selon laquelle personne n'est au-dessus de la loi. Néanmoins je ne voudrais pas que les propos qui ont été tenus soient caricaturés.

Je tiens donc à préciser le sens des mots qui ont été employés à propos du jugement du tribunal de Nanterre.

Concernant le chef du Gouvernement, sachez qu'il n'a pas souhaité et ne souhaite pas jeter le discrédit sur la justice et sur ses décisions. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Bernard Roman. Il ne manquerait plus que cela !

M. Jean-Marc Ayrault. C'est bien le moins !

M. le Premier ministre. Je respecte l'indépendance de la justice ; je respecte donc ses décisions. (« Heureusement ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

J'ai employé le mot « surprise », dont le dictionnaire dit qu'il reflète l'état d'une personne. Ce n'est ni une opinion ni un jugement (Rires sur les bancs du groupe socialiste), encore moins un jugement sur un jugement (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Je me souviens que, en d'autres temps, certains parlaient de décision inique, de propos et de jugements partiaux, ou encore de décision controversée en droit et injuste dans ses effets. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Christophe Cambadélis. Ils n'étaient pas membres du Gouvernement !

M. le Premier ministre. Récemment, je le répète, j'ai parlé de surprise, ce qui traduit l'état d'une personne. Ce n'est ni une opinion ni un jugement.

Je vous rappelle aussi que l'appel est suspensif et que, par définition, le jugement du tribunal n'est pas définitif. C'est le bon sens. Je me suis contenté de rappeler les règles de notre droit. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Augustin Bonrepaux. Qu'est-ce que cela veut dire « un jugement provisoire » ?

M. le Premier ministre. Enfin, je veux souligner que le service du pays peut prendre mille formes. Nombreux sont les Françaises et les Français qui servent aujourd'hui leur pays. L'idée du service de la France ne préjuge pas du statut du serviteur.

M. François Hollande. Qu'est-ce que cela veut dire ?

M. le Premier ministre. Ma déclaration de chef du Gouvernement était donc à la fois sincère et responsable.

M. Yves Fromion. Très bien !

M. Augustin Bonrepaux. Ce n'est pas très clair !

M. le Premier ministre. J'y suis fidèle, en réaffirmant ici sereinement, paisiblement, mon amitié pour Alain Juppé (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), une amitié qui n'est pas incompatible avec le respect de l'indépendance de la justice.

M. Augustin Bonrepaux. Ce n'est pas convaincant !

M. le Premier ministre. Pour terminer, je vous rappelle cette phrase de Todorov : « Donner des leçons de morale n'a jamais été une preuve de vertu ». (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

LOGEMENT

M. le président. La parole est à M. Gilbert Meyer, pour le groupe UMP.

M. Gilbert Meyer. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.

A l'occasion du cinquantième anniversaire de l'appel de l'abbé Pierre, la fondation qui porte son nom vient de nous rappeler qu'il reste en France environ trois millions de personnes mal logées. Les unes sont sans domicile fixe, d'autres sont logées à titre précaire ou encore vivent dans des logements insalubres ou suroccupés.

La production de logements relève, nous le savons tous, d'une action menée sur une longue durée. Ce sont les décisions qui ont été prises avant-hier que nous payons aujourd'hui, et ce sont nos décisions d'aujourd'hui qui pourront améliorer demain les conditions de logement de nos concitoyens. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Je suis un peu surpris par la question qui a été précédemment posée sur ce sujet, car nous payons aujourd'hui le prix de l'absence de volonté politique du précédent gouvernement qui a gaspillé les fruits de la croissance et n'a pas su, quand il en avait les moyens, mettre en place une vraie politique en faveur de ce besoin essentiel des ménages qu'est le logement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.- Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Monsieur le ministre, pourriez-vous nous présenter l'action du Gouvernement en matière de logement et nous faire part des premiers résultats de la politique que vous menez depuis dix-huit mois ? (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Albert Facon. Allô, allô !

M. Gilbert Meyer. Mes chers collègues, à défaut d'avoir eu une volonté politique, ayez au moins le courage d'assumer les résultats d'une telle attitude ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Par ailleurs, au-delà de la construction de logements, nombreux sont les Français qui aspirent à devenir propriétaires. Seuls 56 % des Français le sont, contre environ 70 % chez la plupart de nos voisins européens. Pouvez-vous nous détailler les mesures que vous envisagez de prendre pour faciliter l'accession à la propriété ? (Applaudissements sur divers bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.

M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Monsieur le député, vous avez raison : le développement du logement social, particulièrement celui destiné aux gens qui ont le moins de revenus, est une des conditions à remplir pour réussir la cohésion sociale dans notre pays. En effet, l'inertie des années 1997 à 2000 a entraîné une crise du logement sans précédent. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Vous m'avez demandé, monsieur Meyer, de vous communiquer les premiers résultats de notre politique. Ils sont clairs : en 2003, pour la première fois depuis quatorze ans, si l'on excepte l'année 1999 qui a vu la fin du dispositif Périssol, notre pays a mis en chantier 314 000 logements, à comparer aux 300 000 qui étaient construits chaque année avant 2002.

J'ajoute que les perspectives pour 2004 sont vraiment favorables. J'en veux pour preuve le nombre des permis de construire, qui a augmenté de 9 % en 2003.

Quant à la remise en marche du logement social, c'est une réalité, puisque nous avons financé en 2003 près de 58 000 logements sociaux, contre 45 000 chaque année de 1997 à 2000.

M. Augustin Bonrepaux. C'est faux !

M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Un autre motif d'espérer découle de l'aide à l'investissement locatif. Ce dispositif devait nous permettre de financer 40 000 logements en année pleine. Or, en 2003, ce chiffre a été atteint en neuf mois. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Les perspectives pour 2004, monsieur le député, sont évidentes : la fédération du bâtiment vient de publier le chiffre de 8 000 emplois créés en 2003 et, grâce à la politique qu'il mène en faveur du logement, le Gouvernement pourra financer, en 2004, 80 000 logements sociaux, auxquels on peut ajouter 10 000 locations accessions.

M. Augustin Bonrepaux. Vous mentez !

M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Ces chiffres vous montrent que le Gouvernement accélère sa politique en faveur du logement social...

M. Augustin Bonrepaux. C'est faux !

M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. ...et la dirige autant qu'il le peut vers l'accession sociale à la propriété. C'est un beau sujet de société. (Applaudissements sur divers bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

PRIMES D'ASSURANCE AUTOMOBILE

M. le président. La parole est à M. Yves Censi, pour le groupe UMP.

M. Yves Censi. Ma question s'adresse à M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Augustin Bonrepaux. Et du chômage !

M. Yves Censi. Chaque année, monsieur le ministre, le paiement des primes d'assurance automobile est une charge lourde pour de nombreux ménages et les Français ne comprennent pas pourquoi elles ne baissent pas alors que, grâce à l'action prioritaire définie par le Président de la République et menée par le Gouvernement depuis deux ans en faveur de la sécurité routière, le nombre des accidents de la route a considérablement diminué.

Par votre implication personnelle, vous avez incité les assureurs à anticiper la baisse, déjà engagée, du nombre des accidents et à donner un signal fort en faveur de la politique de sécurité routière.

La concertation que vous avez menée a permis de faire évoluer les choses sans impatience, mais avec réalisme et dans le respect de la liberté tarifaire. Ainsi, sur votre initiative, une réunion s'est tenue à Bercy la semaine dernière avec les représentants des sociétés et mutuelles d'assurance, et ceux des associations de consommateurs.

Monsieur le ministre, à l'issue de cette concertation, les avancées qui ont été obtenues vous paraissent-elles satisfaisantes ? Pensez-vous que cette concertation permettra aux Français de bénéficier d'une baisse des primes d'assurance automobile ? Ce serait un message fort pour encourager la responsabilisation croissante des automobilistes. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le député, pour la première fois depuis très longtemps, les représentants des assureurs et ceux des assurés se sont réunis. Tout le monde s'est étonné de cette réunion, y compris ceux qui y participaient : il ne leur était jamais venu à l'idée qu'ils avaient des choses à se dire ! (Sourires.)

Cette réunion s'est déroulée très calmement et des arguments ont été échangés aimablement. Tant les assureurs que les consommateurs ont découvert qu'ils ne savaient pas communiquer entre eux.

Lorsque, comme moi, vous recevez la facture de votre assurance automobile, qui est obligatoire, vous constatez que la prime a augmenté ou qu'elle a baissé, mais vous ne savez absolument pas pourquoi.

M. Jacques Desallangre. De toute façon, elle augmente !

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Il a donc été décidé, dans un souci de totale transparence, afin que le client sache pourquoi sa prime d'assurance évolue, d'en préciser les coûts et leur structure. Au cours d'une prochaine réunion, les assureurs présenteront le détail de ces nouvelles factures, ainsi que la façon dont ils tiendront désormais compte, dans un réel contexte de compétition - ils sont 140 dans notre pays -, de l'évolution favorable du nombre des accidents automobiles, dont nous espérons tous qu'elle va se poursuivre.

Grâce à cette réunion, qui a permis aux fournisseurs de découvrir leurs clients - c'est-à-dire chacun d'entre nous - nous allons pouvoir évoluer vers une plus grande transparence, afin que les assureurs, comme les assurés, assument leurs responsabilités. (Applaudissements sur divers bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

INDÉPENDANCE DE LA JUSTICE

M. le président. La parole est à M. Arnaud Montebourg, pour le groupe socialiste. (Huées sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Arnaud Montebourg. Monsieur le Premier ministre, par vos déclarations solennelles, lancées depuis l'Hôtel Matignon, vous avez bel et bien mis en cause la décision rendue par les magistrats de Nanterre (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Vives protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire)...

M. Richard Mallié. Quel culot !

M. Arnaud Montebourg. ...lesquels se sont pourtant contentés d'appliquer la loi, rien que la loi, la même pour tous.

Les mêmes magistrats de Nanterre se sont plaints par ailleurs d'espionnage informatique et téléphonique. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Face à ces atteintes graves et illégales à l'indépendance de la justice, nous nous étonnons ici, tous ensemble (« Non ! Non ! »sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) que le Conseil supérieur de la magistrature,...

Un député du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Un ramassis de gauchistes !

M. Arnaud Montebourg. ...seule autorité garantissant constitutionnellement l'indépendance des juges, n'ait pas été saisi par le Président de la République : beaucoup d'autres autorités ont été saisies, mais pas le Conseil supérieur de la magistrature. Une commission a même été constituée de toutes pièces par l'Elysée...

M. Lucien Degauchy. Provocateur !

M. Arnaud Montebourg. ...mais elle est dirigée par un haut fonctionnaire placé sous votre autorité.

M. Richard Mallié. Provocateur !

M. Arnaud Montebourg. Une mission d'information parlementaire a bien été constituée, mais elle est dirigée par l'un de vos amis.

M. Yves Fromion. Et alors ?

M. Arnaud Montebourg. En vérité il s'agit de manœuvres destinées à discréditer les magistrats de Nanterre. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Richard Mallié. C'est scandaleux !

M. Arnaud Montebourg. Ces multiples enquêtes sur mesure (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) serviront à engager le combat contre des juges indépendants qui vous déplaisent, monsieur le Premier ministre. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean Marsaudon. Scandaleux !

M. Arnaud Montebourg. Alors, monsieur le Premier ministre, expliquez-nous donc pourquoi le Conseil supérieur de la magistrature n'est pas saisi ? Qu'avez-vous donc à en craindre, si ce n'est son indépendance ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Merci, monsieur Montebourg. Je regrette simplement que vous mettiez en cause mon impartialité ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je regrette les nombreuses approximations que je viens d'entendre, dans un domaine, celui du droit, qui exige un minimum de précision.

De quoi s'agit-il ?

M. Noël Mamère. De sauver Chirac !

M. Augustin Bonrepaux. Répondez !

M. le garde des sceaux. Je ne réponds pas à de telles injonctions, monsieur le député ; je réponds à la question d'un parlementaire de la République. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Samedi matin la presse a fait état de déclarations laissant entendre que les magistrats du tribunal de Nanterre auraient subi certaines pressions. J'ai donc décidé, dans la matinée de samedi, de demander au procureur d'ouvrir une information, afin qu'un juge d'instruction puisse être saisi de l'aspect pénal de cette affaire.

M. Charles Cova. Très bien !

M. le garde des sceaux. Au cours du week-end, le Gouvernement, sur instruction du Président de la République, garant de l'indépendance de la justice (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste)...

C'est la Constitution, vous ne l'ignorez pas, je pense !

M. Albert Facon. La Constitution dit qu'il est assisté par le Conseil supérieur de la magistrature !

M. le garde des sceaux. Le Gouvernement, disais-je, a confié à trois hauts magistrats - le vice-président du Conseil d'Etat, le Premier président de la Cour de cassation et le Premier président de la Cour des comptes -...

M. Arnaud Montebourg. Et le Conseil supérieur de la magistrature ?

M. le garde des sceaux. ...le soin de mener une enquête administrative, qui est indispensable. En effet - et vous devriez le savoir, monsieur Montebourg, vous qui avez été avocat (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) - le pénal ne couvre pas l'ensemble du champ de ce qui doit être investigué. Des questions peuvent se poser en termes de fonctionnement administratif.

Par ailleurs, pour répondre complètement à votre question - et j'ai eu l'occasion de m'en entretenir avec les responsables du Conseil supérieur de la magistrature - le Président de la République a indiqué par écrit, à chacun de ses membres, que la commission d'enquête administrative, présidée dans les conditions que je viens de rappeler, tiendra le Conseil supérieur de la magistrature informé au fur et à mesure de l'avancement de l'enquête (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste)...

M. le président. Ecoutez la réponse du ministre !

M. le garde des sceaux. ...qui dépasse les compétences de ce dernier. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Votre nervosité illustre assez bien votre embarras, monsieur Montebourg. (Applaudissements sur divers bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Arnaud Montebourg. Vous n'êtes pas sérieux !

M. le garde des sceaux. Enfin, si l'enquête en démontre la nécessité, le Président de la République saisira le Conseil supérieur de la magistrature, au titre de l'article 64 de la Constitution.

M. Jean-Marc Ayrault. Voilà !

M. le garde des sceaux. Telles sont les indications que je voulais donner, monsieur Montebourg, pour votre complète information. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

RELATIONS COMMERCIALES AVEC LA CHINE

M. le président. La parole est à M. Guy Drut, pour le groupe UMP.

M. Guy Drut. Tout ce qui est excessif est dérisoire (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste),...

M. Jean Glavany. Parole d'expert !

M. Guy Drut. ...mais il paraît que nous devrions nous y habituer avec M. Montebourg. (Applaudissements sur divers bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Lui et certains de ses collègues semblent tout de même avoir une mémoire très sélective.

Monsieur le ministre délégué au commerce extérieur, la semaine dernière, le président de la République populaire de Chine a effectué une visite d'Etat en France. Ce fut l'occasion de rappeler les liens qui unissent nos deux pays et l'importance de nos relations dans tous les domaines.

On le sait, la Chine fait preuve, depuis plusieurs années, d'un dynamisme économique étonnant, et cette croissance va sans doute s'accentuer encore à la suite de sa récente entrée dans l'Organisation mondiale du commerce. Tous les partenaires économiques de la Chine, au premier rang desquels figureront, je l'espère, les entreprises françaises, devraient tirer profit de cette vitalité.

Dans ce contexte, monsieur le ministre, pouvez-vous simplement nous indiquer de quelle manière la France perçoit les enjeux économiques que représente la Chine et de quelle façon nos entreprises pourront en profiter ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué au commerce extérieur.

M. François Loos, ministre délégué au commerce extérieur. Monsieur le député, la Chine est effectivement un enjeu pour nos entreprises, et je vais vous donner une réponse en trois points.

Je veux premièrement rappeler que, si le niveau de production actuel de la Chine est à peu près comparable à celui de la France et représente 18 % de la production de l'Asie, le tiers de celle du Japon, elle connaît une croissance de 9 % par an. Ce pays souhaite mettre à profit cette croissance pour améliorer le niveau de vie de ses habitants, notamment en développant ses infrastructures : sont ainsi prévues la construction de 12 000 kilomètres de chemins de fer et l'implantation d'ici à 2010 d'une capacité de production électrique double de celle de la France. C'est dire que les enjeux sont considérables.

Deuxièmement la Chine présente évidemment des risques, qu'il s'agisse des contrefaçons ou du secteur des  industries à forte composante de main-d'œuvre. Grâce à son adhésion à l'OMC nous disposerons cependant des instruments nécessaires pour faire face à ces risques. L'Union européenne a déjà eu recours aux clauses de sauvegarde, outil qui permet de parer aux difficultés que nous pourrions connaître du fait de la croissance de la Chine.

Troisièmement, cette forte croissance de la Chine touche un grand nombre de marchés sur lesquels nos grandes entreprises sont en général très bien placées. Je pense notamment à celui des infrastructures routières et ferroviaires, aux secteurs des télécommunications, de l'énergie, de l'environnement, à l'agroalimentaire ; autant de domaines dans lesquels nos entreprises sont taillées pour faire face aux opportunités de marché.

Nos petites et moyennes entreprises sont cependant en retrait sur ce marché, puisque nous ne représentons que 1,4 % du commerce extérieur de la Chine, alors que la moyenne est de 5,2 % pour le reste du monde. C'est la raison pour laquelle nous avons mis en place, au mois de septembre, un plan d'action commerciale destiné à permettre à nos PME une diversification géographique et sectorielle qui est essentielle pour elles.

M. le président. Monsieur le ministre...

M. le ministre délégué au commerce extérieur. Cela se traduit, par exemple, par un triplement du nombre de nos participations à des salons commerciaux, qui passera de sept en 2002 à trente en 2004.

M. le président. Merci, monsieur le ministre.

M. le ministre délégué au commerce extérieur. Or ceux-ci constituent pour les PME le principal moyen de se faire connaître. (Applaudissements sur divers bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

POLITIQUE EN FAVEUR DES ENTREPRISES

M. le président. La parole est à M. Serge Poignant, pour le groupe UMP.

M. Serge Poignant. Monsieur le secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation, à l'opposé de la gestion de la majorité précédente (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)...

M. Albert Facon. Le disque est usé !

M. Serge Poignant. ...le gouvernement actuel a résolument décidé de conduire une politique en faveur des entreprises...

M. Richard Mallié. Eh oui !

M. Serge Poignant. ...afin de créer un environnement favorable à l'initiative des entrepreneurs.

L'investissement, la croissance à long terme et, surtout, l'emploi sont les enjeux de cette politique...

M. Augustin Bonrepaux. Manquent les moyens !

M. Serge Poignant. ...car l'entreprise est bien le lieu où l'on crée durablement des emplois. Ainsi le Gouvernement, sous l'impulsion de votre collègue François Fillon, a mis en place une politique volontariste en faveur du travail des jeunes, laquelle s'est déjà traduite par la signature de plus de 100 000 contrats jeunes en entreprise.

Dans cet esprit, le Gouvernement a fait porter parallèlement ses efforts sur l'encouragement à la création d'entreprises, sur la simplification des démarches administratives, et sur le soutien à l'innovation dans le cadre de la loi pour l'initiative économique que nous avons adoptée en juillet dernier.

Pouvez-vous nous dire aujourd'hui, monsieur le secrétaire d'Etat, alors que nous sommes au début de l'année 2004, quels sont les fruits de votre politique en faveur de la création d'entreprises, et quels résultats concrets ont été enregistrés pour 2003 ? Plus généralement, pouvez-vous préciser à la représentation nationale comment vous comptez poursuivre vos efforts en la matière ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation.

M. Renaud Dutreil. secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation. Monsieur le député, le Président de la République avait fixé un objectif très clair : créer un million d'entreprises en cinq ans, soit 200 000 entreprises par an. C'était un défi ambitieux au regard de la période précédente, notamment des années 1997-2002, années de forte croissance pourtant, pendant lesquelles la création d'entreprises a été particulièrement atone. Nous avons cependant atteint notre objectif en 2003, puisque la France a créé 200 000 entreprises.

Si nous avons réussi ce pari, c'est d'abord parce que nous avons tenu un discours clair et neuf, mobilisateur pour l'esprit d'entreprise (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste) ; ensuite parce que nous avons pris des mesures concrètes dans le cadre de la loi pour l'initiative économique, que vous avez votée ; enfin parce que nous avons pris des décisions rapides, immédiatement mises en œuvre. A l'heure actuelle, six mois après la promulgation de la loi sur l'initiative économique, la totalité des décrets d'application a été publiée.

Toutefois, monsieur le député, il faut aller encore plus loin, si l'on veut libérer les énergies et développer les entreprises. Ce sera l'objectif d'un deuxième texte d'initiative économique, qui sera présenté au Parlement en 2004, et qui, dans la ligne de ce que le Premier ministre a indiqué et de ce que le Président de la République a fixé comme objectifs lors de ses vœux aux forces vives de la nation, devra s'attaquer aux problèmes de la transmission d'entreprise, du statut social de l'entrepreneur, mais également à celui du financement des entreprises. Dans notre pays en effet, tout créateur d'entreprise, tout entrepreneur doit pouvoir accéder au crédit ; il n'est pas normal qu'il soit encore aussi difficile d'obtenir en France des concours bancaires. Nous nous attellerons à ce nouveau défi, et, grâce à la mobilisation de tous les acteurs, nous parviendrons à le surmonter. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

MISE EN PLACE DE LA PAJE

M. le président. La parole est à M. Philippe Vuilque, pour le groupe socialiste.

M. Philippe Vuilque. Monsieur le ministre délégué à la famille, le Gouvernement a pris en catimini une décision, dont vous ne vous vantez évidemment pas...

M. Jean Glavany. Une décision scandaleuse !

M. Philippe Vuilque. ...puisque ses conséquences sont dramatiques pour plusieurs dizaines de milliers de jeunes mères en situation précaire. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Vous avez instauré une prestation d'accueil du jeune enfant, qui remplace, depuis janvier, les différentes prestations familiales. L'intention était louable, au petit détail « technique » près que vous avez supprimé, au détriment des mères les plus en difficulté, l'allocation différentielle qui complétait leurs autres ressources, leur garantissant un revenu minimum. En clair la prestation d'accueil du jeune enfant n'est plus cumulable aujourd'hui avec le RMI ou avec l'allocation de parent isolé. (« Scandaleux ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Mon collègue Gérard Bapt, rapporteur du budget pour la santé et les personnes handicapées, que j'associe à ma question, s'était inquiété, au nom du groupe socialiste, des conséquences de la mise en place de cette prestation. Vous n'avez pas daigné l'écouter. Aujourd'hui 40 000 jeunes mères en difficulté vont perdre près de 1 300 euros sur huit mois, entre le cinquième mois de grossesse et le troisième mois de l'enfant.

M. Jean Glavany. C'est honteux !

M. Philippe Vuilque. Voilà probablement, monsieur le ministre, ce que vous appelez une politique familiale solidaire alors que, dans le même temps, vous accordez un coup de pouce fiscal aux familles les plus riches, qui emploient une nourrice à domicile.

M. Jean-Marc Ayrault. Voilà !

M. Guy Teissier. Et qui créent ainsi de l'emploi !

M. Philippe Vuilque. C'est un arbitrage budgétaire cynique que vous avez ainsi rendu (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains)...

M. Thierry Mariani. Quelle caricature !

M. Guy Teissier. Ce sont des chômeurs en moins !

M. Philippe Vuilque. ...et non, comme vous le déclarez, un ajustement technique « négligeable » : nul doute que les jeunes mères en difficulté apprécieront ce « négligeable ».

Alors, monsieur le ministre, que comptez-vous faire pour réparer cette injustice...

Plusieurs députés du groupe socialiste. Rien !

M. Philippe Vuilque. ...dénoncée par l'ensemble des associations familiales ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à la famille.

M. Christian Jacob, ministre délégué à la famille. Monsieur le député, vous avez parlé d'une « décision prise en catimini » ; or il n'y pas eu de décision prise. ( « Ah ? » sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Philippe Briand. Laissez-le parler !

M. le ministre délégué à la famille. Attendez mes explications avant de me faire des procès d'intention !

L'un des objectifs majeurs de la PAJE est de favoriser la sortie de la précarité. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Philippe Vuilque. C'est réussi !

M. le ministre délégué à la famille. Nous avons, d'ores et déjà, pris deux mesures.

Ainsi, jusqu'à présent, une mère isolée ne pouvait pas prendre un emploi à temps partiel, car les revenus qu'elle en tirait n'étaient pas cumulables avec une aide de garde ; depuis la mise en place de la PAJE, c'est possible. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Marcel Dehoux. Ce n'est pas la question !

M. le ministre délégué à la famille. De même, lorsqu'elle n'avait pas obtenu de place en crèche pour son enfant, elle ne bénéficiait d'aucune aide de garde. En effet, elle ne pouvait pas le faire garder par une assistante maternelle, car cela aurait représenté 30 % de son salaire. Cela en constituera désormais moins de 10 %, ce qui permettra aux mères isolées de rentrer dans le monde du travail (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Hervé Novelli. Eh oui !

M. Philippe Briand. Très bien !

M. le ministre délégué à la famille. Si, malgré ces mesures, il restait des situations de grande précarité, nous en tiendrions évidemment compte avec les partenaires sociaux, comme nous l'avons toujours fait, dans la plus grande transparence.

Pour ce qui est de l'API, il n'a jamais été question de cumul, puisque cette allocation différentielle complète les ressources dont dispose l'allocataire. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Aujourd'hui, une règle de droit a été définie. (« Non ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Avec les partenaires sociaux, nous apporterons des réponses aux familles en difficulté, sans faire aucun procès d'intention à qui que ce soit, contrairement à vous, qui entretenez une mauvaise polémique. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

J'ajoute que, chaque année, plus de 1 milliard d'euros seront apportés aux familles. On n'avait jamais fait autant depuis vingt ans, et les familles le reconnaissent. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. − Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. François Hollande. C'est faux !

SÉCURITÉ ROUTIÈRE

M. le président. La parole est à M. Dino Cinieri, pour le groupe UMP.

M. Dino Cinieri. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s'adresse à M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.

Tout en m'inscrivant de manière volontariste à ses côtés et en soutenant les efforts qu'il déploie en faveur d'une limitation de la délinquance routière, je souhaite attirer son attention sur une observation faite par des gendarmes de ma circonscription.

Lorsque les brigades d'intervention rapide de gendarmerie ne parviennent pas à intercepter, avant qu'ils ne passent la frontière, des automobilistes étrangers en infraction de grande vitesse sur l'autoroute, aucune poursuite n'est engagée contre ceux-ci et les amendes restent impayées. Pour régler de tels cas, la France a signé une convention avec la Suisse. Ne serait-il pas opportun d'en passer de semblables avec les autres pays limitrophes, afin de mieux réprimer le comportement des automobilistes étrangers en infraction ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Pierre Brard. Il faut offrir aux gendarmes des voitures plus rapides ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.

M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, si, en matière de sécurité routière, l'on veut obtenir des résultats encore plus probants, des résultats qui s'inscrivent dans la durée, il faut combattre le sentiment d'impunité...

Plusieurs députés du groupe socialiste. C'est vrai !

M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. ... qu'ont trop souvent, sur nos routes, certains conducteurs étrangers.

La convention avec la Suisse a, en effet, prouvé son efficacité en permettant, dans certains cas, d'engager des poursuites contre les étrangers qui ont commis des infractions de grande vitesse sur notre territoire. Nous travaillons, avec d'autres pays voisins − la Grande-Bretagne, l'Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg −, à l'extension de cette démarche.

D'autre part, un système d'échange d'informations permet d'identifier les contrevenants. Il est mis en œuvre grâce au centre de coopération police douane qui, vous le savez, est installé au Luxembourg, et au sein duquel les cinq pays que j'ai cités coopèrent.

Par ailleurs, un accord-cadre européen sur la coopération des procédures liées aux infractions routières et à l'exécution des sanctions pénales est en cours d'adoption, sous l'impulsion du garde des sceaux, Dominique Perben.

Enfin, grâce à la mise en place de radars automatiques, nous redéployons, avec Nicolas Sarkozy, des effectifs sur les routes pour augmenter le nombre de contrôles là où se produisent le plus fréquemment des accidents. Ainsi, nous pouvons désormais intercepter plus facilement les véhicules étrangers, les immobiliser, voire les confisquer. Vous le savez, cela est rendu possible par la récente loi renforçant la lutte contre la violence routière, qui nous est d'un grand secours. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

LUTTE CONTRE LA POLLUTION MARINE

M. le président. La parole est à M. Léonce Deprez, pour le groupe UMP.

M. Léonce Deprez. Ma question s'adresse à M. le secrétaire d'Etat aux transports et à la mer, M. Dominique Bussereau, mais je pourrais également la poser à M. le ministre de l'aménagement du territoire, Jean-Paul Delevoye, ou à Mme la ministre de l'écologie.

En ce mois de février 2004, les Français sont préoccupés par certains faits d'actualité attristants. Quand il s'agit de l'honneur d'un élu de la nation, nous éprouvons tous un sentiment de solidarité. Cependant les Français sont aussi grandement préoccupés par d'autres problèmes. Ainsi, le Président de la République nous mobilise autour du problème de l'emploi. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Nous venons aussi de parler du problème du logement...

M. Albert Facon. Au Touquet !

M. Léonce Deprez. ... sur lequel l'abbé Pierre nous mobilise également. M. de Robien nous a d'ailleurs apporté des réponses à ce sujet. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Mais il convient aussi de se mobiliser contre les pollutions, notamment les pollutions marines, qui touchent tout le littoral français, source de vie pour ceux qui travaillent en mer et pour ceux qui travaillent en contact avec elle.

Depuis les drames de l'Erika et du Prestige, après que les commissions d'enquête auxquelles nous avons participé ont rendu leurs rapports, des mesures ont été prises. Ainsi, le Gouvernement a conçu un plan pour rétablir la sécurité, en liaison − je l'espère, du moins − avec les autorités européennes et internationales.

M. Albert Facon. La question !

M. Léonce Deprez. La semaine dernière encore, trois navires qui ont dégazé en mer, sans respect pour notre littoral, ont été verbalisés.

Pouvez-vous nous dire, monsieur le secrétaire d'Etat, quelles sont les mesures qui sont mises en œuvre pour nous préserver de drames qui ont porté préjudice à tout le littoral français ? (Applaudissements sur divers bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat aux transports et à la mer.

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer. Monsieur le député, on parle toujours des pollutions catastrophiques, du type Erika ou Prestige, mais, sur toutes les mers du globe, y compris en Europe, des pollutions tout aussi catastrophiques et plus nombreuses encore sont liées aux dégazages. Nous ne pouvons accepter ces comportements de voyous et, depuis quelques mois, nous avons renforcé les moyens de surveillance aériens et maritimes et nous en avons mis en place de nouveaux.

Avec le garde des sceaux, nous avons spécialisé trois parquets dans ce domaine : ceux du Havre, de Brest et de Marseille. Aussi − vous l'avez souligné, monsieur Deprez −, avons-nous considérablement accru nos résultats en la matière.

Je vais rappeler quelques condamnations pour qu'on juge de leur importance.

Le parquet de Brest vient de prononcer une condamnation à une amende de 200 000 euros, assortie de peines de prison, à l'encontre du capitaine et de l'affréteur d'un cargo. Des cautions très importantes ont également été demandées : 250 000 euros pour le commandant d'un cargo roumain, 250 000 euros pour un pavillon maltais, 200 000 euros pour un pavillon de l'île de Man, 500 000 euros, la semaine dernière, pour un navire battant pavillon chypriote et surpris en train de dégazer. Enfin, il y a quelques jours, le parquet de Marseille a ordonné que le commandant d'un cargo turc verse une caution de 200 000 euros. Comme l'a exigé le Président de la République, des poursuites ont également été engagées, car il ne s'agit pas simplement d'obtenir des cautions : il faut qu'elles soient suivies de condamnations.

Enfin, nous explorons deux pistes pour améliorer encore la situation.

Avec Mme Haigneré, nous travaillons sur un dispositif de surveillance par satellite qui permettra de savoir, au moment où cela se produit et où que ce soit dans le monde, qu'un bateau est en train de dégazer et de le punir immédiatement.

D'autre part, en nous appuyant sur cette détection, nous constituons une liste noire des contrevenants et un fichier des hydrocarbures identifiés grâce à leur ADN.

Vous le voyez, monsieur Deprez, non seulement nous avons pris des mesures, mais elles sont déjà à l'œuvre aujourd'hui et nous obtenons des résultats que nous n'avions pas jusqu'à présent. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Demain, les quatre premières questions de la séance de l'après-midi porteront sur des thèmes européens.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures vingt.)

M. le président. La séance est reprise.

2

RAPPEL AU RÈGLEMENT

M. Maxime Gremetz. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. La parole est à M. Maxime Gremetz, pour un rappel au règlement - fondé sur l'article 58, je présume ?

M. Maxime Gremetz. Tout à fait, monsieur le président.

Je souhaite en effet revenir sur la réponse que m'a faite Gilles de Robien pendant la séance des questions d'actualité car je la trouve indigne d'un ministre.

Comment peut-on accuser un député d'utiliser à des fins polémiques un accident qui a causé la mort d'un homme?

Par ailleurs, il a menti car, s'il est exact que nous n'avons pas voté l'ensemble du projet de loi cité en 2003, il ne peut nier que nous avons bien voté les dispositions relatives à la sécurité dans les ascenseurs.

M. Arnaud Lepercq. Cela n'a rien à voir !

M. Daniel Mach. Vous n'avez pas voté la loi !

M. Maxime Gremetz. Enfin, je tiens à souligner la nouveauté que constitue le fait qu'il n'y aurait pas besoin, aux dires de M. de Robien, de décrets d'application pour que la loi s'applique. Je me demande si cela vaut pour toutes les lois, auquel cas nous allons gagner beaucoup de temps. Je rappelle que nous attendons le décret sur les ascenseurs depuis sept mois.

M. le président. Monsieur Gremetz, je prends acte de votre rappel au règlement. Toutefois, je vous indique qu'il existe des lois qui peuvent s'appliquer sans décrets d'application.

M. Michel Bouvard. Heureusement !

M. Jean-Pierre Brard. Comme celle dont nous allons débattre cet après-midi.

M. le président. Par exemple ! M. Brard a parfaitement compris ce à quoi que je pensais.

M. René Dosière. Il a été à bonne école pendant plusieurs mois ! (Sourires.)

3

DÉPÔT DU RAPPORT ANNUEL DE LA COUR DES COMPTES

M. le président. L'ordre du jour appelle le dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes.

Messieurs les huissiers, veuillez faire entrer M. le Premier président de la Cour des comptes...

Monsieur le Premier président de la Cour des comptes, je suis heureux de vous accueillir dans l'hémicycle du Palais Bourbon.

Vous avez la parole.

M. François Logerot, Premier président de la Cour des comptes. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan, monsieur le rapporteur général, mesdames et messieurs les députés, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de l'Assemblée nationale le rapport public annuel de la Cour des comptes, que j'ai remis ce matin même au Président de la République.

Je suis sensible à l'honneur que me fait l'Assemblée en me permettant de lui présenter, dans l'hémicycle, les travaux de la Cour des comptes réalisés en 2003.

Depuis plus de dix ans, le rapport public n'est plus la seule publication de la Cour. Cette année, dix rapports ont été publiés. Outre ses communications sur l'exécution du budget et sur la sécurité sociale, la Cour a consacré sept rapports thématiques à des sujets dont l'actualité n'a pas besoin d'être soulignée. Qu'il s'agisse des pensions des fonctionnaires, de la gestion du système éducatif, ou encore de La Poste, les constats et les recommandations de la Cour ont été délivrés aux pouvoirs publics et à l'opinion au moment où ces sujets étaient en débat et où des décisions étaient en préparation. C'est dire que nous avons essayé d'anticiper, au moment de la programmation de nos travaux, pour être, le moment venu, en phase avec l'événement. La Cour entend apporter sa contribution à la modernisation de la gestion de l'Etat et à l'évaluation des politiques publiques, en étant pleinement de son temps.

Néanmoins le rapport public annuel reste spécifique.

Tout d'abord, il est l'occasion de communiquer sur l'activité des juridictions financières.

Le rapport d'activité, publié depuis trois ans dans un fascicule distinct, est en effet un moyen de répondre aux questions qui nous sont de plus en plus souvent posées : Qui êtes-vous ? Comment travaillez-vous ? Qui décide de vos thèmes de contrôle ? Etes-vous efficaces ? Cette curiosité est parfaitement légitime puisque nous critiquons, parfois durement, l'administration nationale ou territoriale, les entreprises publiques et, quelquefois même, les associations.

Notre rapport d'activité de cette année tente ainsi de répondre à ces questions de manière plus concrète encore que les années précédentes. Nous y abordons, avec des exemples, le contenu même de nos travaux. Nous décrivons ce qu'est le contrôle de la gestion, en comparant cette notion aux principes utilisés par nos homologues étrangers, en expliquant par la même occasion ce que pourra être le contrôle de la performance, terme consacré par la loi organique relative aux lois de finances. Communiquer sur notre propre activité, c'est enfin montrer que, nous aussi, nous devons rendre compte.

Le rapport d'activité est également un vecteur de communication sur les effets des interventions de la Cour et des chambres régionales des comptes. Notre pouvoir est de dire des choses, en l'occurrence de les écrire aux ministres, au Parlement ou de les publier par la voie des rapports publics. Les suites qui peuvent être données à nos communications sont donc aux mains d'autres que nous, notamment dans les vôtres.

La Cour passe régulièrement en revue les conséquences tirées par les ministères, les collectivités, les établissements ou les entreprises de ses travaux. Ainsi, deux insertions de suivi, comme nous les appelons, sont cette année consacrées, l'une à l'action en faveur des anciens combattants, qui avait donné lieu à un rapport public en juin 2000, l'autre à la prise en charge du cancer, qui avait fait l'objet de développements dans le rapport sur l'application de la loi de financement de la sécurité sociale la même année.

Quant aux observations nouvelles qui figurent dans le présent rapport annuel, elles pourront vous frapper par la diversité des champs qu'elles abordent. Vous en connaissez la raison : nos compétences sont très variées - presque rien de ce qui concerne l'argent public ne nous est étranger -, parfois trop même, si l'on considère que nos compétences traditionnelles ont tendance à s'alourdir, alors même que la Cour des comptes devra, à brève échéance, analyser l'exécution des missions et programmes des administrations et certifier les comptes de l'Etat.

Le rapport traite ainsi, cette année, d'un aspect rarement abordé dans le rapport public annuel, celui des recettes fiscales d'une collectivité territoriale, en l'occurrence la Nouvelle-Calédonie, dont l'autonomie en matière fiscale a été consacrée par la loi organique de 1999.

Il est aussi très divers par la teneur des observations elles-mêmes. J'en proposerai trois catégories qui me paraissent pouvoir rendre compte des objectifs de contrôle de la Cour.

D'abord certaines insertions contiennent des contributions à l'évaluation de certaines politiques publiques.

II en va ainsi de l'insertion sur la professionnalisation des armées, qui établit un premier bilan de la manière dont le ministère de la défense a opéré une transformation radicale des armées en un minimum de temps et dans un cadre financier contraint.

Dans le même registre, la Cour dresse aussi un premier bilan de la réforme intervenue dans le secteur ferroviaire, avec la création, en 1997, de Réseau ferré de France. Si le financement des infrastructures a été assaini, la croissance de la dette n'est pas encore arrêtée à ce jour.

On pourra aussi mettre dans cette catégorie les insertions relatives d'une part à la lutte contre l'alcoolisme, dans laquelle la Cour souligne les atermoiements, voire la défaillance de l'Etat qui s'est déchargé sur la Caisse nationale d'assurance maladie du poids de cette politique ; d'autre part à la politique d'aide à la petite enfance, dont les effets positifs sont quasiment certains au regard des évolutions démographiques mais dont la Cour relève une contradiction interne, puisqu'elle privilégie le mode de garde le plus coûteux, c'est-à-dire les crèches, au détriment, même si la situation évolue, de modes de garde tels que le recours aux assistantes maternelles.

Ensuite d'autres insertions comportent une analyse et une appréciation sur des organisations et des systèmes.

Tel est le cas de l'observation relative au rôle du ministère de la recherche, qui, clôturant une série de travaux sur le secteur engagés en 1999 par l'analyse des relations entre les établissements publics de recherche et leur ministère de tutelle, tend à cerner les difficultés auxquelles se heurte la recherche en France en matière de financement, de renouvellement du personnel et des modes de recrutement ou encore des stratégies de recherche.

C'est aussi le cas d'autres insertions comme celle intitulée "l'Etat et le mouvement sportif national", qui analyse la difficile mutation des interventions traditionnelles du ministère à l'égard des fédérations sportives, marquées, pour certaines d'entre elles au moins, par les effets de la médiatisation des résultats sportifs.

Enfin figurent au rapport des insertions relevant du contrôle de la performance et consacrées à un pan d'activité de l'Etat, à telle ou telle fonction ou à un projet. Je mentionnerai notamment :

L'analyse de la Cour sur le projet TGV Méditerranée, qui souligne les progrès de la SNCF et de RFF par rapport aux projets antérieurs, notamment le TGV Nord dont la réalisation avait donné lieu à de graves critiques de la Cour formulées dans le rapport public de 1996 ;

Celle des grands programmes civils du Commissariat à l'énergie atomique qui montre en fait une certaine difficulté à réagir rapidement et à arbitrer l'allocation de moyens désormais comptés ;

L'insertion consacrée aux agences de l'eau, qui s'attache à analyser les résultats du septième programme des agences, achevé en 2002. Il s'agit d'un élément essentiel de la préservation de la ressource, laquelle est au cœur des débats actuels sur la politique de l'eau.

Je ne citerai cependant pas chacune des vingt-quatre insertions du rapport qui sont, à mes yeux, toutes représentatives soit de difficultés juridiques ou financières que rencontre l'action de l'Etat ou celle des collectivités territoriales, soit de dérives nées de choix inappropriés ou de contrôles internes insuffisants.

Leur diversité montre aussi que la Cour a changé. Elle ne livre plus seulement la litanie des incidents, qu'il s'agisse des erreurs d'appréciation ou des irrégularités commises par les gestionnaires. Elle souhaite contribuer au débat sur des questions complexes qui sont le lot des décideurs, gouvernants ou parlementaires.

Je ne voudrais pas terminer mon propos sans évoquer le chantier que représente la mise en œuvre de la loi organique sur les lois de finances.

Dans son rapport sur l'exécution de la loi de finances 2002 qu'elle vous a remis en juin dernier, la Cour s'était inquiétée du retard pris par certaines administrations à se préparer à cette nouvelle constitution budgétaire. Ses constats rejoignaient les soucis exprimés en particulier par la mission d'information créée par votre commission des finances, avec laquelle la Cour a noué une collaboration très fructueuse. La Cour lui apportera l'assistance souhaitée dans l'analyse de la maquette des missions et des programmes de l'Etat.

Comme j'ai déjà eu l'occasion de le souligner, si cette réforme devait se limiter à une présentation nouvelle, certes plus attrayante, des dépenses et des recettes de l'Etat, une occasion unique de rénover en profondeur la gestion publique aurait été manquée.

M. René Dosière. Très bien !

M. François Logerot, Premier président de la Cour des comptes. Pour ce qui la concerne, la Cour continuera d'accorder une priorité particulière à cette partie de ses missions, dans laquelle elle voit à la fois une puissante incitation et un point d'application privilégié de sa propre modernisation. Pour ce faire, je forme le vœu que l'Assemblée soutienne la Cour dans ses demandes de renforcement de ses moyens, indispensables à ses nouvelles missions.

M. Arnaud Montebourg et M. Jean-Pierre Brard. Très bien !

M. François Logerot, Premier président de la Cour des comptes. Les travaux de la mission d'évaluation et de contrôle viennent de reprendre et je me réjouis que les deux thèmes qu'elle a retenus s'appuient sur des travaux récents de la Cour, qu'il s'agisse de l'évaluation de la journée d'appel de préparation à la défense ou du bilan de la réforme du système ferroviaire. J'espère que la Cour pourra éclairer ces travaux et permettra de faire prévaloir les principes de la bonne gestion publique.

Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements sur tous les bancs.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan. Monsieur le président, monsieur le Premier président, mes chers collègues, si le rendez-vous d'aujourd'hui est habituel, il me semble important de souligner le rôle fondamental que joue la Cour des comptes.

Monsieur le Premier président, vous avez parlé d'anticiper, de donner des exemples. Nous avons, avec les travaux de la Cour des comptes, des outils extraordinaires pour exercer notre contrôle et mieux gérer la dépense publique.

M. Michel Bouvard et M. Jean-Pierre Brard. Très bien !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission. Il y a, dans ces travaux, tout ce qui nous est nécessaire, y compris pour amender certains textes, refuser ou diminuer certains crédits lorsque, pendant plusieurs années, aucunes conclusions pratiques ne sont tirées des travaux de la Cour des comptes. Son rôle - M. le rapporteur général le soulignera - sera encore plus important demain avec l'application de la nouvelle loi organique.

Le rapport public portant sur l'année 2003 évoque la gestion critiquable d'une association d'accueil et de réinsertion de personnes handicapées, le pilotage de la recherche publique et le réseau de l'enseignement français à l'étranger. Les gaspillages ne sont pas plus acceptables dans le secteur social que dans les autres.

M. Jean-Yves Chamard. Tout à fait !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission. Plus la responsabilité d'une association dans le secteur social est grande, plus la lutte contre les gaspillages ou les laisser-aller doit être active. A cet égard nous sont donnés des éléments importants.

Le temps me manque pour citer les autres thèmes abordés, mais je tiens à souligner deux aspects de ses travaux pour m'en réjouir.

Le premier est le soin particulier attaché par la Cour au suivi de ses recommandations antérieures, indispensable à un contrôle efficace du Parlement, car l'amélioration de la gestion publique est affaire de pédagogie laquelle, comme chacun sait, repose notamment sur la répétition.

Ensuite je constate que, au fil des ans, les préoccupations communes de la Cour des comptes et du Parlement sont de plus en plus nombreuses, et j'y vois un gage d'efficacité de leurs travaux respectifs. Deux des thèmes évoqués sont d'ailleurs déjà traités par la mission d'évaluation et de contrôle ; je pense à la direction du service national et à la journée d'appel de préparation à la défense.

Quant à la clarification des relations financières entre le système ferroviaire et ses partenaires publics, elle pourra utilement s'appuyer sur les observations que la Cour formule sur la réforme ferroviaire de 1997 au moment même où les préoccupations relative à la construction de nouvelles lignes de TGV sont importantes.

La coopération entre le Parlement et la Cour des comptes tend à devenir toujours plus étroite, ce qui est une bonne nouvelle pour la performance de la gestion publique. Chacun, cependant, reste dans son rôle, juridictionnel pour la Cour, législatif pour le Parlement.

Je note avec satisfaction, monsieur le Premier président, que la mission d'assistance au Parlement figure désormais en bonne place dans la partie du rapport public consacrée à l'activité de la Cour en 2003.La mission d'évaluation et de contrôle y est naturellement mentionnée, mais elle ne représente qu'une partie des contacts entretenus entre les deux institutions.

Il n'est pas inutile de rappeler que, outre le rapport public, il est de nombreux rapports de la Cour dont le Parlement, en particulier ses commissions des finances, peut exploiter le contenu. Je pense au rapport annuel sur l'exécution des lois de financement de la sécurité sociale, ainsi qu'au rapport sur l'exécution des lois de finances, désormais disponible en amont de la discussion budgétaire de l'automne. Tous ces travaux sont des outils irremplaçables, tant pour les rapporteurs spéciaux que pour les rapporteurs pour avis.

M. René Dosière. Et même au-delà !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission. Et même au-delà, en effet !

L'achèvement de la mise en œuvre de cet article 58, comme de la loi organique dans son ensemble, sera l'occasion pour la Cour des comptes et pour le Parlement de renforcer leur dialogue dans le cadre de la mission de certification des comptes de l'Etat confiée à la Cour.

En conclusion, il est incontestable, comme le souligne le président de notre assemblée, que la fonction de contrôle tend à s'amplifier et à mieux adosser celle de législateur, dont elle est en réalité indissociable.

Monsieur le président, monsieur le Premier président, j'exprimerai un seul souhait personnel qui, je le pense, est aussi celui de la commission des finances et de nombreux collègues : légiférons moins et contrôlons mieux la dépense publique ! La Cour des comptes nous y aidera. (Applaudissements sur tous les bancs.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan. Monsieur le président, mes chers collègues, je veux à mon tour remercier M. le Premier président, M. Logerot, pour sa présentation du rapport public 2003. Je n'ajouterai que quelques mots à l'excellente intervention que vient de faire M. le président de la commission des finances.

Plusieurs observations publiées dans ce rapport, s'agissant notamment de la défense ou des transports, vont contribuer très utilement aux travaux de la mission d'évaluation et de contrôle qui commenceront, cette année, par une réflexion sur la journée d'appel de préparation à la défense et seront ensuite consacrés à l'analyse des relations financières entre le système ferroviaire et ses partenaires publics. Les représentants de la Cour des comptes participent toujours avec assiduité, attention et efficacité aux réunions de la mission d'évaluation et de contrôle. Je tiens à vous en remercier vivement devant notre assemblée, monsieur le Premier président.

Les magistrats et les personnels des juridictions financières savent que l'Assemblée s'attache à renforcer son contrôle sur l'efficacité des politiques publiques, comme l'a souligné le président de la commission des finances. C'est une démarche de long terme et la prochaine mise en œuvre du volet dépenses de la loi organique du 1er août 2001 va permettre de franchir une nouvelle et importante étape dans ce sens. En effet, le Gouvernement vient de nous proposer la nouvelle architecture budgétaire constituée de missions et de programmes et nous devrons lui donner, dans les semaines qui viennent, notre avis sur cette nouvelle nomenclature. C'est un projet de qualité, mais nous devons l'améliorer et, pour cela, nous comptons sur l'assistance de la Cour des comptes qui a beaucoup réfléchi à ce sujet.

J'en profite d'ailleurs pour vous dire, mes chers collègues, qu'il s'agit d'une étape d'une extrême importance. Il faut que chacun d'entre vous, sur le sujet qui l'intéresse, puisse faire part de ses observations, de ses réactions s'agissant de cette nouvelle organisation budgétaire. Je crois très sincèrement que nous sommes à l'aube d'une nouvelle approche de nos lois de finances et de notre dépense publique.

Toutefois, au-delà de cette réflexion sur cette nouvelle architecture budgétaire, il faut d'ores et déjà que nous commencions à travailler sur les objectifs et les indicateurs de performance. Je sais que la Cour des comptes a déjà bien avancé la réflexion sur ce sujet et nous comptons, là aussi, sur son assistance.

Enfin, permettez-moi, monsieur le Premier président, de rappeler une idée qui m'est chère. Je souhaite en effet que la Cour des comptes puisse nous assister dans la prévision des conséquences financières, fiscales, budgétaires des différents textes de loi que nous votons en trop grand nombre, comme vient de le souligner le président de la commission des finances. Cela devrait faire partie de la mission de la Cour des comptes et c'est un signe nouveau de la confiance que nous lui accordons.

En conclusion, l'Assemblée nationale sait pouvoir compter sur le concours précieux de la Cour des comptes dans les travaux qu'elle conduit. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Monsieur le Premier président, nous sommes toujours surpris des débats que suscite votre intervention à l'Assemblée nationale. D'ailleurs, M. le président de la commission des finances me demande à nouveau la parole, et je vais la lui donner.

M. Jean-Pierre Brard. C'est pour les moyens !

M. Arnaud Montebourg. Ah !

M. le président. Vous avez la parole, monsieur le président de la commission.

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission. Monsieur le président, nous avions, l'année dernière, évoqué la question des moyens mis à la disposition de la Cour des comptes et du Parlement. Je vous avais alors proposé une piste parmi d'autres. Il me semble que, si vous aviez à cœur de soutenir cette proposition, votre influence serait déterminante.

Nous avons, en France, des corps d'inspection de grande qualité, qui sont souvent mal utilisés dans leur ministère.

M. Arnaud Montebourg. C'est le moins qu'on puisse dire !

M. Pierre Méhaignerie, président de la commission. Si certains de ces inspecteurs étaient mis au service de la Cour des comptes ou du Parlement, je pense qu'ils seraient très heureux de cette évolution.

Je vous remercie, monsieur le président, d'y contribuer.

M. Arnaud Montebourg. Ce n'est pas sérieux !

M. René Dosière. Et l'indépendance de la Cour des comptes et du Parlement ?

M. Jean-Pierre Brard. Ce n'est pas une piste ; c'est un cul-de-sac !

M. le président. Monsieur le président de la commission des finances, votre influence n'étant pas moins grande que la mienne, je m'en remets à vous pour faire valoir cette proposition.

Monsieur le Premier président, l'Assemblée vous donne acte du dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes et vous remercie.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures quarante-cinq, est reprise à dix-sept heures cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

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APPLICATION DU PRINCIPE DE LAÏCITÉ DANS LES ÉCOLES, COLLÈGES ET LYCÉES PUBLICS

Discussion d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à l'application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics (n°s 1378, 1 381).

La parole est à M. le Premier ministre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, la capacité à faire vivre les valeurs qui la constituent est la grande force de notre République.

Le chef de l'Etat a récemment rappelé solennellement et avec gravité le sens de la laïcité dans notre pays et il a souhaité que mon gouvernement vous présente un projet de loi relatif à l'application du principe de laïcité dans l'école de la République.

La question que pose le projet de loi que je suis venu vous présenter, c'est celle de la permanence de nos valeurs, c'est aussi celle de notre capacité à les faire partager à ceux qui nous ont rejoints plus récemment et qui sont aujourd'hui des Français à part entière. C'est enfin celle de la capacité de la République à pouvoir agir pour ses convictions, sans faiblesse.

La tradition de la France est une tradition d'ouverture. Vieille terre de chrétienté, notre pays s'est enrichi au contact de diverses cultures et continuera à le faire, notamment par l'intermédiaire de femmes et d'hommes venus de tous horizons, qui y ont aujourd'hui fait souche, dans une logique d'intégration à la nation.

L'intégration est un processus qui suppose une volonté réciproque, un mouvement vers des valeurs, le choix d'un mode de vie, une adhésion à une certaine façon de voir le monde, propre à la France.

Cette vision du monde où la religion et la politique sont indépendantes, où l'État est neutre, où toutes les religions sont respectées, nous sommes en droit de la partager avec tous ceux, quels qu'ils soient, qui vivent dans notre pays. Tel est, mesdames, messieurs les députés, le sens du projet de loi que je vous présente aujourd'hui.

Mais notre volonté ne s'arrête pas là. Nous avons conscience de la nécessité d'accueillir conformément à notre histoire, à l'identité de la France, ceux que nous avons fait venir, et de celle de faire vivre l'idée d'égalité, qui est au cœur du projet républicain.

Or, cette idée d'égalité est parfois malmenée, au détriment souvent de ceux qui se sentent rejetés par notre pays, alors même qu'ils sont, je le répète, des Français à part entière, des Français comme les autres, auxquels nos valeurs paraissent pourtant parfois inaccessibles.

Notre devoir est donc de créer les conditions du partage de ces valeurs. Cette ambition exclut tout renoncement. C'est pourquoi nous devons rester fermes sur nos valeurs fondamentales.

La loi que je suis venu vous présenter, monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, est une étape fondamentale dans la politique de « vivre ensemble », au service de la cohésion nationale. C'est un des chantiers prioritaires de l'Agenda 2006 pour une France d'ouverture.

La question qui nous est posée est complexe. Elle suppose une grande clarté quant aux idées qui structurent le modèle républicain à la française.

Ces idées, je les fonde sur nos valeurs communes : la liberté, et donc la liberté de conscience, l'égalité, et donc l'égalité entre les femmes et les hommes, la fraternité, valeur humaniste à la fois spirituelle et authentiquement laïque.

Ces trois valeurs de notre République se retrouvent pleinement dans la laïcité.

La laïcité, notre laïcité, n'est pas le refus de la religion. Notre siècle mouvementé, changeant, porteur d'incertitudes est au contraire, je le pense sincèrement, un siècle d'espérance où les religions peuvent apporter leurs réponses à la double question, fondamentale, de la tragédie humaine et du destin de l'humanité.

La laïcité est une liberté, celle de penser l'avenir

La laïcité est aussi une grammaire qui permet le dialogue serein et apaisé entre les religions et avec l'État, à l'intérieur de notre pays.

La valeur de laïcité exige la neutralité de l'État et de ses agents. Elle cherche la source du droit dans la raison et la volonté humaine. Elle est, à ce titre, une valeur fondamentale de notre humanisme.

Le principe de laïcité s'est construit très progressivement, dans la confrontation parfois, comme au début du siècle dernier, de façon plus apaisée ensuite.

Le concile Vatican II, avec l'adoption d'une déclaration sur la liberté religieuse, a parachevé ce que, dans Les Grandes inventions du christianisme, René Rémond décrit comme « la réconciliation entre Eglise et liberté ».

M. René Dosière. Il était temps !

M. le Premier ministre. Aujourd'hui, toutes les grandes religions de l'histoire de France se sont adaptées à ce principe. Pour la plus récemment arrivée - je veux parler de l'islam -, la laïcité est une chance : la chance d'être une religion de France. (Murmures sur quelques bancs du groupe socialiste.)

Je salue à ce titre l'énergie de celles et ceux qui ont permis récemment la création du Conseil français du culte musulman qui facilite le dialogue entre l'État et les musulmans de France. J'ai pu constater que, dans un contexte difficile, ce conseil avait su faire preuve d'esprit de responsabilité.

Le projet de loi n'est pas dirigé contre une population ou une religion : la République garantit à tous la liberté de pratiquer la religion de son choix. La neutralité n'est pas la négation. Ce texte est au contraire, pour la République, le moyen de marquer la frontière entre ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas. Son ambition est de répondre à ceux qui voudraient mettre leur appartenance communautaire au-dessus des lois de la République.

Parce que l'Etat est le protecteur de la liberté de conscience, il se doit d'intervenir quand le prosélytisme, le repli communautaire, le refus d'égalité entre les sexes menacent cette liberté fondamentale qui est inscrite au cœur de notre pacte républicain. Je vous le dis avec force et conviction, mesdames, messieurs les députés, dans la République française la religion ne peut pas et ne doit pas être un projet politique. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Après le temps du débat, auquel vous avez largement participé, est venu celui de la décision et de la loi, conformément aux orientations annoncées récemment par le Président de la République et suite aux travaux de votre mission parlementaire, monsieur le président, et de la commission présidée par M. Bernard Stasi.

Force est de constater aujourd'hui que certains signes religieux, parmi lesquels le voile islamique, se multiplient dans nos écoles. Ils prennent de fait un sens politique et ne peuvent plus être seulement considérés comme des signes personnels d'appartenance religieuse. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Maurice Leroy. Très juste !

M. le Premier ministre. Certains voulaient savoir jusqu'où ils pouvaient aller : nous leur donnons aujourd'hui une réponse. Il était temps pour la République de rappeler ses grands principes et de fixer des limites claires, pratiques et opérationnelles. Le silence de la République sur ce sujet ici et maintenant serait aujourd'hui une absence. II était naturel que ce soit le Parlement qui soit appelé à se prononcer sur cette valeur fondamentale.

Avec cette loi, vous répondrez à une attente des Français mais aussi de la communauté éducative qui demande que le politique prenne ses responsabilités et cesse de se défausser sur les femmes et les hommes de la première ligne républicaine que sont les chefs d'établissement, les enseignants et les personnels. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Maurice Leroy. Très bien !


M. le Premier ministre.
L'école est un lieu de neutralité républicaine et doit le demeurer, parce que c'est pour les enfants mineurs le lieu par excellence de la formation des esprits, de la transmission du savoir et de l'apprentissage de la vie de citoyen, autant de notions incompatibles avec le prosélytisme.

L'école, c'est un lieu d'ouverture à l'universel, c'est le premier espace républicain, ce n'est pas un lieu de repli sur soi. A ce sujet, l'histoire est éloquente.

Lors d'un colloque de l'Institut Pierre Mendès France, Robert Badinter nous a rappelé le succès populaire de l'un des livres qui nourrissaient l'éducation républicaine à la fin du XIXe siècle, le Tour de la France par deux enfants, vendu à plus de huit millions d'exemplaires dans les années 1870 !

Les valeurs de la République étaient partagées par tous les enfants de France, quelles que soient leurs origines. (Applaudissements sur divers bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Dans cette histoire, dans notre histoire, combien de jeunes immigrés ont été accompagnés, c'est-à-dire intégrés, grâce à des instituteurs et des professeurs qui vivent toujours la République comme une mission ? De grands noms sont là pour nous le rappeler.

Il faut aujourd'hui réaffirmer pour eux cette force de nos valeurs, cette force de la laïcité républicaine.

Le chef de l'Etat nous l'a dit : « ne rien faire serait une faute ».

Préparé par Luc Ferry, ministre de l'éducation, qui s'exprimera devant vous demain, à la reprise des travaux (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.), le projet de loi qui vous est présenté est court, simple et équilibré.

Il propose que « dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou de tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse » soit interdit.

Cette interdiction, qui sera rappelée dans les règlements intérieurs des établissements scolaires de l'enseignement public, donnera aux chefs d'établissement la force de la loi pour faire appliquer leurs décisions, et aidera, j'en suis convaincu, les enseignants et les personnels à remplir leur mission au service de la République.

La « manifestation ostensible » doit être comprise comme la volonté d'extérioriser et de revendiquer une appartenance religieuse.

Selon l'avis de MM. Marceau Long et Patrick Weil, qui se sont exprimés récemment dans un article commun, le terme voisin de « visible » poserait « un problème de conformité par rapport à la Convention européenne des droits de l'homme ». (Protestations sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. Jean Glavany. Ils ont changé d'avis !

M. le Premier ministre. Il y a là un risque,...

M. Jean Glavany. C'est faux !

M. le Premier ministre. ... c'est pourquoi nous avons préféré l'expression : « manifestation ostensible ».

M. Jean Glavany. Non, il n'y a aucun risque !

M. le Premier ministre. Avec la rédaction proposée, un élève pourra porter, s'il le désire, un objet discret signifiant pour lui-même ses convictions religieuses, dans le respect de l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

Je suis très attaché à ce que l'application de cette loi se fasse dans un esprit de médiation, de dialogue et de discernement...

M. René Dosière. Ah oui ?

M. le Premier ministre. ... dans le respect des valeurs d'ouverture et de tolérance qui fondent notre République.

C'est pourquoi le Gouvernement accepte l'amendement proposé par la commission des lois, qui prévoit explicitement que le dialogue précédera toute sanction. Là encore, la loi se doit d'être claire. Je sais que pour plusieurs groupes politiques de votre assemblée, ce point était déterminant. Nous en tiendrons compte.

Ce projet de loi s'appliquera à l'outre-mer dans des conditions qui dépendent de la répartition des compétences entre l'Etat et les collectivités concernées dans le domaine de l'éducation.

Un député du groupe socialiste. A Mayotte ?

M. le Premier ministre. Cette loi sera suivie notamment d'une disposition législative précisant certaines conditions relatives au respect du principe de laïcité dans les hôpitaux parce qu'il faut, dans ces secteurs également, rappeler nos principes fondamentaux.

N'ayons pas peur des réactions que pourrait provoquer ce texte. Je sais que certains d'entre vous sont inquiets. Les « modérés », ceux dont on craint l'incompréhension, savent très bien que ce n'est pas à eux que profiterait la faiblesse de la République. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur divers bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

L'idée de laïcité porte aussi l'idée de justice pour les fidèles de toutes les religions.

Depuis 1905, le paysage religieux de notre pays s'est profondément modifié. Il faut tenir compte de ces évolutions.

C'est pourquoi la mise en œuvre des propositions de la commission Stasi est actuellement à l'étude par le Gouvernement. Je souhaite en effet que la « politique de la laïcité » soit équilibrée.

Il faut par exemple que, dans le dialogue et la concertation, les coutumes alimentaires et les traditions funéraires soient respectées dans notre pays, et que le respect des grandes fêtes religieuses ne pénalise aucun élève. Je souhaite également que l'école développe fortement l'enseignement du fait religieux, et prenne mieux en compte l'histoire des immigrations.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, ce projet de loi est un point de départ, et non pas un point d'arrivée.

Il est le pivot d'une politique qui affirme des limites, et dresse les contours de ce que peut, de ce que doit, accepter la République.

Nous devons traiter les causes des problèmes et pas seulement leurs conséquences. (« Bravo ! » sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) C'est ainsi que nous combattrons le plus efficacement et le plus profondément les communautarismes qui nous menacent.

À nous maintenant de faire en sorte que la République tienne sa promesse, qu'elle réponde aux échecs de l'intégration, et mette en valeur les réussites, qui sont nombreuses.

L'égalité par la promotion sociale, la liberté par l'acceptation de la diversité, la fraternité entre les Français, quelles que soient leurs origines, telles sont les vraies réponses républicaines.

Dès ma nomination, j'ai décidé de faire de l'intégration et de l'égalité des chances une priorité de l'action gouvernementale (« Eh bien ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) et l'objet d'une politique publique qui a été engagée par un comité interministériel de l'intégration, qui ne s'était pas réuni depuis plus de douze ans. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Pour les nouveaux arrivants, j'ai institué un contrat d'accueil et d'intégration, qui facilitera l'apprentissage de notre langue ...

M. Jacques Myard. La langue, c'est la patrie !

M. le Premier ministre. ... et le partage de nos valeurs.

Les enfants de l'immigration, jeunes et moins jeunes, qui sont aujourd'hui des Français à part entière et qui ont comme les autres le droit au mérite, veulent partager toutes nos valeurs, et veulent que nous menions énergiquement la lutte contre les discriminations et que nous leur ouvrions les portes de la formation et de l'emploi par la promotion sociale.

Dans le cadre de cette « mobilisation positive » pour l'égalité des chances que j'appelle de mes vœux, nous aurons prochainement des rendez-vous importants.

Un député du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Nous avons déjà un préfet ostensiblement musulman !

M. le Premier ministre. En premier lieu, il sera créé une autorité administrative indépendante pour l'égalité des chances et la lutte contre les discriminations, qui devra être opérationnelle d'ici à la fin de l'année.

Ensuite, un comité interministériel à l'intégration, qui se tiendra au printemps, et qui est déjà en préparation, sera réservé aux questions de l'école et de la formation, et des discriminations qui existent en ce domaine.

Enfin, nous tiendrons au second semestre une conférence pour l'égalité des chances avec les entreprises et les partenaires sociaux, parce que ce sujet ne concerne pas uniquement les pouvoirs publics, mais toute la société. Cette conférence sera l'occasion de mobiliser les entreprises, de diffuser les bonnes pratiques, et de mettre en œuvre des actions concrètes au service de la promotion sociale de ceux qui le méritent.

Nous avons également décidé d'agir pour le respect des droits des femmes...

Mme Chantal Brunel. Très bien !

M. le Premier ministre. ... et de lutter contre toutes les formes de ghettos, qui sont le berceau du communautarisme.

M. Jacques Myard. Très bien.

M. le Premier ministre. C'est tout le sens de la loi quinquennale pour la rénovation urbaine que vous avez adoptée l'été dernier.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, la laïcité est au cœur de notre République. Elle est à la fois une tradition, une manière de vivre, mais aussi, pour les Français, une promesse de liberté.

Il faut aujourd'hui, ensemble, lui donner plus de force. C'est dans cette perspective que le Gouvernement a décidé de saisir le Parlement.

C'est fort de cette volonté que je vous demande solennellement, à tous, quels que soient vos choix politiques, de vous rassembler autour de ce texte qui symbolise notre confiance dans la République...

Plusieurs députés du groupe socialiste. Non, c'est l'inverse !

M. le Premier ministre. ... et notre volonté nationale de vivre ensemble.

A elle seule, cette loi est à la fois l'expression d'une conviction, et le levier d'une action. C'est dans cette concordance entre la pensée et l'action que la politique trouve sa grandeur. (Applaudissements sur de très nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur divers bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

Un député du groupe socialiste. C'est tout ?

M. le président. La parole est à M. le président et rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, mes chers collègues, l'adhésion aux valeurs républicaines constitue le lien essentiel entre les citoyens français porteurs de traditions, de croyances religieuses et philosophiques multiples.

C'est sur cette adhésion que se fonde notre principe de laïcité.

On croyait cette adhésion acquise parce qu'elle résulte d'un processus historique vieux de deux siècles.

Or elle doit être réaffirmée, en réponse à la montée de revendications identitaires qui remettent en cause le modèle républicain.

Le projet de loi dont notre assemblée est saisie intervient après un débat national qui a monopolisé l'opinion publique pendant plusieurs mois, et qui a fait l'objet de travaux de deux instances. L'une, désignée par le chef de l'Etat, sur l'application du principe de laïcité dans la République, présidée par M. Bernard Stasi, médiateur de la République. L'autre, créée au sein de notre assemblée sur le port des signes religieux à l'école, dont les travaux ont été conduits par notre président Jean-Louis Debré.

Le travail approfondi, les nombreuses auditions auxquelles elles ont procédé, ont conduit ces deux instances de réflexion à la même conclusion : le principe de laïcité doit être réaffirmé, et doit l'être par la loi.

Il doit l'être par la loi, et en premier lieu à l'école, lieu de formation des futurs citoyens, lieu d'acquisition non seulement du savoir, mais également du « vivre ensemble ».

Le projet de loi qui nous est soumis est donc nécessaire. Il est attendu. Et il revêt également un caractère solennel, puisqu'il répond à la volonté du Président de la République, telle que celui-ci l'a exprimée dans son discours du 17 décembre dernier.

Pourquoi une intervention du législateur ? Autrement dit, pourquoi une loi ?

M. Alain Madelin. C'est une bonne question !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. D'abord parce qu'elle répond à une demande des chefs d'établissement, qui ne disposent pas des outils suffisants pour faire face aux comportements identitaires qui se développent au sein de l'école : refus d'assister à certains cours, contestation du contenu de certains enseignements, revendications de type alimentaire, absentéisme systématique pour des motifs religieux, affichage vestimentaire d'appartenance religieuse.

D'une manière générale, le communautarisme ne peut être accepté - c'est notre spécificité française -, parce qu'il réduit l'individu à une seule identité et à une seule communauté, parce qu'il fait primer les intérêts particuliers sur l'intérêt général, parce qu'il est synonyme de fermeture, et non d'ouverture, et parce que fondamentalement, il affaiblit la cohésion nationale.

Les comportements communautaristes sont encore moins acceptables à l'école, qui est le lieu privilégié - et quelquefois le lieu unique - d'intégration à la communauté nationale, et le lieu d'apprentissage de l'acceptation de l'autre.

M. Gérard Léonard. Très bien !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Nous ne pouvons accepter ces comportements, car ils se traduisent de plus en plus par des violences verbales ou physiques, de type raciste ou antisémite, et parce qu'ils font peser une menace intolérable sur la liberté des jeunes filles.

Dans ce contexte, il faut relever que la première manifestation du communautarisme au sein des écoles - la plus symbolique - est le port de signes religieux.


Le phénomène est peut-être difficile à quantifier. Mais les témoignages des chefs d'établissement indiquent clairement que le port des signes religieux provoque des tensions de plus en plus graves et de plus en plus difficiles à contenir.

Force est de constater que le régime juridique actuel n'est pas satisfaisant. Aucune règle légale ne permet aujourd'hui d'inscrire clairement et de façon uniforme dans les règlements intérieurs des établissements scolaires les modalités qui doivent s'appliquer au port des signes religieux à l'école.

Selon l'avis du Conseil d'Etat de 1989,...

M. Alain Madelin. Un excellent avis.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. ...qui a tenté d'établir un équilibre entre les principes constitutionnels de laïcité et de liberté de conscience, et selon la jurisprudence des juridictions administratives, l'autorisation du port des signes religieux au sein des établissements scolaires est la règle, et son interdiction est l'exception.

M. Alain Madelin. Bien sûr !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Concrètement, un signe ne peut pas être ostentatoire en lui-même. Il doit s'accompagner d'un comportement de prosélytisme et de provocation qui reste, à chaque fois, à prouver.

M. Alain Madelin. C'est une condition essentielle du respect de nos libertés publiques.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Confrontés à de telles situations, les chefs d'établissement sont contraints d'adopter des solutions peu satisfaisantes et sans cesse remises en cause,...

M. Gérard Léonard. C'est vrai.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. ...allant de l'acceptation des signes religieux à leur interdiction totale en passant par une autorisation circonscrite à la cour de récréation. Il en résulte un régime juridique aléatoire qui dépend de compromis locaux. Les chefs d'établissement vont jusqu'à parler de « droit local ». C'est une situation qui est source d'insécurité juridique, alors qu'il s'agit de l'exercice des libertés fondamentales dont la mise en œuvre devrait répondre à des critères clairement définis.

La tâche des chefs d'établissement est d'autant plus malaisée que les circulaires en vigueur demandent implicitement l'absence de signe religieux dans les écoles, alors que le régime juridique issu des juridictions administratives autorise le port de ces signes.

Depuis 1989, les revendications identitaires se sont faites moins conciliantes. Les élèves, qui font preuve d'une connaissance remarquable de la jurisprudence administrative,...

M. François Goulard. C'est déjà ça !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. ...acceptent de moins en moins les compromis.

De plus, l'intervention du législateur est nécessaire parce qu'il convient de répondre à l'exigence de l'article 34 de notre Constitution et de l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme : seul le législateur est compétent pour encadrer l'exercice d'une liberté fondamentale.

Enfin, il est légitime que la représentation nationale intervienne sur une question aussi essentielle, parce que la loi, en tant qu'expression de la volonté générale, est une référence incontestable. Telle est la double raison qui lui donnera une valeur pédagogique.

Quelle loi convient-il dès lors de voter ?

Je tiens à insister sur le fait que cette loi n'a pas pour objectif de refonder la laïcité. La laïcité n'est pas une fin en soi, mais un formidable instrument au service de notre modèle français d'intégration. Ce modèle d'intégration n'est ni meilleur ni moins bon qu'un autre, mais c'est celui que notre pays a choisi et, lorsque j'observe la diversité des composantes de la société française, j'ai le sentiment qu'il a fait ses preuves.

Afin de mettre un terme au développement de comportements identitaires au sein des écoles, le projet de loi inverse la logique actuelle du régime juridique du port des signes religieux à l'école.

II ne s'agit pas seulement d'une différence sémantique entre « ostentatoire » et « ostensible » mais, bien plutôt, d'une différence de logique. Le projet de loi prévoit en effet que l'interdiction du port des signes religieux par lequel les élèves manifestent « ostensiblement » une appartenance religieuse est désormais la règle, et que l'autorisation est limitée au port des signes discrets. Ce n'est donc plus le comportement qui est visé comme dans le régime juridique actuel, mais bien le port de certains signes religieux en tant que tels.

Actuellement, pour entamer une procédure disciplinaire, les chefs d'établissement doivent déterminer en quoi l'élève a un comportement de provocation, ce qui constitue une analyse subjective de l'attitude de l'intéressé. Désormais, c'est le port en lui-même de certains signes religieux qui pourra être interdit et le chef d'établissement se fondera sur ce constat objectif pour mettre en œuvre, si nécessaire, la procédure disciplinaire.

En effet, le terme « ostensible » qualifie les tenues ou les signes qui sont objectivement extériorisés par l'élève. Ceux-ci seront interdits, même en l'absence d'actes de prosélytisme qui les rendraient provocants ou ostentatoires.

M. François Bayrou. Ce n'est pas le texte du projet de loi. Le texte interdit de manifester « ostensiblement une appartenance religieuse ».

M. Renaud Donnedieu de Vabres. Le législateur est aussi important que le projet de loi. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le président de la commission des lois.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. La commission des lois a préféré la formulation du projet de loi à l'utilisation du terme « visible » qui pourrait paraître aux yeux de certains d'entre vous d'application plus simple.

Interdire les signes religieux « visibles » présenterait des difficultés d'ordre à la fois pratique et juridique.

M. Alain Madelin. Ce serait anticonstitutionnel !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. En premier lieu, ce qualificatif ne permettrait pas de régler tous les problèmes. En effet, certains signes, qui ne sont pas à proprement parler des signes religieux, pourraient être adoptés par des élèves pour manifester une appartenance religieuse.

Dans un tel cas, le chef d'établissement serait de toute façon obligé d'apprécier l'intention de l'élève d'afficher sa religion. Le terme « visible » ne faciliterait donc pas sa tâche, contrairement à l'objectif recherché.

Ensuite, le terme « visible » conduirait à interdire systématiquement les signes discrets, ...

M. René Dosière. Où serait le problème ?

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. ...alors qu'il s'agit, la plupart du temps, de simples bijoux, portés sans intention de manifester une appartenance religieuse.

Souhaitons-nous que les chefs d'établissement soient conduits à exercer des contrôles tatillons ? Devront-ils sanctionner l'élève dont la médaille, par exemple, est sortie du pull pendant les jeux de la récréation ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Au contraire, la rédaction du projet de loi permet de répondre avec pragmatisme à de telles situations.

Enfin, l'interdiction du port de signes visibles d'appartenance religieuse conduirait à une interdiction générale et absolue.

Plusieurs députés du groupe des député-e-s communistes et républicains. Et alors ?

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Celle-ci pourrait être considérée comme contraire à la liberté de religion garantie à la fois par l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et par l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme.

M. Jean Glavany. Mais non ! Ce sont des arguties de troisième ordre.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Surtout, une telle interdiction ne répondrait pas à l'objectif de la loi qui est - j'espère qu'il en est de même pour chacun, ici - de réaffirmer une laïcité tolérante, au moyen d'un texte qui rétablit un équilibre entre la liberté d'expression et le respect de la laïcité.

M. Jean Glavany. Que faites-vous de l'avis unanime de la commission ?

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Peut-on dire que le port d'une petite médaille de baptême, d'une croix de David ou d'une main de Fatima constitue une atteinte à la neutralité de l'école ? Non, évidemment !

M. Jean-Claude Lefort. Cette dernière n'est pas un signe religieux, vous le savez !

M. le président. Monsieur Lefort, laissez parler M. Pascal Clément, je vous prie.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Le Président de la République, élu du suffrage universel, s'y est engagé vis-à-vis de tous les Français. Le chef de l'Etat est, plus que tout autre, responsable de notre cohésion nationale. J'insiste sur ce point : cette loi, qui est une loi d'apaisement, doit permettre aux chefs d'établissement de faire face aux tensions auxquelles ils sont confrontés et non en ajouter de nouvelles.

Dans cet esprit, la commission n'a pas souhaité étendre l'interdiction aux signes politiques. Les chefs d'établissement auditionnés par la mission parlementaire - je tiens à le noter - ne l'ont d'ailleurs pas expressément demandé.

Quelle devra être l'application de cette loi ?

En réaffirmant par la loi la place de la laïcité au sein des établissements scolaires et en précisant ses règles d'application, le projet de loi répond au désarroi des chefs d'établissement qui ont le sentiment d'être impuissants face à la multiplication des manifestations identitaires. Ils pourront désormais s'appuyer sur une intention clairement affirmée par le législateur de protéger la neutralité de l'école.

Les règlements intérieurs prévoiront l'interdiction du port des signes religieux ostensibles. Désormais, ni ces règlements ni, le cas échéant, les exclusions prononcées sur leur fondement ne pourront être infirmés par le juge administratif.

Cependant, si la tâche des chefs d'établissement se trouve ainsi facilitée, leur rôle n'en demeure pas moins essentiel. C'est ce qu'a souhaité affirmer la commission des lois en adoptant de manière consensuelle un amendement qui prévoit un temps de dialogue préalable à toute procédure disciplinaire.

M. René Dosière. C'est un beau geste.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Dans un tel cadre destiné à éviter les conflits, le rôle des chefs d'établissement et des enseignants sera d'expliquer le sens de la loi et, par-delà, celui du principe de laïcité. Il leur faudra convaincre les élèves que l'adhésion à notre culture commune et à ses règles n'exclut ni les croyances personnelles ni les traditions, et qu'en enlevant leurs signes ostensibles, ils ne renoncent pas à leur personnalité, mais que la laïcité protège au contraire la liberté de conscience et respecte les convictions de chacun. C'est en dernier recours seulement qu'un chef d'établissement pourra demander l'exclusion d'un élève.

Par cette loi, nous ne voulons pas contraindre, nous voulons convaincre. Nous voulons rappeler que l'école, dans son rôle d'apprentissage et de transmission des valeurs, doit se maintenir en dehors des conflits qui traversent la société et le monde, sans bien entendu les ignorer. Elle doit demeurer l'endroit privilégié où l'apprentissage du vivre ensemble résulte d'échanges sans arrière-pensées qui se font dans le respect des croyances individuelles.

Compte tenu de la force symbolique que nous voulons donner à cette loi, la laïcité doit être réaffirmée sur l'ensemble du territoire français. Elle permettra ainsi de tenir nos jeunes à l'écart des signes qui séparent, pour les rassembler autour de valeurs communes que nous devons mieux affirmer afin de mieux les partager.

Cette loi, mes chers collègues, a un caractère symbolique. Elle sera d'autant mieux comprise qu'elle s'inscrira dans un ensemble de mesures permettant de donner un nouvel élan à l'intégration et de garantir à chacun la liberté d'expression de ses croyances religieuses.

On ne peut prétendre que proclamer notre attachement aux valeurs républicaines serait source de conflits : c'est tout le contraire. C'est précisément le jour où nous n'oserons plus dire ce qu'elles représentent que la République sera malade.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Très bien.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Pour toutes ces raisons, la commission des lois a adopté le projet de loi en marquant son souci du dialogue dans les établissements scolaires. Je souhaite que la représentation nationale, dans son ensemble, en votant ce texte, affirme son attachement au principe de laïcité.

M. Eric Raoult. Très bien !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Mes chers collègues, cette loi est en quelque sorte le drapeau français dont nous voulons aujourd'hui hisser les couleurs au-dessus de l'école, lieu privilégié de l'intégration. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) C'est toute la représentation nationale qui doit contribuer à cet acte de fierté pour la France, pour les Français et pour tous ceux que nous accueillons et qui souhaitent à leur tour devenir français ou vivre dans notre communauté nationale. C'est un acte de foi en la France, dans la République, dans ses valeurs de respect de l'autre et de bonheur d'être ensemble. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le président et rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, rapporteur pour avis. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, mes chers collègues, notre assemblée vit un moment politique d'exceptionnelle importance. Il nous est demandé de nous arrêter un instant et, afin d'en décider, de réfléchir à ce qui fonde essentiellement la France comme république, comme démocratie et comme nation.

Durant plus d'une année, notamment grâce à la mission d'information de notre assemblée présidée par Jean-Louis Debré - elle-même précédée d'une table ronde de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - et grâce à la commission Stasi, notre pays a été conduit à s'interroger sur ses principes de laïcité et d'égalité des hommes et des femmes. C'est au nom de ces principes et après y avoir réfléchi avec gravité que nous nous apprêtons à interdire « dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquelles les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse ».

Comme le disait le doyen Carbonnier, la laïcité est plus « historique » que « logique ». On ne peut apprécier aujourd'hui cette exception française si l'on n'a pas en mémoire les luttes qui l'ont engendrée.

Notre pays - nous le déplorons tous - a mis des siècles à régler la question juive et près de trois cents ans à régler la question protestante. Fuite des juifs en Hollande, fuite des huguenots, fuite des prêtes réfractaires, fuite des chartreux vers l'Italie au début du siècle dernier : les vicissitudes de notre histoire ont épouvanté nos voisins européens, qui ont accueilli les fugitifs au gré de nos convulsions religieuses.

Notre histoire et la violence fondatrice de la laïcité pèsent sur les discussions présentes et expliquent sans doute la pudeur religieuse des Français comme la réticence des politiques à débattre de ces questions en public.

M. Jean-Pierre Brard. Mais non ! Ce n'est pas cela !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, rapporteur pour avis. Je m'adresserai successivement à l'ensemble de nos concitoyens, à nos compatriotes issus de terres où brûle l'islam, aux femmes de ce pays, et enfin aux adversaires d'un projet que l'opinion nomme « loi sur le voile » - la cacophonie que chacun de nous a pu entendre ces dernières semaines se résumant, en quelque sorte, à cette question : « Etes-vous pour ou contre la loi contre... ? »

Aux Français, sans distinction d'origine, de sexe, de croyance et d'opinion, je rappellerai la particularité de l'exception laïque française.

Notre laïcité est tellement à part que personne ne la comprend aisément, et que nous-mêmes l'avons un peu perdue de vue. Elle mêle ce que j'appellerai la « petite » et la « grande » laïcité.

Parler de « petite laïcité » ne revient pas à en minorer l'importance politique. Héritée des ardents débats qui secouèrent ces bancs de 1882 - avec Jules Ferry - à 1905, en passant par 1901, cette laïcité vit la République envoyer l'armée française dans les couvents à la veille de la Grande Guerre.

M. Jean-Pierre Brard. C'était pour assurer la mixité ! (Sourires sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, rapporteur pour avis. Pour l'école, elle fut, on le sait, un grand exercice de soustraction : l'école moins l'enseignement religieux, moins les Frères et autres Ursulines, moins les crucifix dans la classe.

Bilan de ces luttes aux frontières de la guerre civile : nous avons fait de l'espace scolaire un « sanctuaire ». Comme le dit si bien Régis Debray, les religions sont désormais « respectées » mais « tenues en respect » dans le lieu de formation des esprits et d'apprentissage de la vie en commun.

La « grande laïcité », elle, remonte à la nuit des temps, au-delà même de la Réforme et d'hommes comme Locke, Bayle et Spinoza : à Rome, à Athènes, et jusqu'à Jérusalem. C'est la laïcité qui tranche au rasoir entre la politique et la religion, le pouvoir et le message, le trône et l'autel, l'Eglise et l'Etat. Nous la partageons avec des peuples à ce point religieux qu'ils nous paraissent « bigots » - terme qui proviendrait de l'expression by God. Les Américains en ont fait le socle de leurs libertés. Il est bon de relire cet après-midi, sur les bords de la Seine, la première phrase du premier amendement de la Constitution des États-Unis d'Amérique,...

M. Jean-Pierre Brard. C'est la Constitution de Bush !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, rapporteur pour avis. ...en date du 15 décembre 1791, soit un an avant les massacres parisiens de 1792 : « Le Congrès ne fera pas de loi en matière de religion. » Aujourd'hui, l'Assemblée nationale ne va pas voter une loi en matière de religion, ou hostile aux religions, mais une loi de liberté. Nos amis étrangers vont devoir le comprendre. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Je m'adresse maintenant à ceux de nos compatriotes qui se sentiraient agressés en tant que musulmans. Nous ne pouvons prendre à la légère cette inquiétude et ce malentendu, qui viennent de loin.

En 1959 déjà, le général de Gaulle évoquait la difficulté de « l'intégration des âmes, liée au différentiel de piété entre les deux rives de la Méditerranée ».

M. Jean-Claude Lefort. Il parlait de la guerre d'Algérie ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, rapporteur pour avis. Hier encore, avant l'indépendance de l'Algérie, Fehrat Abbas disait à leurs pères : « La France, nation latine et chrétienne, ne peut, d'après ses hommes d'Etat et ses juristes, admettre dans la cité que des musulmans qui ont abjuré leur foi religieuse. »

Qui peut croire encore à cela, mes chers collègues ?

Aujourd'hui, certains de leurs enfants se reconnaissent dans l'école de pensée des Frères musulmans, dont les théoriciens Abduh, Afghani, Rida, ont séjourné en France en plein combat laïc, ce qui n'a pas manqué de leur donner une idée ambiguë et inquiétante de la laïcité. Ils en ont conclu qu'elle était la « conséquence de l'obscurantisme et la mainmise du christianisme sur le pouvoir et les sciences ». D'autres se retrouvent au contraire dans les thèses de l'égyptien Sayed Qotb, pour qui la laïcité est « la fille naturelle » du christianisme, puisque déduite du principe : « Rendez à Dieu ce qui est à Dieu et à César ce qui est à César ».

Mme Sylvia Bassot. Très bien !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, rapporteur pour avis. Qu'elle soit advenue « par la faute » ou « par la grâce » de l'église, la laïcité française est considérée par certains jeunes pratiquants non pas comme un principe inaliénable, mais comme un modèle culturel particulier très isolé dans le contexte européen et plutôt hostile à l'islam - quand il n'est pas accusé d'être une tentative de christianisation !

Qui peut faire croire cela, mes chers collègues ?

L'objet et le résultat de notre projet sont au contraire, de leur garantir ici les avantages d'une liberté individuelle et d'une paix civile dont trop de terres d'islam sont encore privées.

Les multiples mouvances, obédiences, rites et nations d'islam seront ici amenés à s'entendre : l'islam sunnite et le chiite, le malékite, le wahhabite et l'hanéfite, le marocain et l'algérien, l'indonésien et l'arabe, l'arabe et le persan. En France, aucune tendance ne pourra s'imposer à sa voisine d'hexagone : c'est une chance unique qu'offre la laïcité française. Mais surtout, l'islam français, que nous souhaitons réconcilié en son sein, devra s'entendre avec la République, c'est-à-dire, simplement, respecter ses lois. Car telle est la volonté de la majorité, fondement la démocratie. Si j'en crois le message du Président de la République, « ce n'est pas négociable ».

M. Jean Glavany. Le message du Président de la République change tout le temps !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, rapporteur pour avis. S'agissant des femmes, j'entends ici ou là les adversaires du projet avancer la pudeur, la liberté, les convictions, la foi de jeunes collégiennes et lycéennes, et surtout le respect de leur différence. Certains sont allés, par exaltation des droits de l'individu et au nom de ce fameux respect des différences, jusqu'à considérer que notre laïcité était une machine oppressive dont il fallait se libérer. Nous aurions dû avoir dans cette affaire, comme le disait Jacques Maritain, « l'esprit dur et le cœur doux ». Mais, poursuivait-il, « combien ont cru avoir le cœur doux et n'ont eu en réalité qu'un esprit mou » ?

Nous sommes arrivés à la situation absurde où les mêmes jeunes filles, voilées en mathématiques ou en histoire, sont sommées, quand elles assistent au cours de turc donnés dans nos classes par des professeurs turcs envoyés par la Turquie dans le cadre de l'enseignement des langues et cultures d'origine, d'enlever leur voile, ce qu'elles font fièrement par respect pour les dogmes républicains turcs ! (« Eh oui ! » et applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Autant il est enrichissant de cumuler, d'amasser les livres, les sagesses, les expériences et les savoirs de tous les peuples, autant, sur les principes, il faut parfois procéder par arbitrage. On ne peut, par exemple, métisser l'égalité de la femme avec son contraire. Là non plus, si j'ai bien reçu le message du Président de la République, « ce n'est pas négociable ».

M. Jean Glavany. Alors nous ne pouvons plus discuter de rien !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, rapporteur pour avis. Nous devons revenir aux principes de la République sans mauvaise conscience, en confirmant la laïcité dans ce qui lui est essentiel.

Dans son sens le plus large, la laïcité est la volonté de considérer le peuple comme unique source de la loi.

M. Jacques Myard. Bravo !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, rapporteur pour avis. Quand une lycéenne, enfant mineure, s'obstine dans le bureau du proviseur à réciter que « l'expression de sa foi prévaut sur le respect des lois et règlements de la République », elle joue Antigone sans en avoir l'âge.

Mme Sylvia Bassot et M. Éric Raoult. Très bien !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, rapporteur pour avis. Elle aurait besoin de se frotter à l'âpreté du doute. La laïcité est une culture où il y a prééminence de la question sur la réponse : c'est le refus des vérités définitives. « Les amis de la vérité sont ceux qui la cherchent et non ceux qui se vantent de l'avoir trouvée », disait Condorcet. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Enfin, s'il est vrai que la laïcité, selon Jules Ferry, définissait moins le caractère procédural que le contenu, aujourd'hui la réciprocité et le respect en deviennent des vertus majeures. Elle est le bon procédé qui rend manifeste l'attachement à la laïcité. Elle exige de tous une sorte de timidité dans l'espace public. Elle suppose un scrupule, une retenue, une certaine pudeur. Elle appelle à l'esprit de compréhension et de convivialité, elle refuse la provocation et l'esprit de croisade.

Car la laïcité est aussi une valeur de civilisation qui permet de faire vivre en bonne intelligence à l'école ce que Mirabeau aurait appelé un « agrégat d'élèves désunis » : athées, agnostiques, d'appartenance sunnite, ashkénaze, évangélique, catholique, d'origine arménienne, turque, kurde alevi, assyro-chaldéenne, marocaine, enfants de musulmans de l'Inde, Mandés, petits-fils de harkis, de policiers FLN et de militants du FIS, réfugiés les uns et les autres pour des motifs opposés. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jacques Myard. C'est l'équipe de France !

M. Jean Glavany. Et ceux qui ne croient en rien ?

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, rapporteur pour avis. La laïcité ne saurait tourner au laïcisme. D'abord parce que Dieu, quel que soit le nom qu'ils lui donnent, est dans la vie de millions d'hommes et de femmes en France. Ensuite parce qu'en expulsant le sacré, en niant la présence même d'une altérité en son sein, le laïcisme n'est rien d'autre qu'une idéologie religieuse. La laïcité, si elle affirme que le monde doit être regardé comme profane, considère que les traditions religieuses doivent être admises à offrir l'apport de leurs richesses.

C'est bien à cet équilibre que sont attachés les Français. On l'a bien vu en 1984, quand, à propos de l'école, l'esprit public arbitra, au nom de la laïcité, en faveur des partisans de l'enseignement libre.

Plusieurs députés sur les bancs du groupe socialiste. De l'enseignement privé !

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, rapporteur pour avis. D'où l'autorisation des signes discrets ; d'où la volonté de trouver une domiciliation acceptable du fait religieux dans l'enseignement ; d'où la volonté de l'école de ne plus faire silence sur ce qui a été un déterminant de l'histoire collective des uns et des autres afin que l'inculture religieuse ne nourrisse plus des heurts communautaires.

C'est cette même idée de la laïcité qui doit nous conduire, aux portes des établissements et dans toute la société, à rester fidèles au discours que Rabaud Saint-Etienne adressa à la Représentation nationale en août 1789 : nous devons garantir aux juifs, aux musulmans, aux chrétiens et à tous les croyants, quels qu'ils soient, « l'égalité des droits, la liberté de leur religion, la liberté de leur culte, la liberté de la pratiquer dans des maisons consacrées à cet objet, la certitude de ne pas être plus troublés dans leur religion et l'assurance parfaite d'être protégés comme tous, autant que tous, et de la même manière que tous par la commune loi ». Il poursuivait ainsi : « Ne permettez pas que l'on vous cite l'exemple de ces nations encore intolérantes qui proscrivent votre culte chez elles. Vous n'êtes pas faits pour recevoir l'exemple mais pour le donner. » (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

La France a pris le temps du débat. Il nous faut à présent trancher, quitte à décevoir certains, ce qui nous ramène à la politique dans sa fonction et sa pratique véritables. Il ne s'agit pas d'affirmer le modèle français comme supérieur à tout autre : chaque excellence se paie d'une insuffisance. II s'agit de dire qu'en cas de débat, ce modèle mobilise la préférence de la quasi-totalité des Français et que personne ne songe à y renoncer. Il semblerait d'ailleurs que l'Allemagne et les Pays-Bas envisagent désormais de s'en inspirer.

Nous n'avons pas l'illusion que l'on peut tout régler par la politique. Une société pluraliste n'est concevable que si chacun des groupes qui la composent a le sentiment de ce qui l'unit à l'ensemble, moyennant quoi elle est capable de concessions nécessaires à un esprit commun. Cette loi indispensable ne nous épargnera pas un long chemin de reconquête de cet équilibre entre l'individuel et le collectif. Nous y parviendrons « en cherchant dans la fidélité à nos valeurs et à nos principes la force d'un nouveau sursaut ».

Certains ont voulu travestir la réalité et disqualifier le débat qui s'engage en parlant d'un « pugilat de chiffonniers autour d'un morceau de tissu » Mes chers collègues, sous le chiffon, puissé-je vous en avoir convaincus, il y a la liberté ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. J'ai été informé par le président du groupe socialiste qu'il renonçait à l'exception d'irrecevabilité. J'en prends acte.

J'ai été informé par le président du groupe des député-e-s communistes et républicains qu'il renonçait à la question préalable. J'en prends acte. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Marie-George Buffet, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.


Mme Marie-George Buffet
. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, la laïcité est un principe essentiel de la République, un principe fondateur de notre pacte social. Je veux aujourd'hui y réaffirmer l'attachement indéfectible et profond du groupe des député-e-s communistes et républicains. La question est complexe et chacun des députés de notre groupe se prononcera en conscience. Elle appelle un débat digne et notre assemblée doit à tout prix éviter de se laisser tromper par le prisme déformant de l'actualité, et bien mesurer les défis auxquels nous sommes confrontés.

Accordons-nous, d'abord, sur le diagnostic : oui, la laïcité est menacée, et de la manière la plus grave par les fractures qui fissurent le pacte social et républicain. Elles font le lit des replis communautaires, des crispations identitaires, de la désespérance qui ouvrent un large champ au fléau intégriste. Qui a l'ambition de donner à la laïcité tout son éclat doit s'attaquer aux causes de ses difficultés plutôt que d'en traiter les seuls effets. Peut-on parler de laïcité lorsque les inégalités se creusent et que les discriminations frappent en masse des hommes et des femmes, lorsque les libertés sont réduites pour beaucoup et que les ghettos créent des frontières entre les populations, lorsque le fil qui lie entre eux les hommes et les femmes se rompt sous le poids du fardeau de chacun ?

Il est manifeste aujourd'hui que la laïcité ne peut être garantie dans notre pays que si la liberté, l'égalité et la fraternité sont la règle. De notre point de vue, c'est assez loin d'être le cas.

La laïcité peut être menacée aussi en Europe, on l'a vu lors du débat constitutionnel. Elle est menacée par les postures d'affrontement, par la division et la stigmatisation, par la négation de l'individu et de sa liberté de conscience, par les intégrismes totalisants. Elle est menacée aussi lorsque le champ du débat démocratique se rabougrit au profit de postures sécuritaires et autoritaires qui esquissent une société à pensée unique éludant les questions de sens !

« La laïcité » : n'en faisons pas un slogan porteur d'interdits. Elle s'est forgée dans notre pays au fil des décennies, depuis la Révolution française, comme un élément essentiel de notre démocratie.

Qu'est-ce que la laïcité aujourd'hui ? Le rapport Stasi s'essayait à une réflexion globale. Vous avez réduit la discussion à ce qui est pour certains « la loi sur le voile ». Nous avons besoin, pourtant, de grands débats publics sur le sujet, sur l'égalité entre hommes et femmes, pour éclairer la réflexion sur les problèmes particuliers. Le grand débat que vous nous aviez annoncé sur l'école aurait pu instruire ces questions à la lumière des principes éducatifs, mais il s'est rétréci comme une peau de chagrin.

Dans notre France du XXIè siècle, les individus vivent des appartenances éclatées, dans des vies trop souvent difficiles. La crise des valeurs et des idéologies, la crise de sens, la crise de la politique, qui prospèrent sur le terreau de la crise sociale, accentuent la difficulté à trouver des repères et à se situer dans l'espace de la laïcité. Nous aurions pu parler de tout cela. En préparation du centenaire de la loi de 1905, nous aurions pu avoir l'audace d'un grand débat pluraliste sur un siècle de laïcité, débouchant, si nécessaire, sur une grande loi. Celle qui nous est proposée aujourd'hui réduit le champ de la laïcité. On peut s'interroger sur le sens de cette réponse partielle, précipitée.

La laïcité mérite mieux que cela. Elle est, pour nous, le principe social et politique qui garantit à notre peuple sa cohésion dans la pluralité. Elle découle directement de l'affirmation fondamentale des droits universels de l'être humain qui ne sont pas liés à l'appartenance à tel ou tel groupe social, ni à telle ou telle opinion, qu'elle soit politique ou religieuse. Ces droits sont attachés de façon inaliénable à la condition d'être humain et sont assortis de la liberté d'opinion et de pensée, de la liberté religieuse. Plus que la tolérance, ils impliquent la reconnaissance. La laïcité est donc la garantie d'une société de paix, bâtie par des hommes et des femmes différents qui veulent vivre ensemble.

Dans un même mouvement, il nous faut affirmer que l'autorité publique procède de la souveraineté du peuple et ne peut être soumise à aucune forme de tutelle extérieure. La laïcité fait donc de la République un espace accueillant toutes les représentations du monde, dès lors qu'elles ne contestent pas son principe. Son affirmation est indissociable dans notre histoire de la lutte pour la République. C'est pourquoi nous craignons l'image répressive qui en est donnée. La laïcité est un idéal positif, un concept social mobilisateur, un élément essentiel d'un projet de société. Ce n'est pas une grammaire statique, c'est le sens lui-même, le mouvement !

C'est dans ce contexte qu'il faut évoquer le voile : une atteinte insupportable à l'intégrité et à la dignité des femmes, la négation de leur corps, de leurs désirs, de leur personnalité. La République ne peut se résoudre à ce qu'elles soient ainsi dominées et ne doit avoir de cesse que de combattre pour l'égalité entre hommes et femmes. Ayons le courage de dire qu'un tel combat n'est pas derrière nous, que demeurent, ici et dans le monde, des discriminations, des violences inacceptables faites aux femmes, qu'une nouvelle domination masculine se fait jour dans une partie de notre jeunesse. Oui, il s'agit bien d'un combat à mener aujourd'hui dans toutes les sphères de la société, dans tous les domaines. C'est sur ce terrain-là que le voile me semble devoir être combattu, sans complaisance, avec constance et détermination. Nous voulons, avec les jeunes filles et les femmes voilées, créer les conditions de leur émancipation. Mais, est-ce toujours la domination masculine qui gêne derrière le voile ? N'est-ce pas, pour certains, une France devenue plurielle ? Pour nous, c'est une réalité et c'est une richesse.

Les raisons pour lesquelles des femmes et des jeunes filles portent le voile sont variées : certaines se le voient imposer, d'autres sont convaincues d'accomplir ainsi un devoir religieux, d'autres entendent de la sorte se protéger d'agressions masculines. C'est aussi sur ces causes qu'il faut intervenir en faisant progresser l'émancipation féminine et les droits des femmes, en assurant mieux le « vivre ensemble » dans les cités, en menant le débat sur la laïcité et le combat contre l'intégrisme.

Ce combat doit être déterminé. L'intégrisme, qui entend que des préceptes religieux régissent la vie politique, fait violence à l'individu, à sa liberté. Il est inacceptable en France comme ailleurs, car il va à l'encontre de l'universalité des droits de l'homme. Il faut le combattre de manière politique en éveillant les consciences, en réaffirmant partout l'autorité de l'Etat républicain, en faisant appliquer nos lois contre le racisme, l'antisémitisme, les violences, les atteintes à la démocratie. Mais au-delà, il faut afficher l'engagement républicain pour le progrès et l'émancipation humaine, pas seulement en employant l'argument d'autorité, mais en menant avec conviction le combat laïque. L'autorité de l'Etat procède, en effet, à la fois de son bien-fondé et de sa capacité à convaincre et à créer un mouvement d'ensemble. On ne débusque pas l'obscurantisme, on ne met pas en difficulté les intégrismes en pointant du doigt tous les croyants, en stigmatisant les musulmans, et plus particulièrement les musulmanes, en faisant du voile l'étendard qu'il n'a pas toujours été. J'en veux pour preuve la manifestation de femmes voilées, encadrées par des intégristes, du 17 janvier dernier.

En septembre prochain, faute d'avoir réellement réfléchi à la situation, la loi que vous nous proposez laissera, pour l'essentiel, la communauté éducative désemparée, parce que la source des problèmes auxquels elle est confrontée ne sera pas tarie, parce que les questions dépassent largement votre article de loi. Le choix du seul interdit laissera le droit et la dignité des femmes dans l'ombre et confortera la montée de la société de la peur et du communautarisme.

M. Gérard Léonard. Mais non !

Mme Marie-George Buffet. Combattre l'intégrisme suppose d'avoir confiance en la force des idéaux républicains et démocratiques, en la capacité de chacun et de chacune à réfléchir et à comprendre. Cela suppose des actes politiques forts, un engagement déterminé. En réalité, la loi qui nous est proposée divise plus qu'elle n'apporte de solution au voile ou à la difficulté de vivre ensemble aujourd'hui. La réponse proposée n'est pas à la hauteur du problème posé. Ne cédons pas au climat, ayons le courage de dire que la laïcité nécessite un grand débat, une grande loi, non des décisions de circonstance. Jusqu'où irons-nous dans cette direction ? D'aucuns ont proposé de revenir au port de l'uniforme. Le ministre de l'éducation nationale a évoqué le port de la barbe, soulignant ainsi le caractère potentiellement inopérant de la loi.

M. Jean Glavany. Il dit des choses qu'il contredit aussitôt !

Mme Marie-George Buffet. Quant à la proposition de certains d'étendre la loi aux signes politiques et philosophiques, elle éclaire d'un jour nouveau l'interdiction des signes religieux. Notre République serait-elle menacée par les convictions religieuses, et politiques et philosophiques ? Permettez-moi de préférer mettre en doute votre politique en matière de laïcité et de lutte contre le voile.

Pensez-vous que l'on puisse considérer l'école comme un sanctuaire échappant aux bruits du monde, dont seule l'institution serait autorisée à parler ? Pensez-vous que l'on puisse créer une séparation factice entre sphères publique et privée, s'agissant des convictions et de l'identité de chacun, sans mettre en danger la liberté d'expression ? Pensez-vous que l'on puisse se contenter de poser la question de la laïcité uniquement à l'école ? Les appels des autorités, des organisations attachées à la laïcité et aux droits de l'homme, des syndicats qui craignent les limites et les conséquences de votre démarche vous laissent-ils indifférents ? L'interdiction et l'exclusion sont-elles les meilleurs chemins d'une liberté retrouvée ?

Votre loi sera inefficace, car elle va multiplier les tensions stériles sans solution progressiste. Elle sera néfaste, car elle va réduire le champ de la laïcité, donc de la démocratie, et déséquilibrer le processus éducatif au profit du terme normatif et arbitraire. L'inquiétude est grande que la loi proposée n'ait finalement un effet boomerang. Vraiment, ce n'est pas ainsi que l'on gagnera contre le voile ni contre l'intégrisme.

Il faut combattre fermement ce qui porte atteinte à la dignité de l'individu, ce qui l'agresse, ce qui pousse à l'affrontement. La République doit donner des signes face à l'intégrisme, aux atteintes à l'intégrité des femmes. Je veux croire que c'est ce qui nous rassemble ici, sur tous les bancs. Vigilance et engagement des institutions et des élus, voilà ce que nous devons montrer pour ne pas laisser se développer ces phénomènes, pour ne pas laisser tranquilles ceux qui en sont les porteurs, pour animer le débat, pour convaincre. Faisons vivre la laïcité, mettons-la en mouvement !

La communauté éducative, je le crois, a la capacité, si on lui en donne les moyens, de faire vivre des règlements librement consentis faisant appel à l'intelligence « entre-eux » des élèves et en les aidant dans leur apprentissage de la citoyenneté. Ne faut-il pas repenser l'enseignement de la laïcité, de l'histoire, du fait politique et religieux ? Ne serait-il pas utile à la communauté éducative, mais pas seulement, de créer un haut Conseil de la laïcité chargé de faire vivre la laïcité concrètement, d'assurer un rôle de médiation, d'en donner les clefs, un mode d'emploi ? Ne faut-il pas réfléchir à la manière dont nous pouvons mieux intégrer l'apport de chacun à la cohésion sociale au sein du débat républicain, et susciter les gestes de reconnaissance attendus ? Ne peut-on pas, en quelque sorte, mettre à l'ordre du jour cette question : qu'avons-nous à construire ensemble ?

La laïcité a besoin qu'on lui donne du souffle, qu'on la ranime. Elle a besoin de s'expérimenter, d'être vécue en conscience. Elle a besoin, non de la peur et des phobies, mais de l'expression des différences dans le respect total d'autrui et de la société. C'est là qu'elle trouve son sens et son efficacité. Il faut permettre, dans les établissements scolaires et ailleurs, que l'on se penche sur cette question, que l'on évalue les conditions dans lesquelles elle s'exerce, que l'on se fixe des règles ensemble pour éviter les affrontements.

Le renouveau de la laïcité doit s'accompagner nécessairement d'un renouveau de la citoyenneté et de la politique, d'un renouveau de la recherche de sens. La mixité de notre société, l'unité de notre peuple, l'universalité de l'humanité doivent se bâtir dans la laïcité en recherchant ce qui nous fait semblables sans occulter ce qui nous différencie, pour vivre ensemble pleinement. Cela exige la liberté, l'égalité, et la fraternité.

Il est à craindre que nous ne soyons conduits aujourd'hui à une délibération qui laissera chacune et chacun d'entre nous insatisfait. Pour vaincre le repli et l'intégrisme, il faut une politique de liberté, d'égalité et de fraternité beaucoup plus audacieuse. C'est à ce prix que la laïcité vivra ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Brard. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Pierre Brard. Mon rappel au règlement est fondé sur l'article 58, alinéa 2 et a pour but d'éclairer le débat. J'informe notre assemblée et tous ceux qui nous écoutent qu'il n'y aura pas d'expression officielle au nom de notre groupe, les député-e-s communistes et républicains ayant décidé de faire jouer la clause de conscience. Nous aurons donc une expression diverse, mais chaque fois légitime et respectable, comme celle que nous venons d'entendre.

M. le président. La parole est à M. Jacques Barrot, pour le groupe UMP.

M. Jacques Barrot. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, le débat d'aujourd'hui est majeur pour l'avenir de notre communauté nationale et pour les valeurs de la République. Il faut lui donner sens et éviter le piège des passions excessives. Ce qui sous-tend la démarche du Président de la République, c'est la volonté de promouvoir un modèle de société fondé sur la tolérance, porteur d'une forte cohésion sociale.

Pour prendre la mesure de l'enjeu, je veux évoquer les grands principes qui ont peu à peu éclairé et fondé la citoyenneté française. Celle-ci s'est bâtie sur le respect des consciences, pour offrir à tous la chance d'une libre adhésion à des convictions philosophiques ou religieuses. Elle a pour fondement la pratique collective d'une authentique tolérance. C'est bien ce respect des convictions de chacun qui fonde le refus des discriminations pour des motifs raciaux et religieux. Cet idéal républicain implique le respect de la liberté d'autrui et la pratique de la fraternité. Il exige aussi une égale dignité de la femme et de l'homme, vers laquelle notre société française s'est mise progressivement en marche, suivant en cela le principe fondamental de l'égalité.

La communauté française trouve son unité et sa fierté dans le partage de ces valeurs. C'est pourquoi nous sommes souvent regardés dans le monde avec admiration et parfois envie. Cela nous rappelle que l'affirmation de ces valeurs communes ne s'est pas faite sans un long cheminement, parfois difficile et douloureux, et qui confère encore plus de sens à ces idéaux.

Notre société a su distinguer clairement ce qui relève de l'État de ce qui relève de la religion. Il a fallu pour cela s'affranchir à la fois d'une tentation cléricale hégémonique et d'une volonté de cantonner le fait religieux dans une sphère strictement privée. (Rires sur les bancs du groupe socialiste.) En se séparant de l'État, en acceptant la laïcité, l'Eglise catholique de France a gagné en liberté, en authenticité. (« Ah bon ? » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

Elle a fait l'effort d'intégrer la nouvelle donne du Concile de Vatican II, (Rires sur les bancs du groupe socialiste) qui a reconnu officiellement que la foi ne doit être l'objet d'aucune contrainte. Et je suis heureux de rappeler ici l'apport conciliaire car il converge vers l'idéal du respect de la liberté religieuse.

M. Gérard Léonard. Très bien !

M. Édouard Landrain. Bravo !

M. Jacques Barrot. De son côté, l'État, en s'engageant à respecter la liberté religieuse, a permis l'épanouissement d'une société où ceux qui croient en Dieu et ceux qui n'y croient pas se sont retrouvés pour résister aux idéologies qui bafouaient le respect de la personne humaine. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) C'est pourquoi, mes chers amis, je comprends mal certains sourires, moi qui suis né dans une famille où la Résistance a fait se rencontrer ceux qui croyaient et ceux qui ne croyaient pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

C'est cet attachement profond à une société pluraliste, respectueuse des familles spirituelles et religieuses, que nous entendons affirmer aujourd'hui dans la défense de la laïcité. C'est pour nous tous un devoir, face à des menaces que nous ne pouvons pas ignorer. Tout se passe comme si, mettant à profit les fragilités d'une société trop individualiste, où les plus faibles sont voués à la solitude, les tentations communautaristes se faisaient plus pressantes, notamment parmi nos compatriotes les moins favorisés et insuffisamment enracinés dans notre pays.

Sans doute avons-nous mis trop de temps à prendre conscience de l'influence croissante de minorités tentées de prêcher à leurs coreligionnaires le repli communautariste.

M. René Couanau. Absolument !

M. Jacques Barrot. Sans doute sous-estimons-nous encore aujourd'hui la dimension internationale d'un fondamentalisme qui entend ébranler les sociétés occidentales, en prenant le prétexte - pas toujours faux, mais dangereux - d'une mondialisation qui trop souvent creuse les fossés entre les peuples au lieu de les unir.

M. Jean-Marie Geveaux. C'est évident !

M. Jacques Barrot. Nous devons nous rendre à l'évidence. Il existe aujourd'hui des menaces concrètes pesant sur le « vivre ensemble » républicain et le principe de laïcité.

Ces menaces, les élus que nous sommes les connaissent bien, surtout ceux - je pense notamment à une intervention de M. Gerin - qui les affrontent dans nos banlieues : refus par des maris ou des pères de voir leurs femmes ou leurs filles soignées par des médecins de sexe masculin ; montée des pressions prosélytes dans les prisons ; multiplication des violences racistes au prétexte de motifs religieux...

L'école peut ainsi devenir le lieu de cristallisation de ces revendications, notamment par des demandes de dispense de certains cours de gymnastique, de sciences naturelles ou d'histoire. Il faut entendre ces professeurs d'histoire nous expliquer qu'il est devenu très difficile d'évoquer la Shoah et de parler du devoir de mémoire universel !

M. Éric Raoult. Absolument !

M. Jacques Barrot. C'est dans ce contexte qu'il faut aborder la question du port de signes religieux à l'école, et notamment du voile islamique.

Nous ne nions pas le fait que le port du voile puisse parfois être l'affirmation d'une sincère conviction religieuse. Mais, dès lors que des jeunes filles mineures ont été pressées, pour ne pas dire forcées de le porter, le voile peut aussi être l'étendard d'un refus de l'intégration dans la société française. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. René Couanau et M. Pierre-Louis Fagniez. Tour à fait !

M. Jacques Barrot. Et il n'est rien de plus grave que de faire appel au sentiment religieux pour instrumentaliser des êtres sans défense au service de prises de position idéologiques.

M. Édouard Landrain. Très bien !

M. Jacques Barrot. Au cœur des antagonismes d'aujourd'hui, se trouve également une certaine vision de la femme, profondément inégalitaire, portant atteinte à sa dignité et source de nombreuses discriminations incompatibles avec notre conception de la personne humaine.

M. Jacques-Alain Bénisti. Voilà ce qu'il fallait dire !

M. Jacques Barrot. Bien sûr, certains de nos concitoyens de confession musulmane peuvent éprouver le sentiment douloureux que c'est leur religion dans son ensemble qui est montrée du doigt. Tel n'est pas le cas.

L'islam est aujourd'hui traversé par un affrontement entre une minorité intégriste et l'immense majorité des musulmans, qui sont attachés à une pratique tolérante de leur religion. Nous devons permettre à ces croyants, qui comptent sur nous, de vivre sereinement leur foi musulmane et leur citoyenneté française. Nous devons soutenir ces jeunes femmes musulmanes qui désirent s'intégrer dans la société française et qui nous adressent un appel à l'aide. Nous devons apporter un message d'espoir à ceux qui mènent avec courage ce combat pour la démocratie, pour la liberté religieuse et pour l'égalité des femmes dans les pays du monde musulman, du Maroc jusqu'à la Turquie en passant par l'Egypte.

L'heure est donc venue d'émettre ce signal, qui n'est en rien une stigmatisation de la communauté musulmane, mais qui doit au contraire garantir au fait religieux toute sa place, en le mettant à l'abri de ceux qui cherchent à l'instrumentaliser à des fins politiques.

En effet, mes chers collègues, si nous doutions des tentatives de pression et de manipulation, les manifestations du 17 janvier sont là pour nous ouvrir les yeux. (« Absolument ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

La manière dont leurs organisateurs ont contesté par avance la loi que la République entendait se donner démocratiquement, leurs emprunts à des slogans antisémites, ne laissent pas de doutes. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Pourquoi une loi est-elle nécessaire ? Pourquoi ce signal, ce coup d'arrêt aux dérives fondamentalistes, doit-il passer par la loi ? Parce qu'il s'agit de libertés publiques, et que le seul vrai fondement d'une interdiction ne peut être que législatif.

L'avis du Conseil d'État de 1989 est clair : « Le port par les élèves de signes par lesquels ils entendent manifester leur appartenance à une religion n'est pas par lui-même incompatible avec le principe de laïcité. »

Cet avis autorisait donc le port de signes religieux à l'école, y compris le voile islamique. Cette position était logique : la loi d'orientation sur l'école de 1989 avait affirmé le droit absolu des élèves de manifester leurs convictions, et le Conseil d'Etat ne pouvait que prendre en compte l'état du droit.

Sur la base de cet avis, la jurisprudence du Conseil d'État a développé une application au cas par cas. Ce fut seulement en fonction des circonstances - si le port de signes religieux générait des troubles à l'ordre public, dénotait un comportement prosélyte ou s'accompagnait du refus de suivre certains cours - que l'interdiction était possible. Ces critères, qui permettaient d'apprécier s'il était possible ou non d'interdire, n'ont pas été faciles à appliquer. Les chefs d'établissement et les professeurs ont couru le risque d'être livrés aux rapports de force locaux et de prendre des décisions divergentes.

Les circulaires des ministres de l'Éducation Nationale, notamment celle de 1994, n'ont pas non plus résolu le problème, comme l'ont souligné les chefs d'établissement auditionnés par la commission Stasi. Le Conseil d'État le relève d'ailleurs dans un arrêt de 1995 : « Par sa circulaire du 20 septembre 1994, le ministre de l'Éducation nationale s'est borné à demander aux chefs d'établissements de proposer aux conseils d'administration une modification des règlements intérieurs. Une telle instruction ne contient aucune disposition directement opposable aux administrés ».

M. Lionnel Luca. Bien sûr !

M. Jacques Barrot. C'est une façon aussi juridique que polie de dire que la circulaire de 1994 ne comportait aucune mesure applicable.

M. Jacques Myard. Absolument !

M. Francis Delattre. Très juste !

M. Jacques Barrot. Nous sommes donc face à un choix clair : ou nous laissons subsister l'état du droit, et le port des signes religieux, quels qu'ils soient, est autorisé ; ou nous voulons changer l'état du droit, et il faut alors passer par la loi.

Mais la loi ne doit manifester que les exigences indispensables du « vivre ensemble » républicain. Elle doit donc définir des interdictions mesurées.

L'interdiction doit, tout d'abord, être limitée à l'espace scolaire, parce qu'il s'agit de protéger des mineurs et parce qu'il faut soustraire l'école républicaine, ce creuset de l'intégration, aux affrontements.

L'interdiction doit ensuite viser le port d'un signe religieux qualifié d'ostensible, parce qu'il risque de porter la tentation d'un comportement prosélyte visant à contraindre tous ceux qui appartiennent à une mouvance religieuse à se signaler, à se reconnaître, pour mieux se différencier, voire s'isoler, au risque de briser l'unité de la communauté éducative. Tel est le sens de la démarche. On se reconnaît, on se différencie pour pouvoir mieux se replier sur soi et briser l'unité de la communauté éducative.

M. Jean Glavany. Qui en décidera ?

M. Jacques Barrot. Certains - et je les respecte - ont envisagé une interdiction de tous les signes visibles, sous prétexte de clarté.

M. Jean Glavany. Ne dites pas « certains ». La mission était unanime !

M. Jacques Barrot. La pensée peut progresser. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean Glavany. Chez vous, elle régresse !

M. Jacques Barrot. Nous pensons qu'une telle interdiction comportait le risque de bannir de l'espace scolaire tout signe religieux, même porté avec discrétion, ce qui est contraire à notre conception d'une liberté individuelle respectueuse d'autrui et à la notion de laïcité d'ouverture que la République nous a appris à pratiquer les uns et les autres.

M. Jean Glavany. La laïcité n'a pas besoin d'être qualifiée ! Le principe se suffit à lui-même !

M. Jacques Barrot. Enfin, la loi doit être appliquée avec discernement. L'exclusion doit rester l'ultime sanction. Il est essentiel que des efforts de dialogue et de médiation soient conduits avec toute la patience et la diligence voulues. L'amendement de notre commission des lois souligne cette nécessité de dialogue, qui s'inscrit dans le cadre habituel de la politique éducative.

Mais la loi ne prendra tout son sens que si elle s'inscrit dans une démarche beaucoup plus large, destinée à convaincre collégiens et lycéens que notre idéal républicain est une chance pour eux.

C'est la chance d'appartenir à une communauté nationale où chaque personne se voit reconnaître une égale dignité, où les croyants des grandes religions monothéistes apprennent à se respecter, où croyants et incroyants eux-mêmes adhèrent à un idéal de fraternité humaine dont personne ne peut se sentir privé ou exclu.

II est vrai, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre de l'éducation nationale, que d'autres sociétés occidentales, notamment européennes, ont choisi de laisser des groupes religieux coexister sur leur territoire, sans chercher à les aider à s'ouvrir les uns aux autres. Moyennant quoi, les chances d'épanouissement individuel se trouvent beaucoup plus limitées, puisqu'elles ne se cultivent que dans un ensemble ethnique et religieux fermé sur lui-même. Mes chers collègues, mesurons-nous la chance que nous avons de pouvoir puiser dans ce pluralisme philosophique et religieux la joie d'enrichir nos vies et nos cultures personnelles ?

Enfin - et c'est là que nous sommes attendus - la loi ne pourra être comprise et notre idéal républicain reconnu et partagé, que si elle est accompagnée d'un effort sans relâche d'intégration.

Le chemin de l'intégration reste encore difficile pour beaucoup de nos compatriotes issus de l'immigration. C'est pourquoi il est très important de valoriser leurs réussites économiques, culturelles, sportives. Ils sont à bien des égards des modèles, d'autant que c'est par leur seul travail, par leur seul mérite personnel, qu'ils ont obtenu une pleine reconnaissance sociale.

Mais nous devons aussi pourchasser toutes les formes de discrimination, refuser la ségrégation urbaine qui conduit au ghetto, lutter contre l'illettrisme, combattre sans relâche les difficultés d'accès à l'emploi. Ce seront nos armes les plus efficaces contre les tentations communautaristes et fondamentalistes.

Toutes ces actions, que je ne veux pas développer ici, aussi bien l'effort engagé pour transformer certains quartiers, dont l'architecture a engendré la massification et l'inhumanité, que la lutte contre toutes les formes de la violence à l'école ; toutes ces actions doivent être des priorités majeures, qui doivent nous rassembler par-delà nos sensibilités politiques.

La très grande majorité de notre groupe UMP votera ce projet de loi, pour mieux protéger et promouvoir les valeurs essentielles de la République et porter un coup d'arrêt aux menaces de communautarisme et d'intégrisme.

Mais notre vote a valeur d'engagement au service d'une politique très active en faveur de l'intégration. C'est pourquoi nous avons souhaité, dès mardi matin, profiter du temps consacré à notre groupe pour débattre des efforts supplémentaires à conduire en faveur de la lutte contre les discriminations et pour l'égalité des chances. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Pierre Méhaignerie. Excellente initiative !

M. Jacques Barrot. D'ores et déjà, monsieur le Premier ministre, nous avons pris acte des rendez-vous très importants que vous venez d'énoncer : un comité interministériel, chargé de l'intégration ; la tenue d'une conférence pour l'égalité des chances avec les partenaires sociaux et, je le répète, une autorité administrative indépendante pour lutter contre les discriminations.

Oui, en dépit des tentations individualistes et des solitudes du monde moderne, notre France doit être une communauté unie et riche de ses différences, une communauté où l'on puise à la fois la fierté d'une identité reconnue et les chances d'une citoyenneté, qui garantit à chacun le droit de réussir sa vie.

Mes chers collègues, si nous pouvions retrouver foi et enthousiasme dans un modèle français et cultiver tous ensemble cette fierté d'une France au visage fraternel ! Tel est le sens de notre vote. (Applaudissements sur de très nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault, pour le groupe socialiste.

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, « L'idéal laïque unit tous les hommes parce qu'il les élève au-dessus de tout enfermement ». Cette pensée du philosophe Henri Pena-Ruiz est, je crois, la vraie dimension de notre débat. Loin de défendre un dogme, loin de combattre les croyances, loin d'enfermer les enfants dans un moule, nous sommes là pour poursuivre une œuvre d'émancipation commencée, il y a près de cent ans.

Alors, oui soyons-en fiers !

Née dans la douleur, la laïcité a patiemment conquis les cœurs. Elle a construit une école de tolérance où la neutralité de l'Etat garantit la liberté de conscience et de croyance pour chaque citoyen et aussi l'égalité entre chacune des religions. Elle a modelé un « vivre ensemble ». Elle a apaisé la communauté nationale. Voilà pourquoi il faut y tenir comme à la prunelle de nos yeux. Voilà pourquoi il faut la préserver de la confusion trop courante du spirituel et du temporel.

Depuis quelques années, cette confusion a resurgi. L'islam cherche sa place dans le monde. Il cherche aussi sa place en France. Porteur d'une histoire et d'une civilisation longtemps rayonnantes, il est aujourd'hui confronté à une crise d'adaptation à la modernité, comme l'ont été, avant lui, le christianisme ou le judaïsme.

La question du voile dans nos écoles est l'une des expressions de cette quête identitaire. Il ne faut ni l'ignorer, ni en avoir peur. Il faut, au contraire, aider nos compatriotes musulmans à la surmonter. Et c'est aussi tout le sens de notre débat.

Le dire n'est pas montrer les musulmans du doigt. Ce n'est non plus les désigner comme fauteurs de trouble. Qui ne voit qu'ils sont les premières victimes des régimes théocratiques ou des groupes fondamentalistes ?

Qui ne voit qu'ils sont les premiers à souffrir de la suspicion et des discriminations ?

Qui ne voit que l'écrasante majorité d'entre eux veulent vivre en paix, ailleurs dans le monde et dans notre République ?

Je veux le dire du haut de cette tribune à nos compatriotes musulmans. Vous êtes des citoyens à part entière ! Vous avez les mêmes droits, les mêmes devoirs, les mêmes engagements ! Nul ne peut vous séparer des autres Français ! Et cela vaut pour tous ceux qui croient comme pour ceux qui ne croient pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Mes chers collègues, la loi que nous voulons n'est pas une loi contre l'islam. Elle n'est pas non plus une loi contre les religions. Elle est une loi de liberté, d'égalité et de justice. Elle veut préserver l'école des pressions religieuses ou politico-religieuses. Elle considère toutes les religions de la même manière. Elle noue le dialogue avant toute sanction.

Comme l'ont écrit MM. Marceau Long et Patrick Weil, tous deux membres de la commission Stasi, « dans notre tradition laïque, l'Etat est protecteur du libre exercice par chacun de sa liberté de conscience, de son expression ou de sa non-expression II se doit d'intervenir quand elle est menacée. Les jeunes filles non voilées et celles qui n'ont pas fait leur choix librement n'ont pas moins que les autres le droit à leur liberté de conscience... ».

Alors oui, cet interdit prévu par votre projet de loi doit être le gage d'une liberté. La liberté d'être un citoyen ou une citoyenne comme les autres, que l'on ne regarde pas en fonction de son appartenance ou de son sexe. La liberté d'être une femme sans tutelle, sans contrainte du regard des autres.

J'entends certains s'émouvoir de cette loi. Nous serions en train d'ouvrir la boîte de Pandore. Nous serions en train de réveiller les intégrismes - étrange retournement. C'est le retour du religieux dans l'espace politique qui provoque les tensions et les affrontements. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Très bien !

M. Jean-Marc Ayrault. Et alors la laïcité n'aurait pas voix au chapitre ? Et les laïques seraient sommés de se taire ?

On nous dit aussi : « la France est isolée » Mais oui, mes chers collègues, la France est isolée. Mais, elle l'est depuis cent ans. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Car nous sommes la seule nation d'Europe à avoir une constitution laïque. Et pourtant ce débat court l'Europe. Il provoque des réactions passionnées dans les chancelleries et les opinions, attestant de la force planétaire du symbole. Car la laïcité est une histoire universelle qui va de Gambetta à Taslima Nasreen, d' Atatürk à Shirin Ebadi. Elle est une lumière pour les femmes prisonnières de l'obscurantisme, elle est un espoir pour les minorités opprimées. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, sur quelques bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur divers bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Dans quelle démocratie serions-nous donc pour avoir peur de défendre l'une de nos valeurs les plus fortes de tolérance, de concorde, de pacification ? Que ceux qui hésitent au premier anathème regardent l'extraordinaire acquis de la séparation des Eglises et de l'Etat.

M. Jacques Myard. Très bien !

M. Jean-Marc Ayrault. Toutes les croyances ou les non-croyances ont droit de cité. Aucune n'écrase l'autre. La France, que l'histoire a pourtant intronisée « fille aînée de l'Eglise » peut ainsi brasser, depuis un siècle, les plus grandes populations musulmanes et juives de toute l'Europe. Chaque année des milliers de couples se forment par-delà les confessions, les origines. Aucune nation au monde n'a réussi une telle mixité culturelle et notamment ceux qui défendent la liberté de porter le voile, mais qui laissent de côté dans les communautés les uns et les autres vivre entre eux et qui ne font pas cette fusion que, nous la France, nous avons été capables de faire et que nous souhaitons continuer à faire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, sur quelques bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur divers bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Oui c'est la question : voulons-nous perdre cet extraordinaire héritage ?

L'antisémitisme, le racisme, la haine de l'islam ne sont pas les fruits vénéneux de trop de laïcité, mais de trop peu de laïcité. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Très bien !

M. Jean-Marc Ayrault. Quand un homme est désigné parce qu'il est juif, musulman ou chrétien, ce n'est pas à cause de la laïcité, c'est parce que nous ne respectons pas les principes de la laïcité, qui interdisent de considérer le citoyen en fonction de son appartenance religieuse.

Oui, je le dis aussi, nul de peut, ne doit s'en inquiéter dans le monde. Car ce n'est pas si lointain, il y a quelques mois, ce sont les mêmes principes qui nous ont placés à l'avant-garde du refus de la guerre des civilisations. C'est leur cohérence qui nous fait considérer chaque culture égale de l'autre. Cela a été notre position, après le 11 septembre et aussi à l'occasion de la guerre en Irak, décrétée par les Etats-Unis, basée sur une réflexion idéologique souvent intégriste, non du côté musulman, mais du côté chrétien, au nom de la guerre des civilisations.

Et nous la France, nous l'avons refusée et nous avions raison. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, sur quelques bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur divers bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Cessons donc de trembler à la première manifestation des intégristes. Ceux-ci existaient avant ce projet de loi. En arrivant au grand jour, ils montrent seulement leur intolérance et leur faiblesse numérique.

Non, mesdames, messieurs les députés, les musulmans français ne sont pas avec eux !

Non les musulmans français ne veulent pas s'isoler dans le voile. Au contraire ! Ce dont ils souffrent, en tant que citoyens, c'est que la République soit infidèle à ses principes, qu'elle tolère trop souvent et depuis trop longtemps la discrimination sociale qui les frappe plus que tous autres. Ce sont les inégalités qui excluent, pas la laïcité. Et de ce point de vue, monsieur le Premier ministre, je vous le dis franchement je crains que votre politique économique, sociale et éducative ne creuse le fossé. Car pour nous socialistes, depuis toujours, la République sociale est le prolongement de la République laïque. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Alors de grâce arrêtons de reculer sur nos principes, en les confondant avec leurs faiblesses d'application. Retrouvons le courage des Républicains du siècle dernier qui ont osé affronter le cléricalisme, pour mieux protéger la liberté de conscience et de croyance. Le désarroi que vit notre Nation s'enracine trop souvent dans le sentiment que ses représentants n'assument pas vraiment et avec suffisamment de force et de conviction les valeurs qui fondent son « vivre ensemble ».

Non ! mesdames et messieurs les députés, mes chers collègues, on ne légifère pas en s'excusant. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Gérard Léonard. On ne s'excuse pas !

M. Jean-Marc Ayrault. Oui nous savons tous - cela a été dit par d'autres collègues - que la dérive communautariste s'étend à d'autres sphères de la vie publique. On exige la récusation d'un magistrat, parce qu'il est juif. On refuse des soins, parce qu'ils sont administrés par un homme. On ne veut pas recevoir une patiente, parce qu'elle porte un voile musulman. On conteste un enseignement, parce qu'il ne correspond pas au livre sacré. Et de concession en concession, la communauté nationale se fragmente en communautés rivales avec pour seule devise : « Chacun chez soi et Dieu pour tous ! ».

Qui veut de cette France là ? Cette France éparpillée, cette France suspicieuse sans mémoire commune, sans projet collectif. Une loi ne fait pas un destin. Elle n'est qu'un symbole, nous disent ses détracteurs.

Eh bien oui, mes chers collègues, je la revendique aussi comme tel.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Très bien !

M. Jean-Marc Ayrault. La raison doit parfois s'appuyer sur un symbole...

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Très bien !

M. Jean-Marc Ayrault. ... pour répondre à la puissance des signes que savent manier si bien les fondamentalismes. Il traduit la volonté de préserver, d'adapter le pacte républicain et d'ouvrir la porte à un nouveau processus d'intégration qui prend en compte aussi l'enracinement de l'islam dans notre pays.

Mais quand on use des symboles en matière législative, il est vrai que la difficulté est de bien choisir ses mots pour qu'ils soient compréhensibles et applicables par tous. Et c'est tout l'objet de nos questions par rapport à votre projet de loi, monsieur le Premier ministre.

Je dois dire que l'idée présidentielle de confier la rédaction du texte à un ministre qui s'y opposait n'a pas grandi la crédibilité de ce dernier (Sourires sur les bancs du groupe socialiste), ce qui n'est pas bien grave, ni celle du projet de loi, ce qui est beaucoup plus inquiétant. La seule circonstance atténuante de M. Ferry est de l'avoir écrit sous la dictée de l'Elysée avec pour consigne expresse de concilier ceux qui croient à la loi et ceux qui n'y croient pas.

M. Jean Glavany. Il fallait le dire !

M. Francis Delattre. Et jusqu'à maintenant, c'était comment ?

M. Jean-Marc Ayrault. Tâche impossible, me direz-vous, qui a conduit à toutes les confusions, sémantiques, juridiques et politiques.

M. Francis Delattre. C'est bien dommage !

M. Jean-Marc Ayrault. Je crains que votre loi, Monsieur le Premier ministre, ne soit pas suffisamment claire par rapport à la jurisprudence - mais sans doute me répondrez-vous, en tout cas je l'espère - qui depuis quinze ans jette la communauté éducative dans l'incertitude. Ce n'est pas moi qui affirme qu'elle n'y changerait rien, c'est Nicolas Sarkozy quand il est allé expliquer votre projet au Conseil français du culte musulman en décembre dernier !

Changer le terme « ostentatoire » en « ostensible » risque de conduire aux mêmes difficultés d'interprétation, de provoquer les mêmes contentieux.

M. Jean Glavany. Eh oui !

M. Gérard Léonard. Mais non !

M. Jean-Marc Ayrault. Qui va devoir décider des signes qui sont ostensibles et de ceux qui ne le sont pas ? Un bandana est-il de même nature que le voile ? A partir de quelle taille tolérera-t-on les croix ? Les sikhs peuvent-ils transiger sur « un filet transparent » ?

M. Pascal Terrasse. Et sur la barbe et les moustaches ?

M. Jean-Marc Ayrault. Et je ne parle pas du système pileux... Comparativement, la querelle théologique sur le sexe des anges apparaîtra bien terne ! M. Ferry a illustré cette impossible interprétation en se livrant à de stupéfiantes exégèses...

M. Pascal Terrasse. Ridicules !

M. Jean-Marc Ayrault. ...sur le port de la barbe ou de la main de Fatma, qui n'ont fait qu'ajouter le risible à la confusion.

M. Jean-Pierre Brard. Chez le syndicat des coiffeurs !

M. Jean-Marc Ayrault. Mais il est encore temps, monsieur le Premier ministre, de clarifier ce point et nous attendons votre réponse avec intérêt.

En effet, consciemment ou inconsciemment, vous avez conforté le sentiment que l'interdiction viserait avant tout les musulmans. Grave contresens ! Là où il fallait éviter toute distinction entre les religions, vous créez une hiérarchie entre les bons et les mauvais signes.

M. Jean Glavany. Très bien !

M. Jean-Marc Ayrault. Là où il fallait l'égalité et la justice, vous accentuez l'exclusion. Là où il fallait la clarté, vous semez le trouble.

M. Pascal Terrasse. Absolument !

M. Jean-Marc Ayrault. Je vous pose la question : comment comprendre le désaveu de notre travail de législateur quand vous ignorez les propositions de la mission parlementaire...

M. Jean Glavany. Unanime !

M. Jean-Marc Ayrault. ...conduite par Jean-Louis Debré, le président de notre assemblée, votées à la quasi-unanimité de ses membres après six mois de travaux ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean Glavany. Quel mépris du Parlement !

M. Jean-Marc Ayrault. Et comment interpréter la danse de Saint-Guy qui a saisi votre gouvernement et sa majorité ? M. de Villepin s'inquiète des retombées de votre projet sur notre diplomatie, Mme Alliot-Marie et M. Darcos réclament une loi claire, M. Juppé défend votre texte après avoir soutenu celui de M. Debré, M. Madelin votera « non », M. Balladur « hésite »... ostensiblement ! (Rires sur les bancs du groupe socialiste.) C'est le grand concert de la discordance ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Oui, mes chers collègues, c'est là un mauvais exemple.

M. Francis Delattre. On verra à la fin !

M. Jean-Marc Ayrault. Quand on légifère sur la République - c'était votre souhait, monsieur le Premier ministre -, on dépasse ses intérêts de boutique, on transcende les clivages partisans, on recherche l'assentiment le plus large.

M. Francis Delattre. On va même jusqu'à vous écouter !

M. Jean-Marc Ayrault. Méditez donc, mesdames et messieurs de l'UMP, la leçon des législateurs de 1905 qui ont travaillé à unir les républicains des deux bords.

M. Jacques-Alain Bénisti. Et vous, la leçon de 2002 !

M. Jean-Marc Ayrault. Tel est le vœu des socialistes. Je l'ai dit et je le répète, nous souhaitons de tout cœur voter une loi de concorde nationale et républicaine. Nous voulons témoigner que la nation est encore capable de transcender ses frontières politiques et de s'unir autour de valeurs partagées. Les amendements que nous proposons à votre projet s'inscrivent dans cet esprit. Repris, je le répète, des propositions de la mission Debré, ils n'ont d'autre souci que d'établir une règle claire, égalitaire et applicable.

Mesdames et messieurs de la majorité, je veux encore croire qu'il n'est pas trop tard et que vous saurez vous hisser à la hauteur de l'Histoire. (Rires sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean Glavany. Essayez, au moins !

M. Jacques Myard. Et vous, ne tombez pas dans ses poubelles !

M. Jean-Marc Ayrault. Affranchissez-vous des œillères et des carcans. Si nous échouons à porter une vision commune, si la loi que nous votons n'offre pas les conditions d'un apaisement, alors craignons de libérer les passions. Une loi qui ne change rien est une loi qui ne sert à rien. Ce serait donc une faute. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Marc Ayrault. Si je parle d'histoire, mes chers collègues, c'est que pour nous, socialistes, cette loi n'est qu'un commencement. Elle est la porte d'entrée pour réussir une tâche inaccomplie :...

M. Francis Delattre. Après quinze ans ! Quinze ans de socialisme !

M. Gérard Léonard. C'est le plus bel hommage que vous pouviez nous rendre !

M. Jean-Marc Ayrault. ...l'émancipation sociale de nos concitoyens issus de l'immigration et la place de l'islam dans la République. En avez-vous, en avons-nous conscience ?

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Qu'ai-je dit ? C'est bien ce que j'ai dit !

M. Jean-Marc Ayrault. Ayons la lucidité de reconnaître que nous avons, dans ces deux domaines, subi un échec collectif.

M. Gérard Léonard. Ah ! Quand même !

M. Francis Delattre. La repentance !

M. Jean-Marc Ayrault. Je vous en prie ! Ce débat est suffisamment important pour que nous puissions nous écouter. J'ai pour ma part été attentif aux propos des autres orateurs et ceux de Jacques Barrot en particulier étaient très intéressants.

Plus que tous autres - notre collègue y a fait allusion -, les enfants de l'immigration vivent une triple discrimination : discrimination sociale avec un chômage qui les touche trois fois plus que leurs compatriotes, et des revenus inférieurs ; discrimination urbaine qui les cantonne majoritairement dans des quartiers ghettos ; discrimination culturelle qui les désigne trop souvent comme des citoyens à part du fait de leur nom ou de leur religion. A l'évidence, nos systèmes publics d'intégration ne répondent plus. Ils ne leur fournissent plus les mêmes chances d'ascension sociale. Comment dès lors s'étonner de voir certains céder au repli identitaire et aux sirènes religieuses ?

M. Jacques Myard. Les intégristes se retrouvent dans les milieux les plus élevés !

M. Jean-Marc Ayrault. Comment croire qu'une loi interdisant les signes religieux à l'école, fût-elle nécessaire, et nous le pensons, suffira à leur faire retrouver les valeurs de la République ? C'est toute notre approche qu'il faut repenser. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Voilà pourquoi je juge parfaitement légitime - il existe aussi chez vous, chers collègues de la majorité - le débat sur la nécessité de mesures positives pour combattre les discriminations.

M. Jean Glavany. Très bien !

M. Jean-Marc Ayrault. Oui, les enfants de l'immigration ont besoin d'une aide spécifique. Oui ils rencontrent plus de handicaps que les autres. Et la société française, j'en suis convaincu, est prête à le comprendre. Encore faut-il s'entendre sur les critères. Prétendre, comme le ministre de l'Intérieur, faire dépendre l'aide de l'Etat aux quartiers dits sensibles de leur volonté de réduire la délinquance est franchement intolérable. C'est faire porter à leurs habitants une responsabilité collective des actes délictueux. C'est leur demander de se substituer au travail de la police et de la justice. C'est les maintenir dans un état de dépendance paternaliste.

De même ne suis-je pas favorable, pas plus que mes collègues du groupe socialiste, aux quotas ethniques qui enferment le citoyen dans son appartenance communautaire. Pour quelques-uns que l'on promeut, que deviennent tous les autres ? On les oublie ? On fait comme s'ils n'existaient pas ? On a bonne conscience, pensant avoir réglé le problème ? Non ! L'intégration ne trouvera vraiment son sens que lorsque l'Etat l'imposera comme sa priorité et l'appliquera dans chacune de ses politiques publiques : plan de destruction des ghettos à cinq ans, mixité urbaine, nouvelles filières de soutien éducatif, incitations puissantes aux entreprises et à l'administration pour embaucher les jeunes des quartiers, service civique pour apprendre la solidarité. Les solutions ne manquent pas.

M. Jacques-Alain Bénisti. Tout ce que vous n'avez pas fait !

M. Jacques Myard. Çà, pour donner des leçons, ils sont forts !

M. Francis Delattre. Après quinze ans, vous n'avez pas à nous donner de leçons !

M. Jean Glavany. Vous non plus !

M. Jean-Marc Ayrault. Je veux dire aussi l'ardente obligation de préserver partout la mixité dans nos espaces publics. Les femmes sont les plus exposées aux discriminations. Je veux à ce propos saluer le combat de nombreuses associations, et particulièrement celui, si courageux, du mouvement « Ni putes ni soumises ». (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) Car elles se battent, toutes ces femmes, pour le droit à une pleine égalité qu'aucune séparation, aucune tutelle ne peuvent altérer. Et ce message s'adresse particulièrement à toutes les religions qui relèguent trop souvent la femme.

Toutes ces ambitions ne pourront pleinement s'épanouir sans regarder en face la question de l'exercice de l'islam dans la République. Rien ne serait pire que de poursuivre cette politique de l'autruche qui, depuis cinquante ans, consiste à ignorer la grande misère dans laquelle les musulmans pratiquent leur culte. J'entends de justes philippiques sur l'islam des caves, vivier de l'intégrisme. J'entends beaucoup de dénonciations sur les prêches d'imams venus de l'étranger et peu respectueux de nos principes laïques.

M. Jacques-Alain Bénisti. Et vous laissez faire !

M. Jean-Marc Ayrault. Mais combien de municipalités délivrent des permis de construire pour les mosquées ?

M. Jean Glavany. Très juste !

M. Jean-Marc Ayrault. Lesquelles acceptent des carrés musulmans dans leurs cimetières ?

M. Jacques Myard. C'est contraire à la loi !

M. Jean-Marc Ayrault. Qui se penche sur la formation d'imams français ? Comme le dit si bien l'écrivain Tahar Ben Jelloun, « la France peut être la chance de prouver que l'islam est compatible avec la démocratie et la laïcité ». (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

A force d'immobilisme, on offre des arguments à tous les bons apôtres qui veulent réformer les lois de 1905. La tentation effleure déjà le ministre de l'intérieur. Mais ce serait le plus mauvais service à rendre à l'islam et à la République.

Vous êtes nombreux à le dire et à le penser : les lois de 1905 ont apporté la paix religieuse. Elles ont forgé des règles claires et souples, comme en atteste l'existence d'aumôneries dans les lycées ou la création du conseil français du culte musulman. Nous pouvons encore les améliorer en encourageant, par exemple, le double enseignement de la laïcité et de l'histoire des religions à l'école, ou en fondant une charte de la laïcité. Mais vouloir réformer les lois de 1905, c'est rompre l'équilibre de notre pacte républicain ; c'est ouvrir la voie aux dérives du modèle communautariste dont l'écrasante majorité du peuple français ne veut pas.

Mesdames et messieurs, chers collègues, tels sont, à mes yeux, les enjeux de notre débat. Ils touchent aux fondements de notre identité républicaine. C'est à cette hauteur-là que le groupe socialiste se déterminera, monsieur le Premier ministre. Sans considération tactique, sans arrière-pensée électorale. (Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Seule comptera pour nous la qualité de la loi, sa capacité à mettre fin à un conflit dans une société qui a profondément changé depuis quinze ans et à établir les fondations d'une nouvelle intégration. Il ne tient qu'à vous et à votre gouvernement, monsieur le Premier ministre, de saisir la main tendue.

En cette affaire si importante, qui touche de si près à l'intérêt des enfants, je ne saurais trop vous rappeler un extrait de la célèbre circulaire qu'avait adressée Jules Ferry aux enseignants, le 17 novembre 1883 :...

M. Jean Glavany. L'autre Ferry, le vrai, le grand !

M. Jean-Marc Ayrault. « Ce que vous allez communiquer à l'enfant, ce n'est pas votre sagesse, c'est la sagesse du genre humain, c'est une de ces idées d'ordre universel que plusieurs siècles de civilisation ont fait entrer dans le patrimoine de l'humanité. Si étroit que vous semble peut-être un cercle d'action ainsi tracé, faites-vous un devoir d'honneur de n'en jamais sortir, restez en deçà de cette limite plutôt que de vous exposer à la franchir ; vous ne toucherez jamais avec trop de scrupules à cette chose délicate et sacrée qu'est la conscience de l'enfant. »

Puisse cette sagesse-là, Monsieur le Premier ministre, inspirer votre loi et les réponses que vous nous apporterez. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains. - Mmes et MM. les députés du groupe socialiste se lèvent et applaudissent longuement.)

M. le président. La parole est à M. François Bayrou, pour le groupe UDF.

M. François Bayrou. Il est dommage, monsieur le président Ayrault, que vous ayez conclu cet intéressant exposé en prenant soin de ne citer la circulaire de Jules Ferry qu'à partir du point qui vous convenait... Car les phrases précédentes sur l'enseignement moral sont très intéressantes :

« Au moment de proposer aux élèves un précepte, une maxime quelconque, demandez-vous s'il se trouve à votre connaissance un seul honnête homme qui puisse être froissé de ce que vous allez dire. Demandez-vous si un père de famille,... vous écoutant, pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce qu'il vous entendrait dire. Si oui, abstenez-vous de le dire ; sinon, parlez hardiment : car ce que vous allez communiquer à l'enfant, ce n'est pas votre propre sagesse ; c'est la sagesse du genre humain... » Et c'est là que vous avez commencé votre citation. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

Alain Madelin l'a rappelé l'autre jour, la circulaire de Jules Ferry définissait la laïcité des enseignants, pas celle des élèves, en leur imposant de la respecter au sein de leur classe. Jamais, il n'a été question d'influencer les élèves et de les faire opter pour la laïcité. Mais, c'est un débat intéressant et juste que nous pouvons avoir.

M. Jean Glavany. Ce n'est pas le propos.

M. François Bayrou. Je voulais seulement indiquer qu'entre Jules Ferry et nous...

M. Jean-Pierre Brard. Il y a eu 1905 ! Mais c'est un détail !...

M. François Bayrou. ...quelque chose a changé et que c'est précisément à cela que nous nous intéressons.

Monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, vous avez appelé le Parlement à voter une loi sur le port de signes religieux à l'école. A notre avis, il n'y a pas matière à loi car ce ne sont pas les signes religieux en tant que tels qui doivent être mis en question.

Bien sûr, il y a un problème, qui touche à l'équilibre même de notre société et à l'autorité dans l'école. C'est une grande question pour notre temps.

Oui, il faut cerner cette question. Oui, il faut des réponses efficaces, mais votre projet de loi n'est pas la bonne réponse. La loi ne changera rien à la situation actuelle. En revanche, nous entrevoyons les risques et nous les considérons comme importants. Mais nous savons aussi à quel point cette question est difficile. Aussi, le droit à la réflexion comme le droit à l'hésitation doivent être respectés, et imposent que chacun ait le souci de la nuance. J'essaierai donc, au cours de mon intervention, de m'exprimer avec nuance.

Pourquoi le voile pose-t-il question ? Essayons de sortir des discours embarrassés. Convenons que la France a, depuis des années, un problème avec le voile, avec le foulard que portent certaines jeunes filles ou jeunes femmes musulmanes.

Ce n'est pas un problème religieux car il ne touche pas à la conviction religieuse, mais à la condition de la femme, à son statut.

M. Jean Dionis du Séjour. Et de l'enfant.

M. François Bayrou. Autrement dit, la France et la République française ont un problème avec ce que le voile traduit de la condition de la femme, à savoir l'inégalité de la femme et de l'homme. La place de la femme serait à la maison. En dehors, elle doit se dérober au regard masculin. Un homme découvert est respectable, mais une femme découverte ne l'est pas.

Le voile signifie qu'une femme n'est pas respectable en elle-même. Elle le devient à condition d'adopter une attitude de soumission et de réserve qui sied à son sexe. Autrement dit, l'homme n'est pas responsable de lui-même, de sa maîtrise, et par conséquent, la femme n'est pas respectable en elle-même. Cette conception du voile, les jeunes filles et les jeunes femmes du collectif « Ni putes, ni soumises » en ont montré toute la violence. Par le choix de ce nom, elles ont montré que dans la cité, une jeune fille n'a le choix qu'entre deux attitudes : soit, elle est une fille légère, qui, par son attitude provocante signifie qu'elle est vouée à la consommation brutale, qu'elle y est prête ; soit, elle est soumise et sera enfermée à la maison, prêtresse des vertus domestiques, vénérant la masculinité de celui qui peut, lui, vaquer à son aise et jeter son dévolu sur qui passe à sa portée.

Or une telle conception est inacceptable pour la France, pour la République et pour notre civilisation. Car notre société, notre culture et notre République se sont construites sur des fondements radicalement différents. Les grandes étapes de la féminité respectée remontent au Moyen Age, temps de l'amour courtois et des troubadours.

Alain Finkielkraut a une expression que je trouve très belle : « L'Occident est la civilisation de l'homme par la femme ».

M. Jean Glavany. Contre les Eglises.

M. François Bayrou. Pour nous, notre pays, notre civilisation, la femme n'est pas respectable en fonction de tel ou tel signe, de tel ou tel vêtement, de telle ou telle attitude. Elle est respectable en elle-même, dans l'absolu et cela ne supporte pas la discussion. C'est pourquoi nous pensons que c'est aux droits de la femme que commencent les droits de l'homme.

La contestation radicale du statut de la femme, c'est la contestation radicale des piliers sur lesquels sont construites notre société et notre civilisation. Cette opposition entre les deux visions est brutale et difficile à opérer, car il y a, et M. Ayrault l'a rappelé à juste titre rappelé, l'intégration ratée, le chômage à toutes les portes, les garçons qui se sentent atteints dans leur dignité parce qu'ils ne trouvent pas de travail, - on compte en effet plus de 70 % de chômage chez les jeunes des cités. Ils sont là à « zoner », à tenir les murs, comme ils disent, pourtant ils doivent, malgré tout, se reconstruire une fierté masculine. Quand tout se dérobe, quand on est rejeté par son nom, son faciès, il ne reste que la maison où la femme veille.

C'est sur cette grande misère sociale, culturelle, sexuelle que vient se greffer le retour de l'identité, de l'identité la plus fondamentaliste.

Face à cela, il y a l'immense demande des enseignants, et notamment des enseignantes, qui se voient renvoyer une image de la femme qui blesse ce qui constitue leur engagement et leur enseignement. Il y a la demande des responsables des établissements qui se sentent abandonnés. Ils se trouvent, en effet, en première ligne lorsqu'un conflit intervient et ils sont soumis à toutes sortes de tensions. Il y a la demande des femmes et des jeunes filles musulmanes, celles qui veulent résister à la pression qui voudrait leur imposer le port du voile. Il y a une demande générale d'autorité pour défendre les cadres de notre vie en commun. C'est pour cela que les gouvernements successifs ont publié plusieurs textes sur le sujet, qui répondaient à ces interrogations et à ces attentes.

M. Jacques Desallangre. Cela n'a pas suffi.

M. François Bayrou. Alors, on pouvait imaginer de reprendre la question en profondeur, comme le préconisait la commission présidée par Bernard Stasi, et de présenter à cette tribune une grande loi d'intégration, une loi édictant les principes sur lesquels la France ne cède pas et l'attention nouvelle qu'elle porte à ceux des siens qui viennent d'ailleurs.

Cette tâche aurait été difficile, mais sage. Vous n'avez pas fait ce choix et vous avez préféré présenter un texte de deux lignes qui ne parle pas d'intégration, et qui ne changera rien !

Je voudrais rappeler à ceux qui ne l'ont pas lu ce que René Rémond, membre de la commission Stasi, a déclaré dans Le Monde daté du 3 février : « Le débat s'est rétréci au point que l'on a oublié ce sur quoi la commission était parvenue à un accord : une loi de portée générale rappelant les principes de la laïcité, non pas seulement par des interdits, mais en termes positifs, un texte solennel sur la nécessité du respect de la loi commune à tous les âges de la vie, mais un texte préservant la liberté des personnes. »

Si le texte est voté en l'état, ajoute M. Rémond, « je ne le reconnaîtrai pas comme le fruit de nos travaux. « 

« La réponse politique actuelle a un caractère absurde et dérisoire » poursuit-il. « Elle entretient nos compatriotes dans l'illusion qu'il suffirait de voter deux articles de loi pour régler le problème de l'intégration. » En réalité, « le voile est un leurre qui dissimule l'enjeu central : la capacité de la France à intégrer des populations nouvelles et l'acceptation de la loi commune par ces nouveaux Français. « ...

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Il n'y a que l'école pour cela !

M. François Bayrou. « On se crispe sur un problème ulraminoritaire, alors que le vrai défi est celui de l'intégration sociale et professionnelle. » Tels sont les propos de René Rémond.

Vous offrez un magnifique cadeau aux intégristes,...

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Au contraire.

M. François Bayrou. ...en faisant croire que cette question est un problème religieux et en accréditant ainsi auprès d'une grande majorité des musulmans de France l'idée qu'ils sont rejetés. Vous faites le jeu de l'extrême droite en lui servant sur un plateau ce cadeau, elle qui ne rêve que de stigmatiser l'immigration pour faire flamber la fièvre électorale.

En agissant ainsi, vous nuisez à l'esprit de laïcité, car la laïcité n'est pas l'ennemie de la conviction religieuse. La laïcité, c'est la prise en compte de tout l'homme et de tous les hommes.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. D'accord.

M. François Bayrou. Or, pour beaucoup, le spirituel est le plus précieux de leur être. Comme pour d'autres, la raison, l'esprit de libre examen, le devoir critique, c'est le plus précieux de leur être. Pour d'autres enfin, les deux attentes se conjuguent et se rencontrent dans un humanisme intégral.

C'est pourquoi plusieurs ministres de l'éducation successifs ont souhaité que l'école qui prend en charge l'histoire des peuples et des idées, transmette aussi l'histoire des religions. La laïcité est simplement le refus qu'un dogme puisse s'imposer dans la sphère publique et s'opposer aux grands principes qui fondent notre contrat social.

M. Jean Glavany. Pas seulement.

M. François Bayrou. C'est en cela que la laïcité est une charte pour le vivre ensemble.

Je crains le gâchis. D'abord, dans la société française. Qui peut prétendre qu'au long des dernières semaines, quelque chose a progressé dans l'affirmation de nos valeurs ? Qui peut dire qu'une compréhension nouvelle a vu le jour ? Qui peut dire qu'on y voit plus clair ? Au contraire, il y a des tensions, des manifestations que beaucoup d'entre nous interprètent comme étant un mauvais signe.

M. Jean Glavany. Cela ne doit pas nous faire peur.

M. François Bayrou. C'est aussi un gâchis sur le plan international. Le ministre des affaires étrangères l'a dit dans un séminaire gouvernemental et ses propos ont été rapportés. C'est vrai qu'un peu partout dans le monde, ce projet est incompris et perçu comme une régression : dans le monde arabe et le monde musulman. C'est vrai également dans le monde anglo-saxon.

M. Jean-Pierre Brard. C'est plutôt rassurant alors !

M. Jean Glavany. Ils prêtent serment sur la Bible !

M. François Bayrou. C'est vrai en Europe, dans les démocraties marquées par l'héritage réformé. C'est vrai de bien de religions, de leurs responsables jusqu'au pape qui s'en est ému.

Mme Sylvia Bassot. Non, pas lui !

M. Jacques Desallangre. Le pape est faillible !

M. Jean-Pierre Brard. Il va vous excommunier ! (Sourires.)

M. le président. Ne parlez pas de ce que vous ne connaissez pas, monsieur Brard ! (Rires sur tous les bancs.)

M. François Bayrou. Toutes ces tensions, toutes ces incompréhensions pour en arriver à peu près exactement au point où nous en sommes aujourd'hui, avant la loi !

Jean-Louis Debré, notre président, et un certain nombre de nos collègues, dans l'exposé sommaire de leur amendement, ont raison d'affirmer que la formulation retenue ne changera rien à l'état actuel du droit.

M. Jean Glavany. Très bien !

M. François Bayrou. La tradition juridique française sur ce sujet est invariable depuis 1905 : il ne peut y avoir en ces domaines d'interdiction générale et absolue.

Sur cent trente-neuf arrêtés municipaux interdisant les processions religieuses, pris entre 1905 et 1936, cent trente-six ont été annulés. Le droit français dit que « toute interdiction doit être justifiée en raison d'un trouble particulier porté à l'ordre public ». C'est donc affaire de circonstances, de temps et de lieu. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.) Chacun des décisions est prise sous le contrôle de la justice administrative.

C'est même pour cela qu'après les deux circulaires de 1989 et 1994, un certain nombre de décisions ont été contestées, donnant aux acteurs de terrain un sentiment d'incertitude. Eh bien, ce sentiment d'incertitude sera exactement le même après l'adoption de la loi qu'avant son adoption. A moins qu'un sémanticien génial ne vienne nous expliquer la différence de nature qu'il y aurait entre « signes ostentatoires » et « signes portés ostensiblement ». Il faut être habile dans le maniement du scalpel. Mais, à plusieurs reprises, j'ai entendu défendre à cette tribune la différence qu'il y aurait entre « ostensible » et « ostentatoire ».

M. Jean Glavany. Ce sémanticien existe, il est à l'Élysée !

M. François Bayrou. Sans doute, mais je veux rappeler à l'Assemblée que ce ne sont pas les mots qui ont été choisis. La différence de nature qu'il faut réussir à démontrer réside entre « signes ostentatoires » et « signes portés ostensiblement ».

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Dans les deux cas, c'est interdit. Donc, le problème ne se pose pas.

M. François Bayrou. Si quelqu'un est capable de me dire comment on peut faire une nuance entre l'un et l'autre, je serai ravi de lui décerner un brevet de sémantique. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

Les deux adjectifs et les adverbes composés sur ces deux adjectifs - je regrette que M. le ministre délégué à l'enseignement scolaire soit sorti quelques instants - viennent tous deux du même verbe latin ostendere, qui signifie « montrer » et « faire voir ». A telle enseigne que la dernière édition du « Trésor de la langue française », dictionnaire de la langue française en seize volumes publié par le CNRS et que je vous invite à consulter, indique pour une acception de l'adjectif ostensible : « synonyme d'ostentatoire ». (Rires et applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Nous sommes d'accord !

M. François Bayrou. Rien, donc, ne sera changé, rien ne sera facilité. Il faudra toujours le jugement d'une autorité, sous le contrôle du juge administratif, avec le contentieux qui s'y rattache, pour juger si tel signe est inacceptable. La loi ne sera en rien plus applicable que les circulaires précédentes.

Bien entendu, il n'en serait pas de même si l'adjectif « visible » remplaçait dans le texte l'adjectif « ostensible », comme nous le proposent un certain nombre de nos collègues autour du président de l'Assemblée. La loi serait claire. Elle ne serait pas susceptible d'interprétation. Mais elle ne serait pas conforme à la Constitution parce qu'elle ne respecterait pas les droits de l'homme. (Protestations sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. Jean Glavany. C'est faux !

M. François Bayrou. Je vais essayer de vous le montrer.

Ces droits que l'on respecte dans toutes les démocraties de la planète - c'est même à cela que l'on reconnaît les démocraties -, ces droits que nous reconnaissons comme supérieurs à toute loi, naturels, inaliénables et sacrés, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen les a codifiés avec une simplicité admirable, en 1789. Cette Déclaration, faut-il le rappeler, forme le socle constitutionnel de la République française.

Que dit sur ce sujet la Déclaration des droits ? « Article X - Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi. »

Certains pourraient dire - on n'y a pas manqué - que la loi peut établir l'ordre public selon l'appréciation du législateur. Eh bien, non, si l'on considère, comme les rédacteurs de la Déclaration, qu'il y a un droit au-dessus de la loi. C'est ce que dit l'article V, qui définit la limite de la loi : « La loi n'a le droit de défendre - c'était le mot du temps pour « interdire » - que les actions nuisibles à la société. » A moins d'établir que le port d'un signe religieux est nuisible à la société, nul n'a le droit, pas plus cette assemblée qu'aucune autre autorité, d'interdire ce port.

Donc, si l'objectif « visible » était retenu, bien entendu, nous voterions contre, mais nous ne doutons pas qu'il se trouverait dans cette assemblée assez de consciences libérales, sur quelques bancs qu'elles siègent, pour déférer ce texte au Conseil constitutionnel, qui le censurerait.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Là, il a raison !

M. François Bayrou. C'est dans cette même logique, porté par ce même raisonnement, que le groupe UDF votera l'amendement déposé par M. Balladur.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Là, il a tort !

M. François Bayrou. Ce qui peut et doit entraîner la sanction, c'est la mise en cause de l'ordre public dans les établissements. Bien entendu, ce n'est pas une novation juridique mais c'est simplement un réalignement du texte de la loi. Car tous les instruments juridiques existent déjà pour obtenir une sanction, même la plus sévère, lorsqu'un trouble intervient.

Quand M. Jacques Barrot dit que des élèves refusent certaines parties du programme ou bien que des élèves refusent d'assister à certains cours, ce sont d'ores et déjà des motifs évidents de sanctions. Le Conseil d'État a validé ce motif dans chacune de ses décisions. Donc, rien n'est changé sur ce sujet. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

Lorsqu'un trouble intervient, tous les instruments existent pour obtenir une sanction, même la plus sévère.

Je veux rappeler qu'en 1994, la circulaire signée sous l'autorité de M. Balladur avait divisé le nombre des voiles par plus de dix en quelques semaines, avec moins de dix exclusions.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. C'était il y a dix ans !

M. François Bayrou. Je rappelle qu'ayant nommé Mme Hanifa Cherifi à la tête des médiatrices de l'éducation nationale, nous avions fait un travail remarquable. Je rappelle qu'à cette époque, et le ministre délégué doit avoir quelques raisons de s'en souvenir, nous connaissions, au jour le jour et tous les soirs, à l'unité près, le nombre de voiles présents dans les collèges et les lycées.

Il est vrai que la jurisprudence du Conseil d'État n'a pas rendu la suite des choses très simple. C'est en raison de cette jurisprudence que les difficultés sont survenues.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Voilà exactement pourquoi une loi est nécessaire, et c'est là que la démonstration prend l'eau !

M. François Bayrou. C'est en raison de cette jurisprudence que les responsables du terrain se sont sentis sur des sables mouvants. Je viens de montrer que rien ne serait changé par le texte que vous proposez à l'Assemblée nationale.

Il existait un chemin bien simple pour changer les sables mouvants en sol plus ferme, c'était de décharger de cette procédure les proviseurs et les conseils de discipline, de la confier aux recteurs, entourés des médiations et des conseils juridiques nécessaires...

M. Jean-Pierre Brard. On a vu les résultats !

M. François Bayrou. ...pour que les décisions soient inattaquables, dès lors qu'elles seraient justes et mesurées et qu'elles auraient été précédées du dialogue nécessaire.

Nous n'aurions pas eu ce débat confus, nous n'aurions pas donné le sentiment que la laïcité était redevenue hostile au fait religieux. Nous n'aurions pas donné à la communauté des musulmans qui vivent en France l'inquiétude d'être rejetés. Nous n'aurions pas donné à de nombreux croyants un sentiment d'incompréhension et au monde, l'impression que la France pouvait mettre en question le premier des droits de l'homme.

Mme Sylvia Bassot. Qui peut penser cela ?

M. François Bayrou. Nous savons bien qu'il est trop tard pour changer la stratégie qui a conduit à cette loi. Nous savons bien que de nombreux Français de bonne foi croient que la loi est un pas décisif et qu'elle va régler le problème. Mais nous voulons ici défendre, au moins en principe, une autre vision.

S'il s'agissait d'autorité, une circulaire suffisait. S'il s'agit d'intégration et de laïcité, la loi est insuffisante. Voilà pourquoi le groupe UDF, où la liberté de vote est la règle, ne pourra pas voter en l'état le projet présenté au Parlement. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. le Premier ministre. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, à ce point du débat, je voudrais remercier les différents orateurs pour le niveau et la qualité du débat. Je suis profondément heureux de constater que sur l'ensemble des bancs, la valeur de la laïcité apparaît comme un élément structurant fondamental de notre République moderne.

Quelles que soient les divergences de pensée qui peuvent être les nôtres, il est très important que nous nous rassemblions aujourd'hui pour indiquer qu'il est temps de parler de la laïcité dans la République, pour préciser un certain nombre de convictions qui font vivre la République aujourd'hui et pour dire à ceux qui veulent ronger de l'intérieur les valeurs de la République qu'à un moment, celle-ci doit prendre la parole pour affirmer ses propres convictions.

M. Édouard Landrain. Très bien !

M. le Premier ministre. C'est un élément majeur. Je vous en remercie les uns et les autres.

Je voudrais souligner l'importance du travail des commissions. Je remercie le président et rapporteur de la commission des lois du travail réalisé. En effet, M. Clément a, comme M. Dubernard, président et rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, montré combien ce texte est attendu et nécessaire. Il est attendu, cela a été dit par plusieurs orateurs. Le désarroi des chefs d'établissement et des enseignants a été rappelé à juste titre. Il est attendu par l'éducation nationale qui souhaite que l'on s'engage et qu'on ne se dérobe pas. Il est nécessaire parce que, contrairement à ce que je viens d'entendre, nous apportons des modifications importantes. Attendu et nécessaire me paraissent être les qualificatifs à appliquer à ce texte.

Je voudrais saluer le tour du monde de la laïcité qui nous a été offert, dans un discours brillant, par M. le président Dubernard.

Madame Buffet, j'ai été très heureux de constater également l'attachement du groupe communiste à la valeur de la laïcité et à la lutte contre les ghettos. Vous dites que l'intégrisme est insupportable. Je pourrais être d'accord sur beaucoup de vos propos. Je comprends que votre groupe tire des conclusions différentes de votre engagement sur la laïcité. Je garde le meilleur, c'est-à-dire la volonté d'affirmer cette valeur dans la République.

Monsieur Barrot, je voudrais saluer l'important message d'espoir que vous avez lancé, notamment par un rappel utile de la Résistance pour montrer que les clivages religieux, le communautarisme ne sont pas adaptés à l'histoire de la France. Nous avons su, les Français ont su construire la République en dépassant les clivages religieux et communautaires. Dans les grandes étapes de leur histoire, les Français se sont rassemblés, non pas autour de l'idée de communauté mais autour de l'idée de nation. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Je voudrais saluer cette France au visage fraternel dont parlait le président Barrot.

Je dirai à François Bayrou que j'ai bien entendu son attente d'une grande loi. Je le comprends. Mais il sait bien, pour avoir exercé des responsabilités, que très souvent, les textes trop longs font penser à l'albatros de Baudelaire et leurs ailes les empêchent d'être présentés au Parlement. On aurait pu, sur un sujet si compliqué, ne pas être au rendez-vous fixé par le Président de la République et par l'éducation nationale à la rentrée 2004.

Vous le savez, dans l'éducation nationale, la rentrée a lieu au mois de septembre. Il faut être prêt pour cette échéance. Nous n'avions pas le temps de préparer l'ensemble des textes nécessaires. Mais je le dis clairement, nous sommes engagés dans la démarche qui consiste à prendre les textes l'un après l'autre afin d'englober l'ensemble des propositions. Que M. René Rémond se rassure : nous n'avons naturellement pas l'intention de limiter notre politique de l'intégration aux articles qui vous sont proposés aujourd'hui.

M. François Goulard. C'est évident !

M. le Premier ministre. D'où vient cette idée ? Nous avons une politique de l'intégration. Comme M. Ayrault le disait, nous devons partager, dans l'histoire récente de la France, un certain nombre d'échecs. Chacun se souvient de ce match France-Algérie qui a blessé le cœur de la France. Nous nous souvenons de ces étapes, révélatrices d'un échec d'intégration. Nous l'avons tous ressenti. Nous devons construire l'intégration. Nous devons faire en sorte que les Français d'origine immigrée se sentent français à part entière. En France, il n'y a pas plusieurs catégories de Français. Nous bâtissons donc une politique d'intégration économique, sociale, culturelle et, bien entendu, scolaire. Cette politique est difficile. Il faut la mener. Je comprends qu'il y ait des difficultés mais nous sommes conscients que la République ne sera partagée que quand une politique forte d'intégration pourra être développée dans notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Je voudrais dire combien j'ai été d'accord avec la première partie du discours du président Ayrault -ce qui ne signifie pas forcément que je sois en désaccord avec la seconde. Il est important de rappeler, en effet, la nécessité de dépasser les enfermements multiples que le monde moderne cherche à imposer à la personne. Le rôle de l'action publique est d'ouvrir en permanence des portes pour libérer la personne et permettre au citoyen de se construire lui-même.

Nous devons placer aujourd'hui la laïcité au sein d'une démarche d'apaisement de la cohésion nationale. Ces débats doivent nous permettre de nous rapprocher, de mieux comprendre ce que veut dire vivre ensemble, et nous le faisons tous dans une démarche d'apaisement. Il ne faut pas légiférer à reculons ; il faut être clair sur ce point. Il faut légiférer parce que nous avons besoin de le faire, et nous n'avons pas à nous excuser, comme cela a été dit tout à l'heure. Nous le faisons par conviction, au nom de la République.

M. René Couanau. Et après débat !

M. le Premier ministre. Je le dis à nouveau en pensant notamment aux plus modérés, à tous ceux qui peuvent compter sur la République pour les défendre et qui n'ont intérêt ni à son silence, ni à ses faiblesses. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Je dirai clairement au président Ayrault qu'il n'y a pas pour moi d'opposition idéologique entre manifestation ostensible et signe visible. Ce qui nous a guidé, c'est uniquement une analyse juridique. Je comprends que les deux approches soient possibles. Ce que nous voulons, c'est essayer de sortir des ambiguïtés de la jurisprudence qui, depuis 1989, posent de nombreux problèmes. Depuis la fin de la mission d'information parlementaire qui avait su se rassembler autour de ce sujet et avait donné de la force à cette approche, nous avons beaucoup consulté. Quand on écoute les uns et les autres, il me semble que les risques de contentieux sont moins nombreux avec la manifestation ostensible qu'avec le signe visible.

Laissons de côté le débat constitutionnel et le débat européen, qui sont affaires de spécialistes. On a vu les uns et les autres prendre position. Restons-en à l'interprétation qui peut être faite à la lumière de nos règles nationales. Le signe visible est interprété par l'autorité. La manifestation ostensible fait référence à une démarche de l'acteur, de la personne.

M. François Goulard. C'est vrai !

M. le Premier ministre. Cette démarche de la personne permet une appréciation plus précise, alors que l'autorité définit ce qui est visible et ce qui ne l'est pas.

Quand on parle de signe visible, on peut penser que la personne est passive...

M. François Goulard. Tout à fait !

M. le Premier ministre....alors que quand on parle de manifestation ostensible, on peut penser qu'elle est active. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Sylvia Bassot. C'est vrai !

M. le Premier ministre. Je reconnais volontiers qu'il est difficile d'apprécier le niveau du contentieux sur des sujets de cette nature. Mais rien ne nous empêchera de pouvoir évoluer si nous le voulons...

Plusieurs députés du groupe socialiste. Très bien !

M. le Premier ministre. ...quand nous verrons comment le texte voté sera perçu. Notre objectif aujourd'hui est de dire clairement que la République a besoin de la valeur de la laïcité dans le pacte républicain.

Monsieur François Bayrou, je ne vous approuve pas quand vous dites que le Front national et l'extrême droite profitent de cette position. L'extrême droite en profite quand la République se tait, quand elle cache ses valeurs, quand elle n'affirme pas ses convictions. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe socialiste.) A chaque fois que la République a affirmé ses convictions, l'extrémisme a reculé.

Nous sommes sur un sujet fondamental. Je ne crois pas que ce soit en cachant les valeurs de la République derrière des discours fades que nous pourrons faire reculer le Front national et l'extrémisme. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

La République nous rassemble. C'est le moyen, je crois, de montrer que, dans ce débat il peut y avoir une concorde nationale des Républicains face aux extrémistes. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

5

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SEANCE

M. le président. Ce soir, à vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de la discussion du projet de loi, n° 1378, relatif à l'application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics :

M. Pascal Clément, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport n° 1381),

M. Jean-Michel Dubernard, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (n° 1382).

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures trente-cinq.)

      Le Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

      jean pinchot