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Première séance du jeudi 5 février 2004

152e séance de la session ordinaire 2003-2004



PRÉSIDENCE DE M. ERIC RAOULT,

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

APPLICATION DU PRINCIPE DE LAÏCITÉ DANS LES ÉCOLES, COLLÈGES ET LYCÉES PUBLICS

Suite de la discussion d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi relatif à l'application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics (n°s 1378, 1381).

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Patrick Roy.

M. Patrick Roy. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué à l'enseignement scolaire, mes chers collègues, la semaine dernière, alors que le projet dont nous débattons aujourd'hui, projet du Gouvernement, donc du Président de la République, projet de loi qui agitait déjà ostensiblement, voire visiblement, la classe politique, et le pays à travers elle, j'étais aux côtés des salariés d'une entreprise de ma circonscription, l'entreprise Jackstaedt sur la zone industrielle de Prouvy-Rouvignies. Eh bien sachez, monsieur le ministre, que ces salariés, soit près de 200 personnes, ne m'ont à aucun moment parlé de ce projet de loi, pas même en aparté. Non, ces 200 salariés ne m'ont parlé que d'un seul sujet : la disparition de leur entreprise, annoncée quelques semaines après le passage « symphonique » du Président de la République dans le Valenciennois. Ces 200 salariés ne m'ont parlé que de l'assassinat de leur entreprise, alors qu'elle est bénéficiaire, un crime décidé au nom du « toujours plus » de profits pour les actionnaires et propriétaires. Ces 200 salariés, menant leur lutte syndicale dans le froid hivernal, devant les portes de l'entreprise qu'ils avaient décidé de bloquer jour et nuit, ne m'ont parlé que de leur angoisse face à l'avenir, face au chômage, face aux coupes claires qu'effectue régulièrement ce gouvernement dans les acquis sociaux, leur angoisse devant l'incroyable insécurité sociale qui se développe aujourd'hui dans ce pays.

Ce sera mon premier constat, monsieur le ministre : ce débat provoqué est d'abord là pour parler d'autre chose ; le débat autour de ce projet de loi, est d'abord là pour masquer les résultats catastrophiques de la politique sociale et économique du Gouvernement. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Pascal Clément, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, rapporteur. Bravo. Ça commence bien !

M. Patrick Roy. C'est un bon début en effet !

M. Xavier Bertrand. Où est le sujet ?

M. Patrick Roy. Le sujet, c'est que, pendant qu'on est engagé dans ce débat, un beau débat, certes, on ne parle pas des problèmes essentiels des Français.

M. Xavier Bertrand. C'est vous qui ne parlez pas de l'essentiel !

M. Patrick Roy. Deuxième constat - et chacun ici le sait fort bien -, ce projet de loi, tel qu'il est formulé aujourd'hui, ne résout rien, donc ne sert à rien : ce texte flou, ambigu, ne permet aucune avancée. Pour être applicable en effet une loi doit être claire. Une loi qui n'est pas claire n'est pas une loi équitable ; une loi qui n'est pas claire n'est pas une loi utile. Une loi qui n'est pas claire n'est pas républicaine.

Face aux extrêmes, la République ne doit pas reculer et ne doit pas rougir de défendre la laïcité. Dans ce domaine, vous le savez bien, le compromis ouvre la porte à l'intolérance. La loi que nous voterons ne doit pas aboutir à terme à la victoire des extrêmes. La loi que nous voterons ne doit pas s'opposer aux croyances et aux consciences. La loi que nous voterons ne doit avoir qu'un seul objectif : protéger l'école, qui doit rester un lieu de neutralité accepté par tous, cœur de notre pacte républicain.

J'avoue ne pas bien comprendre, sur un sujet qui devrait rassembler la République, et surtout après tant de mois de débats, souvent fructueux, marqués par des échanges riches, qu'on nous propose aujourd'hui un texte aussi tiède, aussi fade et, je l'ai déjà dit, aussi inutile. C'est un peu comme si, après avoir travaillé six mois auprès des grands chefs de l'art culinaire français, on ne proposait qu'un menu insipide digne d'un mauvais fast-food.

M. Jean-Claude Guibal. Image puissante !

M. Patrick Roy. Oui, monsieur le ministre, chers collègues, c'est bien là l'enjeu essentiel, autant que simple : les termes retenus sont flous et autoriseront le développement des conflits dans notre école. Les chefs d'établissement que j'ai rencontrés ces dernières semaines m'ont tous confirmé leur déception et leur trouble face au vocabulaire choisi. La laïcité ne doit pas être subjective, elle doit être forte et claire. Vouloir interdire demain les signes religieux « ostensibles », c'est imposer la confusion ; c'est placer nos enseignants, nos chefs d'établissement dans des situations impossibles.

Faudra-t-il une règle pour mesurer la taille tolérable d'une croix ? Faudra-t-il calculer la surface du foulard ? Faudra-t-il, monsieur le ministre, que je me rase, même partiellement, la barbe ?

M. Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire. Ce serait dommage ! (Sourires.)

M. Patrick Roy. Plus sérieusement, je souhaite bien du plaisir aux équipes enseignantes qui devront distinguer les signes ostensibles de ceux qui ne le sont pas. J'ai entendu les arguments de celles et de ceux qui préconisent cet adjectif subjectif d'« ostensible ». Je veux ici les interpeller : l'art est subjectif ; chacun a sa définition de la bonne et de la mauvaise musique, de la bonne et de la mauvaise peinture, de la bonne et de la mauvaise littérature. Mais il ne peut pas y avoir de bonne ou de mauvaise laïcité. La laïcité n'est pas subjective, elle est républicaine !

Il faut donc à l'évidence remplacer « ostensible » par un terme qui ne prêtera ni à la confusion, ni au conflit. Il faut à l'évidence remplacer cet adjectif par l'adjectif « visible », d'abord parce que cela évitera de semer le trouble et la pagaille au sein de l'école républicaine ; ensuite parce que cela est demandé par les chefs d'établissements.

Nous pouvons aujourd'hui nous mettre d'accord sur cette modification claire, simple et applicable. Il suffit que le Gouvernement accepte d'écouter l'Assemblée nationale, dont la mission parlementaire a finalisé une proposition unanime, claire, simple et applicable : interdire les signes religieux « visibles » dans l'enceinte scolaire.

Si la loi que nous voterons doit être une loi claire et applicable, elle doit également être une loi de dialogue. Je pense très profondément que le dialogue est le meilleur remède au conflit. La loi ne doit s'opposer qu'à l'intolérance. La loi doit être le dernier rempart, le rempart républicain. Il est donc indispensable que la loi que nous voterons indique, clairement là encore, que le dialogue s'impose avant l'application brutale de la loi. Aujourd'hui déjà, nous le savons bien, ce dialogue permet de résoudre une grande majorité de cas difficiles.

Enfin, et ce sera la dernière partie de mon intervention, notre assemblée doit envoyer un message clair au pays : la loi que nous voterons n'est pas une loi sur le voile, c'est une loi sur le port des insignes religieux à l'école.

M. René Dosière. Nuance !

M. Patrick Roy. La loi doit être égale pour tous. La laïcité, au travers de cette loi, ne doit pas privilégier une religion par rapport à une autre.

La laïcité ne peut pas se résumer à l'interdit. L'interdit que nous voulons n'est là que pour faire respecter notre école, cœur du pacte républicain. La laïcité, c'est d'abord l'intégration. Et si aujourd'hui nous voyons toute une partie du pays se mobiliser contre cette loi, c'est d'abord parce que l'intégration est en panne !

Il n'est pas acceptable, monsieur le ministre, mes chers collègues, qu'un nom soit un obstacle, souvent majeur, à l'embauche.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Bravo !

M. Patrick Roy. Il n'est pas acceptable que la couleur d'un visage soit un obstacle, souvent majeur, au droit à un logement décent. Il n'est pas acceptable que notre télévision nationale ne soit pas le reflet de la France d'aujourd'hui. Il n'est pas acceptable que seul peut-être le sport renvoie aujourd'hui au pays l'image d'une intégration réussie.


Enfin, il n'est pas acceptable que, au pays des droits de l'homme, une vraie liberté de culte ne soit pas garantie.

Chers collègues, je ne suis d'aucune religion.

M. René Dosière. C'est dommage !

M. Patrick Roy. Je suis convaincu que l'école est le lieu privilégié de la neutralité qui est au cœur de notre pacte républicain, mais je suis tout aussi convaincu que chacun, en France, doit pouvoir pratiquer le culte de son choix dans des lieux adaptés.

Je ne suis d'aucune religion. Je ne veux obliger personne à partager ma liberté de penser. Mais il me paraît très significatif que, aujourd'hui, en France, les différentes religions ne bénéficient pas des mêmes conditions pour la pratique du culte. Quand certains peuvent utiliser de superbes bâtiments, souvent historiques, au cœur des villes, et que d'autres doivent parfois se contenter d'une cave d'immeuble, ne soyons pas étonnés de la montée des frustrations.

Voilà, chers collègues, ce que j'attends aujourd'hui de la France : une loi claire, une loi de dialogue, et une relance objective de l'intégration, au nom de la laïcité. Monsieur le ministre, donnez-moi une raison de voter votre loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Guibal.

M. Jean-Claude Guibal. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question du voile a donné lieu à un vacarme médiatique, qui, tout en assurant la promotion de M. Ramadan et de M. Latreche, a révélé la profondeur de notre crise d'identité. Ne saurions-nous plus à ce point qui nous sommes pour être incapables d'arbitrer entre les valeurs d'une République laïque et les exigences d'un intégrisme théocratique ? Et aurions-nous à ce point laissé s'obscurcir notre jugement pour ne pas voir que le port du voile à l'école relève d'une stratégie politique radicale plutôt que d'une pratique religieuse ?

La France, que l'on sache, est une République laïque, c'est-à-dire neutre à l'égard des religions. Elle en respecte les pratiques et en garantit le libre exercice, mais ne s'associe pas à elles ni ne prend parti pour l'une ou l'autre. Fondatrice d'un espace public a-religieux, elle ne peut pas être indifférente à l'égard de ceux qui tenteraient d'en faire le champ clos de leur prosélytisme et de leurs affrontements.

Cet espace « laïque » n'est pas − Dieu merci ! − l'espace public tout entier. Mais il est, en revanche, là où la République diffuse ses valeurs, c'est-à-dire d'abord à l'école. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, cet espace doit être considéré comme sacré. Dans le contexte actuel, si la République acceptait qu'il soit violé par l'exhibition de signes ostensibles d'appartenance religieuse, ce serait comme si elle se laissait imposer d'autres valeurs que les siennes, comme si, en l'occurrence, elle se rangeait au point de vue théocratique, comme si elle renonçait, en fait, à sa laïcité.

Les chrétiens − pourtant largement majoritaires dans notre pays − ont accepté que le crucifix disparaisse des salles de classe. Quant aux juifs, ils ont toujours, par respect, enlevé leur kippa à l'entrée de l'école républicaine. Au nom de quelle conception pervertie de la liberté, ou plutôt au nom de quelle lâcheté, la République ferait-elle une exception pour des intégristes, sous prétexte qu'ils sont musulmans ? Au nom de quel renoncement serait-elle plus exigeante à l'égard des chrétiens et des juifs que vis-à-vis des intégristes musulmans ?

Si notre Etat est laïque, notre société, elle, est de tradition judéo-chrétienne. La République serait malvenue de l'oublier. Cette République-là, en tout cas, ne serait pas la nôtre. Notre République à nous, la République de notre cœur, ne cède pas quand il s'agit de protéger les libertés. Elle lutte contre tous les intégrismes, y compris laïques, mais respecte les libertés religieuses et, plus généralement, à travers elles, la dimension spirituelle et l'inquiétude métaphysique qui font la singularité et la grandeur de l'être humain.

De ce point de vue, l'islam mérite d'autant plus notre respect que, tout au long de son histoire, il a démontré sa capacité civilisatrice. Cela ne l'empêche pas de courir le risque, comme toutes les autres religions, d'être dévoyé dans des luttes de pouvoir. Or, c'est bien de cela qu'il s'agit : une minorité d'intégristes se sert de l'islam pour nous imposer ce qu'ils croient être la volonté de leur dieu.

Que l'ultra-gauche soutienne leur offensive ne devrait étonner personne, dès lors qu'elle contribue à ébranler le consensus républicain. Mais que d'autres, et en nombre, puissent assimiler l'islam, religion de tolérance, à cette rage provocatrice et qui se veut conquérante, qu'ils puissent ne pas voir dans « l'affaire du voile » l'instrumentalisation d'une religion à des fins politiques, cela en dit long sur notre aveuglement.

Le voile est un drapeau, celui du combat politico-religieux de l'islamisme radical. Celui-ci vise à exercer un contrôle social sur les 5 millions de musulmans qui vivent en France, pour les enrégimenter ensuite dans une troupe docile. Les femmes musulmanes en sont les premières victimes, mais l'ensemble de la communauté musulmane aura à subir les conséquences d'un amalgame facile et souhaité par certains.

Notre organisation sociale et politique en sera également affectée. La République pose le principe de l'égalité des citoyens devant la loi, principe qui, pour être applicable, exige de la part de chacun d'entre eux une vraie volonté d'intégration. Le port du voile dit tout le contraire. En affichant une appartenance communautaire, il exprime le refus provoquant de s'intégrer. Ce faisant, il conteste la République dans ses fondements mêmes. Rien n'est plus subversif de l'ordre républicain que le communautarisme, dont le voile est l'étendard.

Les manifestations organisées par M. Mohamed Latreche ont fait la démonstration que les islamistes ne se reconnaissent pas dans la République et qu'ils n'adhèrent pas à ses valeurs. D'ordinaire si pointilleux, ils ont, à l'évidence, oublié la recommandation du Prophète, qui prescrit à celui qui séjourne plus de quarante jours dans une tribu d'en adopter les usages.

Encore faudrait-il, pour que ce rappel soit utile, que nous remettions en marche la machine à intégrer, depuis si longtemps en panne. Il est temps de savoir enfin qui nous sommes, ou simplement de nous en souvenir et d'en être fiers. Car comment intégrer si l'on ne dit pas à quoi ? Et comment donner envie de s'intégrer si l'on n'offre pas un surplus d'estime de soi à ceux à qui on le propose ?

En attendant, nous devons veiller à ce que l'école, lieu d'intégration par excellence, redevienne le sanctuaire qu'elle n'aurait jamais dû cesser d'être, cet « asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas », selon la belle formule de Jean Zay. Pour cela, comme le préconise le rapport Stasi, il faut une loi et il est bon que la nécessité en ait été affirmée par la plus haute instance de nos institutions.

Il est d'abord évident qu'une circulaire ne suffirait pas, non plus qu'un arrêt du Conseil d'Etat − nous en avons régulièrement la preuve. D'une part, il faut donner aux chefs d'établissement un support juridique incontestable. Il faut, d'autre part, adresser aux Français, y compris à la majorité des musulmans, un signal puissant qui les convainque que nous les avons entendus et compris. Pour qu'il soit perçu, ce signal doit prendre sa source au niveau le plus élevé de notre droit.

De par sa formulation, la loi répond à la double nécessité de ne pas porter atteinte à l'expression discrète de convictions religieuses et de permettre aux chefs d'établissement de lutter, dans l'enceinte de l'école, contre des comportements susceptibles, en provoquant des réactions contraires, d'en troubler la sérénité.

Interdire les signes visibles d'appartenance religieuse aurait abouti, à l'inverse, à concéder une première victoire aux islamistes, en effaçant les symboles discrets des religions apaisées.

Quant à ceux qui hésitent à ouvrir « la boîte de Pandore », ils devraient s'inspirer de nos prédécesseurs, les législateurs de 1905, à qui il fallut un autre courage pour affronter la très puissante église catholique de l'époque.

Cette loi vient enfin à son heure. C'est maintenant qu'il faut mettre un coup d'arrêt à la subversion islamiste. Demain, il eût été trop tard. Certes, à lui seul, ce texte ne suffira pas à préserver notre conception de la démocratie et de la liberté des femmes, à l'école mais aussi à l'hôpital et dans les services publics. Voté massivement aujourd'hui et appliqué demain avec fermeté − ce qui n'exclut pas le discernement et le dialogue −, il signifiera avec force que la République sait se défendre et que ni la société française ni aucune de ses composantes ne sont à conquérir. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Xavier Bertrand.

M. Xavier Bertrand. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 20 janvier dernier, à l'occasion du débat sur l'école, nous reconnaissions unanimement qu'il était indispensable de réaffirmer les valeurs républicaines dans notre pays et, prioritairement, dans nos écoles, nos collèges et nos lycées.

Aujourd'hui, avec un texte simple et clair, le Gouvernement nous donne l'occasion de passer du vœu de principe à l'acte politique : la loi.

Le texte qui nous est proposé est le fruit d'une longue réflexion souhaitée par le Président de la République. L'Assemblée nationale y a été étroitement associée, par l'intermédiaire de la mission parlementaire présidée par Jean-Louis Debré, dont l'avis a été déterminant. Et je ne reviens pas sur le remarquable travail réalisé par la commission Stasi, qui, au-delà des clivages partisans, a permis d'aboutir à une prise de position claire et, surtout, argumentée.

Il était indispensable de légiférer, car, pendant de trop nombreuses années, le politique s'est défaussé en laissant penser que cette question n'était que juridique ou qu'elle ne concernait que des cas isolés.

Or, comme tout principe républicain, la laïcité est bel et bien une affaire politique, au sens noble. C'est pourquoi il nous faut aujourd'hui adresser un message politique, un message ostensible, si j'ose dire, c'est-à-dire une loi.

M. Alain Néri. « Visible » serait suffisant !

M. Xavier Bertrand. Nous avons donc fait preuve d'écoute et pratiqué le dialogue. C'est donc en conscience que je prends position dans ce débat, après m'être interrogé à diverses reprises, après avoir dialogué avec des responsables des différentes religions, chez moi, dans l'Aisne, à Saint-Quentin.

J'ai la conviction qu'il faut revenir aux valeurs fondamentales sur lesquelles s'appuie notre République, les « blocs de granit » dont parlait Napoléon.

Ce principe est d'ailleurs ancien dans notre histoire : lorsque Philippe le Bel conteste la prééminence de la papauté sur le pouvoir temporel, c'est en quelque sorte le point de départ de la séparation de l'Eglise et de l'Etat. L'idée de laïcité qui en découle s'est affirmée au siècle des Lumières pour trouver une consécration à la Révolution. Celle-ci affirme l'irréductibilité de la nation à toute communauté.

Le vote de ce texte est donc, avant tout, un acte et un signe politique forts. Si la République française sait être ouverte et tolérante, elle peut aussi se montrer ferme sur le respect de ses principes et de ses valeurs.

Assumons également notre responsabilité politique vis-à-vis des acteurs de terrain. A l'occasion du débat sur l'école, nous avons vu que nombreux étaient les chefs d'établissement et les enseignants prêts à assumer leurs responsabilités, à condition que nous leur facilitions la tâche en les aidant avec une loi. Confrontés chaque jour à l'émergence du communautarisme, d'un prosélytisme religieux de plus en plus radical et politisé, ils nous demandent aujourd'hui de prendre nos responsabilités : ne les décevons pas.

Pour lutter contre cette entrave à l'enseignement, et donc à la citoyenneté et au savoir, que constitue la montée des communautarismes, il faut un texte de référence qui ne laisse aucune place aux rapports de forces, voire à certains arbitraires locaux. Nous ne pouvons plus nous défausser de cette responsabilité.

Rien ne serait pire, pour ces enseignants, pour ces chefs d'établissement qui font le choix de défendre la laïcité, en allant parfois jusqu'à l'exclusion des élèves en cause, que d'être ensuite contredits par une décision de justice. Qu'adviendrait-il de leur autorité, fondement même de l'institution scolaire ?

D'ailleurs, si ce texte est adopté − ce dont je ne doute pas −, il nous incombera une autre responsabilité, tout aussi importante : veiller à sa parfaite application, car il y a une vie après la loi.

Très nombreux sont les Français qui sont prêts à nous faire confiance. Ils nous voient aujourd'hui louer nos principes républicains et ils comptent sur nous.

Permettez-moi de revenir sur l'idée que ce sont bien les « signes qui manifestent ostensiblement l'appartenance religieuse » qu'il faut interdire. L'adverbe « ostensiblement » représente pour moi la voie de l'équilibre. Certains ont critiqué ce choix, jugeant qu'il ne faisait que perpétuer l'ambiguïté reprochée à l'avis du Conseil d'Etat. Le mot vise pourtant une réalité bien précise : celle de la revendication publique d'une appartenance. Le port du voile islamique, de la kippa ou de certaines grandes croix entre clairement dans cette catégorie, en inscrivant l'appartenance religieuse dans l'espace social. Nombre d'autres tenues ne peuvent cependant être interprétées de façon univoque : le fameux bandana peut ainsi revêtir une multiplicité de significations.

Autrement dit, la plupart des signes ne sont pas, en eux-mêmes, ostensibles, mais le deviennent par l'intention des individus.

M. René Dosière. Comment en juger ?

M. Xavier Bertrand. C'est bien cela que nous devons proscrire dans l'enceinte des établissements publics d'enseignement.

L'usage de l'adverbe « ostensiblement » fournit aux responsables éducatifs un critère clair pour guider leur jugement et permettre de proscrire certains signes et tenues.

Sans doute pourrait-on interdire tous les signes « visibles » : ce serait a priori plus simple, mais on franchirait alors une ligne blanche. Nous ne serions plus dans la défense de la laïcité, mais dans ce qui risquerait fort de ressembler à une hostilité à l'égard non seulement des croyances religieuses, mais encore de tout ce qui, dans la personne, relève de son être intime, et sur lequel l'Etat − il n'est jamais mauvais de le rappeler − n'a aucun droit.


C'est pourquoi il est vital pour notre démocratie que le port des signes discrets reste autorisé.

Cette loi n'interdira, en effet, pas le fait religieux dans notre société. Elle ne vise d'ailleurs aucune religion. Au contraire, elle permettra la pratique sereine de chaque croyance dans le respect et la tolérance.

Pour ma part, je pense qu'il sera indispensable d'accompagner cette mesure législative nouvelle par l'inscription de l'enseignement du fait religieux dans les programmes scolaires, sans doute au travers de la loi que nous aurons à examiner d'ici à la fin de l'année. C'est bien de l'ignorance que naît l'intolérance et de la méconnaissance le racisme. Celui-ci est intolérable partout, pour toutes les générations, mais plus encore à l'école, où se forment les consciences.

Cette loi adressera également un message politique de soutien très fort de la République à tous nos compatriotes issus de l'immigration et donc, bien souvent, de cultures différentes, qui n'aspirent qu'à une seule chose : s'intégrer et trouver leur place dans la société.

La République se doit d'être attentive et bienveillante : ce texte nous y aidera.

L'adoption du texte qui nous est proposé est aussi un acte citoyen. Le port de signes religieux dans les établissements d'enseignement n'est qu'un élément d'un vaste mouvement qui est inacceptable et qu'il nous faut prendre en compte.

A l'école, en effet, le principe républicain de laïcité est indispensable pour que nos enfants apprennent à vivre ensemble dans la tolérance et dans l'acceptation des autres. Il n'est pas acceptable que des jeunes Français s'insultent ou s'agressent, pour quelque motif que ce soit, encore plus lorsqu'ils le font pour des motifs religieux. II n'est pas acceptable que dans nos écoles, nos collèges, nos lycées, la religion soit ainsi politisée ou instrumentalisée. La laïcité, j'en suis sûr, permettra de lutter contre ces phénomènes inquiétants qui se sont multipliés ces derniers temps.

Ce principe de laïcité doit être réaffirmé avec d'autant plus de force que c'est à l'école, au collège, au lycée que se forge l'esprit citoyen. Ce sont des lieux de l'apprentissage et de la formation de l'esprit critique : ils doivent être un espace préservé, un lieu de neutralité et de sérénité.

Avec cette loi, nous réaffirmons un choix de société. D'autres pays acceptent, sans aucun problème et sans que cela fasse débat, les signes religieux visibles dans la sphère publique. Ce n'est pas notre cas. Nous revendiquons ce choix ; mieux, nous l'assumons.

La France, ce n'est pas nouveau, a toujours fait le choix de l'intégration, loin de la simple juxtaposition. En effet, laisser s'installer dans la sphère publique des pratiques religieuses, culturelles, linguistiques est à coup sûr le meilleur moyen de laisser croître les communautarismes. Les Français d'ailleurs ne s'y trompent pas : près des deux tiers d'entre eux voient dans l'acceptation de ces signes religieux un « risque pour la cohésion nationale ».

Le débat que nous avons aujourd'hui nous permet d'affirmer l'idée que nous nous faisons, en 2004, les uns et les autres, les uns avec les autres, de la nation française. Ce n'est pas un mythe dépassé. La nation est au contraire une réalité bien vivante fondée sur des valeurs patriotiques et civiques : l'attachement à notre langue, à notre culture, à notre histoire, à un projet et à un destin communs, à cette idée que nous nous faisons de la France.

Ces valeurs nationales communes ne sont pas négociables. Aujourd'hui, avec ce texte, nous pouvons, je dirai même plus, nous devons nous retrouver. Comme Alain Juppé qui appelait hier de ses vœux un large rassemblement autour de ces idées, je pense qu'un consensus donnerait plus de force à notre message. Car au-delà de ce qui peut parfois nous séparer, mes chers collègues, il y a avant tout ce qui nous rassemble : la défense de la République. Et c'est bien l'objet de ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Alain Néri.

M. Alain Néri. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la République est laïque et c'est parce qu'elle est laïque qu'elle a créé l'école publique, gratuite, obligatoire et laïque. Cette école de la République, qui accueille, qui rassemble, qui refuse l'exclusion et la discrimination, c'est l'école qui ouvre ses portes à tous les enfants de France sans distinction d'origine sociale, de couleur ou de religion.

C'est parce qu'elle est publique, gratuite et laïque qu'elle est obligatoire. Obligatoire pour tous car elle est le lieu qui offre à tous les enfants la possibilité de développer leurs capacités, leurs talents et d'aboutir à l'épanouissement de leur personnalité.

M. Patrick Roy. Très bien !

M. Alain Néri. Elle est l'école de la libération et de l'émancipation des esprits, véritable ascenseur social.

Je veux ici rendre hommage à ce que les anciens appelaient « la laïque », à ses maîtres qui ont permis à beaucoup d'entre nous de devenir ce que nous sommes.

« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » proclame la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Mais, en réalité, il n'y a pas d'égalité des chances. Chaque être est différent par essence et l'influence du milieu socio-économique et culturel s'avère déterminante, voire prépondérante, pour la construction de l'avenir des enfants.

L'école laïque a pour mission l'égalisation des chances et doit favoriser le développement des potentialités de chacun. Elle est l'école de la justice sociale comme la laïcité est le ferment de la République sociale, ainsi que l'affirmait Jaurès.

Alors, oui à la discrimination positive, monsieur le ministre, car il s'agit de donner plus de moyens pour compenser les différences et permettre aux enfants des milieux les plus modestes, trop souvent victimes de nombreuses discriminations négatives, liées à des moyens culturels déficients, au chômage des parents, à des logements vétustes, parfois même à des problèmes d'alimentation, de bénéficier d'une éducation de qualité, facteur de développement, de réussite et donc d'intégration.

Cette discrimination positive est juste. Platon n'affirmait-il pas déjà dans La République : « La justice est juste entre égaux et l'inégalité est juste entre inégaux » ? Autrement dit, la justice, c'est donner plus à ceux qui ont moins.

Il ne faut pas confondre cette discrimination positive avec la fausse discrimination positive qui consiste à promouvoir des citoyens non en raison de leur talent ou de leur mérite mais de leurs origines. Cette démarche est antirépublicaine. C'est même du racisme à rebours.

D'ailleurs, sous l'Ancien régime, cette pratique était courante. Elle permettait à certains d'accéder à des responsabilités du fait de leur appartenance à une classe sociale, souvent la noblesse, qui était en quelque sorte la « France d'en haut » de l'époque.

A d'autres moments de notre histoire, de triste mémoire, certains étaient exclus en raison de leur race ou de leur religion.

Aujourd'hui, on ne peut accepter que certains soient promus et nommés sur des critères analogues mais pris en compte en sens inverse. C'est pourquoi, monsieur le ministre, je dénonce dans cet hémicycle, où bat le cœur de notre démocratie, la discrimination positive telle que la conçoit votre collègue Nicolas Sarkozy : ce n'est qu'une forme intolérable de racisme.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Il ne faut pas exagérer !

M. Alain Néri. Je le répète, les seuls critères qui vaillent pour promouvoir les citoyens et les citoyennes sont le mérite et le talent. C'est cela l'égalité des droits. C'est cela la démocratie. C'est cela la République !

M. Patrick Roy. Alain Néri a du talent !

M. Yves Durand. Du mérite surtout !

M. le ministre délégué à l'enseignement scolaire. Oui, surtout du mérite !

M. Alain Néri. L'école laïque accueille tous les enfants : ceux qui croient, quelle que soit leur croyance, comme ceux qui ne croient pas. Elle est le creuset de la citoyenneté, le ciment de l'unité nationale. D'ailleurs, depuis la fin du service national, elle est même le seul endroit où des enfants de toutes origines se côtoient, apprennent à se connaître et à se respecter, à vivre ensemble, tissent des liens d'estime et de solidarité.

Messieurs, nous nous rappelons toujours de nos copains de régiment et, comme vous, mesdames, nous n'oublions jamais nos camarades de classe.

La mixité des écoles, avec l'accueil des filles et des garçons dans une même classe, fut aussi un grand pas vers l'égalité et la parité. Nous ne pouvons accepter aujourd'hui qu'un signe de soumission, fût-il religieux ou présenté comme tel, vienne créer une nouvelle disparité, une nouvelle discrimination.

L'école de la République, c'est l'égalité de traitement de tous les enfants, garçons et filles, avec les mêmes droits mais aussi avec les mêmes devoirs.

Si l'école laïque rassemble, en respectant la personnalité des enfants, elle ne peut le faire qu'en évitant tout signe susceptible de blesser les consciences ou d'exercer des pressions, que j'ose qualifier de « perverses », visant à manipuler. Si demain chacun allait à l'école avec un signe distinctif montrant ses convictions religieuses, alors, elle ne serait plus l'école de l'unité mais un lieu où fleuriraient les clans et les communautarismes.

Imaginons un instant, monsieur le ministre, des cours d'école quadrillées par des enfants regroupés par affinité religieuse, s'ignorant peut-être, pire, s'affrontant. Ce serait alors la mort de l'idéal laïque et républicain, vous en conviendrez avec moi.

Si l'éducation civique est un devoir impérieux de l'école, l'éducation religieuse, elle, relève uniquement de la responsabilité et du choix des familles. C'est pour cela qu'il y a des jours sans école - le jeudi autrefois, le mercredi aujourd'hui. A ceux qui nous parlent de liberté religieuse ou de liberté tout court, je répondrai donc que la liberté, elle est là, dans la possibilité de choisir.

Pendant des années, tout s'est passé sans heurts. Quand il y avait parfois des manquements aux règles de la laïcité, les choses rentraient vite dans l'ordre après une remarque ou une explication. Il suffisait de dire gentiment à l'élève qui affichait ses convictions religieuses par le port d'un signe visible, une croix ou une main de Fatima - et personne n'avait besoin d'un pied à coulisse pour savoir s'il était petit ou grand - : « veux-tu le rentrer dans ta chemise », pour que tout rentre dans l'ordre. C'était du simple bon sens.

C'est dans cet esprit que le groupe socialiste préconise que le dialogue s'engage avant toute sanction. Et je me félicite, monsieur le ministre, que l'amendement que nous avons déposé en ce sens ait été retenu par le Gouvernement.

La loi de 1905 est le socle de la laïcité. Elle est fondamentale. Il ne faut pas y toucher. Mais pour éviter toute dérive et faire régner l'harmonie dans les écoles, il semblerait que l'avis du Conseil d'Etat de 1989 ne suffise pas ou ne suffise plus. Une piqûre de rappel s'avère nécessaire puisque ce qui était simple hier paraît compliqué aujourd'hui et que l'application de la loi rencontre quelques difficultés.

Donnons les moyens aux enseignants et aux directeurs d'école d'assumer leurs missions éducatives et de faire respecter les valeurs de la République par tous, dans la sérénité. C'est là notre responsabilité.

Pour cela, il faut que la loi soit claire, limpide, lisible et surtout facilement applicable afin qu'elle ne suscite pas plus de contentieux qu'elle n'en règle.

C'est pourquoi, monsieur le ministre, je considère que le terme « ostensible », qui a remplacé le terme « ostentatoire », est toujours ambigu. Il risque d'ouvrir la voie à des procédures détestables et déstabilisatrices qui rendraient le remède pire que le mal parce qu'il ne résoudrait rien.

Permettez-moi de vous poser une simple question : vous portez une cravate aujourd'hui, ...

M. le ministre délégué à l'enseignement scolaire. Comme tous les jours !

M. Alain Néri. ...mais la portez-vous de façon ostensible ou ostentatoire ?

M. le ministre délégué à l'enseignement scolaire. Ostensible !

M. Alain Néri. Vous la laissez pendre sur votre chemise, je peux considérer qu'elle n'est pas ostensible. D'autres diront qu'elle est un peu en avant et qu'elle est ostentatoire.

Vous voyez bien qu'on rentre dans des discussions byzantines qui n'ont plus de sens alors qu'un simple mot réglerait le problème : votre cravate, monsieur le ministre, est « visible », et du reste très jolie.

M. le ministre délégué à l'enseignement scolaire. La vôtre n'est pas mal non plus !

M. Alain Néri. Appelons un chat un chat et remplaçons le mot « ostensible » par le mot « visible ». Cela évitera toute possibilité d'interprétation polémique et donc de contentieux.

M. Patrick Roy. Très bien !

M. Alain Néri. Dans ces conditions, la loi sera efficace et incontestable, donc facile à appliquer : elle remplira son rôle et répondra aux aspirations et aux besoins de nos maîtres et de nos directeurs d'école.

L'efficacité d'une loi se juge à la qualité des solutions qu'elle apporte aux problèmes qu'elle est censée résoudre. Aussi faut-il, comme l'a proposé Jean Glavany au nom du groupe socialiste, mettre en place une évaluation de cette loi pour mesurer ses résultats et ses effets au bout d'un an d'application.


Monsieur le ministre, ne prenez pas le risque d'avoir à regretter de ne pas nous avoir écoutés. Ne restez pas figé sur vos positions, faites la preuve de votre volonté d'écoute et de dialogue en acceptant de remplacer « ostensibles » par « visibles ». C'est une question de bon sens. Nous écarterions ainsi tout risque d'incompréhension, et cette loi, qui a valeur de symbole, serait aisément applicable et assimilable par tous, citoyenne et efficace. Dans un esprit de concorde républicaine, vous rendriez service à notre école, à ses élèves et à ses maîtres, et à la République.

Aujourd'hui, notre devoir - et notre responsabilité - est de défendre la laïcité et la liberté contre le venin mortel de l'intégrisme. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialisme.)

M. le président. La parole est à Mme Chantal Brunel.

Mme Chantal Brunel. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué à l'enseignement scolaire, chers collègues, longtemps, la laïcité, principe fondateur de notre République, a semblé bien établie. Ce temps semble révolu. Le compromis trouvé il y a cent ans n'est plus adapté. A l'époque, la laïcité visait à protéger l'Etat de la religion catholique.

M. Yves Durand. Pas seulement !

Mme Chantal Brunel. Aujourd'hui, deux constatations s'imposent : l'islam est devenu la deuxième religion de notre pays et certaines pratiques du culte musulman posent problème.

La laïcité n'est pas dirigée contre les religions. Au contraire, elle impose la neutralité de l'Etat vis-à-vis de toute question religieuse : ni aide, ni prosélytisme, ni incitation.

La croyance, c'est quelque chose de personnel, d'intime, qui doit rester, si possible, dans le for intérieur de chacun. On n'a pas à manifester ses croyances. On doit respecter l'autre, respecter sa confession, respecter ses origines.

Chaque citoyen est libre de croire.

M. Yves Durand. Ou de ne pas croire !

Mme Chantal Brunel. Chaque citoyen est libre de pratiquer, libre de prier.

La laïcité, c'est s'accepter les uns les autres, que l'on soit juif, musulman, chrétien, athée. Mais c'est également ne pas oublier qu'avant d'être croyants, nous sommes Français. Chacun doit accepter et appliquer les lois de la République. Il n'est pas question de transiger, d'accorder des dérogations, de faire des exceptions ou de prévoir des traitements particuliers. Nous sommes tous égaux devant la loi.

Notre pays a toujours été heureux d'accueillir des gens venus d'ailleurs, qui véhiculent leurs cultures, leurs habitudes, leurs coutumes, leurs religions. La France a toujours su intégrer cette différence pour en faire sa richesse.

Faire le choix de la France, c'est accepter à la fois son histoire, ses coutumes, ses lois, sans pour autant renier ses origines, ni les oublier.

L'affaire du « foulard » n'est en fait que la pointe visible d'un iceberg. A terme, si nous n'y prenons pas garde, notre société risque d'être déstabilisée, notre identité de disparaître et notre unité de se briser.

Malheureusement, aujourd'hui, certains refusent les règles établies, défient la République, transgressent notre conception de la laïcité. Ce n'est pas parce que la France est le pays des droits de l'homme que nous devons rester inertes et tolérer ces comportements. Nous allons agir pour rassurer les Françaises et les Français.

Oui, notre école est menacée. Il faut défendre sa neutralité, d'autant que, dans certains quartiers, elle est la seule institution de la République encore présente et respectée, nous le savons. Depuis quelques années, des écarts dangereux sont observés. Il n'est pas normal que des enfants affichent leur religion à l'école. Il n'est pas normal que des salles de permanence soient prêtées aux jeunes musulmans pour qu'ils puissent faire leur prière pendant les heures de cours. Il n'est pas normal que certains enseignants de biologie, de sciences naturelles ou d'histoire soient obligés d'occulter certaines parties de leur programme.

L'école doit continuer à remplir sa mission d'éducation. Elle doit rester ce lieu où l'on enseigne la tolérance, l'esprit de dialogue et le respect des autres.

Loin des contraintes extérieures, familiales et religieuses, les jeunes filles doivent pouvoir construire leur personnalité dans un milieu qui leur assure une neutralité propice à leur développement. On ne peut soutenir que des adolescentes soient à même d'apprécier les conséquences et les symboles du port du voile. Or - et la femme que je suis ne peut qu'y être particulièrement sensible - l'islam pose le problème du respect de la femme.

Ces soixante dernières années ont été marquées, en France, par des progrès notables vers l'égalité des sexes. Les femmes ont d'abord acquis le droit de vote, puis ont pu suivre des études, être admises dans toutes les grandes écoles et accéder à tous les métiers ; enfin, des lois ont imposé la parité en politique.

On ne peut tolérer, en France, que des filles soient traitées différemment de leurs frères et soient placées, dès leur enfance, en situation d'infériorité. La République se doit de protéger ces pré-adolescentes, les muettes, les silencieuses, les sans-défense, particulièrement exposées aux influences familiales ou communautaires, aux pressions des frères et des autres hommes de la famille, aux recommandations des religieux du quartier ou aux regards réprobateurs des autres filles voilées.

II faut que ces jeunes filles d'origine musulmane sachent comme les autres que leur corps n'appartient ni au père, ni au mari, ni à personne d'autre qu'à elle-même, qu'elles sont libres, qu'elles vivent en démocratie, qu'elles sont l'égal de leur frère et qu'elles doivent donc être traitées en conséquence.

Jamais la femme voilée ne pourra incarner la libération de la femme car le voile est le symbole de la soumission de la femme à l'homme. Le porter, c'est aller à contre-courant de notre société. C'est oublier que des femmes se sont battues pour être considérées comme l'égal de l'homme dans les domaines professionnel, politique, familial. C'est nier que des femmes aujourd'hui encore se battent, sont emprisonnées, sont torturées, sont assassinées quand elles défendent une conception que l'intégrisme rejette. Nous devons lutter contre cette terrible régression, contre ce retour vers le passé.

Quand on vit dans un pays, on doit en respecter les fondements. En France, l'égalité des sexes est un de ces fondements. On ne peut donc tolérer la violence faite aux femmes, violence plus fréquente qu'on ne le croit dans certains quartiers, je le sais, mais souvent cachée.

Non à la ségrégation entre les hommes et les femmes telle qu'elle se manifeste dans certaines municipalités, qui acceptent par exemple de réserver des heures de piscine aux femmes.

M. Christian Decocq et M. Mansour Kamardine. Très juste !

Mme Chantal Brunel. Non à ces hommes qui exigent que leurs épouses qui se rendent à l'hôpital restent voilées et muettes et ne soient soignées que par des femmes, même dans les cas d'urgence.

Non aux femmes fonctionnaires voilées.

Mais nous ne devons pas non plus laisser se propager l'idée selon laquelle nous souhaiterions montrer du doigt une religion. C'est souvent la pauvreté, le découragement, le mal-être qui poussent vers l'intégrisme. Pour lutter contre cette attirance, il faut intensifier notre action en faveur de l'intégration. Il faut que les Français d'origine musulmane qui le désirent puissent, sans aucune discrimination, accéder à tous les postes et à tous les emplois. Des efforts ont été faits, il faut les poursuivre et les développer.

Ainsi, nous ne laisserons pas le champ libre à un extrémisme islamique, soutenu par des puissances étrangères, dont le but est de fragiliser notre société démocratique et de remettre en cause deux de ses fondements, la liberté individuelle et l'égalité de la femme.

Nous devons également veiller à ne pas favoriser l'extrême droite, raciste et xénophobe, qui tire profit des peurs engendrées par la montée brutale de cet islamisme au sein de notre société.

Déjà, le Front national profite des incertitudes qui se sont exprimées ces derniers temps pour attiser les haines, susciter la peur. Par cette stratégie malsaine, il a choisi d'effrayer les Français en se positionnant comme le seul rempart efficace face à l'extrémisme religieux. Faisons-lui barrage en votant un texte qui fera respecter les valeurs de notre République. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Armand Jung.

M. Armand Jung. Monsieur le président, monsieur le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche, monsieur le ministre délégué à l'enseignement scolaire, mes chers collègues, de la confusion naît le malaise. C'est ce malaise que j'ai ressenti à l'écoute des différentes interventions.

Ce débat sur le voile à l'école, car il s'agit bien de cela et non d'un grand débat sur la laïcité, prend un tour quelque peu surréaliste, aussi bien pour nos concitoyens que pour nos voisins européens. La laïcité à l'école est actuellement chez nous l'objet de toutes les passions alors que le terme de « laïcité » est absent des constitutions étrangères, notamment européennes, et que la laïcité est vécue chez nos voisins européens plus paisiblement et en meilleure intelligence.

L'article 1er de notre Constitution garantit déjà la laïcité, et ce au plus haut niveau, quand il dispose que « la France est une République laïque », qui « respecte toutes les croyances ». La loi du 9 décembre 1905 portant séparation des Eglises et de l'Etat reconnaît à chacun la liberté de conscience. La République garantit le libre exercice des cultes. Mais cette « laïcité à la française », véritable spécificité nationale, ne fait pas l'objet d'une interprétation uniforme. Il n'existe pas une définition unique mais bel et bien plusieurs définitions de la laïcité.

Pour ma part, je me suis longuement entretenu avec des universitaires, des sociologues, des érudits de tous bords, des responsables religieux, afin qu'ils m'éclairent sur la définition de la laïcité. Je me suis rendu compte que chacun définissait la laïcité en fonction de son vécu personnel, de ses opinions philosophiques ou religieuses. N'ayant pleinement adhéré à aucune des définitions proposées, de Condorcet à Jules Ferry, je me suis tourné vers d'autres sources de réflexions et j'aimerais vous faire part d'une conception de la laïcité inspirée de la magnifique chanson de Jean Ferrat, intitulée Nuit et Brouillard :

« Ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers [...]

« Ils s'appelaient Jean, Pierre, Natacha ou Samuel

« Certains priaient Jésus, Jéhovah ou Vishnou

« D'autres ne priaient pas, mais qu'importe le Ciel

« Ils voulaient simplement ne plus vivre à genoux. »

Les personnes citées dans cette chanson, réduites à l'état d'« ombres », allaient ensemble vers leur destin. Elles étaient soudées par un seul et même but : mener leur existence dans la dignité et le respect mutuel. Peu leur importait de savoir si Pierre croyait en Jésus ou si Natacha était athée. Seul leur importait le fait de trouver leur place dans ce monde et « de ne plus vivre à genoux ».

Aujourd'hui, les « vingt et cent », les « milliers », ce sont les 140 000 chômeurs supplémentaires en 2003, les 200 000 personnes prématurément radiées de l'assurance - chômage, les bénéficiaires du RMI qui vont voir leurs allocations diminuer, les familles qui attendent désespérément d'être relogées. Notre pays, un des plus riches du monde, ne compte malheureusement plus « ceux qui vivent à genoux ».

Dans la limite du temps qui m'est imparti, je voudrais appeler votre attention sur « la laïcité d'exclusion » que va créer ce texte avant d'évoquer « la laïcité apaisée » qui existe en Alsace -Moselle.

La laïcité doit être une laïcité d'intégration et non une laïcité d'exclusion. Elle doit demeurer une valeur positive et humaine. Pourtant, la confusion règne dans tous les esprits. Hier encore, une habitante de Strasbourg, voilée, s'étonnait que je puisse encore la saluer. Ce « malaise » dont je vous parlais tout à l'heure, je l'ai fortement ressenti à cette occasion.

Prenons garde à ne pas ouvrir une boîte de Pandore, qu'il sera très difficile ensuite de refermer, en adoptant une loi qui discrimine, une loi d'opportunité, une loi hypocrite.

Ce texte est discriminant car, sous prétexte de lutter contre le voile, ce sont les femmes en tout premier lieu que l'on fragilise, en portant atteinte au droit d'accès des femmes à la culture et à la connaissance, en mettant en danger leur épanouissement personnel et professionnel, comme l'ont très justement souligné de nombreux orateurs.

Ce texte est d'opportunité car il stigmatise des individus en particulier. Une loi interdisant les signes religieux à l'école ne réglera pas le problème de fond de la société française, à savoir les inégalités sociales et tout ce que celles-ci véhiculent. Cette discrimination sociale ne sera pas supprimée par une loi. La solidarité, ciment de la société française, doit garder tout son sens. Une loi ne peut que sonner le glas de la négociation et de la médiation nécessaires. La laïcité à la française doit demeurer la clé du « vivre ensemble ». Elle doit permettre de mieux vivre au sein de la République avec les différences de chacun.


L'on ne peut qu'être consterné lorsque l'on sait qu'il existe dans notre pays davantage d'entreprises qui ferment et qui licencient que de femmes voilées et lorsque l'on entend M. le ministre de l'éducation nous dire que « la question de la violence à l'école relève d'une approche éducative et pédagogique ». Alors que 76 000 actes de violence ont été officiellement recensés par le ministère pour l'année scolaire 2002 - 2003, vous faites une loi pour quelques dizaines de jeunes filles voilées à l'école ! Dans un sondage, dont Le Monde s'est fait l'écho dans son édition du 5 février 2004, il apparaît que 9l % des enseignants n'ont pas d'élèves voilées dans leurs classes. Est-ce à dire que cette loi n'est faite que pour 9 % des établissements scolaires ?

Ce texte est hypocrite car, pour l'instant, la question de la laïcité nous est posée dans la sphère scolaire. Demain, nous dit-on, elle se posera dans tout espace public. Faudra-t-il à nouveau légiférer quand il s'agira de la laïcité dans les services publics, l'administration, les médias, ou encore les établissements confessionnels sous contrat ? Je ne le souhaite pas à notre pays, qui est déjà montré du doigt à cause de ce débat. Après la laïcité, à quel grand principe s'attaquera- t'on ?

La mise en œuvre de la loi se heurtera aux problèmes d'appréciation et d'interprétation que l'on connaissait déjà dans l'ancien cadre juridique fixé par le Conseil d'Etat. S'agirait-il d'un simple retour à la case départ ? Que signifie réellement l'adjectif « ostensible » ? Nul ne saurait apporter une réponse claire à cette question. Auparavant, le terme d'« ostentatoire » lui était préféré. Je prends acte de ces querelles sémantiques auxquelles il serait bon de mettre fin en choisissant un terme intelligible pour chacun. L'adjectif « visible » serait, à mes yeux, un bien meilleur choix. Il présenterait surtout l'avantage de permettre un égal traitement des religions.

M. René Dosière. C'est vrai !

M. Armand Jung. En tant que député de Strasbourg, permettez moi d'évoquer maintenant devant vous le modèle apaisé de laïcité qu'est celui du droit local alsacien -mosellan, très largement méconnu ou incompris, mais souvent fustigé. René Dosière, député socialiste de l'Aisne, a été l'un des premiers à pleinement appréhender les tenants et les aboutissants du régime local des cultes dans son rapport relatif au projet de loi de finances pour 2002, qui fait encore autorité aujourd'hui.

M. René Dosière. Merci. Vous me faites rougir !

M. Armand Jung. Il a très justement conclu, à propos du régime local des cultes, qu'« on ne peut trouver meilleure illustration du fait que la République n'est nullement menacée par une diversité, qui, au contraire, l'enrichit et la consolide. »

Alors que se construit l'Europe et que l'islam est la deuxième religion en France, le modèle alsacien - mosellan aurait pu contribuer utilement à une réflexion renouvelée et moderne sur la place du fait religieux dans le cadre de ce projet de loi. André Malraux doit se retourner aujourd'hui dans sa tombe, lui qui avait prédit que « le XXIe siècle sera spirituel ou ne sera pas ». Dans son discours, M. le Premier ministre n'a même pas fait allusion à la situation spécifique et originale de l'Alsace - Moselle. M. le président de la commission des lois a également oublié cette référence. Si j'ai bien compris, après l'adoption de ce projet de loi deux types de dispositions cohabiteront, celles de ce texte et celles du droit local. Le rapport de la commission des lois le précise d'ailleurs bien. En effet, je peux y lire que le projet de loi a vocation à s'appliquer en Alsace-Moselle, mais aussi que le droit local reste en vigueur. C'est pour le moins contradictoire !

M. Émile Blessig. Mais non !

M. Armand Jung. Le statut local autorise en effet l'enseignement religieux dans les écoles, ce que ne permet pas le texte. Qu'en sera-t-il ? On me répond qu'une circulaire précisera les choses. Mais depuis quand une circulaire peut-elle trancher entre deux textes à valeur législative ?

La grande ambition que le Gouvernement a affichée sur ce texte se résume finalement à quelques lignes d'un projet de loi qui a mis en émoi pendant des mois tous les médias, tous les intellectuels et tous ceux qui s'intéressent à la chose publique. Finalement, pour régler un problème conjoncturel, vous utilisez l'arme législative là où des textes réglementaires auraient suffi. La méthode utilisée est décalée et démesurée. Faire croire, des trémolos dans la voix, que la République est en danger, que nous serions à la veille de la bataille de Valmy et qu'il faut mobiliser la nation n'est pas adapté à la situation.

Ce qui est ostentatoire aujourd'hui, monsieur le ministre, c'est le côté surréaliste et absurde de votre projet de loi. Je reste donc dubitatif.

M. Émile Blessig. Comment pouvez-vous rester dubitatif après ce que vous venez de dire ?

M. le président. La parole est à M. Axel Poniatowski.

M. Axel Poniatowski. Monsieur le président, monsieur le ministre de l'éducation nationale, mes chers collègues, il y a quelques mois, j'étais plutôt réservé quant à la nécessité d'une loi sur le port du voile. En effet, selon l'article 1er de la Constitution, « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ». Ce principe affirme un double refus - celui d'un athéisme d'Etat et celui de toute religion officielle -, cela en vue d'assurer une complète égalité des citoyens en matière de croyance et une pleine liberté de conscience.

Jamais il ne m'est apparu tolérable ou digne que de jeunes enfants ou des adolescentes puissent aller à l'école de la République revêtus d'un voile, quand ce n'est pas en abaya ou en tchador. C'est contraire aux valeurs d'égalité et de liberté enseignées dans nos établissements scolaires et à l'esprit de celles-ci ; c'est contraire au respect dû à la femme et au rôle grandissant et souhaitable que celle- ci est appelée à jouer dans notre société.

Pour autant, n'allait-on pas ouvrir la boîte de Pandore en légiférant sur le sujet et commencer à s'immiscer au plus profond des croyances religieuses des uns et des autres ? Car le sujet n'est pas celui du port du voile en soi. L'islam ne l'a pas inventé. Il a existé dans presque toutes les religions : perses, grecques, hindoues et chrétiennes. Certaines personnes portent toujours le voile dans les lieux de culte comme signe de respect, ou bien dans la vie de tous les jours comme marque de pudeur ou de protection.

Cette liberté-là est respectée et respectable, et on ne doit en aucun cas s'y opposer, au risque de porter atteinte à nos principes républicains. Autrement dit, le choix vestimentaire, pour quelque raison que ce soit, est un droit, un droit à admettre dès l'instant où il n'y a pas atteinte au respect du vécu des autres.

M. René Dosière. C'est là tout le problème !

M. Axel Poniatowski. Cette règle est bien celle des grandes démocraties occidentales. C'est bien cela qui nous distingue des régimes autoritaires ou autocratiques, ou bien tout simplement de ceux où est limitée la tolérance.

Le sujet n'est donc pas celui du port du voile en tant que tel. C'est celui de la distinction entre ce qui relève de la sphère privée et ce qui relève de la sphère publique. Le sujet, c'est celui des règles et des principes qui régissent les comportements et la vie en commun dans les services et dans les lieux publics, et tout particulièrement dans les écoles, les collèges et les lycées

Nous avons fait, il y a longtemps, le choix de permettre à tous les enfants vivant en France d'aller à l'école gratuitement, sans distinction de religion, de classe sociale ou d'appartenance communautaire. Cette école, nous l'avons voulu laïque et obligatoire, garante de l'égalité des chances au départ dans la vie. Ce choix nous le réaffirmons aujourd'hui, exactement pour les mêmes raisons.

Nous voulons que nos enfants aient accès à cet enseignement public dans les mêmes conditions d'égalité. Nous ne voulons pas qu'il y ait de barrières et que ces lieux soient marqués par les différences de castes, de religions ou d'appartenance communautaire. C'est à cet âge que l'on apprend le respect et la tolérance les uns à l'égard des autres. Or, c'est l'ostracisme qui risque de se développer aujourd'hui.

La vie en communauté est faite non seulement de libertés et de droits, mais aussi d'obligations et de devoirs. C'est à cette assemblée qu'il appartient de déterminer en toute conscience, sans polémique et sans arbitraire, ce qui lui apparaît être le meilleur dénominateur commun pour vivre ensemble, pour intégrer le mieux possible les croyances et les habitudes des uns, les cultures et les origines des autres.

Compte tenu du très vaste débat qu'a suscité cette question dans le pays depuis plusieurs mois, une simple directive ou circulaire est devenue insuffisante. Permettre aux chefs d'établissements d'enseignement public de s'appuyer sur la loi clarifiera définitivement toute discussion à ce sujet.

La communauté musulmane est forte de près de 5 millions de citoyens dans notre pays. Elle occupe une place importante. C'est une réalité dont il faut forcément tenir compte. Cette communauté est issue, dans sa très grande majorité, d'une immigration récente, et nous connaissons tous les problèmes d'intégration, parfois difficiles, que cela pose à une partie importante de cette jeunesse de la deuxième ou de la troisième génération. Ce que demande cette communauté, c'est avant tout le respect de sa culture, de ses valeurs, de ses habitudes, en un mot de sa spécificité. En même temps, elle est prête, dans sa très grande majorité, à adhérer aux règles de la République et à les respecter.

Pour toutes ces raisons, je voterai cette loi. Elle sera, je l'espère, l'expression d'un message fort, celui qui rassemble les Français sur l'essentiel des valeurs, des symboles et des comportements que nous affirmons nécessaires à l'idéal républicain. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Manuel Valls.

M. Manuel Valls. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une loi est nécessaire pour rappeler que la République est laïque et qu'elle ne peut pas accepter que l'école soit le lieu d'expression d'une quelconque appartenance religieuse.

Une loi est nécessaire, parce que l'école est attaquée par la poussée identitaire et théocratique.

Une loi est nécessaire, parce qu'il faut protéger un modèle d'émancipation pour tous, au nom de l'égalité des chances.

Une loi est cependant insuffisante, parce que le débat actuel, passionné, sur les signes religieux à l'école manifeste d'abord la crise de notre pacte républicain, de son contenu, et l'échec de notre modèle d'intégration.

L'abandon depuis trop longtemps, par les partis de gouvernement, par les élites de ce pays, de l'idée de nation, c'est-à-dire le choix que font des femmes et des hommes de partager des valeurs et une ambition, de se donner des règles pour vivre ensemble, est au fond le premier problème de notre modèle social et d'intégration. Comment espérer dès lors que les nouveaux arrivants se laissent gagner par un sentiment d'appartenance à une nation qui ne dit pas son nom et que personne ne sait plus définir ?

Le triptyque républicain « Liberté, Egalité, Fraternité » apparaît trop souvent comme une simple déclaration d'intention. Et pour cause, le blocage de l'ascenseur social, la ségrégation sociale, ethnique et territoriale, le chômage, l'échec scolaire créent un sentiment d'injustice qui mine notre pays et sur lequel prospèrent l'extrémisme et le fondamentalisme.

M. Jean-Pierre Blazy. Absolument !

M. Manuel Valls. Trop d'incompréhensions et d'amalgames perdurent. La France n'a toujours pas fait le travail de clarification et de compréhension de son passé colonial. Comment ne pas comprendre que ce flou perturbe le rapport entre notre pays et les citoyens issus de l'immigration ? Un regard objectif doit être porté sur cet épisode de notre histoire nationale. C'est un préalable à l'apaisement du débat et très certainement aussi l'occasion de redéfinir ce que doit être la voie de la France dans le monde.

La sémantique jonglant entre immigrés, intégration, musulmans, Maghrébins, Français issus de l'immigration, au gré des besoins du moment, empêche notre pays de s'accepter tel qu'il est, c'est-à-dire comme une terre d'immigration. Cela crée des crispations qui se retrouvent dans la politique d'immigration française, complexée, presque honteuse, qui n'ose pas dire que l'immigration est aussi une chance pour la France, ce qui n'est pas contradictoire avec des politiques nationale et européenne de gestion de flux migratoires.


L'immense majorité des immigrés qui arrivent en France croient à une sorte de « rêve français ». Ils veulent réussir. C'est la perspective d'une vie meilleure qui créé l'adhésion aux valeurs de la terre d'accueil, la capacité de cette terre à en faire des citoyens à part entière. Or, la plupart des immigrés, de leurs enfants, de leurs petits-enfants et, plus globalement, tous les exclus de notre système social sont coincés dans des quartiers au sein desquels personne, a priori, ne voudrait vivre.

M. Jean-Pierre Blazy. C'est vrai !

M. Manuel Valls. Pour débloquer cette situation, il est indispensable d'agir en offrant des perspectives fortes. Un nouveau volontarisme républicain est nécessaire pour casser le ghetto territorial et le ghetto symbolique.

La priorité nationale doit aujourd'hui être la reconstruction des quartiers populaires et la mise en œuvre de la mixité sociale par une méthode plus poussée que la sanction financière telle qu'elle est prévue dans la loi SRU.

M. Jean-Pierre Blazy. Oui !

M. Yves Durand. Très bien !

M. Manuel Valls. Du développement de programmes d'habitat à la réforme de notre fiscalité locale, fiscalité absurde et injuste, il est des mesures qui changeraient en profondeur la donne dans les quartiers urbains.

La seule réponse policière apportée par le Gouvernement montre déjà ses limites, quand l'éducation et l'emploi ne sont pas dotés dans ces quartiers de moyens exceptionnels...

M. Yves Durand. Très juste !

M. Manuel Valls. ...et quand la désespérance sociale étreint toujours plus de citoyens. Oui, l'école doit être au cœur de l'ambition nouvelle pour les quartiers populaires. Monsieur le ministre, vous ne l'avez pas encore compris !

Le ghetto symbolique enfin doit être abattu. Les discriminations à l'embauche, au logement, doivent être sévèrement condamnées. Mais il faut aller plus loin.

L'action positive - terme bien préférable à celui de discrimination positive - est une voie à explorer. Le choix des critères de sa mise en œuvre est primordial. Ils doivent être territoriaux et sociaux, introduits au nom du mérite et de l'égalité de traitement. La République doit s'employer à réparer l'ascenseur social.

Parce qu'ils constituent une part importante des classes populaires, et qu'une écrasante majorité d'entre eux appartient à ces classes populaires, les citoyens issus de l'immigration extra-européenne, souvent de confession musulmane, seront les premiers concernés par l'application de telles mesures. Ils cumulent les handicaps : relégués, exclus, discriminés. Comment, dans ces conditions, réclamer qu'ils s'identifient à la République ? Comment, dans ces conditions, ne pas comprendre que des enfants issus de l'immigration, Français pour la plupart, se cherchent et se tournent vers une autre identité ?

L'action positive, comme elle est pratiquée de manière expérimentale à Sciences Po, ou une action positive appliquée dans l'enseignement supérieur ou dans la fonction publique, notamment dans les IUFM, la police ou les collectivités locales, pourrait constituer une action a posteriori, une correction tardive et néanmoins nécessaire des inégalités.

La laïcité garantit le libre exercice de toutes les religions. Depuis 1905, le paysage spirituel a changé. Il s'est enrichi d'une plus grande diversité. Or, depuis des décennies, nous avons fait comme si l'islam n'existait pas. Notre pays rechigne encore à ouvrir aux musulmans le droit de disposer de carrés confessionnels dans les cimetières, d'avoir accès à un abattoir lors de l'Aïd el-Kébir, d'être aidés dans la formation d'imams et de clercs francophones, et surtout d'avoir le droit de pratiquer leur religion ailleurs que dans des caves ou que dans des appartements désaffectés. Il ne faut pas avoir peur de le dire : l'édification de lieux de culte pour les dernières vagues d'immigration doit être financée par les pouvoirs publics, pour mettre un terme aux influences de groupements intégristes et de gouvernements étrangers, pour imposer la transparence.

La France, de par sa position et ses valeurs, peut être le lieu d'éveil d'un islam moderne, la preuve qu'islam, démocratie et laïcité sont compatibles. Ici, le processus de modernisation de l'islam, cassé par les enjeux de la guerre froide, au même titre qu'a été cassé, après la décolonisation, le rêve de ceux qui voulaient instaurer une laïcité arabe, peut aller à son terme.

Et, comme l'a souligné Jean-Marc Ayrault mardi, il y a une logique, une cohérence à s'opposer à une croisade fondée sur le mensonge en Irak, à chercher une solution juste, durable et équilibrée au Proche-Orient, à organiser le culte musulman dans notre pays, à rendre obligatoire la formation de nos enseignants à l'étude du fait religieux, à faire vivre la laïcité et, à travers la loi, à protéger l'école, cet « asile inviolable où les querelles d'hommes ne pénètrent pas », selon la formule de Jean Zay.

Pour concrétiser la nouvelle ambition républicaine, un pas essentiel peut être franchi avec la mise en œuvre d'un pacte national d'intégration connu de tous, liant clairement la France à ses immigrés, fixant la volonté de notre pays et ses attentes vis-à-vis des nouveaux arrivants. La citoyenneté de résidence, sas vers la naturalisation et véritable catalyseur de l'intégration, doit remplacer la carte de séjour de dix ans, en ouvrant aussi le droit de vote aux élections locales et en garantissant l'accès aux droits que les discriminations empêchent souvent de faire valoir. C'est comme cela que nous ferons aimer notre pays, sa langue et ses couleurs.

Une loi est donc nécessaire pour redonner du sens aux valeurs de la République. C'est une nécessité en considération de l'exigence que nous portons, essentielle dans notre débat : celle de l'égalité entre les hommes et les femmes. Aucune loi n'interdit à une femme de circuler voilée dans l'espace public ou privé. C'est sa liberté absolue. Mais quand cette apparence devient un symbole politique et idéologique, quand elle est assimilée à une identité de repli indiquant la soumission de la femme, alors c'est la liberté de la République qui est menacée. Les femmes sont les premières victimes de la violence, de la régression des mœurs et des coutumes, qui prennent d'ailleurs d'autres formes que le voile. C'est insupportable. La République ne peut pas les abandonner.

M. François Goulard. Très juste !

M. Manuel Valls. Une fois votée, la loi devra être mise en œuvre dans un esprit de dialogue et de médiation. Elle doit être aussi la plus claire possible, comprise par tous. D'où le sens de nos amendements.

L'évaluation de son application sera aussi nécessaire. Comme toute loi, elle ne peut prévoir toutes les situations et devra donner lieu à des interprétations administratives qui s'appuieront sur nos débats, puis sur la jurisprudence.

Ce qui est évident, c'est que cette loi, en plein respect des principes de notre laïcité, donnera aux chefs d'établissement et aux enseignants, qui nous les demandent, les moyens d'action supplémentaires dont ils ont besoin.

La laïcité est un principe. Il n'est pas évident. C'est un fruit culturel qui s'acquiert, qui se transmet. Ce que nous entendons par laïcité doit devenir audible par chacun, car l'interdiction n'est pas une fin. La République souffrirait si la laïcité continuait à être vécue comme un prétexte, une contrainte. Une contrainte ne créera jamais une manière d'être et, parce qu'elle est subie, ne sera pas un facteur d'adhésion.

La République laïque ne peut donc pas se passer de la République sociale, de la promotion, de la reconnaissance de chacun et de son apport. La politique économique, sociale, éducative du Gouvernement nous éloigne malheureusement de cet objectif.

Pourtant, j'en suis convaincu - sur ce point, j'ai évolué, comme beaucoup d'autres -, une loi est nécessaire pour répondre avec fermeté à la menace que représentent, pour notre République, le repli identitaire et la tentation communautariste, qui trouvent un écho, à droite, parmi certains libéraux fascinés par le modèle anglo-saxon, à gauche aussi, parmi ceux qui rêvent d'une alliance avec « les porte-parole, nouveaux prédicateurs des déshérités ». Quelle faute !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Très bien !

M. Manuel Valls. Les républicains, eux, ont le devoir de redonner du sens à la communauté nationale, celle qui soude le peuple, celle qui génère les repères communs.

La République ne doit pas céder face aux pressions. Elle doit s'affirmer. Elle ne peut pas avoir peur ni laisser transparaître la moindre faiblesse, la moindre hésitation.

Elle doit réaffirmer ses principes. C'est le préalable au rétablissement du sentiment que nous partageons une communauté de destin. Tel doit être le sens - au-delà de ce qui nous sépare, de ce qui nous oppose - d'une loi de concorde nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Valérie Pecresse.

Mme Valérie Pecresse. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, je l'avoue : j'étais, à l'origine, farouchement opposée au vote d'une loi sur les signes religieux à l'école. La laïcité à la française, fruit de l'histoire et de nombreuses « guerres de religion », me paraissait un compromis équilibré entre le respect des convictions religieuses et le bon fonctionnement du service public de l'éducation nationale.

Membre du Conseil d'Etat, j'avais observé avec quelle prudence le juge s'était saisi de la question du voile islamique ou de celle d'étudiants juifs refusant de passer des examens le samedi matin. Rapporteure d'un projet de décret obligeant les Français à poser « tête nue » sur leur carte d'identité, j'avais dû faire face à de sérieuses réticences de conseillers d'Etat qui m'opposaient les traditions culturelles et la pudeur des femmes musulmanes. Il était évident que la « laïcité républicaine », telle que nous la pratiquions depuis des décennies, était nourrie du respect de l'autre, ouverte et tolérante.

A l'école, le Conseil d'Etat obligeait ainsi à apprécier au cas par cas chaque situation individuelle. Le port d'un signe religieux, quel qu'il soit, le voile, la kippa, la grande croix, n'était pas en lui-même interdit dans l'enceinte scolaire. Ce n'est que s'il s'accompagnait, de la part de l'élève, d'un comportement qui portait atteinte aux règles fondamentales de l'enseignement public - le refus d'assister à certains cours, par exemple - ou si les conditions dans lesquelles le signe religieux était porté s'apparentaient à de la provocation ou du prosélytisme, que le chef d'établissement pouvait réagir.

Cette position prudente, nuancée - qui avait cependant, en raison même de cette subtilité, pour effet pervers d'obliger parfois les chefs d'établissement à réintégrer des élèves indûment sanctionnés -, accompagnée de l'action de médiateurs scolaires, avait permis, de contenir, depuis la fin des années 80, l'arrivée des signes religieux ostentatoires à l'école, notamment du voile islamique.

Devenue députée, je redoutais que l'intervention du législateur, comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, ne vienne briser l'équilibre ainsi trouvé, toujours fragile.

M. Jean-Pierre Blazy. Comme si c'était possible ! (Sourires.)

Mme Valérie Pecresse. Cela peut arriver !

M. François Goulard. Il y a tout de même quelques éléphants ici, il faut bien de dire ! (Sourires.)

Mme Valérie Pecresse. Mais j'ai changé d'avis. Un maire de ma circonscription m'a appelée un matin pour m'avertir qu'une principale de collège se trouvait en difficulté. Des élèves convoquées en conseil de discipline s'étaient présentées devant elle avec leur avocat. La chef d'établissement était déstabilisée face à ces jeunes qui connaissaient mieux qu'elle le droit et la procédure disciplinaire. Confrontée à cette situation, j'ai pris conscience que la jurisprudence du Conseil d'Etat, dans sa subtilité et sa sagesse, n'était plus adaptée.

Il nous fallait une loi, claire, simple, sans fioriture, qui exprime la volonté de la nation, et vienne conforter l'autorité des chefs d'établissement et des recteurs. Nous ne pouvions rester indifférents à leur appel au secours.

La quasi-totalité des chefs d'établissement auditionnés par la commission Stasi m'ont confortée dans ce sentiment : ils demandaient l'affirmation d'une règle claire et objective qui soit prise et assumée par le pouvoir politique, afin qu'ils puissent exercer sereinement leur mission.

J'ai brutalement réalisé que, quinze ans après l'adoption de la jurisprudence du Conseil d'Etat, les choses avaient changé. Celle-ci ne permettait plus désormais de faire face à la montée des revendications identitaires, aux affrontements de plus en plus fréquents et violents dans les établissements autour des questions religieuses, ni à la radicalisation intégriste.

Or cet intégrisme musulman, en obligeant les jeunes filles à porter le voile à l'école - parfois contre leur gré -, en édictant pour elles des règles de comportement différentes de celles des hommes, freine leur intégration à la société française, ferme leurs perspectives professionnelles et les entretient dans un repli communautariste totalement contraire à la tradition du creuset français.

Nous devons réaffirmer que l'école est le premier lieu d'émancipation de la femme. C'est par l'instruction que les femmes ont peu à peu conquis leur indépendance, en France comme en Turquie ou au Maghreb.

Nous sommes la patrie des droits de l'homme. Il y a, dans notre Constitution, un principe fondamental d'égalité des sexes. Toutes les religions présentes sur notre sol doivent s'y plier. Nous ne devons pas avoir peur de le dire à tous ceux qui défendent une vision de la femme inférieure ou soumise à l'homme : en France, la femme est un homme comme les autres !

M. Jean-Pierre Blazy. Très bien !

Mme Valérie Pecresse. Pour toutes ces raisons, je voterai ce projet de loi qui interdit dans les écoles « les signes qui manifestent ostensiblement l'appartenance religieuse des élèves ». Plus besoin pour les chefs d'établissement de porter un jugement subjectif sur le comportement provocateur ou prosélyte de l'élève. Rien qu'un constat objectif : cet insigne religieux trouve-t-il ou non sa place dans l'école laïque, celle de notre République ?

Le signe religieux qui sera interdit est celui qui exclut l'élève du reste de la communauté scolaire, qui l'empêche de s'intégrer du fait de son appartenance religieuse ostensiblement affichée et immédiatement reconnue, et qui n'a donc pas sa place dans l'enceinte de l'école publique. Ce sont le voile, la kippa ou la grande croix.

En revanche, je suis hostile à une interdiction totale de tous les signes religieux « visibles », qui s'étendrait aux signes discrets : petites croix, étoiles de David, corans miniatures...

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Très bien !

Mme Valérie Pecresse. D'abord, parce qu'une telle interdiction, beaucoup trop rigide, serait contraire au principe constitutionnel de la liberté de conscience, qui doit être concilié avec celui de laïcité.

M. François Goulard. Absolument !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Tout à fait !

Mme Valérie Pecresse. Ensuite, parce que l'enfance, et surtout l'adolescence, sont des périodes de construction de l'identité, notamment religieuse, et qu'il n'appartient pas à l'école de s'immiscer dans cette réflexion intime.

Enfin, parce qu'une telle interdiction serait purement et simplement inapplicable. Une blouse s'entrouvre et le signe religieux d'invisible devient visible. Faut-il l'interdire ? L'élève porte une médaille souvenir, mi-talisman, mi-héritage, sans connotation religieuse particulière. Faut-il la lui enlever ? Se poser en permanence ce genre de question, ce n'est pas le rôle des chefs d'établissement. Il n'y a rien de pire qu'une loi qui ne peut être appliquée : elle devient vite le symbole de l'impuissance du législateur, de l'impuissance de l'Etat et de l'impuissance du politique. Ce constat d'impuissance fait le lit de tous les extrémismes, et tout particulièrement du Front national.

Pour toutes ces raisons, je voterai ce projet de loi, seul à même de sauvegarder notre pacte républicain. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Gautier.


Mme Nathalie Gautier
. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs mois s'est engagé un débat sur la laïcité dans notre République, soulevant des questions qui se sont imposées avec force, au-delà du problème posé par le port de signes religieux dans l'espace de l'école publique. La société française dans son ensemble s'est saisie de ces questions fondamentales. Enseignants, familles, syndicats, intellectuels, obédiences religieuses, chacun s'est interrogé sur l'évolution de notre société et sur la capacité de notre République à répondre aux défis actuels : l'égalité des chances pour les hommes et les femmes, citoyens français issus de l'immigration ; la lutte contre toute forme de racisme, d'antisémitisme et d'intégrisme ; l'égalité entre les femmes et les hommes ; la place de l'islam en France, car il doit y avoir une place pour un islam laïque et moderne dans notre pays.

Je veux aborder, en premier lieu, la question de l'égalité entre la femme et l'homme, car elle est au cœur du débat sur la laïcité.

Il y aura donc une loi, qui réaffirmera le principe de laïcité à l'école et préservera clairement le principe de l'égalité entre les sexes. Les droits des femmes et la laïcité sont deux principes non négociables.

Pour ma part, je refuse l'entrée du religieux dans l'école laïque. La conviction religieuse est une affaire privée. Or, l'école appartient à la sphère publique et ne peut être assujettie à quelque croyance que ce soit. Je refuse également la discrimination à l'égard des femmes qu'exprime le port du voile islamique, lequel fait de la femme une citoyenne de seconde zone, exclue de l'espace public, alors même que la République fait de l'égalité entre la femme et l'homme un principe constitutionnel.

C'est au nom de ces deux principes fondamentaux qu'une loi me paraît nécessaire, parce que je n'accepte pas qu'une jeune fille de quatorze ans soit contrainte, sur ordre de son père, de quitter son équipe de volley, car les matchs et les entraînements se déroulent les week-ends, parce que je n'accepte pas que, dans mes quartiers, des jeunes filles se voient priver d'aller à la piscine avec leur classe, de sorties sportives ou culturelles avec leurs professeurs, au seul motif que c'est la loi du père ou du grand frère qui s'applique à l'encontre de la liberté de la femme, parce que je n'accepte pas que des jeunes femmes employées comme agents dans les bureaux de poste de mes quartiers soient insultées parce qu'elles ne portent pas le voile.

J'ai reçu, hier soir, dans ma circonscription, à Villeurbanne, l'association Ni putes ni soumises, venue créer un comité local dans le Rhône et tenir une réunion publique. L'assistance était nombreuse, la salle comble. Permettez-moi de témoigner dans cet hémicycle du respect et de l'admiration que j'ai ressentis pour les filles et les garçons qui sont à l'origine de ce mouvement. Porte-parole de ce qui se passe aujourd'hui sur le terrain, dans les quartiers, ils dénoncent non seulement la souffrance de filles et de femmes empêchées de vivre librement sous la dépendance des pères ou des frères, mais aussi la discrimination sociale que vivent trop souvent les garçons et les filles issus de l'immigration. Pourtant, ils refusent d'entendre parler d'intégration, de deuxième, de troisième ou de quatrième générations : ils sont citoyennes et citoyens français à part entière, à égalité de droits et de devoirs. Ils veulent l'égalité des chances, l'égalité entre les femmes et les hommes.

Ils ont osé prendre la parole, lever les tabous, pour dénoncer la montée silencieuse, mais bien réelle, de l'intégrisme religieux. Il faut du courage et de la détermination pour affronter ce qui est aujourd'hui passé sous silence. Les enseignants ont été les premiers témoins de ces dérives parce que l'école est au cœur de ces évolutions, de ces fractures, de ces confrontations. Ils n'ont pas toujours été entendus.

L'association Ni putes ni soumises regroupe celles et ceux qui vivent dans ces quartiers et qui ont décidé de réagir. Elle nous rappelle que dans les cités plus qu'ailleurs, des adolescentes subissent des pressions quotidiennes à propos de leurs tenues vestimentaires, de leurs relations amoureuses, de leur sexualité. Une autre association, VIFF, présente et active à Villeurbanne depuis vingt ans, lutte contre les violences faites aux femmes. Elle témoigne aussi de la recrudescence importante des mariages forcés, dont le nombre a été multiplié par trois en un an !

Je souhaite également vous livrer les réflexions dont m'a fait part récemment une association de femmes musulmanes, composée de filles de l'immigration qui habitent un quartier de ma ville, qui regroupe 70 % de logements sociaux et cumule chômage et pauvreté. Elles ne veulent plus entendre parler d'intégration : elles sont françaises, citoyennes de la République. Mais elles veulent que l'on entende leurs voix et leurs témoignages. Elles veulent protéger leurs voisines, qui subissent la pression quotidienne que leurs conjoints exercent sur elles pour les soumettre à l'impératif religieux de porter le voile, qui signifie leur enfermement progressif. Ces témoignages qu'a recueillis la mission Debré ont montré l'ampleur de l'intégrisme religieux et l'urgence d'y mettre fin.

Dans ma circonscription, à Villeurbanne, ville située dans les faubourgs industriels de Lyon et constituée des vagues successives d'immigrants de toutes nationalités et confessions - Espagnols et Italiens fuyant le fascisme, Arméniens fuyant le génocide, juifs ashkénazes de l'Europe de l'Est, juifs séfarades d'Afrique du Nord, Algériens, Marocains, Tunisiens, Turcs, Africains du Sénégal et du Mali -, cette pluralité d'origines, de confessions et de cultures a trouvé à l'école républicaine un espace commun, un espace de valeurs communes à partager. « Nous sommes tous venus d'ailleurs, nous sommes tous devenus d'ici » : cette phrase résume à elle seule notre ville.

Mais l'intégration républicaine dont nous sommes si fiers, à juste titre, se combinait avec l'espoir d'un avenir meilleur, avec la croyance en l'égalité des chances et la certitude d'une promotion sociale. C'est le travail, la fierté de pouvoir assumer l'éducation de ses enfants et de faire vivre sa famille qui a permis l'intégration à la communauté nationale. La période de plein emploi a joué son rôle et le respect de la laïcité à l'école a permis à tous les élèves d'origines et de confessions diverses de grandir ensemble.

Or, aujourd'hui, le chômage de masse s'est durablement installé. La précarité est devenue le quotidien d'un grand nombre de ces familles. De travailleur, on est devenu inutile, voire indésirable, et l'assignation à résidence est devenue la règle dans les quartiers les plus pauvres. L'ascenseur social, qui garantissait l'intégration, s'est grippé. La désillusion a provoqué l'amertume, voire la révolte des jeunes de la deuxième génération, qui espéraient un avenir meilleur que le destin d'immigrants subi par leurs parents. Le repli identitaire a suivi, avec ses dérives fondamentalistes. L'école en a été le premier témoin parce qu'elle est au cœur des quartiers où s'expriment ces confrontations, ces différences, ces inégalités.

Il est clair que le projet de loi ne saurait, à lui seul, supprimer les causes de ces phénomènes et ces discriminations. La politique de la ville a tenté, souvent avec succès, de corriger les effets de la ségrégation urbaine et sociale, mais elle n'a pas suffi à combattre les désastres sociaux causés par le chômage. Pour autant, je n'ai pas l'intention de plaider pour la discrimination positive. Ce terme est choquant et il ne correspond pas à l'objectif d'une République laïque et fraternelle.

Oui, la discrimination sociale est réelle. Oui, l'égalité des chances et la solidarité sont une exigence. C'est pourquoi la République laïque que nous voulons faire vivre doit être également une République sociale, faute de quoi elle ne peut être un idéal partagé par tous.

Mais ces difficultés ne sauraient être le prétexte ou la justification d'une dérive communautariste ou du sectarisme religieux. Hier soir, face à l'association Ni putes ni soumises, des jeunes filles voilées et les militants associatifs qui les accompagnaient se sont exprimés avec une grande virulence pour dénoncer l'islamophobie dont ils seraient victimes. Leurs prises de parole témoignent d'une grande confusion au sujet de la laïcité.

Il est temps que les principes forts et fondateurs de notre République soient réaffirmés et que des limites claires soient posées face à toute dérive. Rien n'est jamais gagné. C'est en réaffirmant des principes, en nous battant pour des valeurs de progrès, d'égalité, de démocratie, que nous bâtirons une République laïque et respectueuse de tous. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Grand.

M. Jean-Pierre Grand. Une fois encore, monsieur le ministre, le Gouvernement permet au Parlement de débattre d'un problème de société et de prendre les mesures qui s'imposent. Ainsi, après avoir été saisis de projets de loi sur les retraites, l'immigration, la sécurité ou la violence routière, pour ne citer que des sujets sensibles,...

M. Jean-Pierre Blazy. Très sensibles, en effet, surtout les retraites !

M. Jean-Pierre Grand. Vous, vous ne l'avez pas fait.

M. Manuel Valls. Heureusement !

M. Jean-Pierre Grand. Après avoir été saisis de projets de loi portant sur des sujets sensibles, disais-je, nous débattons aujourd'hui du respect de la laïcité dans les établissements scolaires. La question que vous nous posez est celle de savoir si la représentation nationale accepte ou refuse le port du voile islamique dans nos écoles publiques. La question est précise, notre réponse ne peut que l'être également.

Le débat sur le voile et la laïcité recouvre un conflit entre deux libertés : d'une part, une liberté individuelle, qui est celle de pouvoir exprimer sa foi en tous lieux et en toutes circonstances - et nous affirmons notre respect de toutes les religions et de tous les cultes - et, d'autre part, une liberté collective, qui est celle, pour tout peuple, de pouvoir vivre au sein d'une nation unie et apaisée, hors des conflits ethniques et religieux. Lorsque le droit à une liberté individuelle passe du stade de l'expression à celui de la manifestation et, plus encore, à celui de la revendication collective, naît un conflit. Assurément, nous y sommes.

Le débat sur le voile révèle un conflit entre une liberté et une pratique que le respect des règles de la laïcité tranchera.

La laïcité est précisément le concept philosophique que le peuple français a inventé pour que la liberté collective et le droit de chacun à vivre dans une nation une et indivisible, apaisée et citoyenne, demeure la règle, sans pour autant opprimer et rendre impossible la liberté de l'expression de sa foi. Or, revendiquer haut et fort le port ostensible de signes religieux à consonance identitaire et communautariste revient à contester les principes de laïcité. C'est une atteinte intolérable aux principes fondamentaux de notre République.

Le déchaînement des passions à l'étranger prouve bien qu'à travers la question du voile, c'est le principe de laïcité que l'on veut atteindre. Les islamistes les plus radicaux instrumentalisent la religion à des fins politiques et n'hésitent pas à manipuler pour cela de jeunes femmes dont ils font l'instrument de leur intolérance et de leurs provocations. Face à cet islam-là, intégriste, intolérant et agressif, nous devons protéger notre nation. Cet islam-là, dans lequel ne se reconnaissent pas la majorité de nos concitoyens de confession musulmane, ne gagnera pas son combat contre notre République.

Nous sommes le seul pays au monde à proposer le principe de laïcité comme principe de civilisation. Pour ma part, je considère, dans cet esprit, que tous les signes religieux ostensibles ou provocateurs sont inadmissibles dans l'enceinte de l'école publique.

Oui, nous devons préserver l'école de la République comme lieu d'égalité et d'intégration. Or le port du voile à l'école remet en cause cette perspective. Ces positions, largement partagées par nos concitoyens, n'excluent nullement, dans mon esprit et dans celui de la loi, la possibilité pour chacune et chacun de conserver sur soi des signes discrets d'appartenance confessionnelle.

Je le disais à l'instant, nous sommes le seul pays au monde à proposer le principe de laïcité comme principe de civilisation. Cette situation exceptionnelle, qui nous place en avance sur les autres démocraties, nous impose des devoirs moraux et politiques. Il est en particulier un principe avec lequel nous ne pouvons transiger : celui de l'égalité des sexes. La liberté et la dignité de la femme demeurent pour nous des principes fondateurs de notre civilisation, et nous n'accepterons pas qu'il y soit porté atteinte. La religion ne peut servir d'alibi au retour à des pratiques obscurantistes dont les femmes seraient les premières victimes.

Ce débat nous permet également de rappeler notre conception de la République, du progrès et de la dignité humaine.

Permettez-moi, monsieur le ministre, mes chers collègues de citer l'écrivain Tahar Ben Jelloun, qui déclarait récemment dans un quotidien du soir : « Si la France se laisse intimider par une minorité de gens qui se servent de l'islam pour rejoindre dans un saut étrange la régression que leurs parents ont laissée au pays, c'est qu'elle est en train de mettre en péril d'autres acquis, d'autres valeurs ».

En conclusion de cette rapide analyse, je veux redire que je suis au nombre de ceux qui, dans et hors de cet hémicycle, reconnaissent le courage politique du Gouvernement. En soutenant aujourd'hui votre texte, monsieur le ministre, nous partageons modestement l'honneur de ce courage politique. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Je vous remercie.

M. le président. La parole est à M. Bruno Le Roux.

M. Bruno Le Roux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat qui se déroule depuis plusieurs heures dans cet hémicycle touche aux convictions que nous nous sommes forgées dans nos parcours de militants républicains. Dès le début de mon engagement politique, j'ai eu le sentiment que la République, qui garantit la liberté et la capacité d'épanouissement, d'émancipation, est un très beau système. Nulle part ailleurs, je n'en ai trouvé de meilleur et j'estime qu'il est le mieux à même de régler les problèmes graves qui se posent à la société française.


Ma position sur ce dossier s'inspire largement de mes convictions de militant de l'éducation populaire. J'ai toujours pensé que l'éducation était la clé de l'émancipation des hommes et de femmes, et que tous les problèmes à l'origine du mal-être actuel de notre société pouvaient trouver une solution dans la liberté supplémentaire que procure l'émancipation accordée aux hommes et aux femmes.

Comme un certain nombre de mes collègues, il y a quelques mois, j'étais farouchement opposé à cette loi. Mais alors que beaucoup de ceux qui sont montés à cette tribune disent qu'ils ont changé d'avis, je ne suis pas encore sûr de pouvoir en dire autant. Je suis heureux que nous puissions avoir un débat, mais celui-ci me semble trop restreint. Le faire porter sur la question des insignes religieux ne me semble pas être la meilleure des façons, pour une république telle que la nôtre, dépositaire d'une tradition dont nous sommes les héritiers, d'aborder la question de société qui se pose au début de ce XXIe siècle. Cela ne me paraît pas constituer une bonne introduction à un débat de société sur la laïcité, et la façon dont ce principe doit s'appliquer à une société qui a fondamentalement évolué. Je ne pensais d'ailleurs pas, monsieur le ministre, avoir à débattre d'une loi sur la laïcité un an avant le premier centenaire de la loi de 1905 sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat.

Il convient de dire quelques mots sur le concept de laïcité, afin de vérifier que nous parlons tous de la même chose.

M. Jean-Pierre Blazy. Cela m'étonnerait !

M. Bruno Le Roux. Je pense que la laïcité fait partie du pacte républicain, et que si elle peut être appliquée selon des modalités diverses, elle doit constituer une valeur commune qu'il nous appartient de défendre à chacun des instants de notre vie publique. En effet, nombreux sont ceux, ces dernières années, qui ont écorné le principe de laïcité en instaurant, par leurs comportements, une confusion quelquefois dramatique entre la vie publique et la vie religieuse.

M. Yves Durand. Tout à fait !

M. Bruno Le Roux. Pour les socialistes, la laïcité est aussi importante que la démocratie, les droits de l'homme, et l'égalité entre les hommes et les femmes. C'est une valeur vivante qui doit être élargie aux problèmes de notre temps.

J'ai la chance, depuis maintenant trois ans, de donner tous les vendredis matin un cours d'instruction civique à des élèves de CM2. Nous sommes nombreux à le faire sur les bancs de cet hémicycle, souvent dans des quartiers très difficiles, avec des classes ghettoïsées, composées d'élèves qui ne sont là que parce que leurs parents n'ont pas réussi à quitter le quartier. Durant ce cours d'une heure et demie, les questions de la laïcité et du voile sont systématiquement à l'ordre du jour. Il m'appartient d'expliquer à ces élèves qu'en entrant dans la classe, qui comprend très certainement un pourcentage élevé de jeunes français d'origine musulmane, je suis heureux de ne pas pouvoir pointer du doigt celui qui est musulman et celui qui ne l'est pas, celui qui est pratiquant et celui qui ne l'est pas.

Leur parler de laïcité m'amène également à leur parler de respect. Si l'un d'entre eux arbore un signe religieux, je suis obligé de lui dire que je souhaite qu'il le retire, mais je dois aussi lui faire comprendre que l'école a pour but de lui assurer un avenir le plus fécond possible, que la République doit lui assurer la liberté de culte, et lui garantir qu'il sera respecté en tant que musulman.

Ceci nous amène à la question des carrés musulmans dans les cimetières, et à la question des mosquées. Il est indigne de laisser les gens prier dans des caves - ce qui est le cas dans les quartiers qui concentrent aujourd'hui toutes les difficultés - et dans un élan républicain, nous devons nous élever contre cette indignité. Tout militant laïc doit être aussi un militant républicain, et avoir pour objectif d'assurer le respect de l'islam dans notre pays. A ce sujet, je pourrais parler de la formation des imams, ou des initiatives qui ont été prises concernant l'Aïd-el-Kébir, qui témoignent de la nécessité d'introduire ce débat dans notre société.

La loi que nous allons voter ne doit pas être porteuse de la moindre discrimination, ni même en être suspectée. Sans me lancer dans un débat sémantique, je voudrais vous dire, monsieur le ministre, que j'ai lu attentivement les analyses juridiques qui ont été faites au sujet de ce projet de loi, notamment celles portant sur les termes « visible » et « ostensible ». Il ressort des débats qui ont eu lieu ces dernières semaines que s'il y a nécessité d'une loi, celle-ci ne doit pas être ressentie comme visant essentiellement une religion. Or, en dépit de toutes les précautions qui ont été prises pour donner un titre à cette loi, l'opinion publique, quant à elle, a tranché : c'est une loi sur le voile que nous allons voter, et il ne viendrait à l'idée de personne de penser autre chose.

Je vous le dis, monsieur le ministre, je ne souhaite pas voter une loi sur le voile. Je veux bien voter une loi qui porte application du principe de laïcité, mais je préférerais que le mot « laïcité » ne figure pas dans le titre de cette loi, et que, sur ce point, nous nous reportions uniquement au texte de 1905. Voter cette loi ne me gênerait pas, si j'étais certain de pouvoir expliquer à l'issue de ce débat qu'elle est la même pour tout le monde, qu'elle est universelle, qu'elle n'est pas de circonstance - ce que nous devrions pouvoir démontrer -, ni dirigée contre un insigne religieux. Or, le mot « ostensible » renverra toujours à l'image du voile, du fait des termes dans lesquels vous avez posé le débat.

Plusieurs députés du groupe socialiste. Il a raison !

M. Bruno Le Roux. C'est une motivation purement politique, le souci de préserver le concept de communauté nationale, qui fait que je resterai arc-bouté sur le mot « visible ». J'ai entendu vos démonstrations juridiques ; mais ayant également à l'esprit la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et le principe de liberté qui doit s'appliquer dans cet espace public qu'est l'école, politiquement, je pense qu'il n'est pas possible de voter une loi dont on continuera à dire qu'elle est une loi sur le voile.

Monsieur le ministre, sommes-nous sûrs du signe que nous souhaitons envoyer aujourd'hui ? Je pense que nous pouvons nous accorder sur le fait que ce texte doit répondre à la radicalité politique apparue ces derniers mois, qui se sert d'une religion pour intervenir sur le fonctionnement de notre République, et que nous devons combattre.

Mais le signe qui a été retenu est-il à la mesure de l'enjeu ? Est-il à la mesure du problème qui se pose aux républicains, aujourd'hui tous mobilisés, quelles que soient leurs différences ? Le sujet dont nous débattons est aussi et surtout le résultat de graves discriminations qui perdurent dans notre pays, et de la ghettoïsation de certains quartiers. Il y a, entre nous, des différences profondes quant à la façon de résoudre ces problèmes, et de mettre en œuvre l'égalité dans notre société. Ces points n'ont pas fini de faire débat.

J'espère, mes chers collègues de la majorité, que dans les prochaines semaines, quand nous débattrons de sujets essentiels comme le logement, la sécurité, ou l'école, nous aurons encore en tête ce débat et la nécessité de lutter contre les discriminations et les inégalités. Depuis maintenant deux ans, je n'ai pas vu un seul signe positif dans les quartiers de ma circonscription, où les difficultés ne font que s'empiler. Même là où on attend une efficacité maximale de l'Etat, les effectifs de police diminuent. Je ne pense pas qu'une réponse sécuritaire soit à même de régler les problèmes auxquels je suis confronté, mais force est de constater l'absence de tout signe positif. J'espère que le débat sur ce texte aura pour effet, dans les semaines qui viennent, de nous permettre de porter un regard différent sur la vie de nos concitoyens et leurs problèmes concrets.

Je voudrais terminer mon propos par une phrase de Jean Bauberot : « La laïcité n'est ni un culte, ni un credo : elle est un art de vivre ensemble quand on se retrouve avec des gens de toutes convictions, et non plus simplement avec les porteurs des mêmes certitudes ». Je crains aujourd'hui le poids de nos certitudes dans ce débat. Il n'y aurait rien de pire que de penser que nous allons faire un geste important, alors qu'il ne sera que symbolique - même s'il est des gestes symboliques qui ont leur importance.

M. Manuel Valls. Absolument !

M. Bruno Le Roux. Je ne crains pas de dire que je suis dubitatif quant à un amendement du groupe socialiste, celui portant sur l'évaluation. Certes, une loi doit toujours être évaluée, mais il est d'ores et déjà évident que cette loi sera très difficile à mettre en œuvre. Et si je peux me permettre un conseil, monsieur le ministre, je pense qu'il conviendrait de reprendre l'idée de médiation, qui est très importante. De même, je vous invite à vous appuyer sur le réseau des militants de l'éducation : les militants de l'éducation populaire, et les militants associatifs. Ne laissez pas les enseignants aux prises avec un texte nouveau, sans aucune capacité supplémentaire de conviction et de médiation. Essayez de faire en sorte que là où se poseront les difficultés - elles ne sont pas si nombreuses que cela - les militants associatifs et les militants de l'éducation populaire puissent constituer un soutien.

M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Vous avez raison !

M. Bruno Le Roux. Pour conclure, je souhaite qu'avant ce délai d'un an, nous ayons su entamer un véritable débat sur ce que sont dans notre pays, au début du XXIe siècle, la communauté nationale et la laïcité, et sur le combat qu'ont à mener tous les républicains. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Gérard Léonard. Bien sûr ! Ce texte n'est qu'une étape.

M. le président. La parole est à M. Philippe Auberger.

M. Philippe Auberger. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je crois qu'il convient de revenir au texte, et de commencer par se poser une question : ce projet de loi est-il justifié et indispensable ? Ne disposons-nous pas, dès à présent, de tous les instruments pour régler le problème de la laïcité à l'école ?

En réalité, cette question apparaît largement dépassée. Il était en effet évident, dès lors que l'Assemblée nationale avait décidé de constituer une mission sur le sujet, présidée de surcroît par son président, et que le Président de la République avait installé une commission relative à la laïcité, présidée par M. Bernard Stasi, qu'on ne pourrait se contenter d'un simple rappel de la jurisprudence du Conseil d'Etat et de son application, ni d'une simple circulaire à l'intention des responsables d'établissements.

La discussion sur le sujet était devenue trop affirmée et les points de vue trop tranchés pour qu'il n'apparaisse pas nécessaire de clarifier la situation avec un texte ayant plus de force qu'une simple circulaire interprétative. Dès lors, ce texte de loi s'impose, mes chers collègues.

Par ailleurs, dès l'annonce de la préparation de ce texte, alors que celui-ci n'était pas encore connu, ni a fortiori approuvé par le Conseil des ministres, des manifestations ont eu lieu à Paris ainsi que dans certains pays étrangers contre un tel texte. Il s'agit, vous en conviendrez, d'une situation singulière. Par réaction, cela ne pouvait que nous encourager à adopter un nouveau texte de loi. Ne rien faire serait en effet apparu comme un recul face aux manifestations assez hétéroclites, mais marquées par un fort courant d'intégrisme. Ce texte a notamment pour objectif d'arrêter la progression de l'intégrisme, et pour l'autorité de l'Etat, il était nécessaire de marquer cet arrêt.

Enfin, il n'aurait pas été possible de renoncer à un tel texte, car celui-ci répond à une très forte attente des responsables des établissements scolaires, comme vous l'avez rappelé hier après-midi, monsieur le ministre. Pour beaucoup de ces responsables, la jurisprudence récente du Conseil d'Etat apparaît trop subtile pour pouvoir être aisément mise en œuvre. Ils étaient de ce fait demandeurs d'un texte plus ferme, si possible plus précis, et compréhensible pour tous.

Mais par-delà cet objectif, l'adoption d'un tel texte ne peut suffire à régler tous les problèmes rencontrés, et surtout à les voir réglés de la même façon sur l'ensemble du territoire. Or, le principe de laïcité doit avoir la même application partout. Encore faut-il que ce texte soit aisément compréhensible pour tous, c'est-à-dire non seulement de l'encadrement des établissements, mais aussi de l'ensemble du personnel enseignant, des élèves, et le cas échéant, pour les élèves mineurs - c'est en principe le cas dans l'enseignement primaire, mais aussi dans les collèges - de leurs parents, qui ont des responsabilités éminentes à cet égard.


Cela suppose bien sûr que l'expression retenue dans ce texte ne souffre pas de problèmes d'interprétation, source de difficultés et de conflits. Beaucoup ont souhaité que l'on retienne le port de signes ou de tenues qui manifestent, dès leur vue, une appartenance religieuse, alors que le texte qui nous est proposé porte sur les signes ou tenues qui manifestent « ostensiblement » une appartenance religieuse. En réalité, un texte répressif ne se justifie pas dans un climat de liberté de conscience, qui doit être le climat normal de l'école républicaine, si le port de ces signes ou tenues n'est pas de nature à troubler l'ordre public.

La liberté de conscience n'exige pas, en effet, de garder secrète son appartenance religieuse dès lors que celle-ci, même si elle est visible, n'est pas voyante, et ne suscite aucun prosélytisme ni aucun trouble à l'ordre public ou à la sérénité dans l'enceinte des établissements d'enseignement. Mais il est certain que, dès lors que l'on fait appel, ainsi que le faisait la jurisprudence du Conseil d'Etat, à la notion de trouble à l'ordre public, des problèmes d'interprétation vont se poser, ce qui compliquera la tâche des chefs d'établissement.

Alors, vient la question de la limitation de l'interdiction aux signes religieux alors que d'autres signes peuvent troubler l'ordre public dans les établissements scolaires : des signes politiques bien sûr, mais aussi d'autres signes distinctifs, sectaires, associatifs, voire publicitaires. En fait, il faut se rappeler que, depuis la loi de 1905, nous avons une tradition de respect de la laïcité au sein de l'école qui justifie un texte spécifique sur les signes et les tenues à caractère religieux. Cela n'empêche pas d'interdire, voire de réprimer, le port d'autres signes au nom d'une conception différente de la laïcité telle que nous la concevons, une conception de la neutralité, tout en assurant le respect de la liberté et de la tolérance.

Bien sûr, cette tradition de laïcité peut s'exprimer ailleurs qu'à l'école puisque, plus que l'école, c'est l'Etat qui se doit d'être laïc. Le Premier ministre nous a d'ailleurs indiqué qu'il était prêt à envisager un texte sur la laïcité et la santé. Mais c'est sans doute à l'école qu'on se forme le mieux au respect de la laïcité et c'est donc d'abord à l'école qu'il faut veiller au respect de ce principe.

Naturellement, l'application de la loi, lorsqu'elle sera votée, ne sera pas facile. Il reviendra aux autorités académiques de veiller tout spécialement à la fermeté de son application, ce qui supposera au préalable information, discussion, explication, médiation, avant d'envisager, le cas échéant, une sanction. Mais alors le rôle éducatif, au sens le plus large du terme - c'est-à-dire d'éducation au civisme et à l'appartenance à la collectivité nationale - de nos établissements scolaires ne pourra être que confirmé et même affirmé.

Certains n'ont pas manqué de souligner les risques que comportait cette loi : en faire un instrument de discrimination à l'égard de la religion musulmane, qui est désormais la deuxième de par son importance dans la collectivité nationale, en faire un instrument discriminant à l'égard des jeunes filles puisque le problème se pose essentiellement à propos du port du voile, en faire un instrument d'exclusion au risque d'écarter du système scolaire, et donc de la voie de l'intégration, ceux qui se refusent à l'appliquer dans les conditions demandées par les autorités académiques. Voilà, incontestablement, des risques sérieux.

Mais, ne l'oublions pas, l'intégration ne peut procéder du seul souci des pouvoirs publics d'assurer cette intégration : elle exige aussi volonté et efforts de la part de ceux et de celles qui souhaitent bénéficier de cette intégration. C'est à cette condition qu'elle réussira. A cet égard, le port du voile doit obéir à nos règles et traditions.

En définitive, le texte qui nous est soumis, en raison même de son objet et de la matière qu'il entend traiter, est particulièrement délicat. C'est un compromis avec ce que peut avoir de contingent tout compromis. Mais, eu égard à l'ambiguïté de la situation actuelle et à la nécessité de conforter l'autorité des chefs d'établissement et des responsables académiques, nous nous devons de voter ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Blazy.

M. Jean-Pierre Blazy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nos concitoyens ont aujourd'hui une impression de cacophonie à propos du présent texte. Bien sûr, celle-ci est due en partie aux déclarations contradictoires et parfois surprenantes de certains ministres. Elle est aussi le fruit des ambiguïtés sémantiques proposées par la mission Stasi et reprises par le Président de la République.

Mais cette confusion relève surtout d'une interrogation profonde et d'un manque de confiance dans la République et ses valeurs. Une loi interdisant le port de signes religieux au sein des établissements scolaires a besoin d'être expliquée et mise en perspective. Elle ne doit être ni caricaturale ni discriminante. Elle ne doit pas être instrumentalisée à des fins politiciennes.

Or le texte qui nous est proposé ne répond pas suffisamment à ces critères. La laïcité n'est pas apaisée, contrairement à ce que disent certains. Elle ne le sera jamais. Elle est un moyen d'organiser, de contenir des tensions qui sans elle seraient destructrices pour la République.

M. Jean Glavany. Très bien !

M. Jean-Pierre Blazy. Je veux ici parler des tensions qui ne manqueraient pas de naître si chacun des termes de la devise « Liberté, égalité, fraternité » allait au bout de sa propre logique : la liberté détruirait l'égalité, l'égalité absolue rendrait le manque de liberté insupportable. Mais je fais également allusion aux tensions inévitables entre sphère religieuse et sphère temporelle, entre l'Eglise et l'Etat, entre la sphère publique et la sphère privée et marchande.

La laïcité est précisément le moyen de dénouer ces tensions et ces principes dynamiques. Et elle s'est toujours accomplie et réalisée dans la lutte, commencée avec la Révolution française puis prolongée jusqu'à aujourd'hui par la loi de 1905, notamment. Nous redécouvrons à l'occasion de ce débat la portée formidable d'un combat engagé il y a deux cents ans, nous redécouvrons à quel point la période révolutionnaire est un acte fondateur pour notre pays. Mais nous devons l'expliquer.

Nous devons expliquer à nos concitoyens, et particulièrement à ceux qui doutent aujourd'hui, que la fin suprême visée par l'idéal républicain est l'émancipation humaine. Nous devons insister sur le fait que l'école républicaine aide le jeune à s'intégrer dans la société en même temps qu'elle lui donne les moyens de s'émanciper des tutelles et des oppressions. Or, mes chers collègues, cette œuvre émancipatrice de l'école ne s'effectue pas dans une société parfaite. Il ne suffit pas de décréter l'émancipation pour la voir s'accomplir. Il faut également la faire vivre au quotidien, en protégeant efficacement les élèves des pressions extérieures communautaires ou religieuses.

Oui, la laïcité accepte et respecte l'autre avec ses différences mais refuse que la différence soit exaltée en droit à la différence ; elle refuse l'enfermement dans une identité particulariste qui sépare ou oppose, tout particulièrement à l'école. Le port de signes religieux au sein d'établissements scolaires est une revendication identitaire qui n'a pas lieu d'être car elle sous-entend la priorité des impératifs religieux face à ceux de la citoyenneté. Ces signes sont d'efficaces moyens de pression sur les élèves et permettent le prosélytisme qui entoure bien souvent les pratiques religieuses lorsqu'elles sont faites en public. Le port de signes religieux au sein des établissements scolaires contribue à maintenir les élèves dans une dépendance communautariste, dans un enfermement culturel, dans une prison ethnico-religieuse.

Entendons-nous bien : la religion doit être choisie, librement et en conscience pour être pleinement compatible avec l'idéal républicain de citoyenneté. La foi n'est à aucun moment remise en cause. Nous débattons ici de l'organisation des sociétés humaines. Par principe, les dogmes religieux n'ont pas à être discutés ici. Nous devons simplement nous attacher à les contenir dans un cadre privé, indispensable à la République et protecteur pour les croyants. Et nous devons expliquer à ceux de nos compatriotes qui sont dubitatifs que la laïcité permet de connaître et d'enseigner dans les conditions d'objectivité nécessaires à tout processus éducatif.

La laïcité est considérée aujourd'hui à tort par certains comme un acquis. L'avènement d'une laïcité prétendue « ouverte » ou « plurielle » a contribué à vider de tout contenu positif cette notion, chacun finissant par exploiter cette indétermination selon ses intérêts propres. Or l'exigence laïque qui est au cœur de l'œuvre émancipatrice de l'école n'a pas besoin d'adjectif pour être comprise.

Ils sont bien souvent de gauche ceux qui, animés par de nobles sentiments, se voilent la face et refusent de reconnaître et de dénoncer les difficultés actuelles. Les problèmes posés par le port du voile sont réels. La mauvaise conscience liée au souvenir de la colonisation les conduit à considérer que le principe d'une loi serait attentatoire aux droits de l'homme et porterait en lui une logique d'exclusion. On observe là une véritable inversion des valeurs et c'est au contraire au nom des droits de l'homme qu'une loi est nécessaire.

M. Dominique Richard. Très bien !

M. Jean-Pierre Blazy. Face aux dangers des replis identitaires, l'universalisme laïc apporte des réponses. Sans pour autant minimiser et ignorer les difficultés sociales, les discriminations et le racisme dont sont victimes certaines populations, il ne faut pas que cela serve de prétexte à l'émergence d'un islam politique et militant qui, depuis bientôt quinze ans, instrumentalise des jeunes filles voilées et s'en prend à la République et à ses valeurs.

Comme le souligne la romancière d'origine iranienne Chahdort Djavann, auteur de Bas les voiles « c'est précisément parce qu'un langage de fermeté n'a pas été. tenu il y a dix ou vingt ans qu'un courant de pensée islamiste et anti-laïque a pu se développer et prendre corps ». Pendant quinze ans, les pouvoirs publics se sont défaussés sur les chefs d'établissement et la jurisprudence des tribunaux administratifs. Il faut que cela cesse. Il faut que les politiques réinvestissent le terrain laissé aux seuls juges administratifs.

En 1989, soyons clairs, Lionel Jospin a sous-estimé les besoins et les tensions autour de cette question et a voulu voir dans le règlement au cas par cas prôné par le Conseil d'Etat un moyen d'apaiser les tensions. La situation n'a malheureusement pas évolué dans ce sens, d'une part, parce que le contexte géopolitique s'est considérablement alourdi, d'autre part, parce que la fracture sociale est la cause première de l'exclusion. Oui, ce sont les inégalités qui excluent, et c'est la laïcité qui rassemble. Et aujourd'hui, on ne peut accepter une République au cas par cas. Les enseignants confrontés depuis maintenant une vingtaine d'années à de profonds bouleversements à l'école et à une évolution de leur métier ont besoin d'un signe fort de soutien.

La querelle sémantique qui oppose les partisans du terme « ostensible » à ceux du terme « visible » peut certes prêter à sourire. Mais elle est révélatrice de conceptions différentes de la laïcité. Le Président de la République souhaite donc interdire « le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse ». Quelle belle formule, subjective, juridiquement incertaine et politiquement obscure qui revient à dire : non au voile ! C'est là le seul leitmotiv d'une partie de la majorité : refuser le voile ! La focalisation sur l'islam de certains enferme le débat sur la laïcité dans un climat passionnel et délétère où les considérations sur l'immigration masquent d'autres enjeux. Nécessairement, les populations issues de l'immigration, souvent paupérisées et marginalisées, confrontées à des difficultés sociales que la politique du Gouvernement en la matière ne peut qu'accentuer, se sont senties directement et exclusivement visées.

Evidemment, la majorité des problèmes concerne des jeunes filles voilées. Nous savons que la grande particularité du voile est qu'il est d'abord une forme de prohibition de la mixité, intériorisée par les élèves elles-mêmes, en contradiction avec les valeurs fondamentales de l'école républicaine. Mais si nous interdisons par principe les signes religieux, au nom de la laïcité républicaine, comment décemment ne pas exclure les autres signes ? Le port d'une croix chrétienne ou d'une kippa pose les mêmes problèmes et heurte les républicains que nous sommes. Parce qu'après le port de signes religieux, quels qu'ils soient, peut intervenir la remise en cause des contenus de certains cours, notamment d'histoire ou de sciences naturelles. Et le dogmatisme en la matière n'est pas l'apanage d'une seule religion.


Si le texte de la majorité est à ce point réducteur, et donc discriminant, c'est en raison de l'influence qu'exercent certaines églises chrétiennes sur quelques-uns de nos collègues, ou du moins de l'influence supposée de ces églises sur leur électorat.

Les sirènes vaticanes ont dernièrement rappelé à l'ordre les brebis égarées sur le chemin de la loi républicaine et de l'interdiction des signes religieux. Dans son discours annuel au corps diplomatique, le pape a dénoncé la loi dont nous débattons aujourd'hui au motif qu'elle traduirait « une attitude qui pourrait mettre en péril le respect effectif de la liberté de religion ». Il rejoint en cela le président de la conférence épiscopale, Mgr Jean-Pierre Ricard, qui avait souhaité « la pratique d'une laïcité vigilante et accueillante », allant jusqu'à demander à l'Etat de garantir « la prise en compte de la dimension sociale et institutionnelle des religions dans la société ». Voilà ce à quoi sont sensibles certains de nos collègues de la majorité.

Votre texte est donc un compromis ostensible, si je puis dire, entre la volonté des religions de prendre pied dans l'espace public et la nécessité de laïcité et de neutralité de l'Etat. Mais il est aussi un compromis entre les républicains sincères de la majorité et ceux qui privilégient leur appartenance religieuse par rapport à leurs responsabilités politiques. La séparation du religieux et du politique est-elle à ce point imprécise que certains d'entre nous ressentent le besoin irrépressible d'obtenir un adoubement religieux pour voter la loi ?

Nous ne devons pas légiférer en fonction de l'avis du Vatican. Je suis tout aussi scandalisé de voir que le ministre de l'Intérieur et des cultes a besoin de l'accord explicite du Cheikh Tantaoui, imam d'Al-Azhar en Égypte, pour affirmer ses convictions républicaines.

Par ailleurs, en craignant la réaction diplomatique de certains pays arabes, aidons-nous ceux qui, dans les pays musulmans, aspirent à plus de liberté et de tolérance, donc de laïcité ? N'oublions pas les réformateurs d'Iran, en lutte contre le pouvoir clérical des mollahs, qui bafouent les droits de la femme et de façon plus générale les droits de l'homme !

M. Jacques Remiller. Très bien !

M. Jean-Pierre Blazy. Car ce sont aussi des intérêts tactiques et politiciens qui ont inspiré le Gouvernement. Chers collègues de la majorité, je constate qu'à l'approche des élections régionales, cantonales et européennes, certains d'entre vous - pas tous, évidemment - brandissent l'étendard de la laïcité contre le danger islamique, découvrant tout à coup les intérêts et les avantages de la démarche républicaine et laïque. Vous devriez pourtant savoir à qui profite le crime. Le Front national se frotte déjà les mains !

La proposition de loi du groupe socialiste, favorable à l'adjectif « visible » ou « apparent », offrait l'avantage de la clarté juridique et surtout celui de pas viser une religion en particulier. C'est cette même volonté qui a animé les travaux de la mission présidée par Jean-Louis Debré, dont j'étais membre. Un consensus s'était alors dégagé sur la nécessité d'une disposition législative compréhensible, applicable et non « stigmatisante ». Mais le Président de la République et le Gouvernement ont préféré une nouvelle fois ignorer et mépriser le travail, pourtant excellent, du Parlement. Je le regrette.

Je me félicite néanmoins que la commission des lois ait retenu l'amendement du groupe socialiste qui propose de prévoir du temps pour le dialogue, car il est souhaitable qu'un bon nombre des cas litigieux se règlent sans avoir recours à l'exclusion. Nous pensons en effet que l'exclusion doit être réservée aux cas de refus et d'obstination. Telle est notre position, ferme, juste et équilibrée.

M. le président. Veuillez conclure, cher collègue !

M. Jean-Pierre Blazy. Je vais conclure, monsieur le président.

Je regrette, pour ma part, que le texte ne s'applique pas aux établissements privés sous contrat dans la mesure où ceux-ci font partie du service public de l'éducation nationale. On retrouve là la forte ambiguïté de la droite dans ses relations avec certaines églises.

Je voudrais exprimer ici mon parfait accord avec le philosophe Henri Pena-Ruiz lorsqu'il dit : « S'il y a aujourd'hui des privilèges qui demeurent pour certaines religions dans l'espace public, ce n'est pas en étendant ces privilèges à une autre religion qu'on résoudra le problème, mais en supprimant les privilèges des religions qui en jouissent aujourd'hui ». Et il ajoute : « Ce n'est pas en étendant aux musulmans des privilèges dont jouissent les religions traditionnelles en Europe - et en Alsace Moselle - que l'on progressera, mais en les supprimant. Chaque religion sera ainsi ramenée à son statut d'option spirituelle, au même titre que l'humanisme athée ou la conviction agnostique ». Tout est dit !

Je terminerai en vous rappelant la phrase, déjà citée, de Jean Jaurès : « La République française doit être laïque et sociale, mais elle restera laïque parce qu'elle aura su rester sociale ». Ce n'est pas, en effet, parce que la République n'est pas sociale qu'elle ne doit plus être laïque. De ce point de vue, le projet de loi qui nous est soumis a un sens. Il doit être un signal permettant à l'école républicaine de contribuer à assurer le « mieux vivre ensemble » dont nous avons besoin. Mais la République, la laïcité et l'école sont confrontées au problème des inégalités, aujourd'hui comme à l'époque de Jaurès.

Ce n'est pas la politique sociale de ce gouvernement qui permettra de réduire les inégalités sociales. Bien au contraire, elles s'en trouvent aggravées. En ce sens, on peut dire que si un texte est nécessaire, il n'est pas suffisant. Faisons donc en sorte que le texte qui nous est proposé soit au moins utile. C'est la raison pour laquelle il peut et doit être amélioré et soumis à évaluation, comme nous l'avons proposé, pour devenir un vrai texte de concorde nationale et républicaine. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Mes chers collègues, compte tenu du nombre d'orateurs, il est souhaitable que chacun respecte scrupuleusement son temps de parole.

La parole est à Emile Blessig.

M. Émile Blessig. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi relatif à l'application du principe de laïcité dans les écoles et les lycées est un outil de bonne gouvernance de nos établissements publics d'enseignement, dans la mesure où il donne des références légales aux chefs d'établissement et à la communauté éducative.

Son but est de concilier le respect des règles de la République, l'engagement religieux et la participation à l'école publique. Il est aussi une réponse aux tentatives intégristes et communautaristes qui se sont manifestées ici et là dans certains établissements.

A ce stade de la discussion, je m'associe à tout ce qui a été dit précédemment sur la mission de l'école, qui en tant qu'espace de neutralité, de liberté et d'égalité entre hommes et femmes, d'acceptation de la différence et d'acquisition des valeurs fondamentales de notre démocratie, doit être un creuset de la paix civile.

Mais ce texte n'épuise pas le débat. En effet, les difficultés de l'école sont le reflet des difficultés de notre société, de l'insuffisance du processus d'intégration et de la crise qui sévit dans les quartiers difficiles. C'est ce qu'ont démontré les travaux de la mission d'information parlementaire et ceux de la commission Stasi.

René Rémond, membre de cette commission, l'a parfaitement exprimé. « L'enjeu principal, disait-il dans un récent interview, est la capacité de la France à intégrer des populations nouvelles et l'acceptation de la loi commune par ces nouveaux Français. Le vrai défi est celui de l'intégration sociale et professionnelle ».

Il est vrai, personne ne le conteste, que la laïcité doit s'accompagner d'une politique d'intégration sociale et professionnelle. Je vous rappelle que, l'été dernier, après un long débat, nous avons voté le projet de loi d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine, que nous présentait M. Borloo. Ce texte reposait sur quatre piliers : l'habitat et le logement, la santé, l'éducation et, enfin, le pilier économique avec la relance des zones franches urbaines. Vous voyez qu'en matière d'intégration sociale et professionnelle, le Gouvernement et sa majorité ne se contentent pas de déclarations. D'ailleurs, si le problème était si facile à résoudre, cela aurait été fait depuis longtemps !

Je pense pour ma part que le principe de laïcité, qui est un outil exceptionnel et spécifique à la France, devrait favoriser cette intégration sociale et professionnelle. Cependant, les évolutions sociétales de ces cinquante dernières années nous obligent à le repenser, afin de réaffirmer son utilité et son actualité.

A l'époque des grands débats sur la laïcité, certains ont cru que les religions s'effaceraient progressivement devant les acquis de la rationalité et, dans cette perspective, qu'elles seraient définitivement reléguées à la sphère privée. C'était le temps de la laïcité « fermée ».

Or, il n'en a rien été. Les options spirituelles des Françaises et des Français ont une dimension collective que l'Etat se doit de prendre en considération. D'ailleurs, la loi de 1905 avait prévu des aumôneries dans les lycées et les collèges, prenant ainsi en compte une certaine dimension collective des options spirituelles individuelles.

Comme l'a noté la commission Stasi, le champ d'application de la laïcité était alors beaucoup plus étendu. Aujourd'hui, nous parlons de l'école, mais certains de nos collègues ont évoqué les hôpitaux, les prisons, les lieux de culte, mais il existe bien d'autres domaines où se pose la question de la laïcité.

Dans ces conditions, si un débat théorique sur la laïcité et son principe était utile, il n'est pas suffisant. Pour être opérationnels, les principes doivent être présents dans tous nos débats et, plus important encore, s'incarner dans les textes que nous adoptons.

Si les valeurs de la laïcité sont acceptées dans tout notre pays, il existe des particularismes, comme à la Réunion ou en Guyane, mais aussi en Alsace-Moselle avec le régime des cultes.

Les Alsaciens-Mosellans sont très attachés à ce particularisme, hérité de leur histoire, et le considèrent comme un élément fondamental de leur lien social. Ce régime existe depuis plus de deux siècles et il a survécu à sept régimes politiques différents. Grâce à une évolution progressive et concertée, l'Alsace-Moselle conjugue aujourd'hui sans problème le principe républicain de laïcité et la reconnaissance officielle de certains cultes, le droit local étant conforme aux principes de liberté de conscience et de neutralité de l'Etat. Sur le plan du droit, l'application de ce texte ne crée pas de difficulté directe en Alsace-Moselle, dans la mesure où aucun texte local ne réglemente le port de signes religieux.

Cependant, en raison de leur attachement à ce particularisme, à l'image des conclusions de la commission Stasi et de la mission parlementaire, les Alsaciens-Mosellans, monsieur le ministre, demandent au Gouvernement de réaffirmer solennellement qu'il ne souhaite aucunement, avec ce texte, porter atteinte aux dispositions de l'article L. 484-1 du code de l'éducation, qui prévoit les modalités d'enseignement applicables dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle.

M. Jean Glavany. C'est là que s'arrête la République !

M. Laurent Fabius. C'est bien dommage !

M. Jean-Pierre Blazy. Ce n'est pas juste !

M. Émile Blessig. Sur un plan plus pratique, nous souhaitons que la loi soit accompagnée d'une circulaire, rédigée après consultation des représentants de l'administration scolaire, des collectivités locales, afin de préserver le consensus qui a permis de conserver cet élément inter-religieux particulier auquel nous sommes tous très attachés en Alsace-Moselle.

La défense du régime local des cultes est légitime, car il a fait ses preuves dans la pratique d'une laïcité ouverte, et nous pensons qu'il peut apporter des réponses face à l'évolution récente de notre société. Nous ne regardons pas l'avenir dans un rétroviseur.

Dans notre pays - c'est le cas en Alsace-Moselle - la religion musulmane est devenue la seconde religion. Nous devons prendre en compte cette réalité et nous poser la question de l'introduction d'un enseignement du culte musulman dans les écoles publiques d'Alsace-Moselle. La commission Stasi a fait une proposition en ce sens. Il est incontestable, en effet, que si un enseignement religieux est organisé pour certaines confessions, il ne peut être exclu par principe pour les autres confessions. Cependant, il doit être soumis à des conditions précises : définition de la demande, formation des enseignants, évaluation des compétences, définition des programmes, application du contrôle de qualité. L'élaboration de ces règles suppose un processus long et complexe et ne saurait être improvisée.

Nous approuvons le principe d'une telle évolution, car elle illustre le principe d'égalité en matière cultuelle, elle ouvre la perspective d'une meilleure insertion des élèves concernés, enfin elle donne des garanties aux pouvoirs publics, qui actuellement ne contrôlent pas cet enseignement, même lorsqu'il relève de l'école publique, comme celui des langues et cultures d'origine. Nous avons entendu hier le témoignage édifiant de M. Mariani, dont les propos ont été confirmés sur tous les bancs de cette assemblée.

Pour toutes ces raisons, comme la commission d'harmonisation du droit local, je pense qu'une telle évolution devrait être mise à l'étude, en accord avec les représentants des religions concernées.

Il existe d'autres évolutions envisageables, notamment en matière de formation des ministres du culte. Je remercie M. René Dosière, grand spécialiste du régime local des cultes, d'avoir évoqué cette piste d'expérimentation, car je vous rappelle que nous disposons à Strasbourg d'une faculté d'Etat de théologie protestante et d'une faculté d'Etat de théologie catholique.

En conclusion, comme de nombreux élus Alsaciens-Mosellans, j'ai la conviction que la société change et que nous devons tenir compte de ses évolutions en réaffirmant nos valeurs républicaines et démocratiques.

M. Jean-Pierre Blazy. Eh oui !

M. Émile Blessig. Tout en renouvelant notre attachement au principe de laïcité, inventons de nouvelles façons de vivre et faisons en sorte que l'étranger, le pauvre et le jeune ne soient pas considérés comme une menace ou un danger, selon les propos de M. Bruno Mattéi.

L'Alsace-Moselle, dans cette perspective de laïcité renouvelée, pourrait être une terre d'expérimentation au service des valeurs de la République. C'est notre conviction profonde...

M. Jean-Pierre Blazy. Une conviction locale !

M. Émile Blessig. ...et c'est ce qui nous sépare. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.


M. le président
. La parole est à M. Noël Mamère.

M. Noël Mamère. II est des controverses qui transcendent les frontières rigides des groupes parlementaires et des opinions tranchées. Le débat parlementaire d'aujourd'hui en fait incontestablement partie. Il pèsera de tout son poids sur la société. Tel est son premier paradoxe : alors que 1a République ne sait pas résoudre 1es problèmes majeurs de notre société - chômage, pauvreté, précarité, crise écologique - elle prétend légiférer pour s'imposer de manière brutale à une partie de ses enfants.

Les proportions prises par la « crise du voile » en France étonnent tous les observateurs extérieurs. Ce débat franco-français est en effet aussi passionné que confus. Parce que nous refusons de nous inscrire dans la logique de cette loi, nous n'entrerons pas dans les considérations ridicules d'ordre grammatical et sémantique qui font depuis des mois le bonheur des gazettes. Au regard des enjeux qui sont en cause, la bataille d'Hernani autour des mots « ostentatoire », « ostensible » ou « visible » frise l'indécence.

M. Jean Glavany. Ce n'est pas qu'une question d'ordre sémantique, c'est bien une question d'ordre juridique. On ne peut laisser dire ça !

M. Noël Mamère. Le jour venu, lorsque nous aurons voté et que les décrets auront été publiés, ce sont les enseignants, les parents et les enfants, quelles que soient leurs opinions religieuses, philosophiques ou politiques, qui subiront les effets pratiques de cet épisode lamentable.

M. Jean Glavany. Justement !

M. Noël Mamère. Afin d'éclairer ce débat confus, je m'efforcerai de répondre à deux questions simples. Pourquoi cette loi aujourd'hui ? Quels en seront les effets nécessairement pervers ?

M. Gérard Dubrac. En dix minutes !

M. Noël Mamère. Cette loi, nous la récusons, parce qu'elle est une loi de circonstance. Elle survient dans un contexte électoral et contribue au climat délétère qui s'installe dans notre pays. Elle n'avait rien d'urgent...

M. Pascal Clément, président de la commission, rapporteur. Elle attend depuis quinze ans !

M. Noël Mamère. ...et la République n'était pas menacée à Aubervilliers par deux jeunes filles. Depuis 1994 et la mise en place de la mission de médiation de Mme Cherifi, ces affaires sont passées de 2 000 à moins de cent cinquante, grâce à la libre discussion entre les professeurs, les élèves et les parents d'élèves.

M. Jean-Pierre Blazy. Ce serait trop beau !

M. Noël Mamère. Il n'y avait donc aucune nécessité à légiférer dans la précipitation, sauf à vouloir démontrer à une partie de la population de notre pays que, faute d'avoir résolu les problèmes d'intégration dans les quartiers populaires et d'avoir investi dans un « Plan Marshall » contre l'apartheid urbain et la ségrégation sociale, on s'attaquait une fois de plus aux mêmes, les enfants d'immigrés.

Cette fois-ci, on change d'angle, si je puis dire, en passant de la répression, version Sarkozy et Perben, à la stigmatisation. Cette loi de circonstance ne profitera pas électoralement à ceux qui l'ont initiée et son bénéficiaire n'est, d'ores et déjà, pas difficile à identifier : le Front national auquel nous ouvrons un véritable boulevard.

Cette loi, nous la récusons, parce qu'elle est une loi d'exclusion sociale. Face à la jeune fille, contrainte ou non, qui a décidé de porter le foulard, la responsabilité de l'école reste entière, dans la mesure où cette dernière a toujours le choix de remédier à une logique d'exclusion en accueillant l'élève, en la soutenant et en l'aidant à se libérer du poids de l'entourage. En plaçant l'élève seule face à son dilemme, vous prenez le risque de l'abandonner entre les mains des grands frères et des barbus. Vous la laissez seule face aux agents de son exclusion. Vous encouragez la multiplication des écoles coraniques. De fait, vous agissez contre la laïcité. En entérinant l'exclusion scolaire, vous appliquez à ces jeunes filles une « double peine » et devenez, de fait, coupable de non-assistance à personne en danger.

M. Émile Blessig. Mais non !

M. Noël Mamère. Ce n'était pas le choix qui avait présidé à la politique de médiation pratiquée jusqu'alors. Nous comprenons bien la difficulté de certains enseignants ou de certains proviseurs à prendre une décision parfois douloureuse, mais nous savons qu'il aurait été possible de renforcer la circulaire par le recours à l'autorité du rectorat en cas d'impossibilité de médiation.

Le choix d'une loi discriminatoire ne réglera rien, bien au contraire ! Son interprétation donnera lieu à une guerre sans fin et le principe de l'éducation pour tous aura été bafoué. Parce qu'il permet de soutenir, de protéger et d'émanciper les plus fragiles, le droit à l'éducation pour toutes et tous est un acquis démocratique que vous remettez en cause.

Cette loi, nous la récusons, parce que, sous couvert de défendre la laïcité, elle détourne les principes de la laïcité. Cette dernière, définie par les lois de 1881, 1882, 1886 et 1905, constitue une garantie pour la liberté de conscience et l'émancipation des femmes et des hommes, en dehors du dogme religieux. C'est une obligation qui concerne les locaux, les programmes scolaires, le personnel enseignant, mais non les élèves. Aux élèves s'imposent des règles comme l'assiduité à tous les cours ou le respect d'autrui, mais il n'est pas légitime de multiplier les exigences à l'encontre de jeunes qui viennent à l'école afin d'apprendre, de se former et de se construire.

La présente loi ne vise donc pas à laïciser les institutions, mais à exclure les individus, en les privant du droit à l'éducation. Cette loi ne se rattache pas à la laïcité, mais à la tradition de l'anticléricalisme qui s'en prend à la deuxième religion de France. Dans notre pays, la communauté musulmane n'est pas homogène. Existe-t-il d'ailleurs une communauté musulmane ?

M. Jean Glavany. Elle n'est pas une, en effet !

M. Noël Mamère. L'acharnement contre quelques croyantes qui ne demandent qu'à étudier au sein de l'école laïque jette dans les bras des imams radicaux des milliers de jeunes filles qui, pour la plupart, auraient pu s'intégrer normalement après quelques années d'études. Il s'agit bien d'un affrontement entre une laïcité ouverte, moderne et émancipatrice et un intégrisme laïc...

M. Jean-Pierre Blazy. Mais non !

M. Noël Mamère. ...qui veut isoler dans un cocon la jeunesse de ce pays au nom d'une société abstraite.

Cette loi, nous la récusons, parce qu'elle est une loi d'exception, discriminatoire, visant de fait une seule religion. Ce ne sont pas « les signes religieux » que vous visez ici : cette loi porte sur le voile et sur l'islam - je l'ai rappelé - deuxième religion de France.

Reconnaissons-le clairement : si cette loi ne sert pas la laïcité, elle alimente l'islamophobie ambiante en stigmatisant, une fois de plus, une fois de trop, les musulmans, c'est-à-dire une grande partie des jeunes issus de l'immigration - expression facile, expression écran pour « issus de nos anciennes colonies ». Ainsi, M. Darcos, évoquant l'affaire d'Aubvervilliers, a déclaré avec des accents dangereux, le mardi 14 octobre, que si l'on n'aime pas la République française, il faut aller ailleurs. Il parlait pourtant de jeunes filles de nationalité française, dont les parents et les grands parents se sont battus pour la liberté de la France.

Cette loi, nous la récusons parce qu'elle contribue à renforcer la fracture coloniale dont notre pays a tant souffert. Les conditions dramatiques de la décolonisation de l'Afrique du Nord et tout particulièrement de l'Algérie continuent de diffuser leur onde de choc dans la société française. Des millions de personnes ont vécu ces événements dans leurs chairs : algériens immigrés, harkis, pieds noirs, juifs ou soldats du contingent français. Des millions d'autres aujourd'hui, descendants des immigrés algériens, tunisiens ou marocains, en subissent toujours douloureusement les effets. Il s'agit donc non seulement du passé de la France coloniale et de l'outremer, mais aussi de son présent. La persistance d'un racisme post-colonial a pris en France une dimension particulière qui devient très intime et donc très violente et complexe pour ceux qui sont originaires d'Afrique du Nord et tout particulièrement d'Algérie. Ils constituent aujourd'hui la majorité de la communauté musulmane de France.

Cette fracture coloniale, à l'origine du racisme anti-arabe, explique en partie pourquoi la question du voile est devenue récurrente dans notre pays alors que, dans le reste de l'Europe, le problème est traité plus sereinement.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames et messieurs les députés, si la société française veut sortir par le haut de l'impasse dans laquelle ce débat l'a jetée, il convient de partir du constat suivant : le voile masque le recul de l'intégration. Sa mise en scène illustre le développement réel du communautarisme et de l'ethnicisme dans les quartiers populaires. Mais on ne combattra pas ces pratiques, ni l'oppression des femmes, par l'exclusion de quelques jeunes filles des lycées de la République.

M. Jean-Pierre Blazy. Quelques jeunes filles ?

M. Noël Mamère. Nous ne devons pas rester passifs face à ceux qui veulent restreindre d'une manière ou d'une autre la liberté des femmes.

M. Jean-Pierre Blazy. Nous faisons l'inverse !

M. Noël Mamère. Partout où l'émancipation et le droit des femmes sont menacés, nous devons combattre avec fermeté, comme nous l'avons fait contre l'excision ou pour le droit à l'avortement libre et gratuit.

Plutôt qu'à une loi d'exclusion, travaillons à un pacte national contre les discriminations, qui comprendrait à la fois la reconnaissance du droit de vote pour tous les étrangers extra-communautaires et la lutte contre les ghettos, adossée à un financement massif du logement social, à des mesures contre la discrimination dans le logement, le travail et les loisirs, à la lutte contre les violences imposées aux femmes et à la protection des jeunes filles menacées et contraintes.

Un tel pacte devrait représenter, pour nous tous, une priorité nationale. Il s'inspire du rapport de la commission Stasi dont le constat était clair : ce sont les discriminations raciales et sociales qui sont à l'origine de la montée du communautarisme, et non l'inverse. Votre loi, monsieur le ministre, trahit le rapport Stasi et jette un voile pudique sur votre politique de régression sociale et de recul des libertés.

Mais la réalité du mal français est là. En l'ignorant, vous prenez le risque de la déstabilisation et de l'explosion sociale. Un jour, il vous faudra rendre des comptes.

M. le président. La parole est à M. Jérôme Rivière.

M. Jérôme Rivière. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames et messieurs les députés, si je me réjouis que nous ayons enfin décidé de légiférer sur un problème qui agite notre société, je regrette que nous nous y résolvions sous la pression d'événements qui auraient pu être stoppés à de multiples occasions.

Comme Georges Sarre, ancien parlementaire, l'a très simplement rappelé la semaine dernière dans un grand quotidien, si nous en sommes là aujourd'hui, c'est en grande partie parce qu'en 1989, dès la première manifestation à Creil de la présence conflictuelle du voile islamique dans un établissement scolaire, le gouvernement de l'époque n'a pas réagi avec fermeté. Pourtant, une circulaire du ministre de l'éducation nationale, Lionel Jospin, aurait alors sans doute permis d'étouffer le problème dans l'œuf.

Par défaut, pendant de trop longues années, nos institutions se sont abritées derrière un large avis du Conseil d'État, réaffirmant la laïcité à l'école. La loi ne doit pas se contenter d'être le doublon de cet avis, aussi éminent soit-il. Le résultat d'un tel texte ne serait pas compris et les effets sur de nombreuses populations dans la société seraient, sans doute, à l'opposé de ce que nous recherchons, c'est-à-dire non tant à réaffirmer la laïcité, qu'à résoudre les problèmes posés par les jeunes femmes qui refusent d'enlever leur voile dans un établissement scolaire. C'est ainsi, du moins, que nos concitoyens regardent et comprennent cette loi.

Nous le savons et l'exprimons tous sous une forme ou sous une autre : il s'agit bien de traiter du problème du voile en particulier et non pas des signes religieux en général.

Je l'affirme du haut de cette tribune : la rédaction du texte est empreinte d'une forme de crainte à dire la vérité et à s'éloigner du « politiquement correct » - ce que d'autres ont appelé à juste titre la pensée unique.

La laïcité et la République seraient en danger : c'est faux ! La France ne connaît pas de péril généralisé lié aux communautés religieuses de notre pays. Ni la communauté catholique, ni les autres communautés chrétiennes, ni la communauté juive, ni la communauté musulmane ne remettent en cause le principe de la laïcité. Nous sommes confrontés à des groupuscules qui utilisent et détournent, voire pervertissent l'esprit d'une religion à des fins politiques.

Les raisons vont de l'échec patent de l'intégration à notre refus de montrer du doigt, sans haine, mais sans fausse pudeur, ce qui est inacceptable dans les pratiques de telle ou telle communauté religieuse.

Ces individus, qui séduisent des jeunes gens sans repères et qui prêchent un repli communautariste inacceptable et contraire à la tradition de la France, perturbent gravement notre société et donnent une image rétrograde de l'islam.

Mais reconnaissons-le, ils ne sont pas aussi nombreux qu'ils veulent le faire croire. Ils ne sont pas, du moins pas encore, majoritaires dans leur communauté religieuse. J'en veux pour meilleure preuve l'affirmation, à la tribune, de François Bayrou, qui nous a rappelé que, lorsqu'il était ministre de l'éducation nationale, il connaissait, au quotidien et à l'unité près, le nombre de problèmes posés par le port du voile dans les établissements scolaires. Nous savons pourtant tous que la première qualité de l'administration de l'éducation nationale n'est pas de tenir, qui plus est au quotidien, des comptes précis sur ses effectifs en général.

Le problème qui nous est posé est bien plus d'ordre politique que religieux. En effet, le port du voile choque nos concitoyens, et nous choque, non seulement en ce qu'il est le signe d'un asservissement de la femme à l'homme, mais également en ce qu'il marque une tentative de soumettre nos lois à une loi divine, ou supposée telle. Ce que nous lui trouvons d'inacceptable, c'est de souligner la volonté de remettre en cause le caractère laïque des principes qui régissent notre société.

La loi ne pouvait être que très large pour englober l'ensemble des causes qui ont mis en panne l'intégration ou, a contrario, très étroite pour se substituer à la circulaire ministérielle qui n'a jamais été prise.

Large, sa rédaction néanmoins ne pouvait se contenter d'une proclamation réaffirmée de la laïcité. Ce principe auquel, tous, sur ces bancs, nous sommes attachés, figure dans le premier article de la Constitution.

Étroit, ce texte aurait pu s'intéresser au seul problème posé par l'inaction, coupable sans aucun doute, des politiques successives qui ont abouti à faire, aujourd'hui, du foulard islamique l'étendard d'une vision politique diamétralement opposée à tout ce qui définit notre pays. Nous n'aurions pas stigmatisé l'islam - je refuse de le croire - si le texte de la loi avait interdit le seul voile et non les signes religieux dans leur ensemble.

C'est en cachant son visage au regard des autres que la femme révèle sa soumission ou, plutôt, son asservissement. Mais si nous interdisons le port de signes et tenues qui « manifestent ostensiblement l'appartenance religieuse », je vous le demande, mes chers collègues, que ferons-nous demain de jeunes gens - nous pouvons compter sur leur imagination débordante - qui se feront tondre sur la chevelure un motif en forme de croix, d'étoile de David ou de main de Fatima ? Que dirons-nous à ceux qui exhiberont des tatouages ostensiblement religieux sur leurs mains, leurs avant bras ou leurs jambes ? À craindre de blesser injustement, nous prenons le risque de n'être compris de personne, ou pire, de voir la loi moquée par tous.

Si ce n'est pas à l'État de définir ce qu'est une religion ou une croyance religieuse, il lui appartient en revanche de marquer les limites de la religion et de rappeler qu'elle ne peut prescrire des règles de comportement aux usagers d'un établissement public.

En choisissant le thème de la laïcité de l'école, j'ai l'intime conviction que nous risquons de tomber dans le piège tendu par des groupuscules intégristes qui cherchent à composer le mélange détonnant que constituent, lorsqu'elles s'interpénètrent, la politique et la religion. Le problème du foulard islamique demandait conjointement un acte d'autorité du Gouvernement interdisant le voile à l'école et une loi large sur l'intégration et l'assimilation des populations d'origine étrangère qui se sont durablement installées en France

Enfin - ce n'est pas l'aspect le moins important - il nous est par avance reproché, non sans raison, de ne pas proposer de solutions nouvelles aux chefs d'établissement confrontés au problème du voile.


Je proposerai donc dans un amendement de prévoir la possibilité de sanctionner une infraction à cette loi par une amende.

M. Jean Glavany. Ah bon ? Et pourquoi pas une peine de prison ? (Sourires sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jérôme Rivière. Amener ainsi le non-respect de la loi sur le terrain pénal, sans excès puisqu'il ne s'agit surtout pas d'en faire un délit, permettrait d'améliorer le dispositif légal sur deux points au moins.

D'abord, il deviendrait possible d'associer les parents à la sanction. Je trouve injuste que la seule sanction soit aujourd'hui l'exclusion, qui ne frappe que le mineur, alors que celui-ci agit souvent dans le cadre de sa cellule familiale. Il y a une logique à ce que les parents responsables de la conduite d'un enfant mineur soient aussi sanctionnés.

Mais, surtout, je considère que cette mesure constitue une véritable protection du mineur. En matière pénale, en effet, c'est le juge pour enfants qui est saisi. Ce véritable spécialiste est à même d'identifier les affaires de mineurs en danger. Nous sentons bien que, souvent, pour ne pas dire systématiquement, les cas les plus emblématiques sont orchestrés par des parents qui abusent de leur autorité parentale. Quand j'entends une jeune fille de quinze ans qui revendique la liberté de porter le voile parler de la jurisprudence du Conseil d'Etat, je ne peux m'empêcher de penser que, aussi brillante soit-elle, derrière elle se dissimulent des « moins jeunes » qui fomentent ses discours à des fins très éloignées de la simple croyance religieuse, ceux-là même qui considèrent que la loi des citoyens doit être une loi divine. La justice ainsi saisie disposerait, selon les circonstances, de toute la palette des mesures adaptées à la protection des mineurs. On ne pourrait plus, dès lors, nous reprocher de n'avoir rien élucidé avec notre texte. Nous pourrions dire haut et fort que les politiques ne se contentent pas de proclamations.

Je me fais cependant peu d'illusions et crains - passez-moi l'expression - que la messe ne soit dite. Nous devons choisir entre une loi qui, en ne tranchant rien, risque d'ajouter à la confusion, et l'inaction par un vote négatif qui donnerait clairement le sentiment de la démission du politique. J'ai choisi : je voterai pour ce texte, afin de ne pas participer à la désagrégation du politique. Mais si je le fais, c'est dans l'espoir que notre majorité prolonge cette loi par des décisions plus courageuses encore dans les hôpitaux et dans la fonction publique. Il faudra aussi veiller à ce que le voile n'apparaisse pas dans le cadre des fonctions électives. C'est ainsi que nous répondrons aux attentes de nos concitoyens, qui souhaitent voir fonctionner à nouveau l'intégration, l'assimilation par la France des populations étrangères qui décident de s'y établir. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Danièle Hoffman-Rispal.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à ce stade de notre débat, après que plusieurs dizaines d'orateurs se sont exprimés, le risque est grand de se répéter. Aussi essaierai-je d'apporter une contribution correspondant à mes convictions profondes.

Comme femme, le symbole de soumission que représente le voile me gêne et me révolte. Derrière le voile, se cache l'idée selon laquelle les femmes sont des objets de tentation dont il faut se prémunir. En ce sens, revendiquer le port du voile, c'est remettre en cause la dignité même des femmes.

M. Jean Glavany. Parfaitement !

Mme Danièle Hoffman-Rispal. C'est revenir sur le combat difficile qui a été mené depuis des décennies, ici et ailleurs, afin de reconnaître aux femmes les mêmes droits que ceux accordés aux hommes.

Pourtant, je n'étais pas convaincue de la nécessité de légiférer sur le port de signes religieux à l'école. Aujourd'hui encore, il m'apparaît toujours légitime de s'interroger sur les implications que ce projet de loi aura dans la société française, sur les avancées et les risques qu'il comporte. Car c'est bien sûr une politique de justice sociale, de lutte efficace contre le chômage, de résorption des ghettos urbains qui constitue le meilleur moyen d'éviter que l'intégrisme ne gagne du terrain.

L'intégration passe aussi par un meilleur accès à la citoyenneté et donc, en particulier, par le droit de vote des étrangers non communautaires aux élections locales.

Nous avons tous notre part de responsabilité. Mais la politique de votre gouvernement, monsieur le ministre - suppression des emplois jeunes, baisse des crédits consacrés à la politique de la ville, aggravation de la crise du logement : la liste complète serait longue - contribue comme jamais à creuser le fossé des inégalités. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Pendant une année, cette question du voile a dominé l'ensemble du débat politique, occultant très souvent d'autres questions au moins aussi importantes. Ce débat doit donc avoir une issue, celle d'une loi claire et qui serve à quelque chose, comme l'a très bien dit notre président de groupe Jean-Marc Ayrault.

Ainsi, il n'est pas neutre d'employer le mot « ostensible » plutôt que le terme « visible ». J'ai entendu les explications pseudo-juridiques du Gouvernement, mais continue de penser, comme la mission parlementaire présidée par M. Debré, que l'adjectif « visible » a le mérite de la clarté et prêterait à une interprétation moins subjective.

M. Jean Glavany. Evidemment !

Mme Danièle Hoffman-Rispal. II permettrait une application égale dans tous les établissements scolaires de France. Or c'est cela que nous réclament avant tout les chefs d'établissement et les enseignants.

Si, du fait d'un mot ambigu, aucun changement concret n'intervenait après la prochaine rentrée scolaire, si la nouvelle loi ne permettait pas de faire mieux respecter que ces dernières années la laïcité à l'école, alors le politique, au sens le plus noble du terme, serait gravement discrédité. Ce seraient les extrémistes de tous bords qui en profiteraient.

Soyons tous ensemble vigilants, car notre responsabilité est ici lourdement engagée. C'est pourquoi nous demandons une évaluation annuelle par le Parlement.

Je suis l'élue d'un quartier de Paris qui s'appelle Belleville. Ce quartier a accueilli, depuis le xixe siècle, tant de vagues d'immigration successives que la notion de « vivre ensemble » y a toujours eu une signification. Son histoire montre l'extraordinaire capacité d'intégration de la France, sans que soient niées, pour autant, les identités culturelles et religieuses.

Alors ne renvoyons pas aujourd'hui, à l'occasion de ce débat, une image défavorable et fausse des Français musulmans, en nous focalisant sur des situations certes bien réelles, mais limitées en nombre. Ce serait une faute de notre part de ne pas affirmer haut et fort que la plupart des Françaises et des Français issus de l'immigration se reconnaissent dans la République et ses valeurs fondamentales.

Il est donc de notre devoir de faire de cette loi sur le respect de la laïcité une loi d'intégration et non d'exclusion. C'est pour cette raison que l'exigence d'un dialogue, sous l'égide du chef d'établissement, est loin d'être accessoire. Il serait particulièrement irresponsable de chasser de l'école des jeunes filles qui portent le voile sans avoir auparavant tenté de les convaincre de se conformer aux principes qui régissent la vie scolaire. L'école publique et laïque est depuis un siècle le lieu privilégié pour faire reculer l'obscurantisme et pour faire vivre les valeurs républicaines. Elle doit le rester.

Ce travail de dialogue est mené depuis des années par les chefs d'établissement et les enseignants. N'oublions pas qu'il porte ses fruits dans la plupart des cas. Nous devons l'encourager dans la loi : si tel n'était pas le cas, nous rejetterions de l'Ecole et enverrions dans les bras des fondamentalistes des enfants qui auraient pu devenir ceux de la République.

Sur ces questions, écoutons attentivement un mouvement tel que « Ni putes ni soumises ». Ses responsables se sont investies ces derniers mois pour affirmer leur volonté d'émancipation et elles nous demandent de les aider dans leur revendication de liberté et d'égalité entre les femmes et les hommes. Elles sont courageuses et leur avis a contribué à forger mon opinion. Elles méritent d'avoir obtenu hier le prix Claude Erignac, du nom de ce grand serviteur de l'Etat.

N'oublions pas, enfin, les problèmes sociaux dans leur ensemble, qui sont au cœur du repli communautaire et de la sclérose actuelle de la société française. Je crains à cet égard que le Gouvernement ne prenne la question de la laïcité par le petit bout de la lorgnette. Les membres de la commission présidée par Bernard Stasi ont pourtant été clairs sur ce point. Ils ont émis des propositions intéressantes qui auraient mérité d'être mieux prises en compte, afin d'assurer l'égalité des religions présentes dans notre pays. Il faut en effet aller de l'avant pour que l'islam ait demain la place à laquelle il a droit lui aussi : lieux de culte dignes et suffisamment nombreux, formation adéquate des imams, carrés musulmans dans les cimetières, etc. Le Gouvernement aurait tort de ne pas réaliser des progrès dans ce sens.

Dans sa présentation du projet de loi gouvernemental, mardi dernier, le Premier ministre nous a affirmé que ce texte n'était qu'un point de départ. J'aimerais pouvoir le croire, mais permettez-moi de douter de la volonté de la majorité actuelle pour avancer vraiment sur la voie de l'intégration et du refus des discriminations qui frappent nos concitoyens issus de l'immigration.

Cette loi doit être l'une des pierres de l'édifice à construire. Si elle restait la seule, alors le but recherché ne serait pas atteint, loin de là. Bien au contraire, son adoption renforcerait le sentiment de stigmatisation que ressentent beaucoup de Français du fait de leur origine.

Monsieur le ministre, pour les raisons que j'ai évoquées, je souhaite pouvoir voter cette loi. Mais je vous le dis aussi avec gravité : pour être une vraie loi de conquête républicaine, elle doit absolument s'accompagner d'une action sans précédent pour assurer l'égalité réelle des Françaises et des Français, quelle que soit leur origine. Si rien ne changeait de ce côté-là, c'est la crédibilité de notre engagement politique commun qui serait alors en cause. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Christian Decocq.

M. Christian Decocq. Votre projet de loi, monsieur le ministre, est profondément républicain. Il l'est pour trois raisons, qui justifient naturellement mon soutien.

Tout d'abord, ce texte consolide la construction permanente de la laïcité. Il contribue, ensuite, à rapprocher le citoyen du politique. Enfin, il stoppe le grignotage de la République par le communautarisme, vitrine légale de l'intégrisme.

L'Histoire nous a appris et nous apprend encore que la laïcité est une construction qui n'est jamais achevée. Ce projet participe à cette construction continue et l'inscrit dans notre histoire commune.

En effet, nous sommes une fois de plus à un moment où nous devons faire preuve de lucidité et de courage pour résister au discours trompeur de ceux qui prétendent œuvrer pour la restauration de la République en ouvrant la porte au « droit à la différence » au sein de nos écoles. J'ai même vu, lors de la manifestation en faveur du voile, des banderoles où était inscrit : « Le communautarisme va sauver la République ! » Cela a été mentionné par la presse.

La laïcité marque notre volonté de vivre ensemble, de rassembler la communauté nationale, au sein de laquelle chacun est accepté pour ce qu'il est et non pour ce qu'il représente. Il s'agit, plus que d'encadrer une liberté individuelle, de redessiner les contours de ce qui fonde la République.

Condorcet écrivait : « Celui qui, en entrant dans la société, y porte des opinions que son éducation lui a données n'est pas un homme libre. Il est l'esclave de ses maîtres, et ses fers sont d'autant plus difficiles à rompre que lui-même ne les sent pas, qu'il croit obéir à sa raison, quand il ne fait que se soumettre à celle d'un autre. » L'école, dans notre République, n'est pas un lieu aseptisé ou insipide : il s'agit du dernier lieu d'intégration républicaine où la foi dans l'expérience collective peut s'enraciner chez ces futurs citoyens.

La nation nous confie un mandat sacré, une mission impérieuse envers eux : leur permettre d'acquérir les outils d'un raisonnement éclairé et d'un libre arbitre indépendant. Il est de notre devoir de donner à ces petits citoyens l'accès à ce que nous avons nous-mêmes reçu. Dans cette école laïque s'est construit, génération après génération, le socle républicain.

Parmi ces générations, je réserve une place dans mon cœur à mon instituteur de village, qui nous faisait composer un journal. Je me souviens encore de son titre : Tous ensemble !

M. Jacques Remiller. Très bien !

M. Christian Decocq. Je sais ce que je dois à cette école et à mes maîtres respectés. Oui, la laïcité a permis de faire de nous des femmes et des hommes libres, des citoyens éclairés et, souhaitons-le, des élus responsables.

C'est justement à cette responsabilité que nous appelle votre projet de loi, monsieur le ministre.

Selon Régis Debray, la loi n'a pas qu'une fonction répressive : elle a aussi une vertu expressive.

M. Manuel Valls. C'est vrai !

M. Christian Decocq. Notre espace politique est marqué par la montée de l'abstention. Le 21 avril a été l'aboutissement d'une vision désenchantée de la démocratie. Le réveil de mai, c'est le réveil d'une nation finalement attachée aux valeurs de la démocratie.

M. Jean Glavany. Ce n'est pas vraiment un réveil, puisque vous l'avez rendormie aussitôt !

M. Christian Decocq. Soyons attentifs à l'intelligence collective de nos concitoyens. Elle s'est souvent exprimée tout au long de notre histoire et s'exprime de nouveau aujourd'hui. Nous devons répondre à ce qu'elle nous dit et voter cette loi attendue sans complexes et sans états d'âme. En cela, nous n'adoptons pas un texte de circonstance, mais, mandataires - certes temporaires, ô combien ! - de nos concitoyens, nous votons une loi de cohésion nationale. La représentation nationale se doit de protéger le fondement de notre pacte républicain. Une posture morale, réglementaire, n'aurait pas suffi à régler les problèmes : seule la loi a l'autorité nécessaire pour restaurer ce pacte avec la nation.


En renouant le fil d'or de la confiance entre les citoyens et les élus, votre loi adresse un signe à la fois civique et politique : elle conforte le lien du citoyen avec la laïcité.

Enfin, votre projet de loi envoie un message ferme de refus au communautarisme, qui fissure, où qu'il s'exprime, notre pacte républicain. Les pratiques communautaristes ne sont pas toujours faciles à combattre de front. Il faut beaucoup de discernement pour s'opposer à des situations dans lesquelles les acteurs sont parfois eux-mêmes victimes.

Depuis plusieurs mois, je suis témoin dans ma ville de Lille d'un cheminement de femmes musulmanes qui multiplient, au sein du centre social, des activités créatrices - ateliers théâtre, alphabétisation, couture - qui manifestent indéniablement une volonté de brassage et d'ouverture aux autres et symbolisent une volonté d'émancipation. Mais, parallèlement à cette démarche d'intégration, ces femmes demandent un créneau horaire réservé dans la piscine municipale du quartier, exigeant de surcroît un encadrement exclusivement féminin au motif que la fréquentation d'une piscine mixte leur est interdite soit par leur religion, soit par la pression de leurs familles ou de leurs époux. On est cette fois - hélas ! - dans une démarche de ségrégation volontaire. Leur demande a malheureusement été acceptée. Or répondre à une telle exigence rend impossible l'éducation à la République. La cohésion nationale se construit au sein d'espaces publics protégés de toute revendication communautariste. En autorisant un horaire séparé, on fait de ces lieux publics des lieux de revendication. Il fallait, au contraire, accompagner le cheminement d'émancipation de ces femmes en refusant ce créneau réservé. L'intégration ne peut se faire au détriment de la République. Nous ne pourrons combattre les discriminations à l'embauche, au logement, dans la vie quotidienne, qui sont un danger pour notre cohésion nationale et une injustice insupportable à tous les républicains, que si nous sommes fermes sur le respect de nos valeurs républicaines. L'un ne va pas sans l'autre.

Je me réjouis du débat sur les perspectives de l'intégration et de l'égalité des chances. Monsieur le ministre, je voterai cette loi, conforme à l'esprit de Montesquieu, selon lequel « Il faut éclairer l'histoire par des lois et les lois par l'histoire ». (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Bourguignon.

M. Pierre Bourguignon. «Rendez à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui appartient à Dieu ». Il aura fallu, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, des siècles et la Révolution française pour mettre à l'ordre du jour la séparation entre le spirituel et le temporel. Le chemin a été long jusqu'à la loi de 1905 qui oblige les églises à s'effacer devant l'Etat. La laïcité est l'une des grandes conquêtes républicaines, car elle n'a pas d'autre objectif que d'assurer l'égalité de tous les citoyens, sans distinction d'origine, de race ou de religion et de nous permettre de vivre ensemble dans le respect des croyances de chacun.

La séparation des églises et de l'Etat, c'est la distinction entre l'homme et le citoyen. L'homme est l'individu doté d'une liberté personnelle et d'une identité, qu'elle soit familiale, confessionnelle, ethnique sociale. Le citoyen est l'être public doté de droits et d'obligations, indépendamment de ses appartenances particulières, et qui n'a pas besoin qu'on lui impose une quelconque transcendance. Cette distinction entre l'homme et le citoyen, le privé et le public, est justement garantie par le principe de laïcité qui s'appuie sur la raison, la science, le progrès. S'il n'y a pas de séparation entre le public et le privé, il ne peut y avoir de laïcité, donc pas de citoyenneté réelle.

Dans notre République, chacun se définit comme citoyen et tous les citoyens composent la nation. Nous ne nous définissons pas, à la différence des pays de tradition libérale, par l'appartenance à une communauté. Les hommes sont égaux parce qu'ils ont les mêmes droits et les mêmes obligations, non parce qu'ils ont les mêmes ancêtres. Notre Président prête serment sur la Constitution votée par le peuple, celui des Etats-Unis le fait sur la Bible, qui émane du Très Haut. Notre République n'a pas de maire noir, de préfet juif, de ministre protestant ou de proviseur athée. Elle a des maires, des députés, des ministres, des serviteurs de l'Etat, même si de regrettables dérapages ont pu récemment être constatés à propos de l'appartenance religieuse d'un préfet ou d'un ministre.

La République doit protéger contre tous les activismes communautaristes, même ceux menés au nom de l'égalité. Or force est de constater que, dans la France d'aujourd'hui, la distinction est de moins en moins claire entre la loi civile et les préceptes religieux, ce dont profitent certains pour réclamer une loi privée spécifique qui nous renverrait à la « personnalité » des lois en cours au Haut Moyen Age, avant la modernité de la territorialité juridique. D'où l'importance de notre débat. Autant, il n'est pas question de remettre en cause la liberté de conscience et la pratique religieuse individuelle, voire communautaire, par le vote d'une loi, autant il nous est impossible de concéder aux religions et aux communautés la régulation des comportements personnels dans l'espace public de nos cités.

Certes, la France a changé. Son caractère pluriethnique et pluriconfessionnel est plus affirmé qu'autrefois, notamment avec l'apport de populations d'origine musulmane, qui font de l'islam la deuxième religion de France. Cette religion doit avoir, ne l'oublions pas, ses lieux de culte comme toutes les autres.

M. Jacques Remiller. Tout à fait !

M. Pierre Bourguignon. On le voit bien, la pression identitaire se fait plus forte parce que notre société évolue sans fournir à l'individu des normes, des valeurs, des repères, des motivations, du sens. Pour combler ce déficit de sens, et aussi un besoin de reconnaissance et d'identité, on voit resurgir la conscience ethnique, confinant parfois au fanatisme religieux, portant des revendications discriminantes qui bousculent notre conception républicaine.

Si nous acceptions ces demandes, notamment l'introduction de signes religieux visibles dans nos écoles et dans nos services publics, cela signifierait que la laïcité n'est plus une exigence d'égalité réelle entre les hommes et les femmes, qu'elle n'est plus un outil de lutte incessante contre le racisme, la xénophobie, l'exclusion, le cléricalisme, l'intégrisme, le totalitarisme et la violence d'Etat, la domination de l'argent, le communautarisme et le sectarisme.

Face à une réalité qui n'est plus la même qu'il y a un siècle, notre principe de laïcité conserve toute son actualité pour répondre aux nouveaux défis. Depuis 1789, nous avons proclamé avec force notre foi dans l'égalité et avons lutté sans relâche pour la justice sociale avec ces conquêtes historiques que sont l'éducation gratuite et obligatoire, le droit de grève, la liberté syndicale, la sécurité sociale, l'égalité des sexes. Aujourd'hui, nous continuons de nous battre pour conserver et consolider ces droits face aux coups de boutoir de l'actuel Gouvernement et de l'entrisme religieux.

Nous devons faire preuve de vigilance et d'exigence. Face à une réaction idéologique, qu'elle soit politique ou religieuse, nous n'accepterons pas le moindre recul sur nos principes républicains, nos conquêtes sociales, notamment sur la condition féminine en France. Le port du voile islamique dans nos écoles, cette pratique qui nous conduit aujourd'hui à repenser notre laïcité, n'est pas seulement un défi lancé à la laïcité traditionnelle, c'est aussi l'affirmation des devoirs spécifiques qui incombent à la femme en vertu de sa nature : la femme, pour les intégristes religieux, doit cacher ses cheveux pour ne pas susciter le désir des hommes. Si elle ne les recouvre pas, elle porte la responsabilité des éventuelles violences sexuelles dont elle pourrait être victime. Si l'on admettait, comme certains le souhaitent, à droite comme à gauche, que ces jeunes filles puissent porter le voile à l'école au nom de la tolérance, à quel titre refuserait-on demain le tchador ?

M. Manuel Valls. Très bien !

M. Pierre Bourguignon. Il faut bien comprendre que si l'on accepte cette symbolique du corps féminin, conçu comme une menace diabolique, c'en est fini de l'égalité des sexes.

M. Jean Glavany. Evidemment !

M. Pierre Bourguignon. « Le foulard n'est que la partie visible de l'iceberg et, avec lui, c'est une certaine conception de la jeune fille que l'on légitime » soulignait très justement Elisabeth Badinter. On connaît trop les incidences d'une telle conception de la femme, notamment dans nos quartiers populaires. Car là où les jeunes filles d'origine musulmane veulent vivre comme le reste des Françaises, elles s'exposent trop souvent à la violence et à l'irrespect. Nous en avons trop eu de tristes exemples.

M. Jean Glavany et M. Manuel Valls. Tout à fait !

M. Pierre Bourguignon. Les jeunes filles qui se sont exprimées au cours des auditions de la commission Stasi ont demandé qu'on les aide concrètement à se battre contre le voile. Elles ont bien compris qu'il est lié à une vision du monde qui les exclut des libertés conquises au cours des cinquante dernières années par les femmes.

M. Jean Glavany et M. Manuel Valls. Très bien !

M. Pierre Bourguignon. Pour dépasser ce retour au religieux, il nous faut retrouver du sens, reprendre nos grands engagements politiques et pallier le processus d'individualisation auquel nous sommes de plus en plus confrontés. C'est ainsi que nous pourrons redonner espoir.

Oui, notre école est et doit demeurer mixte et neutre.

M. Jacques Myard. Très bien !

M. Pierre Bourguignon. Elle doit demeurer le lieu d'acquisition et de transmission des valeurs que nous avons en partage. Du haut de cette tribune, je le dis avec force : ni croix, ni voile, ni kippa dans les enceintes de la République. Telle est la traduction, non de l'intolérance, mais d'une conception qui assure à chacun, dans les lieux où la République est souveraine, la liberté, l'égalité et la fraternité.

M. Jean Glavany. Très bien !

M. Pierre Bourguignon. La laïcité scolaire ne concerne pas que le religieux. Elle suppose une triple séparation : avec les religions, avec la distinction sociale, mais aussi avec la politique. Croyances, préjugés et politique partisane doivent rester à l'écart de l'école censée ouvrir à l'universel. Comme le soulignait déjà Ferdinand Buisson : "Pour faire un républicain, il faut prendre l'être humain et lui donner l'idée qu'il faut penser par lui-même, qu'il ne doit ni foi ni obéissance à personne, que c'est à lui de chercher la vérité et non pas la recevoir toute faite d'un maître, d'un directeur qu'il soit temporel ou spirituel".

M. Jean Glavany. On l'oublie trop souvent : la laïcité c'est la lutte contre l'obscurantisme !

M. Pierre Bourguignon. La laïcité est une idée à défendre. Elle mérite aujourd'hui une loi qui interdise clairement tout port apparent de signes religieux, politiques ou philosophiques au sein de l'école publique, parce qu'une telle loi réaffirmera la séparation de l'espace public et de l'espace privé en codifiant le premier sans s'immiscer dans le second ; parce qu'elle libérera toutes les jeunes filles du choix de porter ou non le foulard ; parce qu'elle permettra aux chefs d'établissements scolaires et aux équipes pédagogiques confrontés à l'introduction de signes religieux dans les classes de disposer d'un cadre juridique incontestable sans stigmatiser une religion en particulier ; parce qu'elle demandera, avant toute éventuelle sanction, un temps pour le dialogue, la pédagogie et la conviction ; parce qu'au-delà de l'école, elle contribuera à l'intégration sociale et professionnelle des nouvelles populations.

La laïcité est un des grands défis du XXIe siècle. Pour que vive la République indivisible, laïque, démocratique et sociale, face aux coups portés par l'obscurantisme qui se nourrit des injustices sociales et des discriminations, n'abandonnons pas l'héritage des Lumières ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean Glavany. Voilà un député qui parle haut et fort !

M. le président. La parole est à M. Jacques Myard.

M. Jacques Myard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, beaucoup a déjà été dit sur le sujet qui nous préoccupe aujourd'hui, la laïcité, sur tous les bancs de droite et de gauche. Je dois dire que je me reconnais dans beaucoup de ces propos, d'où qu'ils viennent.

Je suis fermement attaché à la laïcité, fruit de l'alchimie de siècles de mûrissement de la société française, parfois lent, souvent heurté et conflictuel, qui nous permet aujourd'hui de vivre ensemble.

Je souhaiterais surtout axer mon propos sur les enjeux internationaux de la laïcité. Pour parler franc, monsieur le ministre, ce sont sans doute les seuls véritables enjeux de la laïcité aujourd'hui et, à mon avis, c'est dans cette perspective que son principe doit être réaffirmé avec force.

La situation internationale a profondément évolué ces dernières années, chacun en convient. Le monde est entré profondément dans l'ère de la globalisation, dont les effets emplissent notre vie quotidienne. Comme toute évidence, il n'est pas certain que celle-ci se soit imposée à nos esprits et que l'on en ait saisi toute la dimension, que l'on en ait compris toutes les conséquences pertinentes. Nous marchons aujourd'hui vers un monde interétatique multipolaire. Mais nous vivons surtout dans un monde transnational, nourri des échanges multiples entre les hommes : échanges de biens et de services, mais aussi d'idées, au nombre desquelles il ne faut pas oublier les confrontations et les querelles, véhiculées par leurs migrations.


Contrairement aux idées reçues, les hommes sont peut-être plus près les uns des autres grâce aux moyens de communication actuels, mais ils ne se sont pas pour autant rapprochés, loin s'en faut.

Avec la fin de l'URSS, quelques esprits naïfs et bavards ont cru à la fin de l'histoire. Ils sont passés à côté de l'essentiel : la formidable rupture Nord-Sud, démographique, économique mais aussi et surtout culturelle, politique et existentielle.

Le Sud, c'est bien sûr l'Afrique, mais c'est d'abord la Méditerranée et l'islam. Ces dernières décennies, peu d'esprits ont compris ce qui se passait dans cette partie du monde où culture, religion et civilisation sont trois facettes d'une même réalité. Certains ont même cru que l'islam serait un rempart contre le communisme et l'ont instrumentalisé à cette fin et à leurs dépens

M. Jean-Pierre Blazy. C'est vrai !

M. Jacques Myard. Pis encore : débarrassés du boulet de l'affaire algérienne, les gouvernements français successifs ont voulu tourner la page et tourner le dos à ces hommes identifiés dans notre mémoire à des événements douloureux, d'un autre temps, dont la venue sur notre sol n'était souhaitée que pour remplir les tâches les plus pénibles. C'était oublier que les hommes ne sont pas des marchandises, des outils, mais des cultures. C'était oublier le formidable renouveau de l'islam qui est en route depuis quatre-vingts ans. Il a commencé avec les Frères musulmans en Egypte dans les années vingt. Ceux-ci professent le retour à la lettre du Coran, le fondamentalisme, qui est structuré en fonction d'une notion particulière du temps : pour ces doctrinaires, plus on s'éloigne du temps du prophète, plus l'humanité se dégrade. Le progrès n'existe pas. L'âge d'or est le temps du prophète.

Le fondamentalisme n'est pas nouveau en terre d'islam. Il y est même récurrent. Il a mis un terme à chaque tentative des modernes - modernes musulmans - qui souhaitaient rénover le message coranique en le passant à l'aune de la raison et des progrès de la civilisation. Avicenne, philosophe et médecin qui vécu de 980 à 1 037 et Averroès, philosophe qui a vécu de 1126 à 1198 en ont fait tous les deux les frais.

Mais, à ce stade, il est utile de rappeler des faits moins connus qui ont une incidence très importante et significative sur les musulmans maghrébins dont certains ont immigré en France.

Au Maghreb, quelques années après la décolonisation, les gouvernements et, en l'occurrence, l'algérien, ont décidé d'arabiser leur pays. Leur décision était bien sûr légitime puisqu'ils étaient indépendants. Mais ce choix a été lourd de conséquences.

M. Pierre Bourguignon. Il fut même funeste !

M. Jacques Myard. Le gouvernement algérien s'est tourné vers le gouvernement égyptien pour obtenir des professeurs d'arabe. Le Caire a envoyé, au début des années soixante-dix, des milliers d'instituteurs des madrassas coraniques, fortement noyautés par le fondamentalisme islamique, dont les qualités intellectuelles indéniables et exceptionnelles se sont limitées à psalmodier le Coran et à diffuser l'image idéalisée de la société du prophète, celle du VIIe siècle d'Arabie, c'est-à-dire un monde théocratique où chaque élément de la société est réglé par la parole de Dieu.

Alors que renaissait sur la rive sud de la Méditerranée, une foi fondée sur un dogmatisme totalitaire, c'est-à-dire absolu et global, au même moment la société française érigeait en dogme le primat de l'individualisme et de l'hédonisme, prônait le droit à la différence dans tous les domaines au nom de la liberté et faisait passer au second plan ce qui rassemble. « Les hommes ont le choix entre cultiver leur différence et approfondir leur communion », disait Malraux.

La rencontre de ces deux mondes ne pouvait engendrer au mieux que l'incompréhension, au pire l'affrontement.

C'est bien en ces termes que se posent les enjeux d'aujourd'hui et il ne sert à rien de croire et d'espérer que l'eau et le feu soient compatibles. C'est l'un ou l'autre, ne nous faisons aucune illusion.

Si la lecture dogmatique et littérale du Coran, qui donne une vision totalitaire et globale du monde, devait l'emporter sur une vision plus rationnelle de l'islam, l'affrontement est certain.

Je souhaite à ce stade m'inscrire en faux contre certains propos tenus à gauche comme à droite sur la question de l'intégration, propos trop faciles selon lesquels l'intégration devrait d'abord et avant toute chose être ramenée à la disparition du chômage et des inégalités économiques et sociales, ces problèmes - bien réels - étant accusés d'engendrer l'exclusion et le repli communautariste. Certes, ces facteurs ont leur importance - je ne veux pas les nier - mais ils sont très insuffisants pour expliquer ce qui se passe. Cette analyse à connotation économico-marxiste est parfaitement inexacte. Les fondamentalistes les plus actifs, voire les plus virulents et les plus extrémistes sont en règle générale, monsieur le ministre, aisés, intégrés et ont atteint le niveau des études supérieures. Ne nous trompons donc pas d'objectif ni d'analyse.

Le radicalisme religieux ne trouve pas sa source dans les frustrations sociologiques et économiques, mais va bien au-delà car il met en cause une conception de la foi, une vision politique du monde, une Weltanschauung dont l'objectif est subversif : imposer le dogme politico-religieux.

L'enjeu, mes chers collègues, n'est pas religieux. Il est politique et le port du voile cache l'essentiel : l'instauration d'une société formatée conformément à la charia, où certes la femme est enfermée dans un statut minoritaire, mais dont les objectifs vont beaucoup plus loin. Ne nous y trompons pas.

Le pire, toutefois, n'est jamais inéluctable. Il y a une alternative possible, sous deux conditions : la clarté et la fermeté. La France a toujours admis des étrangers sur son sol et elle continuera de le faire. Là n'est pas la question. Mais elle a une histoire et des lois et, à ce titre, il faut que les choses soient claires. Le pacte républicain n'est pas une auberge espagnole. Il est fondé sur des principes forts dont l'égalité des sexes, la neutralité des services publics et la laïcité. Le pacte républicain n'est pas négociable. On entre en France et on y demeure avec sa liberté de conscience et de pensée, mais les lois civiles sont votées par le peuple et ses représentants exclusivement.

M. Christian Decocq. Très bien !

M. Jacques Myard. Il ne saurait donc y avoir de dogmes religieux supérieurs aux lois de la République, tout simplement parce qu'ils ne régissent pas les mêmes sphères, les mêmes domaines.

M. Pierre Bourguignon. Très bien !

M. Jacques Myard. Aux lois civiles, la société temporelle. Aux dogmes religieux, l'âme et la foi. C'est en réaffirmant avec force la distinction entre ces deux mondes que nous pourrons garantir la liberté de conscience de chacun dans le cadre de la neutralité de la société au regard des religions. C'est bien là le fondement et la raison de la laïcité.

M. Christian Decocq. Très bien !

M. Jacques Myard. Voilà pourquoi, dans un monde plus que jamais ouvert, où tout circule - les hommes, les idées, mais aussi les haines et les conflits toujours ressourcés - nous devons être intransigeants sur les règles de la laïcité. Souvenons-nous de ce que disaient les anciens : défendre nos lois plus fort que nos murailles.

C'est à ce prix que la France restera un exemple pour le monde, un exemple du vouloir vivre ensemble au-delà des différences religieuses et philosophiques de chacun.

Il est possible que la tâche soit rude, et je suis certain même que nous n'aurons pas épuisé le sujet avec le vote de cette loi, quels que soient les adjectifs qui la qualifient. Je suis même persuadé qu'il conviendra d'y revenir et, notamment, d'encadrer l'action des partis politiques afin qu'ils respectent le principe de laïcité. J'ai fait des propositions à ce propos pour modifier même la Constitution. En effet, les extrémistes savent avancer masqués et utiliser toutes les ressources de la démocratie que nous leur offrons. Ils nous réclameront la liberté au nom de nos principes pour nous la refuser au nom des leurs. Mais il n'y aura que les naïfs pour entrer dans leur jeu.

Pour ma part, j'ai choisi mon camp. Les choses sont claires. Pas d'irénisme avec les ennemis de la laïcité ! Appliquons fermement nos lois pour la paix civile et le bonheur de tous. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jacques-Alain Bénisti.

M. Jacques-Alain Bénisti. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, il existe peu de projets de loi, soumis à la représentation nationale, qui aient suscité si peu d'amendements en commission des lois : dix au total. Si on les compare aux 13 500 de la loi de réforme des retraites, c'est peu et, en même temps, c'est significatif de la collégialité et de la quasi-unanimité sur le « réel besoin d'une loi sur le sujet ».

Pourquoi donc autant d'interventions si nous sommes tous d'accord sur le fond ?

Certes, iI y a ceux qui veulent apporter leur pierre à l'édifice républicain en réaffirmant leur attachement à la laïcité, aujourd'hui agressée par le port de signes religieux ostensibles et provoquants, qui déstabilisent la sérénité de l'école.

Il y a aussi ceux qui profitent de ce débat passionnel et sensible pour faire passer leurs messages idéologiques et politiques complètement hors sujet.

II y a enfin ceux qui tentent d'attiser les tensions par la démagogie et ceux qui, de toute façon, n'auraient jamais voté ce texte et avancent des explications « capillotractées » pour masquer leur volonté de nuire au Gouvernement et au Président de la République.

Au fond, nous sommes tous intimement persuadés qu'au-delà des clivages politiques, nous devons voter ce texte dans l'intérêt des générations futures.

Je ne parlerai pas de la place fondamentale de la laïcité dans nos valeurs républicaines. Beaucoup avant moi l'ont déjà fait. C'est pour nous tous une évidence.

Je ne parlerai pas non plus de l'égalité des sexes, ardemment réaffirmée.

Je voudrais juste mettre en exergue trois points.

Premier point : le débat sémantique auquel se livrent certains me semble inutile et fait perdre de vue l'objectif essentiel. II s'agit bien, par ce texte, de préserver la neutralité de l'école et de condamner les pressions politico-religieuses dont elle fait l'objet, ainsi que les attitudes provocantes qui ne sont pas des signes de piété mais bien de provocation, de stigmatisation et de discrimination.

C'est pourquoi, le terme « ostensible » me semble parfaitement approprié. Je rappellerai la définition de ce mot par Le Petit Robert : « Acte fait avec l'intention d'être remarqué de tout le monde ». Le terme « visible » n'est pas assez précis. Il n'aurait d'ailleurs pas permis à ce texte d'atteindre son but qui est de clarifier afin de permettre aux chefs d'établissements d'appliquer sans ambiguïté et sans contestation possible le concept laïque de l'école française.

Deuxièmement, notre objectif est bien d'affirmer la neutralité de l'école. Nous devons permettre au milieu scolaire de retrouver un climat serein de travail. Son rôle est bien de former les futurs citoyens de demain en leur apprenant, dans la neutralité, les principes fondamentaux qui régissent notre nation, loin des pressions politiques, religieuses et communautaires extérieures.

Il s'agit de donner aux futurs adultes qu'ils deviendront un bagage républicain « vital » qui leur permettra de faire des choix en conscience. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les universités, qui accueillent des jeunes adultes ayant atteint la majorité, ne sont pas concernées par ce texte.

Enfin, je regrette que nous ayons adopté en commission des lois un amendement tendant à introduire de façon expresse dans le texte du projet de loi une procédure de dialogue préalable à la sanction. C'est, à mes yeux, une précision inutile qui tend à désavouer la communauté éducative. Elle prouve, de la part de certains, une réelle méconnaissance du fonctionnement interne des établissements scolaires, où la culture du dialogue est déjà profondément ancrée et systématiquement pratiquée. Faisons attention à ne pas offenser ces professionnels en introduisant un sentiment de suspicion quant à leurs compétences et à leur capacité à gérer au plus juste et au mieux la phase de pré-sanction.

Ne perdons pas de vue que ce texte vise à faire barrage aux tentatives communautaristes et prosélytistes qui tentent de déstabiliser l'un des fondements de la République et le cœur de notre démocratie : l'école.

Il ne s'agit aucunement de nier les religions ; il s'agit bien au contraire de réaffirmer le droit de chacun à pratiquer ou non son culte dans le respect des convictions privées et intimes de chacun. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

2

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SEANCES

M. le président. Cet après midi, à quinze heures, deuxième séance publique :

Suite de la discussion du projet de loi, n° 1378, relatif à l'application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics :

M. Pascal Clément, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport n° 1381),

M. Jean-Michel Dubernard, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (avis n° 1382).

A vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de l'ordre du jour de la première séance ;

Discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité :

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur (rapport n° 1377).

La séance est levée.

(La séance est levée à treize heures.)

      Le Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

      jean pinchot