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Deuxième séance du mardi 25 mai 2004

229e séance de la session ordinaire 2003-2004



PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

M. le président. L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Nous commençons par une question du groupe Union pour la démocratie française.

DISCRIMATIONS

M. le président. La parole est à Francis Vercamer.

M. Francis Vercamer. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. Il y a quelques jours, une équipe de sociologues de l'Observatoire des discriminations de l'université de Paris I a publié une étude mettant en évidence la persistance dans notre société de pratiques discriminatoires à l'embauche.

Bien que sanctionnées par la loi, ces discriminations sont de toutes natures et peuvent se fonder sur l'âge ou le sexe, le handicap et bien évidemment sur le quartier ou l'origine ethnique. Ainsi un Français d'origine maghrébine aurait cinq fois moins de chances qu'un autre d'obtenir un entretien d'embauche pour un emploi commercial.

De même, habiter un quartier considéré comme difficile prive tout candidat à l'embauche de chances sérieuses de trouver un emploi.

Face à ces pratiques qui perdurent depuis vingt ans, l'exaspération de nos concitoyens d'origine maghrébine, notamment les plus jeunes, est de plus en plus forte. Ils se sentent doublement stigmatisés par leur histoire familiale et par le quartier où ils résident. C'est notamment le cas dans l'agglomération roubaisienne où cette réalité est vécue et dénoncée depuis plusieurs années.

Le Gouvernement a évoqué, à plusieurs reprises, sa volonté de créer une Haute autorité de lutte contre les discriminations, sans toutefois concrétiser cette proposition. Quelles initiatives entendez-vous prendre en ce domaine, monsieur le ministre ?

Selon quel calendrier cette Haute autorité, attendue depuis plusieurs mois, sera-t-elle mise en place ?

De quels moyens concrets d'action sera-t-elle dotée afin d'assurer le respect du principe républicain d'égalité des chances ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État à l'intégration et à l'égalité des chances.

Mme Catherine Vautrin, secrétaire d'État à l'intégration et à l'égalité des chances. Vous avez raison, monsieur Vercamer, les discriminations alimentent les réflexes identitaires et communautaires. Elles sont contraires à l'idée que nous nous faisons de la République.

C'est la raison pour laquelle, dès le mois d'octobre 2002, le Président de la République a annoncé à Troyes, la création d'une Haute autorité de lutte contre toutes les formes de discrimination, à l'égard des origines, mais également à l'égard des femmes et des personnes handicapées.

Une mission de préfiguration de cette haute autorité a été confiée en juin 2003 à M. Bernard Stasi, alors Médiateur de la République. Le rapport, remis par celui-ci au Premier ministre en février dernier, a recueilli un très large consensus de l'ensemble des partenaires.

Sur cette base, un projet de loi a été élaboré par Jean-Louis Borloo et le pôle de cohésion sociale. M. le Premier ministre le transmettra au Conseil d'État dans les tout prochains jours.

Nous devons déterminer les moyens nécessaires pour que la Haute autorité commence son travail dès le 1er janvier 2005, comme prévu. Elle traitera des cas individuels de discrimination dont elle sera saisie. Elle disposera de pouvoirs d'enquête et de recommandation, qui s'exerceront en étroite coordination avec les autorités judiciaires.

Enfin, la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité labellisera les bonnes pratiques, dans l'administration comme dans l'entreprise. Nous les recensons d'ores et déjà dans l'audiovisuel, les télécommunications, les grands groupes, le service public de l'emploi et bien entendu la fonction publique.

Mesdames, messieurs les députés, après la laïcité, l'égalité est la deuxième valeur de la République que nous voulons faire respecter par tous. Dans le cadre du pôle de cohésion sociale, autour de Jean-Louis Borloo, nous nous donnons les moyens de faire partager cette valeur d'égalité. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

FISCALITÉ SUR LES CARBURANTS

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Jean-Pierre Brard. Nous voici, monsieur le Premier ministre, à la saison des festivals. Il y a eu le festival de Cannes ; celui de Marseille lui succédera bientôt.

Lorsque je pense à vous, monsieur le Premier ministre, il m'arrive parfois de songer à Chimène, de notre bon Corneille, au moment où elle regarde Rodrigue de ses yeux langoureux. (Sourires. - Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Seulement votre Rodrigue à vous, monsieur le Premier ministre, s'appelle M. le baron Ernest-Antoine Seillière de Laborde (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), que vous bichonnez en tant que représentant des nantis et des privilégiés.

Vous avez abaissé depuis deux ans l'impôt sur le revenu des plus riches.

M. Jean Marsaudon. Ce n'est pas sérieux !

M. Jean-Pierre Brard. Vous avez abaissé l'impôt sur les grandes fortunes. Vous avez abaissé les droits sur les donations. Et vous vous apprêtez à décider l'amnistie fiscale pour les voleurs qui ont transféré illégalement leur fortune à l'étranger. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Que se passe-t-il, pendant ce temps, pour la France d'en bas ? Pour les salariés qui doivent, tous les jours, prendre leur voiture pour aller travailler, pour les marins pêcheurs, pour les agriculteurs, le prix de l'essence monte !

Qui gagne, monsieur le Premier ministre ? TotalFinaElf qui, pour le deuxième trimestre 2004 enregistre un bénéfice net de 2 milliards d'euros. Les Français ne savent pas, contrairement à vous, que les compagnies pétrolières possèdent non pas simplement les pompes à essence, mais aussi les puits de pétrole. Ces compagnies, avec quelques États complices, font monter les prix.

Qui gagne ? L'État ! En effet, à chaque fois que les prix montent, la TVA et la taxe intérieure sur les produits pétroliers rapportent plus.

Qui perd, monsieur le président, je vous le donne en mille ? Les électeurs de votre circonscription (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste), comme tous les Français de la France d'en bas.

Ils perdent, parce que vous ne vous en occupez pas, et parce que, monsieur le Premier ministre, vous les regardez d'en haut. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Comment, monsieur le Premier ministre, allez-vous faire rendre gorge aux compagnies pétrolières qui s'enrichissent grâce aux « petits sous » pris dans la poche des gens qui vont partir en vacances ?

Comment comptez-vous faire baisser, monsieur le Premier ministre, les taxes sur les carburants ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État au budget et à la réforme budgétaire. (Protestations sur plusieurs bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État au budget et à la réforme budgétaire. Monsieur le président, je viens d'entendre un « beau merle » aux couleurs printanières et chacun a pu apprécier l'humour des propos de M. Brard.

Cela dit, je vais répondre aux questions sérieuses qu'il a posées.

Monsieur Brard, 50 % des Français acquittent l'impôt sur le revenu, soit une grande partie des couples qui travaillent. La baisse de cet impôt a donc rendu service à beaucoup de nos compatriotes, et pas simplement aux plus fortunés d'entre eux. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

S'agissant de ce que vous avez appelé « l'amnistie fiscale », monsieur Brard, le Premier ministre étudie la possibilité de faire en sorte que reviennent dans notre pays des capitaux qui en sont sortis.

M. Jean-Pierre Brard. Illégalement !

M. le secrétaire d'Etat au budget et à la réforme budgétaire. Pas toujours de manière illégale, monsieur Brard. Des Français ont pu, pour un certain nombre de raisons, choisir un autre dispositif d'optimisation.

Nous étudions cette mesure. Rien n'a été décidé, je le répète. Nous regardons attentivement les actions entreprises en la matière par le gouvernement social-démocrate allemand. Nous évaluons ce que pourrait rapporter cette possibilité.

En fonction de tous ces paramètres, M. le Premier ministre prendra les décisions qui s'imposeront.

Enfin, monsieur Brard, vous nous avez interrogé sur la TIPP flottante. Cette mesure avait été prise par le gouvernement de M. Jospin (« Excellente mesure ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste) à un moment où, en euros - je le précise car un quotidien satirique paraissant le mercredi a confondu les dollars et les euros -, le prix était de 10 % plus élevé qu'aujourd'hui. Les prix varient à New York : un jour à 39 dollars, le lendemain à 41 dollars. On ne peut donc pas, dans ces conditions, prendre une mesure de TIPP flottante.

Cette mesure avait été très lourde pour les finances publiques. Le gouvernement de M. Jospin avait été condamné par l'Europe, car cette mesure était contraire à la gouvernance économique européenne.

Cela étant, si nous constations que l'augmentation du prix du baril a une incidence sur la croissance, au moment où celle-ci repart, le Gouvernement prendrait les mesures nécessaires. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

FERMETURE DE L'USINE NESTLÉ DE MARSEILLE

M. le président. La parole est à M. Roland Blum, pour le groupe UMP.

M. Roland Blum. Ma question s'adresse à M. le ministre d'État, ministre de l'économie et de l'industrie.

La direction des usines Nestlé-France a annoncé la semaine dernière qu'elle projetait d'arrêter l'activité de l'usine Saint-Menet à Marseille. Cette décision, aussi brutale qu'inattendue, est inacceptable. Elle entraînera une mise au chômage de 450 personnes et la perte de quelque 200 emplois au sein des entreprises sous-traitantes.

Nestlé-France promet certes une reconversion économique du site. Mais personne n'en connaît les conditions. Une telle reconversion prendrait plusieurs années. L'entreprise promet un traitement social exceptionnel, en proposant à chaque salarié un autre emploi sur un site Nestlé à Dieppe, Dijon ou Pontarlier. Comme s'il était simple pour une famille implantée, souvent depuis longtemps, à Marseille de se déplacer d'un coup de baguette magique !

Les élus marseillais, autour de leur maire, ne comprennent pas la décision de supprimer d'un trait de plume cette usine, alors que Nestlé exploite en France 37 établissements et que rien ne prouve, bien au contraire, le manque de rentabilité du site de Marseille.

Enfin, et c'est le comble, il semble que Nestlé-France refuse d'entamer toute négociation avec un éventuel repreneur, en l'occurrence les cafés Legal, qui s'engagerait à poursuivre l'activité en maintenant les emplois.

Nous souhaitons que le Gouvernement nous apporte son appui, afin cette activité industrielle soit maintenue à Marseille. Quelle action envisagez-vous d'entreprendre ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l'industrie.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie. Vous avez raison, monsieur Blum, il s'agit d'un coup dur pour Marseille. Cette entreprise était installée sur un site de vingt-cinq hectares depuis 1948. On ne peut que déplorer que 428 emplois soient menacés.

L'entreprise a, semble-t-il, agi avec un peu de désinvolture, dans la mesure où les élus ont appris cet événement dans la presse, au point que M. Jean-Claude Gaudin, vous-même et M. Renaud Muselier ont dû demander aux dirigeants sociaux de venir leur expliquer ce qu'il en était.

Comment se présente la situation aujourd'hui ? Le Gouvernement a demandé au préfet de région de recevoir les dirigeants sociaux, afin de leur expliquer que l'État serait particulièrement exigeant sur les mesures de reconversion. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

En ce qui concerne le plan social, des mesures de préretraite sont prévues pour quatre-vingts à quatre-vingt-dix personnes âgées d'environ cinquante-cinq ans. La société Nestlé propose de reclasser tous les autres salariés sur les trente-sept sites restant en France. Mais il est vrai, monsieur Blum, que, quand on aime Marseille, il est difficile de s'arracher de cette ville.

Des mesures de réindustrialisation ont été prévues à Marseille accompagnées d'investissements importants. Des mesures en direction des publics les plus défavorisés sont prévues dans les secteurs difficiles.

La société Nestlé a accepté enfin de remettre à la ville les vingt-cinq hectares de son site.

Effectivement, monsieur Blum une offre a été présentée par la société Legal. Curieusement - en tout cas cela nous interpelle - Nestlé refuse de céder son entreprise, alors qu'il ne s'agit pas d'une question de prix, à cette société.

J'ai invité les dirigeants de Legal à venir me rencontrer à Bercy, afin d'examiner, en concertation avec le préfet et la société Nestlé, les conditions d'une reprise sur place. Le Gouvernement s'est occupé activement de la situation de la société Nestlé à Marseille. Nous continuerons à suivre cette affaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)


POLYNÉSIE FRANÇAISE

M. le président. La parole est à M. René Dosière, pour le groupe socialiste.

M. René Dosière. Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'outre-mer.

M. Michel Delebarre. Aïe, aïe, aïe !

M. René Dosière. Madame la ministre, en janvier dernier, votre majorité a voté - à la hussarde - un nouveau statut concernant la Polynésie française.

M. Bernard Roman. Eh oui !

M. René Dosière. Élaboré à l'Élysée avec votre soutien, ce statut comportait un nouveau mode de scrutin à un tour, avec une prime majoritaire de 30 % à la liste arrivée en tête. Après la débâcle des élections régionales et la défaite en Guadeloupe de Mme Michaux-Chevry, battue par notre ami socialiste Victorin Lurel, la première décision du nouveau gouvernement Raffarin a consisté à dissoudre précipitamment l'assemblée de Polynésie, à la demande de Gaston Flosse.

M. Jean Glavany. Cela peut surprendre !

M. René Dosière. Entre-temps, vous avez complété votre bilan à la tête de ce ministère par la défaite de Jacques Lafleur aux élections provinciales de Nouvelle-Calédonie,...

M. Julien Dray. Mais c'est très bien, cela ! Il faut la garder !

M. René Dosière. ...et dimanche dernier, en Polynésie, c'est Gaston Flosse, l'ami de Jacques Chirac, votre ami, qui a été mis en minorité.

M. Jacques Floch. Bravo !

M. René Dosière. En n'obtenant que 28 sièges contre 29 pour les oppositions, il se retrouve victime du mode de scrutin qu'il avait lui-même inventé. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

La victoire d'Oscar Temaru à la tête d'une liste d'union soutenue par le Parti socialiste constitue un événement historique que notre groupe tient à saluer dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) Cette défaite annonce la fin d'un système néocolonial basé sur le clientélisme et la corruption : le système Chirac.

M. Jean Marsaudon. C'est scandaleux !

M. René Dosière. Contrairement à ce que laissent à croire les fantasmes de vos amis, le vote intervenu ne porte pas sur l'indépendance de la Polynésie. Oscar Temaru a été très clair à ce sujet. En soulignant dans vos premiers commentaires, madame la ministre, que le Tahoeraa demeurait le parti le plus important, vous oubliez de dire qu'il est minoritaire en voix puisque ses adversaires obtiennent 54 % des suffrages exprimés !

Ma question est donc simple : reconnaissez-vous devant la représentation nationale la légitimité de la nouvelle majorité conduite par Oscar Temaru,...

M. Éric Raoult. Indépendantiste !

M. René Dosière. ... élue pour cinq ans avec un mode de scrutin que vous avez vous-même institué ? Êtes-vous prête à coopérer loyalement avec elle ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l'outre-mer.

Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer. Vos propos, monsieur Dosière, éclaireront à n'en pas douter la représentation nationale sur la réalité de la politique socialiste outre-mer (Rires sur les bancs du groupe socialiste), politique de démembrement de la République. (Exclamations sur les mêmes bancs.) Votre satisfaction devant la victoire, encore très incertaine, et je conteste vos chiffres, (Mêmes mouvements)...

M. le président. Écoutez au moins la réponse !

Mme la ministre de l'outre-mer. ...de M. Temaru est à cet égard éloquente.

Cela dit, je n'en suis guère étonnée : hier déjà, lorsque M. Hollande a annoncé que les quatre régions d'outre-mer avaient basculé à gauche, j'ai été assez stupéfaite en entendant le Parti socialiste s'annexer la victoire, à la Martinique, d'un élu indépendantiste... Mais finalement, tout cela est cohérent, puisque vous vous félicitez de la victoire d'un parti indépendantiste (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste. - Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) avec lequel vous avez signé un accord, le 20 mai dernier, qui prévoit l'accession à la pleine souveraineté de la Polynésie française - avec, j'imagine, la totale indépendance financière !

M. Jean Glavany. Parlez-nous de ce que vous faites, vous !

Mme la ministre de l'outre-mer. Monsieur Dosière, votre discours à géométrie variable sur la Polynésie française ne dupe personne. Pendant des mois, vous nous avez expliqué que nous avions préparé un statut de convenance personnelle pour assurer l'élection triomphale de M. Flosse ; si tel avait été le cas, vous ne seriez pas en train de vous réjouir aujourd'hui. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Du reste, ne vous réjouissez pas trop vite : le processus électoral est loin d'être terminé. (Mêmes mouvements.)

En revanche, ce qui n'est pas à géométrie variable, c'est bien la politique socialiste d'abandon et de largage de l'outre-mer. (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste. - Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Car je constate que ces deux millions et demi de Français, vous n'avez qu'une idée en tête : vous en débarrasser, car vous les considérez comme une charge. Ce n'est pas notre conception de la République et je ne pense pas que ce soit le souhait de l'immense majorité de nos compatriotes d'outre-mer. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Julien Dray. Il ne vous reste rien, vous avez tout perdu !

Mme Martine David. Mauvaise perdante !

M. le président. Allons, cela suffit ! Nous passons à un autre sujet.

SAPEURS-POMPIERS

M. le président. La parole est à M. Dominique Paillé, pour le groupe UMP.

M. Dominique Paillé. Monsieur le président, ma question devrait être plus consensuelle. Elle s'adresse à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales et concerne les sapeurs-pompiers.

Chaque jour, dans notre pays, les sapeurs-pompiers oeuvrent avec efficacité, mais souvent, hélas ! au péril de leur vie, pour la sécurité de nos concitoyens. Ils constituent de ce fait un corps extrêmement apprécié et méritent, du fait de leur action et de leurs résultats, la gratitude de la nation.

La reconnaissance du caractère dangereux de leur métier est à cet égard un pas dans la bonne direction. C'est un geste majeur, mais qui implique d'en tirer toutes les conséquences opérationnelles et professionnelles. Nous savons par ailleurs que la modernisation des équipements, le réaménagement des retraites, les avantages en termes de carrière, notamment pour les fins de carrière, ont un coût très élevé ; bien évidemment, les collectivités locales, départements en tête, ne sauraient à elles seules y faire face.

Aussi aimerions-nous savoir, monsieur le ministre, comment, dans la future loi de modernisation de la sécurité civile, vous entendez répondre tout à la fois à la légitime attente des sapeurs-pompiers et aux préoccupations des collectivités que j'ai citées ? (Applaudissements sur divers bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

M. Dominique de Villepin, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Monsieur le député, vous avez exprimé le sentiment général : les sapeurs-pompiers sont au cœur de la sécurité quotidienne des Français. Leur action est synonyme de courage, de solidarité, de générosité et d'efficacité. Les trois « plans rouges » décidés ce week-end, en Loire-Atlantique, à Roissy et à Lisieux, en témoignent.

Les sapeurs-pompiers paient un lourd tribut : quatre décès depuis le début de l'année, treize en 2003, vingt-cinq en 2002. Ils font face à des risques croissants qui exigent tout à la fois des ressources humaines et des moyens matériels adaptés. C'est pourquoi une loi de modernisation est aujourd'hui indispensable, et j'entends faire en sorte qu'elle soit adoptée avant la fin de l'année.

Les professionnels sont au cœur du métier, du fait de leur rôle tant de formation que d'encadrement des secours. Je prévois pour eux deux mesures essentielles. La première, vous l'avez évoquée, c'est la reconnaissance de la dangerosité du métier. Cela fait trente ans qu'on en parle ; nous allons le faire.

La deuxième mesure, c'est l'amélioration de la fin de carrière, en abaissant le seuil de déclenchement de la bonification qui interviendra à partir non plus de trente ans, mais de vingt-cinq ans.

M. Pierre Méhaignerie. Non ! Ce serait une catastrophe !

M. Philippe Vuilque. Méhaignerie n'est pas d'accord !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Mais nous voulons également agir en direction de ceux qui éprouvent des difficultés dans l'exercice même de leur mission, en aidant à l'élaboration de projets personnalisés, par le biais de reclassements sur avis médical et avec maintien des rémunérations. C'est sur ces bases que, le 18 mai dernier, j'ai signé un protocole d'accord avec quatre organisations majoritaires de la profession.

M. Pierre Méhaignerie. C'est absurde !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. S'agissant des 200 000 volontaires qui constituent les forces vives des sapeurs-pompiers, il faut des mesures spécifiques. Plus d'un tiers des volontaires ne renouvellent plus leur contrat ; nous avons besoin de les fidéliser. J'entends donc leur offrir un statut plus valorisant grâce à la reconnaissance des diplômes professionnels et à la création d'un avantage retraite spécifique.

Je conduirai cette réforme dans un esprit de responsabilité et l'État y assumera toute sa part.

M. Pierre Méhaignerie. Et le financement ?

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. En cas de grande catastrophe, l'État prendra en charge le coût des moyens envoyés en renfort ; il apportera une large contribution au financement des mesures destinées à encourager le volontariat des sapeurs-pompiers ; enfin, un impôt national, sous la forme d'une part de la taxe sur les conventions d'assurance, sera transféré aux départements.

M. Jean Glavany. Ah ! On sait qui va payer !

M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. La sécurité civile est une exigence quotidienne et républicaine : il nous appartient à tous d'y participer. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Dominique Tian. Excellent !

CATASTROPHE DE ROISSY

M. le président. La parole est à M. François Scellier, pour le groupe UMP.

M. François Scellier. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s'adresse à M. le ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer.

Dimanche dernier, une section d'une trentaine de mètres du toit du terminal 2E de l'aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle s'est effondrée. Quatre personnes, qui se trouvaient dans cet endroit, sont décédées dans l'accident et trois autres ont été blessées.

Mes pensées comme celles de tous nos collègues vont aux familles et aux proches des victimes. Comment un tel drame a-t-il pu arriver alors que ce nouveau terminal a été inauguré voilà moins d'un an ? Quelles sont, monsieur le ministre, les premières mesures d'urgence décidées par le Gouvernement et par Aéroports de Paris, gestionnaire de la plate-forme ? Enfin, croyez-vous que cette catastrophe puisse avoir des conséquences économiques sur le développement de l'aéroport de Roissy ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer.

M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer. Permettez-moi d'abord, au nom du Gouvernement et avec l'autorisation du Premier ministre, d'exprimer l'émotion, partagée, j'en suis certain, sur tous ces bancs, qu'a suscitée ce terrible accident du terminal 2E, et de faire part de notre compassion aux familles des victimes, qui ne sont pas encore toutes identifiées.

Dans les heures qui ont suivi, nous nous sommes rendus sur les lieux avec Nicole Guedj et Dominique de Villepin, où nous avons pu constater la très forte mobilisation et le savoir-faire des services de secours, mais également des services d'ADP. Dès les premières heures de lundi matin, le Premier ministre lui-même est allé rendre hommage à l'énorme travail qu'ils ont réalisé. Tout porte à croire que, grâce à eux, d'autres victimes ont été évitées. Leur très grande vigilance également mérite d'être saluée.

Bien sûr, le terminal 2E est depuis totalement évacué. Plus aucun trafic de clientèle, débarquement ou embarquement, n'y a désormais lieu. Mais nous tenons à savoir ce qui s'y est réellement passé. Erreur de conception ? Erreur de réalisation ? Toutes les hypothèses techniques sont envisageables, mais aucun élément ne nous permet pour l'heure de tirer quelque conclusion que ce soit.

Dès dimanche, une enquête judiciaire a été diligentée. Ce matin même, avec François Goulard, nous avons signé une lettre de mission mettant en place une commission d'enquête administrative. Nous sommes aussi impatients que vous de connaître ses premières conclusions, fussent-elles partielles. Aussi avons-nous demandé qu'à tout le moins un rapport d'étape nous soit remis dès le mois de juin.

Dans l'attente des premiers résultats de l'enquête, les vols ont été répartis sur l'ensemble du site de Charles-de-Gaulle. Le trafic n'est en aucune manière interrompu ; mais, dans la perspective de l'inévitable hausse des mouvements aériens à laquelle il faut nous attendre cet été, nous travaillons en étroite relation avec ADP et les compagnies aériennes qui, elles aussi, font preuve d'un grand savoir-faire. Nous sommes en tout état de cause très attentifs à l'organisation de la saison estivale afin d'être à même de garantir la sûreté et la ponctualité des vols, mais également la qualité du service. C'est bien dans cet esprit que, avec François Goulard, nous avons demandé au directeur général de l'aviation civile d'assurer une coordination spécifique pour veiller au respect de ces objectifs dans une période particulièrement difficile. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Pierre Blazy. Pensez également aux riverains !


ÉDUCATION NATIONALE

M. le président. La parole est à M. Manuel Valls, pour le groupe socialiste.

M. Manuel Valls. Depuis votre prise de fonctions, monsieur le ministre de l'éducation nationale, nous ne pouvons que noter un changement de style par rapport à votre prédécesseur : la cacophonie et le mépris ont fait place au silence, un silence particulièrement inquiétant ! (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Le mauvais budget pour 2004, aggravé par la suppression de plus de 30 % de postes aux concours de recrutement, enlève à l'école les moyens de fonctionner correctement.

M. Yves Nicolin. Démago !

M. Manuel Valls. Ainsi, dès la rentrée prochaine, le manque de personnels contribuera à accentuer la dégradation de l'encadrement des élèves, avec la surcharge des classes, la remise en cause de l'école maternelle (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) et le non-remplacement des enseignants De plus, certaines disciplines ne seront plus enseignées, les fédérations de parents d'élèves s'en sont déjà inquiétées tout comme les enseignants.

M. Charles Cova. Il y a trop d'enseignants !

M. Manuel Valls. Le manque d'enseignants titulaires porte atteinte à la qualité de l'enseignement, mais il accroîtra également la précarité dans l'éducation nationale, car le nombre de personnels précaires explosera pour faire face à la pénurie de remplaçants.

M. Philippe Pemezec. C'est excessif !

M. Manuel Valls. Ainsi, après avoir été le premier licencieur de France, avec la suppression des emplois-jeunes et des aides-éducateurs (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), vous vous apprêtez à devenir le champion de l'emploi précaire dans la fonction publique. (Mêmes mouvements.)

Il y a pire : en fermant des portes aux concours, alors que les effectifs des élèves augmentent dès cette année et que les départs en retraite s'accélèrent, vous organisez, monsieur le ministre, une crise et une pénurie sans précédent pour les toutes prochaines années.

M. Olivier Dassault. C'est honteux de dire de telles choses !

M. Manuel Valls. Si l'école de la République ne va pas bien, la crise actuelle est la conséquence directe de votre action et de vos choix budgétaires ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Yves Nicolin. Baratin !

M. Manuel Valls. Je souhaite vous poser deux questions précises. Premièrement, vous engagez-vous à rétablir les postes supprimés en 2004 alors qu'ils étaient inscrits au budget ?

Deuxièmement, comptez-vous remplacer les milliers de départs en retraite prévus pour l'année 2005 dans le cadre d'un véritable plan pluriannuel de recrutement, comme celui mis en place par le gouvernement de Lionel Jospin et supprimé par celui de Jean-Pierre Raffarin ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Yves Nicolin. Amuseur !

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche

M. François Fillon, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur Valls, j'ai reçu, ces derniers jours, toutes les organisations syndicales de l'éducation nationale. Elles m'ont fait part de leurs préoccupations et de leurs inquiétudes. Certaines s'expriment d'ailleurs aujourd'hui même dans la rue - d'où votre question - quoique de façon modérée. Mais le Gouvernement est attentif à cette manifestation, car dans tout mouvement social, il y a une part de vérité.

Cependant, monsieur le député, derrière les slogans se cache une réalité bien différente de celle que vous avez décrite.

M. Manuel Valls. Pas du tout !

M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. La vérité, c'est que l'éducation nationale est la première priorité de notre pays. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Avec une dépense intérieure de 104 milliards d'euros, nous sommes le premier pays européen en matière d'éducation. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

L'éducation nationale est le premier employeur de France avec plus de 800 000 enseignants dans le primaire et le secondaire.

M. Michel Vergnier. Ce n'est pas grâce à vous !

M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Et il est aujourd'hui le premier recruteur, avec plus de 30 000 postes offerts en 2004.

M. André Chassaigne. Ce n'est pas une réponse.

M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Aucune menace ne pèse sur l'encadrement des classes.

M. Christian Bataille. Si !

M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Aucune menace non plus, sur l'école maternelle, monsieur le député.

Plusieurs députés du groupe socialiste. Si !

M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Nous préparons le budget pour 2005 et nous cherchons...

M. Michel Delebarre. Des sous !

M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. ... un équilibre entre notre volonté de poursuivre la modernisation de notre service public de l'éducation nationale et la nécessité de réduire les déficits dans notre pays. On ne peut pas tout miser sur notre jeunesse et, dans le même temps, lui laisser supporter les dépenses que nous n'aurons pas été capables d'assumer. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Dans cet esprit, je souhaite, avec les organisations syndicales, engager une réflexion sur un véritable plan pluriannuel pour les emplois.

M. Christian Bataille. Quel culot ! vous supprimez des postes !

M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Ce plan, monsieur le député, tiendra compte des effectifs, qui augmentent dans le primaire, mais qui, vous ne l'avez pas dit, baissent de manière très importante dans le secondaire...

M. Bruno Le Roux. Vous fermez des classes primaires.

M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. ...ainsi que des départs en retraite et des priorités de la politique éducative du Gouvernement.

Il faut plus de lisibilité, il faut éclairer les étudiants sur les carrières de l'enseignement, et il convient, vous avez eu raison d'insister sur ce point, de faire régresser la précarité.

Monsieur Valls, je serais heureux de connaître les propositions du Parti socialiste sur ces sujets !

M. Lucien Degauchy. Il n'en a aucune !

M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Soutenir les slogans des manifestants ne constitue pas une politique de l'éducation pour nos enfants ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

JOURNÉE INTERNATIONALE DES ENFANTS DISPARUS

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Garraud, pour le groupe UMP.

M. Jean-Paul Garraud. Pour évoquer la journée internationale des enfants disparus, qui se déroule aujourd'hui, je n'emploierai pas pour ma part un ton polémique et outrancier. Je tiens à associer mon excellente collègue, Mme Henriette Martinez, à ma question.

La disparition d'enfants est un sujet d'une grande actualité. Nous venons d'en avoir un bien triste exemple avec la découverte du corps du petit Jonathan. Ayons une pensée pour sa famille et ses proches et souhaitons que l'auteur de ces faits ignobles soit rapidement identifié et arrêté.

Nous avons également tous en mémoire les prénoms d'Estelle, de Marion, de Karine, et de bien d'autres. Aujourd'hui, en France, ce sont 627 enfants qui ont disparu sans laisser de traces sur les 36 000 fugues par an, dont la plupart, heureusement, ne se terminent pas par une tragédie.

Pas une semaine ne s'écoule sans apporter son lot d'affaires concernant des violences commises sur des enfants. De nombreuses associations se sont mobilisées. Je salue leur courage et je vous invite à faire de même, chers collègues. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

C'est en effet une belle leçon de courage et d'altruisme que donnent ces parents d'enfants disparus ou assassinés. Malgré l'horreur et le malheur, ils continuent de penser aux autres en proposant des solutions pour faire avancer la loi et les mentalités, dans une démarche positive et constructive.

Les lois de programmation et d'orientation sur la justice, la loi sur la sécurité intérieure et l'adaptation des moyens de la justice aux évolutions de la criminalité ont considérablement amélioré et renforcé l'arsenal juridique. Mais il reste beaucoup à faire.

Aujourd'hui, de nombreuses manifestations se déroulent dans treize pays européens ainsi qu'aux États-Unis qui se sont mobilisés pour sensibiliser l'opinion sur la question des disparitions. Les enlèvements internationaux, l'organisation des réseaux pédophiles via Internet posent de nouvelles et inquiétantes questions. Je connais la détermination du Gouvernement pour améliorer le sort des victimes. La création, inédite dans l'histoire de la République, d'un secrétariat d'Etat aux droits des victimes ainsi que les premières actions menées sont les signes manifestes d'une prise en considération des victimes.

La mission que vous aviez créée le 25 mai, monsieur le garde des sceaux avec M. Christian Jacob, alors ministre de la famille, a rendu ses conclusions.

M. le président. Posez votre question, monsieur Garraud.

M. Jean-Paul Garraud. Un tel sujet mérite qu'on s'y attarde un peu !

Monsieur le garde des sceaux, quels engagements comptez-vous prendre en faveur de ces victimes particulièrement vulnérables que sont les enfants ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Vous l'avez dit, monsieur le député, on dénombre près de 36 000 fugues par an. Heureusement, la plupart d'entre elles se terminent dans le bonheur, c'est-à-dire dans les retrouvailles. Mais, plus de 600 enfants sont portés disparus depuis plusieurs années.

Vous avez eu raison de souligner que les associations, très souvent créées par des femmes ou des hommes qui ont vécu de tels drames, ont attiré notre attention sur ce phénomène, depuis un certain nombre d'années. C'est grâce à elles, par exemple, que vous avez adopté, dans la loi de septembre 2002, un dispositif permettant d'entamer une procédure judiciaire dès le signalement de la disparition alors qu'auparavant, le processus judiciaire n'était déclenché qu'à partir du moment où la disparition était considérée comme douteuse.

Il y a un an, avec Christian Jacob, nous avions demandé à l'ensemble de ces associations de réfléchir et de nous faire des propositions, ce qu'elles ont fait en mars dernier.

Aujourd'hui, avec Marie-Josée Roig, nous avons signé avec la Fondation pour l'enfance d'une part et l'Institut national d'aide aux victimes et de médiation, d'autre part, une convention aux termes de laquelle sera mis en place, à partir du 1er octobre prochain, un numéro Azur. Ce numéro sera simple à mémoriser. Il permettra aux familles confrontées à la souffrance et à l'inquiétude, d'avoir accès à toutes sortes de conseils ainsi qu'au compte rendu de l'enquête en cours.

Je voudrais souligner à mon tour que sur ces sujets, comme sur beaucoup d'autres, le tissu associatif, les bénévoles font bouger les choses et nous amènent à prendre des initiatives nouvelles en collaborant avec les services publics, de manière très positive. En cette journée du 25 mai, nous ne pouvons que les remercier pour leur travail. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

DOSSIER MÉDICAL PARTAGÉ

M. le président. La parole est à M. Marc Bernier, pour le groupe UMP.

M. Marc Bernier. Hier, à Toulouse, vous avez dévoilé, monsieur le ministre de la santé et de la protection sociale, les grandes lignes du projet relatif au dossier médical informatique pour tous, qui constituera, à l'horizon 2007, un des points clés de la réforme de l'assurance maladie que vous avez engagée pour sauvegarder notre système de protection sociale, auquel les Françaises et les Français sont attachés.

Ainsi, comme l'a démontré l'expérience entreprise en ce domaine dans mon département de la Mayenne, le dossier médical informatique pour tous, plus communément appelé dossier médical partagé, aura non seulement pour principal avantage de faciliter la coordination des prescriptions thérapeutiques entre médecins libéraux et hospitaliers, mais aussi d'améliorer le suivi des patients, tout en responsabilisant les assurés sociaux et les médecins.

De plus, ce fichier informatique sécurisé, qui contiendra tous les antécédents des patients âgés de plus de seize ans, permettra, de toute évidence, d'éviter la multiplication d'actes redondants, dont l'abus et l'absence de suivi ont des conséquences préjudiciables sur les dépenses de santé publique.

S'il est vrai que ce projet est accueilli de façon bienveillante par la plupart des acteurs de la santé et les patients, il n'en demeure pas moins que certaines interrogations restent en suspens, au regard du caractère novateur de cette initiative et des informations qui seront concernées par le dossier médical informatisé.

Par conséquent, monsieur le ministre, pouvez-vous rassurer les plus indécis en annonçant à la représentation nationale comment vous comptez garantir la confidentialité des données médicales de nos concitoyens ? Ce projet sera-t-il effectivement mis en place dans les délais que vous avez fixés ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la santé et de la protection sociale.

M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la santé et de la protection sociale. Monsieur le député, vous connaissez bien le dossier médical pour l'avoir expérimenté dans votre département. La régulation médicalisée que nous proposons pour réformer l'assurance maladie est fondée sur trois axes forts : le rôle important du médecin traitant dans l'organisation des soins ; l'élaboration de bonnes pratiques médicales ; le dossier médical, qui sera informatisé, personnalisé et confidentiel. Il sera partagé entre le malade et, le ou les médecins choisis par le malade.

Vous me demandez qui assurera la confidentialité, c'est en effet l'élément le plus important.

Ne pourront accéder au dossier médical sur Internet que le malade, avec sa carte personnalisée et son code secret, et le médecin traitant ou le médecin choisi par le malade, avec sa carte professionnelle santé, la « CPS », connue de tous les professionnels, et la carte personnalisée du malade.

La confidentialité de la transmission des informations par Internet est sérieusement garantie. Songez qu'un million de nos concitoyens consultent déjà leurs comptes bancaires par Internet et que d'autres y font leur déclaration de revenus. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

ASSURANCE MALADIE

M. le président. La parole est à M. Gérard Bapt, pour le groupe socialiste.

M. Gérard Bapt. Ma question s'adresse à M. le ministre de la santé et de la protection sociale.

Il semble que nous allons enfin connaître le plan de réforme de l'assurance maladie du Gouvernement. Les socialistes ont présenté, dans la plus grande transparence, leurs propositions dans le cadre de la mission d'information présidée par M. Jean-Louis Debré.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Il n'y a rien !

M. Gérard Bapt. Lisez notre texte avec attention, monsieur le ministre, car il mérite mieux que la caricature que vous en avez faite.

M. Michel Delebarre. Tout à fait !

M. Gérard Bapt. Après onze heures de rencontre, nous venons d'assister à une nouvelle nuit des dupes, dénoncée comme telle par les syndicats ce matin.

M. Alain Néri. Avec juste raison !

M. Gérard Bapt. Vous qui ne cessez d'invoquer le dialogue social, votre méthode se limite-t-elle à déployer des rideaux de fumée pour masquer l'essentiel ?

Mme Martine Billard. Ils en ont l'habitude !

M. Gérard Bapt. Sur la gouvernance, après avoir annoncé : « Ni étatisation ni privatisation », vous vous ralliez à la position du MEDEF qui combine étatisation et privatisation.

Les Français ont assisté à une succession d'annonces tronquée, égrenées jour après jour : l'augmentation de la contribution de solidarité que vous refusiez au départ mais qui concerne à la fois les retraités et les salariés - ils apprécieront ; la création d'une contribution obligatoire sur chaque consultation, aujourd'hui fixée à un euro mais que vous augmenterez ensuite, et une nouvelle augmentation du forfait hospitalier après celle intervenue le 1er janvier. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Lucien Degauchy. Comment auriez-vous fait ?

M. Gérard Bapt. Est-ce là, monsieur le ministre, votre conception du dialogue social et de la justice sociale ? La charge sera supportée par les entreprises et les salariés, mais dans un rapport de un à dix, ce qui pénalisera les patients les plus modestes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la santé et de la protection sociale.

M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la santé et de la protection sociale. Monsieur Bapt, les choses sont claires. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Notre plan s'articule en trois volets.

M. Michel Delebarre. Encore !

M. le ministre de la santé et de la protection sociale. Premièrement, nous voulons revoir la gouvernance, c'est-à-dire la gestion de l'assurance maladie, grâce à un paritarisme rénové en donnant un haut degré de responsabilité à l'ensemble des acteurs : l'Etat, les professionnels de santé et les partenaires sociaux. Il est important que chacun prenne ses responsabilités.

M. Christian Bataille. Des mots !

M. le ministre de la santé et de la protection sociale. Deuxièmement, dans l'organisation des soins, nous souhaitons, comme je le disais en réponse à la question de M. Bernier, donner une importance accrue au médecin traitant qui devra être consulté avant le spécialiste. Nous souhaitons aussi que le dossier médical soit partagé. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Ce n'est pas ma faute si vous ne l'avez pas fait avant moi. Il suffisait d'y penser.

Troisièmement, nous avons prévu des mesures financières. Nous souhaitons responsabiliser les patients et les professionnels de santé. Nous pensons que c'est une bonne manière de réguler l'assurance maladie.

Monsieur Bapt, j'ai lu ce matin dans la presse que les socialistes regrettaient que les journalistes ne fassent pas état de leur programme pour l'assurance maladie. N'en voulez pas aux journalistes, il n'y a rien de sérieux dans ce plan. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

SERVICE MINIMUM DANS LES TRANSPORTS PUBLICS

M. le président. La parole est à M. Michel Diefenbacher, pour le groupe UMP.

M. Michel Diefenbacher. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'équipement et des transports. Je veux y associer mon collègue Robert Lecou, auteur d'un rapport d'information sur le service minimum dans les services publics en Europe.

Monsieur le ministre, nous avons découvert au début de l'année les grèves préventives. Il existe aussi des grèves collatérales. Il y a une dizaine de jours, un nouveau conflit a agité la SNCF. Il portait sur le fret, mais ce sont encore ceux qui n'y sont pour rien, les voyageurs, qui en ont fait les frais, avec les conséquences que nous connaissons : exaspération des usagers, des dizaines de milliers d'heures perdues pour notre économie, une nouvelle atteinte aux recettes et à l'image de la SNCF.

Nous sommes tous attachés à la belle aventure du rail. Faut-il se résigner à ce que, de conflit en conflit, elle soit compromise par ceux-là mêmes qui devraient la promouvoir ?

En décembre dernier, un sondage de l'IFOP montrait que les trois quarts des Français étaient favorables à l'instauration d'un service minimum dans les transports publics. Depuis le début de la législature, huit propositions de loi ont été déposées en ce sens. Le 9 décembre, à l'issue du débat organisé dans cette enceinte, vous nous annonciez le dépôt d'un projet de loi tendant à prévoir et à anticiper les conflits, et la constitution d'un groupe d'experts indépendants qui doit rendre son rapport avant l'été. L'échéance approche. Monsieur le ministre, pouvez-vous faire le point sur ces deux sujets ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française..)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer.

M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer. Monsieur Diefenbacher, parce que la SNCF a su anticiper la grève du 13 mai, ses conséquences pour les usagers ont été assez limitées. Au demeurant, la grève a été assez peu suivie. Mais, il n'y aura pas, dans les décennies à venir, que des grèves assez peu suivies.

La démarche que j'ai annoncée le 9 décembre devant la représentation nationale se poursuit donc au jour le jour. J'ai annoncé la mise en place d'un dispositif de prévention des conflits, c'est-à-dire une alarme sociale. C'est pourquoi j'ai demandé à toutes les entreprises de transport public de voyageurs de parvenir à un accord. Faute de quoi, un texte sera déposé à la rentrée pour généraliser l'alarme sociale.

En outre, afin de garantir la continuité du service public sans porter atteinte au droit de grève, qui est inscrit dans la Constitution, nous avons constitué un groupe de juristes et d'experts en matière de transports, sous la présidence de M. Mandelkern, qui réalise un travail approfondi avec les partenaires sociaux. Il rendra son rapport à la fin du mois de juin. Le Gouvernement pourra ainsi prendre les dispositions nécessaires pour concilier le droit de grève avec la continuité du service public, à laquelle nous sommes très attachés. (Applaudissements sur divers bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

PRIX DES SMS

M. le président. La parole est à M. Lucien Degauchy, pour le groupe UMP

M. Lucien Degauchy. Monsieur le ministre de l'industrie, dans la nuit de la Saint-Sylvestre, nos concitoyens ont envoyé quatre-vingt-huit millions de SMS pour souhaiter la bonne année à leur famille et à leurs amis. Ce record montre l'engouement des Français pour ce mode simple et rapide de communication, ainsi que la place prise par le téléphone mobile dans leur vie quotidienne, professionnelle et privée.

Mais les tarifs appliqués à ce mode de communication sont prohibitifs. Les marges des opérateurs seraient supérieures à 80 %. En présentant ses vœux à la presse, le Premier ministre en avait fait état et avait demandé que les prix soient révisés à la baisse dès cette année. Monsieur le ministre, quelles sont vos intentions à ce sujet ?

M. le président. Vous voyez, monsieur Degauchy, comme il est agréable de ne pas être interrompu...

La parole est à M. le ministre délégué à l'industrie.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie. Monsieur Degauchy, vous avez raison, le développement des SMS constitue un phénomène de société, qui ne touche pas seulement les jeunes. Pourtant, la France n'est pas aussi avancée dans ce domaine que certains de ses voisins. Sans doute parce que le prix de ces messages, chez les trois opérateurs français, s'élève à 15 centimes d'euro, pour un prix de revient estimé par les opérateurs eux-mêmes à environ 7 centimes, ce qui donne une marge très confortable de 100 %.

Il est vrai que les opérateurs ont longtemps investi à perte et l'on peut concevoir qu'ils aient eu besoin de reconstituer leurs marges. C'est aujourd'hui chose faite. C'est la raison pour laquelle je les ai avertis tous les trois que nous étions préoccupés de trouver sur le marché un prix non seulement élevé mais identique et que si, à bref délai, la concurrence n'était pas plus vive et ne se manifestait pas par des baisses de prix, le Gouvernement serait appelé à prendre des mesures, comme le recours à des opérateurs virtuels, les fameux MVNO. Ce message a été entendu, puisque deux opérateurs ont déjà annoncé des baisses de tarif et le troisième ne devrait pas tarder à le faire. Nous sommes donc sur la bonne voie.

Par ailleurs, la loi pour la confiance dans l'économie numérique a renforcé les moyens d'action de l'Autorité de régulation des télécommunications, ce qui devrait permettre par une meilleure concurrence de faire baisser les prix. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.


Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures vingt.)

M. le président. La séance est reprise.

2

CHARTE DE L'ENVIRONNEMENT

Discussion d'un projet de loi constitutionnelle

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi constitutionnelle relatif à la charte de l'environnement (nos 992, 1595).

La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, notre environnement a connu ces dernières années de profonds bouleversements. Des atteintes sans précédent ont été portées à la biodiversité, des dérèglements climatiques se sont produits. Notre planète évolue dangereusement.

Nous n'avons pris conscience de ces évolutions que récemment, trop récemment sans doute. La société restait sourde à ceux qui l'alertaient ; leur voix ne portait pas.

Les alertes n'ont pourtant pas manqué. Je pense au président Georges Pompidou qui, dès 1970, proposait de « créer et répandre une sorte de morale de l'environnement imposant à l'Etat, aux collectivités, aux individus, le respect de quelques règles élémentaires faute desquelles le monde deviendrait irrespirable ». En 1976, le garde des sceaux, Jean Lecanuet, demandait déjà de constitutionnaliser le droit à l'environnement.

Le temps a passé. Ce rappel a son importance car il est aussi, pour chacune et chacun d'entre vous, la mesure de l'enjeu symbolique de la réforme constitutionnelle qui vous est soumise.

Pour les entendre, il nous aura fallu des crises, des catastrophes aussi, qu'elles aient touché notre pays - je pense aux les marées noires - ou d'autres zones de notre planète  - je pense à la désertification, à la régression de la forêt primaire en Amazonie, aux risques encourus par certains îlots du Pacifique d'être engloutis par les flots à cause du réchauffement climatique.

Il aura fallu sans doute aussi que l'air devienne de plus en plus pollué. Il aura fallu cet accroissement insidieux des nuisances quotidiennes, de la pollution, de la dégradation des eaux et des nappes phréatiques que nous subissons quotidiennement, parce que nous en connaissons désormais chaque jour davantage les désastreux effets sur notre santé.

Il aura fallu aussi les prévisions de plus en plus alarmistes des experts, qui nous annoncent pour 2020, si nous ne faisons rien, la désertification d'une partie importante des continents et des difficultés d'accès à l'eau potable pour deux habitants de la planète sur trois.

Or nous savons aujourd'hui que ces catastrophes et ces menaces sont imputables à l'activité humaine, qu'elles résultent de notre action ou de notre inaction,...

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. C'est vrai !

M. le garde des sceaux. ...qu'elles sont le résultat de certains choix économiques, souvent faits à court terme.

S'il nous fut longtemps profitable, le développement économique et technologique doit être désormais mieux conçu, mieux pensé et mieux anticipé, pour continuer à produire ses effets bénéfiques pour les générations à venir.

Il s'agit de faire prévaloir une nouvelle conception de l'homme dans ses rapports à la nature : un homme qui n'en soit plus seulement le maître et le possesseur, pour reprendre l'expression de Descartes, mais qui en soit aussi le responsable ; un homme qui ne soit pas uniquement préoccupé par 1'appropriation immédiate des ressources naturelles, mais qui soit soucieux de l'avenir et qui se sente responsable à l'égard des générations futures.

Longtemps affaire de spécialistes, la protection de l'environnement est devenue désormais une préoccupation majeure de nos concitoyens. Il est temps que le politique réponde à cette inquiétude et à cet immense enjeu. C'est le devoir des pouvoirs publics.

Face aux dangers qui nous menacent tous et qui menacent l'avenir de nos enfants, il est temps que s'impose une logique de l'intérêt collectif. Cette responsabilité est un devoir éthique.

Le Président de la République nous a appelés à assumer cette responsabilité collective dans ses discours du 3 mai 2001 à Orléans, puis du 18 mars 2002 à Avranches. C'est aussi de cette responsabilité collective que le chef de l'Etat a souhaité que la France soit porteuse dans les enceintes internationales.

M. Bernard Deflesselles. Très bien !

M. le garde des sceaux. Nous avons tous en tête l'exceptionnel discours de Johannesburg.

Familiers de l'urgence, nous ne savons pas toujours anticiper, surtout à si long terme.

Cela explique les réticences, les incompréhensions et les méfiances qui, je le sais, se sont exprimées contre la charte de l'environnement que j'ai l'honneur de présenter devant vous.

Il s'agit pourtant d'un acte nécessaire, tant sur le plan symbolique que sur le plan de l'efficacité.

C'est pour cette raison que le Président de la République a pris l'initiative de proposer cette charte de l'environnement et de l'inscrire dans la Constitution au même niveau que les droits de l'homme, proclamés en 1789, et les droits économiques et sociaux adoptés en 1946.

Je vous rappellerai tout d'abord les grandes orientations de ce texte. Ensuite, je commenterai chacun des articles de la charte en insistant sur le fait qu'ils s'inscrivent dans la continuité du droit existant, tant sur le plan national qu'international. Enfin, je reviendrai sur le principe de précaution qui cristallise encore certaines inquiétudes.

Le projet de charte se caractérise par trois grandes options : un processus d'élaboration démocratique et original, un engagement en faveur d'une « écologie humaniste » et l'affirmation de droits et de devoirs complémentaires qui résulte de cette logique de responsabilité dont je vous ai parlé précédemment.

Je reviendrai tout d'abord sur le processus d'élaboration de la charte qui mérite une attention particulière, parce qu'il a été participatif et transparent.

Je rappellerai qu'une commission de dix-huit membres présidée par M. Yves Coppens, paléontologue et professeur au Collège de France, a été chargée de proposer un texte qui puisse servir de base au travail gouvernemental et parlementaire.

Les contributions recueillies à l'occasion du questionnaire adressé à plus de 55 000 acteurs régionaux et des quatorze assises territoriales ont permis d'écouter les avis de la société civile et d'alimenter les réflexions de la commission.

Les débats juridiques, économiques et scientifiques de cette commission, à laquelle participaient de nombreux experts, de sensibilités diverses, ont été particulièrement approfondis et développés. Au terme de travaux qui ont duré près de neuf mois, la commission Coppens a remis un projet de texte au Président de la République. C'est sur cette base que mes services ont mené un important travail, en liaison avec le ministère de l'écologie et du développement durable.

Le deuxième point sur lequel je souhaiterais insister est que le Gouvernement a opté en faveur d'une « écologie humaniste ». Ce parti pris apparaît clairement dans les considérants de la charte dont six sur sept se réfèrent expressément à l'homme ou à l'humanité.

Une « écologie humaniste », c'est une écologie qui scelle l'alliance de l'environnement, de la science et du progrès économique. Elle implique que la charte de l'environnement ne saurait être un obstacle au développement de l'économie, de la science et de la technologie...

M. Bernard Deflesselles. Très bien !

M. le garde des sceaux. ...mais qu'elle est conçue au contraire comme un cadre propice à l'initiative, à la recherche et à l'innovation technologique. Elle ne saurait avoir pour objectif ni pour effet de freiner notre développement technologique, mais au contraire de l'inscrire dans la durée.

Ce choix signifie aussi que le droit de l'environnement ne saurait être un droit absolu et qu'il doit être concilié avec les autres intérêts fondamentaux de la nation. Il devra aussi être concilié avec les droits et libertés reconnus par la Déclaration de 1789 ou le Préambule de 1946.

La troisième option fondatrice de la charte est la proclamation conjointe de droits et de devoirs. Elle a été affirmée dès l'origine par le Président de la République.

Nous savons tous qu'en raison de son activité, l'homme peut causer des dommages irréparables à l'environnement et menacer la richesse biologique de la planète. Ce constat implique que l'homme soit débiteur d'obligations à l'égard de l'environnement.

Cette option fondatrice s'inscrit dans les principes du droit de l'environnement, au niveau tant interne qu'international. Le code de l'environnement dispose déjà qu' « il est du devoir de chacun de veiller à la sauvegarde et de contribuer à la protection de l'environnement ». La convention de Rio de 1992 impose des devoirs aux États. La même idée apparaît dans la convention d'Aarhus du 25 juin 1998.

Elle s'inscrit aussi et surtout dans la tradition de notre droit constitutionnel puisque, dans son unique considérant, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 rappelle cette conjonction des droits et des devoirs.

Deux articles de la charte énoncent des droits : l'article 1er et l'article 7. Sept autres articles renvoient à la notion de devoir.

Si la révision constitutionnelle qui vous est soumise constitue une innovation juridique et symbolique de grande ampleur, elle s'inscrit, comme je le disais, dans l'évolution naturelle du droit national et international.

Le droit de l'environnement a connu, ces trente dernières années, des développements considérables. Il s'est construit par touches successives, tant par l'adoption de textes de plus en plus en nombreux sur le plan international que par le développement d'une jurisprudence de plus en plus complexe.

Il est temps de prendre acte de ces évolutions. D'autres pays en Europe et dans le monde l'ont déjà fait.

Sur le plan international d'abord. Je ne saurais citer tous les textes, le nombre de traités multilatéraux concernant l'environnement dépassant 300. Je rappellerai tout d'abord l'apport décisif des conférences internationales : celle de Stockholm sur l'environnement humain en 1972 ; vingt ans plus tard, celle de Rio sur l'environnement et le développement ; en 2002, les résolutions du sommet mondial pour le développement durable de Johannesburg. Leur apport fut décisif en ce qu'elles jouèrent un rôle d'impulsion sur le développement du droit international.

C'est la déclaration de Rio de juin 1992, sans portée contraignante, je le souligne, qui a formalisé les grands principes dont s'inspirent les dispositions les plus récentes du droit de l'environnement : le principe du développement durable, le droit à un environnement sain et équilibré, et le principe de précaution. C'est la convention de Rio du 22 mai 1992 sur la diversité biologique qui a formalisé le principe de prévention. C'est la convention de Londres du 29 décembre 1972 sur la prévention de la pollution des mers résultant de l'immersion des déchets qui a consacré le droit à la réparation des atteintes causées à l'environnement. La convention d'Aarhus, enfin, du 25 juin 1998 a consacré le droit des personnes à accéder à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice.

Le droit européen a connu une semblable évolution. Trois dates doivent être retenues : l'Acte unique européen en 1986 qui a consacré l'environnement en tant que véritable politique communautaire. En 1992, le traité de Maastricht a complété ces dispositions en inscrivant explicitement le principe de précaution - sans pour autant le définir - comme un principe fondateur de la politique communautaire dans le domaine de l'environnement. Enfin, en 1999, avec le traité d'Amsterdam, le développement durable est devenu un objectif de l'Union européenne. La jurisprudence communautaire s'est construite sur cette base, venant en complément de textes parfois imprécis, notamment en ce qui concerne le principe de précaution.

En droit interne enfin, les principes majeurs du droit de l'environnement ont été formulés par la loi du 2 février 1995, dite loi Barnier. Ces principes figurent maintenant dans le code de l'environnement.

Le moment est donc venu de consacrer au plus haut niveau de notre hiérarchie des normes la protection de l'environnement.

Je voudrais vous rappeler que le choix de la « constitutionnalisation » du droit de l'environnement a déjà été fait par nombre de nos partenaires européens. En effet, parmi les quinze membres de l'Union européenne, onze disposent déjà d'une référence à l'environnement dans leur constitution. D'autres pays dans le monde ont aussi fait ce choix, comme le Brésil ou l'Argentine. Il serait difficilement concevable que la France, eu égard à son engagement international et européen dans le domaine de la défense de l'environnement et de la promotion du développement durable, ne s'engage pas résolument dans la même voie. Le projet de loi constitutionnelle qui vous est soumis constitue une innovation majeure : pour la première fois, un État consacre au droit de l'environnement une déclaration constitutionnelle complète.

Comme l'a souhaité le Président de la République, la charte de l'environnement est adossée à la Constitution. Ce texte comprend deux articles. Le premier complète le premier alinéa du Préambule de la Constitution et opère un renvoi aux droits et aux devoirs définis dans la charte de l'environnement. Le second article ajoute au bloc de constitutionnalité une charte de l'environnement composée de sept considérants et de dix articles. La charte aura pleine valeur constitutionnelle dans toutes ses dispositions parce qu'elles sont toutes intégrées au bloc de constitutionnalité. Elles constituent un socle de garanties en dessous duquel le législateur ne peut descendre.

Toutefois, ces différentes dispositions n'auront pas toutes la même portée normative, c'est-à-dire la même effectivité juridique. À l'exception du principe de précaution qui figure à l'article 5, les autres principes énoncés dans la charte sont des objectifs de valeur constitutionnelle. Leur mise en œuvre nécessitera l'intervention du législateur. Il s'agit de droits-créances, dont la rédaction est comparable à ceux du Préambule de la Constitution de 1946, comme le droit à la protection sociale, le droit de travailler ou le droit à la solidarité nationale. Ce ne sont pas des dispositions purement programmatiques, mais elles exigent une action positive de la part de l'État. L'effectivité de ces droits est subordonnée à l'intervention de la loi. Le Conseil constitutionnel pourra fonder son contrôle sur ces objectifs. Mais il devra également concilier les règles de la charte avec les autres normes constitutionnelles.

Je vais maintenant revenir sur tous ces éléments en procédant à une analyse détaillée de chacun des articles de la charte.

L'article 1er consacre le droit de l'homme à vivre dans un environnement équilibré et favorable à sa santé. La « protection de la santé », vous le savez, est déjà garantie à tous par le Préambule de la Constitution de 1946.

La notion d'« environnement équilibré » introduit toutefois une notion nouvelle par rapport à ce préambule puisqu'elle désigne le maintien de la biodiversité, le bon fonctionnement des écosystèmes et la maîtrise de la pollution. Cet article énonce le droit de vivre dans un environnement propice à la santé.

L'article 2 énonce, en miroir de l'article 1er, un devoir qui pèse sur l'ensemble des sujets de droit : celui de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement.

« Prendre part » à cette préservation signifie que, si chacun doit y contribuer, cette participation ne saurait être équivalente pour tous ; elle dépend notamment des activités en cause. Il s'agit d'un devoir proportionné à la place et aux responsabilités des personnes qui y sont tenues. Comme l'article 1er, il constitue un objectif de valeur constitutionnelle. Il ne sera donc pas possible d'opposer directement les dispositions de l'article 2 à une personne qui se contenterait de s'abstenir, sans causer par ailleurs aucune atteinte à l'environnement.

L'article 3 est spécifiquement consacré à la prévention des atteintes à l'environnement. L'action de prévention est celle qui doit être mise en œuvre en présence d'un risque de dommage connu et certain. Elle se distingue ainsi clairement de la mesure de précaution, même si souvent la confusion est faite. Cet article affirme le devoir pour toute personne de prévenir les atteintes qu'elle est susceptible de porter à l'environnement ou, le cas échéant, d'en réduire les effets dommageables.

Le devoir de prévention s'exercera dans les conditions définies par la loi. Il est ainsi reconnu au législateur un large pouvoir d'appréciation qui lui permettra d'adapter les exigences de la prévention aux activités en cause et aux personnes qui les exercent.

L'article 4 s'inscrit dans la suite logique de l'article précédent. Il prévoit, lorsque la prévention exigée de tous au titre de l'article 3 a échoué, que la réparation des dommages incombe au premier chef à leur auteur.

Il ne s'agit pas de créer un nouveau droit de la responsabilité en matière d'environnement, ni de modifier les règles en vigueur du droit de la responsabilité civile, mais de permettre la réparation d'un dommage à l'environnement, conçu comme un patrimoine commun, alors même qu'aucune personne ne serait directement lésée par ce dommage. C'est la consécration de la réparation du dommage écologique qui n'existait pas encore dans notre droit. Le cadre constitutionnel de la responsabilité se trouve ainsi complété de façon plus cohérente et plus satisfaisante qu'il ne le serait par le recours au principe dit du pollueur-payeur, dont la formulation ambiguë pourrait laisser croire à la reconnaissance d'un droit à polluer. L'article pose le principe d'une contribution à la réparation : elle peut donc être partielle ou totale.

Il appartiendra au législateur de définir les conditions de mise en œuvre de cette responsabilité ainsi que les modalités de réparation, en nature ou par compensation financière, et de faire jouer, le cas échéant, la nécessaire solidarité nationale.

L'article 6 exprime l'exigence d'intégration du développement durable dans l'ensemble des politiques publiques. La protection et la mise en valeur de l'environnement, prises en considération dans toutes les actions publiques, doivent être conciliées avec les exigences du développement économique et social. Il s'agit non de freiner le développement, mais de l'inscrire dans la durée.

Un tel article met la charte en harmonie avec le traité instituant la Communauté européenne qui prévoit que les politiques et actions de la Communauté intègrent les exigences de la protection de l'environnement afin de promouvoir le développement durable. La charte est également conforme aux nombreux textes internationaux qui, depuis la convention de Rio, mentionnent le développement durable.

L'article 7 consacre un droit constitutionnel d'accès aux informations relatives à l'environnement détenues par les personnes publiques et de participation à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement. Il s'agit de créer le cadre de la nécessaire intervention du législateur pour que soient mis en œuvre en droit interne les multiples engagements internationaux de la France dans ce domaine.

Le législateur pourra non seulement définir les conditions d'exercice de ce droit, mais aussi en fixer les limites, notamment lorsque sera en cause la protection de secrets légitimes. Cela résulte de la combinaison des dispositions de l'article 7 avec celles du sixième considérant de la charte, selon lequel « la préservation de l'environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation ».

L'article 8 a pour objet de consacrer le lien qui existe entre, d'une part, la nécessaire éducation et formation à l'environnement et, d'autre part, la faculté d'assumer les devoirs et d'exercer les droits énoncés par la charte. Pour voir se développer une éthique de l'écologie, individuelle et collective, il convient d'assurer à chacun une éducation à l'environnement, poursuivie par une formation, face à une évolution des phénomènes et des connaissances de plus en plus rapide.

L'article 9 souligne que la recherche et l'innovation doivent apporter leur concours à la préservation et à la mise en valeur de l'environnement. Ainsi la connaissance scientifique a un double rôle : elle nous éclaire sur l'état réel de l'environnement et nous permet de définir et de mettre en œuvre les moyens permettant d'atteindre l'objectif du développement durable fixé à l'article 6 de la charte. Avec cette disposition, une réponse est apportée aux chercheurs, soucieux de voir préserver la liberté de leurs travaux.

L'article 10 indique que la charte de l'environnement inspire l'action européenne et internationale de la France. Les questions environnementales dépassent les frontières et la charte de l'environnement ne peut l'ignorer. L'importance des sources internationales procède de cette réalité et traduit la volonté d'apporter des réponses globales et cohérentes à des phénomènes planétaires. Mais la norme constitutionnelle française ne dispose que pour l'ordre juridique interne. Les règles de notre constitution relatives aux traités et accords internationaux sont intégralement énoncées dans son titre VI.

L'idée exprimée à l'article 10 de la charte est d'un autre ordre. La France s'impose ainsi de promouvoir, en Europe et dans le monde, une écologie humaniste, dans une logique d'intérêt commun à tous les peuples et de solidarité avec les générations futures. Il s'agit donc d'énoncer un objectif d'action. Dans leurs relations internationales, les autorités françaises s'efforceront de promouvoir les idées contenues dans la charte, notamment la reconnaissance à tout individu de son droit à vivre dans un environnement de qualité. L'environnement est le patrimoine commun des êtres humains.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Très bien !

M. le garde des sceaux. L'article 5 énonce le principe de précaution qui a suscité des interrogations, voire des inquiétudes.

M. Jacques Myard. Légitimes !

M. le garde des sceaux. Je voudrais répondre aux premières et dissiper les secondes.

C'est la première fois que le principe de précaution sera consacré au niveau constitutionnel. Par ailleurs, il s'agit de la seule norme de ce texte qui soit qualifiée de principe. Bien que ce principe ait été reconnu dans les textes internationaux et européens de portée contraignante, il n'a jamais fait l'objet d'une véritable définition. C'est le cas par exemple dans la convention de Rio sur les changements climatiques où il est en partie assimilé à la prévention. Il n'a pas été défini non plus à l'article 174 du traité instituant la Communauté européenne.

La Cour de justice des Communautés européennes a jugé, dans sa décision du 5 mai 1998, que les institutions communautaires pouvaient prendre des mesures de protection sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques pour la santé soient pleinement démontrées. Le tribunal de première instance des Communautés européennes est allé plus loin puisqu'il a jugé à deux reprises que le principe de précaution constituait un principe général du droit communautaire. Celui-ci impose aux autorités concernées de prendre des mesures appropriées en vue de prévenir certains risques potentiels, notamment pour l'environnement. Il fait même prévaloir les exigences de la protection de l'environnement sur les intérêts économiques.

En droit interne, le Conseil d'État s'est aussi fondé sur ce principe en 1998, sans en faire toutefois un principe général du droit. Toutefois cette prudence n'a pas toujours été suivie par les juges de première instance.

Il n'en reste pas moins que tant le juge européen que le juge national ont fait une application de ce principe sans pour autant le définir explicitement ou préciser ses conditions d'application.

La charte de l'environnement va permettre de lever ce flou juridique en encadrant désormais de manière claire le principe de précaution. On ne peut évaluer la portée de cet article qu'en le comparant au droit actuel, à l'égard duquel il présente un véritable progrès en matière de sécurité juridique.

L'article 5 énonce les conditions d'application du principe de précaution. Il prévoit trois conditions pour l'application du principe : il faut que la réalisation d'un dommage soit incertaine en l'état des connaissances scientifiques, que ce dommage soit causé à l'environnement et enfin qu'il soit à la fois grave et irréversible. Ces trois conditions, j'y insiste, sont cumulatives et restrictives.

Lorsque ces trois conditions sont réunies, il appartient aux autorités publiques, c'est-à-dire à l'État et aux collectivités locales, de veiller à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées pour éviter la réalisation du dommage.

M. François Brottes. Qui va décider ?

M. le garde des sceaux. Les autorités publiques doivent aussi veiller à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques. Il importe que les mesures prises tiennent compte de cette évaluation et soient adaptables et révisables.

Ce principe explicité, je souhaiterais revenir sur plusieurs points.

Le premier est que le principe de précaution est un principe d'action. Il doit être distingué de la prévention.

M. Bernard Deflesselles. Oui.

M. le garde des sceaux. Principe d'action, il ne s'oppose, en tant que tel, ni aux recherches scientifiques ni aux activités économiques.

M. Bernard Deflesselles. Tout à fait.

M. le garde des sceaux. Ce n'est donc pas un principe d'abstention car la logique du risque zéro conduirait à une logique d'inaction. Il n'aura pas pour effet d'empêcher l'expérimentation scientifique mais, bien au contraire, devra encourager des expérimentations contrôlées.

M. Bernard Deflesselles. Très bien !

M. le garde des sceaux. Le deuxième point concerne son caractère d'applicabilité directe. Il ne s'agit pas là d'une nouveauté, puisque son application - je l'ai rappelé - est d'ores et déjà mise en œuvre par les juges.

M. Jacques Myard. Bien à tort !

M. le garde des sceaux. En réalité, la difficulté tient à ce que ce principe n'a jamais été défini. Grâce à la charte, son application par les juridictions administratives et judiciaires sera désormais encadrée.

Je souhaiterais enfin rappeler que la violation du principe de précaution n'a aucune incidence sur le plan pénal. Elle ne pourra en effet être considérée par les juridictions pénales comme un « manquement à l'obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement », éléments - vous le savez - constitutifs des délits non intentionnels prévus par le code pénal.

En effet - j'insiste sur ce point - la loi pénale est d'interprétation stricte. Le principe de la légalité des délits et des peines impose des textes clairs et précis et interdit au juge de raisonner par extension, analogie ou induction. Il exclut donc la possibilité qu'un texte à valeur constitutionnelle serve de fondement à la caractérisation de cette faute qui ne peut résulter que de l'inobservation d'une loi ou d'un règlement.

La charte ne modifie donc pas le régime de responsabilité pénale des élus locaux issu de la loi Fauchon.

M. Bernard Deflesselles. Très bien.

M. le garde des sceaux. Le troisième point que je souhaiterais aborder concerne l'application concrète de ce principe. Je sais que nombre d'élus locaux s'en sont émus à juste titre. Ils devront déterminer quand le principe de précaution doit s'appliquer, définir si le dommage qui peut affecter l'environnement est grave et irréversible en l'état des connaissances scientifiques et quelles mesures il convient de prendre, procéder à l'évaluation des risques courus et modifier les mesures prises en fonction de ces risques.

En premier lieu, les élus locaux n'auront à appliquer ce principe que dans le strict champ de leurs compétences et de leurs attributions.

Je me félicite sur ce point de l'amendement que vous avez rédigé en ce sens et qui précise de manière claire la portée de ce principe.

En second lieu, le fait que le principe de précaution soit d'applicabilité directe et donc directement invocable devant le juge n'empêche pas le législateur d'intervenir, s'il le souhaite, pour en préciser les procédures d'application, dans certains domaines particuliers.

Je pense même que l'inscription du principe de précaution dans notre constitution incitera probablement le législateur à compléter notre droit positif. J'en ai la certitude : grâce aux travaux du Parlement, il sera à l'origine d'un enrichissement de notre droit de l'environnement.

M. Bernard Deflesselles. Oui.

M. le garde des sceaux. La révision constitutionnelle dont vous allez débattre, mesdames et messieurs les députés, traduit une ambition forte. L'inscription du droit de l'environnement dans la Constitution répond au devoir du politique de prendre en compte l'attente de nos concitoyens et de préserver l'avenir des générations futures.

Il ne s'agit pas de renoncer au développement économique et social mais de le concilier avec la préservation de l'environnement.

La charte de l'environnement doit permettre d'atteindre ces objectifs élevés, non seulement pour nous, mais également pour nos enfants et nos petits-enfants. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre de l'écologie, mes chers collègues, la charte de l'environnement que j'ai l'honneur de rapporter devant notre assemblée s'inscrit - vous pourrez en juger - à l'envers de la banalité. Depuis dix ans, projets et propositions de modifications constitutionnelles ont été nombreux, presque un texte par an. Aucun ne reprend comme la charte le fil de notre récit constitutionnel ni n'atteint l'ampleur de ce qui nous est ici proposé. Aucune assemblée élue dans le monde n'aura eu à débattre de dispositions qui constituent une réponse aussi claire et déterminée aux enjeux écologiques.

Mais la complexité de notre sujet est telle que nous ne pouvons imaginer avoir atteint un point d'aboutissement ou d'équilibre face aux extraordinaires bouleversements qui mettent en jeu la relation profonde entre l'homme et la nature.

La charte est loin d'apporter une solution définitive, intégrale et préfabriquée. Elle inaugure un vaste mouvement politique et lance un défi juridique. De cette nouvelle étape, le législateur sera le maître d'œuvre. La charte, en fixant des objectifs constitutionnels aussi nouveaux, appelle le Parlement à décliner dans la loi cette ambition. Nous avons devant nous, sur la base des principes de la charte, un long travail d'écriture et il nous appartiendra de rédiger les termes d'un véritable contrat de confiance renouvelé, subtil et souple, qui prenne en compte toutes les complexités de notre société et qui conjugue responsabilité et flexibilité, droits individuels et collectifs.

De ce travail, nous donnons aujourd'hui et depuis plusieurs mois des prémices et je souhaiterais ici remercier tous nos collègues qui, depuis l'automne, investissent leur temps et leur énergie et travaillent comme moi sur la charte, texte fondateur.

La question environnementale sert aussi de révélateur et renvoie les débats à venir à une question essentielle : la réinvention de l'idée de progrès, ce qui nous conduit immédiatement aux discussions les plus aiguës de nos travaux en commission, celles qui ont porté sur le principe de précaution.

Je reviendrai sur le sujet à la fin de mon intervention car, je le crois sincèrement, ce principe est, d'une façon ou d'une autre, l'icône de ce texte.

Permettez-moi, avant d'en venir au contenu de la charte, de m'arrêter quelques instants sur la méthode, qui est très révélatrice de la modernité du texte.

La charte a fait l'objet d'une longue préparation qui a conduit à une maturation originale, la charte s'appliquant à elle-même un des principes qu'elle édicte en son article 7 : celui de la participation des citoyens.

Comme vous l'avez rappelé, monsieur le garde des sceaux, plusieurs procédures de consultation ont été mises en œuvre, entre la communication de Roselyne Bachelot au conseil des ministres, le 5 juin 2002 et le dépôt du projet de loi constitutionnelle le 27 juin 2003. Le 25 juin 2002, le Premier ministre mettait en place la commission Coppens, qui a eu pour mission de préparer un projet de charte en éclairant tous les enjeux que le texte pouvait révéler. Un consensus s'est dégagé sous l'autorité bienveillante et ferme de son président, alors même que les positions initiales ne manquaient pas d'être tranchées et divergentes. En parallèle, le Gouvernement a su faire naître un débat très large sur les orientations de la charte auxquelles ont concouru quatorze assises territoriales, un questionnaire adressé aux élus locaux et un colloque au cours duquel trois priorités ont été soulignées : responsabilité, réparation et éducation.

On les retrouve dans le texte qui nous est présenté aujourd'hui.

À la commission des lois, de novembre 2003 à mars 2004, sous l'impulsion du président Pascal Clément, nous avons poursuivi le travail d'écoute et de collecte en procédant à plus de soixante auditions d'experts, de juristes renommés, de chercheurs, d'universitaires, de représentants d'ONG et de collectivités locales. Nous avons également entendu le garde des sceaux, qui porte cette réforme constitutionnelle, et Mme Bachelot, alors ministre de l'écologie.

M. Jean-Pierre Blazy. Pour aboutir à quoi ?

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, rapporteure. Aucune révision constitutionnelle sous la Ve République n'aura été précédée par d'aussi larges consultations, aussi transparentes et finalement aussi riches.

M. André Chassaigne. On le dit à chaque fois !

M. Jean-Pierre Blazy. On nous a servi le même discours lors de la décentralisation !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, rapporteure. La méthode est d'importance, puisqu'elle révèle non seulement l'intention de celui qui en est l'initiateur, mais encore plus le contenu.

Je vous propose d'ouvrir maintenant le chapitre des dispositions qui font la grammaire de ce texte.

Il convient avant toute chose d'en prendre la mesure, tant la charte contribue à notre histoire constitutionnelle en ouvrant un chantier considérable, celui du troisième pilier de notre bloc de constitutionnalité.

Elle participe, en outre, d'une novation juridique où se côtoient originalité et clarté. Son architecture particulière en administre la preuve.

Enfin, elle offre ce qui est probablement l'événement le plus conséquent et le plus indispensable, une nouvelle sécurité juridique au droit de l'environnement.

Une telle évolution de notre droit positif n'est pas le fruit du hasard. Au moment où nous allons devoir nous prononcer sur le texte, il convient, je pense, d'insister sur l'alchimie particulière qui nous conduit à entamer ce troisième temps constitutionnel. Il vient après plus de trente ans d'hésitations et de tentatives de consécration constitutionnelle d'un droit de l'environnement auquel Georges Pompidou et Jacques Chaban-Delmas ont apporté, par leur action et leur détermination, la première pierre.

L'idée d'inscrire dans un texte à valeur constitutionnelle le droit à un environnement sain et équilibré figure pour la première fois dans les cent mesures pour l'environnement du rapport Armand de 1970. Dès cette date, nombreux ont été ceux qui ont cherché à conférer à ce droit le caractère de liberté publique constitutionnellement garantie. En décembre 1975, l'Assemblée était saisie de trois propositions allant dans ce sens. La première fut déposée à l'initiative de Jean Foyer et fut suivie par un texte présenté par le groupe communiste. Enfin Gaston Defferre avançait l'idée de compléter le Préambule de la Constitution par une charte des libertés et droits fondamentaux.

Présidée par Edgar Faure, la commission spéciale qui faisait suite à ce triple et unique mouvement devait aboutir à une proposition de loi, à la fin de l'année 1977, qui ne fut pas soumise au vote. Depuis lors, nombreuses ont été les voies explorées pour parvenir à la rédaction de cette troisième génération des droits de l'homme.

La principale a consisté à préconiser la modification du Préambule de la Constitution. Ce fut le choix de Jean Lecanuet, Laurent Fabius, Ségolène Royal et Édouard Balladur. D'autres initiatives ont cherché à compléter la Déclaration des droits de l'homme de 1789 par un titre deuxième, ce qui fut proposé par Noël Mamère et une dizaine députés Verts le 10 décembre 1997 et par Roselyne Bachelot, Yves Cochet et Julien Dray, entre autres, le 11 février 2000. Enfin, Christine Boutin et plusieurs de nos collègues, le 20 mai 2003, ont proposé une nouvelle rédaction de l'article 42 de la Constitution. Michel Barnier, le 11 avril 1990, avait auparavant préconisé une loi organique modifiant l'article 34 de la Constitution et André Santini, le 28 juin 1990, avait déposé une proposition de loi constitutionnelle tendant à inclure le droit de l'environnement dans la liste des matières dont la loi fixe les règles.

Chers collègues, je me devais d'être exhaustive dans ce rappel historique, au risque de ne pas souligner que ce texte est le plus ambitieux. Il répond à un large besoin et exprime une prise de conscience. Je ne reviendrai pas sur ce que chacun sait ou plutôt sur ce que personne ne peut ignorer, nous moins que quiconque : l'opinion publique mesure, chaque jour davantage, que les menaces écologiques sont devenues planétaires.

La première catastrophe industrielle ayant frappé l'ensemble des opinions publiques eut lieu en 1959, à Minamata, au Japon. Depuis, Seveso, Bhopal, Tchernobyl, Three Miles Island, l'assèchement de la mer d'Aral, la pollution du lac Baïkal, les grandes marées noires - l'Exxon Valdez, l'Erika, le Prestige -, tous ces noms sonnent comme autant de dangers ou d'alertes.

Je ne vous imposerai pas de liste noire, mais, vous le savez, les risques sont désormais globaux : effet de serre, amincissement de la couche d'ozone, désertification, déforestation, perte de la biodiversité ou multiplication de ce que le professeur Belpomme appelle les « maladies de civilisation ». Il existe désormais un impératif écologique qu'il convient de traduire dans notre droit.

De plus, l'idée d'une charte de la nature, née dans les années 70, rencontre l'attente de l'opinion publique : 89 % des personnes interrogées dans un sondage réalisé en août 2001 espéraient que la protection de l'environnement soit inscrite dans notre constitution.

Ce droit est - je le répète - un nouveau droit de l'homme. Le Président de la République qui, à plusieurs reprises, en France et lors des négociations internationales les plus significatives, a été sur ces sujets notre porte-parole, dénonçant les risques et proposant les solutions, et qui a donné l'impulsion indispensable pour que le débat sur ces questions ait enfin lieu, exprimait ce recours à une norme de plus haut rang, dans son discours pour le cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme, à l'Unesco, le 7 décembre 1998.

Il affirmait que « le droit à l'environnement, c'est le droit des générations futures à bénéficier de ressources naturelles préservées. C'est la déclinaison, sur un mode nouveau, du droit de tout être humain à la vie, à la liberté et à la sûreté. »

Nous ne pouvons donc échapper à l'inscription constitutionnelle de ce droit. Là existe un vide juridique. Si nous ne manquons pas de grandes lois et de politiques sectorielles, leur portée normative est beaucoup trop faible. On leur reproche de composer un « droit d'ingénieur », et je suis particulièrement sensible à cette critique.

M. Jacques Myard. Personne n'est parfait !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, rapporteure. Paradoxalement, alors que le droit à l'environnement est marqué par cette prolifération juridique, l'environnement est absent des matières énumérées à l'article 34 de la Constitution comme relevant du domaine de la loi. Ainsi, rien dans cet article ni dans aucune disposition constitutionnelle ne prévoit que le législateur serait seul compétent pour établir les règles ou les principes fondamentaux du droit de l'environnement. Le texte qui nous est soumis corrige cette incohérence. Notre geste législatif va donc parachever l'évolution du droit positif.

On ne peut ignorer non plus l'effort accompli au sein des instances internationales, depuis les déclarations de principe - à Stockholm en 1972, Rio de Janeiro en 1992 et Johannesburg en 2002 - jusqu'aux programmes d'action et aux conventions multilatérales et traités bilatéraux.

Ne peuvent également être ignorées les avancées du droit communautaire et de la jurisprudence européenne, même s'il a fallu attendre 1986 pour que l'Acte unique fasse entrer l'environnement dans les traités fondateurs, essentiellement aux articles 2 et 174, comme l'a souligné M. le garde des sceaux. Si ces principes ne se sont pas directement imposés au législateur, ils ont en revanche directement inspiré les très nombreuses directives transposées en droit interne. Il est donc essentiel de souligner que, malgré le silence de la Constitution, le législateur français est contraint de prendre en compte les exigences définies par le droit communautaire et la jurisprudence européenne en matière d'environnement.

Le constituant se devait de prendre position. Il fallait une impulsion, une force, une détermination pour transformer en cette charte une révision constitutionnelle nécessaire et légitime.

Passer au troisième pilier de notre bloc de constitutionnalité, tel est l'objectif qui a été fixé clairement par le Président de la République dès le 3 mai 2001 à Orléans : « Le droit à un environnement protégé et préservé doit être considéré à l'égal des libertés publiques. Je souhaite que cet engagement public et solennel soit inscrit par le Parlement dans une charte de l'environnement adossée à la Constitution et qui consacrerait des principes fondamentaux, comme ce fut le cas pour le préambule de la Constitution ou la Déclaration des droits de l'homme. »

Le présent projet de loi constitutionnelle est la traduction fidèle de cet engagement pris devant les Français.

Une révision constitutionnelle n'est pas une loi comme les autres, et celle-ci tout particulièrement, par les mots qui la définissent, parfois inhabituels - une charte -, et par l'idée dont elle procède - son adossement à la Constitution constitue une architecture innovante.

Dès sa première rédaction, un tel texte constitutionnel pose une obligation de concision et de clarté. Cette précision est gage de sécurité pour le législateur.

(Mme Hélène Mignon remplace M. Jean-Louis Debré au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE MME HÉLÈNE MIGNON,

vice-présidente

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, rapporteure. En effet, le rôle du constituant est de désigner les buts généraux à atteindre. Il appartiendra au législateur de choisir les politiques à mettre en œuvre et les moyens pour agir.

La charte doit être accessible à l'ensemble des citoyens et, dans le même temps, donner des orientations sans ambiguïté au législateur et au juge. Mais il faut aussi respecter la liberté de légiférer et ne pas figer ce dispositif nouveau dans des définitions par trop rigides. La concision, ici, est un gage de pérennité.

Ainsi en est-il pour les questions de forme. L'architecture de ce texte emporte également des choix sur le fond. En effet, le bloc de constitutionnalité au sein duquel ces dispositions vont venir s'insérer comprend, avant même l'addition de ce troisième pilier, des éléments avec certains desquels une conciliation devra s'opérer. La portée même des dispositions de la charte a fait l'objet, pour tenir compte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, d'une évaluation au trébuchet entre principe de valeur constitutionnelle, directement applicable et invocable par les citoyens devant le juge, et objectif de valeur constitutionnelle, qui, bien que s'imposant au législateur, réclame son intervention et n'est pas directement invocable.

De ces derniers, une méconnaissance par notre assemblée pourrait justifier une censure par le Conseil constitutionnel. Ces objectifs instituent une obligation d'agir.

Ne relève de la notion de principe, dans le dispositif proposé à notre appréciation, que l'article 5 relatif à la précaution. Comme vous le savez, mes chers collègues, le principe de précaution aura fait l'objet des discussions les plus denses, mais il témoigne de la démarche fondatrice de la charte pour animer notre pacte républicain face à des impératifs dramatiques ou tragiques inattendus.

Là est une des gageures principales de ce texte. Les secousses écologiques sont multiples et les atteintes aux grands équilibres naturels sont suffisamment graves pour apparaître comme des convulsions dans la relation intime que nous entretenons avec le progrès.

Apparaît alors un des traits les plus fortement originaux de ce texte : il dessine une frontière mobile entre écologie et progrès et, par la précaution, bâtit un droit nouveau du partage des responsabilités.

Reste un travail, qui nous incombera : la conciliation à laquelle je viens de faire référence, dans la mesure où il n'existe pas de hiérarchie interne au bloc de constitutionnalité. Le Conseil constitutionnel n'exerce là qu'un contrôle minimum, visant à déceler une éventuelle erreur manifeste. En matière d'environnement, nous pourrons être amenés, par exemple, à concilier les droits et devoirs nouveaux avec l'égalité, la propriété, la liberté d'entreprendre, la libre administration des collectivités locales, ou même avec l'ordre public.

La charte offre néanmoins une protection toute particulière à ces nouveaux fondements du droit de l'environnement. Le doyen Favoreu emploie une image plaisante et, s'agissant du sujet qui nous occupe, souriante : l'« effet artichaut ». Là où le législateur peut enlever feuille à feuille des éléments du régime législatif, il ne peut toucher au cœur.

M. François Brottes. Au cœur d'artichaut ! (Sourires.)

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, rapporteure. Tout juste, monsieur Brottes !

M. Jacques Myard. Et tout le monde sait qu'il y en a plus dans l'assiette à la fin qu'au début !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, rapporteure. L'architecture de la charte permet enfin un exercice de clarification, et ce n'est pas le moindre argument en faveur de ce texte.

En premier lieu, l'intervention du législateur sera désormais juridiquement garantie. Les amendements proposés par nos collègues Francis Delattre et Valérie Pecresse et adoptés par la commission des lois font de la préservation de l'environnement une matière relevant de la loi aux termes de l'article 34.

En deuxième lieu, la charte ouvre des domaines nouveaux à l'intervention du législateur, sur des bases clarifiées par les principes directeurs : le nouveau droit proclamé par l'article 1er, les exigences posées par les articles 2 et 5, les nouvelles dimensions des politiques publiques ouvertes par les articles 6 à 10.

La charte assure enfin au législateur des normes supra-législatives et durables.

En insistant sur toutes ces dispositions juridiques, je ne voudrais pas laisser l'impression qu'il s'agit d'un texte ayant pour vocation la règle pour la règle. L'article 8 de la charte reconnaît la nécessité de recourir à plus d'information et à un meilleur effort de formation pour éveiller les consciences à la compréhension des phénomènes complexes mis en jeu par le développement durable. La responsabilité éminente de la recherche est également reconnue à la fois par les articles 5 et 9 : aux chercheurs, il revient de déterminer la mesure de l'alerte préalable au déclenchement éventuel des mesures de précaution ; aux chercheurs aussi incombe la mission de développer des programmes destinés à évaluer le risque pour l'environnement et de mettre fin à la situation d'incertitude sur l'existence de ce risque.

M. François Brottes. Avec quels moyens ?

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, rapporteure. Aux chercheurs, enfin, revient l'évaluation de l'équilibre entre la liberté inséparable de la recherche et la responsabilité pleine et entière qui y est attachée.

La charte est parcourue de dispositions qui faciliteront l'action des autorités publiques. Parmi elles, le principe de précaution, principe d'action par excellence.

Ce principe internationalement reconnu ne figure encore dans aucune constitution étrangère, hormis celle de l'Équateur. L'Italie devrait pourtant nous suivre, puisque l'article 9 de sa constitution est en cours de révision.

M. Jacques Myard. Si Berlusconi fait la même chose que nous, tout fout le camp ! (Sourires sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, rapporteure. Partout, les autorités publiques doivent engager leur responsabilité. Partout apparaît à travers chaque décision une zone incertaine, source d'insécurité juridique.

Comment aurait-on pu imaginer ne pas insérer ce principe de précaution dans une charte de l'environnement ? Bien sûr, il ne s'agit pas de radicaliser une « technophobie » en une haine ou un mépris du savoir. Il faut retrouver le compromis entre rationalisme et scepticisme : l'idéal du juste milieu. Or, pour cela, nous savons qu'il faut réapprendre à habiter le temps, retrouver le sens de la retenue, qu'il faut réapprendre à habiter la Terre,...

M. Jacques Myard. On ne vient pas de Mars, tout de même !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, rapporteure. ...à l'épargner, la ménager, la protéger de nos propres excès - ceux qui nous dépassent et dont les conséquences sont irréversibles.

La précaution a cette force d'offrir un régime juridique clairement défini en réponse au risque du chaos. Jusqu'à présent, la situation est confuse. La jurisprudence communautaire s'élabore par exemple autour d'un « principe général du droit communautaire » dépourvu de définition écrite, puisque, comme vous l'avez rappelé, monsieur le garde des sceaux, le traité cite le principe sans l'expliquer. Notre droit national ouvre sur une béance juridique puisqu'à ce jour n'est apparue aucune interprétation jurisprudentielle stable de la loi Barnier du 2 février 1995.

La charte permet de sortir des incertitudes actuelles et devient garante d'une sécurité juridique nouvelle.

De plus, l'écueil existe de confondre vis-à-vis du principe de précaution les maux et les remèdes face aux irrationalités du moment. Rien n'empêche en effet de repenser le progrès en reconnaissant l'incertitude, l'indétermination, l'imprévisibilité. Ces facteurs d'insécurité doivent être abolis. Là se situe la contribution fondamentale de ce principe, qui agit comme réducteur de l'incertain, de l'incompréhensible, de l'inattendu.

M. Paul Giacobbi. Il faudrait commencer par le définir, ce principe !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, rapporteure. Quel chemin emprunter ? Les choses bonnes surgissent souvent dans les interstices, dans les pauses. Comment s'y installer ? La voie d'un conservatisme critique ici ou là nous est proposée, loin de la onzième thèse de Marx sur Feuerbach, qui n'offre comme recette que la rupture, le changement pour le changement, la transformation du monde.

En guise de référence, je préfère l'Antigone de Sophocle et ce chant de la mesure qui s'élève du chœur : « Maître d'un savoir dont les ingénieuses ressources dépassent toute espérance, l'homme peut prendre ensuite la route du mal tout comme celle du bien. Qu'il fasse donc, dans ce savoir, une part aux lois de sa ville et à la justice des dieux à laquelle il a juré foi. »

L'introduction de la précaution dans la charte répond surtout aux canons modernes du droit et de la politique. Inutile de la diaboliser au risque de proférer des contrevérités. Inutile d'en attendre plus qu'elle ne peut offrir. Pour être déclenchées, les mesures de précaution sont solidement encadrées - je ne reviendrai pas sur ces conditions, que M. le garde des sceaux a rappelées. Une fois déclenchée, la précaution crée des obligations pour les autorités publiques dans l'exercice de leurs compétences vis-à-vis d'elles-mêmes, puisque ces mesures sont provisoires et proportionnées.

Le principe de précaution est un élément important mais il ne fait pas toute la charte. Il fonde une nouvelle approche, celle d'un droit de la sécurité.

Le Président de la République a eu l'occasion de le dire à maintes reprises, la sécurité en notre époque est condition de notre liberté. Avec la charte, une nouvelle illustration en est offerte. La sécurité est là un engagement pour l'avenir, pour les générations futures.

La charte apporte une contribution considérable à l'affirmation de notre modèle de société, à son confortement et à son évolution. De la lecture des neuf objectifs constitutionnels et du principe de précaution se dégage le projet d'un ordre juridique renouvelé, appliqué à l'environnement, qui obéit aux orientations fixées par le Président de la République - responsabilité et flexibilité - et répond à son ambition de replacer la France en position d'avant-garde dans le monde. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire.

M. Martial Saddier, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, le projet de loi constitutionnelle dont nous sommes aujourd'hui saisis résulte d'une triple prise de conscience.

Tout d'abord, la prise de conscience des multiples menaces qui pèsent sur notre planète et sur notre cadre de vie. Notre mode de développement a incontestablement permis d'améliorer nos conditions de vie, mais il nous a également dotés d'un pouvoir sur la nature que nous n'avions jamais atteint auparavant. Nous voilà aujourd'hui capables de manipuler le vivant avec les organismes génétiquement modifiés, ou de provoquer des phénomènes d'échelle planétaire comme le réchauffement climatique.

Prise de conscience aussi de notre responsabilité vis-à-vis des générations futures. Notre capacité à influencer durablement notre environnement nous impose de réagir pour garantir à ceux qui nous succéderont que leurs conditions de vie seront au moins aussi bonnes que les nôtres. En disant cela, je pense évidemment au devoir qui s'impose à nous de leur léguer un environnement de qualité, mais aussi au devoir de garantir les conditions de leur développement. Notre responsabilité vis-à-vis des générations futures ne peut se mesurer à la seule aune de la qualité de l'environnement que nous leur léguerons : il nous faut également leur assurer des conditions favorables aux initiatives économiques, à l'innovation et à la recherche. Nous devons donc exclure la voie d'une hypothétique « croissance zéro » : c'est vers le développement durable que nous devons nous tourner.

Enfin, le projet de charte résulte de la prise de conscience des exigences croissantes de nos concitoyens quant à la qualité de leur cadre de vie.

Cela est très clair : les Français sont aujourd'hui extrêmement soucieux de l'environnement. On ne peut pas en faire abstraction ni éloigner ces attentes d'un revers de main. Nous avons pour responsabilité d'y répondre.

La charte de l'environnement sera un instrument puissant pour satisfaire ces nouvelles exigences.

Ce texte est également l'aboutissement d'une démarche inédite et très ouverte : la commission présidée par le professeur Coppens, composée de dix-huit membres représentant tous les acteurs concernés par les problématiques environnementales - élus, experts juridiques et scientifiques, représentants des partenaires sociaux, des associations et des entreprises -, a conduit les travaux de préparation de la charte, du 26 juin 2002 au 8 avril 2003.

Dans le même temps, une consultation nationale de grande ampleur a été menée : un questionnaire a été adressé à plus de 55 000 acteurs régionaux ; quatorze assises territoriales regroupant plus de 8 000 participants de la société civile ont permis de prendre la mesure des aspirations environnementales de notre société et de la nécessaire conciliation de celles-ci avec les impératifs économiques et sociaux.

La charte de l'environnement introduit une innovation majeure dans notre droit, en affirmant, dans notre bloc constitutionnel, un droit à l'environnement qui repose sur des droits et des devoirs.

Il s'agit d'une approche équilibrée, à la fois audacieuse et pragmatique.

Audacieuse car elle traduit la volonté, exprimée par le Président de la République, M. Jacques Chirac, de consacrer une nouvelle génération de droits correspondant indéniablement aux aspirations de nos concitoyens.

Pragmatique car la charte s'inscrit dans une démarche de développement durable, qui vise à concilier environnement, économie et progrès social, sans faire prévaloir l'un de ces piliers sur les deux autres.

En tant que rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, aux côtés de son président, Patrick Ollier, que je remercie, j'ai considéré que ma mission consistait à écouter les acteurs du monde économique, de la recherche et des milieux associatifs, tout d'abord pour connaître leurs réactions vis-à-vis de la charte, ensuite pour en rendre compte et essayer d'y apporter des réponses.

Ce travail a été conduit en relation avec la commission des lois, son président, Pascal Clément, et sa rapporteure, Nathalie Kosciusko-Morizet. Au-delà, je tiens à saluer l'ensemble des collègues qui se sont beaucoup investi sur ce texte depuis six mois, ainsi que les différents ministres auditionnés devant les commissions.

J'ai conduit près d'une quarantaine d'auditions. A leur terme, j'ai pu constater que l'ensemble des personnes auditionnées étaient favorables au principe d'une charte de l'environnement et à la consécration d'un droit à l'environnement dans notre constitution.

J'ai également pu constater que ce texte suscitait des interrogations, et parfois des inquiétudes nées de la confusion entre diverses notions : la confusion entre prévention et précaution, par exemple, est fréquemment apparue ; celle entre droits-créances et droits subjectifs a également été le fondement de craintes qui n'étaient pas justifiées.

Je comprends ces interrogations, pour les avoir moi-même initialement partagées avant d'étudier la charte de manière plus approfondie. Et j'ai pu constater qu'au terme d'un effort d'explication et de pédagogie, les craintes étaient souvent apaisées et les doutes levés.

A la lumière de cette expérience, je souhaite concentrer mon propos sur trois séries de critiques dont a fait l'objet la charte lors des auditions que j'ai menées, critiques qui ne me paraissent plus fondées aujourd'hui.

Selon la première de ces critiques, la charte et, notamment, son article 5 relatif au principe de précaution, ouvriraient la porte à un contentieux incontrôlable, foisonnant, susceptible de paralyser notre vie économique.

Il serait évidemment démagogique de prétendre que la charte de l'environnement ne pourra pas donner lieu à contentieux. Comme toute nouvelle norme, elle suscitera des interrogations, des espérances et des craintes, dont certaines se traduiront par des recours. Mais vous le savez bien, notre société est déjà marquée par une forte judiciarisation. La jurisprudence actuelle sur le principe de précaution n'a d'ailleurs pas eu besoin de la charte de l'environnement pour se développer.

Ce principe figure déjà à l'article 174 du traité des communautés européennes sans y être défini et a donné lieu à une jurisprudence pour le moins extensive de la part du juge communautaire ; celui-ci y a fait référence dans de nombreux domaines alors que selon les termes du traité, il ne devrait s'appliquer que dans celui des politiques environnementales.

Le principe de précaution n'est pas non plus absent de notre droit national, puisqu'il figure à l'article L. 110-1 du code de l'environnement, parmi les grands principes généraux du droit de l'environnement. Cet article renvoie à la loi le soin de déterminer les conditions d'application de ce principe ; aucune loi n'est intervenue en ce sens ; cela n'a pas pour autant empêché le juge de faire référence au principe de précaution.

Au-delà de ce principe, dans certains domaines considérés comme sensibles par l'opinion publique, comme l'industrie nucléaire, les décisions publiques sont systématiquement attaquées depuis plusieurs années. Nous savons aussi tous, en tant qu'élus locaux, que les autorisations d'exploiter des installations classées ou les décisions d'aménagement sont régulièrement contestées pour des motifs environnementaux.

Certains craignent le contentieux et les dérives jurisprudentielles. Il faut ouvrir les yeux : ces phénomènes sont déjà présents. Ce qu'il faut désormais, c'est encadrer les interprétations abusives, ce qui suppose de préciser notre droit. C'est ce à quoi s'emploie, entre autres, la charte de l'environnement.

J'ajouterai que la commission des affaires économiques a adopté un amendement, à mon sens très important, qui précise que le principe de précaution doit être appliqué par les autorités publiques dans le cadre de leurs attributions respectives. Il s'agit là d'accroître la sécurité juridique, tant pour les autorités publiques elles-mêmes, et je pense aux maires qui m'ont fait part de leurs inquiétudes, que pour les justiciables, particuliers ou entreprises.

J'en viens maintenant à la deuxième série de critiques émises à l'encontre de la charte. Le principe de précaution, selon certains, sonnerait le glas de notre industrie et de notre recherche : il s'agirait d'un principe d'abstention qui conduirait à « l'ouverture systématique du parapluie », d'un principe de pusillanimité qui s'opposerait à tout développement économique en entravant les initiatives.

Je souhaiterais, en préalable, rappeler que le champ d'application de l'article 5 est strictement circonscrit.

Tout d'abord, le principe de précaution ne concerne que les risques de dommages causés à l'environnement et non ceux causés à la santé humaine. Cela doit être très clair. Certains tirent argument de la rédaction de l'article 1er de la charte, qui établit un lien entre environnement et santé, pour juger que, de manière indirecte, par un effet de ricochet, l'article 5 pourrait être interprété comme s'appliquant au domaine de la santé.

Je ne souscris pas du tout à cette analyse. Certes, l'article 1er énonce que « chacun à droit à un environnement équilibré et favorable à sa santé », mais, a contrario, l'article 5 vise les seuls dommages à l'environnement, sans citer la santé. Il convient d'en rester à cette lecture stricte et littérale de la rédaction qui nous est proposée. Toute interprétation plus extensive serait abusive.

Pour éviter toute interprétation subjective de cette disposition, la commission des affaires économiques a adopté un amendement de son président, Patrick Ollier, visant à préciser que l'environnement n'a pas vocation à avoir de valeur thérapeutique. L'objectif est bien qu'il soit respectueux de la santé.

Il nous faut ensuite garder à l'esprit que le principe de précaution concernera un nombre très restreint de risques. Or on constate que la plupart des inquiétudes relatives au champ d'application de ce principe reposent le plus souvent sur la confusion entre précaution et prévention.

La distinction entre ces deux démarches n'est pourtant pas simplement d'ordre sémantique ; elle est fondamentale.

Je rappelle que trois conditions devront être cumulées pour que soit appliqué le principe de précaution : une incertitude scientifique pesant sur le risque ; la gravité du dommage encouru ; le caractère irréversible du dommage.

Le critère d'incertitude scientifique est décrié par certains. Il est pourtant essentiel, car il permet de bien distinguer la démarche de précaution de celle de prévention.

L'incertitude ne concerne pas l'occurrence du risque : un risque aléatoire mais qui serait probabilisable ne relève pas de la précaution mais de la prévention. L'incertitude qui est visée porte en fait sur l'hypothèse même du risque : elle concerne les « connaissances scientifiques ».

Pour résumer, lorsque le risque de dommage est certain et identifié, nous nous trouvons dans le cadre de la mise en œuvre du principe de prévention et lorsqu'il y a incertitude quant à la réalisation du dommage, c'est le principe de précaution qui s'applique.

Je vous donnerai quelques exemples pour illustrer mon propos.

M. Christophe Caresche. Vous êtes inscrit pour dix minutes !

M. Martial Saddier, rapporteur pour avis. Les risques industriels : dans leur grande majorité, ils ne relèvent pas du principe de précaution. Il s'agit en effet de risques connus et probabilisables dans des études de dangers.

Les infrastructures - autoroutes, barrages hydroélectriques, télésièges - dont la construction peut nuire à la biodiversité ne semblent pas non plus entrer dans le champ d'application de l'article 5 : le risque d'une atteinte à certaines espèces animales et végétales étant scientifiquement avéré, on doit privilégier une démarche de prévention, par exemple en transférant certaines espèces vers d'autres habitats. (« Dix minutes ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

La présence de nitrates dans les eaux souterraines ne donne pas lieu à incertitude scientifique s'agissant de son impact sur l'environnement. C'est donc la prévention qui s'impose et qui est déjà largement utilisée, par exemple avec la réglementation des effluents d'élevage et les plans d'épandage.

M. Christophe Caresche. Madame la présidente, le temps de parole de M. Saddier est dépassé depuis longtemps. C'est une motion de procédure ?

M. Martial Saddier, rapporteur pour avis. Dans le domaine nucléaire, c'est encore la prévention et non la précaution qui doit être généralement appliquée, comme cela a d'ailleurs été souligné par l'ensemble des intervenants de ce secteur que j'ai auditionnés.

L'activité industrielle en tant que telle, avec les centrales nucléaires. donne lieu à des risques connus et tout à fait modélisables dans des études probabilistes de sûreté, ce qui appelle une démarche de prévention.

Le réchauffement climatique est établi de manière consensuelle par la communauté scientifique : ce risque est avéré, quand bien même une incertitude pèserait sur son ampleur et sur la part de responsabilité des activités humaines dans ce phénomène. Il relève donc, selon moi, d'une démarche de prévention.

On constate ainsi que le principe de précaution ne pourra pas trouver à s'appliquer dans de nombreux cas, qui sont souvent cités à tort.

Les risques qui pourraient donner lieu à application de ce principe sont donc en réalité bien rares aujourd'hui.

Mme la présidente. Monsieur Saddier, il conviendrait de condenser vos derniers propos.

M. Martial Saddier, rapporteur pour avis. Je termine, madame la présidente.

Ce texte est tourné vers l'avenir et s'adresse aux générations futures. Il est logique que les risques évoqués soient inconnus à l'heure actuelle. Je pense néanmoins que le risque environnemental qui serait lié à une dissémination des OGM relève bien du principe de précaution .

J'en viens enfin aux critiques selon lesquelles la charte porterait un coup fatal à notre recherche avec son article 9. Là encore, les craintes ne me paraissent pas fondées. L'article 9 - tout comme l'article 5, sur sa fin - encourage précisément l'innovation et la recherche.

Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, la charte de l'environnement est un texte ambitieux, historique même, car il n'est pas commun de consacrer de nouveaux droits dans notre bloc constitutionnel.

Au cours de mes travaux, j'ai pu constater une réelle adhésion à cette démarche, tout comme la volonté que nos débats permettent d'établir aussi précisément que possible la volonté du constituant. Je ne peux que partager ce souhait : la charte de l'environnement constitue une avancée indéniable. J'estime qu'il nous revient maintenant d'en exposer toute la richesse et les implications, afin d'emporter le consensus qui doit prévaloir lors de l'adoption d'une norme constitutionnelle. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. Ce projet de loi constitutionnelle relatif à la charte de l'environnement est un texte fondateur. Conformément au vœu formulé par le Président de la République à Johannesburg et lors de son discours d'Avranches, il consacre au plus haut niveau de notre hiérarchie les normes d'une écologie humaniste, reposant sur une nouvelle génération de droits de l'homme : le droit à l'environnement.

En plaçant la charte de l'environnement aux côtés de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et des droits économiques et sociaux consacrés par le Préambule de la Constitution de 1946, ce texte constitue une avancée considérable. Il répond à une forte attente de nos concitoyens, qui placent désormais l'environnement au cœur de leurs préoccupations quotidiennes.

Il ne s'agit donc pas de céder à « l'air du temps », mais bien de traduire, dans le socle de nos valeurs communes, une exigence que partagent les Français : garantir aux générations futures un environnement et des conditions de vie de qualité, et participer de manière active à la défense de notre planète.

Le choix du Président de la République consiste à adosser à notre constitution un texte énonçant à la fois des droits et des devoirs. C'est une démarche nouvelle, originale et équilibrée que nous ne pouvons qu'approuver.

Avec ce texte, la France se place à la tête du combat pour la défense de l'environnement. Mais elle renforce aussi son rôle moteur dans la promotion du développement durable. Car c'est bien de développement durable qu'il s'agit.

Concilier les exigences environnementales, économiques et sociales, afin de répondre aux besoins du présent et des générations futures, tel est en effet l'objectif central de la charte de l'environnement. C'est pourquoi la commission des affaires économiques s'est saisie pour avis de ce projet,...

M. François-Michel Gonnot. Elle a bien fait !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. ...la commission des lois ayant à l'examiner au fond.

Il apparaissait indispensable à notre commission de pouvoir examiner ce texte, pour analyser ses conséquences non seulement dans le domaine environnemental, mais aussi pour les acteurs économiques, scientifiques ou associatifs. Je me félicite, à ce titre, de l'esprit de coopération qui a animé les deux rapporteurs, Nathalie Kosciusko-Morizet pour la commission des lois et Martial Saddier pour la commission des affaires économiques, qui ont tous deux su mener leur tâche respective en bonne intelligence et en respectant un partage rationnel des compétences des deux commissions. C'est, du reste, aussi ce que nous avons fait avec Pascal Clément, le président de la commission des lois. En effet, la commission des affaires économiques a inscrit son travail dans le respect des compétences qui ont été dévolues à la commission saisie au fond.

Tout en faisant preuve d'initiative, nous avons concentré notre travail sur l'écoute des acteurs du monde économique, de la recherche et des associations, afin de recueillir leurs réactions sur le projet de charte et de faire œuvre de pédagogie lorsque cela s'avérait nécessaire. Ainsi, le travail accompli en commission a été particulièrement constructif et enrichi par le débat animé fort activement par l'ensemble des groupes, y compris de l'opposition.

Les amendements adoptés par la commission des affaires économiques, notamment sur les articles 1er et 5, permettront sans nul doute d'apporter des réponses satisfaisantes aux nombreuses inquiétudes qui se sont exprimées.

J'entends dire que la charte de l'environnement portera un coup grave à la compétitivité de notre économie, à notre recherche et que, qu'une fois promulguée, elle paralysera toutes les initiatives. Sincèrement, nous ne pouvons souscrire à de telles affirmations. Certes je comprends que des inquiétudes se manifestent car ce n'est pas tous les jours que nous révisons notre loi fondamentale pour y inscrire des droits nouveaux.

M. Bernard Accoyer. C'est vrai !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Il est donc légitime de s'interroger sur les conséquences qu'aura une telle initiative. Cependant on ne peut refuser ce texte a priori, sans en avoir pesé tous les termes. Dès lors, on se rend compte que la charte de l'environnement, loin de constituer un frein à l'innovation, est une chance que nous devons saisir. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Les inquiétudes exprimées et les critiques émises à l'encontre de la charte reposent essentiellement sur des confusions et des malentendus.

M. Christophe Caresche. Comment ?

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Il y a, en particulier, confusion entre les dispositions de portée directe, notamment le principe de précaution qui fait l'objet de l'article 5, et les droits-créances énoncés dans tous les autres articles de la charte, qui ne sont pas directement invocables par les justiciables et qui nécessiteront l'intervention ultérieure du législateur.

M. François Brottes. Cela ne sert à rien, alors !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Il y a surtout confusion entre précaution et prévention.

M. Christophe Caresche. Vous êtes un expert !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Si M. Brottes a contribué activement aux débats en commission, je ne peux pas en dire autant de vous, monsieur Caresche.

M. Christophe Caresche. Moi, j'ai contribué activement à ceux de la commission des lois !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Il y a, disais-je, confusion entre précaution et prévention, car la très grande majorité des risques cités par ceux qui craignent que le principe de précaution ne conduise à paralyser notre économie relèvent non pas du principe de précaution mais bien de la prévention. Nous aurons tout le loisir d'en expliquer la portée au cours du débat.

Les conséquences, lorsqu'elles sont identifiées pour un risque connu, doivent faire l'objet de mesures de prévention. Les lois sont très claires à ce sujet et déjà bien pourvues en dispositifs de prévention.

M. Christophe Caresche. C'est le juge qui le dira !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Les risques naturels relèvent majoritairement de la prévention, non de la précaution. Je pense aux inondations. En effet leur survenance est peut-être incertaine, dans la mesure où l'on ne peut déterminer précisément la date à laquelle elles vont se produire. Pour autant, leur occurrence n'est pas sujette à incertitude scientifique : les crues centennales, par exemple, suivent une loi de probabilité qui est désormais aisément établie et l'on n'est donc pas en situation d'incertitude. C'est toute la distinction entre risque aléatoire et risque incertain en l'état des connaissances scientifiques.

M. Christophe Caresche. À quoi le principe de précaution va-t-il s'appliquer ?

M. Jean Lassalle. À rien !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Autre exemple : le transport de produits dangereux, tels les produits inflammables ou le pétrole. En cas d'accident, par exemple une marée noire, il y a peut-être - et même certainement - un risque d'atteinte grave et irréversible à l'environnement. Toutefois si une incertitude peut exister quant à l'impact des substances déversées dans le milieu naturel, il n'y a, en revanche, pas d'incertitude scientifique quant à la probabilité d'occurrence du dommage : celle-ci dépend de l'état du moyen de transport, en l'espèce l'équipement du navire en simple coque ou en double coque. Il faut donc, là aussi, appliquer une démarche de prévention, laquelle passe notamment par la réglementation tant des modes de transport employés que des trajets utilisés.

Un autre exemple, évoqué il y a quelque temps, est donné par le risque de contamination par la légionellose des populations situées à proximité de tours aéroréfrigérantes. L'article 5 de la charte ne s'appliquera pas dans ce cas pour plusieurs raisons.

M. Christophe Caresche. Et Noroxo ?

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. D'abord, on ne se trouve pas en situation d'incertitude scientifique. Surtout, le dommage présumé concerne la santé humaine, qui est exclue du champ d'application de l'article 5 de la charte.

M. Bernard Deflesselles. Tout à fait !

M. Christophe Caresche. À quoi s'appliquera-t-il alors ?

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Il faut être clair : cette charte n'est pas une charte de la santé publique. L'article 5 ne concerne que les seuls risques de dommages causés à l'environnement. Ainsi que M. Saddier l'a fort justement précisé en réponse à certains, on ne peut pas prétendre que, par un effet de ricochet de l'article 1er de la charte sur l'article 5, le principe de précaution s'appliquerait à la santé. Il n'en est rien et il me semble important de souligner explicitement ce point.

M. François Sauvadet. Et pour les farines animales ?

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Je citerai, enfin, deux autres exemples de sujets très souvent évoqués : les lignes à très haute tension et les antennes de téléphonie mobile. Dans les deux cas, nous ne sommes pas en situation d'incertitude scientifique. Ainsi, s'agissant des effets des antennes de téléphonie mobile, un récent rapport de l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale a conclu à leur innocuité.

M. Christophe Caresche. Tout va bien !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Je sais que les conclusions des experts sont décriées par certains groupes de pression. Néanmoins si l'on s'en tient à l'expertise scientifique qui a été menée, nous ne pouvons pas prétendre que nous sommes en situation d'incertitude scientifique. Il n'y a donc pas lieu d'appliquer le principe de précaution.

M. Christophe Caresche. Mais à quoi cet article pourrait-il donc s'appliquer ?

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Bien plus, ces deux exemples relèvent du domaine sanitaire et non de celui des dommages causés à l'environnement. Ne serait-ce que pour cette raison, ils ne tomberont pas sous le coup de l'article 5.

M. Christophe Caresche. Celui-ci ne s'appliquera vraiment à rien alors !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. J'ai voulu illustrer mon propos avec ces quelques exemples pour bien faire sentir où se situe la frontière, qui peut paraître fragile, entre précaution et prévention.

M. Christophe Caresche. Vous n'avez pas donné d'exemple d'application !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Vous en donnerez vous-même, vous qui êtes si savant ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Charles Cova. Roquet !

M. Bernard Accoyer. Un voilà un : Mme Voynet et le Prestige !

M. Christophe Caresche. J'en ai un autre : Mme Bachelot !

Mme la présidente. Je vous en prie, chers collègues.

Poursuivez, monsieur Ollier.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Pour mettre en œuvre ce principe de précaution, il faut cumuler - c'est une sécurité pour apaiser les inquiétudes - trois conditions : l'incertitude scientifique pesant sur le risque, la gravité du dommage encouru et le caractère irréversible du dommage sur l'environnement.

Le critère d'incertitude scientifique est contesté par certains. II est pourtant essentiel car c'est celui qui permet de bien distinguer entre la démarche de précaution et celle de prévention. C'est pourquoi, je m'élève contre le faux procès intenté à la charte, qui repose sur des confusions et malentendus que je souhaite contribuer à lever dès à présent.

M. Christophe Caresche. C'est laborieux !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Je me suis, moi aussi, interrogé sur les éventuelles conséquences de cette charte. J'ai aussi pensé que la loi devait être mise en avant et servir d'intermédiaire entre les citoyens et la Constitution. L'amendement de la commission des lois résout en partie le problème.

M. Christophe Caresche. En partie seulement !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Je pense qu'il ne faut pas aller plus loin, car notre Constitution nous protège des décisions européennes qui pourraient nous inquiéter, alors que la loi doit s'y soumettre et les intégrer.

Les inquiétudes concernant l'activité économique ou scientifique sont levées si l'on opère une lecture très détaillée du mécanisme de l'article 5 et de ses conséquences.

M. Christophe Caresche. Mécanisme introuvable !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Je souhaite que le débat nous permette de mettre fin au quiproquo entre prévention et précaution. J'espère que la portée réelle du principe de précaution lié à l'incertitude scientifique sera admise par tous comme un progrès vers une meilleure approche du développement durable et de la responsabilisation de chacun, notamment des pouvoirs publics.

Notre responsabilité est grande aujourd'hui. Je souhaite que nous la partagions tous ensemble pour engager la France dans une prise de conscience profonde et définitive que nos enfants hériteront de la planète telle que nous la leur laisserons.

M. François Brottes. Forcément !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. C'est pourquoi, mes chers collègues, je suis certain que ce texte doit être soutenu et voté avec conviction. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Exception d'irrecevabilité

Mme la présidente. J'ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe des député-e-s communistes et républicains une exception d'irrecevabilité, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Patrick Braouezec.

M. Patrick Braouezec. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, avec l'examen du projet de loi constitutionnelle portant sur la charte de l'environnement qui sera adossée au préambule de notre Constitution, le Gouvernement et la majorité actuels font vivre la société française dans l'enfer des bonnes intentions. Nous avons pu le vérifier dans le dossier des retraites, certains prétendant que le régime par répartition devait être sauvé par la diminution des pensions et l'allongement de la durée des cotisations.

M. Francis Delattre. C'était vrai !

M. Patrick Braouezec. Nous le vérifierons aussi avec les projets en matière de sécurité sociale, en application desquels les seuls salariés et patients paieront davantage pour moins de soins. La logique est constante : on invoque les grands principes pour mieux les sacrifier. Tout laisse craindre que l'initiative importante d'introduire dans notre Constitution l'indispensable protection de l'environnement ne fasse pas exception. Aussi, est-ce en application du principe de précaution que je vais m'efforcer de plaider l'irrecevabilité du projet.

M. Guy Geoffroy. Cela ne va pas être facile !

M. Patrick Braouezec. Certes, mais je vais m'y appliquer.

Ce projet est, d'abord et surtout, irrecevable au regard de la politique menée par le Gouvernement depuis plus de deux ans. Ce dernier adopte en effet la même méthode que pour la décentralisation : il convie le Parlement à modifier la Constitution, tout en renvoyant à un dispositif législatif ultérieur sur lequel celui-ci n'a ni information ni garantie. Ainsi, l'article 5 du projet, consacré au principe de précaution, renvoie aux tribunaux ou - ce que nous souhaitons - à une loi future. Le précédent de la décentralisation nous instruit sur la nécessité de se défier de ce saucissonnage des projets, qui a conduit, d'ailleurs, une partie de la majorité à voter contre le projet de loi d'autonomie financière des collectivités locales après avoir approuvé la modification constitutionnelle.

La charte sur l'environnement intervient dans le contexte d'une politique gouvernementale dénuée de toute ambition en matière d'environnement. La traduction la plus lisible de la volonté d'un gouvernement se trouve dans le budget de la nation. Or, depuis deux ans, les priorités gouvernementales sont clairement les prisons, la police et l'armée. Le logement, l'emploi, l'éducation et la santé sont sacrifiés. Le budget du ministère de l'écologie et du développement durable stagne et devrait diminuer l'an prochain, d'après les lettres de cadrage récemment adressées.

Cette réduction budgétaire est en rupture claire avec l'évolution dynamique qui avait prévalu de 1997 à 2002 et qui s'était traduite par une multiplication par 2,7 des crédits du ministère de l'environnement en cinq ans. À titre d'exemple, dès votre budget pour 2002, nombre de ces crédits subissaient une forte diminution : moins 10 % pour la lutte contre la pollution de l'air, moins 52 % pour la lutte contre le bruit.

M. Christophe Caresche. C'est la triste réalité !

M. Patrick Braouezec. De même, les crédits de l'ADEME, les moyens consacrés à la lutte contre la pollution des eaux et les dotations octroyées aux associations affichent une baisse.

Les proclamations constitutionnelles se font à peu de frais ; l'environnement, lui, fait les frais des « économies de bout de chandelles », pour reprendre l'expression d'un des membres du Gouvernement.

M. André Chassaigne. Plus que des bouts de chandelle : c'est un gros cierge !

M. Patrick Braouezec. Les chiffres sont têtus. L'environnement cesse d'être une priorité budgétaire de votre gouvernement. Vous nous rétorquerez que tout n'est pas qu'une question de moyens. Certes, mais c'est précisément ce qui renforce l'appréciation négative sur ce budget. Non seulement les crédits stagnent ou reculent, mais leur usage pose aussi problème.

Les orientations du Gouvernement en matière d'environnement ne sont pas lisibles. Au-delà des moyens, c'est l'élargissement des compétences du ministère et sa légitimation qui sont interrompus. Le rattachement de l'aménagement du territoire, non plus au ministère de l'environnement mais à celui de la réforme de l'Etat, est, à cet égard, significatif.

Il se traduit inévitablement par un recul de la prise en compte des questions écologiques dans les choix d'aménagement. Il augure mal, notamment, du nécessaire développement du ferroutage. D'ailleurs, dans le budget des transports, priorité est donnée à la route.

L'environnement n'est pas, contrairement à ce que pensent certains, un supplément d'âme, une coquetterie de marketing ; c'est un gisement d'emplois hautement qualifiés. Nos voisins allemands et scandinaves ont su en faire un élément de leur compétitivité économique.

Un sujet d'actualité mérite d'être développé : celui des organismes génétiquement modifiés.

Rappelons-nous ! Le 13 juin 2003, lors du congrès mondial des jeunes agriculteurs, le Président de la République, Jacques Chirac, affirmait qu'un aliment n'est pas un produit banal, qu'il touche à la fois aux équilibres biologiques et aux traditions culturelles d'un pays. S'en souviendra-t-il quand les boîtes de maïs BT-11 arriveront dans les circuits de grande distribution français ? En effet, depuis le 19 mai, la Commission européenne a autorisé l'importation dans l'Union européenne d'un aliment génétiquement modifié, levant ainsi le moratoire imposé depuis cinq ans sur les OGM.

Le ministre de l'agriculture a bien indiqué qu'il n'était pas un chaud partisan des OGM et que la France resterait très vigilante. Il a même ajouté que l'autorisation de produits OGM se ferait au cas par cas et que la France prendrait position en fonction de l'avis de son agence de sécurité alimentaire, l'AFSSA.

M. André Chassaigne. C'est ça la précaution ?

M. Patrick Braouezec. Y aurait-il donc des cas dans lesquels l'introduction de produits génétiquement modifiés ne poserait aucune question sur le plan de la santé des personnes ?

M. Christophe Caresche. C'est ce que le Gouvernement appelle la prévention !

M. Patrick Braouezec. Pourtant, selon de nombreuses associations de consommateurs et de protection de l'environnement, les études de toxicité sont insuffisantes et, par manque de recul, nous devrions, par précaution, maintenir la réserve quant à l'utilisation d'aliments génétiquement modifiés.

M. André Chassaigne. Le Gouvernement pratique la précaution à géométrie variable !

M. Patrick Braouezec. Tout à fait !

Il faudrait avoir le courage de refuser toute introduction d'aliment génétiquement modifié et toute utilisation d'OGM dans les cultures, donc de dire non à la multinationale Monsanto. Une vraie politique de préservation de l'environnement devait être affirmée par les pouvoirs publics et un véritable engagement devrait être pris en faveur du développement durable.

Comment peut-on croire à la préoccupation du Gouvernement en la matière ? Selon Gérard Pascal, directeur scientifique à l'INRA, aucune des données dont on dispose actuellement n'est concluante ni ne permet de dire si les OGM ont la moindre utilité. Pour l'instant, les résultats mettent davantage en évidence l'efficacité des herbicides que les conséquences de la modification génétique. Il ressort de l'étude menée que l'herbicide associé à l'OGM a éradiqué toute « mauvaise herbe », rendant le champ stérile pour la flore et la faune.

Les conclusions que nous sommes obligés de tirer de cette information sont, d'une part, que l'usage de l'agriculture OGM met en péril l'équilibre écologique des régions où elle est déjà utilisée et, d'autre part, que, plutôt que de se focaliser sur l'introduction des produits alimentaires génétiquement modifiés, le ministre de l'agriculture devrait réaffirmer ce qui est écrit dans l'exposé des motifs de la Charte de l'environnement, à savoir que l'exploitation excessive des ressources et la destruction irréversible du patrimoine naturel peuvent entraîner des conséquences sur le bien-être et la santé des générations présentes et futures.

Si le Gouvernement est conscient de ce risque, il ne peut se contenter de rester seulement en alerte sur la question de la coexistence de l'agriculture OGM et de l'agriculture conventionnelle. Pour l'instant, aucune règle n'existe en la matière et cela risque, à terme, d'entraîner la contamination des cultures classiques, voire des plantes sauvages, par dissémination des OGM.

Le risque est réel. Gérard Pascal confirme bien qu'il n'y a pas de risque zéro, quelles que soient les distances imposées entre les champs.

Face au danger qui menace la faune et la flore, le ministre de l'agriculture doit être offensif et prendre le risque de déplaire aux différents lobbies - dont la multinationale Monsanto - intéressés par le renforcement de l'exploitation excessive. Faisant le choix de la rentabilité, ils nient le principe même du développement durable.

Le jour où le ministre prendra la décision d'interdire et l'agriculture OGM et l'introduction de produits alimentaires génétiquement modifiés, nous saurons que le Gouvernement prend officiellement position sur le fait que l'environnement est un patrimoine commun des êtres humains et qu'il ne contente pas de proclamer - comme dans la Charte - des intentions, bonnes certes, ...

M. Martial Saddier, rapporteur pour avis. Quand même !

M. Patrick Braouezec. ...mais régulées par le système financier selon le mot d'ordre : « toujours plus de rendement, pour plus de profit ».

Nous ne pouvons accepter que des entreprises ou des multinationales organisent des activités illicites nuisant aux droits collectifs fondamentaux que sont la protection de l'environnement, de l'eau, du climat ainsi que les droits économiques sociaux et culturels. Maintenir l'agriculture OGM, c'est porter atteinte au droit à la santé alors que l'article 1er de la charte précise que chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et favorable à la santé.

M. Francis Delattre. Aucun scientifique n'a dit cela !

M. Patrick Braouezec. J'ai cité M. Gérard Pascal ; je peux en citer d'autres.

M. Francis Delattre. Vous courez mal après José Bové !

M. Patrick Braouezec. Je ne cours après personne. Je cite des textes et je vous invite à en faire autant.

M. André Chassaigne. Il ne faut pas attaquer les copains !

M. Patrick Braouezec. Exactement. Et surtout pas les multinationales !

En permettant l'introduction sur le marché européen d'aliments génétiquement modifiés, la Commission européenne a choisi - et ce n'est pas pour vous déplaire - de défendre les agriculteurs américains et d'étroits intérêts agro-alimentaires.

M. Francis Delattre. C'est facile !

M. Patrick Braouezec. Le ministre de l'agriculture fait le même choix en autorisant la culture OGM. Cela conduira forcément, à terme, à tolérer une petite quantité d'OGM dans les autres cultures, comme le dénoncent les tenants de l'agriculture biologique, et pas seulement M. José Bové.

M. Francis Delattre. C'est un peu plus compliqué !

M. Patrick Braouezec. Mais n'est-ce pas trop tard ? Au vu de ce qui se passe déjà ici, cette Charte de l'environnement est bien tardive. Il aurait fallu refermer la boîte de Pandore offerte - contre les droits des personnes - aux multinationales avant que celles-ci n'arrivent à inverser la hiérarchie des normes et que les droits corporatifs et privés ne priment sur les droits de la personne.

M. Francis Delattre. Quel ignare !

M. Patrick Braouezec. Madame la présidente, si l'on pouvait éviter les gros mots !

Mme la présidente. Je préfère ne pas les avoir entendus, sinon je serais obligée de suspendre la séance !

Mes chers collègues, je vous demande à tous de rester corrects.

M. Francis Delattre. Je ne peux que réagir en entendant certains propos !

M. Patrick Braouezec. Je considère que « ignare » est un gros mot !

La décision de la Commission européenne prouve bien que les intérêts financiers et la loi du marché prévalent sur les droits des humains. Et ce n'est pas être ignare que de dire cela.

M. Francis Delattre. Si !

M. Patrick Braouezec. Votre décision d'exclure toute référence à la protection de l'eau et à la responsabilisation de tous vis-à-vis de ce bien commun constitue également un recul.

L'abandon du projet de loi adopté en 2001 en première lecture et son remplacement par une transcription a minima de la directive européenne démontre que les déclarations ministérielles en faveur du dialogue et de l'écoute dissimulaient une sensibilité plus grande aux groupes de pressions et aux intérêts économiques et financiers à courte vue.

Cette absence d'ambition environnementale qui se manifeste dans le budget de la nation, dans votre politique des transports et dans celle de l'eau se vérifie également dans la discussion en cours sur la politique énergétique.

Aborder l'orientation de la politique énergétique de la France, c'est se confronter à des enjeux sociaux, économiques et environnementaux qui dépassent de beaucoup les frontières nationales. L'amorce de débat auquel vous nous conviez enfin - ce débat était réclamé de longue date - intervient alors que le Gouvernement affiche dans son projet de loi sur le service public de l'électricité et du gaz la volonté d'ouvrir le capital d'EDF et de GDF et de modifier leur statut. Une telle politique remet en cause la conception d'un service public visant l'efficacité économique, la solidarité sociale, le droit à l'énergie pour tous, la cohésion territoriale et le respect de l'environnement.

En outre, les orientations données par M. le ministre de l'économie apparaissent très modestes en matière d'économies d'énergie. Elles ne répondent pas à la nécessité pour notre pays de renouer avec une politique volontariste en la matière. Les efforts accomplis après le premier choc pétrolier se sont gravement relâchés avec la baisse des prix de l'énergie.

J'ai déjà évoqué la baisse des crédits de l'ADEME. Le budget de l'équipement continue, quant à lui, de privilégier la route au détriment du rail et du ferroutage. Le rail a besoin d'investissements massifs pour se développer et son développement permettrait de relever le défi d'une société plus économe en énergie. Or, à l'heure actuelle, des investissements à un tel niveau ne sont programmés ni en France ni dans l'Union européenne.

La France a récemment été rappelée à l'ordre pour cause de non-respect de ses engagements et d'absence de transparence quant à ses émissions de gaz à effet de serre.

Dans le débat sur la politique énergétique, l'effet positif de la production nucléaire sur les émissions de gaz à effet de serre a été souligné. Cette dimension recouvre un effet pervers. La prépondérance de l'énergie nucléaire en France limite nos ambitions en matière d'économies d'énergie et de développement des énergies renouvelables. En d'autres termes, la prépondérance du nucléaire permet une présentation exagérément favorable des émissions de gaz à effet de serre de notre pays.

Le Gouvernement apparaît également sous-estimer le principal défi posé par le nucléaire, à savoir le traitement des déchets irradiés dont la durée de vie dépasse l'horizon des prévisions humaines.

L'irrecevabilité de ce projet au regard de la politique menée par le Gouvernement et le Président de la République renvoie à une contradiction idéologique de fond.

Par nature, la politique libérale du Gouvernement est incompatible avec une protection volontariste, efficace et démocratique de l'environnement.

M. Francis Delattre. Alors que dans les anciens pays communistes, cela était parfaitement respecté !

M. Michel Lejeune. Tchernobyl !

Mme la présidente. Monsieur Delattre !

M. Francis Delattre. C'était sûrement l'exemple à recommander et le modèle de société à imiter !

Mme la présidente. Monsieur Delattre, je vous demande de respecter l'orateur.

M. Francis Delattre. Et Tchernobyl ! Il est vraiment mal placé pour parler ! C'est incroyable d'entendre cela !

M. André Chassaigne. Cela suffit !

M. Francis Delattre. Nous n'avons pas de leçons à recevoir de gens qui ont défendu tous les bilans « globalement positifs » !

Mme la présidente. Monsieur Delattre, vous n'avez pas la parole.

M. Francis Delattre. J'ai le droit de m'indigner !

M. André Chassaigne. Provocateur !

Mme la présidente. Monsieur Chassaigne, n'en rajoutez pas !

Monsieur Braouezec, veuillez poursuivre, je vous prie.

M. Patrick Braouezec. Je vois que certains en sont restés au siècle dernier. C'est malheureux !

M. Francis Delattre. Savez-vous où est situé Tchernobyl ? Ce n'est pas en France !

Mme la présidente. Vous ne nous apprenez rien, monsieur Delattre !

M. Francis Delattre. Ah, qu'il est bon d'être communiste dans un pays qui ne l'est pas !

Mme la présidente. Monsieur Delattre, M. Braouezec a seul la parole !

M. Patrick Braouezec. Par nature, disais-je - comme vous m'avez interrompu, je me vois dans l'obligation de me répéter - la politique libérale de ce gouvernement est incompatible avec une protection volontariste, efficace et démocratique de l'environnement. La loi du marché et la logique du profit sont incapables de prévision, d'investissements à long terme d'intérêt général et de précaution. Ce n'est tout simplement ni leur rôle ni leur fonction.

Puisque vous avez évoqué Tchernobyl, vous me permettrez de citer le naufrage de l'Erika, celui du Prestige ou la crise énergétique californienne : ils n'en sont que les illustrations les plus flagrantes et les plus récentes.

M. Francis Delattre. Et le naufrage d'un sous-marin nucléaire russe dans la mer de Barens ?

M. Patrick Braouezec. Je crois utile de livrer, à l'intention de mes collègues de gauche, les propos de l'ancien dirigeant du PDS allemand, Gregor Gizy, dont je fais miennes les paroles.

M. André Chassaigne. Bonne référence !

M. Patrick Braouezec. Il a déclaré : « Je pense que la gauche en général a un nouvel avenir au XXIè siècle. Et cela pour une raison fort simple : la question de la justice sociale - dont la gauche se préoccupe depuis des siècles et qui était presque toujours son thème central - était une question essentielle dans l'économie du XIXè siècle, mais plutôt une question morale. Il en était de même au XXè siècle. C'était une forte question.

« Au XXIè, au siècle présent, et pour la première fois, la question sociale est considérée comme une question existentielle. Elle dépasse de loin le domaine de la morale. Pour un motif fort simple : si je ne résous pas la question sociale, je ne puis davantage résoudre la question écologique ! Et si je ne résous pas la question écologique les bases de la vie seront peut-être détruites.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. C'est vrai !

M. Patrick Braouezec. « Si vraiment il est absolument nécessaire dans l'intérêt de l'humanité que la forêt tropicale au Brésil ne soit pas déboisée, alors je dois résoudre la question sociale au Brésil...

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Tout à fait !

M. Francis Delattre. Pourquoi pas ?

M. Patrick Braouezec. ...car si je ne la résous pas, la forêt sera déboisée.

« Alors la question sociale, par le biais de la question écologique, devient une question essentielle. Et cela représente pour la gauche une toute nouvelle chance, mais la place devant d'énormes défis. L'avantage des mouvements écologiques : ils pouvaient mettre l'écologie à l'ordre du jour ; leur défaut : ils ne l'ont pas suffisamment liée à la question sociale. Et lorsque la gauche aura établi cette relation et proposé en même temps la solution, alors elle a sûrement un avenir. »

Aujourd'hui, les questions sociale et environnementale se rejoignent et l'idée que l'énergie, l'eau, comme l'éducation ou les transports ne doivent pas être traités comme de simples marchandises progresse partout.

Or force est de constater que la politique libérale du Gouvernement participe de la marchandisation des biens communs universels.

La Charte de l'environnement elle-même laisse quelques questions en suspens, dont celle de la justiciabilité. En effet, rien n'est dit sur cet aspect. Où et contre qui toute personne physique ou morale de droit public et privé pourra-t-elle agir ? La commission Coppens a souligné la difficulté de tout dire dans cette charte, mais cela comporte aussi un risque de flou sur les éléments justiciables, même s'il est précisé - ce qui me laisse perplexe - que cette difficulté nécessitera l'intervention complémentaire du législateur. En effet, en quoi consistera-t-elle ?

L'enjeu de l'environnement aurait nécessité que soit précisée, dès son adossement à la Constitution, la question de la justiciabilité. Sans cette précision, la Charte, notamment dans ses articles 2, 3 et 4, risque de n'être, comme la commission Coppens l'a fait remarquer, qu'une démarche politique dont la portée, selon moi, restera éminemment symbolique.

Si le problème de l'environnement est bien un choix politique, sa protection nécessite une identification précise des moyens juridiques mis en place.

L'inscription dans la Constitution de la Charte de l'environnement affirme que la protection de l'environnement est devenu un objectif fondamental de la nation, et qu'elle est mise sur un pied d'égalité avec les autres droits fondamentaux. On ne peut tenir ce principe nouveau pour négligeable. Néanmoins pour qu'il soit réellement effectif, il faudrait que le Gouvernement impose, par exemple, la mise en place de mesures appropriées pour prévenir les dommages lorsqu'ils sont incertains en l'état des connaissances scientifiques. Je me réfère à l'article 5 portant sur le principe de précaution.

Ce principe, déjà introduit dans le code de l'environnement - article L. 110-1 - vise des circonstances exceptionnelles et graves ; sa mise en œuvre ne peut être laissée à l'interprétation d'instances variées. Il doit relever d'un niveau élevé de responsabilité dans l'Etat au risque de créer des inégalités de traitement selon les territoires. En appeler à ce principe - je ne fais que reprendre les propos d'Olivier Godard, chercheur au CNRS, et je vous prie d'excuser mes mauvaises lectures ! - ne règle pas automatiquement le contenu des mesures à prendre. Il faut considérer le niveau de gravité des dommages possibles, l'objectif de sécurité poursuivi, le coût direct et d'opportunité des mesures de précaution et le niveau de consistance et de plausibilité scientifiques des hypothèses de danger considérées.

Isolant ces catégories, je suis contraint, tout comme vous, de constater qu'il y a matière à jugement. Dès lors, le principe de précaution débouche sur la question des procédures d'expertise et de débat qui permettront d'éclairer le jugement des décideurs.

Or la charte n'en dit rien. Il y a bien le tribunal administratif, mais on a constaté, lors d'une marée noire, qu'il avait été saisi sans succès par les pêcheurs et les élus de Bretagne. Il aurait fallu, en l'état, que le Gouvernement prenne ses responsabilités en matière de protection d'environnement et assume son rôle politique, car c'était à lui de se retourner contre le gouvernement américain pour que la plainte ait une chance d'aboutir.

La question est simple : en matière d'environnement, quelle est la juridiction la plus apte à agir ? A quel niveau faut-il agir : national, régional ou international ? Il me semble que la protection de l'environnement mérite une réponse précise dans la charte s'y référant. Or il y a ici un vide.

La seconde question, sur laquelle je souhaiterais que le Gouvernement se positionne plus clairement, concerne le développement durable.

Le rapport d'information note fort justement que le développement durable est un processus de développement qui doit concilier trois piliers : l'écologique, l'économique et le social, en établissant un cercle vertueux entre ces trois pôles. C'est un développement économiquement efficace, socialement équitable et écologiquement soutenable.

Je m'interroge sur la notion de développement économiquement efficace. En effet cet adjectif renvoie à l'idée qu'il devrait y avoir une augmentation durable de la production des biens et des services. Or il est communément admis que cette augmentation s'accompagne de dégâts dus à la croissance, ces derniers étant aujourd'hui souvent plus importants que les biens produits.

Nous sommes face à des problèmes économiques qui divisent les peuples, qui handicapent les relations entre pays riches et pauvres, entre le Nord et le Sud.

Ecoutez cette citation : « Aujourd'hui, l'économie politique ne conçoit la communauté des hommes, leur humanité, leur intégration réciproque pour une existence dans la solidarité, pour une vie vraiment humaine, que sous la forme de l'échange et du commerce. La société est une société commerçante. Chacun de ses membres est un commerçant. » Elle est de Karl Marx. (Sourires.)

Dès lors, comme le relève Geneviève Azam, vice-présidente d'Attac, la société se trouve réduite à une communauté de besoins, et le lien social à un lien économique. Rien d'étonnant à constater que les humains se trouvent instrumentalisés. Rien d'étonnant non plus à ce que la nature soit considérée comme un objet, réservoir de matières premières et de richesses à transformer en produits. Il est vrai que, dans les pays du Nord, on note une baisse relative de l'utilisation des matières premières par rapport à la croissance du PIB. Mais loin d'en tirer les enseignements nécessaires pour l'ensemble du monde, ces derniers incriminent les pays pollueurs du tiers-monde dont la consommation d'énergies fossiles augmente.

La dégradation de l'environnement n'aurait pas pour source majeure l'accumulation frénétique du capital et de la richesse dans les pays riches, mais la pauvreté ou plutôt les pauvres qui ne possèdent pas encore les techniques propres. Penser nos modèles économiques occidentaux en termes universels anéantit l'espoir des droits politiques et sociaux. Cette tentative d'universalisation n'est possible qu'au prix d'une augmentation des inégalités entre le Sud et le Nord, de la mise en place de sociétés répressives pour contenir les revendications et, in fine, de la destruction de la planète.

Toujours selon Geneviève Azam, nous sommes aujourd'hui impuissants à maîtriser la puissance. Nos gouvernants préfèrent gérer les risques, amplifiant ainsi l'idée que les catastrophes sont la figure du destin et de la fatalité. Cette orientation permet ainsi à la société industrielle de ne pas s'imposer de limites à elle-même. La croissance des risques implique la recherche d'un bouc émissaire. Ne faudrait-il pas, face à ce modèle, opposer la décroissance ? Pour ma part, je soutiendrais l'idée d'une décroissance soutenable et solidaire.

Enfin, ce projet est irrecevable du fait de la dévalorisation par votre gouvernement des principes qu'il proclame. Elle découle d'une politique dont les choix dans leur écrasante majorité et des mesures concrètes vont à l'encontre d'une protection volontariste et démocratique de l'environnement, avec l'application des principes de précaution et de pollueur-payeur.

Cette dévalorisation est à mes yeux particulièrement grave et elle accentue la crise du politique. Les proclamations démenties dans les faits et les actes ont un effet dévastateur sur les consciences civiques. Galvaudés, détournés de leur sens, les mots, même les plus beaux, sonnent creux. Le commerce, l'expertise, le marketing et la communication politique participent aujourd'hui de cette usure accélérée des idées et des grands principes. Sur les murs du métro, une grande marque de distribution proclame son engagement en faveur du développement durable. Il est redoutable de penser que le projet de charte qui nous est présenté peut se lire avec autant de circonspection au regard de l'action gouvernementale.

Il serait bien plus salutaire pour la démocratie que le Gouvernement assume ses conceptions libérales et ne se dissimule pas derrière des principes qui ne sont pas les siens.

C'est pourquoi, comme le réaffirmera tout à l'heure mon collègue André Chassaigne, le groupe communiste sera particulièrement attentif à la discussion et à la prise en compte de ses amendements pour se prononcer sur ce texte.

Cela étant, face à l'ampleur des contradictions entre les principes énoncés dans la charte et la réalité de la politique gouvernementale, je vous propose de voter la motion de procédure que je viens de défendre. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à le ministre de l'écologie et du développement durable.

M. Serge Lepeltier, ministre de l'écologie et du développement durable. Monsieur le député, je vais vous donner quelques éléments ponctuels.

Puisque vous avez comparé le budget de l'écologie entre 1997 et 2002 à celui d'aujourd'hui, je tiens à souligner que l'augmentation socialiste était largement virtuelle.

Premièrement, le périmètre du ministère a été accru en y intégrant un certain nombre d'institutions. Il ne s'agissait donc pas d'une progression budgétaire réelle.

Deuxièmement, la politique engagée a été largement portée par des autorisations de programme qui n'ont pas été financées par des crédits de paiement.

M. Guy Geoffroy. Si ce n'était que dans ce secteur !

M. le ministre de l'écologie et du développement durable. Nous en voyons aujourd'hui les conséquences sur le budget de l'année 2004 : nous avons dû aller chercher 210 millions d'euros dans les agences de l'eau pour assurer les financements nécessaires. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Charles Cova. C'est la politique de la gauche !

M. Francis Delattre. Un grand classique !

M. Patrick Braouezec. La vraie question est de savoir si les orientations étaient bonnes !

Mme la présidente. S'il vous plaît, mes chers collègues, laissez M. le ministre s'exprimer !

M. le ministre de l'écologie et du développement durable. On peut toujours, par effet d'annonce, lancer des politiques et laisser aux successeurs le soin de financer leur montée en puissance. C'est exactement ce qui s'est passé à l'époque et nous devrons d'ailleurs en tirer les conséquences pour le budget 2005.

S'agissant de la période 1997-2002, je rappelle que l'un des éléments de la politique de Dominique Voynet qu'elle considérait comme essentiel - l'écotaxe TGAP -, a été en grande partie annulée par le Conseil constitutionnel pour des raisons d'équité fiscale. Aujourd'hui encore, la Charte de l'environnement n'étant pas inscrite dans la Constitution, nous ne pouvons pas prendre de mesures fiscalement pénalisantes pour certains de nos concitoyens qui polluent plus que les autres. C'est un problème d'ordre constitutionnel.

Le seul élément de politique forte en matière fiscale que voulait mettre en œuvre Mme Voynet a donc été annulé parce que l'environnement n'était pas inscrit dans la Constitution. C'est précisément à cela que nous répondons en présentant une Charte de l'environnement.

De la politique menée depuis deux ans en matière d'écologie et dont vous avez fait la caricature, je ne citerai que quelques exemples.

D'abord, nous avons fermé trente-quatre ou trente-cinq incinérateurs qui ne répondaient pas aux normes et qui généraient des problèmes de santé.

Nous avons également mis en œuvre une loi sur les risques industriels et nous avons créé 400 postes d'inspecteur des installations classées, afin d'appliquer les textes votés. En effet, dans notre pays, il est fréquent que ces derniers ne bénéficient pas du contrôle nécessaire à leur application.

Enfin, en matière de bruit, des financements ont été prévus pour s'attaquer à une nuisance qui est considérée par nos concitoyens comme la plus importante.

Concernant les OGM, il a été décidé, en 1999, que l'on pourrait sortir du moratoire lorsque l'étiquetage des produits serait effectif. Cette décision a été prise sous un gouvernement socialiste, avec une ministre de l'environnement du parti vert que vous connaissez bien. En outre, en cas de majorité insuffisante pour ou contre, il a été prévu que la Commission pourrait décider.

Telles sont les décisions collectives qui ont été prises avec le gouvernement que vous souteniez à l'époque.

M. André Chassaigne. Cela ne justifie rien !

M. le ministre de l'écologie et du développement durable. En ce qui concerne les OGM, notre politique vise à distinguer la recherche, dont nous devons promouvoir le développement tout en l'encadrant, de la commercialisation des produits, face à laquelle nous devons faire preuve de vigilance, de rigueur et de transparence, en prenant nos décisions en fonction de l'impact écologique.

La France a d'ailleurs voté contre le BT 11, dès lors que des réserves ont été émises dans la procédure d'instruction et de vérification des produits.

Quant à la politique que nous menons aujourd'hui, je vous rappelle que la procédure de sortie du moratoire a été décidée en 1999.

Vous avez cité deux éléments de la politique menée par la gauche : les transports et l'eau.

S'agissant des premiers, en particulier des transports publics, d'importantes sommes ont effectivement été inscrites dans les budgets, en particulier en faveur des contrats de plan. Toutefois - vous pourrez le vérifier - leur faible consommation jusqu'en 2002 montre qu'il n'y a pas eu un début de commencement d'application.

M. Charles Cova. Eh oui ! C'est ça, la gestion de la gauche ! C'est une constante, chez elle !

M. Francis Delattre. C'est vraiment magnifique ! Voilà la gauche plurielle !

M. le ministre de l'écologie et du développement durable. En ce qui concerne la politique de l'eau, le Premier ministre Lionel Jospin s'était engagé sur une loi que ni Dominique Voynet ni Yves Cochet ne sont parvenus à faire adopter.

M. Guy Geoffroy. Elle a coulé, la loi sur l'eau !

M. Charles Cova. Et ils prétendent maintenant nous donner des leçons !

M. Bernard Deflesselles. Eh oui !

M. le ministre de l'écologie et du développement durable. Or j'ai décidé, en accord avec le Premier ministre, de présenter un projet de loi sur ce sujet avant la fin de l'année. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Pour ce qui est du développement durable et des relations entre écologie et libéralisme, je dirais d'abord, sans volonté de polémique, qu'une véritable politique de l'écologie ne peut être conduite que dans un pays démocratique.

M. Patrick Braouezec. Je suis d'accord !

M. le ministre de l'écologie et du développement durable. Il faut de la démocratie, des corps intermédiaires, une opposition pour défendre l'écologie contre les intérêts particuliers.

M. Patrick Braouezec. Absolument !

M. le ministre de l'écologie et du développement durable. Je tiens néanmoins à rappeler que le développement durable nécessite le progrès économique et le progrès social dans la durée, ce qui implique que ce progrès économique et social préserve les ressources énergétiques et naturelles et permette leur renouvellement. À l'instar du Président de la République à Johannesburg, je peux faire état d'une étude du WWF qui montre que, si la planète entière vivait comme les pays occidentaux, nous aurions besoin, en termes de ressources naturelles et énergétiques, de deux planètes supplémentaires.

M. Patrick Braouezec. Autant dire que ce n'est pas possible !

M. le ministre de l'écologie et du développement durable. Nous devons donc nous inscrire dans une logique assurant à la fois le progrès économique, le progrès social et la défense de l'environnement et de l'écologie.

M. Patrick Braouezec. Une logique de décroissance, donc !

M. le ministre de l'écologie et du développement durable. Eh bien, monsieur le député, nous ne pouvons assurer la défense de ces trois piliers que dans la logique économique actuelle. Il faut intégrer la protection de l'environnement dans les règles économiques, ...

M. Patrick Braouezec. Cela ne suffit pas !

M. le ministre de l'écologie et du développement durable. ...intérioriser, en quelque sorte, les coûts de l'environnement dans les coûts économiques ce que le système libéral permet tout à fait. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. André Chassaigne. Nous constatons le contraire tous les jours !

M. le ministre de l'écologie et du développement durable. Ainsi, par exemple, la TIPP appliquée à la consommation d'essence et de gazole constitue une intégration dans le système économique des charges pesant sur l'environnement.

M. Patrick Braouezec. Vous regardez par le petit bout de la lorgnette !

M. le ministre de l'écologie et du développement durable. Je ne sais pas ce que vous entendez par là. Il s'agit d'économie, en particulier dans le cadre d'un système libéral.

M. François Grosdidier. Regardez ce qui est arrivé dans les pays de l'Est en matière d'environnement !

M. le ministre de l'écologie et du développement durable. Pour terminer, monsieur le député, vous vous souvenez sans doute que nous nous sommes quelquefois retrouvés à Porto Alegre.

M. Patrick Braouezec. Je m'en souviens très bien !

M. le ministre de l'écologie et du développement durable. Vous avez évoqué les notions de globalisation, de mondialisation et d'évolution. Qu'il faille régler les problèmes sociaux pour résoudre les problèmes écologiques, j'en suis d'accord. Il est évident, par exemple, que la résolution du problème de la déforestation au Brésil passe par l'économique et le social. Les trois piliers du développement durable sont solidaires.

Or, pour en avoir encore très récemment discuté avec des ministres brésiliens, chinois ou indiens, je peux vous affirmer que l'on ne tient pas, dans ces pays, le même raisonnement que vous en matière de développement économique. Ils ne réclament pas la décroissance pour les pays occidentaux. Ils savent très bien, en effet, que c'est la croissance de l'ensemble économique formé par les pays développés, les pays émergents et les pays en développement qui permettra de résoudre les problèmes.

C'est pourquoi je suis surpris de vous voir prôner la décroissance. Je ne suis pas sûr que les salariés que vous défendez quelquefois soient si favorables à une réduction de la consommation et à la décroissance économique dans notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Patrick Braouezec. Il faut en discuter avec eux ! De toute façon, j'ai parlé d'une décroissance soutenable et solidaire !

M. François Grosdidier. Cela ne veut rien dire ! Il n'y a pas de décroissance soutenable !

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame et monsieur les rapporteurs, monsieur le président de la commission des affaires économiques, mes chers collègues, je passerai très rapidement sur le choix du groupe communiste de défendre une exception d'irrecevabilité, qui tendrait donc à prouver qu'une modification de la Constitution peut être inconstitutionnelle.

M. Guy Geoffroy. C'est un comble !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Je dois avouer que mes neurones n'ont pas la souplesse nécessaire pour assimiler un tel raisonnement. Je ne vous ferai toutefois pas l'affront, monsieur Braouezec, de prétendre que vous n'aviez pas conscience de cette contradiction.

M. Patrick Braouezec. D'autant plus que l'ai moi-même reconnue !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Je voudrais plutôt essayer de montrer, sans a priori, combien nos préoccupations sont communes et se situent dans le même cadre.

Nous sentons tous en effet au fond de nous-même que nous sommes en train de franchir un pas fondamental. Pour moi, je m'empresse de le souligner, cette affaire n'est ni politique ni partisane.

M. Patrick Braouezec. Mais si !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. C'est l'ensemble d'une société qui, à travers ses représentants, décide de faire en sorte que la planète Terre soit préservée au bénéfice de ses enfants et de ses petits-enfants. Une telle préoccupation dépasse les divisions entre courants ou entre partis. Même si une opposition a toute légitimité à formuler des observations ou des critiques sur un texte du Gouvernement...

M. Christophe Caresche. Merci de l'admettre !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. ...nous aurions tort d'observer ce débat, selon votre propre expression, monsieur Braouezec, par le petit bout de la lorgnette. C'est, au contraire, à partir de la lune, du ciel, qu'il faut considérer notre planète.

Notre république, à travers ses évolutions, nous a fait franchir des étapes successives. La première grande étape a été la proclamation des droits civiques et politiques en 1789. La deuxième, sur laquelle vous avez insisté, a été la reconnaissance des droits économiques et sociaux dans le préambule de la Constitution de 1946. Nous sommes aujourd'hui rendus à la troisième étape : pour la première fois, nous parvenons à concilier l'ensemble du social et de l'économique. A cet égard j'ai été très satisfait d'entendre votre belle citation, monsieur Braouezec, sans pour autant considérer qu'il s'agit de la chance de la gauche. Je dirais plutôt, pour ma part, que c'est la chance de la politique.

M. Patrick Braouezec. La chance de la politique est donc à gauche ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Ne soyez pas réducteur, monsieur Braouezec : vous réduisez votre propre pensée !

À l'évidence, la chance du politique est de pouvoir dire : oui, nous pouvons sauver de la déforestation - donc de la mort - les populations d'Afrique ou d'Amérique du Sud. Si nos politiques occidentales n'ont pas cette capacité, je comprends que l'on fasse autre chose que de la politique.

M. Patrick Braouezec. Croyez-vous qu'à droite, ils défendent cette conception de la politique ?

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Cette exigence doit nous habiter au plus profond de nous-même.

Toute politique qui parvient à concilier développement économique et social avec le respect de l'environnement et de la nature est une politique qui concilie le progrès avec l'homme, c'est-à-dire avec le social.

M. André Chassaigne. Et le profit ?

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. J'y reviendrai dans un instant.

Nous faisons aujourd'hui le pari suivant : pouvons-nous favoriser la croissance économique tout en préservant l'avenir de la planète ?

M. Guy Geoffroy. Bien sûr !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Souvenez-vous du Club de Rome, dans les années soixante-dix, qui préconisait la croissance zéro. Il partait de l'idée selon laquelle la croissance crée de la pollution. Or une étude récente de l'OCDE montre que si toutes les courbes de pollution étaient montantes jusqu'en 1970, elles prennent aujourd'hui la forme d'une cloche, ce qui signifie qu'elles redescendent. Seules deux pollutions continuent à croître : l'effet de serre et les déchets. S'agissant de ces derniers, nous savons, nous qui sommes, pour la plupart, des élus locaux, combien il est difficile de changer la mentalité de nos compatriotes.

M. Patrick Braouezec. Ce n'est pas seulement un problème de changement de mentalité. Il faut aussi savoir imposer des choix !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Il y a peu, on trouvait encore normal de jeter ses déchets au bout du champ. Aujourd'hui, on sait que le respect de l'environnement ne peut plus s'accommoder de telles pratiques.

Vous vous demandez si libéralisme et préservation de l'environnement sont compatibles. Or l'idée du libéralisme est de faire progresser le niveau de vie, la connaissance, la science, la recherche. Vous l'accusez de ne permettre le progrès que dans l'injustice, en oubliant l'homme.

M. Francis Delattre. C'est le contraire de l'asservissement !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Je vous réponds que le rôle du législateur est justement de fixer des limites au commerce. C'est le fondement de l'homme d'échanger et de commercer : au début, il y avait le troc, puis est venue la monnaie. La loi, elle, encadre. C'est ce que nous faisons dans cet hémicycle. Refuser le libéralisme, c'est refuser le commerce. Mais alors, comment vivre entre hommes ? Il faut bien trouver le moyen de vivre ensemble.

Soit vous arrêtez la croissance et le développement - non seulement le développement économique, mais aussi le développement social, donc celui de l'homme -, soit vous acceptez le développement économique, que vous encadrez grâce à une charte qui préserve ce qui nous est commun à tous : l'environnement.

Il est un autre point sur lequel je veux appeler l'attention de notre assemblée, particulièrement celle de notre collègue Braouezec : nous avons voulu, à travers cette charte adossée à la Constitution, faire en sorte que la législation échappe au court terme. Si nous nous contentons de l'approche législative, chaque fois qu'un problème se présentera, l'un d'entre nous réclamera au Gouvernement la rédaction d'un projet de loi afin d'y répondre. Cela signifie être esclave du court terme.

Nous avons, jusqu'à présent, défini le principe de précaution d'une manière intentionnelle, mais pas juridique. Reportez-vous à la loi Barnier : elle dispose que le législateur s'inspire du principe de précaution, mais celui-ci n'est pas défini. Il fallait donc y remédier pour ne pas faire le choix du court terme. En effet, tout le monde emploie cette expression sans vraiment connaître son sens. Permettez-moi donc un rappel quasiment mnémotechnique.

D'abord, il doit s'agir de dommage, et de dommage incertain, c'est-à-dire concernant un domaine où les scientifiques ne sont pas d'accord entre eux. S'ils sont d'accord, ce n'est plus un dommage incertain, mais un dommage connu, et il ne s'agit plus du principe de précaution, mais de celui de prévention.

Ensuite, il faut un risque grave et irréversible - et non l'un ou l'autre - pour l'environnement, c'est-à-dire que le domaine de la santé est écarté. Or beaucoup d'entre nous avaient peur que l'on ne fasse plus rien si la santé était concernée. Songeons aux antennes paraboliques ou aux émetteurs : il se trouvera toujours un administré pour dire à son maire que cela est nuisible à sa santé. Mais il ne pourra pas se fonder sur l'article 5 de la charte qui définit le principe de précaution.

Face à ce risque de dommage incertain, grave et irréversible, affectant l'environnement, il est prévu des décisions de bon sens.

M. Patrick Braouezec. On dit toujours ça !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Cela signifie qu'il faut d'abord évaluer le risque - où va-t-on ? Quel est le type de risque ? - et, ensuite, prendre des mesures proportionnées. Or prendre des mesures provisoires et proportionnées en réponse à un risque de dommage permet sans doute de respecter le principe de précaution, mais je considère surtout que cela est de la prudence élémentaire et du bon sens.

M. André Chassaigne. Le bon sens est souvent à sens unique !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Ceux qui se déclarent opposés au principe de précaution se refuseraient donc à évaluer le risque et à prendre des mesures provisoires et proportionnées.

M. François-Michel Gonnot. Tout à fait !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Je parle d'ailleurs de mesures provisoires parce qu'il n'y a pas de risque zéro dans la société. C'est contingent, la liberté des hommes : on ne sait jamais comment son voisin en usera.

M. Patrick Braouezec. J'aime vous l'entendre dire !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Le risque zéro est donc totalement utopique.

Pour autant, l'homme, avec sa sagesse, sa prudence, peut décider d'évaluer le risque et prendre des mesures provisoires et proportionnées sur le plan économique, c'est-à-dire que le juge, demain, ne pourra pas exiger des mesures excessivement coûteuses, pour un dommage incertain,...

M. André Chassaigne. On n'en sait rien !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. ...alors que ni la commune ni l'État n'en aurait les moyens. C'est du bon sens !

Pourquoi inscrire un tel principe ? Si nous ne le faisions pas, le juge le ferait pour nous, comme cela a déjà été le cas. On voit bien que ce principe est mis à toutes les sauces, par tous types de défenseurs, dans tous types de tribunaux, à tort. Ce ne sera plus possible, parce qu'il sera défini et constitutionnalisé. On pourra parler du principe de précaution au sens large mais, au sens précis et juridique de la Constitution, seulement devant le juge administratif ; vous y avez d'ailleurs fait allusion.

Vous préféreriez que ce soit simplement une exigence constitutionnelle et non un principe d'application directe, mais, si vous renvoyez le principe à la loi pour son application, vous n'avez plus la protection de la Constitution. Le juge européen, en l'occurrence le tribunal de première instance de l'Union européenne, a en effet déclaré, le 21 octobre 2003, que le principe de précaution imposait aux autorités concernées de prendre des mesures appropriées en vue de prévenir certains risques potentiels pour l'environnement en faisant prévaloir les exigences liées à la protection de ses intérêts sur les intérêts économiques. C'est peut-être beau mais cela signifie, en clair, que le principe de précaution appliqué à l'environnement surpasse tous les autres, les principes de droit social et de droit économique en particulier.

Si vous voulez entrer dans la mécanique d'une jurisprudence qui ira bien au-delà de ce que nous propose le Gouvernement, ne constitutionnalisez pas. Si vous voulez au contraire que notre droit de base soit le droit français et qu'aucune jurisprudence internationale ne puisse s'appliquer à nous, il faut voter la constitutionnalisation du principe de précaution. Là réside le débat, et nous n'aurions absolument pas intérêt, parce que nous ne voudrions pas nous en occuper, à nous en remettre au juge. Nous nous en mordrions vite les doigts. Constitutionnaliser le principe de précaution, c'est, je vous l'assure, se donner une sécurité formidable.

De plus, nous sommes, nous les Français, toujours un peu vaniteux, et nous avons même la prétention de penser que notre manière de voir les choses pourrait influencer nos amis de l'Union européenne. Nous aimons bien donner l'exemple. Je ne sais pas si ce sera le cas en l'occurrence, mais nous avons le droit d'avoir une telle ambition parce que nous avons une conception équilibrée de ce principe.

Le juge européen parle de hiérarchie entre le droit à l'environnement et les autres droits, mais, pour nous, c'est une démarche de conciliation. Nous constitutionnalisons le progrès social, le progrès économique et la préservation de notre planète. N'est-ce pas la plus belle ambition pour un parlementaire que de pouvoir dire à nos enfants que nous n'aurons pas perdu notre temps et que nous aurons fait en sorte de sauver la planète, ce que nous ne faisons pas depuis tant d'années sous prétexte de progrès économique, sans mettre en parallèle l'intérêt de l'homme ? Et là, nous nous rejoignons.

Si le législateur ne s'en occupait pas, nous serions tous pieds et poings liés devant l'analyse des experts.

Je ne me lancerai pas, surtout que le ministre de l'environnement en a dit un mot, sur le problème des OGM. Je confesse que je n'y connais à peu près rien. Je sais simplement que, si je ne fixais pas par le droit la règle du jeu, moi, homme politique, je serais obligé de m'en remettre à un expert. L'intérêt de constitutionnaliser, c'est que nous prenons l'initiative. C'est nous, autorité publique, qui disons à l'expert de nous remettre ses conclusions et qui décidons en dernière analyse. Cela constitue un acquis formidable.

M. André Chassaigne. C'est un conte de fées !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Non, c'est la vérité !

Enfin, je voudrais vous lire trois lignes que j'ai la faiblesse de trouver très belles et qui seront ma conclusion : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) La nature, mutilée, surexploitée, ne parvient plus à se reconstituer et nous refusons de l'admettre. »

M. Christophe Caresche. Vous ne nous épargnez rien !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. « L'humanité souffre. Elle souffre de mal-développement, au Nord comme au Sud, et nous sommes indifférents. La terre et l'humanité sont en péril et nous en sommes tous responsables. » Merci d'avoir reconnu des propos tenus par Jacques Chirac dans son discours de Johannesburg. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Christophe Caresche. Il vous en sera reconnaissant !

Mme la présidente. Je ne suis saisie d'aucune demande d'explication de vote.

Je mets aux voix l'exception d'irrecevabilité.

(L'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.)

1

Question préalable

Mme la présidente. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Christophe Caresche.

M. Christophe Caresche. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, l'inscription du droit à l'environnement dans notre Constitution est attendue et espérée par de nombreux Français. Ils ont conscience que les menaces qui pèsent sur l'environnement, donc sur l'homme, imposent des réponses fortes à la hauteur des enjeux et des risques.

La France a pris du retard dans ce domaine, d'abord dans sa politique de préservation de l'environnement : elle donne le sentiment de courir après les difficultés plutôt que de les anticiper.

Elle a pris également du retard sur le plan juridique. En effet, de nombreux pays ont déjà introduit le droit à l'environnement dans leur constitution ; de nombreux textes internationaux et européens s'y réfèrent.

La France dispose d'un droit de l'environnement qui s'est constitué sur des bases disparates par des ajouts successifs, ajouts législatifs certes, mais aussi et surtout réglementaires. Il lui manque cette consécration constitutionnelle qui lui donnera la reconnaissance symbolique mais aussi une force inégalée.

La constitutionnalisation du droit à l'environnement est une étape importante et positive qui rencontre notre adhésion. Plusieurs députés socialistes, je pense en particulier à Ségolène Royal et à Victorin Lurel, ont d'ailleurs déposé des propositions de loi et des amendements en ce sens.

Cependant, la charte de l'environnement telle qu'elle nous est présentée par le Président de la République suscite des interrogations, voire des inquiétudes. Quelle en sera la véritable portée ? Quelles seront ses conséquences juridiques ? Comment seront conciliés les principes contenus dans la charte avec les autres principes reconnus par le Conseil constitutionnel, par exemple la liberté de la recherche ?

Ces questions ne peuvent pas, chers collègues, être renvoyées à la commodité consistant à opposer défenseurs et adversaires de l'environnement. C'est une facilité qui ne résiste pas à l'analyse. Qu'il y ait des réserves liées au refus de voir prendre des mesures contraignantes, dans l'intention de préserver certains intérêts, c'est probable. Que l'on puisse réduire l'ensemble des expressions à cette dimension, c'est faux ! L'Académie nationale de médecine, pour ne prendre que cette institution, ne me paraît pas guidée par une hostilité avérée envers l'écologie et encore moins par la promotion d'intérêts particuliers.

Ces questions, nous devons nous les poser en tant que législateurs et, en l'occurrence, en tant que constituants. Nous n'examinons pas un texte comme les autres. Il s'agit de modifier le préambule de la Constitution, qui n'a jamais été modifié depuis son adoption par voie de référendum. Je ne sais si nous devons le faire la main tremblante, comme nous le recommande Mme la rapporteure, mais nous devons assurément le faire les yeux ouverts.

Nous ne pouvons nous contenter d'approximation, d'incertitude, de flou dans les conséquences qui découleront de l'introduction des principes contenus dans la Charte de l'environnement. Nous ne pouvons nous résoudre à accepter un texte dont nous ne mesurons pas totalement la portée et les conséquences, à moins d'adopter une forme d'esthétisme constitutionnel que je n'approuve pas.

Nous ne pouvons, quelles que soient nos convictions en matière d'environnement, entériner un texte dont la marque serait l'incertitude juridique. Ce n'est pas une question qui oppose les défenseurs et les opposants au droit à l'environnement car l'incertitude joue, si j'ose dire, dans les deux sens. Certains peuvent craindre une interprétation volontariste de la charte, d'autres peuvent s'inquiéter d'une interprétation restrictive. Il n'est pas certain en effet que le juge constitutionnel mais aussi administratif, voire civil - le juge pénal semble écarté -, adopte un point de vue ambitieux en matière d'environnement. Le problème posé par la charte n'est pas tant de savoir si elle va trop loin ou pas assez que de savoir où elle va.

Pourquoi cette incertitude ? Comment expliquer ces interrogations ? Elles tiennent selon moi à deux éléments.

Le premier, c'est la démarche, singulière, révolutionnaire même selon certains - en termes juridiques, je crois que tel est le cas -, choisie par le Président de la République : une charte adossée au préambule de la Constitution. Dans les faits, cette démarche donne au juge constitutionnel mais aussi ordinaire un grand pouvoir d'interprétation. C'est lui qui définira sur bien des points les règles de droit qui s'appliqueront.

Le second élément, qui vient renforcer le premier, c'est le refus par le Président de la République de permettre au législateur de modifier, de préciser le contenu de cette charte. Chacun a bien compris que ce texte était à prendre ou à laisser.

On me dira que cette attitude n'est pas une nouveauté sous la Ve République, qui, à certains égards, est plus une monarchie républicaine qu'une démocratie parlementaire, ce qui est un autre débat, mais, en l'occurrence, cette attitude vient renforcer le dessaisissement du législateur, inscrit dans la méthode retenue pour constitutionnaliser le droit à l'environnement. Le législateur est doublement écarté : il l'est par la démarche constitutionnelle qu'on lui impose ; il l'est aussi par le choix politique qui consiste à lui refuser la possibilité de corriger et d'amender le texte qui lui est soumis. La Charte de l'environnement est un texte décidé et arbitré par l'Élysée, dont l'interprétation et l'application seront pour l'essentiel confiées au juge.

Dans ce scénario, le législateur est un figurant sommé d'entériner son dessaisissement. Peut-on l'accepter ? Non, au regard des compétences qui sont celles des parlementaires dans le processus de révision constitutionnelle. Non plus au regard des incertitudes en matière de contentieux que fait peser l'adoption de la Charte de l'environnement en l'état.

C'est pourquoi je vous soumets cette question préalable. Elle vise à s'opposer au dessaisissement du législateur dans un domaine essentiel. Elle vise à s'opposer à l'incertitude juridique qui en résultera. Elle vise à s'opposer à l'aventurisme constitutionnel que représente la Charte de l'environnement, et je voudrais commencer ma démonstration par ce point.

La Charte de l'environnement constitue une démarche constitutionnelle singulière dont la portée est incertaine.

Les rapporteurs ne s'attardent pas beaucoup, pour ne pas dire pas du tout, sur les débats auxquels a donné lieu le choix de la démarche constitutionnelle de la charte de l'environnement. C'est regrettable car ces débats éclairent très largement les questions que nous avons à traiter aujourd'hui.

Ces discussions ont d'abord eu lieu au sein de la commission Coppens. Plusieurs possibilités ont en effet été envisagées pour constitutionnaliser le droit à l'environnement.

La première, la plus évidente, celle qui a été pratiquée dans tous les pays qui ont constitutionnalisé le droit à l'environnement, consiste à introduire ce droit dans le texte même de la Constitution, et non pas dans le préambule - cela a même été le cas dans des pays qui ont fait précéder leur constitution d'un préambule ou d'une déclaration des droits - et à renvoyer à la loi, au législateur, le soin de préciser les principes permettant de décliner cet objectif. Cette solution n'a pas été retenue par la commission Coppens, car elle n'était pas considérée comme suffisamment ambitieuse, et nous pouvons le comprendre.

Une autre solution a également été envisagée. Elle consistait à accompagner la reconnaissance dans le préambule du droit à l'environnement d'une loi organique qui aurait précisé certaines règles et principes considérés comme essentiels pour la protection de l'environnement.

Cette solution avait, si l'on en croit ce qu'a écrit dans les cahiers du Conseil constitutionnel M. Yves Jegouzo, l'un des deux juristes membres de la commission Coppens, « assez nettement la préférence de la commission Coppens ».

On peut le comprendre à la lecture du rapport de la commission Coppens qui précise : « L'intérêt d'une telle loi organique paraît double : d'une part, la loi organique a pleine valeur normative et, dans la hiérarchie des normes, elle s'impose aux législateurs ordinaires, ce qui confère une prééminence aux principes régissant le droit de l'environnement ; d'autre part, la loi organique permet, mieux qu'un texte constitutionnel nécessairement limité, de préciser certains de ces principes, actuellement reconnus par le droit international ou communautaire mais dont la définition, l'interprétation ou la portée soulèvent de nombreux problèmes. Il en est ainsi notamment du principe de précaution.

« Une loi organique peut également organiser des procédures détaillées destinées à renforcer l'efficacité du droit de l'environnement : par des mesures du type étude d'impact qui assurent la prise en compte de la protection de l'environnement dans toutes les actions publiques ; par des instruments économiques et fiscaux incitatifs comme les permis négociables ou les taxes écologiques. »

Telles sont les conclusions de la commission Coppens sur l'hypothèse d'une constitutionnalisation du droit à l'environnement accompagnée d'une loi organique.

Cette solution avait, semble-t-il, également la préférence du ministère de l'environnement. Un document de ce dernier mentionne en effet explicitement le recours à une loi organique qui permettrait d'« intégrer à un niveau juridique supérieur des principes de responsabilité, de prévention et de précaution ».

Il est vrai que cette démarche paraissait très séduisante : elle donnait une valeur constitutionnelle au droit de l'environnement, elle offrait une valeur normative précise à un certain nombre de principes, ce que nous voulons tous - pas seulement des principes « proclamatoires » mais aussi des principes avec une véritable portée juridique - et elle réintroduisait le législateur au cœur de cette réforme juridique.

Pourquoi cette démarche, qui avait la nette préférence de la commission Coppens, n'a-t-elle pas été reprise par le Président de la République ? Nous aurions aimé, madame la rapporteure, monsieur le président de la commission des lois, avoir votre éclairage sur ce point.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, rapporteure. Vous l'aurez.

M. Christophe Caresche. Ces explications ne figurent pas dans votre rapport, madame la rapporteure.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, rapporteure. Mais si !

M. Christophe Caresche. Pourquoi une démarche constitutionnelle qui paraissait particulièrement adaptée n'a-t-elle pas été retenue ?

Il fallait, semble-t-il, un affichage, une lisibilité, une visibilité politique à la hauteur de l'ambition proclamée, à la mesure du retard pris par la France non seulement dans le domaine juridique mais également dans la conduite de sa politique d'environnement. La France a voulu se hisser au niveau des autres pays à sa façon, avec arrogance et prétention.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Pas du tout !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Vous êtes bien placé pour parler d'arrogance !

M. Christophe Caresche. La loi organique avait le mérite de régler beaucoup de problèmes. Elle avait le défaut de manquer à la majesté qu'il convient à ce genre d'exercice. Exit donc la loi organique, place à la Charte de l'environnement, nouvelle « exception française » selon M. Yves Jegouzo.

La Charte de l'environnement semble avoir autant vocation d'éclairer le monde que d'inscrire simplement, modestement, dans notre ordre juridique, des principes essentiels à la protection de l'environnement. Symbole de cette intention, le balancement conceptuel qui fait de la Charte de l'environnement l'égale de la Déclaration des droits de l'homme et des droits fondamentaux inscrits dans le préambule de la Constitution de 1946.

On me rétorquera que le droit de l'environnement mérite bien une telle considération. C'est bien parce que je le respecte que je me méfie d'une entreprise dont le caractère grandiloquent me semble, par certains aspects, suspect. La Charte de l'environnement pourrait bien se révéler un miroir aux alouettes pour tous ceux qui sont sincèrement attachés à la défense de l'environnement.

Je n'en veux pour preuve que le décalage entre l'action, je devrais dire l'inaction, de ce gouvernement en matière d'environnement - cela a été souligné par M. Braouezec - et « l'ambition » que constitue la Charte de l'environnement. Celle-ci est avant tout un texte d'affichage, un élément de la mise en scène prévue par le pouvoir politique, comme l'écrit le professeur Yves Jegouzo que je cite beaucoup.

Mme Valérie Pecresse. C'est vrai !

M. Christophe Caresche. On le voit, le choix de la démarche constitutionnelle n'a pas été principalement guidé par des considérations juridiques. Il en résulte un certain nombre d'interrogations qui découlent directement de ce parti pris.

La première de ces interrogations porte sur la valeur constitutionnelle de la charte. Si la formule de l'adossement est validée, ce sera une première en droit constitutionnel français. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ainsi que le préambule de 1946 ne sont pas adossés à la Constitution de 1958 mais font partie intégrante du bloc de constitutionnalité depuis les décisions du Conseil constitutionnel de 1971 et 1973. Ces textes n'étaient pas, à l'origine, adossés à la Constitution. C'est le Conseil constitutionnel qui a décidé de les intégrer au bloc de constitutionnalité.

Formellement, l'adossement ne signifie nullement l'intégration dans le bloc de constitutionnalité, monsieur le ministre. D'ailleurs, le Littré rappelle que, « en matière héraldique, deux pièces d'armoiries adossées sont placées dos à dos ». Un esprit malicieux pourrait en déduire que la charte tourne le dos à la Constitution, ce qui n'est pas la meilleure garantie de sa prise en compte sur le plan constitutionnel.

Cet adossement est bien, par certains égards, un objet constitutionnel non identifié. Il appartiendra de fait au juge constitutionnel de dire si la charte fait partie intégrante du bloc de constitutionnalité.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. C'est garanti !

M. Christophe Caresche. On peut penser qu'il le fera, bien sûr, compte tenu de la volonté du constituant, mais ce n'est pas une certitude. Par ailleurs, le fera-t-il pour l'ensemble des articles de la charte ? Ce n'est pas non plus une certitude.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Oh !

M. Christophe Caresche. Le Conseil constitutionnel pourrait en théorie accorder valeur constitutionnelle à certains articles et pas à d'autres. Le concept de « bloc de constitutionnalité » est en fait trompeur. Il donne le sentiment d'une homogénéité qui n'existe pas en réalité.

Le juge constitutionnel a une liberté d'appréciation que la formule choisie d'adossement renforce. C'est lui et lui seul qui, en définitive, fixera la valeur constitutionnelle de la charte. L'intégration directe du droit à l'environnement dans la Constitution aurait certes bouleversé le bel agencement entre la Déclaration des droits de l'homme, le préambule de 1946 et la charte elle-même mais elle aurait eu le mérite de réduire l'incertitude qui subsiste.

La deuxième interrogation concerne la portée normative de la charte.

Cette interrogation essentielle a été soulevée par de nombreux juristes qui déplorent une rédaction insuffisamment précise car cela laissera une très grande latitude au juge. Permettez-moi de les citer.

M. Laurent Fonbaustier, professeur de droit public à l'université de Rennes I, écrit dans les Cahiers du Conseil constitutionnel : « Même si la charte prend le soin d'apporter quelques précisions utiles, une claire distinction entre les éléments symboliques, moraux et juridiques du texte est, pour l'heure, difficile à établir. La clarification dépendra pour une large part de l'attitude du juge constitutionnel. »

Il indique plus loin : « La charte se contente de mentionner des devoirs. Si la connotation morale de ces derniers est évidente, leur traduction juridique l'est en revanche beaucoup moins. »

Il ajoute : « Son interprétation doit éviter le risque de la reconnaissance de droits incertains et vagues qui, par la liberté qu'ils laissent au juge, sont source d'une grande insécurité juridique et qui, par la lecture subjectiviste qu'en font certains, peut faire naître de vrais espoirs qui se traduiront par autant de revendications et de contentieux. »

M. Yves Jegouzo, que j'ai cité abondamment...

M. Charles Cova. Il est encarté au PS, celui-là !

M. Christophe Caresche. ...déclare quant à lui : « L'innovation constitutionnelle que constitue la charte de l'environnement pose plus de questions qu'elle n'apporte de réponses. Qu'elles que soient les précisions qu'apportera le constituant, dans la phase finale du processus d'élaboration, la nature de cette charte est telle qu'elle restera la source de nombreuses incertitudes. »

Je me réfère également aux auditions mentionnées dans votre rapport, madame la rapporteure.

M. Guy Carcassonne, professeur de droit à Paris X-Nanterre, a, je cite le rapport, « montré que le projet souffrait aujourd'hui d'un manque total de hiérarchisation des notions, la distinction, classique en droit constitutionnel, entre objectifs et règles constitutionnels étant absente de la rédaction proposée. [...] Il a jugé qu'en l'absence d'une distinction de ce type, le projet de loi constitutionnelle recelait le risque d'une multiplication irraisonnée des recours, du fait d'une « vaporisation » excessive des droits subjectifs. Il a fait valoir de surcroît qu'elle contraindrait le juge constitutionnel à définir la portée normative de chaque alinéa, en lieu et place du constituant, dont c'était pourtant la responsabilité ».

M. Dominique Chagnollaud, professeur à Paris II-Assas, a « regretté les nombreuses imperfections que recèle la rédaction du projet de loi et de son exposé des motifs, la classification des dispositions de la charte étant parfois malaisée. [...] Évoquant les conséquences de l'adoption de ce projet de loi, il a estimé qu'il appartiendra au Conseil constitutionnel de trancher la question de la valeur respective des principes et des objectifs que comporte ce texte et de concilier ces différentes exigences constitutionnelles. »

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Nous le dirons ici même, en séance. Cela éclairera les juges constitutionnels.

M. Christophe Caresche. Laissez-moi terminer, monsieur le président, parce que je pense que ces citations sont assez éloquentes.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. J'ai le droit de réagir.

M. Christophe Caresche. M. Bertrand Mathieu, professeur à l'université de Paris I-Panthéon-Sorbonne, « a considéré que le texte comportait une source d'insécurité juridique, les différents objectifs constitutionnels qui y sont affirmés pouvant constituer autant de normes de référence ». Dans son manuel de droit constitutionnel, Bertrand Mathieu et son coauteur Michel Verpeaux estiment qu' « il est difficile d'en tirer des conséquences juridiquement déterminées. »

On pourrait multiplier les citations. Toutes insistent sur la difficulté à identifier précisément la portée normative de la charte, c'est-à-dire ses conséquences juridiques.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Non ! C'est très clairement expliqué.

M. Christophe Caresche. Sur quoi porte cette interrogation ?

On a beaucoup parlé du principe de précaution, d'application directe, introduit par l'article 5 - nous y reviendrons - mais l'interrogation porte avant tout sur la manière dont les dispositions de la charte seront conciliées avec d'autres exigences constitutionnelles : le droit de propriété, la liberté du commerce, la liberté de la recherche...

Si le Conseil constitutionnel n'établit pas de hiérarchisation précise entre les droits et les libertés fondamentales qui sont, selon lui, d'égale valeur, il les concilie entre eux à travers un système d'interprétation subtile.

Je cite une nouvelle fois Bertrand Mathieu, professeur de droit reconnu : « Sans que soit établie une véritable hiérarchie entre les droits fondamentaux, certains principes deviennent des principes majeurs, des « principes matriciels » en ce qu'ils engendrent d'autres droits de portée et de valeur différentes.

« En quelque sorte, le juge constitutionnel, a opéré une reconstruction du système des droits fondamentaux. Parmi les principes constitutionnels, il en détermine certains qui forment le soubassement du système des droits fondamentaux. Dans un deuxième temps, il rattache à ces principes matriciels, d'autres principes qui en sont le corollaire ou en développent la portée. »

Outre le fait que la démarche que constitue la charte donne au Conseil constitutionnel cette capacité d'interprétation, ce qui aurait limité une loi organique, on ne peut pas considérer que la charte, dans l'état actuel des choses, soit très éclairante, vous l'admettrez.

Elle pose, c'est vrai, dans son article 6, la nécessaire conciliation entre la protection de l'environnement et le développement économique et social, mais elle s'arrête là. De même, elle ne donne pas d'indication sur la façon dont les différents principes contenus dans les dix articles de la charte vont s'articuler entre eux.

En définitive, c'est le Conseil constitutionnel qui accomplira cette tâche sauf pour quatre principes qui sont explicitement renvoyés au législateur et sur lesquels le Conseil constitutionnel devra effectivement attendre que la loi soit élaborée pour pouvoir se prononcer. Tel sera aussi le cas pour le juge ordinaire car, vous n'êtes pas sans savoir que ce dernier peut contrôler la constitutionnalité d'un acte administratif ou d'un acte de droit privé.

Les juridictions administratives se saisiront bien évidemment de ces principes constitutionnels ; les individus aussi qui ont la possibilité d'invoquer devant un juge le texte même de la Constitution dans un litige privé contre un autre individu pour faire reconnaître la violation par ce dernier des droits fondamentaux qui y sont consacrés. Ce n'est pas en soi une difficulté - nous n'y sommes pas défavorables - mais considère-t-on que la charte est suffisamment précise pour cela ? Telle est la question que je pose.

Certains ont d'ailleurs considéré que la charte comportait, en l'état, un risque sérieux de subdélégations en chaîne. Suivant quelle expertise technique, en effet, le Conseil constitutionnel appréciera-t-il la portée de tel ou tel principe ? En l'absence de cette expertise, il fera « appel à l'expertise de laboratoires scientifiques indépendants, de sorte que le choix de ce qui est possible et impossible en matière d'environnement pourrait glisser du constituant à des experts privés ». C'est en tous les cas ce que M. Guy Carcassonne a déclaré lors de son audition par la commission des lois.

Cette incertitude pèse également sur l'application qui sera faite du principe de précaution.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. À tort !

M. Christophe Caresche. Il faut être précis. Cette question a beaucoup focalisé les débats, peut-être à tort, car ce principe figure déjà dans notre droit, et vous vous êtes relayés pour développer cette argumentation. Je ne pense pas, pour ma part, qu'il puisse fonder une responsabilité pénale comme certains le redoutent, car aucune incrimination n'est prévue. A cet égard, je partage la position du ministre.

Le problème n'est pas tant l'introduction de ce principe dans la charte, qui me semble justifiée, que l'insuffisance de l'encadrement procédural dont il fait l'objet. Là encore, nous sommes confrontés à des interrogations. Pour reprendre les termes de Bertrand Mathieu et Michel Verpeaux...

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Juristes célèbres !

M. Christophe Caresche. Eh oui, comme un certain nombre de juristes qui n'ont pas beaucoup eu la parole dans ce débat.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Parce qu'ils ne sont pas législateurs !

M. Christophe Caresche. Il s'agit tout de même d'un problème constitutionnel, et vous en êtes en quelque sorte garant, monsieur le président de la commission des lois !

Comme l'expriment donc Bertrand Mathieu et Michel Verpeaux dans leur ouvrage Droit Constitutionnel, « sa portée juridique est relativement incertaine ».

De nombreux juristes insistent, en particulier, sur le statut de l'expertise. Quel sera le pouvoir scientifique habilité à constater une probabilité de risque suffisamment précise pour que les pouvoirs publics mettent en œuvre une procédure d'interdiction ou de suspension ?

« Comment constituer ces instances, quelles procédures appliquer pour que la règle du contradictoire, la transparence, soient respectées ? » s'interroge M. Yves Jégouzo dans les Cahiers du Conseil constitutionnel. M. Michel Prieur, qui n'est pas, pour autant que je sache, un opposant à la Charte de l'environnement, ne dit pas autre chose quand il écrit, également dans les Cahiers du Conseil constitutionnel : « La reconnaissance scientifique est souvent incertaine, aussi peut-on se demander qui déterminera que le degré d'incertitude a atteint le seuil de déclenchement du principe de précaution ». Il suggère alors des garanties procédurales intéressantes pour définir ce statut de l'expertise.

Malheureusement, ces garanties ne figureront pas dans la charte, alors que le principe est d'application directe. C'est le juge qui, en réalité, les précisera. Espérons qu'il lira Michel Prieur !

On le voit, l'insuffisante précision de la charte et l'absence de hiérarchisation entre les principes qui y figurent laissent une grande marge d'interprétation par excès ou par défaut. Ce qui caractérise cette charte, c'est, à bien des égards, son indétermination.

Face à ce constat, il appartenait au législateur - qui est aussi, pour la circonstance, constituant - de lever les ambiguïtés liées à la rédaction de la charte.

Toujours, selon M. Guy Carcassonne,...

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, rapporteure. Quel succès ! (Sourire.)

M. Christophe Caresche. Ce n'est pas la plus mauvaise des références en matière constitutionnelle.

M. Guy Geoffroy. Ni la meilleure !

M. Christophe Caresche. J'en ai cité beaucoup d'autres.

Selon M. Guy Carcassonne, donc, « il suffit de laisser les assemblées faire leur travail, mais il le faut ».

Il était possible et nécessaire de reprendre certaines rédactions, de préciser la portée des droits et des devoirs, toutes choses qui nous ont été largement suggérées, qui pouvaient se faire sans drame et qui auraient permis d'aboutir à un texte convenable. Ce travail n'a pas été possible.

Vous avez, certes, procédé à de nombreuses auditions, madame la rapporteure, mais on ne peut pas dire qu'elles vous aient beaucoup inspirée. (Murmures sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Ce n'est pas un jugement de valeur !

On a eu le sentiment que vous étiez postée là, comme une sentinelle, destinée à dissuader les incursions, les velléités et non pas comme l'animatrice d'un travail collectif. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Pierre Blazy. C'est hélas vrai !

M. Guy Geoffroy. Au contraire !

M. Francis Delattre. C'est sévère !

M. Christophe Caresche. Manifestement, vos consignes étaient strictes et vous les avez respectées à la lettre. Mais, ce faisant, vous n'avez pas rendu service au travail parlementaire, ni, surtout, à la défense de l'environnement. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Francis Delattre. Vous étiez meilleur au début de votre intervention !

M. Guy Geoffroy. Ça se délite, ça se dégrade !

M. Christophe Caresche. Nous traitons de sujets sérieux. Je crois m'être efforcé de ne pas être polémique et de développer des arguments.

M. Francis Delattre. C'est vrai, mais il faut continuer !

M. Christophe Caresche. S'il est un lieu où ils doivent être entendus, c'est bien l'Assemblée nationale !

M. Francis Delattre. Tout à fait !

M. Christophe Caresche. À l'issue de l'examen du texte par la commission des lois, pratiquement aucun des amendements présentés n'a été retenu. Certains de nos collègues ont même été priés de retirer leurs amendements en commission ; je n'avais jamais vu cela ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Aucune des pistes suggérées par les éminentes personnalités que je viens de citer, qui ont été auditionnées, n'a été véritablement explorée. Ce texte devait rester en l'état.

M. Francis Delattre. Non, ce n'est pas vrai !

Vous avez même voté contre un amendement presque identique à l'un de ceux que vous aviez présentés !

M. Christophe Caresche. C'est regrettable, car, malgré ses tares congénitales, il était possible d'améliorer la Charte de l'environnement, ...

M. Francis Delattre. Nous l'avons fait !

M. Christophe Caresche. ...de réduire les incertitudes qu'elle comporte et de minimiser son insécurité juridique. En refusant ce travail, qui est pour le législateur un devoir, vous confirmez que seule l'intention vous intéresse et que compte seul l'affichage. Cette démarche créera beaucoup de désillusion et de confusion.

C'est pourquoi, chers collègues, je vous invite à voter la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. le garde des sceaux. Monsieur Caresche, je partage votre souci que l'on vote les yeux ouverts. C'est ce que l'Assemblée nationale sera en mesure de faire au terme de ce débat.

Vous m'avez interrogé sur la signification de la charte. Elle est très claire, et vous reconnaissez vous-même que la constitutionnalisation de l'environnement était nécessaire. Quant à sa portée, je l'ai déjà souligné dans mon intervention liminaire, elle est claire aussi : toute la charte aura valeur constitutionnelle et la portée des différents articles sera variable, l'article 5 étant seul d'effet direct, les autres articles, qui définissent des objectifs à valeur constitutionnelle, devant être développés par des lois.

Vous avez évoqué l'hypothèse d'une réforme constitutionnelle suivie d'une loi organique, alors que, lors du débat sur la loi constitutionnelle relative à la décentralisation, que j'avais eu l'honneur de défendre ici, vous nous aviez reproché de renvoyer à une loi organique.

M. Christophe Caresche. Cela n'a rien à voir !

M. le garde des sceaux. La logique de votre raisonnement n'apparaît pas très clairement ; mais il est vrai que le sujet était différent.

Restons-en donc au dossier qui nous occupe aujourd'hui : renvoyer l'application du principe de précaution à la loi organique revenait à lui retirer son effet direct et à prolonger une incertitude juridique que lève, justement, la définition de ce principe dans l'article 5.

M. André Chassaigne. Cela ne lève rien du tout !

M. le garde des sceaux. Vous parlez, par ailleurs, d'un effet d'affichage. Or, vous le savez, de nombreuses associations et un grand nombre de personnes qui réfléchissent à ces sujets considèrent ce processus de réforme constitutionnelle comme un grand pas en avant. Il justifie les longs débats qui ont eu lieu en commission et le temps consacré par de nombreux parlementaires - dont vous-même - à la préparation de la séance de ce jour. Parler d'affichage ne me semble pas opportun : il s'agit d'un vrai progrès.

Vous avez également tenté, en citant quelques universitaires, de dénoncer le flou des objectifs et des règles constitutionnelles de la charte. Or, je le répète, la situation est simple : l'article 5 fixe une règle constitutionnelle alors que les autres articles établissent des objectifs constitutionnels. Comme vous le savez, le travail du juge consiste justement à concilier différents objectifs constitutionnels. Telle est la fonction du Conseil constitutionnel selon la Constitution de la Ve République. Les objectifs constitutionnels ne créent pas directement des droits pour les citoyens, mais instituent une obligation d'agir, dont les modalités doivent être définies par le législateur.

J'ajouterai un complément utile à vos citations en citant moi aussi, le professeur Guy Carcassonne, qui a déclaré d'emblée qu'il n'éprouvait, sur le fond même du texte proposé, ni états d'âme, ni regrets, ni réticences. (Sourires et applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, rapporteure. Je laisse à notre collègue Guy Geoffroy le soin de répondre sur l'essentiel, mais je tiens, ayant eu le sentiment d'être mise en cause personnellement,...

M. François Grosdidier. C'est vrai !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, rapporteure. ...à reprendre deux points.

Tout d'abord, vous affirmez que la proposition de recourir à une loi organique plutôt qu'à une modification du préambule aurait eu la préférence de la commission Coppens. Qu'elle ait séduit le professeur Jégouzo, j'en conviens, mais il est moins certain qu'elle ait convaincu la commission elle-même.

Vous affirmez également que cette proposition n'a pas été étudiée dans mon rapport. Je m'inscris en faux contre cette affirmation, et vous renvoie aux pages 20 à 27 qui exposent précisément les deux arguments qui ont conduit à ne pas retenir cette option, car elle n'était sans doute pas la bonne : d'abord, les lois organiques sont des lois d'organisation de la République et n'ont pas vocation à énoncer des droits ; ensuite, une loi organique ne nous prémunirait pas contre le flou de la jurisprudence communautaire que nous déplorons tous.

Je comprends mal comment vous pouvez à la fois vous féliciter du caractère révolutionnaire du texte et en reconnaître l'urgence, tout en proposant une loi organique, un moyen beaucoup moins fort et qui ne prend certainement pas toute la mesure des enjeux.

Vous avez fait, par ailleurs, de nombreuses références aux auditions de constitutionnalistes que nous avons menées en commission. Si je me réjouis que vous ayez lu avec une telle attention les comptes rendus des auditions, je déplore que vous ayez négligé le rapport qui y répond. En effet, l'audition à laquelle vous vous référez, qui a eu lieu au mois de décembre, a soulevé différents problèmes que nous nous sommes attachés à résoudre au cours des travaux que nous avons menés entre janvier et mars.

Je vous renvoie, à cet égard, à la liste des nombreuses personnalités, juristes notamment, que nous avons auditionnées, qui nous ont permis de préciser des points aussi importants que la distinction nécessaire entre objectifs constitutionnels et principes, ou bien la nécessité d'un exercice de conciliation et de déclinaison législative pour les objectifs constitutionnels, auxquels s'appliquera la mécanique usuelle. Il appartiendra au législateur de concilier les principes de l'environnement avec d'autres principes ou règles, comme la propriété ou l'égalité. Le Conseil constitutionnel exercera un contrôle minimum - c'est l'« effet artichaut » que j'ai évoqué - et le rôle des experts sera, comme à l'ordinaire, d'informer le législateur avant que le débat politique ne tranche.

J'ai le sentiment que vous n'avez fait que confirmer la gêne que vous éprouvez face à ce texte. (Murmures sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Blazy. À droite, c'est pire que de la gêne !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, rapporteure. Vous reconnaissez votre intérêt mais vous ne voulez pas vous résoudre à ces bons sentiments. C'est ce qu'a illustré votre comportement en commission : ayant déposé un amendement sensiblement identique à celui de notre collègue Francis Delattre, vous avez refusé de voter le sien. Tout cela ne manque-t-il pas un peu d'honnêteté intellectuelle ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. Je ne suis saisie que d'une seule explication de vote sur la question préalable.

La parole est à M. Guy Geoffroy, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.

M. Guy Geoffroy. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre collègue Christophe Caresche, avec la débauche d'arguments avancés à l'appui de la question préalable qu'il défendait, a montré, comme le disait justement Nathalie Kosciusko-Morizet, la gêne de nos collègues socialistes face à ce texte qui est, pour reprendre ses propres termes, « attendu et espéré ».

Il a d'abord souligné le retard pris dans l'action comme dans le droit. A cet égard, quelques rappels s'imposent.

Je souligne d'abord que, de 1981 à 2002, soit pendant vingt et un ans, vous avez été au pouvoir durant quinze ans. Nous ne l'avons été que pendant six ans, mais c'est au cours de cette période que la loi Barnier a été élaborée et votée. Elle constitue aujourd'hui un élément important et palpable de notre droit de l'environnement.

Je mentionne aussi l'action menée, dès les années soixante, sous le général de Gaulle, et qui a abouti aux premières lois sur l'eau, puis la création du premier ministère de l'environnement sous l'autorité du président Pompidou. Mais faut-il le rappeler une fois de plus ?

Votre gêne et la débauche de propos censée la masquer témoignent de ce que, en matière d'environnement comme en d'autres, vous n'êtes nullement une référence et que vous n'avez aucun monopole auquel prétendre.

Monsieur Caresche, vous avez évoqué, pour justifier cette question préalable, deux arguments essentiels sur lesquels je vais revenir.

Le premier concerne la démarche : vous avez prétendu que la démarche d'adossement de la Charte de l'environnement à la Constitution fragilisait le caractère constitutionnel de cette charte. Je vous renvoie tout simplement à la lecture des deux articles de ce projet de loi constitutionnel. Ils montrent bien que nous nous situons, de la première à la dernière ligne, dans un texte constitutionnel qui a donc, en tant que tel, valeur de loi fondamentale dans tous ses paragraphes et dans tous ses articles.

Dès lors, prétendre que ce projet de loi était à prendre ou à laisser et que le législateur en serait dessaisi me semble à la fois contraire à la réalité de nos débats et à notre volonté commune - je crois sincèrement que vous la partagez - de sensibiliser nos concitoyens à la grande question de notre responsabilité de législateur par rapport à la dimension écologique de notre action. Comment pouvez-vous prétendre que le législateur est dessaisi alors même que nous sommes ici constituants, chargés de graver dans le marbre de nos institutions des éléments dont vous avez regretté vous-même qu'ils ne l'aient pas été plus tôt ?

M. Claude Goasguen. Très bien !

M. Guy Geoffroy. Selon vous, monsieur Caresche, nous n'aurions été que des figurants ; s'il y a eu un figurant, c'est plutôt la représentation socialiste au sein de la commission des lois.

M. Christophe Caresche. Oh !

M. Guy Geoffroy. Elle s'est contentée de sourire quelquefois de nos discussions et de gloser sur nos difficultés à débattre d'un texte qui, il est vrai, ne fait toujours pas l'unanimité parmi nous. Néanmoins je dois attester ici, au nom du groupe UMP, que le débat n'a eu lieu qu'entre nous. Je m'en félicite, car il est bien que nous soyons capables de reconnaître, devant nos concitoyens, que nous avons des différences d'approche et d'appréciation sur des questions aussi importantes que celle-ci tout en sachant, ensemble, conjuguer nos intelligences pour les réduire et les faire évoluer.

De ce fait, le groupe UMP constate que, grâce à tout ce travail que nous avons accompli et auquel vous avez si peu contribué, le texte est encore meilleur à la sortie des commissions que le projet initial. J'en veux pour preuve cet excellent amendement proposé par nos collègues Francis Delattre et Valérie Pecresse (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste) auquel un grand nombre d'entre nous adhère avec beaucoup de vigueur. Cet amendement donnera au texte constitutionnel une portée encore plus grande.

Les principes inclus dans le projet initial ont déjà une valeur considérable, mais, grâce au travail effectué sur nous-mêmes et au profit de nos concitoyens, nous avons abouti à cet amendement véritablement révolutionnaire qui, je n'en doute pas, sera voté par notre assemblée et par le Sénat. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Christophe Caresche. Oh la ! la ! Une révolution !

M. Guy Geoffroy. Oui, c'est une révolution que d'inscrire enfin dans l'article 34 de notre constitution que l'ensemble des questions environnementales relève désormais du domaine de la loi.

Mme la présidente. Monsieur Geoffroy, veuillez conclure.

M. Francis Delattre. Son intervention relève le niveau !

M. Guy Geoffroy. Je veux à mon tour vous livrer quelques citations, monsieur Caresche.

Mme la présidente. Pas trop parce que vous avez déjà largement dépassé le temps qui vous est imparti.

M. Jean-Pierre Blazy. Ce n'est pas une explication de vote, mais un discours !

M. Guy Geoffroy. Lors de nos auditions, nous avons entendu le professeur Hubert Reeves. Il nous a dit que l'humanité était la cause de la crise de la vie terrestre, que nous étions potentiellement à la fois victimes et sauveurs de la planète. Il nous a invités à mettre en place cette charte de l'environnement car nous devons être volontairement optimistes. C'est une nécessité et ce texte incite à l'optimisme.

Vous demandiez, cher collègue, de lever les ambiguïtés. Le meilleur moyen de les lever, c'est d'aller avec force, détermination et conviction au bout de notre démarche, donc de refuser de voter la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme la présidente. Je mets aux voix la question préalable.

(La question préalable n'est pas adoptée.)

Discussion générale

Mme la présidente. Nous abordons la discussion générale.

La parole est à Mme Ségolène Royal, premier orateur inscrit.

Mme Ségolène Royal. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous en arrivons à la discussion de ce projet de loi constitutionnel. Ce texte a connu quelques vicissitudes avant d'être, enfin, inscrit à l'ordre du jour de notre assemblée. Il aura fallu, paraît-il, que le Gouvernement fasse preuve de beaucoup de force de conviction auprès des parlementaires de la majorité, et même auprès du président de la commission des lois, lequel a heureusement changé d'avis depuis. (« Non ! Non ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Francis Delattre. C'est faux !

Mme Ségolène Royal. Il déclarait en effet le 21 novembre 2002, devant notre commission des lois, que, si l'on constitutionnalisait la Charte de l'environnement, il faudrait demain faire de même pour d'autres chartes. Il ajoutait qu'à force de multiplier les ajouts, ce ne serait plus la Constitution, mais la Bible. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Blazy. C'est dur, monsieur le président de la commission !

M. Claude Goasguen. C'est son chemin de Damas !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. J'assume. Il n'y a que les imbéciles qui ne changent jamais d'avis ! (Sourires.)

Mme Ségolène Royal. Je suis heureuse de constater, monsieur le président de la commission des lois, qu'aujourd'hui vous soutenez cette démarche constitutionnelle.

M. Jean-Pierre Blazy. Eh oui !

Mme Ségolène Royal. Il paraît aussi que le Président de la République a dû se fâcher. Il faut sans doute remercier également Nicolas Hulot, qui a dû se mettre en colère, ainsi que beaucoup de personnalités de la commission Coppens, pour avoir demandé au chef de l'Etat de tenir ses engagements.

Ainsi que l'a souligné Christophe Caresche, si nous ne sommes pas dupes de l'effet d'affichage, il est clair que, eu égard au droit de l'environnement et à l'inscription du principe de précaution dans la Constitution, le groupe socialiste aborde ce débat de façon positive. Nous sommes prêts à vous rejoindre sur ce point, messieurs les ministres, si une partie au moins de nos amendements est retenue et, ce qui est plus important peut-être, si vous vous engagez à mettre en conformité vos actes avec vos déclarations de principe.

M. Jean-Pierre Blazy. Ce n'est pas sûr !

Mme Ségolène Royal. Messieurs les ministres - je m'adresse plus particulièrement au ministre de l'écologie et du développement durable - la majesté constitutionnelle ne pourra plus s'accommoder du double langage actuel. J'en prendrai trois exemples dans l'actualité.

Le premier porte sur la levée du moratoire sur l'importation du maïs transgénique.

Mme Valérie Pecresse. C'est vous qui l'avez signé !

Mme Ségolène Royal. Comment se fait-il que la loi du commerce l'ait emporté de façon aussi cynique sur le principe de précaution que vous nous proposez d'inscrire dans la Constitution ? Elle l'a même emporté avec un obscurantisme qui confine parfois à l'absurde, ...

M. Francis Delattre. Ah ça !

Mme Ségolène Royal. ...à voir la réaction des industriels du maïs - eux-mêmes très inquiets des annonces de levée du moratoire - car celles-ci ont un impact très direct et immédiat : elles favorisent la baisse de la consommation du maïs en France en jetant le trouble et le discrédit sur ce produit.

M. François Sauvadet. Il y a un étiquetage !

Mme Ségolène Royal. L'étiquetage ne suffit pas.

Les industriels du maïs en ont déjà fait l'expérience lors des précédentes annonces de levée du moratoire. Ils vont devoir faire face à un effondrement de la consommation. Les consommateurs eux-mêmes ont déjà tranché cette question...

M. François Sauvadet. Ce n'est pas évident !

M. Francis Delattre. En fonction de quoi ?

Mme Ségolène Royal. ...alors que vous avez annoncé une nouvelle consultation publique. C'est une mauvaise action, monsieur le ministre de l'écologie. C'est la passivité et le double langage de votre gouvernement qui ont rendu possible une telle situation. En effet, comme vous l'avez reconnu tout à l'heure, le Conseil européen est resté paralysé entre les deux camps, et, au bout de trois mois, c'est la Commission qui a tranché. Or, en matière d'environnement, il faut que le politique prenne ses responsabilités et qu'il n'y ait pas de double jeu.

Vous savez bien, monsieur le ministre de l'écologie, l'effet qu'a produit le vote de la France, le 18 février 2004, en faveur de l'importation du maïs NK 603 modifié génétiquement par Monsanto, lors d'une réunion des Quinze sur le sujet. C'est ce revirement qui a conduit à la levée de fait du moratoire.

Le ministre de l'agriculture a fait une déclaration assez surprenante : « Je ne suis pas un fanatique des OGM ». Mais personne ne lui demande d'être fanatique ou de ne pas l'être ; il doit simplement appliquer les principes. Vous nous appelez aujourd'hui à inscrire le principe de précaution dans la Constitution alors que ce principe n'a pas été respecté et que la France n'a pas joué politiquement son rôle pour s'opposer à la levée du moratoire.

M. Jean-Pierre Blazy. La France a fait semblant !

M. Francis Delattre. Il y a eu des études européennes qui ont duré cinq ans !

Mme Ségolène Royal. Nous souhaitons donc que, dans la dynamique positive que j'évoquais à l'instant, la constitutionnalisation du principe de précaution s'accompagne d'un revirement de la position du Gouvernement. Nous espérons que, lors d'un prochain conseil des ministres de l'agriculture, vous serez présent, monsieur le ministre, pour imposer la prise en compte du principe de précaution et pour remettre en cause la levée du moratoire. Vous n'étiez pas au ministère en février ; il vous appartient donc d'assumer la responsabilité de ce revirement, compte tenu de vos convictions.

Notre position sur les OGM s'articule autour de sept idées, qui pourraient devenir la position de la France.

En premier lieu, s'agissant de la recherche, nous sommes pour la recherche fondamentale sur les OGM, afin, notamment, de déterminer leur impact sur la santé et sur l'environnement. Cependant il faut que cette recherche s'opère sur des sites fermés, en nombre limité, et qu'elle soit conduite dans la transparence par les organismes publics.

M. Francis Delattre. Mais il faudrait pour cela ne pas détruire les OGM !

Mme Ségolène Royal. En deuxième lieu, nous sommes favorables à une transparence garantie et à un libre choix assuré. L'étiquetage des produits contenant des OGM ou issus d'animaux nourris avec des OGM relève de la transparence de l'information. C'est un droit essentiel pour le consommateur comme pour l'ensemble de la filière agro-alimentaire.

M. François Sauvadet. C'est déjà le cas !

Mme Ségolène Royal. Ce n'est pas encore le cas puisque toute récolte devrait faire l'objet d'une traçabilité efficace et donner lieu à l'étiquetage de tout produit commercialisé, même après transformation.

En troisième lieu, nous sommes contre toute levée du moratoire européen à l'importation de nouveaux OGM. En effet, l'état actuel des connaissances ne permet pas de lever les inquiétudes ayant abouti à sa mise en œuvre.

En quatrième lieu, nous désapprouvons les essais transgéniques menés en plein champ, compte tenu des incertitudes et des risques de dommages irréversibles pour l'homme et pour l'environnement. Étant donné l'évolution des connaissances, nous ne nous reconnaissons pas aujourd'hui dans certaines décisions prises par le passé.

En cinquième lieu, nous sommes hostiles au brevetage du vivant et au pillage par les multinationales des ressources génétiques qui constituent le patrimoine commun de l'humanité.

En sixième lieu, nous sommes opposés à la diffusion trop précoce et trop rapide, par des multinationales à la recherche de profit, de plantes génétiquement modifiées. Cette stratégie commerciale connote négativement l'ensemble des travaux de génie génétique, y compris ceux qui, menés à leur terme, pourraient s'avérer très bénéfiques en matière de santé publique.

Enfin, nous sommes pour un juste partage entre le Nord et le Sud des avantages découlant d'éventuelles utilisations des ressources génétiques existantes. Celles-ci doivent rester dans le domaine public et la France doit faire entendre sa voix sur la question du partage Nord-Sud. Les avantages financiers et technologiques qui seraient partagés devraient notamment être réinvestis dans la conservation de la biodiversité.

Le deuxième exemple tiré de l'actualité concerne l'interdiction du Régent et du Gaucho, tandis que le ministre de l'agriculture donnait l'autorisation aberrante d'en utiliser les stocks.

Je vous rappelle que le Gouvernement n'a pas décidé seul cette interdiction. Celle-ci provient d'une décision du tribunal appuyée sur une expertise, qui est d'ailleurs très intéressante à lire. Cette expertise montre que le fipronyl, dès lors qu'il est intégré dans la chaîne alimentaire, a des conséquences très dangereuses sur la santé publique, notamment sur la santé du fœtus. C'est en raison de cette dangerosité que le Régent a été prohibé. Comment se fait-il, monsieur le ministre de l'écologie, que le ministère de l'agriculture ait pourtant autorisé l'utilisation des stocks ? Je pense qu'il faut intervenir sur ce point.

La région Poitou-Charentes, que je préside, délibérera très prochainement pour interdire l'utilisation de ces stocks. Nous sommes en train de négocier leur rachat pour préserver la santé publique.

Dans ces conditions, je souhaite que le ministère de l'environnement accompagne l'ensemble des régions qui s'engageront dans des actions de ce type. Mais, là aussi, nous sommes devant une contradiction entre le discours et les actes.

Cependant, dès lors que le principe de précaution sera inscrit dans la Constitution, vous serez fondé, monsieur le ministre de l'environnement, à imposer à votre collègue de l'agriculture d'autres règles d'utilisation et de fonctionnement.

Le troisième sujet d'actualité concerne les essais d'OGM en plein champ.

Comme vous le savez, l'ensemble des régions présidées par des présidents socialistes...

M. François Sauvadet. Presque toutes ! (Sourires.)

Mme Ségolène Royal. ...ont pris des délibérations relatives à l'interdiction des essais et des cultures d'organismes génétiquement modifiés en plein champ. Elles se sont appuyées, pour ce faire, sur le principe de précaution et sur l'incompatibilité entre les expérimentations en plein champ et le développement de l'agriculture biologique, de l'agriculture traditionnelle de qualité et des différents labels.

Compte tenu de cette incompatibilité, il nous a semblé que nous étions fondés à adopter une délibération sollicitant les maires, qui sont responsables du pouvoir de police, à prendre des arrêtés d'interdiction de cultures d'OGM en plein champ. Ils l'ont fait en respectant la jurisprudence, c'est-à-dire en prenant des arrêtés circonstanciés : limités dans le temps - un an - et dans l'espace, l'interdiction s'appliquant à un rayon de trois kilomètres.

Or, monsieur le ministre de l'environnement, je découvre aujourd'hui même avec stupéfaction un courrier du préfet des Deux-Sèvres qui, en votre nom, vient d'adresser aux maires leur demandant de retirer ces actes et les menaçant de déférer leurs arrêtés devant les tribunaux administratifs.

M. le ministre de l'écologie et du développement durable. C'est normal  !

Mme Ségolène Royal. Nous irons donc au contentieux, en espérant la même évolution jurisprudentielle que celle des tribunaux civils, lesquels ont interdit l'utilisation du Régent au nom du principe de précaution.

Si l'Assemblée vote l'inscription du principe de précaution dans la Constitution, vous avouerez, monsieur le ministre de l'environnement, qu'il y aura une sacrée contradiction, une contradiction insupportable sur le plan politique entre, d'un côté, les belles déclarations que vous faites ici sur le principe de précaution et, de l'autre, le fait d'envoyer vos préfets...

M. Jean-Pierre Blazy. Absolument !

Mme Ségolène Royal. ...tenter de faire annuler les délibérations des maires qui, au nom de ce même principe de précaution et du développement de l'agriculture biologique, interdisent les expérimentations en plein champ sur le territoire de leurs communes. Les citoyens apprécieront. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste

M. François Sauvadet. Le débat est bien parti !

M. Pascal Clément, président de la commission. Cela ne relève pas de leurs compétences de maire. C'est de la démagogie ! Vous dites un peu n'importe quoi, madame Royal !

Mme Ségolène Royal. Si, c'est de la compétence des maires de prendre des arrêtés.

M. Pascal Clément, président de la commission. Vous faites de la démagogie fondée sur de la sottise ! C'est dommage ! Et dire que vous avez été juge au tribunal administratif !

M. François Grosdidier. Eh oui ! La mauvaise foi s'en mêle !

Mme Ségolène Royal. Monsieur Clément, vous êtes président de la commission des lois et vous ne savez pas que le maire a un pouvoir de police ?

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Pas d'arguments politiciens ! Soyez juriste ! C'est triste d'être démagogue à ce point-là !

Mme la présidente. S'il vous plaît, pas de dialogues ! Mme Royal a seule la parole !

Mme Ségolène Royal. Vous êtes gêné, monsieur Clément. Je connais vos méthodes.

M. Pierre Hellier. Un maire peut évidemment prendre des arrêtés mais pas sur n'importe quoi !

Mme Ségolène Royal. Le débat qui nous rassemble ici, monsieur le ministre de l'environnement, doit nous amener à rendre les actes conformes aux principes. Il est en effet urgent d'agir contre l'insécurité écologique.

Voici douze ans, au sommet de Rio, nous avions obtenu que la communauté internationale fasse sa nuit du 4 août, proclame l'état de péril, consacre le principe de précaution, reconnaisse solennellement les droits de la Terre et, pour nos enfants et nos petits-enfants, la garantie de vivre dans un environnement préservé. Depuis, il faut le reconnaître, rien de bien sérieux n'a été entrepris à l'échelle de la planète.

Du mensonge propagé par les groupes de pression pollueurs, au double langage des gouvernements, de l'égoïsme des uns à la lâcheté des autres, nous voyons sous nos yeux notre planète glisser chaque jour vers une dégradation de notre patrimoine collectif.

Les enjeux sont pourtant désormais identifiés : marées noires, insécurité alimentaire, pandémies mondiales, phénomènes climatiques extrêmes, dégradation de l'eau, surmortalité due à la pollution de l'air, accidents nucléaires, pollution chimique des sols. Cette montée de l'inquiétude ne concerne pas seulement les problèmes locaux - le bruit, les pollutions urbaines, les rejets industriels et agricoles - mais aussi les sujets globaux : l'effet de serre, la biodiversité, les accidents nucléaires.

L'objet de notre débat nous renvoie donc à une dimension plus large, car il existe un lien très fort entre la mondialisation et l'insécurité écologique. C'est aussi pour cela qu'il faut éviter une régression par rapport au texte que vous nous proposez. Il faudra, au contraire, le renforcer par les amendements que nous présentons. En effet, à l'échelle de la planète, les pollueurs se trouvent chez ceux qui ont su si bien tirer parti de la mondialisation pour s'exonérer de toute règle de droit, fiscale, sociale ou environnementale. Et les victimes se trouvent toujours chez ceux qui subissent aujourd'hui la mondialisation.

Citoyens, scientifiques, Etats, ONG, chacun sait que la situation actuelle relève de l'état d'urgence, qu'il y a péril pour l'humanité, que chaque heure perdue est une heure de plus pendant laquelle se déroule sous nos yeux un véritable délit collectif contre la Terre, donc contre l'humanité.

Le double langage, ça suffit ! Agir, c'est autre chose que faire des déclarations de principe contre les pollueurs, c'est autre chose que prodiguer des promesses d'agendas de mesures, c'est autre chose que mettre en cause l'inefficacité des instances internationales. Cela implique, dans le même temps, de défendre toutes les autres politiques.

Que dire de ceux - et le Gouvernement français est d'ailleurs interpellé sur ce point dans les instances internationales - qui s'indignent vertueusement de l'impunité des affréteurs pétroliers et qui, dans le même temps, bloquent la mise en œuvre des directives européennes, tout en défendant les positions les plus libérales devant l'Organisation maritime internationale ? Que diront ceux-là, demain, quand une pollution majeure souillera à nouveau nos côtes ?

Que dire, enfin, des belles âmes qui appellent un programme de lutte contre l'effet de serre et qui, dans le même temps, défendent le maintien d'une fiscalité subventionnant massivement le transport routier ?

Les pleurnicheries médiatisées d'un côté, le blocage des décisions de la Commission européenne, cela suffit ! L'action contre l'insécurité écologique ne peut plus s'accommoder de ce double langage : l'écologie n'est pas négociable.

Les exemples les plus criants sont l'agriculture intensive - alors que les contrats territoriaux d'exploitation ont été supprimés par votre gouvernement -...

M. François Sauvadet. Il y a une nouvelle génération de contrats de développement !

Mme Ségolène Royal. ...et son impact sur la pollution de l'eau, les inondations et la dégradation des paysages ; les transports, pour la pollution de l'air, les risques et le climat ; l'urbanisme, pour les risques, le cadre de vie et la pollution de l'air.

Or le principe de l'intégration a été reconnu au niveau le plus élevé par les chefs d'Etat européens en 1998, au conseil de Cardiff. Malgré cela pas grand-chose n'a bougé : la performance économique à court terme reste le seul critère d'évaluation des politiques sectorielles. Les objectifs environnementaux devraient obligatoirement débuter chaque conseil européen sectoriel et être intégrés aux évaluations des résultats.

L'écart entre une posture déclamatoire radicale et une action inexistante ou inefficace n'est plus tolérable. Vous êtes ministre depuis peu de temps, monsieur Lepeltier, et je ne vous fais pas de procès d'intention. Néanmoins il faut absolument que vous traduisiez les déclarations d'intention dans les actes. Ce débat doit conduire à vous donner un point d'appui pour le faire et pour soutenir l'efficacité des actions de vos collègues, car il ne faudrait pas que ce débat ne soit qu'une nouvelle illustration de l'écart entre le discours et l'action.

La réalité de l'action, c'est que les comportements ne changent que s'ils y sont contraints. Or nous ne pouvons qu'être inquiets lorsque nous entendons certains députés UMP déclarer que cette charte est acceptable parce qu'elle n'est pas contraignante ! Ce n'est pas supportable, monsieur le ministre de l'environnement. Il faut au contraire que vous affirmiez le caractère contraignant de cette charte et que vous l'assumiez, afin que ceux qui nous expliquent qu'elle ne l'est pas n'aient pas le mot de la fin et ne puissent pas se prévaloir d'une posture déclamatoire. Une politique effective de protection de l'environnement ne peut être que contraignante ou dissuasive. Toutes les autres démarches ont échoué.

Les citoyens, notamment les plus démunis ou ceux qui ont le moins d'accès à l'information et aux modes d'expression ne peuvent pas exercer de contre-pouvoirs. C'est donc la loi qui peut le faire pour eux et, éventuellement, les sanctions. Sinon, il en résulte un déficit démocratique majeur en termes d'environnement.

L'affirmation de principes forts de droits écologiques - y compris dans la Constitution -, et de méthodes innovantes de consultation directe et de démocratie de proximité doivent permettre de fonder une action efficace et moderne.

En matière d'environnement, en effet, les citoyens ne sont pas des clients. L'exigence de protection ne s'exprime pas sur un marché, contrairement aux gains tirés du droit à polluer.

Enfin, si nous sommes partants pour progresser dans l'affirmation des droits, c'est aussi parce que nous croyons profondément qu'agir pour l'environnement, c'est agir pour la paix.

L'insécurité écologique est planétaire : effet de serre, biodiversité, pollution des mers, nucléaire montrent que l'écologie est devenue un enjeu majeur dans les relations internationales. Le potentiel de violence et de conflits liés à l'environnement est considérable, la guerre de l'eau n'en étant qu'un des aspects les plus tragiques.

Les enjeux planétaires en termes d'écologie doivent cesser d'être subordonnés aux tabous de la politique internationale : la liberté du commerce - on l'a encore vu à propos des OGM -, la liberté des mers - on le voit à propos de la sécurité maritime - le système financier international, la construction européenne, en ce qu'elle justifie au nom de faux principes toutes les exceptions.

L'ensemble de notre politique internationale doit intégrer la sécurité écologique comme préoccupation centrale, au même titre que les droits de l'homme et la défense de la démocratie. Désormais, en effet, la recherche louable du consensus international n'est plus compatible avec 1'état d'urgence. Je le répète - et ceci est vrai en droit interne comme en droit international -, il faut des principes et les contraintes qui vont avec.

L'Europe doit fédérer la lutte contre les Etats voyous écologiques. C'est pour cela, monsieur le ministre de l'environnement, que la France doit être exemplaire au niveau européen, y compris sur la question des OGM. Elle peut fédérer l'ensemble des pays européens contre les Etats voyous écologiques, dans les rangs desquels figurent non seulement quelques paradis fiscaux mais aussi les États-Unis eux-mêmes, qui refusent toutes les actions concertées contre les dérèglements climatiques, dont les conséquences sont pourtant bien plus meurtrières que le terrorisme ! Cette lutte devrait par conséquent être tout aussi acharnée, car il s'agit aussi de sécurité mondiale.

Des mesures de sauvegarde et de rétorsion doivent permettre de contraindre ces Etats à cesser leur guerre contre la planète. Seule une Europe unique et forte, organisée autour d'un principe environnemental, pourra le faire.

Nous attendons que des avancées soient faites par rapport à nos propositions. Nous attendons la suppression de l'écart entre les déclarations et les actes. Nous attendons des engagements précis. Nous attendons que vous assumiez, monsieur le ministre de l'environnement que ce texte constitue une base juridique contraignante, avec les sanctions que cela impliquera. Nous devons être solidaires du vivant, apprendre à lutter contre la fatalité, du moins si l'on pense que la politique consiste à protéger l'humanité. C'est ce que pensent les socialistes, et c'est pourquoi ils seront très attentifs à la qualité de ce débat et à l'accueil que vous réserverez à leurs propositions d'amendement. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. François Sauvadet.

M. François Sauvadet. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce que je viens d'entendre m'inquiète.

Madame Royal, je crois que vous n'avez pas changé : vous envisagez toujours la protection de l'environnement sous l'angle de la contrainte. Je pense au contraire que, pour bien protéger l'environnement, il faut associer le plus possible l'ensemble des citoyens. On voit bien d'ailleurs l'échec qui a été le vôtre en matière agricole, faute d'avoir impliqué l'ensemble des acteurs, que vous avez victimisés en permanence.

A propos du texte en discussion, je serais tenté de dire : nous y voilà enfin ! Il aura fallu pratiquement un an pour voir inscrit à l'ordre du jour de notre séance ce projet de loi constitutionnelle. Il ne m'a pas échappé - et il ne vous a pas échappé non plus - que ce laps de temps était nécessaire pour en débattre, et que ce texte a fait l'objet de nombreuses interrogations. Elles ont été rappelées à cette tribune et elles sont légitimes. Nous partageons certaines d'entre elles, notamment sur ce fameux article 5 qui inscrit dans la Constitution un principe de précaution d'application directe, et sur ses conséquences qui seront sans doute non négligeables ; il est d'ailleurs difficile de les mesurer dès aujourd'hui, comme vous l'avez souligné vous-même, monsieur le ministre. Il va en effet se façonner au fil du temps. Quoi qu'il en soit, c'est une donne nouvelle qui sera actée à l'issue de nos débats.

Les contours de ce principe ont certes été précisés au cours de nos débats tant en commission des lois qu'en commission des affaires économiques, mais nous continuons à penser, au sein de notre groupe, qu'il y a, aujourd'hui encore, des plages d'incertitude. On entend des propos contradictoires sur la question de savoir comment ce principe sera appliqué concrètement et l'on voit bien ce que certains voudraient en faire. Avant même qu'il soit entré dans notre Constitution, la question même des OGM est posée directement sous cet angle. Je crois pourtant qu'il y a d'autres façons de l'aborder. J'y reviendrai, madame Royal.

J'ai entendu aussi M. Ollier, président de la commission des affaires économiques, lister les domaines dans lesquels ce principe de précaution ne s'appliquerait pas. Il a ainsi été clairement précisé que certains domaines ne seront pas concernés, notamment celui de la santé.

Cette charte a fait l'objet d'un large débat au sein de l'UDF, comme au sein de l'UMP. Nous avons entendu, comme vous, les avis des constitutionnalistes, ceux des experts de l'Académie des sciences morales et politiques, de l'Académie de médecine, de l'Académie des sciences et écouté leurs doutes, voire leurs craintes. Notre assemblée doit les entendre au moment où elle va s'engager dans une modification des contours de la Constitution, notamment par l'adossement de cette charte. Il est donc difficile de trouver un consensus qui devrait prévaloir à toute modification majeure de la Constitution sur un sujet devenu l'une des préoccupations majeures et partagées des Français.

Nous avons évidemment tous à l'esprit l'image de ces pollutions, notamment de ces marées noires, l'aggravation du réchauffement de la planète et la pollution de l'air. Tout cela n'a fait, bien évidemment, que renforcer la prise de conscience qu'il faut agir pour préserver l'équilibre toujours difficile à trouver entre progrès, innovation, recherche, activité économique et préservation de notre patrimoine commun et de la biodiversité.

Parmi les points positifs de ce texte, figure la dimension nouvelle du droit de chacun « de vivre dans un environnement équilibré et favorable à la santé », comme le précise l'article 1er, mais également celle de devoir des citoyens vis-à-vis de l'environnement. C'est là où, peut-être, nous divergeons avec Mme Royal. Ce sont des droits, mais aussi des devoirs pour les citoyens. C'est la première fois, en effet, qu'une notion de telle nature apparaît explicitement dans le bloc de constitutionnalité qui ne consacrait jusqu'à présent que des droits. Il s'agit d'une manière d'affirmer clairement, et nous y souscrivons, que chaque personne est coresponsable du patrimoine commun, local ou global, et que chacune d'elles doit participer à sa bonne gestion. Cet article va dans le bon sens. Qui pourrait remettre en cause un tel droit ?

La notion de réparation des dommages causés à l'environnement dans les conditions définies par la loi, le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement marquent une volonté indiscutable. Le fait d'avoir voulu l'adosser à la Constitution lui donne incontestablement un caractère tout à fait symbolique.

Au-delà de ce constat plusieurs questions se posent.

Ainsi était-il opportun d'adopter maintenant cette Charte de l'environnement quand, dans le même temps, au niveau européen, le futur traité constitutionnel, qui comportera un chapitre relatif à l'environnement, est encore en discussion ? Son texte indique en effet : « La politique de l'Union dans le domaine de l'environnement vise un niveau de protection élevé, en tenant compte de la diversité des situations dans les différentes régions de l'Union. Elle est fondée sur les principes de précaution et d'action préventive, sur le principe de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement et sur le principe du « pollueur-payeur ». Dans ce contexte, les mesures d'harmonisation répondant aux exigences en matière de protection de l'environnement comportent, dans les cas appropriés, une clause de sauvegarde autorisant les États membres à prendre, pour des motifs environnementaux non économiques, des dispositions provisoires soumises à une procédure de contrôle par l'Union. »

Dans ce contexte, on peut craindre légitimement que les dispositions de la charte, notamment son article 5, qui s'appliqueront à la France posent un problème d'application et de cohérence avec celles en vigueur dans les autres pays membres. Ainsi, nous aurons beau nous afficher comme les plus vertueux en matière de prévention et de précaution, nous ne parviendrons pas pour autant à protéger pleinement notre espace national au plan environnemental sans l'insérer dans une réflexion sur l'espace européen.

Pour avoir présidé la commission d'enquête sur la maladie de la vache folle, je sais que, si nous avons été les premiers à prendre en matière de santé publique toutes les mesures de précaution nécessaires, il a fallu attendre quatre ans pour que nos partenaires européens appliquent les mêmes règles, quatre années durant lesquelles des marchandises non sécurisées ont pu circuler en France, en toute liberté. Une harmonisation européenne est indispensable. J'insiste sur ce point. La France doit naturellement être en pointe pour y prendre toute sa part.

Il ne faudrait pas que la protection de l'environnement introduise des distorsions de concurrence. Il est indispensable que cette question soit d'abord traitée au sein de l'Union Européenne, puis dans le cadre de l'OMC. L'Europe doit s'organiser pour peser sur les échanges internationaux et faire en sorte que l'on évite, grâce aux précautions prises en matière de sécurité alimentaire, l'importation de produits non sécurisés. C'est une question que le principe de précaution ne permettra pas de régler concrètement au quotidien. Chacun connaît en effet les conséquences sur nos filières agricoles. Nous venons de connaître une grave crise aviaire.

Nous ne pourrons donc pas aborder ce champ d'investigations en dehors de l'espace européen et d'une harmonisation européenne.

Je ne partage pas votre avis sur les OGM, madame Royal. Autant, je suis d'accord avec vous sur la nécessité de prendre toutes les précautions nécessaires, notamment pour éviter leur dissémination, autant nous devons veiller à ne pas nous mettre, en matière de recherche sur les OGM dans une situation qui, demain, nous serait préjudiciable.

Dans le domaine agroalimentaire, le génie génétique a ouvert, vous le savez, de nouvelles possibilités, jusqu'alors peu exploitées, d'adapter certaines plantes de culture à des conditions aussi extrêmes que la sécheresse, la salinité, le froid ou les maladies. Puisque vous avez cité le maïs, je vous rappelle que des produits extrêmement polluants pour l'eau, vous le savez, peuvent ne plus être utilisés grâce à des modifications génétiques. Ne nous privons pas des voies du progrès par un rejet systématique.

Nous devons, en revanche, nous entourer - vous l'avez précisé et je partage votre sentiment - de précautions. De grâce ne nous mettons cependant pas dans une situation qui nous sera préjudiciable, demain, notamment par rapport aux pays qui se sont engagés vigoureusement dans la production des OGM d'autant qu'il est très difficile de contrôler si un produit contient ou non des OGM puisqu'un seuil de moins de 1 % est toléré. Je tenais à le préciser. Il conviendra par contre que nous exigions une information claire des citoyens en la matière. Ainsi, chacun doit savoir ce qu'il achète. Nous devons partager cette exigence. La transparence est l'une des clés de la réussite en matière de protection de l'environnement.

Nous avons le curieux sentiment que si la charte répond à une préoccupation partagée, elle laisse apparaître, parallèlement, certaines incertitudes. Dans les faits et dans les actes, les réflexions doivent être plus abouties.

Dans le débat en cours sur le projet de loi d'orientation sur l'énergie, personne, à l'exception de Nathalie Kosciusco-Morizet, rapporteure du présent projet, et de l'orateur de l'UDF, Jean Dionis du Séjour, n'a fait référence à cette Charte de l'environnement. Si nous voulons respecter les accords passés, nous devrons conduire une politique d'incitation fiscale permettant la production d'énergies renouvelables, alternatives aux énergies fossiles.

M. Francis Delattre. Les biocarburants !

M. François Sauvadet. Nous devons être responsables, comme d'autres pays.

Nous nous engagerons ainsi concrètement dans l'application du strict principe de précaution, en particulier grâce à une fiscalité adaptée aux objectifs de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre responsables du réchauffement climatique de la planète et de ses conséquences sur notre santé.

M. Francis Delattre. La défiscalisation !

M. François Sauvadet. Il faudra bien passer de la théorie à la pratique.

Parler du principe de précaution exige d'ouvrir un véritable débat sur les risques tolérables et tolérés. Le principe de précaution pose une véritable question, celle du développement durable de nos sociétés, à laquelle une réponse, quelque peu commode, pourrait vite devenir un malentendu, à savoir la tentation du risque zéro. Or il n'existe pas. Le progrès et l'innovation ont toujours été de formidables moteurs dans la nature même de nos sociétés occidentales. A ce propos, je dirais au rapporteur de la commission des lois qu'il faudrait prendre garde à ne pas jouer le Rousseau des Rêveries du promeneur solitaire contre l'esprit des Lumières. Au contraire, nous devons parvenir à un nouvel équilibre.

Madame Ségolène Royal, j'affirme à cette tribune que, jamais la sécurité alimentaire n'a été aussi bien garantie qu'aujourd'hui. Vous êtes l'élue d'une région réputée pour son fromage.

Mme Ségolène Royal. Le chabichou !

M. François Sauvadet. Au nom du principe de précaution, nous avons failli tuer la diversité alimentaire, par exemple l'époisses, spécialité fromagère de ma région ! Vous semblez en douter. Je suis prêt à vous l'expliquer, madame la députée, présidente de région !

M. Francis Delattre. Elle ne va pas s'arrêter là !

M. François Sauvadet. Pour protéger efficacement le vivant dans son ensemble, il nous faut penser à l'homme dans son environnement et non pas seulement à l'environnement. Nous devrons faire preuve de beaucoup plus d'audace, de pédagogie, d'explications dans notre politique environnementale et énergétique, sans quoi nous risquons d'entrer dans une ère nouvelle de recours systématique. Ainsi, voilà vingt ans que nous attendons la réalisation d'une voie de contournement de l'agglomération dijonnaise !

Les recours systématiques sont une entrave à l'attente des citoyens en matière d'infrastructures. S'il est nécessaire qu'ils soient informés et qu'ils puissent s'exprimer sur telle ou telle infrastructure, il ne faudrait pas aller trop loin, au risque de paralyser tout projet. Il est indispensable de parvenir avec sérénité à un équilibre entre la poursuite d'infrastructures environnementales et la garantie à donner aux citoyens que le trouble sera limité et jugé à l'aune de ce qu'il apporte comme satisfaction. C'est également l'un des éléments majeurs qu'il conviendra de prendre en compte.

Un autre point peu discuté de la Charte est son article 7 qui dispose que « toute personne a le droit de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement ». Cette participation du public à la prise de décision  sans balancement  risque de constituer une entrave supplémentaire. Nous aurons l'occasion d'aborder à nouveau ce sujet.

Concrètement, il conviendra, à l'occasion de ce débat, de veiller à répondre à l'attente des Français et à bien leur expliquer, même si cela s'avère difficile, la différence entre le principe de précaution et celui de prévention du risque.

Le nucléaire est-il concerné ou non ? Ce risque identifié relève du principe de prévention. Qu'en est-il de la pollution atmosphérique ? Il s'agit de prévention. Nous devrons donc être, madame Royal, précis au cours du débat afin d'éviter toute confusion entre le principe de précaution et celui de prévention, lequel concerne un risque clairement identifié auquel il convient d'apporter une réponse.

Cela vaut aussi pour les risques naturels. Nous avons voté, voici peu, une loi prenant en compte les risques naturels et l'information préalable des publics. Il en va de même des risques industriels. La question du principe pollueur-payeur est encore devant nous.

Nous ne pourrons pas concentrer les responsabilités, qui doivent être partagées, et les charges financières sur des secteurs que, parfois, vous avez victimisés, comme l'agriculture. Les agriculteurs ont accompli des progrès considérables, notamment en matière d'agriculture raisonnée. La société s'est montrée exigeante pour parvenir à l'autosuffisance alimentaire. Nous devons partager cette préoccupation avec eux et les associer à la protection de l'environnement. Cela vaudra également pour l'eau.

Enfin, l'article 4 dispose que la réparation de la pollution doit être payée par le pollueur. Toutefois il reste à préciser comment se répartira la prise en charge de cette réparation : « contribuer » signifie-t-il « financer » ou seulement « veiller à » ?

J'ai le sentiment, au final, que l'on a répondu à une attente de nos compatriotes, mais un peu à la hâte, en faisant, en quelque sorte, du médiatiquement correct ou du politiquement correct. Il aurait fallu inscrire davantage la réflexion dans sa dimension européenne, en parallèle aux discussions sur le traité constitutionnel, qui, je l'espère, sera rapidement finalisé.

L'UDF a émis, dans d'autres débats, des propositions novatrices, en matière, notamment, de fiscalité liée à l'énergie. Surtout, ne suspendons pas notre vol, ne limitons pas notre action en faveur de la préservation de l'environnement à cette seule déclaration constitutionnelle. Prenons l'engagement ferme de poursuivre dans cette voie afin de parvenir concrètement à répondre aux préoccupations exprimées.

À la lecture de l'article 5, nous ressentons tous, je vous le répète, un certain malaise.

M. Francis Hillmeyer. Absolument !

M. François Sauvadet. N'oublions pas non plus les ruraux, dont le territoire ne doit pas devenir un conservatoire - contrairement aux orientations qui ont parfois été prises - mais rester une terre d'activité.

M. Jean Lassalle. Tout à fait !

M. François Sauvadet. Il faudra veiller à ce que les urbains considèrent la campagne comme une terre vivante, car la présence humaine dépend de l'activité.

J'ai exprimé les réserves du groupe UDF. Nous regrettons que la charte s'inscrive insuffisamment dans la dimension européenne. Personnellement, comme nombre de mes collègues, je la voterai...

Mme Valérie Pecresse. Très bien !

M. François Sauvadet. ...car elle propose un chemin et contribuera à accélérer le mouvement de prise de conscience encore trop lent en faveur d'une gestion prudente et économe de notre environnement. Néanmoins, très franchement, je le répète, je ne suis pas convaincu que la voie proposée soit la mieux adaptée, et je sais que plusieurs de mes collègues du groupe UDF ne l'emprunteront pas. Mais ce qui compte, c'est le chemin ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

3

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

Mme la présidente. Ce soir, à vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle, n° 992, relatif à la charte de l'environnement :

Rapport, n° 1595, de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République ;

Avis, n° 1593, de M. Martial Saddier, au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures.)

    Le Directeur du service du compte rendu intégral
    de l'Assemblée nationale,

    jean pinchot