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Troisième séance du mardi 25 janvier 2005

124e séance de la session ordinaire 2004-2005



PRÉSIDENCE DE M. MAURICE LEROY,

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

    1

RAPPELS AU RÈGLEMENT

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Pierre Brard. Mon rappel au règlement se fonde sur l'article 58, alinéa 1.

Je souhaiterais faire remarquer très amicalement à notre collègue Leonetti qu'il a tenu au cours de la précédente séance des propos blessants et historiquement inexacts.

Mes explications, qui ne comportent aucune intention polémique, visent simplement à faire la clarté sur un sujet grave afin que, compte tenu des enjeux du projet de loi constitutionnelle qui nous est proposé, la suite du débat ne soit pas perturbée.

Vous avez, mon cher collègue, mis un signe d'égalité, à mon sens tout à fait déplacé, entre l'Allemagne nazie et l'Union soviétique.

Personnellement, je n'ai jamais été stalinien. Je n'y ai d'ailleurs aucun mérite, puisque j'avais seulement cinq ans à la mort de Staline. Vous ne trouverez dans aucune de mes interventions, écrites ou parlées, une apologie de l'Union soviétique, et je ne fais pas partie de ceux qui ont prétendu que le bilan des ex-pays de l'Est était « globalement positif ».

M. Philippe Pemezec. Cent millions de morts au Goulag !

M. Jean-Pierre Brard. Il n'en reste pas moins que dans deux jours nous célébrerons la libération du camp d'Auschwitz par les troupes soviétiques. Je rappellerai également que c'est en février 1943, en URSS, qu'eut lieu le tournant de la guerre et que 20 millions de Soviétiques ont donné leur vie pour que nous soyons libres.

M. Philippe Pemezec. Le communisme au secours de la démocratie, je rêve ! C'est du révisionnisme !

M. Jean-Pierre Brard. Vous avez évoqué la paix. Mais, je vous en prie, n'évoquez la paix à propos de l'Europe qu'en usant de beaucoup de précaution ! Que faites-vous du conflit en Yougoslavie, qui s'est soldé par un nombre impressionnant de victimes ? Quel rôle positif l'Union européenne joue-t-elle dans le règlement du conflit au Proche-Orient ? Faisons attention à ce que nous disons !

Je le répète très calmement, j'ai trouvé vos propos blessants parce qu'ils n'étaient pas exacts sur le plan historique. Les nazis n'ont jamais caché leur dessein - il était inscrit dans Mein Kampf - alors que l'Union soviétique, ce fut une grande espérance trahie par Staline. Telle est la réalité historique.

M. Philippe Pemezec. Il ne manquait plus que ça !

M. Jean-Pierre Brard. Votre ricanement témoigne de votre ignorance de l'histoire !

M. Philippe Pemezec. C'est un peu facile !

M. Jean-Pierre Brard. Il ne faut pas déplacer les débats : la vérité historique doit être respectée.

Monsieur Leonetti, certains signes d'égalité ne sont pas inscrits dans l'histoire.

M. Philippe Pemezec. Vos propos ne tromperont personne !

M. le président. Un rappel au règlement n'implique pas de réponse, mais exceptionnellement, je donne la parole à M. Jean Leonetti.

M. Jean Leonetti. Je n'ai voulu offenser personne, monsieur Brard, et certainement pas M. Brunhes, pour lequel j'ai une grande estime, et même de l'amitié. J'ai souhaité simplement rappeler que les pays de l'ex-bloc soviétique qui entrent aujourd'hui dans l'Europe y trouvent effectivement la paix et la liberté. Certes, aucun parallèle exact ne peut être établi entre l'Allemagne nazie et l'Union soviétique, mais si la libération du camp d'Auschwitz - je l'ai dit - montre effectivement que les peuples européens ont pu commettre le comble de l'horreur en dépit de leur haut degré de civilisation, nous savons également que de l'autre côté du Rideau de fer des crimes contre l'humanité ont été commis.

L'Europe que nous nous efforçons tous ensemble de bâtir est fondée sur la liberté et la paix entre les peuples, ainsi que sur le respect dû à chaque personne. Je n'ai pas voulu dire autre chose, et mes propos n'étaient en rien dirigés contre le Parti communiste. Il s'agissait d'une simple référence historique car il convient tout de même de reconnaître que la Pologne est aujourd'hui heureuse d'entrer dans l'Europe telle que nous la concevons, c'est-à-dire dans le camp de la liberté.

    2

MODIFICATION DU TITRE XV
DE LA CONSTITUTION

Suite de la discussion
d'un projet de loi constitutionnelle

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle modifiant le titre XV de la Constitution (nos 2022, 2033).

Question préalable

M. le président. J'ai reçu de M. Jacques Myard une question préalable, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Jacques Myard, pour une durée ne pouvant excéder une heure trente.

M. Jacques Myard. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, conformément à l'article 91, alinéa 4 du règlement de notre assemblée, j'ai l'honneur de défendre une question préalable sur le projet de loi constitutionnelle n° 2022, portant modification du titre XV de la Constitution. J'y associe mon collègue Philippe Pemezec qui partage mes convictions.

Je me permets de vous rappeler, monsieur le garde des sceaux, mais je sais que nul ici ne l'ignore, qu'une question préalable a pour objet de faire décider qu'il n'y a pas lieu à délibérer. En d'autres termes, ce projet de loi n'a pas lieu d'être.

Je souhaite en premier lieu m'adresser à mes collègues de la famille politique à laquelle j'appartiens. Il n'est jamais aisé de dire à ses propres amis qu'ils se trompent. Sans doute certains jugent-ils que j'agis ce soir en franc-tireur et que je ne leur ferai perdre, au pire, que les quatre-vingt-dix minutes du temps de parole qui m'est imparti.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, rapporteur. C'est déjà beaucoup !

M. Jacques Myard. Je souhaite simplement leur répondre que les réflexions que je m'apprête à vous exposer, mes chers collègues, sont le fruit d'analyses poursuivies depuis de très nombreuses années et qui m'ont permis de me forger des convictions fondées avant tout sur une conception précise de la liberté, de l'indépendance nationale et de la politique, plus particulièrement de l'engagement en politique, l'une n'étant à mes yeux rien sans l'autre.

Sans doute mes propos vous déplairont-ils parfois. Mais il n'est ni dans ma nature ni dans l'intérêt général de se réfugier dans des discours à l'eau tiède et au goût insipide. L'honneur d'un parlementaire est de dire tout haut l'état des choses, afin d'éclairer le débat.

Mon intention n'est pas, je le répète, de provoquer la division ni le ressentiment. Mon objectif est au contraire d'éveiller votre attention et de démontrer les conséquences de ce qui nous est aujourd'hui proposé, afin que vous soyez préservés à l'avenir de tout sentiment de regret et d'amertume.

Mes chers collègues, qu'il me soit permis de vous exposer les raisons qui justifient cette question préalable.

Je vous ferai tout d'abord part de mon étonnement qu'une nouvelle fois le Gouvernement ait pu signer un texte qu'il savait contraire à la Constitution, alors qu'il aurait dû, monsieur le garde des sceaux, simplement le parapher.

En droit international public - il m'est arrivé d'avoir de grands professeurs en la matière - le paraphe identifie un texte négocié, alors que la signature engage l'État à procéder à l'accomplissement de ses procédures constitutionnelles de bonne foi, pour que le texte soit mis en vigueur. Or la Constitution commandait de ne pas signer un texte qui lui était contraire, pour la simple raison que, jusqu'à nouvel avis, l'ensemble de l'ordre juridique français est soumis à la Constitution de la Ve République.

Vous me répondrez que des précédents se sont produits à l'occasion de la signature des traités de Maastricht, d'Amsterdam et, sans doute, de Nice. Pour ce dernier, il est vrai, le Conseil constitutionnel n'a pas été consulté sur la constitutionnalité du texte. Mais des précédents ne sauraient effacer la faute commise.

Chacun comprendra que, au-delà de la discussion de ce soir sur le projet de loi portant modification du titre XV de la Constitution, j'aille d'emblée à la cause qui seule, en effet, intéresse les Français.

Le 29 octobre 2004, à Rome, vingt-cinq États membres de l'Union européenne ont signé le traité établissant une Constitution pour l'Europe. Ce traité, qui nous est présenté comme une simplification des textes européens en vigueur, est en réalité une transformation radicale, une novation de la construction européenne et, ajouterai-je, une véritable fuite en avant, en décalage total par rapport à la réalité de l'Europe et du monde et aux défis que nous avons à relever.

M. Philippe Pemezec et M. Nicolas Dupont-Aignan. Tout à fait !

M. Jacques Myard. On m'a appris à faire des plans pour clarifier un exposé.

C'est pourquoi je développerai deux points principaux. Le premier est que ce projet de traité implique une remise en cause radicale de la souveraineté de la France ; le second, qu'il ne permet de relever ni les défis d'une réalité européenne élargie à trente États ou presque, ni ceux du monde actuel. J'indiquerai modestement en conclusion ce qu'à mes yeux vous auriez dû faire, monsieur le garde des sceaux, et qu'il sera peut-être encore temps de faire lorsque, bien évidemment, le non au référendum l'aura remporté.

M. Philippe Pemezec et M. Nicolas Dupont-Aignan. Très bien !

M. Jacques Myard. Voyons tout d'abord en quoi ce traité constitue une remise en cause radicale de la souveraineté de la France et - je pèse mes mots, monsieur le ministre - la fin de la Ve République.

Le projet de loi constitutionnelle n° 2022 modifiant le titre XV de la Constitution constitue, cela a été rappelé cet après-midi, la dix-huitième modification de la Constitution de la Ve République, et la treizième depuis 1992, soit depuis un peu plus d'une dizaine d'années. Autant dire que la Loi fondamentale de la Nation devient malléable à souhait, au gré des circonstances et de l'air du temps.

M. Jean-Pierre Brard. Elle est usée !

M. Jacques Myard. Lorsqu'un texte aussi fondamental se transforme en pâte à modeler, il n'est pas étonnant que dans l'esprit de nos concitoyens, notamment des plus jeunes, la loi soit discréditée. Les notions mêmes de Constitution et de loi deviennent alors synonymes d'entraves inutiles et obsolètes, que l'on peut écarter d'un revers de la main.

Mais en l'occurrence, ce n'est pas de modification qu'il convient de parler mais d'abrogation. Je vous rappelle qu'aux termes de l'article 3, alinéa premier, de la Constitution du 4 octobre 1958 : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». Ce principe fondateur de notre République, mais aussi garant de l'indépendance de la Nation, aura-t-il encore un sens, une effectivité si par malheur le traité établissant une Constitution pour l'Europe entrait en vigueur ? La réponse est simple, à la portée de tout citoyen qui réfléchit et qui a du bon sens : non. Le peuple français ne sera plus souverain, la République ne sera qu'un canton dans un ensemble fédéral, et la messe sera dite...

M. Nicolas Dupont-Aignan. Tout à fait !

M. Philippe Pemezec. Absolument !

M. Jacques Myard. La chose est très aisée à démontrer : le traité établissant une Constitution pour l'Europe est un traité fédéral, pour les raisons que je vais vous exposer. Certes, me direz-vous, le mot « fédéral » n'apparaît jamais, et pour cause, car on veut éviter de dire la vérité. Mieux encore, les rédacteurs de ce texte ont soigneusement évité d'employer le terme, pour ne pas effrayer. Les fédéralistes sont devenus les nouveaux adeptes de la al-taqiyya des Chiites : ils avancent masqués !

Mais la réalité fédérale est bien là ! L'analyse matérielle du texte ne laisse aucun doute sur la nature fédérale du projet de Constitution, dont l'objectif est de créer un État fédéral dans lequel les nations comme la France perdront leur qualité de sujet de droit international pour être ramenées au statut d'États ou de provinces fédérés de droit interne.

M. Jacques Floch. C'est bien !

M. Jacques Myard. C'est sans conteste un État fédéral. Dès l'article I-1, qui établit l'Union européenne, on peut lire que les États membres ne délèguent pas des compétences, mais qu'ils les attribuent à l'Union européenne. Et cela sans retour, car il n'existe aucune procédure dans le texte de la Constitution pour reprendre ce qui a été attribué. Les compétences sont attribuées, point à la ligne. Elles sont attribuées à l'Union européenne et elles le resteront.

M. Jean-Pierre Brard. Sauf à sortir de l'Union !

M. Jacques Myard. Nous y viendrons ! Quelles sont ces compétences ? Tout d'abord les compétences exclusives, qui représentent, je vous concède, une simplification et offrent une meilleure lisibilité. C'est l'article I-13 : l'union douanière ; l'établissement des règles de concurrence nécessaires au fonctionnement du marché intérieur ; la politique monétaire, avec l'euro ; la conservation des ressources biologiques ; la politique commerciale commune ; enfin, une compétence en matière d'accords internationaux.

Ainsi les compétences exclusives seraient limitées. Mais il convient de relever qu'il s'agit déjà d'un accroissement très important des compétences exclusives par rapport à la situation présente, puisqu'en attribuant à l'Union la politique commerciale commune, on lui attribue notamment le commerce des services audiovisuels, culturels, l'éducation, les services sociaux et de santé qui jusqu'alors étaient de compétence partagée entre la Communauté et les États membres.

M. Pierre Lequiller. C'est faux !

M. Jacques Myard. Les accords internationaux conclus, notamment à l'OMC, au nom des États et de la Communauté...

M. Pierre Lequiller. Et l'exception culturelle ?

M. Jacques Myard. Elle est morte, monsieur Lequiller. Relisez le texte !

...conclus après l'aval, l'autorisation d'approbation et de ratification des Parlements nationaux, deviennent de la compétence de l'Union. Adieu l'exception culturelle française !

Il y a ensuite les compétences partagées. La lecture de l'article I-14 est édifiante : les compétences partagées entre l'Union et les États membres s'appliquent aux principaux domaines suivants : le marché intérieur ; la politique sociale pour les aspects définis dans la partie III ; la cohésion économique, sociale et territoriale ; l'agriculture et la pêche ; l'environnement ; la protection des consommateurs ; les transports ; les réseaux transeuropéens ; l'énergie ; l'espace de liberté, de sécurité et de justice ; les enjeux communs de sécurité en matière de santé publique. S'y ajoute aussi la recherche. La liste est impressionnante ! Il s'agit d'un accroissement net dans les domaines suivants : l'énergie, le spatial, la santé publique.

Il convient ensuite de combiner la lecture de l'article I-14 à celle de l'article I-12, alinéa 2 : « Les États membres exercent leur compétence - sous-entendu partagée - dans la mesure où l'Union n'a pas exercé la sienne ». En d'autres termes, à chaque fois que l'Union décide d'agir dans ces domaines-là, les États perdent leur compétence !

M. Christian Philip. Il y a une jurisprudence.

M. Jacques Myard. Aux compétences exclusives et faussement partagées, il convient d'ajouter la coordination des politiques économiques et de l'emploi. C'est l'article I-15 : « Les États membres coordonnent leur politique économique au sein de l'Union. À cette fin, le Conseil des ministres adopte des mesures, etc... L'Union prend des mesures en définissant les lignes directrices de ces politiques... L'Union peut prendre des initiatives pour assurer la coordination des politiques sociales des États membres... »

Vous me direz : il ne s'agit que d'une coordination ! C'est oublier la jurisprudence de la Cour. C'est oublier qu'à chaque fois que l'Union intégrera dans ses compétences des règles communautaires, les États perdront la compétence interne et la compétence externe, conformément à la jurisprudence de l'AETR qui, en renforçant le droit fédéral, n'infléchit pas ce texte.

Le quatrième domaine de compétence est l'établissement d'une politique étrangère et de sécurité commune. Selon l'article I-16 : « La compétence de l'Union en matière de politique étrangère et de sécurité commune couvre tous les domaines de la politique étrangère... » Vous me direz : ce n'est pas nouveau. Mais pour conduire cette politique étrangère commune, l'article I-28 crée un ministre des affaires étrangères de l'Union, qui dispose d'un service diplomatique. Je reviendrai sur ce point.

Cinquième domaine de compétence de l'Union, les actions d'appui, de coordination et de complément. Il s'agit de l'article I-17 : « L'Union dispose d'une compétence pour mener des actions d'appui, de coordination et de complément. Les domaines de ces actions sont, dans leur finalité européenne : la protection et l'amélioration de la santé humaine ; l'industrie ; la culture ; le tourisme ; l'éducation, la jeunesse, le sport et la formation professionnelle ; la protection civile ; la coopération administrative ». Par rapport aux traités actuels, plusieurs domaines de compétence de l'Union apparaissent : le tourisme, le sport, la protection civile, la coopération administrative.

Là encore, monsieur le ministre, il faut garder à l'esprit la jurisprudence de la Cour : à chaque fois que l'Union édictera des règles dans ces domaines-là, elle acquerra les compétences et les États ne seront donc plus compétents.

J'en viens à la clause de flexibilité. Pour couronner le tout, dans le cas où l'on aurait oublié un domaine de compétences, une clause balai, dite « clause de flexibilité » permet d'accroître encore les compétences de l'Union. Il s'agit de l'article I-18 : « Si une action de l'Union paraît nécessaire dans le cadre des politiques définies à la partie III, pour atteindre l'un des objectifs visés par la Constitution, sans que celle-ci n'ait prévu les pouvoirs d'action requis à cet effet, le Conseil des ministres, statuant à l'unanimité, sur proposition de la Commission européenne et après approbation du Parlement européen, adopte les mesures appropriées ».

Cet article, allez-vous me dire, s'inspire de l'ancien article 235 qui avait déjà sévi et était devenu l'article 308 dans le traité instituant l'Union européenne. Mais la clause de flexibilité de l'article I-18 reçoit un champ d'application plus étendu, dans la mesure où les objectifs de l'Union sont désormais définis en termes plus larges. C'est véritablement une « clause balai » qui ramène l'ensemble des compétences vers l'Union européenne.

Cet article est un véritable moyen de faciliter l'extension des compétences de l'Union, et surtout sans qu'il soit possible de les rendre aux États.

En réalité, avec cette clause, on dépasse le stade fédéral pour entrer dans une véritable dérive centralisatrice. Vous m'avez bien entendu, j'ai parlé de dérive centralisatrice.

M. Jean-Pierre Brard. Et non dérive centriste : c'est notre président qui est centriste !

M. Jacques Myard. Il est vrai que j'ai du mal à prononcer le mot « centrisme » !

M. le président. Poursuivez, monsieur Myard !

M. Jacques Myard. L'Union européenne a une compétence élargie sans pareille. Elle se mêle de tout, c'est une « hyper-usine à gaz » ! La seule chose, me semble-t-il, que l'Union européenne ne « tangente »pas, ce sont les anciens combattants ! Et cela ne s'arrête pas à des domaines d'action spécifiques comme le tourisme ou la monnaie. Il y a plus grave encore !

J'en viens à la Charte des droits fondamentaux, qui se trouve dans la deuxième partie du texte, sans doute par souci de modestie. Il est vrai que certains voulaient la placer en tête du texte. En tout état de cause, elle coiffe l'action de l'Union européenne, et en conséquence celle des États fédérés. L'Union européenne gagne ainsi une compétence nouvelle et de taille : celle de définir les droits fondamentaux applicables à son propre droit, les libertés publiques. Mais dans la mesure où le droit de l'Union européenne encadre le droit des États fédérés, la charte va encadrer directement le droit de l'Union fédérale, mais aussi celui des États. Ainsi, le droit de l'Union devient un peu la règle de droit commun.

M. Michel Piron. C'est un échafaudage !

M. Jacques Myard. Justement, ce n'est pas du tout un échafaudage, c'est d'une logique imparable !

L'entrée de l'Union européenne dans le domaine des libertés publiques est donc totale, pour ne pas dire totalitaire, au sens global.

M. Pierre Lequiller. Totalitaire, rien que cela ?

M. Jacques Myard. Je ne veux pas dire abusive, mais globale. Les spécificités françaises sont mortes, je reviendrai sur ce point.

Après avoir rappelé toutes les compétences qui vont être attribuées à l'Union, nous allons examiner comment seront exercées ces compétences. Quatre règles deviennent les règles de droit commun : le monopole d'initiative de la Commission ; le passage systématique à la majorité qualifiée ; la codécision du Parlement européen ; enfin, la Cour de justice devient la Cour suprême.

Première règle, le monopole d'initiative de la Commission. Vous me direz que ce pouvoir n'est pas nouveau. C'est exact, mais ce privilège, souvent critiqué par les États eux-mêmes, qui le trouvent abusif et voudraient avoir la possibilité de proposer des règlements et des directives, comme je l'ai souvent entendu dire, ce privilège, à mon avis exorbitant et non justifié, va s'accroître. Pourquoi ? Tout simplement parce que l'Union européenne, avec ce traité, va doubler - le calcul est rapide - ses compétences, entraînant de facto le doublement des compétences de la Commission, ce qui dessaisit d'autant les États de leur capacité d'initiative. Jusqu'à présent, au sein du Conseil, notamment dans le domaine de la sécurité et de la justice, nous avions un rôle d'initiative. Monsieur le ministre, vous allez perdre cette initiative, et vous devrez vous en remettre à la Commission.

Deuxième règle, le passage systématique à la majorité qualifiée, présenté lui aussi comme une simplification : demain, avec la majorité qualifiée, on rase gratis ! Ces règles sont établies dans l'article I-25 : « La majorité est égale à au moins 55 % des membres du Conseil comprenant au moins 15 d'entre eux réunissant 65 % de la population de l'Union ». C'est assez simple.

De plus, une minorité de blocage doit inclure au moins quatre États, faute de quoi la majorité qualifiée est réputée acquise. En d'autres termes, monsieur le ministre, la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni ensemble ne pourront pas bloquer une décision contraire à leur intérêt. C'est surréaliste, voire suicidaire !

Monsieur le ministre, je voudrais vous poser une question : quid du compromis de Luxembourg ? Existe-t-il encore ?

M. Jean-Pierre Brard. C'est une bonne question !

M. Jacques Myard. Ou bien est-il, comme l'a indiqué récemment Mme la ministre déléguée aux affaires européennes, passé par pertes et profits ? Cela mérite une précision de la part du Gouvernement.

Mme Christine Boutin. C'est un point important, en effet !

M. Jacques Myard. Avec l'entrée envisagée de la Turquie - qui prendra encore un peu de temps, j'en suis sûr - l'Europe sera constituée de 26 États, mais en réalité nous serons 31, parce que d'autres États vont intégrer l'Union : l'ex-Yougoslavie, la Croatie, etc.

M. Jean-Pierre Brard. Ainsi que l'Ukraine, l'Azerbaïdjan...

M. Jacques Myard. Restons à une Union constituée de 26 États, dont la Turquie. Avec les règles prévues, cela fait, tenez-vous bien, 138 millions de coalitions possibles, dont 10 millions seront des coalitions gagnantes, permettant de faire passer la décision au Conseil. Parmi ces 10 millions de coalitions, 75 % comprendraient la Turquie, mais seulement 55 % la France, ce qui montre l'impact qu'aurait l'entrée de la Turquie dans l'Europe. Voyez à quel point le mécanisme envisagé pourrait déstabiliser le fonctionnement politique du Conseil !

M. Jean-Pierre Brard. C'est une martingale !

M. Jacques Myard. Je pense que le destin de la France relève désormais du loto.

La troisième règle est la codécision du Parlement en matière législative. L'article I-34 dispose que les lois et les lois-cadres sont adoptées, sur proposition de la Commission, conjointement par le Parlement européen et le Conseil, conformément à la procédure de l'article III-396.

Cette procédure, qui peut aboutir à une impasse totale -aucune procédure de conciliation n'est prévue en cas de conflit -, à un non-accord entre les deux institutions, renforce néanmoins considérablement les pouvoirs du Parlement dont le prurit harmonisateur est bien connu. C'est son fonds de commerce.

Quatrième point, l'extension des compétences de la Cour de justice.

Je vous rappelle que dans le système ancien, la Cour de justice n'était pas compétente pour tous les piliers. Mais avec la fusion des traités, non seulement la Commission a tout le pouvoir d'initiative, mais la Cour de justice se voit attribuer de multiples compétences supplémentaires. C'est le résultat mécanique de l'accroissement des compétences de l'Union et de la fusion des traités. Elle devient, monsieur le ministre - il faut se le dire, même si cela déplaît parfois à certains constitutionnalistes français -, la Cour suprême française.

J'en viens maintenant à la valeur du droit européen, qui est à l'évidence celle du droit fédéral.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Tout à fait !

M. Jacques Myard. Elle découle littéralement de l'article I-6 intitulé « Le droit de l'Union ». Je vous en rappelle le texte : « La Constitution et le droit adopté par les institutions de l'Union, dans l'exercice des compétences qui sont attribuées à celle-ci, priment le droit des États membres. » Admirez, pour une fois, la beauté et la clarté de la langue, la logique de la construction - ce n'est pas le cas de toutes les autres clauses du traité : sujet, verbe, complément.

M. Michel Piron. Ça manque d'adjectif !

M. Jacques Myard. C'est une construction kelsenienne. Kelsen est ce juriste autrichien à l'origine de la théorie de la hiérarchie des normes dont nous nous sommes très inspirés en France. C'est d'une logique imparable, à la soviétique : ça descend d'en haut et ça va jusqu'en bas ! (Murmures sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Cette logique parfaite est celle d'une construction kelsenienne : le droit de l'Union est la norme supérieure par excellence.

M. Jean-Pierre Brard. Il y a des droits d'auteur, mon cher collègue !

M. le président. Laissez M. Myard se recentrer !

M. Jacques Myard. Merci, monsieur le président, mais j'aime les encouragements, même si, parfois, ils viennent aussi de l'opposition !

M. Jean-Pierre Brard. Heureusement que vous avez l'opposition pour vous soutenir !

M. Jacques Myard. N'ayez crainte : j'ai le peuple avec moi !

C'est la définition sans faille du droit fédéral dont la formule est bien connue des constitutionnalistes allemands : « Das Bundesrecht bricht das Landesrecht ». Et la messe est dite !

J'entends dire que cela ne serait pas nouveau. Ceux qui le prétendent, monsieur le ministre, sont de simples imposteurs !

M. Jean-Pierre Brard. Ja !

M. Jacques Myard. C'est en en effet la première fois que les États, par faiblesse et aveuglement à l'idéologie fédérale, coulent dans l'airain des traités cette formule. Il est exact que la Cour de justice, de manière totalement prétorienne, et en violation du traité de Rome, avait acté la supériorité d'un règlement douanier communautaire sur le droit national d'un État. Rappelez-vous l'arrêt Costa-Enel du 15 juillet 1964 et l'arrêt international Handelsgesellschaft du 17 décembre 1970.

Mais nous n'étions pas dans le droit de l'Union ; il ne s'agissait pour la jurisprudence que du premier pilier du droit communautaire stricto sensu, jurisprudence, monsieur le ministre, que les États n'avaient d'ailleurs jamais véritablement admis, ni le Conseil constitutionnel français... jusqu'en novembre dernier.

Cela m'amène - car nous sommes au cœur du débat - à examiner la décision surréaliste du Conseil constitutionnel du 19 novembre 2004. Dans ses considérants 9 à 13, le Conseil constitutionnel affirme tout d'abord que la Constitution française est au « sommet de l'ordre juridique interne ». Dont acte, et même bravo ! Il affirme ensuite qu'en raison de l'article 88-1 de la Constitution, « le constituant a ainsi consacré l'existence d'un ordre juridique communautaire intégré à l'ordre juridique interne et distinct de l'ordre juridique international ». Certes, mais c'est la Cour de justice de l'Union européenne qui est à la tête de l'ordre juridique communautaire, et elle applique le droit communautaire ou européen, elle n'applique pas la norme constitutionnelle française.

En d'autres termes, le Conseil constitutionnel français est désormais placé - ainsi que la Constitution de la Ve République - sous la tutelle juridique du traité constitutionnel européen.

Il n'y a pas, comme le laisse supposer la décision du Conseil constitutionnel, dualité d'ordre juridique. Le dualisme qui juxtaposerait le droit international ou le droit communautaire et le droit interne est étranger à l'ensemble du droit français qui est de conception moniste.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Bien sûr, mais il faut bien choisir !

M. Jacques Myard. Il y a bien, avec cet article I-6, monisme total de l'ordre juridique européen et français, dans lequel la Constitution française sera désormais subordonnée à l'ordre juridique européen.

M. Pierre Lequiller. Cela va faire plaisir à M. Mazeaud !

M. Jacques Myard. « À vrai dire, la Constitution ne devrait pas être seulement révisée, mais abrogée ».

Mme Anne-Marie Comparini. Oh !

M. Jacques Myard. C'est une citation, monsieur le ministre, ce n'est pas du Jacques Myard ! Je vous la répète : « À vrai dire, la Constitution ne devrait pas être seulement révisée, mais abrogée », et je vous laisse le soin de découvrir qui a écrit ce propos dans un rapport !

M. Jean-Pierre Brard. Pierre Mazeaud !

M. Pierre Lequiller. Oui, c'est Mazeaud !

M. Jacques Myard. De deux choses l'une. Ou le Conseil constitutionnel a pour devise celle des trois petits singes : « je ne vois rien, je n'entends rien, je ne dis rien. » Ou alors il est devenu le premier maso de France ! (Exclamations.)

Monsieur le ministre, à ce stade de mon exposé, pour éclairer l'Assemblée nationale, mais aussi le peuple tout entier - la Nation qui va se prononcer par référendum - je vous demande solennellement de rendre public le texte complet du rapporteur du Conseil constitutionnel et les auditions des juristes entendus par ledit conseil.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Ce serait intéressant !

M. Jacques Myard. Cela est d'autant plus important que dans ses vœux au Président de la République le 3 janvier dernier, Pierre Mazeaud déclarait : « Oui, en raison du consentement constitutionnel et populaire dont il a bénéficié, le droit communautaire est d'effet direct et prévaut, en cas de conflit, sur nos normes nationales, y compris dans la généralité des cas, sur nos règles constitutionnelles. »

Il est donc manifeste que la Cour de Luxembourg devient la Cour suprême de l'Union européenne et c'est elle qui aura toujours le dernier mot, y compris sur la Constitution française et notamment sur la laïcité, spécificité française s'il en est. Voilà pourquoi, monsieur le ministre, j'attends les documents préparatoires à la décision du Conseil constitutionnel.

M. Pierre Lequiller. Pourquoi on change la Constitution, alors ?

M. Jacques Myard. Quand on peut la jeter au panier, je ne vois pas pourquoi on la modifierait !

M. Jean Leonetti. L'analyse est de plus en plus fine !

M. Jacques Myard. Il n'est plus possible de douter encore de la nature fédérale de ce traité. Mais qu'il me soit possible d'ajouter quelques arguments complémentaires.

« L'Union a la personnalité juridique », dispose l'article I-7.

La brièveté de cet article n'est pas à la mesure de son importance. Dans les textes antérieurs, monsieur le ministre, la communauté avait une personnalité fonctionnelle liée à sa nature d'organisation internationale et lorsqu'elle signait les accords, c'était en réalité au nom des États membres. Désormais, c'est en son nom propre qu'elle le fera.

L'Union européenne devient désormais un sujet de droit international à part entière qui se substitue totalement aux États membres. Elle les coiffe. Les États membres deviennent des unités administratives régionales.

Je salue en la personne de M. le président de l'Assemblée nationale le futur président du conseil régional France. C'est ça la réalité ! (Sourires et exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Eh oui, je sais que cela ne vous fait pas plaisir, mais regardez la réalité ! Lisez les textes ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur Lequiller est un vieux-croyant ! Il a substitué la foi à la raison !

M. le président. Pour le moment, M. Myard a la parole et lui seul ! Nous sommes encore à l'Assemblée nationale !

Allez-y, monsieur Myard !

Mme Christine Boutin. Bonne référence, monsieur Brard !

M. Jean-Pierre Brard. Mais oui, je suis dans le temple de la raison, pas de la foi ! Nous ne sommes pas au Vatican, madame Boutin !

M. le président. Monsieur Brard, écoutons M. Myard !

M. Jacques Myard. J'en viens aux symboles de l'Union.

L'article I-8 essaie de donner à l'Union les signes extérieurs d'un État.

« Le drapeau de l'Union représente un cercle de douze étoiles d'or sur fond bleu » - c'est tiré de l'Apocalypse, comme chacun le sait, monsieur Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Oui !

M. Jacques Myard. En réalité, c'est le drapeau qui coiffe la Vierge Marie...

M. Jean-Pierre Brard. Eh oui !

M. Jacques Myard. « L'hymne de l'Union est tiré de l'"Ode à la joie" ». J'aurais préféré, comme Beethoven l'avait lui-même baptisé, l'hymne à la liberté.

« La devise de l'Union est : "Unie dans la diversité" ». Je ne dirai rien.

« La monnaie de l'Union est l'euro. »

« La journée de l'Europe est célébrée le 9 mai ».

Ajoutez à cela que le règlement devient la loi européenne et la directive la loi-cadre. La sémantique a un objectif subliminal.

Enfin, le texte institue la citoyenneté européenne et crée un ministre des affaires étrangères.

L'article I-10 institue une « citoyenneté de l'Union », ce qui va beaucoup plus loin que précédemment car elle concerne l'ensemble des droits créés par l'Union européenne.

L'article I-28 crée un « ministre des affaires étrangères de l'Union » qui doit disposer d'un service diplomatique dont certains veulent qu'il se substitue aux services nationaux.

Je conclurai sur ce point en rappelant que le texte du traité mentionne 150 fois le mot « Constitution », comme pour mieux se convaincre qu'il s'agit bien de la constitution d'un État fédéral.

Mais il y a plus grave. En effet, cette fédération est absolutiste et elle n'a en face d'elle aucun contre-pouvoir réel.

Le propre d'une fédération, c'est qu'elle existe par rapport aux éléments qui la composent, en l'occurrence les États fédérés. Une bonne fédération, c'est un équilibre entre le pouvoir de la fédération et les pouvoirs des États fédérés.

L'histoire des États-Unis ou de la Suisse le prouve et, au passage, relevons que dans ces deux cas, lorsque la fédération pousse trop loin son avantage, cela provoque, malheureusement, la guerre de 1848 en Suisse, la guerre de Sécession de 1861 à 1865.

Or en l'occurrence, il y a un total déséquilibre au profit de la fédération qui fonctionne comme un aspirateur à compétences.

Mais, me direz-vous, le traité constitutionnel, et vous l'avez souligné tout à l'heure, monsieur le ministre, met en exergue le principe de subsidiarité et de proportionnalité et le rôle des parlements nationaux.

Je vous le dis avec une certaine solennité, monsieur le ministre, et je vais vous le démontrer : jamais imposture ne fut plus glorieuse. (« Oh ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

La subsidiarité et la proportionnalité : ces principes font l'objet du protocole n° 2 annexé au traité.

Article premier : « Chaque institution veille au respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité ». Bravo !

Article 2 : « Avant de proposer un acte législatif européen, la Commission procède à de larges consultations. » Très bien ! « En cas d'urgence, la Commission ne procède pas à ces consultations [mais] elle motive sa décision ».

Article 4 : « La Commission transmet ses projets d'actes législatifs européens aux parlements nationaux en même temps qu'au législateur de l'Union». Très bien !

Article 5 : « les projets d'actes législatifs européens sont motivés au regard des principes de subsidiarité et de proportionnalité. » Très bien !

Article 6 : « Tout Parlement national peut, dans un délai de six semaines, adresser aux présidents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission un avis motivé exposant les raisons pour lesquelles il estime que le projet en cause n'est pas conforme au principe de subsidiarité. » Très bien !

Article 7 : « Le Parlement européen, le Conseil et la Commission tiennent compte des avis motivés adressés par les parlements nationaux ».

« Dans le cas où les avis motivés représentent au moins un tiers de l'ensemble des voix attribuées aux parlements nationaux, le projet doit être réexaminé. » Chacune des assemblées a une voix.

« À l'issue de ce réexamen, la Commission peut décider soit de maintenir le projet, soit de le modifier, soit de le retirer. Cette décision doit être motivée. »

Article 8 : « La Cour de justice [peut être saisie] par un État membre [et même] par le Comité des régions ».

Article 9 : « La Commission présente chaque année un rapport ». Etc.

Je suis désolé de vous dire : ce protocole est un ensemble de clauses vides. Et je vais m'en expliquer, car la délégation de l'Assemblée pour l'Union européenne a publié un rapport selon lequel c'est merveilleux ! Mais ouvrez les yeux !

En apparence, ce protocole donne le pouvoir procédural de dire : je ne suis pas d'accord, ce projet viole la subsidiarité.

Si le tiers au moins des parlements nationaux le disent, la Commission doit réexaminer son projet, mais elle peut le maintenir : c'est l'article 7.

Si la Commission ne suit pas ou si le Parlement ou cette assemblée le décide, il ou elle peut saisir la Cour de justice. Notons au passage que notre assemblée, qui incarne la souveraineté du peuple, en est réduite au rôle de simple plaideur alors même qu'il s'agit d'une question de souveraineté.

M. Nicolas Dupont-Aignan. L'Ancien Régime !

M. Jacques Myard. Mais comment la Cour de Luxembourg jugera-t-elle au terme du processus, puisque c'est elle qui aura le dernier mot ? Elle s'appuiera sur la norme fédérale. Or, nous avons vu que celle-ci est déterminée par la Fédération, et par elle seule. Dans ces conditions, et sauf erreur grossière de la Commission dans le processus − non-consultation du Parlement européen −, ce qui est franchement impensable, la Fédération aura toujours le droit pour elle, puisque c'est elle qui le définit.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Voilà le piège !

M. Jacques Myard. Voilà pourquoi, monsieur le ministre, votre fille est muette et cette clause vide et inutile. Nombre de constitutionnalistes français ont reconnu, en effet, que c'était une imposture.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Bien sûr !

M. Jacques Myard. En réalité, le principe de subsidiarité n'est pas un principe juridique, mais politique. Pour que cela fonctionne, il eût fallu que ce soient les gouvernements, les États qui décident, sous le contrôle des parlements nationaux, de ce qu'ils accordaient ou retiraient. Mais il est impossible de définir le principe de subsidiarité dès lors que le monopole de la définition du droit appartient au centre, et non pas à la périphérie. Voilà pourquoi cela ne peut pas fonctionner.

M. Nicolas Dupont-Aignan et M. Philippe Pemezec. Très bien !

M. Arnaud Montebourg. Ce sera un réel problème dans l'avenir !

Mme Christine Boutin. C'est un vrai problème !

M. Jacques Myard. Je le répète : c'est une glorieuse imposture.

Le protocole numéro 1 annexé définit l'importantissime rôle que le traité fédéral attribue aux parlements nationaux. Il comporte dix articles. Article 1er : la Commission transmet tous les documents européens aux parlements nationaux. Article 2 : la Commission transmet les projets d'actes législatifs. Article 3 : les parlements nationaux peuvent adresser aux présidents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission, un avis motivé concernant la conformité d'un projet d'acte législatif européen avec le principe de subsidiarité. Article 4 : les institutions de l'Union européenne doivent respecter un délai de six semaines pour adopter l'acte législatif, sauf urgence. Article 5 : les ordres du jour du Conseil sont transmis aux parlements nationaux. Article 6 : les parlements nationaux sont informés six mois avant en ce qui concerne l'article IV-444 sur la procédure de révision. Article 7 : la Cour des comptes transmet son rapport annuel aux parlements nationaux. Article 8 : cette information vaut pour les deux chambres dans les systèmes bicaméraux. L'article 9 concerne la coopération interparlementaire et l'article 10 prévoit que la COSAC peut donner des avis à l'Union européenne.

Ainsi, monsieur le ministre, les parlements nationaux n'auront plus besoin d'aller sur Internet pour prendre connaissance des projets de l'Union européenne. C'est un progrès fabuleux.

J'ai cru lire, dans un entretien accordé par le plus éminent d'entre nous, que le rôle des parlements nationaux était revalorisé. C'est là une deuxième imposture sans appel.

Mme Élisabeth Guigou. Pas du tout !

M. Jacques Myard. Vidés, saignés de leurs pouvoirs législatifs, les parlements nationaux sont devenus des donneurs d'avis sans suite, des théâtres d'ombres.

M. Nicolas Dupont-Aignan. L'Ancien Régime !

M. Jacques Myard. Non, ce n'est pas un rêve : on attend que nous nous fassions hara-kiri et que nous soyons contents.

Mais ce n'est pas tout. Non contente d'avoir capté à son profit tous les pouvoirs législatifs de l'Assemblée nationale et rejeté l'article 34 parmi les oripeaux de l'histoire, l'Union européenne a décidé de s'arroger complètement le droit de modifier d'elle-même le traité constitutionnel et d'accaparer le treaty making power, le droit fondateur de se fonder soi-même, comme aurait dit Pierre Mazeaud, quand il était député. C'est le summum.

Les alinéas 1 et 2 de l'article IV-444 prévoient que, lorsque la partie III du traité oblige à l'unanimité ou à des procédures législatives spéciales, le Conseil européen peut autoriser le Conseil à statuer à la majorité qualifiée ou selon la procédure législative ordinaire. Il informe les parlements nationaux, mais c'est pour leur dire qu'ils peuvent circuler, qu'il n'y a rien à voir. Ainsi, notre Parlement n'est plus qu'une annexe du musée du Louvre : voilà ce qu'on appelle une revalorisation des parlements nationaux !

Le droit de se retirer de l'Union européenne est un leurre. Vous me direz que, puisque tout cela ne fonctionnera pas, nous pourrons toujours nous en retirer − c'est la nouveauté de l'article I-60, qui consacre le droit de retrait volontaire de l'Union. Permettez-moi de sourire, car je suis convaincu que ce n'est là qu'une sorte de clause écran destinée à apaiser les craintes des gens qui, comme moi, pensent que le traité constitutionnel va trop loin dans la vassalisation des États. En réalité, les États seront, comme Gulliver, tellement empêtrés et entravés dans la multitude des règles fédérales que ce retrait volontaire ne pourra se faire que dans la crise.

Dans ces conditions, les protestations qu'a soulevées l'amendement présenté par M. Balladur paraissent un peu dérisoires et déplacées. Mes chers collègues, si vous voulez défendre les pouvoirs du Président de la République − et je serai le premier à le faire −, soyez logiques, repoussez ce traité qui réduit à néant la souveraineté de la France, et donc les pouvoirs de son Président.

M. Arnaud Montebourg. Nous sommes bien d'accord !

M. Jacques Myard. Ce projet marque la fin de notre démocratie.

M. Nicolas Dupont-Aignan et M. Philippe Pemezec. C'est vrai !

M. Jacques Myard. Il y a vingt-cinq siècles, dans La République, Platon consacra un chapitre à la dégénérescence des régimes politiques. Jeune étudiant de sciences politiques, je n'avais pas vraiment compris la portée de ces écrits. Aujourd'hui, je sais que la démocratie est mortelle, et qu'elle périt sous nos yeux, en raison de notre aveuglement et de notre lâcheté collective.

M. Jean-Pierre Soisson. Nous mourrons avec elle !

M. Jacques Myard. Je suis intimement convaincu que ce traité ne correspond pas au monde qui est le nôtre, et, tout d'abord, à l'Europe élargie. En matière économique, il faut avoir l'honnêteté de rappeler que la construction européenne a eu le mérite − elle fut, en cela, très progressiste − d'en finir avec le chauvinisme économique et avec les économies administrées nées des économies de guerre. On s'est ouvert sur le monde, on est revenu à 1914 et non pas à ce fameux esprit de système si caractéristique du XXe siècle. L'ouverture des frontières, l'ouverture à la concurrence dans un marché protégé par un tarif extérieur commun, a été un formidable moteur d'expansion. Cette période va de 1958 à 1984. Mais, comme dans toute entreprise humaine, l'esprit de système a fini par l'emporter sur le bon sens. L'Europe − du moins celle des technocrates, car que de crimes on commet en son nom, aurait pu dire Mme Roland − a voulu tout codifier, tout normaliser.

Il y a d'abord l'hyperharmonisation des législations. L'Europe est sans doute cent fois plus harmonisée, sur le plan législatif, que les États-Unis d'Amérique. Cette hyperharmonisation a entraîné une centralisation complète des décisions, empêchant chaque pays de pouvoir s'adapter en temps réel. L'affaire des taux de TVA sur la restauration et les CD devrait suffire pour réveiller les esprits et conduire à s'opposer à ce que tout soit cadenassé à Bruxelles.

L'économie, monsieur le ministre, c'est le pragmatisme, la souplesse avant toute chose. Or, ce traité ne prévoit aucune procédure pour réduire l'hypertrophie − 90 000 pages − de l'acquis communautaire. Une procédure de ce type devrait être dans les mains des gouvernements et des parlements nationaux. On devrait faire redescendre diverses compétences dans notre maison. Le traité que vous nous présentez ne l'envisage pas.

D'autre part, la Commission érige en dogme une vision exclusivement concurrentielle de l'économie.

Mme Christine Boutin. Ça, c'est vrai !

M. Jacques Myard. Les services publics sont réduits à de simples services d'intérêt économique général - SIEG −, subordonnés à la concurrence, conformément aux articles III-166 et III-167. Certes, je ne prétends pas que les services publics ne doivent pas se réformer, mais la soumission d'un service public au dogme de la concurrence constitue, dans son principe, une sorte d'oxymore.

Dans ces conditions, je m'interroge fortement sur la récente initiative du chef de l'État en faveur d'une politique industrielle volontariste, qui reprend les conclusions − que j'approuve − du rapport Beffa. Je ne suis pas du tout certain que cette initiative soit compatible avec ce traité. Je suis même convaincu du contraire. En réalité, il est évident que les critères de la politique de la concurrence de la Commission sont assez obscurs et ont très souvent joué contre nos intérêts. Les quelques cas que nous avons eu à connaître récemment nous le rappellent avec amertume : Pechiney et Alcan, Alstom, Schneider et Legrand, pour ne citer que ceux-là. Nous allons encore sans doute nous en apercevoir avec la prochaine directive sur les services, qui remet radicalement en cause la déontologie de nombreuses professions libérales en France. Or ce traité n'apporte aucune réponse à ces questions.

Plus grave, les pouvoirs confirmés de la Commission combinés au passage systématique à la majorité qualifiée vont jouer directement contre nos conceptions et nos intérêts.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Tout à fait !

M. Jacques Myard. Il eût été sage, monsieur le ministre, madame la ministre déléguée aux affaires européennes, d'instituer en matière de concurrence une possibilité d'appel devant le Conseil − instance politique − des décisions de la Commission − instance technocratique.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Bien sûr !

M. Jacques Myard. On ne trouve rien de tel dans ce traité. En définitive, c'est la Cour qui tranchera, c'est le gouvernement des juges, alors que, en économie, le politique doit régner en maître, en fonction de la nécessité des ajustements permanents que commande la conduite de l'économie.

M. Arnaud Montebourg. C'est un vrai problème !

M. Jacques Myard. Tout ne peut pas, tout ne doit pas aller devant le juge. Le passage systématique à la majorité qualifiée va jouer à plein contre nos conceptions économico-juridiques et nos écoles de pensée. On l'a vu, récemment, à propos des normes comptables : l'Europe a adopté les normes américaines ; nous nous sommes couchés.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Une fois de plus !

M. Jacques Myard. L'esprit de système prévaut particulièrement en matière monétaire. Parlons de l'euro. Vous vous rappelez que, avec la création de l'euro, on nous promettait un avenir radieux.

Mme Christine Boutin. C'est ce qu'on nous avait dit !

M. Jacques Myard. C'était presque du léninisme militant.

M. Pierre Lequiller. Vous voulez revenir au franc ?

M. Jacques Myard. Avec l'euro, la croissance était assurée. Si croissance il y a eu, c'est celle du chômage. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Michel Piron. Caricature !

M. Jacques Myard. Cela vous choque, mais je vais vous donner des chiffres, ceux de l'OCDE. Depuis le 1er janvier 1999, date d'entrée en vigueur de l'euro, le taux de croissance annuel des pays de la zone euro a été de 1,9 %, mais celui des pays de l'Union européenne n'appartenant pas à la zone euro, excepté les nouveaux entrants, a été de 2,5 %. Bien plus, depuis que l'euro existe, le taux de croissance des pays de la zone euro a été inférieur au taux de croissance des pays de l'Union européenne n'appartenant pas à la zone euro.

M. Jean Ueberschlag. Il faut rappeler l'exemple de la Suisse, monsieur Myard !

M. Jacques Myard. Toutes les statistiques le prouvent !

M. Jean-Pierre Soisson. La démonstration ne tient pas !

M. Jacques Myard. Si cela ne vous fait pas plaisir, vous aurez le droit de vous exprimer, mais, pour l'instant, écoutez-moi !

Année après année, le taux de croissance dans la zone euro a été inférieur à celui hors zone euro : 2,8 % contre 3 % en 1999 ; 3,7 % contre 3,8 en 2000 ; 1,7 % contre 1,9 % en 2001 ; 0,9 % contre 1,6 % en 2002 ; 0,5 % contre 2 % en 2003 ; 1,6 % contre 2,9 % en 2004.

Mme Christine Boutin. C'est à M. Trichet que l'on doit cela !

M. Jacques Myard. La croissance économique est plus forte pour les pays membres de l'Union européenne hors zone euro que pour ceux de la zone euro.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Merci, monsieur Trichet !

M. Jacques Myard. Et qu'on ne vienne pas me dire que cette différence est due aux 35 heures et à l'absence de flexibilité, car les chiffres que j'ai cités concernent la croissance moyenne dans tous les États européens, dans la zone euro et hors zone euro, et pas le simple cas français.

Il faut regarder la réalité en face : la zone euro n'est pas la zone économique optimale qui rende possible une politique monétaire cohérente, efficace, pour accompagner la croissance.

Mme Christine Boutin. Il faut changer de dogme !

M. Jacques Myard. Il n'est donc pas étonnant que le chômage ait augmenté dans la zone euro tandis qu'il diminuait en Grande-Bretagne. Le taux de chômage de la zone euro est ainsi passé de 8 % de la population active en 2001 à 8,8 % en 2004 alors que, dans le même temps, celui de la Grande-Bretagne baissait de 5,1 % à 4,8 %.

M. Pierre Lequiller. La Grande-Bretagne a moins d'impôts !

M. Jacques Myard. Certes, mais ce n'est pas la seule raison.

Les performances extrêmement médiocres de la zone euro ne sont pas dues au hasard. Elles sont le fruit de la politique économique suivie par la zone, qui n'a pas su s'adapter au ralentissement économique mondial.

Mme Christine Boutin. Absolument !

M. Jacques Myard. Plus précisément, elles sont le résultat des contraintes du pacte de stabilité et de la politique monétaire insuffisamment active de la Banque centrale européenne. Du fait des contraintes du pacte de stabilité, les États membres n'ont pas été capables de stimuler l'activité de leur économie.

Mme Christine Boutin. C'est du Trichet !

Mme Marie-Hélène des Esgaulx. C'est une vue de l'esprit !

Mme Claude Greff. Vous êtes trop négatif !

M. Jacques Myard. Si l'on mesure en effet l'impulsion communiquée à l'économie par le biais de la politique budgétaire au moyen de la variation du solde budgétaire primaire corrigé des variations cycliques, on voit que les États membres de la zone euro n'ont donné qu'une impulsion pratiquement nulle à leur économie au cours des années 2002-2004, alors que, pendant la même période, cette impulsion s'est élevée à 3,4 points du PIB en Grande-Bretagne.

Mme Claude Greff. Moi, je préfère voir le verre à moitié plein que le verre à moitié vide !

M. Jacques Myard. Sur le plan de la politique monétaire, nous pouvons constater qu'au cours des années 2002 à 2004, le taux de change effectif de l'euro a augmenté de 18 %, ce qui a contribué à déprimer l'activité économique, alors que celui de la livre sterling n'augmentait que de 2 %.

Mme Christine Boutin. Cela n'a rien à voir !

M. Jacques Myard. Or le traité que l'on nous présente ne dit mot sur la nécessité absolue de pouvoir rappeler la Banque centrale européenne à une politique qui tienne compte des réalités économiques et politiques. C'est une occasion gâchée.

Mme Christine Boutin. On l'a déjà abandonnée !

M. Jacques Myard. Il eût fallu introduire dans le corps du traité la possibilité pour le Conseil européen et le Conseil « euro » de donner des directives à la Banque centrale européenne, même si la vanité et l'orgueil de ses technocrates devaient en être froissés.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Bien sûr !

M. Jacques Myard. C'est le politique qui doit avoir le dernier mot.

M. Jean-Pierre Soisson. Le Conseil européen n'est pas composé de technocrates, il comprend les présidents !

M. Jacques Myard. Les présidents n'ont aucun pouvoir, c'est ça le problème.

M. Jean-Pierre Soisson. Ils peuvent en avoir.

M. Jacques Myard. Moi, je veux donner des pouvoirs au Conseil européen. Ce traité ne leur en donne pas.

J'en viens maintenant à ce que sera l'union de transfert. Dans une zone à monnaie unique, plaquée artificiellement sur une telle hétérogénéité, il est évident que si les éléments qui constituent cette zone ne croissent pas à la même vitesse ou n'ont pas le même taux d'inflation, tout se terminera par une union de transfert. En d'autres termes, les riches paieront pour les moins riches, sinon ils ne pourront pas rester dans la zone de la monnaie unique.

M. Jean-Pierre Brard. C'est déjà un peu comme ça !

M. Michel Piron. M. Brard est pour !

M. Jacques Myard. En effet, les moins riches ne pourront pas retrouver de la compétitivité en ajustant leurs taux monétaires internes et externes.

La volonté de la France et de la RFA, qui veulent plafonner les dépenses et le budget de l'Union européenne à 1 % du PIB, constitue à cet égard une double incongruité, au regard, d'abord, de l'élargissement et du maintien des politiques actuelles, PAC et fonds structurels, ensuite, du fonctionnement même de la monnaie unique. L'Union européenne, je suis désolé de vous le dire mais c'est, pour moi, une certitude, c'est, à terme, plus d'impôts.

La France paiera plus. Je vous rappelle à ce propos que la France a un solde débiteur de plus de 2 milliards d'euros au budget de l'Union européenne, ce qui est loin d'être négligeable, et que ce solde débiteur s'est accru ces dernières années, passant de 864 millions d'euros en 1998 à plus de 2,184 milliards en 2002.

M. Michel Piron. Tout est dans tout et réciproquement !

M. Jacques Myard. Un mot enfin sur la conception économique de l'Europe et l'arrimage à l'Allemagne.

Si la zone euro est frappée de langueur, ce qui nous conduira inéluctablement à une union de transfert, nous devons aussi ouvrir les yeux sur la situation de l'Allemagne dont l'implosion démographique tire la zone euro vers le bas.

C'est une faute sans appel que de s'être totalement arrimé à l'Allemagne, le nouvel homme malade de l'Europe. L'Allemagne continue d'exporter, car elle a une belle industrie, mais elle ne nous achète plus. Ce n'est pas moi qui le dis, ce sont de hauts fonctionnaires très proches du Chef de l'État. En diplomatie, monsieur le ministre, madame la ministre, on ne doit pas jouer qu'une seule carte. Or c'est ce que nous faisons avec ce « tout-Europe » et ce « tout-Allemagne ». En diplomatie, madame, il faut être polygame, c'est le meilleur moyen de ne pas mettre les œufs dans le même panier.

Mme Élisabeth Guigou. Pourquoi vous adressez-vous à une femme en disant cela ?

M. Arnaud Montebourg. Cela mérite une explication. C'est misogyne !

M. Jacques Myard. Oh, un peu d'humour, madame Guigou. Vous pouvez aussi être polyandre.

M. Arnaud Montebourg. C'est de mauvais goût ! Et ce n'est pas une femme qui vous le dit ! (Sourires.)

M. Jacques Myard. Oh ! vous savez, je suis un grand libéral, je ne vais pas contrôler...

Ce traité constitue une occasion manquée pour contrôler les pouvoirs technocratiques de la Commission et de la Banque centrale européenne, qui vont continuer à régner en maître selon leur bon plaisir, mais j'espère que le peuple fera entendre sa voix.

Par ailleurs, ce traité ne correspond pas aux défis politiques d'une Europe élargie.

Mme Claude Greff. Il vaut mieux ne rien faire ?

M. Jacques Myard. En effet, il se propose de réglementer pratiquement tous les aspects législatifs dans un super État, de la monnaie à la santé en passant par la défense commune, pour vingt-cinq, voire trente États. C'est le mythe de l'Europe unie et puissance à la fois. Une idée géniale dans l'esprit de Dieu. Or il faut être aveugle pour ne pas comprendre que l'hétérogénéité de ce continent rend illusoire que ces trente États puissent marcher du même pas et penser la même chose. Le passage des prises de décisions à la majorité qualifiée n'y changera rien, l'Europe restera un mastodonte, un machin hétéroclite aux pieds d'argile, qui s'écroulera au premier choc.

Avez-vous relevé en outre que le Conseil européen serait présidé par un futur retraité ? Dans la série des utopies, le traité contient une perle. Il prévoit en effet que le président du Conseil européen ne peut exercer de mandat national.

M. Arnaud Montebourg. En France, nous aurons un retraité mis en examen !

M. Jacques Myard. Comment peut-on imaginer que le conseil des chefs d'État et de gouvernement soit présidé par quelqu'un qui ne représente rien ou, pire, qui a été remercié par le suffrage universel de son pays ?

Mme Claude Greff. Oh !

M. Jacques Myard. Je ne comprends pas.

De mon point de vue, l'Europe doit, pour réussir, s'élargir et s'amaigrir. L'élargissement était politiquement inévitable et souhaitable, mais si l'Europe devait s'élargir, elle devait, dans le même temps, s'amaigrir pour ne s'occuper que de l'essentiel, avec quelques principes et quelques politiques communes.

En réalité, cette usine à gaz que l'on nous propose ne tiendra que dans une camisole de force, avant que tout n'explose. L'échec de cette construction contre-nature est programmé et certain.

J'en viens maintenant à un point qui mérite réflexion, les coopérations renforcées.

Bien que pris dans une sorte de délire fédéraliste, les auteurs du traité ont, dans un instant de lucidité, pris conscience que tout cela n'avait aucune chance de réussir. Ils ont donc imaginé qu'il serait souhaitable d'avoir des coopérations renforcées à quelques-uns, c'est l'article I-44. Mais le mécanisme prévu est voué à l'échec puisqu'il est fermement encadré par le traité lui-même. Les coopérations renforcées ne peuvent pas concerner les compétences exclusives ; elles doivent favoriser la réalisation des objectifs de l'Union européenne ; elles doivent renforcer son processus d'intégration - c'est toujours la même volonté de tout mettre au pas ; elles doivent mettre en jeu la participation d'un tiers des États de l'Union, les autres assistant aux délibérations ; elles doivent recueillir, aux termes de l'article III-419-2 du traité, l'accord de la Commission.

C'est toujours plus d'Europe qui est exigée alors qu'il faudrait moins d'Europe pour réussir.

Quant à la PESC à trente qui doit fonder l'Europe puissance, permettez-moi de sourire. Ce sera, au mieux, l'inanité sonore des déclarations fades et affadies et plus sûrement le lieu commun de la paralysie éplorée.

Pour agir, monsieur le ministre, la France n'a pas besoin de la PESC, ni de cette constitution. La France, la Grande-Bretagne, la RFA, agissent ensemble de manière pragmatique, souple, comme on l'a vu récemment avec l'Iran.

Point n'est besoin d'un ministre des affaires étrangères et de l'Union européenne. C'est une dépense inutile et contreproductive.

Mais il y a pire : ce traité est dangereux pour les objectifs de l'Europe eux-mêmes. Vous le savez, l'idée européenne est née des conflits européens. Pour certains, il fallait véritablement briser les nationalismes, notamment français et allemands, et créer un pouvoir supranational pour maintenir la paix. Cette logique m'a toujours paru un peu simpliste et même totalement erronée.

Ce n'est pas le commerce, ce ne sont pas les échanges qui apportent la paix. La France était le premier client de l'Allemagne et le premier fournisseur de l'Allemagne en 1914 et réciproquement. On sait ce qu'il advint.

Ce n'est pas la construction européenne qui a imposé la paix sur notre continent, mais la prise de conscience du peuple allemand, qui a enfin compris que les vertus de la démocratie étaient supérieures aux aventures militaro-industrielles. Et cela allié à la volonté politique du général de Gaulle et d'Adenauer. La réconciliation franco-allemande est un acquis national des deux côtés du Rhin. L'Europe ne changera rien à cela, je crains même que ce soit le contraire, en raison de sa complexité.

Mais aujourd'hui, en voulant, à coup de traités et de majorités qualifiées, imposer les mêmes normes pour tous, les fédéralistes jouent avec le feu. Ils sont à proprement parler des apprentis sorciers car les nations demeurent des réalités bien vivantes. On nous propose avec ce traité de vivre partout en Europe selon les mêmes normes, les mêmes concepts. C'est une sorte d'Europe phalanstère qu'on impose à tous. Les Européens doivent habiter la même maison, et peut-être même coucher dans la même chambre.

Mme Anne-Marie Comparini. Oh !

M. Jacques Myard. C'est une erreur sans appel, qui est la cause même de la crise d'identité de la France et qui va provoquer le réveil des nationalistes, j'en suis intimement convaincu.

Ce traité enfin propose une construction européenne décalée par rapport au monde d'aujourd'hui. Cette constitution est un peu obsolète. Elle constitue une sorte d'anachronisme véhiculant l'idéologie des blocs des années cinquante alors que le monde a radicalement changé.

Lors de la conférence de Messine, en 1955, le monde était divisé en deux blocs. La construction de l'Europe apparaissait alors comme une réponse à ce monde bipolaire. À l'époque, pour compter économiquement, on estimait qu'il fallait appartenir à une entité économique et politique qui dépassait le simple cadre étatique de chacune des nations européennes. Il semblait alors naturel de se marier entre européens pour atteindre la taille critique et peser sur le monde économique et politique.

La réalité d'aujourd'hui, monsieur le ministre, est tout autre. Nous vivons dans un monde globalisé, fini, multipolaire, dans lequel les relations transnationales se sont fortement développées. La révolution des communications fait de notre planète un village planétaire. La globalisation a relativisé la proximité géographique. La notion de proximité géographique, qui commandait jadis de se marier avec son voisin immédiat, s'est largement relativisée. Elle a en effet radicalement transformé la géographie puisque nous pouvons communiquer avec le monde entier en temps réel. On constate d'ailleurs que nombre d'entreprises françaises en ont tiré déjà les conclusions. Renault s'est marié avec Nissan, au Japon, Snecma s'est allié avec General Electric, Pechiney avec Alcan, mariages forcés dans un sens ou dans l'autre peut-être, mais une réalité.

M. Michel Piron. Et alors ?

M. Pierre Lequiller. Et Airbus ? Et l'A380 ?

M. Jacques Myard. Les entreprises ont un marché mondial. Il peut y avoir de belles réussites européennes, monsieur Lequiller, je suis d'accord, comme Airbus. Mais c'est de l'intergouvernemental, c'est l'Europe que je veux, ce n'est pas le « machin » de la Constitution européenne.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Cela n'a rien à voir avec la Constitution !

M. Jacques Myard. Vive Airbus ! Mais cela n'a rien à voir avec la Constitution.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Bien sûr !

M. Jacques Myard. Les Européens auraient des valeurs communes, la démocratie, le respect de la dignité humaine, les droits de l'homme. Mais ces valeurs, monsieur le ministre, elles sont désormais universelles, ou bien elles n'existent pas. Rome n'est plus dans Rome. Au demeurant, nous avons parfois davantage à partager, nous Français, avec des nations non européennes mais proches de nous qu'avec des États européens excentrés avec lesquels nous ne partageons pas d'histoire commune - je n'ai pas à m'appesantir, c'est évident.

M. Jean Leonetti. Lesquels ?

M. Jacques Myard. L'Union ferait la force. Les Européens auraient des conceptions communes qui seraient à la base de la construction de l'Europe. Ils veulent vivre en paix, je vous l'accorde, mais ces conceptions communes apparaissent parfois bien fragiles. Le Président de la République doit se souvenir avec une certaine amertume de l'accueil qu'il reçut au Parlement européen en 1995, lorsque la France reprit ses essais nucléaires : la France y fut proprement huée.

M. Pierre Lequiller. Elle a continué à faire ces essais. Personne ne l'en a empêchée. C'est un mauvais exemple.

M. Jacques Myard. Quant à l'affaire irakienne, elle est, dans tous les esprits, comme un bel exemple de l'unité des Européens !

Les intérêts communs des États européens seraient aussi un axiome de base - il en existe, c'est évident -, mais rien de tel qui justifie de fusionner dans un seul État. En matière économique, les entreprises françaises, allemandes et anglaises se livrent une concurrence acharnée. En matière culturelle, la France défend bec et ongles, parfois contre ses partenaires, sa culture, sa langue, et prône l'exception culturelle. Son action est malheureusement désormais vouée à l'échec avec les nouvelles règles du traité.

Permettez-moi une incidente s'agissant de notre langue. Il est un consensus dans notre pays pour regretter le recul du français, mais ce recul est tout simplement lié au fait que la France n'est plus lieu, n'est plus instrument de pouvoir. Elle devient une zone géographique secondaire, une entité vassalisée. Le pouvoir est à Bruxelles. On n'apprend pas la langue des vassaux, monsieur le ministre ; on leur impose la langue des dominateurs. En revanche, on apprend toujours la langue des hommes libres, car ils sont par définition les égaux des plus puissants !

Il faut regarder la réalité en face, cette construction européenne intégriste et exclusive ne correspond pas à la réalité internationale actuelle. C'est une sorte de ligne Maginot dans un monde en mouvement où, pour agir, vous devez aller palabrer à Bruxelles, alors que le temps presse. Il faut des décisions politiques immédiates et il est ridicule de tout concentrer à Bruxelles.

J'en viens à ce qui était peut-être pertinent en 1955, mais qui ne l'est plus, à savoir la corrélation entre la taille et la puissance. Jadis, pour être puissant, il fallait être grand et gros. C'était vrai économiquement et politiquement. Mais, déjà, les exceptions étaient célèbres. Souvenons-nous de Marengo, où les petits ont battu les gros ! Néanmoins, la course à la taille était la règle. Plus on devenait grand et gros, plus on était puissant.

M. Jean-Pierre Brard. Vous êtes un contre-exemple, cher collègue !

M. Jacques Myard. Désormais, la règle est fort différente. Dès lors que l'on atteint une taille et une masse suffisantes - c'est le cas de la France -, la course au gigantisme est souvent une entrave à l'efficacité. Aujourd'hui, les entreprises n'ont de cesse d'externaliser, de sous-traiter, et cela dans le monde entier. Je vous donnerai un exemple probant : l'industrie automobile a vu ses effectifs décroître de moitié ces dernières années. General Motors est ainsi passée de 1 million d'employés à 450 000, alors que son marché est le monde entier, comme pour les entreprises françaises.

La globalisation économique rend obsolète la notion de marché européen unique. La course à la taille n'est plus la règle ; c'est même un leurre en économie comme en politique. Les entreprises doivent être mobiles, réactives dans un marché mondial dans lequel l'Europe n'est qu'un élément. Et cela vaut aussi pour les États. La France, qui a une taille minimale - quatrième ou cinquième puissance économique, troisième puissance nucléaire, membre du Conseil de sécurité -, de par sa réactivité, sa mobilisation cohérente, l'a souvent prouvé, bougeant les lignes dans le monde entier. La France libre et indépendante est une entraîneuse d'hommes et de nations. Le Président Chirac l'a amplement démontré. Il n'a rien à gagner aux palabres de Bruxelles puisque le monde entier est à sa disposition.

Dans ces conditions - je le dis un peu solennellement -, appréhender le monde à travers le prisme étroit de l'Europe hétéroclite et avec des gens qui ne nous aiment pas toujours est une faute lourde. La construction européenne que vous nous proposez constitue un anachronisme, une fuite en avant vers un monde révolu.

J'en viens à ma conclusion. Je crois avoir amplement démontré que la France a tout à perdre en aliénant sa liberté, son indépendance, dans cet ensemble contre nature d'un autre âge et décalé par rapport au monde actuel. Cette Europe, ce n'est pas la modernité. Cette construction européenne est obsolète, monsieur le ministre. Cette aliénation est d'autant plus incompréhensible qu'il existe une alternative réaliste et raisonnable qui permettrait à la fois de sauvegarder l'indépendance nationale, fondement même de notre démocratie, et de prendre en compte l'organisation de la coopération nécessaire au voisinage européen.

Il faut organiser notre continent à deux niveaux - je suis sûr que cela arrivera, car cette construction ne fonctionnera pas.

Au niveau du marché, d'abord, un marché unique, mais avec des règles simples, quelques principes, quelques politiques : libre circulation des biens et des services - on ne peut pas faire circuler des hommes pour, ensuite, avoir des antagonismes ! -, égalité de traitement des entreprises, non-discrimination, règles de libre concurrence avec appel devant le Conseil des ministres, quelques politiques communes - la coordination des transports, l'environnement pour sa dimension continentale. Bref, tout ce qui rationalise et organise la libre circulation sans rechercher l'harmonisation de tout à tout prix, sans oublier d'ailleurs que l'Europe est aujourd'hui une sous-zone de la globalisation où rien n'est harmonisé.

Puis au-dessus de ce marché, dans une union libre d'États souverains - Vive l'union libre, madame la ministre, monsieur le ministre ! - qui vont se charger de la sécurité collective, conformément à la charte des Nations unies, dans une sorte de conseil de sécurité européen, dans un pacte des nations qui autorise toutes les coopérations à la carte dans une totale liberté, pas avec la Commission sur le dos !

Le choix est donc simple et clair, mes chers collègues.

Vous pouvez vous bercer d'illusions et pratiquer la fuite en avant, vous aveugler de l'esprit de système et adopter cette constitution européenne. Vous mettrez alors un terme à la démocratie nationale. Il ne vous restera qu'à partir en vacances, car vous scellerez la fin de la souveraineté de ce parlement et de la France. Vous méditerez alors Montesquieu : « J'étais empereur et on m'a fait patron de galère. »

Ou alors, vous vous ressaisissez, vous renvoyez à leurs chères études ces apprentis sorciers pétris d'idéologie obsolète et refusez ce traité constitutionnel. Rassurez-vous, ce ne sera pas le chaos ! La terre continuera de tourner ; la France gardera la maîtrise de son destin ; la coopération européenne en sortira grandie et plus raisonnable !

Avant que vous vous prononciez, je voudrais vous rappeler que notre pays connaît une triple crise :

Une crise économique avec 10 % de chômeurs, quel que soit le gouvernement, et une croissance molle dont la Banque centrale est l'un des principaux responsables ;

Une crise politique dont l'expatriation du pouvoir politique dans les mains des eurocrates de Bruxelles et Francfort est la cause - c'est d'ailleurs l'article 20 de la Constitution que vous auriez dû modifier pour qu'il y soit précisé : « Le Premier ministre ne conduit plus la politique de la nation. Adressez-vous à Bruxelles. » - ;

Et, surtout, une crise identitaire, car le fait national, la fierté nationale sont devenus des péchés pour les eurocrates et sont proscrits par l'Europe intégriste.

M. Pierre Lequiller. Mais non ! Nous aimons la nation autant que vous !

M. Jacques Myard. Aujourd'hui, on nous propose - sublime utopie ! - de mourir pour renaître - sterben zu werden, comme disait Goethe -,...

M. Pierre Lequiller. Parlez français !

M. Jean-Pierre Brard. Vous parlez parfois latin, monsieur Lequiller !

M. Jacques Myard. ...dans une construction artificielle née de l'esprit de système, hétéroclite bientôt jusqu'à la Turquie, vouée à la dislocation et à l'échec.

La France doit impérativement et plus que jamais recouvrer sa liberté de manœuvre pour garder la maîtrise de son destin et faire face à un monde qui va à la dérive et dans lequel la haine a un brillant avenir. Nous n'avons pas besoin de plus d'Europe. Nous avons besoin d'une coopération européenne maîtrisée et qui s'en tienne à l'essentiel. Nous n'avons pas d'avenir en dehors de la nation, cette force indicible et mystérieuse qui emplit le tumulte des siècles et qui toujours raison des constructions artificielles et contre-nature.

Oui, la nation et elle seule demeure plus que jamais notre projet ! Elle est notre lien social, notre identité dans un monde sans repère. La nation est la clef de voûte de la coopération internationale. Alors, souvenez-vous que la République n'existe que par l'indépendance nationale. A défaut, elle ne sera qu'un canton ! Rendons la nation à la République et allons dans le monde !

En adoptant ma question préalable, prélude au rejet d'un traité constitutionnel voué à l'échec, vous redonnerez confiance aux Français, vous éviterez le réveil des nationalismes étroits et bornés (Rires sur les bancs du groupe socialiste) en Europe, car cette constitution est une véritable camisole de force, une entrave à la liberté des peuples, des nations et des démocraties nationales. Ce traité constitutionnel est dangereux pour l'Europe elle-même. Il conduit au retour à l'organisation du Saint Empire romain germanique qui niait justement les nations. Ce traité porte en lui-même une crise sans pareil qui emportera l'idée même de construction européenne, c'est une certitude !

Homme libre, toujours du chériras la France,

Patrie commune, terre de tous.

La nature l'a faite belle.

Son œil contient le couchant et l'aurore.

Elle répand des parfums comme un soir orageux.

Ses baisers sont un philtre et sa bouche une amphore,

Qui font le héros sublime et l'enfant courageux.

Mes chers collègues, ressaisissez-vous et votez ma question préalable ! Demain matin, vous pourrez alors vous raser sans honte ! (Rires et exclamations sur divers bancs.)

M. Philippe Pemezec. Très bien !

M. Jacques Floch. Il est content de lui !

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Je n'entends pas répondre globalement à M. Myard, mais je veux lui redire ma conviction européenne.

Je ne crois pas que l'Europe soit une « usine à gaz enfermée dans une camisole de force », pour reprendre votre expression, monsieur Myard. A moins que l'usine à gaz soit particulièrement petite et la camisole bien grande, c'est impossible ! Ce n'est qu'un exemple des excès dont vous avez émaillé votre tentative de démonstration, permettez-moi de vous le dire amicalement.

M. Jacques Myard. C'est la vérité !

M. le garde des sceaux. Je reviendrai sur quelques points, car cela me paraît utile pour la réflexion de l'Assemblée nationale.

Tout d'abord, j'ai été profondément choqué lorsque vous avez dit que le Président de la République n'aurait pas eu le droit de signer le traité. Vous savez bien que c'est faux !

M. Jacques Myard. Non !

M. le garde des sceaux. L'article 54 de la Constitution permet justement au Conseil constitutionnel de préciser ce qu'il convient de modifier avant la ratification d'un traité.

M. Jacques Myard. Le Président de la République veille au respect de la Constitution, monsieur le ministre !

M. le garde des sceaux. Vous ne devriez pas dire des contrevérités !

M. Jacques Myard. Ce n'est pas une contrevérité !

M. le garde des sceaux. Monsieur Myard, je vous respecte.

M. Jacques Myard. C'est réciproque !

M. le garde des sceaux. Je ne vous ai jamais interrompu. Appliquez aussi cette règle !

Vous avez ensuite critiqué globalement l'accroissement des compétences communautaires et la clause de flexibilité, laquelle permet au Conseil, à l'unanimité, de combler une éventuelle lacune dans la compétence de l'Union, si une action est nécessaire pour réaliser l'un des objectifs du traité. Quant à la création d'un mécanisme de contrôle du principe de subsidiarité, nous l'avions réclamée des dizaines de fois lorsque j'étais député. Enfin, nous l'obtenons dans ce traité constitutionnel ! On ne peut que s'en féliciter . Soyez sportif !

S'agissant du contrôle de constitutionnalité, vous avez évoqué l'analyse de Kelsen. Or, elle est erronée. En effet, il faut distinguer l'ordre juridique européen et l'ordre juridique interne. Dans l'ordre juridique européen, le traité nouveau de Rome est effectivement au sommet de la hiérarchie des normes et un État ne peut manquer aux engagements qu'il prend en le ratifiant. En revanche, en droit interne, la Constitution française reste la norme suprême et le juge interne ne peut l'écarter, y compris au profit du traité européen.

Par ailleurs, vous avez évoqué la personnalité juridique de l'Union. Je vous rappelle que la Communauté en disposait déjà. Ce n'est donc pas une innovation.

Vous avez dit que l'Union aurait certaines des caractéristiques d'un État.

M. Jacques Myard. D'un État fédéral, en effet !

M. le garde des sceaux. Il est vrai qu'il y aura des symboles, mais, comme l'a souligné à juste titre le président Clément, ce sont les États qui définissent par les traités les compétences de l'Union. Celle-ci n'a aucune capacité de contrainte sur ses membres. C'est un point très important.

Vous avez cru bon d'évoquer la question technique des normes comptables, très importante pour la vie des entreprises, et votre tentative de démonstration m'a fait sursauter. Vous avez choisi un contre-exemple, monsieur Myard. En effet, il y a eu des discussions extrêmement fermes, une intervention du Président de la République lui-même, et l'Europe n'a accepté que les normes comptables qui lui paraissaient pertinentes et a refusé certains des éléments qui lui étaient proposés par les Américains dans cette négociation.

Cet exemple ne sert pas votre démonstration, car si nous avons pu obtenir, en termes de normes comptables, un dispositif satisfaisant pour les entreprises européennes, c'est justement grâce à la capacité de négociation que nous donne l'Union. Il ne faut pas travestir la vérité.

Enfin, sur un plan plus général, vous avez défendu une idée qui m'a profondément choqué et qui constituait au fond l'essentiel de votre propos. Vous avez dit que ce n'était pas la construction européenne qui avait apporté la paix à notre continent.

M. Jacques Myard. En effet !

Mme Claude Greff. On ne peut pas dire cela !

M. le garde des sceaux. Comment peut-on dire une chose pareille ? C'est effrayant ! Nous le voyons tous : depuis plus de cinquante ans, grâce à la construction européenne, il existe à l'intérieur du continent européen un foyer de paix et de sérénité au sein des relations internationales.

M. Jacques Myard. Mais non !

M. le garde des sceaux. Vous avez également prétendu que les grands succès des entreprises à l'échelle européenne n'étaient pas le fruit de la construction européenne.

M. Jacques Myard. Je n'ai pas tout à fait dit cela !

M. le garde des sceaux. Mais qu'est-ce que le marché unique sinon la possibilité de disposer d'un espace commun dans lequel les entreprises communes ont pu réussir ?

Mme Claude Greff. Exactement !

M. le garde des sceaux. J'en viens à un sujet sur lequel je travaille tous les jours et sur lequel je conclurai, non sans gravité. Heureusement que la construction européenne existe pour nous donner des moyens de lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée !

M. Jacques Myard. Bien sûr ! Je n'ai rien contre la coopération entre les États !

M. le garde des sceaux. Nous le voyons à Bruxelles, chaque fois que se tient le Conseil des ministres de la justice et des ministres de l'intérieur. Dans ce domaine, nous obtenons des résultats concrets. Je tiens à le rappeler car votre démonstration était - je vous le dis en toute amitié, monsieur Myard - totalement outrancière. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur les bancs du groupe Union pour la démocratie français .)

M. le président. Nous en venons aux explications de vote.

La parole est à M. Arnaud Montebourg, pour le groupe socialiste.

M. Arnaud Montebourg. Nous avons écouté avec beaucoup d'attention la question préalable de M. Myard, mais nous n'arrivons pas à entrer dans sa logique. Pourtant, parmi les socialistes - et je ne pense pas seulement à ceux qui sont présents dans cet hémicycle -,...

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Il faut dire qu'ils ne sont pas très nombreux !

M. Arnaud Montebourg. ...nous nous sommes interrogés longuement sur la signification de ce texte, puisque nous avons eu, avant la nation tout entière, un long débat sur ce sujet.

Nous ne pouvons pas à souscrire à l'idée qu'il serait impossible de croire à la construction d'une Union européenne forte. C'est là un point fondamental qui nous oppose. Les constructeurs de l'Europe ont fait la paix. Ils ont bâti un avenir pour l'ensemble des nations européennes et cherché à dépasser les conflits pour agir ensemble face aux périls du monde.

Ces périls sont de toute nature : le terrorisme, qui est le plus dangereux et le plus directement menaçant, les risques écologiques, qui menacent la planète entière et contre lequel un État seul ne peut pas lutter, la mondialisation du marché, face à laquelle il serait absurde qu'un État se dresse, comme un coq sur un tas de fumier, ou évoque 1914 avec nostalgie.

Dans son rapport, M. Blum cite Robert Kagan qui, d'une manière railleuse, très américaine, regarde l'Europe avec condescendance. Selon lui, les tenants de la puissance, venant de Mars, seraient Américains. Quant aux tenants de la féminité - dieu sait si, dans votre discours, monsieur Brard, la femme a été malmenée -, se rattachant à l'ordre de Vénus, ils seraient européens. On discernerait de la lâcheté et du renoncement chez ceux-ci, alors que les Américains seraient l'image de la force et de la puissance.

Certes, les Européens ont besoin de s'organiser pour bâtir ensemble.

M. Jacques Myard. Sûrement pas comme cela !

M. Arnaud Montebourg. Mais on ne peut pas en même temps exalter la nation et crier au danger que le nationalisme peut faire courir à l'Union européenne. Il faut choisir.

Pour notre part, nous l'avons fait. Sur les bancs socialistes, il y a aujourd'hui unanimité, même si des divergences subsistent sur la stratégie à adopter au sujet du traité instituant une constitution. Nous sommes tous fédéralistes.

Vous avez stigmatisé cette position, monsieur Myard.

M. Jacques Myard. Oui !

M. Arnaud Montebourg. Mais nous sommes fédéralistes comme les Américains ont pu l'être, alors qu'ils avaient une langue commune. Nous sommes fédéralistes avec une histoire, avec des champs de bataille, avec des monuments aux morts et avec des cimetières qui sont ou non sous la lune, pour citer un grand écrivain français.

M. Jean Ueberschlag. Bernanos !

M. Arnaud Montebourg. Nous devons bien sûr nous unir et renforcer ce qui nous est commun. Mais, mon cher collègue, dire avec ironie et méchanceté que nous ne sommes plus qu'un conseil régional de France ou un petit canton d'Europe, c'est finalement mépriser ce qu'ont bâti des générations de grands constructeurs européens, celles de Konrad Adenauer et du général de Gaulle, de Jacques Delors et de François Mitterrand, qui sont des références communes à tous et qui nous aideront à construire un monde meilleur. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Comparini, pour le groupe Union pour la démocratie française.

Mme Anne-Marie Comparini. Nous avons, nous aussi, écouté M. Myard avec beaucoup de tristesse et, pour trois raisons, nous allons voter contre sa motion, ce qui ne l'étonnera guère.

Tout d'abord, sous couvert d'analyses juridiques aussi provocantes qu'excessives, M. Myard nie la démarche pacifique qui a présidé à la création de la Communauté européenne.

M. Jacques Myard. Tu parles !

Mme Anne-Marie Comparini. Mais le XXe siècle a été assez barbare pour que nous évitions de donner des exemples comme ceux que nous avons entendus tout à l'heure.

Mme Claude Greff. Tout à fait !

Mme Anne-Marie Comparini. Ensuite, M. Myard nie la nécessité des grands ensemble dans le monde actuel et s'enferme dans l'Hexagone. Mais, nous le savons bien, tous les grands problèmes actuels doivent être traités sur une autre échelle. Or l'Europe nous offre précisément une chance de le faire.

Enfin, M. Myard nie toute l'histoire de la construction européenne qui a su, quelles que soient les difficultés, avancer étape après étape pour renforcer les équilibres institutionnels de l'Union. Or la Constitution européenne ne relève pas de croyance, comme il nous l'a dit, mais de la raison. C'est elle qui animait les membres de la Convention quand ils ont fusionné les traités, quand ils ont renforcé le rôle du Parlement européen et redéfini celui des parlements nationaux, quand ils ont clarifié les compétences et ont voulu, en un mot, un pouvoir politique organisé et une première étape de gouvernement économique.

Pour toutes ces raisons, nous voterons contre la question préalable de M. Myard. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Jean-Pierre Brard. Pour ma part, ce n'est pas avec tristesse que j'ai écouté l'intervention de M. Myard, car nous sommes dans le registre du débat politique, où la tristesse et la joie ne sont pas de mise.

J'ai compté nos collègues de l'UMP cet après-midi, pendant l'intervention des députés de l'opposition. Ils étaient alors une petite dizaine. Or, face à notre collègue M. Myard, l'UMP a mobilisé ses centurions. N'est-ce pas, monsieur Accoyer ? Vous êtes parmi eux comme un chef à la tête de ses légions.

M. Jean-Pierre Soisson. Encore faut-il en avoir !

M. Jean-Pierre Brard. Certes, monsieur Soisson. Mais il faut tenir compte de l'heure tardive ! (Sourires.)

M. Pierre Lequiller. Vous êtes un peu isolé, monsieur Brard !

M. Jean-Pierre Brard. Soit ! Parlons d'isolement, je le veux bien, y compris sur ce sujet, mes chers collègues. Le 20 septembre 1792, à Valmy, n'étions-nous pas isolés ?

M. Jean Leonetti. Il n'y avait pas de communistes en 1792 !

M. Jean-Pierre Brard. Et le 18 juin 1940, n'étions-nous pas, une nouvelle fois, isolés ? Qui avait raison, alors ? Qui a montré la bonne direction à la terre entière ? Pas ceux qui étaient coalisés mais bien ceux qui croyaient à des valeurs universalistes.

M. Jean-Pierre Grand. À cette époque-là, les communistes n'étaient pas du bon côté, il me semble !

M. Bernard Accoyer. Où étaient-ils en 1940 ?

M. Jean-Pierre Brard. En 1940, mon prédécesseur à la mairie de Montreuil, pour ne prendre que cet exemple, avait été mis en prison par certains de ceux que vous fréquentez aujourd'hui. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean Ueberschlag. Et Thorez était chez Ribbentrop !

M. Jean-Pierre Brard. Vous devriez donc faire profil bas sur ce sujet, chers collègues de l'UMP ! Mais puisque vous évoquez l'histoire, monsieur Accoyer, il faut croire que vous la connaissez bien mal. De votre part, je n'ose croire, en effet, à de la mauvaise foi ou à je ne sais quelle volonté de travestir la réalité.

Qui a animé l'organisation spéciale dans le Nord quand les nazis sont entrés en France ? Elle comptait bien peu de membres à cette époque. J'en parle d'autant plus librement que je ne suis plus membre du Parti communiste. Néanmoins, je suis fidèle à son engagement patriotique contre l'envahisseur nazi, que vous ne deviez pas l'oublier.

M. Jean Leonetti. Vous allez nous obliger à vous rappeler la position de Staline !

M. Jean-Pierre Brard. Sur les bancs où nous siégeons figure le nom de ceux qui nous ont précédés et qui ont été fusillés par les nazis, les uns à Châteaubriant, d'autres au mont Valérien, sans parler de ceux qui sont morts dans les camps.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx. On s'éloigne un peu du sujet !

M. Jean-Pierre Brard. On s'égare dès qu'on fait appel au patriotisme ? Puisque tel est votre point de vue, ma chère collègue, je reviens à mon sujet.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx. Tant mieux !

M. Jean-Pierre Brard. L'important, dans cette affaire, est qu'il y ait débat de fond. Pendant que M. Myard parlait, j'entendais les épithètes fuser sur les bancs de l'UMP, mais l'invective n'a jamais remplacé l'argumentation. Et, si je ne partage pas tout l'argumentaire développé par notre collègue, je trouve important que le débat progresse sur un sujet essentiel pour l'avenir de notre peuple et de notre continent.

M. Myard a évoqué divers sujets, dont l'un est cher à Arnaud Montebourg. Il a en effet rappelé que la modification constitutionnelle qu'on nous propose sera la dix-huitième sur le texte de 1958, ce qui prouve bien que celui-ci est en bout de course, essoufflé, obsolète et qu'il n'est plus en phase ni avec les attentes de notre société ni avec les institutions dont nous avons besoin. Cette nouvelle modification n'en est qu'une illustration supplémentaire.

Dans ce débat, M. Myard aide à lever un voile en montrant qu'il y a beaucoup trop de non-dits. Comme vous tous, j'ai écouté avec attention les propos de Pierre Mazeaud, parlementaire expérimenté et juriste compétent, dans la tradition du célèbre Portalis. Sur la question du rapport entre le religieux et la laïcité, par exemple, qui nous fera croire que le texte actuel ne suspend pas une épée de Damoclès au-dessus des valeurs qui nous sont chères et auxquelles nous avons rappelé notre attachement l'année dernière, quasiment à l'unanimité ?

M. Nicolas Dupont-Aignan. Eh oui ! Il faut le dire !

M. Jean-Pierre Brard. Sur ce point, vous le savez tous, nous serons dépendants de la jurisprudence de la Cour de justice européenne. Ce n'est pas moi qui le dis. Qui a reconnu la prééminence des institutions européennes sur les institutions nationales ? Le Conseil constitutionnel lui-même !

Nul ne peut nier qu'il y ait là un vrai problème, car le texte qui nous est soumis contient une extraordinaire ambiguïté. Est-ce un traité ou une Constitution ?

M. Jean-Pierre Soisson. C'est un traité !

M. Jean-Pierre Brard. Il faudrait vous mettre d'accord entre vous, mesdames et messieurs de la majorité !

M. Jean Leonetti. M. Brard va-t-il parler encore longtemps ?

M. le président. Laissez-le conclure, s'il vous plaît !

M. Jean-Pierre Brard. J'ai été interrompu plusieurs fois, monsieur le président.

M. Jean-Pierre Brard. M. Clément, qui est habile, mais dont les convictions sont parfois difficiles à déterminer, a glosé à ce sujet en parlant d'un « traité constitutionnel », sans que nous puissions savoir si nous avions affaire à une carpe ou à un lapin. C'est pourtant un point important, si nous voulons savoir qui aura l'autorité éminente.

M. Jean-Pierre Soisson. Lisez donc la décision du Conseil constitutionnel !

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur Soisson, vous m'interrompez encore, mais vous savez bien que ce n'est pas le Conseil constitutionnel qui aura le dernier mot, quoi que vous en disiez.

Le débat sur l'unanimité ou la majorité qualifiée est tout à fait hypocrite. En fin de compte, lorsqu'il s'agit d'organiser le grand marché, c'est la majorité qualifiée qui s'applique, mais pour ce qui concerne la mise en œuvre de la démocratie sociale, qui aurait des conséquences sur la fiscalité, c'est l'unanimité qui est requise. J'ajoute que pour modifier le traité - s'il était adopté -, il faudrait des unanimités qui ne peuvent être réunies dans les faits.

Par ailleurs, l'expérience récente nous a montré que certains des dix nouveaux pays membres regardent, non pas à l'est, comme on disait autrefois, mais uniquement outre-Atlantique, comme s'ils n'avaient qu'un télescope et ne pouvaient voir leurs proches partenaires européens.

M. le président. Merci, monsieur Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Je termine, monsieur le président, en abordant un sujet qui n'a été évoqué ni cet après-midi, ni ce soir par M. Myard. Je veux parler de la dépendance à l'égard de l'OTAN. Pour des décisions importantes concernant la défense européenne, nous devons nous en remettre aux Américains.

Il faudrait construire, au sein de l'Union, un nouvel internationalisme fondé sur la coopération et la fraternité, pour donner des droits aux Européens et bâtir un socle de progrès qui fasse envie dans le monde entier. Or ce n'est pas ce que vous faites. Le dernier exemple en date nous en est fourni par l'Irlande. En effet, alors que le PIB de ce pays s'est extraordinairement développé, un quart de sa population vit aujourd'hui dans la pauvreté.

Les Français, et je le déplore, n'adhèrent pas à l'Union. Ils l'acceptent simplement, et s'en éloignent même chaque jour un peu plus, car nous ne sommes pas capables de construire une Europe de progrès. Le texte qui nous est proposé n'ouvre pas cette perspective.

En conclusion, vous avez bien compris que si j'apprécie le débat ouvert par Jacques Myard, je ne peux adhérer à certaines de ses positions.

M. Jean Leonetti. Tant mieux !

M. Jean-Pierre Brard. Je ne participerai donc pas au vote.

M. le président. Je mets aux voix la question préalable.

(La question préalable n'est pas adoptée.)

M. le président. Avant d'ouvrir la discussion générale, je vous rappelle que la conférence des présidents a décidé que les porte-parole des groupes interviendront demain après-midi, après les questions au Gouvernement.

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Jacques Floch.

M. Jacques Floch. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre déléguée aux affaires européennes, j'essaierai d'être un peu moins long que M. Myard, n'ayant pas de combats d'arrière-garde à mener.

Les débats qui ont eu lieu au sein de la commission des lois ou de la délégation pour l'Union européenne me conduisent à formuler quelques remarques sur le texte qui nous est soumis, c'est-à-dire le projet de loi constitutionnelle. Du traité, nous aurons la possibilité de débattre dans d'autres lieux, à d'autres moments, lorsque nous le présenterons au peuple français.

Le Gouvernement a fait simple, ou a voulu faire simple. Ainsi, l'article 1er deviendra, après avoir été expurgé, le nouvel article 88-1 du titre XV de notre Constitution, si le peuple français ratifie le traité constitutionnel. À l'évidence, on ne parle plus de communautés européennes ni des traités qui les ont instituées, mais de l'Union européenne et du traité établissant une Constitution pour l'Europe. Toutefois, je m'étonne que l'on ne mentionne pas la République. Pourtant, c'est bien la République, en tant que mode de gouvernement et symbole de l'État, représenté par le Président de la République, qui a signé, le 29 octobre 2004, le traité constitutionnel. Et c'est bien le Président de la République qui présente le projet de modification du titre XV de la Constitution et l'article 1er du projet de loi constitutionnelle.

En cas de ratification du traité par le peuple français, cet article deviendra donc l'article 88-1 du titre XV de la Constitution. « Dans les conditions fixées par le traité établissant une constitution pour l'Europe signé le 29 octobre 2004, la France participe à l'Union européenne [...] ». Exit, la République ! Pourtant, ce n'est pas le Président de la France qui a été notre plénipotentiaire, mais le Président de la République française, représentant de la nation française, peuples assemblés qui assument ensemble l'administration, le devenir du territoire de la nation : la France. Le territoire d'une nation n'est pas signataire d'un traité. C'est la République française qui participe à l'Union européenne, et la République française, comme l'a définie le général de Gaulle le 4 septembre 1958, c'est « la souveraineté du peuple, l'appel de la liberté, l'espérance de la justice ».

Aussi, je souhaite que l'on revienne à l'écriture initiale de la Constitution, en remplaçant « la France » par « la République française ». Tout à l'heure, j'ai eu satisfaction en commission des lois, et j'en remercie son président. J'aime trop la France pour que l'on en fasse uniquement une représentation de l'État.

Le Gouvernement a fait simple : une phrase suffit pour déléguer à l'Union européenne des pans entiers de notre souveraineté, comme certains le disent avec gourmandise, voulant faire craindre la pire des situations aux Françaises et aux Français.

Tout traité international porte en lui un transfert ou, du moins, un partage de souveraineté, ou plutôt de responsabilités. Lors de la discussion du traité de Rome, en 1954, le professeur Vedel faisait d'ailleurs cette remarque : « Que l'on nous cite un seul traité qui ne restreigne, ne supprime ou ne transfère une compétence étatique ».

Aujourd'hui, il faut donc dire clairement, haut et fort, que la République française s'est engagée dans un processus d'intégration avec d'autres États européens dans un système qui évolue au fur et à mesure d'accords qui ne sont pas des abandons de souveraineté, mais des partages décidés par des États libres, souverains et démocratiques, pour exercer des pouvoirs au nom des nations, ensemble et d'une autre manière.

Dans cette optique, le traité constitutionnel est une étape importante, mais seulement une étape, me semble-t-il, de la construction européenne.

Tous ceux qui rêvent d'un État fédéral savent que nous n'en prenons pas tout à fait le chemin. Nos histoires, nos passés ont laissé des traces trop profondes pour qu'il en soit ainsi. Demain, peut-être, la décision sera autre.

Aussi faut-il en finir avec les faux-fuyants de ceux qui déclarent : « Je suis européen, mais... ». Mais quoi ? Certains veulent une Europe qui leur ressemble, une Europe franco-française, avec quelques autres seulement, sans dire quelles sont ses frontières. Du reste, ni les historiens ni les géographes n'ont été capables de les délimiter, et l'histoire a montré combien elles pouvaient varier. Ainsi, la Grèce antique et Rome faisaient de la Méditerranée un lac européen. Avec l'Empire d'Orient, c'est l'Anatolie qui était soumise à l'Europe, et avec l'Empire ottoman, les États balkaniques étaient soumis au Proche-Orient. Les exemples sont nombreux et contemporains. Que dire à l'Ukraine, à la Géorgie et à l'Arménie, par exemple ?

À 25, 27 ou 30 États, l'Europe doit inventer un modèle pour avoir sa place dans le monde actuel. La question se posera en cas d'acceptation du traité constitutionnel. Sommes-nous prêts, aujourd'hui, en France, à proposer autre chose qu'une succession d'accords qui, petit à petit, font l'Europe mais sans oser le dire, de sorte que nos concitoyens ne voient souvent dans la construction européenne qu'un vaste élément de perturbation ? Ce n'est pas le projet de directive de la Commission européenne relative aux services dans le marché intérieur qui contribuera à les rassurer.

Le dernier avatar semble être l'introduction, dans le projet de révision, d'un article scandaleux : l'article 2. On proclame haut et fort que l'on est européen, mais attention, pas n'importe comment : plutôt blonds, aux yeux bleus, oubliant ainsi d'où nous venons, nous, Français. Nous apparaissons comme des Européens, mais frileux.

Le Président de la République, qui a quelques restes de gaullisme, soutient l'éventuelle candidature de la Turquie, mais sa majorité ne veut que d'un grand marché. Certes, on fera une petite place aux Turcs - 70 millions de consommateurs, ça compte -, mais les avoir avec nous, quelle horreur ! Mais alors, pourquoi les avoir invités à la Convention pour l'avenir de l'Europe ? Pourquoi les représentants du parti au pouvoir à Ankara siègent-ils avec ceux de l'UMP dans les instances internationales, particulièrement celles qui sont proches de l'Europe ?

L'article 2 est un article d'opportunité. Pour faire plaisir à ceux qui estiment que le peuple français rejettera l'admission de la Turquie mais qui ne veulent surtout pas, ce jour-là, assumer la responsabilité de les interroger, on invente le référendum obligatoire, sans débat, sans ambages.

Le courage aurait voulu que l'on applique l'article 11 de la Constitution tel que nous l'avons écrit en 1995. Il permet un référendum, éventuellement sur l'adhésion de la Turquie, mais il impose aussi une explication politique. On ne peut craindre une telle procédure. Lorsque nous reviendrons au Gouvernement, je serai un fervent partisan de l'abrogation de l'article 2 parce qu'il faut en finir avec cette politique de construction européenne au fil de l'eau. Chaque nouvelle adhésion devra faire l'objet d'un vrai débat au Parlement, et c'est ici que devra être décidé si le peuple français doit être consulté.

Par ailleurs, je souhaite revenir sur la grande question de la souveraineté - qui a été décrite par M. Myard avec gourmandise -, car c'est là que se situe le vrai débat sur la construction de l'Europe. Au nom des nations, de l'Europe des patries, certains s'alignent derrière Mme Thatcher pour présenter une face raisonnable de leur conception. Ils estiment qu'« une coopération volontaire et active entre les États souverains est le moyen de construire une communauté européenne réussie » - ce qui serait possible si l'on mettait de côté les égoïsmes des États, mais Mme Thatcher ne peut pas donner de leçons en la matière -, mais ils dénoncent aussi « l'odieux complot où la souveraineté serait régulièrement foulée aux pieds et où, au nom de l'Europe, d'inadmissibles crimes risquent dans l'avenir de constituer notre ordinaire politique ». La première phrase est de Mme Thatcher, la seconde de Jacques Delors, ironisant sur les dénonciateurs de « l'odieux complot ».

Quant aux partisans d'une Europe beaucoup plus intégrée, de type fédéral, ils laissent croire à la possibilité d'exercer la souveraineté à un autre niveau que celui des États. C'est certainement aller trop vite en besogne.

Dans l'un ou l'autre cas, une vaste information des citoyens et de leurs parlements est nécessaire, car on ne peut plus se contenter d'expertises juridiques quand nous entrons vigoureusement dans le domaine de la philosophie politique. Trop d'interférences ont jusqu'à présent obscurci l'horizon européen, et chacun d'entre nous doit avoir une vision de l'avenir forte et raisonnable.


Les interférences sont d'abord de nature historique : l'histoire des nations, en particulier l'histoire contemporaine, pèse d'un poids trop lourd pour s'en défaire d'une simple remarque.

Il faut aussi savoir faire fi des « embarras de la souveraineté », comme le dit Jacques Delors, une fois que l'on aura balayé l'ensemble des notions négatives attachées à ce mot.

Aujourd'hui, quoi que prétendent nombre de dirigeants politiques, aucun État n'existe sans avoir consenti à renoncer à des pans entiers de sa souveraineté. L'adhésion de 190 États du monde à quelque 300 organisations internationales en est le symbole.

L'Europe, l'Union européenne, sa construction montre bien que la souveraineté des États n'est pas un absolu et qu'elle peut être aménagée. Elle l'a déjà été profondément par l'exercice des compétences cédées par les États depuis cinquante ans.

Il faut le dire haut et fort au peuple français en précisant que si dans certains domaines nous en sommes encore au stade de la coopération, dans d'autres nous en sommes au stade de l'intégration et qu'il a le droit d'en contrôler le contenu et les manières de faire, soit directement, soit par l'intermédiaire de ses représentants tant ici, à l'Assemblée nationale, qu'au Sénat. D'où l'importance, mes chers collègues, des articles du titre XV de notre constitution que je vous invite à examiner de près et à amender pour répondre aux exigences des Françaises et des Français (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de réforme constitutionnelle comporte un dispositif créant l'obligation de soumettre dorénavant au référendum la ratification des traités relatifs aux adhésions à l'Union européenne.

Cette disposition quelque peu surprenante, qui a alimenté les articles des gazettes en raison des différences d'appréciation entre le Président de la République et le président de l'UMP, est à l'évidence un prétexte. Craignant que notre peuple ne se prononce, sans attendre, sur la question de l'entrée de la Turquie dans l'Union, en saisissant l'occasion du référendum sur la Constitution européenne, on a allumé un contre-feu : le référendum obligatoire. Ce concept, en lui-même, est bien peu conforme à la tradition gaulliste : voilà que le Président de la République aura compétence liée dans son domaine réservé !

Il est vrai qu'il n'y a plus guère de gaullistes sur ces bancs. Tout au plus en reste-t-il un au banc du Gouvernement. En ce qui vous concerne, M. Clément, je crois que vous ne le fûtes jamais, et que vous ne l'êtes donc pas davantage aujourd'hui qu'hier...

M. Christian Ménard. En tout cas, il reste encore des staliniens !

M. Jean-Pierre Brard. Les staliniens ne sont ni de gauche ni de droite, ils sont staliniens tout court, et vous en êtes un beau spécimen !

Il appartient aux gaullistes eux-mêmes, du moins ce qu'il en reste, d'apprécier le sort qu'il convient de réserver à leur tradition. Et la consultation du peuple est pleinement légitime lorsqu'il s'agit d'admettre de nouveaux membres dans l'Union européenne.

À cet égard, on peut s'étonner et regretter que cette bonne idée ne soit pas venue, en temps utile, aux plus hautes autorités de l'État, ce qui aurait permis d'ouvrir le débat démocratique avant le dernier élargissement de 2004, au bénéfice de dix nouveaux membres. Cet élargissement suscitait pourtant de nombreuses et légitimes interrogations. L'intégration des nouveaux membres s'est toutefois opérée sans délai sur un point : la vague eurosceptique a gagné les nouveaux entrants qui n'ont plus rien à envier aux quinze sur ce plan. En témoignent les taux d'abstention considérables lors de l'élection des députés au Parlement européen, en juin 2004.

Pour en revenir au texte constitutionnel, dans la perspective des élargissements à venir, nos compatriotes seraient donc considérés comme assez avisés pour se prononcer sur l'entrée de la Turquie ou de l'Ukraine dans l'Union, mais s'agissant de la Roumanie, de la Bulgarie et de la Croatie, ils n'auraient pas voix au chapitre. En effet, une discrète disposition finale du texte en discussion a pour effet d'écarter du champ du référendum ces trois États. Comme le dit l'adage, « donner et retenir ne vaut ». Si l'on donne au peuple un droit, qu'on le fasse entièrement et maintenant et non pas à tempérament !

Derrière le bricolage juridique se profile clairement la pratique du « deux poids, deux mesures » : les Français voteront pour ou contre l'entrée d'un pays, la Turquie, parce qu'il y a des états d'âme sur ce sujet au sein de l'UMP, mais pour les trois autres entrants, cela se réglera sans que le peuple puisse s'exprimer ! C'est une caricature de démocratie, une démocratie à géométrie variable.

M. Arnaud Montebourg. Exactement !

M. Jean-Pierre Brard. On instrumentalise le peuple et le suffrage universel pour calmer les bisbilles au sein de l'UMP.

M. Arnaud Montebourg. C'est de l'opportunisme constitutionnel !

M. Jean-Pierre Brard. C'est pire que cela. C'est l'exploitation d'une sorte de fonds de commerce dont on ne sait plus trop bien ce qu'il y a sur les étagères.

Est-il sérieux de procéder ainsi, en matière constitutionnelle, à des ajustements de pure opportunité pour satisfaire telle ou telle coterie ?

M. Arnaud Montebourg. Très bien !

M. Jean-Pierre Brard. C'est d'autant moins sérieux que la pratique des élargissements répétés, et surtout accélérés, pose la double question de la nature et du devenir de l'Union européenne. Qui ne voit que l'élargissement intensif aura pour effet de rabaisser la construction européenne à ce trop fameux grand marché ouvert où la concurrence est libre et non faussée, comme nous le rabâche, à longueur d'articles, le projet de Constitution européenne ?

La dimension politique, au plein sens du terme, n'aura plus rien à faire dans une Union dominée par des groupes de pression incrustés dans les antichambres de la Commission de Bruxelles pour y pousser les feux du moins-disant fiscal et du moins-disant social.

L'expérience nous enseigne que, parce que les quinze États membres n'ont pas su doser l'augmentation du nombre des membres de l'Union, ni se mettre d'accord au préalable sur de nouvelles modalités pérennes de décision et de financement, la construction d'une Europe sociale et démocratique est passée complètement au second plan, alors qu'elle constitue la préoccupation majeure de nos concitoyens. C'est la raison pour laquelle les Français ne participent plus guère, comme l'a montré le scrutin de juin dernier, et acceptent la construction européenne au mieux sur le mode de la résignation et du scepticisme, au pire sur celui de l'angoisse et de la colère, comme en témoignent les contacts que nous avons dans nos circonscriptions.

Or, nos concitoyens veulent simplement que l'Europe devienne une zone de progrès social favorable à leurs droits. Pour cela, l'Union européenne doit jouer un rôle plus actif en faveur de l'emploi ou encore d'une harmonisation, par le haut, de la protection sociale et du droit du travail dans l'espace européen, en matière de fiscalité afin de lutter efficacement contre le moins-disant fiscal et les paradis fiscaux et bancaires, ce qui freinera les délocalisations, ou encore pour la défense et la modernisation des services publics.

M. Arnaud Montebourg. Très bien !

M. Jean-Pierre Brard. Ainsi l'Europe, en harmonisant positivement ses acquis sociaux, peut devenir une zone de progrès social qui fasse référence dans le monde, en termes sociaux, environnementaux et de civilisation. Or les élargissements massifs et rapides contribuent au contraire à nous placer dans une situation de nivellement par le bas, de rabotage des droits, de délitement des services publics et d'accroissement des inégalités, situation parfaitement illustrée par le projet de directive Bolkestein.

Si pour certains, il s'agit d'une vision un peu angélique de l'Union, pour d'autres, c'est une conception cynique : plus elle sera large et sans principes, plus les règles du marché auront de facilité à régner. Dans ma Normandie natale, il est un proverbe : « L'amour aveugle, et le mariage débleune », c'est-à-dire que l'amour aveugle ceux qui ont foi en l'Union, et que le mariage doit leur rendre la vue. Mais le contrat de mariage que vous nous proposez souffre d'un grave défaut : ses rédacteurs n'ont pas lu Montesquieu et ne reconnaissent pas le droit au divorce, à moins de quitter la maison en y abandonnant tout, ce qui ne témoigne pas d'une conception très moderne, vous en conviendrez !

Cela ne saurait durer sans danger majeur pour l'idée même de construction européenne. Il est donc clair qu'il faut d'abord changer l'architecture de la maison commune avant d'accepter de nouveaux copropriétaires. La question n'est pas seulement celle de la Turquie, mais aussi celle de la Roumanie, de la Bulgarie, de la Croatie, et de tout nouvel élargissement. Dans cette optique, il pourrait être envisagé d'établir des contrats d'association permettant de développer des rapports de coopération entre l'Union et des pays partenaires, sans avoir à étendre le périmètre européen dans l'immédiat. La question principale aujourd'hui n'est donc pas celle des qualités et des faiblesses des candidats à l'adhésion, mais de la nécessité de marquer une pause dans l'élargissement pour se donner le temps de construire, avec nos concitoyens européens, l'Europe sociale et démocratique qui pourra ensuite envisager son élargissement avec audace.

Aujourd'hui, nous sommes en train de construire une Europe où ce sont les notions de moins-disant social et de moins-disant démocratique qui progressent. Or chacun sait que des constructions humaines mal préparées, mal conçues, et sapées par de tels facteurs de délitement, peuvent réserver des réveils très difficiles. Je pense, madame la ministre, monsieur le ministre, que nous devrions méditer ce qui s'est passé dans l'ex-Yougoslavie et faire en sorte que nos constructions viennent au contraire consolider ce continent de paix qui a commencé à émerger et fut initialisé par la réconciliation franco-allemande.

M. Arnaud Montebourg. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Yvan Lachaud.

M. Yvan Lachaud. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, je n'aborderai ce soir qu'un seul sujet et laisserai le soin à Anne-Marie Comparini de présenter demain l'ensemble des propositions de notre groupe. Cette discussion sur la révision de la Constitution est, pour les députés attachés à notre patrimoine culturel et linguistique, l'occasion d'aborder une question essentielle : la défense des langues régionales.

La France a signé à Budapest le 7 mai 1999 la charte européenne des langues minoritaires, mais ne l'a toujours pas ratifiée. Comment accepter que la France, si prompte à donner des leçons de démocratie aux nouveaux entrants dans l'Union européenne, reste à la traîne des nations européennes pour le respect des droits culturels de ses citoyens ? C'est pourquoi la Constitution française doit mentionner le respect des langues régionales, permettant la mise en conformité de la Constitution française avec les normes européennes et internationales.

L'enjeu est important. En effet, une langue n'est pas seulement un ensemble de mots, c'est toute une culture, une manière de penser et même de vivre, tout un héritage reçu de nos ancêtres et que nous avons pour devoir de transmettre à nos enfants, aux générations futures.

La défense des langues régionales constitue le moyen de maintenir et de développer les traditions et la richesse culturelles de notre pays. Le droit de pratiquer une langue régionale dans la vie privée et publique constitue un droit imprescriptible, conformément aux principes contenus dans le pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies, et conformément à l'esprit de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du Conseil de l'Europe.

C'est pourquoi nous souhaitons que la France affirme haut et fort, conformément à ce qu'indique la charte européenne des langues régionales, que ces langues doivent être reconnues en tant qu'expression de la richesse culturelle.

Pour cela, nous faisons plusieurs propositions. Il faut, selon nous, mener une action résolue de promotion des langues régionales, faciliter et encourager l'usage oral et écrit de ces langues dans la vie publique et dans la vie privée, mettre à disposition des formes et des moyens adéquats d'enseignement et d'étude, et, enfin, promouvoir les études et la recherche sur les langues régionales.

Au-delà de la révision constitutionnelle, il y a la question de l'enseignement et de la situation juridique fragile de l'enseignement immersif. Le Conseil d'État a considéré en octobre 2002 que l'immersion excédait les nécessités de l'enseignement des langues régionales, alors que toutes les évaluations ont montré que les enfants des classes immersives ont un niveau supérieur à celui des autres élèves, notamment en français et en mathématiques.

Le projet de loi d'orientation sur l'école devra être l'occasion de ce débat. Redisons-le clairement : la méthode immersive n'excède pas les nécessités de l'apprentissage des langues régionales et ne nuit pas, loin s'en faut, à l'enseignement du français.

Nous regrettons que la France ne possède aucun dispositif juridique relatif à la reconnaissance d'un statut officiel pour ces langues. Leur transmission, leur enseignement et le maintien de leur usage social ne reposent, par conséquent, que sur la volonté de personnes dynamiques, de réseaux associatifs ou d'élus locaux sensibilisés à cette question.

Pour nous, élus de l'UDF, les langues régionales ne sont pas un phénomène du passé, qu'il faudrait considérer sur un plan strictement patrimonial. J'en donnerai trois preuves : ces langues concernent les deux tiers des départements français, elles restent des langues d'enseignement et de création musicale et littéraire fondamentales, enfin, et ce point n'est pas le moindre, certaines d'entre elles possèdent une existence très forte dans la vie économique, tel le catalan.

La pluralité des langues constitue une condition essentielle de la diversité et de l'unité de notre pays : nous serons unis parce que nous saurons accepter et respecter nos différences. Les langues régionales sont un excellent antidote à toutes les formes de rejet de l'autre et une garantie avérée du respect des principes fondateurs de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Christian Philip.

M. Christian Philip. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, parce que je dis oui sans hésiter à la Constitution pour l'Union européenne, je suis favorable à cette révision qui va rendre possible la ratification.

Je dis « oui » sans hésiter parce que cette constitution répond quasiment à toutes les critiques faites, parfois avec raison, à l'encontre de l'Europe. Il faut le dire d'emblée, même si cela ne concerne pas directement la révision à laquelle nous procédons.

On dit souvent que l'Europe est illisible. C'est parce qu'elle est constituée aujourd'hui de plusieurs traités disparates, adoptés au fil des années. Désormais, il y aura un seul traité institutif, clef de voûte de l'Union.

On dit que l'Europe est anonyme. Demain, elle aura précisément des visages : un président de la Commission mieux reconnu puisque élu par le Parlement européen après les élections, un président du Conseil européen, un ministre des affaires étrangères.

On reproche à l'Europe de toucher à tout. Il y aura dorénavant une clarification des compétences, sous notre contrôle. La clause de flexibilité à laquelle Jacques Myard a fait allusion, n'est pas une nouveauté : rappelez-vous, elle reprend l'article 235 du traité CEE. Quant à la règle de l'unanimité, le garde des sceaux a montré qu'elle ne pouvait pas toujours fonctionner.

On dit que l'Europe est non démocratique : la constitutionnalisation de la Charte, le renforcement du rôle du Parlement européen et de celui des parlements nationaux sont autant d'exemples qui montrent que la Constitution instille davantage encore de démocratie au sein de l'Union. Il faut ajouter, en outre, la place importante donnée aux citoyens européens, qui pourront, dès lors qu'ils seront un million à le faire - ce n'est pas beaucoup - et grâce au droit de pétition collective que leur accorde la Constitution, demander que tel ou tel sujet soit abordé.

M. Jean-Pierre Brard. Ils pourront toujours demander, en effet !

M. Christian Philip. On reproche encore à l'Europe de s'élargir sans cesse. La Constitution lance précisément l'idée de favoriser les relations privilégiées avec les pays de l'environnement proche.

On reproche aussi à l'Europe d'être impuissante au plan international. Cette constitution permettra un développement plus rapide de la politique étrangère et de sécurité commune.

Je dis oui aussi sans hésiter à ce traité constitutionnel parce que, même si les Français n'ont pas le monopole de l'Europe, jamais l'Europe n'a été imposée à la France. Ce sont en effet des Français qui l'ont construite en grande partie, de Jean Monnet à Valéry Giscard d'Estaing, en passant par Jacques Delors.

M. Jean-Pierre Brard. Vous oubliez Jacques Barrot qui s'occupe aujourd'hui du ballast !

M. Christian Philip. La Constitution européenne, et nous devons en être fiers, doit donc beaucoup à notre pays.

Deuxième observation, le plus important pour moi dans ce projet de loi de révision constitutionnelle, c'est le rôle accru qui est reconnu aux Parlements nationaux. Comment, dans ces conditions, défendre l'idée que la Constitution européenne marquerait une nouvelle étape dans le dessaisissement des institutions nationales ?

Le texte qui nous est soumis concrétise les dispositions de la Constitution européenne sur la transmission des textes communautaires, sur le contrôle de subsidiarité et la révision simplifiée. Et ce texte opère cette concrétisation de manière positive. Ainsi, en interprétant à la lettre le dernier article du protocole sur le rôle des parlements nationaux, on pouvait considérer qu'il indiquait que le Parlement souhaite que le Gouvernement saisisse la Cour de justice. Or, le texte qui nous est proposé utilise l'impératif. Donc, si le Parlement le demande, le Gouvernement devra saisir la Cour.

J'exprimerai cependant un regret. Je déplore en effet qu'on ne profite pas de cette révision pour changer la dénomination de la délégation pour l'Union européenne. Je regrette ainsi que l'amendement déposé par notre collègue Daniel Garrigue n'ait pas pu être retenu. Il ne s'agit pas d'une revendication symbolique. Pierre Lequiller l'a dit cet après midi : c'est une question de crédibilité par rapport à l'opinion publique et à nos partenaires étrangers.

M. Michel Herbillon. Très juste !

M. Christian Philip. En outre, on pourrait le faire sans modifier l'équilibre des institutions, sans dessaisir les commissions permanentes des dossiers européens, ce qui serait une grave erreur. Ce serait une commission ad hoc pour laquelle le règlement pourrait prévoir une composition identique à celle de la délégation actuelle, avec le même type de relations avec les commissions permanentes.

Notre rôle dans les affaires européennes ne dépendra pas seulement de ce texte. Par notre règlement et notre pratique, nous pourrons être plus présents. Déjà, notre Président, Jean-Louis Debré, a permis des avancées. Ainsi, les questions au Gouvernement du premier mercredi de chaque mois sont consacrées à l'Europe et nous avons un représentant à Bruxelles. Mais on peut sans doute faire plus. Par exemple, organiser un grand débat annuel sur l'actualité des dossiers de l'Union européenne serait très positif.

La réalité de notre contrôle dépendra, certes, du texte qui nous est soumis mais, d'abord, de notre volonté. On peut ainsi envisager l'inscription régulière à l'ordre du jour des commissions permanentes des questions européennes, et pas seulement si un texte de transposition est déposé. Cela pourrait se faire éventuellement pendant la négociation et sur la base d'un rapport de la délégation.

Il faut aussi développer les liens de nos commissions avec le Parlement européen. Dans le domaine des transpositions des directives, et comme le propose la délégation dans ses deux premiers rapports annuels qu'elle m'avait confiés, nous pourrons ainsi être plus vigilants et plus réactifs.

Troisième observation...

M. le président. Il faut songer à conclure, monsieur Philip.

M. Christian Philip. J'arrive à ma conclusion, monsieur le président.

Troisième observation, ce projet de révision concilie le respect de la souveraineté nationale et le développement de l'Union européenne. Chaque fois qu'on voudra aller plus loin, comme pour Maastricht, comme pour Schengen, comme pour Amsterdam ou le mandat d'arrêt européen, comme aujourd'hui pour la Constitution européenne, il faudra une nouvelle révision de la Constitution, et donc que notre Parlement dise oui à une majorité spéciale ou que les Français se prononcent directement par référendum, si le Président de la République en décide ainsi.

Où est donc ce texte qui mettrait fin à notre souveraineté nationale ? Le Conseil constitutionnel a ajouté une protection supplémentaire dans sa décision du 10 juin dernier. Il a dit oui à la primauté prévue par la Constitution mais sauf en cas de disposition expressément contraire à notre Constitution. Cela signifie que, dans ce cas, il faudrait une nouvelle révision constitutionnelle. C'est une garantie forte.

Il n'y a pas d'État fédéral. Peut-on sérieusement imaginer, d'ailleurs, qu'un pays comme le Royaume-Uni aurait signé le traité constitutionnel s'il instituait un État fédéral ?

Il n'y a pas d'abandon de souveraineté. Il y a exercice en commun de certaines compétences par accord entre les États membres de l'Union.

M. Jean-Pierre Brard. Est-ce au grand séminaire qu'on apprend cette dialectique ?

M. Christian Philip. Je dis donc oui à ce projet de révision parce que je dis oui à cette constitution. Nous devons expliquer aux Français que cette nouvelle étape de la construction européenne est positive. N'écoutons pas ceux qui, derrière tel argument, telle affirmation, aujourd'hui comme hier, montrent seulement leur frilosité par rapport à cette grande aventure. La construction européenne est le fait marquant depuis cinquante ans. Ne l'oublions jamais, c'est à elle que nous devons la paix mais aussi, et c'est important pour moi, une garantie de la démocratie et du respect des droits fondamentaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Yves Cochet.

M. Yves Cochet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à travers cette modification de notre constitution, nous nous prononçons aussi sur le projet de traité constitutionnel. Comme un certain nombre de leurs concitoyens et de leurs collègues, les Verts sont partagés sur cette question. Quant à moi, je suis plutôt favorable à la ratification et donc à ce projet de loi constitutionnelle.

Bien sûr, le projet de traité n'est pas idéal. Ainsi, il ne remet pas en cause l'orientation libérale de l'Union européenne. Certes, les termes « économie sociale de marché » ou « concurrence libre et non faussée » ont été introduits dans le texte. Mais ils reflètent plus la croyance idéologique de certains des rédacteurs que la garantie de la vérité des prix des biens et services. On a vu d'ailleurs à propos du projet de directive Bokelstein l'ambiguïté qui pouvait résulter de ces formules.

On pourrait aussi se féliciter de la reconnaissance de la spécificité des services d'intérêt économique général et des mesures de protection qui leur sont appliquées, si ce projet de Constitution ne les subordonnait toujours aux dispositions du traité de Maastricht. Ce contexte n'incite guère à l'optimisme - certes, nous sommes censés analyser des textes et non des contextes, mais l'un ne va pas sans l'autre...

La Charte des droits fondamentaux, reprise dans la partie II du projet, n'a pas de valeur contraignante. Sur certains points, elle se situe même en deçà de la législation internationale : ainsi le revenu minimum ou le droit au logement ne sont-ils pas reconnus, alors qu'ils le sont dans la Déclaration universelle de 1948.

Il n'y a rien non plus, madame la ministre, en ce trentième anniversaire de la loi Veil, sur le droit des femmes à disposer de leur corps et sur le droit à l'avortement.

Enfin, le droit de vote et l'éligibilité aux élections municipales ne sont accordés qu'aux citoyens de l'Union, alors qu'il me semble que la citoyenneté - à ne pas confondre avec la nationalité - devrait être accordée à tous les résidents, sous condition de résidence pendant un certain temps.

Certains articles sont, eux, inacceptables. Ainsi certaines orientations en matière de défense de l'environnement et de politique d'aménagement du territoire : je pense notamment à la politique agricole commune, qui reste, cinquante ans après sa mise en place, productiviste, alors qu'elle a largement démontré sa capacité de nuisance non seulement sur le plan environnemental, mais aussi en ce qui concerne l'exode rural, le chômage des paysans et l'écrasement des agricultures non européennes.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois, rapporteur. Et si l'on parlait du sujet ?

M. Yves Cochet. Nous y sommes en plein, monsieur le président ! Mes remarques concernent aussi bien le TCE, dont toute la nation va bientôt débattre, que ce projet de loi constitutionnelle. Et si je pense qu'il faut les voter tous les deux, c'est d'abord parce que le statu quo serait bien pire que le TCE. Celui-ci comporte quelques avancées, certes insuffisantes, mais qui posent, à mon avis, les premières bases d'une Europe fédérale. Par exemple, si le marché est européen - il est même mondial -, sa régulation est plutôt nationale, c'est-à-dire plutôt impuissante. Je considère donc comme une avancée l'instauration de procédures de codécision avec le Parlement européen dans de nombreux domaines. C'est un peu plus de fédéralisme et un peu moins d'« intergouvernementalité ».

L'esprit de cette constitution réside principalement dans ses parties I et II, qui serviront sans doute de base jurisprudentielle pour les futures législations ainsi que pour la Cour européenne du Luxembourg.

Mais permettez-moi de souligner pour conclure la schizophrénie du Gouvernement et du président Chirac. En effet, si l'article 1 du projet de loi constitutionnelle vise à nous permettre de voter sur le TCE au printemps, cette disposition est mélangée avec celle qui prévoit, à l'article 2, des référendums pour l'adhésion de nouveaux membres, c'est-à-dire, en fait, pour l'adhésion de la Turquie. Alors que le Président de la République nous adjure de ne pas confondre cette question avec le débat sur le TCE, qui n'est censé concerner que la loi européenne, l'article 2 du présent projet vise à rendre obligatoire la procédure du référendum pour les prochaines adhésions. Cela ne peut que prêter à confusion ! Pourquoi, madame la ministre, le Gouvernement a-t-il mélangé, dans ce projet, le débat sur le TCE et celui sur la Turquie ? Certains ne manquent pas d'en profiter, du côté de l'UDF comme, d'ailleurs, de l'UMP, où il s'est trouvé des gens pour s'en émouvoir et pour soutenir des motions de procédure !

Nous avons une responsabilité face à l'histoire. On ne peut retarder l'avènement de l'Europe politique. Ce texte permet le référendum sur le TCE, qui comporte quelques avancées. Parce que je suis favorable à ce référendum, je voterai en faveur du TCE comme du projet que nous examinons ce soir.

M. le président. La parole est à M. Michel Herbillon.

M. Michel Herbillon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 30 août 1954, ici même, dans cet hémicycle, l'Assemblée nationale rejetait avec fracas le traité instituant la Communauté européenne de défense. Par une alliance des contraires, la France opposait ainsi son veto à une Europe de la défense qu'on mettra près d'un demi-siècle à relancer.

Cinquante ans plus tard, nous voici appelés à nous prononcer sur le projet de loi constitutionnelle préalable à la ratification du traité établissant une Constitution pour l'Europe. Il nous faut saisir cette occasion pour, enfin, débattre ensemble de l'Europe que nous voulons pour nous et pour les générations futures. À l'heure où nous commémorons la libération des camps de concentration, ne perdons pas de vue l'essentiel et soyons fiers de ce que les pères fondateurs nous ont transmis : un projet fondé sur des valeurs communes, la liberté, pierre angulaire de la construction européenne, la démocratie, le respect des droits de l'homme ; un modèle institutionnel original, sans équivalent dans le monde ; une conviction, celle que les États et les peuples ont bien sûr plus à gagner dans l'union que dans la division ; une ambition : promouvoir la paix dans le monde, développer une économie prospère au service d'un développement durable et fondée sur un niveau élevé d'emploi.

D'abord à six, puis à neuf, douze, quinze et maintenant vingt-cinq : depuis le 1er mai dernier, la famille européenne s'est agrandie ; des ponts ont été lancés entre les pays ; ils ont remplacé des murs qui sont tombés, et notre continent a enfin pu retrouver son unité brisée par la barbarie et les totalitarismes.

« Unie dans la diversité », dit la devise européenne : à nous de donner un sens à ces mots. On a longtemps reproché à l'Europe d'avancer masquée. Mais la réalité est que l'on ne dira jamais assez, qu'on ne montrera jamais suffisamment aux Français ce que l'Europe leur a apporté depuis cinquante ans.

Qu'aurait été la France sans l'Europe ? Que serait le monde sans l'Europe ?

Va-t-on un jour cesser de n'évoquer la construction européenne que par le petit bout de la lorgnette, à travers les jours d'ouverture de la chasse ou la sempiternelle querelle sur l'heure d'été et l'heure d'hiver ? Nous le savons, l'Europe mérite mieux que cela.

M. Émile Zuccarelli. Le débat se situe quand même à un autre niveau !

M. Michel Herbillon. C'est pourquoi je souhaiterais que l'on en revienne à quelques fondamentaux.

L'Europe, c'est d'abord la liberté d'un espace sans frontières pour voyager, étudier ou travailler. Tant mieux si cela semble être aujourd'hui un acquis ; mais souvenons-nous que cela a été une longue conquête.

L'Europe, ce sont ensuite des emplois. On agite ici et là le spectre des délocalisations alors que l'Union est un bouclier qui protège nos emplois et stimule la croissance. À lui seul, le marché unique a permis la création de 2,5 millions d'emplois. Un nouvel horizon s'est enfin ouvert à nos entreprises.

L'Europe, c'est également davantage de sécurité pour nos concitoyens, une sécurité qui se décline dans le domaine alimentaire, dans le secteur des transports, mais aussi dans le cadre d'une lutte plus efficace contre le terrorisme. L'Europe nous protège dans une société toujours plus complexe et dans un monde souvent dangereux.

Loin de moi, pourtant, l'idée de dresser un panorama idyllique et naïf de la construction européenne, mes chers collègues. Tout n'est pas parfait, beaucoup reste à faire et je me garde bien d'être un « eurobéat » sourd aux préoccupations de nos concitoyens et à la formulation de critiques souvent justifiées.

Nous connaissons bien les défis lancés à l'avenir de l'Union. Adoptée en décembre 2001 par les chefs d'État et de gouvernement, la déclaration de Laeken avait identifié toute une série de questions vitales pour la poursuite du projet européen. L'Europe change : le fonctionnement, les règles et le rôle même de l'Union européenne doivent évoluer parallèlement.

Les défis sont multiples : l'approfondissement démocratique, qui doit aller de pair avec l'élargissement géographique ; le nouveau rôle de l'Europe dans un environnement mondialisé ; la définition d'une meilleure répartition des compétences entre l'Union et les États membres ; la simplification d'un fonctionnement institutionnel souvent compliqué et parfois même opaque ; l'association des parlementaires nationaux à la construction européenne.

À cet égard, si on la compare aux traités actuels, la Constitution européenne ne comporte que des avancées, et aucun recul.

À ceux qui disent que l'Europe n'est pas suffisamment démocratique, la Constitution européenne apporte des réponses concrètes, avec la constitutionnalisation de la Charte des droits fondamentaux, le renforcement significatif du rôle du Parlement européen, ou encore la création d'un droit d'initiative populaire qui permettra à un million de citoyens européens de demander à la Commission de présenter une proposition législative.

Les parlements nationaux se verront sensiblement mieux associés à la construction européenne, à travers un droit élargi à l'information et un rôle nouveau en matière de contrôle du respect du principe de subsidiarité. Et nous devrons utiliser ce nouveau pouvoir non par pour dire non à l'Europe, mais bien pour engager un dialogue constructif avec les institutions européennes. Ne tombons pas dans le piège qui consisterait à opposer l'Europe aux États, le Parlement européen aux parlements nationaux, la conscience européenne aux identités nationales. Il nous faut au contraire prendre la mesure de la dimension européenne inhérente aux lois que nous votons.

La Constitution européenne représente également un progrès en ce qui concerne l'efficacité du fonctionnement des institutions. La nouvelle règle de double majorité qualifiée devrait nous protéger de la paralysie décisionnelle, tandis que la suppression de l'unanimité dans plus d'une vingtaine de nouveaux domaines constitue un progrès qualitatif sans précédent. Quant à l'instauration d'une présidence stable du Conseil européen, elle donnera un visage à l'Europe sur la scène internationale. Et la création d'un ministre européen des affaires étrangères, à la fois membres du Conseil et de la Commission, conférera de la cohérence et de la force à la voix de l'Union dans le monde.

Il n'en reste pas moins que, depuis sa signature, le traité constitutionnel fait l'objet de critiques de la part de celles et ceux qui considèrent qu'il grave dans le marbre un modèle libéral, hostile au service public et à la cohésion sociale. Cette caricature ne résiste pas à un examen objectif des faits.

Tout d'abord, la Constitution européenne n'est ni libérale ni sociale : ce sont les gouvernements qui le sont. Il appartient donc aux citoyens d'élire leurs représentants, soit au niveau national, soit lors des élections européennes, en fonction des programmes et des projets politiques. La construction européenne n'est pas une affaire de techniciens : elle doit refléter une volonté politique issue des urnes. Cela s'appelle, tout simplement, la démocratie !

Dès lors, la Constitution européenne n'est pas plus libérale ou sociale que ne l'est notre Constitution de la Ve République. La majeure partie des politiques définies dans la troisième partie reprennent en réalité des dispositions pour la plupart présentes dans le traité de Rome. Rien de neuf n'est donc gravé dans le marbre, puisqu'il s'agit en grande partie de la reprise d'un acquis communautaire que nous pouvons assumer avec fierté. J'ajoute que ce qui a été négocié et adopté à vingt-cinq peut tout à fait être révisé dans les mêmes conditions.

En tout état de cause, le modèle français n'est pas menacé par l'Europe. Le traité constitutionnel apporte aux services publics la base juridique qui fait défaut dans les traités actuels. Autre exemple : notre exception culturelle est préservée dans le cadre de la politique commerciale, la France ayant obtenu le maintien du vote à l'unanimité dès lors qu'il risquerait d'être porté atteinte à la diversité culturelle. Cessons donc d'appréhender l'Europe comme une contrainte alors qu'elle est un multiplicateur de puissance et d'influence.

Le Président de la République a décidé que les Français se prononceront avant l'été sur le traité constitutionnel européen. La perspective de ce référendum doit nous faire prendre conscience du besoin d'information qu'expriment nos concitoyens. Il est urgent de leur expliquer la Constitution européenne afin qu'ils soient en mesure de voter en connaissance de cause. Aucun partisan du « oui » ou du « non » ne pourra se réjouir d'une éventuelle augmentation du taux d'abstention, qui serait révélatrice d'une « euro-indifférence » préoccupante.

Il appartient donc à chacun de prendre ses responsabilités : le Gouvernement, bien sûr, mais aussi nous, les parlementaires, quelle que soit notre sensibilité politique, pour assurer une véritable pédagogie sur les affaires européennes.

Ne nous trompons pas de débat : l'issue du référendum sur la Constitution sera de toute façon sans incidence sur la question de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Ce débat, les Français seront appelés à le trancher le moment venu, dans dix ou quinze ans, puisque le projet de loi constitutionnelle prévoit qu'ils se prononceront obligatoirement par la voie du référendum.

Mes chers collègues, par sa décision du 19 novembre dernier, le Conseil constitutionnel a subordonné la ratification du traité établissant une Constitution pour l'Europe à une révision préalable de notre constitution. Le projet de loi constitutionnelle qui est soumis à notre examen adapte notre constitution et rend possible la participation de la France à la poursuite de la construction européenne.

La révision constitutionnelle qui nous est proposée, et que je voterai, intègre également dans notre loi fondamentale les nouvelles prérogatives reconnues au Parlement, qu'il s'agisse du contrôle du principe de subsidiarité ou de la faculté de s'opposer à l'activation de la procédure de révision simplifiée du traité constitutionnel.

Voici une occasion à saisir : celle de réfléchir ensemble à l'implication du Parlement dans les affaires européennes. A cet égard, n'est-il pas temps de transformer la délégation pour l'Union européenne en une commission pour les affaires européennes, comme c'est le cas dans les vingt-quatre autres pays de l'Union. Il ne fait aucun doute qu'un changement de dénomination serait de nature à renforcer davantage la visibilité par nos concitoyens du contrôle parlementaire sur les affaires européennes. Le temps est venu de faire cesser cette anomalie française.

II nous appartient, en tout état de cause, de donner un signal fort aux Français en approuvant la révision constitutionnelle qui nous est proposée et qui ne modifie en rien l'équilibre de nos institutions. Nous montrerons ainsi aux autres parlements de l'Union et aux différents peuples européens que la France a confiance dans l'Europe, et que l'Europe peut compter sur la France pour approfondir cette « union sans cesse plus étroite » qu'il appartient désormais aux citoyens de s'approprier. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Guigou.

Mme Élisabeth Guigou. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, vous le savez, je souhaite la ratification du traité constitutionnel. C'est pourquoi je voterai la révision de la Constitution, qui est un préalable indispensable à la ratification. Cette dernière ne sera en effet possible que lorsque les incompatibilités entre notre loi fondamentale et les traités seront supprimées, comme ce fut le cas d'ailleurs en 1992 pour le traité de Maastricht et en 1999 pour le traité d'Amsterdam. L'avancée de l'Union européenne implique une redéfinition des compétences respectives de l'Union et des États nations. Ce n'est ni une dépossession ni un abandon, comme le prétendent depuis toujours les adversaires de l'Europe, mais un partage sélectif et progressif de souveraineté, afin que l'action publique se déploie à l'échelon le plus pertinent.

Par conséquent, oui à la révision. Mais quelle révision ? Et surtout, comment réussir la révision ? Comment réussir la ratification ? Comment réussir l'Europe ?

Pour réussir la révision, il faut accepter d'amender le texte du Gouvernement. Pour réussir la ratification du traité, il faut proscrire les amalgames hasardeux. Pour réussir l'Europe, il faut lui donner plus de sens, vaincre les angoisses et les peurs qui font le lit du populisme et de la démagogie.

La révision constitutionnelle est nécessaire, mais le texte du Gouvernement peut et doit être améliorée.

Les articles 1er et 3 du projet de loi permettent utilement de transposer dans la Constitution la décision du Conseil constitutionnel. Nous approuvons l'article 1er sans réserve. Nous approuvons également l'article 3, mais avec des amendements pour en améliorer et en préciser la portée. Le Gouvernement a en effet choisi de limiter la consultation du Parlement français aux seuls actes communautaires relevant du domaine de la loi. Un amendement du groupe socialiste, repris aujourd'hui par M. Lequiller et adopté par commission des lois, étend à tous les projets d'actes législatifs l'obligation de transmission systématique au Parlement français. C'est une bonne chose. Concernant les actes réglementaires, le groupe socialiste défend une transmission obligatoire au Parlement dès lors que le président de l'une ou de l'autre des assemblées en aura fait la demande. Les élus nationaux doivent pouvoir s'exprimer sur le budget européen, sur les perspectives financières de l'Union européenne, sur la révision du pacte de stabilité. Quant aux élargissements, reconnaissez qu'il n'est pas normal que notre parlement n'en ait jamais été saisi.

En revanche, nous voterons contre l'article 2 et l'article 4, qui instaurent un référendum obligatoire avant toute nouvelle adhésion d'un État à l'Union européenne. Rien dans la décision du Conseil constitutionnel n'imposait une telle disposition. C'est un ajout de pure tactique, qui ne se justifie pas au regard des principes constitutionnels. Il est inutile au regard de la ratification du traité. Il est même dangereux pour elle.

L'article 2 dépossède le Président de la République et le Parlement français de leur liberté d'initiative référendaire - comme le Parlement de ses prérogatives de ratification des traités. Le référendum est une bonne pratique démocratique, mais il doit être décidé après une appréciation au cas par cas, de l'importance et de la pertinence de l'enjeu. En outre, cet article 2 est une disposition de circonstance qui vise très clairement la question de l'adhésion de la Turquie à l'Union. Or on ne révise pas la Constitution pour régler un problème politique particulier, ni surtout pour aplanir un différend au sein de la majorité !

Le plus préoccupant, c'est que cette mesure est inutile et dangereuse pour la ratification. Pourquoi la proposer ? Parce que - nous a-t-on dit - le Gouvernement souhaite couper court, par ce biais, au débat sur l'adhésion turque. Mais c'est le contraire qui se produit. La présence de cet article, uniquement motivée par la perspective d'une éventuelle adhésion turque, alimente la confusion entre la question des frontières de l'Union et celle de la Constitution européenne. Au lieu de déconnecter les deux sujets, il opère un amalgame. Or il n'y a aujourd'hui qu'une chose à dire : la Turquie n'est pas le sujet du traité.

Réussir la ratification, ensuite, c'est déterminer plus précisément les conditions pour gagner le référendum. Celui-ci, comme tous les référendums, est incertain dans ses résultats. Car la tentation est toujours grande de répondre à côté du sujet. Évitons donc de mêler à la question du traité constitutionnel des sujets qui n'ont rien à voir avec le traité.

Évitons les amalgames. Il faut très clairement dissocier la question de la Turquie de celle du référendum. D'ailleurs que l'on vote oui ou non au traité constitutionnel, cela n'aura aucune incidence sur l'adhésion de la Turquie, question qui ne se posera que dans dix ou quinze ans. Veillons aussi à dissocier la question référendaire des débats de politique intérieure. Il est crucial, de ce point de vue, que le Gouvernement se tienne à l'écart de la campagne pour le référendum et laisse celle-ci aux partis politiques, chacun se fixant pour tâche de convaincre son propre électorat.

Pour gagner le référendum, ne faisons pas la fine bouche devant le progrès réel que représente ce traité. Évidemment, le projet de Constitution pour l'Union européenne est encore loin de nos espérances. Après le très bon travail des conventionnels - en particulier des conventionnels socialistes, auxquels vous comprendrez que je tienne à rendre un hommage spécial, ...

M. Pierre Lequiller. Et moi ? (Sourires.)

Mme Élisabeth Guigou. ...et de Pierrre Lequiller...

M. Michel Herbillon. Qui n'est pas socialiste, et n'entend pas le devenir !

Mme Élisabeth Guigou. ..., et qui fut néanmoins un très bon conventionnel -, le texte constitutionnel est le résultat, comme tous les traités, d'un compromis. Mais c'est un bon compromis. L'essentiel est que, par rapport aux textes actuels, il n'y ait aucun recul, mais uniquement des avancées ; M. Herbillon l'a très bien dit à l'instant.

Avec ce traité, nous aurons une Europe plus efficace, plus démocratique, plus sociale, plus influente dans le monde. Ce traité ouvre de nouvelles perspectives aux politiques de l'Union. C'est le cas pour la sécurité intérieure - le Conseil constitutionnel l'a souligné. C'est aussi le cas pour les politiques sociales, grâce à différentes dispositions comme la « clause sociale transversale » instaurée par le traité, qui confirme le principe posé par le traité de Maastricht d'une harmonisation vers le haut et jamais vers le bas. C'est aussi le cas pour les services publics, et nous espérons vivement qu'une loi-cadre pourra être un jour votée en application du traité.

Ce traité conforte donc notre ambition de faire de l'Union européenne bien plus qu'une zone de libre-échange.

Certes, nous aurions voulu aller plus loin dans la voie d'une Europe plus forte et plus solidaire. Mais nous devons avoir l'honnêteté de reconnaître deux choses. Tout d'abord, ce traité n'est pas la fin de l'histoire. L'Europe s'est construite par traités successifs : ce projet de Constitution européenne est une nouvelle étape de l'unification. Il y en aura d'autres. Ce traité a vocation à être révisé dans le futur, voire remplacé par un autre traité.

M. Jean-Pierre Soisson. Très bien.

Mme Élisabeth Guigou. Ensuite, ce traité, comme notre constitution nationale, n'est que le support juridique de politiques qui peuvent être différentes.

M. Jean-Pierre Soisson. Bien sûr.

Mme Élisabeth Guigou. Le traité est un cadre, à l'intérieur duquel différentes orientations politiques peuvent s'exprimer. Je prendrai un exemple actuel : le projet de directive Bolkestein visant à libéraliser les services au sein du marché intérieur de l'Union.

M. Jean Launay. Nous n'en voulons pas !

Mme Élisabeth Guigou. Ce projet n'a rien à voir avec le traité. Pour autant, il est absolument inacceptable. Il introduit sans débat la concurrence dans les services publics et dans les services sociaux de l'Union. Il retient en outre une disposition sans précédent : le « principe du pays d'origine », qui ferait que les prestataires de service seraient soumis uniquement aux dispositions nationales de leur État membre d'origine. Cette mesure est contraire à la démarche communautaire qui vise à rapprocher et à harmoniser les législations nationales. Elle encourage la concurrence entre les législations nationales, autrement dit une nouvelle forme de dumping entre États membres : le dumping légal. Nous demandons donc le retrait par la Commission de cette proposition de directive. Et si elle ne retire pas son texte, nous demandons que le Conseil s'y oppose formellement.

M. Jean Launay. Très bien !

Mme Élisabeth Guigou. Nous avons besoin d'une directive sur les services, mais pas de cette directive-là. J'espère, madame la ministre, que vous pourrez nous confirmer que le Gouvernement partage notre approche sur ce point.

M. Jean Launay. C'est du bon sens !

Mme Élisabeth Guigou. Cet exemple montre bien que le traité est nécessaire pour relancer la dynamique européenne, mais qu'il n'est pas suffisant. Il faut aussi la volonté d'agir, et d'agir dans la bonne direction. À cet égard, je ferai deux observations.

D'abord, l'élargissement à vingt-cinq ne peut être réussi sans augmentation du budget de l'Union. Comment annoncer à nos agriculteurs qu'ils doivent renoncer aux aides de la politique agricole commune ? Comment expliquer à nos villes et à nos régions qu'elles vont devoir se passer des fonds structurels ? Comment les convaincre que les aides ne seront pas diminuées si nous n'augmentons pas les fonds structurels ? Rappelons-nous comment nous avons réussi l'élargissement à l'Espagne et au Portugal : les fonds structurels avaient été doublés lors de leur adhésion, et multipliés par six en quinze ans ! C'est ce qui a permis à ces pays de se rapprocher très rapidement de nous. Aujourd'hui, le seul moyen de lutter contre les délocalisations et le dumping fiscal et social est de permettre aux nouveaux membres de nous rattraper.

M. Jean-Pierre Soisson. Vous avez raison !

Mme Élisabeth Guigou. Nous avons donc besoin d'un budget plus important, notamment pour permettre une politique industrielle en faveur des champions européens, et en faveur de la recherche et de l'innovation. Nous devons aussi miser davantage sur l'éducation et la formation, seul atout comparatif de l'Europe aujourd'hui.

La négociation des perspectives financières pour l'Union européenne à l'horizon 2007-2013 doit être l'occasion de revoir la répartition des contributions nationales. Mais nous savons bien que nous n'obtiendrons de bons compromis que si nous libérons le budget du carcan actuel du 1 %.

Il faut utiliser pleinement les possibilités d'avant-gardes ouvertes par le traité, qui facilite les coopérations renforcées. Dans l'Europe à vingt-cinq, il faudra bien aller plus loin que le traité constitutionnel sur les questions de politique de défense, de politique étrangère, de gouvernance économique et sociale, de justice et de sécurité intérieure. Le couple franco-allemand a certainement vocation - mais le fera-t-il ? - à initier ces avant-gardes. Souvenons-nous de celles qui ont réussi : proposées par François Mitterrand, Helmut Kohl et Jacques Delors, elles avaient du contenu dès le départ - Schengen, l'euro - et n'excluaient personne.

Il nous faut aussi nouer des liens renforcés avec les voisins de l'Union européenne. La grande Europe, quelles que soient ses frontières - et il faudra bien qu'elle les fixe car elle ne peut avoir pour seul projet politique que de s'élargir -, pour moi la Russie et le sud de la Méditerranée, ne réussira que si elle parvient à établir des relations étroites, politiques, de coopération et de solidarité avec ses voisins de l'Est et du Sud. Pour peser davantage dans le monde, pour défendre le multilatéralisme, l'Union devra créer des liens avec ses voisins, bâtir un grand ensemble régional qui puisse compter face aux grandes puissances que nous voyons émerger autour de nous. Je souhaite, pour ma part, la création d'une communauté euro-méditerranéenne, qui permettrait de développer, non seulement les échanges économiques de l'Europe, mais aussi un dialogue politique à égalité, qui sortirait du paternalisme et de la coopération octroyée.

Nous voterons cette révision constitutionnelle, car elle est une condition nécessaire à l'adoption par référendum du traité constitutionnel européen. Mais pour que le « oui » l'emporte, il faudra mieux expliquer les avancées démocratiques et sociales du traité, clarifier auprès des Français l'enjeu du référendum. La bataille pour la grande Europe se jouera après la ratification, pendant les négociations sur les perspectives financières de l'Union, sur la constitution d'avant-gardes ou de partenariats avec les États voisins de l'Union. Si nous y parvenons, l'Union européenne n'aura plus à choisir entre Mars et Vénus (Sourires) ; elle pourra simplement, face aux autres grands du monde, être une puissance tranquille. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Émile Zuccarelli.

M. Émile Zuccarelli. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j'ai pensé, en écoutant les différents orateurs, que ce débat est bien curieux : on y parle de tout sauf du texte qui nous est soumis aujourd'hui. Je n'ai pas, en cinq minutes, la prétention d'épuiser le sujet. Le Gouvernement, dans son exposé des motifs, s'emploie à présenter le projet de révision constitutionnelle comme anodin. Il aurait, selon lui, pour seul objet de lever les obstacles constitutionnels qui interdiraient que l'on soumette par voie référendaire le projet de traité constitutionnel pour l'Europe. Il serait un instrument au service de la démocratie, thèse qu'a développée le président de la commission des lois en réponse à Jacques Brunhes. S'opposer à ce texte, reviendrait alors à s'opposer à l'expression de la volonté générale, à interdire à nos concitoyens de se déterminer librement sur l'avenir qu'ils entendent donner à la construction européenne. Telle n'est pas ma conception du débat d'aujourd'hui.

Je suis très favorable à ce que l'on soumette au peuple le projet de traité constitutionnel européen par voie référendaire, mais je suis en désaccord sur le fond du traité. Je ne pourrai pas développer mes raisons ce soir mais, par cohérence et compte tenu de la manière dont le présent texte est ficelé, je vais devoir voter contre,...

M. Jean-Pierre Soisson. Non, Émile !

M. Émile Zuccarelli. ...parce que je me refuse à banaliser la portée du débat qui nous réunit aujourd'hui. J'ai bien conscience qu'une révision constitutionnelle est exigée préalablement par le Conseil constitutionnel, mais je m'insurge contre l'incohérence qui guide la manière d'y parvenir. D'abord pour des raisons de forme. Pourquoi, lorsque l'on défend avec ferveur le référendum, avoir décidé de réunir l'Assemblée et le Sénat en Congrès, alors que le recours à la voie référendaire est, en droit français, non seulement possible, mais une pratique reconnue pour des révisions de cette importance ? Même s'il ne s'agit pas de transfert de souveraineté, il s'agit de transferts de compétences touchant à l'exercice de la souveraineté. Ce n'est pas anodin. Du reste, certaines choses plus anodines sont inscrites dans le texte.

Ensuite, je suis perplexe face aux cavaliers grossiers qui y ont été glissés, d'autres avant moi l'ont souligné. Quelle urgence s'attache à l'inscription dans la Constitution de l'obligation d'organiser un référendum préalablement à toute nouvelle adhésion ? Chacun sait que cette disposition ne vise qu'un seul pays : la Turquie. Or la question ne se posera que dans dix ou quinze ans, c'est le Président de la République qui l'a dit. On aurait pu attendre pour faire une loi constitutionnelle spécifique, puisque le Gouvernement s'emploie à nous expliquer que le traité constitutionnel et l'adhésion de la Turquie sont deux sujets totalement distincts. C'est ainsi qu'il contribue à polluer le débat très important qui va animer le pays.

Au-delà, je suis préoccupé par le fait que l'on nous demande d'intégrer dans la Constitution des dispositions contenues dans le traité, qui anticipent donc son éventuelle adoption. Le texte évoque même la ratification comme si elle était intervenue. J'ai conscience des difficultés institutionnelles auxquelles nous sommes confrontés. Mais pourquoi ne pas coupler d'une manière plus évidente les deux questions qui se posent - révision de notre constitution et ratification du traité constitutionnel européen - dans le même référendum ? Sans le dire, c'est bien le fond du projet de traité constitutionnel européen que porte votre projet de révision. Qu'on le veuille ou non, on ne peut dissocier les deux textes.

Je saisis l'occasion qui m'est donnée pour m'élever contre certaines caricatures. N'est-il pas un peu simpliste de dire que ceux qui s'opposent au traité sont contre l'Europe, et que ceux qui le soutiennent sont pour l'Europe ? Pour ma part, si je me prépare à faire campagne pour le « non » au référendum, c'est parce que je suis un « euro-ambitieux ». Il ne faudrait pas, selon Jacques Floch, saisir le prétexte de ce texte pour se déclarer pour ou contre l'Europe. Ce n'est pas un prétexte, mais une vraie question de fond. Je suis pour l'édification d'une « Europe puissance ». Certains pensent que le traité va permettre de faire un petit pas en avant, que c'est toujours ça de pris. Pourquoi pas ? À condition que ce pas en avant ne conduise pas sur une voie de garage. Or c'est bien ce qui nous guette. Le pas en avant va nous mettre définitivement sur la voie d'une Europe molle, d'une Europe de libre-échange, qui ne pourra jamais jouer un rôle dans un monde multipolaire.

M. Arnaud Montebourg. Très juste !

M. Émile Zuccarelli. Je refuse ce traité, non pas par scepticisme, mais, au contraire, par ambition pour l'Europe. Par cohérence personnelle, je voterai contre l'adoption de cette révision constitutionnelle qui anticipe le vote référendaire.

M. le président. La parole est à M. Arnaud Montebourg.

M. Arnaud Montebourg. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'histoire nous enseigne que la démocratie peut périr de son incapacité à résoudre les problèmes qu'elle n'a pas su prévoir ou affronter. Notre République en sait quelque chose, qui dans son histoire, même récente, a connu tumultes, dangers et violences. Ce serait se tromper que de croire que l'histoire ne se répète pas, qu'il est possible d'échafauder une cité politique, de la construire sans l'adhésion démocratique des citoyens. Voilà près d'un siècle, Jaurès a très joliment dit : « La démocratie, c'est donner à tous une égale part de droits politiques afin que dans la cité - et nous pourrions dire européenne aujourd'hui - aucun homme ne soit l'ombre d'un autre homme, afin que la volonté de chacun concourt à la direction de l'ensemble ». Nous en sommes bien loin lorsque nous voyons les ennemis de la démocratie croître et embellir, en rapport à la quantité de problèmes que la démocratie - ou l'absence de démocratie - européenne est incapable de résoudre ou qu'elle fait elle-même surgir.

C'est la raison pour laquelle je fais partie de ceux qui n'ont pas voulu voter en faveur de l'élargissement de l'Union européenne. Non pas que nous ayons ignoré l'obligation morale, politique et historique envers les dix pays qui ont souffert du stalinisme. Nous n'avons pas voté contre, mais nous n'avons pas voulu voter pour non plus. C'était une manière de ne pas accepter les conditions, dangereuses pour l'Union européenne elle-même et pour les démocraties européennes qui la composent, dans lesquelles cet élargissement a été négocié et accompli. C'était, pour nous, se remémorer la leçon de Jacques Delors et de François Mitterrand, qui recommandaient de n'élargir qu'après avoir approfondi la démocratie européenne. En violation de ces recommandations, dans cet élargissement, nous avons mis la charrue devant les bœufs. Nous voici avec cette charrue de vingt-cinq socs, lourds et empesés, mais où sont les bœufs pour tirer l'attelage ?

M. Lionnel Luca. Et où sont les ânes ?

M. Jean-Pierre Soisson. C'est une image passéiste de l'agriculture !

M. Arnaud Montebourg. Le traité instituant une Constitution pour cette Europe des vingt-cinq ne permettra pas de résoudre les problèmes augmentés et multipliés que l'élargissement aura provoqués. C'est l'une des raisons personnelles pour lesquelles, dans l'isoloir que la République met à la disposition de chaque citoyen, je voterai « non » au référendum national sur l'opportunité d'approuver ou non le traité.

Nous sommes aujourd'hui dûment informés des risques de paralysie de l'Europe à vingt-cinq, quelles que soient les améliorations démocratiques apportées par le traité. Nous savons la persistance des excès de l'inter-gouvernementalisme dans le système politique européen. Ce sont ces excès qui tendent à multiplier les risques d'exercice du veto national, que les pays membres savent utiliser dans l'élaboration des décisions européennes. Et parce que la construction européenne s'est bâtie, non pas contre la volonté des peuples, mais en dehors d'eux, en dehors de leur adhésion, en dehors de la vérification démocratique, il est toujours nécessaire de provoquer ce débat qui s'engage sur la quantité de démocratie que la France et sa constitution sont prêtes à accepter, à institutionnaliser désormais dans la construction future de l'Union européenne. C'est une question cruciale pour l'avenir de notre pays et de l'Union.

C'est précisément parce qu'il n'y a pas suffisamment de contrôle des représentants parlementaires européens des citoyens que nous avons besoin de renforcer le contrôle des parlements nationaux. N'oublions jamais que les gouvernements nationaux des pays membres sont les législateurs européens et qu'ils signent les lois européennes. Et ils le deviendront de plus en plus en raison du passage à la majorité qualifiée dans un grand nombre de cas. C'est pourquoi il est nécessaire que nous contrôlions, nous parlementaires nationaux, l'activité législative de notre propre gouvernement au niveau européen. Nous ne pouvons pas nous comporter en petits caniches obéissants, acceptant la transposition pure et simple de directives signées à l'issue de négociations souvent obscures, certes de plus en plus ouvertes, mais encore opaques, entre les gouvernements rassemblés des vingt-cinq pays de l'Union.

Ce texte pose donc le problème considérable qu'évoquait, dans des termes choisis et mesurés, l'ancien Premier ministre Edouard Balladur, de l'inadaptation du contrôle démocratique par notre parlement. Une de ses phrases en particulier m'avait frappé : « On ne peut construire sans heurts dans l'opacité ». Il faudra, en effet, choisir entre le secret du domaine réservé et de 1'inter-gouvernementalisme, la liberté diplomatique totale d'un Président de la République agissant sans contrôle et la délibération démocratique, le contrôle parlementaire, contrepoids exercé par un parlement adulte sur un gouvernement acceptant de partager son pouvoir. Telle est l'alternative.

On nous oppose souvent qu'on ne touche pas à la vache sacrée, au totem que constituent les institutions de la Ve République, mais il faut choisir : soit on ne change rien et nos concitoyens souffriront de l'absence de démocratie ; soit on bouge et nous remplirons notre mission au regard de l'utilité de la construction européenne. Vous me permettrez de dire ici que le présent projet de loi suivait, de manière archaïque et conservatrice, dans la lignée de l'autoritarisme dont est imprégnée la Ve République, dont les Français ne veulent plus. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Je rappelle que 5 millions de votants aux extrêmes se sont ajoutés à 14 millions d'abstentionnistes, un funeste 21 avril 2002, triste premier tour qui pourrait se reproduire dans l'autre sens, d'ailleurs. Autrement dit, la moitié du corps électoral est sortie du système politique.

Je me suis muni, pour venir à ce débat, d'un petit livre d'un historien et économiste - et compagnon de route de la droite de l'hémicycle : M. Nicolas Baverez. Voici ce qu'il écrit dans La France qui tombe : « Au plan des institutions, la France dispose de deux Constitutions aux antipodes, présidentielle ou cohabitationniste, qui alternent au gré des majorités, ce qui revient à ne plus avoir de Loi fondamentale et donc de contrat politique stable entre les citoyens. Cette instabilité structurelle que le quinquennat tend à accroître est renouvelée par en haut avec le déficit démocratique de l'Union européenne et par en bas avec la multiplication anarchique des révisions constitutionnelles. Celles-ci, à défaut d'ôter le poison cohabitationniste qui ronge la Constitution de 1958, laminent la stabilité et l'autorité de l'État qui constituaient son principal mérite. »

Il ajoute : « La gangrène des révisions parcellaires et incohérentes qui décomposent la Constitution de la VRépublique, au terme d'une étonnante alliance » - je ne peux m'empêcher de sourire à cette évocation - « passée entre les héritiers du gaullisme et les transfuges du trotskisme joue un rôle majeur dans le désengagement des citoyens à travers l'abstention, la volatilité et la dérive extrémiste des comportements électoraux. Elle déstabilise en effet la Loi fondamentale qui de socle des institutions devient un simple objet d'ajustement juridique des majorités successives, ballottée au gré des sondages et les péripéties judiciaires de chaque camp. »

Les citoyens, mesdames, messieurs, veulent, demandent, exigent de pouvoir exercer un contrôle sur l'activité diplomatique et législative européenne de leur gouvernement.

Est-il acceptable que ce dernier s'abrite derrière l'Europe pour dégager sa propre responsabilité politique ? Or c'est le cas de tous les gouvernements sans exception qui ont une activité législative européenne importante.

M. Lionnel Luca et M. Jean-Pierre Soisson. C'est vrai !

M. Arnaud Montebourg. Ce dédoublement de personnalité gouvernementale - vous voyez que nous vous surveillons d'un œil avisé, madame la ministre - qui instrumentalise la construction européenne, en fait un bouc émissaire des politiques que les gouvernements ne veulent pas assumer devant leur représentation nationale, faute de contrôle, de débat et de délibérations ?

.Est-il acceptable, mes chers collègues, que le refus opposé par tout gouvernement, quel qu'il soit, d'assumer sa politique européenne devant la représentation nationale le conduise à utiliser les ordonnances de l'article 38 de la Constitution pour transposer les directives, ce qui revient à déléguer au Gouvernement le soin de transposer son propre travail en lieu et place du Parlement ?

Une loi du 30 janvier 2001 a ainsi habilité le Gouvernement à transposer par ordonnances 117 directives européennes dans le domaine des médicaments vétérinaires, de la protection des travailleurs, de la reconnaissance des diplômes, de l'environnement, des assurances, de l'égalité entre les hommes et les femmes, du comité d'entreprise européen, du diagnostic in vitro, de la sécurité sociale, des transports, des télécommunications, de la protection des consommateurs, de la propriété intellectuelle, des denrées alimentaires, de l'alimentation animale, des opérations sur titres, de la profession d'agent artistique, de la protection de la couche d'ozone, des transferts de déchets, du contrôle des risques présentés par des substances existantes, des règles d'apposition des poinçons de garantie, de la profession d'agent en brevets, du transport des produits vitivinicoles, de la création du réseau Natura 2000, des marchés publics de travaux, de la refonte du code de la mutualité, de la taxation des poids lourds pour l'utilisation de certaines infrastructures.

L'actuel gouvernement n'est pas en reste car, lui-même, a commandé l'année dernière par voie d'ordonnances, la transposition de onze directives dont je vous épargne l'inventaire.

Ainsi, le Gouvernement signe à Bruxelles une loi européenne, la négocie avec nos partenaires à Bruxelles, obtient l'habilitation du Parlement à transposer ... et le Parlement ratifie. Par ce tour de passe-passe extraordinaire, il n'y a plus de contrôle parlementaire sur la construction européenne, sur toute cette activité législative et normative qui influe sur l'ordonnancement juridique national ! Est-ce acceptable ?

Et ce ne sont pas les progrès observés au cours du travail de la commission des lois, que je salue bien sûr en ma qualité de vice-président, (Rires)...

M. Lionnel Luca. On comprend mieux !

M. Arnaud Montebourg. ...progrès qui permettent que la totalité des actes législatifs européens soient soumis au contrôle parlementaire, qui suffiront. Comme le Gouvernement maîtrise l'ordre du jour prioritaire, il peut s'opposer à l'inscription du vote d'une telle motion. S'il a la possibilité d'empêcher qu'on le contrôle, c'est donc que le contrôle n'existe pas !

J'ajoute qu'il y a sur cette question convergence politique entre de nombreux ministres, anciens ou actuels : de M. Nallet à M. Barnier en passant par M. Pandraud et Mme Ameline, tous réclament que le Parlement dispose, en ce domaine, d'une maîtrise de l'ordre du jour. Mais cette maîtrise n'est pas encore acquise. C'est pourquoi nous avons déposé des amendements qui devraient nous occuper un long moment. J'en appelle par avance à votre mansuétude, monsieur le président.

Une autre question importante devra être résolue : comment augmenter le contrôle parlementaire sur une autorité qui n'est pas contrôlable ? Le Président de la République échappe à tout contrôle, surtout parlementaire. Il est constitutionnellement irresponsable et ne répond de ses actes que devant le peuple s'il se représente aux élections suivantes. La Constitution concentre pourtant entre ses mains le pouvoir de fixer la participation de la France à la construction européenne et de négocier, derrière son premier ministre, les politiques européennes. Ainsi a-t-il décidé seul l'élargissement des frontières de l'Europe en approuvant l'ouverture des négociations d'adhésion avec la Turquie. De même, il engage sous son paraphe des directives multiples et variées qui viennent devant le Parlement pour être transposées puis exécutées.

En bon monarque républicain et dans la tradition prévalant depuis 1958, l'actuel président, comme d'autres, n'entend pas accepter que les parlementaires accroissent leurs compétences sur ce qu'il considère comme son « domaine réservé », en vérité domaine réservé aux caprices d'un homme seul, ne répondant de ses actes que devant sa conscience ou son entourage de courtisans.

Chers collègues, allons-nous courber, une nouvelle fois, l'échine ? Je n'accuse personne ad hominem, pour une fois ! (Rires.)

Nous vous proposerons, par une série d'amendements, de mettre fin au domaine réservé en ce qui concerne la construction européenne.

Oui, monsieur le président de la commission des lois, nous touchons ce faisant à l'équilibre des institutions de la VRépublique, mais de cette République-là, nos concitoyens n'en veulent plus !

M. Lionnel Luca. Mais si !

M. Arnaud Montebourg. Inutile donc de vous accrocher à votre gisant et à ses malheureuses reliques ! Elles sont d'un temps révolu.

Il est temps d'assumer cette révolution douce, raisonnable, maîtrisée et d'instaurer une République nouvelle.

M. Lionnel Luca. Ce n'est pas une révolution douce !

M. Arnaud Montebourg. Le moment de la rupture approche, que nous la maîtrisions ou que les électeurs l'imposent !

Les premières propositions que nous vous ferons au cours du débat constituent le prélude, l'avant-garde, l'expérimentation en attendant que vienne le moment de construire autrement. J'espère que nous pourront bientôt dire et entendre : Vive la République, sixième du nom, et vive la France ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. François Guillaume.

M. François Guillaume. Nous sommes saisis aujourd'hui d'une nouvelle proposition de modification de la Constitution. C'est la dix-huitième, comme l'a rappelé un orateur précédent.

Je suis toujours réservé sur le principe de ces amendements à notre loi fondamentale car, ajoutés les uns aux autres, ils finissent pas dénaturer l'esprit du texte du fondateur de la VRépublique, le général de Gaulle.

La modification proposée aujourd'hui est de taille puisqu'il s'agit d'autoriser l'adoption d'une Constitution européenne appelée, il faut bien l'avouer, à se substituer progressivement à celle de chacun des États membres.

Les dispositions de cette Constitution, sur laquelle nos concitoyens devront se prononcer par référendum, sont parfaitement connues. Elles réorganisent les pouvoirs de l'Union que le traité de Nice avait lui-même révisés pour tenir compte de l'adhésion de douze nouveaux États. Bien que le gouvernement français de l'époque - c'était en 2000 - nous ait vivement recommandé l'adoption de ce traité, il est apparu rapidement que la complexité des règles introduite par le texte, notamment la définition des majorités, se révélerait rapidement ingérable. Nous le constatons aujourd'hui. Pour ma part, je ne m'y étais pas trompé.

De toute évidence, on ne peut pas séparer le texte soumis aujourd'hui à notre vote et portant sur le titre XV de la Constitution du contenu du traité signé à Rome le 29 octobre 2004 par vingt-cinq chefs d'État et de gouvernement, traité qui transfère à l'Union européenne de nouvelles compétences et porte donc atteinte à l'exercice de la souveraineté nationale. En clair, en votant l'article 1er du présent projet, nous savons à quoi nous nous exposons : le verrou constitutionnel sera levé.

Quant à l'article 2, il rend obligatoire le recours à un référendum pour ratifier l'adhésion d'un pays candidat. Cette garantie proposée au peuple français, si elle satisfait l'esprit, n'en demeure pas moins aléatoire dans la réalité, à moins que la consultation n'intervienne avant que ne s'engagent concrètement les négociations entre la Commission européenne et le ou les requérants. Comment, en effet, après de longues tractations entre les parties, pourrait-on brutalement, par le vote négatif d'un seul État membre, interrompre le processus d'accès à l'Europe d'une nation indiscutablement européenne par sa géographie, et même quand elle ne l'est pas ?

Nous vient immédiatement à l'esprit le cas de la Turquie. Pourrait-on prendre le risque de rejeter sa demande au bout de quinze ans - puisque c'est le délai annoncé - alors que ce pays aurait, sans y parvenir tout à fait, adapté son économie, ses lois et ses mœurs pour répondre aux exigences communautaires ?

Aux yeux de ce grand pays, un rejet aurait valeur d'outrage. La fierté des résidents turcs de l'Union européenne, immigrés ou intégrés, en serait profondément affectée, ce qui ne serait pas sans conséquences sur leurs relations avec nos populations autochtones. Sans aller jusqu'à user du terme fort de représailles, on peut tout de même s'inquiéter de cette éventualité à l'encontre de tout pays qui serait le seul à refuser l'adhésion d'un candidat à l'Union. Nul doute d'ailleurs que ces arguments seront utilisés lors d'un référendum d'adhésion par tout gouvernement en charge pour obtenir un vote favorable.

La modification de l'article 88-4 tend à rendre quelque autorité au Parlement dont les pouvoirs de contrôle sur le Gouvernement sont, il faut le reconnaître, quasi symboliques. Tel que rédigé, le texte ne permet pas de combler le déficit démocratique dont souffre la construction européenne parce que, dans le concert des institutions, tel qu'il a évolué, il y a peu de place pour les parlements nationaux et il y en aura de moins en moins puisqu'ils ne feront que transcrire en leur droit national une législation européenne de plus en plus envahissante.

La subsidiarité, dont on fait grand cas, ne leur sera pas d'un grand secours car, de par sa nature, son application procède d'une appréciation plus politique que juridique. Et soumettre, comme il est maintenant proposé, les différends qui peuvent en naître à la Cour de Justice ne conduira-t-il pas, madame la ministre, à tomber dans le piège du gouvernement des juges ?

L'amendement Balladur, sans être décisif, a au moins le mérite d'étendre la matière à résolution du Parlement à tous les actes communautaires. Je le soutiens au motif que, si cette disposition avait existé, nous aurions pu, par exemple, débattre dans les parlements de la réforme de la PAC et éviter le carcan imposé aux agriculteurs qui nous vaut déjà dans nos circonscriptions une levée de fourches des intéressés. Nous aurions pu également donner notre avis sur les négociations commerciales internationales et, peut-être, éviter que nos intérêts agricoles, et autres, ne soient bradés par un commissaire qui préfère entendre les représentants de la société civile plutôt que les élus et, au final, n'a de compte à rendre à personne.

Contrairement à ce qui a été déclaré ici ou là, cet élargissement de la matière à débat ne porte pas préjudice aux prérogatives du Président et du Gouvernement pas plus qu'il ne réduit l'indispensable marge de manœuvre dont doit disposer la Commission en charge des négociations internationales. Que je sache, étudier et proposer n'est pas décider. À chacun ses responsabilités !

Quant à l'article 88-6, qui permet au Parlement de s'opposer à l'usage de la procédure de révision simplifiée, je ne vois pas très bien comment il pourra s'appliquer car faire voter une motion en termes identiques par les deux assemblées qui désavoueraient le Président de la République, lequel aurait pris part à un vote unanime du Conseil européen pour élargir le champ des votes à la majorité qualifiée à Bruxelles, me paraît bien improbable.

Aussi, madame la ministre, le moment n'étant pas venu de débattre du fond, c'est-à-dire du contenu du projet de Constitution européenne, j'attends avec intérêt vos explications sur le présent projet de loi de révision constitutionnelle, ainsi que sur la suite donnée aux amendements déposés avant de me prononcer.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Soisson.

M. Jean-Pierre Soisson. « Vers l'Orient compliqué, je volais avec des idées simples. » Cette phrase, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues m'a toujours fasciné. Elle ouvre dans les Mémoires de guerre du général de Gaulle le chapitre qu'il consacre à l'Orient.

Je voudrais alors que notre débat s'étire, se diversifie et se complique, affirmer, en mon nom, quelques idées simples, dans l'espoir qu'elles puissent nous réunir.

Il s'agit, d'abord et avant tout, pour l'Assemblée d'appliquer la décision du Conseil constitutionnel du 19 novembre qui impose une révision de la Constitution avant toute ratification du traité instituant une Constitution pour l'Europe. Il s'agit simplement de permettre l'organisation du référendum que souhaite le Président de la République. C'est le premier objectif, le plus immédiat. Et j'ai compris que sur tous les bancs, à quelques exceptions près, il ne posait pas problème.

Le second objectif a nourri les débats de la commission des affaires étrangères, puis ceux de la commission des lois et a entretenu les discussions au sein des groupes parlementaires. Il tend à aménager le titre XV de la Constitution pour tirer les conséquences des nouveaux engagements de la France et donner une assise constitutionnelle aux prérogatives que le traité confère aux parlements nationaux.

M. Pierre Lequiller. Très bien !

M. Jean-Pierre Soisson. De fait, ce sont les relations entre les institutions européennes et notre Parlement qui ont été, dans notre hémicycle et au sein des commissions, au centre de nos débats.

Plusieurs amendements ont été proposés à la commission des lois. Pour la plupart, ils ont été rejetés en raison de motifs juridiques, car ils ouvraient des champs de réflexion que la commission ne pouvait explorer en quelques jours avant le débat en séance publique. Il nous a paru plus sage de nous en tenir au texte même du Gouvernement qui fait référence à la décision du Conseil constitutionnel.

L'article 88-4 prévoit la transmission au Parlement des projets ou des propositions d'actes de droit communautaire comportant des dispositions de nature législative. Mais la conception européenne de l'acte législatif ne correspond pas à la distinction établie par notre constitution pour les articles 34 et 37 entre la loi et le règlement.

Deux amendements ont été déposés : l'un par M. Jacques Floch au nom des élus socialistes ; l'autre par M. Pierre Lequiller au nom de la délégation pour l'Union européenne. Ces amendements ont permis à la commission de corriger ce qui nous est apparu comme une incohérence. Ils ont été acceptés et je souhaite que l'Assemblée nous suive.

À cet effet, j'ai souhaité - je le dis devant M. Lequiller - qu'une mission soit confiée par le président de notre assemblée à la délégation pour l'Union européenne afin de préciser les rapports nouveaux entre les institutions européennes et notre assemblée.

La délégation pour l'Union européenne, que préside avec bonheur M. Pierre Lequiller, est appelée à jouer un rôle croissant dans le fonctionnement de l'Assemblée et de nos institutions. Son action est souvent méconnue. La mission que je propose pourrait être l'occasion de la mettre davantage en lumière.

L'article 88-5 concerne les prérogatives nouvelles reconnues aux assemblées parlementaires. Il permet à l'Assemblée nationale et au Sénat d'émettre « un avis motivé sur la conformité d'un projet d'acte législatif européen au principe de subsidiarité ».

Si l'Assemblée n'était pas entendue, elle pourrait former un recours devant la Cour de justice de l'Union européenne. Je crois franchement, madame la ministre, qu'une telle hypothèse est assez irréalisable. Je ne vois pas le Conseil européen prendre à l'unanimité une décision de passage à la majorité qualifiée. Si l'Assemblée devait introduire un recours devant la Cour de justice de l'Union européenne je ne pense pas qu'elle aurait la moindre chance.

Enfin, l'article 88-6 définit les conditions dans lesquelles le Parlement peut faire opposition à l'usage de la procédure dite de « révision simplifiée » prévue à l'article IV-444 du traité. Cette procédure donne au Conseil européen le pouvoir de décider à l'unanimité de modifier le champ d'application des règles de majorité ou de procédure législative telles qu'elles sont définies par le traité. Cette compétence, qui s'exerce, à la différence des compétences reconnues à chaque chambre par l'article 88-5, au nom du Parlement, nécessitera le vote d'une motion par les deux chambres en termes identiques.

Mais les prérogatives dévolues par le traité au Parlement français et à notre assemblée prouvent que nous ne sommes pas tenus à l'écart de la construction européenne. Le traité de Rome nous ouvre un droit d'alerte et, dans une certaine mesure, un pouvoir de blocage.

Puissions-nous l'exercer, puissions-nous nous en contenter, avant peut-être d'aller plus loin - comme Mme Guigou le disait tout à l'heure -, et mettre en œuvre la décision du Conseil constitutionnel, en soutenant l'action du Gouvernement. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Guibal, qui sera le dernier intervenant de la présente séance.

M. Jean-Claude Guibal. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le mur de Berlin s'est effondré et, avec lui, l'empire soviétique. Les États- Unis, aujourd'hui maîtres d'un monde globalisé, seront demain confrontés aux puissances continentales émergentes que sont la Chine, l'Inde ou le Brésil.

Dans ce contexte, quel peut être le destin des nations européennes, toutes de taille moyenne, lourdes d'histoire et riches de cultures spécifiques ? Après s'être rapprochées pour assurer la paix et leur sécurité, mais aussi leur prospérité, après avoir créé l'Union européenne et l'avoir engagée dans la voie de l'élargissement, les voilà confrontées à des choix décisifs.

Le principal d'entre eux consiste à déterminer si l'Europe et, avec elle, la France seront sujets ou acteurs de l'histoire, si elles accepteront de la subir ou si elles voudront au contraire la faire, en d'autres termes si l'Europe ne sera qu'un grand marché dans le marché mondial ou si elle est prête à se donner les moyens de la puissance.

L'Union a déjà procédé aux adaptations nécessaires pour mettre son économie en phase avec le retour de « la main invisible » et en conformité avec les règles de l'OMC. Le marché, si j'ose dire, n'a plus grand-chose à exiger de nous. Adapter notre constitution pour ratifier le traité constitutionnel signé à Rome le 29 octobre 2004 nous ouvre, en revanche, la voie d'une « Europe puissance », voie sur laquelle nous serions, à mes yeux, coupables de ne pas nous engager. La France, en effet, ne retrouvera les attributs de la puissance qu'à travers une puissance européenne, laquelle présuppose le renforcement des capacités politiques de l'Union.

Accroître les pouvoirs politiques de l'Union oblige à s'interroger sur ce que sera la consistance de son corps politique et sur ses relations avec les États nations qui la composent.

L'Europe, je le disais, est constituée de très anciennes nations dont les États ont su répondre tout à la fois au besoin d'identité et aux besoins fonctionnels de leurs peuples. Comment seront satisfaits demain ces deux besoins indissociables ? Comment s'articuleront la logique d'une communauté de contrat qui conduit à rechercher le niveau le plus pertinent pour gérer efficacement une fonction donnée et celle d'une communauté de mémoire qui amène à identifier le cadre le plus légitime pour organiser la cohésion du « corps politique » ?

Sans doute l'Europe sera-t-elle apte à se substituer partiellement aux États nations pour ce qui relève des solutions fonctionnelles. C'est ce que prévoit et formalise l'article I-11 du traité constitutionnel, qui hisse enfin la subsidiarité au rang des principes fondamentaux. Une telle évolution est heureuse. Je souhaiterais même qu'elle constitue un premier pas vers une subsidiarité souhaitée par le bas plutôt que décidée par le haut.

L'Europe, par contre, ne semble pas encore en mesure de répondre au besoin d'identité de ses peuples. Ce serait en tout cas une illusion technocratique d'imaginer qu'un « corps politique » puisse naître d'une création institutionnelle et résulter d'une logique principalement fonctionnelle.

Sans doute - et c'est tant mieux - chaque citoyen sera-t-il amené, à l'avenir plus encore que par le passé, à vivre plusieurs sentiments d'appartenance. Si la citoyenneté européenne se développe, elle le fera donc en se surajoutant aux citoyennetés nationales plutôt qu'en se substituant à elles. Tel me semble être l'esprit de l'article I-11 du traité quand il confie aux parlements nationaux le soin de veiller au respect du principe de subsidiarité, comme d'ailleurs celui de l'article 2 du projet de loi constitutionnelle qui soumet à référendum les traités d'adhésion de nouveaux membres à l'Union.

L'Union se construit par la négociation et le contrat. Le traité du 29 octobre 2004 sera suivi, n'en doutons pas, de nombreux autres, auxquels il ouvre la voie et qui approfondiront l'architecture politique et institutionnelle de l'Europe. Ce que nous pouvons en tout cas dès maintenant pressentir, c'est que l'Europe élargie ne sera pas un super-État, ni une fédération, ni sans doute aucune autre forme répertoriée dans les traités de droit constitutionnel, à l'exception peut-être d'un empire, mais d'un genre nouveau.

L'Europe, aujourd'hui objet institutionnel non identifié, doit inventer une entité politique nouvelle qui conjugue, d'une part, la mémoire historique et l'identité des nations et, d'autre part, les solidarités nées de l'appartenance à des institutions communes.

Le plus probable d'ailleurs, si l'on tient compte de la « propension des choses », est que l'Europe élargie soit demain à géométrie variable, et donc, en mesure de répondre à cette double exigence.

Le concept de « coopérations renforcées » y jouera un rôle déterminant. Il constitue d'ailleurs à mes yeux, la novation la plus importante du traité de 2004, non seulement parce qu'il rend possible l'émergence de formes institutionnelles neuves, mais aussi parce qu'il va permettre la mise en route de « moteurs » qui tireront l'ensemble de l'Union dans des domaines aussi fondamentaux que la défense, la politique étrangère ou l'immigration.

Ouverts à tous les États membres qui le souhaiteront et qui en rempliront les conditions, ces moteurs illustreront de surcroît le fait que, sur le plan politique et non plus seulement économique, l'Europe se nourrit de ses élargissements successifs.

Sans doute, les coopérations renforcées sont-elles bridées par le principe d'unanimité. Elles bénéficient néanmoins des « clauses passerelles » dont la souplesse facilitera leur mise en œuvre et permettra de nouvelles évolutions.

Nous sommes aujourd'hui confrontés, pour la première fois avec cette force depuis plus d'un demi-siècle, à la question de savoir si nous sommes décidés, en tant que peuples européens, à exister par nous-mêmes. Si nous sommes résolus à construire notre propre monde, selon nos histoires particulières et notre histoire commune, non seulement pour exister encore demain comme acteurs de l'histoire, mais pour faire vivre aussi notre modèle de civilisation. Or celui-ci n'est pas seulement fait, même si ce n'est pas rien, du respect des droits de l'homme et des valeurs communes à toutes les démocraties. Il est aussi le témoin de manières de vivre et de sentir. Il nous fait voir la splendeur du monde dans la diversité des peuples, des croyances, des mœurs et des individus. Il s'incarne dans des figures qui ont pour nom Prométhée, Faust, Sisyphe, Roland, Lancelot ou Don Quichotte, et qui sont autant d'illustrations d'un homme créateur de soi. Dépositaires de ce trésor, nous avons le devoir de le préserver.

À propos de l'Europe, le général de Gaulle parlait de cathédrale. Le 11 juin 1965, il disait au chancelier Ehrard : « Nous entreprenons, vous et moi, la construction de l'Europe occidentale. Ah ! quelle cathédrale... Et qui sait, quand nous aurons abouti, peut-être aurons-nous pris goût à bâtir de tels monuments. Peut-être voudrons-nous alors, et pourrons-nous alors, construire une cathédrale encore plus vaste et plus belle ! Je veux dire : l'Union de l'Europe tout entière ». Depuis 1965, la Chine s'est éveillée. Il n'est que temps pour nous de poser la clé de voûte de cette cathédrale. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

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ORDRE DU JOUR
DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président. Aujourd'hui, à quinze heures, première séance publique :

Questions au Gouvernement ;

Suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle, n° 2022, modifiant le titre XV de la Constitution :

Rapport, n° 2033, de M. Pascal Clément, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République ;

Avis, n° 2023, de M. Roland Blum, au nom de la commission des affaires étrangères.

À vingt et une heures trente, deuxième séance publique :

Suite de l'ordre du jour de la première séance.

La séance est levée.

(La séance est levée, le mercredi 26 janvier 2005, à une heure vingt.)

        Le Directeur du service du compte rendu intégral
        de l'Assemblée nationale,

        jean pinchot