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Première séance du mercredi 2 mars 2005

162e séance de la session ordinaire 2004-2005


PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

    1

ENLÈVEMENT DE FLORENCE AUBENAS
ET HUSSEIN HANOUN AL-SAADI

M. le président. Monsieur le Premier ministre, voici près de deux mois que notre compatriote Florence Aubenas et son accompagnateur Hussein Hanoun al-Saadi ont été enlevés et sont détenus en Irak.

Vous connaissez l'émotion qu'ont suscitée les dernières images de Florence Aubenas, montrées à la télévision et présentées par la presse.

Me faisant l'interprète de l'ensemble de l'Assemblée, je vous demande, monsieur le Premier ministre, si vous pouvez aujourd'hui nous donner quelques informations à ce sujet. Par avance, je vous en remercie au nom de tous les députés. (Applaudissements sur tous les bancs.)

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Monsieur le président, je vous remercie de votre initiative qui prolonge les démarches de chaque président de groupe ces dernières heures.

Mesdames, messieurs les députés, Florence Aubenas et son accompagnateur Hussein Hanoun ont disparu depuis le 5 janvier, il y a maintenant cinquante-six jours.

J'ai été, nous avons été particulièrement meurtris par les images qui ont été diffusées hier à partir d'une cassette audiovisuelle déposée à l'agence Reuters à Bagdad. Ces images montrent à l'évidence la souffrance endurée par Florence Aubenas, la cruauté de la captivité, le caractère inacceptable de sa détention.

Ou ces images sont vraies, et elles sont insupportables. Ou ces images sont fabriquées, et elles sont inacceptables. Elles sont bouleversantes, mais surtout préoccupantes.

Nous pensons tous au choc subi par la famille de Florence, par ses proches, par ses innombrables amis, ses confrères, mais aussi par toutes les personnes qui soutiennent ceux qui maintiennent la mobilisation pour obtenir sa libération. Nous devons aussi penser à la famille de Hussein Hanoun, absent de ces images.

Certes, c'est un nouveau signe de vie que nous recevons, après une cassette précédente que nous avons montrée à la famille de Florence Aubenas. Nous guettons, bien sûr, ces signes de vie. Vous le savez, dans tous ces contacts, nous demandons toujours un préalable : que nous soient apportées des preuves de vie.

Aujourd'hui, nous ne pouvons pas encore déterminer les dates exactes auxquelles les deux cassettes ont été enregistrées, et notamment l'ordre de leur enregistrement. Nos experts sont au travail.

Ce qui est certain, c'est que la disparition de Florence Aubenas et d'Hussein Hanoun n'est en rien comparable à celle de Christian Chesnot et de Georges Malbrunot. Aucun groupe n'a, à ce jour, revendiqué un enlèvement. Aucune revendication n'a été formulée. Aucun dialogue n'a pu être établi, stabilisé, avec des ravisseurs authentifiés.

Les images diffusées hier sont en cours d'expertise. La nature et la teneur du message qu'elles comportent suscitent d'importantes interrogations. Nous travaillons donc pour essayer d'expertiser et de valider ces images.

Je le dis devant la représentation nationale : toute personne qui croirait détenir des informations sérieuses sur la situation de Florence Aubenas a le devoir de les porter immédiatement et sans condition à la connaissance des autorités. C'est la sécurité de notre compatriote et de son accompagnateur qui prime sur toute autre considération. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Florence Aubenas a lancé un appel à un parlementaire français, qui a déclaré connaître probablement les ravisseurs. J'ai demandé au directeur général de la sécurité extérieure de prendre contact avec lui - de prendre contact avec vous, monsieur le député (Murmures sur les bancs du groupe socialiste) - pour recueillir toutes les informations qui pourraient être nécessaires à nos services afin que la République puisse agir dans une seule direction, sous une seule autorité, sans accepter aucune diplomatie parallèle.

La disparition de Florence Aubenas et d'Hussein Hanoun nous touche profondément. Nous souhaitons obtenir leur libération par l'action de la France, par l'action de ses services. Je leur fais confiance pour être capables, aujourd'hui, comme hier, de rassembler les conditions nous permettant d'obtenir cette libération.

J'indique enfin que, comme plusieurs d'entre vous l'ont souhaité, je réunirai demain les présidents de groupe et les dirigeants des partis politiques pour leur exposer nos analyses et nos conclusions, et leur faire part de toutes les informations dont dispose le Gouvernement.

Aujourd'hui, l'ensemble de la représentation nationale - et je vous remercie à nouveau, monsieur le président, d'avoir posé cette question - est mobilisée sur un objectif : obtenir la libération de Florence Aubenas et de Hussein Hanoun dans l'unité de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire, du groupe Union pour la démocratie française et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Merci, monsieur le Premier ministre.

    2

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

M. le président. L'ordre du jour appelle les questions au gouvernement.

Les quatre premières questions porteront, je l'espère, sur des problèmes européens, conformément à notre tradition.

Nous commençons par le groupe des député-e-s communistes et républicains.

DIRECTIVE BOLKESTEIN

M. le président. La parole est à M. François Liberti.

M. François Liberti. Monsieur le Premier ministre, la directive Bolkestein sur la libéralisation des services consacre le choix du nivellement de la protection sociale par le bas à travers le principe du pays d'origine. Elle applique à la lettre le principe du marché intérieur où la concurrence est « libre et non faussée », objectif stratégique énoncé par le traité de Constitution européenne.

Une contradiction flagrante apparaît donc chez les tenants du « oui » qui prétendent aujourd'hui s'opposer à cette directive, puisque c'est précisément le traité constitutionnel qui lui confère une base juridique et qui rend du même coup son adoption envisageable.

Mais la contradiction ne s'arrête pas là : à l'exception des parlementaires communistes, qui s'y sont opposés, tous les autres groupes du Parlement européen l'ont approuvée, en février 2003, lors de sa présentation. Après avoir manifesté votre plein accord, vous opérez aujourd'hui un repli tactique en demandant la remise à plat de ce texte. Il est vrai que le débat sur le contenu de cette directive à la veille du référendum est de nature à éclairer nos concitoyens sur la véritable portée juridique et politique du traité constitutionnel.

Pour la Commission européenne, dont le pouvoir est singulièrement renforcé dans le traité, les choses sont claires : il n'est pas question de supprimer la directive Bolkestein, sa mise en application étant simplement renvoyée après la ratification.

Monsieur le Premier ministre, la seule garantie pour enterrer cette directive et empêcher que son contenu soit mis en œuvre, c'est que le « non » l'emporte au référendum. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Quelles sont vos intentions vis-à-vis de cette directive qui vise à réaliser les objectifs contenus dans le traité de Constitution ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée aux affaires européennes.

Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée aux affaires européennes. Monsieur le député, la position du Gouvernement en ce qui concerne la proposition de directive « Services » est très claire : comme l'ont rappelé le Président de la République et le Premier ministre, ce texte est inacceptable en l'état et doit faire l'objet d'une remise à plat.

Nous soutenons l'approfondissement du marché intérieur des services, qui apportera la croissance et les emplois dont l'Europe et la France ont besoin. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Je vous rappelle que la France est la première nation européenne exportatrice de services. Mais nous ne pouvons pas accepter la méthode proposée.

Comme vous l'avez dit, une application mécanique du principe du pays d'origine risquerait de tirer vers le bas les législations. L'Europe ne peut pas signifier moins de protection pour les consommateurs, moins de droits pour les travailleurs ; ce serait un contresens. Pour nous, c'est la poursuite du processus d'harmonisation qui reste l'élément central : c'est la garantie d'une bonne protection.

Bien sûr, nous voulons aussi préserver notre modèle social et culturel en ce qui concerne les services publics, le droit du travail et la diversité culturelle. Nous avons demandé d'exclure du champ d'application de cette directive les services sociaux et de santé, l'audiovisuel et la presse, les professions juridiques réglementées, les services de gestion collective des droits d'auteur et des droits voisins, les jeux d'argent et les services de transport.

Vous avez bien compris que la Commission a pris conscience des remous profonds créés par la proposition de directive. Le président de la Commission a annoncé, le 2 février, qu'il allait réexaminer profondément ce texte et aboutir à un consensus.

Vous avez parlé du Parlement européen : nos préoccupations y sont prises en compte et, vous le savez, ce texte va être examiné en première lecture dans les prochains mois. La Commission tiendra compte de ses avis.

M. Jean-Claude Lefort. Non !

Mme la ministre déléguée aux affaires européennes. À l'Assemblée nationale et au Sénat, vous êtes tous très mobilisés à ce propos, et nous vous en remercions.

Oui au marché des services, mais non à une remise en cause de nos exigences essentielles. Le Président de la République l'a rappelé : nous resterons, pour tous les travaux à venir, et pas seulement pour ce texte, très vigilants, très fermes en ce qui concerne notre conception de l'Europe. L'approche constructive qu'a proposée la Commission va nous permettre de travailler sereinement à un réexamen, une remise à plat, de la directive. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

COOPÉRATIONS TRANSFRONTALIÈRES EN EUROPE

M. le président. La parole est à M. Gilbert Meyer, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.

M. Gilbert Meyer. Madame la ministre déléguée aux affaires européennes, nous avons entendu hier le Premier ministre espagnol. Son message pour l'Europe était fort.

Dans son propos, nous avons tous également relevé les comparaisons faites en matière de coopération renforcée, dans le périmètre européen. Les exemples cités nous interpellent.

Dès lors, ne faut-il pas repenser notre stratégie, pour chercher une meilleure efficacité permettant d'atteindre les objectifs que nous assignons à l'Europe ? Ce constat s'impose encore davantage depuis l'élargissement à vingt-cinq.

L'expérience acquise dans la coopération transfrontalière peut servir d'exemple. En effet, les actions engagées avec l'Allemagne et l'Italie, entre autres, ont apporté des enseignements qu'il y a lieu de valoriser.

À partir de là, dans la mesure où nous voulons une coopération renforcée, les outils juridiques se doivent d'être arrêtés clairement. Or les dispositions actuelles posent problème. Je prends l'exemple des rapports entre la France et l'Allemagne, notamment. L'installation d'un outil juridique de coopération est presque irréalisable. Il n'est pas possible de respecter momentanément et le droit français, et le droit allemand.

À ce jour, il n'existe aucun outil communautaire « global » permettant une action multiforme aux partenaires. Dans le meilleur des cas, ces derniers se voient toujours contraints d'adopter une série de délibérations en conformité avec les dispositions du droit interne des pays concernés.

L'installation d'un « outil » transfrontalier est donc tout simplement impossible. Si, déjà, ce constat est fait pour le « transfrontalier », nous ne sommes vraiment pas en position de proposer une coopération renforcée aux nouveaux pays.

En juillet 2004, la Commission européenne a adopté une proposition de règlement visant à instituer un instrument de coopération au niveau communautaire. (« La question ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Mon cher collègue, veuillez poser votre question.

M. Gilbert Meyer. Cet outil sera-t-il opérationnel à court terme ? Le dispositif entrevu va-t-il unifier dans les pays concernés les règles d'installation d'un outil permettant une coopération renforcée ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée aux affaires européennes.

Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée aux affaires européennes. Monsieur Meyer, l'Europe encourage et accompagne les coopérations territoriales. Vous le savez, des instruments financiers ont été mis en place pour la période 2000-2006 et de nombreuses régions françaises en bénéficient.

Je veux redire combien nous sommes attachés aux programmes INTERREG - qui comportent trois volets, visant à assurer la promotion des coopérations transfrontalières, transnationales et interrégionales - ainsi qu'à la préservation de ces outils après 2007, en tout cas dans les zones qui en bénéficiaient avant l'élargissement.

La Commission européenne propose la création d'un outil juridique adapté, qui pourrait être mis en place dès 2007 : le groupement européen de coopération transfrontalière. Le Gouvernement y est favorable. Le GECT devrait permettre de résoudre les difficultés créées par la disparité entre les droits nationaux.

Les collectivités locales qui sont engagées dans ces coopérations devront bien sûr respecter le cadre de compétence qui leur est dévolu, mais elles ont déjà des outils à leur disposition. Vous avez évoqué l'accord de Karlsruhe, conclu en janvier 1996 entre la France et l'Allemagne. Plus récemment a été signé un traité franco-belge. D'autre part, la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales a créé le district européen, qui généralise l'accord de Karlsruhe en l'étendant à toutes les frontières françaises. Il permet une répartition juridique claire selon la localisation du siège de l'organisme de coopération.

Mon homologue allemand et moi-même vous avons rendu visite dans l'Eurodistrict de Colmar-Mulhouse-Fribourg et avons évoqué la nécessité de créer une structure juridique adaptée pour mettre en place de manière concrète et efficace ces projets transfrontaliers et répondre ainsi aux besoins des populations concernées.

Mais tout ne repose pas sur le droit : c'est aussi une question de gouvernance, d'expérimentation locale, et vous en êtes les principaux acteurs. C'est pourquoi j'ai demandé à M. Alain Lamassoure, député européen, d'engager une réflexion sur les évolutions possibles des coopérations transfrontalières. Vous avez d'ailleurs, monsieur le député, été consulté à ce propos. Son rapport me sera remis dans quelques semaines et je vous ferai part de ses conclusions. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

CHÔMAGE ET POLITIQUE DE L'EMPLOI

M. le président. La parole est à M. Michel Dasseux, pour le groupe socialiste.

M. Michel Dasseux. Monsieur le Premier ministre, vos déclarations selon lesquelles vous feriez baisser le chômage de 10 % en 2005 sont d'ores et déjà à ranger au chapitre des promesses non tenues : bien au contraire, c'est le seuil des 10 % de chômeurs qui vient d'être franchi.

M. Lucien Degauchy. C'est la faute aux 35 heures !

M. Michel Dasseux. Vous connaissez tous, mes chers collègues, le chiffre de 2 461 000 chômeurs, l'un des plus mauvais résultats en Europe. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Il convient de le mettre en regard des profits faramineux des entreprises, dont les actionnaires sont les seuls bénéficiaires.

M. Christian Bataille. Quelle honte !

M. Michel Dasseux. Vous avez produit 200 000 chômeurs de plus depuis que vous êtes au pouvoir.

Pire, malgré la croissance de 2,5 %, c'est la première fois depuis quinze ans qu'il n'y a pas de création d'emplois.

M. Christian Cabal. Les 35 heures !

M. Michel Dasseux. Et ne venez surtout pas nous parler des 500 000 emplois virtuels de M. Borloo.

M. Jean-Paul Anciaux. Et vous, qu'avez-vous fait ?

M. Michel Dasseux. À force de détricoter tout ce que nous avions mis en place (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. − Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), seuls les plus ultralibéraux de vos amis peuvent se montrer satisfaits.

M. Christian Cabal. Baratin !

M. Michel Dasseux. Aujourd'hui, à peine 10 % des Français souscrivent à votre politique de l'emploi. On ne peut pas parler d'une adhésion enthousiaste.

Monsieur le Premier ministre, si vous nous répondez, épargnez-nous votre habituel couplet sur la responsabilité du gouvernement précédent. (« Non ! C'est vous les responsables ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) À notre arrivée, en 1997, nous avons trouvé un chômage de 12,5 %. Nous l'avons abaissé à 10 % en 2000 et, en 2002, nous vous avons légué un taux de 8,7 %. Qu'en avez-vous fait, monsieur le Premier ministre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. − Exclamations et claquements de pupitres sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Ce qui est en cause, c'est votre méthode, et rien d'autre. Vous êtes le chef d'un gouvernement à cause duquel moins de Français travaillent et gagnent moins.

M. le président. Cher collègue, pouvez-vous poser votre question ?

M. Michel Dasseux. Au-delà d'un nouveau numéro de communication (Exclamations prolongées sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), comment allez-vous justifier ce bilan catastrophique ? Mettrez-vous un terme à votre entreprise de démolition sociale ? Cesserez-vous de casser l'emploi ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. − Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale.

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. Monsieur le député, en matière d'augmentation du chômage des jeunes, l'année historique est 2001, ce qui devrait inciter certains à plus de modestie. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Henri Emmanuelli. Parlez-nous d'aujourd'hui !

M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. Je vois que cela vous gêne, mais je pourrais vous rappeler d'autres chiffres. Vous nous avez laissé un pays où le taux de chômage des jeunes est le plus élevé d'Europe : vous devriez écouter ce que nous avons à vous dire à ce sujet.

Pour parler de l'avenir (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste), je rappellerai que tous les membres du Gouvernement conjuguent leurs efforts pour maintenir le cap fixé par le Premier ministre. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Ainsi, la campagne pour le plan apprentissage, piloté par Laurent Hénart, commence le mois prochain ; le programme pour les jeunes se met en place ; le programme pour les services à la personne a été présenté la semaine dernière ; Bercy a développé l'organisation des pôles de compétitivité pour tirer l'économie française vers le haut. (« Qui c'est, Bercy ? » sur les bancs du groupe socialiste.) Enfin, nous sommes allés étudier ce qui se faisait de mieux chez nos voisins européens : ainsi, les maisons de l'emploi sont inspirées du modèle finlandais − c'est-à-dire d'un pays où le taux de chômage est tombé de 16 à 8 % − et des jobcenters britanniques.

M. Maxime Gremetz. Et la liste des privatisations ?

M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. Le plan de baisse du chômage sera maintenu, conformément aux instructions que j'ai reçues du Premier ministre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

POLITIQUE AGRICOLE DE L'EUROPE

M. le président. La parole est à M. Philippe Folliot, pour le groupe Union pour la démocratie française.

M. Philippe Folliot. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'agriculture.

« Je ne suis pas partisane d'un modèle agricole à l'américaine. Je refuse de laisser les campagnes européennes se dépeupler. L'agriculture familiale doit avoir sa place. » Ainsi s'exprimait récemment, devant le Parlement européen, la nouvelle commissaire européenne à l'agriculture et au développement rural, Mme Mariann Fischer Boel. Mais, au-delà des mots, quelle sera la réalité de la politique de la Commission ? L'inquiétude est grande dans nos campagnes et, malgré le succès jamais démenti de cette fantastique vitrine qu'est le salon de l'agriculture, le malaise bien réel.

Le monde agricole sait ce que la politique agricole commune a apporté en trente ans, mais la mise en place de la nouvelle PAC et le découplage des aides, la fin programmée des fonds structurels, la multiplication des contraintes administratives, les difficultés de la filière viticole ou la poursuite, par les États-Unis, de l'injuste surtaxation de 100 % infligée à certains produits européens de qualité, tels que le roquefort, sont autant de motifs d'incertitude. (Exclamations sur tous les bancs.)

Mme Sylvia Bassot. Et le camembert ?

M. Philippe Folliot. Le groupe UDF et apparentés a toujours été attaché au maintien d'une agriculture et d'une ruralité actives et dynamiques, ferments d'une ambitieuse politique d'aménagement du territoire. Que compte faire le Gouvernement pour peser sur la Commission européenne de manière à apaiser ces inquiétudes et pour maintenir une politique agricole européenne volontaire et efficace ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité.

M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité. Monsieur le député, votre question est d'une actualité brûlante : en effet, la commissaire européenne Mariann Fischer Boel était hier au salon de l'agriculture, où elle a rencontré l'ensemble des organisations syndicales − la Confédération paysanne, la Coordination rurale, le MODEF, la FNSEA, les Jeunes agriculteurs, les chambres d'agriculteurs − et a pu dialoguer avec elles sur ces sujets.

Vous avez raison, la PAC est un acquis important, qu'il faut conserver : elle apporte, chaque année, 8 milliards d'euros à la « ferme France ». Mais nous essayons en ce moment de simplifier deux mesures d'application.

En ce qui concerne l'écoconditionnalité, nous avons organisé une concertation avec la profession et, l'année prochaine, nous enverrons aux agriculteurs un livret simplifié qui tiendra compte de toutes les remarques entendues cette année. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. - « Très bien ! » sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

Quant au mécanisme complexe des droits à paiement unique, avec découplage partiel, je rappelle que c'est la profession agricole française qui l'avait souhaité. Nous avons retardé l'envoi des documents et retravaillons sur ce qui concerne l'installation, les retraités et les jeunes. Plusieurs de vos collègues doivent d'ailleurs se rendre sur le terrain, avec les organisations professionnelles, pour étudier ce qui se passe dans les autres pays : cela nous permettra d'améliorer encore la copie européenne dans ce domaine.

M. Maxime Gremetz. Et c'est pour cela que les paysans vont voter non !

M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité. Enfin, en ce qui concerne le roquefort,...

M. Henri Emmanuelli. Et le foie gras !

M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité. ...les États-Unis ont exercé des représailles inacceptables. La France a protesté auprès de l'OMC pour que ce fromage, qui vous est cher, monsieur Folliot, soit défendu comme il se doit. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

DÉMOGRAPHIE MÉDICALE

M. le président. La parole est à M. Dominique Le Mèner, pour le groupe UMP.

M. Dominique Le Mèner. Ma question s'adresse à M. le ministre des solidarités, de la santé et de la famille.

Monsieur le ministre, au moment où les Français de seize ans et plus reçoivent un formulaire qu'ils doivent remplir pour déclarer le médecin traitant de leur choix, certains d'entre eux sont incapables de désigner un référent, soit en raison des difficultés d'accès aux soins, notamment dans les zones rurales, soit parce que les médecins généralistes de leur secteur ne peuvent pas accepter de nouveaux patients.

Il convient de mieux identifier les causes réelles de cette situation, qui ne se bornent pas au problème de l'évolution de la démographie médicale. En effet, en 2004, la densité globale était élevée et l'on comptait 338 médecins pour 100 000 habitants, soit près de trois fois plus qu'en 1970. Mais ces chiffres recouvrent malheureusement de grandes disparités entre les secteurs géographiques et les spécialités.

On estime que, jusqu'en 2007, le nombre des nouveaux médecins compensera celui des départs en retraite, mais, en 2014 et en 2015, on comptera chaque année 8 000 départs pour 5 500 nouveaux médecins seulement.

Grâce à l'augmentation du numerus clausus que vous avez décidée, ces départs devraient être compensés dès 2015. Cependant, l'augmentation globale ne peut répondre seule à l'urgence de la situation, et il est nécessaire de rééquilibrer la carte sanitaire pour pallier la désertification médicale. Ainsi, dans le département de la Sarthe, la moyenne d'âge des médecins est de plus de cinquante ans et, dans certains cantons, on compte moins de trois généralistes pour 5 000 habitants : rares sont, hélas, les perspectives de nouvelles installations.

Monsieur le ministre, vous avez annoncé il y a quelques mois la création d'une commission nationale de la démographie médicale. Je souhaiterais savoir si des propositions vont être présentées prochainement. La situation devient en effet particulièrement préoccupante dans beaucoup de départements et ne permet pas de satisfaire à l'obligation de désigner un médecin traitant. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités, de la santé et de la famille.

M. Alain Néri. Le médecin référent !

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des solidarités, de la santé et de la famille. Monsieur le député, en matière de santé publique, la question que vous posez est aujourd'hui essentielle. À la désertification médicale dans certains territoires, le Gouvernement apporte trois réponses.

Vous avez évoqué la première : le numerus clausus a été augmenté. De 2003 à 2005, nous l'avons porté, avec François Fillon, de 5 100 à 6 200 étudiants, et nous allons arriver à 7 000 d'ici à 2007.

Deuxièmement, des aides et des incitations à l'installation dans les zones médicalement désertifiées sont prévues dans la loi sur le développement des territoires ruraux, promulguée le 24 février, c'est-à-dire la semaine dernière. Les décrets seront pris dans les prochaines semaines.

M. Christian Bataille. C'est du blabla !

M. le ministre des solidarités, de la santé et de la famille. Des aides directes pourront être apportées par les collectivités locales, par l'assurance maladie - une convention a été signée il y a quelques semaines − et par l'État, sous forme de déductions fiscales.

M. Henri Emmanuelli. Ce n'est pas l'État qui paie !

Troisièmement, il faut, je le répète, arrêter de fermer les hôpitaux locaux (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire, du groupe Union pour la démocratie française et sur quelques bancs du groupe socialiste), comme vous l'aviez fait, vous. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Il faut, au contraire, développer ces hôpitaux, qui sont des hôpitaux de première intention.

M. Michel Vergnier. Chiche !

M. le ministre des solidarités, de la santé et de la famille. Il faut y installer des services d'urgence, équipés de scanners, pour leur permettre d'établir des diagnostics et de proposer des thérapeutiques, en particulier pour les accidents vasculaires cérébraux et les infarctus du myocarde. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Enfin, je vous indique que la commission Berland, que nous avons mise en place avec Xavier Bertrand, devrait rendre ses conclusions à la fin du mois de mars. Nous ferons très rapidement des propositions pour qu'un égal accès aux soins soit assuré sur tout le territoire français. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. Maxime Gremetz. En attendant, on ferme des lits en Picardie !

LIBAN

M. le président. La parole est à M. Gérard Léonard, pour le groupe de l'UMP.

M. Gérard Léonard. Monsieur le ministre des affaires étrangères, l'assassinat, il y a deux semaines, de l'ancien Premier ministre du Liban, Rafic Hariri, a provoqué la stupeur et soulevé l'indignation de l'ensemble de la communauté internationale.

La France, par la voix du Président de la République et celle de nombreux responsables de tous horizons, a témoigné dans cette dure épreuve sa solidarité active au peuple libanais. À travers la personne de Rafic Hariri, c'est tout le processus de libération du Liban de la tutelle syrienne, sa marche vers la souveraineté et la démocratie retrouvées qui étaient clairement visés.

Les manifestations populaires qui ont suivi ont frappé tous les observateurs tant par leur ampleur que par leur caractère consensuel, toutes les familles religieuses et presque tous les partis politiques y étant représentés.

Dans quelques semaines doivent se dérouler des élections législatives. Au-delà du retrait des troupes syriennes, il s'agit d'un enjeu majeur pour l'avenir du Liban.

Que pensez-vous, monsieur le ministre, de la situation ? Comment voyez-vous son évolution dans les prochaines semaines au regard de cette échéance ?

Où en est-on de l'enquête internationale qui doit rechercher les assassins de Rafic Hariri et de ses compagnons ?

Enfin, où en est l'application de la résolution 1559, qui prévoit le retrait des troupes syriennes du Liban dans les plus brefs délais ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire, du groupe Union pour la démocratie française et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères. Monsieur le député, rien de ce qui concerne le peuple libanais ne laisse et ne laissera la France et les Français indifférents. Vous le savez bien, vous qui présidez le groupe d'amitié qui lie cette assemblée au Parlement de Beyrouth.

Nous sommes tous touchés et émus par ce qui se passe dans la rue à Beyrouth depuis le tragique assassinat de Rafic Hariri, par les démonstrations quotidiennes, dignes et courageuses, du peuple libanais, qui demande simplement sa liberté et sa souveraineté.

Aujourd'hui, ma réponse portera sur trois points.

Premièrement, le peuple libanais a le droit, comme toute la communauté internationale, de savoir qui a perpétré cet attentat, qui l'a commandité, et c'est l'objet de l'enquête internationale qui est en cours et qui doit s'appuyer sur une coopération avec la justice libanaise.

Deuxièmement, la résolution 1559, expression de la communauté internationale unanime, doit conduire au retrait de toutes les troupes et de tous les services étrangers qui occupent le Liban. Nous avons entendu ce matin le Président syrien annoncer une intention, et nous serons tous extrêmement vigilants pour qu'elle se traduise dans les actes.

Enfin, comme vous l'avez dit, monsieur Léonard, les élections qui doivent se tenir dans quelques mois seront le moment de vérité. Elles devront être libres, démocratiques, transparentes, équitables pour chacune des communautés du Liban, et se dérouler sous le contrôle d'observateurs internationaux.

Le seul objectif de la France et des Français, c'est que le Liban soit libre, démocratique et souverain. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

PROCÉDURE DE SAUVEGARDE DES ENTREPRISES
ET LICENCIEMENTS ÉCONOMIQUES SIMPLIFIÉS

M. le président. La parole est à M. Alain Vidalies, pour le groupe socialiste.

M. Alain Vidalies. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.

Notre assemblée examine actuellement le projet de loi réformant le droit des faillites. Ce texte crée une nouvelle procédure, dite de sauvegarde, qui, à l'initiative du chef d'entreprise, pourra être déclenchée en dehors de tout état de cessation de paiement. Or un amendement, voté par la majorité UMP de la commission des lois, a prévu d'étendre à cette nouvelle procédure le licenciement économiques simplifiés prévus pour le redressement judiciaire et la liquidation.

Le Gouvernement a déjà déclaré son opposition à cet amendement. Mais nous ne sommes pas rassurés pour autant. En effet, ce matin, la majorité UMP de la commission des lois a voté à nouveau un amendement identique signé par M. Cardo, en contradiction avec la position exprimée par le garde des sceaux.

Vous excellez dans la pratique du double discours, et les Français connaissent désormais votre méthode consistant à durcir les textes de loi en faisant passer par votre majorité parlementaire des mesures que vous faites mine de ne pas assumer vous-même. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Richard Mallié. A quoi sert le Parlement ?

M. Alain Vidalies. Vous avez procédé de la sorte pour remettre en cause la hiérarchie des normes, le principe de faveur, dans une loi sur le dialogue social, et pour faciliter déjà les licenciements, dans une loi sur la cohésion sociale.

Au moment où votre politique se traduit par des résultats calamiteux en matière d'emploi, c'est une véritable provocation que de proposer de lutter contre le chômage en accélérant les licenciements. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Christian Bataille. Assumez !

M. Alain Vidalies. Aujourd'hui, toutes les organisations syndicales s'inquiètent légitimement des conséquences de l'éventuelle adoption de cet amendement. Monsieur le Premier ministre, ma question est donc très précise : le Gouvernement va-t-il, aussi bien devant l'Assemblée nationale que devant le Sénat, s'opposer avec détermination à l'adoption de cet amendement désastreux ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Christian Bataille. Assumez !

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le député, je vais répéter aujourd'hui ce que je vous ai déjà dit hier puisque vous étiez présent lors de ma présentation du projet de loi de sauvegarde des entreprises. Ce texte a pour objet de corriger les lois Badinter de 1984-1985, tout le monde convenant que ces lois sont obsolètes et qu'il faut améliorer les dispositifs de redressement des entreprises. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Ce texte a trois objectifs :

Premièrement, permettre aux chefs d'entreprise d'anticiper sur les difficultés avant qu'il ne soit trop tard : je crois que, sur ce point, nous sommes tous d'accord (« Pas sûr ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) ;

M. Bruno Le Roux. Que faites-vous de l'amendement de la droite ?

M. le garde des sceaux. Deuxièmement, simplifier les procédures ;

Troisièmement, les élargir, en particulier aux professions libérales.

M. Christian Bataille. Répondez à la question !

M. le garde des sceaux. Monsieur le député, ne tombez pas toujours dans le même travers. Laissez-moi le temps de répondre.

M. le président. Monsieur Bataille, écoutez la réponse !

M. le garde des sceaux. Il est bien évident que le but est de sauver des emplois. Il est donc hors de question, pour le Gouvernement, d'autoriser, au moment de la sauvegarde, c'est-à-dire avant toute cessation de paiement, les procédures simplifiées de licenciement qui sont prévues en cas de redressement judiciaire.

Contrairement à ce qui est écrit ici ou là, la sauvegarde n'est pas un redressement judiciaire anticipé.

M. Bruno Le Roux. Que faites-vous de l'amendement de l'UMP ?

M. le garde des sceaux. Les choses sont claires pour moi, et je m'opposerai à cet amendement, comme je l'ai déjà indiqué. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. Bruno Le Roux. Très bien !

M. le président. Vous voyez, monsieur Le Roux, ce n'était pas la peine de crier.

DETTE PUBLIQUE, CROISSANCE ET EMPLOI

M. le président. La parole est à M. Michel Bouvard, pour le groupe de l'UMP.

M. Michel Bouvard. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'économie et des finances, à qui notre groupe souhaite de réussir dans sa mission difficile, ainsi que, je crois, l'ensemble des membres de la commission des finances, car personne ne peut souhaiter un échec qui serait celui du pays,.

Monsieur le ministre, vous prenez vos fonctions au lendemain de l'annonce par l'INSEE de l'accroissement de la dette publique, une dette alimentée par trente ans de déficit budgétaire, qui s'élève à 1 066 milliards d'euros. Au lendemain aussi de la remise du rapport de la Cour des comptes. Quelles sont vos intentions pour accélérer les réformes des structures de l'État et pour limiter ses déficits ?

M. Jean-Paul Anciaux. Très bonne question !

M. Michel Bouvard. Vous arrivez également au moment où un certain nombre d'entreprises françaises dégagent des résultats, ce qui est heureux car quand il n'y a pas de résultats, il n'y a rien à redistribuer. Quelle action le Gouvernement et vous-même entendez-vous entreprendre pour mieux répartir les fruits de la croissance...

M. Jean-Paul Anciaux. Très bien !

M. Michel Bouvard. ...au profit des actionnaires, mais également de l'investissement, de la recherche et du pouvoir d'achat des salariés, tous facteurs qui alimentent la croissance et l'emploi ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, à qui je souhaite également la bienvenue dans l'hémicycle. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je ne m'appesantirai pas sur les conditions de ma nomination. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Vendredi soir, sur proposition du Premier ministre, j'étais nommé ministre de l'économie et des finances. C'est un honneur pour moi que de servir ce gouvernement sous l'autorité de Jean-Pierre Raffarin. Lundi matin, j'étais au travail avec l'équipe de mon prédécesseur, car il n'y a pas une seconde à perdre pour l'économie de notre pays. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean Glavany. Trois ans de perdus alors !

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. En 1980, monsieur Bouvard, la dette de l'État s'élevait à 90 milliards d'euros ; cette année, elle atteint 1 066 milliards. Voilà l'héritage qui est le nôtre ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Martine David. Non, le vôtre !

M. le président. Je vous en prie, calmez-vous !

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je serai donc intraitable sur la dépense publique, de façon à pouvoir libérer des marges de manœuvre en faveur de l'emploi, du pouvoir d'achat des Français, de la croissance et de l'innovation. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Avec l'ensemble de mes collègues du Gouvernement et l'ensemble des agents de mon département ministériel, je veux aider la France à retrouver confiance. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - « Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Pour cela, il faut disposer de paramètres clairs. Je m'engage à vous les faire connaître, comme je m'engage à vous rendre compte des progrès de notre économie, de l'emploi - je rencontre dès demain Jean-Louis Borloo - et du pouvoir d'achat. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Vous avez fait allusion, monsieur le député, aux profits des entreprises. Je suis un fervent adepte de la participation. C'est l'un des moyens de résoudre les problèmes, dans l'intérêt de notre pays. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Calmez-vous, monsieur Bataille, et vous aussi, monsieur Anciaux !

ASSURANCE RÉCOLTES

M. le président. La parole est à M. Jacques Bobe, pour le groupe de l'UMP.

M. Jacques Bobe. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité. J'y associe mon collègue Christian Ménard, rapporteur de la mission parlementaire sur les OGM, actuellement à l'étranger.

Monsieur le ministre, l'agriculture française a été très affectée par l'exceptionnelle canicule qui a marqué l'année 2003.

M. Henri Emmanuelli. Il n'y a pas que l'agriculture !

M. Jacques Bobe. Le volume de la production agricole a subi alors une très forte diminution. Les conséquences de cette calamité ont pesé lourdement sur l'activité et les revenus de nos agriculteurs, déjà confrontés à d'autres difficultés, dues notamment à la concurrence des autres pays producteurs. Les élevages ont également été touchés par ces conditions climatiques, car ils ont dû remédier à un important déficit fourrager.

Mais cet exemple, s'il est symbolique par son ampleur, n'est pas le seul. En effet, les catastrophes naturelles auxquelles peuvent être confrontés nos agriculteurs sont diverses : grêle, gel, sécheresse, inondations... Il convient donc de trouver des réponses appropriées pour garantir la pérennité des exploitations et leur viabilité économique en cas de sinistre climatique.

Notre collègue Christian Ménard a relevé l'importance de ces enjeux pour notre agriculture dans le rapport sur la gestion des risques climatiques qu'il a remis au Premier ministre en février 2004. Ce rapport a été suivi d'une large concertation avec l'ensemble des partenaires concernés afin de dégager les principes d'une assurance récoltes.

Monsieur le ministre, pourriez-vous nous indiquer où en est cette proposition, quelle forme elle pourrait prendre, quels en seraient les principes et à quelle date elle pourrait être mise en œuvre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité.

M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité. Monsieur Bobe, vous avez eu raison de rappeler les calamités auxquelles l'agriculture peut être confrontée dans un pays comme le nôtre. Dans la très belle région dont vous êtes l'élu, le Poitou-Charentes (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), des craintes se font jour quant à une éventuelle sécheresse l'été prochain et , avec Serge Lepeltier, nous prenons d'ores et déjà des mesures pour y faire face.

Je tiens à remercier Christian Ménard d'avoir préparé, grâce aux propositions de qualité contenues dans son rapport, le dispositif d'assurance récoltes que le Gouvernement vient d'adopter. Dans un premier temps, l'État prendra à sa charge 35 % des cotisations d'assurance, et 40 % pour les jeunes agriculteurs. C'est un dispositif qui peut s'adapter aux cultures ou à l'exploitation. Nous lui consacrerons 10 millions d'euros dès cette année, puis 20 et 30 millions les années suivantes, à mesure qu'il montera en puissance.

L'assurance récoltes remplacera progressivement le Fonds national de garantie des calamités agricoles, dont chacun connaît l'importance et qui, naturellement, ne disparaîtra pas tant que le nouveau dispositif n'aura pas atteint un étiage suffisant pour couvrir tous les agriculteurs.

J'ajoute enfin que M. le Président de la République, dans son discours de Murat, a annoncé la création d'une agence de gestion des risques. Ce sera chose faite dans le cadre de la future loi d'orientation agricole que nous préparons avec Nicolas Forissier et qui sera présentée en conseil des ministres au printemps prochain. Cette loi est attendue par la profession, car elle donnera un nouvel horizon à nos agriculteurs. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

RÉFORME DE L'ASSURANCE MALADIE

M. le président. La parole est à M. Gérard Bapt, pour le groupe socialiste.

M. Gérard Bapt. Monsieur le ministre des solidarités, de la santé et de la famille, après votre réforme de l'assurance maladie, de nombreux mouvements sociaux traduisent l'inquiétude des médecins généralistes, des internes et des personnels hospitaliers, lesquels, trop peu nombreux, sortent épuisés des épidémies de grippe et de gastro-entérite. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) On voit bien que vous n'êtes pas allés dans les services d'urgence, comme je l'ai fait ! (Protestations sur les mêmes bancs.)

L'inquiétude grandit également chez les assurés sociaux, qui constatent, après les médecins généralistes, que la liberté tarifaire accordée aux spécialistes crée une médecine à deux vitesses. Ils constatent aussi que les tarifs médicaux augmentent. Les honoraires des spécialistes ont commencé à suivre cette tendance dès le 1er mars. La part des dépenses restant à la charge des patients, sous couvert de ce que vous appelez la « responsabilisation », va considérablement augmenter. De même s'envolent les montants des cotisations demandées aux mutualistes, ce qui rend plus difficile pour beaucoup de ménages l'accès à la couverture assurance maladie complémentaire.

C'est plus précisément sur les inégalités d'accès aux soins, accrues par votre réforme, que je souhaite vous interroger. En effet, elles nourrissent les inquiétudes des assurés sociaux. Je pense notamment à l'insuffisance flagrante de votre dispositif d'aide à l'acquisition d'une mutuelle pour les familles dont les revenus sont à peine supérieurs à ceux requis pour accéder à la couverture maladie universelle, au moment où les cotisations s'envolent. En Haute-Garonne, monsieur le ministre, plus de la moitié des assurés modestes qui bénéficiaient, grâce au dispositif « Atout santé », de la gratuité de la couverture complémentaire en seront désormais écartés. En outre, la disparition du dispositif du médecin référent privera de nombreux assurés du bénéfice du tiers payant , ce qui constituera un frein supplémentaire à l'accès aux soins.

Monsieur le ministre, avez-vous l'intention de prendre des mesures afin de corriger ces inégalités nouvelles dans l'accès aux soins pour trop de familles modestes ou de catégories moyennes. Si oui, lesquelles ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités, de la santé et de la famille.

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des solidarités, de la santé et de la famille. Monsieur le député, s'agissant des mutuelles, la réponse à votre question a été donnée par le Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, qui est loin d'être partisan puisque la gauche, le centre et la droite y sont représentés. Selon lui, il n'y a aucune raison pour que la réforme de l'assurance maladie entraîne une augmentation des tarifs des mutuelles et des assurances complémentaires. Dès lors, prétendre que les mutuelles vont augmenter leurs cotisations, c'est mentir.

M. Alain Néri. Elles l'ont déjà fait !

M. le ministre des solidarités, de la santé et de la famille. Ou bien, si tel était le cas, ce ne serait pas à cause de la réforme, mais parce qu'elles en profiteraient.

Cela dit, je vous remercie, monsieur Bapt, de me permettre de faire le point sur la mise en place de cette réforme. Le dispositif du médecin traitant est un succès. Nous venons de fêter le deux millionième Français qui a fait connaître le nom de son médecin traitant. Chaque jour, 120 000 assurés renvoient ce formulaire ; 86% des médecins généralistes en ont rempli au moins un et 98% des médecins référents sont déjà entrés dans le nouveau dispositif.

S'agissant du parcours personnalisé de soins, soyons honnêtes ! Lorsque vous étiez au pouvoir, vous n'avez pas voulu le mettre en place. Nous, nous l'avons fait. Il nous paraît en effet normal de mieux rembourser les malades qui s'inscrivent dans un tel parcours et de rémunérer à leur juste valeur les actes médicaux pratiqués dans ce cadre. C'est logique et pragmatique. Ce qui vous caractérise, c'est l'immobilisme ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Nous, c'est l'efficacité et le courage ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

CHARTE DE L'ENVIRONNEMENT

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, pour le groupe UMP.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Ma question s'adresse au ministre de l'écologie et du développement durable.

Monsieur le ministre, la charte de l'environnement a été adoptée avant-hier par le Congrès. La voilà bien établie dans notre ordre juridique et politique. C'est un grand succès pour le Gouvernement. C'est un honneur pour notre assemblée. C'est, enfin, l'œuvre du Président de la République.

Toutefois, permettez-moi de revenir un instant à ce 28 février, qui aurait pu être une journée des dupes.

Il est des moments, dans notre histoire politique nationale, où les clivages droite-gauche doivent s'effacer. L'histoire du Palais Bourbon en est remplie. En 2004, sur la laïcité et sur la fin de vie, n'avons-vous pas su tenir la parole de l'union ? Mais là, alors que l'écologie s'impose comme une évidence, les arguments ont prospéré à la gauche de l'hémicycle pour refuser la charte de l'environnement. Nos collègues socialistes ont mis en avant des questions d'organisation et de calendrier sans nier que, sur le fond, il leur était difficile de s'opposer à ce grand projet. Fort heureusement, ce mouvement de refus n'a pas été unanime. D'aucuns ont choisi de s'abstenir et, mieux encore, plusieurs ont voté ce texte historique, indispensable et novateur . (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean Glavany. Monsieur le président, ce n'est pas une question au Gouvernement ! C'est un dévoiement de procédure !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Au fond , le groupe socialiste n'aurait-il pas tout simplement voulu être le rédacteur de cette charte ? Nous aurions bien aimé qu'il la propose alors qu'il en avait la possibilité.

M. le président. Veuillez poser votre question, madame.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Nous avons malgré tout évité le pire, à savoir un vote contre. Je voudrais à cet égard, monsieur le ministre, saluer le travail de toutes les associations de protection de l'environnement qui se sont mobilisées avec vous ces dernières semaines.

Voilà pour l'histoire immédiate. Pour le futur, nous voyons, au lendemain du vote, poindre les critiques. Nous pourrions être considérés comme satisfaits, repus, mais la charte de l'environnement va faciliter l'action, et j'en viens à ma question. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Monsieur le ministre, quel est le calendrier des réformes que vous envisagez ? L'environnement doit être pris en compte par toutes les politiques publiques. Comment comptez-vous colorer votre action future ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'écologie et du développement durable.

M. Serge Lepeltier, ministre de l'écologie et du développement durable. Oui, madame la députée, le vote de la charte de l'environnement est une étape historique ! Placer l'environnement au niveau de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1789 et des droits sociaux est un grand pas pour l'écologie, accompli grâce à la détermination du Président de la République et du Premier ministre. Par ce vote, la France s'est placée en tête de tous les pays du monde. Tous mes contacts avec mes collègues étrangers confirment son rôle pionnier en la matière. Notre pays est devenu porteur d'un projet supérieur pour notre planète. Des principes majeurs devront être respectés : le principe de prévention lorsqu'il y a un risque, le principe de réparation, le principe de précaution lorsqu'il y a un doute.

Pour répondre plus précisément à votre question, sachez que nous sommes d'ores et déjà en train de faire le point sur l'ensemble des textes qui peuvent être concernés par l'entrée en vigueur de la charte. Il s'agit de voir en quoi ils doivent être modifiés pour la respecter et comment mettre en application ces principes dans les meilleurs délais.

Que le parti socialiste et le parti communiste n'aient pas voulu participer à cette étape historique est une faute. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Ils ont ainsi fait le choix du mépris de l'écologie (Mêmes mouvements) en voulant en faire une matière comme les autres, alors que l'écologie doit justement nous permettre de dépasser nos clivages. C'est une occasion manquée d'union nationale sur un thème qui doit nous lier plutôt que nous diviser. L'intérêt supérieur aurait dû l'emporter sur de simples considérations tactiques à court terme.

Madame la députée, sur une question aussi essentielle pour la planète, l'avenir donnera tort à l'opposition et raison à la majorité ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

PLAN D'URGENCE GRAND FROID
POUR L'HÉBERGEMENT DES SANS-ABRI

M. le président. La parole est à Alain Moyne-Bressand, pour le groupe UMP.

M. Alain Moyne-Bressand. Madame la ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion, depuis la mi-février, une baisse de température s'est installée progressivement sur l'ensemble du territoire. Le froid s'est intensifié depuis une semaine environ et de telles températures négatives n'ont pas été enregistrées début mars depuis plus de trente ans. Il faut remonter à 1971 pour trouver un froid comparable en intensité.

Face à cette situation, vous avez déclenché dès dimanche soir le niveau 3, froid extrême, du plan d'hébergement d'urgence des sans-abri dans vingt départements, dont celui de ma circonscription, l'Isère. Aujourd'hui, vous avez ouvert 11 000 places d'hébergement d'urgence supplémentaires. Il est de notre devoir d'adresser aux associations caritatives nos remerciements et félicitations pour le travail de générosité exemplaire qu'elles font chaque jour pour les personnes les plus démunies. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Nos concitoyens doivent aussi se mobiliser - ils le font d'ailleurs - pour faire preuve d'écoute et de solidarité.

Pouvez-vous, madame la ministre, indiquer l'état opérationnel de votre plan d'urgence, s'agissant de l'ouverture de sites complémentaires d'accueil pour les sans domicile fixe de jour et de nuit ainsi que du renforcement des équipes sillonnant les rues à la recherche des SDF et des personnes en difficulté ? Par ailleurs, qu'est-il prévu pour les SDF qui refusent toute aide et tout hébergement d'urgence ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme Nelly Olin, ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion. Monsieur le député, dès le 25 février, j'ai lancé un appel à la vigilance à tous les préfets compte tenu des informations alarmistes de Météo France. A ce jour, soixante-trois départements sont en niveau 2 et vingt-trois en niveau 3. Nous avons effectivement ouvert 11 700 places d'hébergement supplémentaires, en sus des 90 000 ouvertes en permanence. Les équipes du 115 et du Samu social ont été renforcées dans tous les départements. Ce sont, par exemple, dix-neuf équipes mobiles qui sillonnent chaque soir la capitale. Nous avons également recruté des hommes et des femmes pour répondre aux appels, qui ont atteint hier le nombre de 2 700. Contrairement à ce qui a pu être dit, le taux de réponse a été de 84%. Je souhaite donc qu'il n'y ait pas de polémique sur cette affaire.

Des locaux sont ouverts 24 heures sur 24 dans tous les départements pour les personnes qui refusent de se rendre dans un centre d'hébergement. Plus de 270 lieux accueillent ainsi des personnes en grande difficulté, qui peuvent s'y restaurer et y être réconfortées. L'accord passé avec France Télévisions, TF1 et Radio France a facilité le signalement de personnes en difficulté et augmenté le nombre d'appels passés au 115.

Je me déplace tous les soirs pour savoir comment les choses se passent. Et le Gouvernement s'associe aux remerciements que vous venez d'adresser, monsieur le député, aux associations qui oeuvrent avec courage et dévouement dans des conditions extrêmement difficiles. Je tiens également à remercier Mme Alliot-Marie, qui a mis à notre disposition un site dans le 18e arrondissement de Paris, ainsi que les militaires qui ont fait un travail remarquable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Mes chers collègues, je vous rappelle que nous procèderons dans quelques instants au vote solennel sur le projet de loi d'orientation pour l'avenir de l'école.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures vingt.)

M. le président. La séance est reprise.

    2

AVENIR DE L'ÉCOLE

Explications de vote et vote sur l'ensemble d'un projet de loi d'orientation

M. le président. L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur l'ensemble du projet de loi d'orientation pour l'avenir de l'école.

La parole est à M. Yves Durand, pour le groupe socialiste.

M. Yves Durand. Monsieur le président, monsieur le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, mes chers collègues, le Président de la République lui-même avait souhaité une grande loi d'orientation pour préparer l'école à affronter les défis des quinze ans à venir. Les Français ont été consultés pour donner leur avis sur le système scolaire qu'ils souhaitent pour leurs enfants. De nombreux experts ont été mobilisés au sein de la commission Thélot pour faire des propositions dont vous n'avez, monsieur le ministre, pratiquement rien retenu.

Tout cela pour aboutir à votre projet de loi qui n'est qu'une copie bâclée. Vous auriez dû prendre le temps d'une réelle consultation pour élaborer un projet mobilisateur autour de l'école. Certes, le vôtre mobilise tout le monde de l'éducation - enseignants, parents et lycéens - mais contre lui.

Vous n'avez jamais voulu entendre ceux qui, depuis des mois, vous demandent de revoir votre copie, et vous vous obstinez - c'était encore le cas, ce matin même, sur une chaîne de télévision - à nous présenter un projet de loi sans souffle, sans ambition et sans moyens.

Sans souffle, parce que votre loi n'en est véritablement pas une. Les multiples remarques venues tant du Conseil constitutionnel que du président de l'Assemblée nationale lui-même vous ont contraint à bricoler en urgence un projet déjà critiqué par votre propre camp et rejeté par l'immense majorité des organisations représentant le monde de l'école. En fait, votre projet de loi n'est qu'une accumulation de dispositions qui entendent satisfaire, sans d'ailleurs y parvenir, les réflexes les plus conservateurs des uns et des autres : liberté pédagogique individuelle pour les professeurs, augmentation du nombre de leurs heures de service pour les remplacements afin de tenter de faire plaisir aux parents.

Sans ambition, parce que votre projet de loi ne permet de répondre à aucun des trois défis majeurs lancés à l'école : la nécessaire élévation du niveau de qualification pour l'ensemble des jeunes ; la reprise de la démocratisation de l'enseignement par une réelle égalité des chances ; le renouvellement, dans les dix ans à venir, de près de la moitié du corps enseignant.

Certes, vous affichez des objectifs, mais ils sont tous systématiquement contredits par les dispositions contenues dans votre texte. Le retour au redoublement, la réintroduction d'une orientation précoce, l'absence totale de réflexion sur la petite enfance et sur le rôle de l'école maternelle, par ailleurs sacrifiée (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), la suppression de nouvelles pratiques pédagogiques comme les TPE en terminale, le silence sur le premier cycle de l'enseignement supérieur, font de votre texte un projet de loi étriqué. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Charles Cova. Mensonges !

M. Yves Durand. Alors qu'il aurait fallu jeter les bases d'un véritable projet éducatif global avec les parents, les associations, les élus, vous refermez l'école sur elle-même, rejetant la responsabilité de l'échec scolaire sur les familles et surtout sur les enseignants à qui, par ailleurs, vous refusez les moyens de travailler efficacement à la réussite de leurs élèves. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Enfin, monsieur le ministre, votre projet de loi est avant tout un projet sans moyens. Vous avez bien, en dernière minute, annoncé un chiffre - 2 milliards d'euros - qui constituerait, selon vous, une programmation. Mais, à aucun moment dans ce débat, vous ne nous avez répondu quand nous vous avons inlassablement demandé d'où vous tiriez ces crédits, alors que le budget de l'enseignement scolaire pour 2005 est, cette année encore, en régression.

Comment vous croire quand on apprend, en ce moment même, dans chaque établissement, la fermeture de classes et la suppression de postes, et, dans les lycées professionnels, la remise en cause de certaines filières. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme Chantal Bourragué. Excessif !

M. Maurice Giro. On rêve : il faut se pincer quand on entend cela !

M. Yves Durand. Comment peut-on vous croire quand on apprend, quelques jours après le débat à l'Assemblée nationale, que vous gelez 432 millions d'euros de crédits budgétaires sur un budget pour 2005 déjà mauvais ? À une copie bâclée, vous ajoutez une programmation virtuelle.

C'est sans doute pour masquer cette véritable supercherie que vous avez voulu tronquer le débat en déclarant l'urgence, alors que la discussion était largement entamée.

Alors, monsieur le ministre, vous trouverez sans doute ici une majorité pour voter votre texte.

Mme Martine David. Et encore...

M. René Dosière. Sans enthousiasme !

M. Yves Durand. Mais, au-delà de cet hémicycle, vous avez créé une grave crise de confiance avec le monde de l'école. Vous avez creusé le fossé avec la jeunesse, qui ne vous croit plus. Elle le démontre tous les jours, hélas !

Vous avez raté le nécessaire rendez-vous que, après l'adoption de la loi de 1989, la nation devait avoir avec son école. Il appartiendra à d'autres de retisser les fils de la confiance entre le monde de l'éducation et notre pays.

C'est avec cette volonté de préparer l'avenir de l'école que le groupe socialiste votera contre votre projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Yvan Lachaud pour le groupe Union pour la démocratie française.

M. Yvan Lachaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec ce projet de loi d'orientation, nous avons à construire l'école de demain, pour la quinzaine d'années à venir. Nous avons donc besoin d'un texte ambitieux, qui sache répondre aux difficultés de l'école et donner une mission aux enseignants, l'objectif final étant de fournir à nos enfants les moyens de se former, d'apprendre un métier et de réussir leur insertion professionnelle et sociale.

Nous considérons que le texte proposé par le Gouvernement ne répond qu'en partie à ces objectifs et ne satisfait pas toutes nos attentes.

Certes, il contient des avancées - et je vous en félicite, monsieur le ministre -, notamment le socle commun de connaissances, mais celui-ci est incomplet à nos yeux. Il y manque la pratique sportive, un enseignement culturel et artistique, et une culture historique.

Nous vous avions fait quatorze propositions : quatorze mesures qui nous paraissaient essentielles pour améliorer ce texte. Vous nous avez écoutés sur la définition des missions des enseignants, sur leur formation et l'alternance entre l'enseignement théorique et la présence dans les classes, ainsi que sur le nombre des infirmières et des médecins scolaires dans les établissements.

M. Jean-Marie Geveaux. C'est bien !

M. Yvan Lachaud. Pour le reste, pas d'accès garanti à tous les enseignements optionnels dans l'enseignement général ni aux différentes filières de l'enseignement professionnel. Très peu de chose sur le recentrage du dispositif des ZEP et sur les établissements les plus en difficulté. Pas d'engagement à préserver les écoles rurales à classe unique ou à deux classes. Rien pour accompagner la croissance des effectifs des établissements d'enseignement privés sous contrat. Pas assez d'éléments pour valoriser l'enseignement professionnel et technologique. Quant à l'enseignement des langues régionales, rien non plus sur les postes ni sur la reconnaissance de la méthode d'immersion pour favoriser l'apprentissage.

Nous n'avons pas non plus la garantie que sera élaboré un statut pour les directeurs d'école, prévoyant la mise en place d'un nouveau système de décharge d'enseignement. Le mot de statut ne figure pas dans l'amendement que nous avons voté.

Enfin, nous n'avons pas obtenu la reconnaissance ni la validation de la formation dispensée dans les classes post-bac des lycées, CPGE et BTS, dans le cadre de la réforme du LMD, alors que tous les établissements de France l'attendent.

Il eût fallu, à notre avis, oser ouvrir plusieurs chantiers, créer par exemple la possibilité d'une seconde carrière pour les enseignants, alors qu'ils sont aujourd'hui confrontés à des élèves de plus en plus éloignés de leurs propres pratiques et qu'un écart se creuse entre les générations. On pouvait aussi étudier de près les modalités de l'évaluation pédagogique.

Il fallait également adapter le système éducatif aux jeunes d'aujourd'hui, qui sont fragiles. En particulier, il convient d'apporter une vraie réponse aux problèmes posés par le collège, en multipliant les passerelles et en proposant des voies différentes pour celles et ceux qui sont en grande difficulté et que leur situation d'échec transforme malheureusement en délinquants potentiels. Toucher au collège, c'est donner la possibilité à tous les collégiens de trouver une voie de valorisation.

Nous avons voulu adopter une attitude positive et constructive en élaborant des propositions qui pouvaient améliorer concrètement le projet de loi. En déposant près d'une trentaine d'amendements, nous avons voulu jouer loyalement le jeu du travail législatif. Or la procédure d'urgence ne permettra pas à notre assemblée de débattre une nouvelle fois de ce texte. Nous avons aujourd'hui l'impression de n'avoir été ni écoutés ni entendus. C'est la raison pour laquelle le groupe UDF s'abstiendra. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. Avant de donner la parole aux orateurs suivants, je vais faire annoncer le scrutin sur l'ensemble du projet de loi.

La parole est à M. François Liberti, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. François Liberti. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous arrivons au terme de l'examen d'un projet de loi qui devait définir les objectifs que se fixe la nation dans le domaine de la scolarisation pour les prochaines années. Ce texte bâclé, dogmatique (« Oh ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), dont nous n'avons cessé de vous demander le retrait ; ce texte rejeté massivement par tous les acteurs de l'école, et en premier lieu par les élèves, qui manifestaient hier encore ; ce texte contesté y compris dans vos propres rangs, puisqu'une partie de la majorité ne le votera pas, avait été largement amputé avant même sa discussion devant notre assemblée. Fruit d'une pseudo-concertation démocratique, il a été le résultat du martèlement idéologique de votre prédécesseur, qui affirmait, dans un ouvrage destiné à tous les enseignants, que l'école était malade.

Mais ce n'est pas tout. La façon dont les débats ont été accélérés constitue un véritable déni de démocratie. En effet, non content de brider le débat en déclarant l'urgence, laquelle fut annoncée en séance publique alors que l'examen en séance était déjà engagé, le Gouvernement a décidé d'inscrire ce texte à l'ordre du jour du Sénat le 15 mars prochain, soit 14 jours après son vote solennel par notre assemblée.

Par ailleurs, dans la nuit du vendredi 18 février, la discussion s'est déroulée dans des conditions telles que la fin du débat a été escamotée, après que le terrain eut été occupé d'une façon dramatiquement caricaturale par l'examen du rapport annexé. Ainsi que nous l'avons dit, celui-ci n'a aucune valeur juridique. Les engagements qu'il comporte ne sont donc que poudre aux yeux.

Certes, vous avez supprimé toute référence au baccalauréat évalué selon les modalités du contrôle continu, le « contrat individuel de réussite éducative » est devenu « programme personnalisé de réussite scolaire » et le socle de connaissances n'est plus réduit au minimum ; mais ces quelques concessions n'altèrent en rien l'expression de votre idéologie rétrograde qui fustige la démocratisation et le contexte financier dans lequel s'inscrit le projet de loi.

Quant aux éléments de programmation virtuels que vous avez introduits sous la pression, ils ne font l'objet d'aucune imputation budgétaire. En revanche, la prochaine rentrée se traduira par la suppression de milliers de postes : telle est la dure réalité !

Fermeture de classes dans l'enseignement primaire, sélection au collège, qui n'aura plus d'unique que le nom, suppression d'options dans les lycées généraux et de filières dans les lycées professionnels, remise en cause des dédoublements et suppression des TPE, voilà de quoi nourrir pour longtemps la colère et l'inquiétude de toute la communauté éducative, des familles et des élèves.

Monsieur le ministre, l'école de demain sera-t-elle encore celle de la réussite pour tous ? Permettez-nous d'en douter. Votre seul objectif est de réorganiser l'école pour qu'elle s'adapte aux exigences du marché. Tout au long de l'examen de ce projet de loi, nous avons défendu, par nos amendements, un vrai projet novateur pour l'école. Vous, vous avez choisi de servir les projets d'une technocratie libérale européenne déshumanisée au mépris de la recherche de l'épanouissement humain.

Non seulement ce texte a été examiné dans des conditions qui bafouent le travail parlementaire et le dialogue social, mais il consacre une régression sans précédent de notre école et sacrifie ainsi l'avenir de générations entières. C'est donc sans hésitation que nous voterons contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Guy Geoffroy, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.

M. Guy Geoffroy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous arrivons au terme d'un débat qui, contrairement à ce que nous avons pu entendre, a été riche, nourri, utile...

M. Jean-Pierre Kucheida. Raccourci !

M. Guy Geoffroy. ...et qui permet à notre pays de se doter d'un véritable projet d'avenir pour l'école. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Celle-ci, chacun le sait, dispose d'un formidable potentiel. Aussi avons-nous été conduits à nous interroger, comme tous les Français, sur son incapacité à progresser, sur sa difficulté à faire réussir les élèves. Et ce n'est pas le moindre des mérites de ce projet de loi que d'aborder courageusement l'ensemble de ces questions.

Grâce au socle commun des connaissances et des compétences fondamentales - c'est la question centrale -, demain, non seulement plus aucun enfant ne sera laissé au bord du chemin (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains), mais ceux qui souhaiteront et voudront aller plus loin pourront le faire encore mieux qu'aujourd'hui.

Grâce à ce projet de loi, tous les enfants de notre pays bénéficieront d'un suivi et d'une prise en charge personnalisés...

M. François Liberti. Avec quels moyens ?

M. Guy Geoffroy. ...qui permettront, très tôt et là où c'est nécessaire, de détecter les difficultés, de suggérer les réponses et d'éviter ainsi que notre pays ne voie - véritable drame d'une nation moderne - 150 000 de ses enfants accumuler les handicaps et quitter chaque année le système scolaire sans avoir la capacité de s'insérer dans la vie sociale et économique.

Ce projet, monsieur le ministre, le groupe UMP, qui a eu la fierté de l'accompagner par sa présence nombreuse jusqu'à la dernière minute de son examen, le votera sans aucune difficulté et avec le sentiment de faire du bon travail pour la France et pour ses enfants. Nous sommes d'autant plus fiers que vous avez démontré, tout au long de ces débats, combien vous étiez ouvert aux très nombreuses propositions...

Mme Martine David. Oh non !

M. Guy Geoffroy. ...que le groupe UMP, animé par la volonté de faire avancer l'école, a formulées pour que demain, ensemble, tous les enfants de notre pays réussissent mieux.

Nous tenons également à remercier la commission des affaires culturelles, son président et son rapporteur, Frédéric Reiss, qui a eu le mérite d'accomplir un important travail de synthèse et de proposition. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Il en résulte un bon texte de loi, nourri par de nombreux amendements et qui devient, grâce à la commission et avec votre accord, une loi d'orientation et de programmation. Cette loi est celle que les Français attendaient pour permettre la réussite de chacun de leurs enfants. Le groupe UMP est à donc vos côtés, fier du très bon travail qui a été accompli pour l'avenir de notre pays. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Nous allons maintenant procéder au scrutin, précédemment annoncé, sur l'ensemble du projet de loi.

Je vous prie de bien vouloir regagner vos places.

..................................................................

M. le président. Le scrutin est ouvert.

..................................................................

M. le président. Le scrutin est clos.

Voici le résultat du scrutin :

                    Nombre de votants 546

                    Nombre de suffrages exprimés 524

                    Majorité absolue 263

        Pour l'adoption 346

        Contre 178

L'Assemblée nationale a adopté. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

La parole est à M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.

M. François Fillon, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, malgré les crispations qui accompagnent toute réforme de l'éducation nationale, la majorité s'est faite, une fois encore, l'interprète du changement.

M. Alain Gest. Très bien !

M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Nul ne doit s'y tromper : l'engagement de l'Assemblée nationale est porteur de sens.

Par votre vote, la nation vient de souligner avec force, s'il en était besoin, que l'avenir de l'école n'appartient à nul autre qu'à elle-même.

Par votre vote, la nation vient de rappeler avec force que l'école devait incarner des valeurs : celles de la République, du respect mutuel, de l'effort et de l'égalité des chances.

Par votre vote, la nation vient d'indiquer avec force que l'école devait préparer notre jeunesse aux enjeux de son temps. Le plan ambitieux en faveur de l'apprentissage des langues étrangères symbolise cette stratégie d'adaptation aux défis contemporains.

Par votre vote, la nation vient de se prononcer avec force en faveur d'une modernisation de l'éducation nationale. La réorganisation des IUFM (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), la mise en place d'un conseil pédagogique dans chaque établissement, le remplacement des enseignants absents (« Enfin ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) afin qu'aucun enfant ne soit plus sans professeur, sont autant d'éléments qui optimiseront le fonctionnement de l'éducation nationale.

Par votre vote, la nation s'est dotée d'une programmation de moyens pour les cinq prochaines années. Pour la première fois de son histoire, la communauté éducative sait où et comment les 2 milliards d'euros prévus pour accompagner la réforme seront affectés. Elle sait aussi que le recrutement de 150 000 enseignants au minimum est désormais garanti.

M. André Chassaigne. Pour combien de départs à la retraite ?

M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Par votre vote, la nation a, enfin et surtout, donné un contenu à un objectif central que, jusqu'à ce jour, elle ne pouvait atteindre faute d'outils, celui de la justice devant la réussite scolaire.

En définissant un socle commun de connaissances et de compétences fondamentales - un socle que 100 % des élèves devront acquérir grâce à l'appui d'une pédagogie personnalisée pour ceux qui décrochent -, la majorité vient, courageusement, de mettre un terme à l'égalité de façade derrière laquelle l'avenir scolaire de centaines de milliers de jeunes se brise chaque année. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Il se brise parce qu'une éducation sans priorités claires, c'est une éducation dont l'essentiel échappe aux enfants qui n'ont pas la chance d'être nés là où il faut. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Ce socle commun sera l'instrument du combat que nous engageons pour les 150 000 jeunes qui sortent tous les ans du système scolaire sans qualification et pour les 80 000 élèves qui entrent en sixième sans savoir ni lire, ni écrire, ni compter. Il sera le tremplin pour atteindre le cap des 80 % de bacheliers et des 50 % de diplômés de l'enseignement supérieur dont la France a besoin pour tenir son rang économique et culturel.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, ce débat parlementaire aura été constructif et, somme toute, serein. J'en remercie votre rapporteur et le président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Au cœur de notre démarche, le groupe UMP, avec son porte-parole, Guy Geoffroy, aura joué un rôle décisif. Beaucoup d'amendements ont été retenus par le Gouvernement, dont certains de l'opposition.

M. François Liberti. Peu nombreux !

M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. L'UDF, qui a voté chaque article du projet de loi, a aussi contribué à enrichir ce texte et je l'en remercie, même si je ne suis pas certain de comprendre son vote final. (Sourires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

L'intervention de qualité du président Ayrault n'aura malheureusement pas inspiré la teneur des objections, souvent contradictoires et conformistes, qui furent opposées à notre projet de loi. À vouloir flatter le statu quo, on en vient à ignorer ses défauts, et en ignorant ses défauts, on en vient à s'accommoder de ses échecs. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Avec le Président de la République et le Premier ministre, j'ai refusé de m'en accommoder et l'UMP a refusé de s'en arranger. Voilà pourquoi, ensemble, nous réformons l'école de la République. (Mêmes mouvements.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures quarante-cinq, est reprise à seize heures cinquante, sous la présidence de M. François Baroin.)

PRÉSIDENCE DE M. FRANÇOIS BAROIN,

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

    4

SAUVEGARDE DES ENTREPRISES

Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi de sauvegarde des entreprises (nos 1596, 2095).

Hier soir, le vote sur la question préalable a été reporté en application de l'article 61, alinéa 3, du règlement de l'Assemblée nationale.

Sur le vote de la question préalable, je suis saisi par le groupe socialiste d'une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Arnaud Montebourg, pour un rappel au règlement.

M. Arnaud Montebourg. Monsieur le président, si, hier soir, Jean-Marc Ayrault, président du groupe socialiste, a dû venir à une heure si tardive (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), ...

M. le président. Tout est relatif !

M. Arnaud Montebourg. ...c'était pour réagir à plusieurs faits assez curieux.

Pour commencer, nous avions appris dans l'après-midi la décision du Gouvernement de déclarer l'urgence, alors que ce projet de loi est déposé depuis mai 2004. Nous tenions à dénoncer cette décision qui aura des conséquences malheureuses sur les conditions de son examen par le Parlement. Ce texte difficile, sur lequel 500 amendements ont été déposés, aurait mérité d'être débattu plusieurs fois par le Sénat et l'Assemblée nationale, d'autant plus que la moitié des amendements ont été examinés à la va-vite, selon la procédure de l'article 88 du règlement.

Par ailleurs, le rapporteur a déposé, au titre du même article, un certain nombre d'amendements visant à modifier ses propres amendements et le texte de loi tel qu'il avait été adopté par la commission. Ce procédé a pour conséquence de restreindre le droit d'amendement dont disposent en principe les parlementaires, qu'ils soient de l'opposition ou de la majorité, en le réduisant à un simple droit de sous-amender. En effet, les nombreuses interventions de M. le rapporteur l'ont amené à réécrire des pans entiers du projet de loi, faisant ainsi tomber bon nombre d'amendements déjà déposés et discutés. Cette méthode dénature complètement le droit d'expression des députés.

Enfin, un débat proprement surnaturel s'est engagé hier soir...

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. L'esprit soufflait sur notre assemblée !

M. Arnaud Montebourg. ...à l'initiative du président de la commission, débat d'où il ressortait qu'il était « délirant » - je ne rapporte ici que le qualificatif le plus modéré - d'utiliser le mot « super-privilège » pour décrire le renforcement du pouvoir des banques opéré par ce texte. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Allons, mes chers collègues ! Laissez M. Montebourg terminer brièvement son rappel au règlement.

M. Arnaud Montebourg. Or, j'ai là un certain nombre d'amendements déposés par d'honorables députés de la majorité qui emploient cette expression de « super-privilège », ainsi que le rapport pour avis de la commission des finances rédigé par M. Jérôme Chartier, qui en fait également état.

Je souhaite que le débat se poursuive dans un meilleur état d'esprit que celui d'hier soir. Si nous avons des divergences politiques, nous devons nous respecter intellectuellement, d'autant plus que, comme le montre le rapport de M. Chartier, certaines des opinions défendues par le groupe socialiste, notamment celle relative au renforcement du pouvoir des banques, se retrouvent sur d'autres bancs que les nôtres.

C'est pourquoi je demande au président et au rapporteur de la commission des lois de faire en sorte que nous puissions participer à ce débat de la façon la plus constructive possible. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

M. Xavier de Roux, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Je rappelle que nous sommes en train de débattre d'un texte sérieux, pas de faire de la propagande ! Comme je vous l'ai déjà indiqué, monsieur Montebourg, le rapport de la commission des lois donne toutes réponses, à la page 72, à ce que vous avez dit sur le « super-privilège » des banques. N'inventez pas de problèmes dans le seul but de polémiquer ! Cela ne fait qu'obscurcir le débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Question préalable (suite)

M. le président. Nous allons maintenant procéder au scrutin qui a été annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

Je vais donc mettre aux voix la question préalable.

Je vous prie de bien vouloir regagner vos places.

..................................................................

M. le président. Le scrutin est ouvert.

..................................................................

M. le président. Le scrutin est clos.

Voici le résultat du scrutin :

                    Nombre de votants 277

                    Nombre de suffrages exprimés 275

                    Majorité absolue 138

        Pour l'adoption 41

        Contre 234

L'Assemblée nationale n'a pas adopté la question préalable.

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Anne-Marie Comparini.

Mme Anne-Marie Comparini. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, contrairement à d'autres disciplines, le droit des entreprises en difficulté a été peu modifié, même si nous avons tous en mémoire les lois de 1984 et 1985 et celle de 1994.

Cette situation législative était paradoxale au regard du nécessaire renouvellement de notre tissu industriel et de l'économie de cette dernière décennie, marquée par une mobilité permanente des conditions du marché. Il était donc temps qu'un projet de loi réponde à la nécessité de sauvegarder les entreprises lorsqu'elles sont affaiblies, en améliorant les procédures pour privilégier la détection en amont des difficultés, en dédramatisant le recours aux procédures collectives, en mobilisant l'ensemble des acteurs pour sauver l'emploi. Car une entreprise en difficulté, ce sont des risques pour tous : le chef d'entreprise, mais aussi les salariés, les partenaires prêteurs, les fournisseurs et les créanciers.

Ce projet de loi est donc le bienvenu. Toutefois, il n'est pas d'une totale clarté sur certains points, et des contradictions apparaissent à sa lecture. Je prendrai quelques exemples étudiés en commission des lois et qui font l'objet d'amendements.

En premier lieu, la confidentialité doit être respectée afin de ne pas inquiéter le chef d'entreprise, souvent réticent à engager de telles procédures.

Tout le monde s'accorde à reconnaître qu'il faut lui offrir toutes les garanties de confiance pour l'inciter à envisager une telle procédure. Mais le projet de loi, dans sa première mouture, ne prévoit pas cette confidentialité fondamentale dans le cadre de la négociation en amont. Il faut s'inspirer de ce qui existe dans le cadre du mandat ad hoc.

Deuxième point : la place du plan de cession dans les procédures. Monsieur le garde des sceaux, vous avez supprimé la cession dans le règlement judiciaire. Or tous les acteurs du traitement des entreprises en difficulté nous disent que les seules cessions qui fonctionnent sont celles qui existent en redressement. Il faut donc réintégrer la cession dans le règlement judiciaire.

Troisième point qui paraît contradictoire avec l'objectif visé : les sanctions prévues à rencontre du chef d'entreprise. Comment peut-on l'inciter à initier une procédure de sauvegarde si les sanctions ne sont pas allégées ? Il y a là un point qui doit être corrigé. La commission des lois a adopté un amendement visant à prévoir que la procédure de sauvegarde lancée à la demande du chef d'entreprise ne puisse pas entraîner de sanction de faillite personnelle ou d'interdiction de gérer à son égard. C'est important si l'on veut changer les comportements et permettre à des chefs d'entreprise de rebondir, de continuer à créer et à investir.

N'oublions pas non plus qu'à l'heure où nous sommes touchés par les délocalisations en raison d'incitations fiscales plus avantageuses à l'étranger, il faut veiller à ne pas ajouter une pierre à l'édifice de ceux qui pourraient être tentés de s'expatrier.

Vous l'aurez compris, à mes yeux, cet important chantier, qui correspond à une réelle attente de tous les partenaires, doit donner lieu à une loi claire et transparente. Le travail du rapporteur et de la commission des lois, qui a adopté un dispositif plus simple, participe à la clarté du texte. J'espère qu'il sera retenu et même que les travaux d'aujourd'hui, dans cet hémicycle, nous donneront l'occasion, en raison de la panoplie complète qui est offerte, de mieux distinguer encore les procédures pour que les chefs d'entreprise soient complètement informés, et de bien clarifier les rôles des professionnels qui en seront les maîtres d'œuvre. Mandataire, administrateur, liquidateur, chacun a une mission propre. Ces missions doivent donc être mieux définies.

Cet important chantier doit aussi donner lieu à une loi qui prenne en compte les développements récents du droit pour les entreprises européennes. Les jurisprudences européennes ont en effet donné une interprétation extensive du règlement du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité, contrairement à la jurisprudence française. C'est l'intérêt de la France de ménager les filiales françaises de groupes européens face aux Anglais. Ces derniers, qui ont déjà la prééminence en matière de services financiers, pourraient chercher à être plus attractifs en matière de droit des entreprises.

Cet important chantier doit enfin donner lieu à une loi qui ne néglige pas la situation des salariés dans la procédure de sauvegarde. Le projet de loi n'a prévu aucune disposition relative au régime des licenciements. Seront-ils soumis au régime du droit commun ou bien seront-ils régis, comme en procédure de redressement, par une procédure dite accélérée ?

Mme Marylise Lebranchu. Bonne question !

Mme Anne-Marie Comparini. La différence est notable et le vide juridique qui l'entoure préoccupant. Aux yeux de l'UDF, la nouvelle procédure de sauvegarde ne doit pas être l'occasion de déréguler le droit du travail.

M. Arnaud Montebourg. Très bien !

Mme Anne-Marie Comparini. L'UDF votera contre toute procédure accélérée telle que celle proposée par l'amendement de la commission des lois. Nous considérons qu'il faut sortir de l'antagonisme chef d'entreprise, d'un côté, salariés, de l'autre, pour trouver le juste équilibre qui respecte les droits de chacun. Les salariés ont autant d'intérêt que le chef d'entreprise à voir perdurer l'activité de leur société.

Voilà, en quelques mots, les réflexions que je souhaitais vous soumettre. Elles relèvent du principe de la recherche d'un juste équilibre. Celui-ci, qui sera de nature à redonner confiance à tous, s'accorde, je crois, monsieur le garde des sceaux, à l'esprit du projet de loi que vous présentez. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.)

M. le président. La parole est à M. Michel Vaxès.

M. Michel Vaxès. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, en mars 2004, il y a tout juste un an, le Gouvernement s'exprimait ainsi dans l'exposé des motifs de son projet de loi l'habilitant à simplifier le droit : « La complexité croissante de notre droit est devenue une source majeure de fragilité pour notre société et notre économie. En effet, il devient de plus en plus long et difficile pour l'usager comme pour le juriste de connaître avec certitude les droits et les obligations qui s'attachent à une situation particulière. Cette obscurité en elle-même regrettable dans un État de droit peut en outre constituer un obstacle à l'éventuelle implantation sur notre territoire d'investisseurs étrangers. C'est pourquoi le Gouvernement et le Parlement se sont résolument engagés sur la voie de la simplification du droit ».

Quelle sagesse ! Mais quelle ironie, aussi, à la lecture de ce bien complexe projet de loi ! Le droit des entreprises en difficulté méritait pourtant une particulière clarté.

Le Gouvernement, de manière quelque peu simpliste, voire peut-être faussement naïve, met sur le compte des insuffisances de la législation actuelle les 45 000 défaillances annuelles des entreprises françaises qui aboutissent, dans 90 % des cas, à des liquidations judiciaires.

C'est à l'évidence nier l'un des facteurs de la relative efficacité de notre système de traitement des difficultés : la méconnaissance du fonctionnement et des possibilités légales de traitement des difficultés financières par les chefs d'entreprise. Elle est telle que les dirigeants d'entreprises non pourvues de services juridiques ou ne bénéficiant pas des conseils de gros cabinets d'affaires ne réagissent que très - ou trop - tardivement.

Quoi qu'il en soit, avec ce projet de loi dont la présentation obscure rend la lecture et la compréhension particulièrement difficiles, les avocats d'affaires ont de beaux jours devant eux. Cette remarque de forme n'en atténue pas moins nos remarques de fond.

La première, essentielle, est un constat : si nos entreprises connaissent des difficultés, c'est d'abord, et surtout, en raison du fonctionnement même du système du capitalisme financier qui voit les grands groupes conduire, dans l'intérêt exclusif des fonds d'investissements et des gros actionnaires, une politique de restructurations brutales qui affecte régulièrement leurs filiales et les entreprises sous-traitantes qu'ils dominent. En effet, combien de PME sont-elles mises en difficultés par la seule volonté d'une multinationale leur faisant supporter ses pressions sur les prix et sur l'emploi ?

En niant cette donnée primordiale, toute réforme visant à améliorer la situation des entreprises en crise est vaine. Mais ce n'est pas là le seul oubli de ce texte qui ne prend pas en compte non plus l'évolution des modes de financement des entreprises, qui sont de moins en moins propriétaires de leurs actifs ou qui voient la majorité de leurs actifs donnés en garantie aux créanciers. Elles ont par conséquent moins de leviers pour mettre en place leur redressement.

Nous constatons également, et très amèrement, l'absence d'un pilier important : celui de la réforme des tribunaux de commerce. Pourtant, dès la mise en chantier de la loi de 1985, cette absence avait déjà été regrettée.

Or nous ne pouvons envisager sérieusement de réformer cette matière sans que soit opérée dans le même temps une réforme des tribunaux de commerce compétents pour connaître la plupart des procédures collectives. En effet, celles-ci ne sont plus l'affaire des seuls créanciers commerçants. Elles intéressent bien d'autres acteurs, au rang desquels nous trouvons les salariés, le Trésor public, la sécurité sociale et, de plus en plus fréquemment, la collectivité publique.

Du reste, les tribunaux de commerce ont des pouvoirs si étendus qu'il était d'ores et déjà incongru qu'on laisse la procédure se dérouler devant une juridiction consulaire composée uniquement de commerçants élus par leurs pairs, futurs débiteurs en difficulté, concurrents ou partenaires. C'est d'ailleurs pourquoi des formes d'échevinage ou de mixage pour associer magistrats professionnels et magistrats élus avaient été envisagées dès cette époque.

Lors de la commission d'enquête sur l'activité et le fonctionnement des tribunaux de commerce de 1998, nous avions proposé que, dans le cadre d'un échevinage, un magistrat professionnel soit assisté de deux assesseurs, dont l'un serait élu parmi les commerçants et l'autre parmi les salariés.

Venons-en maintenant au contenu de ce texte et à l'ambition affichée.

Monsieur le garde des sceaux, le 12 mai 2004, dans votre présentation du projet de loi à la presse, vous avez placé la sauvegarde de l'emploi au cœur de votre démarche. Je reprends vos propos : « Face à une compétition économique chaque jour plus forte, il était impératif que le Gouvernement s'attelle à une adaptation du droit qui permette la sauvegarde des emplois au sein d'entreprises fragilisées. Tel est le sens de mon texte ». Vous avez même ajouté la précision suivante : « Le projet de loi que je vais soumettre prochainement au Parlement traduit une ambition de simplicité et d'efficacité au service de l'emploi. »

Passons sur la simplicité, mais convenez que la lecture de l'exposé des motifs de ce texte révèle des motivations bien différentes de celles affichées devant la presse. D'ailleurs, l'objectif de sauvegarde de l'emploi, qui serait d'après vous celui visé par votre texte, n'apparaît nullement dans cet exposé.

M. Arnaud Montebourg. Exactement !

M. Michel Vaxès. Et pour cause ! Le ton y est en effet bien différent. Écoutez plutôt : « Le droit des entreprises en difficulté est désormais inadapté à notre économie. Il trouvait sa place dans un principe d'économie dirigée, caractérisé par les nationalisations et l'interventionnisme de l'État dans la vie des entreprises. Il se traduisait par un considérable amoindrissement des droits des créanciers, au profit de la recherche à tout prix du sauvetage de la plus grande part des entreprises en difficulté, et par une attention insuffisante portée aux objectifs et au déroulement de la liquidation judiciaire ». On ne peut être plus clair.

En fait l'objectif de ce projet de loi est résumé de manière synthétique au paragraphe suivant : « L'objectif de la sauvegarde de l'entreprise est crucial. Il doit être poursuivi par des moyens diversifiés, sans porter d'atteintes excessives aux autres entreprises que sont les créanciers ».

Il s'agit donc non pas, comme vous l'annonciez dans votre conférence de presse, et donc dans la présentation de ce texte au public, de « sauvegarder les emplois », mais bel et bien « de ne pas porter d'atteintes excessives aux créanciers ». C'est effectivement ce à quoi s'attelle votre texte.

M. Arnaud Montebourg. Tout à fait !

M. Michel Vaxès. Alors que la législation actuelle a pour objectifs essentiels le redressement de l'entreprise et la sauvegarde des emplois, tout en assurant néanmoins le paiement des créanciers dans des conditions aussi égalitaires que possible, avec cette réforme cette logique est inversée. Il s'agit désormais de redresser l'entreprise et d'assurer le paiement des créanciers, la sauvegarde de l'emploi n'étant plus qu'un objectif secondaire.

Et, parmi ces créanciers, vous avez choisi d'accorder votre bienveillance non pas aux créanciers chirographaires, ceux privés de tout privilège, mais aux banques et aux établissements financiers. J'en veux pour preuve les articles 8 et 34 du projet de loi qui en font des créanciers doublement privilégiés,...

M. Arnaud Montebourg. Des super-privilégiés !

M. Michel Vaxès. ...privilégiés par leurs sûretés, qui garantissent leurs avances, et privilégiés par ces deux nouveaux articles qui prévoient que leurs crédits ou avances seront payés par privilège à toutes créances nées avant l'ouverture de la conciliation. Vous les exonérez ainsi de tout risque, alors que le risque est l'un des fondements qui justifient leur rémunération.

M. Jean Launay. Ils n'en prennent déjà pas beaucoup !

M. Michel Vaxès. Les dindons de la farce resteront la collectivité publique et les petits créanciers décrits par le professeur Gavalda comme de « misérables fantassins par rapport aux blindés représentés par les créanciers munis de sûretés ».

Pourtant, personne ne peut raisonnablement craindre la mise en faillite des banques. Il n'y a qu'à constater leurs bénéfices faramineux : 4,7 milliards d'euros pour BNP Paribas, 3,1 milliards d'euros pour la Société générale, près de 3 milliards d'euros pour le Crédit agricole et le Crédit lyonnais.

Malgré cela, il vous est insupportable que les prêteurs professionnels puissent être en concurrence avec le Trésor public ou la sécurité sociale, et vous demandez à ceux-ci de consentir des remises de dettes aux débiteurs. C'est donc aux créanciers publics de faire des sacrifices sur l'autel de la finance ! C'est l'intérêt des créanciers privés qui guide toute cette réforme et qui prime sur les autres intérêts en présence.

Prenons les intérêts des salariés, par exemple : premiers concernés par le redressement de leur entreprise, les salariés sont les grands perdants des faillites. Pourtant, ce texte continue à les traiter comme une simple main d'œuvre soumise au patronat et qui, forte de mauvaises intentions à son égard, peut aller jusqu'à précipiter sa chute !

C'est d'ailleurs pour cela qu'ils ne sont pas considérés comme des acteurs à part entière des procédures de redressement. Pourtant, leur concours ne peut être réduit, comme vous êtes enclin à le faire dans ce texte, à remplir le rôle de fusible naturel, sinon unique, pour les dirigeants ou les administrateurs judiciaires lorsqu'il s'agit de résoudre les difficultés rencontrées par l'entreprise.

La clef du succès de la sauvegarde d'une entreprise est aussi entre les mains des salariés qui peuvent, par leur expérience et leur connaissance de l'entreprise, contribuer et participer à son redressement. C'est pourquoi nous ne pouvons accepter qu'ils soient écartés des différentes procédures, et je vais en donner deux illustrations.

Seul le débiteur a la faculté de choisir, alors qu'il n'est pas en état de cessation de paiements, entre la voie préventive, en demandant le bénéfice de la procédure de conciliation, ou la voie judiciaire, en demandant l'ouverture de la nouvelle procédure de sauvegarde. Cela suppose que le chef d'entreprise soit apte à déterminer le traitement le plus favorable à son entreprise, ce qui n'est pas du tout certain. Il serait bien plus judicieux d'ouvrir également aux salariés la faculté de demander le bénéfice de l'une ou l'autre des procédures. D'autant que cette liberté d'option laissée au seul chef d'entreprise peut constituer une source d'insécurité pour les créanciers. Comme le souligne fort justement un professeur de droit des affaires : « Ils ne seront pas à l'abri d'un débiteur malhonnête qui, pour échapper à ses obligations, aura la faculté de se placer sous la protection de la justice alors qu'il n'est pas objectivement proche de la cessation de paiements. Le dépôt de bilan-gestion pourrait devenir un moyen de chantage à l'égard des créanciers. À l'inverse, le débiteur désireux d'éviter à tout prix une procédure judiciaire risquera de négocier un accord amiable très désavantageux pour lui, et ce d'autant plus qu'il sera, de fait, incapable de faire face à son passif exigible avec son actif disponible ».

En donnant aux salariés un droit de saisine directe, nous éviterions de telles dérives, car ils n'ont aucun intérêt, contrairement au débiteur ou à ses créanciers, à se livrer à des stratégies judiciaires.

Dans la procédure de redressement judiciaire, il en est de même : les salariés ne disposent pas d'un droit de saisine directe et sont cantonnés, comme c'est le cas aujourd'hui, dans le rôle peu glorieux de délateur, avec pour seule possibilité celle « de communiquer tout fait révélant la cessation de paiements du débiteur ». Pourtant, les salaires impayés ne seront pris en charge par l'assurance garantie des salaires que si le redressement judiciaire a été prononcé, et je cite sur ce point le professeur Guyon : « On regrettera par conséquent que le code de commerce n'ait pas donné aux salariés le droit de saisir le tribunal mais se soit contenté de leur accorder un droit d'intervention ». Ce n'est pas ce nouveau texte qui les consolera !

Ce ne sont que quelques exemples, mais c'est tout l'ensemble du projet de loi et des procédures qui est concerné. C'est pourquoi les amendements que nous allons vous proposer s'attacheront à faire des salariés des acteurs à part entière du redressement.

Concernant l'AGS, nous avons quelques remarques à faire. Face à l'emportement et aux menaces du MEDEF, nous avons nous aussi bien des raisons, mais ce ne sont pas les mêmes, de nous emporter et de crier au scandale.

Ce système d'assurance obligatoire devrait en principe être alimenté par les cotisations des employeurs. Pourtant, trop nombreux sont ceux qui préfèrent ignorer délibérément cette obligation. Fort heureusement, les salariés ont droit à cette garantie, même si les cotisations n'ont pas été versées par l'employeur, mais cela ne saurait être satisfaisant. C'est pourquoi nous avons déposé un amendement qui a pour objet de rendre le versement de cette cotisation effective. L'AGS n'exerçant guère de recours contentieux contre les mauvais payeurs, il nous fallait trouver un moyen de pallier cette négligence. Il n'est d'ailleurs pas juste que les bons payeurs voient leurs cotisations augmenter, comme en septembre 2003, pour compenser la dérive des dépenses de ce fonds d'assurance des salariés.

Vous prétendez, monsieur le garde des sceaux, que l'objet de ce texte est de sauvegarder les emplois. Pourtant, il ne prend nullement en compte les conséquences de la disparition d'une entreprise pour la collectivité tout entière : l'augmentation du taux de chômage, la dégradation de l'environnement économique dans toute une région, parfois même la disparition d'une production nationale qui nous oblige à recourir à l'importation.

Vous avez décidé de faire fi de toutes ces préoccupations et d'abandonner les victimes de la guerre économique que le libéralisme, qui vous sert de vade-mecum, ne fait qu'attiser. L'amendement du rapporteur qui permet à un chef d'entreprise déclenchant la procédure de sauvegarde de recourir au régime des licenciements économiques en est la plus parfaite illustration. N'a-t-il pas déclaré, dans un élan de sincérité confondant : « Quelle pourra être l'efficacité réelle de la politique de sauvegarde si elle est privée du levier essentiel consistant à adapter rapidement le niveau de l'emploi à l'activité réelle ? »

N'est-ce pas donner un blanc-seing à tous ces chefs d'entreprise qui, quelquefois malhonnêtement et frauduleusement, utilisent les procédures existantes pour restructurer et supprimer des emplois dans des conditions moins contraignantes en bénéficiant du régime dérogatoire du code du travail ?

Votre grille de lecture du traitement des difficultés des entreprises est claire : lorsqu'une entreprise connaît des difficultés, il faut sauvegarder à tout prix les intérêts des gros créanciers, au détriment des autres composantes et des acteurs de l'entreprise. Ce n'est pas la nôtre, qui a pour souci l'intérêt des salariés, de la collectivité publique et de l'emploi. C'est pourquoi nous ne pourrons voter ce texte, malgré son ambition louable de traiter plus précocement les difficultés des entreprises. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Houillon.

M. Philippe Houillon. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, après les interventions talentueuses entendues hier soir - je veux parler de celles du président de la commission des lois et de nos deux rapporteurs, car d'autres n'ont eu pour virtuosité qu'une approximation coupable -, je n'ai pas grand-chose d'original à ajouter,...

M. Arnaud Montebourg. C'est dommage !

M. Philippe Houillon. ...si ce n'est, monsieur le garde des sceaux, une chose simple : votre texte est intelligent.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Ce n'est pas rien !

M. Philippe Houillon. Ce n'est pas rien, en effet. Il est intelligent car il part d'un diagnostic exact, déjà formulé dans le passé mais dont on n'avait jamais vraiment tiré toutes les conséquences. Mais vous le faites aujourd'hui, monsieur le garde des sceaux, avec ce projet de loi, et le mérite vous en revient.

Au sein de l'Europe, notre pays détient un triste palmarès : neuf entreprises en difficulté sur dix finissent en liquidation, avec tout ce que cela suppose de drames : pour les salariés qui perdent leur emploi, pour les créanciers, notamment les créanciers chirographaires, qui subissent ce que l'on appelle l'effet dominos, pour les dirigeants, notamment ceux des petites et moyennes structures qui, souvent caution personnelle de leur entreprise, perdent le bénéfice de plusieurs années de travail.

Pourquoi cette situation ? Parce que, mais ce n'est pas l'objet du projet de loi, les entreprises françaises sont pour une grande partie sous-capitalisées, et surtout parce que les difficultés sont traitées trop tard, à un moment où les solutions ne peuvent plus être mises en œuvre. Jusqu'à présent, et c'est significatif, le bénéfice des procédures collectives n'est ouvert qu'aux entreprises qui sont déjà en état de cessation de paiement. La loi leur accorde même un délai pour déclarer la cessation de paiement.

Nous sommes donc dans une logique de l'échec avéré, dans une logique qui impose d'être moribond avant d'être soigné, même si, c'est vrai, la construction prétorienne du mandat ad hoc, que vous officialisez, constitue une ouverture significative.

Ainsi, même si des progrès importants ont été réalisés depuis 1967, nous sommes encore toujours un peu dans une logique de sanction, moins facilement acceptable que la logique de prévention qui permet de traiter les difficultés pendant qu'il est encore temps et, d'une certaine manière, de rendre la démarche naturelle, voire de la banaliser.

La fonction de chef d'entreprise est donc revalorisée et responsabilisée. La diversification des solutions non judiciaires est clairement affirmée au travers de la création de la procédure de conciliation et de l'affirmation du mandat ad hoc, qui devient une procédure autonome.

C'est l'avancée la plus moderne de ce texte qui, en déplaçant le curseur, change la philosophie de la démarche. Désormais, en dehors de tout état de cessation des paiements, une difficulté prévisible permettra l'ouverture du traitement avec le mandat ad hoc, la conciliation et la procédure de sauvegarde, qui constituent autant de réponses adaptées à des situations diverses.

C'est dans ce souci de prévention et d'anticipation que ce situe la création de la procédure de sauvegarde, fer de lance de cette réforme. Cette procédure est conçue en quelque sorte comme un redressement judiciaire préventif, si vous m'autorisez la comparaison, puisqu'elle permet, à partir de difficultés prévisibles, de prendre des mesures utiles pour l'entreprise avant même que la trésorerie ne soit affectée. Ce mécanisme permet la cessation des poursuites et facilite, dans un contexte de saisine volontaire par le dirigeant, la négociation avec les créanciers de l'entreprise dans un délai en principe assez bref.

Tout en ayant un caractère judiciaire, elle apparaît comme un instrument au service d'une logique de continuation de l'activité de l'entreprise et du traitement de ses difficultés par voie contractuelle.

Ce projet de loi, amendé par la commission des lois, traite aussi des craintes et des peurs qui constituaient un fort frein psychologique à la démarche : sur le plan de la confidentialité, le texte, me semble-t-il, a été amélioré par la commission des lois ; sur le plan des cautions, le projet constitue clairement une avancée dans la mesure où les accords obtenus peuvent bénéficier aux cautions, alors que la caution personnelle du dirigeant, notamment d'une PME-PMI, était un frein à la déclaration de cessation des paiements.

Sur un autre plan, vous permettez la négociation partielle des créances des créanciers publics. Cela mérite d'être salué car, quand on connaît les efforts passés pour y aboutir, c'est une petite révolution.

Vous comblez aussi un vide juridique en permettant aux professionnels libéraux d'avoir accès aux procédures collectives. Cette intégration, vous le savez, était vivement souhaitée car ces professionnels ne bénéficiaient d'aucune possibilité de sauvetage, dans la mesure où ils étaient exclus des procédures de surendettement et de rétablissement personnel, leur dette étant de nature professionnelle. Vous avez, de ce point de vue, respecté votre promesse. La représentation nationale avait interrogé le Gouvernement lors de l'examen du texte sur le rétablissement personnel. Le Gouvernement avait pris l'engagement de combler le vide juridique qui touchait les professions libérales. Vous avez respecté cet engagement et je vous en remercie.

Je voudrais vous soumettre deux réflexions. Dans le projet de loi, les cessions basculent dans le domaine de la liquidation judiciaire. Plusieurs amendements de la commission des lois rétablissent la possibilité d'effectuer des cessions dans le cadre d'un plan de redressement et étendent cette possibilité au plan de sauvegarde. En effet, il aurait été dommage de limiter les plans de cession à la procédure de liquidation judiciaire, dans la mesure où ils ont permis d'assurer, dans le cadre du redressement judiciaire, la pérennité de nombreuses entreprises, particulièrement d'entreprises importantes, et, corrélati-vement, de sauver beaucoup d'emplois.

En ce qui concerne la notion d'état de cessation des paiements, il y a une réflexion à mener. Elle est au cœur des procédures collectives puisqu'elle en détermine l'ouverture, mais elle n'apparaît pas toujours facilement lisible et rassurante. L'incapacité de faire face au passif exigible avec l'actif disponible - telle est sa définition - est une notion souvent trop fictive, sans réalité économique. Elle n'est pas comptable, ce n'est pas une date non plus, elle résulte souvent d'une évolution de l'entreprise. Compte tenu des conséquences attachées à l'état de cessation des paiements, notamment en ce qui concerne la responsabilité des dirigeants et les sanctions pouvant être prononcées à leur encontre, il aurait sans doute été nécessaire de déterminer des critères juridiquement vérifiables, comme le préconisait le rapport annuel de la Cour de Cassation pour l'année 2002. Peut-être pourrait-on s'inspirer de la notion déjà connue de « situation irrémédiablement compromise ». Nous en restons pour le moment à la définition actuelle mais elle devra être adaptée à la réalité économique.

Hier soir, j'ai entendu des critiques ou des questions.

La première portait sur les tribunaux de commerce, dont on a beaucoup entendu parler. J'ai même entendu dire à cette tribune que les tribunaux de commerce tenaient des audiences « sauvages », sans convocation. Je ne vois pas de quoi il s'agit.

M. Arnaud Montebourg. Demandez donc à l'avocat qui en a fait état !

M. Philippe Houillon. Cela voudrait dire que les tribunaux de commerce jugent certains dossiers de façon non contradictoire, sans convoquer les différentes parties.

M. Arnaud Montebourg. Cela arrive !

M. Philippe Houillon. On peut tout dire, mais il faut savoir raison garder.

M. Arnaud Montebourg. On peut tout voir dans les tribunaux de commerce !

M. Philippe Houillon. Bref, ce n'est pas le débat. Il faut tout de même rappeler que la conférence générale des tribunaux de commerce, en lien avec le garde des sceaux de l'époque, était favorable à une réforme qui n'a été empêchée que par des pratiques moyenâgeuses faites de terreur, de vexations et d'invectives.

La médiatisation a satisfait certains intérêts particuliers,...

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. C'est vrai !

M. Philippe Houillon. ...et l'intérêt général n'y a pas trouvé son compte.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. C'est encore vrai.

M. Philippe Houillon. Mais, entre ces deux types d'intérêt, lequel recherchait-on vraiment ?

M. Pascal Clément, président de la commission des lois et M. Xavier de Roux, rapporteur. Très bien !

M. Philippe Houillon. La deuxième critique mettait en cause ce que j'ai entendu appeler le « super-privilège » des banques et le privilège du new money, qui effaceraient le super-privilège des salariés. Sur ce thème, M. Montebourg me fait un peu penser à une poule qui, perplexe, aurait découvert un œuf. Le privilège du new money date d'il y a vingt ans : ce n'est jamais que l'article 40 de la loi Badinter - l'homme qui parle à l'oreille de M. Montebourg - « relooké » à la mode des anglicismes. Je m'étonne donc de l'ampleur prise par le débat.

M. Christian Paul. Vous ne vous en sortirez pas comme ça !

M. Philippe Houillon. La troisième critique - qui a encore fait l'objet d'une question au Gouvernement tout à l'heure - porte sur l'instauration, dans la procédure de sauvegarde, d'un régime particulier de licenciement économique. Monsieur le garde des sceaux, vous vous êtes clairement prononcé contre l'amendement adopté à ce sujet par la commission des lois. À dire vrai, la question est complexe : la sauvegarde est destinée à faciliter la réorganisation de l'entreprise, laquelle peut nécessiter un ajustement rapide de la masse salariale, en passant outre aux délais habituels, souvent longs en pareille matière, pour précisément permettre de pérenniser l'entreprise et de maintenir d'autres emplois. En même temps, un tel dispositif suscite l'inquiétude légitime de voir la procédure de sauvegarde dévoyée et utilisée à bon compte pour se soustraire au droit commun, ce qui n'est pas acceptable. Mais il ne faudrait pas non plus que, faute de cet outil, les entreprises ne choisissent finalement le redressement judiciaire, qui comporte des clauses dérogatoires, plutôt que la sauvegarde, qui n'en disposerait pas.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Très bonne démonstration !

M. Philippe Houillon. C'est une question importante qui, en l'état, n'est manifestement pas mûre et qui mérite d'être travaillée. Peut-être un régime dérogatoire sur les seuls délais, et dans la seule hypothèse d'un accord exprès des instances représentatives du personnel, pourrait-il constituer une piste de réflexion.

Au total, votre projet, monsieur le garde des sceaux, est intelligent, novateur et courageux. Parce qu'il apportera une plus-value déterminante à la solution des difficultés des entreprises, le groupe UMP le soutiendra. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Marylise Lebranchu.

Mme Marylise Lebranchu. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, les propos de l'orateur précédent me font sourire car il se trouve que j'ai également mon idée sur les tribunaux de commerce.

Pour commencer, l'image qu'il a choisie, celle de la poule et de l'œuf, était parfaitement irrespectueuse et elle ne m'a guère convaincue. Il a ensuite affirmé qu'un parlementaire avait à lui seul réussi à empêcher le Parlement de légiférer. J'espère qu'il s'agissait d'une plaisanterie.

Pour en revenir au projet, j'ai lu, monsieur le ministre, un article dans lequel vous déclariez que vos prédécesseurs avaient été irresponsables de ne pas réformer les lois de 1984-1985, dites Badinter.

M. le garde des sceaux. Ce n'est pas tout à fait ça !

Mme Marylise Lebranchu. Je me sens donc concernée.

M. le garde des sceaux. J'ai dit qu'il était irresponsable de ne pas les avoir réformées, et non pas que mes prédécesseurs étaient des irresponsables. Il y a tout de même une nuance !

Mme Marylise Lebranchu. Quoi qu'il en soit, avant d'arriver au prestigieux ministère de la justice, j'ai beaucoup travaillé avec les PME et les TPE, puisque j'ai eu la chance et l'honneur d'être secrétaire d'État chargée du commerce et de l'artisanat. À cette occasion, je me suis rendu compte, comme j'avais pu le faire dans ma circonscription, de la très grande difficulté des petites et moyennes entreprises, et surtout des plus petites d'entre elles, à traiter avec les tribunaux de commerce.

Ce n'est pas trahir la réalité que de rappeler la lenteur de cette justice. Son organisation, ses décisions parfois mal éclairées, la lenteur de l'exécution de ses décisions ensuite - les mandataires qui mettent plusieurs années à liquider l'entreprise - placent durablement les justiciables dans des situations profondément anormales. Ce constat nous avait conduits à commencer par réformer les tribunaux de commerce. Je suis d'accord avec M. Houillon sur le fait que nous avions trouvé un consensus. Mais vous ne pouvez pas prétendre qu'un seul député aurait réussi à bloquer le processus. Ce n'est pas sérieux !

M. Xavier de Roux, rapporteur. Si !

Mme Marylise Lebranchu. Ou alors, il a un pouvoir extraordinaire que nous lui envions tous.

Il s'agissait d'une première étape.

Nous regrettons tous que les plus petites entreprises en particulier, qui n'ont pas de conseil juridique ou de conseil de gestion à leur service, n'engagent pas les démarches plus vite. Il en est ainsi parce qu'elles redoutent la publicité qui s'ensuit immanquablement, même si le premier entretien doit être confidentiel. Les fournisseurs, les sous-traitants s'inquiètent, si bien que la situation empire encore au lieu de se rétablir.

Nous aurions dû faire cette réforme car une simple relecture de la carte des tribunaux de commerce ne suffit pas à restaurer la confiance. Je me souviens d'avoir rencontré beaucoup de juges consulaires qui considéraient que l'échevinage était une bonne solution. Je maintiens donc que nous n'avons pas perdu de temps. Le texte avait été voté en première lecture à l'Assemblée, il aurait très bien pu être repris, avant d'améliorer les lois dont il est question aujourd'hui.

Sur le projet lui-même, je n'aurai pas de remarque assassine, sinon qu'il aurait fallu travailler aussi avec les entrepreneurs, petits et moyens, à commencer par le cordonnier cher au rapporteur de la commission des lois. Je ne suis pas persuadée - et plus les débats avancent, moins je le suis - que l'entrepreneur qui traverse des difficultés passagères s'adressera au tribunal de commerce pour demander une procédure de sauvegarde. La première démarche aurait pu être différente. Ainsi, la CGPME suggère une réunion du CODEFI, structurée et confidentielle. Un tel tour de table regroupant les services de l'État, les banques, les fournisseurs et les cotraitants aurait son utilité.

Le titre du projet lui-même n'est pas dépourvu d'ambiguïté, Mme Comparini l'a souligné. En effet, le mot « sauvegarde » a déjà servi aux chefs d'entreprise pour demander des licenciements accélérés. Il a donc pris une connotation négative à laquelle il faut être attentif.

Concernant les banques, je ne comprends pas le privilège qui leur est accordé.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Vous répétez ce qu'a dit M. Montebourg, et qui est inexact !

Mme Marylise Lebranchu. J'ai lu le texte, monsieur Clément !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Alors, vous aggravez votre cas !

M. Alain Vidalies. Il n'y a que des idiots ici, hormis M. Clément !

M. Arnaud Montebourg. Un vrai génie du texte !

Mme Marylise Lebranchu. Je n'ai pas votre intelligence, monsieur Clément, et c'est dommage ! (Sourires.) J'aimerais seulement, monsieur le président, pouvoir poursuivre mon intervention.

M. le président. S'il vous plaît, laissez parler Mme Lebranchu.

Mme Marylise Lebranchu. Ce qui différencie les banques des autres créanciers, c'est qu'elles font payer à leurs clients le risque qu'elles prennent : une première fois lors de la création de l'entreprise, ensuite au cours de son développement, par le biais du taux d'intérêt. Elles peuvent même réassurer leurs propres créances. Il serait donc intéressant que les deux amendements importants, qui visent à la fois à encadrer les taux d'intérêt et ce qui est remis sur la table par les banques, soient examinés sereinement avant d'être adoptés, du moins je l'espère. M. Montebourg a rappelé que les banques avaient été condamnées pour soutien abusif à hauteur de 14 millions d'euros, somme qu'il faut rapporter aux intérêts perçus, ainsi qu'aux garanties et aux cautions dont elles bénéficient. C'est vraiment très peu ! Je comprends que les PME, qui ont déjà des difficultés à apporter des garanties, s'indignent que rien ne soit dit sur les cautions et sur ceux qui ont apporté leur garantie, même si le chef d'entreprise et l'entreprise elle-même sont protégés. En revanche, les créanciers fiscaux et sociaux ne sont pas payés pour prendre des risques, alors qu'ils en assument toutes les conséquences puisqu'il faut payer des indemnités et les ASSEDIC en prélevant sur les comptes sociaux. Je trouve donc que la distorsion introduite par le texte est choquante.

Autre incohérence que je tiens à souligner : le chef d'entreprise sera seul à prendre la décision. On ne parle pas de la consultation des salariés, ni de celle du conseil d'administration.

Le chef d'entreprise est seul pour prendre sa décision et votre projet le laisse de nouveau seul devant le conciliateur : il devient hors-jeu. Il ne peut pas être reçu par le président du tribunal et il ne peut pas demander à changer d'interlocuteur en cas de rupture de confiance. C'est dangereux, parce que votre objectif, qui est louable et que tous soutiennent, est de permettre à des entreprises qui en ont le ressort d'aller chercher des solutions avant de subir une procédure pour cessation de paiement, laquelle est gravissime. Or le chef d'entreprise volontaire chemine seul et n'a pas le pouvoir de remettre en cause la personne du conciliateur.

Il y a là un véritable problème : méfions-nous de l'appréciation que portent actuellement les chefs d'entreprise, notamment les plus petits, sur la machine judiciaire qui peut se mettre en branle, et essayons de trouver un équilibre.

Enfin, je tiens à souligner que les salariés ne sont pas, en France, irresponsables. Dans mon bassin d'emploi, comme dans bien d'autres, si les salariés avaient été entendus lorsqu'il était encore temps, un grand nombre d'entreprises auraient pu être sauvées. Arrêtons de considérer que le salarié est celui qui empêche de remettre l'entreprise sur les rails. Mme Comparini l'a dit avant moi : nous avons eu trop souvent le tort de ne pas écouter les salariés. Dans ma circonscription, 250 emplois ont disparu parce que personne n'a voulu croire les salariés qui demandaient pourtant d'urgence un tour de table et étaient prêts à accepter des licenciements pour sauver leur entreprise. Dans ces cas-là, les salariés sont présents !

M. Jacques-Alain Bénisti. C'est intéressant !

Mme Marylise Lebranchu. Dans notre pays, ils méritent d'être entendus et il faudra les replacer au cœur de la procédure de sauvegarde parce que nous avons déjà fait trop d'erreurs à leur sujet et que nous avons trop peu de moyens de les entendre. Je le répète : alors que trop d'entreprises disparaissent parce que les salariés ne sont écoutés, la loi ne peut se permettre de les ignorer. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Demilly.

M. Stéphane Demilly. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je ne reviendrai pas en détail sur le texte soumis à notre discussion. Anne-Marie Comparini, qui a dit l'essentiel à son sujet, a exposé l'approche qu'en faisait l'UDF.

Je souhaite vous livrer une analyse marquée du sceau de l'actualité. Le fait de favoriser l'engagement d'une procédure en amont d'une situation de crise, et cela afin de prévenir les difficultés, ne peut que susciter a priori notre approbation. De trop nombreuses procédures de redressement aboutissent à la liquidation de l'entreprise, faute d'une anticipation suffisante des difficultés. Cela constitue souvent un véritable gâchis. Il est donc de simple bon sens de ne pas attendre la cessation de paiement pour engager des procédures de redressement.

Je parle du sujet avec malheureusement d'autant plus de conviction, voire d'émotion, que Péronne, dans ma circonscription de la Somme, a été le cadre d'une liquidation emblématique, celle de Péronne Industrie. Cette usine est plus connue sous le nom, qu'elle n'aurait jamais dû perdre, de Flodor.

L'usine Flodor a fait ces derniers mois, et tout particulièrement ces derniers jours, vous le savez, les gros titres de la presse, en raison de sa mise en liquidation, après une longue mise à mort préméditée. Une procédure de sauvegarde aurait sans doute permis une meilleure protection des salariés, aux côtés desquels je me trouvais encore hier, à l'occasion d'une grande manifestation de soutien qui s'est révélée particulièrement poignante. Permettez-moi un bref rappel de la situation : pour être local, ce cas concret n'en alimentera pas moins notre réflexion générale.

Flodor est une entreprise qui, basée en France, appartient au groupe italien Unichips, lui-même basé à Milan. Après un énième plan social en 2002, après le démontage en catimini, c'est-à-dire à l'insu des salariés, d'une chaîne de production en août 2003 - chacun peut s'en souvenir -, au terme d'une valse incessante des PDG sans qu'aucun investissement ou presque n'ait jamais été réalisé dans l'entreprise, et, après un nouveau plan de licenciements, suite au retrait en janvier 2005 du groupe Unichips du plan de sauvetage de l'entreprise, Flodor Péronne vient de fermer ses portes, laissant près de 200 personnes sur le carreau. L'attitude de mépris et le machiavélisme des dirigeants du groupe ont été tels qu'ils ont refusé de recevoir des repreneurs potentiels que nous leur avions pourtant proposés.

Quelles leçons tirer de cet exemple ?

Tout d'abord, que la sauvegarde peut être une solution à condition que le chef d'entreprise adopte une attitude volontaire et responsable, ce qui n'a pas été le cas à Flodor, malheureusement pour les salariés. La souplesse de la prévention permettra d'inciter le débiteur à mieux repérer les difficultés.

Ensuite, que le sort des salariés doit être considéré en priorité. À cet égard, l'amendement du rapporteur concernant les licenciements, que vous ne soutenez pas, monsieur le garde des sceaux, et nous vous en remercions, n'est pas acceptable dans la mesure où son adoption fragiliserait les droits et les garanties des salariés.

Enfin, et surtout, qu'il est fondamental de se placer dans une perspective européenne, faute de quoi le projet de loi sur la sauvegarde des entreprises françaises serait en grande partie vide de sens. Ce texte ne trouvera sa pleine valeur qu'avec l'adoption de la Constitution européenne qui permettrait l'intégration de la Charte des droits fondamentaux et garantirait, par là même, un socle commun de droits sociaux dans tous les pays de l'Union européenne. L'adoption de ce projet de loi ne prendra toute sa dimension que dans la mesure où il existera une base commune de règles sociales dans les vingt-cinq pays membres. C'est pourquoi il convient d'adopter l'amendement de notre collègue Anne-Marie Comparini, qui conférera aux procédures françaises une reconnaissance automatique dans les pays de l'Union européenne et donnera la souplesse nécessaire à la sauvegarde d'une entreprise française faisant l'objet d'une procédure d'insolvabilité principale préalablement ouverte par un autre État membre. L'adaptation de notre législation aux exigences du marché global européen est indispensable si l'on veut se doter des dispositifs qui permettent de garantir le sauvetage de nos entreprises.

Espérons que le projet de loi, une fois voté et entré en application, permettra, monsieur le garde des sceaux, autant que faire se peut, d'éviter des situations aussi intolérables que celle vécue par les salariés de Flodor.

Aujourd'hui, en France, moins de 4 % des procédures collectives se terminent par un redressement avec continuation de l'activité et 90 % des dépôts de bilan conduisent à la liquidation de l'entreprise et à une cessation d'activité : c'est ainsi 40 000 liquidations qui sont prononcées chaque année. Ces chiffres, à eux seuls, expliquent l'objet de notre débat et justifient la mise en œuvre urgente et efficace d'une procédure de sauvegarde de l'entreprise.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Nicolas.

M. Jean-Pierre Nicolas. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, vivre dignement du fruit de son travail constitue une aspiration naturelle et légitime de tous nos concitoyens. Aussi l'emploi en France doit-il être au centre de nos préoccupations et tenir compte d'une conjoncture économique internationale caractérisée notamment par la volatilité des marchés des changes et des matières premières.

Dans ce contexte, il convient de souligner la détermination du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin à mettre en place un véritable plan pour la création d'emplois. À cet égard, la loi relative à l'initiative économique a « boosté » la création d'entreprises en France puisque, en 2004, pour la première fois, le chiffre de 220 000 créations a été atteint.

Mais au-delà des nécessaires dispositifs de soutien à la création d'entreprises, il était indispensable - c'était même une simple question de bon sens - de braquer les projecteurs sur la sauvegarde des entreprises : il s'agit en effet pour notre économie d'un enjeu majeur. Tel est l'objet du texte que vous soumettez à la représentation nationale. Permettez-moi, monsieur le garde des sceaux, de vous en féliciter.

Notre législation dans le domaine du traitement des difficultés des entreprises date en effet de 1984 et de 1985 : après vingt années, force est de constater qu'elle n'est plus adaptée à l'évolution permanente du contexte économique et juridique international.

La vie d'une entreprise s'organise en trois temps : elle naît, elle se développe et, hélas, elle meurt.

Des avancées significatives ont été réalisées en matière de création d'entreprises grâce à la simplification du processus dans le cadre de la loi Dutreil ; d'autres avancées sont en perspective au travers du projet de loi préparé par le ministre Christian Jacob. Il était logique et indispensable de conforter la pérennité des entreprises.

Votre texte, monsieur le garde des sceaux, répond à un besoin véritable, car, de la suppression ou de la survie et du redressement d'une entreprise dépend la pérennité de nombreux emplois : chaque année, nous avons à déplorer la disparition de 40 000 entreprises et, par voie de conséquence, de 150 000 emplois.

Dans le cadre de la législation actuelle, la procédure du redressement judiciaire qui s'applique dès que l'entreprise est en cessation de paiement génère de manière quasi systématique la liquidation judiciaire. Le terme de redressement judiciaire n'est ainsi le plus souvent qu'un leurre puisque, statistiquement, c'est moins de 10 % des entreprises qui survivent et assurent leur redressement. À l'évidence, notre législation doit évoluer pour s'adapter à une économie de marché en mouvement perpétuel qui nécessite une anticipation toujours plus importante de la part des chefs d'entreprises.

L'application du texte devrait entraîner une amélioration rapide et sensible des redressements d'entreprises. À cet effet, il serait intéressant qu'un suivi statistique permette de connaître le nombre des redressements réussis, et de les observer dans leur évolution.

Je voudrais également appeler votre attention, monsieur le garde des sceaux, sur un volet du projet de loi qui me paraît tout à fait intéressant puisqu'il vise à réformer les sanctions prises à l'égard des chefs d'entreprise : ceux-ci bénéficieront désormais de ce que je nommerai une « présomption de bonne foi ».

En effet, en dehors des quelques cas qui ont défrayé la chronique et qui ont marqué l'opinion - je pense aux comportements de « patrons voyous » qui ont jeté le discrédit sur la fonction -, il est évident que la quasi-totalité des chefs d'entreprises sont de bonne foi. D'ailleurs, faut-il rappeler que 95 % des entreprises en France comptent moins de vingt salariés ? Au-delà de leur fonction économique, ces chefs d'entreprise remplissent une véritable mission sociale en créant, souvent sur leurs fonds propres, les premiers emplois de leur entreprise. Ils connaissent parfaitement leurs salariés, avec lesquels ils constituent souvent une famille professionnelle, si bien qu'une cessation d'activité constitue toujours un drame autant pour les salariés que pour le chef d'entreprise contraint de déposer le bilan.

C'est pourquoi je suis très sensible à votre volonté de réhabiliter le droit à l'échec pour l'entrepreneur. C'est toujours avec regret que l'on assiste à la mort d'une entreprise. Elle est parfois provoquée par des erreurs de gestion, mais souvent elle se produit en raison d'un marché défaillant ou du défaut de paiement de clients importants, parmi lesquels on peut trouver certaines collectivités publiques. Aussi est-ce par leur faculté à rebondir et à recréer une entreprise que ces hommes et ces femmes participent à la nécessaire création d'emplois. Ils sont tous mués par la passion d'entreprendre et l'esprit d'initiative dont notre pays a besoin.

Ce projet de loi, fruit d'une large concertation menée avec tous les acteurs concernés, parvient à un bon équilibre des intérêts, qui peuvent paraître antagonistes, des différents acteurs de la vie économique et sociale.

Dans une économie en mutation permanente, où les entreprises doivent s'adapter de plus en plus rapidement, ce texte privilégie la prévention et la négociation afin d'apporter une contribution décisive à la sauvegarde de l'activité économique.

C'est un texte de bon sens qui adapte notre législation au service de l'emploi. Je le soutiendrai avec détermination. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Arnaud Montebourg, pour un rappel au règlement.

M. Arnaud Montebourg. Monsieur le président, alors que, durant son intervention, Mme Lebranchu s'exprimait d'une façon irréprochable, le garde des sceaux et le président de la commission des lois se sont permis, sans lui demander le moins du monde son autorisation, de l'interrompre. Le garde des sceaux, si j'en crois ce que mes oreilles ont perçu, a soutenu qu'il n'a jamais mis en cause le précédent gouvernement dans l'échec de la réforme des tribunaux de commerce.

J'ai sous les yeux les déclarations de M. Perben dans La Tribune du 1er mars, hier matin. À la question suivante : « Certains, monsieur le ministre, regrettent que la réforme des tribunaux de commerce n'ait pas été franchement abordée dans ce texte. Que leur répondez-vous ? », M. Perben a répondu :

« Quand je suis devenu garde des sceaux, en 2002, le dossier avait été totalement bloqué par des initiatives irresponsables du gouvernement précédent. »

Je voulais donc rétablir la vérité : Mme Lebranchu a parfaitement raison de signaler que le gouvernement Jospin a été mis en cause. Le texte en question avait été voté ici même, puis le Sénat, où l'opposition d'alors était majoritaire, l'avait rejeté. Quant aux postes de magistrats professionnels, ils avaient été budgétés dans la loi de finances pour 2002.

On ne peut laisser contester ces éléments d'information dans nos débats.

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. le garde des sceaux. Je n'ai jamais dit à Mme Lebranchu qu'elle était irresponsable, comme elle a cru le comprendre : c'est la décision qu'elle a prise qui l'était. Je n'ai pas l'habitude de mettre en cause les personnes, je combats les politiques, ce qui n'est pas la même chose.

Reprise de la discussion

M. le président. Nous poursuivons la discussion générale.

La parole est à M. Pascal Terrasse.

M. Pascal Terrasse. Vous affirmez, monsieur le garde des sceaux, que ce texte a été rédigé dans le souci « d'adopter une approche plus économique que judiciaire ». Vous affirmez également qu'il va permettre de sauver des milliers d'emplois, parce qu'il ferait en sorte que « notre système juridique ne soit pas destructeur d'emplois ».

Je souhaite vous montrer que l'une et l'autre de ces affirmations sont fausses. À mes yeux, la rédaction de ce texte ne répond qu'à un seul souci : satisfaire la communauté bancaire, qui a su faire miroiter qu'elle allait accroître, en échange, l'accès au crédit pour les petites entreprises, ce qui ne sera bien sûr pas le cas.

Le constat est connu : les défaillances d'entreprises constituent un véritable problème pour la sauvegarde des emplois. Presque une entreprise sur deux disparaît dans les cinq années qui suivent sa création. En 2003, l'écrasante majorité des procédures collectives ouvertes concernaient des entreprises de moins de dix salariés - les très petites entreprises, ou TPE. Or la dynamique de l'emploi en France repose actuellement sur ces entreprises. Avec 5 ou 6 millions d'emplois, elles constituent le véritable tissu économique de notre pays. Ce sont elles, pourtant, qui ont le plus de mal à trouver des financements pour survivre en cas de difficultés, et donc elles que l'on doit aider à survivre.

Pour répondre à ses ambitions économiques, ce projet de loi aurait dû s'adresser en priorité aux petites entreprises. Ce n'est évidemment pas le choix du Gouvernement, qui n'a œuvré qu'en faveur des banques et, dans une moindre mesure, des grandes entreprises, avec l'appui amical du MEDEF.

Votre projet renforce encore la dépendance des petites entreprises à l'égard de leurs créditeurs. Les tribunaux de commerce nous disent que la viabilité d'une PME est souvent remise en cause faute de prêts bancaires suffisants. Or le nouveau mécanisme ne fera que renforcer cette dépendance et cette discrimination en matière d'accès au crédit : la procédure de sauvegarde et la procédure de conciliation renforcent encore la soumission des petites entreprises à leurs créanciers bancaires.

M. Xavier de Roux, rapporteur. Comment cela ?

M. Pascal Terrasse. Parce que ces créanciers sont quasiment leur seule source de financement externe, ce qui n'est pas le cas pour les grandes entreprises.

Certes, les dettes seront suspendues, mais les PME, surtout les petites, seront contraintes de trouver un accord avec leur unique banque, qui sera le véritable maître des négociations : d'une part la procédure doit être homologuée par le tribunal, ce qui aura pour effet de rendre publique l'existence de leurs difficultés alors même qu'elles ont surtout besoin de discrétion et de confiance ; d'autre part les banques seront les créanciers majoritaires pour diriger les discussions concernant la restructuration, aux conditions financières qui les satisferont, sans plus aucun risque à prendre ; enfin, puisque les banques auront la garantie d'être remboursées prioritairement en cas de difficultés ultérieures, elles ne pourront plus être accusées de soutien abusif. Elles n'ont d'ailleurs aucunement l'intention de soutenir beaucoup plus qu'elles ne le font actuellement les petites entreprises confrontées à ce type de difficultés.

Au bout du compte, le déséquilibre entre les banques et leurs débiteurs se trouvera encore accentué, puisque les banques dicteront, sans grand contrôle judiciaire - l'homologation ne signifie pas le contrôle -, les deux nouvelles procédures en amont tout en ayant la garantie d'être créanciers de premier rang pour l'argent supplémentaire mis sur la table, donc de ne rien perdre.

En outre, les banques, principales bénéficiaires de ce projet, se retrouvent seules responsables en cas de difficultés de financement : on leur donne le droit de décider du sort de l'entreprise et des salariés. Elles pourront mettre le dirigeant sous pression puisqu'il leur sera permis, tout au long de la procédure, d'exiger le paiement de leurs créances. Enfin, pour les inciter à participer au sauvetage de l'entreprise, on reconnaît à l'argent frais qu'elles apportent dans le cadre de la conciliation un « superprivilège » qui les protège définitivement des accusations de soutien abusif.

Or, en réalité, ce sont elles qui, bien souvent, ne jouent pas le jeu pour financer les petites entreprises. L'octroi de crédits se fait selon une segmentation et une tarification fondées essentiellement sur la taille. Pire, les banquiers ne réagissent guère avant un premier défaut de paiement, même lorsque des signaux indiquent la dégradation de la situation de l'entreprise : baisse de la rentabilité, baisse du taux d'investissement, incidents avec les fournisseurs...

Comment pouvez-vous, dès lors, affirmer que c'est la réalité économique qui a dicté cette réforme ?

Loin de sauvegarder l'emploi, les nouvelles procédures permettront des licenciements sans contrôle. Prétendre défendre l'emploi en autorisant une procédure de licenciement dérégulée en cas de difficultés temporaires pour l'entreprise, c'est apporter la preuve de l'incohérence de votre approche économique. Soyez certain que cette réforme entraînera des restructurations, et donc une augmentation du chômage et de la détresse des salariés.

M. Arnaud Montebourg. Vous en paierez le prix politique !

M. Pascal Terrasse. Non seulement vous ne permettrez pas de sauver des emplois, monsieur le garde des sceaux, mais vous ne permettrez en aucune façon de limiter le nombre des faillites d'entreprises, car vous ne vous êtes pas soucié de la dimension économique du problème. Ce texte a été rédigé dans le seul souci de satisfaire la communauté bancaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Bobe.

M. Jacques Bobe. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le texte relatif à la sauvegarde des entreprises dont nous commençons l'examen constitue une avancée très importante. Il facilitera le maintien ou la reprise des entreprises dans de bien meilleures conditions qu'auparavant, puisqu'il permettra de détecter les difficultés beaucoup plus en amont, avant que la cessation de paiement ne soit constituée. Il met aussi en avant le principe de la confiance accordée, très souvent à juste titre, aux entrepreneurs, puisqu'il leur permet de démontrer, en initiant la procédure de sauvegarde, leur bonne foi et leur volonté de faire face même si leur entreprise connaît des difficultés temporaires.

La procédure de conciliation issue du règlement amiable aménagé tout comme celle qui concerne la sauvegarde mise en œuvre à l'initiative du chef d'entreprise constituent des actions préventives d'une grande utilité.

Il convient toutefois d'examiner avec attention plusieurs dispositions prévues soit dans le texte du projet de loi, soit dans les amendements proposés, en gardant toujours à l'esprit - car la complexité des procédures en cause ne doit pas nous égarer - la notion de « sauvegarde », qui est la justification même de ce projet.

Les principales observations qu'il me semble utile de formuler portent sur quatre points ; d'autres orateurs reviendront sûrement sur la critique que l'on vient de faire du rôle des banquiers dans les difficultés des entreprises.

Premier point : le choix, pour conclure la procédure de conciliation, entre une homologation par jugement du tribunal et une simple constatation de l'accord par le président du tribunal. D'expérience, j'estime que cette deuxième possibilité peut présenter des risques d'insécurité, voire d'arbitraire.

Ma deuxième remarque a trait à l'inventaire des petites créances. Afin de ne pas alourdir et allonger la procédure, quand il faut au contraire aller le plus vite possible, il me semble souhaitable de s'en tenir à la seule déclaration de ces créances, avec une date limite de présentation, en particulier pour celles qui sont inférieures à un montant déterminé. Il s'agit là aussi d'une remarque pratique tirée de mon expérience de banquier.

Le troisième point concerne le respect des clauses de l'accord de conciliation. Il convient à mon sens de préciser davantage les modalités de l'interruption de l'accord et les conséquences de celle-ci lorsque les clauses ne sont pas respectées.

Enfin, la possibilité d'un recours au régime des licenciements économiques utilisé en cas de redressement judiciaire me semble présenter deux inconvénients majeurs : d'une part, une hostilité marquée d'une partie des acteurs de l'entreprise, qui craignent que cette procédure ne se trouve ainsi facilitée et banalisée ; d'autre part, une confusion entre les différentes procédures de traitement collectif des difficultés des entreprises. Il me semble donc préférable de réserver le régime actuel des licenciements économiques à la seule procédure du redressement judiciaire. Vous avez d'ailleurs évoqué cette question à plusieurs reprises, monsieur le garde des sceaux.

Ces remarques ou réserves étant faites, il convient de féliciter très chaleureusement les auteurs du projet pour la qualité de leur texte, ainsi que la commission des lois et son rapporteur pour la pertinence des améliorations qu'ils proposent. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean Le Garrec.

M. Jean Le Garrec. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission, messieurs les rapporteurs, nous sommes relativement peu nombreux pour débattre d'un texte extrêmement important. Je vous ai écoutés avec beaucoup d'attention et j'ai lu en détail les travaux de la commission. Ne voulant pas paraphraser les excellentes interventions de MM. Giacobbi et Montebourg, je me situerai sur un terrain différent, quoique directement concerné par votre texte, monsieur le garde des sceaux : le terrain économique et social. Pour le faire, je m'appuie sur une double expérience : celle de l'homme d'entreprise que je fus longtemps, chargé notamment de l'organisation et de la formation, et celle de l'élu du Nord qui, hélas ! a assisté à tant de procédures collectives et vu tant d'entreprises en difficulté.

Vous avez dit, monsieur le garde des sceaux, que vous réécriviez le droit des procédures collectives, et non le droit du travail. Ce n'est pas si simple, parce que les conséquences de ce texte vont percuter directement les problèmes sociaux. Il en est de même de certains amendements présentés par M. de Roux ou maintenant par M. Cardo - et ces amendements se ressemblent étrangement - qui posent un problème de droit du travail, dans la mesure où ils concernent une partie du droit du travail.

Je suis depuis longtemps ces problèmes et je connais la nécessité qu'il y a de lier la sécurité des entreprises et leur développement avec la mobilisation et la protection des salariés. Cela figure, directement ou indirectement, dans le texte que vous présentez.

Pour ma part, je développerai quatre points : la prévention ; dans le cadre de la procédure de sauvegarde, le problème de l'élargissement des licenciements simplifiés ; l'éclatement potentiel de l'AGS ; le problème des PME et des PMI.

Toutes les intervenants ont évoqué la question, bien connue, de la nécessité de la prévention.

Pour de multiples raisons, évoquées hier soir en partie par M. de Roux, une entreprise peut connaître des difficultés. Mais l'on sait très bien que, lorsque nous intervenons, le feu est déjà à la maison. Même si nous parvenons à monter des dispositifs de correction, de retardement, etc., nous avons bien du mal à reprendre le fil de l'action.

Certaines raisons ont peut-être été insuffisamment évoquées par M. de Roux. Je citerai la pression énorme et grandissante qui s'exerce sur la sous-traitance, celle de la grande distribution avec la pratique des marges arrière. Par exemple, une entreprise de 150 salariées va fermer, non pas pour un problème de fabrication - activité déjà délocalisée en Tunisie puisque seul le montage final était réalisé sur le site - mais du fait des pressions sur les marges arrière, qui ont conduit l'entrepreneur à arrêter.

On aurait pu imaginer que cette procédure de sauvegarde contribuerait à la prévention. Mais, hélas, je n'y crois pas. En effet, la formule utilisée dans votre texte est tellement large, tellement ouverte, qu'elle n'oblige pas à conduire d'étude réelle, technique, précise, laquelle ne saurait se résumer à une simple étude comptable de la situation des entreprises.

Le débiteur doit en effet justifier de « difficultés susceptibles » de conduire à la cessation des paiements. Que sont ces « difficultés susceptibles » ? Le texte de la Chancellerie, en 2003, renvoyait à des « difficultés avérées », ce qui était nettement meilleur. Cet adjectif obligeait à faire preuve de précision. C'était la moindre des choses. Je sais trop que le raisonnement est le plus souvent superficiel, et pour l'essentiel comptable.

Certes, les problèmes comptables ont toute leur importance. Mais bien d'autres mécanismes entrent en jeu. Se contenter, pour introduire la procédure de sauvegarde, d'une formulation aussi lâche peut aboutir à n'importe quoi et conduire n'importe quelle entreprise à l'utiliser.

M. Arnaud Montebourg. Oui, mais ils ne veulent pas mettre en place des garde-fous !

M. Jean Le Garrec. Merci, monsieur Montebourg, de m'interrompre.

Telle est ma première grande préoccupation. Cependant, une réforme était nécessaire. Nul ne conteste en effet qu'il faille revenir sur les lois de 1985.

J'ai au moins dix cas à l'esprit, mais on pourrait les multiplier - n'oubliez pas que c'était mon métier. Les problèmes qui revenaient le plus souvent étaient liés au marketing, à la commercialisation, à l'organisation même de l'entreprise.

À ce propos, je vous signale que, dans le cadre de la politique sur les 35 heures que nous avions engagée, des dizaines de milliers d'audits ont été faits. Ce fut un des éléments importants de cette procédure, car elle obligeait l'entreprise à se pencher sur son propre système, sa propre complexité et son organisation.

Sans enquête préalable, que reste-t-il ? Uniquement une approche financière, utile, mais qui ne saurait rendre compte de la totalité des problèmes.

Selon l'article 15, avant de statuer, le tribunal peut commettre un juge. D'abord, ce n'est qu'une faculté. Ensuite, sur quoi travaillera-t-il ? Quels seront son approche, son regard ? Prendra-t-il en compte les salariés dans l'entreprise, leurs compétences ?

Monsieur le garde des sceaux, vous nous avez dit avoir discuté avec les organisations syndicales. Et l'on pourra entendre le délégué du personnel ou les membres du comité d'entreprise. Mais ce n'est pas ainsi que l'on construit un audit précis sur la situation, qui peut devenir critique, d'une entreprise. En ce domaine, la France accuse une très grande faiblesse, y compris par rapport aux autres pays.

Ma deuxième critique vient renforcer notre débat sur les licenciements comme variables d'ajustement du fonctionnement des entreprises. Le président de la commission saisie au fond a été très clair hier soir : l'amendement défendu par notre rapporteur, M. de Roux, ne visait qu'à préserver un maximum d'emplois en prévoyant une procédure de licenciement adaptée lorsque l'entreprise rencontre des difficultés particulières.

M. Paul Giacobbi. Voilà !

M. Jean Le Garrec. Et voilà le licenciement qui intervient comme variable d'ajustement !

Dans cette approche que je récuse totalement, on licencie aujourd'hui pour garantir les emplois de demain.

M. Gérard Bapt. Eh oui !

M. Arnaud Montebourg. Exactement !

M. Jean Le Garrec. Or cette approche est erronée sur le plan économique et, bien sûr, catastrophique sur le plan social.

Monsieur le garde des sceaux, je ne mets pas en doute un seul instant votre bonne volonté et votre bonne foi. Vous avez répondu de manière précise à M. Vidalies, et nous en prenons acte. Mais je suis frappé de constater que toutes les intervenants de votre majorité ont adopté cette approche du licenciement préventif comme variable d'ajustement, sans qu'il soit nécessaire de mener un audit précis sur les difficultés des entreprises.

M. Jean-Michel Fourgous. Mais avec quel argent ?

M. Arnaud Montebourg. L'argent des banques !

M. Jean Le Garrec. Cela est extrêmement contestable et dangereux : il en découle une insuffisance des procédures collectives, la non prise en compte d'un droit à reclassement, etc.

Tout compte fait, vous restez dans le droit fil de la politique que vous menez depuis deux ans : on gèle les textes de la loi de modernisation sociale, puis on les annule ; on remet en cause, dans le dialogue social, la hiérarchie des normes et le principe de valeur ; on allège et on réduit les procédures de licenciement économique. Maintenant, le licenciement peut intervenir comme mesure préventive !

La boucle est bouclée. On voit très bien la logique de votre gouvernement.

Mon troisième point concerne l'AGS. Nous avons pris acte de la déclaration du garde des sceaux à ce sujet : il s'est engagé et je ne mets pas en doute sa bonne volonté. Et puis il y a le débat ici et au Sénat. Nous verrons bien...

Reste que l'équilibre est précaire. Le prélèvement sur les entreprises a été augmenté provisoirement, jusqu'au 31 décembre, de 0,35 à 0,45 % ; un décret insensé de 2003, pourtant passé inaperçu, diminue de moitié les garanties offertes aux salariés en cas de licenciement.

M. Gérard Charasse. Absolument !

M. Jean Le Garrec. L'article 187 de votre texte élargit le champ de l'AGS. Et, en même temps, il ressort du débat sur le temps de travail que le contrat épargne-temps est devenu un réservoir où l'entrepreneur peut verser des rémunérations, des augmentations de salaire, des primes, etc. Et tout cela est garanti par l'AGS !

Le système ne peut qu'imploser ! Ou vous prolongez ou augmentez les prélèvements sur les entreprises. Ou alors vous réduisez encore, ce qui ne serait pas acceptable, les garanties apportées aux salariés.

M. Gérard Bapt. C'est ce qui va arriver !

M. Jean Le Garrec. Quoi qu'il en soit, dites-le et soyez clairs ! Mais on ne peut pas, dans le flou, considérer que l'AGS peut garantir l'ensemble de ces dispositifs.

Le MEDEF y est tout à fait opposé, la CGPME parle de détournement.

M. Arnaud Montebourg. Vous êtes seul avec votre texte !

M. Jean Le Garrec. Bien entendu, la position du MEDEF ne concerne pas la procédure de licenciement allégée, rapide. Il serait plutôt d'accord.

Ma quatrième et dernière remarque est relative aux PME et PMI, que vous avez souvent évoquées dans vos déclarations, mais pas dans ce texte, qui, je le crains bien, ne les concerne pas. D'ailleurs, un de ses articles précise qu'un décret fixera la taille de l'entreprise concernée, son nombre de salariés, son chiffre d'affaires...

M. le garde des sceaux. Pas pour l'application de la loi !

M. Jean Le Garrec. Monsieur le ministre, si je n'ai pas compris, vous aurez l'occasion de me répondre et d'apporter des précisions. Il peut m'arriver, comme à tout le monde, de me tromper, et peut-être mes craintes ne sont-elles pas fondées.

Je ne fais pas de procès d'intention, je pose des problèmes précis, qui demandent des réponses précises du Gouvernement. Ainsi pourrons-nous conduire la suite de la discussion.

Prévention, licenciement, AGS, problèmes des petites et moyennes entreprises : tels sont les quatre points que je voulais soulever avant de conclure.

Selon un article paru dans The Economist et repris dans le Courrier international du 24 février, les bénéfices explosent mais reposent sur l'appauvrissement des salariés. Cette analyse m'apparaît souvent exacte.

M. Jean-Michel Fourgous. Cela concerne quarante entreprises, toujours les mêmes, sur 2,4 millions ! Y en a marre ! C'est de la caricature !

M. Jean Le Garrec. Nous aussi, nous en avons marre et ce n'est pas de la caricature !

M. Jean-Michel Fourgous. Vous nous emmerdez toujours avec quarante entreprises !

M. Gérard Bapt. Monsieur le président, il y a des enfants dans les tribunes !

M. le président. Je vous en prie, monsieur Fourgous !

M. Jean Le Garrec. Vous n'avez pas à employer de tels mots, monsieur Fourgous ! Défendez plutôt vos idées, nous en débattrons !

M. le président. Je vous prie, monsieur Le Garrec, de conclure rapidement et, monsieur Fourgous, de laisser M. Le Garrec terminer.

M. Jean Le Garrec. Je conclurai en citant Cornelius Castoriadis, grand économiste et philosophe que vous connaissez, monsieur le garde des sceaux : « L'accroissement du chômage est désormais dans la logique de la mondialisation du capitalisme. Il est, du reste, favorablement accueilli par les couches dirigeantes qui, dans la phase actuelle, préfèrent l'existence d'un volant important de chômage pour discipliner les salariés ». Ces mots sont lourds de sens.

M. Gérard Bapt. Nous, nous disons non !

M. Jean Le Garrec. J'espère que le combat que nous menons les détournera de cet objectif.

M. Jean-Michel Fourgous. Quel combat ? Vous agitez des banderoles !

M. Jean Le Garrec. Mais je crains que cette pensée ne soit prémonitoire, si j'en juge par ce qui est en train d'être fait. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Charasse.

M. Gérard Charasse. Monsieur le garde des sceaux, la première idée d'amendement qui m'est venue à la lecture du projet de loi tendait à changer le nom du texte.

M. Alain Vidalies. Bien sûr !

M. Gérard Charasse. Parler de "sauvegarde des banques" plutôt que de "sauvegarde des entreprises" m'eût en effet semblé plus conforme au souci de clarté que le président Debré appelait de ses vœux dans le dernier bilan législatif. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Vous me permettrez de revenir en quelques mots sur le point phare de votre texte : la procédure de conciliation, qui remplacerait la procédure de règlement amiable. En fait, elle en modifie considérablement le périmètre d'application puisque le fait générateur n'est plus la cessation de paiements mais « la difficulté juridique, économique ou financière, avérée ou prévisible ». Nous sommes donc face à une procédure qui se déclenche plus vite, sur des faits moins avérés, arbitrée au final par un conciliateur, sans d'ailleurs - c'est un amendement adopté par la commission - que le parquet en soit informé, et qui évite aux créanciers, notamment les banques, d'être poursuivis pour soutien abusif.

Chacun aura compris que vous voulez à la fois déréglementer les procédures collectives, les écarter du champ juridique qui, jusque-là, leur garantit une certaine publicité et, en poussant au désintéressement des caisses publiques, socialiser les pertes.

Monsieur le ministre, les faillites d'entreprises augmentent en France depuis 2001. Nous en sommes à 49 000 aujourd'hui, contre 42 000 en 2001.

M. Arnaud Montebourg. C'est énorme !

M. Gérard Charasse. Nous sommes le mauvais élève de l'Europe avec 7 % de plus en 2003.

M. Jean-Michel Fourgous. Grâce à l'effet de la croissance sous les socialistes : zéro !

M. Gérard Charasse. Mais 90 % des entreprises concernées sont des PME. Je sais que l'on chiffre habituellement cela en milliers d'euros. Affaire de sensibilité, je le chiffre en emplois : 145 000 licenciements ! Face à ce chiffre accablant, qui vient d'ailleurs de faire passer le chômage au-dessus de la barre des 10 %, votre majorité a fait le choix de diminuer l'indemnisation des salariés victimes d'une faillite. En mai 2004, vous avez supprimé la prise en charge par l'AGS d'une indemnité de licenciement économique supérieure au minimum légal ; auparavant, en juillet 2003, vous aviez déjà divisé par deux l'indemnité maximale susceptible d'être versée en cas de non-paiement des salaires.

Dans ce contexte, et après que ce projet est resté pendant durant près d'un an dans notre assemblée, vous comprendrez que je nourrisse, avec mes collègues radicaux, quelques doutes sur la sincérité du Gouvernement lorsqu'il fait de ces mesures un volet « majeur » de sa politique économique et sociale. Je ne cacherai pas non plus mes regrets de n'avoir pas vu la précédente majorité, à laquelle j'appartenais, s'attaquer, dès la fin des travaux de la commission d'enquête sur la justice commerciale, dont j'étais secrétaire, à une vraie réforme de ce secteur. C'est ce que vous prétendez faire aujourd'hui.

Si je ne suis pas convaincu par la voie empruntée, c'est également que le bassin d'emplois qui m'a envoyé siéger dans cet hémicycle est gravement touché. La justice vient d'ailleurs, après un an, de donner raison aux salariés de Sediver, mais aussi à quelques élus, dont je suis, qui, dès le départ, avaient dénoncé un plan social illégal. J'ai publiquement regretté que, face à des faits précis, le Gouvernement et ses représentants choisissent de ne rien voir et de ne rien entendre. Et je suis triste de constater aujourd'hui, fort de la décision de justice qui vient d'être rendue, que l'État a fait, pendant un an, la promotion - parfois musclée - d'une solution illégale.

Voilà pourquoi je ne souhaite pas que les décisions économiques, dès lors qu'elles ont un impact sur l'emploi, sur la vie des familles, sur des régions entières, puissent se traiter dans les couloirs, entre des initiés qui se délivreront mutuellement des certificats d'amnistie.

Les radicaux sont viscéralement attachés à la République, à la transparence, à la clarté et à l'idée du bien commun qu'elle suppose. Ce seul argument leur suffit pour s'opposer à ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Richard Mallié.

M. Richard Mallié. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, 40 000, c'est le nombre d'entreprises qui, chaque année, sont contraintes de mettre la clé sous la porte, 40 000 forces vives, 40 000 foyers d'emplois qui disparaissent. Le métier de chef d'entreprise est encore moins facile aujourd'hui qu'hier, en ces temps où la concurrence internationale fait rage et où nos entrepreneurs doivent se battre bec et ongles pour rester dans le coup, sauver leur peau et surtout celle de leurs employés. Mais la volonté et l'énergie débordante qu'ils sont capables de mobiliser pour sortir des difficultés leur outil de travail, cette entreprise pour laquelle ils ont bien souvent tout sacrifié, ne font pas tout. Il est indispensable que les dirigeants en difficulté puissent être épaulés, soutenus, y compris par le droit.

Je tiens donc à saluer votre initiative, monsieur le ministre, de vous attaquer à un pan de notre droit qui n'était certes pas des plus modernes. Il était temps d'avoir le courage de dépoussiérer un système désuet et bien souvent inadapté, le droit des procédures collectives présentant des insuffisances considérables. C'est notamment en raison du caractère tardif et complexe de la procédure de redressement judiciaire que, chaque année, 40 000 entrepreneurs se retrouvaient en situation de cessation de paiements et étaient finalement contraints de renoncer, privant d'emploi près de 200 000 Français.

L'attitude d'ouverture qui a été la vôtre dans le cadre de l'élaboration de ce projet doit être soulignée. En allant regarder du côté de l'étranger - pourquoi pas ? - quels étaient les modèles éprouvés, vous avez adressé un signe fort à nos entrepreneurs : celui d'un gouvernement fermement décidé à fournir aux forces vives de notre pays un droit qui, s'inspirant des meilleures pratiques, privilégierait désormais la prévention et la négociation, afin que l'issue pour les entreprises qui déposent le bilan ne soit plus inéluctablement la liquidation.

À ce titre, il me semble que l'une des innovations phares de ce texte, la création d'une procédure dite de « sauvegarde des entreprises », est symptomatique de la place que notre majorité a donnée et a toujours voulu donner à l'emploi. En permettant aux chefs d'entreprise de suspendre, dès les premières difficultés, et avant même que ne soit constatée la cessation des paiements, les échéances des dettes, cette procédure leur offrira les moyens juridiques de sauver autant que possible leur activité.

Cette procédure fait également du chef d'entreprise l'acteur central de la sauvegarde : c'est sur son initiative que la procédure sera déclenchée et il gardera la gestion de la société durant toute la période. Cela est loin d'être négligeable. Si le monde des affaires n'a jamais été celui d'Alice au pays des merveilles, il ne faut pourtant pas oublier que derrière toute entreprise, notamment les plus petites, il y a un homme qui a porté un projet, l'a pensé, accouché, puis a tenté de le faire vivre ; un homme auquel il faut donner une chance de s'en sortir.

Toutefois, si je salue l'esprit de cette initiative, il me semble que certaines dispositions proposées dans le texte mériteraient d'être corrigées. C'est notamment le cas de la révision des procédures de sauvegarde et de redressement judiciaire après deux mois. Je crains que cette remise en cause systématique des procédures si tôt après leur ouverture ne crée une situation d'attentisme généralisé qui paralysera nécessairement le redémarrage de l'entreprise.

De la même manière, dans le cadre de la nouvelle procédure dite de conciliation ouverte aux débiteurs en cessation de paiements depuis moins de quarante-cinq jours, la publicité donnée à l'accord qui aura été conclu est à mon sens une erreur. Une telle publicité entraînera inexorablement une période d'extrême fragilité pour l'entreprise, dans la mesure où tous ses partenaires seront informés de ses difficultés sans que l'accord intervenu ait pu être mis en place. Et nous savons que les partenaires d'une entreprise ne sont pas là pour faire du mécénat ! On peut raisonnablement penser que les fournisseurs de la société exigeront un règlement immédiat des achats. Si la transparence est nécessaire, dans un tel cas, précipiter l'information risque de précipiter aussi l'entreprise à sa perte.

Quand une famille décide de s'engager dans un vaste ménage de printemps, elle ne sait jamais ce qu'elle va retrouver derrière les meubles. Il en va de même en politique : lorsque l'on décide de sortir du fond des tiroirs un dossier lourd et poussiéreux, on ne sait jamais ce qu'on va vraiment y trouver, ni si on parviendra à lui redonner quelque éclat. Pourtant, l'opération de nettoyage du droit des procédures collectives que vous avez entreprise me semble vouée à la réussite. Par le texte que vous nous soumettez aujourd'hui, vous nous donnez, monsieur le ministre, une fois de plus la preuve que le Gouvernement refuse l'archaïsme et qu'il continuera, avec force, à chasser les araignées. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Arnaud Montebourg.

M. Arnaud Montebourg. Hier, le rapporteur a cru pouvoir qualifier l'un des orateurs de « fumiste », mot qui a été repris par la presse. Je constate qu'il n'est pas là pour écouter ses collègues s'exprimer sur le texte ! Je demande une suspension de séance en attendant qu'on le retrouve.

M. Richard Mallié. « Fumiste » : le mot était trop faible !

M. le président. La suspension est de droit.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures quarante, est reprise à dix-huit heures cinquante.)

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à M. Gérard Bapt.

M. Gérard Bapt. Monsieur le ministre, nul ne peut nier que la prévention des difficultés des entreprises ne représente un enjeu majeur pour notre économie, pour les chefs d'entreprise et pour les salariés concernés.

Quel est le député qui n'a pas entendu des chefs d'entreprise se plaindre de liquidations précipitées, voire suspectes, de leur entreprise, sans que des mesures sérieuses de sauvegarde aient été prises ? Quel député n'a pas entendu des chefs d'entreprise regretter que leur offre de reprise d'une entreprise en redressement ait été rejetée par le tribunal de commerce, comme si le principal souci était de liquider au plus vite, sans considération pour l'activité et l'emploi ?

La faiblesse judiciaire des procédures collectives existantes pour sauvegarder les entreprises en difficulté jointe à la défiance des chefs d'entreprise à l'égard des tribunaux de commerce avait conduit le gouvernement Jospin à programmer une réforme d'ampleur de la justice commerciale. Elle concernait les tribunaux de commerce, les professions liées au fonctionnement de la justice commerciale et les lois Badinter. Malheureusement, seule la réforme des professions de la justice commerciale a été adoptée - a minima - en janvier 2003, ce qui a surtout permis d'augmenter les rémunérations des professions concernées. Cela vient appuyer nos critiques concernant la procédure de sauvegarde proposée par votre projet de loi : celle-ci ne concerne que des entreprises qui ne sont pas en cessation de paiement mais elle implique la nomination, dès son ouverture, d'intervenants très divers dont les émoluments, exigibles juste après les salaires, pilleront les fonds des PME concernées ! Dans bien des cas, elle mettra l'entreprise en cessation de paiement alors qu'elle ne l'était pas !

La réforme des tribunaux de commerce engagée par le gouvernement Jospin, sous l'impulsion de notre collègue Arnaud Montebourg, a été bloquée par votre majorité : elle reste à faire pour que les chefs d'entreprise et les salariés retrouvent confiance dans la justice commerciale.

Il serait important que les artisans entrent dans le corps électoral des tribunaux de commerce. Cela renforcerait leur crédibilité, et ils en ont bien besoin.

J'en viens maintenant à la critique des dispositions de votre projet de loi. Il nous inquiète car il donne une position dominante et protégée aux organismes de crédit dans la procédure de règlement amiable. Il en change la nature puisque la procédure devient mixte, ouverte non seulement aux entreprises éprouvant une difficulté juridique, économique ou financière avérée ou prévisible, mais aussi à celles en cessation de paiement depuis moins de quarante-cinq jours. Elles auront le choix entre la procédure de conciliation et la procédure classique de redressement judiciaire. Le projet indique que la procédure de conciliation ne peut être ouverte qu'à l'initiative du débiteur. En réalité, tant en raison de la faible confiance des entrepreneurs dans la justice commerciale que de la publicité donnée à la procédure, il y a peu de chances que le débiteur se rende spontanément devant le tribunal de commerce. Ce seront plutôt les créanciers, face à la menace d'une demande d'ouverture en redressement judiciaire, qui vont obliger leur débiteur à demander une procédure de conciliation. Celle-ci sera donc une procédure contrainte pour le débiteur, lequel risque d'être définitivement fragilisé par la publicité donnée lors de l'homologation de l'accord. Il serait donc utile de prévoir une disposition alternative de confidentialité.

Mais, surtout, la procédure de conciliation telle que prévue par le projet de loi accorde une situation dominante outrancière aux organismes de crédit. En effet, une banque aura un triple intérêt à l'ouverture d'une procédure de conciliation.

D'abord, celle-ci sécurise le nouvel apport que la banque peut consentir pour permettre la poursuite d'activité de l'entreprise. Cet apport bénéficiera en effet d'un privilège par rapport à toutes créances nées avant l'ouverture de la conciliation. On peut même penser que cet apport nouveau permettra d'honorer des engagements bancaires anciens, ce qui sera alors doublement sécurisant et favorable à l'établissement de crédit concerné.

En second lieu, la banque sera protégée contre le « soutien abusif » - sauf fraude -, y compris dans le cas de figure que je viens de citer.

Enfin, elle sera par avance amnistiée pour des actions antérieures à la date de cessation des paiements, puisque celle-ci peut être fixée jusqu'à dix-huit mois avant l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire.

Le comportement habituel des organismes de crédit en France nous conduit à prévoir qu'ils abuseront de la procédure de conciliation, qui sera ainsi détournée de son objectif affiché.

Une autre de nos inquiétudes réside dans le fait que des patrons indélicats pourraient détourner la procédure pour échapper au délit de banqueroute.

Les salariés sont, quant à eux, abandonnés à leur triste situation.

D'une part, ils sont pénalisés par la décision du Gouvernement de diviser par deux l'indemnité maximale susceptible d'être versée par l'AGS en cas de non-paiement des salaires, et ce d'autant plus que le périmètre des créances qui leur sont dues a été réduit par la loi du 4 mai 2002 relative à la formation professionnelle. De plus, l'effectivité du super privilège des salariés a été mise à mal au cours des dix-huit derniers mois avec la monétarisation du compte épargne-temps prévue par la réforme du temps de travail qui vient d'être votée. L'intervention de l'AGS n'est pas prévue dans le cadre de la procédure de conciliation, alors que l'entreprise peut être en cessation de paiements.

D'autre part, la commission des lois a voté un amendement afin d'étendre à la procédure de sauvegarde la procédure allégée de licenciement économique applicable lors d'un redressement judiciaire, alors que le projet de loi n'autorise que l'application du droit commun des licenciements.

Par ce texte, monsieur le ministre, votre majorité porte une nouvelle atteinte aux droits des salariés des entreprises concernées, ainsi qu'au droit social. Elle considère le licenciement comme une mesure de prévention des difficultés pour des entreprises qui ne sont pas en cessation de paiement. Le vote par le Parlement de cette disposition priverait les salariés des protections prévues par un plan social et du droit au reclassement.

Pour nous, la sauvegarde de l'entreprise vise à assurer, non seulement la continuation de l'entreprise, mais aussi la pérennité de l'emploi. Les mesures de réorganisation de l'entreprise ou de nature financière ne doivent pas être négligées au profit d'une plus grande facilité pour licencier.

Un texte visant à la sauvegarde des entreprises doit avoir pour objectif de diminuer le chiffre des 300 000 licenciements générés par les 54 000 faillites observées en 2004.

Le projet de loi est trop vague quant aux conditions dans lesquelles les créanciers publics pourraient consentir des remises d'impositions ou de cotisations dues, au profit du débiteur. Si cette possibilité n'est ouverte que sous condition d'un effort consenti par les créanciers privés, aucune limite n'est fixée quant à la proportion existant entre efforts publics et efforts privés. C'est d'autant plus inacceptable que les créanciers bancaires intègrent le risque dans leurs taux d'intérêt, ce qui n'est pas le cas pour les créances publiques. Aussi proposerons-nous par amendement d'encadrer le dispositif pour limiter cette dérive potentielle.

En définitive, ce projet de loi instaure des procédures qui, en s'enchaînant les unes aux autres, peuvent constituer une formidable machine à broyer les entreprises, à l'inverse de l'objectif affiché, au profit du système bancaire et au détriment des salariés. Il participe aussi au démantèlement du droit social.

Nous y sommes donc fondamentalement opposés. Nous essaierons néanmoins, au cours du débat, d'en limiter les dégâts par nos amendements. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Fourgous. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean Le Garrec. Voilà le « très libéral » qui monte à la tribune !

M. le président. Ne criez pas avant d'avoir mal !

M. Alain Vidalies. Nous avons pris nos précautions : nous avons mis des casques !

M. Jean-Michel Fourgous. Des casques lourds !

M. le président. Vous avez la parole, monsieur Fourgous.

M. Jean-Michel Fourgous. Monsieur le ministre, mes chers collègues,...

M. Alain Vidalies. Jusque-là, ça va !

M. Jean-Michel Fourgous. ...dans le monde de l'entreprise, il faut à la fois pousser les entreprises qui montent et ne pas lâcher celles qui tombent.

Avec la loi Dutreil, le Gouvernement a réussi la première partie de ce programme : 230 000 entreprises ont été créées, soit 30 % de plus qu'en 2000. Bravo ! C'est un record depuis des décennies. C'est impressionnant.

La future loi Jacob sur les PME permettra d'aller encore plus loin puisqu'elle concernera la transmission, le financement, le statut des chefs d'entreprise et de leurs conjoints, ainsi que - et c'est très important aussi - la participation des salariés. Autant de sujets essentiels pour renforcer et sécuriser l'esprit d'entreprise. L'entreprise et l'emploi marchand en général n'ont pas bonne presse en France. Il faut à l'évidence changer cet état d'esprit.

Avec le présent projet de loi de sauvegarde des entreprises, vous vous ataquez, monsieur le ministre, à la seconde partie du programme : ne pas lâcher les entreprises qui tombent. C'est une bonne initiative, en particulier pour nos PME, qui ne bénéficient pas des mêmes facilités que les grandes entreprises pour faire face aux difficultés.

Je rappelle que la BDPME a un budget de 240 millions d'euros pour plus d'un million d'entreprises, petites et moyennes tandis que la SNCF a, à elle seule, 12 milliards d'euros par an pour 180 000 personnes. L'injustice est flagrante et unique au monde.

En France, lorsque l'on parle de l'entreprise, on pense trop souvent aux grandes. Il n'est que d'entendre les discours tenus sur le CAC 40 pour s'en rendre compte ! On ne cesse d'attaquer, de pilonner, de martyriser, de harceler nos petits chefs d'entreprise en faisant croire à leurs salariés qu'ils réalisent des profits exorbitants ! C'est intenable, et insoutenable.

Je sais qu'il y a des gens qui vivent de cela : ils ont pour stratégie d'instrumentaliser les chefs d'entreprise pour vendre de la haine et monter les salariés contre les chefs d'entreprise. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Je trouve cette démarche bien triste.

La réalité économique de notre pays est pourtant faite avant tout de petites entreprises, PME et PMI, qui se battent au quotidien pour décrocher des marchés, créer des activités, et donc de l'emploi.

M. Gérard Bapt. Ne commencez pas à parler comme M. Breton !

M. Jean-Michel Fourgous. Il faut, pour comprendre ce qu'est cette réalité, avoir un jour vendu un produit à un client, avoir un jour su décrocher un marché !

M. Paul Giacobbi. Sur ces bancs, nous sommes aussi nombreux, sinon plus, que sur les vôtres à avoir dirigé des entreprises !

M. Jean-Michel Fourgous. Je demande à voir.

M. Paul Giacobbi. Vous n'avez pas le monopole en la matière !

M. Jean-Michel Fourgous. Si : la droite a, indiscutablement, le monopole de la création de richesses !

M. Paul Giacobbi. Parce que vous croyez que nous n'avons pas créé d'entreprises ?

M. Jean-Michel Fourgous. Vous, vous vivez du système public ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Alain Vidalies. C'est vraiment caricatural !

M. Jean-Michel Fourgous. On ne le dira jamais assez : l'entreprise est le premier moteur de solidarité, puisqu'elle redistribue plus de 90 % de son chiffre d'affaires TTC. L'entreprise, c'est l'abbé Pierre ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Elle redistribue pour payer les salaires des Français, nos hôpitaux, nos écoles, nos crèches, ainsi que, ne l'oublions pas, nos fonctionnaires !

M. Gérard Bapt. Parce que les hôpitaux ne créent pas de richesse ? C'est scandaleux d'entendre ça !

M. Jean-Michel Fourgous. Sachez que, en France, sur 100 euros de chiffre d'affaires TTC net d'impôt, le vilain chef d'entreprise que vous ne cessez de vilipender et de harceler,...

M. Arnaud Montebourg. Ce n'est pas notre langage. Vous n'avez pas dû participer aux débats !

M. Jean-Michel Fourgous. ...touche en général moins de 1 %. On est bien loin de vos discours !

J'ai entendu dans cet hémicycle un député de gauche, élu au suffrage universel, dire qu'il fallait faire rendre gorge aux chefs d'entreprise.

M. Gérard Bapt. N'a-t-il pas dit carrément les « égorger » ?

M. Jean-Michel Fourgous. Un autre a dit, il y a quelques mois : « Il faut faire des lois contre les entreprises ». Alors, messieurs, gardez vos leçons de morale !

Chaque entreprise qui meurt, c'est un peu moins de solidarité. Or nos petites entreprises sont les premières victimes des retours de conjoncture ; 90 % des procédures portent sur les entreprises de moins de dix salariés.

Vous avez vous-même constaté, monsieur le ministre, que les procédures collectives actuelles étaient trop tardives, trop lourdes. Elles rendent ainsi impossible le sauvetage réel des entreprises en difficulté.

Car les entreprises sont aussi les premières victimes de notre système à la française : un droit le plus souvent inspiré de la lutte des classes, mais qui ne correspond pas à la réalité économique d'un pays moderne. C'est pour cela que notre chômage n'est ni structurel, ni conjoncturel ; le chômage français est culturel. Il est dans la tête de certains. C'est eux qui le fabriquent.

M. Jean-Pierre Balligand. C'est honteux de dire ça !

M. Jean-Michel Fourgous. Résultat : pour 90 % des entreprises en difficulté, c'est la liquidation, avec son cortège de drames humains, sociaux et économiques, dont certains vivent, d'ailleurs.

Quelquefois, une petite entreprise en difficulté a besoin de 15 000 euros pour s'en sortir, mais elle ne les trouve pas. Ses dix salariés seront indemnisés par l'UNEDIC, qui paiera jusqu'à 150 000 euros. Tout cela parce que l'entreprise n'aura pas trouvé les 15 000 euros nécessaires. En effet, la petite entreprise est méprisée, elle n'est ni aidée, ni soutenue dans notre pays.

Pour votre projet de loi, vous avez consulté. Bravo monsieur le ministre, et je m'en réjouis. La prise en compte de cette culture des PME, trop souvent ignorée, est une nécessité pour notre pays.

Le projet de loi qui nous est présenté aujourd'hui va résolument dans le bon sens, pour soutenir nos entreprises les plus vulnérables, sauver nos emplois et assurer une croissance durable. Plus de rapidité, plus de simplicité, plus de pédagogie, pour mieux accompagner, mieux préparer, c'est très bien.

Lorsque l'entreprise connaît des difficultés, cela ne signifie pas forcément que le chef d'entreprise ait fauté, comme on l'entend très souvent. Il peut perdre brutalement un marché, un client, être victime d'un revers de marché soudain.

M. Alain Vidalies. Personne ne dit le contraire !

M. Jean-Michel Fourgous. Le chef d'entreprise ne vit pas sur l'impôt. S'il a des difficultés, s'il perd un client, il ne peut pas augmenter les impôts, il ne peut pas augmenter la dette.

Je salue donc l'esprit de ce projet qui marque un changement de culture. Il valorise le chef d'entreprise, le premier de cordée. Sa bonne foi est distinguée, il reçoit des réponses adaptées. La malhonnêteté est sanctionnée. Par ces innovations, ce projet de loi introduit donc un état d'esprit nouveau : l'alerte, la procédure de sauvegarde.

Il s'agit de tout faire pour permettre à l'entreprise d'assurer sa continuité. Je souhaite donc insister sur la proposition réaliste de notre rapporteur Xavier de Roux.

M. Alain Vidalies. Et voilà !

M. Jean-Michel Fourgous. Tous ceux qui connaissent la vie d'une entreprise privée - celle qui recherche ses marchés sans l'aide du système public, en un mot le vrai privé - ...

M. Paul Giacobbi. Quand vous en connaîtrez autant que certains d'entre nous, vous pourrez parler !

M. Jean-Michel Fourgous. ... savent que le temps est compté en cas de difficulté. Le chef d'entreprise doit pouvoir prendre rapidement les bonnes décisions. Les procédures doivent être au service de l'emploi et de la continuité.

Or, pour sauver l'entreprise et ses emplois, il faut parfois prendre des mesures courageuses. Celles-ci peuvent passer par un ajustement des effectifs. Raccourcir les délais des procédures est donc indispensable. Durant cette période, vous courez le risque d'aller au casse-pipe, au dépôt de bilan et à la liquidation, donc au licenciement de l'ensemble des salariés.

Lorsque vous licenciez tous les salariés, il faudra un nouveau prélèvement pour payer l'indemnisation des chômeurs. Un prélèvement, à chaque fois, d'un milliard d'euros, cela peut détruire ou empêcher de créer environ 30 000 emplois. Il faut être conscient que, en créant des impôts, on détruit avant tout la richesse de ce pays et les emplois.

Il faut prendre conscience qu'un chef d'entreprise ne licencie pas par plaisir, comme on l'entend souvent dire ici ou insinuer, ce qui est encore pire. Respectons ces gens qui font la richesse, l'honneur de ce pays.

Lorsque nous serons confrontés, demain, à la concurrence asiatique en Europe et en France, il faudra aider et aimer un peu plus nos chefs d'entreprise. Nous n'avons qu'un seul objectif : sauver les emplois qui peuvent l'être et réembaucher dès que possible.

Monsieur le ministre, avec un taux de chômage de 10 %, nous devons faire preuve de responsabilité et abandonner les postures idéologiques, destructrices d'emplois. Le premier acquis social est de sauver l'emploi, même Jacques Delors le dit.

Si nous ne faisons rien et maintenons des délais beaucoup trop longs, nous savons ce qui va se passer.

J'en appelle donc à votre sens des responsabilités, monsieur le ministre, pour que ce projet de loi, tant attendu et si novateur, soit à la hauteur des espérances et sauvegarde les entreprises, en particulier les plus vulnérables, qui ne sont pas souvent entendues dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Arlette Grosskost.

Mme Arlette Grosskost. Mesdames, messieurs, intervenant en fin de discussion générale, je serai inévitablement amenée à répéter certains propos qui ont déjà été tenus par mes collègues. Je vous prie par avance de bien vouloir m'en excuser.

Pour contrer la morosité économique et pour soutenir l'emploi, le Président de la République entendait que soit menée une politique ambitieuse, notamment en faveur des petites et moyennes entreprises.

L'objectif consistant à créer un million d'entreprises en cinq ans est en très bonne voie - on l'a rappelé à plusieurs reprises - et sera vraisemblablement dépassé grâce à la politique conduite depuis deux ans par le Gouvernement, notamment par le biais de la loi sur l'initiative économique.

La loi « entreprise », qui sera présentée par M. Jacob dans les semaines à venir, viendra en complément. Elle traitera plus particulièrement l'aide au développement de ces entreprises et la facilitation de leur transmission.

Dans la même veine, il devenait capital de se pencher sur le volet tout aussi important dans la vie d'une entreprise qui est celui de la période où cette dernière pourrait connaître des difficultés, dans le but bien compris de sauvegarder la grande majorité d'entre elles et de stabiliser autant que faire se peut les défaillances qui touchent toutes les régions de France.

S'il s'avère toujours d'actualité que plus de la moitié des défaillances concernent des jeunes entreprises ayant moins de cinq ans d'existence, des entreprises de plus en plus nombreuses et bien plus anciennes connaissent le même sort.

Que constate-t-on aujourd'hui compte tenu des textes en vigueur ?

Je rappelle que 90 % des procédures se soldent par une liquidation judiciaire - la procédure de liquidation dure en moyenne plus de quatre ans - et parmi ce pourcentage la très grande majorité concerne les PME et TPE qui n'ont pas réussi à s'organiser suffisamment en amont, faute de moyens ou de compétences, pour détecter les premières difficultés, les interpréter et surtout utiliser les leviers existants pour les contrer.

Selon un avis quasi unanime, le principal écueil du système actuel réside dans le fait que les dossiers des entreprises en difficulté sont trop tardivement traités. Par ailleurs, la pratique fait ressortir un fort décalage entre la loi et la réalité financière des dossiers présentés à la barre.

Il était donc urgent, eu égard au contexte économique mouvant qui nécessite réactivité et adaptabilité, de redonner une cohérence au dispositif légal, afin de renforcer les moyens de prévention, et plus généralement de privilégier l'approche économique et contractuelle des dossiers au détriment de la méthode en vigueur, essentiellement juridique et comptable.

Le texte présenté aujourd'hui répond sans nul doute à ces impératifs. Il permettra aux entreprises de franchir - je l'espère - avant qu'il ne soit trop tard les portes des tribunaux de commerce, pour qu'elles se placent sous la protection de la loi, contraindra les créanciers et particulièrement les banques, qui se montrent très frileuses, à s'asseoir autour d'une table pour apporter de l'argent frais et négocier avec les débiteurs un rééchelonnement de la dette ; enfin, il préservera les droits des salariés et renforcera la procédure d'alerte.

De surcroît, le texte présenté répare une inégalité de traitement en étendant le champ d'application des procédures collectives aux professionnels indépendants et libéraux. J'observe à ce titre que le droit local alsacien-mosellan a bien joué son rôle de laboratoire des régions législatives pour avoir fait bénéficier depuis fort longtemps les professionnels non commerçants des faillites civiles.

Une autre application éminemment positive du texte consiste dans le fait qu'il cherche à dédramatiser le dépôt de bilan pour poser deux postulats : d'une part, il n'est pas infamant d'échouer dans la création d'une entreprise ; d'autre part, tout doit être fait pour que l'entrepreneur soit en mesure de rebondir.

En tout état de cause, l'élément phare de ce projet est celui de la procédure de sauvegarde, qui vient s'insérer avant la date fatidique de la cessation de paiements et qui demandera au chef d'entreprise d'effectuer une démarche volontariste auprès du tribunal de commerce.

Permettez-moi d'ouvrir une parenthèse, pour regretter que l'on n'ait pas profité de ce nouveau texte pour mettre à plat la définition de la cessation de paiement. Le choix a été fait de maintenir la notion ancienne, laquelle me paraît artificielle, quelque peu fourre-tout. Elle aurait mérité d'être clarifiée.

M. Arnaud Montebourg. Rien ne vous empêche de le faire, ma chère collègue ! Déposez des amendements : la discussion est possible !

Mme Arlette Grosskost. Il vous importait, monsieur le ministre, non plus de guérir des entreprises malades, mais de détecter dès que possible les faiblesses susceptibles de porter atteinte à la vie de l'entreprise.

Comme je l'ai dit à plusieurs reprises, la préservation de nos entreprises doit pouvoir permettre l'alerte pragmatique du chef d'entreprise, dès que les contours des difficultés économiques apparaissent et avant même qu'un plan de sauvegarde soit mis en œuvre. Un dispositif de « clignotants » pourrait ainsi plus rapidement prévenir l'entrepreneur de l'apparition de difficultés de gestion, et, à ce titre, une remontée d'informations de la part d'organismes tels que l'Urssaf ou l'administration fiscale me semble primordiale.

Plus généralement, il serait intéressant de mettre en œuvre davantage de cellules de prévention et de diagnostic. On pourrait y associer tous les professionnels du chiffre et du droit, lesquels, par une sorte de guide des bonnes pratiques, permettraient de mieux renseigner le chef d'entreprise, pour lui permettre de faire l'économie de quelques procédures.

Vous aurez compris que la notion d'alerte n'est en rien abstraite, mais est bien la pierre angulaire de la sauvegarde des entreprises.

Je souhaite également rappeler qu'un dépôt de bilan sur quatre est la conséquence de la défaillance d'un client, et qu'il convient très rapidement, dans ce cas précis, de réagir en adaptant son compte d'exploitation. La réalité des faits doit primer sur le débat purement idéologique que d'aucuns entendent nous imposer.

J'estime pour ma part que la sauvegarde des entreprises doit s'inscrire dans une obligation de résultat maximale : couper une branche malade pour préserver l'arbre, voilà le but à atteindre. L'hypocrisie n'est pas de mise ! Donnons-nous les moyens !

Or force est de constater que le carcan de notre droit social représente un véritable frein pour les chefs d'entreprise qui se voient dans l'obligation d'ajuster la masse salariale par voie de réduction d'effectifs, et ceci uniquement pour préserver l'entreprise et l'emploi des autres salariés. Chaque mois qui passe a un coût s'il y a des sureffectifs. Ce coût plombe la trésorerie et donc l'entreprise.

L'insertion d'un droit social dérogatoire, au stade de la sauvegarde, me paraît être une mesure indispensable pour une restructuration réussie, gage d'une pérennité réaffirmée.

M. Arnaud Montebourg. Nous y voilà ! Merci de votre honnêteté !

Mme Arlette Grosskost. J'ai bien conscience que des inquiétudes peuvent naître au motif que la procédure de sauvegarde pourrait être utilisée comme un instrument de gestion accélérée des sureffectifs. Mais j'ai également confiance dans les professionnels du droit, qui sauront faire la différence et soulever quand il le faudra l'abus de droit.

J'ai entendu tout à l'heure la proposition de M. Houillon d'associer les salariés. Je souscris pleinement à cette solution.

Trois points essentiels sont à mon avis encore à souligner sur le caractère innovant de ce projet de loi.

Le premier concerne la faculté ouverte au tribunal de prononcer la liquidation judiciaire en même temps que le plan de cession. Cette mesure apparaît comme particulièrement cohérente pour concilier les impératifs économiques et la sécurité juridique.

En conséquence, il me paraît inopportun de rétablir la possibilité de cession lors du redressement judiciaire, car dédoubler cette possibilité - l'une en redressement, l'autre en liquidation - serait source de confusion. De plus, le maintien du commissaire au plan ajoute à l'insécurité juridique.

Deuxième point important : la procédure de liquidation simplifiée est particulièrement adaptée, selon moi, aux petites entreprises. Elle permettra un traitement rapide du dossier, offrant ainsi aux chefs d'entreprise la possibilité de rebondir plus vite.

Dernier point : le régime juridique de la responsabilité. Le projet permet de distinguer clairement les chefs d'entreprise de bonne foi et ceux de mauvaise foi, en adaptant les réponses à chacun d'entre eux. Le débiteur malchanceux sera ainsi distingué du maladroit, et le sort des débiteurs malhonnêtes sera aggravé. Cette distinction me semble fondamentale, notamment pour permettre aux dirigeants de petites entreprises d'espérer refaire surface et de ne plus être marqués du sceau de l'infamie.

En conclusion, je salue un projet de réforme courageux et réaliste. Courageux parce qu'il s'agit d'une réforme ambitieuse, et réaliste parce qu'il apporte une réponse pragmatique, respectueuse de l'intérêt collectif, et destinée à sauvegarder notre tissu économique, essentiellement composé de petites et moyennes entreprises. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, messieurs les rapporteurs, permettez-moi de répondre aux observations qui ont été faites depuis le début du débat. M. de Roux, rapporteur du projet, que je remercie pour la qualité de son travail, a retracé les étapes successives du droit des procédures collectives. Il a souligné que la réforme de 1984-1985 avait été faite en considération des intérêts du débiteur dans une économie administrée. La réforme de 1994 en a pris le contre-pied en s'attachant à redéfinir la place des créanciers. Aujourd'hui, comme le rapporteur l'a souligné, c'est un texte équilibré qui vous est proposé : favorable ni aux uns ni aux autres, mais à tous les acteurs de la vie économique et sociale.

Dans ce cadre, M. de Roux a, avec M. Houillon, souligné la révolution que constitue la nouvelle procédure de sauvegarde. De fait, notre droit était en la matière obsolète. Nombre de pays connaissent un régime de prévention des difficultés préalable à la cessation des paiements, avec suspension provisoire des poursuites : les États-unis bien sûr, mais aussi la Grande-Bretagne, l'Allemagne, l'Italie et la Belgique. Il était donc temps de mettre notre droit à niveau. Néanmoins, la procédure de sauvegarde ne copie aucun droit étranger, mais retient ce qui peut être utile dans notre pays. Je veux notamment souligner qu'elle ne reprend pas trois caractéristiques importantes du chapitre 11 américain : le déclenchement de la procédure par les créanciers, la remise en cause des droits des salariés et la forte judiciarisation de la procédure.

Je veux indiquer à M. Le Garrec que la procédure de sauvegarde s'appliquera à toutes les entreprises, le seuil ne concernant que la mise en place obligatoire des comités de créanciers.

M. Jean Le Garrec. Dont acte.

M. le garde des sceaux. M. Chartier souligne à juste titre le changement d'esprit qui doit accompagner cette réforme. Il a insisté, de même que Mme Grosskost à l'instant, sur la nécessaire information qui permettra de la faire bien connaître : en effet, il ne faut pas limiter l'usage de la conciliation et de la sauvegarde au tribunal de commerce de Paris qui avait initié, dans le passé, le règlement amiable. Notre tâche sera de faire passer le message. Il faut, comme l'a relevé le président Clément, que les acteurs économiques s'approprient les nouvelles procédures. Cela sera possible grâce à ce texte dont l'approche est plus économique que judiciaire.

M. Giacobbi a mis en doute la constitutionnalité du projet de loi : je veux le rassurer. Le Conseil constitutionnel a déjà eu l'occasion de se prononcer sur le droit des procédures collectives dans une décision de janvier 1985 relative à la réforme Badinter. Cette décision a notamment jugé que « la loi a pu, sans être astreinte à prévoir quelques indemnisations que ce soit, modifier le rang des créances assorties de sûretés réelles à l'avantage de créanciers qui, depuis l'ouverture de la procédure, ont concouru à la réalisation de l'objectif d'intérêt général de redressement des entreprises en difficulté ». Cette décision permet ainsi de mettre en place des dispositifs favorables à ceux qui aident l'entreprise en difficulté. C'est ce qui fonde les dispositions de la conciliation relatives aux privilèges de « l'argent frais ».

M. Montebourg et plusieurs orateurs du groupe socialiste ont estimé que le texte privilégiait les banques. Or chacun sait que les banques ont toujours été opposées à la création d'un régime de suspension des poursuites avant la cessation des paiements. La procédure de sauvegarde constitue une avancée décisive. J'ai à plusieurs reprises eu l'occasion de dire que la concertation préalable à l'élaboration du texte a été indispensable et qu'elle a permis de convaincre les représentants du système bancaire français de faire cet important pas en avant.

En outre, le régime de la sauvegarde est favorable aux petites et moyennes entreprises. En effet, comme l'a souligné M. Houillon, les cautions personnes physiques bénéficieront du plan, ce qui remet en cause l'efficacité des sûretés antérieurement prises par les banques. Enfin, par le biais du vote des comités, vote pondéré - j'insiste sur ce point très important, sorte de révolution culturelle dans le droit concernant les entreprises en difficulté -, les banques réticentes à aider l'entreprise se verront imposer un effort général. Il y a là une innovation très importante. L'ensemble de ces dispositions s'inscrivent dans un texte d'équilibre uniquement tourné vers la sauvegarde des entreprises et des emplois.

S'agissant de la conciliation et de la sauvegarde, je veux rassurer M. Mallié. Les délais permettront de parvenir à l'élaboration d'un accord, même s'ils seront plus longs qu'il ne l'a affirmé : cinq mois pour la conciliation, environ six mois pour la sauvegarde, dont quatre mois dans les comités pour définir le plan.

Plusieurs d'entre vous sont intervenus sur le régime de la cession totale de l'entreprise. M. Houillon et Mme Comparini ont indiqué leur souhait de permettre de telles cessions non seulement en liquidation mais aussi en redressement judiciaire. Mme Grosskost a, au contraire, marqué sa préférence pour le projet tel qu'il vous est proposé, à ses yeux plus efficace économiquement et plus lisible juridiquement. Je suis pour ma part ouvert sur cette question à une évolution du projet quant à des cessions totales en redressement judiciaire. En revanche, je veux, reprenant les propos de Mme Grosskost, vous dire l'absolue nécessité de scinder la fonction de commissaire au plan. Ce texte doit constituer un progrès en matière de transparence et de clarté dans les responsabilités des uns et des autres. C'est la raison pour laquelle je pense que nous pourrons y revenir au cours du débat. On ne peut en effet conserver des règles qui ignorent la spécificité des métiers et comportent des logiques différentes de rémunération.

Les interventions ont également été nombreuses sur la question du droit de licenciement. Je me suis à plusieurs reprises expliqué sur cette question, mais je tiens à répondre aux inquiétudes exprimées par Mme Lebranchu, M. Charasse ou M. Terrasse. J'ai pourtant fait connaître clairement ma position : cette loi n'est pas une loi relative au droit du travail. Dans mon esprit, il s'agit d'agir avant que l'entreprise ne soit en difficulté. L'objectif principal de ce texte est de préserver l'emploi, et en préservant l'entreprise, on préserve l'emploi. À mes yeux, dans cette phase, on ne doit pas pouvoir recourir à des procédures dites simplifiées. Telle est la position que je défends.

Je remercie divers orateurs de la majorité, notamment M. Bobe, d'avoir souligné la justesse de ce choix. Il y va de la cohérence de la nouvelle procédure de sauvegarde.

Je veux aussi rappeler que la prise en compte de l'emploi est au cœur de ce projet. En effet, la définition de la sauvegarde, contrairement à ce qu'a pu croire M. Le Garrec, intègre pleinement cet impératif. Aux termes de l'article 15 du projet, la procédure de sauvegarde « est destinée à la réorganisation de l'entreprise afin de permettre la poursuite de l'activité économique, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif. »

Il s'agit de tenir compte de la situation économique de l'entreprise et non de s'inscrire dans une démarche purement financière, comme je l'ai entendu dire tout à l'heure.

Par ailleurs, l'intervention de l'AGS me paraît normale en période de sauvegarde et ne doit pas conduire à aggraver les charges de cette institution. Un certain nombre d'entreprises sont aujourd'hui en difficulté. Nous leur proposons de recourir à des dispositifs complémentaires. Je ne vois pas en quoi ces dispositifs augmenteraient le nombre d'entreprises connaissant des difficultés à caractère économique. Le dispositif de sauvegarde devrait nous aider à augmenter le taux de récupération, aujourd'hui très faible, dont bénéficie l'AGS, et nous aurons l'occasion d'aller plus loin par le biais d'amendements.

La rénovation des sanctions et aussi l'un des points forts du texte. Il faut, comme l'ont dit M. Fourgous et M. Nicolas, réhabiliter le droit à l'échec pour l'entrepreneur, le droit à la seconde chance, je l'ai dit dans mon intervention liminaire. Il y a dans notre pays des femmes et des hommes qui ont le courage de prendre des risques, qui vont de l'avant dans un environnement économique très difficile. Il faut donc accepter qu'il y ait des échecs, et que ceux-ci ne doivent pas entraîner des sanctions excessives. Nous devons bien sûr sanctionner sévèrement les patrons voyous, mais aussi donner une seconde chance aux autres, car notre capacité d'innovation et notre potentiel de croissance ne sont pas si grands. Ce texte doit encourager ces femmes et ces hommes qui créent et développent des petites et moyennes entreprises. Mais nous ne tolérerons pas, comme l'a dit M. Demilly, le comportement des patrons voyous.

Je remercie Mme Comparini d'avoir établi un lien entre ce texte et le droit européen. Le règlement communautaire du 29 mai 2000 relatif à la reconnaissance mutuelle des procédures d'insolvabilité prévoit des règles particulières lorsqu'un débiteur a un établissement dans un État membre différent de celui de son siège. Je vous confirme que, contrairement à la conciliation, la sauvegarde est une procédure d'insolvabilité, au sens de ce règlement européen. Après l'adoption de la loi, nous déclarerons la procédure de sauvegarde auprès des instances communautaires, afin qu'elle soit intégrée dans l'annexe de ce texte de 2000. Ainsi, cette procédure sera opposable et sera reconnue par les juges des autres pays européens. À cet égard, l'exemple de Flodor, cité par M. Demilly, montre la justesse de cette orientation.

Mesdames, messieurs les députés, au terme de cette rapide réponse, je veux vous redire ma conviction que ce texte représente un vrai progrès pour l'emploi et pour la croissance économique de notre pays. Il s'adresse tout spécialement aux petites et moyennes, qui constituent à la fois une chance pour notre nation et le gisement d'emplois le plus important de notre territoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

    3

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

M. le président. Ce soir, à vingt et une heures trente, deuxième séance publique :

Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi, n° 1596, de sauvegarde des entreprises :

Rapport, n° 2095, de M. Xavier de Roux, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République,

Avis, n° 2099, de M. Jérôme Chartier, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures trente.)

        Le Directeur du service du compte rendu intégral
        de l'Assemblée nationale,

        jean pinchot