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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Troisième séance du mardi 2 mai 2006

203e séance de la session ordinaire 2005-2006

PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LUC WARSMANN

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures.)

Immigration et intégration

Suite de la discussion, après déclaration d’urgence, d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi relatif à l’immigration et à l’intégration (nos 2986, 3058).

Question préalable

M. le président. J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable, déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du règlement.

Je rappelle que la conférence des présidents a fixé à trente minutes la durée maximale de l’intervention.

La parole est à M. Serge Blisko.

M. Serge Blisko. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué à l’aménagement du territoire, mes chers collègues, c’est avec un sentiment de tristesse et d’angoisse que je tiens ce projet de loi entre mes mains. L’objet de la question préalable est de savoir s’il y a lieu de délibérer, comment et sur quoi. Je vais tout de suite vous livrer ma conclusion : mieux vaudrait rejeter ce projet de loi d’emblée tant celui-ci fait appel à des analyses fausses et repose sur une idéologie pour le moins troublante. Je vais essayer de vous en convaincre.

Ce projet de loi est d’abord fait pour servir vos intérêts électoraux en instrumentalisant l’immigration, qui n’est pas une problématique facile, nous le savons tous.

Je pourrais vous reprocher aussi votre manque d’imagination, y compris dans les slogans. Il y a dix jours M. Sarkozy déclarait : « si certains n’aiment pas la France, qu’ils ne se gênent pas pour la quitter ».

M. Bernard Roman. Scandaleux !

M. Serge Blisko. Ce n’est que la traduction de la formule de la vieille droite réactionnaire américaine : « America : love it or leave it ».

Vous n’avez rien inventé. Mais vous avez commencé à attiser la xénophobie et à développer le mythe récurrent de l’étranger délinquant, fraudeur, voire criminel. Or il n’y a rien de pire dans ce domaine que de jouer sur les fantasmes et les peurs. Nous le savons assez : depuis vingt ans, le débat politique est empoisonné par cette question. Toutefois, ce projet de loi marque un changement radical dans la perception de l’immigration et des immigrés.

Le problème, monsieur le ministre, c’est que ce n’est pas seulement une carrière ou un score dans les sondages qui sont en jeu aujourd’hui, mais la vie de milliers de personnes. Ce texte, en tout point déshumanisant, condamne des familles entières à l’instabilité, à la précarité, à la clandestinité. Il ne répond en rien à la problématique extrêmement complexe des flux migratoires. Il entend traiter un stock, gonflé de façon imaginaire, mais sa seule efficacité sera d’augmenter le nombre des situations humaines intolérables.

Ce projet de loi se caractérise d’abord par une obsession du chiffre. Il ne résulte pas d’un travail sérieux : ni bilan, ni mise en perspective, ni écoute des différents acteurs alors qu’il s’agit d’un domaine très controversé où les chiffres diffèrent selon les instituts et centres d’études, si sérieux soient-ils. Mais je crains que le seul calcul qui prévale ici soit le calcul électoral.

Vous adoptez une méthode comptable en considérant les immigrés sous le seul angle de leur utilité économique et sociale, en les classant en catégories statistiques. Vous croyez convaincre par ces chiffres et ces classifications mais ceux-ci ne peuvent cacher l’absence d’humanité de vos objectifs.

Le calcul politique prévaut. Sans attendre l’application intégrale de votre première loi du 26 novembre 2003 et sans en tirer un premier bilan, vous nous soumettez un nouveau texte. Mais nous n’avons pas trouvé d’explication convaincante à cette soixante et onzième révision de l’ordonnance de 1945 sur l’entrée et le séjour des étrangers, à laquelle vous mêlez, de façon inappropriée, le droit d’asile. Permettez-nous dès lors de nous interroger sur l’opportunité de votre démarche.

L’élaboration de votre projet s’est caractérisée par l’absence de consultation préalable des organisations syndicales, alors que les conditions de l’immigration liée au travail sont profondément modifiées. Le ministère des affaires sociales, premier concerné, en particulier par la réforme des centres d’accueil pour demandeurs d’asile, n’a, quant à lui, eu son mot à dire que bien tardivement.

Vous n’avez pas consulté non plus la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH. Dois-je ici vous rappeler l’engagement qu’a pris le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, le 3 octobre 2002, de saisir cette commission de tous les projets du Gouvernement dès lors qu’ils auraient une incidence directe sur les droits fondamentaux que les citoyens se sont vu reconnaître par les lois et par les traités internationaux ratifiés par la France ? En 2003, cette instance avait d’ailleurs dû s’autosaisir. Elle indiquait dans son avis du 15 mai de la même année : « l’on ne saurait borner la politique d’immigration à sa seule dimension policière tant il est vrai que le développement des flux migratoires est dans la nature d’un monde de plus en plus globalisé. La Commission s’interroge sur la pertinence d’une approche qui tiendrait pour acquise la liberté des échanges commerciaux, financiers et de l’information, tout en astreignant les hommes à résidence dans leurs propres pays. » Elle avait aussi relevé une « suspicion trop fréquente à l’égard des étrangers ainsi qu’un manque de moyens administratifs particulièrement criant ». On ne saurait mieux dire. Depuis 2003, je le crains, rien n’a changé.

Vous êtes pressés, trop pressés. Le projet de loi présenté ici ne tient pas compte non plus des recommandations du rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur l’immigration clandestine. Et pour cause, me direz-vous, ce rapport n’est paru que le 7 avril 2006 alors que votre projet de loi a été déposé le 29 mars.

M. Thierry Mariani, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Eh oui !

M. Serge Blisko. Mais n’aurait-il pas été plus prudent et plus respectueux pour le Parlement d’attendre les conclusions des sénateurs avant de légiférer ?

M. le rapporteur a pour sa part beaucoup consulté les associations et les organisations syndicales, je le reconnais volontiers, …

M. Thierry Mariani, rapporteur. Merci !

M. Serge Blisko. …mais le projet a été très peu modifié.

Alors même que l’immigration est une question difficile, nécessitant un réel débat, vous avez ignoré tous les avis. Loin du dialogue ou du réalisme, vous avez refusé délibérément de prendre en compte les avis et les conclusions d’instances légitimes qui, depuis vingt ans, tentent de nous éclairer dans ce débat.

L’immigration est vue à travers le prisme comptable. Depuis 2003, vous dites que les chiffres s’améliorent en citant, par exemple, l’augmentation des reconduites à la frontière. Mais nous savons bien que ces chiffres sont spécieux. Ces reconduites s’effectuent en majorité dans deux ou trois départements d’outre-mer ou collectivités, comme Mayotte. De plus, le problème ne se résout pas en mettant toujours plus de personnes dans les avions pour les renvoyer dans leur pays d’origine.

Je vais donner un exemple pour illustrer la détestable méthode Sarkozy, qui consiste à lancer dans la presse des chiffres avant même qu’ils ne soient vérifiés pour finalement taire pudiquement la suite des événements, en particulier lorsque ces chiffres sont infirmés.

M. Sarkozy a ainsi annoncé en novembre 2005, au moment des émeutes urbaines, que 120 étrangers, en situation régulière ou non, devaient être condamnés pour violence et faire l’objet sans délai de mesures d’expulsion.

M. Bernard Roman. Il n’y en avait qu’un !

M. Serge Blisko. En réalité, ces 120 personnes citées étaient interpellées et non condamnées. Et finalement, sept jeunes sont concernés dont un seul est expulsé.

M. Bernard Roman. Il faudra que le Gouvernement donne des explications à ce sujet !

M. Serge Blisko. Encore une fois, il s’agit d’un effet d’annonce sans suite. Heureusement d’ailleurs, car voir cent vingt jeunes chassés de notre pays aurait été insupportable. Voilà la démonstration que la réalité est très différente des chiffres que vous annoncez.

De la même manière, nous n’avons aucune idée de ce qu’est la fameuse pression migratoire. Vous annoncez entre 200 000 et 400 000 étrangers en situation irrégulière…

M. René Dosière. Ce qui ne représente que 0,5 % de la population !

M. Serge Blisko. …en vous hâtant d’ajouter que notre pays n’a pas les moyens de les supporter. Mais dois-je vous faire remarquer que ces chiffres ne recouvrent pas des situations de grande clandestinité ? La plupart du temps, il s’agit de personnes que l’administration tarde à convoquer alors que leurs papiers ont expiré. Elles se retrouvent dans une situation irrégulière alors qu’elles n’ont absolument rien fait d’irrégulier.

M. Bernard Roman. Oui, nous les voyons dans nos permanences.

M. Serge Blisko. Dans notre pays, la proportion d’immigrés en France reste stable depuis près de trente ans et s’établit entre 6 et 7 % de la population alors même que l’on nous parle de pression migratoire accrue, d’afflux et même d’invasion.

Nous avons procédé à des consultations auprès des syndicats et des associations, notamment le collectif « Non à l’immigration jetable ». Et il faut bien voir que derrière ces chiffres, il y a des situations humaines concrètes : des individus vont devoir remplir des objectifs quantitatifs pluriannuels déterminés par le Gouvernement. L’illogisme est criant. Les individus ne sont pas des pions, on ne peut pas les faire entrer, en poussant, en bourrant, en rabotant les coins, dans vos cases fixées en fonction d’opportunités politiques et d’échéances électorales. La réalité n’a rien à voir avec vos objectifs politiques ou les problèmes d’image de telle ou telle personnalité.

Vous bafouez les principes républicains. En multipliant les obstacles, vous niez le droit qu’ont les membres d’une famille de pouvoir vivre ensemble, droit protégé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Car derrière le terme de regroupement familial, il faut voir le mal-vivre de familles séparées, d’enfants privés de leur père et de leur mère. Vous déstabilisez la famille, cellule de base de la société, particulièrement pour les populations les plus fragiles. Vous rendez plus précaires encore des situations déjà difficiles et vous exposez à la marginalité des enfants déracinés.

M. Bernard Roman. Très juste !

M. Serge Blisko. Je pense à ces jeunes mineurs que nous parrainons grâce au réseau « Éducation sans frontières ». En plein milieu d’une année scolaire, ils encourent le risque d’être expulsés de notre pays, alors même qu’ils sont entourés d’amis et soutenus par des professeurs, exemples même d’insertion par l’école, quel que soit leur niveau. Et ce n’est pas une description mélodramatique, mais la triste réalité de ce pays.

M. Bernard Roman. C’est scandaleux !

M. Serge Blisko. Les églises chrétiennes ont considéré qu’en attaquant frontalement l’immigration familiale, en la désignant comme une immigration subie, vous faites le malheur de ces familles et vous bafouez les principes républicains et humanistes que nous devrions, je crois, tous partager.

Votre obsession de la catégorisation transpire de ce texte. Les étrangers classés dans la catégorie « stagiaires » ou « étudiants » seront ainsi assez bons pour bénéficier de la carte « compétences et talents ». Derrière cette catégorisation se cache une hiérarchisation inacceptable et absurde. Car dans cette fuite en avant, vous allez finir par vous embourber dans vos propres contradictions.

Vous tentez de concilier les phobies traditionnelles de l’extrême droite et un point de vue moderniste, libéral au sens économique du terme, qui tendrait à répondre aux besoins de main-d’œuvre des entreprises françaises. Pensez-vous réellement qu’en donnant l’image d’une France refermée sur elle-même, soupçonneuse et pleine d’embûches administratives, vous allez faire de notre pays un pôle d’attractivité pour les compétences et les talents ? Soyez assurés que les étrangers talentueux choisiront une autre destination, plus sympathique et riante, lorsqu’ils verront ce que sera devenue la France si votre projet de loi est adopté. Et votre intention affichée de recruter les meilleurs éléments n’y fera rien. Ils préféreront partir au Canada plutôt qu’en France.

En outre, le système que vous mettez en place est totalement stupide. Je lisais aujourd’hui la liste des professions ouvertes aux ressortissants des nouveaux pays d’Europe de l’Est qui, depuis hier, peuvent entrer sans grande restriction – et c’est heureux – dans notre pays. On y trouve à la fois des ingénieurs atomistes, des médecins de haut niveau mais aussi des laveurs de carreaux.

M. Jean-Pierre Brard. Pour laver les carreaux de l’UMP ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Christian Vanneste. Monsieur Brard, votre niveau baisse d’heure en heure ! Et il n’était déjà pas très élevé !

M. Jean-Pierre Brard. Et vous, monsieur Vanneste, vous avez la vue qui baisse !

M. Serge Blisko. Or, vu le nombre de tours de bureaux qui se construisent ici ou là, nous aurons besoin demain de laveurs de carreaux. Allez-vous réellement délivrer une carte « compétences et talents » à un laveur de carreaux venu d’outre-mer ? Heureusement que le ridicule ne tue pas !

Autre question : que fait-on des compétences et talents déjà en France, ceux qui ne trouvent pas leur place, ceux qui ont le droit d’être médecin dans nos hôpitaux mais qui n’ont pas le droit de s’installer dans la rue à côté de l’hôpital, même avec un diplôme français, simplement parce qu’ils sont étrangers ? Va-t-on leur dire qu’ils sont compétents, mais sans talents puisque peu payés, qu’ils sont utiles mais qu’ils n’ont pas droit à la carte « compétences et talents » car ils sont arrivés sur notre territoire avant la promulgation de cette loi ?

M. Bernard Roman. Très bonne question !

M. Serge Blisko. On se retrouvera avec des personnes compétentes et talentueuses avec des statuts différents suivant leur date d’entrée sur notre territoire. Voilà qui est pernicieux et inégalitaire.

Cet utilitarisme sans principes est une idéologie dangereuse qui ne répond en rien à la problématique mondiale de l’immigration.

On joue sur des peurs, des fantasmes. Délinquant, criminel, bénéficiaire frauduleux des prestations sociales : telle est l’image de l’immigré que vous véhiculez. En particulier, vous ne faites toujours pas de distinction entre demandeur d’asile et immigré. Faut-il vous rappeler que le droit d’asile est reconnu par la Constitution et la convention de Genève du 28 juillet 1951 et qu’en aucun cas ce droit imprescriptible ne doit être soumis à des aléas de crédits, de coûts ou amendé dans une perspective sécuritaire et répressive, ce qui n’empêche pas, comme le disait M. Mariani, de traiter plus rapidement et avec plus d’humanité les demandeurs d’asile pour qu’ils soient fixés sur leur sort dans des conditions convenables ?

Arrêtons aussi de penser que nous sommes menacés par une invasion de demandeurs d’asile puisque leur nombre ne cesse de diminuer dans notre pays. Les statistiques montrent qu’ils étaient 60 000 l’année dernière. Il faut savoir que des pays bien plus pauvres et bien plus en difficulté que le nôtre accueillent la majorité des 17 millions de réfugiés et demandeurs d’asile du monde. 60 % des 17 millions de réfugiés relevant du HCR ont trouvé asile en Afrique ou en Asie. Avec un ratio de 0,8 demandeur d’asile pour mille habitants, la France se place au dixième rang européen des pays d’accueil. Où est l’invasion, où est la menace ? Rien de tout cela : pas d’afflux massif de demandeurs d’asile, pas de fraudeurs, simplement des gens qui fuient une situation difficile, des réfugiés politiques, et dont les dossiers sont examinés en toute sévérité par l’OFPRA et la commission des recours des réfugiés.

M. Thierry Mariani, rapporteur. Et en toute honnêteté !

M. Serge Blisko. Effectivement, lorsqu’ils accordent des moyens suffisants à chaque dossier. Mais ne mettez pas la pression sur l’OFPRA pour qu’il fasse du chiffre !

Cessez de stigmatiser et de renforcer le mythe des étrangers profiteurs d’une France trop généreuse, d’abord parce que sa générosité mériterait d’être reconsidérée, ensuite parce qu’un tel discours ne peut provoquer que haine et incompréhension. Je le répète, monsieur le rapporteur, ce texte ne marque pas un équilibre entre les utopistes, les angéliques, ceux qui laisseraient entrer tout le monde et l’extrême droite, mais se rapproche terriblement des incompréhensions et des ferments de haine que lance l’extrême droite.

J’en viens maintenant à la politique d’intégration telle que vous la définissez. Vous insistez, à juste titre, sur la nécessaire intégration, sur la meilleure intégration possible des étrangers en France, mais je crains que cette disposition ne cache un autre dessein.

Avant tout, je rappelle que le contrat d'accueil et d'intégration souffre de nombreuses lacunes, notamment le nombre insuffisant de plates-formes et leur manque de moyens. En commission, vous avez indiqué, monsieur le rapporteur, que chaque département ou presque disposait d’une plate-forme d’accueil et d’intégration. Je n’en suis pas sûr.

M. Thierry Mariani, rapporteur. Chaque région !

M. Serge Blisko. En Lorraine, par exemple, il n’y a que deux plates-formes, à Metz et à Épinal, puisque Nancy n’en a pas. En tout cas, comme vous nous l’avez dit en commission des lois, il est très difficile de demander à quelqu’un qui travaille toute la journée de faire cinquante ou soixante kilomètres le soir pour venir apprendre le français. Beaucoup abandonnent, non par mauvaise volonté, mais tout simplement par manque de moyens.

Nous ne croirons à ce que vous appelez une politique volontariste d’intégration que le jour où vous y consacrerez plus de moyens, lorsque ce ne sera plus quelque chose que vous agiterez de temps en temps.

Vous fermez la porte à des voies naturelles d’intégration, en remettant en cause la carte de résident de dix ans et, plus encore, en supprimant la régularisation après dix ans passés sur le territoire français. L’argument que vous invoquez pour la supprimer me paraît parfaitement démagogique. Vous prétendez que ce n’est pas parce qu’on a été irréguliers pendant dix ans qu’on devrait être pardonnés la onzième année et qu’on aurait tout à coup des droits. La situation est complexe, elle évolue. Il ne s’agit pas d’un crime. Dix ans, c’est tout de même quelque chose dans un processus d’intégration. Après tout ce temps, allez-vous dire à quelqu’un qui est restée en France, a fondé une famille et commencé à travailler qu’il n’aura jamais de papiers vu qu’il est entré sur notre territoire de manière irrégulière ? Vous les condamnez à perpétuité, à la clandestinité, à l’irrégularité, à des comportements frauduleux et déviants, et avec eux leur descendance.

M. Bernard Roman. Tout à fait !

M. Serge Blisko. Comme l’a excellemment démontré tout à l’heure M. Roman, vous les vouez à une situation que le père spirituel de M. Sarkozy a mise en place depuis maintenant une vingtaine d’années, je veux parler des « ni-ni » de M. Pasqua : ni expulsables, ni régularisables, c'est-à-dire une masse de femmes, d’enfants, de jeunes et d’adultes. Dès lors, on aboutit à des problèmes qui nous poursuivront encore pendant des dizaines d’années parce qu’ils ne partiront pas puisqu’ils sont intégrés de facto à la France.

M. Christian Vanneste. Selon vous, parce qu’ils ont enfreint la loi pendant dix ans, ils sont intégrés ?

M. Serge Blisko. De la même manière, vous condamnez les personnes qui n’ont pas les bons papiers au bon moment – je n’aime pas le terme de sans-papiers – (Exclamations et rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jérôme Rivière. C’est de la dialectique !

M. Serge Blisko. …à la précarité, au travail clandestin, à un logement indigne, aux marchands de sommeil, à une existence de fantômes dans nos villes.

M. Christian Vanneste. À quoi sert-il de faire une loi ?

M. Bernard Roman. Monsieur Vanneste, avez-vous déjà vu les files d’attente dans les préfectures ? On n’a pas les moyens de les recevoir !

M. Jean-Pierre Brard. Souvenez-vous de vos grands-parents, mesdames, messieurs du groupe UMP !

Mme Arlette Franco. Justement !

M. Jean-Pierre Brard. Vous les reniez !

M. Serge Blisko. M. Sarkozy parlait cet après-midi avec beaucoup d’émotion des incendies d’août 2005. Mais on est toujours dans la même situation. Récemment, dans le 13e arrondissement dont je suis maire, la préfecture de police a procédé à l’expulsion d’un immeuble qu’elle avait longtemps refusé de reconnaître comme insalubre. Croyez-vous qu’il y avait une solution de relogement ? Savez-vous où ils sont ? Ils campent dans le jardin d’à côté. Rien n’a été prévu ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Bernard Roman. C’est scandaleux !

M. Jean-Marie Le Guen. Sangatte à Paris : voilà la réalité !

M. Richard Mallié. Il faut les accueillir dans les jardins de la mairie ! Que fait le maire ?

M. Serge Blisko. La mairie a relogé, mais quand elle demande quelque chose à la préfecture, elle n’obtient rien ! Voilà la réalité !

M. Richard Mallié. Que fait le maire de votre ville ?

M. Serge Blisko. Il reloge ! Combien de personnes reloge-t-on dans vos communes ?

M. Jean-Pierre Brard. Et les 20 % de logements sociaux à Neuilly-sur-Seine ?

M. le président. Mes chers collègues, seul M. Blisko a la parole !

M. Serge Blisko. En mai 2003, la CNCDH s'interrogeait déjà sur la notion de conditions d’intégration. Selon elle, cette disposition « ouvre la porte à tous les arbitraires, sachant de plus que l'on ne saurait définir lesdites conditions d'intégration comme l'assimilation à un mode de vie défini de manière intangible par les autorités publiques ». En effet, rien n'est plus flou que la condition d'intégration dans la société française que vous allez exiger désormais.

Prenons un exemple banal qui m’est déjà arrivé : oublier de payer un PV sera-t-il considéré demain par un service administratif ou de police comme la preuve d'un refus d'engagement personnel à respecter les principes qui régissent la République française ?

M. Bernard Roman. Eh oui ! C’est l’arbitraire !

M. Serge Blisko. Demain, ne pas payer un PV pourra constituer une preuve de non-intégration et de non-respect des lois. Voilà comment, avec de prétendues bonnes intentions, parce qu’on est dans le flou, le subjectif, parce que le subjectif se nomme en termes juridiques l’arbitraire, on peut arriver à précariser des populations entières.

Les fondements idéologiques de ce projet de loi sont caricaturaux.

Mme Nadine Morano et M. Richard Mallié. C’est vous qui caricaturez !

M. Serge Blisko. Pour vous, l'immigré ne serait qu'un clandestin venu profiter des allocations, sans volonté d'intégration, usant frauduleusement du mariage ou de la paternité de complaisance. Vous voulez multiplier les contrôles et mettre en place un programme que je définirai de gouvernance par l’inquiétude. Le projet de loi est absurde et inefficace. Vous allez véhiculer une image de la France très dommageable, tout cela sans obtenir de résultats – nous prenons rendez-vous solennellement – quant aux flux migratoires dont vous savez qu’ils ne peuvent pas être maîtrisés par un projet de loi, aussi bien ficelé soit-il, parce qu’ils résultent du grand chambardement du monde.

Ce n’est ni de votre faute ni de la nôtre si aujourd’hui le monde connaît la misère, les désarrois, les guerres civiles, et si les écarts entre le Nord et le Sud se creusent.

M. Christian Vanneste. Vous êtes en fait un ultralibéral ! Vous niez toute valeur à la loi !

M. Serge Blisko. Plutôt que de travailler sur le codéveloppement, vous érigez une falaise au pied de laquelle la France endormie pourra se protéger en fermant les yeux sur tout ce qui se passe dans le monde. Pire, votre codéveloppement consiste à piller les rares élites formées à grands frais dans leur pays d’origine.

M. Richard Mallié. Vous n’avez pas lu le texte !

M. Serge Blisko. Vous voulez attirer les médecins et les ingénieurs formés dans ces pays en leur faisant croire, à tort, qu’ils pourront rester chez nous, alors qu’ils manqueront cruellement dans leur pays.

M. René Dosière. C’est le pillage des cerveaux !

M. Serge Blisko. La carte « compétences et talents » continuera à appauvrir une partie du monde et à faire en sorte que la matière grise devienne, demain, comme la matière première, une marchandise qui peut s’acheter sur le marché mondial. Il y a là quelque chose de profondément choquant, d’anti-humaniste.

M. Richard Mallié. Quel scandale d’entendre cela !

M. Serge Blisko. En, conclusion, la circulaire du 21 février 2006, que nombre d’associations ont condamnée avec beaucoup d’émotion, montre bien que vous allez chercher les clandestins, y compris dans les préfectures, en leur donnant des rendez-vous pièges pour pouvoir les arrêter sur-le-champ, ou pire, dans les hôpitaux, les salles d’opération. Jusqu’où ira cette maladie de la traque qui donne de notre pays une image bien peu flatteuse et qui nous rappelle des temps qu’on aurait voulu révolus ?

Dans ce projet, le Front national et Philippe de Villiers retrouveront beaucoup de leurs présupposés idéologiques ; d’ailleurs, on vous accuse de plagiat. Il vous reste encore une chance de corriger ce texte. Si vous ne le pouvez pas, parce qu’il s’inspire trop des conceptions de la fraction extrémiste de l’échiquier politique, nous vous demandons solennellement de le retirer. Il faut retravailler avec les associations, les syndicats, les forces vives de la nation, avec les églises, pour arriver à un projet un peu plus présentable.

Le ministre de l’intérieur a dit qu’il en avait plus qu’assez d’être en permanence obligé de s’excuser d’être Français. Chacun a les références qu’il veut. Je préfère de loin, quant à moi, me référer à la belle image de notre pays qui a toujours accueilli des étrangers de partout, lesquels sont devenus, avec le temps, fils de France, non par le sang reçu mais par le sang versé ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Bernard Roman. On attend des réponses.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire.

M. Christian Estrosi, ministre délégué à l’aménagement du territoire. Monsieur Blisko, votre défense de la question préalable a l’immense mérite, par rapport à l’exception d’irrecevabilité, d’afficher clairement votre engagement politique. Vous ne cherchez pas à vous camoufler derrière la prétendue inconstitutionnalité du texte, même si vos positions politiques sont diamétralement opposées à celles du ministre d’État et de la majorité.

Néanmoins, je ne peux laisser sans réponse certaines de vos remarques, notamment celles que vous avez faites à propos des chiffres. Les chiffres que le ministre d’État a cités dans son discours...

M. Jean-Marie Le Guen. Il n’est même pas là ce soir !

M. Richard Mallié. Et Ayrault, et Hollande, et Fabius ?

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. ...sont ceux qui figurent dans le rapport remis au Parlement en février. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Si ces explications vous gênent, ne les écoutez pas, monsieur Roman. Cela vous dérange-t-il qu’il y ait, depuis 2003, un rapport sur les orientations de la politique d’immigration présenté à l’Assemblée nationale, comportant des chiffres communiqués en toute transparence à toute la représentation nationale ? (« Non ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Auparavant, sous la précédente législature, vous vous gardiez bien d’une telle pratique !

Les chiffres cités proviennent du rapport remis au Parlement en février dernier. Ils sont sur la table et, pour que cesse toute polémique, je rappelle que, tout à l’heure, le ministre de l’intérieur, conformément à une proposition du rapporteur, a suggéré la création d’une commission composée de représentants de l’administration et de la société civile, pour qu’ils donnent leur avis. Ainsi, l’impartialité dans ce domaine serait totalement garantie. Je ne comprends pas pourquoi vous n’adhérerez pas à une telle démarche au lieu de continuer à donner des leçons à la tribune !

Vous nous accusez de renouer avec le mythe de l’étranger fraudeur, délinquant, criminel ! Mais nous voyons bien que, depuis 1981, c’est vous qui entretenez les mêmes obsessions. Cela fait maintenant près d’un quart de siècle que vous ne pensez qu’à une chose, et M. Fabius vient encore de le prouver : régulariser massivement l’ensemble des étrangers en situation irrégulière dans notre pays. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) À force de jouer aux apprentis sorciers, vous aboutissez toujours – mais sans doute est-ce la règle – à faire monter les extrêmes. C’est tellement facile d’essayer de diviser !

M. Patrick Braouezec et M. Jean-Marie Le Guen. Ces propos sont inacceptables !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. C’est pourtant simple : l’immigration subie, c’est une folie et une fausse générosité ! Nous avons fait le choix d’une politique qui repose sur l’immigration choisie.

M. Patrick Braouezec. Cela ne veut rien dire !

M. Bernard Roman. 6 000 personnes sur 150 000 !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Tout en répondant à l’attente des Français, nous essayons d’offrir le respect et la dignité à celles et ceux que nous accueillons sur notre territoire.

M. Patrick Braouezec. Ce sont des mots !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Pour nous, un immigré, c’est un homme ou une femme que l’on ne peut impunément « stocker » dans un hôtel insalubre, au risque de sa sécurité, comme cela s’est malheureusement passé récemment à Paris. Remplacer une misère par une autre misère est un jeu politique méprisable.

M. Jean-Marie Le Guen. Que Neuilly accueille donc les immigrés ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Je retiens surtout de votre intervention cette phrase d’anthologie, monsieur Blisko : « Les sans-papiers, ce sont ceux qui n’ont pas les bons papiers au bon moment. » Autant dire que, pour vous, il n’y a pas de règles, ni de lois ! Quelle attitude pour un élu de la République ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Mais nous voulons vous rendre service en évitant, avec ce texte, que les socialistes aient à s’excuser dans quelques années d’avoir été, une fois de plus, naïfs, comme ils ont dû le faire à propos de l’insécurité. Vous avez choisi la caricature stérile, nous répondons par la dignité et le respect, par la fermeté et la justice !

L’exposé de la question préalable a mis en évidence la confrontation de deux visions de la société, de deux conceptions de la politique d’immigration. C’est pourquoi j’appelle le Parlement à rejeter la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Thierry Mariani, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Je n’ai rien à ajouter au propos de M. le ministre, mais je voudrais apporter deux ou trois précisions à M. Blisko, pour éviter tout malentendu qui risquerait de faire déraper le débat.

À propos des laveurs de carreaux, je signale tout d’abord à M. Brard qu’il y a sûrement plus de vitres à nettoyer place du colonel Fabien...

M. Jean-Pierre Brard. Je n’y suis plus !

M. Thierry Mariani, rapporteur. ...qu’au siège de l’UMP. Venez voir par vous-même ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Au-delà de la boutade, le laveur de vitres ne relève pas de la carte « compétences et talents » qui est réservée à des talents particuliers : sportifs, scientifiques, et autres.

M. Patrick Braouezec. Quel mépris pour les autres !

M. Thierry Mariani, rapporteur. L’étranger recevra la carte prévue à l’article 10 qui autorise l’exercice d’une activité professionnelle, dans l’esprit de ce qui vient d’être fait pour les métiers désormais accessibles aux ressortissants de l’Europe de l’Est.

S’agissant du droit d’asile, nous devons cesser de battre notre coulpe. L’opposition déclare qu’il est remis en cause depuis que Nicolas Sarkozy est ministre. En 1999, 4 400 titres de séjour étaient délivrés pour ce motif, contre 11 000 aujourd’hui.

M. Bernard Roman. Il n’y a pas que ça !

M. Thierry Mariani, rapporteur. Sans doute avons-nous donné des moyens suffisants à l’OFPRA pour traiter les dossiers en suspens et faire ainsi en sorte que les étrangers qui méritaient de se voir accorder l’asile l’obtiennent. À elle seule, la France a délivré l’année dernière 50 % des titres de séjour relevant de la convention de Genève accordés dans toute l’Europe. Arrêtez donc de dire que notre pays met en cause les droits de l’homme ! Si nous acceptons autant de demandeurs d’asile que les vingt-quatre autres pays européens, nous n’avons sans doute pas grand-chose à nous reprocher !

Quant à la circulaire du 21 février 2005, elle n’a pas apporté d’éléments nouveaux. Elle ne fait que récapituler les conditions d’interpellation prévues dans les lois et circulaires. Je rappelle que Nicolas Sarkozy a immédiatement précisé par écrit, pour lever toute ambiguïté, qu’il n’était pas question d’interpeller les sans- papiers dans les hôpitaux,...

M. Jean-Marie Le Guen. Si ! La circulaire parle même des salles d’opération ! L’intervention des chaussettes à clous améliorera sûrement l’hygiène ! (Sourires.)

M. Thierry Mariani, rapporteur. Nous sommes pour des mesures fermes, mais justes.

Enfin, concernant le nombre de reconduites à la frontière, le chiffre fourni, c’est-à-dire 20 000, s’entend hors outre-mer. Dans les DOM-TOM, l’ordre de grandeur était le même l’année dernière qu’en métropole, soit 40 000 expulsions au total.

Comme M. le ministre, je trouve extraordinaire la définition : « Un sans-papiers, c’est quelqu’un qui n’a pas les bons papiers au bon moment. » Monsieur Blisko, vous le savez, le plus souvent, les sans-papiers sont entrés régulièrement et se sont maintenus irrégulièrement. C’est pourquoi la loi de 2003 a créé le visa biométrique qui permettra à tous ceux « qui n’ont pas la chance d’avoir les bons papiers au bon moment » de retrouver leur adresse.

Pour toutes ces raisons, je vous invite, en tant que rapporteur, à repousser la question préalable et à prouver ainsi que l’opposition, c’est ne pas avoir les bons votes au bon moment ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Rappel au règlement

M. Bernard Roman. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. La parole est à M. Bernard Roman, pour un rappel au règlement.

M. Bernard Roman. Mon rappel au règlement est fondé sur l’article 58, alinéa 1er.

Dans l’exposé de la question préalable, M. Blisko a posé une question très précise au Gouvernement sur une pratique que nous dénoncerons à de nombreuses reprises au cours de la discussion, et qui consiste à asséner des chiffres comme des vérités, à en tirer des conclusions en termes législatifs, avant que l’on se rende compte que les chiffres en question sont faux !

Ainsi, M. Nicolas Sarkozy a annoncé devant l’Assemblée nationale que, dans le cadre des procédures judiciaires consécutives aux problèmes des banlieues, « 120 jeunes étrangers avaient fait l’objet de poursuites, et qu’il mettrait tout en œuvre pour que ces 120 jeunes soient expulsés. » Six mois plus tard, voici la réalité : sept d’entre eux ont fait l’objet de procédures et un a été expulsé. Est-ce vrai ou faux ? Si c’est vrai, pourquoi le ministre a-t-il menti ? Si c’est faux, pourquoi changer la législation ?

Reprise de la discussion

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Alain Marsaud, pour le groupe UMP. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Bernard Roman. Le ministre ne répond pas ?

M. Richard Mallié. Un rappel au règlement n’appelle pas de réponse du Gouvernement !

M. le président. Monsieur Marsaud, vous avez la parole.

M. Alain Marsaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames et messieurs, il n'y aurait pas lieu aujourd'hui de délibérer et donc de légiférer sur un phénomène qu’on tente de contrôler avec le succès que l’on sait depuis trente ans : l'immigration et l'intégration !

J'en déduis que, pour les défenseurs de la question préalable, il n'y a pas de problèmes d'immigration en France ni de difficultés liées à l'intégration et qu’il n’y a qu'à attendre, assis sur son derrière, que les choses se passent, quitte à pleurer demain. Il est vrai, mes chers collègues, que vous avez tant de fois joué dans ce domaine les apprentis sorciers, que vous vous montrez désormais circonspects dans la façon d’aborder une question aussi urgente et éminemment politique. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Mais dans quel monde, dans quel pays vivez-vous donc pour oser une telle démonstration, dont on sent bien que la culpabilisation et l'idéologie sont les principaux vecteurs, quitte à brader, voire à nier les intérêts de la France et des Français ?

M. Bernard Roman. L’idéologie, c’est la force des idées !

M. Alain Marsaud. De plus, je constate non sans surprise – dois-je m’en réjouir ? – que le parti qui, en France, se veut en quelque sorte le parrain de la laïcité, n'hésite plus à appeler à son secours quelques hommes d’église, avec ou sans leurs « divisions », comme disait Staline. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Moi qui vous croyais les ardents défenseurs de la séparation des pouvoirs non seulement terrestres mais aussi terrestre et spirituel !

M. Jean-Pierre Brard. Pour le spirituel, vous êtes mal placé !

M. Alain Marsaud. J’allais dire, tant qu’il en est encore temps ! Mais si vous le permettez : rendez à César ce qui est à César, pour le reste nous y pourvoirons !

M. René Dosière. Polémique de bas étage !

M. Alain Marsaud. Puis-je d’ailleurs me permettre de suggérer à nos gens d'église…

M. Jean-Pierre Brard. Ingérence !

M. Alain Marsaud. …d’y regarder à deux fois avant de solliciter l'évacuation des lieux de culte envahis par les sans-papiers ? On ne saurait en effet vouloir une chose et son contraire, en l’occurrence un accueil généreux et la liberté d'exercice du culte. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Muguette Jacquaint. Vous avez bien appris votre leçon !

M. Alain Marsaud. Il est vrai que tout change rapidement dans notre monde : vous nous habituez aux renversements d'alliances les plus surprenants.

Il nous faut bien évidemment légiférer sur un phénomène mondial qui s'aggrave chaque jour un peu plus – il y a même urgence à le faire –, puisque en dépit de la loi de novembre 2003, dont l’objet premier était de revenir sur les dérives du précédent gouvernement, notamment dans le domaine de l'asile et du regroupement familial, le chantier reste entier. En effet, non seulement l’immigration à caractère permanent a régulièrement augmenté mais, de plus, la part de celle-ci pour motif de travail demeure très faible : elle ne concerne que 8 000 personnes environ, contre 110 000 pour motif familial et 26 000 pour regroupement familial.

À cette situation, qui doit conduire à une véritable mobilisation, il convient d’ajouter le séjour irrégulier, consécutif à l’immigration clandestine, qui devrait créer des droits, si on écoute certains, et non des moindres, puisqu'il s'agit de candidats à l'investiture socialiste pour la Présidence de la République, qui viennent de nous annoncer, dans leur programme, la régularisation de tous les clandestins,…

M. Paul Quilès et M. Bernard Roman. C’est faux !

M. Alain Marsaud. …comme si les leçons du passé n’avaient pas été suffisamment cruelles pour notre nation. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Ils oublient sans doute l'échec cinglant de leur politique d’intégration, pourtant l’une des grandes politiques publiques menées à coup de milliards d'euros ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

En revanche, monsieur le ministre, nous pourrions mettre en exergue au projet de loi que vous nous soumettez une célèbre devise : « ne plus subir » – ne plus subir une situation migratoire qui nous est imposée par la mondialisation, par la révolution des transports, par notre histoire, par nos pratiques sociales et politiques et, bien, sûr, par notre mauvaise conscience.

Du reste, il y a deux mots que j'aurais souhaité entendre dans l'intervention de l'opposition : « souveraineté nationale » tout simplement, puisque, en 2006, la politique d'immigration et d'intégration constitue, au même titre que la défense ou la politique étrangère, un des éléments-clefs de la souveraineté de la nation. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Choisir notre politique d'immigration et ne plus se la laisser imposer par le fatalisme ou l’absence de projet ou de conviction, tel est le grand chantier dont le Parlement doit jeter les bases au cours de ce débat. Notre responsabilité politique est à l’égard de nos concitoyens et non du vaste monde.

On peut assurément débattre des différentes conceptions de l'organisation mondiale. Elles sont en fait au nombre de deux.

La première, c'est la France ouverte sur le vaste monde, ou plutôt le vaste monde ouvert sur la France. C'est le village planétaire, où chacun vote avec ses pieds et s'en va s'installer là où il fait meilleur vivre.

M. Jean-Pierre Brard. N’êtes-vous pas né dans le Limousin ?

M. Alain Marsaud. Il est vrai qu’en dépit de notre modèle social à la dérive nous demeurons, provisoirement sans doute, plus attractifs que l'Afghanistan ou le Mali. Ce n'est donc pas le monde qui s'offre à la France, mais la France qui s'offre au monde tant qu'elle a la capacité d'accueillir.

Cette conception, noble et éminemment rousseauiste, est toutefois bien naïve : son unique conséquence à court terme sera le nivellement par le bas de notre organisation sociale. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Mme Hélène Mignon. Heureusement qu’il y a des médecins étrangers dans nos hôpitaux !

M. Alain Marsaud. Je tiens à rappeler cette évidence aux ardents défenseurs du modèle français, qu’on doit au moins tenter de préserver quand c’est encore possible.

Il existe une seconde conception de l'immigration, généreuse mais réaliste, que j’illustrerai d’un exemple. Tous, je le suppose du moins, nous avons un domicile,…

M. Jean-Pierre Brard. Vous oubliez les SDF !

M. Alain Marsaud. …où il fait bon se retrouver, que nous avons souvent mis beaucoup de cœur à concevoir ou que nous avons reçu de nos parents, qui l'ont eux-mêmes construit de leurs mains.

Nous avons plaisir à y recevoir ceux que nous invitons, à leur y offrir le gîte et le couvert. Nous pouvons aussi y recevoir provisoirement des entrepreneurs, venus y effectuer des travaux.

Mais que dire de ceux qui s'invitent à notre domicile sans avoir sollicité notre accord ? Que dire si, au retour du travail, nous constatons qu'on est entré chez nous par effraction en vue d’y rester ou que l’invité de quelques jours a décidé de s'installer à demeure ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Voilà exactement la situation que doit gérer la « maison » France aujourd'hui, à la différence près que la « maison » France est une grande bâtisse qui donne l'impression de pouvoir accueillir encore beaucoup de monde. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Cependant, mes chers collègues, le problème reste entier ! Voulons-nous, oui ou non, que les citoyens français restent maîtres de leur destin et de celui de leurs enfants, pour construire la France comme ils le souhaitent ? Telle est la question à laquelle les représentants de la nation que nous sommes doivent apporter une réponse.

M. Bernard Roman. Votre temps de parole est dépassé ! Commencez par respecter nos règles !

M. Alain Marsaud. Je rappellerai du reste que la France a décidé d'ouvrir, partiellement, depuis hier, son marché du travail aux salariés de Pologne, de Hongrie, de la République tchèque et de quelques autres pays nouvellement européens. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Cette prudence, que je ne partage d'ailleurs pas, à l'égard de nations voisines et amies, membres de l'Union européenne, nous ne devrions pas la pratiquer, si j'en crois certains, à l'égard de l'Afrique et de l'Asie ! Il nous faudrait leur ouvrir nos frontières et notre marché de l'emploi sans contrôle !

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Marsaud.

M. Alain Marsaud. Je termine, monsieur le président.

En rejetant ces propositions, vous faites le lit de la fraude et vous rejetez dans la précarité ceux qui, de bonne foi, veulent séjourner en France. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Bernard Roman. C’est vous, la précarité !

M. Alain Marsaud. Ce qui nous oppose, c'est une conception différente non seulement des rapports de force dans le monde, mais encore et plus simplement du volontarisme en politique.

L'association du Parlement, en qualité de partenaire du Gouvernement dans la détermination des objectifs quantifiés définis chaque année de l'immigration, est une avancée démocratique et politique que vous refusez.

Toutefois, il faudra bien que les socialistes nous disent enfin le fond de leur pensée : sont-ils, oui ou non, favorables à l'ouverture des frontières et à la régularisation de tous les sans-papiers ?

M. Bernard Roman. Ça suffit !

M. Michel Vergnier. C’est assez !

M. Alain Marsaud. Nous voulons le savoir, et les Français avec nous. Assez de faux-fuyants ! Cette question promet un vrai et beau débat pour 2007 !

Monsieur le ministre, il est grand temps que nous donnions à notre pays les moyens de décider de son destin et de l'organisation de la société que nous voulons.

M. le président. Monsieur Marsaud, il est temps de conclure !

M. Alain Marsaud. C'est la raison pour laquelle je propose à mes collègues de rejeter la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Bernard Roman. Tout ça pour ça !

M. le président. La parole est à M. Gilles Artigues, pour le groupe UDF.

M. Gilles Artigues. Monsieur le président, monsieur le ministre, le groupe UDF souhaite annoncer avec un peu plus de sobriété qu’il ne votera pas la question préalable présentée par le groupe socialiste, la discussion qu’elle instaure n’ayant pas lieu d’être à ce stade du débat.

En effet, alors que le Gouvernement a choisi de traiter le thème brûlant de l’immigration, nous pouvons toujours discuter l’opportunité d’un tel choix à moins d’un an de l’élection présidentielle et douter de la possibilité de voir publier les décrets d’application avant cette échéance. Nous regrettons du reste que l’alternance soit l’occasion pour chaque nouvelle majorité de faire adopter une réforme, ce qui rend illisible la volonté réelle de notre pays en matière de résidence et de séjour des étrangers sur son sol. Une telle question réclamerait plus de sérénité, permettant de bâtir une politique cohérente et pérenne en la matière. Toutefois, puisque l’ordre du jour, dont le Parlement n’a pas la maîtrise, nous l’impose, évoquons sans attendre et sans obstruction parlementaire stérile les vrais enjeux.

Le groupe UDF, par la voix de ses porte-parole Nicolas Perruchot et Jean-Christophe Lagarde, exprimera dans la discussion générale la position équilibrée de notre famille politique, qui s’inspirera des cas concrets que nous avons à traiter dans nos mairies et nos permanences parlementaires. Ce que nous attendons en effet, c’est plus qu’un simple affichage préélectoral : ce sont des éléments précis, notamment en ce qui concerne le nombre des sans-papiers en France.

M. Yves Bur. Pour le connaître, il faudrait que les sans-papiers ne le soient plus !

M. Gilles Artigues. La vérité des chiffres est un préalable à toute discussion sérieuse.

Parler d’immigration choisie, monsieur le ministre, c’est pour vous envisager l’arrivée de nouveaux étrangers utiles, de votre point de vue, à la société française. Outre le risque d’appel d’air et de fuite des élites des pays en voie de développement et l’incohérence d’une telle mesure dans une France qui compte 5 millions de chômeurs, nous sommes en droit de vous interroger sur les perspectives qu’il convient selon vous d’apporter à tous ces hommes et toutes ces femmes qui sont aujourd'hui déjà présents sur notre sol, notamment les déboutés du droit d’asile qui ne peuvent pas rentrer chez eux et ne sont pas expulsés parce que notre pays n’en a pas les moyens.

L’immigration, monsieur le ministre, qu’elle soit économique ou politique, est avant tout subie par ceux-là mêmes qui quittent leur pays. Les demandeurs d’asile ne cessent de nous le rappeler : on n’est vraiment heureux que chez soi, encore faut-il pouvoir y vivre ! C’est pourquoi nous aimerions vous entendre évoquer avec autant de pugnacité les causes d’une immigration mal maîtrisée que ses conséquences. Quelle est, notamment, votre politique de coopération visant à favoriser des régimes réellement démocratiques ? Certes, l’Union européenne est plus généreuse en la matière que les États-Unis d’Amérique, mais que représente cette aide comparée à notre produit intérieur brut ?

Nous souhaitons enfin que vous abordiez des questions assurément moins médiatiques mais tout aussi cruciales, comme les modalités d’établissement des contrats d’accueil et d’intégration, que nous approuvons, les dysfonctionnements de vos services – lenteurs, lourdeurs, obstacles de toutes sortes – ou encore la plus grande sévérité que vous envisagez en matière de regroupement familial, laquelle aggravera encore la complexité des procédures. C’est déjà vrai pour l’obtention de la nationalité française, qui est trop souvent un parcours du combattant alors que, lorsque les conditions sont remplies, il conviendrait de favoriser l’attribution de ce formidable outil d’intégration, lequel donne automatiquement le droit de vote, autre sujet de polémique.

Cette rapide énumération de tous les aspects de la question révèle qu’il est grand temps d’entrer dans le vif du sujet. Les intervenants socialistes nous ont paru donneurs de leçons,…

M. Yves Bur. Ce qui n’est pas votre cas, cela nous rassure !

M. Gilles Artigues. …alors qu’ils n’ont pas toujours eu, par le passé, lorsqu’ils étaient au pouvoir, l’attitude responsable que nous étions en droit d’attendre d’eux. Leur question préalable ne peut que retarder nos travaux : nous la rejetons donc en souhaitant que nos échanges débouchent sur une loi qui ne s’en tienne pas à ce texte qui, en l’état, ne nous convient pas.

N’oublions pas en effet que les étrangers, hier, ont aussi construit notre pays et que ceux d’aujourd'hui désirent y vivre en sécurité et en paix. Les Français attendent assurément de leur représentation nationale qu’elle bannisse toute forme de laxisme, mais aussi et surtout qu’elle se montre humaine.

M. Jean Dionis du Séjour. Très bien !

M. le président. Sur le vote de la question préalable, je suis saisi par le groupe socialiste d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président, monsieur le ministre, nous avons écouté avec grande attention M. Marsaud : c’est un homme du passé qui propose de rétablir le concordat. Voilà-t-il pas en effet qu’il adresse des injonctions à l’Église catholique ? Il est vrai que notre collègue n’aime l’Eglise que lorsqu’elle marche au pas de Mgr Lefebvre ! Mais quand elle s’exprime au nom de l’humanité, de la fraternité et de la solidarité, il voudrait la bâillonner ! (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Bernard Deflesselles. Restons sérieux !

M. Michel Voisin. Arrêtez-le !

M. Jean-Pierre Brard. Cessez de hurler ! Si vous êtes venus aujourd'hui nombreux, c’est que vous êtes apeurés ! Vous serrez les rangs derrière votre chef de file comme les poussins derrière une poule ! (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mes chers collègues, cet après-midi, le ministre d’État m’a accusé de vulgarité : c’est bien la première fois que cela m’arrive dans cet hémicycle !

M. Michel Herbillon. Il a eu raison, pourtant !

M. Jean-Pierre Brard. Il est vrai, monsieur le ministre, que je m’honore à la fois d’être fils d’ouvrier et instituteur de la République et de ne pas appartenir aux clans des parvenus. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Du reste, de quel droit le ministre a-t-il voulu me donner une leçon, lui qui, voulant kärchériser la jeunesse de nos banlieues, porte une lourde part de responsabilité dans les événements d’octobre et de novembre derniers ? Il n’a de conseil à donner à personne !

M. Bernard Deflesselles. Vous non plus !

M. Jean-Pierre Brard. Certes, M. Sarkozy, cet après-midi, nous a communiqué des chiffres, mais il faudrait lui faire une piqûre de sérum de vérité afin de ne pas rester au milieu du gué. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Il a parlé de 20 000 reconduites à la frontière tout en estimant, je ne sais comment, entre 200 000 et 400 000 le nombre des clandestins. Vous nous faites donc toute une histoire pour 5 à 10 % d’entre eux ! C’est bien la preuve que votre seule préoccupation, c’est de prospérer sur un fonds électoraliste nauséabond ! (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Du reste, M. Novelli et Mme Panafieu le confirment ! (Sourires.)

M. Hervé Novelli. Comment cela ?

M. Jean-Pierre Brard. Je vais, moi aussi, vous donner des chiffres, que M. Sarkozy a, puisque c’est M. Patrick Weil qui les lui a adressés : dans notre pays, le regroupement familial représente 0,15 % de la population française, contre 0,41 % en Australie et 0,23 % au Canada, que le ministre cite abondamment.

M. Michel Herbillon. Et en URSS ?

M. Jean-Pierre Brard. Il y a vraiment des gens du passé ! Imaginez-vous que je viens d’entendre M. Gest…

M. Alain Gest. Il ne s’agit pas de moi !

M. Jean-Pierre Brard. …ou M. Deflesselles…

M. Bernard Deflesselles. Ce n’est pas moi non plus !

M. Jean-Pierre Brard. …qui ne sait pas que l’Union soviétique n’existe plus ! Rendez-lui service, mes chers collègues : réveillez-le !

Je continue de vous lire les chiffres que M. Sarkozy possède mais qu’il n’a pas voulu nous livrer cet après-midi. En Nouvelle-Zélande, le regroupement familial représente 0,25 % de la population et en Suisse, 0,51 %.

M. Richard Mallié. Vous parlez de l’immigration choisie ou de l’immigration clandestine ?

M. Jean-Pierre Brard. Les chiffres que le ministre nous a livrés cet après-midi ne relèvent donc que l’affabulation, et vous le savez !

Messieurs du gouvernement, mesdames et messieurs de la majorité, vous portez préjudice au prestige de la France, à celle du général de Gaulle que vous humiliez ! (Rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste). Monsieur le ministre, vous ne deviendrez crédible que lorsque vous refuserez les titres de séjour aux mafieux russes qui vivent dans la banlieue niçoise ! Si vous ne savez pas où ils habitent, demandez-le donc aux chauffeurs de taxi de la région : ils vous conduiront à leurs résidences ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Le titre de séjour que vous leur donnez le doivent-ils à leur personnalité ou au contenu de leur mallette ?

M. Michel Voisin. C’est vous qui les avez laissé entrer !

M. Bernard Deflesselles. Vous êtes lamentable !

M. Jean-Pierre Brard. Le clivage auquel nous sommes confronté n’est pas seulement un clivage gauche-droite, il est beaucoup plus complexe parce qu’à droite, dans la vieille tradition française, certains vibrent de la fibre patriotique et humaine et je ne citerai que deux exemples pour ne pas être trop long.

Christine Boutin, tout d’abord, a fort légitimement dit…

M. Jean-Christophe Lagarde. Vous vous êtes converti ce soir !

M. Jean-Pierre Brard. …que le projet de loi sur l’immigration et l’intégration était inacceptable car il ne répondait au défi majeur de l’immigration que par des mesures aussi inefficaces que dangereuses pour la famille et l’enfant, et elle a raison !

Comment s’établit ce clivage ? Il se situe entre ceux dont les valeurs sont cotées au CAC 40 et ceux qui se réfèrent au Panthéon des valeurs universelles. Évidemment, vous ne supportez pas cela ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Je citerai ensuite Étienne Pinte dont on connaît la sérénité, le sérieux, la profondeur de pensée. (Rires.) Que dit-il ? « La dernière loi sur la maîtrise de l’immigration a été votée il y a deux ans et demi et nous sommes incapables – donc vous êtes incapables – d’en mesurer les effets.

M. Richard Mallié. Parlez pour vous !

M. Jean-Pierre Brard. Pourquoi – demande-t-il – légiférer à nouveau si vite ? » Il a raison ! Il poursuit – et il appartient à l’UMP –, en exprimant la crainte que l’explication n’en soit l’élection présidentielle. (Exclamations sur divers bancs.) Imaginez qu’il ait raison !

En réalité, deux France s’affrontent, comme tout au long de l’histoire : celle de Coblence contre celle de la Révolution ; celle de Paul Reynaud contre celle du Front populaire ; celle de Napoléon et de Joséphine contre celle de Toussaint Louverture et Victor Schoelcher ;…

M. Bernard Deflesselles. Nous avons rendez-vous avec l’histoire !

M. Jean-Pierre Brard. …celle qui a soutenu Franco, Salazar, Mobutu (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) contre celle qui a défendu Grimau, Cunhal, Lumumba ;…

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Et Staline ! Et Staline !

M. Jean-Pierre Brard. …la France qui a soutenu les guerres coloniales contre la France solidaire des peuples opprimés !

Parce que la question préalable de notre collègue Blisko est tout à fait justifiée, nous la voterons avec enthousiasme et nous vous combattrons avec la dernière énergie ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste. – Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. René Dosière, pour le groupe socialiste.

M. René Dosière. Pourquoi faut-il voter la question préalable ? Parce qu’existe désormais un suivi des lois votées. M. Mariani a fait un rapport en ce sens et nous fait remarquer que, trois ans après le vote de la loi du 26 novembre 2003, un certain nombre de décrets essentiels en rendent les dispositions inapplicables.

M. Thierry Mariani, rapporteur. Trois seulement !

M. René Dosière. Vous le dites vous-même : quantitativement, peu de décrets ne sont pas pris mais ce sont les plus importants. On peut lire page 6 de ce rapport qu’il s’agit de dispositions particulièrement importantes pour lutter contre l’immigration clandestine. À propos des autres décrets pris un an après le vote de la loi, vous dites à la page 13 qu’après un an de mise en œuvre, il est difficile d’évaluer leur efficacité dans la mesure où les chiffres de 2005 ne sont pas connus.

M. Bernard Roman. Eh oui ! Pourquoi donc légiférer ?

M. René Dosière. Autrement dit, avant de voter de nouvelles lois, commençons par appliquer celles que nous avons adoptées.

Or, ce projet n’a pas vocation à enrichir la législation puisque nous savons tous qu’il ne sera pas appliqué avant les échéances de 2007…

M. Michel Bouvard. Mais si !

M. René Dosière. …et que, si la gauche l’emporte, il ne sera pas non plus appliqué après ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Les décrets, on le sait, ne seront pas pris pour une raison de délais, mais parce que le ministre de l’intérieur aura quitté le Gouvernement pour préparer l’élection présidentielle.

M. Gérard Charasse. Eh oui !

M. René Dosière. Et l’on a bien compris, tout à l’heure en l’entendant, que lui seul s’estimait capable de s’occuper de l’immigration. La motivation de ce projet n’est pas d’ordre législatif mais d’ordre électoral. M. le ministre d’État ne s’en cache d’ailleurs pas : il souhaite ouvertement récupérer les électeurs du Front national.

M. Richard Mallié. Et que fait M. Fabius avec l’extrême gauche ?

M. René Dosière. Je pense pour ma part que le résultat que vous risquez d’obtenir sera hélas exactement inverse car l’immigration, comme on sait, est le fonds de commerce du Front national qui ne cesse d’attiser la peur et la haine de l’étranger. Or, par vos déclarations et par ce texte, vous donnez des gages au Front national, vous légitimez son discours, ce qui ne peut que renforcer la détermination de ses électeurs.

M. Richard Mallié. C’est vous qui avez amené ce parti à l’Assemblée nationale !

M. Jean-Pierre Brard. Ça se discute !

M. René Dosière. Et cela reste sans doute le plus grave, car lorsque la droite républicaine – et je concède que M. le ministre d’État fait partie de la droite républicaine –, parle comme le Front national, elle assure la croissance de ce parti qui devient dès lors plus respectable aux yeux d’un plus grand nombre.

Il faut donc cesser de faire peur aux Français avec l’immigration clandestine. D’abord parce qu’elle est marginale en métropole.

M. Michel Bouvard. Mais elle est de plus en plus coûteuse !

M. René Dosière. Il y aurait, nous dit-on, entre 300 000 et 400 000 clandestins en France,…

M. Michel Bouvard. C’est de plus en plus douteux !

M. René Dosière. …pour une population métropolitaine de 60 millions d’habitants ! Ce qui représente moins de 0,5 % de la population. C’est l’un des taux les plus faibles d’Europe ! Il est deux fois moindre qu’aux Pays-Bas et en Italie, trois fois moins important qu’en Espagne et au Portugal et sept fois inférieur à celui de la Grèce, ainsi que l’affirme le rapport de la mission sénatoriale. Je parlerai plus tard de la situation de l’outre-mer, tout à fait différente.

Ensuite, ces immigrés clandestins ne sont pas tous des voyous, des bandits ou des criminels ; ce sont des êtres humains qui vivent pour la plupart dans des conditions épouvantables d’exploitation – Serge Blisko nous en a donné quelques exemples tout à l’heure.

M. Richard Mallié. Qu’a fait le maire de Paris ?

M. René Dosière. D’ailleurs, comme le dit justement le vice-président de la conférence des évêques de France (Murmures sur divers bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) à propos de votre texte :…

M. Michel Herbillon. Miséricorde !

M. René Dosière. …« Nous lui reprochons de ne pas être assez humain, d’être plus centré sur les dérives que sur les personnes. »

Enfin, votre texte ne s’attaque pas aux causes de cette immigration mais à ses conséquences. Ceux qui vivent, ou plutôt qui survivent dans l’extrême dénuement, voient la France comme une terre de liberté et d’opulence et, dans la situation où ils se trouvent, vous le savez, ils affrontent n’importe quel risque pour l’atteindre.

Agir sur les causes consiste à offrir aux populations concernées un espoir chez elles, plutôt que de les laisser venir le rechercher chez nous. Ce point est évident pour l’outre-mer notamment ; or votre texte ne comporte pratiquement rien sur le sujet.

Je n’ignore pas, bien sûr, ces sondages qui montrent qu’une part croissante de la population française a peur de l’avenir, de l’Europe, de la mondialisation…

M. Jean-Pierre Brard. À qui la faute ?

M. René Dosière. …et donc de l’étranger. Mais ces sondages montrent également que cette peur va de pair avec les situations de précarité. Ce ne sont en effet pas les ingénieurs qui doutent mais les chômeurs, les exclus, et d’ailleurs on les comprend !

M. Patrick Braouezec. De plus en plus d’ingénieurs commencent eux aussi à douter !

M. René Dosière. Si la situation économique était meilleure, si le nombre d’emplois augmentait, si la sécurité des personnes était mieux assurée, alors les Français les plus pauvres douteraient moins de leur pays et de leur avenir.

J’ajoute que la responsabilité des hommes politiques est de combattre les tendances xénophobes existantes et non de les attiser. Après Bernard Roman, Serge Blisko vient de souligner que l’opposition des socialistes à ce texte s’appuie sur les valeurs républicaines d’égalité et de fraternité. Bien entendu, je les partage, mais j’ajoute que le chrétien que je suis (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire)

Mme Christine Boutin. Ah ! (Sourires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. René Dosière. …– eh oui, il y en a aussi au Parti socialiste –,…

M. Jean-Pierre Brard. Madame Boutin, vous avez de la concurrence !

M. René Dosière. …n’oublie pas, comme vient de le rappeler le vice-président de la conférence des évêques, qu’au « sujet des étrangers, le Christ a dit des choses et a pris des attitudes. Il y a dans la Bible des pages qu’on ne peut pas arracher. » Pour ces motifs, nous voterons la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste – Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Plusieurs députés de l’Union pour un mouvement populaire. Amen !

M. le président. Nous allons maintenant procéder au scrutin qui a été annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

Je vais donc mettre aux voix la question préalable.

Je vous prie de bien vouloir regagner vos places.

…………………………………………………………

M. le président. Le scrutin est ouvert.

…………………………………………………………

M. le président. Le scrutin est clos.

Voici le résultat du scrutin :

L’Assemblée nationale n’a pas adopté.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Monsieur Roman, vous êtes un parlementaire trop expérimenté pour ne pas savoir que l’article auquel vous avez fait référence dans votre rappel au règlement n’exige en aucun cas de ma part une réponse à la question que vous avez posée.

M. Thierry Mariani, rapporteur. Absolument !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Néanmoins, par courtoisie, je choisis d’y répondre.

M. Jean-Pierre Brard. Dans votre test de personnalité, cela fera très bien !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Je vous rappelle qu’une centaine d’émeutiers étrangers ont été interpellés à l’automne 2005,…

M. Jean-Pierre Brard. Seulement ?

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. …ainsi que vous l’a annoncé M. le ministre d’État. La plupart d’entre eux étaient protégés contre l’expulsion du fait de la législation actuelle et trois ont été effectivement expulsés.

M. Bernard Roman. Trois ?

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Vous m’avez demandé les chiffres, je vous les donne en toute transparence. En outre, sept procédures sont en cours. Les procédures peuvent, hélas, vous le savez, prendre du temps. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Patrick Braouezec. Pourquoi « hélas » ?

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. En l’occurrence, les règles nous paraissent peu adaptées. Nous ne pouvons donc pas laisser le problème sans réponse.

C’est la raison pour laquelle nous serons très favorables à un amendement de Jacques Myard,…

M. Serge Blisko. Ouh, là, là !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. …après l’article 26 qui permettrait de mieux traiter ce genre de situation.

Quand on a l’honneur de détenir une carte de résident ou une carte de séjour, on n’a pas à brûler des voitures dans les rues ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Mes chers collègues, je vous informe que nous n’examinerons pas ce soir la motion de renvoi en commission, mais nous allons avancer le plus loin possible dans la discussion générale que nous abordons maintenant.

Discussion générale

M. le président. La parole est à M. Didier Quentin, premier orateur inscrit.

M. Didier Quentin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en tant que rapporteur pour avis du budget de l’outre-mer, je souhaite limiter mon propos à la situation dans nos départements et territoires d’outre-mer où l’immigration subie pose des problèmes d’une acuité dramatique.

Elle constitue en effet un frein au développement de ces collectivités ultramarines et risque de déboucher sur des violences tant l’exaspération est à son comble. Il est donc urgent d’agir efficacement.

Dans cette optique, comme rapporteur de la mission d’information sur la situation de l’immigration à Mayotte, qui a rendu ses conclusions le 8 mars dernier, je me félicite que ce projet de loi réponde aux préoccupations de nombreux élus d’outre-mer confrontés à une pression migratoire très importante, sans équivalent sur tout autre partie du territoire de la République.

Cette réalité, rappelée cet après-midi par le ministre François Baroin, justifie des mesures adaptées à une situation exceptionnelle car l’outre-mer, en particulier la Guyane et Mayotte, représente près de la moitié des reconduites à la frontière réalisées chaque année sur l’ensemble du territoire national.

Ainsi votre projet de loi, monsieur le ministre, prévoit notamment d’étendre à l’ensemble de la Guadeloupe, pour un délai de cinq ans, le caractère non suspensif des recours contre les arrêtés de reconduite à la frontière ainsi que d’étendre également à la Guadeloupe, en les adaptant, les dispositions autorisant la visite sommaire des véhicules circulant sur la voie publique, en vue de rechercher et de constater les infractions relatives à l’entrée et au séjour des étrangers en France.

Le texte permet en outre au procureur de la République d’ordonner, en Guyane, la destruction immédiate des embarcations fluviales non immatriculées ayant servi à commettre des infractions d’entrée et de séjour irréguliers sur le territoire français ; enfin, le projet permet de lutter contre les reconnaissances de paternité frauduleuses et l’exploitation des travailleurs clandestins à Mayotte, comme nous l’avions préconisé dans le rapport de la mission d’information, adopté – je le souligne – à l’unanimité moins une abstention, et encore était-elle positive,…

M. René Dosière. Cela vaut pour Mayotte mais pas pour ailleurs !

M. Didier Quentin. …celle de notre collègue Lefort.

Au-delà de ces mesures qui vont dans le bon sens, vous me permettrez d’insister sur la situation particulière de Mayotte, petit archipel français qui n’a pas vocation à accueillir toute la misère de l’Océan indien, n’est-ce pas, mon cher Mansour Kamardine ?

M. Mansour Kamardine. Bravo !

M. Thierry Mariani, rapporteur. Très bien !

M. Didier Quentin. Par amendements, nous proposerons de renforcer les dispositions législatives dans deux domaines : d’abord en portant de quatre à huit heures la durée maximale pendant laquelle les véhicules faisant l’objet d’une visite sommaire peuvent être immobilisés ; ensuite, en portant de cent à mille fois le salaire minimum interprofessionnel garanti, le SMIG en vigueur à Mayotte, le montant maximum des amendes administratives pouvant être infligées aux employeurs de travailleurs clandestins.

Mais il conviendra aussi de prévoir une série de mesures réglementaires, ainsi que nous l’avons recommandé dans notre rapport.

Il est urgent de procéder à une véritable remise en ordre de l’état civil sur l’archipel. Il est en particulier indispensable de renforcer substantiellement les moyens de la commission de révision de l’état civil – la CREC.

Nous avons également jugé nécessaire de verser aux mairies mahoraises une dotation exceptionnelle pour leur équipement informatique et de confier provisoirement la gestion de l’état civil à des fonctionnaires d’État.

De même, nous avons suggéré d’anticiper à Mayotte la mise en place de titres d’identité biométriques, car les Comoriens, qui constituent la grande majorité des immigrants clandestins, ont acquis un savoir-faire exceptionnel en matière de faux documents.

Pour augmenter l’efficacité des contrôles terrestres, nous avons en outre émis le souhait que soit renforcée la présence de policiers mahorais et qu’il soit permis aux policiers métropolitains expérimentés de prolonger leur séjour à Mayotte.

Nous avons aussi proposé diverses mesures pour améliorer les modalités pratiques des reconduites à la frontière, telles que l’agrandissement du centre de rétention administrative ou l’utilisation de navires ou d’avions de grande capacité appartenant à l’État.

Enfin, le complément indispensable à cette politique réside dans la relance de notre coopération avec les Comores, et surtout avec l’île d’Anjouan, notamment dans les domaines prioritaires de l’éducation et de la santé.

Monsieur le ministre, contrairement aux caricatures qui en sont faites et loin du vide sidéral des contre-propositions ou de l’irresponsabilité de ceux qui proposent de régulariser tous les clandestins, ce projet de loi est équilibré, respectueux de la dignité humaine et conforme à la tradition d’accueil de notre pays. Il devra toutefois s’accompagner d’une campagne d’explication dans les pays d’origine. J’ai du reste cru comprendre que M. le ministre d’État avait l’intention de se rendre prochainement dans plusieurs pays africains. J’ajoute que notre politique de coopération devra être repensée, ciblée et contractualisée. L’aide apportée devrait être proportionnée à l’effort accompli par les pays d’émigration pour mieux utiliser les fonds alloués et pour réguler les flux migratoires.

M. Mansour Kamardine. Très juste !

M. Didier Quentin. Vous me permettrez d’espérer pour conclure, monsieur le ministre, que nos collectivités d’outre-mer puissent continuer d’évoluer dans un environnement apaisé, avec une immigration acceptée, maîtrisée, et surtout une intégration réussie. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Thierry Mariani, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Arnaud Montebourg.

M. Arnaud Montebourg. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, vouloir choisir politiquement des êtres humains, vouloir trier politiquement entre des êtres désirables et des êtres indésirables, vouloir choisir selon les mécanismes du tri, tout cela nous rappelle quelques souvenirs inquiétants. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Didier Quentin. Caricature !

M. Arnaud Montebourg. Faire la part entre les immigrés que vous subissez et les immigrés que vous choisirez, c’est mettre en cause toute la conception de la nation et de la République.

Il y a cette République, la nôtre, dans laquelle même les évêques de France reconnaissent, sous une forme laïcisée, les valeurs de la chrétienté et du vivre ensemble, comme en témoigne l’invitation qu’ils vous ont lancée à mieux faire « respecter l’autre, à mieux l’aimer », fût-il un étranger.

Il y a cette République pour la défense de laquelle plus de cinq cents organisations se dressent et au nom de laquelle certains parlementaires, y compris sur vos bancs, rappellent que la France est d’abord une création politique et culturelle bâtie par les apports successifs de peuples appartenant au nord et au sud de l’Europe : Flamands, Catalans, Bretons, Corses, Alémaniques, Languedociens…

Cette République et son histoire, la nôtre, ne se sont jamais définies par la souche mais toujours par le désir de vivre ensemble et de bâtir un destin commun, en refusant de s’enchaîner à la sombre mythologie des origines.

Mme Paulette Guinchard. Très juste !

M. Arnaud Montebourg. Or, voici qu’en apprenti sorcier le Gouvernement prétend modeler le contenu de notre nation. Mais croyez-vous, monsieur le ministre, que les itinéraires personnels ou familiaux de la migration soient modelables ?

La construction lente d’un pays comme le nôtre, c’est d’abord la rencontre de destinées, c’est le produit de l’histoire de ses échecs, de ses tragédies, de ses succès aussi, et de la géographie, qui place la France à la croisée méditerranéenne des chemins de l’immigration.

Un tiers des Français ont un ancêtre, un grand-père ou une grand-mère, un parent étranger, et la République française a toujours marché ainsi : au mélange !

M. Jérôme Rivière. La monarchie aussi !

M. Arnaud Montebourg. Ce mélange, nul n’a jamais pu le doser ou en choisir le contenu.

Traiter et maltraiter l’histoire de notre République en prétendant que tous ces Français-là ne seraient que les produits hasardeux d’une immigration subie, c’est porter atteinte, je le dis tout net, au pacte républicain, à ses symboles et à sa force extraordinaire de rassemblement. C’est faire le choix d’exciter les tensions, de faire reculer la paix entre les hommes sur notre territoire, et c’est disqualifier beaucoup de nos compatriotes et de nombreux étrangers respectueux de nos lois !

Nous sommes nombreux ici, sur tous les bancs, à être les enfants ou les petits-enfants de ce que vous appelez l’immigration subie. J’ai moi-même un grand-père maternel algérien, un homme dont la langue maternelle était l’arabe mais qui portait le béret de nos campagnes. Il aimait tellement la France qu’il voulait que son fils portât l’uniforme français. C’est pourquoi, quittant l’Algérie, il alla s’installer tout près d’une école militaire pour l’y inscrire, à Autun, en Saône-et-Loire, département dont je suis devenu l’un des députés.

Nous sommes nombreux, en France, à être les enfants et petits-enfants d’une immigration que vous avez aujourd’hui décidé de maltraiter en faisant ressurgir les ombres d’une idéologie néo-vichyssoise du tri sélectif entre les hommes.

Votre projet de restreindre l’immigration légale des familles par tous les moyens, y compris les plus déloyaux, et de proposer à l’économie française une immigration de travail, va vous conduire, messieurs du Gouvernement, à commettre des actes excessifs et irréparables contre l’esprit et la lettre de la République.

Cette immigration liée au respect de la vie familiale n’est pas subie : le respect de la vie familiale est un choix que la France a inscrit dans ses principes et dans ses droits fondamentaux, afin que nul ne puisse, au gré de la conjoncture, de ses calculs politiques, de ses intérêts électoraux, y porter atteinte.

Je note d’ailleurs que, pour parvenir à vos fins, vous avez dramatisé sans rapport avec la réalité du pays l’état de l’immigration légale au titre du regroupement familial et des liens de famille en France, et vous avez enjolivé à l’excès la situation des autres pays qui sont vos points de comparaison. Dans tous ceux que vous citez – Canada, Suisse, Nouvelle-Zélande, Australie –, les taux d’immigration familiale sont supérieurs. Quant aux États-Unis, dont on sait la fascination qu’ils exercent sur le ministre d’État, un demi-million d’autorisations de séjour y sont attribuées annuellement pour des raisons familiales.

Vous attaquer à cette immigration, qui est d’ailleurs en décroissance, c’est brutaliser des valeurs cardinales de la République comme la famille ou le droit de se marier, reconnu et protégé par les tribunaux européens et internationaux. La liberté de se marier, de choisir son conjoint, est une liberté fondamentale, monsieur le rapporteur !

M. Thierry Mariani, rapporteur. Elle n’est pas remise en cause, monsieur Montebourg !

M. Arnaud Montebourg. Vous vous plaignez de l’explosion des mariages de nationaux français avec des étrangers. Vous y voyez la multiplication des fraudes, la multiplication des mariages de complaisance. Reconnaissons plutôt que la France s’internationalise et les Français aussi, et que la mixité des unions est en voie de banalisation.

Passe encore – mais faut-il vraiment vous le passer ? – que vous humiliiez nombre de nos concitoyens qui ont fait le choix de se marier à l’étranger dans le pays de leur conjoint ou conjointe. Mais voici que vous durcissez le contrôle les mariages en portant à trois années la durée de vie commune nécessaire à l’acquisition de la carte de résident ! À quand une police chargée de contrôler la sincérité des sentiments maritaux ?

M. Patrick Braouezec. Cela viendra !

M. Arnaud Montebourg. Dans votre loi de 2003, vous aviez déjà tenté de porter atteinte à la liberté du mariage, mais le Conseil constitutionnel vous avait interdit de le faire.

À nouveau, votre texte s’attaque au mariage. Il va conduire l’administration préfectorale à répondre à des dizaines de milliers de personnes nouvellement mariées à des Français qu’elles ne peuvent séjourner en France avec leur conjoint qu’à la condition qu’elles retournent dans leur pays faire une demande de visa… qu’on ne pourra d’ailleurs pas leur refuser, au regard de nos engagements internationaux en matière de droits de l’homme : on ne peut en effet accepter, dans cet État de droit qui n’a tout de même pas encore sauté – tel un vilain bouchon que vous voudriez envoyer en l’air ! –, que la France organise la séparation autoritaire des conjoints !

Cet après-midi, le ministre d’État a évoqué les choix de l’Union européenne. Je le renvoie à un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes de juillet 2002 : « Un refus du titre de séjour ou une décision d’éloignement fondés exclusivement sur le non-accomplissement de formalités légales relatives au contrôle des étrangers – telle qu’une entrée sans visa dans un État membre – sont des mesures disproportionnées et donc contraires aux normes communautaires, lorsque l’intéressé peut apporter la preuve de son identité et de son lien conjugal avec un ressortissant communautaire. » La Belgique et d’autres États européens ont choisi d’appliquer cette jurisprudence à leurs propres ressortissants.

Si votre dispositif est approuvé par le Parlement et validé par le Conseil constitutionnel, des décisions de refus de séjour prises sur son fondement seront annulées par le juge. Vous créerez ainsi, pour des couples, des situations de « ni-ni » : ni régularisables, ni expulsables.

Entre un Français et un étranger non européen qui auront décidé de se marier, il y aura désormais la menace permanente des obstacles préfectoraux et la crainte de la police.

Au bout du compte, vous aurez excité les tensions entre les bons immigrés que vous aurez choisis et les mauvais, qui auront des droits mais dont on ne voudra pas. Surtout, vous aurez fabriqué des personnes sans statut sur notre territoire, alors qu’elles sont mariées à des ressortissants français. (« Très juste ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Continuons avec l’interdiction du regroupement familial et ses conséquences insidieuses.

La France ne peut pas empêcher des enfants ou des conjoints de rejoindre leur famille. Elle ne peut pas imposer la séparation à des dizaines de milliers d’étrangers privés de la possibilité de voir soit leur conjoint, soit leurs parents.

Vous voulez imposer des mesures de contrôle, des conditions drastiques de ressources, de logement, d’autres encore, comme la maîtrise de la langue. Toutes ces dispositions contribuent à la remise en cause concrète du droit au regroupement familial.

Au surplus, en portant atteinte à un droit fondamental, votre texte portera préjudice à l’attractivité de la France dans les pays du Nord : comment pensez-vous attirer le moindre travailleur américain ou japonais quand son droit de faire venir sa famille dépendra d’une connaissance suffisante de la langue française ? Des pays du Sud, il provoquera le développement d’une immigration illégale, car on ne peut durablement empêcher une famille d’être séparée. Le regroupement familial se fera donc dans l’illégalité…

M. Bernard Roman. Et par dizaines de milliers !

M. Arnaud Montebourg. …et vous ne pourrez renvoyer chez eux ceux-là mêmes qui auront organisé naturellement leur regroupement car les tribunaux vous empêcheront de le faire, tandis que votre loi empêchera quand même de les régulariser ! Ce seront, eux aussi, des « ni-ni ».

Permettez-moi, monsieur le ministre, de lire ce très beau texte de M. Sarkozy – il n’était pas ministre d’État à l’époque, il était « Libre »…

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Un très beau texte, en effet !

M. Arnaud Montebourg. « L’immigration familiale s’impose tout à la fois pour des raisons humanitaires et par souci d’intégration », disait-il. « Comment réussir l’intégration paisible d’un homme vivant à des milliers de kilomètres de sa femme et des enfants ? »

Mme Paulette Guinchard. Excellent !

M. Arnaud Montebourg. Et d’ajouter : « Les étrangers, voulus et acceptés, devront l’être avec leur famille, au moins au sens de l’épouse et des enfants, car on ne peut vouloir une intégration réussie et penser qu’elle le sera pour un homme privé de sa femme et de ses enfants. »

M. Thierry Mariani, rapporteur. C’est exact !

Mme Nadine Morano. Mais pas dans n’importe quelles conditions !

M. Arnaud Montebourg. Écoutez bien la conclusion, monsieur le rapporteur, car j’ai entendu le contraire à cette tribune il y a quelques heures seulement : « Le regroupement familial est l’un des droits de l’homme sur lequel on ne peut transiger, sauf à se renier ! » (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. – Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Pierre Brard. Expliquez-nous cela, monsieur Estrosi !

M. Christophe Caresche. M. Montebourg est le seul, ici, à avoir lu Sarkozy !

M. Arnaud Montebourg. Que s’est-il donc passé, entre 2001, où Sarkozy publiait Libre !, et 2006, où le voici enchaîné aux menottes du Front national ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Mme Nadine Morano. N’importe quoi !

M. Arnaud Montebourg. Je ne fais que lire, hélas !

J’en viens maintenant au volet du texte qui organise l’immigration choisie. Le ministre d’État indiquait devant la commission des lois que l’unique objectif du Gouvernement est de permettre aux entreprises, dans les secteurs où persistent des goulets d’étranglement – restauration, bâtiment, travaux publics, emplois domestiques –, de recruter lorsqu’elles ne parviennent pas à le faire sur le marché du travail français.

C’est une approche strictement économique de l’immigration, qui réduit l’être humain, « l’immigré choisi », comme vous dites, à sa seule force de travail. Elle accepte le tri entre les travailleurs et organise au profit des entreprises soucieuses d’économiser le prix du travail une compétition déloyale permettant à celles-ci d’éviter de mieux payer les métiers ingrats et précaires qu’elles proposent.

Vous offrez donc aux entreprises et aux employeurs la possibilité de piocher dans le supermarché de fa mondialisation, où les salaires sont en compétition mondiale, où les conditions de travail ne sont plus respectées et où l’être humain, parce qu’il connaît la misère, est malléable, corvéable, utilisable à merci par le système économique.

Nous savons que le recruteur préférera le candidat à l’immigration sans famille. Ce sera plus commode. D’ailleurs, c’est un mécanisme qui organise directement la pression à la baisse des salaires.

Plutôt que d’assumer cette immigration choisie qui signifie – car c’est là le message que vous envoyez – que vous considérez nos 3 millions de chômeurs comme définitivement inemployables à ces tâches, la précarité de la condition de l’immigré choisi selon vos vues est inscrite dans ce dispositif, rendant celui-ci d’une plus grande docilité encore et rendant un grand service au système économique libéral et dérégulé qui a votre préférence idéologique.

Le chantage qui s’exercera sur l’immigré que vous aurez choisi, recruté par le système économique, sera considérable. Car de la rupture du contrat de travail dépendra l’obligation du départ du territoire. Et c’est donner là un pouvoir considérable à l’employeur.

C’est en quelque sorte une machine Bolkestein en puissance que vous instaurez là dans les pratiques d’embauche de cette immigration que vous prétendez choisir.

Vous rejoignez là un certain Georges Pompidou qui avait dit – il y a longtemps, c’est vrai, mais j’ai reconnu une certaine filiation avec le ministre qui s’exprimait ici cet après-midi – : « l’immigration est un moyen de créer une certaine détente sur le marché du travail et de résister à la pression sociale ».

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. C’est une bonne référence !

M. Arnaud Montebourg. Nous y sommes, monsieur le ministre.

M. Jean-Pierre Brard. Eh oui !

M. Arnaud Montebourg. Vous êtes, à cet égard, dans un projet ultralibéral inspiré par les idées les plus dérégulatrices.

Vous faites alliance avec Jean-Marie Le Pen en violant les principes régissant l’immigration familiale.

Vous faites alliance avec Laurence Parisot, en ouvrant les vannes de l’immigration du travail et en ouvrant la compétition entre les travailleurs.

M. Jean-Pierre Brard. Eh oui !

M. Bernard Roman. Ah ! elle est belle la majorité !

M. Arnaud Montebourg. Mais surtout, nous savons que les quotas n’ont produit que des échecs cuisants.

D’abord, ils provoquent la politisation permanente que vous recherchez : une loi tous les ans, des circulaires, des provocations permanentes, des mensonges publics… Vous cherchez la politisation permanente de la question de l’immigration.

Mais le résultat ne sera pas, comme le disait René Dosière, évaluable avant l’alternance. Cela vaut mieux pour vous car tous les pays qui ont choisi les quotas, l’Italie, l’Espagne, ont eu à faire face à un flux massif d’immigration irrégulière qu’ils ont dû régulariser.

M. Jean-Pierre Brard. Ils étaient aussi nombreux que les grains de sable !

M. Arnaud Montebourg. Je résume donc votre funeste entreprise.

Violation des principes généraux de notre droit, piétinement des engagements internationaux de la France, précarisation considérable pour de nombreuses personnes n’ayant pas la nationalité française, que vous allez précariser dans un statut de ni régularisables, ni expulsables. Vous inventez là une machine à fabriquer des sans-papiers pour vos statistiques électorales.

Mise en marche d’un système de quotas qui a échoué partout dans le monde, notamment aux États-Unis ou en Europe, dans des pays qui ont décidé de les abandonner publiquement. Nous savons que les quotas sont une machine à inviter des candidats à l’immigration à tenter leur chance sur notre sol.

Mise en marche et mise à la disposition du système économique d’un mécanisme insidieux de pression à la baisse sur les salaires.

Finalement, il y a là l’alliance entre le libéralisme le plus dérégulé et l’autoritarisme antirépublicain qui, malheureusement, s’est décidé, pour des raisons d’opportunité et d’opportunisme électoral, à faire trop de concessions aux héritiers nostalgiques de Vichy.

M. Jean-Pierre Brard. Très bien !

M. Arnaud Montebourg. Vous aurez donc violé l’esprit et la lettre de la République et vous aurez, en plus, le poids de la responsabilité d’avoir fait gonfler l’immigration irrégulière, tout cela pour des compromissions électorales indignes, grossières et à courte vue.

La République méritait mieux, et croyez bien qu’elle ne vous donnera pas ses clés. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Nicolas Perruchot.

M. Nicolas Perruchot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous le savez bien, l’immigration constitue en France un sujet à la fois très sensible et particulièrement récurrent.

Son actualité demeure d’autant plus forte aujourd’hui que les perspectives démographiques en Europe laissent pressentir un recours nécessaire, dans un avenir proche, aux ressources de l’immigration.

C’est pourquoi la diversité et l’ampleur des implications de notre politique d’immigration dans de nombreux domaines de la vie nationale rendent indispensable une analyse régulière, mais aussi très attentive, de l’action publique. Notre cohésion nationale dépend en effet, pour une large part, de la réussite de la politique d’immigration, et plus particulièrement des actions d’accueil et d’intégration mises en œuvre, volet que vous avez souhaité aborder dans votre projet de loi et sur lequel je reviendrai ultérieurement.

D’abord, et le ministre d’État l’a rappelé cet après-midi à cette tribune, l’immigration en France est une question « mal connue ».

Elle est, certes, l’objet d’un débat public permanent et souvent passionné, et ainsi le problème de la maîtrise des flux migratoires est au centre de toutes les préoccupations. À titre d’exemple, depuis 1974, l’ordonnance de 1945 aura été modifiée à trente-quatre reprises !

Mais se concentrer uniquement sur la maîtrise des flux, pour les encourager ou les dissuader, est un signe de notre incapacité à mettre en perspective notre politique d’immigration, à la considérer dans son contexte économique, politique et international.

En outre, il nous faut prendre en compte le changement de nature de l’immigration qui ne repose plus sur une demande de la part des employeurs – comme c’était le cas il y a encore quelques années –, mais maintenant sur la demande des migrants eux-mêmes. Évidemment les implications sont dès lors bien différentes en matière d’accueil sur notre territoire et d’intégration à notre société.

Ainsi les notions fondamentales d’accueil et d’intégration des Français d’origine étrangère sur notre sol ont trop souvent été négligées. Il n’y a pas lieu alors de s’étonner des décalages, des incompréhensions, comme des inégalités entre les Français de souche et ceux d’origine étrangère !

M. Jean-Christophe Lagarde. Très bien !

M. Nicolas Perruchot. C’est cette situation, cette non-prise en compte des véritables enjeux de l’immigration que je regrette, et qui doit nous conduire à nous interroger sur les trois piliers de notre tradition républicaine que sont la citoyenneté, la laïcité et l’égalité.

Cette question de l’intégration avait fait l’objet de mon intervention lors de l’examen de la précédente loi en novembre 2003. J’avais souhaité, et je le soutiens encore aujourd’hui, la mise en place d’un véritable contrat d’intégration. Car au-delà des obligations pour l’étranger d’intégration républicaine, notamment pour la délivrance de la carte de résident, il me paraît fondamental d’intégrer la notion de contrat aux termes duquel chaque partie s’engage à respecter ses obligations.

M. Jean-Christophe Lagarde. Très bien !

M. Nicolas Perruchot. C’est pourquoi je souscris pleinement à l’introduction dans le code de cette disposition. En effet, jusqu’à présent, seul l’étranger devait se soumettre à des obligations d’intégration républicaine, notamment aux termes de l’article L.314-10. Désormais, si l’étranger doit conclure un contrat par lequel il s’engage à suivre une formation civique et éventuellement linguistique, l’État doit, de son côté, s’engager à lui fournir les moyens nécessaires à son intégration républicaine. Les droits et devoirs de chacune des deux parties ainsi posés rétablissent un équilibre inexistant jusqu’alors. Le fait que l’État s’engage à donner les moyens à chaque étranger désirant s’établir durablement en France de le faire, témoigne d’une réelle volonté de favoriser l’intégration. Par ailleurs, cette disposition de l’article 4 du projet de loi permettra à nombre d’étrangers de s’intégrer plus rapidement dans notre société grâce aux outils fournis. Il demeure important que la tradition républicaine de notre pays retrouve ses lettres de noblesse et nous pourrons ainsi atténuer, voire gommer, les décalages et inégalités.

Au-delà du contrat d’intégration – dont nous souhaitons, monsieur le ministre, que cette politique soit dotée en moyens car trop souvent ce sont les mairies ou les conseils généraux qui ont dû pallier les lacunes des dispositifs mis en place par l’État –,…

M. Jean-Christophe Lagarde. C’est vrai !

M. Nicolas Perruchot. …c’est vers un véritable programme d’intégration que nous devons nous diriger, basée sur deux piliers : la langue – j’étais tenté de dire uniquement la langue – et les valeurs de notre société.

Je suis, et je pense que beaucoup d’entre nous le sont, très souvent interpellé par des hommes et des femmes qui vivent depuis cinq, dix, parfois quinze ans sur le territoire sans connaître un mot de français. Comment dès lors arriver à s’intégrer normalement ? Je souhaite pour ma part que ce contrat d’intégration permette et donne les moyens à chacune et chacun de pouvoir apprendre correctement le français.

À ce titre, je ne peux souscrire complètement aux dispositions du projet de loi visant à abroger la délivrance de plein droit de la carte de résident à l’étranger en situation régulière depuis plus de dix ans. Ces mesures ne régleront pas à mon sens les questions d’intégration. Elles risquent au contraire de fragiliser et de jeter dans la clandestinité des étrangers ayant noué des attaches personnelles dans notre pays et vivant une intégration de fait.

Ainsi, plutôt que « l’immigration choisie » ou « l’immigration concertée », le groupe UDF souhaite favoriser une immigration responsable.

Par « responsable », j’entends une politique d’immigration mise en œuvre par un pilotage fort, et simplifié, qui aboutisse notamment à la création d’un ministère de l’immigration.

M. Jean Dionis du Séjour. Très bien !

M. Nicolas Perruchot. Ce ministère serait le pilote de notre politique d’immigration en matière de sélection et de contrôle à l’entrée de notre territoire, comme en ce qui concerne l’accueil des populations migrantes et leur intégration à moyen et long terme.

Cinq raisons au moins justifient ce pilotage fort.

D’abord, la très grande complexité des problèmes rencontrés, leurs dimensions nationales et internationales, mais aussi administratives et parfois judiciaires,

Ensuite, le nombre de ministères et administrations concernés, qui contribuent à diluer l’efficacité des textes adoptés. Vous avez tous en mémoire les discussions que nous avions eues en 2003 où le texte qui devait être présenté à l’Assemblée avait été saucissonné, de manière assez habile il est vrai par le Premier ministre de l’époque, ce qui avait contribué à diluer son efficacité. Nous avions été nombreux à le déplorer. Souvenez-vous, la partie « asile » avait été traitée par le Quai d’Orsay,…

M. Jean-Christophe Lagarde. C’est vrai !

M. Nicolas Perruchot. …la partie concernant plus spécifiquement l’intégration avait été traitée par le ministre de l’intérieur et une partie avait été gérée par celui des affaires sociales,…

M. Thierry Mariani, rapporteur. Absolument !

M. Nicolas Perruchot. …ce qui avait contribué à diluer totalement l’objectif initial qui était pourtant intéressant.

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. C’est clair !

M. Nicolas Perruchot. Cela avait néanmoins permis d’avoir un débat. Peut-être grâce à l’habileté du ministre de l’intérieur, c’est aujourd’hui chose différente puisqu’un seul texte nous est proposé. Tant mieux. Il faut donc, je crois, un pilotage fort et des textes qui soient sous la houlette d’un seul ministre.

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Très bien !

Mme Catherine Génisson. Il n’est pas là !

M. Nicolas Perruchot. Troisième raison qui justifie un pilotage fort : l’organisation administrative qui n’est pas satisfaisante. Les préfets et les maires, par exemple, rencontrent de nombreuses difficultés en matière d’information et de suivi des dossiers.

À ce sujet, nous avions voté en 2003 des dispositions permettant aux maires d’être informés des dispositions liées aux attestations d’accueil et aux décisions de l’OMI. Or ces mesures ne sont toujours pas mises en œuvre.

M. Jean-Christophe Lagarde. Il a raison ! On se moque de nous !

M. Nicolas Perruchot. Nous sommes nombreux à le déplorer et je souhaite que nous puissions, après ce débat, avoir ces dispositions et, surtout, ces informations qui sont nécessaires. Dans l’exercice de leurs fonctions, les maires sont souvent très démunis en matière d’information face au suivi des règles d’immigration.

Quatrième raison qui milite pour un pilotage fort : l’approche trop souvent contradictoire des différents acteurs de notre politique actuelle d’immigration que sont les ministères, les établissements publics, mais aussi les associations partenaires. Et nous sommes nombreux à constater sur le terrain que, bien souvent, bon nombre d’associations partenaires qui peuvent parfois gérer des plateformes n’ont pas toujours la même vision des choses que le Gouvernement et l’État. Qui fait le tampon ensuite ? Souvent les élus locaux qui sont obligés de composer avec, d’un côté, un préfet qui doit faire appliquer les textes et, de l’autre, une plateforme associative qui, parfois, a des difficultés philosophiques, si je puis dire, à les faire adopter.

Enfin, cinquième et dernière raison : un État qui, faute de pilotage fort, est plus souvent amené à déléguer plutôt qu’à agir directement en matière d’immigration et d’intégration.

C’est pourquoi, monsieur le ministre, je pense que notre politique d’immigration doit dorénavant être responsable, non seulement sur notre territoire, mais aussi vis-à-vis de nos voisins européens.

Réduire la politique d’immigration actuelle à notre seul territoire national serait un leurre. Il est bien évident qu’une réflexion sur l’immigration dépasse aujourd’hui largement nos frontières, et que ce n’est qu’en favorisant la concertation avec nos voisins européens que nous pourrons mettre en œuvre les grands axes d’une politique d’immigration dans l’espace Schengen.

C’est aujourd’hui la condition sine qua non d’une politique d’immigration et d’intégration responsable.

Car favoriser « l’immigration choisie » plutôt que « l’immigration subie » ne peut constituer une réponse unique à cette question.

En aucun cas, le développement d’une immigration choisie remplacera l’immigration subie et les deux phénomènes, au lieu de se substituer, se superposeront. Je vous rappelle par ailleurs que les textes précédents nous permettaient dans une certaine mesure de procéder à des ajustements en cas de pénurie de main-d’œuvre.

Trop souvent, nous réduisons la question de l’immigration à notre sphère nationale, alors qu’il nous faudrait élargir notre horizon afin de mettre en place une réelle politique de développement avec les pays d’origine. N’oublions pas que les immigrants fuient la plupart du temps des situations insoutenables économiquement ou politiquement dans leurs pays. Aider les pays d’origine, générateurs des grandes migrations, à donner à leurs ressortissants les chances de réussir me paraît être la clé du développement humain nécessaire à l’évolution de nos sociétés.

M. Jean Dionis du Séjour. C’est essentiel !

M. Nicolas Perruchot. rAprès avoir attentivement écouté les débats que nous avons eus depuis cet après-midi, je veux dire, pour conclure, que j’espère voir, un jour ou l’autre, des gens issus directement de l’immigration siéger dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

Mme Nadine Morano. Encore ? C’est insupportable !

M. Thierry Mariani, rapporteur. Pas plus de dix minutes, monsieur le président ! M. Brard a une fâcheuse tendance à l’expansionnisme !

M. Jean Dionis du Séjour. Maintenant qu’il est le porte-parole des évêques ! (Rires.)

M. Jean-Pierre Brard. Ne soyez pas anticléricaux, mes chers collègues.

Mme Nadine Morano. Vous êtes allé à confesse, monsieur Brard ?

M. Jean-Pierre Brard. Madame Morano, si j’y allais, je passerais certainement moins de temps que vous dans le confessionnal !

Mme Nadine Morano. En êtes-vous si sûr ?

M. Jean-Pierre Brard. Absolument. Je vous ai d’ailleurs vue aujourd’hui en photo dans un journal du matin, Le Parisien

M. Jérôme Rivière. Monsieur le président, nous sommes là pour parler de l’immigration !

M. Jean-Pierre Brard. …et j’ai constaté que vous fréquentiez des lieux incertains. Je crois que c’était place Beauvau.

Monsieur le président, monsieur le ministre, hélas, M. Sarkozy n’est pas là.

M. Serge Blisko. Il est au séminaire !

M. Jean-Pierre Brard. Il nous a pourtant expliqué, cet après-midi, que désormais un superministre s’occupait des affaires étrangères, des affaires sociales et des questions de sécurité. Je me demande d’ailleurs comment est organisé ce gouvernement : comporte-t-il des sous-groupes ? N’est-il que la fédération des factions organisées au sein de l’UMP ? J’ai beau avoir du respect pour votre travail, monsieur Estrosi…

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Je l’espère !

M. Jean-Pierre Brard. …je me demande ce que l’immigration a à voir avec l’aménagement du territoire.

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Vous n’êtes pas sans savoir que je suis ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur ?

M. Jean-Pierre Brard. Oui, admettons que vous soyez concerné par délégation.

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Vous connaissez le droit ?

M. Jean-Pierre Brard. Mais j’avais cru comprendre que ce texte revêtait une importance extrême pour le ministre d’État et qu’il serait donc mobilisé pendant tout le débat.

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Il l’est ! Il vous entend, de l’autre côté du mur !

M. Jean-Pierre Brard. Or, à peine fit-il une apparition − un peu comme à Lourdes, madame Morano −, qu’il disparut.

C’est un problème : comment va-t-il répondre aux orateurs, puisqu’il n’aura pas assisté au débat ?

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Son esprit est là !

M. Jean-Pierre Brard. Oh, ce n’est pas l’Esprit saint !

Monsieur le président, monsieur le ministre, à quatorze mois d’élections majeures pour notre pays, le projet de loi dont nous entamons l’examen marque une nouvelle étape dans la mise en œuvre de la politique voulue par les idéologues les plus réactionnaires de la majorité actuelle, appliquée sans pitié par les gouvernements en place depuis 2002 et combattue par le peuple français. N’est-il pas un peu cruel de vous rappeler que vous avez perdu toutes les élections depuis 2002 ?

Par le projet que vous nous soumettez, vous enfermez l’immigration dans une approche utilitariste, sécuritaire et discriminatoire qui est censée correspondre au nouveau credo gouvernemental, à savoir stopper l’immigration « subie » et promouvoir une immigration dite « choisie ».

M. Thierry Mariani, rapporteur. Bravo !

M. Jean-Pierre Brard. Pure provocation ? Pas seulement, car, comme le dit, dans Libération du 22 avril dernier, Jean-Arnold de Clermont, président de la Fédération protestante de France − avec lequel le ministre de l’intérieur pourtant partage quelques visées, telles que la remise en cause de la loi de 1905 −, « ce projet de loi est une fragilisation considérable pour les migrants et leurs familles » et on peut y déceler « la connotation électoraliste, une fois de plus ». Il en va de même d’Olivier de Berranger, évêque de Saint-Denis − dont j’ai déjà remarqué qu’il vous donne de l’urticaire − et qui, lui aussi, voit là « un procédé électoraliste, cette loi allant dans le sens majoritaire de l’opinion ».

M. Jérôme Rivière. Suivre la majorité, c’est mauvais ?

M. Jean-Pierre Brard. « Nous sommes d’accord, dit-il, la situation actuelle n’est pas saine mais ne laissons pas croire que l’on peut la résoudre avec des modifications d’ordre juridique, à la marge, alors qu’il faudrait traiter les causes des migrations. » Je ne suis ni protestant ni catholique : je cite ces deux personnalités parce que ce sont des hommes d’opinion, qui jouent un rôle dans les débats publics, même si cela vous déplaît fort dès lors qu’ils donnent des points de vue libres, indépendants, marqués par l’humanisme.

Selon votre logique, qui ne voit dans l’immigré que la force de travail devant alimenter notre machine économique, comme pendant la sinistre période de la Traite, il nous faudrait accepter de donner l’image d’une France qui choisirait ses immigrés, comme cela se faisait déjà sur l’île de Gorée. Les diplômes remplaceraient les belles dents. Vous avez autant de considération pour les immigrés choisis, nécessaires à notre développement économique, que pour les barils de pétrole importés.

Ainsi, l’article 12 créerait une carte portant la mention « compétences et talents » dont les bénéficiaires seraient « choisis en prenant en compte la personnalité et les aptitudes de l’étranger ». Mes chers collègues de l’UMP, j’ai là un projet de questionnaire de personnalité à soumettre aux immigrés. Je le tiens à votre disposition, madame Morano.

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des lois. Elle n’a rien fait !

Mme Françoise de Panafieu. C’est de la rage ?

M. Jean-Pierre Brard. Non, ce n’est pas de la rage. Je ne suis pas comme le ministre d’État, je ne suis pas habité par la haine des autres, surtout quand ce sont des gens modestes, des anonymes…

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des lois. Il va nous faire pleurer.

M. Jean-Pierre Brard. …qui ont pour seule vertu de retrousser leurs manches et de contribuer à créer les richesses de notre pays.

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des lois. Sortez les mouchoirs !

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur Geoffroy, cela ne doit pas vous arriver souvent !

M. le président. Monsieur Brard, veuillez revenir à votre discours.

M. Christophe Caresche. Sortez plutôt le questionnaire !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Quel est ce questionnaire ?

M. Jean-Pierre Brard. Je tiens le questionnaire à votre disposition, monsieur le ministre. Vous le connaissez bien.

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Donnez-le-moi, je vais le remplir !

M. Jean-Pierre Brard. Vous avez déjà dû le faire.

M. Thierry Mariani, rapporteur. Quel est ce texte ? D’où vient-il ?

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des lois. De la place du colonel-Fabien !

Mme Nadine Morano. Du goulag !

M. Jean-Pierre Brard. Je vais vous le dire : voilà les questions qui seront posées.

Mme Françoise de Panafieu. Par qui ?

M. Jean-Pierre Brard. Par les fonctionnaires aux candidats à l’immigration. Je le constate, vous ne connaissez pas ce texte que, dans sa discrétion, le ministre d’État ne vous a pas remis. Je vais vous donner quelques exemples de questions : « Vous inquiétez-vous habituellement de la nécessité de protéger votre santé ? Achèteriez-vous à crédit dans l’espoir de pouvoir continuer à honorer les paiements ? »

Mme Nadine Morano. Qu’est-ce que c’est que ça ?

M. Jean-Pierre Brard. « Si nous envahissions un autre pays, ressentiriez-vous de la sympathie pour les objecteurs de conscience de ce pays ? »

M. Thierry Mariani, rapporteur. C’est un questionnaire du PC ?

M. Jean-Pierre Brard. Non, ce n’est pas un questionnaire du PC.

Mme Nadine Morano. Ça vient de Cuba ?

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. C’est un délire de M. Brard !

M. Jean-Pierre Brard. C’est un questionnaire auquel adhère un ami proche de Nicolas Sarkozy, quelqu’un qu’il rencontre de temps en temps, avec lequel il discute affaires familiales, affaires cinématographiques. C’est le questionnaire dont Mme de Panafieu fait la promotion.

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des lois. Chacun son tour !

M. Jean-Pierre Brard. D’ailleurs, il est rédigé par une organisation représentée dans son arrondissement, le 17e, et à laquelle adhère un ami proche de Nicolas Sarkozy, Tom Cruise.

M. Jérôme Rivière. C’est de l’accusation par amalgame !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. Rassurez-vous, Tom Cruise a quelques millions d’amis dans le monde !

M. Jean-Pierre Brard. Voilà que M. Estrosi défend Tom Cruise !

M. le ministre délégué à l’aménagement du territoire. C’est un très bon artiste !

M. Jean-Pierre Brard. Il ne manquait plus que cela : vous allez chercher des alliés dans une organisation criminelle, telle l’Église de scientologie. Tout à l’heure, je vous ai mis au défi de faire la clarté sur les mafieux russes de l’arrière-pays niçois, et voilà que, maintenant, vous volez au secours des amis de M. Sarkozy, dont l’un des représentants éminents est Tom Cruise.

Mme Nadine Morano. Quel délire ignoble !

M. Jean-Pierre Brard. Il fallait que cela fût dit dans l’hémicycle.

Monsieur le ministre, j’entends que vous nous expliquiez comment vous allez procéder et surtout qui prétendra évaluer et juger la personnalité des étrangers. Je vous ai donné l’exemple du questionnaire, auquel vous avez tout de suite porté attention, parce qu’il se situe dans le droit fil de ce à quoi vous croyez. Votre projet de loi est dangereux, car il jette l’opprobre sur les migrants et leurs enfants et petits-enfants, que d’aucuns rendent responsables de tous les maux de notre société.

En octobre-novembre dernier, ne vous êtes-vous pas aventuré dans une analyse parfaitement et volontairement mensongère qui manipule et travestit les faits pour accroître le sentiment d’insécurité et jouer avec les peurs de nos concitoyens ?

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des lois. Aucun poncif ne nous sera épargné !

M. Jean-Pierre Brard. Dans ma ville de Montreuil, sur vingt-sept arrestations, il y avait une majorité de descendants de Vercingétorix. Pourquoi ne dites-vous pas la vérité ? En réalité, pour exploiter votre fond de commerce politicien et nauséabond, vous avez besoin de mentir et de travestir les faits. En quelques phrases prononcées devant les micros et les caméras, M. Sarkozy avait désigné les coupables. La machine à stigmatiser était déjà en marche, comme pour mieux dissimuler les ravages que votre gouvernement et sa politique infligent au pays, depuis 2002, en se désengageant de nos villes et de nos banlieues,…

Mme Nadine Morano. C’est la loi SRU !

M. Jean-Pierre Brard. …en supprimant les crédits aux associations de terrain, en supprimant la police de proximité…

M. Guy Teissier. Avec vous, c’est la police politique !

M. Jean-Pierre Brard. …− dans ma ville de Montreuil, l’ère Sarkozy, c’est quarante fonctionnaires de la police nationale en moins −, en démolissant les mécanismes de protection sociale et de lutte contre l’exclusion.

Votre gouvernement conjugue et aggrave l’insécurité publique et l’insécurité sociale.

M. Sarkozy, président de l’UMP, prône la rupture et tente de faire croire à nos concitoyens que le gouvernement actuel ne serait ni responsable ni coupable de la situation dans laquelle il laissera le pays au moment où il abandonnera les siens, notamment ses collègues du gouvernement, pour aller satisfaire ses ambitions personnelles, car il aspire à de hautes destinées, comme on l’a compris en transparence dans son discours de cet après-midi.

Jeudi dernier, monsieur le ministre, plus de 150 Montreuilloises et Montreuillois ont participé à la rencontre publique que j’ai organisée afin d’échanger et de débattre de votre projet.

M. Guy Teissier. Ce n’est pas beaucoup, 150 !

Mme Nadine Morano. Combien y a-t-il d’habitants, à Montreuil ?

M. Jean-Pierre Brard. Au terme de cette rencontre, les personnes présentes ont souhaité, à l’unanimité, que je me fasse le porte-voix, dans notre assemblée, des colères, des inquiétudes et des désaccords qui se sont exprimés ce soir-là. Ils m’ont également mandaté pour vous faire savoir que, dans sa tradition de solidarité avec les Allemands antinazis, les Italiens antifascistes, les Espagnols antifranquistes, les Portugais antisalazaristes, Montreuil se déclare terre de résistance à votre loi scélérate.

M. Guy Teissier. Et les Russes antistaliniens ?

M. Jean-Pierre Brard. Nous n’avons jamais été du côté des privilégiés et de leurs porte-serviettes.

M. Thierry Mariani, rapporteur. Et les Russes anticommunistes ?

M. le président. Laissez M. Brard conclure : son temps de parole est épuisé.

M. Jean-Pierre Brard. Je vous remercie, monsieur le président, de veiller à ma liberté d’expression. (Rires.)

Il existe une politique migratoire alternative à celle que vous voulez nous imposer. Elle est possible, fondée sur un dialogue et une coopération renforcée avec les pays qui, depuis des décennies, sont liés à la France par l’histoire et les flux migratoires.

Le véritable courage politique, aujourd’hui, consisterait à choisir la voie difficile d’une politique de l’immigration respectueuse des étrangers, une vraie politique de coopération fondée sur le respect, une politique où chaque État compte pour un.

Mme Nadine Morano. C’est exactement ce que nous faisons !

M. Jean-Pierre Brard. Or, plus de deux ans après la loi du 26 novembre 2003 modifiant la législation sur l’immigration et l’asile, vous décidez de procéder à une nouvelle réforme sans même prendre le temps de nous présenter le moindre bilan concret de votre politique.

De nombreuses organisations, dont le rôle consiste à aider, à conseiller et à accompagner les étrangers et leurs familles dans leurs démarches administratives, savent que votre loi a rendu la vie impossible − mais c’était certainement son objectif − à des dizaines de milliers de personnes, en remplissant au passage les centres de rétention. J’aurai l’occasion d’y revenir durant ce débat.

Monsieur le président, pour vous être agréable, je vais conclure. Aujourd’hui comme hier, la plupart des immigrés sont des réfugiés économiques et les victimes des politiques néocoloniales que vous avez développées en soutenant les tyranneaux locaux.

M. le président. Merci de conclure !

M. Jean-Pierre Brard. Par exemple, Mobutu ou Bokassa, vos amis à diamants.

M. Guy Teissier. Et l’Azerbaïdjan ? Et l’Arménie ? Et la Yougoslavie ? Et la Roumanie ?

M. Jean-Pierre Brard. En réalité, vous voulez pomper dans ces pays des forces intellectuelles modestes ou qualifiées parmi les ouvriers et provoquer des pertes irréparables dans leurs forces vives.

M. le président. Merci, cher collègue.

M. Jean-Pierre Brard. Où est, dans tout cela, l’intégration affichée abusivement dans le titre du projet de loi ? Nulle part, et, de cela, vous devrez, vous et les autres membres du Gouvernement, rendre compte à notre peuple. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Mme Catherine Génisson. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Guy Teissier.

M. Guy Teissier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui est emblématique, puisqu’il vient quelques mois seulement après la crise des banlieues et les problèmes d’intégration qu’elle a mis en avant.

Sujet totalement confisqué intellectuellement par la gauche dite bien pensante et ses satellites extrémistes, et électoralement par l’extrême droite, l’immigration a toujours été, et aujourd’hui plus que jamais, une préoccupation forte de nos concitoyens qui vivent trop souvent l’immigration comme une agression dans leur quotidien.

Nécessaire pour relancer la double problématique d’une démographie française défaillante et d’un besoin de main d’œuvre réel, l’immigration économiquement voulue dans les années soixante-soixante-dix s’est transformée, en trois décennies à peine, en une immigration socialement imposée.

Les erreurs ont consisté à laisser s’installer une immigration familiale, sans qualification professionnelle et parfois sans désir réel de s’intégrer à la culture d’accueil.

Aujourd’hui, tout cela un coût : 36 milliards d’euros, selon l’Institut de géopolitique des populations, soit 80 % du déficit public – deux fois le budget de la recherche.

Il évident que nous ne pouvons pas continuer comme cela : d’une part, parce que nous n’avons plus les moyens de financer cette générosité ; d’autre part, et c’est un point essentiel, parce qu’avec un taux de natalité de 1,9 enfant par couple, nos besoins d’ici 2050 ne seront plus les mêmes.

Le dire, c’est faire preuve de réalisme, c’est assumer la responsabilité collective d’un échec, longtemps programmé et devenu aujourd’hui réalité. C’est pourquoi je dis oui à une immigration choisie, pour une France en confiance.

Je souhaite une immigration choisie, car nous avons besoin de l’immigration. Je ne partage pas les mirages entretenus par certains d’une immigration zéro. C’est simple à dire, mais cela ne veut rien dire.

Ensuite, je ne crois pas qu’une société repliée sur elle-même puisse avoir un avenir. Nombreux sont ceux qui peuvent témoigner que leurs racines familiales viennent de loin, et que ce n’est pas parce qu’on vient de loin qu’on aime moins la France.

Une immigration choisie, cela signifie aussi que la France ne peut être le seul pays au monde qui ne puisse pas décider de ce qui est accepté sur son territoire et de ce qui ne l’est pas. Il faut le répéter et nous mettre d’accord sur ce fait : nous avons le droit, comme toutes les démocraties du monde, de choisir notre immigration. Un pays comme le nôtre n’aurait le droit de choisir personne et le devoir, sans doute, d’accueillir tout le monde ?

Ce projet de loi, monsieur le ministre, contient un grand nombre de dispositions utiles.

Puisque le temps m’est compté, je voudrais juste évoquer un point qui m’apparaît aussi important que symbolique : la maîtrise de la langue française. Il est évident que toute insertion réussie s’appuie sur la maîtrise des fondamentaux de la langue du pays d’accueil.

En effet, la langue constitue la base d’un vivre ensemble dans la perspective d’un avenir commun, et ce quelles que soient les mémoires, les religions, les cultures des uns et des autres.

A tous ceux qui diront que nous manquons de générosité, je répondrai qu’ils manquent, eux, de lucidité. Ce n’est pas être généreux que de faire entrer des hommes et des femmes auxquels nous n’avons ni emploi, ni logement à proposer – c’est même tout le contraire ! Ce n’est pas être généreux que de tolérer une immigration clandestine qui vient alimenter les filières criminelles, les ateliers illégaux et les marchands de sommeil. Enfin, ce n’est pas être généreux que de créer des quartiers ghettos sans avenir.

Alors, monsieur le ministre, aussi juste, équilibrée et opportune que soit la réforme que vous soumettez à notre examen, nous devons être tous conscients qu’elle doit s’accompagner d’une impulsion nouvelle de la politique d’aide au développement de la France en direction des pays d’émigration, et plus particulièrement de ceux du continent africain.

Dans vingt-cinq ans, l’Afrique comptera 1,3 milliard d’habitants. Si nous ne sommes pas capables, nous, Français et Européens, de donner un avenir décent à ce continent d’ici 2025, alors rien n’arrêtera des populations désespérées.

Parce que l’immigration et l’intégration vont de pair, il nous faut rétablir un discours positif et proposer un contrat à la fois juste et exigeant sur ces questions.

Ce projet de loi y contribue. Il respecte l’histoire de la France, ses traditions, et il défend les principes fondateurs de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Christophe Caresche.

M. Christophe Caresche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui le deuxième projet de loi du Gouvernement sur l’immigration, et je voudrais tout d’abord m’interroger, après d’autres, sur le sens de cette démarche inhabituelle.

Le texte qui nous est soumis est, à cet égard, une curiosité législative. Il est en effet pour le moins surprenant qu’un ministre propose de légiférer deux fois sur un même sujet dans une même législature.

Pourquoi présenter, à un an de la fin de cette législature, un texte de loi important – plus de 80 articles – sur l’immigration, considéré comme un texte essentiel pour la majorité, alors qu’une loi a déjà été adoptée en 2003 sur le même sujet ? On voudrait comprendre…

Les explications qui nous ont été données par le ministre de l’intérieur paraissent bien fragiles. Il serait désormais en charge de la coordination de la politique de l’immigration, ce qui lui permet, je le cite, de « poser les bases d’une nouvelle et ambitieuse politique de l’immigration ».

On n’ose imaginer que la politique d’immigration et d’intégration de la France ait tenu durant quatre années à un problème de coordination interministérielle ! Pour celui qui se présente comme un homme d’action, cela paraît bien dérisoire…

En réalité, vous avez beaucoup de difficultés à justifier ce nouveau texte. Et pour cause. S’il est dicté par la volonté de mettre fin à des dispositions que vous jugez trop libérales en matière d’immigration, notamment d’immigration familiale et de mariage, on est en droit de se demander pourquoi vous avez attendu quatre ans et pratiquement la fin de cette législature pour les modifier ? Pourquoi ne pas l’avoir fait dès 2003 puisque vous présentiez un texte sur le même sujet ?

La réalité des flux migratoires n’a pas brusquement changé ces derniers mois, ni même ces dernières années. Après avoir sensiblement augmenté de 1999 à 2002, les flux migratoires se sont stabilisés à partir de 2003, et ont même légèrement baissé en 2005.

Cette évolution n’est pas récente. Dès 2003, l’augmentation sensible du nombre des titres de séjour délivrés dans notre pays était connue. Pourquoi ne pas avoir réagi à ce moment-là ? Pourquoi invoquer seulement aujourd’hui une situation que vous connaissiez parfaitement il y a trois ans ?

La réponse peut sans doute paraître paradoxale : le ministre de l’intérieur n’a pas voulu prendre le risque de se retrouver confronté aux situations ingérables en matière d’immigration clandestine qu’impliquent les dispositions restrictives que vous nous demandez aujourd’hui de voter.

Vous ne vouliez pas de nouveaux événements comme l’occupation de l’église Saint-Bernard, et c’est pourquoi, en 2003, vous avez maintenu les dispositions de la loi de 1998 qui permettent une régulation intelligente de ce phénomène, notamment avec le dispositif de régularisation dit « au fil de l’eau » et celui de l’immigration familiale que, malheureusement, vous nous proposez de supprimer dans ce projet de loi.

J’irai plus loin. Le ministre de l’intérieur a utilisé toutes les facilités de la loi de 1998 ; il a même été son meilleur ouvrier !

M. Claude Goasguen. Vous auriez dû voter la loi de 2003 !

M. Christophe Caresche. Deux chiffres en témoignent : c’est sous la responsabilité de votre majorité et de ce gouvernement que le nombre d’immigrés accueillis sur notre sol a été le plus élevé depuis les dix dernières années. Et le ministre d’État est probablement celui qui aura procédé au plus grand nombre de régularisations !

II faut d’ailleurs l’en féliciter, car cette politique est conforme aux intérêts de notre pays. Elle maintient un flux migratoire raisonnable qui correspond à nos besoins ; elle a permis d’éviter des crises comme le mouvement des sans-papiers, que la majorité de gauche a dû affronter en 1997.

M. Claude Goasguen. Il fallait donc voter la loi de 2003 !

M. Christophe Caresche. J’ajoute qu’il a été bien inspiré, puisque malgré des méthodes pour le moins contestables, le nombre d’arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière a sensiblement augmenté. Selon le rapport, il est en progression forte depuis 1997 et il a atteint 64 221 en 2004.

Par ailleurs, le nombre d’arrêtés préfectoraux non exécutés, qui traduit le nombre d’étrangers en situation illégale restant présents sur notre territoire malgré la mesure de reconduite prononcée à leur encontre, connaît une forte croissance, en particulier depuis 1998. Cela signifie très clairement que, contrairement aux chiffres qui nous sont donnés, vous connaissez les mêmes difficultés, à peu de choses près, que les autres gouvernements pour faire appliquer les arrêtés d’expulsion, parce qu’il y a des limites, en termes de moyens mais aussi d’humanité, qu’il n’est pas possible de franchir.

Vous avez donc appliqué la loi de 1998 durant presque toute la durée de votre mandature et sans doute encore cette année, puisque vous savez très bien que le texte que vous nous proposez ne sera applicable au mieux qu’à la fin de l’année 2006, compte tenu des délais nécessaires pour les décrets d’application. Pendant cinq ans, vous aurez donc appliqué les mesures contenues dans la loi de 1998, qui, effectivement, permettent de réguler de manière satisfaisante les flux migratoires.

Le constat est là : le ministre de l’intérieur a appliqué la loi de 1998, adoptée sous le gouvernement de Lionel Jospin. Mais, en tant que président de l’UMP, et surtout en tant que candidat à l’élection présidentielle, il veut la mettre à bas et instrumentaliser le débat sur l’immigration à des fins électorales. Voilà la réalité ! Ce projet de loi apparaît bien comme un texte de pure opportunité politique à la veille des échéances présidentielles et législatives, qui plus est au moment où le Gouvernement connaît un échec retentissant sur le terrain social avec le CPE.

L’autre raison, avancée notamment par le rapporteur pour justifier ce texte, réside dans la volonté de donner une réponse à la crise de l’intégration que connaît notre pays.

Mais là aussi, la responsabilité de la majorité et du Gouvernement est engagée. Ce texte signe l’échec d’une politique : celle que vous avez menée depuis quatre ans et qui conduit en effet une partie de la population française et immigrée dans l’impasse.

A cette question, vous voulez apporter une réponse en termes de contrôle des flux migratoires, alors que les solutions sont d’abord économiques et sociales.

M. Serge Blisko. Absolument !

M. Christophe Caresche. Si des familles, si des enfants sont morts cet été à Paris dans des incendies, ce n’est pas parce qu’elles n’avaient pas à être sur notre territoire ou parce qu’elles n’avaient pas les moyens d’y être, c’est parce que la crise du logement confine dans des taudis des milliers de personnes qui souvent travaillent, parfois pour nos services publics, et sont insérées socialement. Et la remise en cause de la loi SRU, notamment dans vos propres communes, n’est certainement pas pour améliorer cette situation catastrophique.

La cause de ces situations, qui peuvent s’avérer tragiques, n’est pas principalement un défaut d’intégration, même si je ne nie pas la nécessité d’aller plus loin dans ce domaine, mais la crise économique et sociale, qui s’est aggravée ces dernières années et qui touche en priorité les populations immigrées.

Votre projet de loi apparaît bien comme un texte de circonstance, dicté par des considérations électoralistes. Les propos du ministre d’État, reprenant mot pour mot les slogans du Front national, ont achevé de nous en convaincre.

Ce projet de loi aura des conséquences importantes et néfastes.

Première conséquence néfaste : il rompt l’équilibre qui avait prévalu jusqu’à présent entre la nécessaire maîtrise des flux migratoires et une ouverture mesurée de nos frontières, équilibre qui avait fait l’objet d’un consensus politique puisque vous ne l’aviez pas remis en cause en 2003.

C’est ce texte, monsieur le ministre, qui casse aujourd’hui le consensus qui, de fait, existe depuis dix ans.

M. Jérôme Rivière. Il n’y a pas de consensus en France ! On voit que vous n’avez jamais consulté les Français !

M. Christophe Caresche. Ce texte est excessif, et il marque le retour à une politique restrictive et inconséquente que nous avons connue sous les gouvernements Balladur et Juppé, et aux mesures prises par Charles Pasqua.

Vous opposez en effet « l’immigration choisie » à « l’immigration subie ». Cette opposition est malsaine et factice ; cela a déjà été dit.

Elle est malsaine, car elle stigmatise, une fois de plus, les immigrés et les présente comme un fardeau pour la France. Elle fait le tri entre les supposés « bons » immigrés et les « mauvais ». Ce faisant, elle divise à la fois dans la population immigrée, en opposant les uns aux autres, mais aussi à l’intérieur même de la nation française, en désignant des boucs émissaires.

Cette position a même choqué les églises qui se sont émues des « conséquences sur le sort qui sera réservé à tant d’hommes et de femmes à la situation fragile ». C’est dire à quel point le défaut d’humanité de ce texte est contraire non seulement à nos valeurs républicaines mais également au fondement de notre culture.

De plus cette opposition est factice.

D’une part, parce que l’immigration familiale est aussi une immigration de travail. Vous savez bien, monsieur le ministre, que les emplois du secteur de l’aide à la personne par exemple sont essentiellement assurés par des femmes immigrées. Il suffit, pour s’en rendre compte, d’aller à Neuilly vers seize heures trente, à la sortie des écoles.

D’autre part, parce que nul n’est besoin de faire une loi favorisant la venue d’étrangers pour certains secteurs, en créant une étiquette en trompe-l’œil avec la carte « compétences et talents ». Une simple circulaire aurait pu faire l’affaire. D’ailleurs, dans le passé, des circulaires ont été prises qui ont permis précisément de recourir à de la main-d’œuvre dont notre pays avait besoin.

M. Claude Goasguen. Y en a marre des circulaires !

M. Christophe Caresche. Deuxième conséquence néfaste : ce texte est dangereux car générateur de désordre. Il produit de la précarité et fabrique des clandestins.

Votre précédent projet de loi remettait déjà en cause un certain nombre de droits fondamentaux, notamment en durcissant les conditions de mariage et celles du regroupement familial. Ainsi avaient été durcies les conditions d’accès des étrangers à ce droit fondamental que représente le droit de vivre en famille.

Actuellement, le regroupement familial peut être refusé d’ores et déjà aux termes de la loi « si le demandeur ne dispose pas à la date d’arrivée en France d’un logement considéré comme normal pour une famille comparable en France ».

M. Claude Goasguen. Vous avez supprimé cette disposition, avec la loi Chevènement !

M. Christophe Caresche. Il existe déjà, dans la législation actuelle, des dispositions qui permettent…

M. Jean-Christophe Lagarde. Ce n’est pas vrai ! La loi n’est pas appliquée.

M. Christophe Caresche. Cette disposition n’est peut-être pas appliquée mais elle figure dans la loi.

M. Jean-Christophe Lagarde. Il suffit de disposer de seize mètres carrés pour deux personnes, voilà la réalité !

M. Christophe Caresche. Il existe donc déjà des dispositions qui permettent de contrôler le regroupement familial.

M. Claude Goasguen. Non, il n’y en a pas !

M. Christophe Caresche. Vous voulez aller plus loin, de façon à rendre, dans les faits, pratiquement impossible, en tous les cas très difficile, le regroupement familial.

M. Claude Goasguen. N’importe quoi !

M. Jérôme Rivière. Arrêtez ! Il y a l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

M. Christophe Caresche. Justement, vous allez y être confrontés à l’article 8 de la CEDH ; je vais y venir, s’agissant notamment de la question des régularisations.

Il existe actuellement un dispositif de régularisation individuelle permanente qui permet la régularisation automatique d’un étranger présent sur notre sol depuis dix ans. Il prévoit cependant une sorte de prescription, comme cela est le cas pour d’autres délits tels que la fraude fiscale. Des mécanismes voisins existent d’ailleurs dans d’autres pays européens, contrairement à ce que vous affirmez : en Angleterre, en Allemagne et en Espagne.

Vous savez bien, monsieur le ministre, que nos lois ont beau être de plus en plus répressives, la clandestinité zéro n’existe pas. Tant que les guerres, les famines, les difficultés économiques, les persécutions politiques feront fuir les misérables de leurs pays, il y en aura toujours qui arriveront à se glisser entre les mailles du filet. Il ne s’agit pas de donner une prime à la clandestinité comme vous le dites, mais de résoudre pragmatiquement un problème qui n’a pas été résolu durant dix ans puisque la police n’a pas réussi à arrêter ou à expulser ces personnes. Ainsi que j’en ai apporté la démonstration tout à l’heure, vous êtes exactement dans la situation des gouvernements précédents au regard des expulsions.

Dix ans de vie dans la clandestinité, c’est long.

M. Jérôme Rivière. Pas dans la clandestinité, dans l’illégalité ! Ce n’est pas du tout la même chose.

M. Christophe Caresche. Accessoirement, cela peut signifier que l’étranger a entamé un processus d’intégration.

M. Claude Goasguen. Incroyable !

M. Christophe Caresche. L’intérêt de ce dispositif de régularisation au fil de l’eau, est d’empêcher le « stock » inévitable de sans-papiers de s’hypertrophier jusqu’à l’explosion. Au total, avec le regroupement familial, cela aboutit à 20 000 régularisations par an.

En prenant ses fonctions en 2002, M. Sarkozy avait utilisé ce dispositif pour répondre à une mobilisation de sans-papiers. Je me souviens aussi qu’il avait défendu ce dispositif, sans a priori idéologique et avec le pragmatisme qui le caractérise parfois, contre une partie de sa majorité, ici même lors de l’examen de la loi de 2003.

Nous avions créé ce dispositif en 1998 parce que nous étions confrontés à une situation ingérable, intenable, héritage des lois Pasqua et de la politique d’immigration absurde menée par le gouvernement d’Édouard Balladur et d’Alain Juppé.

M. Michel Herbillon. Et la politique de Jospin, vous allez nous en parler ?

M. Christophe Caresche. Nous avons dû procéder à la régularisation d’une partie des sans-papiers, en fixant des critères précis et en cherchant à prévoir dans la loi les moyens de ne plus se retrouver face à des situations de ce type.

M. Jérôme Rivière. Et les Français vous ont répondu en 2002 !

M. Christophe Caresche. Aujourd’hui, vous adoptez une attitude cynique.

M. Claude Goasguen. C’est vous !

M. Christophe Caresche. Non, votre attitude est cynique parce que après avoir utilisé ces dispositions durant cinq ans, vous nous dites aujourd’hui qu’elles ne sont pas bonnes et qu’il faut les changer.

M. Claude Goasguen. Il fallait voter la loi, monsieur Caresche, si elle était bonne.

M. Christophe Caresche. Vous décidez de supprimer ces mesures et vous prenez le risque de mettre vos successeurs, quels qu’ils soient, en grande difficulté. Votre démarche peut se résumer à une formule simple : après moi le désordre !

M. Claude Goasguen. Vous êtes bien placé pour en parler !

M. Christophe Caresche. Le désordre, nous l’aurons, si ce texte est adopté. Et c’est probablement ce qu’il y a de plus contestable dans votre démarche. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Muguette Jacquaint.

Mme Muguette Jacquaint. Mes chers collègues, les élections approchent et le Gouvernement souhaite clairement que l’immigration constitue un thème central de la future campagne des présidentielles.

Par ce projet de loi, il veut en effet séduire les électeurs qui trouvent que les immigrés sont trop nombreux en France. Mais la réalité, c’est que, loin de réduire le nombre des étrangers, ce texte va plonger dans l’illégalité des centaines de milliers de personnes présentes sur notre sol. Ceux qu’il faut bien appeler aujourd’hui les nouveaux prolétaires seront d’autant plus exploitables par des employeurs sans scrupules parce que cela existe qui en profiteront pour aggraver les conditions de travail et peser sur les salaires. Et cela, que l’on soit immigré ou non.

M. le ministre de l’intérieur reprend un slogan véhiculé par l’extrême droite : « La France, aimez-la ou quittez-la ». Or précisément, ces étrangers aiment la France.

M. Jérôme Rivière. Non, ils aiment son système social.

Mme Muguette Jacquaint. Venant de pays pauvres et souvent dictatoriaux où vivre relève de l’exploit quotidien, ils l’ont choisie comme une terre d’asile. Souvent, leurs parents et leurs grands-parents ont combattu et parfois perdu la vie dans les rangs de l’armée française ou encore ont participé au développement économique d’entreprises qui ont été et qui sont encore, dans l’automobile ou le BTP, des fleurons de notre industrie.

En remerciement de cette volonté d’intégration, volonté que nous constatons à chacune de nos permanences, le Gouvernement propose leur précarisation, donc leur appauvrissement.

En effet, le texte rejette cette volonté d’intégration. Ainsi il propose de supprimer la possibilité pour les sans-papiers présents en France depuis plus de dix ans d’obtenir un titre de séjour. Cela veut dire que, même après trente ans, voire quarante ans, de résidence, leur régularisation dépendra du bon vouloir des administrations et chacun sait ce qu’il en est : dans le département de la Seine-Saint-Denis, par exemple, il faut attendre huit mois, voire un an, avant d’obtenir le premier rendez-vous pour être régularisé.

C’est oublier bien vite que la vie de millions d’hommes qui ont travaillé dans des conditions souvent déplorables ne pourra jamais être prise en compte. Au regard de ce qu’exigeaient les préfectures, il était déjà compliqué de fournir la preuve d’une résidence de dix ans. Désormais, les étrangers concernés sont condamnés à demeurer des clandestins à vie.

Vous nous direz, monsieur le ministre, que la solution est toute trouvée. Il suffit de renvoyer les sans papiers dans leur pays d’origine. Vous avez ainsi fixé un objectif annuel qui tourne autour de 25 000 reconduites à la frontière. Cependant un tel programme ne peut être mis en œuvre sans que les libertés fondamentales soient atteintes et, surtout, cela tourne le dos aux valeurs humanistes qui sont les nôtres. Où est l’humanité, où est l’humanisme quand on demande à une mère d’abandonner ses enfants sous le seul prétexte qu’elle n’a pas de papiers ?

M. Serge Blisko. Eh oui !

Mme Muguette Jacquaint. Pourtant, elle participe à l’éducation de ses enfants, elle parle français, donc elle est intégrée. Or une telle tentation liberticide est bien présente dans la circulaire du 21 février dernier qui autorise les services du ministre de l’intérieur à interpeller les sans papiers presque dans tous les lieux, y compris dans les centres d’hébergement et les hôpitaux, ne vous en déplaise. Par cette circulaire, vous organisez au sein même des préfectures l’exclusion des sans papiers alors que ceux-ci venaient se faire régulariser. C’est un comble !

Toutefois harcèlement n’est pas efficacité. Déclarer en effet, comme vous le faites, que vous souhaitez expulser du territoire français les étrangers en situation irrégulière relève de la démagogie pure et simple. C’est aller contre le principe de réalité qui doit prévaloir en la matière. La solution passe au contraire par une régularisation progressive des sans papiers présents en France. Sortis de l’illégalité, ceux-ci pourront enfin bénéficier des droits fondamentaux à la santé, au logement, à un travail correctement rémunéré et, je l’espère, bientôt du droit de vote aux élections locales.

Vous nous dites que cette régularisation aurait pour effet de créer un appel d’air sur les populations du sud. C’est totalement faux. L’afflux existe de toute façon ; il a pour origine l’extrême pauvreté dans laquelle ces populations vivent. À cet égard, je remarque qu’aucune solution de co-développement avec le tiers-monde n’est proposée par le Gouvernement. Au contraire, il s’évertue à en piller les intelligences, notamment au travers de la carte « compétences et talents ». Rien de plus logique puisque vous faites prévaloir une illusoire réponse policière sur une véritable réponse humaniste.

Afin de masquer la réalité de ce rejet massif des étrangers dans l’illégalité, vous cherchez à donner le change en mettant en avant une immigration choisie. Cependant cette notion n’est qu’un leurre puisque vous proposez non pas un accès durable à notre sol mais, au contraire, l’utilisation ponctuelle d’une main d’œuvre étrangère dans certaines zones et pour certains métiers, dont on se débarrassera bien vite dès que, dans ces zones, la situation de l’emploi sera rétablie. Cette mesure va d’ailleurs de pair avec une autre disposition selon laquelle la rupture du contrat de travail entraîne ipso facto le retrait du titre de séjour qui lui était lié. C’est à proprement parler l’invention de l’immigré « kleenex » !

Le Gouvernement demeure donc dans la même logique qu’avec le CNE et le CPE, à savoir la précarité généralisée pour les salariés. L’esprit est en effet le même : au « jeune jetable » du projet de loi sur l’égalité des chances fait suite l’« immigré jetable », qui peut être un jeune, du projet de loi sur l’immigration.

Les députés communistes et républicains espèrent de tout leur cœur que ce texte subira le même sort que le CPE. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Véronique Besse.

Mme Véronique Besse. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'immigration sera, à n'en pas douter, la question centrale de l'élection présidentielle, pour deux raisons.

En premier lieu, parce que le bilan de la politique d'immigration massive et incontrôlée menée depuis trente ans est catastrophique. Celle-ci est porteuse de deux grands malheurs. D’abord un grand malheur pour l'Afrique que l'immigration de masse est en train de condamner en la privant de ses élites. C'est ainsi, par exemple, que la moitié des médecins formés sur place ont quitté le continent africain alors qu'il compte aujourd'hui 40 millions de séropositifs. Un grand malheur ensuite pour notre pays : 320 000 entrées en 2005, 45 000 voitures brûlées dans les banlieues et la désintégration progressive de la France.

En second lieu, nous sommes désormais devant un problème de définition même de la France, car notre pays glisse peu à peu dans le communautarisme. La question est donc la suivante : la France a-t-elle vocation à devenir une juxtaposition de communautés ethniques, religieuses, sexuelles ? Doit-elle, au contraire, demeurer une communauté nationale fondée sur les principes républicains de l'unité, de l'égalité et de la citoyenneté ?

M. Jérôme Rivière. Très bien !

Mme Véronique Besse. Le ministre de l'intérieur a déjà répondu à cette question. Selon lui, la France d'après, c'est la France d'après les Français, la France du communautarisme. C’est en effet ce qu’il propose avec la discrimination positive, c'est-à-dire la préférence étrangère, le financement public des mosquées, c'est-à-dire la théocratie de l'impôt, le droit de vote pour les étrangers, c'est-à-dire la dissociation de la citoyenneté et de la nationalité.

Le projet de loi qui est soumis à notre assemblée ne va rien résoudre ; il va tout aggraver.

Premièrement, il accroîtra les problèmes d'immigration, puisque la loi va ajouter à l'immigration de peuplement une immigration de travail.

Deuxièmement, ce projet est moralement scandaleux, car l'immigration choisie consiste à faire venir travailler chez nous des étrangers qualifiés.

M. Mansour Kamardine. Ce projet est bon !

Mme Véronique Besse. Ce projet est scandaleux pour nos millions de compatriotes qui sont sans emploi et qui vont voir passer sous leur nez des ingénieurs chinois, des informaticiens indiens et des infirmières béninoises. Ne ferait-on pas mieux de former nos chômeurs et de les réinsérer par le travail ? Ce projet est aussi scandaleux pour les pays pauvres, puisqu'il consiste à aller piller leurs forces vives, si nécessaires au développement du tiers-monde. Nous subissons aujourd'hui la fuite des cerveaux français vers l'Amérique, et voilà que nous organisons la fuite des cerveaux africains vers la France !

En réalité, l'immigration subie est un désastre et l'immigration choisie une imposture.

Ce que préconise le Mouvement pour la France, c'est l'immigration tarie, c'est-à-dire l'immigration zéro, fondée sur trois principes.

Mme Nadine Morano. Ça n’existe pas ! C’est cela l’imposture !

Mme Véronique Besse. Le premier consiste à développer la générosité en amont, avec un plan Marshall permettant d’enrayer le déracinement africain.

Le second est la fermeté : il faut rétablir nos frontières, mettre fin aux privilèges exorbitants des illégaux et en finir avec le regroupement familial.

Le troisième enfin concerne la francisation : l'acquisition de la nationalité ne doit plus être automatique ; il faut imposer une charte républicaine pour les mosquées ; il faut rendre la France aimable, c'est-à-dire en finir avec les repentances, cesser de condamner le peuple français à la pénitence perpétuelle et retrouver l'amour de la France. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Juliana Rimane.

Mme Juliana Rimane. L'immigration clandestine grandissante plonge un peu plus chaque jour la Guyane dans une situation très angoissante, en raison de ses conséquences économiques et sociales.

La Guyane est la seule région mono-départementale, enchâssée dans le nord-est du continent latino-américain. Son territoire s'étend sur 84 000 kilomètres carrés ; elle est la plus vaste région française. Ses frontières avec le Surinam par le Maroni et avec le Brésil par l'Oyapock se déroulent en Amazonie sur près de 1 200 kilomètres. Ses frontières terrestres sont les plus longues, les plus perméables et les plus difficiles à contrôler de notre pays. De plus, elles ne sont pas des lignes de démarcation, mais, depuis toujours, des lieux d'échange.

La population réelle de la Guyane a été multipliée par quatre en trente ans, Les chiffres officiels publiés en décembre 2005 laissent penser qu'elle compte 184 400 habitants, parmi lesquels 42 584 étrangers en situation régulière, dont 21 771 mineurs, résidents eux aussi. Toutefois les étrangers en situation irrégulière seraient beaucoup plus nombreux que ceux considérés en situation régulière. Ne possédant aucune existence administrative, les irréguliers existent pourtant physiquement. Ils constituent une charge pour l'État, comme pour toutes les collectivités, organismes sociaux et acteurs de la vie économique locale.

Le PIB est en Guyane de quinze à quarante fois supérieur à celui des pays voisins. La Guyane est ainsi perçue comme un havre de richesses au milieu d'un océan de pauvreté. Les populations démunies des États voisins cherchent à tout prix à s'y installer pour bénéficier des dispositions économiques et sociales de haut niveau offertes à tout citoyen français et aux immigrés en situation régulière.

Le Gouvernement a pris des mesures très fortes pour lutter contre cette situation qui déstabilise totalement la Guyane, notamment par le renforcement de l'arsenal de répression et des moyens des forces de l'ordre, par l'augmentation des reconduites à la frontière, par les actions diplomatiques avec les pays voisins – dont les effets ne sont pas pleinement avérés –, par le contrôle renforcé des situations sociales par les organismes compétents. Ces mesures semblent néanmoins avoir montré leurs limites. L'immigration clandestine ne cesse de progresser. Elle est d'une gravité exceptionnelle. Les dispositifs adoptés en matière de coopération restent très peu suivis d'effets et font des frontières de puissants lieux de colonisation.

Toutes les collectivités locales et tous les organismes sociaux sont tenus par la loi de satisfaire les besoins de ces populations en situation irrégulière, ce qui se traduit par des charges en termes de constructions scolaires, de logements et d'équipements publics, mais également d’aides sanitaires et sociales.

Les clandestins n'ayant pas d'existence administrative bénéficient pourtant d'une exonération, fiscale et sociale, totale et permanente. Dans ces conditions, il est inutile de s'interroger sur l'origine des déficits de la puissance publique en Guyane : cela ressemble à un puits sans fond.

Les activités économiques souffrent de cette immigration clandestine, qu’il s’agisse du secteur aurifère, de celui de la pêche ou des services. Le taux de chômage est actuellement très élevé, de l'ordre de 25 %, alors que le travail dissimulé, source de concurrence parfaitement déloyale, se développe à un rythme soutenu. De plus, l'argent illégalement perçu ne s'investit pas localement. Il est, pour l'essentiel, envoyé aux familles des clandestins restées au pays.

La clandestinité entraîne la précarité et renforce l'insécurité. La société guyanaise est confrontée quotidiennement aux mécanismes de délinquance et de criminalité. L'institution judiciaire est débordée et les établissements pénitentiaires, déjà lourdement surpeuplés, sont à près de 60 % occupés par des ressortissants de pays étrangers. Cette insécurité et cette violence pétrifient tous les Guyanais. Depuis le début de cette année, trois représentants des forces de l'ordre ont été assassinés. Les funérailles du policier Robinson, laissant sa femme seule avec deux jeunes enfants, se sont déroulées à Cayenne, il y a quelques jours.

La lutte contre l'immigration clandestine appelle donc des mesures draconiennes. Si la République ne prend pas de toute urgence les dispositions qui s'imposent, la Guyane sera victime d'une redoutable radicalisation des populations, avec les conséquences que l'on connaît.

M. Joël Beaugendre. C’est vrai !

Mme Juliana Rimane. Pas plus tard que la semaine dernière nous avons assisté à des scènes très inquiétantes.

Aujourd'hui, le Gouvernement persiste avec détermination dans sa volonté de renforcer la lutte contre l'immigration clandestine. Cela étant, les lois appliquées en Guyane sont, comme sur l’ensemble du territoire de la République, fondées sur le principe d'égalité, qu’il s’agisse, pour ne citer qu’eux, de l’accès à l'école, aux services de santé ou aux aides sociales de toute nature, toutes choses qui constituent des éléments d'attractivité pour les populations les plus démunies de la région.

Je demande donc avec force, non seulement la conduite immédiate d'une réflexion de fond sur l'immigration clandestine, mais surtout la mise en œuvre, de toute urgence, de mesures législatives visant à supprimer les invraisemblables incohérences qui nous gouvernent.

L'augmentation des dotations de l'État aux collectivités locales confrontées à une lourde pression migratoire, comme le préconise d'ailleurs le récent rapport du Sénat sur l'immigration, est une nécessité. J'ai d'ailleurs déposé avec mes collègues de Guadeloupe un amendement dans ce sens.

En tout état de cause, je regrette que la commission composée d'acteurs locaux chargée d'apprécier les conditions de l'immigration en Guyane et de proposer des solutions adaptées, dont je suis à l'initiative, n'ait vu le jour qu'au mois de mars dernier. Ses conclusions auraient été de nature à apporter une contribution utile à ce texte.

La société guyanaise s'est enrichie au fil des siècles des apports des populations venant de tous les horizons. Elle est encore capable d'accueillir en son sein ceux arrivés plus récemment et parfaitement intégrés. Mais elle n'est plus en mesure aujourd'hui de recevoir tous ceux qui frappent à sa porte sans risquer de perdre un peu plus de sa cohésion.

Monsieur le ministre, il nous est vital de trouver un juste équilibre entre solidarité, humanité et fermeté. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Claude Goasguen.

M. Claude Goasguen. Voilà trente ans que la question de l’immigration est un sujet essentiel pour nos démocraties occidentales, trente ans que nous tournons en France autour de ce problème dans la plus grande hypocrisie. Or, ce qui frappe dans votre texte, c’est la volonté de rompre avec de habitudes qui ont montré désormais leurs limites.

Cette hypocrisie se manifeste sous des formes multiples que nous connaissons tous.

C’est d’abord l’hypocrisie des chiffres, dans le seul domaine où nous n’avons pas été capables en trente ans d’obtenir des données fiables, non pas tant sur la clandestinité que sur l’immigration légale elle-même, pour laquelle nous sommes même incapables de dire quelle est le ministère compétent, quelle est la fiabilité des sources de telle administration par rapport à telle autre – sans parler de l’Europe, qui vient compliquer le problème. Voilà un domaine où nous nous noyons dans les circulaires, plus complexes les unes que les autres, inapplicables et inappliquées par les divers services de l’État qui, après avoir commis une circulaire, se gardent bien d’en gérer l’application, conscients qu’ils sont de la complexité du problème.

C’est aussi l’hypocrisie des bons sentiments, dont nous avons encore eu quelques exemples aujourd’hui. Que les bons sentiments sont faciles dans ce domaine ! Que ce soit de la part des individus de cette assemblée, qui donnent toujours des leçons de morale, où de ceux qui, à l’extérieur, dans les épiscopats et les associations, feignent d’oublier que le débat est un débat essentiellement politique.

Mme Christine Boutin. Oh !

M. Claude Goasguen. Il est facile de réclamer l’évacuation des églises, pleines de sans-papiers dont on demande ensuite le maintien sur le territoire ! Il est facile encore de réclamer depuis trente ans la fermeture des frontières alors que jamais elles n’ont été aussi ouvertes et que la France est le seul pays européen à réaffirmer en permanence qu’il ne veut pas d’immigration tout en ouvrant ses frontières avec constance et libéralité ; j’emploie ce terme avec des nuances.

L’hypocrisie concerne enfin le travail, car l’on sait très bien que favoriser une immigration de travail est impossible dans ce pays ; cela est d’ailleurs interdit. Tout comme l’on sait que le regroupement familial, le droit d’asile ou des dispositions comme le mariage n’ont d’autres vocation – et c’est normal – pour ceux qui sont dans la plus grande difficulté que de les amener en France moins par amour de nos platanes ou de notre langue que parce qu’ils veulent avoir la possibilité de travailler.

Cette hypocrisie, monsieur le ministre, vous avez eu le courage de l’affronter en rompant avec une tradition bien établie, qui consiste, gouvernement après gouvernement, qu’il soit de droite ou de gauche, à répéter les mêmes antiennes en se bornant à les nuancer.

Il faut progresser dans cette voie, qui est la voie logique de la modernité. Cela implique deux prémisses.

La première est que notre pays ne peut continuer à absorber le flux migratoire qu’il connaît aujourd’hui. Il ne peut y avoir d’immigration choisie si l’immigration subie ne diminue pas nettement. C’est la raison pour laquelle nous approuvons dans votre projet le contrôle plus strict qui s’exercera contre tous les abus, notamment en matière de regroupement familial ou de droit d’asile.

Vouloir une immigration choisie sans réguler d’abord à la baisse l’immigration subie, c’est donner raison à nos adversaires qui nous accusent de vouloir ajouter à cette dernière une immigration supplémentaire. Il faut au contraire faire le choix d’une immigration que nous souhaitons transparente contre une immigration frauduleuse.

L’élément fondamental de cette loi est qu’elle s’inscrit dans une évolution qui se dessine depuis quelques années dans les grandes démocraties occidentales, notamment dans les pays habitués à maîtriser les flux migratoires comme le Canada.

Rappelez-vous, il y a quelques années, lorsque nous débattions, dans cet hémicycle, de la loi Chevènement, cette loi calamiteuse dont nous avons mis plusieurs années à réguler les conséquences tant elle installait un panier percé pour l’immigration clandestine ! Nous avions réussi à imposer au ministère de l’intérieur de publier chaque année un rapport sur la base de statistiques fiables. J’attends toujours le premier rapport du ministère de l’intérieur socialiste !

M. Bernard Roman. C’est trop tard !

M. Claude Goasguen. Il a fallu le changement de majorité en 2002 pour obtenir le premier rapport, certes aléatoire, sur les chiffres de la maîtrise des flux migratoires.

Cette première évolution a permis à l’Assemblée nationale et à l’ensemble de la population de connaître à peu près la dimension quantitative des flux migratoires. Cette tendance qui vise à donner à l’Assemblée nationale le pouvoir de décider, d’analyser et de définir en prospective la qualité et la quantité des flux migratoires est le symbole même d’une démocratie moderne en matière d’analyse de la politique de l’immigration. Celle-ci réclame autant notre intérêt que celle de l’emploi, du logement ou de l’agriculture. Ne laissons pas à des fonctionnaires, quelle que soit leur qualité, la maîtrise de circulaires incompréhensibles.

Mes chers amis, ce texte a au moins le mérite de nous donner la possibilité d’avoir, dans quelques mois, un rapport quantifié et qualifié sur les flux migratoires, qui donnera lieu à un débat. J’aurais préféré donner à celui-ci un caractère normatif par le biais d’une loi d’orientation – il aurait fallu consulter le Conseil économique et social –, et je vous conseille vivement, monsieur le ministre, d’avancer dans cette voie lors de la campagne présidentielle, afin que ce simple « rapport d’intérêt général » soit transformé en un rapport véritablement normatif nous permettant d’analyser en perspective les besoins de notre société, selon les régions, en matière de travail et, pourquoi pas, de quotas, car je ne fais pas partie de cette catégorie d’individus qui se bornent à lutter en avançant des chiffres ou des mots pour cacher de dures réalités.

Nous devons voter ce texte courageux, rigoureux, qui prend les risques de l’application de la loi. Il incarne une politique d’avenir. Il est tourné vers une politique moderne de maîtrise des flux migratoires. L’immigration choisie doit être la politique de demain en France et en Europe. Cela ne plaît peut-être pas aux bonnes âmes, mais l’immigration choisie vaut mieux que l’immigration frauduleuse, clandestine, mieux que les hypocrisies que la France connaît depuis trente ans. C’est la raison pour laquelle je voterai sans ambiguïté ce texte, en espérant que nos amendements seront adoptés. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Delnatte.

M. Patrick Delnatte. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pays d’immigration depuis la seconde moitié du XXe siècle, ce n’est qu’à partir de 1945 que la France se dote d’une politique d’immigration respectueuse des valeurs des droits de l’homme, des libertés publiques, des normes internationales. Durant la période des Trente glorieuses, la France a besoin de main-d’œuvre et a recours à des travailleurs immigrés, mettant en place le mécanisme dit du regroupement familial.

Aujourd’hui, l’immigration demeure sans rapport avec les besoins économiques de la France. Néanmoins elle s’inscrit dans le contexte d’un monde globalisé marqué non seulement par le développement sans précédent des facultés de transport et de communication, mais aussi par un écart qui s’aggrave entre les conditions de vie des populations des pays les plus riches et celles des pays les plus pauvres, souvent confrontés à une démographie explosive.

En France, trop de familles d’immigrés, voire de familles françaises d’origine immigrée, ont des conditions de vie déplorables : pauvreté, exclusion de l’emploi, précarité du logement, sentiment d’ostracisme avec des risques de racisme et de xénophobie.

Par ailleurs, laisser la fraude et le détournement de procédure se développer comme mode opératoire de l’immigration, c’est conduire au délitement du lien social et à la perte de valeurs qui fondent la citoyenneté républicaine.

Pour répondre aux aspirations légitimes de tout homme vivant sur notre territoire à une vie plus digne, il est impératif que la France s’engage, comme ses voisins européens, dans une nouvelle politique migratoire fondée sur la cohérence, la justice et la rigueur. La France doit être capable de réguler son immigration et de promouvoir une intégration réussie. C’est le mérite de la majorité et du Gouvernement d’introduire, dans le débat démocratique, l’immigration, trop longtemps restée un sujet tabou instrumentalisé par la surenchère xénophobe des partis extrémistes.

C’est aussi le mérite de votre projet de loi, monsieur le ministre, d’aborder l’immigration dans toutes ses réalités.

Il faut en effet renforcer l’attractivité de la France pour les travailleurs qualifiés et les étudiants de haut niveau. Cet objectif doit se concevoir dans une politique d’échanges favorables au co-développement. La France peut y jouer un rôle exemplaire.

Il faut également réguler les flux migratoires en fonction des besoins de l’économie. Tous les pays développés, plus spécialement nos partenaires européens, mettent en place des politiques d’immigration choisie.

Il faut encore installer une véritable politique d’accueil des immigrés. On a trop longtemps cru en France que l’intégration se ferait d’elle-même. Le constat s’impose que les politiques s’attachent plus à réparer les échecs de l’intégration qu’à l’organiser. Ce projet de loi apporte enfin les outils qui permettront une intégration réussie pour le nouvel arrivant.

En luttant contre la fraude pour éviter l’immigration illégale, en liant le regroupement familial à des conditions de ressources de vie favorables à l’épanouissement de la famille, en renforçant les obstacles au détournement du mariage, le projet de loi crée les conditions d’une immigration maîtrisée répondant aux objectifs que se fixe la nation.

Enfin, fidèle à nos traditions de défense des droits de l’homme, le projet de loi conforte l’immigration pour des motifs humanitaires, d’urgence et politiques, mais l’encadre mieux pour éviter des situations de crise. Je prendrai deux exemples.

Dans un souci de sécurité de la personne, d’assistance, le projet de loi transpose une directive communautaire de 2004 qui prévoit la délivrance d’un titre de séjour aux ressortissants des pays tiers victimes du proxénétisme et d’autres atteintes à la dignité humaine.

Par ailleurs, je me félicite qu’il soit prévu d’étendre le bénéfice de la carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » à un mineur étranger isolé qui a été confié à l’âge de seize ans au service de l’aide sociale à l’enfance et qui suit un parcours d’insertion. L’objectif est de permettre à ces jeunes soutenus par les conseils généraux, qui n’ont pas atteint à leur majorité les trois années de résidence requises pour souscrire une déclaration acquisitive de la nationalité française, de se maintenir légalement sur le territoire. Actuellement trop de jeunes étrangers, à la veille de leur majorité, par crainte d’une expulsion, quittent leur foyer d’accueil pour entrer dans la clandestinité et mettre en péril leur avenir. Leurs éducateurs dénoncent à juste titre un véritable gâchis. Le projet de loi met un terme à cette situation choquante.

Monsieur le ministre, vous avez indiqué que le débat parlementaire devra s’enrichir de propositions pour trouver un équilibre mieux apprécié par les différentes familles spirituelles de notre pays. Ainsi, nous pourrons ouvrir une nouvelle voie pour l’immigration réussie, pour peu que cette immigration soit pleinement assumée. Je soutiens donc ce projet garant d’un équilibre et d’une sécurité par son esprit de responsabilité et son respect des droits de la personne à vivre dignement.

M. le président. La parole est à Mme Christine Boutin.

Mme Christine Boutin. Face à la multiplication des mouvements de population dans le monde, la question de l’immigration reste un point aussi sensible qu’incontournable. Fallait-il pour autant l’évoquer aujourd’hui, alors que le calendrier est compliqué et pour le moins non pacifié ? Je me pose la question.

M. Bernard Roman. Moi aussi !

Mme Christine Boutin. Vous savez, monsieur le ministre, ce que je pense de ce texte. Il faudra l’amender fortement pour qu’il soit accepté non seulement par les personnes concernées directement, je veux dire les immigrés, mais aussi par les Français issus de l’immigration et par une grande majorité de nos concitoyens souhaitant rester fidèles à notre tradition républicaine, celle de l’accueil.

L’examen de ce texte soulève de nombreuses questions de société.

Tout d’abord, quel regard portons-nous sur l’étranger ? Est-il pour nous porteur de richesse par sa différence ou est-il celui que l’on doit repousser à cause de cette différence ? De la réponse donnée par ce projet de loi dépendra une grande part de notre cohésion sociale, car celui qui n’accepte pas l’étranger parce qu’il est différent finira par ne plus accepter son voisin pour le même motif. Bien sûr, il ne s’agit pas d’évoluer dans le rêve. Nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde, mais de là à fragiliser nos principes fondamentaux, comme beaucoup le soulignent, c’est un pas que nous ne pouvons pas franchir.

M. Claude Goasguen. Incroyable !

Mme Christine Boutin. Il est impossible de légiférer sur l’immigration sans proposer des actions de co-développement. Il est bien vaniteux de croire que des textes suffiront pour empêcher des hommes, des femmes et des enfants de venir sur notre territoire. L’urgence, aujourd’hui, c’est le co-développement, le partage des richesses entre le Nord et le Sud. Tant que des personnes risqueront leur vie sous un train d’atterrissage d’avion pour vivre en Europe – la France n’est pas le seul pays confronté à ce problème – dans des conditions inacceptables pour nous, mais qui sont de toute évidence meilleures que celles proposées dans leur pays d’origine, ce ne sont pas nos lois, nos règlements ou la police qui les arrêteront.

Mme Jacqueline Fraysse. Absolument !

Mme Christine Boutin. Il est de notre devoir de responsables politiques de le confirmer à nos concitoyens qui le savent déjà.

Ce sont les principes qui ont fait de la France la patrie des droits de l’homme qui doivent guider nos travaux, notamment la dignité de tout homme, quels que soient sa race, sa religion, son état de santé. Je ne me lasserai jamais de dire que, pour moi, le critère d’efficacité d’une politique se mesure à ses conséquences pour les plus fragiles. La solidité d’une chaîne ne vaut que par la résistance de chacun de ses maillons, en particulier les plus faibles. Cela est valable pour la question de l’immigration qui, à bien des égards, est révélatrice de notre temps et des défis que nous avons à relever.

Ainsi, le défi de l’intégration renvoie la France à elle-même. Le repli sur soi des Français est signe d’une crise identitaire. Or l’intégration ne sera possible que si l’on surmonte cette crise. Pour cela, j’appelle les Français à rompre avec la peur afin que la France redevienne un pays fort, juste et accueillant.

Pour favoriser l’intégration de tous, la France peut s’engager dans deux voies divergentes : celle de la discrimination positive ou celle du dialogue et de l’unité. Pour ma part, je récuse la voie de la discrimination positive et des quotas, qui conduit à une politique de communautarisme. Je choisis la voie, sans doute plus longue, plus difficile, mais certainement plus constructive, de l’unité, celle du dialogue et de l’apprentissage de la diversité.

L’immigration reste une chance qui nous apprend le respect des personnes, des femmes et des familles. C’est en ce sens que vont les nombreux amendements que j’ai déposés, visant à garantir le respect de toute personne, quelle que soit sa situation, notamment en ce qui concerne le droit à la vie privée et familiale, moteur d’intégration. Notre force, nous pouvons la retrouver par l’intégration que nous saurons proposer à ces populations.

Je suis consciente que ces dernières ont aussi des devoirs, notamment ceux de respecter nos lois et notre culture, ce qui suppose la prohibition de la polygamie. À cet égard, j’approuve tout à fait la création du contrat d’accueil et d’intégration, concrétisant une démarche volontaire et solennelle de la part de l’étranger résidant en France.

Monsieur le ministre, votre volonté de réforme est louable, mais, pour une fois, osons nous attaquer à la cause essentielle : la pauvreté, en mettant en place une véritable politique de co-développement.

Enfin, comment attendre l’intégration et l’équilibre de la personne quand on rend instable sa situation juridique et morale, et quand on rend difficile l’accueil de sa famille ?

Il s’agit donc d’appréhender la question de l’immigration avec cœur et raison, en pesant de manière responsable l’étendue des conséquences que ces mesures pourront avoir sur la vie quotidienne de ces gens que nous osons appeler des immigrés, mais qui restent avant tout des personnes. Cette responsabilité est la nôtre. Le débat pourra le confirmer.

M. le président. La parole est à M. Mansour Kamardine.

M. Mansour Kamardine. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, je suis heureux de participer à ce débat sur l’immigration en France et de pouvoir vous parler de la pression de ce fléau sur le développement de Mayotte.

J’aurais aimé évoquer le phénomène migratoire en général, puis à Mayotte, avec ses développements dans le temps et dans l’espace, ses conséquences sur nos économies insulaires et sur la métropole, pour mieux vous faire partager, après les brillantes interventions de tous ceux qui m’ont précédé, la préoccupation légitime des Mahorais. Malheureusement, le temps m’étant compté – je ne dispose que de cinq minutes – j’irai droit à l’essentiel en vous parlant de Mayotte.

Pour ceux qui ne connaissent pas encore cette petite collectivité française de l’océan Indien, je veux leur dire qu’elle est grande de 375 kilomètres carrés et peuplée de 160 000 habitants, dont près de 60 000 sont des étrangers en situation de clandestinité qui, dans leur immense majorité, aspirent à se rendre en métropole en utilisant tous les moyens, notamment les faux papiers, les mariages blancs ou les reconnaissances de complaisance d’enfants. Je ne parlerai pas de l’exploitation inhumaine et innommable qui existe lorsqu’il s’agit de procéder à ces reconnaissances. Plus de 50 % de la population en zone urbaine, à Mamoudzou ou à Koungou, principales villes de Mayotte, sont d’origine clandestine.

Ce chiffre de 60 000 clandestins équivaudrait, rapporté à la population nationale, à 18 millions de personnes en métropole. Alors, chers collègues, sur quelque banc que vous siégiez, je vous pose une question simple : quelle serait, face à une telle situation, la réaction de nos compatriotes dans vos circonscriptions, quand on sait ce qu’elle est aujourd’hui avec quelque 400 000 clandestins recensés sur le territoire métropolitain ? Je veux qu’on me réponde.

C’est dire combien, nous autres Mahorais, sommes qualifiés pour parler des conséquences de l’immigration incontrôlée, sans peur d’être taxés de xénophobie, parce que nous avons démontré notre générosité, au-delà de laquelle nous ne pouvions plus aller.

Cela explique la crise d’une exceptionnelle gravité qu’a connue l’île en septembre et octobre derniers. Elle a d’ailleurs justifié la mise en place d’une mission d’information dont l’excellent rapport de notre collègue Didier Quentin a été adopté à la quasi-unanimité. Acceptez que je dise à son président, notre collègue René Dosière, au nom de toute la mission, ma reconnaissance pour le sérieux qu’elle a apporté à la réalisation de son travail.

Le rapport propose l’adoption de trente-six mesures pour un archipel rasséréné. Une partie importante de ses propositions est d’ores et déjà prise en compte par votre projet de loi, monsieur le ministre, pour permettre les visites domiciliaires et affecter des véhicules à la lutte contre le travail et le séjour des immigrés clandestins, pour ne citer que ces mesures.

Il s’agit d’une bonne orientation, à laquelle je souscris complètement, mais je considère que nous pouvons aller encore plus loin en donnant au représentant de l’État sur place les moyens juridiques de lutter efficacement et rapidement contre le mitage, pour prévenir le détournement des procédures de demande d’asile ou pour recadrer le droit du sol à Mayotte. Tel est le sens des amendements que j’aurai l’honneur de défendre dans la discussion des articles.

Un autre amendement vous proposera de favoriser la mobilité des étrangers en situation régulière à Mayotte et qui souhaitent s’installer en métropole.

Oui, monsieur le ministre, Mayotte n’entend pas s’isoler au milieu de l’océan Indien. C’est même le contraire de la politique que ses élus mènent aux côtés de l’État pour développer des relations de coopération avec tous les pays de la zone.

Malheureusement l’immigration, telle qu’elle a été constatée dans le rapport de M. Quentin, annihile tous les efforts de développement engagés localement. C’est pourquoi, plus que les seules mesures législatives et réglementaires que je préconise, c’est un véritable plan d’ensemble de lutte contre l’immigration clandestine qu’il faut mettre en place. Dans cet esprit, je suis heureux de saluer les premières mesures d’urgence que vous avez annoncées, au plus fort de la crise, en octobre dernier.

Les moyens déjà assez conséquents alloués au préfet ont permis de donner de premiers résultats. À ce jour, plus de 4 000 clandestins ont été reconduits à la frontière, une trentaine de kwassa-kwassas – ces petits bateaux qui assurent le transport des Comores vers Mayotte, véritable chemin vers la mort – ont été saisis et les passeurs multirécidivistes lourdement sanctionnés par la justice.

C’est aux forces de police et de gendarmerie que nous devons ce résultat. Acceptez donc, monsieur le ministre, que je leur adresse, à travers vous, l’expression mahoraise de notre gratitude.

La mission d’information propose à juste titre que soit déployé un troisième radar qui pourrait être positionné sur la côte Est afin de prévenir, de la part des passeurs, les tentatives de contournement de l’île par le Sud et de débarquement sur la côte Est à l’abri de tout contrôle. Bien évidemment, un renforcement des moyens nautiques comme des moyens humains sera nécessaire. Le rapport propose un doublement des effectifs actuels.

Avec vous, je suis d’accord pour reconnaître que, si une immigration non maîtrisée pose un vrai problème pour la métropole, elle est un drame pour l’avenir français de l’outre-mer, singulièrement pour Mayotte. J’attends de vous, monsieur le ministre, la position du Gouvernement sur toutes ces propositions mais j’ai, d’ores et déjà, confiance en votre réponse.

C’est pour toutes ces raisons que je voterai avec enthousiasme votre projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Christiane Taubira.

Mme Christiane Taubira. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames, messieurs les députés, il y a moins de deux semaines, un éducateur venant d’ici, de France, de l’hexagone, comme on dit, et exerçant en Guyane depuis deux ans dans un foyer accueillant des enfants en difficultés familiales ou sociales était soupçonné d’avoir séquestré, violé et tué par asphyxie une enfant de six ans, déjà malmenée par l’existence, puisqu’elle vivait dans un foyer à l’âge où d’autres enfants s’endorment sous le regard attendri d’une maman ou bercés par la voix d’un papa qui sait lire des histoires.

L’émoi fut immense en Guyane, comme vous le supposez. Je dis que l’éducateur était soupçonné pour respecter la présomption d’innocence mais, par la voix de son avocat, il a fourni des explications à son geste.

Imaginez que, sous l’empire de l’émotion, on se soit mis à regarder tous les éducateurs venant de France et peut-être même tous les enseignants comme des pédo-criminels avérés ou potentiels. Imaginez que, scandalisé et meurtri par l’agression, on se soit mis à considérer que les faits eux-mêmes ne suffisaient pas et que l’origine de cet éducateur devait habiter ou envahir la réflexion pour donner une consistance à l’acte. C’eût été dévastateur, pire : misérable.

Pourtant que faites-vous d’autre lorsque, par des slogans à l’emporte-pièce, vous considérez que tout étranger est suspect de polygamie, de fraude aux allocations, de mariage camouflage, de demande abusive d’asile, ou lorsque vous considérez que tout enfant est suspect d’être conçu sans paternité, puisque la paternité est a priori complaisante ?

Pendant des siècles, on a raconté au monde entier que le français était la langue des amoureux et des poètes. Maintenant, vous rendez l’amour systématiquement suspect en France.

Quant aux conditions de ressources, les niveaux exigés sont tels qu’il est permis de penser que le Gouvernement sait quelles sommes sont nécessaires pour affronter le coût de la vie en France. On peut espérer qu’il s’en souviendra pour veiller à ce que les travailleurs pauvres atteignent ces niveaux de revenus et qu’il relèvera les minima sociaux.

René Char disait que les mots savent de nous plus que nous n’en savons nous-mêmes. Ils sont révélateurs, ces mots qui disent votre manque de confiance dans la France et le mépris des hommes. En parlant d’immigration subie – peu importe que le concept vienne d’un haut fonctionnaire de Bruxelles –, vous ravalez la France au niveau de ces pays où l’État est disloqué et où le désordre est organisé par des factions qui se moquent d’un pouvoir central impuissant.

Pour le faire, vous brandissez le regroupement familial comme la procédure de tous les dangers, une ruse digne du cheval de Troie, les prémices d’une invasion barbare. Or ce regroupement familial concerne 25 000 personnes. Ainsi que cela a déjà été relevé, ce chiffre est pitoyable pour une population de 62 millions d’habitants !

Vous nous proposez une émigration choisie. Est-il utile de rappeler que choisir parmi les hommes revient tout simplement à légitimer le racisme, à institutionnaliser la discrimination et à sublimer l’exclusion ?

Évidemment, ces considérations peuvent paraître philosophiques. En réalité, elles sont éthiques.

Est-il permis de vous faire observer que, avec la mondialisation, tout circule : les capitaux, les marchandises, les services, les œuvres d’art, les animaux protégés, les ressources génétiques, les plantes médicinales bio-piratées, les armes, les drogues et même les moustiques, sauf les hommes, mis à part, bien sûr, les riches et les puissants. Même corrompus et criminels, ceux-là peuvent circuler. En ignorant la dimension mondiale des flux migratoires et, en fait, en refusant de considérer qu’il faut des actions de fond et des actions concertées, vous renoncez à l’efficacité. Mais peut-être ne la cherchez-vous pas.

Ceux qui pensent que vous innovez se trompent. Il y a des précédents. Il y avait même des lieux pour cela : les marchés. Pour ce qui est des critères de sélection, on y vérifiait la dentition, les muscles et la fécondité pour les femmes, et on adjugeait. Il est vrai qu’ensuite on a beaucoup moins choisi, trop content de ces volontaires qui arrivaient en masse en 1870, en 1914 ou en 1939, le cœur et la bouche remplis de refrains sur la France éternelle et sur la liberté. Aujourd’hui, la cristallisation des pensions de guerre rappelle que ces anciens combattants, dont les petits-enfants ou arrière-petits-enfants sont déclarés indésirables, sont victimes d’une injustice d’État fomentée en connivence avec leur propre gouvernement.

Quant aux territoires d’outre-mer, ils font l’objet, dans ce texte, de toutes les sollicitations – dérogations, exemptions, exceptions – au motif que « leur relative prospérité les soumet à une pression migratoire exceptionnelle ». Je puis vous assurer que, en Guyane, ceux qui ne trouvent de place pour leurs enfants ni en maternelle ni au lycée, qui découvrent le taux de chômage, qui attendent depuis six ans un logement ou qui connaissent l’état sinistré du système de service public sont bien entendu très sensibles à cette relative prospérité.

On nous dit que l’immigration est un danger pour la Guyane et, bien sûr, monsieur le ministre, vous trouvez des gens, notamment des élus, outre-mer pour vous soutenir dans cet exercice d’illusionniste : ceux qui ont oublié d’où ils viennent, ceux qui feignent d’oublier que les ressortissants d’outre-mer ressemblent beaucoup au gibier pourchassé et oublient que, lorsque la situation se dégrade, les ressortissants d’outre-mer qui habitent et qui fréquentent les mêmes lieux sont soumis aux mêmes humiliations et subissent les mêmes discriminations qu’eux ; ceux qui croient que leurs enfants y échapperont et que seuls les enfants des autres y seront exposés ; ceux qui sont pressés d’absoudre l’État de ses manquements sur la sécurité des citoyens et même des forces de police et de gendarmerie ; ceux qui s’empressent d’exempter l’État de toute évaluation d’une politique répressive, agressive et demeurée sans résultat ; ceux qui exonèrent l’État de ses responsabilités : aménager le territoire, développer l’économie, gérer les ressources naturelles dans l’intérêt général, valoriser le patrimoine forestier, minier, hydrographique et maritime pour un développement au service de tous.

Ceux-là se contenteront évidemment de vos projections statistiques bien qu’ils sachent, comme vous et moi, que le nombre des reconduites à la frontière est surestimé. En effet, une même personne peut être expulsée trois fois dans la même année et les statistiques incluent ceux qui, désireux de passer les fêtes chez eux, se livrent spontanément à la gendarmerie à l’approche de Noël. L’objectif de 7 500 reconduites à la frontière en 2006 est dérisoire, le nombre des clandestins étant estimé entre 30 000 et 40 000.

Chaque fois que vous avez voulu étouffer des revendications politiques ou territoriales, vous avez organisé l’immigration. En période de surchauffe économique, au moment des grands chantiers, notamment dans le domaine spatial, plutôt que de former des hommes, vous avez organisé l’immigration. Aujourd’hui, évidemment, la machine tourne folle. Cependant, avec de telles méthodes, les entreprises pourront continuer à recruter des travailleurs clandestins qui, grâce à certaines accointances, disparaîtront des chantiers d’orpaillage, par exemple, au moment des contrôles.

Nous savons que l’efficacité passe par des actions concertées et pérennes avec les pays voisins, mais cette efficacité aurait un inconvénient majeur : elle ferait disparaître le chiffon rouge. En outre, l’image déplorable que vous donnez de la France depuis quatre ans (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) incite à moins de respect envers cette ancienne belle puissance provisoirement éteinte. Les pays voisins sont de moins en moins enclins à la traiter cordialement, en partenaire loyal. René Char, pour qualifier ces parcours qui varient, ces ambitions à géométrie variable, a eu cette phrase : « Monter, grimper, oui, mais se hisser, oh ! comme c’est difficile. » (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Michel Piron.

M. Michel Piron. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, qui pourrait douter que le sujet que nous traitons aujourd’hui est grave ? Il renvoie en effet à des questions fondamentales touchant au statut de la personne : au plan politique, dans le rapport entre l’État et le citoyen, et, au plan philosophique, dans le rapport entre le citoyen et l’homme.

Monsieur le ministre, en abordant avec un courage certain la question difficile de l’immigration, vous savez que vous convoquez la rumeur du monde, tant s’amplifient les mouvements de population à mesure de l’accélération planétaire des moyens d’échange, de circulation et de communication. En saisissant le Parlement d’un sujet qui concerne la plupart des États, en Europe et ailleurs – selon certaines sources, les États-Unis accueilleraient aujourd’hui plus de 11 millions d’immigrés clandestins –, vous nous permettez de rappeler que, si le monde est l’horizon de l’humanité, la régulation de sa marche plus ou moins chaotique dépend des États qui structurent nos sociétés, des nations qui portent leurs cultures, des citoyens qui en rendent compte en droits et en devoirs.

En liant la politique de l’immigration à celle de l’intégration, vous lui donnez un contenu qui est aussi sa fin. Est-il en effet besoin de redire que la simple constatation statistique des migrations ne saurait servir de substitut à une véritable politique en la matière ? C’est précisément parce que immigration et intégration sont les deux termes indissociables d’une même politique qu’ils constituent l’intitulé même du projet de loi.

Qu’est-ce donc qu’une politique d’intégration et quelles en sont les conditions ?

Celles-ci sont à la fois matérielles – elles recouvrent l’emploi et le logement, qui rendent eux-mêmes possible le regroupement familial – et intellectuelles : une connaissance suffisante de la langue française et des principes qui régissent notre république est nécessaire. Qui pourrait contester le bien-fondé de telles exigences ? L’intégration présuppose le dialogue des cultures et procède d’une double assimilation : celle de la société, qui accueille l’autre avec sa culture, et celle de l’étranger, qui s’approprie l’autre culture. D’où l’importance capitale du chapitre consacré à l’apprentissage de notre langue qui, magnifiée par un Césaire et un Senghor, nous rappelle cette autre exigence : on ne peut ouvrir un dialogue des cultures sans connaissance et reconnaissance de sa propre culture, donc de son histoire.

Parce que l’histoire des migrations est aussi celle des eaux mêlées, les questions qu’elle soulève demande des réponses non seulement nationales, mais aussi internationales : européennes d’abord, on le voit bien en ce qui concerne la Méditerranée et l’Europe de l’Est ; mondiales ensuite, avec la permanence des inégalités de développement.

En posant ces questions, le projet de loi nous invite à ouvrir les yeux sur une réalité trop longtemps méconnue. Et parce que je suis de ceux pour qui le monde n’est pas seulement à transformer, comme le disait Marx, mais aussi à regarder, j’apprécie le regard que l’on nous propose aujourd’hui de porter : un regard ouvert et lucide, généreux et responsable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. René-Paul Victoria.

M. René-Paul Victoria. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, évoquer la question complexe de l’immigration à la tribune de cette assemblée est un exercice quelque peu délicat pour un parlementaire d’un département français d’outre-mer.

Le département de La Réunion a été créé il y a soixante ans par la volonté unanime de femmes et d’hommes héritiers d’ancêtres venus d’horizons variés et de croyances multiples, afin de vivre une expérience humaine inédite dans le cadre de notre République. Lors de son récent voyage dans notre département, le ministre d’État a pu constater combien s’y exprime de manière harmonieuse sur le sol de la France ce lien entre immigration et intégration réussie.

Monsieur le ministre, j’approuve votre démarche, qui consiste à élaborer avec le soutien de la représentation nationale une loi à la fois ferme, juste et équilibrée. Comme vous l’avez souligné, ce texte permettra à notre pays de se rapprocher de toutes les grandes démocraties du monde, particulièrement de celles de l’Union européenne. En effet, chez la plupart de nos voisins européens, aucune formation politique sérieuse ne parle d’ouvrir les frontières.

Il s’agira d’une loi ferme en matière de lutte contre l’immigration clandestine, surtout contre celle qui est organisée par des réseaux mafieux, nouveaux marchands d’esclaves des temps modernes ; d’une loi juste, pour tenir compte des réalités humaines, comme lorsque la double peine a été supprimée ; d’une loi équilibrée, qui ouvrira un véritable dialogue avec les pays d’émigration, qui sont souvent des pays pauvres en quête d’un développement durable. Il s’agit là d’un point fondamental.

Je partage également votre souci d’impliquer davantage le Parlement dans la détermination annuelle d’objectifs quantifiés. Un ancien Premier ministre de gauche disait que la France n’avait pas vocation à accueillir toute la misère du monde. Même si elle le voulait aujourd’hui, sa situation sociale et budgétaire ainsi que les contraintes de la nouvelle économie mondialisée condamneraient de manière certaine cette utopie.

Si, pour l’essentiel, votre projet de loi souhaite apporter des réponses concrètes et novatrices à des problèmes quotidiens de la France métropolitaine, il convient de ne pas oublier que l’outre-mer est, elle aussi, confrontée à ces questions. Je pense en particulier aux départements de Guyane et des Antilles, ainsi qu’à nos voisins de Mayotte, qui subissent une forte pression.

L’île de La Réunion – et c’est tout à notre honneur – a toujours été et devra continuer d’être une terre d’accueil. Néanmoins, nos compatriotes, quelle que soit leur origine, s’interrogent à juste titre sur les conditions actuelles d’entrée dans le département et s’inquiètent de l’apparition de véritables filières d’immigration clandestine. Au regard de notre culture plurielle, il s’agit d’un sujet particulièrement sensible qui inquiète l’ensemble des élus locaux, lesquels sont chaque jour confrontés à des situations humaines difficiles et souvent dramatiques en termes de logement, d’emploi, de santé, d’éducation. Dans son intervention, le ministre de l’outre-mer a évoqué la situation de Mayotte. Si l’on veut aider Mayotte à résoudre son problème, il faut aider les Comores. En aidant les Comores et Mayotte, on résoudra la question de l’immigration à La Réunion.

« La Réunion compte environ 9 000 étrangers en situation régulière et près de 600 étrangers en situation irrégulière, principalement des Malgaches, des Mauriciens et des Comoriens. En outre, de 20 000 à 40 000 Mahorais sont présents dans l’île. Ces derniers sont attirés par la qualité des infrastructures publiques réunionnaises, un niveau de vie supérieur de 33 % à celui de Mayotte et, surtout, des garanties sociales supérieures. Ils peinent à s’intégrer dans la société réunionnaise, malgré la tradition d’accueil de notre île. Concentrée dans des quartiers défavorisés à l’habitat insalubre et dans des logements sociaux surchargés, notamment dans la commune de Saint-Denis, cette population, dont la natalité est beaucoup plus dynamique que celle de la majorité de La Réunion, maîtrise souvent mal la langue française et souffre d’un niveau d’instruction insuffisant. Ces spécificités, ajoutées à un mode de vie et à des tenues vestimentaires qui diffèrent de celles des Réunionnais, créent quelquefois dans les couches populaires de la population réunionnaise, elles-mêmes en situation de précarité, un sentiment de malaise, voire de rejet. »

Telle est la situation de La Réunion, décrite par notre collègue Didier Quentin dans son rapport intitulé Vers une immigration maîtrisée à Mayotte. Il importe donc que la France mène en direction des pays de la zone de l’océan Indien une politique de coopération fondée sur une démarche de co-développement et sur une logique de partenariat conçue et validée par la commission de l’océan Indien, avec un soutien plus fort de l’Europe, la France devant être, au nom de la francophonie, la locomotive de cette logique de partenariat voulu et partagé. Enfin, cette politique de coopération doit être fondée sur un projet, afin que la population concernée devienne actrice de son développement dans son propre pays. La formation des hommes, l’apport d’une assistance sanitaire de pointe et l’amélioration de leurs conditions de vie sont les éléments indispensables de ce projet, pour assurer la promotion sociale de chaque candidat à l’immigration.

La grandeur de la France dans notre région doit être renforcée, défendue et soutenue. À cet égard, la création d’un contrat d’intégration est une bonne mesure. Il engagera les deux parties sur des bases essentielles et claires. Celui qui choisit de travailler et de vivre dans notre pays doit en accepter les règles. Je suis sensible à votre souci d’étudier les dossiers au cas par cas, notamment en ce qui concerne le regroupement familial et les jeunes non majeurs qui souhaitent acquérir la nationalité française.

La grandeur de la France doit être partout où flotte notre drapeau national, partout où est inscrite notre chère devise : Liberté, égalité, fraternité.

La liberté, c’est l’immigration choisie. L’immigration choisie, c’est la liberté.

L’égalité, c’est le partage des valeurs de la République, des droits et devoirs. Épouser les valeurs de la République par l’adhésion à ces droits et devoirs, c’est l’égalité.

La fraternité, c’est l’intégration réussie. L’intégration réussie, c’est la fraternité.

En ce sens, je suis convaincu, monsieur le ministre, que ce projet de loi nous aidera à éviter, dans un futur proche, que ces problématiques ne génèrent des comportements irraisonnés et excessifs qui ne sont pas dans notre tradition d’accueil et de tolérance. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Étienne Pinte.

M. Étienne Pinte. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lorsque le Gouvernement nous a proposé un nouveau projet de loi sur la maîtrise de l’immigration deux ans et demi après avoir adopté une loi ayant, à beaucoup d’égards, les mêmes objectifs, je me suis demandé si cela était bien raisonnable. La loi de 2003 est trop récente pour que l’on puisse en évaluer tous les résultats – ce que notre rapporteur reconnaît d’ailleurs – alors même que tous les décrets d’application ne sont pas publiés et que les articles sur la réforme de la double peine ne sont malheureusement pas encore appliqués, dans certains cas, par certains préfets, magistrats, ou diplomates.

Je suis aussi amené à nous interpeller nous-mêmes, mes chers collègues, en particulier les maires et les services de l’État, sur l’application des lois et règlements. L’arsenal juridique et réglementaire dont nous disposons est, me semble-t-il, en grande partie suffisant pour lutter contre les mariages de complaisance ou contre l’immigration clandestine. Encore faut-il se donner les moyens de vérifier les situations. Encore faut-il avoir la volonté politique de mettre en œuvre les procédures adéquates pour que le droit soit appliqué sans renier pour autant notre devoir d’humanité.

Je n’ai pas eu besoin de lois nouvelles pour démanteler des filières kazakhes et congolaises de mariages de complaisance. Je n’ai pas eu besoin de lois nouvelles pour lutter contre l’immigration clandestine au travers des attestations d’accueil. Il suffit d’être vigilant, de recouper les informations, de vérifier les déclarations.

Je regrette que, dans notre pays, nous légiférions trop souvent parce que nous n’appliquons pas les lois existantes. Nous nous donnons bonne conscience en légiférant à tour de bras.

Je ne suis pas hostile, monsieur le ministre, à la notion d’accueil responsable des étrangers, que je préfère à celle d’immigration choisie que vous nous proposez. Cette notion peut être utile, non seulement à notre pays, mais aussi à ceux dont sont originaires les migrants. Son application est acceptable à une seule condition : qu’elle ne se substitue pas à l’immigration familiale et au droit d’asile. À cet égard, l’exemple canadien est très instructif, puisque, à côté du rapprochement familial et du droit d’asile, les autorités canadiennes instillent 50 à 55 % d’accueil responsable des étrangers.

Il y a d’ailleurs lieu de se demander, depuis l’ouverture cette semaine du marché du travail à huit de nos nouveaux partenaires européens, comment nous allons appliquer l’accueil responsable des étrangers à des ressortissants de pays extra-européens.

Il serait aussi judicieux de laisser au Parlement le soin de décider chaque année, à partir du rapport annuel du Gouvernement que M. le ministre d’État nous a annoncé cet après-midi, du nombre d’immigrants que nous sommes prêts à accueillir sur notre territoire, comme le font les Canadiens. Encore faut-il que nous leur offrions des structures d’accueil, en logements notamment, dignes d’êtres humains.

Les aspects les plus controversés de ce texte portent sur les mesures touchant à la famille, au mariage et à la naturalisation. Encadrer l’immigration doit aller en effet de pair avec un traitement humain de chaque situation. Respecter le droit de chacun au mariage et à la vie familiale est un principe qui doit guider en permanence ceux qui sont chargés d’élaborer la loi et ceux qui sont chargés de la faire appliquer.

Lutter contre les mariages de complaisance est justifié mais ne risque-t-on pas, en allant trop loin dans l’interprétation des textes, de porter atteinte au droit et à la liberté de chacun de se marier ? Un Français ou une Française qui épouse aujourd’hui une personne d’origine extra-européenne doit déjà effectuer un véritable parcours du combattant pour pouvoir la faire venir en France. Nous nous trouvons dans cette situation paradoxale où il est plus facile à un membre de la Communauté européenne installé dans notre pays d’épouser une personne extra-européenne et de la faire venir en France puisque les textes européens nous obligent à l’accepter.

Enfin, quelle est la réalité des mariages de complaisance ? Où sont les chiffres ? Combien d’entre eux sont sanctionnés par la justice à partir du moment où ils ont été signalés par des maires vigilants ?

Retirer une carte de séjour ou de résident à un étranger sous prétexte que son mariage est dissous avant quatre ans ne me semble pas une mesure adaptée lorsque les intéressés ont eu des enfants. S’il y a des enfants, un mariage ne peut être considéré comme un mariage de complaisance. Les enfants sont là, ils existent. Ce ne sont pas des enfants de complaisance. Ils ont le droit de pouvoir être élevés par leurs deux parents même si ceux-ci ne vivent plus ensemble.

D’une manière plus générale, il faudra rapidement réfléchir de façon approfondie au respect du droit des enfants à vivre avec leurs parents, monsieur le ministre. Nous avons signé des conventions internationales comme la Convention des droits de l’enfant et la Convention européenne des droits de l’homme, mais force est de constater que nous ne respectons pas ces conventions.

Quant au traitement des demandes de carte de séjour ou de résident, il doit lui aussi se faire dans des conditions humaines. Dans un pays privilégié tel que le nôtre, dans le pays des droits de l’homme et du citoyen, il est de notre devoir d’accueillir dignement dans nos préfectures les personnes de nationalité étrangère. Nous ne pouvons admettre d’obliger des personnes, parfois accompagnées d’enfants, à subir une file d’attente interminable, souvent une partie de la nuit, dans le froid et quelquefois plusieurs jours de suite, comme c’est le cas à la préfecture de Versailles.

Nous ne pouvons nous satisfaire, même si nous reconnaissons les difficultés auxquelles sont confrontés les fonctionnaires des services des étrangers, de constater le temps de traitement des dossiers, renvoyés de deux mois en deux mois. Certaines personnes, faute d’avoir pu obtenir au moment voulu le renouvellement de leur récépissé ou de leur carte de séjour, perdent travail, revenu, allocations et donc logement, car les délais d’instruction réglementaires sont fréquemment dépassés. Dans certains cas, nous observons même un acharnement contre l’étranger, acharnement qui doit nous interpeller.

Or le projet de loi renforce le pouvoir discrétionnaire de l’autorité administrative. Sans complaisance et dans le respect de la loi, il nous faut inviter tous ceux qui ont la responsabilité du sort des étrangers en France à la bienveillance et au respect des personnes. Faisons preuve d’imagination, d’organisation, de bonne volonté, et nous soulagerons la vie de beaucoup de nos concitoyens d’origine étrangère.

Trop d’étrangers vivent aujourd’hui dans la désespérance, dans la clandestinité, dans la misère, en proie, pour certains, à l’esclavage. Lutter contre l’immigration clandestine devrait empêcher ou limiter des situations inadmissibles mais cela ne résoudra pas tout.

Il manquera à ce texte, même si vous l’avez annoncé, un véritable programme d’aide et d’accompagnement au retour et au développement. Déjà actuellement, un certain nombre de communes – Versailles, notamment – se sont lancées dans des programmes de co-développement pour maintenir au pays des hommes et des femmes qui manquent cruellement de travail, de formation, de nourriture et d’équipements sanitaires. La maîtrise des flux migratoires est un leurre sans une véritable politique de co-développement.

Je souhaite que le Gouvernement nous propose, au-delà de l’annonce que vous nous avez faite tout à l’heure, une politique contractuelle avec les collectivités locales pour aider les pays en voie de développement.

Compte tenu de ces observations, j’espère que vous accepterez, comme M. Sarkozy l’a annoncé, des améliorations visant à rendre encore plus juste et plus humain ce texte.

M. le président. La parole est à M. Bernard Deflesselles.

M. Bernard Deflesselles. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans un monde en pleine mutation, au moment où, de concert avec les pays ayant une forte vocation à l’émigration, l’Europe mène une réflexion de fond sur les valeurs devant orienter son action, les Français s’interrogent légitimement.

Cette question nous revient comme un écho : « Et la France dans tout cela ? » Interpellée, pouvait-elle rester immobile ? Ne peut-elle pas décider sereinement de son avenir, de la maîtrise de son sol et de ceux qui vont y vivre et l’enrichir ?

Est-elle condamnée à rester indéfiniment prisonnière d’un débat politique balançant entre, d’un côté le concept d’immigration zéro, et de l’autre l’ouverture totale de ses frontières, entre un non-sens, prônant le repli sur soi, tournant le dos à notre histoire, et l’angélisme fondé sur l’accueil improbable de toute la misère du monde ?

Votre projet de loi, monsieur le ministre, répond, je le crois, à ce sujet qui est devenu, depuis de trop nombreuses années, un sujet de crispation de la société française.

Le chômage de masse, la panne de l’ascenseur social, la concentration des immigrés et de leurs descendants dans les quartiers périphériques dégradés, héritée de la politique du logement des années 50 à 70, tous ces facteurs ont rendu plus difficile le processus d’intégration qui constitue un défi pour toute société.

La population issue de l’immigration récente, maghrébine et africaine pour l’essentiel, a eu le sentiment d’être rejetée et de ne pas bénéficier d’un pacte républicain dont on ne cesse pourtant de lui vanter les mérites. Aujourd’hui, la réalité des flux migratoires impose de rompre avec les analyses et les schémas politiques qui ont mené à l’échec.

La transformation de l’économie mondiale, la circulation des cerveaux, l’émergence d’une population qualifiée dans les pays du Sud, les évolutions des sociétés post-industrielles dans les pays du Nord, toutes ces réalités conduisent à envisager d’accueillir certains étrangers lorsque ceux-ci représentent à l’évidence un atout pour le dynamisme de notre société et de notre économie.

À tout subir, à ne rien choisir, nous méconnaissons à la fois nos intérêts économiques et nos convictions humanistes. Devons-nous nous résigner ou devons-nous passer d’un modèle d’immigration subie à un modèle d’immigration choisie en fonction des réalités du monde d’aujourd’hui ? D’autres que nous se sont résolument engagés dans cette voie, n’en déplaise aux adeptes de la pensée unique qui, sur les bancs de la gauche, nous décrivent cette loi comme liberticide.

En répondant aux aspirations de nos concitoyens qui veulent que la France reste elle-même tout en participant à l’évolution du monde, vous avez, monsieur le ministre, fait le choix d’élaborer une politique d’immigration moderne et dynamique. Vous avez aussi fait le choix d’une politique d’immigration maîtrisée, pour que notre pays garde l’entier contrôle de son avenir.

Le projet que vous soumettez aujourd’hui à la représentation nationale se conçoit dans la continuité de l’action que vous avez entreprise dès 2003. Ses résultats déjà probants, exposés par le rapporteur du projet de loi, Thierry Mariani, nous encouragent à emprunter la voie que vous avez tracée.

La France dispose désormais d’une stratégie migratoire adaptée aux enjeux du monde contemporain, reposant sur cinq priorités.

Premièrement : des flux migratoires organisés et choisis. Retrouver la maîtrise quantitative de ses flux migratoires est en effet la condition impérative pour coordonner ceux-ci en fonction de nos besoins. Concrètement, le Gouvernement définira chaque année des objectifs prévisionnels de visas et de titres de séjour qui seront soumis à discussion devant le Parlement.

Cette mesure, associée à la fin des régularisations automatiques ainsi qu’à la décision unique de refus de séjour valant obligation de quitter le territoire français, est le meilleur moyen de promouvoir une immigration réussie.

Deuxièmement : une immigration familiale. Tout en maintenant bien évidemment le droit au respect de la vie privée, il convenait de durcir les règles du rapprochement familial qui représente aujourd’hui près de la moitié de l’immigration totale, ainsi que la plus grande source d’abus et de fraudes tels que les mariages blancs ou forcés et les fraudes à l’état civil.

Troisièmement : une véritable politique d’immigration professionnelle et étudiante pour un véritable co-développement. La création d’une carte de séjour « compétences et talents » tout comme la simplification des procédures d’installation en France pour certains étudiants sont en effet des mesures qui permettront d’encourager une immigration de travailleurs qualifiés, susceptibles de participer de façon significative et durable au dynamisme de l’économie française mais aussi au développement de leur pays d’origine.

Quatrièmement : un contrat d’accueil, socle d’une intégration réussie. Ce contrat, signé entre l’État et le migrant, stipulera un certain nombre d’engagements entre les deux parties. Si l’État devra aider le migrant à maîtriser la langue française ou l’orienter dans les démarches pour chercher un emploi et un logement, en contrepartie, le migrant devra s’engager à respecter les valeurs de la République. Droits et devoirs formeront ainsi un équilibre renouvelé.

Cinquièmement : une réponse pragmatique pour lutter contre l’immigration clandestine d’outre-mer. Elle permettra la mise en œuvre de mesures adaptées à nos départements et territoires d’outre-mer, la Guadeloupe, la Guyane et Mayotte subissant une pression migratoire très importante qui justifie de telles dispositions.

À cet égard, je veux, du fond du cœur, exprimer à nos collègues d’outre-mer toute notre gratitude. Avec sensibilité, émotion et humanité, ils ont en effet parlé de leurs difficultés mais aussi de leurs espérances et de leurs espoirs. Nous leur savons gré de nous avoir fait partager ce beau moment d’humanité.

Monsieur le ministre, le texte que vous nous proposez répond à l’aspiration de nos compatriotes qui veulent maîtriser leur avenir, leur territoire, mais surtout leur nation. Avec autorité et pragmatisme, il modernise notre politique d’immigration et d’intégration la rendant plus juste, plus cohérente et plus conforme à l’intérêt de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Joël Beaugendre, dernier orateur de la séance.

M. Joël Beaugendre. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi relatif à l’immigration et à l’intégration, seconde étape d’une politique migratoire ambitieuse et pragmatique apporte non pas une seule réponse au problème de l’immigration clandestine mais plusieurs. Le volet consacré à l’outre-mer qui répond aux attentes de mes compatriotes en est la preuve.

Je tiens d’ores et déjà à vous remercier pour l’intérêt qu’ont suscité mes propositions et celles de ma collègue Mme Gabrielle Louis-Carabin. Les articles 67, 71 et 78 du projet reprennent en effet la proposition de loi sur le renforcement de la régulation des flux migratoires en Guadeloupe que nous avons déposée en février 2005 : application du dispositif dérogatoire de reconduite immédiate à la frontière, visite sommaire des véhicules terrestres aux fins de recherche éventuelles d’infractions à l’entrée et au séjour illégaux de ressortissants étrangers, élargissement du périmètre de contrôle d’identité en vue de vérifier le respect des obligations de détention de port et de présentation des titres de séjour.

En 2003, lors de la discussion du projet de loi relatif à la sécurité intérieure, je m’inquiétais du risque de voir se reporter sur la Guadeloupe continentale les flux migratoires maîtrisés à Saint-Martin avec le dispositif de reconduite immédiate à la frontière. Cette inquiétude se confirme aujourd’hui du fait de la perméabilité des frontières maritimes.

En 2004 et 2005, j’ai constamment rappelé aux ministres de l’outre-mer, Mme Girardin puis M. Baroin, l’urgence de la mise en œuvre, en Guadeloupe, d’une politique volontariste et pragmatique de régulation des flux migratoires.

Hier certains s’opposaient systématiquement à une politique sur mesure pour les collectivités d’outre-mer, ils ont vite été rattrapés par la réalité ultramarine de l’immigration clandestine.

M. Thierry Mariani, rapporteur. Tout à fait !

M. Joël Beaugendre. Cette réalité exacerbée, les Guadeloupéens la refusent. Ils réclament une vraie politique de régulation des flux migratoires des ressortissants de la Caraïbe : c’est cette politique que vous avez le courage, comme nous députés de l’outre-mer, d’insuffler.

Il est particulièrement satisfaisant de constater que nos propositions sont au cœur de l’action gouvernementale. Tel est déjà le cas pour l’organisation du vote le samedi dans les départements d’outre-mer afin de limiter les effets négatifs du décalage horaire. Cette proposition a en effet été reprise pour l’élection présidentielle à venir.

Revenons-en à l’immigration.

Régulière depuis de nombreuses années, elle connaît une recrudescence considérable vers l’îlot de prospérité qu’est la Guadeloupe, dans une région où persistent des poches de pauvreté. Non programmée et semblant échapper à tout contrôle, l’immigration est perçue comme une agression. Elle engendre notamment les difficultés suivantes : explosion du travail dissimulé, dont l’importance s’est révélée 10 à 12 % plus forte qu’en métropole, développement de l’habitat insalubre, accès frauduleux au logement social, charge financière considérable pour les services publics de la santé, de l’éducation ainsi que pour les communes et les départements.

Ma commune, Capesterre-Belle-Eau, particulièrement touchée par cette immigration clandestine, subit ainsi une forte pression migratoire qui empêche une intégration optimale de migrants réguliers. La charge financière qui en résulte m’amène à vous proposer que la DGF des communes soit réévaluée en tenant compte de la pression migratoire qu’elles subissent.

L’ampleur de toutes ces conséquences génère des interrogations chez mes compatriotes auxquels je me dois de ne pas être sourd comme certains qui ne veulent répondre qu’en suivant la logique de leur groupe politique.

L’arrêt total des flux migratoires est bien illusoire car les migrants viennent, non pas par plaisir, mais par nécessité cherchant à échapper aux poches de pauvreté dans la Caraïbe. J’attends du Gouvernement une politique de coopération pour aider dans leurs pays ces hommes et ces femmes, qui sont nos frères de sang, à élaborer des actions précises et ciblées de développement durable. L’immigration choisie ne sera efficace qu’à ce prix.

Monsieur le ministre, l’efficacité de cette politique sur mesure ne sera optimale que si les moyens nécessaires et suffisants pour leur pleine application sont mis à disposition des acteurs de la régulation des flux migratoires. Je pense en cela à la surveillance des côtes de la Guadeloupe qui est primordiale.

Au mois d’avril, vous m’annonciez qu’elle serait renforcée dès le mois de juillet 2006 avec l’intégration dans la brigade nautique de Saint-François d’une vedette sur- motorisée. Après avoir sensibilisé le Gouvernement sur la faiblesse des moyens de surveillance et sur l’importance de la présence d’une vedette et d’un radar, je ne peux que me féliciter d’une pareille décision.

De plus, je vous propose, pour apprécier et ajuster les effets de cette nouvelle politique migratoire, de créer en Guadeloupe, au plus près des réalités locales, un observatoire de l’immigration.

Pour aller au-delà de l’aspect ultramarin de ce projet, je tiens à affirmer mon plein soutien aux dispositifs tendant à limiter le détournement des procédures d’acquisition de la nationalité française par le mariage, notamment par l’augmentation de la durée effective de vie commune qui passe de deux à quatre ans. Le durcissement des conditions d’acquisition de la nationalité est un excellent moyen de lutter contre les abus concernant une institution bien française qui revêt encore un caractère sacré. Il faut durcir tout autant les reconnaissances en paternité ou maternité en leur appliquant les sanctions prévues pour mariages de complaisance. Ces reconnaissances, en dépit de mesures prises en 2003, se vulgarisent tant outre-mer que sur le territoire métropolitain. Cette proposition concernerait l’ensemble du territoire français.

Monsieur le ministre, je voterai votre projet de loi. Je ne peux en effet qu’approuver votre démarche car il ne s’agit nullement de sombrer dans le « trop sécuritaire ». En 1998, les socialistes avaient supprimé un dispositif alors que la réalité de l’immigration en justifiait l’existence. Peut-être était-elle trop éloignée d’eux pour susciter un quelconque intérêt ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

ordre du jour des prochaines séances

M. le président. Cet après-midi, à quinze heures, première séance publique :

Questions au Gouvernement ;

Suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi, n° 2986, relatif à l’immigration et à l’intégration :

Rapport, n° 3058, de M. Thierry Mariani au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

À vingt et une heures trente, deuxième séance publique :

Suite de l’ordre du jour de la première séance.

La séance est levée.

(La séance est levée, le mercredi 3 mai 2006, à zéro heure cinquante-cinq.)