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DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 101

Réunion du mardi 16 novembre 2004 à 16 heures 15

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président

I. Examen du rapport d'information de MM. Jérôme Lambert et Didier Quentin sur l'application du principe de subsidiarité

M. Didier Quentin, rapporteur, a souligné les enjeux liés au respect du principe de subsidiarité, afin de rendre l'Europe plus démocratique et plus efficace. Pour mieux comprendre la notion de subsidiarité, il faut se poser la question de qui fait quoi en Europe et de la frontière entre les compétences des Etats et celle de l'Union européenne. Pendant de nombreuses années, il n'existait en effet pas de règle claire de répartition des compétences et les peuples ont souvent le sentiment que le principe de subsidiarité n'est pas correctement appliqué. C'est la raison pour laquelle la Convention présidée par M. Valéry Giscard d'Estaing a proposé de confier aux représentants du peuple la mission de veiller au respect de la répartition des compétences. C'est là un enjeu politique pour l'avenir de l'Europe, qu'il faut rendre plus compréhensible et plus légitime auprès des citoyens.

On reproche en effet souvent à l'Union européenne un certain déficit démocratique, qui n'est pas sans lien avec le sentiment qu'a parfois l'opinion que l'Europe se mêle de ce qui ne la regarde pas et qu'elle serait à l'origine d'une réglementation tous azimuts et envahissante.

Aussi, la Constitution européenne entend clarifier la délimitation des compétences entre l'Union européenne et les Etats membres autour du principe de subsidiarité, érigé par l'article I-11 au rang de principe fondamental.

Mais comment définir précisément ce principe ? Le terme même de subsidiarité est peu explicite. Il signifie que les décisions doivent être prises au niveau le plus pertinent, l'Europe ne devant intervenir pour traiter une question que si son intervention est plus efficace que celle de l'autorité nationale ou régionale. Il est donc bien distinct du principe de proximité, dès lors que l'action de l'Union peut se révéler plus appropriée que celle des Etats membres.

La subsidiarité se distingue également de la proportionnalité, qui signifie que les moyens utilisés par l'Union pour atteindre les objectifs fixés par le traité ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire.

Le rapporteur a ainsi qualifié la subsidiarité de principe d'efficacité et cité M. Jacques Santer, ancien président de la Commission européenne, qui la résumait en ces termes : agir moins, pour agir mieux.

La subsidiarité est un concept dynamique défini par le protocole annexé au traité d'Amsterdam (1999), et qui signifie qu'une législation européenne contraire au principe de subsidiarité à un temps « t » pourrait ne plus l'être à un temps « t+1 ».

Afin de prévenir les atteintes au principe de subsidiarité, la Commission a, ces dernières années, multiplié les filtres et les procédures internes de contrôle et soumet depuis longtemps ses propositions à un test de nécessité et d'efficacité. Pour ce faire, elle recourt plus largement aux consultations et se plie systématiquement à son obligation de motivation des propositions législatives. Il est cependant des cas où la Commission doit au contraire contenir des demandes qui lui sont adressées par des Etats membres pour légiférer sur des questions qui ne relèvent pas de la compétence de l'Union, comme une demande de directive sur les chiens de combat. Au nom de la subsidiarité, la Commission a jugé raisonnable de ne pas répondre à cette demande de légiférer.

Mais au-delà de la Commission, la prise en compte du principe de subsidiarité concerne l'ensemble des acteurs institutionnels qui participent au processus législatif européen.

Le rapporteur a ensuite indiqué que le mécanisme de contrôle du principe de subsidiarité allait permettre de renforcer le rôle des parlements nationaux dans la construction européenne. En effet, l'élection depuis 1979 des députés européens au suffrage universel direct a coupé le lien organique qui existait jusqu'alors entre les parlements nationaux et la construction européenne. L'interdiction récente du cumul entre les mandats de député européen et de parlementaire national a confirmé cette séparation institutionnelle alors que l'extension continue des compétences de l'Union a parfois donné aux parlementaires nationaux le sentiment d'être dessaisis de leurs compétences nationales.

Or les représentants du peuple sont des relais indispensables, sur le terrain, pour expliquer les décisions prises à Bruxelles et à Strasbourg et exprimer les attentes et les préoccupations des citoyens. La création de circonscriptions interrégionales dans le cadre de la réforme du mode de scrutin pour les élections européennes est un progrès, mais il faut bien reconnaître que l'étendue géographique des circonscriptions (parfois plus de 500 kilomètres du nord au sud) ne permet pas aux députés européens d'entretenir une relation de proximité avec leurs électeurs.

Le rapporteur a alors précisé les nouveaux droits reconnus aux parlements nationaux. En premier lieu, la transmission directe des projets d'actes législatifs européens aux parlements nationaux, sans transiter par les gouvernements, est une innovation majeure du projet de Constitution européenne. Pour la première fois, est ainsi instauré un lien direct entre chaque parlement national (en réalité, chaque chambre dans le cas des parlements bicaméraux) et les institutions de l'Union européenne.

Concrètement, les projets d'actes législatifs européens correspondent aux propositions de la Commission, aux initiatives d'un groupe d'Etats membres, aux initiatives du Parlement européen, aux demandes de la Cour de justice, aux recommandations de la Banque centrale européenne et aux demandes de la Banque européenne d'investissement, visant à l'adoption d'un acte législatif européen. En pratique, la quasi-totalité des projets d'actes législatifs émane de la Commission européenne qui dispose, à de rares exceptions près, du monopole d'initiative législative.

Mais le rapporteur a souligné que les projets d'actes législatifs européens qui seront à l'avenir directement transmis par les institutions de l'Union européenne ne coïncideront pas nécessairement avec les « projets ou propositions d'actes des Communautés européennes et de l'Union européenne comportant des dispositions de nature législative », transmis par le Gouvernement au titre de l'article 88-4 de la Constitution française. En effet, une partie seulement des projets d'actes législatifs européens relève, selon le droit français, du domaine de la loi. Or l'Union européenne ne connaît pas notre distinction constitutionnelle interne entre la loi (article 34) et le règlement (article 37). En conséquence, il faudra à l'avenir distinguer, pour l'essentiel, entre ce qui relève :

- de la transmission par le gouvernement, au titre de l'article 88-4 de la Constitution ;

- de la transmission directe par les institutions européennes, des projets d'actes législatifs de l'Union au titre du Protocole sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité ;

- de la transmission directe par la Commission, de l'ensemble des documents de consultation au titre du Protocole sur le rôle des parlements nationaux.

Le rapporteur a estimé que la révision constitutionnelle qui sera vraisemblablement nécessaire pour autoriser la ratification de la Constitution européenne pourrait être l'occasion d'une révision au fond de l'article 88-4. Sans préjuger des choix qui seront faits, il faut avoir à l'esprit que le contrôle du principe de subsidiarité se révélera rapidement indissociable d'un contrôle au fond. Il a alors interpellé les membres de la Délégation sur la question de savoir si un système dans lequel le parlement pourrait se prononcer sur la conformité d'un texte au principe de subsidiarité sans être autorisé à l'examiner ensuite au fond au titre de l'article 88-4 serait satisfaisant.

S'agissant du droit reconnu à chaque chambre d'adresser des avis motivés à une institution européenne, le protocole prévoit que, dans le cas où les avis motivés représentent au moins un tiers de l'ensemble des voix attribuées aux parlements nationaux et aux chambres des parlements nationaux, le projet doit être réexaminé. Ce seuil est abaissé à un quart lorsqu'il s'agit d'un projet d'acte législatif européen présenté sur la base de l'article III-264 de la Constitution européenne relatif à l'espace de liberté, de sécurité et de justice.

A l'issue de ce réexamen, la Commission ou l'institution à l'origine du projet d'acte, a trois possibilités : maintenir le projet en l'état, le modifier ou le retirer.

Le rapporteur a alors apporté plusieurs précisions :

- le droit d'alerte précoce est strictement encadré dans le temps puisqu'un avis motivé ne peut être adressé au-delà du délai de six semaines à compter de la réception d'un projet d'acte législatif. Il ne sera donc pas possible pour les parlementaires nationaux de se prononcer sur la conformité d'amendements votés au cours du processus législatif et qui seraient considérés comme contraires au principe de subsidiarité ;

- le seuil à partir duquel l'institution concernée est juridiquement obligée de réexaminer sa proposition n'est pas fixé à un tiers des parlements nationaux, mais à un tiers des voix attribuées aux parlements nationaux, ce qui favorise les parlements monocaméraux qui disposent de deux voix insécables ;

- enfin, le mécanisme d'alerte précoce ne concerne que la subsidiarité et jamais la proportionnalité.

Le protocole prévoit également la possibilité pour les Etats membres (au nom de leur parlement national ou le cas échéant d'une chambre du parlement) de former un recours devant la Cour de justice de l'Union européenne pour violation par un acte législatif européen du principe de subsidiarité dans le délai contentieux de deux mois à compter de la publication de l'acte.

La possibilité désormais offerte par le Protocole de saisine de la Cour de justice par un Etat membre, au nom de son parlement national ou d'une chambre de celui-ci, soulève toutefois deux questions. La première est relative à l'existence ou non d'une compétence liée pour le gouvernement de déposer un recours devant la Cour de justice dès lors qu'il est saisi d'une demande émanant de l'Assemblée nationale et/ou du Sénat. La lecture des travaux préparatoires de la Convention plaide en faveur d'une compétence liée, mais il est probable qu'une révision de la Constitution soit sur ce point nécessaire pour lever toute ambiguïté. Qui plus est, l'existence d'une compétence liée présente l'avantage de remédier aux éventuelles difficultés politiques liées à l'opportunité d'accepter de transmettre tel ou tel recours. Cela se pose notamment dans le cas d'une demande adressée par le Sénat lorsque sa majorité ne coïncide pas avec la majorité gouvernementale.

La seconde question vise à définir l'autorité qui sera chargée de suivre l'affaire devant la Cour de justice. Dans le cas d'une compétence liée, le Gouvernement pourrait être amené à transmettre un recours devant la Cour de justice contre un texte qu'il aurait lui-même approuvé au Conseil de l'Union européenne. Dès lors, on imagine mal comment le Gouvernement pourrait défendre une argumentation contraire à sa position. Par souci de cohérence, il semble donc plus opportun que le suivi des affaires portées devant la Cour à la demande d'une chambre soit assuré, en concertation avec le Gouvernement, par ladite chambre. Il faudra en tirer les conséquences aux niveaux politique et administratif.

S'agissant de la portée de tels recours, le rapporteur a précisé que la Cour de justice n'avait jusqu'à présent jamais annulé un acte législatif pour violation du principe de subsidiarité. Il faut également avoir conscience du caractère exceptionnel de tels recours. Parce qu'elle n'imagine pas une inflation démesurée du nombre des recours, la Cour de justice n'a pas prévu de créer une Chambre ad hoc chargée du contrôle de la subsidiarité. La possibilité de recours juridictionnel ex post devrait davantage fonctionner comme un élément dissuasif d'abord auprès de la Commission, dans la phase d'élaboration des projets d'actes législatifs, puis auprès du Parlement européen et du Conseil au cours de la procédure législative.

M. Jérôme Lambert, rapporteur, a ensuite évoqué les nouveaux défis lancés aux parlements nationaux, à deux niveaux : en ce qui concerne d'une part les procédures internes à chaque chambre, et d'autre part, les enjeux liés au développement de la coopération interparlementaire.

Les parlements nationaux vont en effet devoir se prononcer sur un nombre important de projets d'actes législatifs européens qui leur seront directement transmis par les institutions de l'Union.

On peut évaluer à environ 400 le nombre de textes directement transmis annuellement, dont 10 % environ pourraient donner lieu à un débat sur leur conformité au principe de subsidiarité. Une procédure de filtre doit donc être envisagée, qui permette à l'Assemblée d'examiner un nombre important de textes dans le délai très court de six semaines ; d'autant que le calendrier annuel de travail des institutions de l'Union diffère de celui du Parlement. Le rapporteur a souligné que la pertinence du tri dépendra également de la capacité qu'auront les parlements nationaux à identifier le plus en amont possible (c'est-à-dire avant la réception des projets d'actes législatifs) les textes problématiques. L'antenne administrative permanente de l'Assemblée nationale à Bruxelles devra être sollicitée à cet effet. En tout état de cause, l'expiration du délai de six semaines n'empêchera pas à chaque chambre de faire valoir sa position directement auprès du Parlement européen et du Conseil.

Le second défi est lié au nécessaire renforcement de la coopération interparlementaire. La fixation d'un seuil d'avis motivé rend utile une concertation multilatérale afin que les motivations parlementaires convergent. Le contraire renforcerait la Commission dans sa position. Alors que la COSAC (conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires) est un lieu d'échanges qui se réunit deux fois par an, le rapporteur a souhaité que se développent des instruments modernes de coopération interparlementaire qui permettent un échange rapide et fiable d'informations et a évoqué le développement futur de l'IPEX (échange d'informations entre les parlements de l'Union européenne).

MM. Jérôme Lambert et Didier Quentin, rapporteurs, ont ensuite présenté une proposition de mise en œuvre, à l'Assemblée nationale, en distinguant trois étapes :

- l'instruction des projets d'actes législatifs européens directement transmis par les institutions de l'Union ;

- la procédure d'adoption des avis motivés ;

- les modalités du recours juridictionnel ex post.

S'agissant de l'instruction des textes au regard du principe de subsidiarité, les rapporteurs ont proposé de confier à la Délégation pour l'Union européenne une mission générale d'instruction systématique de tous les textes. Des rapporteurs devraient être désignés, qui seraient spécialement chargés d'assurer ce filtre et de ne renvoyer pour un examen en Délégation que les projets d'actes qui leur semblent poser une difficulté au regard du principe de subsidiarité. La Délégation serait également saisie de toute proposition de résolution portant avis motivé déposée par un député individuellement ou par un groupe politique.

En ce qui concerne la procédure d'adoption des avis motivés, M. Jérôme Lambert, rapporteur, a évoqué plusieurs hypothèses :

- la Délégation pour l'Union européenne est seule à se prononcer sur une proposition d'avis motivé dans le cadre de la mise en œuvre du droit d'alerte précoce ex ante ;

- la Délégation soulève une difficulté et transmet le dossier à la Commission permanente compétente sur le fond, qui confirme l'avis de la Délégation ;

- la Délégation et la Commission permanente ont un avis divergent. Le dossier est alors évoqué en séance publique. Cette situation devrait être relativement rare ;

- les avis motivés proposés par la Délégation sont systématiquement transmis à la Commission permanente compétente, puis débattus en séance publique. Cette dernière hypothèse semble difficilement compatible avec le délai de six semaines.

S'agissant des modalités du recours juridictionnel ex post, M. Didier Quentin, rapporteur, a proposé, pour la mise en œuvre de ce contrôle, que 60 députés puissent présenter une demande de saisine de la Cour de justice de l'Union européenne. Toutefois, cette demande devrait être approuvée par la majorité des députés en séance publique. En dehors des sessions, c'est le Bureau de l'Assemblée nationale qui se prononcerait.

A l'issue de l'exposé des rapporteurs, un débat s'est engagé.

M. Guy Lengagne a émis des réserves sur la proposition de faire peser sur deux rapporteurs seulement la charge totale du filtre des 400 textes qui devront être examinés chaque année.

M. Jérôme Lambert, rapporteur, a estimé que les rapporteurs chargés du contrôle de la subsidiarité pourront toujours solliciter, le cas échéant, l'expertise des autres membres de la Délégation.

Le Président Pierre Lequiller a souhaité limiter le nombre des rapporteurs, dans un souci d'efficacité et de continuité du contrôle.

Il a proposé que la séance publique ne procède à l'examen de la proposition d'avis motivé que dans l'hypothèse d'une divergence entre la Délégation pour l'Union européenne et la Commission permanente saisie au fond, et sur la demande expresse d'un Président de groupe.

M. Michel Herbillon a remarqué que certains parlementaires membres des Commissions permanentes devront s'investir dans le contrôle de la subsidiarité.

Le Président Pierre Lequiller a précisé que les membres de la Délégation pour l'Union européenne appartiennent tous à l'une des six commissions permanentes de l'Assemblée nationale.

M. Jérôme Lambert, rapporteur, a souligné l'intérêt d'une coordination avec les autres parlements nationaux pendant la phase d'examen des textes, bien que les délais impartis par la Constitution soient très courts. Malgré sa lourdeur et les difficultés de sa mise en œuvre, la procédure de contrôle de la subsidiarité va permettre de susciter un plus grand intérêt pour les questions européennes au sein des parlements nationaux.

Le Président Pierre Lequiller a considéré que la Commission européenne ne pourra que tenir compte de l'avis convergent des parlements nationaux, même s'ils sont peu nombreux à considérer que le principe de subsidiarité n'est pas respecté.

Il a indiqué que les propositions formulées par la Délégation pour l'Union européenne étaient l'aboutissement d'une longue réflexion. A ce stade, il est préférable de laisser ouvertes plusieurs options, tout en ne perdant pas de vue que la procédure mise en place doit être aussi rapide et simple que possible.

M. Christian Philip s'est d'abord demandé si une distinction entre la subsidiarité et la proportionnalité pourrait réellement être opérée, en pratique, lors des contrôles. C'est, en effet, au regard de ce deuxième critère que l'efficacité d'une action peut être appréciée, et que l'on est ainsi conduit à prêter ou non attention à la subsidiarité.

Il a ensuite rappelé que le nouveau règlement intérieur de la COSAC prévoyait la création d'un secrétariat permanent, lequel pourrait par conséquent être un point de contact entre les différents parlements, avant de remarquer que la nouvelle procédure était l'occasion de renforcer la concertation avec les membres français du Parlement européen. Une réunion de la Délégation avec un représentant français de chaque groupe du Parlement européen pourrait donc être envisagée.

Evoquant enfin le seuil des 60 députés prévu pour une demande de saisine de la Cour de justice, il s'est interrogé sur son niveau. Celui-ci permettra-t-il d'éviter des pratiques d'obstruction systématique ? Ce seuil est certes identique à celui en vigueur pour les saisines du Conseil constitutionnel, mais l'enjeu n'est pas le même.

Le Président Pierre Lequiller a rappelé que ce seuil représentait un peu plus de 10 % de l'effectif de l'Assemblée nationale, avant de convenir qu'il fallait envisager la manière dont les nouvelles procédures pourraient éventuellement être détournées de leur objet et, ainsi, l'hypothèse d'un relèvement de son niveau.

M. Jérôme Lambert, rapporteur, a précisé que l'objectif de la procédure de contrôle de la subsidiarité était de replacer le Parlement français au cœur du débat européen. Il a ainsi estimé qu'il convenait qu'un grand nombre de parlementaires examine parfois ces questions en séance publique. Le respect de la proportionnalité constitue également un moyen d'agir sur les initiatives de la Commission, à un stade ultérieur, en coordination avec le Parlement européen, le cas échéant.

Le Président Pierre Lequiller a souligné que l'antenne administrative de l'Assemblée nationale auprès de l'Union européenne pourrait assurer une certaine liaison avec les parlementaires européens, mais que la procédure prévue par le Traité constitutionnel était du ressort des parlementaires nationaux.

M. Christian Philip a estimé que les débats sur la subsidiarité auront souvent pour objet de stigmatiser les travaux de la Commission européenne. Il conviendra également d'organiser des débats européens mettant l'accent sur les éléments positifs des initiatives communautaires.

M. Didier Quentin, rapporteur, a jugé que le risque pour les assemblées parlementaires d'apparaître comme un frein en matière européenne ne devait pas être méconnu. Il a par ailleurs indiqué que le secrétariat permanent de la COSAC avait été perçu par certaines instances comme doublant l'IPEX.

M. Jérôme Lambert, rapporteur, a rappelé que tout sujet traité au niveau européen et qui poserait problème sur le plan national conduirait nécessairement à un débat au sein du Parlement.

A l'issue de ce débat, le Président Pierre Lequiller a précisé qu'à ce stade, trois options sont donc envisageables pour le déroulement de la procédure d'adoption d'un avis motivé, à détailler dans le Règlement de notre assemblée : d'une part, une décision de la Délégation, puis de la Commission permanente compétente, tacite ou expresse, ce qui paraît le plus simple et le plus rapide ; d'autre part, une décision de la Délégation, puis une décision de la Commission compétente, avec une possibilité d'un examen en séance publique en cas de divergence entre la Délégation et la Commission permanente, et seulement à la demande d'un Président de groupe, mais cela réduit les délais d'instruction des textes ; enfin, une procédure plus brève, avec une décision de la Délégation et un examen en séance publique, à la demande d'un Président de Commission, d'un Président de groupe ou du Gouvernement.

Il a estimé que la procédure mise en œuvre devra être simple et efficace et être comprise dans le délai de six semaines, ce qui limite à son sens la multiplication des niveaux de décision.

S'agissant du recours juridictionnel ex post, le Président Pierre Lequiller a indiqué que la décision résultera d'une adoption en séance publique ou, en dehors des sessions, par le Bureau de l'Assemblée nationale, à l'initiative d'au moins soixante députés.

M. Christian Philip a rappelé que le délai de ratification du Traité constitutionnel permettait de poursuivre la réflexion sur l'ensemble de ces questions, particulièrement difficiles, et que les Présidents de Commission pourraient ainsi être consultés.

La Délégation a alors autorisé la publication du rapport d'information.

II. Communication de M. Jean-Marie Sermier sur la réforme de l'organisation commune de marché du sucre

M. Jean-Marie Sermier, rapporteur, a souhaité présenter les enjeux de la réforme de l'OCM sucre, afin d'éclairer les débats de la Délégation, dans l'attente d'une proposition législative de la Commission européenne qui lui sera transmise, l'année prochaine, au titre de l'article 88-4 de la Constitution.

La Commission a déjà présenté un premier projet d'évolution de la politique sucrière européenne, sous la forme d'une communication, en date du 14 juillet 2004. Le principal objet de ce texte est de mettre en conformité l'OCM sucre avec, d'une part, les orientations de la nouvelle PAC et, d'autre part, les engagements pris au sein de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

Selon le rapporteur, une prise de position de la Délégation sur ce texte, avant même l'examen de proposition de la Commission, se justifie d'autant plus que le prochain Conseil des ministres de l'agriculture de l'Union doit discuter de l'avenir de l'OCM sucre.

Il convient donc de poser dès maintenant les quelques principes devant encadrer toute réforme de l'OCM, à partir des premières orientations dégagées par la Commission l'été dernier et des défis internationaux que la politique sucrière européenne devra bientôt relever.

En préalable, le rapporteur a rappelé que cette OCM a bien fonctionné. Elle repose sur des prix garantis, un système de quotas, ainsi qu'une importante protection douanière aux frontières, qui ont permis un approvisionnement stable du marché.

D'autre part, cette OCM est largement autofinancée par la filière, une exception notable au sein de la PAC.

Cependant, malgré ses atouts, cette OCM doit évoluer pour plusieurs raisons, dont l'une est essentielle : le Brésil a, en effet, obtenu à l'OMC une première condamnation du régime sucrier européen, qui sera vraisemblablement confirmée en appel et imposera une réorganisation de la production européenne.

Le rapporteur a donc proposé de présenter une analyse du contexte de la réforme avant de soumettre à la Délégation quelques orientations concernant la réforme de l'OCM.

Il a d'abord souligné que l'OCM sucre doit être réformée pour des raisons de cohérence et de survie économique.

Tout d'abord, cette OCM ne peut plus rester à l'écart des évolutions ayant affecté, depuis 1992, la PAC. Elle doit donc être réformée pour trouver sa place au sein d'une PAC ayant, depuis plus de dix ans, changé de visage.

Ensuite, cette OCM est sous la menace d'une déferlante d'importations : le marché communautaire du sucre, rendu structurellement attractif par ses prix très élevés, est en passe « d'aspirer » les importations dites « préférentielles », provenant de pays auxquels l'Union accorde des concessions tarifaires.

Tel sera le cas du sucre des pays les moins avancés (PMA). Celui-ci, avec l'initiative « Tout sauf les armes » adoptée en 2001, pourra entrer, à partir de 2006, sans quotas, et, à partir de 2009, sans droits de douane, sur le marché communautaire. Cette perspective est particulièrement alléchante pour les opérateurs ayant investi dans des PMA, tels le Soudan, le Mozambique et le Népal, pour développer une production, à faible coût, au sein de complexes industriels tournés vers l'exportation.

Ainsi, les exportations de sucre PMA vers l'Union pourraient augmenter de manière très significative. La menace est d'autant plus inquiétante que le sucre en question pourrait être, en fait, à la suite d'un « swap », du sucre de canne brésilien acheté sur le marché mondial, puis « transformé » en sucre PMA pour être réexporté sur le marché européen, après une opération de raffinage permettant de contourner les règles d'origine.

Ce risque est réel, comme l'a montré l'exemple du sucre importé des Balkans, qui a connu une véritable explosion (de zéro en 1999 à 270 000 tonnes en 2003).

A ce sujet, le rapporteur a indiqué que la Commission européenne réfléchit à une refonte des règles d'origine de la Communauté, afin d'éviter des détournements de ce genre. Cette réflexion devrait bientôt déboucher sur une proposition de règlement, qui sera la bienvenue, mais le rapporteur a insisté sur le fait que seule une application concrète des règles d'origine, sur le terrain, permettra à l'ensemble du système de fonctionner de manière satisfaisante.

Le rapporteur a alors jugé que face à ces nouveaux défis, les orientations retenues par la Commission le 14 juillet dernier ne sont pas satisfaisantes, car elles sont prématurées et partielles.

D'abord, le calendrier de réforme préconisé par la Commission est prématuré.

La communication prévoit en effet une anticipation de la réforme dès 2005, qui est inacceptable, le règlement actuel du sucre ayant été décidé pour 5 campagnes de 2001 à 2005, jusqu'au 30 juin 2006. Cette précipitation se justifie d'autant moins que le nouveau règlement, pour bénéficier d'une espérance de vie réelle et donner ainsi des perspectives claires aux producteurs, doit prendre en compte les résultats définitifs du panel « sucre » à l'OMC.

Se soumettant au principe de réalité, la Commission a laissé entendre qu'elle abandonnerait une mise en œuvre anticipée de la réforme, mais il serait souhaitable que le Conseil des ministres de l'agriculture lui demande de confirmer que le règlement actuel sera applicable, comme prévu, jusqu'au 30 juin 2006.

Ensuite, les propositions de la communication concernant la réorganisation de la production sont très décevantes, car insuffisantes : elles ne sont pas à la hauteur des enjeux du « choc externe » auquel doit se préparer l'Europe.

Le sucre européen va devoir en effet subir quatre chocs extérieurs, dont les effets cumulés seront redoutables : l'augmentation des importations préférentielles, la baisse des droits de douane à effectuer à l'issue du Cycle de Doha, la suppression, prévu par l'accord-cadre conclu le 1er août 2004 entre les membres de l'OMC et visant à supprimer les subventions aux exportations agricoles, qui imposera le retrait progressif des 1,3 million de tonnes de sucre communautaire exporté avec restitutions ; et, enfin, le panel sucre.

D'ores et déjà, la perte de production induite par ces deux dernières décisions porte sur 6 millions de tonnes, soit une diminution de près de 30 % de la production sucrière européenne. Si ce « scénario catastrophe » devait s'appliquer, il entraînerait pour la France une diminution de 40 % de sa production, la fermeture d'un tiers des sites industriels existants et la perte de plus de 10 000 emplois directs et indirects en zone rurale.

La Commission propose de relever ces défis externes de deux manières.

Premièrement, elle prévoit de baisser les prix du sucre de respectivement -33 % pour le prix de soutien et de -37 % pour le prix minimal de la betterave.

Cependant, l'ajustement au choc externe ne pourra se faire uniquement par les prix : c'est pourquoi, en deuxième lieu, une réduction de la production de sucre est prévue.

La méthode choisie à cet effet par la Commission pour diminuer la production, tout comme son plan de restructuration de la filière, sont imprécis, illogiques et insuffisants.

En ce qui concerne la restructuration, la Commission prévoit de mettre en place un dispositif incitatif de sortie, sous la forme d'un « filet de sécurité » de 250 euros/tonne pour les unités de production qui, économiquement, ne seraient plus viables du fait de la baisse des prix.

Selon les professionnels, ce montant est nettement insuffisant pour permettre de couvrir les frais environnementaux et sociaux de la fermeture d'une usine ; il devrait être compris entre 800 et 1 000 euros la tonne. Il convient donc de renforcer le dispositif de reconversion, en faisant financer cet effort supplémentaire par les professionnels.

Abordant le dernier point de son exposé, le rapporteur a considéré que l'avenir de l'Europe sucrière doit être assuré par une OCM gagnant le double pari de la compétitivité et de la solidarité.

Dans cette perspective, l'Union doit soutenir, en premier lieu, une restructuration économiquement fondée du secteur du sucre.

En effet, les producteurs européens ne pourront relever le défi d'une contrainte extérieure forte qu'en se redéployant durablement sur le marché intérieur.

C'est pourquoi la baisse des quotas doit tenir compte du fait que l'Europe ne remplit pas la totalité de ces derniers : tout ajustement dans ce domaine doit s'opérer en fonction de ce déficit, afin de s'appuyer sur la compétitivité réelle des zones de production.

En outre, le régime de reconversion doit devenir un véritable outil de restructuration industrielle, comme cela a déjà été souligné.

D'autre part, la Commission doit strictement encadrer le raffinage, tout comme le découplage de l'aide directe aux planteurs, qui doit être intégral, afin d'inciter les moins efficients d'entre eux à se tourner vers d'autres cultures, plus rentables, notamment les céréales.

Enfin, la France est particulièrement attachée à ce que la réforme de l'OCM sucre ne pénalise pas les producteurs des régions ultrapériphériques de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Réunion. De manière regrettable, la Commission est, pour l'instant, restée silencieuse sur le sujet, alors même que la situation très particulière des planteurs de canne d'outre-mer, pour lesquels une logique de réorientation n'a aucun sens, justifie le maintien de la solidarité communautaire à leur égard.

L'Union doit défendre, en deuxième lieu, les intérêts des ACP, avec lesquels elle a su construire un partenariat de coopération Nord/sud unique en son genre.

L'Union importe aujourd'hui 1,3 million de tonnes de sucre de ces pays à un prix garanti, qui est aujourd'hui de 523,7 euros la tonne. Cette préférence commerciale, qui constitue de facto une aide financière pour ces pays, devra être « sanctuarisée », ce qui imposera de gagner une bataille politique difficile à l'OMC. En échange, les pays ACP devront s'engager à contrôler l'origine du sucre qu'ils exportent.

Enfin, la préférence communautaire pour le sucre doit être préservée.

En effet, le maintien de droits de douane suffisamment élevés pour garantir la compétitivité de la production interne par rapport aux importations est absolument vital pour conserver une filière sucrière viable en Europe.

Parallèlement, l'Europe devra s'assurer que cette protection extérieure ne soit pas remise en cause par les importations de sucre PMA ou « trafiqué » PMA. La solution la plus efficace consisterait à contingenter ces dernières, à l'instar de ce qui est envisagé pour le sucre des Balkans.

Présentant un intérêt incontestable, cette proposition a néanmoins peu de chances d'aboutir, car elle remet en cause la philosophie même de l'initiative PMA, en faisant du « Tout sauf les armes », un « Tout sauf les armes et le sucre », difficilement défendable au niveau multilatéral.

Aussi semble-t-il préférable de défendre l'actuel dispositif PMA, tout en veillant à ce qu'il ne soit pas détourné, par le contournement des règles d'origine, de son objectif initial de développement des pays les plus pauvres de planète. Dans ce but, il conviendrait de soumettre la libéralisation du sucre PMA en 2009 au respect d'au moins deux pré-conditions : la révision préalable des règles d'origine de la Communauté (devant donner lieu à une proposition de la Commission à la fin de l'année), et l'application, pendant une période probatoire, des mêmes règles, afin d'en assurer l'efficacité.

M. Louis-Joseph Manscour a souligné que le problème principal visait à éviter la déstabilisation du marché du sucre, voire sa disparition dans les régions ultrapériphériques. A cet égard, si la proposition de conclusions exprime une préférence pour un fonds de reconversion financé par les professionnels, il faut être conscient qu'un tel dispositif pourrait être difficile à mettre en œuvre à la Martinique, en Guadeloupe ou à la Réunion. Par ailleurs, il s'est interrogé sur la probabilité d'obtenir un report de la réforme après l'expiration du règlement actuel du sucre, fixée le 30 juin 2006.

M. Jean-Marie Sermier, rapporteur, a précisé que le financement du fonds de reconversion serait, à hauteur de 250 euros la tonne, à la charge de la Commission et, pour le solde, à la charge des professionnels qui, lors de leurs auditions, ont estimé pouvoir assumer ce financement durant deux années. Toutefois, il est exact que la Commission n'a pas fourni d'informations précises en ce qui concerne le sucre de canne et le texte de la communication le note expressément. Dans les régions concernées, la production du sucre de canne est indispensable au maintien de l'activité agricole, ce qui n'est pas vraiment le cas en métropole.

S'agissant du report éventuel de la réforme après 2006, on peut raisonnablement supposer que cette proposition sera retenue car, d'une part, les emblavements de betteraves vont avoir lieu en avril 2005, ce qui rend techniquement difficile la mise en œuvre d'une réforme dès l'année prochaine et, d'autre part, il serait opportun de connaître le libellé du jugement d'appel de l'OMC, attendu pour le printemps 2005, qui contiendra probablement quelques pistes de travail.

Il convient d'ajouter que la France devrait rechercher l'appui des autres grands producteurs européens que sont l'Allemagne, le Royaume-Uni et la Pologne. On doit aussi regretter que cette question n'ait pas été examinée de façon concomitante avec celle des productions méditerranéennes, telle que l'huile, car cela aurait rendu plus aisé l'octroi de compensations permettant d'obtenir le soutien des Etats membres concernés.

La Délégation a ensuite adopté la proposition de conclusions ainsi rédigée :

« La Délégation,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la communication de la Commission européenne au Conseil et au Parlement européen « Elaborer un modèle agricole durable pour l'Europe grâce à la nouvelle politique agricole commune (PAC) - Réforme du secteur du sucre »,

Considérant que le contexte international, marqué par les négociations à l'Organisation mondiale du commerce (OMC), l'attente des résultats définitifs du « panel sucre » contre l'Union européenne et l'initiative « Tout sauf les armes » en faveur des pays les moins avancés (PMA), impose une réforme de l'organisation commune de marché (OCM) du sucre, afin d'éviter que la production communautaire ne soit gravement déstabilisée,

Considérant que ces échéances donnent à l'Union européenne le temps d'adapter sa politique sucrière,

Considérant que les évolutions proposées par la Commission dans sa communication sont prématurées et partielles :

1. Demande au Gouvernement d'obtenir, à l'occasion du prochain Conseil des ministres de l'agriculture, un engagement clair de la Commission de ne pas réformer le règlement sucre actuel avant sa date prévue d'expiration, fixée le 30 juin 2006 ;

2. Estime qu'après ce terme, le rééquilibrage du marché européen du sucre imposé par l'augmentation des importations préférentielles et l'interdiction des exportations subventionnées passera par une réduction contrôlée du différentiel de prix entre la Communauté et le marché mondial et une restructuration de la filière qui s'appuie sur la compétitivité des acteurs ; juge, à cet égard, le recours à un fonds de reconversion financé par les professionnels préférable au mécanisme de transfert des quotas de production, ce dernier étant juridiquement complexe et économiquement aventureux ;

3. Considère que la réorganisation de la filière impliquera le maintien d'une préférence communautaire suffisamment élevée pour le sucre, qui soit accompagnée d'un contrôle rigoureux de l'origine du sucre préférentiel importé ;

4. Souhaite que l'architecture de la nouvelle OCM couvre une période suffisamment longue, par exemple jusqu'en 2013, afin de donner des perspectives claires aux producteurs, et ne sacrifie pas la solidarité due aux régions ultrapériphériques de l'Union et aux pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique. »

III. Nomination de rapporteurs d'information

Sur proposition du Président Pierre Lequiller, la Délégation a désigné comme rapporteurs d'information :

M. Michel Delebarre, avec M. Didier Quentin, sur la réforme des fonds structurels européens ;

M. Jacques Floch, sur la médiation en Europe ;

M. Daniel Garrigue et M. Michel Delebarre, sur le suivi de la stratégie de Lisbonne ;

M. Robert Lecou, sur l'harmonisation des règles du crédit aux consommateurs ;

et a confié à :

M. Marc Laffineur, une communication sur la modification du régime de la circulation et du contrôle des produits soumis à accises (document E 2570).