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DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 131

Réunion du mercredi 22 juin 2005 à 16 heures 15

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président

I. Audition de Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes, sur les conclusions du Conseil européen de Bruxelles

Après avoir accueilli la ministre, le Président Pierre Lequiller a rappelé que l'audition porterait sur les conclusions du Conseil européen des 16 et 17 juin 2005 au cours duquel avaient principalement été évoqués le processus de ratification du traité constitutionnel, dont le déroulement est adapté à la suite du « non » par référendum, de la France et des Pays-Bas, ainsi que les perspectives financières 2007-2013, sur lesquelles aucun accord n'avait pu être conclu.

Après s'être réjouie de cette première rencontre avec la Délégation dans le cadre de ses nouvelles fonctions, dont elle place l'exercice sous les auspices d'une excellente coopération, Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes, a d'abord indiqué que s'agissant de l'avenir du processus de ratification du traité constitutionnel, le débat sur les conséquences des référendums français et néerlandais avait été intéressant et dense, bien que difficile. Chaque membre du Conseil européen avait préalablement entrepris un travail de réflexion et d'analyse notamment sur l'inquiétude qui se répandait dans beaucoup de pays de l'Union à la suite de ces deux consultations. Un accord est intervenu, sur la base de quelques orientations.

La nécessité d'une ambition européenne forte a été réaffirmée par tous, comme l'indique la déclaration finale sur l'avenir du traité constitutionnel. Le « besoin d'Europe » a été souligné pour tous les domaines où les attentes des citoyens sont fortes, la croissance et l'emploi, la sécurité intérieure et extérieure, et la protection de l'environnement notamment, sujets sur lesquels les Etats membres ont décidé d'entreprendre une réflexion commune. Il faudra ainsi examiner parmi les politiques de l'Union, d'une part, celles qui sont de réels succès, comme la politique agricole commune, de manière à être plus positif sur l'Europe, quand elle fonctionne bien, et qu'il convient de renforcer et, d'autre part, lorsque tel est le cas, les politiques qui doivent être, au contraire, améliorées, réorientées, voire adaptées si nécessaire.

Cette période de réflexion devra également être consacrée à un large débat dans chaque pays, et non pas seulement dans les seuls Etats membres qui ont voté « non », sur le sens et le développement du projet européen et les réponses à apporter aux attentes telles qu'elles s'expriment. La France, avec l'ensemble de ses partenaires et des institutions européennes, devra ainsi travailler à faire mieux comprendre l'Europe, de manière à la rendre plus visible, plus efficace et plus présente pour les citoyens. C'est dans cet esprit qu'est venue l'idée non pas d'une pause mais de cette période de réflexion active, qui doit être mise à profit pour que les opinions ne ressentent plus l'Europe comme lointaine et qu'elles se sentent non plus exclues mais associées à sa construction. Un tel travail d'écoute interviendra en liaison avec, notamment, les partenaires sociaux et la société civile.

Une telle opération ne suffira pas. Il convient, par conséquent, en parallèle, de parler davantage de l'Europe et d'expliquer la force du projet européen et les opportunités qu'il offre à chacun. Le débat référendaire a eu un effet positif dans la mesure où les Français ont vécu l'Europe, pour la première fois peut-être. Ils se sont donc appropriés l'Europe, qui n'est plus un sujet lointain, un sujet de politique étrangère. Dans les débats futurs, l'Europe doit donc occuper dans la durée, la place qu'elle mérite, la représentation nationale prenant naturellement toute sa part. Le Premier ministre a d'ailleurs indiqué que l'ensemble des textes dont la transmission aux assemblées parlementaires était prévue en application du traité constitutionnel, leur serait bien communiqué.

Si une certaine inquiétude se développe actuellement dans les pays européens, et pas seulement en France et aux Pays-Bas, cette incompréhension ne doit pas conduire à conclure à croire à un rejet en bloc de l'idée européenne. Il serait erroné de penser que le résultat du référendum français traduit un refus de l'Europe plutôt qu'un rejet d'une certaine manière de la faire. Comme l'a indiqué le ministre des affaires étrangères, M. Philippe Douste-Blazy, dans une tribune du journal Le Monde daté du 22 juin, il convient de tenir compte de cette incompréhension et de la distance entre le citoyen et l'Europe, pour redonner au débat toute sa finalité.

Les vingt-cinq Etats membres ont donc décidé de laisser chacun d'entre eux libre de choisir l'option qui lui convient. Ceux qui veulent poursuivre le processus de ratification le peuvent. Ceux qui doivent l'adapter peuvent également en modifier la forme et le rythme. Une telle décision est sage. Elle est en effet respectueuse des décisions des dix Etats membres qui ont déjà procédé à la ratification, et qui représentent, au total, 225 millions d'habitants, soit la moitié de la population de l'Union élargie. Il ne serait pas non plus convenable de distinguer les deux procédures de ratification, la voie parlementaire et la voie référendaire, lesquelles se valent. La décision des Vingt-cinq est également respectueuse de la volonté des Etats qui souhaitent s'exprimer. Elle laisse donc à la démocratie l'élément de souplesse qui lui est nécessaire. Aucun Etat membre n'a évoqué par ailleurs l'hypothèse d'une renégociation. Un rendez-vous a seulement été pris au premier semestre 2006 pour faire le point sur l'ensemble du processus. Par ailleurs, la disposition annexe au projet de traité qui prévoit un rendez-vous à la fin de l'année 2006 n'est pas affectée.

Abordant ensuite la question des futurs élargissements, la ministre a indiqué que cette question était présente dans l'esprit de chacun, avec des nuances selon les Etats. Conformément à ce qu'ont indiqué le Président de la République et le Premier ministre, si l'élargissement, qui est intervenu à un rythme rapide - bien que plus lent que ne l'auraient souhaité les nouveaux entrants - a été un vecteur d'inquiétude, il convient néanmoins de revenir aux éléments fondamentaux, au-delà du seul rappel de ce qu'il répondait à un impératif historique : on ne peut à la fois avoir souhaité la chute du mur, avoir combattu le totalitarisme et vouloir garder une Europe divisée. Il est ainsi clair que l'élargissement offre d'ores et déjà des avantages non seulement pour l'Union mais également pour l'ensemble des pays qui la constituent. Dès à présent, en effet, la France en bénéficie en termes d'investissements, d'emplois et d'accroissement des échanges. Si l'épouvantail du « plombier polonais » a pu peser dans les esprits, il convient de revenir à la réalité. Pour le futur, il est donc impératif de respecter les engagements contractés par l'Union mais de veiller également au respect, dans leur plénitude, des critères d'adhésion par les pays candidats. La Commission européenne devra ainsi faire preuve de vigilance et de sincérité dans ses rapports sur les progrès réalisés par chacun d'entre eux.

Enfin, la France doit mener avec ses partenaires une réflexion sur les élargissements futurs, lesquels posent notamment l'importante question des frontières de l'Europe. Celle-ci concerne tous les citoyens et c'est dans cet esprit que la révision constitutionnelle liée au processus de ratification du traité constitutionnel a prévu un référendum sur les futurs traités d'adhésion.

Mme Catherine Colonna a ensuite abordé le second sujet qui figurait à l'ordre du jour du Conseil européen : les perspectives financières. Les discussions sur ce sujet ont été les plus difficiles, elles ont été longues, et ont abouti à un échec. Il n'a pas été possible de trouver un accord sur le futur budget de l'Union européenne pour 2007-2013. Or il faudra en trouver un, par définition, avant 2007. La fin de la présidence luxembourgeoise constituait une fenêtre d'opportunité, et la conclusion d'un accord dans cette « fenêtre », dès 2005, aurait permis de prendre un peu d'avance.

La principale question à régler pour l'élaboration de ce nouveau « paquet » financier est celle du financement de l'Union élargie. Dans le « paquet » précédent, destiné à couvrir la période 2000-2006, l'élargissement représentait une part relativement faible. Le prochain "paquet" sera le premier dans lequel l'élargissement fera sentir son plein effet, ce qui soulève le problème de la contribution équitable de tous. Le financement doit également être équitable pour les politiques communes, qu'il s'agisse de la recherche, des grands réseaux ou de la politique agricole commune.

La France avait deux objectifs en arrivant au Conseil européen : aider à aboutir à un accord, car un accord dès maintenant était préférable, surtout après les résultats du référendum français et du référendum néerlandais ; et obtenir un accord raisonnable, c'est-à-dire compatible avec les intérêts français et ceux de l'Union.

La France a donc fait partie des Etats qui ont cherché à faciliter un accord. Elle a fait des efforts, non seulement politiques mais aussi quantifiés, en acceptant l'ultime proposition de la présidence luxembourgeoise qui aurait signifié une augmentation de la contribution brute française d'un milliard et demi d'euros par an, soit environ 10 milliards d'euros sur la période.

Mais une répartition équitable de la charge impliquait une réforme du « chèque britannique ». En effet, ce mécanisme dispense le Royaume-Uni de toute responsabilité dans le financement du coût de l'élargissement. Le « chèque », d'un montant annuel de près de 5 milliards d'euros, connaîtrait une progression mécanique si le système demeurait inchangé, pour atteindre 7 milliards d'euros en 2013. La France contribue au financement de ce chèque à hauteur de 30 % de son montant. Avec le système actuel, le Royaume-Uni se trouverait être le seul Etat dont le solde net s'améliorerait entre 2007 et 2013. Le solde net français, au contraire, se dégraderait, mais la France est prête à l'accepter au titre du nécessaire effort de solidarité.

Le système actuel amène en pratique la France et les nouveaux Etats membres à supporter une quote-part pour financer l'élargissement, mais pas le Royaume-Uni, ce qui est absurde. Les raisons techniques qui pouvaient justifier en 1984 la mise en place du « chèque » britannique n'existent plus, qu'il s'agisse des raisons tenant à la prospérité relative du Royaume-Uni ou de la part de la PAC en proportion du budget communautaire. L'équité commandait donc de réformer le système quand bien même on s'en tiendrait au raisonnement qui a été suivi en 1984.

La présidence luxembourgeoise a formulé une proposition de compromis et a mené sur cette base des négociations bilatérales, ce qui l'a amenée à présenter pendant le Conseil européen, dans la nuit du 16 au 17 juin, une dernière proposition. Celle-ci allait jusqu'aux limites de l'acceptable pour la France même si certains éléments pouvaient lui apporter satisfaction, notamment sur la politique régionale. Une grande majorité des Etats, dont la France, ont accepté cette proposition. Le Royaume-Uni l'a refusée, suivi par quelques autres Etats qui ont cédé à un mouvement de surenchère. Après avoir été quelque peu hésitante, l'Italie s'est ralliée au compromis.

Le Royaume-Uni a refusé tout plafonnement de son « chèque », ce refus constituant l'objectif politique immédiat du Premier ministre britannique. La responsabilité de l'échec est clairement établie, même si la presse française a pu dans certains cas refléter une impression différente. L'échec du Conseil européen est une déception pour les nouveaux Etats membres et pour tous les Européens. Ce qui a fait défaut, c'est l'esprit communautaire, l'esprit de compromis.

La ministre a conclu son intervention en indiquant ce qu'il est maintenant possible de tracer comme orientations.

S'agissant du traité constitutionnel, la feuille de route est tracée : rendez-vous est pris pour 2006, il n'y aura pas de renégociation, et il convient d'essayer de répondre aux inquiétudes et aux attentes qui se sont exprimées dans chaque pays.

S'agissant des perspectives financières, il faudra trouver les moyens de faire fonctionner l'Europe. Techniquement les Etats ne sont pas passés bien loin d'un accord. En réalité, on a assisté à un affrontement entre deux conceptions : d'une part une remise en cause brutale de la méthode communautaire fondée sur la recherche d'une adaptation graduelle et consensuelle, et d'autre part cette méthode elle-même. La logique de rupture n'est pas réaliste. La seconde conception réunit la grande majorité des Etats membres et a fait ses preuves jusqu'à présent. Derrière les perspectives financières il y a bien une conception de l'Europe à défendre.

Il convient de souligner que, techniquement, c'est sur la base de la proposition qu'avait formulée la présidence luxembourgeoise au début du Conseil européen que les discussions reprendront, puisque la proposition formulée au cours du sommet a été rejetée. Or cette proposition antérieure comportait un plafonnement, nominal, du « chèque » britannique.

Il faudra trouver une solution au cours de la présidence autrichienne ou de la présidence finlandaise, si cela n'est pas possible sous présidence britannique. Le « paquet » précédent a été adopté en mars 1999 et s'est appliqué à partir de l'année 2000. Il faudrait donc trouver un accord au plus tard au milieu de l'année 2006.

M. Marc Laffineur a estimé que l'échec du Conseil européen nourrissait une grande inquiétude sur l'avenir de l'Europe. Les Britanniques ont une lourde responsabilité dans la crise budgétaire actuelle, et il faut prendre garde à ne pas perdre la bataille médiatique. Il faut réagir de façon urgente et déterminée à la stratégie de M. Tony Blair visant à assimiler la défense de la politique agricole commune à une position passéiste. Bien au contraire, la PAC est une politique essentielle et, même si nombre d'agriculteurs ont voté contre le traité constitutionnel, l'agriculture française s'est considérablement modernisée grâce à l'Europe. L'agriculture européenne est aujourd'hui très compétitive face aux Etats-Unis et notre autosuffisance agricole est un atout primordial. Il est également faux de prétendre devoir choisir entre les dépenses agricoles et la politique de recherche. Les deux sont largement compatibles.

En ce qui concerne l'élargissement, il est temps de délivrer à nos concitoyens un message clair sur la nature du projet européen. M. Marc Laffineur a demandé à la ministre quels sont les pays européens qui partagent la vision française d'une Europe politique, au-delà du seul marché unique. Puis il a souhaité obtenir des précisions sur le financement futur de la politique régionale.

M. François Guillaume a pris acte du résultat du référendum et s'est interrogé sur l'avenir, en faisant part de son analyse d'une crise budgétaire étroitement liée au « chèque » britannique. Or, aujourd'hui, les justifications de cet abattement n'ont plus de raison d'être, les recettes liées aux droits de douane contribuant de moins en moins au budget européen, depuis la création du prélèvement sur le PNB. Il a ensuite rappelé que le Royaume-Uni avait coûté cher à la PAC lors des crises de la vache folle et de la fièvre aphteuse. L'Union a en effet largement financé l'abattage des troupeaux britanniques tandis que les éleveurs français ont douloureusement subi les conséquences de ces épizooties. En tout état de cause, il faut sortir d'une posture défensive, pour passer à l'offensive. Il n'y a rien d'anormal à ce que la France, qui représente 20 % de la production agricole européenne, reçoive un cinquième des aides. M. François Guillaume a souhaité que le Gouvernement consulte les parlementaires pour réfléchir à des propositions susceptibles de conforter la politique agricole commune. Il s'est notamment déclaré favorable à une réflexion sur l'instauration d'aides dégressives et s'est dit ouvert au principe d'un plafonnement de certaines aides.

M. Jacques Floch, regrettant le résultat négatif du référendum, a indiqué que le temps était désormais venu de tourner la page et de réfléchir à des propositions que la France pourrait faire à ses partenaires. Le Conseil européen ayant annoncé qu'il se saisira de l'avenir du traité constitutionnel au cours du premier semestre 2006, il est nécessaire de travailler, d'ici là, à des propositions concrètes. Il a souhaité, qu'avec l'accord du Président Pierre Lequiller, les membres de la Délégation pour l'Union européenne puissent prendre toute leur part à cette réflexion, en concertation avec le Gouvernement. Il a indiqué l'éventualité d'extraire du projet de traité constitutionnel les dispositions les plus consensuelles que, même les partisans du non, considèrent comme acceptables.

Puis il a déploré que les questions européennes soient encore trop souvent traitées comme des affaires étrangères, comme le révèle le statut du ministre des affaires européennes, qui reste délégué auprès du ministre des affaires étrangères, sans véritable raison. Or il est temps que le ministre des affaires européennes soit en mesure d'exercer pleinement ses compétences.

Evoquant enfin l'élargissement, il a estimé que rien ne justifiait de différer d'un ou deux ans les adhésions de la Bulgarie et de la Roumanie. De même, il s'est déclaré opposé au refus de l'ouverture des négociations avec la Turquie, d'autant que les Français seront, le moment venu, appelés à se prononcer par référendum sur une éventuelle adhésion. Mais il a souhaité que cette consultation populaire n'ait pas pour effet d'empêcher les Turcs de rejoindre l'Union, analysant l'élargissement à la Turquie comme un facteur de paix et de stabilité du monde.

A ces questions, la ministre a apporté les éléments de réponse suivants :

- la politique agricole commune n'a pas été au centre des débats du Conseil européen, car son financement a déjà fait l'objet d'un accord unanime lors du Conseil européen de Bruxelles des 24 et 25 octobre 2002. La tentative de diversion menée par le Royaume-Uni à son égard n'a pas fonctionné, et la France n'a pas eu à adopter une attitude défensive. Comme l'a rappelé le Premier ministre à l'Assemblée nationale le mardi 21 juin 2005, il faut comparer ce qui est comparable. La PAC est la seule politique totalement intégrée et est un succès. Elle ne concerne pas que les agriculteurs, que certains présentent comme négligeables parce qu'ils ne constituent que 5 % de la population active totale, mais représente deux millions d'emplois en France en incluant la filière agroalimentaire, et 40 milliards d'euros d'exportations. Elle assure notre indépendance alimentaire, alors que les besoins alimentaires ne cessent de croître compte tenu de l'augmentation de la population mondiale. C'est une politique d'avenir, qui inclut un effort de recherche important. Nous manquons parfois d'unité pour la défendre, alors que nous devrions être aussi soudés que les Américains lorsqu'il s'agit de défendre leur politique agricole. Ce n'est pas seulement aux élus et aux politiques de se mobiliser, mais à l'ensemble de la société française, y compris la filière agro-alimentaire et le monde de la recherche ;

- la France n'est pas isolée dans sa volonté de promouvoir une Europe politique. Il y a deux conceptions différentes de l'Europe, et la grande majorité des Etats membres partage la nôtre et non celle du Royaume-Uni. La signature par les Vingt-cinq du traité constitutionnel, qui avance dans le sens de cette Europe politique, le démontre ;

- dans la dernière phase de la négociation, la présidence luxembourgeoise a présenté des propositions qui portaient les crédits pour la politique régionale de 306 milliards d'euros à 309, avec une hausse du critère de prospérité pour l'Objectif 1 qui était avantageux pour nos départements d'outre-mer et nos régions ultra-périphériques. L'échec du sommet nous a cependant ramenés à la précédente proposition de la présidence luxembourgeoise, qui reste sur la table ;

- la quasi-totalité des Etats membres étaient représentés à la Convention par leur ministre des affaires étrangères. La tradition politique et administrative, en France, est que le ministre des affaires européennes soit un ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères. Les propositions, souvent formulées, d'un rattachement différent n'ont jamais été retenues. Un rattachement au Premier ministre nécessiterait un bouleversement de l'organisation gouvernementale ;

- il faut continuer le débat sur l'avenir de l'Europe. Le Président de la République en définira les orientations. Il faudra mener ce débat au sein de la représentation nationale, mais aussi au niveau des collectivités territoriales et des associations, pour toucher l'ensemble de la société française ;

-une « vente à la découpe » du traité constitutionnel, qui consisterait à reprendre certaines de ses dispositions institutionnelles dans un nouvel instrument, n'est pas une solution satisfaisante. Le traité constitutionnel est le résultat d'un équilibre politique délicat. Tous les Etats membres ne voudraient pas en retenir les mêmes éléments. C'est, en l'état, le meilleur traité possible pour l'Europe. Une telle option reviendrait, en outre, à méconnaître le vote des dix Etats membres qui ont ratifié le traité ;

- en ce qui concerne la Turquie, les engagements pris seront respectés, de part et d'autre. Cela vise également la partie turque, et la France a appelé la Commission à faire preuve de vigilance dans son rapport d'évaluation. Les négociations ne se termineront pas nécessairement par une adhésion ; un partenariat privilégié est une option. Dans dix ou quinze ans, l'état du monde sera, en tout état de cause, très différent ce qu'il est aujourd'hui.

M. Jacques Myard a salué le courage du nouveau ministre des affaires européennes, qui se propose de revigorer un processus moribond. On ne peut qu'être surpris par les conclusions du Conseil européen, qui ne comportent aucune référence aux référendums français et néerlandais. La décision de poursuivre le processus de ratification permettra d'ouvrir enfin les yeux des eurocrates car d'autres référendums négatifs ne manqueront pas de survenir. La crise sur les perspectives financières n'est que la traduction budgétaire de la crise institutionnelle, mais elle a été accentuée par la faute tactique ayant consisté à mettre en avant le rabais britannique, alors que chacun sait que le Premier ministre anglais ne peut, pour des raisons de politique intérieure, accepter de renégocier cette question. Cette faute a suscité une riposte sur la politique agricole commune, qui est pourtant une excellente politique. Il faut avoir conscience que la poursuite de l'élargissement aura un coût net pour la France d'environ 10 à 15 milliards d'euros. Cela doit nous conduire à remettre les choses à plat, car la faillite de la méthode communautaire est évidente. La solution consisterait à identifier quelques politiques à mener au niveau communautaire, le reste devant être financé par les budgets de chaque Etat membre.

M. Christian Paul a estimé que la crise budgétaire était prévisible depuis plusieurs années, en raison des modalités improvisées de l'élargissement, de la réforme de la politique agricole commune et de la volonté de certains Etats, dont la France, de plafonner le budget communautaire à un niveau trop bas. Sans sous-estimer la responsabilité du Premier ministre britannique dans l'échec du Conseil européen, il ne faut pas négliger la responsabilité de la France, qui ne réside pas dans le résultat du référendum mais dans une sous-estimation de la crise européenne. Il existe désormais une attente d'initiatives françaises pour relancer le chantier constitutionnel. Notre pays n'est pas « KO debout » et doit montrer sa capacité à agir. A cet égard, même s'il est exact que les votes parlementaires et référendaires ont la même valeur juridique, ils n'ont certainement pas le même poids politique. Dès lors, le vote du peuple français doit être compris comme un mandat impératif donné aux autorités de notre pays pour porter une demande de réécriture du traité constitutionnel.

Le Président Pierre Lequiller a observé que le référendum n'avait pas transmis un message unique mais multiple et qu'il serait donc difficile de l'adresser à nos partenaires.

M. Nicolas Dupont-Aignan a eu le sentiment, en écoutant les réactions du Gouvernement, que rien ne s'était passé le 29 mai 2005. Pourtant, les Français ont voté massivement « non » après un grand débat et ignorer ce vote risque de conduire à une « réaction boomerang » en 2007.

Trois réactions officielles paraissent particulièrement critiquables. Tout d'abord, l'affirmation qu'aucune renégociation n'est possible signifie que l'on envisage de faire revoter les Français, ce qui serait politiquement indigne. Ensuite, en se polarisant sur la question du rabais britannique et en exigeant un plafonnement du budget communautaire à un faible niveau, on a volontairement dramatisé la situation pour tenter de culpabiliser le peuple français, à qui on voudrait faire croire qu'il a mal voté. Enfin, il est inexact de laisser entendre que le choix actuel serait entre une Europe politique et une Europe libérale, puisque l'Europe politique est, de façon évidente, une Europe libérale. Le véritable débat consiste à choisir entre une Europe fédérale ou pas.

Si le « non » français au référendum est certainement multiple dans ses explications, il n'en a pas moins une grande cohérence et traduit plusieurs demandes. Les Français ont ainsi exprimé un fort besoin de protection aux frontières et il faut se réjouir que le Président de l'UMP, M. Nicolas Sarkozy, ait affirmé la nécessité d'une décision claire sur les négociations avec la Turquie. D'autres préoccupations évidentes ont trait à la gestion de l'euro par la Banque centrale européenne et à la demande d'une politique pour contrecarrer le dumping social de certains nouveaux Etats membres, qui pourrait se traduire par un débat concernant les fonds structurels accordés à ces derniers. Il importe également de discuter du retour de la notion de préférence communautaire et de réfléchir à une Europe à la carte, qui pourrait d'ailleurs s'inspirer en partie des coopérations renforcées prévues par le traité constitutionnel.

M. Michel Herbillon, après s'être déclaré un ardent partisan du oui, a observé chez nos compatriotes un très grand désarroi aussi bien chez les partisans du oui que du non sur les institutions et le fonctionnement de l'Union européenne. Ceux qui ont voté non ont pensé qu'il y aurait renégociation grâce à un plan B et que l'Union européenne ne s'arrêterait pas, mais la ministre vient de déclarer que ce n'est pas le cas. Ceux qui ont voté oui pour améliorer les règles et le champ d'application de la majorité qualifiée et renforcer le poids de la France dans le système de décision au Conseil s'inquiètent désormais d'un retour au système du traité de Nice. Les uns et les autres entendent des propos contradictoires au sein de la majorité comme de l'opposition. Le Président de la Convention, M. Valéry Giscard d'Estaing a déclaré que la Constitution n'était pas morte et que le processus pouvait continuer. La ministre vient de rappeler légitimement qu'il serait outrecuidant de la part de la France de ne pas tenir compte de l'adoption du traité constitutionnel par dix pays européens représentant la moitié de la population de l'Union européenne. Mais après la décision de différer toute une série de référendums dans plusieurs Etats membres, sauf au Luxembourg, les Français se demandent à quels résultats peut aboutir le rendez-vous du premier semestre 2006 sur les deux questions simples qu'ils se posent : comment l'Union européenne va-t-elle fonctionner et pour quelle politique, puisque ces sujets ont été au centre du débat référendaire en France ?

Les Français attendent d'autre part des messages clairs pour répondre à leurs inquiétudes sur l'élargissement. Tout le monde sait qu'une des raisons du non a été l'absence de pédagogie sur l'élargissement qui a été un rendez-vous manqué. Le débat entre l'élargissement et l'approfondissement a été tranché par le référendum. Il y a là une vraie demande des Français qui ne savent plus que penser sur l'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie que l'on maintient pour 2007 tout en y regardant à deux fois. Sur la Turquie, ils n'y comprennent plus rien du tout, alors que ce n'était déjà pas facile pour le microcosme politique. Il y a en effet toujours une ouverture de négociation prévue à date fixe alors que l'adhésion de la Turquie a été au centre du débat référendaire et que le partenariat privilégié est toujours sur la table comme dans le texte du traité constitutionnel. Or on ne peut plus reprendre aujourd'hui l'argument utilisé lors de la campagne référendaire sur le renvoi du choix dans dix ou vingt ans grâce à l'insertion du référendum sur l'adhésion de la Turquie dans la Constitution française.

Les Français ont besoin de perspectives et de réponses à des interrogations qu'ils ont placées au centre du débat et les responsables politiques doivent en tenir compte parce que les Français ont voté.

M. Christian Philip a déclaré qu'il faudra tenir nos engagements en matière d'élargissement vis-à-vis de la Bulgarie et de la Roumanie, mais s'est demandé comment le Parlement pourra ratifier le traité d'adhésion pour ces deux pays candidats si une décision ferme n'est pas prise en même temps sur la question de l'adhésion de la Turquie. Il s'est prononcé, à titre personnel, pour que soit fait un choix clair et définitif sur la Turquie.

Il s'est ensuite interrogé sur l'intérêt de la stratégie de rupture du Premier ministre britannique à l'encontre d'un accord budgétaire à portée de main, pour une reprise en main à la faveur d'une présidence d'une durée limitée à six mois.

Il a enfin souhaité une réflexion sur l'introduction d'une procédure entre Gouvernement et Parlement pour permettre à celui-ci d'émettre en amont un avis sur la subsidiarité, comme le prévoyait d'une manière très développée le traité constitutionnel.

Mme Anne-Marie Comparini a souligné la nécessité de pouvoir indiquer aux opinions publiques européennes quelle est à présent la « feuille de route » de l'Union, notamment en ce qui concerne les perspectives financières, mais aussi à propos des objectifs de l'Union, de ses règles de fonctionnement, de ses frontières. Elle a interrogé la ministre déléguée quant à l'accueil réservé par le Conseil européen à la proposition faite par le Président de la République, à partir d'une proposition émise à l'origine par l'UDF, de réunir un sommet exceptionnel au printemps 2006 consacré à l'avenir de l'Union.

M. Daniel Garrigue a considéré que l'échec du Conseil européen, qui était prévisible, ne devait pas être interprété comme une capitulation ou le début d'une désagrégation. S'agissant de l'avenir du traité constitutionnel, il a distingué la première et la seconde partie de la troisième, relative aux politiques. Il a rappelé que les discussions de la Convention n'avaient porté que sur les deux seules premières parties et que la troisième était incompréhensible pour l'opinion. Il a estimé que le référendum aurait été positif si l'on n'avait consulté les Français que sur les deux seules premières parties. Il a par ailleurs considéré qu'il revenait à présent aux formations politiques de porter le débat, à l'échelle européenne, sur le projet politique pour l'Europe, son ambition, ses frontières.

En réponse, Mme Catherine Colonna a apporté les précisions suivantes :

- une déclaration des chefs d'Etat et de gouvernement relative au processus de ratification du traité constitutionnel a été annexée aux conclusions du Conseil européen. Cette déclaration a pris acte à la fois des ratifications obtenues jusqu'à présent dans dix des pays de l'Union, et des résultats négatifs des référendums en France et aux Pays-Bas. Elle fixe un rendez-vous au premier semestre 2006 pour procéder à une appréciation des débats nationaux et pour décider des suites à donner au processus engagé ;

- le vote du 29 mai contient des messages multiples qu'il nous faut prendre pleinement en compte. Toutefois, il convient de relever qu'aucun des Etats n'a évoqué l'hypothèse d'une renégociation du traité ;

- l'avenir du traité est incertain, même si le processus de ratification se poursuit en adaptant le calendrier. Le traité n'est pas juridiquement mort et des ratifications vont avoir lieu dans les semaines qui viennent par la voie parlementaire à Chypre et par la voie référendaire au Luxembourg. Le point sera fait au premier semestre 2006. Dans leur sagesse, les conventionnels savaient qu'une ratification unanime serait difficile à vingt-cinq et ils avaient fixé un rendez-vous pour que le Conseil européen prenne une décision au cas où seulement une majorité de quatre cinquièmes des Etats membres aurait ratifié le traité ;

- il faudra mettre à profit cette période de souplesse et d'incertitude qui s'ouvre pour répondre aux questions des Français sur le projet européen. Les Français ne se sont pas prononcés sur des aspects techniques mais ont exprimé une interrogation sur là où on voulait les emmener. Il appartiendra aux plus hautes autorités de redéfinir les grandes orientations sur le type d'Europe que nous voulons. Entre une Europe molle du marché commun qui l'intéresse mais ne lui suffit pas et une Europe politique, forte, solidaire et ambitieuse, la France considère que son intérêt est de soutenir la deuxième voie. C'est le sens du traité constitutionnel qui est le meilleur compromis possible au point où nous en sommes de l'aventure européenne. Les partis politiques auront naturellement à jouer leur rôle dans ce débat, conformément à celui que la Constitution française leur assigne ;

- le peuple espagnol s'est prononcé sur l'ensemble du traité, y compris sa troisième partie. Celle-ci rassemble les traités existants simplifiés et modifiés et elle a été incluse dans le traité parce que l'Union européenne n'est pas un Etat fédéral, mais une union d'Etats se trouvant devant la nécessité de déclarer dans un accord les politiques qu'ils voulaient mener en commun. Cette troisième partie prévoit une procédure de révision facilitée et un passage de l'unanimité à la majorité qualifiée dans vingt-neuf domaines, afin de ne pas s'aligner sur le moins ambitieux ;

- le coût du paquet luxembourgeois pour la France ne passait pas de 0,12 % à 0,48 % mais à 0,35 % et la contribution française s'élevait à 16,5 milliards d'euros avec un retour de 14 milliards, soit un coût net pour la France d'environ 2 milliards d'euros, relativement faible en comparaison des avantages qu'elle en retire par ailleurs. Le coût net s'apprécie encore plus à sa juste valeur si on le compare à d'autres masses financières comme le déficit de l'assurance maladie de 11,5 milliards d'euros ;

- la France et ses partenaires contributeurs nets ont affiché un objectif de plafonnement du budget à 1 % du PIB largement pour des raisons tactiques de négociation. L'Union européenne est fondée sur la solidarité entre ses membres, mais les contributeurs ont leur mot à dire sur le budget. La France acceptait la proposition de la Présidence luxembourgeoise de passer de 1 % à 1,056 % représentant 50 milliards de plus pour l'Union européenne sur la période 2007 à 2013.

Les 10 milliards de surcoût pour la France durant toute la période en valaient la peine, car ils correspondaient aux intérêts de notre pays. La limite de notre solidarité s'arrête seulement à notre capacité financière, car la France n'a pas vocation à fabriquer de la dette pour les générations futures. Le montant était suffisant pour financer la PAC et la politique régionale et il permettait d'augmenter le budget de la recherche de 33 %. On rencontre peu d'initiatives de cette ampleur aussi bien dans les politiques nationales que dans les politiques européennes. C'est ce saut qualitatif et quantitatif que le Royaume-Uni a rejeté ;

- la politique agricole commune est une politique complètement intégrée représentant 0,4 % du PIB européen. La recherche mobilise des montants beaucoup plus considérables représentant 1,9 % du PIB européen en intégrant le budget de l'Union européenne et les budgets des Etats membres, avec l'objectif de passer à 3 % dans l'avenir ;

- si le Conseil avait accepté de ne pas remettre en cause le « chèque britannique », cela serait revenu à ce que la Grande-Bretagne ne participe pas aux dépenses de l'élargissement ;

- les statuts de la Banque centrale européenne ne peuvent être modifiés qu'à travers une révision des traités. En revanche, le fonctionnement de l'Eurogroupe, que le projet de constitution prévoit de renforcer, peut être, quant à lui, amélioré de façon informelle ;

- en ce qui concerne la Turquie, les engagements pris par l'Union sur l'ouverture des négociations en octobre seront respectés. D'ici là, la Commission devra établir un rapport sur l'état de préparation de la Turquie. L'opinion pourra débattre du processus d'adhésion au cours des négociations et, à leur terme, les Français seront consultés. S'agissant de la Bulgarie et de la Roumanie, le moment de la ratification parlementaire des traités d'adhésion n'est pas encore fixé. Pour la Croatie, l'avancée des négociations suppose notamment de résoudre la question de la coopération de ce pays avec le tribunal pénal international de La Haye. En ce qui concerne les autres pays des Balkans, la perspective de l'adhésion a été rappelée par le Conseil européen. L'objectif de l'Union doit être d'utiliser cette perspective comme un levier pour un règlement des problèmes de voisinage existant entre les Etats de la région. Un « trou noir » au sein du continent européen n'est pas de l'intérêt de l'Union. Mais ces pays ont encore un long chemin à parcourir ;

- s'agissant du concept de la « préférence communautaire », il s'agit bien de traiter mieux les Européens que les non-Européens, mais cette préférence doit être appréciée au regard des engagements pris par l'Union dans le cadre de l'OMC.

En conclusion, le Président Pierre Lequiller a remercié la ministre pour la qualité des réponses qu'elle a apportées aux membres de la Délégation.

II. Examen de textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution

Point A

Sur le rapport du Président Pierre Lequiller, la Délégation a examiné des textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution.

Aucune observation n'ayant été formulée, la Délégation a approuvé les deux textes suivants :

¬ Environnement

- proposition de directive du Parlement européen et du Conseil établissant une infrastructure d'information spatiale dans la Communauté (INSPIRE) (document E 2659).

¬ Transports

- proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant la reconnaissance des brevets des gens de mer délivrés par les Etats membres et modifiant la directive 2001/25/CE (document E 2584).