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DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 167

Réunion du mardi 4 avril 2006 à 16 heures 15

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président

I. Examen du rapport d'information de M. Robert Lecou sur l'harmonisation des règles du crédit aux consommateurs

M. Robert Lecou, rapporteur, a indiqué que le crédit à la consommation fait actuellement l'objet, au niveau européen, d'un texte ancien, la directive 87/102/CEE, à laquelle n'ont été apportés que deux aménagements, en 1990 et en 1998.

La Commission a proposé de le réviser en septembre 2002, s'inscrivant dans la perspective tracée par le Plan d'action sur les services financiers dont l'un des buts était l'harmonisation de la banque de détail. La proposition de la Commission a donc été centrée sur un double objectif : achever la réalisation du marché intérieur ; améliorer la protection du consommateur. Son architecture a été articulée autour de deux principes : d'une part, le principe d'une harmonisation maximale, et non plus minimale, afin d'éviter que le marché reste cloisonné entre les différents Etats membres et marqué par de grandes spécificités nationales ; d'autre part, celui d'un niveau élevé de protection des consommateurs, en cumulant les différents régimes en vigueur dans les Etats membres.

Cette proposition n'a pas reçu un accueil favorable. Le Parlement européen, à l'issue d'un examen particulièrement long, en avril 2004, en a adopté, sur le rapport de M. Joseph Würmeling (PPE, Allemagne), une version profondément modifiée. Outre plusieurs modifications de fond, le Parlement a proposé de revenir à un texte d'harmonisation minimale. La Commission s'est donc remise à l'ouvrage, en deux étapes. La première est intervenue à la fin du mandat de la Commission présidée par M. Romano Prodi, qui a présenté, en octobre 2004, une proposition modifiée encore assez imprécise car ne faisant pas l'objet d'un texte complet, avec une simple indication sur les amendements. Celle-ci a servi de base à la deuxième étape, assortie d'une large consultation qui s'est conclue en octobre dernier, par la présentation d'une proposition modifiée.

Ce dernier texte est plus réaliste dans la perspective d'un compromis, car reposant sur le principe d'une harmonisation maximale ciblée. Il couvre un champ plus restreint, centré sur l'essentiel des dispositions relatives au crédit : les informations précontractuelles, les dispositions contractuelles, l'achèvement de l'harmonisation du taux annuel effectif global (TAEG), le droit de rétractation, le remboursement anticipé, le renouvellement des contrats avec réserve d'argent (revolving), l'accès aux bases de données relatives au crédit à la consommation, le régime des prêteurs et intermédiaires de crédit et les procédures de médiation.

L'essentiel des dispositions sont d'harmonisation maximale. Certains points, peu nombreux, sont d'harmonisation minimale. D'autres relèvent du principe de la reconnaissance mutuelle entre les Etats membres. Enfin, il est expressément prévu que ceux-ci fixent leurs propres règles sur tous les points non traités par la directive et pourront ainsi renforcer librement la protection de leurs consommateurs dans ces domaines.

Globalement, le nouveau texte de la Commission est plus clair et plus pragmatique, et représente une meilleure base de négociation pour le Conseil. Pour autant, il ne peut être adopté en l'état. Plusieurs modifications substantielles et plusieurs précisions doivent être apportées en complément de ses dispositions.

Au chapitre des précisions, il faut d'abord rappeler la nécessité pour les Etats membres de pouvoir conserver un dispositif de plafonnement des taux des crédits consentis aux particuliers tel que celui actuellement en vigueur en France, sous la forme du taux de l'usure. Ce point n'est pour l'instant pas évoqué, mais il faut faire d'ores et déjà preuve de vigilance, dans la mesure où il pourrait être ultérieurement abordé dans le cadre de la négociation entre Etats membres.

Le deuxième point concerne les personnes habilitées à octroyer des crédits. Le texte de la Commission ouvre cette faculté aux personnes physiques, alors que c'est interdit en France, notamment, où le code monétaire et financier réserve, pour des raisons prudentielles, cette faculté aux seules personnes morales constituées sous la forme d'établissement de crédit. Il convient donc que la proposition de directive soit modifiée de manière à ce que les Etats membres puissent réserver la faculté de délivrer des crédits, dans le cadre de l'exercice de leurs activités commerciales ou professionnelles, aux seuls établissements constitués sous la forme de personnes morales, à l'exclusion des personnes physiques.

Le troisième point de vigilance concerne les petits prêts, inférieurs à 300 euros, ainsi que les contrats de mise à disposition d'une réserve d'argent (revolving). Il convient de réintégrer les premiers dans le droit commun, et non plus de prévoir un régime allégé d'obligations, car ils s'adressent aux personnes économiquement les plus modestes, et de permettre une résiliation plus aisée des seconds par le consommateur, comme l'a récemment prévu le législateur en France.

Le quatrième point rappelle qu'il faudra procéder à une mise en cohérence des règles régissant l'ensemble des crédits à la consommation de manière à permettre au consommateur d'arbitrer en toute clarté entre les différents types d'offres qui lui sont faites. La stratégie de la Commission vise à distinguer les crédits hypothécaires, ou plus généralement ceux assortis d'une sûreté, selon une procédure spécifique initiée l'an dernier dans le cadre d'un Livre vert qui leur est dédié, et les crédits non assortis d'une sûreté, comme c'est encore le cas des tous les crédits à la consommation en France. Elle recèle un danger, si elle conduit à appliquer des régimes divergents à des prêts qui ont le même objet. Actuellement, c'est au Royaume-Uni que l'essentiel des crédits hypothécaires à la consommation sont consentis, au fur et à mesure que les particuliers remboursent leurs logements. Les consommateurs risquent donc à l'avenir de connaître des régimes de protection différents selon les pratiques bancaires de leur Etat.

Le cinquième point vise à maintenir un véritable délai de réflexion durant lequel le contrat de prêt ne fait l'objet d'aucun début d'exécution. Un équilibre est actuellement atteint en France avec un délai de 7 jours pendant lequel le contrat est suspendu et ne fait l'objet d'aucune exécution : les fonds ne sont pas mis à la disposition du consommateur ; en cas de crédit lié, le bien acquis par l'intermédiaire du crédit ne peut être livré. Ce délai peut être réduit à 3 jours en cas de demande de livraison rapide des biens par l'acquéreur. Le texte de la Commission apparaît séduisant à première vue, puisqu'il prévoit un délai de réflexion plus long, de 14 jours. Néanmoins, comme il n'exclut pas la mise à disposition des fonds et donc l'acquisition du bien, il risque d'être inopérant en pratique. Le consommateur pourra se trouver « piégé » et les professionnels risquent de devoir faire face à des « retours » de biens usagés. Il faut donc prévoir qu'en cas de contrat de crédit lié à un contrat d'achat, la rupture de l'un des contrats puisse toujours entraîner celle de l'autre, et un mécanisme de réflexion plus adapté.

Le sixième point vise à maintenir la faculté pour le consommateur d'être dispensé de toute indemnité en cas de remboursement anticipé, dans les Etats membres où les dispositions nationales le prévoient ou le prévoiraient. C'est actuellement le cas en France et en Finlande. La titrisation et la faculté de remploi des fonds par le prêteur doivent être pris en compte.

Le dernier point vise à exclure l'application du principe de la reconnaissance mutuelle, qui est un principe voisin du principe du pays d'origine, aux dispositions régissant les contrats conclus dans le cadre de la libre prestation de services entre un prêteur étranger et un particulier, dans un Etat membre donné. L'application de ce principe tel que le propose la Commission conduit, en effet, à juxtaposer des droits différents sur un même contrat.

Telles sont les conditions auxquelles le texte modifié proposé par la Commission peut être adopté, de manière à atteindre au niveau européen un équilibre entre d'une part l'intérêt du consommateur, qu'il faut protéger en l'informant loyalement de manière à éviter le surendettement, et celui de l'établissement prêteur, qui doit arbitrer entre le développement de son activité et le risque d'insolvabilité de certains de ses clients.

Une première discussion, générale, de cette proposition de directive est prévue au Conseil « Compétitivité » du mois de mai.

M. François Guillaume a souhaité obtenir des précisions concernant plusieurs points de la proposition de résolution, au regard des dispositions de la proposition de directive et du droit des Etats membres. Il a interrogé le rapporteur sur ce que propose la Commission et ce que prévoient les Etats membres au sujet du plafonnement des taux de crédits consentis aux particuliers.

Le rapporteur a précisé qu'il était préférable de prévoir explicitement la faculté, pour les Etats membres qui en disposent - comme la France -, de conserver un dispositif de plafonnement des taux. Il n'est pas souhaitable que la situation de certains pays, tels le Royaume-Uni, où il n'existe pas de plafonnement, soit généralisée.

M. François Guillaume a interrogé le rapporteur sur la volonté de réserver la faculté de délivrer des crédits, à titre professionnel ou commercial, aux seules personnes morales à l'exclusion des personnes physiques. Il a estimé qu'une extension aux personnes physiques pourrait renforcer la concurrence, qui apparaît insuffisante dans ce secteur.

Le rapporteur a indiqué que la tradition française exclut les personnes physiques de ce type d'activité, tandis que d'autres pays, comme le Royaume-Uni, l'autorisent. Il s'agit de préserver cette exclusion, plus conforme à notre culture en la matière. La proposition de directive, si elle est adoptée, permettra par ailleurs de renforcer la concurrence dans ce secteur.

M. François Guillaume a suggéré que la possibilité d'être dispensé de toute indemnité en cas de remboursement anticipé devrait être étendue à toute forme de crédit.

Le rapporteur a indiqué que cela conduirait à élargir le champ d'application du texte, qui ne vise que le crédit aux consommateurs.

Le Président Pierre Lequiller a félicité le rapporteur pour la qualité de son travail.

A l'issue de ce débat, la Délégation a approuvé la proposition de résolution suivante, présentée par le rapporteur :

« La Délégation,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à l'harmonisation des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de crédit aux consommateurs (COM [2002] 443 final/n° E 2103),

Vu la proposition modifiée de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux contrats de crédit aux consommateurs modifiant la directive 93/13/CE du Conseil (COM [2005] 483 final),

Considérant que l'objectif de l'achèvement du marché intérieur pour le crédit aux particuliers, notamment le crédit à la consommation, doit être atteint, dès lors qu'il permet, entre autres, aux établissements prêteurs d'exercer leur activité sur un marché plus large et au consommateur de bénéficier d'offres plus avantageuses grâce à une gamme plus étendue de produits, qu'il peut comparer ;

Estimant qu'avec un champ d'intervention plus restreint que ce qu'aurait exigé une pleine harmonisation des droits des consommateurs, de manière à faciliter l'obtention d'une position commune au Conseil, la proposition modifiée représente une meilleure base de négociation et permettra, en outre, aux Etats membres d'apporter, le cas échéant, des améliorations à la protection du consommateur dans les domaines qui ne seront pas couverts ;

Observant de plus que son dispositif, plus clair, comprend des dispositions essentielles et dans l'ensemble adaptées notamment sur la publicité, l'information précontractuelle, l'accès aux bases de données, les informations contractuelles, les informations sur le taux débiteur et l'harmonisation de l'assiette du taux annuel effectif global (TAEG) ;

1. Insiste néanmoins sur l'intérêt pour les Etats membres de pouvoir conserver un dispositif de plafonnement des taux des crédits consentis aux particuliers tel que celui actuellement en vigueur en France ;

2. Considère également que les Etats membres doivent pouvoir réserver la faculté de délivrer des crédits, dans le cadre de l'exercice de leurs activités commerciales ou professionnelles, aux seuls établissements constitués sous la forme de personnes morales, à l'exclusion des personnes physiques ;

3. Juge nécessaire de garantir au consommateur un haut niveau de protection en intégrant dans le régime de droit commun les contrats de prêts inférieurs à 300 euros notamment, ainsi qu'en prévoyant les conditions de résiliation des contrats de mise à disposition d'une réserve d'argent (« revolving ») ;

4. Estime, par ailleurs, que les règles régissant l'ensemble des crédits à la consommation doivent faire l'objet d'une mise en cohérence, indépendamment des garanties dont ces crédits sont le cas échéant assortis, de manière à permettre au consommateur d'arbitrer en toute clarté entre les différents types d'offres qui lui sont faites ;

5. Demande que le consommateur dispose d'un véritable délai de réflexion durant lequel le contrat de prêt ne fait l'objet d'aucun début d'exécution, estimant qu'un équilibre est actuellement atteint en France avec un délai de 7 jours qui peut être réduit à 3 jours en cas de demande de livraison rapide des biens par l'acquéreur, et souhaite qu'en cas de contrat de crédit lié à un contrat d'achat, la rupture de l'un des contrats puisse toujours entraîner celle de l'autre ;

6. Considère, en outre, que le consommateur doit pouvoir être dispensé de toute indemnité en cas de remboursement anticipé, dans les Etats membres où les dispositions nationales le prévoient ou le prévoiraient ;

7. Affirme, enfin, son attachement à l'unité du droit applicable au contrat et demande par conséquent que le principe de la reconnaissance mutuelle ne s'applique pas aux dispositions régissant les relations entre un particulier et un prêteur. »

II. Nomination de rapporteurs

A la suite du débat qui a eu lieu à l'Assemblée nationale à l'occasion de l'examen du projet de loi de programme pour la recherche, le Président Pierre Lequiller a indiqué que par lettre du 3 avril 2006, le Premier ministre avait demandé aux Délégations du Sénat et de l'Assemblée nationale de mener une réflexion sur l'avenir du brevet en Europe pour examiner à la fois les voies de réforme du brevet européen institué par la convention de Munich du 5 octobre 1973 et le projet de brevet communautaire. Il appartiendra aux deux Délégations de définir les modalités de leur collaboration. Chaque Délégation devra déposer les conclusions de ses travaux dans un délai de deux mois.

La Délégation a désigné le Président Pierre Lequiller et M. Daniel Garrigue rapporteurs d'information sur l'avenir du brevet en Europe.

Elle a également désigné M. Michel Herbillon rapporteur d'information sur le fonds européen d'ajustement à la mondialisation.