Version PDF

DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 177

Réunion du mercredi 28 juin 2006 à 16 heure 15

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président

Le Président Pierre Lequiller a salué la mémoire de M. Edouard Landrain, un collègue très attaché à la Délégation et remarquablement actif. Son dynamisme et sa gentillesse étaient appréciés par tous ; sa disparition ne peut qu'affecter les membres de la Délégation.

Les membres de la Délégation se sont associés aux propos du Président Pierre Lequiller.

I. Communication de M. Bernard Deflesselles relative à l'accord international sur le projet ITER (E 3162)

M. Bernard Deflesselles, rapporteur, a indiqué que la Délégation était saisie du projet d'accord international sur le projet ITER, sur la base de l'aboutissement final des négociations intervenu le 1er avril dernier.

Il a souligné que le projet ITER représentait un intérêt scientifique et industriel majeur. L'augmentation des besoins en énergie, la réduction des réserves d'énergies fossiles, la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre, comme celle de maîtriser la question des déchets, confèrent aux recherches sur la fusion un intérêt majeur. Le projet international ITER représente une étape clé dans ce sens.

L'énergie de fusion - communément appelée l'«énergie des étoiles » - est produite par les réactions qui permettent au soleil et aux étoiles de dispenser lumière et chaleur.

S'inscrivant dans l'histoire des recherches sur la fusion, ITER succédera à une longue lignée d'installations ayant atteint, chacune indépendamment, l'une des conditions requises pour obtenir un plasma en combustion : densité, température et durée de confinement. ITER sera la première installation qui réunira simultanément toutes ces conditions et sera capable de produire plusieurs centaines de mégawatts de fusion pendant plusieurs minutes. L'étape suivante consistera à construire un réacteur industriel. On peut espérer que les premiers kilowatts électriques produits par un prototype de réacteur à fusion thermonucléaire soient effectifs à l'horizon 2050. Mais il s'agit d'un vrai pari sur l'avenir : l'aboutissement industriel du programme ITER ne constitue pas une certitude.

La fusion ne pose pas de problème quant à la disponibilité des ressources nécessaires : elle utilise des éléments dont les quantités disponibles sont inépuisables (le deutérium et le lithium, présents en particulier dans les eaux marines). Par ailleurs la fusion est un procédé intéressant du point de vue de la protection de l'environnement : pas d'émission de gaz à effet de serre et pas de déchets hautement radioactifs à vie longue. Enfin, le processus est sûr : il ne comporte pas de risque d'emballement du réacteur.

M. Bernard Deflesselles a ensuite souligné qu'ITER était un projet exemplaire : l'Europe est depuis l'origine un acteur majeur des recherches sur la fusion et la mobilisation européenne a été permanente pendant tout le très long processus de négociation qui a conduit à l'accord ITER.

Il a rappelé que quatre sites étaient en compétition au départ : Clarington au Canada - qui a rapidement été abandonné -, Rokkasho-Mura au Japon et deux pour l'Europe : Cadarache en France et Vandellos en Espagne. La compétition a été rude. Le choix du site de Cadarache, en novembre 2003, comme candidat pour l'Europe, au détriment de Vandellos, s'est basé d'abord sur l'expertise scientifique française dans le domaine nucléaire et de la fusion en particulier, et sur une négociation politique intense au sein de l'Union, à laquelle les collectivités territoriales ont participé activement. Il a fallu ensuite emporter la décision en écartant le site proposé par le Japon, et défendu également par les Etats-Unis et la Corée du Sud, la Russie et la Chine soutenant la candidature européenne. Le choix de Cadarache s'est finalement fait en juin 2005, à la fois en fonction de données techniques et du niveau de compétence scientifique, mais aussi sur la base de concessions faites au Japon, s'agissant notamment de la conduite de certaines opérations liées à ITER sur le territoire japonais et de la nomination d'un Japonais au poste de directeur général.

Les sept partenaires d'ITER après le retrait du Canada, sont à présent : la Chine ; la République de Corée ; les Etats-Unis; la Russie ; l'Inde ; le Japon ; la Communauté européenne de l'Energie Atomique. L'ensemble des pays concernés, 31 pays dont les 25 pays européens, représentera plus de la moitié de la population mondiale. C'est la première fois qu'un projet de coopération scientifique rassemble dès son lancement un partenariat international aussi large.

Il s'agit du plus important programme scientifique dans le monde pour les trente prochaines années.

L'accord intervenu le 1er avril dernier sur l'ensemble du programme va permettre la mise en œuvre concrète du projet. Il y a trois accords distincts qui constituent, ensemble, la proposition de décision du Conseil sur laquelle la Délégation est saisie :

- l'accord sur l'établissement de l'organisation internationale ITER (accord ITER) et ses annexes relatives aux informations et à la propriété intellectuelle et aux prestations de soutien sur le site ;

- l'arrangement sur l'application provisoire de l'accord ;

- l'accord sur les privilèges et immunités de l'organisation internationale ITER.

L'accord ITER établit « l'organisation ITER » et lui confère la personnalité juridique. L'accord distingue les quatre phases du projet : construction, exploitation, désactivation, déclassement. Le principal organe prévu pour « l'organisation ITER » est le « Conseil ITER », composé des représentants des membres de l'organisation. Les décisions sont prises, suivant les sujets, soit à l'unanimité, soit à la majorité qualifiée en fonction d'une pondération qui reflète les contributions des membres. Le directeur général est l'agent exécutif principal. Le japonais Kaname Ikeda a été nommé directeur général en novembre 2005. En complément de l'organisation internationale ITER, chacun des partenaires ITER mettra en place une agence « domestique », en charge principalement de la construction de sa part de composants d'ITER et de leur mise à disposition auprès de l'organisation internationale. L'agence « domestique » européenne pour ITER sera constituée au cours de cette année et implantée à Barcelone.

L'arrangement sur l'application provisoire de l'accord a pour objectif de pouvoir lancer les travaux sur ITER avant la fin de la phase de ratification, prévue pour le courant 2007, afin d'éviter tout retard. Il s'agit notamment de recruter le personnel le plus rapidement possible et de recevoir les fonds nécessaires au démarrage du projet.

Le calendrier général du projet comporte trois phases, échelonnées de 2007-2008 à 2050 environ : 10 ans pour la construction, 20 ans d'exploitation, de 10 à 15 ans pour le démantèlement. Ce calendrier est accompagné d'une estimation des coûts et d'un partage de ces coûts qui est détaillé en fonction des différentes phases. Le partage des coûts entre les parties est défini dans le compte rendu de négociation du 1er avril 2006. La première phase comprend l'aménagement du site, la construction de la machine ainsi que l'« approche élargie » (qui correspond aux activités qui seront développées au Japon et doivent préparer les étapes qui suivront ITER, notamment le réacteur DEMO). Pour cette phase, les ressources seront fournies à plus de 80% par des contributions en nature (détachement de personnel, fourniture de composants). La contribution communautaire jusqu'à la fin de 2006 respectera les montants de référence qui figurent dans le sixième programme-cadre de recherche, volet EURATOM. A partir de 2007, cette contribution devrait être compatible avec les montants devant être adoptés pour les programmes-cadres de recherche suivants.

L'aménagement du site est intégralement pris en charge par la France, pour un engagement financier de 215 millions d'euros au total. Le total du coût de la construction est de 5 942 millions d'euros, dont 45,46 % sont apportés par l'Europe, et 54,54 % par les six autres partenaires, chacun contribuant pour environ 9 % de la somme totale. Dans la part de l'Europe, la contribution directe de la France, pour la phrase de construction, est de 540 millions d'euros.

Le reste de la part de l'Europe est fourni par le budget communautaire. Enfin, l'« approche élargie » menée en parallèle à la construction, et pendant la même période, a un coût total de 678 millions d'euros, répartis entre le Japon (50 %) et les pays contributeurs européens (50 %). La France, contribue pour 50 % de la part de l'Europe, soit un total pour la France de 169,5 millions d'euros au maximum.

L'engagement financier global de la France pour cette période de 10 ans, incluant aménagement du site, construction et approche élargie, est au total de 925 millions d'euros, apportés par les collectivités locales (407 millions d'euros), le CEA (169 millions d'euros) et l'Etat (349 millions d'euros). Les collectivités apportent en outre 60 millions d'euros pour des actions d'accompagnement ne faisant pas partie des engagements internationaux. L'effort des collectivités est notamment consacré à la construction d'un lycée international et à la réalisation d'un itinéraire routier spécifique, à l'image de ce qui a été réalisé en Aquitaine pour l'A380.

Le rapporteur a aussi évoqué les retombées économiques pour notre pays : le projet créera environ 500 emplois directs pendant la phase de construction et 1000 pendant la phase d'exploitation. En outre 1 400 emplois indirects devraient être créés dans la région PACA pendant la phase de construction et 2 400 pendant la phase d'exploitation.

Par ailleurs, le projet représente un intérêt majeur sur le plan du rayonnement scientifique de la recherche européenne et française, à travers notamment la présence d'une équipe d'environ 1 000 scientifiques de haut niveau sur le site de Cadarache.

La deuxième phase comportera l'exploitation de la machine (20 ans), la mise à l'arrêt définitif (5 ans), et le démantèlement. Le coût total de cette deuxième phase est estimé à 6 077 millions d'euros. La part de l'Europe est de 34 % du coût global, dont 8 % pour la France, soit 486 millions d'euros.

M. Bernard Deflesselles a ensuite décrit l'organisation et le déroulement du projet ITER dans notre pays.

La conduite du projet ITER repose principalement en France sur :

- la mission ITER-PACA, déjà effective. Elle est chargée principalement de la maîtrise du foncier, de la création d'une école internationale, la réalisation de logements pour les personnels d'ITER, l'aménagement d'un itinéraire routier d'acheminement de charges exceptionnelles ;

- l'agence ITER-France, agence technique et financière créée au sein du CEA, qui a pour mission de préparer le site et les abords, de préparer le dossier de sûreté, d'assurer la maîtrise d'ouvrage du démantèlement, de collecter les contributions de l'Etat et des collectivités territoriales ;

- une structure scientifique chargée de mettre en place un programme national d'enseignement, de formation et de recherche en fusion magnétique. Cette mission associera des équipes du CEA, du CNRS et des Universités ;

- le Haut Représentant de l'Etat pour la réalisation en France du projet ITER (HRFI). M. François d'Aubert a été nommé en novembre 2005. Son rôle est de coordonner la réalisation en France et d'assurer la représentation de la France auprès des membres d'ITER, de l'agence européenne et de l'agence internationale.

Enfin, il a été convenu en avril dernier qu'un « comité pour la mobilisation des industriels pour ITER » serait mis en place, regroupant les fédérations professionnelles et les entreprises concernées.

S'agissant de la conduite du projet en France, il convient également d'évoquer le débat public sur ITER, conduit de janvier à juin de cette année, par l'agence ITER-France. Le débat a débuté le 26 janvier dernier et a permis à environ 2 000 personnes de s'informer et d'échanger sur les enjeux économiques et sociaux du projet, son insertion dans l'environnement et ses impacts, ainsi que sur les équipements d'accompagnement prévus. Dix-huit réunions publiques ont eu lieu et de nombreuses questions ont été posées sur internet. Les conclusions du débat devraient être rendues publiques d'ici la fin du mois de juin.

Le rapporteur a enfin souligné que la ratification de l'accord va permettre de mettre en œuvre sans délai le projet.

Le paraphe de l'accord international ITER le 24 mai dernier, ouvre la voie à la signature formelle de l'accord qui devrait intervenir à l'automne. D'ici là le Conseil doit approuver le projet de décision relatif à l'accord, autorisant la signature par la Commission, probablement au cours d'un Conseil compétitivité en septembre. Il n'y a pas d'opposition à ce sujet au sein du Conseil, qui doit statuer à la majorité qualifiée, en application du traité EURATOM. La France a proposé que la signature de l'accord se déroule à Cadarache. Les Etats-Unis se sont également portés candidats. Une fois l'accord signé, le processus de ratification pourra être lancé chez toutes les parties.

Le Parlement européen est simplement consulté sur le projet de décision du Conseil autorisant la ratification de l'accord.

Les partenaires du projet ont bon espoir que la phase de ratification de l'accord international puisse être achevée au premier semestre 2007. Une fois cette phase terminée, l'organisation internationale ITER pourra voir le jour, ce qui permettra, dès l'année prochaine, de lancer concrètement le projet ITER.

En conclusion, M. Bernard Deflesselles a considéré que la conduite du projet ITER, et plus généralement des recherches sur la fusion, constituent un domaine exemplaire de l'«Europe qui avance », de son efficacité lorsqu'elle sait agir d'une façon non seulement coordonnée, mais unie, sur la base de programmes définis en commun, de financements communautaires et d'un pilotage unifié.

Compte tenu de l'intérêt majeur du projet - sur le plan du rayonnement de la recherche européenne et française, de l'indépendance énergétique de l'Europe, de la lutte contre le changement climatique, mais aussi pour l'économie régionale et nationale - il a proposé à la Délégation d'approuver le projet de décision du Conseil, concernant la signature, par la Commission, de l'accord international relatif à ITER.

Le Président Pierre Lequiller a estimé que le projet ITER constituait l'une des plus belles preuves de l'utilité concrète de l'Europe. En effet, c'est la cohésion des Etats membres qui a permis que le site français de Cadarache l'emporte dans la compétition internationale.

M. Bernard Deflesselles, rapporteur, a indiqué que le site de Vandellos en Espagne ne bénéficiait pas de la même expertise et du même savoir-faire que le CEA français. Cependant, l'Espagne a effectué un lobbying remarquable, car très dynamique. Il reste qu'une fois la candidature du site de Cadarache retenue sur le plan européen, l'Union a fait front pour l'emporter face au projet défendu par le Japon, avec l'appui des Etats-Unis.

M. Pierre Forgues a estimé que si l'Espagne connaît un développement rapide, son expertise en matière de recherche, notamment dans le domaine du nucléaire, n'est pas comparable à celle de la France. Par conséquent, l'Europe l'a emporté grâce à son unité.

Rappelant que le coût total de la construction devrait s'élever à près de 6 milliards d'euros, M. Pierre Forgues a observé que la contribution française au projet était de l'ordre d'un milliard d'euros. Il a demandé si cette contribution était versée hors budget européen ou si celle-ci passait par ce canal. Autrement dit, quelle est la part financière apportée par chaque Etat membre, d'une part, et celle apportée par l'Europe en tant que telle, d'autre part ?

Par ailleurs, la France fournit dans ce projet un effort financier considérable, alors que le nombre d'emplois directs créés par le projet sera de 1 500, les emplois indirects s'élevant à 3 800, pendant les phases de construction et d'exploitation. Si l'on rapporte le coût financier de cette opération avec le nombre total d'emplois créés, directs et indirects, en France, le moins que l'on puisse dire est que chacun de ces emplois revient très cher à notre pays. Il convient donc de souligner que si la France a gagné une bataille importante, elle l'a fait en accomplissant un très gros effort.

Le Président Pierre Lequiller a demandé quelles sont les motivations qui ont poussé d'autres pays, développés et en développement, à participer à ce projet.

M. Marc Laffineur a jugé normal que la France fournisse un effort important. Dans ce type de projet, et surtout en fin de négociations, tout le monde sait que l'on doit, à un moment ou à un autre, « lâcher quelque chose » pour obtenir gain de cause. Il a souhaité obtenir des précisions sur le nombre d'emplois qui seraient créés dans les secteurs de la construction et de la maintenance.

M. Jérôme Lambert, observant qu'il s'agit d'un projet international, a demandé à qui appartiendraient les brevets déposés sur les éventuelles applications industrielles d'ITER. Les brevets seront-ils « partagés » en fonction des quotes-parts de financement de chacun des participants au projet ? D'autre part, connaît-on les applications militaires qui pourraient être faites à partir des expériences menées dans le cadre du projet ITER ?

En réponse aux intervenants, le rapporteur a apporté les éléments de précisions suivants :

- la France apportera 925 millions d'euros pour la réalisation de la première phase, dont le coût total est d'environ 6 milliards d'euros, et contribuera à hauteur de 480 millions d'euros pour la deuxième phase, celle de l'exploitation, dont le coût est d'environ 6 milliards d'euros. Ainsi, la France versera 1,3 milliard d'euros sur les 12 milliards d'euros que coûte le projet ITER. L'effort financier est considérable, mais il doit être mis en perspective avec la portée du projet, qui est d'une importance mondiale. Au total, l'Europe apportera 45,46 % du coût total de la phase de construction, ce financement étant de nature communautaire hormis la contribution française. D'une façon plus générale, le projet ITER s'est développé, au plan européen, dans un contexte purement communautaire, en fonction des règles du traité EURATOM : les programmes sont définis en commun, les financements proviennent, en principe, du budget communautaire, la Commission exerce pleinement son pourvoir de proposition et de suivi, comme celui de pilotage unifié des négociations internationales ;

- il est difficile de chiffrer exactement, à horizon de dix ou de vingt ans, le nombre d'emplois qui seront créés par le projet. Cela ne doit pas cacher l'essentiel, c'est-à-dire les retombées scientifiques du projet qui, en cas de succès, seront incalculables. En outre, les efforts entrepris lors des phases de construction et d'exploitation du projet vont irriguer toute la recherche française et européenne pendant au moins trente ans ;

- les applications d'ITER ne sont pas encore connues. La phase d'exploitation industrielle du projet n'est aujourd'hui que « latente ». En effet, il faudra d'abord « construire la machine », c'est-à-dire un prototype, avant de décliner, sur le plan industriel, telle ou telle application. Cependant, l'industrialisation de cette nouvelle forme d'énergie va générer une véritable révolution : la planète pourra s'approvisionner à bon compte en énergie bon marché, en exploitant des éléments dont les quantités disponibles sont inépuisables car présents dans toutes les mers. En outre, cette nouvelle source d'énergie ne crée pas d'émission de gaz à effet de serre ni de déchets hautement radioactifs à vie longue. Enfin, l'énergie ainsi produite est sûre ;

- le projet est ancien, puisqu'il a émergé il y a environ vingt ans. Il a été alors abandonné, car la communauté scientifique le trouvait trop onéreux. Puis, il est revenu à l'ordre du jour, lorsque les investisseurs ont compris son intérêt. Il y a lieu de noter que ce regain d'intérêt pour ITER est apparu alors même que la crise concernant la demande énergétique mondiale n'était que latente. Depuis lors, les Etats-Unis, ainsi que la Chine et l'Inde ont décidé de rejoindre le projet ITER. L'intérêt stratégique des grandes puissances a joué en faveur du projet. En outre, la participation des uns et des autres permet d'effectuer un partage des tâches, lequel est néanmoins nécessaire dans un projet mobilisant les efforts de pays représentant la moitié de la population mondiale ;

- les retombées en termes de brevets et de royalties se feront en fonction de la participation de chaque partie au projet ;

- le nouveau projet de fusion ne devrait pas donner lieu a priori à des applications sur le plan militaire.

A l'issue de ce débat, la Délégation a approuvé la proposition de décision du Conseil sur le projet ITER (E 3162).

II. Examen du rapport d'information de M. Marc Laffineur sur le Livre vert sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et abus de position dominante (E 3047)

M. Marc Laffineur, rapporteur, a rappelé que le Livre vert avait pour objet de tirer les conséquences des principes dégagés par la Cour de justice dans l'arrêt Courage/Crahen du 20 septembre 2001, par lequel elle a déclaré que pour que les droits conférés par le traité soient effectivement sauvegardés, les particuliers qui ont subi un dommage du fait d'une entente ou d'un abus de position dominante ont le droit de réclamer des dommages et intérêts.

Soulignant l'importante portée politique de la démarche de la Commission, le rapporteur a estimé que la question était de savoir si, pour remédier à ce que le Livre vert qualifie de « sous-développement » des actions privées, il était nécessaire de mettre en place des dispositifs inspirés du droit américain, ce qui ne manquerait pas non seulement de bouleverser nos règles de la responsabilité civile et notre droit processuel, mais aussi d'introduire les dérives du droit américain, dont la judiciarisation de l'économie.

Le rapporteur a tout d'abord évoqué le constat de la Commission sur le sous-développement des actions privées, introduites postérieurement à une action des autorités de la concurrence ou directement auprès des tribunaux. En Europe, les systèmes reposent à 90 % sur l'action publique, à la différence des Etats-Unis, où ce sont les actions privées qui sont largement prépondérantes.

Cette situation découle des difficultés à appliquer les règles classiques du régime de la preuve au domaine des pratiques anticoncurrentielles et à l'insuffisante diffusion de la culture de la concurrence, parmi les juges, les avocats, les plaignants, dont les comportements empêchent le système juridique d'être pleinement dissuasif.

La rareté des actions privées réside également dans la pratique des transactions. Réglementée en France par la loi du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques - dite NRE - cette procédure permet aux entreprises, qui font preuve de bonne volonté, de bénéficier de la réduction du plafond des sanctions. Cette pratique est toutefois critiquée, par les avocats, notamment, du fait de son opacité, car, à la différence des Etats-Unis, les arrangements ne sont pas homologués par les tribunaux.

Le rapporteur a indiqué que face à ce constat, la Commission adoptait une approche controversée : d'une part, il lui est reproché de s'être focalisée sur les seules actions en réparation, alors que la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles comporte un éventail de moyens très large, tels que les actions en cessation. D'autre part, l'invocation par la Commission d'un sous-développement des actions privées est fortement récusée par les Etats membres. Les autorités françaises ou britanniques, ou encore la résolution du Bundesrat, tout en reconnaissant une sous-utilisation des procédures, soulignent néanmoins que celles-ci permettent déjà aux victimes de pratiques anticoncurrentielles d'apporter la preuve de leurs prétentions.

Abordant les options présentées par le Livre vert, le rapporteur a fait observer qu'était contestée la légitimité d'une action de la Commission au regard des principes de subsidiarité et de proportionnalité. Les autorités françaises ont ainsi émis une réserve générale sur le Livre vert, dont, selon elles, la Commission ne précise pas quelles pourraient être la ou les bases juridiques pertinentes. Elles observent, en outre, que la plupart des options explorées par la Commission concernent directement les règles de la procédure civile, qui sont du domaine de la Direction générale Justice, Libertés, Sécurité et dont l'harmonisation relève du troisième pilier de l'Union européenne. Cela étant, la France est parfaitement consciente que la Commission n'en est qu'au stade des options et non des mesures législatives et que, s'agissant d'une matière touchant aux articles 81 et 82 du traité, la Commission est fondée à procéder à une consultation auprès des Etats membres et des parties intéressées.

Le rapporteur a déclaré que la Commission rejetait ces réserves, précisant que M. Philip Lowe, directeur général de la DG Concurrence, lui avait indiqué que la Commission ne passerait pas en force et qu'elle viserait plutôt à encourager des évolutions au niveau des Etats membres qu'à proposer une nouvelle initiative législative. Quant à l'accusation de vouloir américaniser les systèmes juridiques européens, M. Olivier Guersent, directeur-adjoint du Cabinet de la commissaire en charge de la concurrence, a déclaré que la Commission avait proposé des options destinées à améliorer les procédures et non pas la simple duplication du modèle américain.

Le rapporteur a relevé que malgré les dénégations de la Commission, demeurait la crainte d'une américanisation du droit processuel des Etats membres, comme l'illustre l'opposition unanime, d'une part, à l'introduction d'un régime de communication des preuves qui serait inspiré de la discovery et, d'autre part, à un système de réparation fondé sur les doubles dommages. En revanche, l'opportunité de mettre en place un système de recours collectif fait l'objet de divergences contrastées.

La procédure de discovery permet au demandeur d'obtenir de son adversaire communication de tous les documents en possession de ce dernier, qu'il juge nécessaires à l'appui de son recours. Malgré l'intervention du juge, cette procédure favorise les excès, puisque les plaignants peuvent accéder aux secrets d'affaires. En outre, elle impose une charge qui s'accroît de façon exponentielle du fait de l'explosion du courrier électronique.

Se félicitant qu'aucun de ses interlocuteurs n'ait demandé la mise en place d'une procédure inspirée de la discovery, le rapporteur a rappelé que le droit français permettait au juge d'ordonner d'office toutes les mesures d'instruction légalement admises et, à ce titre, d'enjoindre à l'une des parties, voire à un tiers, la production de tous les documents détenus qui peuvent constituer des éléments de preuve.

Pour ce qui est du doublement des dommages, il s'inspire du régime des triples dommages qui existe en droit américain, en vertu de la section 4 (a) du Clayton Act de 1914. Aux termes de cette disposition : « toute personne qui aura subi un préjudice dans son entreprise ou ses biens, en raison de tout acte interdit par des lois antitrusts, pourra intenter une action en justice et réclamer le triplement des dommages, dont il se prévaut ». Cette définition très large de l'intérêt à agir est source de multiples dérives, bien que les tribunaux veillent à empêcher que les concurrents n'introduisent des recours contre le défendeur qui ne soient reliés aux problèmes légitimes de concurrence. Les plaignants sont ainsi d'autant plus incités à introduire des actions infondées, qu'ils ne sont pas tenus de prouver l'existence d'un dommage avec une absolue précision.

Le rapporteur a fait valoir que, en tout état de cause, ce régime de réparation était foncièrement étranger au droit français, lequel repose sur la réparation intégrale du préjudice - mais du seul préjudice - et s'efforce de prévenir tout risque d'enrichissement injustifié du plaignant.

S'agissant de l'opportunité d'introduire un système de recours collectif, en vue de garantir les droits des consommateurs, M. Marc Laffineur a déclaré que là encore, il avait noté une hostilité majoritaire à l'encontre de la procédure américaine de la class action. Celle-ci permet à une ou plusieurs personnes, d'engager des poursuites civiles au nom de l'ensemble du groupe si certaines conditions sont définies. En particulier, il faut que les questions de droit ou de fait communes à tous les membres du groupe soient trop nombreuses pour qu'une jonction des instances soit possible.

A l'origine, cette procédure - destinée à favoriser l'accès à la justice - avait pour but d'inciter des individus, dont le préjudice est trop modeste pour qu'ils supportent les frais de justice, à se regrouper. Pour autant, les plaignants en sont devenus les premières victimes, principalement du fait de la propension des avocats à instrumentaliser les class actions à des fins de profits personnels. Ils n'hésitent pas à susciter l'introduction d'une class action en démarchant les victimes, en vue de percevoir, en cas de succès du recours, un pourcentage
- 40 % au moins - du montant des dommages et intérêts. Un rapport officiel suggère ainsi que sur un dollar versé par les défenseurs, seuls 46 cents seraient perçus par les plaignants. Les entreprises sont les autres grandes victimes des procédures abusives, comme l'illustrent certaines faillites - par exemple, celles auxquelles les entreprises du secteur de l'amiante ont été acculées. Elles peuvent ainsi être contraintes de débourser des montants considérables, par le jeu des dommages et intérêts punitifs précédemment évoqués.

Le rapporteur a souligné que, à la différence du système américain de class action, le système québécois de recours collectif suscitait un intérêt croissant, en France notamment.

Au Canada, les règles générales régissant le droit de la concurrence relèvent d'une loi fédérale. Le droit processuel est du ressort de la compétence des Provinces, le Québec étant - avec l'Ontario et la Colombie britannique - l'une de celles à s'être dotée d'une législation sur les recours collectifs entrée en vigueur en 1979. Jugée équilibrée par les différentes parties, cette dernière prévoit un encadrement étroit des recours collectifs. Ceux-ci doivent nécessairement avoir été autorisés au préalable par la Cour Supérieure. Sans juger le fond, cette Cour vérifie que le recours satisfait bien aux conditions de recevabilité requises. En second lieu, toute entente ou négociation à l'amiable doit être approuvée in fine par le juge.

Enfin, à la différence des juges américains, les juges canadiens sont réticents à accorder des dommages et intérêts démesurés et appliquent la règle des dommages simples. Quant aux avocats canadiens, ils ne démarchent pas les plaignants, car cela leur est interdit par leur code de déontologie. D'autre part, si comme aux Etats-Unis, les avocats perçoivent un pourcentage du montant des dommages et intérêts, ce dernier atteint en moyenne 20 % (contre 40 % aux Etats-Unis). De plus, la convention d'honoraires est soumise à l'approbation du juge.

Le rapporteur a souligné que de façon générale, le recours collectif était considéré au Québec comme une voie d'accès pour rétablir un équilibre. Sur le plan politique, il peut être considéré comme une véritable « soupape » permettant aux citoyens de s'adresser à un forum judiciaire pour faire valoir leurs droits, grâce, le cas échéant, au soutien du Fonds d'aide aux recours collectifs. Ce fonds peut accorder en moyenne 150 à 250 000 dollars canadiens (107 à 177 000 euros) pour chaque recours collectif.

Le rapporteur a indiqué que le système québécois était toutefois confronté à plusieurs problèmes, dont l'insuffisante garantie des droits de la défense. Des modifications intervenues en 2003 ont notamment retiré à la partie poursuivie le droit d'interroger le requérant et de vérifier le sérieux de ses prétentions.

En conclusion, M. Marc Laffineur a déclaré que dans la troisième partie du rapport, il soulignait la nécessité de procéder à une réflexion circonstanciée sur la réforme du régime des recours en réparation contre les pratiques anticoncurrentielles. Il a relevé que si tout le monde s'accordait sur la nécessité de réprimer ces pratiques, y compris les entreprises, il apparaissait plus difficile de recueillir un consensus sur les équilibres que, selon lui, une éventuelle réforme devrait respecter. Il s'agirait de prévenir, d'une part, l'opposition entre action publique et action privée tout en veillant à leur optimisation respective, ce qui suppose de remédier à leurs propres dysfonctionnements et, d'autre part, le risque d'une judiciarisation de l'économie, à travers l'instrumentalisation du droit de la concurrence.

M. Marc Laffineur a déclaré que ces orientations avaient inspiré sa proposition de conclusions. Il a fait part de sa conviction que, si le Livre vert contraignait les Etats membres à corriger le cas échéant les dysfonctionnements de leurs procédures, il leur offrait également l'occasion de marquer leur attachement à l'une des particularités de leur modèle économique et social, à savoir l'équilibre entre l'action publique et l'action privée dans la régulation de l'ordre public économique.

M. François Guillaume a considéré que la Commission proposait aux Etats membres de s'engager dans une voie extrêmement dangereuse. Jusqu'à présent, elle sanctionnait les distorsions de concurrence en fixant des amendes à payer à l'Europe et aux victimes de cette déficience et l'entreprise sanctionnée pouvait intenter un recours devant la Cour de Justice des Communautés européennes. Désormais, les particuliers victimes de cette prétendue distorsion disposeraient d'un droit supplémentaire à ester en justice à titre privé et bénéficieraient d'un renforcement de leurs possibilités de recours et d'un accroissement du montant de leurs indemnités. Il faut se rappeler qu'après la crise de l'encéphalopathie spongiforme bovine, la Commission avait infligé une amende aux organisations agricoles pour entente illicite sur les prix de la viande bovine, alors qu'elle n'était pas intervenue pour enrayer la chute des cours et que la filière avait dû se résoudre à agir pour fixer un prix minimum. Où va-t-on si l'on ouvre des recours à chaque consommateur au moindre désaccord sur le prix ?

La législation française, favorable aux interprofessions, définit quand on peut agir, détermine les disciplines en matière de prix et de qualité et oblige tout le monde à les appliquer. Or, cela fait trente ans que la Commission ne se prononce pas sur le sujet et qu'elle ne reconnaît ni ne conteste ce mode d'organisation professionnelle.

Par ailleurs, la Cour de Justice aura dans la plupart des cas une appréciation totalement juridique et non commerciale des distorsions de concurrence et appliquera les règles de manière mécanique.

Les propositions de conclusions du rapporteur ne sont presque pas assez fermes par rapport aux dangers d'une telle dérive.

M. Jérôme Lambert a déclaré apporter son soutien aux organisations agricoles face aux problèmes actuels et a considéré que, sur la question soulevée par la proposition de la Commission, chaque Etat membre avait son propre système juridique et n'avait pas à se laisser imposer par la Commission une évolution qui ne lui conviendrait pas.

Le rapporteur a indiqué que la Commission avait surtout souhaité provoquer un débat entre Etats membres sur ce sujet. Si sa proposition ne recueille pas l'unanimité, elle est consciente qu'il n'y aura pas d'évolution.

Il y a en France un débat pour faire évoluer notre législation vers une meilleure protection des particuliers. Tout le monde a en tête les pratiques d'opérateurs téléphoniques qui lèsent les consommateurs en toute impunité, parce que ceux-ci ne vont pas intenter des procès pour des sommes limitées individuellement, mais représentant des millions d'euros pour les entreprises.

La commissaire européenne, Mme Neelie Kroes, a cependant peut-être l'intention cachée de marquer ce sujet de son empreinte, alors qu'elle reconnaît qu'il relève plutôt de la direction Justice Libertés Sécurité, dépendant d'un autre commissaire.

La Délégation a ensuite approuvé les conclusions présentées par le rapporteur dont le texte figure ci-après :

« La Délégation pour l'Union européenne,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu le Livre vert sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et abus de position dominante (COM [2005] 672 final / E 3047),

1. Approuve l'objectif du Livre vert d'ouvrir un débat sur les conditions dans lesquelles les victimes des pratiques anticoncurrentielles résultant des ententes et des abus de position dominante peuvent bénéficier d'une meilleure réparation ;

2. Constate, en effet, que ces victimes se heurtent à d'importantes difficultés, en particulier celles concernant l'accès aux preuves qu'il leur incombe de produire à l'appui de leurs prétentions, ce qui est de nature à les dissuader d'introduire des actions en justice ;

3. Récuse toutefois qu'une telle situation reflète, comme le suggère le Livre vert, un état de « sous-développement » des procédures et appelle des réformes qui, par leur ampleur, risqueraient de bouleverser le régime de responsabilité civile, ainsi que le droit processuel des Etats membres, en particulier en y introduisant des procédures inspirées du droit américain ;

4. Estime que la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles impose de respecter certains équilibres et, à cet effet, de prévenir, d'une part, l'opposition entre action publique et action privée tout en veillant à leur optimisation respective et, d'autre part, le risque d'une judiciarisation de l'économie ;

5. Souhaite, en conséquence :

a) le renforcement des liens entre autorités de concurrence et juridictions, en particulier par la reconnaissance de l'autorité de chose décidée aux décisions du Conseil de la concurrence et la possibilité d'intégrer également les juridictions dans le réseau des autorités de concurrence (ECN) des Etats membres, créé par le règlement 1/2003 du 16 décembre 2002 ;

b) la modification du comportement des acteurs du procès - juge, avocat, plaignant -, en vue de promouvoir une réelle culture de la concurrence ;

c) le maintien des principes fondamentaux du régime de responsabilité délictuelle et des principes fondamentaux de la procédure civile, lorsqu'il n'est pas démontré qu'ils constituent un obstacle effectif au développement des actions en réparation causées par des pratiques anticoncurrentielles dues aux entités ou aux abus de position dominante ;

d) l'examen avec prudence de l'opportunité de s'inspirer du système québécois de recours collectif. »

A l'issue de la réunion, le Président Pierre Lequiller a rappelé que le Président de la Commission européenne, M. José Manuel Barroso, avait annoncé la transmission directe de tous les projets de textes européens aux parlements nationaux à partir du 1er septembre 2006, dans le cadre du contrôle de subsidiarité. La Délégation établira un mécanisme pour donner son avis en application des traités existants.