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N° 1004

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 3 juillet 2003.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE SUR  (1)
LA GESTION DES ENTREPRISES PUBLIQUES
AFIN D'AMÉLIORER LE SYSTÈME DE PRISE DE DÉCISION

Président

M. Philippe DOUSTE-BLAZY,

Rapporteur

M. Michel DIEFENBACHER,

Députés.

--

TOME I

RAPPORT

Accès au tome II : Auditions

La commission d'enquête sur la gestion des entreprises publiques afin d'améliorer le système de prise de décision est composée de : M. Philippe Douste-Blazy, Président ; MM. Jean-Pierre Balligand, Charles de Courson, Vice-présidents ; MM. Christian Philip, Jean-Claude Sandrier, Secrétaires ; M. Michel Diefenbacher, Rapporteur ; MM. Philippe Auberger, François d'Aubert, Claude Bartolone, Jacques Briat, François Brottes, Dominique Caillaud, Jérôme Chartier, Pierre Ducout, Jean Gaubert, Mme Nathalie Gautier, MM. Louis Giscard d'Estaing, François Goulard, Alain Gouriou, Sébastien Huyghe, Alain Joyandet, Jean-Marie Le Guen, Jean-Claude Lenoir, Hervé Mariton, Jacques Masdeu-Arus, Jean-Pierre Nicolas, Robert Pandraud, Nicolas Perruchot, Xavier de Roux, Alfred Trassy-Paillogues.

S O M M A I R E

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AVANT-PROPOS 5

INTRODUCTION 9

PREMIÈRE PARTIE : DU MONOPOLE À LA CONCURRENCE 13

I.- LA NOUVELLE DONNE EUROPÉENNE 13

A.- L'OUVERTURE DES MARCHÉS 13

B.- LE CONTRÔLE DES MODALITÉS DE FINANCEMENT 18

a) L'interdiction de principe des aides d'Etat 18

b) L'interdiction des subventions croisées 22

C.- LES EFFETS SUR LES ENTREPRISES PUBLIQUES 25

II. - UN EFFORT D'AJUSTEMENT RÉEL MAIS INSUFFISANT 27

A.- UNE MODIFICATION DE LA GESTION 27

1.- Un assouplissement des statuts 27

2.- Une gestion plus flexible des personnels 31

B.- L'ÉMERGENCE PROGRESSIVE D'UNE CULTURE DE COMPÉTITIVITÉ 36

1.- Le maintien des positions sur le marché intérieur 36

2.- Des progrès dans l'organisation interne 37

a) Le fonctionnement des conseils d'administration 38

b) Le développement des comités spécialisés 40

DEUXIÈME PARTIE : UNE GOUVERNANCE INADAPTÉE 43

I.- UNE CROISSANCE EXTERNE NON MAÎTRISÉE 43

A.- DES CHOIX STRATÉGIQUES PRÉCIPITÉS ET RISQUÉS 43

· France Télécom 43

· EDF 50

B.- UN FINANCEMENT TRÈS IMPRUDENT 56

1.- La faiblesse des ressources 56

2.- Des plans de financement incertains 58

· France Télécom 58

· EDF 65

II.- UNE INSUFFISANTE RIGUEUR DANS LE PROCESSUS DE DÉCISION 66

A.- UNE ORGANISATION MANAGÉRIALE DÉFECTUEUSE 66

B.- UN CONSEIL D'ADMINISTRATION SANS POUVOIR 73

C.- LE CONTOURNEMENT DE L'ETAT ACTIONNAIRE 79

III.- DES CHARGES SOCIALES DIFFICILEMENT SUPPORTABLES 87

A.- LES RIGIDITÉS DE LA POLITIQUE SALARIALE 88

· Un relatif handicap concurrentiel : les exemples de France Télécom et d'EDF 88

· Une situation extrêmement préoccupante : La Poste 90

B.- DES CHARGES DE RETRAITES À CLARIFIER 91

Suite du rapport

TROISIÈME PARTIE : UN ÉTAT OMNIPRÉSENT MAIS SANS STRATÉGIE

I.- UNE GESTION AU COUP PAR COUP

II. UNE REPRÉSENTATION CONFUSE AU SEIN DES ORGANES SOCIAUX

A.- UN COLLÈGE DISPARATE

B.- UNE COORDINATION ET UN SUIVI LIMITÉS

III.- UN CONTRÔLEUR TATILLON MAIS DÉFAILLANT

A. UN CONTRÔLE LOURD SUR LES ACTES DE GESTION

· Les investissements

· Les salaires

· Les tarifs

B. UN CONTRÔLE INSUFFISANT SUR LES DÉCISIONS STRATÉGIQUES

1.- Des procédures inadaptées

· Les commissaires du gouvernement

· Le contrôle d'Etat

· L'approbation des prises de participations financières

2.- Des moyens inadéquats

QUATRIÈME PARTIE : DONNER AUX ENTREPRISES PUBLIQUES LES MOYENS DE LEUR MODERNISATION

I.- RESPONSABILISER LES ENTREPRISES PUBLIQUES

A.- DES PRÉSIDENTS LÉGITIMÉS

1.- Une autorité incontestable

2.- Un meilleur suivi de leur action

B.- DE VÉRITABLES CONTRE-POUVOIRS AU SEIN DES ENTREPRISES

1.- Des conseils d'administration renforcés

a) Des conseils plus restreints

b) Des administrateurs plus responsables

c) Des missions plus précises

2.- Des comités spécialisés aux compétences élargies

a) Le comité d'audit et de gestion des risques

b) Le comité de stratégie et des acquisitions

3.- Une évaluation régulière

C.- UNE GESTION PLUS CLAIRE

1.- Un nouveau statut

2.- Une simplification du management

a) Des décisions plus transparentes

b) Des instruments d'analyse plus performants

3.- Une meilleure identification des missions et des charges de service public

a) Une définition plus précise

b) Une évaluation plus nette

c) Une compensation plus juste

II.- REPENSER LE RÔLE DE L'ETAT

A.- UNE ORGANISATION PLUS EFFICACE

1.- L'Agence des participations

2.- La représentation au sein des conseils

B.- DES CONTRÔLES RECENTRÉS

1.- Une vision plus stratégique

2.- Une surveillance moins tatillonne

a) Supprimer les contrôles a priori

b) Renouer avec le principe d'autonomie de gestion

CONCLUSION : PROPOSITIONS DE LA COMMISSION

EXAMEN DU RAPPORT

EXPLICATIONS DE VOTE

EXPLICATIONS DE VOTE DU GROUPE SOCIALISTE ET APPARENTÉS

EXPLICATIONS DE VOTE DU GROUPE UDF

EXPLICATIONS DE VOTE DU groupe des député-e-s communistes et républicains

AVANT-PROPOS

Au terme de 27 auditions publiques, la commission d'enquête sur la gestion des entreprises publiques afin d'améliorer le système de prise de décision achève ses travaux avec la publication de son rapport.

Compte tenu de l'ampleur des difficultés financières de certaines entreprises publiques, la commission a souhaité, dans son ensemble, travailler dans la sérénité. Les accusations contre telle ou telle direction, sources de polémiques inutiles, risquaient de porter préjudice aux entreprises alors qu'il s'agit de les aider à se redresser, à améliorer leur gestion, à faire face à la concurrence croissante.

Elle a néanmoins mené à bien ses tâches d'investigation et a été conduite à proposer des solutions pour éviter les errements et dysfonctionnements qu'elle a mis à jour.

Un mot peut résumer la situation de certaines entreprises publiques ces dernières années, c'est celui de faillite. On peut parler de la faillite des hommes parce qu'il est vrai que certains Présidents ont pris des risques inconsidérés avec l'argent des contribuables. On peut aussi parler de la faillite des institutions parce que l'Etat et son administration des finances, malgré toutes ses compétences, n'a pas correctement joué son rôle d'actionnaire.

Un chef d'entreprise doit assumer ses responsabilités.

Clairement, la présidence de M. Michel Bon a mené France Télécom à un endettement gravissime. Même si les conditions économiques et notamment la bulle Internet ont joué leur rôle, trop de risques inconsidérés ont été pris sans contrôle.

Les exemples de Mobilcom et de NTL, précisément analysés dans le rapport, le démontrent assez.

Il est dès lors difficilement admissible qu'après sa démission en septembre 2002, M. Bon ait continué à percevoir sa rémunération jusqu'en juin dernier.

Un peu de retenue en la matière aurait sans doute contribué à diminuer les critiques à son endroit.

Comment les contribuables français, dont certains ont beaucoup perdu avec la baisse des actions de France Télécom, peuvent-ils réagir à une telle situation ?

La présidence de M. François Roussely a également fait l'objet de critiques au sein de la commission. Sans que les résultats d'EDF soient comparables à ceux de France Télécom, il est de fait que certaines opérations importantes n'ont pas suivi les procédures réglementaires, qu'il s'agisse du passage devant le conseil d'administration ou de l'approbation de la tutelle. Et il n'est pas admissible que, jusqu'à tout récemment, la direction d'EDF n'ait pas tenu compte des observations et recommandations de la direction du Trésor.

Il faut souhaiter que les choses changent maintenant que les faits ont été dénoncés par la commission.

Des faiblesses demeurent par ailleurs à La Poste, à la SNCF, qui doivent être surmontées pour que ces deux entreprises résistent au mieux à la concurrence que nous impose la nouvelle réglementation européenne.

Il n'y a pas, il ne pouvait y avoir de recommandation spectaculaire à l'issue des travaux de la commission. On ne peut que constater que la représentation nationale n'est « appelée à la rescousse » que quand il y a des catastrophes... Et il est évidemment trop tard.

La commission d'enquête a mis à jour les responsabilités dans les difficultés qu'ont connues et que connaissent certaines entreprises publiques. Elle a relevé des dysfonctionnements tant en interne qu'en externe.

Mais ses recommandations ne valent évidemment que pour l'avenir.

Elles visent en premier lieu le management des entreprises. Il s'agit d'abord de nommer autrement leurs Présidents et, surtout, de mieux suivre leur gestion par un dialogue aux données clarifiées avec l'Etat. Il s'agit aussi de donner de la force aux contre-pouvoirs au sein de l'entreprise, que ce soit les conseils d'administration ou les comités spécialisés en leur sein.

L'autre volet des recommandations de la commission traite du contrôle qu'exerce l'Etat sur les entreprises publiques. Il faut qu'il soit plus efficace.

La commission s'est beaucoup interrogée sur l'Agence des participations de l'Etat, dont la création a été annoncée par le ministre de l'économie à la suite du rapport de M. René Barbier de La Serre. Son pouvoir, son autonomie sont encore sujets à débats.

La commission s'est notamment posé la question de savoir si elle devait être rattachée au ministère de l'économie ou au Premier ministre. Elle a finalement opté pour la première solution parce qu'elle a confié à l'Agence la seule défense de l'Etat actionnaire. Elle a, pour arbitrer entre les autres missions de l'Etat, en particulier stratégiques, souhaité la création d'un comité interministériel d'orientation.

Le devoir de la commission était de mettre à jour certains faits ; à d'autres de prendre le relais pour ne plus assister à de telles déconvenues préjudiciables à nos concitoyens, à nos entreprises et au travail de leurs salariés.

Philippe DOUSTE-BLAZY

Président

INTRODUCTION

Le 29 janvier dernier, l'Assemblée nationale décidait la création d'une commission d'enquête sur la gestion des entreprises publiques afin d'améliorer le système de prise de décision.

Cette initiative motivée par une dégradation financière sans précédent de certaines grandes entreprises publiques, faisait suite au dépôt, le 18 décembre 2002, d'une proposition de résolution de MM. Jacques Barrot, Patrick Ollier et Pierre Méhaignerie.

La commission a eu pour objectif essentiel d'évaluer précisément la situation financière des entreprises publiques, d'analyser les causes des difficultés actuelles et de proposer les voies d'une nouvelle gouvernance. Elle a veillé à ne pas porter tort aux entreprises concernées, dont certaines sont cotées. Mais elle s'est fait un devoir d'identifier les erreurs de gestion qui ont pu être commises.

La commission a tenu 27 auditions, toutes ouvertes à la presse. Elle a focalisé son attention sur les entreprises dont la situation a connu la dégradation la plus forte, en l'occurrence France Télécom et, à un moindre degré, EDF. Elle a ainsi été conduite à entendre leurs Présidents actuels et passés ainsi que tous les acteurs des décisions qu'elles avaient été amenées à prendre : membres des conseils d'administration et des divers comités spécialisés, directeurs financiers ou responsables de filiales opérant à l'étranger, commissaires du gouvernement, représentants de la direction du Trésor.

Les auditions du ministre des finances ainsi que de deux de ses prédécesseurs et des présidents d'autres entreprises publiques (SNCF, France Télévisions, La Poste), d'experts, du commissaire européen chargé de la concurrence lui ont permis de compléter sa réflexion sur les deux axes de la gouvernance des entreprises publiques : leur fonctionnement interne et les relations qu'elles entretiennent avec l'Etat.

Il est ainsi apparu que le modèle français des entreprises publiques hérité de la guerre et de la Libération ne répondait plus aux nouvelles exigences internationales et européennes. L'ouverture à la concurrence n'est pas seulement une exigence de la construction européenne, elle est surtout une condition de la modernisation et donc de la pérennité du secteur public. Longtemps protégées par le monopole, les entreprises publiques françaises doivent s'engager à rechercher tous les moyens de la compétitivité et à se lancer à la conquête de marchés extérieurs pour compenser leurs inévitables pertes de marché à l'intérieur de l'Hexagone.

Pendant quelques années, les politiques d'acquisitions de France Télécom et d'EDF ont été menées sans que les moyens humains, techniques, financiers aient été adaptés en conséquence, sans que des règles de prise de décision aient été précisées, sans que les contre-pouvoirs ou les contrôles internes aient pu s'exercer. Même si l'éclatement de la bulle Internet et le retournement voire l'effondrement de la conjoncture dans certains pays notamment ceux d'Amérique du Sud expliquent pour partie les difficultés rencontrées par ces entreprises, les résultats désastreux de plusieurs opérations s'expliquent aussi par les carences et les dérives de leur management.

Il est également indéniable que le contrôle de l'Etat - la tutelle comme on l'appelle encore aujourd'hui - n'échappe pas aux maux qui affectent si souvent l'action publique : il est lourd, déresponsabilisant et souvent inefficace. Instauré dans les années 1950 et depuis constamment enrichi sans jamais être remis en question, il s'est révélé largement inadapté à la nouvelle dimension internationale des entreprises publiques.

Cette situation conduit inéluctablement à s'interroger sur l'avenir du « périmètre public ». Sans vouloir trancher cette question, votre Rapporteur ne peut que rappeler certains faits incontournables.

Pour les entreprises publiques comme pour toutes les entreprises, le marché intérieur est désormais le marché européen. La présence sur le marché européen, la pénétration des marchés mondiaux exigent des financements qui excèdent la capacité des Etats. La construction d'une stratégie internationale, qui conditionne l'avenir des entreprises publiques françaises, implique un effort de transparence dans la gestion et de modernisation dans la gouvernance.

La forme juridique des entreprises ne peut donc qu'évoluer. Cette évolution est par ailleurs la clé de l'accès aux financements privés ainsi qu'aux marchés extérieurs.

Le contrôle de l'Etat doit lui aussi être profondément transformé parce qu'il handicape les entreprises, qu'il s'agisse des processus très lourds et enchevêtrés des autorisations et approbations ou des aléas budgétaires qui affectent les dividendes qu'elles versent ou les subventions et dotations qu'elles peuvent recevoir.

L'existence des missions de service public, dont personne ne conteste la nécessité et la légitimité, ne saurait dispenser les entreprises publiques d'un indispensable « aggiornamento ». Ces missions devront être clairement identifiées et financièrement compensées. Certaines d'entre elles peuvent d'ores et déjà être exercées par des entreprises privées, dans le cadre de concessions ou d'affermages. D'autres le seront demain dans le cadre de l'ouverture à la concurrence. Tout se conjugue donc, même dans ce domaine, pour exiger un effort croissant de productivité.

Pour le reste, tout ce qui contribue à faire des entreprises publiques des entreprises comme les autres - statut, gouvernance, relations avec l'Etat - permet de répondre aux critiques qui ne peuvent qu'aller croissant, dans un marché ouvert, sur les « avantages indus » réservés au secteur public par l'Etat. Faire des entreprises publiques des entreprises comme les autres, c'est aussi leur donner les moyens de la compétitivité et donc de la pérennité. C'est enfin donner une perspective à un secteur qui jouera demain comme hier un rôle majeur au service de l'économie française et de la cohésion nationale.

Votre Rapporteur tient à rendre hommage tant aux directions des entreprises qu'au ministère des finances, qui ont répondu avec diligence et précision à ses demandes d'explications et lui ont fourni tous les documents de nature à éclairer sa réflexion et nourrir les propositions de la commission.

* *

*

Le rapport expose tout d'abord le nouveau contexte international et communautaire auquel les entreprises publiques françaises ont dû et doivent encore s'adapter. (Première partie)

Il analyse leurs difficultés financières dues en grande partie à une croissance externe mal maîtrisée par le management interne. (Deuxième partie)

Il présente les relations que l'Etat entretient avec elles, en décrivant notamment les obstacles que constituent, pour la compétitivité des entreprises, certains des contrôles actuels. (Troisième partie)

Enfin, il définit les moyens susceptibles d'améliorer à l'avenir la gouvernance et la performance des entreprises publiques. (Quatrième partie)

PREMIÈRE PARTIE : DU MONOPOLE À LA CONCURRENCE

I.- LA NOUVELLE DONNE EUROPÉENNE

A.- L'OUVERTURE DES MARCHÉS

Pendant longtemps, l'organisation des services publics en France a reposé sur un schéma simple : un puissant opérateur national en situation de monopole, une conception très extensive des missions de service public, une intervention constante de l'Etat dans la gestion interne des entreprises.

Dans ce modèle, les entreprises publiques constituaient en quelque sorte des prolongements de l'Etat, lequel exerçait des missions tout à la fois régaliennes, d'actionnaire, de garant de l'intérêt général, de régulation, et de promoteur de politiques industrielles. En effet, comme l'a rappelé M. Elie Cohen 1, directeur de recherches au CNRS et ancien administrateur de France Télécom, « tant que nous avions des monopoles nationaux verticalement intégrés, réalisant l'essentiel de leurs opérations sur le territoire national, la confusion des différentes casquettes de l'Etat ne posait guère de problèmes ».

Cette conception typiquement française, qui amalgamait les notions de secteur public, de monopole et de service public, a été remise en cause par le choix de l'ouverture à la concurrence, opéré sous l'impulsion de l'Union européenne. Progressivement, l'idée selon laquelle le monopole constitue le seul modèle pour gérer des services publics est devenue intellectuellement anachronique et économiquement critiquable.

S'il paraît effectivement peu efficient de construire plusieurs réseaux - pour les lignes ferroviaires, les télécommunications ou l'électricité - qui, du fait de leurs rendements croissants, présentent un caractère de monopole naturel, il paraît justifié de soumettre à la concurrence les opérateurs des services en réseaux, dès lors qu'ils sont séparés des gestionnaires de l'infrastructure.

L'ouverture à la concurrence, « constitue la clé de la croissance », comme l'a rappelé devant la commission, M. Mario Monti 2, commissaire européen chargé de la concurrence, en ce qu'elle permet d'une part de proposer une offre diversifiée de produits et de services à des prix plus bas au consommateur, mais également de faire bénéficier de ces baisses de prix les entreprises intermédiaires qui peuvent à leur tour répercuter dans leurs processus de production les gains de productivité.

Pour s'en convaincre, il n'est que d'observer les évolutions tarifaires intervenues depuis quelques années sur certains marchés. Selon le rapport de la Commission européenne de janvier 2003 sur le marché intérieur 3, la libéralisation des industries de réseaux aurait permis de réduire de moitié le prix d'une communication téléphonique et de 41 % les tarifs aériens. L'ouverture à la concurrence a ainsi constitué, comme l'a souligné M. Edmond Alphandéry 4, ancien ministre de l'économie et des finances et ancien président d'EDF, « un excellent moteur » pour les entreprises publiques, en ce qu'elle « oblige à penser les problèmes différemment », à « gérer les coûts et à rechercher davantage de souplesse ».

Cette ouverture ne signe pas, bien évidemment, la fin des « missions de service public ».

M. Mario Monti a d'ailleurs déclaré qu'« il serait faux de présenter la libéralisation et la concurrence d'une part, et les exigences de service public et de service universel d'autre part, comme des notions antagonistes et conflictuelles ».

L'article 86 du Traité de Rome prévoit en effet expressément la possibilité pour les Etats membres d'accorder des droits spéciaux ou exclusifs à des entreprises publiques ou privées afin que celles-ci remplissent des missions liées à des services d'intérêt économique général (SIEG). Ce monopole ne doit pas dépasser ce qui est strictement nécessaire au bon fonctionnement du service public. Dans son article 16, le Traité d'Amsterdam a par ailleurs consacré la place des SIEG « parmi les valeurs communes de l'Union » ainsi que le rôle qu'ils jouent « dans la promotion de la cohésion sociale et territoriale ».

Enfin, suite aux conclusions du Conseil européen de Barcelone des 15 et 16 mars 2002, la Commission a été invitée à proposer une directive-cadre permettant de définir et renforcer les services d'intérêt général. Son Livre vert du 21 mai 2003 permet d'esquisser cette définition commune et de poser la problématique de leur évaluation, de leur organisation et de leur financement.

La Commission a donc cherché à promouvoir une libéralisation « contrôlée », c'est-à-dire une ouverture progressive du marché accompagnée de mesures protégeant l'intérêt général. Cette libéralisation a été variable selon les secteurs.

Elle a été très rapide dans le secteur des télécommunications.

En application de la directive n° 96-19 du 13 mars 1996, transposée en droit français par la loi n° 96-659 du 26 juillet 1996, l'ouverture est désormais totale depuis le 1er janvier 1998. Une autorité administrative indépendante, l'Autorité de régulation des télécommunications (ART), a été instituée afin de veiller à l'application de l'ensemble des dispositions juridiques, économiques et techniques qui permettent aux activités de télécommunications de s'exercer librement.

La concurrence est aujourd'hui bien établie sur la plupart des segments du marché, les concurrents de France Télécom détenant désormais 35 % des parts de marché sur le trafic longue distance, 52 % du parc des mobiles et 60 % des accès Internet.

En outre, des progrès significatifs ont été accomplis dans l'accès à la boucle locale de l'opérateur historique, dans le cadre fixé par le décret du 12 septembre 2000. A la suite de mises en demeure répétées de l'ART, France Télécom a présenté le 14 juin 2002 une offre de tarifs de location qui semble permettre aux opérateurs concurrents de mettre en place des activités économiquement viables, et devrait conduire à terme à une réduction des tarifs des appels locaux.

Enfin, afin de transposer le deuxième paquet de directives adoptées par le Parlement européen et le Conseil le 7 février 2002, l'avant-projet de loi sur les communications électroniques prévoit notamment de renforcer les pouvoirs de sanction et d'enquête de l'ART.

La démarche d'ouverture des services postaux est intervenue plus tardivement. La directive n° 97/67/CE du 15 décembre 1997 a défini les caractéristiques du service universel postal que doivent garantir tous les Etats membres 5 et délimité le champ des services qui peuvent être « réservés » à l'opérateur en charge du service universel - c'est-à-dire sous monopole - selon des limites de poids et de prix destinées à être abaissées dans l'avenir. La directive a par ailleurs fixé un calendrier pour la poursuite d'une libéralisation graduelle du secteur postal.

Ces dispositions ont été transposées par l'article 19 de la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire du 25 juin 1999 et le décret n° 2001-122 du 8 février 2001 relatif au cahier des charges de La Poste. En France, les services réservés à La Poste comprennent les envois de correspondance d'un poids inférieur à 350 grammes et dont le tarif est inférieur à cinq fois le tarif normal pour un envoi du premier échelon de poids (0,50 euro), soit le périmètre le plus large de services réservés autorisé par la directive.

Le calendrier d'ouverture du marché à la concurrence, tel que le prévoit la directive 97/67 CE, modifiée par celle du 10 juin 2002 (2002/39), est le suivant :

secteurs ouverts à la concurrence


au 1er janvier 2003

courriers de plus de 100 grammes et
3 fois le tarif d'affranchissement de base
(0,50 euro)


au 1er janvier 2006


courriers de plus de 50 grammes et
2,5 fois le tarif d'affranchissement de base


au 1er janvier 2009


ouverture totale envisagée après la présentation par la Commission
d'un bilan de la libéralisation, notamment sur le service universel

Dans un avis motivé du 27 juin 2002, la Commission a conclu que l'indépendance fonctionnelle prévue par la directive de 1997 entre l'autorité réglementaire nationale et l'opérateur postal n'était pas assurée. Le dispositif de régulation retenu par la France doit donc être réexaminé. Il fait l'objet d'un projet de loi qui devrait être déposé au Sénat prochainement. Il s'agit essentiellement d'élargir les compétences de l'ART au secteur postal et de revoir les services réservés à La Poste.

S'agissant des transports ferroviaires, la directive 91/440/CEE du 29 juillet 1991 visait d'abord à assurer la séparation, au moins comptable, de la gestion et de l'exploitation des infrastructures de transport. En outre, elle impliquait, pour les Etats membres, d'accorder des droits d'accès et de transit internationaux. Elle a été transposée par la loi du 13 février 1997 portant création de l'établissement public Réseau ferré de France (RFF), qui consacre la séparation organique du propriétaire de l'infrastructure et de son exploitant.

Par ailleurs, en application « du paquet ferroviaire » adopté le 13 mars 2001 par le Conseil des ministres et le Parlement européen, le fret ferroviaire international est désormais ouvert sur le réseau transeuropéen depuis le 15 mars 2003, et RFF chargé de l'attribution des sillons.

Le deuxième paquet ferroviaire adopté le 23 janvier 2002 prévoit par ailleurs la libéralisation totale du fret international en 2006 et l'autorisation du cabotage en 2008, c'est-à-dire l'activité des transporteurs sur des voies secondaires nationales.

L'ouverture du marché de l'électricité, qui a certainement donné lieu aux débats les plus longs au niveau communautaire, repose d'une part sur la libéralisation des marchés de la production et de l'importation de l'électricité, et d'autre part sur l'ouverture des réseaux de transport et de distribution pour rendre effective cette libéralisation.

La loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité prévoit notamment l'accès des tiers aux réseaux réglementés par la création d'une entité autonome au sein d'EDF, le réseau de transport de l'électricité (RTE), chargé de gérer les lignes à haute et très haute tension, un régime d'autorisations et d'appels d'offres pour la production, la création d'une autorité de régulation indépendante - la Commission de régulation de l'électricité (CRE) - et la possibilité pour les consommateurs dits « éligibles », dont la définition est appelée à s'étendre progressivement, de se procurer librement de l'électricité auprès du producteur de leur choix.

Le seuil d'éligibilité a été fixé dans un premier temps à 16 gigawattheures (GWh), puis abaissé à 7 GWh par le décret n° 2003-100 du 5 février 2003. Le marché français est ainsi ouvert à la concurrence à hauteur de 37 % (soit près de 3 000 sites). EDF conserve plus de 83 % de parts de marché sur la partie ouverte à la concurrence.

La position dominante d'EDF sur son marché intérieur risque cependant d'être remise en cause par l'ouverture à partir de 2004 du marché aux clients « non-résidentiels » 6, ceux dont la consommation d'électricité est destinée à des usages autres que domestiques (collectivités locales et professionnels, soit 2,2 millions de clients et 70 % de la consommation totale). L'ouverture totale du marché, dont le principe a été approuvé le 25 novembre 2002 par le Conseil des ministres européens de l'énergie, doit intervenir en 2007.

B.- LE CONTRÔLE DES MODALITÉS DE FINANCEMENT

L'ouverture à la concurrence a conduit à modifier la nature des relations entre l'Etat et les entreprises publiques : dès lors que des secteurs de plus en plus larges sont libéralisés, la Commission européenne veille à s'assurer que les entreprises publiques ne bénéficient pas d'avantages de nature à fausser le libre jeu de la concurrence.

a) L'interdiction de principe des aides d'Etat

· L'article 87 du Traité instituant les Communautés européennes dispose que « sauf dérogation prévue au présent traité, sont incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre Etats membres, les aides accordées par l'Etat ou au moyen de ressources d'Etat sous quelque forme que ce soit, qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ». Conformément à l'article 292 du Traité, ces dispositions s'appliquent quel que soit le régime de propriété des entreprises.

Afin de garantir l'égalité de traitement et de contrôler les avantages que peuvent retirer les entreprises publiques de leurs relations avec les pouvoirs publics, la Commission européenne a mis en place des procédures extrêmement rigoureuses 7. Les principes en ont été définis par la directive 80/723/CEE du 25 juin 1980 relative à la transparence des relations financières entre les Etats membres et les entreprises publiques, puis précisés par la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes.

Toute intervention des pouvoirs publics ayant des incidences sur l'équilibre financier des entreprises publiques doit être préalablement notifiée à la Commission qui apprécie si elle constitue une aide en application du principe de l'investisseur avisé en économie de marché.

Ce critère a pour objet de vérifier que l'opération financée par les pouvoirs publics serait « raisonnablement » financée par un investisseur privé en économie de marché, c'est-à-dire s'apparente à un apport de capital à un niveau de risque acceptable selon les pratiques du marché et avec des perspectives de rentabilité réelle dans des délais raisonnables. Le fondement de l'analyse de la Commission est de s'assurer que l'entreprise publique n'obtienne pas d'avantages, de quelque nature qu'ils soient, qu'un investisseur privé ne pourrait consentir.

Cette jurisprudence induit des contraintes très fortes dans les relations financières entre l'Etat et les entreprises publiques, qu'il s'agisse d'opérations financières traditionnelles ou que les avantages concédés soient liés aux spécificités juridiques, notamment fiscales, des entreprises.

- S'agissant des opérations financières, les apports en capitaux sont considérés comme une aide d'Etat lorsque les perspectives économiques de la société bénéficiaire sont telles qu'aucune rémunération normale du capital, par référence à une entreprise privée comparable, ne peut être attendue dans des délais raisonnables. Dans son examen, la Commission s'appuie sur une analyse de l'écart entre l'investissement consenti et sa valeur actualisée, compte tenu du plan d'affaires ajusté à la situation du marché en termes de tendance et de parts de marché contrôlées par l'entreprise. Le niveau de risque est évalué à partir des ratios de liquidité et de solvabilité de la société bénéficiaire. A cet égard, deux éléments permettent de présumer l'absence d'aide d'Etat : le financement aurait pu être obtenu, dans les conditions définies par l'Etat, sur le marché ; une intervention privée est concomitante à l'intervention publique et s'effectue dans les mêmes conditions.

C'est à l'aune de ces critères que sont aujourd'hui examinées par la Commission les modalités de la participation de l'Etat au plan d'action de France Télécom entre l'automne 2002 et le printemps 2003, jusqu'à sa participation à l'augmentation de capital de l'entreprise. Le gouvernement a indiqué que l'Etat français agissait strictement en investisseur avisé, comme le ferait tout actionnaire privé en économie de marché.

M. Mario Monti a pour sa part déclaré devant la commission :

« Sans entrer dans le détail, les divers rebondissements concernant la situation financière de France Télécom depuis la notification me conduisent à préciser certains points au regard des règles sur les aides d'Etat.

Les mesures financières prises par la France semblent accorder un avantage à France Télécom, qu'elle n'aurait pas obtenu dans des conditions normales de marché.

En second lieu, il n'est pas suffisamment démontré que le comportement de l'Etat soit conforme à celui d'un investisseur avisé.

C'est pour clarifier ces aspects que nous avons maintenant recours à un expert indépendant. »

Pour ne pas s'exposer à la qualification d'aide d'Etat, les prêts accordés par les pouvoirs publics doivent refléter, dans le taux d'intérêt et dans les garanties, le niveau de risque porté par l'entreprise. Par conséquent, dès lors que le prêt n'est pas conforme aux conditions bancaires, l'élément d'aide doit être quantifié, par l'écart entre le taux que l'entreprise paierait sur le marché et le taux pratiqué en réalité. Cependant, l'existence d'un écart ne préjuge pas d'une aide d'Etat, puisque l'avantage est par suite considéré comme un apport en capital, qui est examiné au regard du critère de l'investisseur avisé décrit plus haut.

Quelle que soit leur nature, les garanties octroyées par les pouvoirs publics, peuvent à leur tour constituer des aides d'Etat si elles ont pour conséquence d'introduire un écart entre le taux que l'emprunteur paierait sur un marché libre et le taux effectivement obtenu grâce à cette garantie. La Commission est ainsi conduite à examiner si les entreprises publiques dont le statut exclut le recours à la faillite, bénéficient à ce titre d'une aide équivalent à une garantie, la question étant de savoir si ce statut permet effectivement à l'entreprise d'obtenir des crédits dans des conditions plus favorables.

C'est à ce titre qu'elle a lancé, le 2 avril 2003, une procédure formelle d'investigation pour déterminer si la garantie illimitée liée au statut d'EPIC constitue une aide d'Etat.

M. Mario Monti a ainsi précisé :

« La décision du 2 avril 2003 fait suite à la décision de la Commission du 16 octobre 2002, qui proposait l'adoption de « mesures utiles », conformément à l'article 88, paragraphe 1 du Traité, concernant la garantie illimitée, dont bénéficie EDF du fait de son statut d'EPIC, laquelle rend inapplicable la législation sur la faillite et l'insolvabilité. La Commission a donc proposé la suppression de cet élément constitutif d'une aide d'Etat.

Si les autorités françaises ont confirmé leur intention de transformer le statut d'EDF, il n'y a pas eu d'engagement de leur part, valant acceptation inconditionnelle de ces mesures utiles, ni de précisions quant au calendrier de la réforme. La Commission a donc engagé la procédure formelle d'examen en avril 2003, en raison de la garantie illimitée d'EDF mais aussi de l'avantage financier lié à la constitution irrégulière de provisions. »

- En outre, la Commission s'assure que les dispositions législatives applicables aux entreprises publiques, en particulier le régime de leur fiscalité, ne leur assurent pas un avantage concurrentiel par rapport aux autres entreprises. A ce titre, le régime de fiscalité locale dérogatoire appliqué à France Télécom jusqu'à ce que l'article 29 de la loi de finances pour 2003 l'assujettisse aux conditions de droit commun, fait actuellement l'objet d'une procédure d'examen par la Commission.

· Cependant, l'ouverture d'une procédure d'enquête ne préjuge pas la qualification d'aide, et l'éventuelle qualification d'aide d'Etat ne préjuge pas pour autant de son incompatibilité avec la législation européenne. Des dérogations de deux types peuvent en effet être accordées.

D'une part, en application du deuxième alinéa de l'article 86 du Traité instituant les Communautés européennes, les entreprises chargées de la gestion d'un service d'intérêt économique général peuvent être exonérées du respect des règles de la concurrence. Il faut pour cela que l'aide d'Etat permette l'accomplissement de la mission particulière confiée par les pouvoirs publics aux entreprises concernées, et qu'elle soit exclusivement consacrée à compenser les surcoûts occasionnés par l'exécution du seul service d'intérêt économique général. La Commission a admis, dans une analyse confirmée par la CJCE (ordonnance du 25 mars 1998, aff. C-174/97 FFSA), que les allègements fiscaux consentis à La Poste étaient conformes au droit communautaire dans la mesure où ils n'allaient pas au-delà de ce qui était strictement nécessaire pour permettre à l'opérateur d'assurer le service d'intérêt général qui lui était confié.

D'autre part, une aide d'Etat reste compatible avec la réglementation communautaire si elle peut être qualifiée d'aide d'Etat au sauvetage et à la restructuration compatible avec le bon fonctionnement du marché intérieur, ce qui implique le respect des trois lignes directrices énoncées par les directives 94/368/05 CE du 23 décembre 1994 :

- elle doit s'inscrire dans un programme viable de redressement consigné dans un plan sur le respect duquel s'engage l'Etat. Par conséquent, toute nouvelle aide est exclue pendant une durée minimale de 10 ans ;

- les distorsions de concurrence doivent être aussi modérées que possible, et à cette fin, le montant de l'aide doit être limité au strict nécessaire pour atteindre son but ;

- enfin, l'entreprise doit fournir une contribution importante au financement du plan de redressement, en consentant notamment un effort rigoureux de restructuration. A cet égard, la Commission apprécie avec une grande sévérité les contreparties imposées aux entreprises aidées, qui prennent le plus souvent la forme d'une réduction d'activité et d'une cession d'actifs, voire, bien que l'article 295 du Traité instituant les Communautés européennes dispose que la législation communautaire ne préjuge en rien du régime de propriété, un engagement de l'Etat de procéder dans les plus brefs délais à une privatisation.

Ce faisceau de contraintes tend à réduire les spécificités des entreprises publiques, qui doivent avoir des relations financières de plus en plus transparentes et conformes aux pratiques du marché avec leur actionnaire majoritaire.

b) L'interdiction des subventions croisées

L'analyse des relations financières entre l'Etat et les entreprises publiques est rendue plus complexe par le fait que certaines d'entre elles peuvent cumuler des activités devenues concurrentielles et des activités bénéficiant de droits exclusifs ou spéciaux.

Cette situation peut en effet entraîner l'apparition de subventions croisées, une activité exercée en monopole, donc générant une rente, pouvant être utilisée pour conquérir des parts de marché ou compenser des pertes sur un segment d'activité ouvert à la concurrence.

Plusieurs mesures communautaires ont été adoptées afin de garantir la transparence, passant notamment par la dissociation comptable de leurs activités.

L'article 14 de la directive du 15 décembre 1997 8 impose par exemple aux prestataires du service universel postal de tenir dans leur comptabilité interne des comptes séparés pour chacun des services appartenant à leurs secteurs réservé et non réservé, et en leur sein ceux qui relèvent du service universel et les autres.

Dans le domaine de l'électricité, la directive précitée du 19 décembre 1996, transposée en droit français par la loi du 10 février 2000, prévoyait également que les entreprises d'électricité intégrées tiennent dans leur comptabilité interne des comptes séparés pour leur activité de production, de transport et de distribution.

En France, la mise en œuvre de ce principe a été difficile, puisqu'au terme d'un audit des comptes dissociés d'EDF pour 2000 9, la commission de régulation de l'énergie a dû procéder à une rectification des bilans des trois branches et à une modification du niveau des charges à tarifer, de 70 millions d'euros pour le transport et de 526 millions d'euros pour la distribution.

Généralisant ces réglementations sectorielles, la directive n° 2000/52/CE du 26 juillet 2000 modifiant la directive précitée du 25 juin 1980 prévoit par ailleurs la présentation de comptes séparés pour les produits ou services pour lesquels des droits exclusifs sont accordés à une entreprise ou les services d'intérêt économique général dont cette entreprise est chargée.

Votre Rapporteur ne peut que se féliciter de la clarification des relations financières entre l'Etat et les entreprises publiques qui résulte de ces dispositions.

Certaines mesures communautaires se sont révélées en revanche plus contestables.

Il convient à cet égard de rappeler combien la décision de hâter l'attribution des licences UMTS dans l'Union européenne a pesé lourd dans l'endettement des grands opérateurs de télécommunications.

Afin de garder une avance en matière de technologie mobile 10 - et peut-être de nourrir les carnets de commande des équipementiers européens -, le Parlement européen et le Conseil, dans une décision conjointe 129/1999/CE du 14 décembre 1998, ont imposé le déploiement effectif des réseaux d'une nouvelle génération de mobile, permettant de faire passer à la fois la voix et les données, l'UMTS, avant le 1er janvier 2002. Chaque Etat membre gardait cependant le choix de la procédure d'attribution des licences.

Dans ce climat de précipitation, la décision du Royaume-Uni d'organiser des enchères a agi comme révélateur. Dépassant toutes les prévisions, les prix des licences y ont atteint, en avril 2000, 6,5 milliards d'euros. Comme l'indiquait M. Michel Bon 11, ancien président de France Télécom, « au passage du train d'or, les gouvernements se sont dits qu'il serait dommage de ne pas ouvrir les fourgons ». Au total, les Etats membres ont prélevé sur l'industrie des télécommunications 120 milliards d'euros, le coût des licences dépassant, par exemple, 8,4 milliards d'euros en Allemagne.

Ainsi, les opérateurs ont dû concéder dans l'urgence des investissements extrêmement importants (atteignant notamment 25,7 milliards d'euros pour Deutsche Telekom) alors même que les composants, équipements et terminaux nécessaires au déploiement du réseau UMTS n'étaient toujours pas prêts fin 2001.

De même, il faudra veiller à ce que l'adoption des normes comptables internationales (normes IAS), obligatoires pour les entreprises cotées d'ici le 1er janvier 2005 en application du règlement 1606/2002/CE du 19 juillet 2002, ne conduise pas à s'aligner sur les normes en vigueur aux Etats-Unis. S'il est incontestable que l'ouverture à la concurrence implique une harmonisation des comptes des entreprises, l'adoption de la méthode anglo-saxonne en matière d'évaluation des écarts d'acquisition conduisant à estimer la valeur des sociétés acquises en fonction des prix instantanés du marché (c'est-à-dire la valorisation boursière lorsqu'elles sont cotées) 12, pourrait avoir de lourdes répercussions, notamment pour les entreprises publiques françaises.

C.- LES EFFETS SUR LES ENTREPRISES PUBLIQUES

Globalement, l'ouverture des marchés n'a eu d'incidence négative ni sur l'emploi ni sur la qualité des services. La Commission européenne estime ainsi que la libéralisation des industries de réseaux a permis la création de près d'un million d'emplois.

Mais elle a incontestablement mis les opérateurs historiques, qui exerçaient un monopole, dans une situation beaucoup plus exigeante. En effet, leurs ressources étaient vouées à se réduire en raison d'inéluctables pertes de marché, tandis que leurs charges, qu'elles soient liées aux frais salariaux ou aux obligations de service public, restaient au mieux stables, et plus souvent croissantes.

L'exemple de France Télécom permet de cerner l'ampleur de ce choc concurrentiel. Ses pertes de parts de marché ont été extrêmement rapides, dépassant notamment 1 % par mois au premier semestre 2000 sur la téléphonie longue distance puis 2,3 % par mois au premier semestre 2002 sur la téléphonie locale.

Les conséquences financières ont été très lourdes. Entre 1997 et 2001, l'excédent brut d'exploitation de l'activité traditionnelle a ainsi diminué de 7 à 5 milliards d'euros, la perte en termes de liquidités opérationnelles annuelles représentant un montant de l'ordre de 3 milliards d'euros.

Certains opérateurs sont d'autant plus durement exposés au choc de la concurrence qu'ils évoluent dans un marché saturé. Ainsi, en raison de la décrue croissante de l'intensité énergétique de la croissance, le taux annuel de progression de la consommation d'électricité en France ne devrait pas dépasser 1 % entre 1998 et 2010 et 0,1 à 1 % d'ici 2020, contre 8 % entre 1973 et 1998. EDF devra par conséquent partager un marché qui ne progresse pas. La situation de La Poste est beaucoup plus inquiétante encore, l'activité courrier étant vouée à un ralentissement marqué estimé à 5 % par le groupe d'ici 2007. Il faut noter que ses concurrents, comme la poste néerlandaise TNT Group, anticipent pour leur part une réduction de 20 % du marché dans les cinq prochaines années !

M. Jean-Paul Bailly, président de La Poste, le rappelait devant la commission 13 :

« La Poste va connaître une ouverture à la concurrence sur un marché qui sera stable ou en récession, ce qui pose la problématique de manière un peu différente. Cette activité qui très probablement décroîtra dans les années à venir sous le double effet de la substitution technologique et de l'ouverture du marché sera à conduire sur un métier qui enregistre un retard de compétitivité et de modernisation ».

Les charges d'exploitation, pour leur part, sont restées stables ou ont augmenté.

D'une part, les charges de personnels sont affectées d'une importante rigidité qui sera examinée dans la seconde partie du présent rapport.

D'autre part, le caractère intensément capitalistique des activités ouvertes à la concurrence impose un effort soutenu d'investissement qui ne peut être réduit sans risquer de rendre obsolète des infrastructures indispensables à la prospérité et à la sécurité du pays ou de compromettre la qualité du service public. Ainsi France Télécom a-t-elle dû maintenir après l'ouverture à la concurrence un niveau d'investissement sur les activités de téléphonie fixe en France supérieur à 2 milliards d'euros, soit 40 % environ des liquidités générées par ce segment. De même, EDF doit consentir des investissements considérables pour maintenir la qualité de son appareil industriel sur son activité principale (les dotations aux amortissements représentent 27 % du chiffre d'affaires de l'activité de production du groupe) en même temps qu'elle doit couvrir par des provisions annuelles de l'ordre de 1,7 milliard d'euros les charges futures de « déconstruction » des centrales nucléaires et de fin de cycle des combustibles nucléaires.

La pression liée aux pertes de marchés a été en outre exacerbée par le mouvement de concentration industrielle amorcé à l'échelle européenne, voire mondiale, qui a contraint les entreprises publiques françaises à une extension de leur champ d'action sous peine d'être marginalisées.

Les industries électriques européennes ont ainsi été le théâtre d'un mouvement de consolidation qui s'est brutalement accéléré en 2000 et 2001 : les opérations de fusions et acquisitions qui étaient d'un milliard d'euros entre 1995 et 1997, sont montées à 3,5 milliards d'euros en 1998 et 1999, avant d'atteindre 15,6 milliards d'euros en 2000 puis 42,7 milliards d'euros en 2001. Comme l'a rappelé M. François Roussely, président d'EDF 14, « la constitution d'une Europe de l'énergie étant à l'œuvre il était essentiel qu'EDF, premier électricien mondial, y participe ». Le défi était d'autant plus exigeant que les montants investis par ses concurrents européens étaient extrêmement élevés. Par exemple, entre 2000 et 2002, E.On, RWE et Enel ont consacré à leurs acquisitions respectivement 25, 22,5 et 11 milliards d'euros.

De même, le secteur des télécommunications a été en 1999 et 2000 la proie d'une concentration extraordinairement dynamique, sur la base de valorisations prenant rapidement la forme d'une véritable bulle spéculative.

Ainsi, 6 des 12 OPA/OPE les plus importantes constatées entre 1998 et 2001 ont concerné le secteur des télécommunications, avec des transactions dont les valeurs atteignaient des proportions inédites, l'extraordinaire succès du marché de la téléphonie mobile dont la progression dépassait 40 % par an entre 1998 et 2000, entretenant l'illusion d'une croissance exponentielle et illimitée du marché.

II. - UN EFFORT D'AJUSTEMENT RÉEL MAIS INSUFFISANT

A.- UNE MODIFICATION DE LA GESTION

L'Etat et les entreprises publiques ont cherché à s'adapter à ces nouvelles contraintes.

1.- Un assouplissement des statuts

Si les entreprises publiques n'offrent pas une structure juridique homogène, leur statut étant varié et souvent évolutif, on peut néanmoins distinguer en leur sein :

- celles qui sont constituées sous forme de société commerciale, principalement des sociétés anonymes, parmi lesquelles France Télécom, Air France, Areva ou encore Giat Industries,

- de celles qui sont dotées du statut d'établissement public industriel et commercial (EPIC), comme la SNCF, EDF, Gaz de France ou La Poste, qui sont des personnes morales de droit public chargées de gérer des activités économiques répondant à une mission de service public.

Dans ce dernier cas, outre l'absence de répartition du capital en actions - l'équivalent des fonds propres est en effet représenté par une dotation en capital apportée par l'Etat - et leur exclusion des procédures de faillite et d'insolvabilité, l'une des conséquences majeures qu'emporte ce statut tient au principe de spécialité auquel sont soumis ces établissements publics.

Dans la mesure où ils constituent en quelque sorte des démembrements de la collectivité publique, il s'ensuit qu'il est dans leur nature même de n'avoir pour objet que celui qui leur a été spécialement attribué par leurs règles constitutives. Ces établissements publics sont ainsi privés de la possibilité de diversifier et donc d'étendre leurs activités.

Les compétences des EPIC peuvent parfois être définies de façon extensive - c'est notamment le cas de la SNCF, l'article 18 de la loi du 30 décembre 1982 d'orientation des transports intérieurs disposant que « cet établissement est habilité à exercer toutes activités qui se rattachent directement ou indirectement à [sa] mission ».

Depuis la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 relative à la nationalisation de l'électricité et du gaz, EDF a elle, pour objet principal de « produire, transporter et distribuer de l'électricité ».

Interrogé sur les origines de la stratégie de croissance externe adoptée par EDF au début des années 1990, M. François Ailleret 15, ancien président d'EDF International, soulignait que, dans la perspective de l'ouverture à la concurrence du marché de l'électricité, « il convenait de rechercher de nouveaux domaines de développement, (...) en essayant de trouver d'autres métiers en France, mais le principe de spécialité nous a quasiment bloqués ».

Certes, ce principe a parfois pu constituer un « bon garde fou », selon les termes de M. Edmond Alphandéry :

« Sans le principe de spécialité, il est probable qu'EDF se serait lancée dans l'aventure des télécommunications. Je me suis fortement interrogé et j'ai été très hésitant pour savoir si EDF devait s'engager dans ce secteur. J'ai fait réaliser trois études extrêmement approfondies par des banques conseils sur deux ans. J'ai conclu - en mon for intérieur, car dans l'entreprise tout le monde était loin d'être convaincu - qu'il ne fallait pas s'engager sur cette voie. J'aurais pu me tromper.

Or, tous les jours, je suis content que le principe de spécialité m'ait aidé à éviter cette aventure, surtout quand on considère les ardoises que les autres « électriciens » ont laissées dans les télécommunications. Conservons le principe de spécialité ; c'est un bon garde-fou. (...). Il faut éviter la concurrence avec d'autres entreprises de service public comme France Télécom, qui appartient en grande partie à l'Etat, et prendre garde aux dégâts possibles ».

Du reste, l'application du principe de spécialité a fait l'objet d'un certain assouplissement au cours de ces dernières années, au niveau tant jurisprudentiel que législatif.

Dans son avis du 7 juillet 1994 relatif à EDF et GDF, le Conseil d'Etat en a éclairé la portée, en précisant qu'il ne s'oppose pas par lui-même à ce qu'un établissement public, surtout s'il a le caractère industriel et commercial, se livre à d'autres activités économiques, à la double condition que ces activités annexes soient, d'une part, techniquement et commercialement « le complément normal » de sa mission statutaire principale et, d'autre part, que celles-ci soient à la fois d'intérêt général et directement utiles à l'établissement public.

En application de ces règles, le Conseil d'Etat a autorisé les deux établissements publics à s'introduire sur le marché de l'ingénierie, du traitement des déchets, et, s'agissant d'EDF, de l'éclairage public. Mais il a exclu que ces établissements puissent exercer des activités dans le domaine des réseaux câblés, de la télésurveillance, ou encore de la collecte et de la mise en décharge des déchets.

En outre, la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité, dans son article 44, a ouvert à EDF la possibilité d'exercer des activités complémentaires nouvelles afin de la mettre en situation de concurrence équitable par rapport à ses compétiteurs.

Ainsi, EDF peut désormais proposer aux clients éligibles, par le biais de filiales ou de participations, « une offre globale de prestations techniques ou commerciales accompagnant la fourniture d'électricité », comme par exemple la gestion d'installations thermiques ou les services d'ingénierie et de maintenance énergétiques. S'agissant des clients non éligibles, elle ne peut, en revanche, leur offrir que des « prestations de conseil destinées à promouvoir la demande en électricité », réserve faite de ce qui lui était déjà permis en matière d'éclairage public, de traitement de déchets ou d'opérations d'ingénierie.

Ce mouvement d'assouplissement comporte de toutes façons des limites.

En application de l'article 2 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications, les services financiers de La Poste demeurent par exemple limités aux « prestations relatives aux moyens de paiement et de transfert de fonds, aux produits de placement et d'épargne, à la gestion des patrimoines, à des prêts d'épargne-logement et à tous produits d'assurance ».

S'il n'estimait pas que son statut d'EPIC soit « un handicap », M. Jean-Paul Bailly a toutefois souligné que « les services financiers (...) contribuent aujourd'hui de manière positive aux résultats de La Poste, mais souffrent d'une faiblesse : leur clientèle est à la fois âgée et vieillissante. Chacun en connaît les raisons : La Poste ne dispose pas de la gamme complète des produits financiers et n'est pas en mesure d'attirer et de fidéliser la clientèle 25-50 ans par les prêts immobiliers sans épargne préalable ou par les prêts à la consommation, ce qui explique qu'un certain nombre de titulaires et de clients de La Poste, jeunes, finissent par la quitter, car elle n'est pas en position de leur offrir les produits correspondant à leur attente ».

De même, M. François Roussely a-t-il estimé, lors de son audition, que les possibilités limitées de diversification sectorielle pouvaient être préjudiciables au développement de l'entreprise, ou à tout le moins inéquitables par rapport à ses principaux concurrents :

« Les grands groupes industriels (...) se concentrent sur leur corps de métier (...).

Cela pose un autre problème, celui du maintien du principe de spécialité dans la concurrence. Nous devons pouvoir lutter à armes égales avec nos concurrents, ce qui signifie que l'évolution de ce principe doit se conduire de façon pragmatique, en accord avec les responsables de la filière électrique, qui sont nos partenaires depuis longtemps ».

Il est donc certain qu'aujourd'hui le principe de spécialité, inhérent au statut d'EPIC, n'est plus adapté à l'évolution du contexte concurrentiel et aux exigences accrues de la demande des consommateurs. Il constitue une entrave à l'expansion des entreprises publiques françaises.

2.- Une gestion plus flexible des personnels

En principe, les agents des entreprises publiques, quelle qu'en soit la forme juridique, relèvent d'un régime de droit privé, c'est-à-dire du code du travail.

En l'absence de statut général commun à l'ensemble des entreprises publiques, le Conseil d'Etat a en effet précisé, dans son avis du 16 mars 1948, que leur gestion devait s'exercer conformément « aux méthodes et aux usages suivis par les entreprises industrielles et commerciales de droit privé » . Leurs personnels sont en conséquence soumis au droit commun du travail, à l'exception toutefois du dirigeant et du comptable, si celui-ci a la qualité de comptable public.

La multiplication des dérogations et aménagements particuliers apportés à ce principe conduit, en réalité, à en nuancer fortement la portée.

La première des exceptions concerne les entreprises dites « à statut », dans lesquelles les conditions d'emploi et travail des salariés sont définies non par des conventions collectives, mais par un ou plusieurs actes réglementaires. Les agents de ces entreprises, qui comptent notamment la SNCF, la RATP et les industries électriques et gazières (EDF et GDF), sont de l'ordre de 550 000, soit près de 50 % des effectifs des entreprises publiques.

La seconde dérogation concerne les fonctionnaires qui bénéficiaient de ce statut avant la transformation de leur service administratif en entreprise publique. C'est notamment le cas de La Poste, dotée du statut d'exploitant national et juridiquement considérée comme un EPIC depuis la loi du 2 juillet 1990 précitée, qui compte encore près de 270 000 fonctionnaires.

Le statut des fonctionnaires en place a également été maintenu lors de la constitution de France Télécom en exploitant national par la loi du 2 juillet 1990, puis de sa transformation en société anonyme par la loi n° 96-659 du 26 juillet 1996 relative à la réglementation des télécommunications. Dans son avis du 18 novembre 1993, le Conseil d'Etat a en effet considéré qu'il était possible de conserver des fonctionnaires au sein d'une personne morale de droit privé dès lors, notamment, que l'entreprise remplit des missions de service public définies par le législateur. France Télécom conserve ainsi près de 140 000 fonctionnaires, soit environ 42 % des effectifs du groupe.

Les personnels des entreprises publiques relèvent donc de régimes juridiques variés et le plus souvent distincts de ceux des entreprises privées - seuls 20 % de leurs effectifs sont en définitive soumis au droit commun du travail -, ce qui constitue indéniablement une réelle source de complexité dans leur gestion courante.

M. Michel Bon a rappelé à ce titre que « les frais de personnel, dans une entreprise qui, comme c'était le cas de France Télécom, emploie des fonctionnaires, non seulement ne sont pas flexibles, mais sont promis à croître régulièrement au fil des augmentations du point de la fonction publique. Bien sombre était cette double perspective de recettes qui allaient baisser fortement et rapidement et de dépenses vouées à rester stables, pour ne pas dire plus ! »

Confrontée à de lourdes évolutions de son environnement concurrentiel et technologique, France Télécom a engagé une politique active de reconversion de son personnel, dont M. Jean-Louis Vinciguerra 16, ancien directeur financier, a rappelé l'ampleur lors de son audition :

« La société, je vous le rappelle, venait de la téléphonie fixe et souffrait de sureffectifs considérables. Pourquoi ? Tout simplement pour des raisons d'évolutions technologiques. Il faut en effet se rappeler que le passage des commutateurs électromécaniques aux commutateurs électroniques a rendu obsolète le travail de dizaine de milliers de personnes. Les anciens commutateurs étaient d'immenses machines composées de roulements à billes dans lesquels les agents mettaient de l'huile. Au total, près de 50 000 personnes ont donc dû être reconverties.

France Télécom avait le choix, et, en effet, elle aurait pu ne rien faire. Quelles en auraient été les conséquences ? Elle serait aujourd'hui une entreprise centrée sur le fixe, en déclin, avec un chiffre d'affaires en décroissance de 5 à 10 % par an, et sans capacité de réagir face à ses grands concurrents européens qui, un jour ou l'autre, finiront par racheter Cégétel ou Bouygues. En bref, France Télécom serait une société sans avenir et avec d'énormes sureffectifs.

France Télécom (...) était [donc] confrontée à une équation extraordinairement difficile. Elle l'a résolue en trouvant des relais de croissance dans les nouvelles technologies des télécommunications - le mobile, l'Internet et les transmissions de données - et en créant un ensemble paneuropéen. Cette démarche a en outre permis de reconvertir plus de 50 000 fonctionnaires en cinq ans, performance exceptionnelle. Tous ces fonctionnaires, provenant essentiellement de la branche réseau, qui allaient sur les poteaux ou qui mettaient de l'huile dans les roulements à bille des commutateurs, sont devenus des hommes de marketing et des responsables clientèle. L'effort de formation, vous l'imaginez bien, a été gigantesque. Au total, 8 000 à 10 000 personnes par an ont changé de métier ».

Outre le défi considérable qu'elle a pu représenter en termes de gestion des ressources humaines, cette démarche, dont votre Rapporteur souligne le caractère très positif, a par ailleurs permis de dégager d'importants gains de productivité.

Entre 1995 et 2001, les effectifs consacrés au réseau de téléphonie fixe ont par exemple décru de 50 %, tandis que le trafic doublait sur la même période. Aussi M. Michel Bon ne considérait-il pas comme « décisif » le statut des fonctionnaires, au regard précisément de l'importance des efforts consentis par le personnel et des gains de productivité réalisés pendant cette période :

« Le changement intervenu au sein de l'entreprise a été considérable. (...) En six ans, 70 000 salariés, soit plus de la moitié des personnels, ont radicalement changé de métier, ce qui représente un effort gigantesque et, à ma connaissance, sans équivalent dans l'histoire économique française. Il est évidemment plus facile de mettre au chômage 10 000  personnes et d'en réembaucher 2 000 correspondant au nouveau profil des postes que de reconvertir les salariés... Ce fut un énorme travail, et je dois rendre grâce aux salariés de l'avoir accepté. Voilà peut-être d'ailleurs un message d'optimisme pour une éventuelle réforme de l'Etat.

Cette évolution a permis - et cela me fournit l'occasion de répondre au passage à vos questions relatives au statut des fonctionnaires - une intense croissance de la productivité de l'entreprise, qui a doublé en six ans, si on l'exprime de la façon habituelle, c'est-à-dire en calculant le nombre de clients par salarié ! C'est en ce sens que je ne considérerai pas comme décisif le statut des personnels fonctionnaires. Je vois peu d'entreprises privées, avec tous les moyens du privé, qui soient parvenues à doubler leur productivité en six ans ! C'est une avancée gigantesque... Vous pourriez m'objecter que si nous l'avons fait, c'est parce que nous partions de très bas. Je vous répondrai en vous rappelant que France Télécom avait été continûment bien gérée par mes prédécesseurs, avec l'appui d'un corps d'ingénieurs solides, puissants et efficaces. C'est donc bien un effort gigantesque qui a été consenti et ses fruits n'en sont pas moins impressionnants ».

A un degré moindre, cette évolution est également perceptible à EDF, dont les effectifs sont passés de 119 000 en 1991 à 112 000 en 2002, et qui, selon M. François Roussely, « n'a, à aucun moment, relâché son souci de productivité qui trouve son prolongement dans l'évolution des tarifs, (...) les plus bas d'Europe ; au cours des années 1997 à 2002, ils ont diminué de 14 %, transférant sur nos clients 7,5 milliards d'euros de pouvoir d'achat ».

On observera cependant que plusieurs opérateurs européens ont, eux, choisi de renoncer au statut de fonctionnaire pour l'ensemble de leurs agents. C'est notamment le cas, en matière de services postaux, pour les Pays-Bas, l'Italie, la Suède, la Finlande, la Grèce ou le Portugal. De même, dans le secteur des télécommunications, M. Jean-Louis Vinciguerra a fait observer, lors de son audition, que « dans les autres pays européens, Deutsche Telekom, British Télécom, KPN ou Telefonica, en même temps qu'ils étaient introduits en bourse et que leurs activités étaient ouvertes à la concurrence, ont pu ajuster leur masse salariale et ne se sont d'ailleurs pas privés de le faire. »

Tout en conservant aux fonctionnaires leur statut, plusieurs de nos entreprises publiques ont choisi de recruter, de façon croissante, des personnels sous statut de droit privé, dès lors que cette possibilité leur était offerte, afin de disposer de davantage de souplesse dans la gestion de leurs charges d'exploitation. France Télécom avait la possibilité de recruter des fonctionnaires jusqu'au 1er janvier 2002, en application de l'article 29-1 de la loi du 2 juillet 1990 précitée : seuls 1 200 agents étaient dotés de ce statut sur les 136 000 recrutés pendant la période 1995-2001.

S'agissant de La Poste, l'article 31 de la même loi prévoyait que « lorsque les exigences particulières de l'organisation de certains services ou la spécificité de certaines fonctions le justifient, les exploitants publics peuvent employer, sous le régime des conventions collectives, des agents contractuels, dans le cadre des orientations fixées par le contrat de plan ».

Ces dispositions, ainsi que celles des contrats conclus avec l'Etat, pouvaient sembler a priori exclure que des contractuels puissent être embauchés pour des emplois permanents occupés par des fonctionnaires. Toutefois, constatant qu'elle appartient à un secteur très intensif en main d'œuvre peu qualifiée et que le salaire brut moyen des fonctionnaires est supérieur de 33 % à celui des contractuels d'exécution, La Poste a tiré parti de la relative imprécision des textes pour multiplier les recrutements de contractuels.

Lors de son audition, M. Jean-Paul Bailly a ainsi souligné que « La Poste n'embauche aujourd'hui que très peu de fonctionnaires (...), elle recrute essentiellement des agents de droit privé », son « personnel comptant 320 000 personnes, dont près d'un tiers est contractuel ».

Ceux-ci représentent en effet près de 25 % des effectifs totaux et 85 % des embauches d'agents d'exécution entre 1996 et 2000.

RECRUTEMENTS DE LA POSTE ENTRE 1996 ET 1999

fonctionnaires

contractuels

cadres supérieurs

298

995

cadres

323

1 557

maîtrise

19

3 112

exécution

6 313

34 791

Source : Rapport particulier de la Cour des Comptes sur la gestion des personnels de
La Poste, septembre 2002

L'existence de deux catégories de personnel pose bien évidemment un problème de gestion des carrières voire des retraites, qui ne pourra aller que croissant.

B.- L'ÉMERGENCE PROGRESSIVE D'UNE CULTURE DE COMPÉTITIVITÉ

1.- Le maintien des positions sur le marché intérieur

Malgré la concurrence, les entreprises publiques ont jusqu'ici su maintenir des parts de marché conséquentes.

Ainsi, à titre d'exemple, France Télécom peut, aujourd'hui comme hier, appuyer son projet industriel sur la rentabilité de son activité de téléphonie fixe. Celle-ci génère des marges que le groupe est parvenu à maintenir à 33 % de son chiffre d'affaires depuis trois ans et fournit, avec 5,5 milliards d'euros par an sur la période, les trois quarts des liquidités opérationnelles du groupe. Le groupe a ainsi pu stabiliser ses parts de marché, l'impact de l'ouverture progressive de la boucle locale en début d'année 2002 ayant été très vite maîtrisé (la part de marché passant de 97 % fin 2001 à 82,7 % en juin 2002 puis 80,9 % fin décembre 2002), et sa part dans le trafic longue distance demeurant stable (environ 64,5 %). Le groupe a su aussi moderniser son métier traditionnel, s'engageant par exemple dans le développement du haut débit dont le chiffre d'affaires a été multiplié par trois pendant la seule année 2002, pour atteindre 400 millions d'euros.

De même, EDF s'est adaptée aux mutations de la demande. Selon les termes de M. François Roussely, l'entreprise fait face à « l'accroissement de la demande de services de la part des grands groupes industriels qui souhaitent trouver chez l'électricien, non pas simplement la fourniture de quelques électrons, mais tout un service de maintenance de génie climatique, de génie thermique ».

A cet effet, EDF a créé, en décembre 1999, avec la société de négoce Louis Dreyfus, une filiale, EDF-Trading, dont elle détient 66 % du capital. Cette filiale gère ses activités de négoce de produits liés à l'énergie (électricité, gaz, charbon, pétrole). Installée à Londres mais destinée à couvrir toute l'Europe, EDF Trading réalise des transactions physiques ainsi que des opérations de couverture des risques et représente aujourd'hui une part croissante de l'activité du groupe, avec un chiffre d'affaires de 7 milliards d'euros en 2002.

En décembre 2001, EDF a également créé une filiale commune avec Dalkia 17, Endekia (dont EDF détient 50 % du capital), pour gérer les offres techniques et commerciales proposées aux clients éligibles en accompagnement de la fourniture d'électricité, conformément à la loi du 10 février 2000.

Concomitamment, les entreprises publiques ont, dans l'ensemble, mis en œuvre d'importantes baisses de tarifs. Ainsi, le prix des communications locales de France Télécom a diminué entre 1996 et 2001 de 60 % pour les entreprises comme pour les ménages. De même, malgré une ouverture beaucoup plus tardive et partielle de son secteur d'activité, EDF a assuré depuis 1995 une baisse du prix de l'électricité, qui est l'un des plus bas d'Europe sur l'ensemble des segments. Ainsi, le prix de l'électricité a diminué entre 1995 et 2001 de 19,1 % pour les PME-PMI et de 16,6 % pour les particuliers, tandis que l'indice général des prix augmentait de 7,6 %.

2.- Des progrès dans l'organisation interne

Le gouvernement d'entreprise désigne un système d'organisation du pouvoir permettant de garantir un meilleur équilibre entre les gestionnaires et les propriétaires du capital, les actionnaires, à travers des mécanismes de contrôles efficaces. Les faillites spectaculaires de Worldcom ou Enron en ont rappelé dernièrement toute l'importance. Dans son acception courante, ce terme s'entend du seul fonctionnement des organes délibérants : comme l'a rappelé devant la commission M. René Barbier de La Serre 18, « la base du gouvernement d'entreprise, c'est le conseil d'administration et la reconnaissance de son rôle comme lieu de discussion de la stratégie et de contrôle de la gestion, confiée, sous sa surveillance, au management ».

Si la France a été longtemps caractérisée par un certain retard en la matière - peut-être parce que, comme l'écrivait M. Jean Peyrelevade19, « les règles du « corporate governance » nous viennent des fonds de pension anglo-saxons et pour cette raison même nous agacent » - d'importants progrès ont été réalisés depuis quelques années, dans le prolongement du débat ouvert, à l'initiative du MEDEF et de l'AFEP, par les deux rapports Viénot, de 1995 et 1999, et plus récemment du rapport Bouton de septembre 2002 consacré au gouvernement des entreprises cotées.

Le secteur public n'a pas été exclu de cette évolution. M. Martin Vial 20, ancien Président de La Poste, a même considéré, lors de son audition, que « le secteur public est, en général,  en termes de gouvernance et de contrôle, plutôt mieux encadré qu'une grande partie du secteur privé. Si je me réfère au rapport Bouton de l'automne dernier ou au rapport Sarbanes-Oaxley aux Etats-Unis de l'été 2002, les propositions formulées visent à mettre en place des dispositions déjà largement en œuvre dans le secteur public. ».

Si votre Rapporteur ne partage pas l'optimisme de cette analyse, il constate qu'au cours de ces dernières années, la gouvernance des entreprises publiques s'est améliorée dans un certain nombre de domaines.

a) Le fonctionnement des conseils d'administration

Les organes délibérants des entreprises publiques sont investis de larges pouvoirs, assez proches de ceux des entreprises privées 21. En application de l'article 7 de la loi n° 83-675 du 26 juillet 1983 relative à la démocratisation du secteur public, tel que modifié par la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques, « le conseil d'administration ou de surveillance délibère sur les grandes orientations stratégiques, économiques, financières ou technologiques de l'activité de l'entreprise, notamment, le cas échéant, sur le contrat de plan ou d'entreprise, avant l'intervention des décisions qui y sont relatives ».

A titre d'exemple, et bien que l'on ne puisse malheureusement pas en dire autant de leurs acquisitions, comme on le verra ultérieurement, le cadre général de la stratégie de croissance des entreprises publiques a souvent fait l'objet d'un débat au sein des conseils d'administration, ce qui était loin d'être le cas auparavant.

Le nombre des réunions des conseils est allé croissant et se situe, du moins pour les grandes entreprises publiques, à un niveau sensiblement supérieur à celui des entreprises cotées, comme le montre le tableau ci-après.

FRÉQUENCE ANNUELLE DES RÉUNIONS DES CONSEILS D'ADMINISTRATION OU DE SURVEILLANCE

1999

2000

2001

2002

France Télécom

5

9

6

11

EDF

9

9

11

12

SNCF

12

15

11

11

RFF

8

10

10

8

La Poste

8

10

10

12

RATP

10

9

12

9

Moyenne des grandes entreprises cotées (1)

4-6

6

6

NC


(1) Source : Index Spencer Stuart 2002 des conseils d'administration et de surveillance

des grandes entreprises

Dans le même sens, la généralisation des règlements intérieurs des organes délibérants participe incontestablement de l'accroissement de leur rôle. A titre d'exemple, le règlement intérieur de Gaz de France fixe la liste des projets devant obligatoirement faire l'objet d'une décision du conseil, parmi lesquels les programmes de travaux et les projets d'emprunts à long terme au-delà d'un certain seuil, tandis que celui d'EDF définit assez précisément les décisions sur lesquelles le conseil doit être saisi pour délibération 22, le nombre minimum de réunions annuelles (fixé à neuf ) ainsi que les délais de transmission des dossiers aux administrateurs avant les réunions du conseil (dix jours en principe « sauf impossibilité »).

Dans certaines entreprises publiques, le règlement intérieur demeure assez succinct (SNCF) ; il est parfois inexistant (France Télécom).

b) Le développement des comités spécialisés

En application de l'article 90 du décret n° 67-236 du 23 mars 1967 sur les sociétés commerciales, le conseil d'administration peut décider la création de comités chargés d'étudier les questions que lui-même ou son président soumet pour avis à leur examen. Il fixe leur composition et leurs attributions. Qu'il s'agisse des comités d'audit, de la stratégie ou, plus rarement de nomination et de rémunération, leur rôle majeur tient à ce qu'ils permettent au conseil d'exercer un contrôle plus efficace, en instruisant de façon approfondie les dossiers qui seront soumis à son examen.

Le secteur public présentait traditionnellement un retard certain par rapport aux grandes entreprises privées, s'agissant en particulier des comités d'audit, mais le mouvement de création s'est accéléré ces dernières années.


Comité d'audit


Comité de la stratégie

Comité de rémunération et/ou de nomination

France Télécom

Créé en 1997

2003

2003

EDF

1999

2000

Areva

2001

2001

2001

SNCF

2000

Air France

1999

1999

2001

RATP

1999

Gaz de France

2001

1999

La Poste

2001

·  Le comité d'audit joue un rôle essentiel. Sa mission consiste principalement à examiner les comptes annuels et semestriels afin d'éclairer le conseil sur la fiabilité et la qualité des informations qui lui sont fournies. Dans certaines entreprises, par exemple EDF, GDF ou France Télécom, il se prononce également sur le choix des commissaires aux comptes, le programme de leurs travaux ainsi que sur celui de l'audit interne.

Ces comités se réunissent trois à quatre fois par an, soit un rythme proche de celui observé dans les entreprises du secteur privé. Dans le cadre de leurs travaux, les commissaires aux comptes sont régulièrement auditionnés, y compris hors de la présence de la direction.

Lors de son audition, M. Jean-Michel Charpin 23, administrateur d'EDF et président du comité d'audit, a ainsi dressé un bilan très positif du fonctionnement de celui-ci :

« L'assiduité y est extrêmement forte ; elle est même nettement supérieure à celle constatée au sein du conseil d'administration ainsi que des autres comités spécialisés. (...)  Au cours de ces dernières années, le comité d'audit a donc stimulé et accompagné la transformation des méthodes de gestion financière d'EDF. Je crois pouvoir dire que les progrès ont été très rapides et que l'intervention du comité d'audit a été importante pour accompagner ce mouvement. En matière de maîtrise des risques et de programme d'audit, nous sommes systématiquement consultés et pouvons faire des suggestions. Quand nous en faisons, elles sont acceptées, avec, pour le programme d'audit, un calendrier qui dépend de la charge de travail des équipes. »

Sur des sujets aussi complexes que l'application du nouveau règlement comptable sur les passifs en 2002 ou encore des différents accords conclus avec Fiat dans le cadre de la participation d'EDF dans Italenergia Bis (IEB), le comité d'audit a permis d'améliorer significativement l'information du conseil d'administration, et par voie de conséquence la qualité de son contrôle. Surtout, il apparaît que les comités d'audit ont joué un réel rôle d'alerte, permettant parfois de corriger certaines dérives.

S'agissant d'EDF, les observations du comité d'audit ont porté, dans un premier temps, selon M. Jean-Michel Charpin, « sur des dossiers ponctuels et sur les adaptations nécessaires du dispositif de comptabilité et de pilotage du groupe. Ensuite, à partir d'octobre 2001, le comité d'audit a systématiquement fait part au conseil d'administration de sa préoccupation face à la dégradation de la situation financière de l'entreprise et du besoin de mesures correctives ». Les comptes rendus du comité qui ont été communiqués à votre Rapporteur révèlent qu'à cette date, le comité s'est inquiété de « la situation de Light et d'Edenor [qui] paraît préoccupante et susceptible de construire à terme à la nécessité d'une recapitalisation » et a demandé à la direction que des informations financières détaillées sur ces filiales lui soient régulièrement communiquées.

En définitive, M. Jean-Michel Charpin a estimé que le comité d'audit avait eu « une influence indirecte forte sur le recentrage » du développement international d'EDF, en soulignant toutefois que « le débouché du comité d'audit est le conseil d'administration ; l'efficacité de ses avis dépend de la manière dont le conseil d'administration lui-même fonctionne. »

A France Télécom, le comité d'audit, qui s'est réuni 19 fois en 2002, a également alerté la direction, dès l'automne 2001, sur la situation de Mobilcom et de NTL et a porté une attention particulière à la transparence des comptes, s'agissant notamment des provisions pour dépréciation et des engagements hors bilan du groupe.

· Un comité de la stratégie a également été créé dans certaines entreprises publiques, parmi lesquelles Air France, la Snecma et EDF. Ce comité est chargé de produire pour le conseil des analyses et préconisations visant à renforcer la cohérence de l'entreprise, à développer les partenariats aux niveaux national et international et à maîtriser les perspectives d'évolution de son périmètre d'activités.

Si ces comités sont encore assez peu développés, les propos tenus par M. Jean-Marc Mauchauffée 24, administrateur représentant des salariés au conseil d'EDF, se sont révélés très encourageants quant à l'utilité de leur contribution aux travaux du conseil :

« Le fonctionnement du conseil d'administration a connu d'importantes évolutions depuis la création de ces comités. (...) En tant que membre du comité de la stratégie, j'ai pu avoir accès à certaines informations, mais aussi débattre, bien en amont des décisions du conseil d'administration, sur les grandes orientations du groupe. Je prendrai simplement pour exemple l'un des derniers débats du comité où, sans que le sujet ne soit inscrit à l'ordre du jour, nous avons discuté, au nom du conseil d'administration, de la nécessité d'avoir une stratégie sur les activités gazières en tant qu'énergéticiens  ».

Il reste que ces diverses améliorations n'ont pas empêché que les résultats de certaines entreprises se dégradent dans des proportions alarmantes. Ainsi, les efforts qui ont été faits en matière de management n'ont pas suffi à éviter des choix stratégiques qui se sont trop souvent avérés hasardeux. L'examen attentif de ces situations a révélé à votre commission l'existence de dysfonctionnements en interne et en externe qui sont inacceptables.

DEUXIÈME PARTIE : UNE GOUVERNANCE INADAPTÉE

I.- UNE CROISSANCE EXTERNE NON MAÎTRISÉE

La commission a souhaité analyser avec précision la stratégie et la procédure des acquisitions internationales conduites par France Télécom et EDF, compte tenu de leurs graves conséquences sur les comptes de ces deux entreprises 25.

On y retrouve peu ou prou les mêmes éléments : précipitation dans les acquisitions d'une très grande ampleur 26, attention insuffisante aux risques économiques, politiques ou géopolitiques, modalités de financement particulièrement imprudentes.

A.- DES CHOIX STRATÉGIQUES PRÉCIPITÉS ET RISQUÉS

Comme on l'a déjà indiqué, la concurrence croissante sur le marché intérieur a poussé bon nombre d'entreprises publiques à mettre en œuvre des stratégies externes de « compensation ».

· France Télécom

Jusqu'en 1999, la stratégie internationale de France Télécom a été empreinte d'une grande prudence. Elle reposait sur un partenariat équitable avec Deutsche Telekom, chaque opportunité d'acquisition devant être discutée puis menée en commun, pour mieux identifier et répartir les risques.

Les synergies étant limitées, l'alliance ne s'est pas révélée particulièrement fructueuse et ne s'est traduite, selon M. Jean-Louis Vinciguerra, « que par des réunions mensuelles des comités exécutifs des deux sociétés, à Bonn ou à Paris ». Cependant, la rupture de ce partenariat liée à la décision unilatérale de Deutsche Telekom de tenter de fusionner en avril 1999 avec Telecom Italia, sans aucune consultation de son partenaire français, a été ressentie très durement par France Télécom.

Elle plaçait en effet l'entreprise dans une réelle impasse stratégique, sans relais de croissance significatif hors de France, au moment même où sa part de marché sur son métier historique diminuait. En outre, le risque de marginalisation dans un secteur où la taille critique des entreprises ne cessait d'augmenter était manifeste.

Dans ce climat d'inquiétude, d'urgence et de doute, l'entreprise s'est lancée à partir de 1999 dans une croissance externe ambitieuse et désordonnée, en privilégiant l'accès aux marchés du Royaume-Uni et de l'Allemagne.

Ainsi, en juillet de cette année-là, France Télécom a voulu saisir l'opportunité de pénétrer le marché britannique en devenant l'actionnaire de référence de NTL. Certes, les justifications industrielles du projet étaient solides. Les réseaux câblés anglais, très performants et permettant de faire passer des communications voix et données, constituaient en effet la principale boucle locale alternative au réseau de British Telecom, offrant un accès à une large base de clients 27. De plus, NTL était dès l'origine conçu comme un moyen permettant, le cas échéant, de concourir à l'obtention d'une licence UMTS. Enfin, l'acquisition d'une participation minoritaire permettait de pallier le manque d'expertise du groupe en matière de contrôle de filiales étrangères.

En deux étapes, le 15 et le 26 juillet, le groupe a ainsi acquis, pour 5,5 milliards de dollars, 25 % du capital de NTL.

Cependant, dès l'automne 1999, l'offensive de l'opérateur mobile britannique Vodafone sur Mannesmann dessinait une nouvelle cible pour France Télécom susceptible de lui permettre de se constituer en opérateur paneuropéen. En effet, en cas de succès, Vodafone, déjà présent sur le mobile au Royaume-Uni, devait pour respecter les règles de concurrence se séparer d'Orange, troisième opérateur mobile britannique. L'intérêt affirmé de France Télécom pour cette opération ne l'a pas empêchée de concéder un nouvel investissement de 450 millions de dollars à NTL en décembre 1999. De même, lorsqu'en mars 2000, selon les informations fournies à votre Rapporteur par le ministère des finances, l'acquisition d'Orange constituait désormais une priorité stratégique pour France Télécom, le groupe a accordé son soutien à NTL dans le cadre de l'acquisition par cette dernière de la société Cablecom en Suisse en augmentant son exposition sur le câblo-opérateur britannique d'un montant de 1,85 milliard d'euros.

Au total, l'opérateur français a concédé des engagements de 8,122 milliards d'euros dans un investissement qui, dès le rachat d'Orange concrètement envisagé, perdait à peu près tout intérêt stratégique, et sur lequel, de surcroît, il n'exerçait qu'un contrôle minoritaire. La légèreté avec laquelle la direction de l'entreprise semble avoir analysé cette situation ne laisse pas d'étonner.

Expliquant pourquoi France Télécom n'avait « pas revendu NTL juste après l'acquisition d'Orange », en soulignant que le groupe en aurait probablement retiré 4 milliards d'euros, M. Michel Bon a invité la commission à « se souvenir que France Télécom valait à l'époque plus de 200 milliards d'euros en bourse ; or, vous ne regardez pas 4 milliards d'euros de la même façon quand vous pensez valoir 200 milliards d'euros que lorsque vous pensez en valoir 10 : c'est une évidence »...

Le caractère précipité de l'expansion internationale de France Télécom trouve une seconde illustration dans la stratégie poursuivie en Allemagne.

Dans un premier temps, France Télécom a porté son attention sur E+, troisième opérateur mobile allemand. Le projet semblait très prometteur, l'acquisition potentielle disposant d'une part de marché dynamique de l'ordre de 15 % du marché allemand des mobiles, d'un management de très bonne qualité et de résultats opérationnels en net progrès. A l'automne 1999, la direction a négocié avec les actionnaires des accords de cession portant sur 83 % du capital pour un montant global de 9,2 milliards d'euros. Cependant, alors que la transaction semblait sur le point d'être conclue, un autre actionnaire d'E+, Bell South, a exercé son droit de préemption en s'associant avec l'opérateur néerlandais de télécommunications KPN. Cette nouvelle déconvenue portait un dur coup à la stratégie de France Télécom et exposait l'opérateur à une sévère sanction des marchés financiers.

C'est dans ces circonstances difficiles qu'est intervenu le projet d'entrée dans le capital de Mobilcom. La société, créée en 1991 par M. Gerhard Schmid et cotée en bourse, était la deuxième société allemande de commercialisation de services mobiles (ne disposant pas d'un réseau propre, elle louait et revendait les minutes). Avec 8 % de parts de marché, elle était aussi le troisième opérateur de téléphonie fixe et un fournisseur d'accès Internet. Sa stratégie commerciale très offensive l'avait promue en emblème des start-up de la nouvelle économie allemande. En outre, Mobilcom constituait, pour France Télécom, une des dernières occasions de participer aux enchères UMTS à partir d'un actif disposant d'une base de clientèle.

Cependant, même au regard de ces atouts, les affirmations de MM. Bon et Vinciguerra, d'ailleurs sur certains points contradictoires, ne permettent guère de lever l'impression de confusion et de précipitation que laisse l'opération.

M. Michel Bon a en effet indiqué à votre commission que l'acquisition de Mobilcom avait été présentée au ministre, comme au conseil d'administration, comme une stratégie de repli en cas d'échec de l'opération E+. M. Jean-Louis Vinciguerra a au contraire suggéré que la découverte de Mobilcom était postérieure à cet évènement en expliquant [qu'« en conséquence de la perte d'E+, la branche mobile a proposé au comité exécutif une seconde option, Mobilcom, opérateur alternatif », ajoutant que « c'est d'ailleurs la banque Lazard qui a attiré notre attention sur l'intérêt de se porter acquéreur de cette société qu'au demeurant, nous ne connaissions pas ».

Les documents fournis à votre Rapporteur par le ministère des finances, comme ceux transmis par France Télécom, n'évoquent Mobilcom à aucun moment avant mars 2000, pas plus d'ailleurs que les procès verbaux du conseil d'administration de l'opérateur français. A l'évidence, la prise de participation d'un montant très élevé n'a pas fait l'objet d'une réflexion véritablement approfondie, alors même qu'elle recelait des risques considérables.

En mars 2000, France Télécom a ainsi investi 3,7 milliards d'euros pour prendre 28,5 % du capital, valorisant l'opérateur à 80 fois son EBITDA 28 (contre une valorisation boursière de l'ordre de 65 fois l'EBITDA avant les rumeurs relatives à l'opération), soit une prime de 570 millions d'euros. Cet apport, qui prenait d'abord la forme d'un prêt à garantie irrévocable, était dû par France Télécom, même en cas de non obtention de la licence UMTS.

En outre, dans le cadre d'un accord de coopération dont votre Rapporteur a pris connaissance, France Télécom s'engageait à apporter à Mobilcom, sans aucune limitation, le support financier nécessité par la participation au mécanisme d'enchères et au développement de l'activité UMTS en Allemagne. Plus grave, le 18 avril 2000, M. Michel Bon adressait une lettre à Mobilcom dans laquelle « France Télécom déclare de manière contraignante que les moyens financiers dont Mobilcom aura besoin pour l'acquisition de la licence et la fourniture de services au cours de la période 2000-2010 (sous réserve du respect du plan d'investissement et à concurrence de 10 milliards d'euros) seront mis à disposition ».

Ainsi, France Télécom se trouvait intégralement exposée au titre de l'ensemble des dépenses engagées par Mobilcom pour l'UMTS, pendant la validité de l'accord-cadre de coopération, auprès des créanciers de l'opérateur allemand et de ses fournisseurs d'équipements.

Cet engagement n'avait pas pour contrepartie une totale maîtrise de la stratégie du groupe. L'accord prévoyait certes une procédure de résolution des conflits avec M. Gerhard Schmid, à l'issue de laquelle France Télécom disposait d'une voix prépondérante sur les « décisions à caractère fondamental » (dont la définition était extensive) mais ce au prix du rachat des titres du fondateur historique de la société - rachat qui impliquait de lancer une OPA sur l'ensemble du capital de Mobilcom et de consolider sa dette.

En contrepartie de ces engagements, les risques portés par Mobilcom étaient considérables. Le plan d'affaires réalisé à l'appui de l'opération semble avoir été très imparfait.

Concernant tout d'abord le développement de l'UMTS, le prix des licences était estimé à 2 ou 3 milliards d'euros, alors même que le déroulement des enchères britanniques en mars et avril 2000, mettait en évidence l'inflation des licences. En août 2000, les licences allemandes atteindront 8,4 milliards d'euros, sans que France Télécom n'ait songé à se désengager alors même qu'elle avait investi deux mois plus tôt 43 milliards d'euros dans l'acquisition d'Orange.

De plus, le plan d'affaires reposait sur l'hypothèse de la présence de 5 opérateurs d'UMTS en Allemagne, ce qui, au regard des investissements nécessités par la mise en place des réseaux, était le maximum viable. A la clôture des enchères, 6 licences ont été attribuées...

Le financement du développement du réseau UMTS devait par ailleurs être assuré par le cash flow dégagé par les activités de Mobilcom.

Malheureusement, les activités de téléphonie fixe de l'opérateur allemand, qui constituaient une solide source de liquidités, étaient étroitement dépendantes des tarifs d'interconnexion déterminés par le régulateur allemand. Le relèvement de ces tarifs dès 2001 a compromis la rentabilité de ce segment, dont la marge d'exploitation est passée de 2,3 % en 2000 à 0,9 % en 2001 et est devenue négative en 2002. Parallèlement, les hypothèses relatives à la progression des services mobiles se sont révélées totalement erronées.

Par conséquent, les garanties apportées par Mobilcom étaient tout à fait insuffisantes au regard des engagements contractés par France Télécom. Le moins que l'on puisse dire est que l'entreprise a mis du temps à en prendre conscience.

Il aura en effet fallu attendre l'été 2002 pour que soient lancées deux missions d'audit sur les perspectives de l'opérateur allemand, lesquelles ont mis en évidence l'extrême fragilité de l'entreprise, la faible qualité de sa base de clientèle et l'impossibilité manifeste de rentabiliser l'investissement.

La direction de France Télécom n'était pourtant pas totalement ignorante des incertitudes que recelait cette acquisition. Dans une note adressée en date du 20 octobre 2000 aux membres du comité exécutif que votre Rapporteur s'est procurée auprès de France Télécom, M. Jean-Louis Vinciguerra évoque, en décrivant l'impasse du plan de financement du groupe, « le risque allemand, car la faiblesse de Mobilcom pourrait nous amener à financer l'intégralité de la licence UMTS et du déploiement du réseau ».

On rappellera en outre que, parallèlement à cette recherche de prise de participation majeure, France Télécom a également persévéré dans des acquisitions opportunistes, qui ne s'inscrivaient qu'à la marge de sa stratégie internationale. Même si leur intérêt industriel était souvent réel, elles accroissaient inutilement l'exposition de l'opérateur aux risques industriels et alourdissaient ses engagements financiers.

L'exemple de TPSA est éclairant. L'opérateur français s'est porté candidat à l'acquisition de l'opérateur historique polonais au moment de sa privatisation en septembre 1999. Certes, l'acquisition permettait de s'implanter sur le plus important marché de l'Europe de l'Est (40 millions d'habitants), avec une perspective de croissance particulièrement dynamique (plus de 5 % par an depuis 1997). TPSA détenait 90 % du marché polonais de la téléphonie fixe. En outre, l'opération permettait de prendre le contrôle du troisième opérateur mobile polonais (PTK Centertel) dans lequel France Télécom détenait depuis 1991 une participation minoritaire et ainsi de se porter candidat à l'attribution d'une licence UMTS.

A l'issue de négociations difficiles, le groupe français a donc acquis en consortium avec la société financière Kulczyck Holding, 35 % de l'opérateur polonais pour 3,2 milliards d'euros à la charge de France Télécom en novembre 2000, puis 8,93 % complémentaires en septembre 2001 pour 680 millions d'euros. Enfin, l'intégration de TPSA dans le périmètre consolidé du groupe le 1er avril 2002 a contribué à alourdir de 3,58 milliards d'euros la dette de France Télécom.

Encore une fois, même si l'investissement pouvait paraître séduisant, il est permis de s'interroger sur son ampleur (7,69 milliards d'euros auxquels il faut ajouter 1,5 milliard d'euros d'option de rachat accordé au partenaire et un programme d'investissement de 6,7 milliards d'euros sur 7 ans qui devrait cependant être dans sa très grande majorité autofinancé), à un moment où, du fait principalement de l'acquisition d'Orange, les capacités de financement du groupe étaient très largement saturées (avec un endettement supérieur à 2,7 fois les fonds propres) et où apparaissaient des signes évidents d'une crise boursière 29.

Que penser dès lors des déclarations de M. Michel Bon devant votre commission sur cette opération : « Il eût été préférable de l'interrompre mais le coup était parti... » ?

· EDF

Bien que conduite de manière beaucoup plus progressive, l'expansion internationale fait également l'objet de sérieuses réserves.

Le tournant de la stratégie externe d'EDF est intervenu de manière plus graduelle, entre 1998 et 2000. Jusque là, dans un marché caractérisé par une concurrence de plus en plus vive et une concentration dynamique, l'écart était manifeste entre les opportunités d'acquisition et les moyens mis par EDF dans son développement international. Les opérations recherchées étaient marquées par la prudence (participations minoritaires en partenariat pour partager les risques dans un contexte de création industrielle plus que de reprise d'immobilisations existantes).

Pour ne pas devenir « une grosse PME régionale », selon les termes employés par M. François Roussely, EDF a décidé de doubler fin 1998 ses investissements à l'étranger (soit 10 milliards d'euros investis fin 2000). Le contrat 2001-2003 conclu entre l'Etat et l'énergéticien le 14 mars 2001 a pris acte de ce virage stratégique en validant la stratégie soumise au conseil d'administration du groupe à l'automne 2000 : entre 2000 et 2005, le groupe envisageait de mobiliser 29 milliards d'euros pour sa croissance externe (dont 19 milliards d'euros entre 2001 et 2003).

Cette stratégie s'exposait, à l'instar de celle de France Télécom, à deux écueils.

- D'une part, les moyens consacrés à l'expansion internationale (19 milliards d'euros) n'étaient pas soumis à des critères définis en termes de parts de marché à acquérir et de retour sur investissement par type d'opérations. Le contrat de groupe mêlait en fait des objectifs précis : « le groupe EDF développera ses positions et acquisitions dans les pays voisins de la France, et principalement la Grande-Bretagne, Allemagne et l'Italie », et d'autres qui l'étaient beaucoup moins. En témoignent les termes du contrat de groupe :

« En dehors de l'Union européenne, plusieurs régions du monde offrent au groupe EDF des perspectives de valorisation de ses compétences et de son schéma de développement en Europe, en même temps que des perspectives de croissance supérieures.

L'Etat et EDF conviennent de consacrer une part substantielle des ressources du groupe EDF à ce développement, plus risqué mais de nature è augmenter sa rentabilité globale, en exerçant les métiers suivants ;

- énergéticien capable d'offres intégrées aux clients et contrôlant en tant que de besoin les ressources amont, dans deux zones : l'Europe centrale et orientale (PECO) et l'Amérique Latine (Mercosur avec le Brésil, l'Argentine, l'Uruguay, le Paraguay et les membres associés) ;

- concepteur, constructeur et exploitant de nouveaux moyens de production dans le monde avec des perspectives immédiates ciblées sur le Mexique, l'Asie, le pourtour méditerranéen et le Moyen-Orient. Les ressources nécessaires pour ce mode de développement sont plus limitées ».

- D'autre part, les moyens de financement restaient flous, dépendant, selon les termes même du contrat, « des efforts de productivité du groupe, [...] des ressources de gestion de bilan complétées, le cas échéant, par un appel aux marchés des capitaux propres ».

Ainsi, ni l'affectation des financements par grandes zones géographiques, ni leur impact sur l'endettement du groupe n'étaient précisés. Comme pour France Télécom, des dépenses considérables dans l'immédiat avaient implicitement vocation à être couvertes dans le futur.

En outre, le principe même d'une enveloppe globale était dangereux, le contrat se bornant à préciser que « les moyens consacrés à la croissance externe seront ajustés en fonction des ressources dégagées et de l'évolution de la rentabilité du groupe », sans définir de procédure concrète.

Les conditions de la montée d'EDF dans le capital de Montedison reflètent ainsi une prise de risque financière et juridique qui était à coup sûr excessive.

Fin avril 2001, alors que la situation d'équilibre qui caractérisait l'actionnariat de Montedison (conglomérat italien diversifié dans l'énergie, les assurances et l'industrie agro-alimentaire) est devenue instable, EDF a voulu saisir cette opportunité, ayant pour objectif à terme de reprendre sa filiale Edison, deuxième électricien italien.

Les premiers achats de titres ont eu lieu le 30 avril 2001 et le 16 mai, EDF avait déjà racheté près de 20 % du capital de Montedison, pour un montant global de 1,13 milliard d'euros, soit une prime de 25 % par rapport aux prix cibles par action déterminés par les analystes financiers et de 40 % par rapport aux cours prévalant en janvier 2001 30, avant les premières rumeurs sur l'instabilité du capital du groupe italien. Or, le groupe avait fait montre d'une indifférence apparente à deux risques considérables, l'un politique et l'autre économique.

- En premier lieu, une prise de participation dans une société italienne ne pouvait manquer de soulever les critiques très vives des autorités publiques et des opérateurs italiens, au moment même où les débats sur la libéralisation du secteur de l'énergie gagnaient en intensité.

Dès le 24 mai 2001, un décret-loi (loi dite « 301 ») limitait de fait à 2 % les droits de vote des entreprises publiques - EDF était évidemment directement visée - au capital des sociétés opérant dans le domaine électrique et gazier.

Concomitamment, afin de ne pas envenimer les relations entre les gouvernements français et italien, il est apparu indispensable de limiter la participation dans Montedison d'EDF, qui se trouvait ainsi exposée au risque d'être marginalisée dans le conglomérat.

Si les mesures adoptées par les autorités italiennes apparaissent critiquables au regard du droit communautaire, elles étaient loin d'être imprévisibles, et il est inacceptable qu'elles n'aient pas été anticipées par EDF. L'entreprise aurait pu à tout le moins solliciter l'expertise de son actionnaire et ce d'autant plus que le prix élevé de la participation (1,13 milliard d'euros), incluant une prime supérieure de 46 % aux cours prévalant avant les premières rumeurs spéculatives, ne pouvait se justifier que par une réelle prise de contrôle permettant de recentrer Montedison sur ses actifs énergétiques.

Pour sortir de cette situation de blocage, EDF s'est trouvée contrainte de s'associer à plusieurs partenaires au sein d'une holding dénommée Italenergia (IEG) pour lancer une OPA sur Montedison le 2 juillet 2001, dans des conditions peu satisfaisantes d'un point de vue patrimonial.

En effet, EDF mettait dans la holding les 20 % de Montedison qu'elle détenait. En contrepartie, elle recevait 18 % d'IEG (valorisés à 571 millions d'euros) et, en complément, elle obtenait de FIAT la propriété de la société de services énergétiques Fenice. Cette dernière était valorisée à l'occasion de l'échange à 500 millions d'euros. Quelques mois plus tard, à l'occasion de l'établissement des comptes 2001 de l'électricien français, la valeur actualisée de Fenice a été ramenée à 43 millions d'euros...

- En second lieu, le montant de l'investissement initial, considérablement alourdi par des engagements hors bilan complémentaires, apparaît très élevé au regard des risques économiques que recèle l'activité d'Edison.

Les documents transmis à votre Rapporteur par le ministère des finances soulignent en effet que, lors de la montée au capital en mai 2001, ni la rentabilité de l'investissement, ni son impact sur la rentabilité du groupe n'ont été clairement déterminés.

Malgré ces incertitudes, EDF a souscrit divers engagements en juin 2002 vis-à-vis des autres actionnaires d'IEB pouvant la conduire à racheter en 2005 tout ou partie des actions pour 3,7 milliards d'euros, auxquels s'ajoute la garantie d'une émission obligataire d'IEB, soit un engagement hors bilan de 1,3 milliard d'euros exigible en 2007. Enfin, la dette d'Edison, qui devrait être consolidée en cas de prise de contrôle, dépasse 7 milliards d'euros. Au total, les engagements hors bilan atteignent 5 milliards d'euros, avec une exposition potentielle pour le groupe de 14 milliards d'euros (avec consolidation de la dette et amortissement du goodwill).

En contrepartie de ces risques, les garanties apportées par Edison restent ténues. Il est incontestable que cette opération constituait la seule possibilité pour EDF d'entrer rapidement et significativement sur le marché électrique italien, lequel, parce que les prix de l'électricité y sont très élevés, est une priorité stratégique pour le groupe. Cependant, les dividendes de cet investissement tardent à se concrétiser, Edison ayant affiché en 2002 une perte nette de près de 700 millions d'euros, contre 600 millions d'euros en 2001...

Un autre exemple d'anticipation et de prise en compte tout à fait défaillantes du risque est constitué par la prise de contrôle d'Edenor en juillet 2001.

EDF était présente en Argentine depuis le début de la décennie. En 1992 EDF International et ses partenaires, regroupés au sein du consortium EASA, avaient acquis 51 % des actions d'Edenor, entreprise de distribution d'électricité de la partie nord de Buenos-Aires, le solde du capital étant détenu par le gouvernement argentin (39 %) et le personnel de la société (10 %). EASA était contrôlée par EDF International et l'électricien espagnol Endesa qui détenaient chacun 33 % des actions avec droit de vote, aux côtés du groupe industriel argentin ASTRA (25 %) et de la banque JP Morgan (8 %).

Entre 1996 et 1999, EDF international est montée dans le capital à la fois d'Edenor et d'EASA en rachetant les actions que l'Etat argentin détenait dans Edenor, et celles des autres actionnaires dont JP Morgan. Ces opérations ont permis à EDF International de porter le niveau de son contrôle sur l'entreprise de 25 % à 27,3 %, ses droits économiques (droits aux dividendes) passant de 5 % à 31,5 %.

Puis, comme l'a décrit M. François Roussely à votre commission, « en mars 1999, Endesa, notre collègue espagnol, a pris le contrôle d'Enersis, une entreprise chilienne qui présentait la caractéristique de détenir l'autre moitié d'Edenor. Cette dernière, comme son nom ne vous l'indique peut-être pas, traite la moitié nord de Buenos-Aires. Edesur était détenue par une entreprise chilienne, laquelle est devenue une filiale d'Endesa ; Endesa étant aussi avec nous dans Edenor. Le projet du gouvernement argentin consistant en une société pour le nord, une autre pour le sud de Buenos-Aires, se trouve quelque peu mis en échec.

Au fur et à mesure - on le voit en mars-avril 1999 - Endesa projette son développement en pensant à Edesur plutôt qu'à Edenor. Notamment, elle crée une société de services. Elle conçoit son développement selon des critères totalement différents des nôtres. Dans le courant du printemps 1999, des aléas climatiques engendrent plusieurs pannes sur le réseau de Buenos-Aires qui nous font entrevoir la nécessité de faire des investissements pour sécuriser les réseaux. Nos amis d'Endesa se disent favorables à la distribution de dividendes, non à l'investissement. Nous commençons à voir poindre des conflits dans la gestion d'une entreprise, remarquable par ailleurs à tous égards. En 1999, à un moment où la situation de l'Argentine n'était pas du tout celle que l'on connaît aujourd'hui, à un moment où il était inscrit dans la constitution qu'un peso égalait un dollar, les préoccupations d'Endesa étaient d'une toute autre nature que les nôtres. C'est pourquoi nous avons pressenti les difficultés à poursuivre une collaboration. D'ailleurs, certains des observateurs faisaient valoir que les participations minoritaires qu'EDF détenait dans Edenor, Light au Brésil, ou ailleurs, n'étaient pas viables sur la durée. Lorsque l'on arrête des choix d'investissements dans la durée, il est préférable de s'en assurer le contrôle.

L'audit que nous avons fait réaliser au printemps 2000 a conforté l'idée que nous devions investir et qu'il fallait fixer des modalités de gouvernance un peu plus sérieuses. Au cours du début de l'année 2000, nous avons donc commencé à négocier avec Endesa, négociations difficiles qui ont abouti, à la fin de l'année 2000 - au début 2001 ».

Le protocole d'accord disposait d'un rachat de l'intégralité des titres disponibles sur la base d'un investissement d'EDF de 1,04 milliard de dollars.

Cette somme doit être rapprochée des risques de l'acquisition, tenant principalement à la situation argentine qui dès le printemps 2001 était extrêmement fragile. En effet, le protocole d'accord initial ne prévoyait aucune couverture du risque de change alors même qu'Edenor supportait une dette considérable de 529 millions de dollars. Pourtant, en mars 2001, les notations financières argentines avaient été brutalement dégradées par les agences de notation et l'éventualité d'une crise de change était très sérieusement évoquée par l'ensemble des observateurs économiques. Les interventions du ministère des finances entre avril et mai 2001 ont cependant permis à EDF de négocier des dispositifs additionnels afin de partager entre les parties à la transaction jusqu'à fin décembre 2001 le risque d'une dévaluation du peso, les vendeurs acceptant le cas échéant de reverser 50 % des conséquences chiffrées de celle-ci et d'élargir la couverture à la dette d'Edenor.

Malgré ces précautions, suite à la crise du peso argentin en décembre 2001 31, les importantes participations détenues en Argentine par EDF, qui atteignaient alors 1,6 milliard d'euros en titres, ont connu une forte dépréciation, dont l'incidence a été d'autant plus grande que la loi d'urgence économique du 6 janvier 2002 a imposé une « pésification des contrats » 32, avec une dévaluation du peso de 29 %. Or la garantie prévue par le protocole de rachat des titres d'Edenor visant à couvrir le risque de change n'a pu être mise en œuvre, Endesa contestant le fait que la crise de change soit prise en compte avant le 11 janvier 2002, comme le défend EDF. Une procédure judiciaire a donc été engagée.

En dépit de résultats d'exploitation satisfaisants sans hausse tarifaire, le résultat net d'Edenor en 2002 est négatif de 307 millions d'euros en raison principalement des effets de change. Les prévisions établies en avril 2001 par le groupe tablaient sur une rentabilité sur fonds propres de 13,7 %.

Dans ces conditions, comment ne pas souscrire à l'appréciation portée par M. Edmond Alphandéry qui rappelait que dès 2001, « l'on voyait déjà se profiler la crise du currency board. Sans doute, des dispositions auraient pu être prises pour amortir le choc. Elles ne l'ont pas été et l'entreprise a enregistré des pertes très importantes. C'est moins l'investissement et la décision d'investissement qui sont en cause que la gestion de la crise. En effet, en Argentine comme au Brésil, la plupart des grandes entreprises internationales, françaises, européennes et américaines sont présentes. Des pays émergents comme la Turquie, la Thaïlande ou le Brésil, affichent de forts potentiels de développement avec, en contrepartie, des crises régulières qu'il faut savoir gérer : il faut assurer une gestion du risque de change et se couvrir lorsque la tempête arrive, s'assurer d'un soutien politique suffisant, (ce qui aide considérablement), partager les risques avec des personnes qui peuvent vous aider à traverser la crise le moment venu, etc. Les gestions de crise sont compliquées, mais l'expérience prouve que les grandes entreprises y parviennent ».

Votre Rapporteur ne peut que regretter qu'une entreprise de l'expérience et de la taille d'EDF, qui se doit de bâtir un avenir paneuropéen, voire mondial, ait fait preuve dans cette affaire d'une réelle et surprenante imprudence.

B.- UN FINANCEMENT TRÈS IMPRUDENT

1.- La faiblesse des ressources

L'expansion internationale qu'on vient d'exposer exigeait une capacité de financement considérable pour France Télécom comme pour EDF. Elle leur a manqué à toutes deux. De fait, l'Etat n'a pas joué correctement son rôle d'actionnaire.

De 1997 à 2002, France Télécom lui a versé 2,7 milliards d'euros de dividendes et EDF 2,4 milliards d'euros de dividendes et intérêts des dotations en capital ; les recettes générées par les ouvertures successives du capital de l'opérateur de télécommunications se sont élevées à 12,4 milliards d'euros. En retour, l'Etat n'a procédé à aucune dotation en capital au profit des deux opérateurs. Il est donc permis de s'interroger sur une politique patrimoniale dont M. Michel Bon a dégagé abruptement les principes en indiquant n'avoir « jamais eu l'audace de penser que l'Etat allait apporter de l'argent et cela faisait aussi partie des règles du jeu. Je savais, et nous le savons tous, que mon actionnaire était impécunieux ». La législation européenne ne fait pourtant nullement obstacle à ce qu'un Etat engage, en investisseur avisé, une politique de valorisation patrimoniale qui implique, comme il est naturel dans le cycle des affaires, des dotations en capital ayant vocation à être couvertes par les bénéfices dégagés par les investissements.

A titre d'exemple, même si l'hypothèse n'a guère été évoquée à l'époque et se heurtait à de sérieuses difficultés pratiques, on peut regretter que l'Etat n'ait pas contribué à hauteur de sa participation - que le précédent Gouvernement estimait indispensable de maintenir à au moins 51 % du capital - à l'augmentation de capital consécutive à l'acquisition d'Orange en juillet 2000. Un tel effort aurait permis d'augmenter les fonds propres de l'entreprise, allégeant considérablement le fardeau de sa dette.

Cependant, il est évident que la situation des finances publiques, ainsi que l'extrême prudence qui doit présider aux dotations provenant des contributions des citoyens, limitent les concours que l'Etat peut accorder, d'autant plus que l'acceptabilité du risque « imposé » par l'Etat au contribuable, est inférieure à celle qu'un actionnaire privé peut accepter pour lui-même. Si les nationalisations de 1945 ont répondu à bien des égards à l'incapacité du marché à financer les grands travaux d'infrastructure, les contraintes croissantes qui pèsent sur les finances publiques rendent aujourd'hui impératif le recours aux marchés financiers.

Le moins qu'on puisse dire est que l'Etat n'a pas facilité les choses aux deux opérateurs historiques.

S'agissant d'EDF, les directives ambitieuses en matière de croissance externe n'ont pas été assorties d'une ouverture du capital. M. François Roussely en a présenté les enjeux à votre commission :

« Notre situation financière réclame que nous soyons attentifs sur la durée - pratiquement une décennie - à deux éléments : la diminution continue de notre excédent brut d'exploitation et le problème de nos fonds propres. Je mentionnerai quatre chiffres : 13 milliards de fonds propres, 25 milliards de dettes, 48 milliards de chiffre d'affaires et 145 milliards d'immobilisations. Treize milliards de fonds propres et 25 milliards de dettes face à 48 milliards de chiffre d'affaires montrent bien que, dans une industrie lourde comme la nôtre, la question n'est pas de savoir si nous sommes surendettés, mais de constater que nous sommes plutôt sous capitalisés ».

Mais c'est surtout pour France Télécom que l'impécuniosité de l'Etat et son refus d'ouvrir plus largement le capital de l'entreprise ont entraîné des conséquences très graves.

En effet, la contrainte légale qui imposait que la participation de l'Etat dans France Télécom soit supérieure à 50 % du capital a empêché l'entreprise de financer ses acquisitions par des échanges d'action au contraire de ses principaux concurrents.

Il est vrai, comme l'ont dit devant votre commission MM. Michel Bon et Jean-Louis Vinciguerra, que pour les principales acquisitions du groupe, dont principalement Orange, les vendeurs exigeaient du « cash » et n'auraient donc sans doute pas facilement consenti, pour diverses raisons, à un paiement par des titres France Télécom.

Cependant, cet argument n'est pas totalement convaincant. Votre Rapporteur constate en effet que la soumission de France Télécom aux exigences des vendeurs tenait précisément à l'absence de flexibilité de son capital. Dans le cas d'Orange, qui a contribué de manière décisive à l'explosion de l'endettement du groupe, Vodafone devait se séparer de sa filiale britannique en la mettant en bourse à l'été 2000 afin de se conformer aux règles de la concurrence. M. Jean-Louis Vinciguerra a souligné que la direction de France Télécom savait « et les personnels d'Orange l'ont confirmé, que KPN et DOCOMO envisageaient de fusionner avec Orange en lançant une offre publique en cash et en papier sur Orange dès ses premières cotations ». Dès lors, si France Télécom ne se conformait pas aux conditions posées par le vendeur pour conclure une « offre préemptive en mai, Orange était perdu pour toujours ». A l'inverse, sans la règle des 51 %, il aurait sans doute été possible d'attendre cette cotation pour lancer une offre publique d'échange d'actions sur Orange. La capitalisation de France Télécom, sans commune mesure avec celle de KPN, lui assurait un avantage compétitif décisif.

2.- Des plans de financement incertains

En l'absence de dotation en fonds propres et sans possibilité de solliciter l'épargne privée, les entreprises publiques n'ont pas eu d'autre choix que de recourir à l'endettement, dans des proportions d'autant moins raisonnables que la présence de l'Etat dans le capital des entreprises a considérablement atténué la vigilance des créanciers sur l'équilibre de leur bilan.

· France Télécom

L'endettement net de l'entreprise est passé de 14,6 milliards d'euros fin 1999 à 61 milliards d'euros fin 2000, 63,4 milliards d'euros en 2001 et 68 milliards d'euros en 2002, tandis que les capitaux propres consolidés s'effondraient de 33,2 milliards d'euros en 2000 à - 9,9 milliards d'euros en 2002.

Deux données sont révélatrices :

- les charges financières nettes sont passées de 0,68 milliard d'euros en 1999 à 2 milliards d'euros en 2000, 3,85 milliards d'euros en 2001 et 4 milliards d'euros en 2002, grevant aujourd'hui 27 % du résultat d'exploitation avant amortissement contre 7 % trois ans plus tôt, alors que le rapport jugé souhaitable afin d'obtenir une notation A inférieur ou égal est de 20 %.

- la dette financière nette rapportée à l'EBITDA, qui mesure la capacité de l'entreprise à rembourser sa dette par les flux de trésorerie tirés de l'exploitation, dépassait 4,5 fin 2002, contre 1,5 en 1999, le ratio jugé soutenable à long terme étant inférieur à 3.

La perte de contrôle de l'endettement de France Télécom doit être rapprochée de l'ampleur des risques que recelait son plan de financement.

M. Michel Bon a décrit à votre commission la manière dont France Télécom l'envisageait.

« Nous avions réalisé des acquisitions pour environ 60 milliards d'euros, ce qui représente, à l'évidence, une somme énorme ! Nous nous proposions de refinancer ces acquisitions de quatre façons. Premièrement, nous envisagions de céder des actifs, pour environ 20 milliards d'euros, sachant que nous avions en portefeuille, au minimum, la société américaine Sprint, qui valait à cette époque plus de 10 milliards d'euros, plus deux ou trois autres choses. Deuxièmement, nous comptions tirer de la mise en bourse d'Orange 15 milliards d'euros, soit 15 % d'une société que nous évaluions à 100 milliards d'euros, étant précisé qu'au moment de l'élaboration du plan de financement, le marché l'estimait plutôt aux alentours de 150 milliards d'euros. Troisièmement, 15 milliards d'euros devaient provenir, l'Etat ayant accepté de laisser diluer sa participation pour retomber autour de 53 % du capital au moment de l'acquisition d'Orange, de la remise sur le marché d'actions France Télécom à un prix de 100 euros - nous les avions émises à environ 140 euros. Le solde, une dizaine de milliards d'euros, était couvert par un accroissement de l'endettement. »

Votre Rapporteur constate que ce plan souffrait de plusieurs faiblesses :

- En premier lieu, il s'appuyait quasi-exclusivement sur des ressources futures. En effet, les cessions d'actifs, l'introduction en bourse des filiales et la remise sur le marché d'actions étaient des opérations qui, par définition, prenaient du temps. Au regard des montants en jeu, l'entreprise se plaçait ainsi dans la situation de devoir réussir coûte que coûte des opérations dans ces conditions.

Ainsi, à titre d'exemple, l'engagement de racheter les actions données à Vodafone lors de l'acquisition d'Orange, pour 15 milliards d'euros, a rendu indispensable la mise en bourse de la filiale mobile de France Télécom. Cette opération s'est réalisée au moment où tous les éléments du déclenchement d'une crise sur le marché des mobiles étaient réunis, en février 2001.

Dans ces circonstances, France Télécom, du fait d'une demande très insuffisante (le 6 février 2001 l'offre n'était couverte qu'à 70 %), a dû dans la précipitation revoir à la baisse le prix des actions mises en vente qui s'est finalement établi à 10 euros. Ce prix d'acquisition valorisait ainsi Orange à 48 milliards d'euros, contre une estimation de 70 à 80 milliards d'euros par les banques du syndicat chargé du placement des actions. Compte tenu du prix décaissé par France Télécom en août 2000 pour l'acquisition d'Orange Royaume-Uni (36 milliards d'euros après prise en cause de l'ajustement à la baisse négocié avec Vodafone début 2001) et de la valeur intrinsèque des activités mobiles françaises ajoutées au nouvelle ensemble Orange, France Télécom a subi une perte patrimoniale de l'ordre de 4 milliards d'euros.

Par conséquent, sur les 15 milliards d'euros prévus, France Télécom n'a retiré que 6,4 milliards d'euros de la vente d'actions Orange. Pour couvrir le rachat des actions à Vodafone venant à échéance en mars 2001, l'entreprise a en outre dû compléter la vente des actions par une émission d'obligations échangeables contre des actions Orange pour 3,1 milliards d'euros, opération extrêmement risquée puisque le cours de conversion était de 12,70 euros à échéance de février 2003 (soit 33 % au dessus du prix d'introduction de l'action) et, qu'entre temps, l'entreprise devait verser un intérêt de 2,7 %.

De même, la seconde ressource envisagée, la remise sur le marché des actions France Télécom émises lors de l'augmentation de capital en juillet 2000 à 140 euros et détenues en autocontrôle, plaçait l'entreprise dans un véritable piège stratégique. La claire conscience qu'avaient les marchés du fait que leur vente était une nécessité vitale pour l'entreprise nuisait à la fois à leur placement et au niveau du cours boursier de l'opérateur. Ainsi, la direction ayant eu l'imprudence en 2001 de déclarer qu'elle placerait ces actions au cours de 80 euros, le cours était de fait plafonné à un niveau inférieur, les actionnaires sachant que le dépassement de ce seuil entraînerait une injection massive de titres.

- En second lieu, l'ensemble de ces sources de financement était dépendant d'un paramètre unique : le niveau et l'évolution des cours du marché des télécommunications c'est-à-dire, en dernière analyse, de la durée de la bulle boursière de la nouvelle économie. Comme l'a résumé M. Michel Bon :

« Plusieurs événements ont cependant perturbé nos prévisions. D'abord, nous n'avons pas pu, en raison de l'extrême complexité de la chose, réaliser la fusion des affaires mobiles de France Télécom au sein d'Orange aussi vite que nous le souhaitions. Au lieu de mettre en bourse Orange, au mois de novembre 2000, nous avons dû attendre février 2001. Mais le marché avait déjà beaucoup baissé, si bien qu'au lieu des 15 milliards d'euros espérés, nous n'avons tiré de l'opération que 6 milliards d'euros, ce qui fait quand même une grosse différence ! Ensuite, la remise sur le marché des actions France Télécom s'est révélée impossible, également en raison de la chute des marchés, ce qui s'est traduit par la disparition de 15 milliards d'euros supplémentaires. Enfin, les 20 milliards d'euros attendus des cessions d'actifs se sont réduits, du fait de la baisse des cours, à 8 milliards d'euros environ - Jean-Louis Vinciguerra a dû vous préciser le chiffre exact. C'est donc bien la chute des marchés qui a complètement obéré notre plan de refinancement. »

Sans vouloir « refaire l'histoire » et tout en comprenant que France Télécom se devait d'être présente sur un marché international en pleine expansion, votre Rapporteur ne peut que constater qu'au regard de l'ampleur des engagements un minimum de prudence aurait dû s'imposer.

- Or, le plan ne prévoyait aucune réelle marge de sécurité.

Ainsi, le produit anticipé de la vente d'actifs, 25 milliards d'euros, se fondait sur les perspectives les plus optimistes.

De même, si, comme l'a affirmé M. Michel Bon, la direction du groupe avait «  imaginé de remettre les actions de France Télécom détenues en autocontrôle sur le marché à 100 euros, bien qu'elles aient été cotées, au moment de leur émission, à 140 euros et qu'elles aient même progressé, après l'acquisition d'Orange, pour atteindre 160 euros », le seuil de sécurité, 100 euros, était extrêmement élevé au regard des performances de long terme du cours boursier de l'opérateur.

- Enfin, et c'est évidemment le plus grave, le plan de financement ne couvrait pas un nombre considérable d'engagements dont le risque de réalisation ne faisait pas même l'objet d'une évaluation.

L'insuffisante rigueur constatée dans le financement d'ensemble des acquisitions a en effet été aggravée par une accumulation de montages financiers complexes différant des engagements d'un montant de presque 20 milliards d'euros, liés au fait que l'entreprise n'était pas en mesure de mobiliser immédiatement les ressources nécessaires.

On décrira l'engagement le plus important concernant l'acquisition d'Orange en mai 2000, mais des montages similaires ont été bâtis pour d'autres opérations (Equant, TPSA, Cablecom...). L'achat de 43,2 milliards d'euros (ramené à 35,4 milliards d'euros en février 2001) était financé pour moitié en cash (21,5 milliards d'euros) et pour moitié par échanges d'actions (18,1 milliards d'euros). Mais, sur ce dernier point, France Télécom s'engageait à racheter les actions données au cours minimal de 104 euros 33. Il ne faisait guère de doute que le vendeur exigerait la réalisation de ces options de rachat, M. Jean-Louis Vinciguerra ayant expliqué à votre commission qu'« il acceptait d'être actionnaire à plus de 10 % de France Télécom, mais ne souhaitait pas garder ce statut plus de deux ans. Il nous demandait par conséquent de nous engager à les racheter dans l'éventualité où il lui serait impossible à l'avenir de les vendre sur le marché ». Et, en raison de la chute de la bourse à partir de l'automne 2000, le risque que le groupe français soit contraint de payer en cash 100 % d'Orange s'est réalisé, avec deux versements à Vodafone de 6,631 milliards d'euros et de 4,973 milliards d'euros en mars 2001 et 2002.

En sus de ces engagements, France Télécom assumait des risques hors bilan de l'ordre de 15 milliards d'euros liés en particulier aux deux opérations suivantes :

- Les engagements contractés avec Mobilcom représentaient un risque potentiel de l'ordre de 12 milliards d'euros, qu'ils soient liés à l'hypothèse d'une faillite (et donc de la reprise de la dette), ou à celle d'un financement intégral, à la charge du groupe, de la mise en œuvre de l'UMTS en Allemagne.

- De plus France Télécom s'était engagée par diverses voies à hauteur de 7 milliards d'euros dans NTL.

Enfin, France Télécom a accumulé entre 1999 et 2001 des écarts d'acquisition 34 de 39 milliards d'euros, qui portent un risque de dépréciation si les perspectives de croissance des sociétés acquises doivent être revues à la baisse. Au total, en 2001 et 2002, France Télécom a dû constater 11,31 milliards d'euros de perte de valeur sur son goodwill.

La plus grande partie de l'endettement et des engagements hors bilan était contractée dès la fin de l'année 2000, alors même que, dès l'automne, le plan de financement prévu était sérieusement obéré par la chute des cours. M. Jean-Louis Vinciguerra a reconnu devant votre commission :

« Tout cela nous inquiétait, moi en particulier. C'est pourquoi j'ai rédigé au mois d'octobre 2000, à l'attention de mes collègues du comité exécutif une note décrivant précisément les risques. J'y rappelais que notre plan de financement était orthodoxe, mais que, du fait de la volatilité des marchés, du report du lancement de l'UMTS, et du risque que représentait déjà Mobilcom, il était prudent d'arrêter les frais ».

Votre Rapporteur s'est procuré auprès de France Télécom la note évoquée. Elle marque une claire conscience de la gravité de la situation, concluant que « le groupe est à l'extrême limite de ses possibilités financières ».

Pourtant, la politique menée par le groupe après cette date est restée en contradiction avec cette appréciation.

- Les plans successifs de désendettement présentés par la direction se sont en effet révélés de moins en moins réalistes, alors même, comme le rappelait M. Thierry Breton 35, président de France Télécom, que « l'écart entre l'endettement prévu dans le plan de financement proposé en mai 2000 et les résultats à la fin de chaque année atteignait 26 milliards d'euros en février 2001, 36 milliards d'euros en septembre 2001, 43 milliards d'euros en mars 2002 et 47 milliards d'euros en novembre 2002 ». Les programmes définis reposaient sur une évaluation très imparfaite des engagements hors bilan et un optimisme exagéré, notamment sur la revente d'actifs non stratégiques 36.

Ce manque de rigueur et de transparence des plans de désendettement du groupe a nui à sa crédibilité auprès des marchés, aboutissant à la grave crise de confiance qui a atteint son paroxysme entre le 1er janvier et le 24 juin 2002, période durant laquelle le cours s'est effondré de 75 %.

- En parallèle, les efforts de redressement consentis par France Télécom sont apparus très insuffisants. Le groupe retenait ainsi, en 2001, un programme d'investissement de 9 milliards d'euros, supérieur à celui réalisé en 2000 (7 milliards d'euros) et 1999 (5 milliards d'euros).

Enfin, France Télécom a accordé une attention tout à fait insuffisante à son équilibre financier. Ainsi, lorsqu'à l'été 2002, la dégradation de sa notation financière exposait le groupe à une crise de liquidités, l'entreprise éprouvait des difficultés à répondre aux questions des services du ministère des finances relatives à des notions aussi fondamentales que le niveau des fonds propres sociaux, l'attention de la direction étant tout entière mobilisée sur les problématiques exclusivement opérationnelles.

Les marchés, malgré leur rôle décisif à l'été 2002, n'ont joué que tardivement leur rôle de signal d'alarme. Ainsi, si les agences de notation ont continûment dégradé la note de France Télécom entre 2000 et 2002, elles lui ont cependant accordé assez longtemps une notation relativement privilégiée au regard de l'évolution de sa situation financière et de la crédibilité de ses plans successifs de désendettement. Cette mansuétude n'a fait que desservir l'entreprise, qui s'est paradoxalement trouvée fragilisée et non pas confortée par la présence de l'Etat.

Les propos de M. Elie Cohen donnent un élément d'explication à cette situation :

« Dès lors que l'on a ouvert le capital de France Télécom et fait entrer des actionnaires minoritaires, on pouvait penser que l'actionnaire privé, investisseur privé, allait servir d'aiguillon à l'actionnaire public et que l'on allait donc connaître, d'une certaine façon, le meilleur des deux mondes : la gestion publique avec ses qualités et l'incitation, l'aiguillon du marché, pour pousser l'entreprise à être plus efficace.

Or, le cas de France Télécom nous a montré que l'on arrivait au résultat rigoureusement inverse, puisque la mixité d'actionnariat faisait que l'actionnaire privé considérait l'Etat comme l'actionnaire ultime, et dès lors il n'avait pas de réel contrôle à opérer sur l'entreprise. Considérant qu'il s'agissait d'une quasi-entreprise privée, le management de l'entreprise estimait qu'il n'avait pas de comptes particuliers à rendre à l'Etat actionnaire, quoique majoritaire. A partir de ce modèle, il n'est pas compliqué de comprendre les dysfonctionnements massifs intervenus dans le cas de France Télécom au cours de la période récente ».

· EDF

Même si les chiffres sont très en deçà de ceux qu'on vient de citer pour France Télécom, la situation d'EDF est devenue préoccupante.

Son endettement net est en effet passé de 17,6 milliards d'euros en 2000 à 25,8 milliards d'euros en 2002 (+ 26,5 % en 2001 et + 16,2 % en 2002), couvrant 2,3 fois l'excédent brut d'exploitation, les frais financiers représentant 19 % de l'EBE contre 13 % en 2000.

A ces chiffres, il convient d'ajouter des engagements qui, bien qu'ils n'apparaissent pas au bilan, constituent une réelle dette contractée par l'opérateur. Figurent parmi ces engagements, ceux relatifs aux investissements italiens qui représentent une charge potentielle de 4,8 milliards d'euros d'ici 2005, à laquelle il convient d'ajouter 3,4 milliards d'euros d'engagements consentis à OEW dans le cadre du pacte d'actionnaire relatif à EnBW 37 signé le 26 juillet 2000. En outre, les engagements au titre des retraites, qui seront évoqués ci-après, pourraient prendre la forme d'un versement libératoire aggravant l'endettement net du groupe.

Cette évolution est d'autant plus inquiétante que la nature de l'activité d'EDF, en particulier la construction et l'exploitation des centrales nucléaires, lui impose de limiter de manière préventive son endettement, lequel a vocation à être lourdement sollicité lors de la prochaine phase de renouvellement du parc nucléaire.

Pour France Télécom comme pour EDF, ces erreurs de stratégie, ces montages financiers hasardeux, cet endettement inquiétant se sont produits parce que rien, au sein de ces entreprises, n'a pu les arrêter, tant les procédures normales de prise de décision et de contrôle ont été dévoyées.

II.- UNE INSUFFISANTE RIGUEUR DANS LE PROCESSUS DE DÉCISION

La critique s'adresse à cet égard aussi bien aux entreprises publiques qu'à l'Etat.

A.- UNE ORGANISATION MANAGÉRIALE DÉFECTUEUSE

M. Michel Bon a clairement assumé, au cours de son audition, la responsabilité des « erreurs d'investissements », comme il les a qualifiées, qu'ont été les achats de NTL et de Mobilcom.

D'une manière générale, sa gestion est apparue à votre commission comme assez emblématique des dysfonctionnements qu'a connus le management des entreprises publiques ces dernières années. Cette constatation traduit le manque de cohérence des structures de direction de France Télécom et leur inadaptation à l'évolution de l'entreprise.

L'exposé de M. Jean-Louis Vinciguerra a montré que les décisions prises de manière extrêmement décentralisée laissaient une autonomie considérable aux directeurs de branches opérationnelles :

« Sur le plan des procédures internes, le groupe France Télécom est organisé autour d'un comité exécutif et de cinq branches opérationnelles - la téléphonie fixe grand public, la téléphonie mobile, l'Internet grand public, la branche Entreprises et la branche Réseau - qui gèrent les activités en relation avec le client, chacune des branches faisant travailler plusieurs dizaines de milliers de personnes. Il existe en outre trois directions fonctionnelles, qui n'ont pas autorité sur les activités : les ressources humaines, la finance et le contrôle de gestion, et enfin le développement, lequel assumait la responsabilité de la stratégie, de la recherche et développement et de l'informatique. Ces trois branches fonctionnelles, qui sont transversales et ne disposent pas de pouvoir de décision, ont pour rôle de conseiller les branches opérationnelles et le président dans leur domaine respectif.

Cette organisation est classique pour les grands groupes, je peux en témoigner pour avoir passé vingt-trois ans chez Pechiney. Cependant, elle s'accompagnait chez France Télécom d'une forte décentralisation, les directeurs de branches opérationnelles ayant énormément d'autonomie. Cela tenait à la philosophie de gestion du président de France Télécom, qu'il avait expérimentée chez Carrefour, et qui l'avait conduit à accorder de considérables délégations à ses directeurs opérationnels ».

Cette décentralisation a manifestement nui à la cohérence du groupe et n'a pas été jugulée par des mécanismes efficaces de régulation interne.

M. Jean-Louis Vinciguerra a souligné le poids considérable des directeurs de branches, les qualifiant de « véritables grands barons ».

Il a ajouté :

« Lorsque le groupe s'est lancé massivement dans le mobile en Europe, avec l'acquisition d'Orange, la branche fixe a souhaité à son tour développer son activité à l'international, par l'intermédiaire de l'énorme projet en Pologne. La branche Internet, pour sa part, a voulu racheter Freeserve, en Grande-Bretagne, pour se constituer à son tour un empire paneuropéen, tandis que la branche entreprise portait son choix sur Equant.

Les différents directeurs de branches opérationnelles ont ainsi été victimes d'une sorte d'euphorie, chacun voulant se doter du prolongement international de son activité française ».

Cette analyse a été confirmée par M. Elie Cohen :

« La segmentation interne de l'entreprise, notamment la constitution en branches semi autonomes, conduit à un mécanisme pervers où le comité exécutif de l'entreprise se sent de moins en moins responsable de l'avenir de l'entreprise et devient de plus en plus une arène où sont développés et déployés des arguments en faveur de chacune des branches.

Lorsque j'interrogeais les dirigeants de France Télécom pendant ces périodes de folles acquisitions, j'étais frappé du peu de connaissances détaillées de nombre des dirigeants sur ce qui se menait dans l'entreprise, parce que, au fond, le Comité exécutif (COMEX) était devenu une instance où chacun plaidait pour sa branche particulière d'activité et où chacun cherchait à développer son activité au mépris de l'avenir du groupe ».

M. Michel Bon s'est pour sa part élevé contre ces assertions :

« Pour ce qui me concerne, mon expérience au Crédit agricole d'abord, à Carrefour ensuite, m'a conduit à penser que l'école de la décentralisation, de la responsabilité des hommes était plus efficace que l'autre ».

Et de poursuivre :

« Pour autant, décentralisation ne veut pas dire « baronnie » ni « autonomie quasi absolue ». Loin s'en faut ! Décentralisation signifie « responsabilités ». Chacun des membres du comité exécutif de France Télécom était sous mes ordres. Chacun suivait les objectifs que je lui fixais et me rapportait ce qu'il faisait ».

L'appétit d'acquisitions des branches opérationnelles n'est pas en soi anormal. Il est en effet logique que ces dernières se fassent les relais des projets les plus ambitieux, donc les plus risqués et travaillent avant tout à l'extension de leur périmètre.

L'essentiel est cependant d'éviter que cet appétit d'expansion ne se mue en « frénésie d'acquisitions » 38, et il appartient au président de mettre en place les mécanismes de régulation permettant d'assurer la cohérence du groupe et le respect par tous de ses intérêts essentiels. En cela, M. Thierry Breton rappelait qu'« un président d'entreprise est avant tout une machine à dire non ».

C'est sans doute cette faculté que M. Bon ne s'est pas mis en mesure d'exercer.

Les décisions d'acquisitions étaient très largement arbitrées en comité d'investissement lequel, selon l'ancien directeur financier du groupe « réunissait chaque mois tous les membres du comité exécutif, sans le Président ». Certes « les projets très importants étaient parfois directement adressés au comité exécutif. Il est ainsi évident qu'une acquisition comme Orange, d'une taille tout à fait considérable, devait passer directement devant le comité exécutif ». Mais au regard de la conception particulière que semblait avoir France Télécom des projets qui n'étaient pas « très importants », il n'est pas impossible que certaines acquisitions aient été décidées par un comité au sein duquel ne siégeait pas le président lui-même...

En outre, les directions transversales, au premier rang desquelles la direction financière, n'ont guère assuré au groupe une réelle cohérence de sa stratégie. Ainsi, M. Jean-Louis Vinciguerra a rappelé que « dans ces conditions, le rôle de la direction financière consistait à s'assurer de la cohérence des chiffres et des calculs de rentabilité, mais sûrement pas à porter un jugement, voire à contester les hypothèses relatives au marketing, aux parts de marché, aux technologies comme l'UMTS ; la direction financière n'ayant aucune compétence en matière de télécommunications ou de marketing, et quand bien même aurait-elle tenté de manifester une opinion, les grands « barons » l'auraient vertement rabrouée en lui rappelant que cela ne relevait pas de son métier. La direction financière contrôlait donc la vraisemblance des hypothèses et examinait si les valeurs des acquisitions telles qu'elles ressortaient de ces plans d'affaires étaient cohérentes avec les valeurs de marché des entreprises cotées comparables. Ensuite, le comité d'investissement prenait la décision ».

Ce cloisonnement rigide entre les directions opérationnelles et la direction financière ne pouvait être que désastreux. La direction financière s'est ainsi trouvée réduite au simple rôle de « pourvoyeur de moyens », recourant à des montages financiers habiles et tendus. On ne peut donc que se féliciter que le nouveau président ait procédé très vite en ce domaine à une réorganisation de l'organigramme de l'entreprise.

Il est un point que votre commission juge inadmissible. M. Michel Bon, malgré sa responsabilité assumée dans les sinistres de NTL et Mobilcom, a été rémunéré par France Télécom entre la date de sa démission et celle de son départ à la retraite le 30 juin 2003, disposant, comme l'a reconnu M. Thierry Breton, « de la rémunération qu'il avait auparavant ».

La commission se demande en outre comment cette décision a été adoptée par le « conseil d'administration dans son ensemble », et ce à l'initiative de l'actionnaire majoritaire. M. Thierry Breton a indiqué :

« je crois que cela a été fait - je ne vais pas être très précis - par le biais du comité de sélection et de rémunération. A ce moment-là, c'était M. Jouyet, directeur du Trésor, qui s'en est fait le porte-parole ».

Que « son expérience et sa connaissance du groupe » aient pu être utiles au nouveau président est sans doute possible. Mais le maintien pendant dix mois dans l'entreprise avec l'intégralité de sa rémunération antérieure d'un président qui a démissionné dans les conditions qu'on connaît n'est pas acceptable.

La justification de la rémunération de l'ancien directeur financier, M. Jean-Louis Vinciguerra jusqu'en mai 2003 est tout aussi contestable. M. Thierry Breton a en effet déclaré :

« M. Vinciguerra a joué depuis 2002 un rôle extrêmement utile. C'est à ma demande qu'il est resté chez France Télécom jusqu'au mois de mai 2003 car la complexité des dossiers à traiter rendait nécessaire que j'aie à mes côtés quelqu'un qui en connaisse les moindres détails. En particulier, l'ancien directeur financier a contribué efficacement au règlement du dossier Mobilcom dont lui seul connaissait l'ensemble des ficelles, des tenants et des aboutissants. Si l'on a pu en sortir, bien que cela ait été très douloureux pour l'entreprise, c'est notamment grâce à son travail à plein temps ».

Rémunérer un responsable pour démêler des « ficelles » qu'il a lui-même nouées trahit là encore une conception pour le moins contestable du principe de responsabilité.

Ces difficultés dans l'adaptation des structures de décision se retrouvent à EDF, dont l'organisation a été à plusieurs reprises modifiée, cette instabilité introduisant un facteur spécifique de fragilité qui ne pouvait que rendre plus difficile l'exercice des responsabilités.

Sans détailler les différentes réformes intervenues depuis quelques années, votre Rapporteur remarque que l'entreprise a été une première fois réorganisée en 1999 en deux pôles, « Clients » et « Industries », ce qui a emporté des conséquences majeures en matière internationale. Deux directions, « Europe » et « International », chargées d'assurer le suivi et la gestion des filiales, ont été créées et rattachées au seul pôle « Clients », tandis que la préparation et la négociation des projets de développement ont été confiées à une direction transversale.

Alors même que cette réforme ne devenait pleinement opérationnelle qu'au début de l'année 2000, une nouvelle modification est intervenue en janvier 2002, avec notamment la suppression des deux pôles « Industrie » et « Clients » et la création de neuf branches structurées en divisions géographiques et de métiers. Enfin, en février 2003 le comité exécutif a été réorganisé en une équipe resserrée, qui assure désormais le pilotage du groupe.

Ses éléments conduisent votre Rapporteur à souscrire aux conclusions du rapport particulier sur l'activité internationale d'EDF réalisé en décembre 2002 par la Cour des Comptes :

« La multiplication des réformes de structure est profondément déstabilisante pour les agents qui doivent les mettre en œuvre (...). Il est dommage que tant de réformes majeures d'organisation et de méthode aient concerné le secteur international depuis cinq années ; il est ex post permis de regretter que les réorganisations n'aient pas été plus rapides et plus nettes ».

En aval du processus de prise de décision, il apparaît que les grands groupes publics français n'ont pas su donner leur pleine efficacité aux outils de suivi des risques et d'audit existants.

Ainsi, à titre d'exemple, il est pour le moins surprenant, comme l'a reconnu M. Jean-Michel Charpin, que « le comité d'audit d'EDF n'a pas eu communication, depuis le début de ses travaux, d'une comptabilité analytique de l'entreprise - a fortiori le conseil d'administration non plus. Cela traduit un certain décalage chronologique entre l'expansion internationale du groupe et les outils de pilotage qui devraient être ceux d'une grande entreprise multinationale.

Je dirais d'ailleurs que ce problème ne concerne pas seulement l'international, mais aussi EDF maison-mère. Sans comptabilité analytique, cet énorme ensemble qu'est EDF n'est pas si facile à déchiffrer en termes de performances des différentes unités de production ou de distribution ».

De même, M. Martin Vial nous a rappelé que jusqu'en 2002, La Poste ne disposait pas d'une réelle comptabilité analytique lui permettant notamment d'isoler dans ses diverses activités ce qui relève du service public et ce qui ressort des activités traditionnelles.

Ces carences amènent à se poser la question de la légitimité et de l'évaluation des présidents d'entreprises publiques. Et il est clair que la situation actuelle contribue à les fausser.

On rappellera que les dirigeants des principales entreprises et établissements publics de taille significative sont nommés en conseil des ministres 39, la proposition éventuelle du conseil d'administration, comme elle est notamment prévue pour France Télécom, restant très largement formelle. Cette « onction » de la plus haute autorité du pouvoir exécutif confère à son bénéficiaire une autorité considérable, même si elle est bien sûr très sensible aux alternances politiques. Comme le résumait M. Daniel Lebègue « si le président se sent fort, il peut faire ce qu'il veut ; s'il se sent faible, il ne peut plus rien faire ».

Si l'on ajoute à ces données l'impact de la « consanguinité » entre responsables des entreprises publiques et de la haute administration, et les éventuelles relations directes que peuvent entretenir les présidents avec les ministres des finances, on comprend mieux comment certains d'entre eux ont estimé pouvoir se soustraire aux contingences prévalant dans une entreprise « normale », comme le passage devant un conseil d'administration...

Dans le cas des entreprises cotées ou de celles ayant vocation à l'être, le président doit bénéficier d'une autre légitimité : la confiance des marchés. Dans ce cas, le rôle de l'Etat se trouve fortement contraint et sa capacité à peser sur les choix de l'entreprise devient singulièrement limitée dès lors que la stratégie mise en œuvre par le président est portée par le jugement favorable des marchés.

Que peuvent en effet peser les observations des services de la direction du Trésor sur les décisions présentées par un chef d'entreprise reconnu et salué par les milieux d'affaires ?

B.- UN CONSEIL D'ADMINISTRATION SANS POUVOIR

Nécessaire contrepoids à l'autorité et à l'autonomie de la direction, le conseil d'administration constitue, comme votre Rapporteur l'a déjà souligné, un organe stratégique de la gouvernance des entreprises publiques.

Pourtant, tout au long de ses travaux, la commission a constaté qu'ils avaient souvent été dépossédés de l'essentiel de leurs attributions.

Elle a ainsi été sidérée d'apprendre qu'ils n'avaient pas toujours été consultés, loin s'en faut, sur des décisions stratégiques pourtant capitales.

· S'agissant d'EDF, pour les acquisitions internationales réalisées par le groupe, l'information et la consultation préalable du conseil paraissent, dans plusieurs cas, avoir été réduites à leur plus simple expression.

S'il reconnaissait que « le conseil d'administration [...] a été amené, beaucoup plus souvent, [qu'à France Télécom] à se prononcer sur les opérations, du moins sur leur principe », M. Nicolas Jachiet 40, ancien chef du service des participations et ancien administrateur d'EDF a affirmé que « dans de nombreux cas, les investissements ont été faits par EDF international, filiale d'EDF, et la décision précise était prise après accord des ministres compétents et du conseil d'administration d'EDF international, sans nécessairement passer en conseil d'administration d'EDF. » Ces propos ont d'ailleurs été confirmés par M. François Ailleret selon qui le conseil d'administration d'EDF étant « associé a priori à la définition de la stratégie de développement international,  on considérait que lorsque l'affaire était dans la ligne stratégique définie par le conseil d'administration et passait dans l'enveloppe, cela valait feu vert du conseil d'administration ».

De surcroît, lorsque ces décisions étaient soumises à l'examen du conseil d'administration d'EDF, cela n'était en règle générale que « par le biais d'augmentations de capital de sa filiale EDFI », comme l'a expliqué M. Alain Martin 41, administrateur représentant des salariés, c'est-à-dire le plus souvent après que les opérations ont été réalisées. Par exemple, le rachat du bloc de contrôle d'Edenor en juin 2001, pour un montant total de 1,2 milliard de dollars, alors que la situation macro-économique de l'Argentine s'était fortement dégradée depuis le début du mois de janvier, n'a été approuvé formellement par le conseil d'EDF qu'en novembre de la même année.

En définitive, selon Mme Michèle Rousseau 42, commissaire du gouvernement, « l'opération Edison [a] été a priori le seul investissement important à avoir été examiné par le conseil d'administration d'EDF », M. Jachiet ajoutant à cet égard que celui-ci a été « amené à délibérer sur les accords avec Fiat puis, plusieurs mois plus tard, de nouveaux accords avec cette société. A cette occasion, deux conseils d'administration et un comité d'audit se sont même tenus en 24 heures. »  Certes. Encore convient-il de préciser les conditions dans lesquelles a eu lieu  l'examen de ce dossier. Lors de la réunion du conseil d'administration du 2 juillet 2001, l'un des représentants de l'Etat a en effet regretté que celui-ci ne soit « sollicité qu'à la fin du processus seulement » et que « le paragraphe de la délibération présentée au conseil autorisant la finalisation des négociations entre FIAT et EDF lui semblait superflu dans la mesure où ces négociations [étaient] achevées ».

· Les dysfonctionnements constatés par votre commission se sont révélés plus graves encore s'agissant de France Télécom.

Lors de son audition, M. Jean-Louis Vinciguerra a en effet affirmé qu'« deux reprises, à propos de NTL et Mobilcom, Michel Bon n'[a] pas jugé nécessaire de réunir le conseil », ce qui a été confirmé par la suite par M. Michel Bon, sans qu'apparemment cette situation n'ait l'air de l'émouvoir outre mesure : « il n'y a eu qu'une information ou une décision - je ne sais - a posteriori du conseil d'administration ».

L'article 7 de la loi du 26 juillet 1983 et l'article 16 des statuts de France Télécom prévoient pourtant bien que celui-ci « détermine les orientations de l'activité de la société et veille à leur mise en œuvre » et « se saisit de toute question intéressant la bonne marche de la société et règle par ses délibérations les affaires qui la concernent ».

Etait-il dès lors inconcevable de considérer que l'acquisition d'une participation dans le capital de Mobilcom, dont le coût s'élevait à 3,7 milliards d'euros et qui prévoyait au surplus la participation de France Télécom au financement de l'acquisition d'une licence UMTS, appartenait à ces orientations qui intéressent « la bonne marche de la société » ?

Etait-il à ce point inimaginable de compter un investissement de 6,69 milliards de dollars dans NTL parmi ces «grandes orientations stratégiques, économiques, financières » sur lesquelles le conseil doit délibérer, en application de l'article 7 de la loi précitée, « avant l'intervention des décisions qui y sont relatives » ?

C'est du moins ce que l'on pourrait être tenté de croire au vu des propos tenus par M. Michel Bon en réponse aux interrogations de votre commission :

« Vous me direz qu'il n'était pas joli de ne pas en avoir reparlé au conseil d'administration (...). Je pense qu'il est erroné de voir en un conseil d'administration une sorte de mini-Parlement où l'on voterait à tout propos, pour établir des positions par rapport à une majorité ou à une opposition. C'est plus simplement un groupe d'hommes et de femmes qui s'efforcent de mener une entreprise là où ils pensent qu'il est bon de la mener ».

Pour Mobilcom, ce n'est que le 3 mai 2000 que le conseil d'administration a été saisi de l'investissement, et dans des circonstances pour le moins cavalières, par une remise sur table, en « points divers » de l'ordre du jour, d'une résolution portant sur l'émission par France Télécom d'une garantie au profit de la société Mobilcom Multimédia de 3,7 milliards d'euros dans le cadre des appels d'offre UMTS en Allemagne.

Ces situations ne semblent pas avoir surpris M. Michel Bon : « Si, au conseil d'administration de France Télécom, on votait assez fréquemment du fait de la présence des représentants du personnel, dans la plupart des conseils d'administration, on ne vote jamais. Le plus souvent, on se contente, si quelqu'un exprime un désaccord, d'en faire mention au procès-verbal. On est donc très loin de la démocratie représentative et ce serait une illusion d'optique que de penser que les entreprises sont gérées selon les modalités de la démocratie parlementaire ».

S'il est vrai que le gouvernement d'entreprise diffère de l'exercice de la démocratie représentative, on fera observer qu'au vu des procès-verbaux du conseil d'administration communiqués à votre rapporteur, celui-ci a été assez loin de voter « à tout propos » sur les projets de la direction...

Surtout, bien plus qu'un simple « groupe d'hommes et de femmes », le conseil d'administration d'une entreprise publique est d'abord le représentant des actionnaires ultimes, c'est-à-dire les soixante millions de citoyens-contribuables, qui détiennent, par l'Etat interposé, la propriété de ces entreprises. S'il en est ainsi, c'est parce que ces entreprises présentent un intérêt majeur pour la nation tout entière. Il est donc particulièrement choquant que le conseil d'administration puisse être ainsi mis à l'écart.

Les arguments avancés par l'ancienne direction de France Télécom sur la formalité inutile que constituait sa saisine, dès lors que l'Etat avait accepté les opérations, ont plus qu'étonné votre commission.

Ainsi, M. Jean-Louis Vinciguerra déclarait :

« Le débat du conseil d'administration était biaisé dans la mesure où les administrateurs savaient que la décision avait déjà été prise par le ministre. Cette présence d'un actionnaire majoritaire et les modalités de ses prises de décision donnaient donc un caractère artificiel aux discussions du conseil, les administrateurs sachant que « la messe était déjà dite ». (...) Dans ces conditions, le conseil d'administration devenait une formalité ».

L'explication est semblable pour M. Michel Bon :

« Le jour où le ministre me disait qu'il était d'accord, que voulez-vous que fasse le conseil d'administration ? Quelle légitimité avait-il à aller à l'encontre de l'avis du ministre ? Aucune. 

(...) Lorsque le ministre avait déclaré qu'il approuvait une opération, la messe était dite, car les onze représentants de l'Etat n'allaient pas voter contre. Au pire, s'ils n'étaient pas d'accord, ils pouvaient démissionner ! »

Pourtant, quand bien même l'accord du ministre aurait été obtenu - ce qui, on le verra, est loin d'avoir toujours été le cas -, ceci ne justifie pas de priver les organes délibérants d'un réel débat au cours duquel des observations, des oppositions ou des réserves auraient pu utilement être formulées sur les projets d'investissements.

Votre Rapporteur ne peut dès lors que rejoindre les propos tenus par le directeur du Trésor, M. Jean-Pierre Jouyet 43 : « il faut bien avouer que certains dirigeants d'entreprises publiques ont tendance à s'adresser directement au ministre, à considérer qu'une simple visite dans son bureau vaut approbation du conseil d'administration. Or une telle démarche ne saurait tenir lieu d'approbation et n'en tiendra jamais lieu, que l'entreprise soit publique ou privée ».

Ces carences graves sont cependant révélatrices des faiblesses que peuvent présenter aujourd'hui les conseils d'administration des entreprises publiques.

Leur effectif, leur composition, leur fonctionnement méritent d'être revus 44.

· En application de la loi du 26 juillet 1983, les conseils d'administration des entreprises publiques se caractérisent en effet par le nombre élevé de leurs membres 45. A titre d'exemple, celui de France Télécom en compte 21, auxquels s'ajoutent trois censeurs nommés par l'assemblée générale, le commissaire du gouvernement, le chef de la mission de contrôle économique, ainsi que les représentants de la direction, soit au total près d'une trentaine de personnes.

· Le statut de personnalités qualifiées pose également problème. Dans la mesure où l'Etat ne détient pas la majorité des voix au sein des organes délibérants, elles apparaissent, à bien des égards, comme « une contradiction dans les termes », comme l'expliquait très clairement M. Elie Cohen :

« L'Etat contrôlant majoritairement, voire à 100 %, une entreprise publique, il a besoin d'être majoritaire. S'il ne peut exercer son rôle d'actionnaire majoritaire, il a moins de pouvoir qu'un actionnaire minoritaire bien organisé dans une entreprise privée. Il a donc légitimement envie d'exercer son pouvoir. Pour l'exercer, il faut qu'il ait la majorité ; or, il ne l'a pas, puisque seul le tiers des administrateurs le représente directement. Il a donc la tentation de nommer des personnalités qualifiées, qui sont en fait des représentants de l'Etat.

De surcroît, les personnalités qualifiées entretiennent parfois avec les entreprises publiques des liens en contradiction manifeste avec les responsabilités qui leur incombent en matière de contrôle.

Et M. Elie Cohen de constater que : « non content de nommer des personnalités qualifiées qui sont des représentants de l'Etat, il le fait de la pire façon qui soit, car souvent il considère que c'est rendre service à l'entreprise que de mettre comme personnalités qualifiées, soit des fournisseurs, soit des clients de l'entreprise (...) ».

· Le dernier problème majeur des conseils d'administration est celui du respect, en leur sein, de la confidentialité des débats.

En application de l'article L. 225-37 du code de commerce, les administrateurs, ainsi que toute personne appelée à assister aux réunions du conseil d'administration, sont tenus à la discrétion à l'égard des informations présentant un caractère confidentiel et données comme telles par le président du conseil d'administration.

Ce principe a été transgressé à de nombreuses reprises.

S'agissant de France Télécom, M. Elie Cohen a en effet estimé qu'« un syndicat qui se sent moins lié par les règles de fonctionnement internes des conseils d'administration, SUD pour ne pas le nommer, a considéré qu'il était dans son rôle, dans son devoir et dans sa mission de porter sur la place publique les questions débattues.  Progressivement, le conseil d'administration a été vidé de toute mission et de toute instruction réelle ».

Si Mme Hélène Adam 46, représentante de la Fédération Sud-PTT a pour sa part assuré que « les administrateurs salariés n'ont jamais livré d'informations à caractère confidentiel à l'extérieur qui aient, soit mis en péril l'entreprise ou sa gouvernance, soit constitué des délits d'initiés », M.Michel Bon a confirmé que les représentants du personnel « n'observaient pas la règle de la confidentialité ». On peut dès lors comprendre aisément qu'il ait été parfois « assez difficile d'y débattre à l'avance d'hypothèses stratégiques dans la mesure où, dès le lendemain, ces dernières se retrouvaient publiées dans la presse, au risque d'en contrarier l'exécution ». Les conséquences en sont pourtant très graves dans le cas d'une entreprise cotée qui doit faire face à « une meute de spéculateurs aux aguets de la moindre information et prompts à l'utiliser pour faire aboutir leurs projets ».

Dans d'autres entreprises publiques, telles que la SNCF ou EDF, il semble que ce principe ait été davantage respecté, M. François Roussely indiquant par exemple n'avoir « pas eu à connaître de problème de confidentialité avec les organisations syndicales au sein du conseil d'administration ». Il semble qu'il n'en ait pas toujours été ainsi, puisque selon M. Edmond Alphandéry, pendant qu'il exerçait la présidence d'EDF, la confidentialité était « insuffisante ».

De ces situations diverses, il est certes difficile de tirer des conclusions générales sur le comportement adopté par les représentants du personnel dans l'ensemble des entreprises publiques. Il apparaît cependant que le principe même de leur élection peut être en contradiction avec le respect de la confidentialité, comme l'a fait valoir M. Michel Bon :

« Il faut en effet mesurer (...) qu'il s'agit d'administrateurs élus par le personnel. Or, qui dit « élection », dit « compte rendu », « responsabilités vis-à-vis de ses mandants », et je vois mal comment un élu pourrait dire à ses électeurs : « maintenant que vous m'avez élu, circulez, il n'y a plus rien à voir... ». Honnêtement, cela me paraît assez difficile, et je pense donc que le système en lui-même - mais c'est une opinion toute personnelle - aboutit inéluctablement à un manque de confidentialité ».

C.- LE CONTOURNEMENT DE L'ETAT ACTIONNAIRE

L'ancienne présidence de France Télécom a mis en avant l'accord de l'autorité de tutelle pour justifier que le conseil d'administration n'ait pas été saisi de certains projets d'acquisitions. Cet argument ne tient pas.

Le moins que l'on puisse dire est en effet qu'entre 1999 et 2000, les services du ministère des finances n'ont été que très imparfaitement informés des grandes décisions stratégiques prises par l'opérateur.

Cette situation est d'autant plus grave que la transformation de l'entreprise en société anonyme avait considérablement allégé les contrôles auxquels elle était soumise. La disparition de l'agrément préalable pour toute acquisition ou prise de participation rendait d'autant plus nécessaire que la direction veille à ce que son actionnaire majoritaire, qui engageait dans France Télécom plus de 60 milliards d'euros 47, soit informé dans des conditions satisfaisantes des options qu'elle prenait.

La direction de France Télécom semble avoir pratiqué à l'égard de son actionnaire majoritaire une information « sélective », au mieux incomplète, au pire inexistante, et dans la plupart des cas tardive et partielle.

L'acquisition d'Orange elle-même, pourtant décisive pour le groupe et engageant des sommes considérables, n'a pu être examinée par l'Etat dans des conditions totalement satisfaisantes. Tout d'abord, l'entreprise n'a annoncé sa volonté de négocier avec le vendeur que tardivement, empêchant l'Etat de recruter une banque conseil - ce qui apparaissait plus que nécessaire au regard des enjeux financiers - et plaçant ses services dans la dépendance complète des informations transmises par France Télécom. De même, la dégradation relative des conditions de la transaction négociée à l'issue des dues diligences les 27 et 28 mai 2000, qui aboutissaient notamment à réviser de 1,2 milliard d'euros à la baisse la valeur d'Orange, n'a été portée à la connaissance du directeur de cabinet du ministre que quelques heures avant la réunion du conseil d'administration du 29 mai 2000 pour avaliser la transaction.

Cependant, cette situation apparaît relativement satisfaisante quand on la compare aux circonstances ayant prévalu pour d'autres acquisitions. Ainsi, les services du ministère des finances ne semblent avoir été informés que quelques heures avant leur lancement des projets de prise de participation dans Mobilcom, NTL ou TPSA.

M. Nicolas Jachiet, alors chef du service des participations de l'Etat, s'est exprimé en ces termes :

« Le dossier Mobilcom est malheureusement plus insatisfaisant encore : seul le nom de l'entreprise m'a été mentionné dans un entretien avec M. Vinciguerra, par ailleurs consacré à beaucoup d'autres sujets. Je crois savoir qu'il a fait état de cet entretien lors de son audition par la commission. Mes notes de cette réunion ne consacrent à ce dossier que quelques lignes sur quatorze pages et demi. C'était la première fois que j'entendais parler de cette société que j'ai d'ailleurs mal orthographiée. Quant à la note préparatoire à l'entretien que le ministre a eu quelques jours après, elle portait sur de tout autres sujets et n'évoque pas Mobilcom. Nous n'avions pas compris qu'il y avait une volonté de l'entreprise de conclure rapidement. D'ailleurs, le sujet a été évoqué en deux minutes chez le ministre, parmi bien d'autres. J'ai relu, là aussi, mes notes d'entretien : le ministre n'a pas réagi sur ce point particulier. Quelques jours après, nous apprenions la conclusion, dans la nuit, de l'accord en question ».

Les documents transmis à votre Rapporteur par le ministère des finances suggèrent en effet que, si le principe d'une telle opération a été évoqué très brièvement lors d'un entretien à caractère général avec le ministre le 20 mars 2000, aucune décision n'a été prise à ce moment.

A l'occasion de cet entretien, une note 48 de France Télécom aurait été remise, présentant Mobilcom de manière générale, évoquant la proposition de France Télécom d'acquérir 25 à 30 % de l'opérateur mais précisant que « tout le schéma est en cours de négociation ».

Pourtant, dès le 23 mars 2000, le directeur financier de France Télécom informait la direction du Trésor qu'un accord avait été conclu dans la nuit avec Mobilcom et M. Gerhard Schmid son principal actionnaire. La description de l'opération fournie à l'Etat à cette occasion, dont votre Rapporteur a eu la teneur, omettait des engagements pourtant fondamentaux, en particulier celui de soutenir Mobilcom dans la construction du réseau UMTS. Selon les documents fournis par le ministère des finances, la teneur précise du pacte d'actionnaire ne sera d'ailleurs découverte que lorsque ce dernier sera transmis aux services du ministère, le 19 février 2002.

L'extrait du compte rendu relatif à l'intervention du représentant de la direction du Trésor au conseil d'administration du 3 mai 2000 mérite d'être cité dans son intégralité :

« Nicolas Jachiet note qu'il s'agit là d'un engagement lourd pour le groupe, non seulement du point de vue de la garantie apportée à Mobilcom, mais surtout du point de vue de l'incidence pour France Télécom de paiement de la licence UMTS dans l'hypothèse où la candidature de France Télécom associée à Mobilcom serait retenue en Allemagne. Il souligne la nécessité d'un plan d'affaires extrêmement sérieux à l`appui du prix que France Télécom et Mobilcom accepteront de payer pour cette licence.

Nicolas Jachiet souligne également un problème de méthode concernant la présentation de ce projet de résolution. S'agissant d'un sujet qui n'est pas une urgence de dernière minute, ce type de résolution devrait en effet être transmis aux administrateurs en avance et non pas remis sur table le jour du conseil d'administration.

Michel Bon lui donne acte de l'ensemble de ces remarques ».

Enfin, le ministère des finances n'affirme avoir eu connaissance qu'en février 2002, après que Gerhard Schmid en a évoqué l'existence dans la presse, de la lettre adressée le 18 avril 2000 par M. Michel Bon à Mobilcom dans laquelle France Télécom s'engageait à mettre à disposition de l'opérateur allemand, à concurrence de 10 milliards d'euros, les moyens financiers nécessaires à la mise en place de l'UMTS.

Et le dossier Mobilcom n'est pas une exception.

Concernant NTL, après que le ministre a certes manifesté un accord de principe à un investissement de l'ordre de 3 à 4 milliards de dollars le 8 juillet 1999, le ministère des finances n'a été informé de la conclusion de la première transaction (1 milliard de dollars) qu'à la suite de la publication d'un article du Financial Times, et de la seconde transaction (4,5 milliards de dollars) qu'après sa présentation aux analystes de la place de Londres.

La seconde montée de France Télécom dans le capital de TPSA en septembre 2001 a de même donné lieu à un traitement pour le moins léger de son actionnaire majoritaire.

L'investissement, d'un montant de 700 millions d'euros, mais qui augmentait de 4,5 milliards d'euros la dette de l'opérateur français 49, n'a été porté à la connaissance du ministère des finances qu'à sa demande expresse, suite à la parution de fuites dans la presse. En outre, l'opération n'a donné lieu qu'à une remise sur table, aux derniers instants d'une réunion du conseil d'administration, d'une garantie qui n'était qu'un élément annexe de la transaction mais valait, aux yeux de la direction, approbation de principe de l'ensemble de l'opération. On observera que les administrateurs représentant l'Etat issus de la direction du Trésor et de la direction du budget se sont abstenus - fait extrêmement inhabituel - sur cette résolution.

Certains engagements n'ont tout simplement pas été mentionnés par France Télécom à son actionnaire majoritaire.

Ainsi, selon les informations communiquées par le ministère des finances, l'Etat n'a en aucune manière été informé des conditions de l'achat de la participation d'E.On dans Orange Communications SA en Suisse, pour 1,299 milliard d'euros. Cette omission était d'autant moins acceptable que cette acquisition s'est faite à 75 % par la remise d'actions Orange SA que France Télécom s'engageait à racheter deux ans plus tard. Ce n'est qu'à l'occasion du dénouement de cette option début 2002 que l'Etat a découvert un engagement de 950 millions d'euros.

La situation pour EDF est malheureusement tout aussi insatisfaisante.

On ne saurait tout d'abord manquer de s'interroger sur les conditions de sa prise de participation dans le capital d'Edenor au printemps 2001. En effet, alors que M. Roussely, lors de son audition en juillet 2002 par la commission de la production et des échanges de l'Assemblée nationale, a indiqué n'avoir « jamais entendu évoquer dans l'entreprise une éventuelle opposition de la direction du Trésor à cette acquisition », M. Jean-Pierre Jouyet a pourtant très clairement affirmé devant votre commission que « le Trésor a fait savoir qu'il fallait attendre avant de réaliser cet investissement. Je tiens d'ailleurs à la disposition de cette commission mes annotations qui ont été faites sur ce projet. Le Trésor a donc fait savoir qu'il fallait attendre que la situation soit stabilisée, mais il n'a pas été suivi ».

Dans une note au ministre en date du 22 mars 2001, celui-ci observait que « les conditions d'information des pouvoirs publics sur cette opération importante n'ont été ni optimales ni conformes aux procédures habituelles. L'entreprise, qui négocie depuis plusieurs mois avec ses partenaires a informé les services du ministre de l'existence du protocole d'accord [signé avec Endesa] pendant le processus de signature. Même si ce projet est soumis à l'accord préalable des pouvoirs publics, la publicité qui a été donnée à sa signature rend difficile une renégociation de ses termes. Celle-ci semble pourtant nécessaire ». De fait, après avoir demandé au Président d'EDF International, le 4 avril 2001, de reporter d'un mois la réalisation de cette transaction, le ministre des finances a finalement confirmé son accord sur cette opération, en ajoutant deux conditions, acceptées par les parties : l'élargissement de la couverture du risque de change à la dette d'Edenor et l'allongement de la durée de celle-ci jusqu'à fin décembre.

Face à cette contradiction manifeste, M. Roussely a bien tenté d'expliquer que, lors de son audition par la commission de la production, il s'était uniquement exprimé « sur la position de la direction du Trésor devant le conseil d'administration d'EDF International », et non sur l'instruction du projet d'acquisition par les autorités de tutelle, dont il reconnaissait qu'il avait fait l'objet de réserves. Sa réponse a été la suivante :

« Vous avez rappelé mes propos devant la commission de la production et des échanges, selon lesquels « je n'avais pas connaissance de... ». Vous citiez la position tenue par le représentant de la direction du Trésor au conseil d'administration d'EDF International. J'ignorais cette position. François Ailleret, que vous avez entendu, vous a dit avec quel sens des responsabilités il présidait EDF International. La question que vous m'avez posée ce jour-là renvoyait directement au conseil d'administration d'EDF International ; je n'avais pas connaissance de cette position (...)

Le directeur du Trésor nous a écrit, début 2001, qu'il ne pensait pas le moment propice et estimait que les termes de la négociation n'étaient pas les plus appropriés. Nous lui avons répondu que nous pensions améliorer le projet, à la fois dans sa rentabilité et dans le partage des risques de change avec Endesa. C'est sur la base de cette réponse que le ministre nous a donné son autorisation. On peut décrire toutes les étapes d'une décision ministérielle sur ces sujets, avec les réserves des uns, les oppositions des autres, indépendamment de ce que M. Balligand relevait sur la position générale du Trésor.

Il n'y a pas contradiction dans mes propos. Encore une fois, je ne siège pas et je ne siégeais pas alors au conseil d'administration d'EDF International. Les débats qui ont eu lieu ont convaincu tout un chacun, puisque, en définitive, la position du Trésor et du ministère a été de nous donner l'autorisation. Je n'éprouve pas de difficultés à ce titre ».

On fera tout d'abord observer que M. Roussely siège bien aujourd'hui au conseil d'administration d'EDF International puisqu'il en assure la présidence depuis juillet 2002. Surtout, outre les conditions d'information pour le moins tardives des autorités de tutelle, il est surprenant que le Président d'EDF n'ait pas cherché à obtenir des informations sur les délibérations du conseil de sa principale filiale, EDFI, alors que le projet d'acquisition représentait un investissement de plus d'un milliard de dollars...

Les autorités de tutelle n'ont, de même, été informées qu'a posteriori de la prise de participation d'EDF dans le capital de Montedison - laquelle devait pourtant faire l'objet d'une approbation ministérielle en application du décret du 9 août 1953 - et d'une façon bien cavalière si l'on en croit les propos rapportés par M. Nicolas Jachiet, lors de son audition : « un jour de mai 2001, le directeur financier d'EDF m'a dit : « ce soir, nous allons atteindre 11 % de Montedison que nous achetons depuis quinze jours ».


Chronique d'une dérive : l' « affaire Montedison »

30 avril 2001 : Premiers achats de titres du groupe Montedison. EDF acquiert directement 2 % du capital d'Edison, puis le reste, soit 8,9 %, à des tiers par tranches de 2 %. Le coût de cette transaction s'est élevé à 594,4 millions d'euros.

11 mai 2001 : EDF informe la direction du Trésor avoir acheté indirectement « au cours de ces derniers jours » une participation de 10,9 % dans le capital de Montedison et annonce qu'elle entend monter jusqu'à 12 % - « peut-être dès aujourd'hui » - puis à 17 %. Le ministre de l'économie estime qu' « il n'est pas possible de tolérer ces dérives dans les investissements internationaux d'entreprises publiques alors que nous sommes surveillés de très près sur le marché européen ».

16 mai : EDF indique au ministre son intention de monter à 20 % du capital de Montedison « avant la fin de la semaine », puis à 33,33 % afin « de détenir une minorité de blocage ». La direction du Trésor demande à l'entreprise ne pas accroître sa participation dans Montedison dans l'attente de la décision des ministres sur cette participation et sur son objectif de 20 %.

18 mai 2001 : EDF indique à la direction du Trésor qu'elle détient 14,4 % du capital, et le lendemain qu'elle est déjà en possession de 23 % du capital, pour un investissement total de 1,3 milliard d'euros.

22 mai : Suite à la demande du ministre de l'économie, EDF ramène sa participation à 20,09 %. Dans une note au ministre du 23 mai, les directeurs du Trésor et du gaz, de l'électricité et du charbon soulignent « la méthode cavalière retenue par EDF » ainsi que « le prix moyen élevé » sur la base duquel s'est réalisé l'investissement.

24 mai : Limitation des droits de vote EDF à 2 % des droits de vote.

1er juin 2001 : Lettre du ministre de l'économie et des finances au président d'EDF, appelant son attention sur « les conditions de prix de cette acquisition, décidées sous votre responsabilité. Toute évolution du niveau de cette participation devra faire l'objet d'un accord préalable des tutelles, comme il est de règle pour les investissements d'EDF ».

Là encore, face aux interrogations qu'on pu faire naître de telles pratiques, la réponse apportée par M. François Roussely est loin d'être satisfaisante :

« J'ai pris la décision d'acquérir ces 2 % comme un acte conservatoire de toute autre décision, prêt à revendre si quelqu'un me disait que ce n'était pas le bon investissement. Nous l'avons achetée au prix du marché, dans des conditions de régularité, par définition, totales (...). Il est vrai que nous étions au début du mois de mai, cela n'a pas empêché les banquiers de travailler. C'est ainsi que nous avons acquis le début de notre participation à Montedison. Ce que nous ne pouvions pas imaginer, c'est qu'ayant déclaré cet achat quelques jours plus tard à la Consob, sœur italienne de la COB, le ministre italien s'en serait ému au prétexte que nous étions une entreprise publique - la belle affaire ! Que je sache, le traité de Rome n'interdit pas aux entreprises publiques de prendre des participations... Le ministre me dit que c'est inacceptable ; je lui avais écrit trois jours avant, pour lui indiquer que je n'étais pas particulièrement heureux des conditions dans lesquelles les événements s'étaient déroulés.

Je vous ai parlé de la fin avril, du franchissement du seuil de 2 % aux alentours du 1er mai. Nous avons immédiatement pris rendez-vous et téléphoné au représentant de la direction du Trésor (...) pour lui dire où nous en étions. (...) Cela s'est passé, jour après jour, au cours d'une opération boursière. Aussitôt passé le seuil des 3 %, nous avons informé. Les lettres auxquelles vous faites allusion existent bel et bien.

La question que nous devons nous poser se formule ainsi : dans une opération de bourse, quel type de relations entretenir avec le Trésor ? En l'occurrence, au début du mois de mai, comment saisir l'opportunité ? On peut nous rétorquer qu'il fallait la laisser passer. Peut-être ».

Concernant le caractère manifestement « inimaginable » de la réaction du gouvernement italien, on fera observer en premier lieu que, dès qu'ils en ont en été informés, le ministre de l'économie et le directeur du Trésor se sont inquiétés de cette possibilité. Ce dernier a en effet indiqué, lors de son audition, avoir «  fait valoir, ayant quelques connaissances dans le domaine industriel, que Montedison ne me paraissait pas la société italienne la moins connue, et ayant quelque expertise dans le domaine européen, que l'opération ne me semblait pas susceptible de nous attirer les réactions les plus favorables de la part de nos partenaires européens et de la Commission européenne, enfin que la méthode suivie était inacceptable ».

Surtout, au vu des documents transmis par la direction du Trésor, il apparaît que les autorités de tutelle n'ont pas été informées une fois le seuil de 3 % du capital franchi, comme a semblé le suggérer M. Roussely, mais bien de 10,9 %, soit après qu'un investissement de plus de 500 millions d'euros a été réalisé.

Votre Rapporteur ne peut donc que condamner des dérives de cette nature, et ce d'autant plus, que, par la suite, si les procédures de contrôle d'investissements ont été, au moins formellement, respectées, les autorités de tutelle n'ont souvent pu disposer que d'une information limitée, tant en termes de délais que de contenu. La direction du Trésor a ainsi attiré l'attention du ministre à plusieurs reprises sur « la très grande difficulté » que ses services éprouvaient « à obtenir des réponses rapides et cohérentes à des questions élémentaires ».

Face à ces contradictions, la commission souhaite que le gouvernement poursuive ses investigations dans ce domaine et que plus généralement il fasse respecter ses prérogatives d'actionnaire en en tenant la représentation nationale informée.

III.- DES CHARGES SOCIALES DIFFICILEMENT SUPPORTABLES

Au-delà des difficultés financières auxquelles une croissance externe mal maîtrisée a exposé les entreprises publiques, on ne peut que constater que leur modernisation est obérée par la lourdeur et la rigidité de leurs charges salariales et sociales qui plafonnent leur compétitivité et peuvent parfois compromettre leur capacité à faire face à la concurrence.

A.- LES RIGIDITÉS DE LA POLITIQUE SALARIALE

Les coûts salariaux sont aujourd'hui un frein à la modernisation des grandes entreprises publiques. Par ailleurs, leurs directions n'ont pas toujours, dans la période récente, conduit en ce domaine une politique susceptible de permettre aux groupes de s'insérer dans des conditions satisfaisantes dans la compétition européenne.

· Un relatif handicap concurrentiel : les exemples de France Télécom et d'EDF

- Ainsi, France Télécom a indéniablement été handicapée par la rigidité de sa masse salariale.

Si le poids des charges de personnel rapporté au chiffre d'affaires a diminué de manière significative entre 1999 et 2001, passant de 27,13 % à 22,03 %, cela a tenu beaucoup plus à la très forte croissance de l'activité (de 38 % depuis 2000) qu'à une réelle maîtrise des effectifs.

Les effectifs de la maison mère du groupe, France Télécom SA, ont certes diminué de 4 % par an depuis 1998, sous l'effet conjugué de départs en retraite très fortement encouragés avec le congé de fin de carrière 50 et de la maîtrise des recrutement. Mais dans le même temps, de nombreux groupes européens réduisaient massivement leurs effectifs, dans des proportions allant de 22 % pour KPN et British Telecom en 2000 et 2001 à plus d'un tiers d'ici 2005 pour Deutsche Telekom. Il est à craindre que le problème des sureffectifs ne se pose à l'avenir avec acuité.

Il appartiendra dès lors à la nouvelle direction de saisir l'opportunité des nombreux départs à la retraite des prochaines années (120 000 d'ici 2015), et d'encourager, comme elle s'y est engagée, les transferts volontaires de fonctionnaires vers la fonction publique de l'Etat.

- La situation d'EDF suscite la même inquiétude.

Le tableau ci-après permet d'apprécier le poids relatif de ses charges de personnel par rapport à ses principaux concurrents. Il convient de remarquer que les coûts salariaux totaux englobent les traitements et les charges sociales, y compris le coût annuel du système de retraites. A cet égard, la part des charges de pensions dans ces coûts est beaucoup plus élevée pour EDF que pour ses homologues européens. Il faut en outre souligner que les activités des concurrents ne sont pas toujours limitées à l'électricité, laquelle est un secteur relativement peu intensif en main d'œuvre.

COÛTS SALARIAUX COMPARÉS DES PRINCIPALES SOCIÉTÉS DU SECTEUR DE L'ÉLECTRICITÉ EN EUROPE EN 2001

(en pourcentage)

EDF

Suez

Vivendi Env.

Electrabel

British Energy

RWE

E.On

Enel

Endesa

coût salarial total/CA

22,2

20,8

27,7

11,8

17,5

18,3

11,2

16,0

9,4

coût salarial total/résultat d'exploitation

77,1

68,5

80,1

57,7

57,3

76,4

65,4

50,0

32,2

Les coûts salariaux d'EDF se situent dans le haut de la fourchette des sociétés européennes. Cette situation est évidente concernant le poids des charges salariales dans le chiffre d'affaires, supérieure à 20 %, contre environ 10 % pour les sociétés les plus performantes (Endesa, E.On et Electrabel). En outre, la différence est plus marquée, s'agissant du rapport des coûts salariaux aux résultats opérationnels (77 % pour EDF contre 50 % pour Enel et 32 % pour Endesa).

Le poids élevé des charges sociales liées aux retraites est certes compensé par des salaires nets relativement maîtrisés, mais le groupe devra veiller à ce que les compensations salariales 51 ne ralentissent pas l'entreprise dans l'effort de productivité indispensable à sa survie dans un marché ouvert.

· Une situation extrêmement préoccupante : La Poste

La question des charges de personnel revêt une dimension extrêmement importante pour d'autres entreprises publiques appelées à brève échéance à s'insérer dans la concurrence. L'exemple de La Poste est à cet égard éloquent.

Ses charges de personnel représentent 65 % de son chiffre d'affaires, contre des ratios de l'ordre de 35 % pour ses homologues, la poste néerlandaise TNT Post et la poste allemande Deutsche Post. Ainsi, les coûts salariaux grèvent 87,5 % de la valeur ajoutée de l'entreprise publique française.

Ce handicap concurrentiel est la conséquence d'un manque manifeste de rigueur dans la politique salariale menée par La Poste dans la période récente. En effet, ses effectifs ont évolué sans qu'il soit réellement tenu compte des deux mutations majeures qui ont affecté le secteur postal dans son ensemble : l'apparition de gains de productivité potentiels extrêmement élevés, en particulier par l'automatisation des tâches de tri postal et du traitement des chèques postaux et le passage d'un statut d'administration publique gérant un monopole à celui d'une entreprise intégrée dans la compétition internationale. Tirant les conséquences de ces évolutions, l'ensemble des opérateurs postaux européens ont réduit leur masse salariale de 15 à 25 % (- 100 000 emplois dans l'Allemagne réunifiée, - 30 000 emplois en Italie, - 30 000 emplois au Royaume-Uni, - 6 000 emplois sur 32 000 en Autriche), alors que La Poste gardait des effectifs pratiquement stables, comme l'illustre le tableau ci-après.

ÉVOLUTION DES EFFECTIFS DE LA POSTE DEPUIS 1995

1995

1997

1999

2001

effectifs

fonctionnaires

CDD

CDI

317 496

-

-

-

306 589

-

-

-

312 439

230 579

24 112

5 748

323 115

221 759

29 142

72 214

équivalent agents/année


285 279


278 932


280 281


295 814

De surcroît, l'application de la réduction du temps de travail52, malgré les efforts de La Poste pour réaliser la réforme à effectifs constants53, a entraîné une création nette de 14 000 emplois (équivalents agents année).

B.- DES CHARGES DE RETRAITES À CLARIFIER

Un autre enjeu pour la compétitivité des grandes entreprises publiques est l'évolution des charges de retraites, dont il convient de constater qu'elle constitue une lourde menace pour les groupes qui gèrent et financent leur propre caisse. Leur régime spécial, à la différence de la plupart des régimes légaux et obligatoires, se finance en effet exclusivement sur ses ressources propres, sans abondement de l'Etat ou sans solidarité interprofessionnelle par l'application des dispositifs de compensation inter régimes. Afin de cerner l'ampleur des enjeux, votre Rapporteur a examiné les cas particuliers d'EDF et de La Poste.

· Les personnels d'EDF relèvent du régime de retraite des industries électriques et gazières (IEG), obligatoire et spécial au sens de l'article L. 711-1 du code de la sécurité sociale. La statut national du personnel des IEG, approuvé par le décret n° 46-1541 du 22 juin 1946 en application de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946, fixe, dans son article 24 et dans son annexe 3, les conditions de détermination des droits et de financement du régime de retraite. Le système actuel présente deux principales caractéristiques :

- le niveau des prestations est très généreux par rapport au régime général. Comme dans l'ensemble des régimes spéciaux, les prestations sont regroupées en une seule pension, alors que dans le régime général elles sont éclatées en deux ou trois pensions (régime général, régime complémentaire et parfois régimes supplémentaires d'entreprise). Les règles de constitution des droits sont proches de celles du régime des fonctionnaires : le taux d'annuité est de 2 % et les pensions représentent 75 % du dernier salaire hors prime pour 37,5 années de cotisations. En outre, l'âge de retraite est fixé à 55 ans pour les agents en catégorie active (travaux pénibles) et 60 ans pour les autres ;

- son financement est à la charge des entreprises IEG, en premier lieu pour EDF à hauteur de 79 %, ce qui induit une charge annuelle très élevée représentant 34 % de la masse salariale contre environ 20 % pour les grandes entreprises françaises. Cette charge est répartie entre une cotisation des salariés fixée par décret 54 à 7,85 % du salaire hors primes et, d'autre part, une contribution des entreprises, laquelle doit permettre chaque année d'assurer l'équilibre de la branche.

Or, les spécificités de ce régime exposent l'entreprise publique à deux types de menace.

D'une part, l'évolution démographique fait que le ratio, aujourd'hui de 1,5 actif pour 1 retraité, devrait diminuer à 1 dès 2010 puis 0,9 à l'horizon 2020. En l'absence de réforme, les charges de retraite, qui grevaient 2,6 milliards d'euros du compte d'exploitation d'EDF en 2002 (dont 1,9 milliard d'euros au titre de la contribution d'équilibre soit 55 % des rémunérations hors primes) pourraient atteindre 4 milliards d'euros en 2020 et 5 milliards d'euros en 2050, la contribution d'équilibre représentant 88 % de la masse salariale en 2020 et plus de 100 % en 2050. Par conséquent, si rien n'est fait, les retraites s'élèveraient à 18 % de la valeur ajoutée en 2020 (contre 12 % aujourd'hui) et l'ensemble des charges de personnel à plus de 50 %. Il est évident qu'une telle évolution compromettrait gravement la compétitivité du groupe, dès lors que ses principaux concurrents échapperaient aux contraintes de ce régime pour leurs activités hors de France 55.

D'autre part, et à plus court terme, l'application de la norme comptable IAS 19 56, qui prévoit le provisionnement intégral à partir du 1er janvier 2005 des engagements de retraites qui ne font pas l'objet d'une cotisation libératoire, conduirait à réduire dans des proportions considérables les fonds propres du groupe. En effet, les engagements accumulés, de l'ordre de 50 milliards d'euros, n'ont pour l'instant fait l'objet d'aucun provisionnement autre qu'une dotation très limitée de 2,1 milliards d'euros à une structure externe d'assurance.

Cette obligation de provisionnement apparaît de toute évidence impossible à satisfaire sans réduire à zéro le niveau des fonds propres du groupe.

Le « relevé de conclusions » signé le 9 décembre 2002 par les organisations patronales (Union française de l'électricité et Union nationale des employeurs des industries gazières), la CFDT, la CFE-CGC et la CFTC prend acte du maintien du caractère spécial du régime et du niveau des prestations, sous la réserve d'évolutions « dans le cadre de la négociation de branche, à l'initiative des partenaires sociaux ou des pouvoirs publics, au regard des évolutions des régimes de retraite ». Son financement serait cependant profondément modifié. En premier lieu, la gestion serait assurée par une caisse de retraite, « IEG Pensions », dotée de la personnalité morale et chargée d'une mission de service public. Cet organisme percevrait les financements et effectuerait les versements des pensions de retraite, en bénéficiant le cas échéant et sous réserve de la compatibilité de cette disposition avec la législation européenne relative aux aides publiques, de la garantie de l'Etat et des moyens et prérogatives juridiques dont disposent les organismes de sécurité sociale.

Le relevé de conclusions distingue en outre les modalités du financement selon qu'elles concernent les droits de base et les droits spécifiques au régime.

En premier lieu, le financement des droits équivalents aux régimes de base et complémentaire de la sécurité sociale pourrait être assuré par le régime général, ce qui permettrait, en remplaçant la responsabilité ultime du financement des entreprises par une cotisation libératoire, d'éviter de les provisionner. En outre, répondant à la logique de rapprochement du régime spécial vers le droit commun, cette solution diversifierait les sources de financement par une mutualisation large sur le plan démographique et financier. Cependant, elle implique :

- d'une part d'harmoniser le niveau de cotisation sur les conditions de droit commun, ce qui passe par le relèvement des cotisations salariales de 7,85 % à 12 % et par la fixation des cotisations aux régimes de droit commun des entreprises IEG à 20 % environ des rémunérations ;

- d'autre part, de compenser financièrement aux régimes de droit commun (régime général, AGIRC et ARCCO) cette nouvelle charge. Il convient de rappeler que les droits de base passés représentent une charge de l'ordre de 30 à 35 milliards d'euros, et les droits de base futurs de 10 à 15 milliards d'euros. La compensation pourrait prendre la forme d'une soulte comparable à celle versée à l'Etat par France Télécom en contrepartie de la prise en charge par ce dernier des droits des fonctionnaires employés par l'opérateur.

En tout état de cause, M. François Roussely nous a rappelé que ce rapprochement avec les régimes de droit commun « fait partie de la négociation que nous avons avec l'AGIRC et l'ARRCO au titre du régime complémentaire et la caisse nationale d'assurance vieillesse pour le régime de base. Ces deux négociations sont actuellement en cours, sous l'égide du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, depuis maintenant deux ou trois mois ».

En second lieu, le relevé de conclusions prévoit un financement différencié des droits spécifiques au régime (droits dits chapeau).

D'une part, les droits futurs (c'est-à-dire les engagements de retraites spécifiques contractés auprès des nouveaux embauchés), qui représentent un montant de l'ordre de 6 à 11 milliards d'euros, feraient l'objet, comme il est logique, d'un provisionnement intégral constaté dans les comptes des entreprises.

D'autre part, les droits passés, qui représentent des masses financières considérables (de 14 à 19 milliards d'euros selon la méthode d'actualisation retenue), actuellement incluses de fait dans les tarifs de l'électricité, devraient être financés « sur la durée nécessaire selon des modalités permettant de libérer les entreprises de l'obligation comptable de porter ces engagements dans leurs comptes. Ce financement bénéficiera de la garantie de l'Etat ». M. François Roussely a indiqué à votre commission que « les modalités selon lesquelles cette garantie de l'Etat pourrait s'exercer sont actuellement en discussion à Bruxelles. Nous attendons aujourd'hui son feu vert pour connaître les conditions précises dans lesquelles la garantie de l'Etat pourra être accordée pour les droits passés, notamment les droits passés spécifiques ».

· Le problème de financement des charges de retraite de La Poste est comparable. En effet, si ses 101 500 salariés contractuels relèvent du régime général, les pensions des 221 750 fonctionnaires postiers 57 sont gérées par une caisse propre dont le groupe assure l'équilibre financier. En application du contrat de plan 1998-2001, l'Etat assume presque intégralement l'augmentation de cette charge (qui a progressé depuis 1999 d'environ 100 millions d'euros par an), la contribution de La Poste étant plafonnée à l'équivalent de la hausse générale des prix depuis 1997.

Reste que le niveau et la progression des charges de retraites constituent une redoutable perspective.

En effet, la transposition des normes IAS, en l'absence de réforme législative, imposera l'inscription au bilan de La Poste des engagements correspondant aux dispositions de la loi du 2 juillet 1990 précitée relatives au financement des retraites des agents fonctionnaires, soit, au 31 décembre 2001, 52 milliards d'euros, alors même que les fonds propres du groupe ne dépassent 1,6 milliard d'euros.

En outre, les charges de retraites augmenteront de 125 millions d'euros par an d'ici 2005 puis de 150 millions d'euros par an entre 2005 et 2010. Le taux de cotisation virtuel 58 de La Poste progresserait ainsi dans des proportions considérables.

Si le dispositif actuel qui consiste, pour l'Etat, à prendre à sa charge l'augmentation future des pensions - corrigée de l'évolution des prix - est reconduit, les cotisations acquittées par La Poste passeront de 45,5 % de la masse salariale en 2002 à 55,3 % en 2010.

Si le dispositif du précédent contrat de plan n'est pas reconduit, ce qui implique que La Poste assume seule l'équilibre de son régime de retraite, le taux de cotisation atteindra 73,5 % de la masse salariale.

Votre Rapporteur remarque que, quelle que soit la solution retenue pour le futur, le taux de cotisation actuel est d'ores et déjà très élevé. Les charges de retraites et les cotisations sociales représentent ainsi 32,3 % des charges de personnel de La Poste contre 15,1 % pour TNT Post et 23,8 % pour Deutsche Post. De même, le taux implicite de cotisations acquitté par la Poste, 45 % du salaire brut, est de 8 points supérieur à celui de ses concurrents français.


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Suite du tome I du rapport

Accès au tome II : auditions

 

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N° 1004 -Rapport de la commission d'enquête sur la gestion des entreprises publiques (M. Michel Diefenbacher)

1 audition du 25 février 2003.

2 audition du 10 juin 2003.

3 « Le marché intérieur. Dix années sans frontières », SEC (2002) 1417 du 7 janvier 2003.

4 audition du 6 mai 2003.

5 lequel consiste au minimum à assurer, tous les jours ouvrables, la levée et la distribution des correspondances jusqu'à deux kilos, des colis postaux jusqu'à 20 kilos et des envois recommandés sur tout le territoire national.

6 proposition de directive du Parlement européen et du Conseil, du 13 mars 2001, modifiant les directives 96/92/CE et 98/30/CE concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité et du gaz naturel.

7 présentées par la communication de la Commission du 13 novembre 1993 (JOCE C 907 du 13 novembre 1993).

8 directive n° 97/67/CE du Parlement et du Conseil du 15 décembre 1997 concernant des règles communes pour le développement du marché intérieur des services postaux de la Communauté et l'amélioration de la qualité du service.

9 les comptes pour 2000 avaient servi de base aux projections de la CRE pour déterminer le niveau du tarif d'accès aux réseaux, en vigueur depuis le 1er novembre 2002.

10 la norme GSM, née en Europe, s'était imposée comme la norme de référence des mobiles de deuxième génération.

11 audition du 25 mars 2003.

12 tandis qu'en Europe, la valeur de l'écart d'acquisition est déterminée en fonction de l'estimation de la rentabilité future de l'acquisition.

13 audition du 13 mai 2003.

14 audition du 20 mai 2003.

15 audition du 29 avril 2003.

16 audition du 18 mars 2003.

17 filiale de Vivendi environnement et d'EDF proposant des services énergétiques aux collectivités et aux entreprises.

18 audition du 4 mars 2003.

19 Le gouvernement d'entreprise ou les fondements incertains d'un nouveau pouvoir, Jean Peyrelevade, janvier 1999.

20 audition du 27 mai 2003.

21 conformément à l'article L. 225-35 du Code de commerce, « le conseil d'administration détermine les orientations de l'activité de la société et veille à leur mise en oeuvre. Sous réserve des pouvoirs expressément attribués aux assemblées d'actionnaires et dans la limite de l'objet social, il se saisit de toute question intéressant la bonne marche de la société et règle par ses délibérations les affaires qui la concernent. »

22 par exemple les projets d'emprunts à long terme, les décisions immobilières et les projets de marchés dont le montant dépasse un seuil fixé par le conseil, ainsi que les « projets de prise ou d'extension ou de cession de participations ayant des implications financières ou stratégiques importantes ».

23 audition du 1er avril 2003.

24 audition du 8 avril 2003.

25 concernant France Télécom, les pertes attribuables aux provisions et amortissements exceptionnels liés aux acquisitions de la période 1998-2002 s'établissent à 28,5 milliards d'euros pour 2001 et 2002.

S'agissant d'EDF, si la situation est sans commune mesure, les filiales étrangères pèsent aujourd'hui sur les résultats nets du groupe, leurs pertes consolidées atteignant, en 2001 et 2002, 2,7 milliards d'euros dont 2,4 milliards d'euros en 2002 répartis entre des pertes de changes à hauteur de 1,2 milliard d'euros et des résultats nets fortement négatifs de 1,2 milliard d'euros, principalement pour les filiales en Amérique latine (- 1,173 milliard d'euros).

26 en un an, de 1999 à 2000, France Télécom y a consacré 65 millions d'euros.

27 plus de 70 % des foyers anglais possédant une télévision étaient abonnés aux opérateurs de câble britannique.

28 EBITDA : Earning before interest and amortization, notion proche de celle de l'excédent brut d'exploitation.

29 en outre, sa rentabilité est inférieure aux prévisions : le chiffre d'affaires s'est établi à 3,47 milliards d'euros en 2002, contre 4 prévus pour 2001 dans le business plan d'acquisition, tandis que la marge opérationnelle était de 35 % en 2001 contre 52 % attendus.

30 en général, une prime de contrôle est évaluée à 20 %.

31 aligné sur le dollar avec une parité de 1 pour 1 en 2001, le cours du peso n'a cessé de se dégrader, atteignant 3,2 pesos pour un dollar en mai 2002.

32 cette loi a entraîné la suspension de la clause des contrats signés avec les autorités argentines disposant que la valeur ajoutée de distribution, composante essentielle du prix de vente de l'électricité, est exprimée en dollars.

33 ce prix de rachat était certes inférieur aux cours de France Télécom en mai 2000 (170 euros), mais de quatre fois supérieur au cours d'introduction en bourse de l'opérateur.

34 différence entre le prix d'acquisition d'un actif et sa valeur vénale (goodwill en anglais)

35 audition du 4 juin 2003.

36 à titre d'exemple, le plan de financement d'octobre 2001 prévoyait une dette inférieure à 48 milliards d'euros en 2002, contre 68 milliards d'euros constatés in fine. Ce plan ignorait certains engagements hors bilan essentiels, prévoyait la mise sur le marché des actions détenues en autocontrôle au cours de 80 euros (contre 38 euros fin 2001 sur une pente descendante), tablait sur des cessions incertaines (notamment NTL, aux portes de la faillite) et ne prenait pas en compte le risque Mobilcom alors que France Télécom doutait sérieusement de la rentabilité de l'UMTS en Allemagne.

37 quatrième électricien en Allemagne dont EDF a acquis, entre 2001 et 2002, près de 46 % du capital.

38 selon les termes employés par M. Thierry Breton lors de son audition du 4 juin 2003.

39 décret n° 59-587 du 29 avril 1959 relatif aux nominations et aux emplois de direction de certains établissements publics, entreprises publiques et sociétés nationales, remanié par le décret n° 85-834 du 6 août 1986, puis modifié à de nombreuses reprises pour tenir compte de l'évolution du périmètre du secteur public

40 audition du 9 avril 2003.

41 audition du 8 avril 2003.

42 audition du 8 avril 2003.

43 audition du 29 avril 2003.

44 le rôle des représentants de l'Etat sera examiné dans une autre partie.

45 dans les sociétés anonymes, l'effectif maximum des conseils d'administration, fixé par l'article L. 225-17 du code de commerce, a été abaissé, par la loi relative aux nouvelles régulations économiques, de 24 à 18 afin précisément d'éviter des conseils pléthoriques et permettre un réel travail d'équipe en leur sein.

46 audition du 21 mai 2003.

47 valeur de la participation de l'Etat dans l'entreprise au 31 décembre 2000.

48 ladite note était datée du 14 mars 2000. Elle ne serait parvenue, selon le ministère des finances, que le 20 mars 2000 au service des participations de la direction du Trésor.

49 puisqu'il imposait de consolider la société polonaise.

50 départ à 55 ans avec le maintien de 80 % du salaire, le coût de ce dispositif étant estimé à environ 200 millions d'euros par an.

51 qui ne manqueront d'intervenir si le choix est retenu d'adosser le régime des retraites d'EDF au régime général en augmentant la cotisation salariale pour l'aligner vers les standards du secteur privé.

52 accord-cadre signé le 17 février 1999.

53 une application mécanique des 35 heures aurait conduit à une augmentation des effectifs de 24 000 emplois.

54 décret n° 91-613 du 28 juin 1991 fixant les taux des cotisations de divers régimes spéciaux de sécurité sociale, tel que modifié, en dernier lieu, par le décret n° 97-1249 du 29 décembre 1997.

55 la loi du 10 février 2001 a étendu le régime IEG à l'ensemble des entreprises du secteur afin de renforcer l'égalité des conditions de concurrence à l'intérieur de l'Hexagone. Le marché étant désormais européen, ce sont toutes les entreprises installées en France qui sont de ce fait dans une situation de compétitivité défavorable par rapport à celles qui sont implantées dans les autres pays européens.

56 qui pourrait être retenue par la Commission européenne comme règle applicable au sein de l'Union.

57 les prestations sont celles du régime des fonctionnaires de l'Etat.

58 pour les seules charges de retraites des fonctionnaires, les contractuels relevant du régime général.


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