Version PDF
Retour vers le dossier législatif

N° 857

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 14 mai 2003.

RAPPORT D'INFORMATION

déposé en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA MISSION D'INFORMATION COMMUNE
SUR LA CRÉATION D'UNE TÉLÉVISION FRANÇAISE D'INFORMATION
À VOCATION INTERNATIONALE (1)

PRÉSIDENT
M. François Rochebloine,

RAPPORTEUR
M. Christian Kert,

Députés.

--

TOME I

(1ère partie)

RAPPORT D'ÉTAPE

(1) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

Audiovisuel

La mission d'information commune sur la création d'une télévision française d'information à vocation internationale est composée de : M. François Rochebloine, Président ; MM. Michel Herbillon, Didier Mathus, Vice-Présidents ; MM. Patrice Martin-Lalande, Frédéric de Saint-Sernin, Secrétaires ; M. Christian Kert, Rapporteur ;
Mme Martine Aurillac, MM. Pierre-Christophe Baguet, Jean-Louis Bianco, Patrick Bloche, Bernard Brochand, Michel Françaix, Jean-Claude Guibal, Georges Hage, Emmanuel Hamelin, Pierre Lellouche, François Loncle, Éric Raoult, Dominique Richard, Éric Woerth.

1ÈRE PARTIE

INTRODUCTION 7

I. UN PROJET COMPLEXE MAIS NÉCESSAIRE 9

A. UN PROJET COMPLEXE 9

1. Complexité du marché de l'information internationale 9

2. Complexité de la ligne éditoriale à adopter 12

3. Complexité linguistique 12

4. Complexité technique et commerciale 13

B. UNE AMBITION JUSTIFIÉE ET NÉCESSAIRE 15

II. UTILISER LES ATOUTS ET SURMONTER LES HANDICAPS DU PAYSAGE AUDIOVISUEL FRANÇAIS 17

A. DES ATOUTS À EXPLOITER 17

1. La diversité des opérateurs et la richesse de leurs savoir-faire 17

2. L'existence de solides réseaux de correspondants à l'étranger 19

3. Des compétences en matière de diffusion et de commercialisation 19

B. DES HANDICAPS À TRANSCENDER 20

1. Un service public de l'audiovisuel morcelé et stratifié 21

2. Le poids du statut des personnels de l'audiovisuel public 23

3. Les statuts particuliers d'EuroNews, de TV5 et d'ARTE 25

III. PRÉCONISATIONS 27

1. Le statut 27

2. La structure 29

3. Les langues et les zones de diffusion 32

44

2. Explications de vote des membres de la mission appartenant au groupe UDF 45

3. Explications de vote des membres de la mission appartenant au groupe UMP 47

AUDITIONS 49

Audition de MM. Etienne MOUGEOTTE, Vice-Président de TF1 et Jean-Claude DASSIER, Directeur général de LCI 49

Audition de M. Philippe BAUDILLON, Conseiller des affaires étrangères hors classe, chargé par le ministre des affaires étrangères d'une mission d'étude sur la création éventuelle d'une chaîne d'information internationale pour la France 63

Audition de MM. David LOWEN, Directeur général d'EuroNews et Michael PETERS, Directeur financier 73

Audition commune de MM. Ghislain ACHARD, directeur général délégué de France Télévisions, Serge ADDA, président-directeur général de TV5 et Canal France International, Jean-Paul CLUZEL, président-directeur général de Radio France internationale et Jean MINOT, directeur général de CFI 82

2ème PARTIE

Audition de M. Marc TESSIER, président de France Télévisions

Audition de M. Jérôme CLÉMENT, président d'ARTE France

Audition de M. Bertrand EVENO, président de l'Agence France Presse

Audition de M. André-Michel BESSE, président de RFO

Audition de M. Dominique FAGOT, Président de Media Overseas

Audition de M. Jean-Claude PARIS, Directeur général de i<Télé

Audition de MM. Paul NAHON, Bernard BENYAMIN et Bruno ALBIN, journalistes à France Télévisions

Audition de M. Hervé BOURGES, président de l'Association internationale de la Presse francophone

Audition de M. Jean ROUILLY, président-directeur général de Lagardère Networks International Audition de M. Jean-Jacques AILLAGON, ministre de la culture et de la communication

Audition de M. Domin l'ONU, entre les diplomates du monde entier, montre l'émergence d'une véritable mondialisation de l'information, avec ce qui en découle immédiatement : la constitution d'émotions mondiales, de partis pris mondiaux, de débats idéologiques à l'échelle du globe. »

(M. Hervé Bourges, audition du 10 avril 2003)

Comment la France pourrait-elle continuer à être absente de ce nouveau théâtre des relations internationales ? Comment pourrait-elle renoncer plus longtemps à faire entendre sa différence ? En d'autres termes, le temps n'est plus à se demander si la France doit posséder une telle chaîne mais bien de savoir comment elle pourrait encore, demain, s'en passer.

Depuis plus de vingt ans, les projets de télévision d'information internationale se sont succédés en France, sans que jamais aucun d'entre eux n'aboutissent, noyés qu'ils ont été sous les querelles de personnes, les concurrences institutionnelles, les problèmes de financements...

Lors de la dernière campagne pour les élections présidentielles, M. Jacques Chirac a fait de la création d'une telle chaîne une «  ardente obligation ». Depuis un an maintenant, différentes instances se sont mises au travail et ont développé des réflexions dont on peut regretter qu'elles soient parfois concurrentes. Retenons toutefois une convergence entre elles sur plusieurs points essentiels : l'absence d'une vraie chaîne d'information française a laissé le champ libre aux chaînes anglo-saxonnes, aboutissant à ce que certains appellent déjà un « impérialisme culturel » en matière d'information ; la certitude que l'on peut rompre ce monopole comme en atteste l'émergence d'Al Jazira ; la France conserve un pouvoir éditorial dans le monde qui peut constituer un véritable socle pour une nouvelle chaîne dans le panorama planétaire.

Enfin, tous ceux qui réfléchissent à ce projet s'accordent à penser qu'il présente des complexités particulières, notamment celles du langage éditorial et formel à utiliser : le même message, adressé à tout le monde, ne sera pas reçu de la même manière par chacun. Traiter de la question palestinienne en s'adressant simultanément à des publics arabes, israéliens, américains et européens ne sera ainsi pas une tâche aisée.

En décembre dernier, les présidents des commissions des affaires culturelles, familiales et sociales et des affaires étrangères ont considéré que l'Assemblée nationale ne saurait demeurer extérieure à un tel projet qui, pour être crédible, ne pourra procéder de la seule volonté de l'exécutif. Le fait que les parlementaires prennent toute leur place dans l'élaboration de ce projet sera une garantie pour son succès et sa crédibilité. Les deux commissions ont donc décidé de créer une mission d'information commune sur les conditions de mise en place et de succès d'une télévision fr dans le débat et de pouvoir éclairer par ses travaux les décisions qui devraient être prises par l'exécutif en début d'été.

La vocation du présent document n'est donc pas d'explorer de façon exhaustive tous les tenants et les aboutissants de ce projet de chaîne mais, plus simplement, de permettre à la mission d'information commune de se prononcer sur les grandes caractéristiques du programme et de donner une vision stratégique et politique de ce projet, de dire à qui cette chaîne doit s'adresser et de quelle manière.

La mission d'information commune a pour objectif de poursuivre ses travaux au-delà de la remise de ce rapport d'étape, afin d'approfondir certaines questions trop rapidement évoquées ici (comme par exemple le choix des zones de diffusion et les attentes des publics ciblés) et de jouer un rôle de vigie voire d'aiguillon pour la création rapide de cette chaîne. Les commissions des affaires étrangères et des affaires culturelles, familiales et sociales continueront ainsi à remplir pleinement leur mission d'information et de contrôle, sur un sujet essentiel pour le rayonnement de la France dans le monde.

I. UN PROJET COMPLEXE MAIS NÉCESSAIRE

A. UN PROJET COMPLEXE

1. Complexité du marché de l'information internationale

_ un format de chaîne particulier

Une chaîne d'information internationale n'a rien à voir avec une chaîne généraliste ou même une chaîne d'information en continu domestique. Elle est en effet soumise à différentes contraintes qui lui sont spécifiques :

- un contenu « international » qui oblige les responsables éditoriaux à préserver en permanence une hiérarchie des informations totalement différente des priorités retenues pour une chaîne généraliste et même une chaîne d'information domestique ; sur une telle chaîne, la préoccupation dominante n'est pas le proche mais le lointain,

- une situation de « prime time permanent » qui nécessite une disponibilité constante et une réactivité optimale des équipes, 24 heures sur 24 (ce qui n'est pas sans conséquence en terme d'effectifs),

- des publics différents selon les zones géographiques visées, ce qui nécessite une parfaite connaissance des attentes locales et une capacité à pouvoir leur « parler », tant d'un point de vue linguistique que politique et culturel,

- une méthode de collecte et de traitement de l'information adaptée : le modèle traditionnel de fabrication de l'information télévisée ne fonctionne pas pour une cha&ic 160;Deutschland).

Quant au traitement des informations, il est basé sur la division des tâches et sépare la « fabrication » de l'information de son « emballage » et de sa diffusion. Les correspondants de CNN sont chargés d'identifier dans le monde entier les évènements intéressants puis, en fonction des « commandes » qui leurs sont passées, de collecter les informations pour les envoyer au siège de la chaîne, sous forme d'images et de sons bruts. Deux fois par jour, les responsables éditoriaux de chaque chaîne (internationale ou domestique) examinent les évènements et les priorités signalés par les correspondants et décident des sujets, des reportages, des interviews, des images à préparer. Les rédactions se chargent ensuite de récupérer ce « matériel » et de l'utiliser, sous forme brute ou reformatée, pour fabriquer ses propres programmes. Les informations collectées sont donc exploitées au maximum.

Le même type d'organisation centralisée se retrouve à BBC World puisque la chaîne puise sa « matière première éditoriale » dans les ressources de BBC News, autre société du groupe BBC, qui possède le plus grand réseau mondial de collecte d'informations. Les images et sujets collectés et réalisés dans le monde entier sont rassemblés et traités dans une salle de rédaction unique, commune à l'ensemble des chaînes de la BBC, qui fonctionne 24 heures sur 24 et est entièrement numérisée. Cette organisation rationalisée de la collecte et de l'exploitation de l'information permet aux différentes équipes rédactionnelles d'avoir une vision globale des évènements au fur et à mesure qu'ils se produisent.

_ Un marché fortement concurrentiel

∙ Les « grandes » chaînes anglo-saxonnes évoquée ci-dessus, BBC World et CNN international, ont pour elles :

- l'ancienneté : huit ans pour la première et dix-huit ans pour la seconde,

- l'expérience : la renommée de la BBC en matière d'éthique de l'information n'est plus à démontrer,

- une organisation mondialisée et centralisée : BBC World dispose des 58 bureaux répartis dans le monde et des 250 correspondants de BBC News et le groupe CNN possède 42 bureaux dans le monde et s'est associé avec 900 télévisions partenaires,

- la diffusion principalement en anglais,

- l'effet de marque et d'habitude.

CNN International, premier réseau mondial d'information en continu, est ainsi visible dans plus de 161 millions de foyers, dont 109 sur la seule zone Europe/Moyen-Orient/Afrique.

Q 'Arial'; font-size: 10pt">La grille de programme de Deutsche Welle-TV est partagée alternativement entre émissions en allemand et en anglais. La langue change chaque heure. Sur le continent américain, la chaîne diffuse également deux heures de programme en espagnol. Enfin, la chaîne est diffusée pendant trois heures avec un sous-titrage ou un voice over en arabe. La chaîne produit également vingt minutes de journaux télévisés en dari et en pachtou mis à disposition de la télévision publique afghane.

Deutsche Welle-TV disposait en 2002 d'un budget propre de 83 millions d'euros, dont 10 millions d'euros consacrés à la technique. Le groupe Deutsche Welle disposait pour sa part de 284,4 millions d'euros en 2002. Si l'on intègre les prestations assurées par le groupe pour le compte de la télévision, le budget s'élève en fait à 121,5 millions d'euros contre 162,9 millions d'euros pour la radio en 2002. La chaîne dispose de 400 personnes sous statut et de 800 pigistes.

EuroNews a été créée en 1993 par un consortium de chaînes publiques, membres de l'UER (Union européenne de radiodiffusion), principalement issues de l'Europe de l'ouest, avec une forte présence dans le bassin méditerranéen et une ouverture sur l'Europe de l'est et du nord. Il s'agit d'une chaîne paneuropéenne d'information tout en images, diffusée simultanément en sept langues - le français, l'anglais, l'allemand, l'espagnol, l'italien, le portugais et le russe - et abordant l'actualité européenne et internationale dans une perspective et selon un point de vue européen destiné aux Européens.

Le modèle économique de la chaîne est basé sur la mise à disposition de contenus par l'ensemble des actionnaires, ce qui lui permet de concentrer ses moyens financiers (elle dispose d'un budget annuel de 30 millions d'euros) sur la distribution et donc le multilinguisme. Grâce à son modèle « tout images », sa structure est relativement réduite puisque la chaîne dispose de 257 salariés, dont une rédaction de 157 journalistes.

EuroNews est distribuée auprès de 123 millions de foyers dans 78 pays à travers le monde, avec une forte concentration sur l'Europe (113 millions). En terme d'audience, à ce jour, 3,6 millions de téléspectateurs regardent la chaîne tous les jours sur le câble et le satellite, auxquels s'ajoutent 1,4 million de téléspectateurs via les fenêtres hertziennes de retransmissions de ses programmes sur les chaînes publiques. Cette distribution est relativement proche de celle de CNN sur le marché européen, le Moyen-Orient et l'Afrique, loin devant BBC World. Quant à son audience, elle est comparable à celles de CNN et de BBC World.

∙ La montée en flèche des chaînes arabes, comme Al Jazira (Qatar), mais également désormais Al Arabiya (Arabie Saoudite) voire Abu Dhabi TV est un élément à prendre en compte car elle émettent sur une zone d'influence traditionnelle de la France et constitueront donc pour la future chaîne d'information française une concurrence ré Autant de questions centrales dont les réponses détermineront le caractère, l'esprit, le discours éditorial et, en fin de compte, le succès de la future chaîne française d'information internationale.

Si tout le monde s'accorde sur ce que cette chaîne ne doit pas être, c'est à dire être identifiée comme « la voix de la France », une définition « positive » de sa ligne éditoriale se révèle plus délicate. Car, sans tomber dans les travers d'un média officiel de propagande (comme l'est par exemple la radio Voice of America), elle devra néanmoins refléter la spécificité de la position diplomatique française.

Cette chaîne devra également exprimer l'originalité du regard que la France et les Français portent sur le monde et offrir aux téléspectateurs du monde entier une occasion de mieux connaître la France d'aujourd'hui, avec toute sa richesse et sa diversité sociale et culturelle.

La voie à suivre semble donc être celle du respect de la diversité des opinions et d'une déontologie professionnelle exigeante et responsable.

3. Complexité linguistique

La question de la langue - ou des langues - utilisée par la future chaîne est particulièrement délicate, car elle touche à des enjeux qui peuvent se révéler contradictoires. Une priorité doit donc être clairement établie quant à la vocation de la chaîne : celle-ci est-elle conçue comme un outil de défense de la francophonie - auquel cas elle doit exclusivement « parler » français - ou bien comme un vecteur de diffusion de la culture française et de la vision française du monde - ce qui implique de s'adresser aux publics visés dans leur langue, ou tout au moins dans une langue qu'ils comprennent - ?

Selon le site Internet du ministère des affaires étrangères1, le français se situe au neuvième rang des langues les plus utilisées (sur plus de 2 000 langues comptabilisées). On compte aujourd'hui un peu plus de 169 millions de francophones à travers le monde, soit 3,2 % de la population mondiale. L'Europe regroupe 44 % de la population francophone, l'Amérique 7,6 %, l'Afrique 46,3 %, l'Asie 1,8 % et l'Océanie 0,3 %.

La comparaison de ce public potentiel avec le nombre de foyers couverts par CNN International et BBC World2 parle d'elle-même : si la chaîne française d'information internationale souhaite conquérir une véritable influence mondiale, si elle ne veut pas être un média destiné à une élite, elle ne peut se contenter du champ francophone. La quasi-totalité des personnes auditionnées par la mission a abondé dans ce sens.

Le consta

Il ne faut surtout pas ignorer ou sous estimer les problèmes liés à la diffusion, à la distribution et à la commercialisation de cette chaîne. Selon un spécialiste de ces questions (Lagardère Network international), les obstacles à la distribution internationale d'une telle chaîne sont en effet nombreux et variés :

_ Obstacles d'ordre technique

Il faut tout d'abord tenir compte du fort encombrement voire de la saturation des réseaux de distribution en technologie analogique : trouver une place pour être diffusé, et qui plus est à une place intéressante du plan de services (il n'est pas indifférent d'être la chaîne 10 ou la chaîne 325...), n'est pas aisé. Le mouvement mondial de fusion des plateformes (câble et satellite) accroît encore ce phénomène. Les réseaux numériques eux-mêmes manquent de nouvelles capacités, notamment sur certains bouquets satellites. les investissements dans ce secteur, particulièrement coûteux, ont pris du retard dans de nombreux pays.

Les règles de « must carry » appliquées dans de nombreux pays limitent également d'emblée les capacités d'accueil de nouvelles chaînes étrangères, la place disponible devant, en priorité, être accordée aux chaînes nationales.

Par ailleurs, il demeure difficile de coupler plusieurs systèmes de cryptage sur les signaux encodés. les exemples de simultcrypt avec plus de trois systèmes parallèles sont rares et limitent donc l'initialisation d'une même chaîne cryptée au sein de plusieurs bouquets sur la même position satellitaire.

Enfin, si l'on souhaite proposer un programme en plusieurs langues (par le biais de décrochages régionaux), le signal devra comporter, en analogique, plusieurs canaux sons, ce qui implique la location d'autant de sous porteuses supplémentaires : cela a évidemment un coût. Le développement de la diffusion numérique facilitera, de ce point de vue, la diffusion en différentes versions.

_ Obstacles d'ordre économique

Le contexte actuel est à une révision drastique des rémunérations des chaînes par les opérateurs (entre - 30 et - 50 %) en raison de leur fragilité économique et des mouvements de restructuration du secteur (concentrations par fusion/acquisition des plateformes satellites et entre câblo-opérateurs), qui se traduisent également par des résiliations et/ou des non-renouvellements de contrat de diffusion.

La professionnalisation croissante des opérateurs leur confère également un pouvoir de négociation accru : ils se font plus exigeants dans les tarifs qu'ils proposent et dans la composition des offres commerciales et mènent de plus en plus des négociations groupées (alliance de différents réseaux câblés, par exemple).

_ Obstacles liés au contenu

L'offre globale de contenus a connu une très forte croissance ces dernières années. De nouveaux acteurs sont apparus sur le marché des chaînes thématiques, notamment grâce à la progression de la numérisation et à la baisse des coûts de diffusion, qui ont diminué le prix du ticket d'entrée sur le marché. Il s'agit donc désormais d'un marché fortement concurrentiel, caractérisé par :

- Une préférence pour des offres domestiques ou « localisées » :

Les chaînes d'origine étrangère ont du mal à pénétrer les marchés où leur thématique est déjà bien représentée par des chaînes nationales (cf. par exemple les difficultés rencontrées par CNN pour s'installer en France, où l'offre de chaînes d'information domestiques est déjà bien développée). De plus, les chaînes qui ne « parlent » pas la langue du pays sont fortement pénalisées, quelle que soit leur qualité (c'est par exemple le cas de la chaîne Paris Première qui, malgré la qualité de ses programmes, a du mal à s'exporter). Ce dernier constat a d'ailleurs conduit des chaînes à l'origine internationales (comme CNN International ou Discovery) à faire de gros efforts de « régionalisation » pour adapter leur offre aux marchés ciblés, notamment du point de vue linguistique ;

- Une prime aux chaînes thématiques pionnières, souvent anglo-saxonnes, qui sont devenues incontournables (CNN, BBC, MTV Networks, Discovery, etc.) ;

- Le développement de stratégies de déclinaison des chaînes déjà implantées (Eurosport News ou Discovery Kids, par exemple).

Pour parvenir à pénétrer le marché, il convient donc de mettre en place une véritable stratégie de commercialisation, car être présent sur un satellite ou une offre câblée ne suffit pas à parvenir jusqu'au téléspectateur.

B. UNE AMBITION JUSTIFIÉE ET NÉCESSAIRE

S'il est complexe, ce projet est cependant porteur d'une ambition justifiée et nécessaire.

Cette justification, c'est d'abord ce que Dominique Wolton a appelé « l'autre mondialisation », qui met la culture et la communication au cœur des défis mondiaux. Comme l'indique cet auteur, « La France et l'Europe appartiennent à des sociétés anciennes, qui ont, depuis le XVIème critique ?

Plusieurs personnes auditionnées par la mission ont souligné qu'il existe dans le monde une véritable attente d'une information non anglo-saxonne. Après la remise de ce rapport d'étape, la mission d'information commune s'attachera à approfondir cette question mais elle considère d'ores et déjà que la France dispose ici d'un atout politique et culturel majeur que la future chaîne devra être capable d'exploiter pleinement. Une vision du monde « à la française » fait aujourd'hui défaut dans le paysage audiovisuel international.

Ambition justifiée par l'histoire donc, mais également par l'actualité en devenir : l'émergence de la chaîne Al Jazira ne profile-t-elle pas la question de l'accompagnement médiatique des opinions publiques en Amérique latine, en Afrique, en Asie ? Et, si tel est le cas, ne faut-il pas « prendre les devants » ?

Comme l'a souligné M. Hervé Bourges lors de son audition par la mission, dix ans après la première guerre du Golfe, la France se retrouve face à un même constat : la guerre en Irak « révèle notre incapacité à exister dans la guerre des images, notre incapacité à déployer les armes de la conviction massive que sont CNN d'un côté ou Al Jazira de l'autre. Nos images d'information ne sont pas reprises dans le monde et nous restons, à l'inverse, dépendants des images d'autrui, en particulier des images américaines. ».

Aux côtés de TV5, qui doit demeurer le vecteur des connaissances et de la culture françaises dans le monde et principalement auprès des publics francophones, la France doit se doter d'un outil international de rayonnement médiatique afin de pouvoir influer directement, par ses images et la vision des évènements qu'elle véhicule, sur la constitution et l'orientation de « l'opinion publique mondiale » qui est en train de devenir, sous nos yeux, une réalité.

Ambition justifiée donc, mais également ambition nécessaire. Nul n'y voit très clair dans l'enchevêtrement des structures audiovisuelles françaises vers l'extérieur, et cette confusion des genres n'est pas sans rejaillir sur l'audiovisuel public national, qui peine désormais à définir l'identité de ses différentes chaînes.

Rassembler les moyens, organiser les équipes, définir les fonctions auxquelles chacun doit répondre, voilà qui donnera plus de lisibilité à la démarche audiovisuelle internationale de la France. Cela doit donc être, sinon la vocation, en tout cas la conséquence de la création de la chaîne française d'information internationale.

II. UTILISER LES ATOUTS ET SURMONTER LES HANDICAPS DU PAYSAGE AUDIOVISUEL FRANÇAIS

A. DES ATOUTS À EXPLOITER

∙ S'agissant de l'audiovisuel extérieur, la mission a entendu les responsables de TV5, de RFI et d'EuroNews. Ces opérateurs ont une très bonne connaissance du marché international de l'information et disposent chacun de qualités intéressantes.

TV5 a ainsi récemment décidé de produire ses propres journaux d'information à raison de trois heures par jour : sa rédaction se fournit en images auprès des chaînes partenaires (les chaînes publiques françaises, belge, québécoise et suisse romande) et hiérarchise l'information pour un public international. Elle dispose donc, avec sa rédaction, d'une expérience et de ressources extrêmement utiles pour la future chaîne.

RFI dispose pour sa part d'une expérience du multilinguisme, puisque l'antenne est partagée entre le français et environ vingt langues étrangères. Elle pourrait donc faire bénéficier la future chaîne de son savoir-faire en matière d'organisation de l'antenne et, surtout, en matière de recrutement et de management d'équipes plurilingues et plurinationales. La diversité culturelle des journalistes ne doit en effet pas nuire à la cohérence de l'antenne et nécessite une organisation spécifique des rédactions mise en œuvre avec succès par RFI.

Quant à EuroNews, elle dispose également d'une rédaction en plusieurs langues et d'une expérience de diffusion plurilingue. Il est vrai que cette chaîne s'inscrit dans une logique différente des autres chaînes d'information internationales puisqu'elle fonctionne sur la base du tout images, ce qui permet une grande souplesse dans la diffusion. Il n'empêche que son expérience constitue également un atout pour la future chaîne, dont on pourrait imaginer qu'elle reprenne une partie des programmes en langue étrangère.

∙ S'agissant des chaînes domestiques d'information continue LCI et i<Télé, qui dépendent respectivement du groupe TF 1 et Canal +, elles ont également fait part de leur intérêt pour la future chaîne d'information en mettant en avant leur savoir-faire en matière de traitement continu de l'information. Ces deux opérateurs privés disposent en effet de rédactions organisées pour un tel traitement de l'information. Elles ont une véritable maîtrise des contraintes organisationnelles liées aux exigences d'une couverture permanente de l'information.

Leur savoir-faire porte sur le partage de la grille entre un journal en direct, qui suppose la capacité d'analyser à chaud l'événement et de se procurer dans les meilleurs délais les images permettant d'illustrer l'information, et des émissions d'information froide, composées soit de magazines (documentaires, reportages), soit d'émissions de plateaux (débats chaînes. Le principal opérateur du service public audiovisuel avait par ailleurs lancé un projet de chaîne nationale d'information continue pour le réseau numérique terrestre, qui constitue une base utile pour la conception de la future chaîne d'information à vocation internationale. De plus, par son appartenance à l'Union européenne de radio-diffusion (UER), France Télévisions dispose d'un accès gratuit et privilégié à l'ensemble des images produites par les télévisions partenaires de cette union, ce qui permettrait d'alimenter très utilement la chaîne d'information continue à vocation internationale en images provenant de l'ensemble des pays d'Europe.

RFO, pour sa part, pourrait apporter au projet son expérience dans la fournitures de programmes puisqu'elle gère actuellement l'AITV, une agence de presse spécialisée dans les questions africaines qui produit des sujets fournis clé en main, principalement aux télévisions africaines et à CFI. Enfin, ARTE qui, compte tenu de son statut de chaîne franco-allemande, ne pourra être mise à contribution que pour sa partie française, est également susceptible de faire bénéficier la future chaîne de son savoir-faire en matière culturelle en lui fournissant des programmes pour la partie froide de sa programmation (magazines culturels ou émissions de plateau visant à mettre l'information en perspective).

De son côté, La Chaîne Parlementaire, à travers sa mission d'exposition et de valorisation de la vie et de l'activité parlementaires, est susceptible d'apporter des programmes d'actualité politique et de mise en perspective de l'activité internationale des assemblées. Elle pourrait d'ailleurs trouver, dans cette diversification de ses productions, une nouvelle dimension et un nouveau dynamisme.

2. L'existence de solides réseaux de correspondants à l'étranger

Les différents opérateurs de l'audiovisuel français disposent donc d'atouts importants pour la réussite de la future chaîne d'information continue à vocation internationale. Mais celle-ci devra également s'appuyer sur un réseau implanté de manière internationale pour lui permettre de couvrir l'actualité internationale de la manière la plus réactive possible. De même qu'il faudra favoriser les synergies entre les opérateurs en France, il faudra également tirer le meilleur parti de nos ressources à l'étranger.

Le premier de nos réseaux de presse à l'étranger est celui de l'AFP, qui fonctionne avec 2 400 personnes, dont 1 400 journalistes, et qui dispose de 116 bureaux dans le monde entier lui permettant d'assurer une couverture permanente de l'actualité par ses dépêches. L'audition de son directeur, M. Bertrand Eveno, a en outre permis de souligner le mouvement d'internationalisation de l'Agence, dont 45 à 50 % de la production de dépêches textes est aujourd'hui en anglais, en allemand, en arabe, en espagnol et en portugais. L'AFP apparaît donc comme un partenaire incontournable de la future chaîne, même si à l'heure actuelle la fourniture d'images vidéo demeure très subsidiaire. Ell Télévisions, elle dispose de services étrangers comptant vingt-cinq journalistes ainsi que des correspondants permanents dans une dizaine de grandes capitales du monde.

S'agissant de la fourniture de programmes, d'autres réseaux pourront être utilement sollicités. RFO pourrait mettre à disposition ses journalistes basés dans les différentes collectivités d'outre-mer et qui peuvent être projetés dans les pays voisins des zones d'implantation des rédactions de la chaîne (Caraïbes, Pacifique, Madagascar). EuroNews dispose, pour sa part, d'images de l'ensemble des chaînes publiques européennes assorties de commentaires dans différentes langues. ARTE, enfin, bénéficie d'un accès privilégié aux programmes des grandes chaînes publiques allemandes, puisque celles-ci sont actionnaires de la chaîne, et elle dispose d'une rédaction franco-allemande privilégiant d'ores et déjà une lecture internationale de l'actualité.

3. Des compétences en matière de diffusion et de commercialisation

Outre la nécessité de fédérer les réseaux existants à l'étranger pour la fourniture d'images et de sujets, se pose la question de la diffusion de la future chaîne. Les opérateurs publics disposent d'ores et déjà d'atouts importants pour favoriser la diffusion de la chaîne. Quant aux opérateurs privés, ils ont fait part à la mission d'information commune de leur intérêt pour la chaîne française d'information continue à vocation internationale, dans la mesure où celle-ci leur permet de compléter leur offre.

RFI bénéficie ainsi, par son service des études, d'un excellent instrument d'analyse marketing des publics étrangers, qui pourrait utilement aider à définir la stratégie de diffusion de la chaîne et à ajuster ses programmes pour répondre à la demande en tenant compte de la spécificité des différentes zones culturelles. RFI dispose également de nombreux partenariats avec des opérateurs audiovisuels dans le monde entier qui pourront être mis à profit.

TV5 a une solide expérience de la distribution sur le câble et le satellite, qui seront les voies privilégiées de transport de la future chaîne, dans la mesure où, par sa nature, elle peut difficilement prétendre à une diffusion par la voie hertzienne. Présente sur 42 satellites, TV5 figure dans la quasi totalité des bouquets satellitaires et est très bien distribuée en Europe. Son expérience en la matière pourrait bénéficier à la future chaîne, d'autant que celle-ci est largement complémentaire de la chaîne francophone généraliste.

La banque de programmes publique CFI dispose, pour sa part, d'un réseau mondial de transport par satellite, qui pourra être utilisé pour le transport de la future chaîne. CFI a, par ailleurs, des partenariats avec une centaine de chaînes de télévision, principalement en Afrique, au Proche et Moyen Orient et en Europe de l'Est. Ceux-ci pourront ê bouquets de chaînes thématiques comportant d'ores et déjà plusieurs chaînes francophones. Elle pourrait ainsi conquérir assez rapidement un public en bénéficiant du soutien logistique de ces spécialistes de la commercialisation de programmes.

B. DES HANDICAPS À TRANSCENDER

Si le paysage audiovisuel français dispose de nombreux atouts qui seront autant de richesses à exploiter pour la construction de la future chaîne d'information internationale, il souffre également, et tout particulièrement le secteur public, d'un certain nombre de handicaps qu'il conviendra de surmonter pour assurer le succès du projet. Parmi les principaux écueils, on retiendra l'éparpillement des forces et des financements, la rigidité des statuts des personnels et la difficulté à contrôler pleinement des structures de nature internationale.

Pour ce qui concerne plus particulièrement l'action audiovisuelle extérieure, ce rapport ne reprendra pas l'excellent travail de fond réalisé par la Cour des comptes durant l'année 2002. Le I du chapitre VI de son rapport public pour 2002, intitulé « L'action audiovisuelle extérieure depuis 1990 », examine en effet dans le détail les coûts et les structures et porte un jugement sévère mais éclairant sur le « manque de cohérence et l'absence de vision stratégique de la politique audiovisuelle extérieure. ».

1. Un service public de l'audiovisuel morcelé et stratifié

L'examen du budget de la communication donne chaque automne aux parlementaires l'occasion de vérifier, la plupart du temps pour le déplorer, l'éclatement de l'audiovisuel public français, tant pour ce qui concerne le marché domestique que pour notre projection à l'extérieur, et la dispersion des énergies, des savoir-faire et des financements entre une multitude de société et d'organismes qui, malgré une histoire largement commune et des missions qui ne le sont pas moins, persistent à défendre farouchement leur territoire et leurs prérogatives... comme autant de réserves d'indiens !

Récapitulons : pour 2003, les crédits ouverts sur le compte d'affectation spéciale d'emploi des produits de la redevance pour droit d'usage des appareils de télévision (CAS n° 902-15) étaient évalués par le projet de loi de finances à 2 468,03 millions d'euros. Ces crédits sont affectés au financement de six sociétés et organismes audiovisuels publics, selon la répartition suivante :

- Répartition en 2003 des crédits ouverts
sur le compte d'emploi de la redevance audiovisuelle
-
en millions d'euros

INA

68,22

France Télévisions

1 499,53

ARTE France

189,03

RFO

203,05

Radio France

455,90

RFI

455,90

TOTAL

2 468,03

(Source : PLF 2003)

A ce financement par la redevance, il convient d'ajouter les subventions accordées par le ministère des affaires étrangères aux organismes qui, à un titre ou un autre, participent à l'action audiovisuelle extérieure de la France. Le tableau ci-après reflète une nouvelle fois la grande diversité de ces bénéficiaires et le saupoudrage de dotations publiques qu'elle entraîne.

Au total donc, ce sont 2 468 millions d'euros de redevance et 165 millions d'euros de subventions du ministère des affaires étrangères (chapitre 42-14), soit 2,633 milliards d'euros qui bénéficient en 2003 à une bonne douzaine d'organismes différents. Cela fait tout de même beaucoup d'argent, pour une lisibilité et une cohérence que chacun s'accorde à considérer comme insuffisante.

- Dotations publiques aux opérateurs de l'audiovisuel extérieur -
en millions d'euros

1998

1999

2000

2001

2002

2003

LFI

exécution

PLF

RFI

113,82

110,05

113,26 (2)

116,35

122,41

122,41

122,97

- dont redevance

44,91

25,22

43,51

47,41

51,22

51,22

52,3

RMC - Moyen-Orient

4,27

4,47

4,27

5,41

4,27

4,27

4,27

Radio Paris Lisbonne (1)

0,30

0,30

-

-

-

-

-

Medi 1

1,16

1,22

1,07

2,59

1,07

-

0,61

Radio Paris Oslo (2)

0,20

-

-

-

-

-

-

TV5

41,70

53,27

58,03

60,40

62,62

62,64

64,79

CFI

23,77

23,32

23,07 (3)

22,52

22,52

22,03

22,50

Portinvest (Le Sat)

1,95

3,09 (5)

1,95

1,65

1,65

0,70

1,00

France Télévisions

5,03 (4)

2,03 (4)

2,03 (4)

1,11

0,96

1,11

0,75

Bouquets satellitaires

6,11

9,30

8,65

6,78

10,39

8,54

6,23

EuroNews (6)

3,26

3,26

3,26

3,26

3,20

3,20

2,59

Soutien à l'exportation

1,49

2,79

3,35

3,71

3,96

3,95

3,98

TOTAL

203,06

213,10

218,94

223,78

233,05

228,85

229,69

(Source : PLF 2003)

(1) Dotation intégrée à celle de RFI à partir de 2000.

(2) Financée sur le chapitre 42-11 à partir de 1999.

(3) Dont 2,3 M€ versés à la SOFIRAD pour la recapitalisation de sa filiale.

(4) Dont droits Tunisie (rattrapage 1993-1999).

(5) Dont 0,76 M€ versés à CFI pour recapitalisation de sa future filiale.

(6) Dont 2,59 M€ versés par les actionnaires France 2 et France 3.

Chaque structure apparaît comme fortement cristallisée sur ses objectifs propres et surtout, sur sa sauvegarde, qui passe par le maintien voire l'augmentation des crédits publics qui lui sont alloués chaque année. Toute perspective d'évolution des missions ou des structures, ou tout projet de rapprochement ou de collaboration avec les autres organismes publics de l'audiovisuel sont donc avant tout ressenti comme une remise en cause de l'existant et analysé plus en terme de résistance que d'engagement. En témoigne par exemple l'impossibilité constatée de procéder, lors de la dernière réforme de la loi du 30 septembre 1986 sur la liberté de communication, à l'intégration de RFO et de ARTE-France dans la holding France Télévisions.

Au long de leurs auditions, les membres de la mission d'information commune ont à nouveau ressenti cette résistance, cette réticence à toute perspective de réorganisation et de restructuration. Chacun a été d'accord sur la nécessité de créer une chaîne française d'information internationale, mais seulement si ce projet n'entraînait aucun réexamen de ses « droits acquis » et permettait au contraire de valoriser une spécificité ou de résoudre un problème de sa société.

Changer de façon de faire et contraindre les mentalités à évoluer est donc un enjeu au cœur du projet de chaîne française d'information internationale. Celui-ci devra certes être élaboré de façon à éviter les pièges de « l'égocentrisme » des structures « historiques », qui auraient vite fait de noyer la nouvelle chaîne sous leurs propres priorités. C'est pourquoi il semble nécessaire, pour donner l'élan nécessaire au projet sans pour autant l'entraver, de créer une structure nouvelle, indépendante, dotée d'un statut adapté, des technologies les plus modernes et d'un personnel motivé et de haut niveau.

La réussite du projet dépendra néanmoins de son aptitude à fédérer et à utiliser l'ensemble des capac relèvent du droit public et de la compétence administrative,

- le droit de grève, aménagé par l'article 57 de la loi du 30 septembre 1986. Les exigences liées à la continuité du service public imposent en effet deux limites à son exercice effectif : l'existence d'un préavis et la nécessité de maintenir un service minimum.

Cependant, la situation des personnels est également réglementée par un droit d'origine conventionnelle qui est lui très exorbitant du droit commun. La convention collective de la communication et de la production audiovisuelles a été signée le 31 mars 1984 par l'association des employeurs de l'audiovisuel du secteur public et par les syndicats SURT-CFDT, SNFORT et SCORT-CGC.

Il ne s'agit pas d'une convention étendue, puisqu'elle ne couvre pas l'ensemble du secteur : France 5, ARTE-France et les opérateurs de l'audiovisuel extérieur sont en dehors de son champ d'application. Son application à France 2, France 3, RFO et Radio France rigidifie néanmoins fortement, notamment au sein du groupe France Télévisions, les relations sociales et limite les possibilités d'évolution de l'organisation du travail dans ces entreprises.

Cette convention, très protectrice pour les salariés, a en effet conduit à une cristallisation progressive des emplois et des taches ainsi qu'à une rigidité croissante de la masse salariale, qui font aujourd'hui obstacles aux évolutions rendues nécessaires par la révolution technologique qu'a connu le secteur audiovisuel depuis dix ans avec l'arrivée du numérique. A l'ancienne distinction entre le journaliste et les techniciens, se substitue désormais la profession de journaliste-reporter, qui filme et monte, après avoir conduit l'entretien.

La convention comprend notamment un système de classifications professionnelles qui n'est plus adapté à cette évolution des métiers. Il est constitué par une liste très détaillée d'emplois, alors qu'il devrait plutôt se présenter comme un schéma plus souple, précisant pour chaque catégorie des critères classant de niveaux hiérarchiques et de responsabilité, laissant aux accords d'entreprises le soin de fixer en fonction des principes ainsi dégagés, la liste effective des emplois.

Ce système de classification est directement corrélé au mode de calcul des rémunérations, alors qu'il serait logique que la convention collective ne détermine, comme dans les autres secteurs, que les salaires minimaux et renvoie aux accords d'entreprises la fixation des salaires réels.

La convention encadre également très strictement les modalités d'avancement, en privilégiant fortement l'ancienneté sur le mérite et les promotions individuelles et a par contre défini, pour les personnels techniques, un régime relativement laxiste d'heures supplémentaires, très coûteux pour l'entreprise.

Par ailleurs, les accords de ré moins qu'aisée.

En effet, si cette convention a été conclue par période de trois ans renouvelable, les formes prévues pour sa renégociation sont si contraignantes qu'il est en fait impossible aux partenaires sociaux de discuter sereinement. Il existe en pratique une « fenêtre de tir » d'une durée d'un an tous les trois ans, au cours de laquelle les rapports entre partenaires sociaux ont naturellement tendance à se crisper. Résultat : tout mouvement pouvant alors être interprété comme un acte d'hostilité, les sociétés et la tutelle on jusqu'à présent renoncer à remettre en question la convention.

Si une dénonciation globale de la convention semble donc écartée, l'Association des employeurs du service public de l'audiovisuel a néanmoins engagé, en accord avec les tutelles, des négociations en vue de pouvoir réaliser des révisions partielles du dispositif conventionnel. Dans une approche graduelle, il serait vraisemblablement plus facile d'engager des négociations sur le système de classifications et le système salarial qui lui est lié, ainsi que sur les questions relatives à l'organisation du travail. Cela permettrait aux négociations d'entreprises d'occuper enfin l'espace qui leur revient normalement en ces matières et au dispositif conventionnel de s'adapter aux spécificités de chacune des sociétés et de chaque catégorie de personnels ainsi qu'aux nouvelles exigences d'un secteur en évolution rapide.

3. Les statuts particuliers d'EuroNews, de TV5 et d'ARTE

EuroNews, TV5 et ARTE font partie du paysage audiovisuel français et sont, pour deux d'entre elles, considérées comme des piliers de son action audiovisuelle extérieure. Il s'agit pourtant de chaînes de nature bilatérale ou multilatérale que la France, même si elle les finance largement, ne saurait intégralement maîtriser et donc utiliser comme le socle d'une chaîne française d'information internationale.

Dans son rapport public 2002 précité, la Cour des comptes s'est d'ailleurs interrogée sur la pertinence de la stratégie appliquée en matière d'audiovisuel extérieur : « Paradoxalement, l'essentiel de la présence des images françaises à l'extérieur repose sur Arte-France et Satellimages-TV5, structures internationales où la France, tout en apportant un financement majoritaire, doit tenir compte des exigences de la coopération avec ses partenaires allemand pour la première et francophones pour la seconde. »4.

EuroNews a été créée en 1993 par un consortium de chaînes publiques, membres de l'UER, principalement issues de l'Europe de l'Ouest. Le noyau dur de son actionnariat est composé de France Télévisions pour la France, de la RAI pour l'Italie, de la RTVE pour l'Espagne et de la SSR pour la Suisse.

Jusqu'au 24 avril dernier, le capital de SOCEMIE, société holding propriét 'Arial'; font-size: 10pt">Les décisions au sein de la SECEMIE, désormais unique propriétaire d'EuroNews, doivent donc refléter les options de ses différents actionnaires. Or, si la France, par le biais de France Télévisions, est l'actionnaire le plus important, elle ne dispose pas néanmoins de la majorité au sein de la chaîne, qui demeure un média de nature et à vocation européennes. Il ne semble donc pas envisageable d'utiliser EuroNews comme base pour la future chaîne française d'information internationale. C'est d'ailleurs ce qu'a confirmé M. David LOWEN, Directeur général d'EuroNews, lors de son audition par la mission d'information commune, en soulignant que sa chaîne avait clairement vocation à être un partenaire actif de la future chaîne, mais que « ce serait sans doute notre limite, car je ne pense pas que nos actionnaires souhaitent devenir les propriétaires et lancer seuls une nouvelle chaîne d'information française. ».

Satellimages-TV5 est une société anonyme de droit français, dont le capital est détenu aux deux tiers par des entreprises publiques de l'audiovisuel français, et pour le tiers restant, à égalité entre la RadioTélévision belge de langue française, la Société suisse de Radiodiffusion et le Consortium de télévision Québec-Canada. Au sein des actionnaires français, on compte, depuis 1999 et le retrait de la Sofirad, France 2 (17,5 % des parts), France 3 (17,5 %), France 5 (12,5 %), La Sept-ARTE (12,5 %), RFO (4 %) et l'Institut national de l'audiovisuel (2,7 %).

« Expression audiovisuelle de la francophonie multilatérale », selon la formule du ministre des affaires étrangères, TV5 a été créée en novembre 1983 pour organiser la programmation, faire diffuser et exploiter des émissions de télévision par satellite, à partir de programmes fournis gratuitement par ses actionnaires. Elle est aujourd'hui un outil clé de la francophonie, dont les moyens sont régulièrement évoqués à chaque Sommet des pays ayant le français en partage, et fait à ce titre l'objet d'une surveillance jalouse de la part des principaux partenaires francophones de la France.

Si la France est majoritaire en terme de détention du capital ainsi que de financement (65,2 millions d'euros en 2002 pour un budget total de 82 millions d'euros) et fortement décisionnaire en ce qui concerne la grille de programme et la ligne éditoriale, il est néanmoins impossible, compte tenu de l'importance de la chaîne pour la politique francophone, d'envisager sa transformation en chaîne française d'information internationale. On rappellera que le plan stratégique de développement de la chaîne pour 2002-2004, qui s'articule autour de trois axes : l'optimisation du réseau mondial de diffusion, la diversification de la programmation et la mise en place d'une information mondiale de référence, a été approuvé par les ministres français, belge, suisse, canadien et québécois.

Une éventuelle remise en cause des objectifs de TV5 voire sa réorientation passerait donc inévitablement par une concertation multilatérale qui ne saurait ouvrir l depuis peu au Canada pour diffuser une « Chaîne des arts ». La chaîne, du fait de son statut international, n'est pas soumise au contrôle du CSA et occupe, au sein de l'audiovisuel français, une position sanctuarisée.

Lors de son audition par la mission d'information commune, M. Jérôme Clément, président d'ARTE, a clairement fait état de la réticence de nos partenaires allemands à voir ARTE s'engager en tant que telle dans un projet français de chaîne d'information internationale : « Les Allemands(...) n'y croient pas, n'ont pas d'argent pour ce type de projet et considèrent que cela ne fait pas partie de la mission d'ARTE. ». L'utilisation de l'expérience multilingue d'ARTE et de son savoir-faire en matière de traitement international de l'information ne pourra donc se faire que par un partenariat avec ARTE-France.

III. PRÉCONISATIONS

L'ensemble de la mission d'information s'accorde à considérer que la France a besoin d'une structure audiovisuelle d'expression internationale qui lui soit propre et qui puisse s'intégrer dans une stratégie rénovée et clarifiée de sa politique audiovisuelle extérieure.

Compte tenu de l'importance des acteurs publics en matière d'audiovisuel extérieur et, a contrario, de la faible activité des grands diffuseurs privés français à l'étranger, il est du devoir des pouvoirs publics de définir cette stratégie et, en conséquence, les aspects constitutifs principaux de la future chaîne d'information internationale. Comme le résume fort bien M. Philippe Baudillon dans son rapport au Ministre des affaires étrangères, « Les pouvoirs publics doivent s'impliquer dans la structuration d'une stratégie durable et adaptée à leur priorités. (...) Il revient aux pouvoirs publics de définir préalablement l'architecture du projet, pour que les opérateurs audiovisuels puissent le développer ensuite de manière optimale. »5.

L'intervention de la mission d'information commune sur ce dossier relève de cette inspiration : comme cela a été précisé en introduction, l'implication active du Parlement dans la définition des grandes lignes du projet est une garantie pour son pluralisme et sa crédibilité.

1. Le statut

_ La mission d'information commune propose que la chaîne soit constituée sous la forme d'un groupement d'intérêt public (GIP), regroupant, au sein d'une entité unique assurant une mission d'intérêt général, des opérateurs publics comme France Télévisions, RFI, RFO, ARTE France, l'AFP, des structures internationales comme TV5 et EuroNews et des entreprises privées comme TF1 (LCI) ou Canal + (i<Télé).

Le statut de la future chaîne d'information à vocation internationale doit lui permettre d'as individualité. Il peut constituer un cadre utile pour réaliser un projet partagé par plusieurs sociétés. A ce stade, il semble toutefois préférable de lui préférer la formule du groupement d'intérêt public (GIP).

En effet, les auditions conduites par la mission d'information commune ont montré l'intérêt qu'il y aurait à associer au sein d'une même entité France Télévisions, RFI, RFO, ARTE France, La Chaîne Parlementaire, l'AFP, mais aussi TV5 et EuroNews, dont les statuts sont internationaux, ainsi que TF1 (LCI) et Canal + (i<Télé), qui relèvent du droit privé. Le rôle de la future chaîne étant de diffuser dans le monde une vision française de l'actualité internationale, sa mission présente incontestablement un caractère d'intérêt général. Les opérateurs qui sont susceptibles d'y contribuer sont par ailleurs majoritairement publics. La formule du groupement d'intérêt public semble en conséquence mieux adaptée au projet que celle du groupement d'intérêt économique.

Comme l'indique le Conseil d'Etat dans son rapport du 27 juin 1996 consacré aux groupements d'intérêt public, « chaque fois qu'une coopération présente un intérêt public et est engagée par des personnes morales de droit public, les structures classiques de droit public ou, lorsque cette coopération fait appel à des personnes morales de droit privé, le groupement d'intérêt public, doivent être préférés à l'association ou au groupement d'intérêt économique. » Quant à ce dernier, « l'ordonnance de 1967 lui donne pour vocation de faciliter le développement économique de ses membres. Il ne s'agit donc pas, sauf exception, d'une structure adaptée à la mise en œuvre de missions d'intérêt général. »

Le groupement d'intérêt public (GIP) repose sur quatre principes :

- le principe de liberté implique que les membres du GIP s'engagent par une convention librement négociée dans le cadre défini par la loi ;

- le principe de majorité publique impose que les personnes morales de droit public, ou de droit privé dès lors qu'elles sont chargées d'un service public, disposent de la majorité des voix dans l'assemblée du groupement et dans le conseil d'administration qu'elles désignent ;

- le principe de totalité implique, pour sa part, que toute personne apportant sa contribution au groupement en soit membre à part entière et signe la convention constitutive ; elle participe en outre à son administration ;

- le principe de proportionnalité enfin a pour conséquence de déterminer le nombre de voix au sein de l'assemblée générale en fonction de la contribution de chacun des membres.

Le statut de GIP offre donc un cadre s style="font-family: 'Arial'; font-size: 10pt">Il reviendra également au législateur de définir les objectifs du GIP, son organisation et les modalités d'exercice de la tutelle de l'Etat. Le conseil d'administration du GIP pourrait d'ailleurs être mis en place sur le modèle de celui de RFI et comporter deux parlementaires, quatre représentants de l'Etat, quatre personnalités qualifiées nommées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel, deux représentants du personnel ainsi que des représentants de l'ensemble des membres du groupement. Ceux-ci pourraient par exemple être représentés au sein du conseil d'administration du GIP par leur président respectif.

Afin de garantir l'indépendance de la nouvelle chaîne, le Conseil supérieur de l'audiovisuel pourrait être chargé d'en désigner le président, de garantir le respect de la convention constitutive du groupement par ses membres et d'assurer un contrôle des contenus et de la déontologie de la chaîne.

Si la loi fixe le cadre général, le fonctionnement du groupement est, pour sa part, déterminé par la convention constitutive qui fait l'objet d'une négociation directe entre ses membres. Pour entrer en vigueur, cette convention devra préalablement avoir été approuvée par l'Etat. Ce mécanisme constitue un indéniable élément de souplesse et un facteur favorable au bon fonctionnement du GIP. Ses différents membres y adhèrent en effet sur la base du volontariat et dans des conditions qu'ils contribuent à définir de manière collégiale. Cette formule juridique permet donc d'allier les garanties que présente le statut de personne morale de droit public avec la souplesse du droit privé.

2. La structure

_ La mission d'information commune propose que la chaîne soit basée sur une structure double, constituée d'une part d'une banque d'images et de programmes, chargée de la collecte de l'information dans le monde entier et d'autre part d'une société éditrice, responsable de l'organisation de l'information et de sa mise à l'antenne.

Pour plus d'efficacité et une exploitation maximale des capacités éditoriales des différents partenaires de la chaîne, celle-ci devrait être basée sur une structure double, organisée autour de deux filiales du GIP.

Une banque d'image et de programmes, alimentée en sujets, reportages, documentaires, images et sons bruts par l'ensemble des partenaires du GIP, cet apport pouvant, selon les dispositions de la convention, être soit gratuit, en contrepartie de la « signalisation » des images, soit payant.

La banque pourra également avoir recours à des « producteurs » extérieurs au GIP, par exemple des sociétés de production spécialisées dans l'info (comme CAPA) ou des médias régionaux associés, évidemment moyennant rétribution.

Cett communiquer en permanence sur « l'offre » et la « demande » d'informations, de façon à assurer une réactivité permanente.

Cette banque devra également disposer des droits à commercialiser les images et sujets diffusés par la chaîne (en rétribuant bien évidemment le producteur initial), afin de devenir une véritable source d'approvisionnement en images pour les télévisions du monde entier et de pouvoir développer une activité de vente de services audiovisuels (journaux télévisés prêts à diffuser, archives, couvertures d'événement spéciaux, monitorings, programmes tout en images), sources de recettes.

_ La mission d'information commune propose que la banque d'images et de programmes soit créée à partir de CFI.

La banque d'images et de programmes reprendrait les activités de banque de programme de CFI-PRO en direction des cent trente télévisions partenaires mais abandonnerait, par contre, ses activités de distributeur (Le Sat) et de diffuseur (CFI-TV) de services sur le continent africain. En conséquence de la logique de recentrage de CFI sur son activité initiale de fournisseur de programmes, ces sociétés devraient être cédées à des opérateurs dont elles constituent le cœur de métier. Les capacités satellitaires actuellement utilisées par CFI-Pro et CFI-TV seraient bien évidemment conservées pour la diffusion de la chaîne internationale.

Cette banque a également vocation à reprendre les activités de l'AITV, l'agence d'image de la société RFO, dont le maintien, dans ce nouveau contexte, n'apparaît pas nécessaire. 6

L'organisation de cette banque permettra de mieux exploiter les compétences des correspondants des différentes sociétés partenaires (France Télévisions, RFI, AFP), qui sont souvent aujourd'hui sous utilisés, peu présents à l'antenne et finalement limités dans l'exercice de leur métier en raison du peu d'intérêt du public français (comme tout public domestique), pour l'actualité internationale. Différents types de contribution sont imaginables, selon les spécificités des uns et des autres : dépêches d'alerte, correspondances téléphoniques en direct avec support cartographique à l'antenne, commentaires et analyses à froid, participation à des débats en multiplex, etc.

Une société éditrice qui s'occupera de l'organisation de l'information et de sa diffusion à l'antenne.

Cette société sera principalement constituée d'une équipe éditoriale. La mission d'information commune propose qu'elle soit constituée :

- des équipes actuelles de la rédaction de TV5 (soit 35 personnes), les modules d'information propres diffusés par TV5 étant désorma journalistes, multilingues et mobiles. La chaîne doit en effet avoir la capacité, en dernier recours, d'envoyer des journalistes sur le terrain lorsque les correspondants des différents actionnaires ne peuvent pas assurer son alimentation de façon satisfaisante.

Cette équipe devra être dirigée par une personne disposant de toute l'autorité journalistique nécessaire pour assurer la réactivité et la déontologie éditoriales de la chaîne. Ce directeur de l'information devra être l'incarnation de la ligne éditoriale et être capable de « faire du neuf » en matière d'information internationale.

Une conférence de rédaction bi-quotidienne, éclairée par les informations communiquées par la banque d'images sur l'actualité mondiale, permettra de définir les priorités de l'antenne et de passer les « commandes » à la banque.

_ La mission d'information commune propose que le GIP conserve le nom de Canal France International (CFI), en le déclinant en CFI-Images (la banque) et CFI-24 (la chaîne), ces appellations ayant l'avantage de constituer une « marque » internationale, aussi compréhensibles en français qu'en anglais.

Ces préconisations marquent la volonté de la mission d'information commune d'engager un mouvement de restructuration de l'audiovisuel extérieur français, qui doit reconquérir cohérence et lisibilité, sans pour autant voir ses points de force affaiblis. Recentrer les opérateurs existants sur leur vocation initiale (banque de programmes pour CFI, chaîne « vitrine » des programmes francophones pour TV5), exploiter au mieux les compétences et les capacités des uns et des autres, sans pour autant remettre en cause les engagements pris, notamment en matière de francophonie, telle est l'inspiration des propositions qui sont faites. Elles ne doivent pas être lues autrement.

Pour TV5 notamment, la création de la nouvelle chaîne d'information internationale doit être l'occasion de se recentrer sur sa fonction de chaîne généraliste de la francophonie et de conquérir une plus grande indépendance afin de mieux s'articuler, comme le recommande le rapport de M. Philippe Baudillon, avec l'action audiovisuelle purement nationale de la France. Quant aux différents développements à l'international de RFO, ARTE et France Télévisions, la création de la nouvelle chaîne devra être l'occasion de les reconsidérer et, le cas échéant, de les redimensionner.

La mission d'information commune a bien conscience que l'organisation de l'action audiovisuelle extérieure qu'elle préconise ici, fondée sur un esprit de coopération et d'efficience au meilleur coût, est extrêmement novatrice dans l'audiovisuel public français. Celle-ci est néanmoins absolument indispensable au succès de la future chaîne et à la dynamisation des outils de la présence audiovisuelle de la France à l'étranger.

Il serait, d'ailleurs, s style="text-align: justify">3. Les langues et les zones de diffusion

_ La mission d'information commune propose que la chaîne commence à émettre sur la zone Europe - Afrique - Moyen Orient en français, anglais et arabe. Elle devra, à moyen terme, avoir une diffusion mondiale et émettre en espagnol, en portugais, en chinois mandarin...

Si elle veut répondre à sa vocation internationale et, à terme, mondiale, on a vu que la chaîne doit, dès son démarrage, proposer des programmes en plusieurs langues afin d'atteindre directement un public le plus large possible dans les zones d'influence visées. Les questions des langues et des zones de diffusions sont donc intrinsèquement liées.

Il serait vain de vouloir d'emblée diffuser la chaîne dans le monde entier, car il convient préalablement qu'elle soit opérationnelle, qu'elle ait réussi à fonctionner en plusieurs langues et qu'elle ait pu négocier sa diffusion dans des conditions satisfaisantes. Le facteur temps est donc essentiel pour la montée en puissance du projet et pour sa réussite.

La mission d'information commune a estimé qu'il conviendrait tout d'abord de diffuser la chaîne dans la zone la plus proche de notre pays, à savoir l'Europe, l'Afrique et le Moyen Orient. Cette première expérience, dans une région répartie sur quatre fuseaux horaires (GMT-1/GMT+2), devrait permettre de conforter la future chaîne avant son extension aux Amériques et à l'Asie. Outre ses programmes en français, elle devra d'emblée programmer des journaux d'information, des magazines et des émissions de plateau en anglais et en arabe. Ces langues permettront d'assurer une couverture satisfaisante de l'Europe, du continent africain, du Moyen Orient, voire, dans un second temps, du sous-continent indien.

A moyen terme (d'ici cinq à sept ans), il conviendra d'étendre la diffusion aux Amériques puis à l'Asie, sachant qu'une telle extension nécessite l'ouverture de bureaux étrangers, une gestion de l'information sur le mode du prime time permanent et l'utilisation de langues étrangères supplémentaires. L'espagnol est ainsi incontournable pour les Amériques. Enfin, d'autres langues pourront être envisagées à plus long terme : le portugais pour le Brésil et le chinois mandarin (parlé par 885 millions de personnes) pour une diffusion de la chaîne en Asie.

En tout état de cause, la décision de diffuser la chaîne dans une nouvelle langue devra être précédée d'études de marché complètes et approfondies, car le coût de fonctionnement par langue supplémentaire est estimé entre 10 et 15 millions d'euros par an.

L'utilisation de plusieurs langues sur le même canal implique en outre que la grille de la future chaîne permette de fidéliser un public, le plus large possible, autour d'une ligne éditoriale cohérente, afin d'éviter de donner l'impression d'une chaîne patchwork et sans identité.

Pour autant, cette chaîne ne doit pas être conçue comme un instrument au service exclusif de la diplomatie française. Rien ne serait plus critiquable que de créer une ORTF à vocation planétaire, car une telle chaîne, conçue comme la « voix de la France », aurait toutes les chances d'être purement et simplement inaudible.

Les membres de la mission d'information commune considèrent que l'indépendance et le professionnalisme de CFI-24 sont deux conditions essentielles à sa réussite. Son objectif est en effet d'être regardée dans le monde entier par un large public, mais aussi par des professionnels des médias. Un traitement par trop officiel ou déséquilibré de l'information par cette chaîne ne manquerait pas de la priver rapidement de toute crédibilité, d'autant que notre pays à la réputation - partiellement justifiée - d'être un familier de l'interventionnisme dans tous les secteurs, y compris celui des médias.

Pour que CFI-24 devienne l'une des chaînes internationales de référence, son indépendance vis à vis de l'Etat est donc indispensable et celle-ci devra être garantie
- nous l'avons dit - par son statut.

Cependant, il serait difficilement concevable que la ligne éditoriale de la future chaîne soit systématiquement défavorable aux intérêts de notre pays. Il conviendra donc de trouver un équilibre entre cette nécessité et son indépendance.

Pour reprendre l'expression du Ministre de la culture, M. Jean-Jacques Aillagon, lors de son audition par la mission d'information commune le mercredi 30 avril dernier, la future chaîne ne devra être « ni servile, ni hostile ». Si l'on se réfère aux notions employées par Max Weber dans Le Savant et le Politique pour définir les caractéristiques de l'action politique, la ligne éditoriale de la chaîne devra concilier l'éthique de responsabilité avec l'éthique de conviction. Pour ce faire, elle devra rendre compte des débats en cours et de l'existence de différents points de vue, sans pour autant entrer dans une logique militante : ni télé Quai d'Orsay, ni ONG de l'information internationale, l'équilibre sera donc délicat à trouver. Il dépendra largement du choix du directeur de la chaîne et de sa capacité à s'entourer de professionnels de l'information aguerris à la couverture des problèmes internationaux.

5. La grille

_ La mission d'information commune propose que la grille de CFI-24 comporte un journal de trente minutes toutes les heures, les trente minutes restantes étant consacrées à des magazines (reportages, documentaires) ou à des émissions de plateau permettant de mettre l'actualité en perspective. Les décrochages en langue étrangère devront avoir lieu à heure fixe, à raison d'au moins quatre par jour.

La grille de la chaîne devra permettre de réaliser un traitement équilibré de l'information en partageant le temps d'antenne entre information « chaude » et information « froide ». Outre des rendez-vous d'information toutes les heures pour une durée de trente minutes, qui refléteront les choix de la rédaction en terme de hiérarchisation et de traitement de l'information, la seconde demi-heure d'antenne sera consacrée à des magazines, comportant documentaires et reportages, ou à des émissions de plateau, permettant de mettre en perspective les faits saillants de l'actualité et de donner à voir la diversité des opinions existantes. Les magazines pourront, pour leur part, aborder de nombreux domaines : outre l'actualité internationale, ils pourront tout à fait traiter de sujets économiques ou culturels (cinéma, grandes expositions, arts vivants...). La chaîne participera ainsi au rayonnement de notre pays et contribuera à l'objectif de diversité culturelle qui constitue l'une de nos priorités politiques majeures.

Cette architecture d'ensemble de la grille de la chaîne d'information devra par ailleurs intégrer les contraintes du plurilinguisme. Afin de fidéliser le public et d'éviter qu'il ne soit désorienté par les changements de langue à l'antenne, il convient d'effe continuité pour les francophones lors des décrochages en langue étrangère. La solution idéale serait bien évidemment d'utiliser plusieurs canaux simultanément afin de permettre au téléspectateur de suivre le programme dans la langue de son choix, mais une telle possibilité - au demeurant tout à fait envisageable avec une diffusion en numérique - se heurte à d'importantes contraintes techniques (plusieurs directs simultanés) et financières (duplication des équipes et des canaux de diffusion).

6. La distribution

_ La mission d'information commune propose que la distribution de CFI-24 soit assurée tout à la fois par les services de distribution d'EuroNews ou de TV5, au titre de leur participation au GIP, et par des prestataires extérieurs, opérateurs de bouquets de programmes français ou distributeurs internationaux de services, afin d'optimiser la diffusion et la commercialisation.

Plusieurs solutions sont possibles en matière de distribution :

- Une distribution « maison » (comme le font aujourd'hui EuroNews et TV5) : c'est un choix difficile à assumer et que très peu de chaînes thématiques ont fait, car cela implique la mise en place coûteuse d'un réseau de correspondants commerciaux dans le monde entier ;

- L'utilisation des services de distribution d'EuroNews ou de TV5, pour une vente en portefeuille de ces chaînes et de CFI-24 ; cette vente groupée peut cependant avoir son revers si les deux chaînes ne sont pas clairement identifiées comme complémentaires... d'où la nécessité, déjà évoquée, de recentrer TV5 sur sa mission initiale de chaîne vitrine des programmes francophones ;

- Le recours, exclusif ou pas, à un distributeur international qui intègrera la chaîne à une offre pluri-thématique (comme le fait par exemple CNN).

La sagesse économique semble recommander d'écarter la constitution, au sein du GIP, d'une filiale spécifiquement chargée d'assurer la distribution de la chaîne. Pour obtenir le meilleur réseau de diffusion possible dans le monde et multiplier les chances de pénétration au meilleur coût, il semble préférable d'envisager une solution mixte, qui permette, selon les régions du monde visées, d'utiliser les services de distribution déjà existant à TV5 et EuroNews (cela pourrait constituer une partie de leur apport au GIP) et d'avoir recours à des distributeurs de services privés, comme Media Overseas ou encore Lagardère Network International (LNI).

_ La mission d'information commune propose que CFI-24 soit diffusée, dans un second temps, sur le territoire français, par câble et satellite ainsi que sur la télévision numérique de terre.

La mission d'information commune s'est également posé la question d poids et une légitimité supplémentaires.

7. Le coût et le temps

_ La mission d'information commune considère que la diffusion en continu de CFI-24 sur la zone Europe-Afrique-Moyen Orient comprenant, outre les programmes en français, quatre décrochages quotidiens en anglais ou en arabe selon les zones de diffusion, nécessitera un budget de l'ordre de 80 à 100 millions d'euros, en sus des contributions en nature des membres du GIP (images, informations, sujets, matériels, personnels).

Si l'on veut que CFI-24 puisse tenir son rang en tant que chaîne internationale d'information en continu, même en exploitant au maximum les capacités éditoriales existantes, en procédant aux redéploiements évoqués plus haut et en encourageant les synergies au sein de l'audiovisuel public, l'investissement sera un investissement lourd, de l'ordre de 80 à 100 millions d'euros pour une chaîne diffusée sur la zone Europe-Afrique-Moyen Orient et assurant, en sus de ses programmes en français, quatre décrochages par jour en anglais ou en arabe selon les zones de diffusion.

Rappelons, pour avoir une idée des moyens mis en œuvre par les principaux concurrents de cette future chaîne, que le budget de CNN est évalué à 1,6 milliard de dollars (pour l'ensemble du groupe), celui de BBC World à environ 70 millions d'euros7 et celui de Deutsche Welle-TV à 121,5 millions d'euros. La seule couverture du conflit en Irak a par ailleurs coûté à CNN un budget spécifique de près de 40 millions d'euros...

Le budget de la chaîne est destiné à financer :

- la rémunération des personnels propres ainsi que leurs déplacements éventuels8,

- le traitement linguistique des programmes (doublage, sous-titrage, « voice over »),

- les achats complémentaires d'images et de programmes auprès de sociétés extérieures au GIP,

- le règlement des droits pour la diffusion internationale et éventuellement la commercialisation des programmes par CFI-Images,

- les coûts de distribution et de commercialisation (qu'il ne faut surtout pas négliger),

- la maintenance des matériels, etc.

Le chiffrage et la répartition des différents postes de dépenses ne peuvent cependant pas être très précis à ce stade de la réflexion puisqu'ils dépendront très largement des termes de la convention constitutive du GIP et de ce que chaque partenaire sera prêt à apporter comme contribution en nature au fonctio de grands annonceurs nationaux, industriels ou services.

Des recettes propres peuvent également être tirées des abonnements et des ventes de programmes mais, ici aussi, les perspectives de recettes ne doivent pas être surestimées car la distribution de la chaîne devra se faire gratuitement, tout au moins pendant la période de lancement, afin d'attirer les téléspectateurs. Seule l'activité commerciale de CFI-Images devrait pouvoir générer un certain profit, dès lors que CFI sera en mesure de proposer aux autres médias du monde des images et des programmes originaux.

La mission d'information commune considère donc que la principale source de financement de cette chaîne demeurera un financement public, comme c'est le cas pour Deutsche Welle-TV. Ce financement public peut provenir soit de la redevance audiovisuelle, soit de dotations budgétaires.

Aujourd'hui, RFI est financé à 60 % par une dotation du ministère des affaires étrangères et à 40 % par la redevance, alors que les autre organes de l'audiovisuel extérieur (TV5, CFI, EuroNews) reçoivent uniquement des subventions inscrites au budget des affaires étrangères.

Quel modèle retenir pour la future chaîne ?

_ La mission d'information commune propose que le financement public alloué à la nouvelle chaîne provienne principalement de subventions de l'Etat et, à titre complémentaire, de la redevance audiovisuelle sans prélèvement sur les moyens des opérateurs publics existants.

La question de l'origine des financements publics pose bien évidemment celle de la tutelle qui s'exercera sur cette chaîne. Le recours aux produits de la redevance audiovisuelle fait entrer le ministère de la culture et de la communication dans le jeu, alors que le financement par le seul budget des affaires étrangères préserve la prééminence du Quai d'Orsay en matière d'audiovisuel extérieur.

Sans vouloir se prononcer de façon définitive sur ce point qu'elle envisage d'approfondir dans la suite de ses travaux, la mission considère qu'un recours modéré à la redevance serait un moyen de consacrer l'indépendance de la chaîne en ne la rendant pas uniquement dépendante de dotations budgétaires. Le recours à la redevance sera, par ailleurs, d'autant plus justifié que la chaîne aura vocation à être diffusée sur le territoire français.

A titre indicatif, on rappellera que la redevance est évaluée, pour 2003, à 2,468 milliards d'euros. Sans toucher aux moyens actuellement alloués aux différents organismes de l'audiovisuel public, un financement équivalent à 1 % de ce montant, soit 24,6 millions d'euros, représenterait un apport important au budget de la future chaîne pour un surcoût d'un euro environ par contribuable. Cela ne semble pas être une proposition déraisonnable compte tenu de l'importance politique et stratégique du projet.. précision les montants et/ou la nature des contributions qui seraient apportées chaque année au GIP.

Une telle inscription permettrait une programmation à moyen terme de la contribution des différentes sociétés publique au développement de la nouvelle chaîne, lui conférant ainsi une visibilité dans le temps absolument indispensable. Cette programmation propre aux chaînes publique viendra donc compléter et conforter les dispositions de la convention constitutive du GIP, par laquelle chaque membre du groupement se sera engagé sur ses apports en nature et en capital.

CONCLUSION

« Parler le français sera un handicap. Montrer la vision de la France sur l'actualité du monde sera un atout important ». Au hasard d'une audition, cette réflexion paradoxale résume bien le défi que la France doit relever si elle veut non seulement combler son retard dans la « guerre des images » mais encore se hisser au niveau de cette « autre mondialisation », cette façon que nous aurons de transmettre notre culture en analysant les événements du monde. Et cela en parlant principalement notre langue avant d'en utiliser d'autres selon les régions de la planète que nous chercherons à atteindre.

Pas plus que nous ne sommes attendus, nous ne serons rejetés. Et, en tout état de cause, par notre histoire et par le rôle que nous jouons - et jouerons - dans ce siècle, nous n'avons pas le droit de garder le silence sur la vision du monde qui est la nôtre et dont les moments d'actualité que nous venons de vivre ont montré combien elle avait fait défaut.

Sur ces points-là, l'unanimité de notre commission s'est faite. Ce sont autant d'objectifs pour ceux qui auront à mettre en œuvre le chantier de cette chaîne française d'information continue à vocation internationale.

Pressés par l'accélération que l'exécutif a donnée au traitement de ce dossier, les membres de la mission ont accepté le principe de rendre un « rapport d'étape » destiné - au moment du choix décisif - à éclairer le gouvernement sur ce qui leur paraissait être la solution stratégique et politique la plus adaptée à la complexité d'un tel projet. Sur les moyens opérationnels à utiliser, d'autres que nous ont été consultés ; leurs travaux nous ont été utiles pour asseoir l'édifice que nous avons imaginé. La mission a néanmoins une certitude : la mise en œuvre de moyens financiers importants est indispensable ; en la matière, la demi-mesure n'aurait aucune chance de succès.

Qu'il s'agisse d'un rapport d'étape implique bien l'utilité à poursuivre, pour l'amplifier, notre réflexion sur les chances d'avenir de cette chaîne, sur le véritable attentes des publics à travers le monde. Nous avons bien dit dans ce rapport que l'on ne pouvait pas s'adresser à tous les publics dans la même langue et avec le à l'international.

Cette collaboration entre la commission des affaires étrangères et celle des affaires culturelles, familiales et sociales montre bien quel lien étroit unit désormais la diplomatie et la communication. Il y a pour l'ensemble des parlementaires français un thème à méditer : la francophonie doit être défendue et ce n'est pas lui porter atteinte que de vouloir s'adresser plus largement à tous les publics du monde. Dans son travail de suivi, la mission se propose d'étudier comment, en réorganisant notre audiovisuel extérieur, nous parviendrons, non seulement à conquérir des parts de marché dans des régions du monde où le français n'est pas une langue recherchée - ou attendue - mais également à servir la cause de la francophonie, qui a besoin des nouveaux outils de la communication pour rester (ou pour redevenir ?) une idée jeune.

Le calendrier est, cette fois-ci, adapté à ce travail : durant le temps d'élaboration et de mise en place de la structure de la future chaîne, la mission disposera d'un champ librement ouvert pour dire dans quelles conditions ce projet français aura le plus de chance de réussir, de progresser, en un mot d'atteindre le but qu'il s'est fixé : être un regard de la France sur les affaires du monde.

EXAMEN DU RAPPORT

La mission a examiné le présent rapport au cours de sa séance du 14 mai 2003.

Après que le président a rappelé les travaux de la mission depuis le début de l'année et que le rapporteur a présenté les grandes lignes du rapport d'étape ainsi que ses principales préconisations, la mission d'information commune a adopté ce rapport à l'unanimité.

*

* *

EXPLICATIONS DE VOTE

1. Explications de vote des membres de la mission
appartenant au groupe socialiste

Les députés socialistes membres de la mission d'information commune sur la création d'une chaîne française d'information à vocation internationale, tout en approuvant globalement les orientations du rapport d'étape, tiennent à faire les observations suivantes :

- Les réflexions sur la mise en place d'une télévision à vocation internationale sont conduites dans la plus grande confusion par le gouvernement. A partir d'une promesse électorale imprécise, le gouvernement et la présidence de la République ont multiplié les initiatives contradictoires. Les missions, les expertises et les avis se sont empilés, les ambitions se sont aiguisées, sans qu'une définition claire des objectifs ait été énoncée.

- Dans ces conditions, le risque d'une télévision considérée comme la « voix de la France », instrumentalisée par le pouvoir exécutif est réel. Face à une concurrence perçue - à tort ou à raison - comme indépendante de ses gouvernements nationaux, ce serait la façon la plus assurée de conduire cette expérience à l'échec. Il est regrettable que le Parlement, garant du pluralisme, qui aurait du être le bon échelon de réflexion et de décision, n'ait pas eu les moyens d'être moteur dans cette affaire.

- Sur les propositions de la mission elle-même, nous nous interrogeons sur la répartition de la structure entre l'agence d'images et le pôle éditorial, dont nous craignons qu'elle ne soit une source de difficultés.

- Enfin, nous formulons une mise en garde très claire sur les financements. Nous combattons fermement la tentation de financer cette chaîne par prélèvement sur les ressources des opérateurs publics existants. Le gouvernement, qui a déjà supprimé les financements affectés au développement numérique de France Télévisions, et en particulier au projet de chaîne d'information nationale en continu, doit assurer la mise en place de la chaîne internationale par des financements exclusivement nouveaux.

--____--

2. Explications de vote des membres de la mission
appartenant au groupe UDF

Les députés UDF membres de la mission d'information commune sur la création d'une chaîne française d'information à vocation internationale voteront son rapport d'étape.

Sur la forme, les députés UDF membres de la mission d'information se félicitent du sérieux et de la qualité du travail de la mission. Celle-ci s'est déroulée dans un climat très constructif à la hauteur du projet étudié.

Toutefois, ils regrettent la confusion et les interférences entre les trop nombreuses réflexions, missions et rapports engagés parallèlement sur ce dossier par les services du Premier ministre, ceux du Ministère des Finances et ceux du Ministère des Affaires étrangères, sans compter les auditions organisées par les services de la Présidence de la République. La multiplication de ces démarches simultanées n'a pas facilité le travail de la mission. Elle a de surcroît été la source de nombreuses réactions dans la presse, ce qui a pu donner à nos concitoyens une image préjudiciable de précipitation et de désordre dans l'examen de ce dossier.

Sur le fond, les députés UDF membres de la mission d'information se félicitent de ce projet ambitieux, positif et mobilisateur pour la France. Les récents évènements mondiaux ont plus que jamais fait apparaître l'absolue nécessité pour la France de disposer d'un support audiovisuel lui permettant de diffuser au plus grand nombre sa vision de l'actualité mondiale. Car il ne s'agit en aucun cas de créer « la voix de la France ». L'objectif est de réaffirmer et de promouvoir la vision, la place et la culture française pour bâtir le monde multipolaire qu'elle appelle de ses vœux.

Pour ce faire, les moyens doivent être à la hauteur des objectifs. Ils doivent être, et conséquents, et pérennes ! Chaque citoyen doit se sentir concerné et impliqué dans ce projet, qui doit être le plus fédérateur possible.

L'Etat devra à ce titre en être le garant. Il devra veiller à l'optimisation du fonctionnement de la chaîne en y associant toutes les compétences nationales, tant publiques que privées. Il devra également s'impliquer clairement dans son financement, mais aussi veiller à ce que chacune et chacun d'entre nous puisse y contribuer. La contrepartie devra être un accès à la chaîne ouvert à tous sur la totalité du territoire national ainsi que la garantie d'une indépendance éditoriale. Ce devra être la chaîne des Français dans le monde et non celle de tel ou tel gouvernement. Les députés UDF membres de la mission d'information rappellent à cette occasion l'importance de la représentation nationale.

Si les moyens financiers devront être conséquents, ils ne pourront provenir d'un seul prélèvement sur le financement aujourd'hui versé à l'audiovisuel extérieur. Néanmoins, ce projet ambitieux d appartenant au groupe UMP

Les députés UMP membres de la mission d'information commune sur la création d'une chaîne française d'information à vocation internationale apportent leur approbation aux préconisations et à la conclusion du rapport d'étape. Il importe en effet désormais de mettre en œuvre la volonté clairement exprimée par le président de la République, M. Jacques Chirac, de doter la France d'une grande chaîne internationale d'information.

Les membres UMP de la mission d'information considèrent que ce nouvel outil de communication et d'information à vocation internationale est indispensable pour que la France puisse exprimer sa vision du monde, défendre la francophonie, consolider l'Europe, transmettre notre culture et les valeurs universelles auxquelles nous croyons.

Pour atteindre ces objectifs, les députés UMP membres de la mission d'information :

- Estiment qu'il convient de doter cette chaîne d'une structure spécifique, sous forme d'un groupement d'intérêt public, qui lui permette d'associer les différents opérateurs du paysage audiovisuel français, publics ou privés.

- Retiennent la proposition de voir cette chaîne commencer à émettre sur la zone Europe/Afrique/Moyen-Orient, principalement en français et par le biais de décrochages horaires en anglais et en arabe.

- Considèrent que cette chaîne, pour s'assurer d'une audience significative, doit être dotée d'un budget de l'ordre de 80 à 100 millions d'euros et pouvoir s'inscrire dans la durée.

Les députés UMP souhaitent que la mission poursuive ses travaux au-delà de ce rapport d'étape, par un suivi de l'élaboration du projet de la future chaîne, afin que le Parlement soit activement associé à sa mise en œuvre.

--____--

AUDITIONS

Audition de MM. Etienne MOUGEOTTE, Vice-Président de TF1
et Jean-Claude DASSIER, Directeur général de LCI

Présidence de M. François ROCHEBLOINE, Président

(Extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 29 janvier 2003)

M. le président : Je vous remercie, M. le Vice-Président, M. le directeur général, d'avoir répondu à notre invitation dans le cadre de cette mission d'information, mission commune à la commission des affaires étrangères et à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

Cette mission a été constituée dans la perspective de la création d'une chaîne d'information française à vocation internationale, souhaitée par le Président de la République lors de la campagne pour les élections présidentielles.

Ce thème a déjà fait l'objet de nombreuses réflexions. Actuellement, une mission est conduite par M. Philippe Baudillon au titre du ministère des affaires étrangères. Nous avons quant à nous mission de rendre un rapport pour fin juin ou, tout au moins, un rapport d'étape.

Il serait intéressant que vous nous fassiez d'abord une présentation de LCI. Ensuite, M. le rapporteur, nos collègues ici présents et moi-même aurons certainement quelques questions à vous poser.

M. Etienne Mougeotte : Nous sommes très heureux d'être entendus par votre commission. Nous allons essayer de vous dire en quelques minutes ce qu'est LCI et de vous en rappeler les éléments principaux. M. Jean-Claude Dassier vous dira ensuite ce que sont à notre avis les atouts de LCI pour se développer à l'international et les pistes que nous avons envie de tester devant vous. Nous pourrons ensuite répondre à vos questions sur ce sujet encore très mouvant et pour lequel tout est à faire.

LCI a été créé en juin 1994 sur un concept extrêmement simple qui était et qui demeure celui d'une chaîne d'information continue avec des débats.

Des bulletins d'information sont diffusés toutes les demi-heures et même à certains moments de la journée, le matin, tous les quarts d'heure. Ces différents journaux - 55 par jour - permettent à tout téléspectateur qui se branche sur LCI de savoir que dans moins d'une demi-heure il aura le point de l'actualité et les principales informations de la journée. Cela est entrecoupé de débats.

La partie débats de LCI est très importante. Nous traitons de multiples sujets et nous avons de multiples magazines. Ainsi, chaque année, environ 5000 personnes, acteurs du monde politique, économique, social, culturel, syndical, de la société civile, interviennent sur LCI.

Ce point nous paraît très import versées par les opérateurs de câble et de satellite - deux tiers - et pour partie - à peu près un tiers - de la publicité.

Nous avons 250 salariés, dont 110 journalistes.

La part d'audience de LCI, telle qu'elle a été constatée dans la dernière étude MEDIACABSAT, était de 1,3 % de part d'audience sur les foyers initialisés. Cela est tout à fait conforme aux grandes chaînes d'information continue américaines, de type CNN ou Fox News.

Notre second concurrent, i<Télé, est à 0,3 % et EuroNews, notre autre compétiteur, aux alentours de 0, 2 %.

Il est sûr qu'aujourd'hui LCI est une chaîne d'information puissante, expérimentée, professionnelle, reconnue comme telle. Elle est évidemment importante pour l'expression du pluralisme dans un paysage audiovisuel tel que vous le connaissez, c'est-à-dire qui, pour la plupart des chaînes, accorde peu de place au débat et peut-être pas assez.

LCI est également dès aujourd'hui une chaîne qui a vocation internationale à la fois par son contenu et par sa distribution. LCI accorde une place importante à l'actualité internationale, naturellement dans les journaux télévisés mais aussi dans un certain nombre de rendez-vous, comme « Un jour dans le monde » , et « Le Journal des Européens » . En outre, des invités traitent souvent, notamment en ce moment où l'actualité internationale est très riche, des sujets d'actualité internationale. Nous avons six bureaux à l'étranger - Washington, New York, Jérusalem, Rome, Moscou et Londres - et des correspondants pigistes dans énormément de capitales dans le monde. Nous avons donc dès maintenant une capacité à traiter l'actualité internationale.

Nous sommes aussi internationaux par notre distribution. En effet, nous ne sommes pas seulement dans 4,3 millions de foyers en France. Nous sommes reçus dans tous les DOM-TOM, Guadeloupe, Martinique, Guyane, Réunion. Nous sommes reçus en Afrique du Nord par débordement naturel des satellites Astra et Eutelsat et on nous écoute beaucoup en Tunisie, au Maroc, en Algérie et ce dans des conditions parfois curieuses. Ceux qui nous écoutent n'ont pas toujours des abonnements et les pratiques sont ce qu'elles sont ! L'important est qu'on soit écouté !

Nous sommes reçus également dans une partie de l'Australie, à l'Ile Maurice et dans l'Océan Indien. Dans les mois à venir, nous allons continuer ce développement. Nous espérons pouvoir être reçus dans un certain nombre de pays d'Europe, un ou deux pays du Proche-Orient. Nous allons essayer également de nous développer à l'Est. Enfin, LCI est en fait aujourd'hui disponible partout dans le monde à condition de s'abonner à un service Internet à haut débit que nous fournissons à tous ceux qui peuvent recevoir Internet, où que ce soit dans le monde. Cela veut dire qu'aujourd'hui il est possible de recevoir LCI partout où un branchement Internet e cette chaîne a été lancée en 1981. Nous avons vu récemment ses responsables à Londres avec M. Etienne Mougeotte. Ils ont démarré sur 1,5 million de foyers il y a vingt ans et ils sont aujourd'hui sur 217 millions de foyers abonnés. Je ne parle pas d'individus mais bien de foyers ! Je vous épargne les chiffres région par région, en vous donnant simplement le chiffre qu'ils prétendent avoir en Europe - et je crois que c'est la réalité : 87 millions de foyers abonnés.

CNN emploie cent cinquante personnes à Londres, soit quasiment autant que LCI pour faire la chaîne nationale.

Ils nous ont dit en confidence d'abord que la guerre en Irak démarrerait probablement fin février et qu'ils avaient déjà une centaine de personnes sur place. L'Irak n'est donc pas chiche avec eux en ce qui concerne les visas... Le président de CNN Europe nous disait qu'il disposait d'un budget de 50 millions de dollars environ pour faire face aux événements.

Le budget global de CNN est de 1,6 milliard de dollars en 2001. Je n'ai que les chiffres de 2001. Le résultat net 2001 a été de 200 millions de dollars. Je ne suis pas sûr qu'ils aient renouvelé cet exploit en 2002.

C'est une énorme machine ! C'est un énorme monument ! C'est une grande dame qui est un peu notre modèle à tous, même si aujourd'hui, aux Etats-Unis en tout cas, Fox News, la chaîne de M. Murdoch, commence à lui poser des problèmes. Je crois même qu'ils sont devant, selon les dernières audiences. Ils ont une politique très agressive ! Ils collent beaucoup à la politique Bush ! Ils ont une façon de traiter l'actualité très spectaculaire ....

M. Bernard Brochand : Très conservateur ...

M. Jean-Claude Dassier : Très conservateur !

Ainsi, malgré tout, la grande CNN a quelques difficultés aux Etats-Unis. Toutefois, ils ne nous ont pas caché qu'ils comptent beaucoup sur la guerre en Irak pour retrouver leur légitimité de grande chaîne internationale.

Il est vrai que c'est une chaîne très « américano-américaine ». Mais il est vrai aussi qu'elle prend ou essaie de prendre en compte plus que par le passé, notamment depuis la « régionalisation » de CNN et son implantation dans la plupart des pays européens, l'actualité des pays dans lesquels elle émet. Néanmoins, les résultats de CNN en France restent très modérés. De même pour CNN Londres, alors qu'elle parle la langue du pays.

L'influence de CNN est cependant considérable. Le Président de la République, même si le constat est peut-être un peu tardif en ce qui concerne notre pays, a eu raison de nous fixer cet objectif. Je crois qu'il est indispensable que la France ait un jour cette chaîne à vocation internationale, chaîne qui parle du pays et qui exprime ses points de vue, sans être évidemment «  pratique de cette substitution d'une actualité internationale - en ce moment très riche - avec une actualité traditionnelle française qui est traitée un peu toujours de la même façon. C'est le journal de six-sept minutes, un reportage pour se recaler parfois au temps, et puis deux modules de treize ou de quatorze minutes pour retrouver l'heure.

Nous pouvons donc travailler très facilement à faire de LCI une chaîne qui serait davantage internationale même si, comme l'a dit M. Etienne Mougeotte à juste titre, elle l'est déjà avec un certain nombre d'émissions et de préoccupations internationales. Mais une chaîne qui aurait cette vocation renforcée devrait faire, je le confesse bien volontiers, davantage et, pourquoi pas, mieux.

Prenons par exemple la Côte d'Ivoire et les événements qui s'y déroulent. Il est évident qu'une chaîne comme LCI International ou une chaîne à vocation internationale où LCI jouerait un rôle devrait bien évidemment avoir pris une mesure plus juste de l'événement et avoir une couverture plus riche que celle que nous faisons. Il n'en demeure pas moins que nous nous efforçons d'être le plus présents possible sur l'actualité en Côte d'Ivoire, en dépit des difficultés actuelles à traiter l'actualité dans ce pays.

LCI peut donc se « défranciser » très facilement puis s'« internationaliser » également très facilement. Il est tout à fait aisé par exemple, et nous avons bâti un projet dans ce sens, de décider qu'il y aurait chaque jour deux heures d'émission internationale consistant à débattre du contenu avec des journalistes, des invités et des personnalités diverses en fonction de l'actualité. La chose serait aisément insérable dans le programme normal de LCI. Voilà qui enrichirait considérablement le programme.

De la même façon, une chaîne comme LCI à vocation internationale devrait prendre l'engagement de couvrir encore plus et encore mieux que nous ne le faisons les voyages des responsables politiques, évidemment le Président de la République, le ministre des affaires étrangères, les députés... Bref, les pouvoirs publics jouant un rôle à l'international devraient faire l'objet d'une attention plus forte qu'elle ne l'est actuellement sur LCI et sur l'ensemble des chaînes françaises. C'est un engagement que cette chaîne devrait prendre.

Troisième point, nous devrions bien évidemment avoir les moyens de renforcer le reportage. Il y en a sur LCI et sur les chaînes françaises mais je crois qu'une chaîne à vocation internationale devrait avoir les moyens de faire au moins une fois par mois ou de manière bimensuelle un grand magazine international.

Encore une fois, LCI est une structure souple qui a déjà la matrice de l'essentiel de cette chaîne - l'actualité française - et il serait facile de l'internationaliser.

Ce travail peut être fait rapidement. Par ailleurs, les m les zones où le Gouvernement souhaite que la chaîne soit prioritairement diffusée. Lorsque nous en avions discuté dans le passé, la priorité c'était l'Afrique et le Proche-Orient. L'Amérique latine ou l'Amérique tout court peut peut-être attendre ! Mais encore une fois, c'est là un problème de calendrier, de discussions et de négociations avec les pouvoirs publics.

Le problème de la langue est un problème important. Mon sentiment est que l'essentiel est quand même de choisir de faire et de développer cette chaîne en français. Cette chaîne peut être un vecteur important pour développer et conserver la francophonie. Je pense qu'il faut que nous défendions nos couleurs en français ! Il serait quelque peu curieux de faire une chaîne défendant les positions françaises ... en anglais !

Toutefois, certaines émissions importantes et « sensibles », qui auraient gagné leur auditoire par la qualité du programme et qui exposeraient notamment les débats qui peuvent se dérouler en France sur tel ou tel point, pourraient être facilement sous-titrées. Certes, le sous-titrage coûte de l'argent. C'est un lourd travail qui demande une production un peu particulière. Je crois qu'il serait toutefois important de sous-titrer en anglais et même dans certains cas, pourquoi pas, en arabe. Il existe maintenant des procédés de mise en œuvre relativement facile et aisée qui permettraient de démultiplier le discours que pourrait tenir cette chaîne.

Enfin, si LCI a l'ambition de jouer un rôle dans le développement de cette chaîne - Etienne Mougeotte vous le répétera dans un instant - nous sommes cependant prêts à ouvrir le capital de cette chaîne à d'autres organismes, pourquoi pas publics ? Je crois que ce serait utile de manière à additionner les compétences.

Il y a en France des radios internationales et des gens qui ont des compétences internationales que LCI ne possède pas forcément et qu'en tout cas elle n'est pas la seule à posséder. Nous sommes tout à fait prêts à discuter de la création d'une structure qui s'ouvrirait pour additionner les compétences et rationaliser l'ensemble.

J'ajoute simplement que le groupe TF1 a la chance d'avoir en son sein Eurosport qui a une formidable expérience internationale depuis maintenant plus de dix ans. Eurosport doit être diffusé maintenant en quinze langues, peut-être davantage. M. Jacques Raynaud a une compétence extraordinaire dans la négociation satellitaire et dans la capacité à aller discuter sur le terrain de l'arrivée des signaux et de leur reprise sur les antennes ou par les câblo-distributeurs locaux. Avec Eurosport, nous avons dans ce domaine un très grand savoir-faire.

Il y a donc chez nous un certain nombre de compétences qui pourraient être utiles au développement de cette chaîne.

M. Etienne Mougeotte : Pour conclure d'un mot, je réinsiste sur le point qu'a développé Jean-Claude Dassier style="text-align: justify">Vous avez évoqué le nombre de foyers couverts et vous avez même énoncé le chiffre de 4,6 millions actuellement. Ce chiffre recouvre-t-il l'ensemble de la diffusion de LCI ou uniquement la France ?

M. Etienne Mougeotte : Ce n'est que la France ; 4,6 millions de foyers en métropole.

M. le président : Combien de foyers sont abonnés à CNN en France ?

M. Etienne Mougeotte : Aux alentours de 3 millions. Ils sont repris par Canal Satellite et sur TPS, soit 3,2 millions, ainsi que par Noos. Ils ont donc probablement entre 3 et 4 millions d'abonnés et leur part d'audience est de 0,1 %.

M. le président : Vous avez évoqué le coût d'un développement international de LCI en conclusion. Pouvez-vous nous en faire une première présentation, car vous avez déjà dû sans doute évoquer cet aspect ?

M. Jean-Claude Dassier : Nous avons travaillé sur un projet visant à projeter la chaîne LCI sur l'ensemble du monde entier. Mais entendons-nous bien ! Dans le coût que je vais vous donner, il n'y a que la location annuelle des satellites. Ensuite, il y a beaucoup de voyages à faire, pays par pays, pour aller convaincre les câblo-distributeurs de recevoir, de prendre votre chaîne. Parfois, il faut payer ! Cela n'est pas vrai de tous les pays et on peut alors avoir des négociations de gratuité. On peut avoir aussi des négociations - rares - où on est payé mais il arrive aussi que l'on vous demande de payer pour être diffusé sur les réseaux câblés. Autrement dit, on rencontre un peu toutes les situations. Il est par exemple très facile d'être diffusé aux Etats-Unis sur Direct TV : il suffit de payer 1,5 million de dollars et vous êtes en position 357 !

Dans cette projection, figure également la production d'un magazine de deux heures par jour, essentiellement un talk show - peu d'images et de reportages - ainsi que la fabrication d'un signal parallèle de manière à pouvoir intervenir sur le signal de LCI, comme je l'ai indiqué tout à l'heure, à la fois pour insérer ce programme là mais aussi parfois pour intervenir sur des publicités ou sur des séquences de sport qui peuvent poser problème au niveau des droits. Bref, un deuxième signal parallèle avec au moins deux heures par jour d'un programme différent de celui de LCI, international, à définir.

Nous sortions sur une somme modeste - environ de 5 millions d'euros - mais, encore une fois, sans refléter complètement l'ambition qui est sans doute la vôtre et la nôtre.

M. Bernard Brochand : Par rapport au budget d'aujourd'hui qui est de 45 millions d'euros ?

M. Etienne Mougeotte : Le coût de 45 millions d'euros est un coût aujourd'hui pris en charge par le groupe TF1. Il est la base du projet qui est fou 160;Nous sommes prêts à nous défranciser et à nous internationaliser... » Croyez-vous que c'est aussi facile que cela ?

L'ambition de cette chaîne serait de couvrir toutes les régions du monde. Or, un certain nombre de professionnels nous disent que couvrir le monde suppose d'être en « prime time » continu parce qu'il se passe toujours quelque chose à une heure différente du jour ou de la nuit, quelque part dans le monde.

Avez-vous le sentiment qu'on peut passer aussi aisément que vous paraissez nous le présenter d'une chaîne d'information très bien faite au niveau national à une telle chaîne ? Peut-on la reformater aussi aisément au niveau international ?

Si tel est le cas - et ce serait d'ailleurs souhaitable - comment se fait-il que vous n'ayez pas eu l'idée, l'imagination, l'envie ou les moyens peut-être de le faire avant même que le Président de la République ne mette en avant cette nécessité ?

Vous dites également que vous êtes ouverts à toute forme de partenariat et je crois que cela est vraiment intéressant. En effet, nous avons bien vu au cours de la première réunion de mise en place de notre commission qu'on imaginerait volontiers une solution de partenariat entre le public et le privé. Dans ce cas, le socle de référence devrait-il forcément être LCI ? Où pourrait-on envisager que LCI soit adossée au secteur public pour construire cette chaîne internationale ?

Enfin, ma quatrième question a trait à la ligne éditoriale. On peut très bien concevoir que sur une chaîne française en interne, hexagonalement, il puisse y avoir des débats et parfois des déchirements sur l'information. En revanche, qu'en serait-il sur une chaîne internationale qui va porter peut-être une pensée, une façon de concevoir l'information à la française ? Je ne parle pas d'une chaîne « voix de la France », mais comment peut-on faire pour que, tout en respectant bien entendu la liberté éditoriale, il y ait ce caractère un peu homogène de l'information qui permette de transmettre une pensée française de l'information ?

M. Etienne Mougeotte : Je vais me limiter à répondre à votre deuxième question en laissant le soin à Jean-Claude Dassier de répondre aux autres.

Pourquoi n'avons-nous pas fait une telle chaîne ? Simplement, parce qu'il n'y a pas de recettes ! Il faut voir les choses en face : ce sont des dépenses d'un côté et aucune recette de l'autre.

Quelles pourraient être les recettes ?

Premièrement, ce pourrait être des câblo-opérateurs ou des opérateurs de satellite qui payeraient pour diffuser la chaîne. A cet égard, nous n'avons pas d'illusion à nous faire : personne ou presque nous payera pour diffuser cette chaîne.

Une chaîne d'information permanente a cette ambition depuis toujours : c'est la BBC. Elle s'efforce d'avoir la couverture de l'actualité internationale la plus riche et la plus brillante possible. Evidemment, elle perd énormément d'argent. J'ai vu le chiffre dans Le Monde il y a quelque temps mais je ne l'ai pas noté. En tout cas, les pertes sont gigantesques et je crois même que cette grande dame va elle aussi être soumise au crible de la représentation parlementaire britannique. Mais dans la grande tradition britannique, la BBC a effectivement l'ambition de rendre compte le plus largement possible de l'actualité mondiale, dès qu'il se passe quelque chose d'important. Cet objectif-là est très difficile à atteindre au début.

L'ambition, telle que nous l'avons rapidement décrite précédemment, est celle d'une chaîne qui parlera d'une actualité française aux communautés francophones ou à celles qui s'intéressent à ce qui se passe dans notre pays. C'est le programme maître de LCI, internationalisé au sens où il exposerait la position française, la manière dont la France voit les choses et un certain nombre d'événements internationaux qui intéressent directement notre pays. Ces événements seront alors mis en valeur avec peut-être plus de force que ne peut le faire une chaîne franco-française comme LCI, en dépit des efforts que nous faisons sur la couverture internationale.

Je n'ai pas de doute sur la facilité technique avec laquelle nous pourrions chaque jour fabriquer un magazine tout en images de vingt minutes. Cela est probablement trop compliqué dans l'immédiat mais cela pourrait être très facilement fait. Il pourrait y avoir un grand débat tous les soirs à vingt heures ou vingt-deux heures ou une deuxième émission où nous recevions les grands journalistes en poste en Paris qui viendraient débattre de toutes les questions. Il y a donc un débat à mener sur le contenu de ce que nous pourrions faire pour internationaliser la chaîne.

Il y a également un effort financier à faire pour suivre avec encore plus de moyens et d'assiduité les voyages du Président de la République, ceux de M. de Villepin, ceux de la représentation parlementaire, etc. Bref, il s'agirait de pouvoir être plus présent sur l'activité internationale des pouvoirs publics.

Mais je n'ai aucun doute ni sur la nécessité de monter en puissance dans cette voie - sachant que cela coûte beaucoup d'argent - ni sur la facilité technique avec laquelle cela peut s'insérer. C'est d'autant plus vrai maintenant avec le numérique. LCI étant totalement numérisée, vous insérez un programme au sein d'un autre avec la plus grande facilité. C'est ce que nous avons encore fait hier après-midi, avec Hans Blix pendant une heure et demie : personne n'a vu la moindre bavure. Bref, ce sont des choses que nous pouvons faire très facilement pour aller dans le sens d'une relative défrancisation du signal de LCI et d automatiquement reçu ! LCI est une chaîne très regardée au Maroc, en Tunisie et en Algérie. Nous n'avons rien fait pour cela : nous sommes sur Astra, le signal est reçu là-bas. L'Algérie par exemple est le pays qui a le plus d'antennes satellites accrochées à ses fenêtres, ce qui, sous cet angle, donne un spectacle à Alger assez déplorable. Mais tout le monde connaît LCI là-bas. Les Algériens « consomment » cette actualité, même franco-française de LCI, de manière extraordinairement soutenue.

S'agissant des relations que nous pouvons avoir avec le secteur public, il y a probablement des ouvertures possibles avec RFI qui a des correspondants dans le monde entier. Ils font de la radio et pas de la télévision mais beaucoup de coups de téléphones sont souvent le premier acte de la couverture d'un événement international ; les images arrivent après. Des choses sont probablement possibles sous cet aspect.

Par ailleurs, il y a à France Télévisions, France 2 ou France 3 des gens qui savent faire des émissions internationales et qui pourraient venir travailler avec profit dans cette structure.

Je crois quand même que la matrice de base - 75 % du programme LCI - est incontournable. Sinon, vous retournez sur le problème budgétaire et vous êtes obligés de refaire une rédaction, de refaire un programme de base. Cela coûte évidemment une fortune. C'est donc une question de choix.

Encore une fois, je crois que Patrick Le Lay et Etienne Mougeotte sont clairs là-dessus : nous ne sommes pas fixés sur LCI. Au contraire, nous sommes ouverts à la discussion et, pourquoi pas, à un partage du capital d'une société nouvelle qui prendrait en compte la fabrication de cette chaîne. C'est sans doute même souhaitable.

M. le président : Merci de toutes ces précisions ! Vous avez énoncé un coût supplémentaire de 5 à 7 millions d'euros pour LCI. Sans être un spécialiste, il me semble que cela fait peu pour créer cette chaîne internationale !

M. Jean-Claude Dassier : Comme l'a dit Etienne Mougeotte, c'est parce que nous bénéficions des 45 millions d'euros du budget de LCI. Encore une fois, il n'y a qu'à rajouter un certain nombre d'éléments qui vont internationaliser le signal. Cela coûte évidemment moins cher puisque l'effort de LCI existe déjà. Sans doute faudra-t-il avoir une négociation financière. Mais l'apport de LCI - qui est le programme maître - est considérable.

C'est ce que fait CNN à Londres ! CNN Londres doit produire quelques heures de programme par jour et pour tout le reste, c'est CNN International qui prend le relais.

Je parle donc bien du surcoût de l'internationalisation du signal avec le fait d'avoir à le projeter dans un certain nombre de pays.

M. Etienne Mougeotte : En réalité, le co sommes pas en avance dans ce dossier mais ce n'est pas une raison pour se décourager. Je trouve effectivement formidable le projet d'avoir une chaîne qui parle français dans le plus de pays possibles au monde.

Il y aura ensuite des négociations à mener, par exemple avec les chaînes d'hôtel. Cela est tout de même très difficile, compte tenu des problèmes de capacités qui se posent dans les hôtels. Cette difficulté est en partie résolue par le haut débit. Dans tous les grands hôtels internationaux, il existe partout un ou deux lieux où les hommes d'affaires se branchent sur une prise haut débit ADSL ou autre. D'ores et déjà, il est possible de recevoir LCI et d'autres chaînes sur son ordinateur.

M. Michel Herbillon : M. Mougeotte a un peu anticipé sur la question complémentaire que je voulais lui poser.

Nous sommes au début de notre réflexion, sachant qu'il y a déjà eu un certain nombre de rapports sur ce sujet. Parmi les nombreuses questions que nous nous posons d'ores et déjà figure le problème du coût.

Le coût additionnel dépend par définition de la montée en puissance que l'on décide d'avoir et du calendrier correspondant. Je ne pense pas qu'il faille rester très longtemps sur ce chiffre de 5 à 7 millions d'euros complémentaires car tout dépend beaucoup de notre ambition en termes de couverture géographique, de type d'émissions et de programmation. J'imagine que vous avez fait un certain nombre de projections financières en fonction de cette montée en puissance et de la nature de chaîne internationale que l'on souhaite avoir. Si tel était le cas, il serait très intéressant que, dans le cadre de ce travail parlementaire, vous puissiez nous communiquer ces éléments. Dans le cadre de notre réflexion qui s'engage, je ne suis pas certain que nous puissions nous « accommoder » pendant longtemps de simplement deux heures de talk show, se greffant à la matrice dont vous parliez. Il serait donc intéressant pour nous d'avoir quelques informations complémentaires sur le coût, question centrale de notre réflexion, parmi d'autres.

Deuxièmement, je voudrais vous faire réagir par rapport à une autre question que nous nous posons.

A côté de l'information classique et qui serait plus internationalisée, comme vous l'avez indiqué, « diffuser la France à l'extérieur » veut dire aussi diffuser des reportages sur ce qui fait la spécificité française, la couleur particulière de la France dans le domaine culturel, dans le domaine économique, dans le domaine des paysages, du cadre de vie, des grandes économies, des grandes industries existant dans notre pays. Nous nous posons donc aussi la question du contenu. Compte tenu de votre expertise et de votre professionnalisme, pensez-vous qu'il y a un « marché » pour ce type de programmation et pour une chaîne internationale à la française ?

Enfin, nous nous posons aussi la question de la langue. Avez-vous mesuré en fonction de la langue, on risque d'arriver à une assez grande complexité technique et à des coûts très élevés.

Vous avez posé une question sur la différence entre ce que vous appelez à juste titre l'information classique et ce qui pourrait être des reportages sur la réalité française, les entreprises françaises, la vie culturelle française, bref tout ce qui fait la France. Dans notre projet, il s'agit d'abord et avant tout d'une chaîne d'information. Certes, elle peut s'enrichir d'un certain nombre de reportages.

Y a-t-il un marché pour cela ? C'est toujours pareil ! De belles images sont toujours propres à séduire mais il nous semble que le projet de base est quand même l'expression dans le meilleur sens du terme de la voix de la France, de la pensée de la France.

J'en profite d'ailleurs pour répondre à votre question, monsieur le rapporteur sur la ligne éditoriale. « Il faut une certaine homogénéité » disiez-vous. Certes ! Néanmoins, ce qui fait aussi le génie français c'est une capacité au débat. C'est sur des grands sujets internationaux la capacité à exprimer des opinions qui ne sont pas nécessairement exactement les mêmes.

Il faut effectivement refléter ce qui est majoritairement la position française et nous le voyons bien aujourd'hui sur des sujets sur lesquels se dégage un large consensus dans le pays. Mais il faudra trouver un bon équilibre entre ce qui exprime les positions de la France, vues de la manière la plus consensuelle, et ce qui exprime aussi une forme du génie français, à savoir le débat. Cette capacité à débattre sur tous ces grands sujets de manière ouverte et pluraliste est très spécifique à la France. Il faut donc un équilibre entre les deux.

M. Michel Herbillon : Dans le génie français, il peut y avoir aussi de très grandes expositions avec des noms internationalement connus. J'ai bien compris que pour l'instant vous êtes surtout concentrés sur l'information. Ne pensez-vous pas qu'il y a quand même une possibilité de marché sous cet angle ?

M. Etienne Mougeotte : Qu'entendez-vous par marché ?

M. Michel Herbillon : Disons un intérêt d'audience !

M. Jean-Claude Dassier : Oui ! Si vous bâtissez un organisme qui rassemble des moyens de tournage dans le domaine de l'économie et de la culture avec LCI, TF1, France Télévisions, vous avez alors déjà les moyens de faire bien des choses. Par exemple, je vous renvoie à ce que fait CNN en une demi-heure sur l'économie, avec un magazine. Imaginons donc que nous faisons aussi un magazine culturel d'une demi-heure toutes les semaines et de même pour un magazine économico-industriel. Oui, bien sûr, je pense qu'il y a un marché pour cela. D'ailleurs, l'économie a peut-être même un marché qui peut se financer avec de grands annonceurs comme Renault ou d'autres qui, d'euros par an, selon que l'on est à Moscou, à Washington ou à New York.

Ce sont de telles charges qui mènent la BBC dans le précipice du déficit. Celle-ci a, c'est vrai, une magnifique couverture internationale. Les signaux de la BBC sont nombreux mais il faut savoir ce que cela coûte car il faut bien mesurer encore une fois qu'il n'y a pratiquement pas de recettes en face. Néanmoins l'enjeu est enthousiasmant !

M. Bernard Brochand : Je veux d'abord remercier nos amis de TF1 et de LCI car ils ont présenté un projet qui est déjà très cohérent par rapport à des coûts, par rapport au potentiel, par rapport à la flexibilité nécessaire et par rapport à la montée en puissance.

Toutefois, il faudra que ces projets ne soient pas « déceptifs » dans la tête de tous ceux qui auront à juger ce projet, en particulier les hommes politiques, dont le Président de la République, et les Français en général.

Vous l'avez dit tout à l'heure et je pense aussi qu'il y a deux grands concurrents dignes de ce nom : CNN et BBC World. Vous avez rappelé qu'aujourd'hui le budget de CNN atteint 1,6 milliard de dollars.

M. Jean-Claude Dassier : Ils ont 16 signaux !

M. Bernard Brochand : Si vous ajoutez vos 5 millions, cela fait un total de 50 millions de dollars. C'est dire que la disproportion est tout à fait énorme.

Comme toujours se pose la question de savoir quel cahier des charges va-t-on vous donner ?

Sur ce plan, je crois qu'aujourd'hui les hommes politiques, le ministère des Affaires étrangères ou tel ou tel autre n'ont pas en tête la position du curseur. Où est le curseur ? Où commence-t-il et où s'arrête-t-il ? Malgré votre cohérence de projet, souvenons-nous que nous ne sommes pas seuls dans le cadre d'un monopole et plaçons-nous dans un monde compétitif. Nous sommes en compétition avec des chaînes mondiales, même si BBC perd une fortune. De là, ma question. Avec ce projet et cette approche, pourrons-nous dire que vous êtes compétitifs avec CNN ou avec BBC World ?

J'en doute ! Ce ne sont pas tellement les Français qui vont vous regarder. Ce sera sans doute les Français de l'étranger, certes, mais ce sera aussi, comme nous le voulons, les Australiens, les Américains, les Africains, etc. Quel sera leur choix en appuyant sur un bouton ? LCI International ? BBC World ? CNN ?

Votre spécificité vous permet peut-être d'être différents ! Mais les moyens ne sont-ils pas trop bas pour arriver à être compétitifs ?

M. Etienne Mougeotte : C'est vraiment le cœur du débat ! Ou bien on veut faire une chaîne concurrente de CNN et de BBC World, il faut dépenser des sommes compar prêt à mettre !

M. Bernard Brochand : et du coût que l'on est prêt à mettre, en effet. Le budget de BBC World est certainement proche du milliard de dollars !

M. Didier Mathus : Mes questions tournent également autour de ce thème. Le projet que vous définissez est au fond une chaîne d'information sur la France diffusée à l'étranger !

M. Jean-Claude Dassier : Pour commencer mais avec un effort pour l'international.

M. Didier Mathus : Le format de LCI est quand même fait de beaucoup de talk shows, de tables rondes .... Peut-on imaginer, par exemple, qu'un débat sur le taux de rémunération du livret A intéresse les gens vivant de l'autre côté des mers ? Je suis dubitatif !

M. Jean-Claude Dassier : Je ne le pense pas non plus. Mais la plupart des talk shows de LCI peut intéresser un public plus large, ce qui ne veut pas dire qu'il ne faille pas peigner la grille, voir ce que l'on garde et parfois ce que l'on remplace. Précisément, il faudra bien trouver de la place pour un certain nombre d'émissions : magazine économique, magazine culturel, débat sur telle ou telle question de nature internationale. Il faudra bien trouver des quarts d'heure de libres. Mais ce point ne m'inquiète pas trop !

Encore une fois, c'est cela ou recréer de toutes pièces une rédaction de 350 personnes avec 50 correspondants dans le monde, ce qui suppose un budget de plusieurs centaines de millions d'euros.

M. Bernard Brochand : Je pense qu'en tout cas cette hypothèse devra être fournie, ne serait-ce que pour comparaison et même si c'est pour la rejeter.

M. le président : La parole est à M. Pierre-Christophe Baguet.

M. Pierre-Christophe Baguet : J'ai entendu votre ouverture à tout partenariat et j'ai aussi entendu le coût des correspondants à l'étranger. Or nous avons en France un atout : l'AFP qui est présente dans 162 pays.

L'AFP a aujourd'hui besoin de se doper quelque peu et elle ne maîtrise pas bien l'image.

M. Jean-Claude Dassier : Elle ne la maîtrise pas du tout !

M. Pierre-Christophe Baguet : Un peu quand même ! Elle est bien obligée de s'ouvrir à l'image !

Pensez-vous que dans un partenariat qui pourrait être établi entre vous et l'AFP il y aurait une possibilité de former les professionnels de l'AFP à l'image et qu'en contrepartie ils travaillent avec vous ?

M. Jean-Claude Dassier : Je crois que l'on ne fait pas bien deux métiers en même temps. On ne peut pas être à la fois corresponda font-size: 10pt">De temps en temps oui, bien sûr, et il y a des exceptions. Lorsque l'actualité est très chaude et qu'il n'y a personne, les gens de l'AFP répondent en général présents ! Mais ils ne sont pas équipés en matériel de tournage et ils ne savent pas monter avec le matériel moderne. Tout cela demande de la formation et c'est un coût ! Il n'en demeure pas moins qu'il s'agit d'un métier sensiblement différent de celui d'un correspondant de l'AFP.

M. Pierre-Christophe Baguet : Encore que le matériel s'est considérablement réduit et amélioré. Désormais, on tourne en numérique ! Je vous sens un peu définitif sur ce sujet.

M. Jean-Claude Dassier : Je ne crois pas du tout à ce genre de montage !

M. Etienne Mougeotte : Pour ma part, je suis un peu plus mesuré que Jean-Claude Dassier. Effectivement, on ne peut pas demander à des bureaux de l'AFP de fournir des reportages d'une manière continue. En revanche, du son radio, oui. Ils le font déjà et c'est très utile ! En effet, dans une couverture internationale de télévision il y a aussi du son radio. En outre, en utilisant les moyens numériques disponibles aujourd'hui, il y a probablement des possibilités d'équipement.

C'est une question à regarder ! Je crois que l'on ne peut pas exclure l'AFP du projet, d'autant qu'elle a quand même une implantation absolument partout dans le monde.

M. Emmanuel Hamelin : Je reviens sur quelques points qui ont déjà été soulevés et je souhaite que l'on précise les questions que nous avons à nous poser. Vous apportez des solutions tout à fait intéressantes, à mon avis. Encore faut-il se poser les bonnes questions. Deux me viennent à l'esprit et elles me semblent essentielles.

Premièrement, faut-il parler de l'actualité française dans le monde ? J'ai des doutes sur ce point et j'en veux pour exemple ce que nous vivons avec TV5 quand nous sommes à l'étranger. Le journal de France 2 peut avoir un intérêt. Si l'on tombe sur le journal de France 3, c'est déjà un peu moins intéressant ! Puis, si l'on tombe sur le journal du Canada, de la Suisse ou d'un autre pays, cela devient totalement inintéressant ! Nous nous rendons bien compte que les Français de l'étranger réagissent eux-mêmes de cette manière là quand ils nous parlent de TV 5.

Si nous partons sur le principe de parler de l'actualité de la France dans le monde, nous intéresserons les Français dans le monde mais, à mon avis, nous intéresserons peu les citoyens du monde !

En revanche - et j'en viens à ma deuxième question - faut-il parler de la vision qu'a la France du monde ? Cette approche me paraît s'insérer déjà beaucoup plus dans le cadre de l'orientation que l'on veut donner à cette chaîne d'information.

Je reviens sur les propos de notr Mais doit-on réellement se limiter à la francophonie ?

La vision de la France dans le monde n'est pas réservée aux francophones. Nous avons vu par exemple qu'EuroNews avait sur l'Europe un taux d'audience supérieur à CNN. C'est assez symptomatique ! Il est vrai que CNN a une image associée à une grosse puissance, à une machine internationale extrêmement lourde. Mais par qui CNN est-elle regardée en France et en Europe ? Je ne suis pas certain que cela représente énormément de monde.

C'est là à mon sens un élément sur lequel il faut bien réfléchir et c'est sur ces éléments qu'il faut essayer d'apporter des éclairages.

M. Jean-Claude Dassier : Il ne faut pas confondre taux de pénétration et taux d'audience. En France, ce taux est à 0,2 % pour EuroNews et à 0, 1 % pour CNN.

M. Emmanuel Hamelin : Je parlais de l'Europe.

M. Jean-Claude Dassier : Je ne connais pas les taux d'audience d'EuroNews en Europe.

M. Emmanuel Hamelin : C'est la comparaison avec CNN qui me paraît intéressante. Encore une fois, je ne suis pas là pour faire l'apologie d'EuroNews. Je veux simplement dire qu'EuroNews s'adresse dans la langue des pays concernés et c'est uniquement sur ce point de la langue que j'essaye de faire porter la réflexion. Avec la langue française, si nous restons sur un schéma francophone, nous nous donnons toutes les chances de toucher les pays francophones. Mais si l'on veut toucher d'autres populations, le problème de la francophonie se posera.

M. Etienne Mougeotte : Il est clair que si nous intervenons en français nous ne nous adresserons qu'aux francophones. Si l'on veut parler au plus grand nombre, il faut parler en anglais. Disons-le car c'est la vérité !

M. Emmanuel Hamelin : Bien sûr !

M. Etienne Mougeotte : On peut donc imaginer qu'une partie des émissions de cette chaîne soit en anglais ! Cela fait partie des questions à mettre en avant.

M. Jean-Claude Dassier : Avec le sous-titrage...

M. Etienne Mougeotte : Oui, des émissions sous-titrées et qu'il y ait une partie des émissions en anglais ! En tout cas, c'est là un vrai débat sur lequel il vous appartient de nous éclairer et de trancher !

M. Emmanuel Hamelin : C'est aussi un élément sur lequel j'attendais votre réaction. En effet, nous avons parlé de la structure que vous avez aujourd'hui et du coût que pourrait représenter, avec les 5 millions d'euros, une internationalisation.

Je voulais avoir votre appréciation sur le point de savoir si nous devions dans certains cas mettre style="text-align: justify">M. Jean-Claude Dassier : Non !

M. Patrice Martin-Lalande : Je suis persuadé que nous avons intérêt, pour exprimer la vision de la France ou le regard français sur l'actualité internationale, à nous exprimer aussi dans d'autres langues. C'est d'ailleurs ce que fait l'AFP d'une certaine manière, et d'autres encore.

Pourriez-vous nous donner ultérieurement des indications sur le coût d'un tel multilinguisme, s'il était retenu et si vous alliez dans cette direction là ?

Pourriez-vous aussi nous dire quels sont, parmi les autres outils de la politique audiovisuelle française extérieure existant actuellement, ceux avec lesquels il vous semblerait possible de coopérer ?

Vous avez parlé tout à l'heure de France Télévisions. Existe-t-il d'autres outils possibles ? CFI, RFO, RFI ?... Quels sont les outils avec lesquels vous pensez pouvoir coopérer ?

Question peut-être plus gênante, quels sont ceux dont l'existence pourrait être remise en cause, du fait du succès de la chaîne à laquelle vous pensez et s'il y avait besoin de faire des économies pour financer la nouvelle chaîne d'information internationale ?

M. Etienne Mougeotte : On vous l'a dit, les partenaires naturels sont France Télévisions, RFI, peut-être l'AFP.

TV5, compte tenu de son actionnariat, est aujourd'hui l'expression de la francophonie et pas de la France. Un certain nombre de partenaires font que le programme est ce qu'il est.

EuroNews est également un problème car sa vocation n'est pas d'exprimer la vision de la France dans le monde mais, au contraire, d'exprimer une vision européenne. Même si on peut penser, souhaiter et espérer que la vision européenne s'inspire de plus en plus de la vision de la France ! Il n'en demeure pas moins que ce sont encore deux visions qui ne se recoupent pas complètement.

M. le président : Je vous remercie de nous avoir consacré cette heure et d'avoir répondu aussi clairement à toutes les questions.

M. Etienne Mougeotte : Nous sommes prêts à revenir avec plaisir si vous avez d'autres questions à nous poser.

M. le président : Vous étiez les premiers et de nombreuses auditions suivront. Je vous remercie.

--____--

Audition de M. Philippe BAUDILLON, Conseiller des affaires étrangères hors classe, chargé par le ministre des affaires étrangères d'une mission d'étude sur la création éventuelle d'une chaîne d'information internationale pour la France

M. Philippe Baudillon : Monsieur le Président, mesdames et messieurs les députés, avant tout, je vous remercie de me recevoir.

J'ai effectivement été chargé d'une mission par le ministre des affaires étrangères, après accord du Président de la République et du Premier ministre. Cette mission doit se dérouler dans un délai assez bref puisque je pense pouvoir remettre mes conclusions dans le courant du mois de mars.

Pour ce qui a trait à la méthode employée, depuis que j'ai été mandaté, j'ai rencontré de très nombreuses personnes en tête-à-tête - entre 70 et 80 - issues de l'audiovisuel, des cabinets ministériels, des ministères, sans parler de toutes celles qui peuvent intervenir sur ce projet.

Pour ne pas être trop long, je vais résumer la situation en commençant par dresser un constat : tout le monde s'accorde à reconnaître, comme M. le ministre Aillagon l'a souligné aujourd'hui, qu'il s'agit d'un dossier très complexe. Pourquoi ? D'abord parce que nous ne partons pas de zéro, une foultitude de rapports ayant déjà été réalisée, soit pour réorganiser l'audiovisuel extérieur, soit pour lancer un projet du même type. Ensuite, parce qu'il s'agit d'un projet très politique. Or, vous savez mieux que moi que, si les dossiers politiques se gèrent politiquement, ils recouvrent toujours des aspects techniques et budgétaires très importants. Enfin, parce que nous devons tenir compte des outils que nous avons déjà en termes d'audiovisuel: TV5, RFI, CFI, RFO, Arte, France Télevisions, TF1. Il s'agit donc de savoir ceux que nous intègrerons au projet. Faut-il y incorporer tout le monde ou s'en tenir à l'audiovisuel stricto sensu tout en sachant que l'on ne peut rien faire sans un ancrage minimal sur l'audiovisuel national, sans parler des chaînes privées comme TF1 et autres ? Tout cela est déjà d'une grande complexité !

Si nous abordons maintenant la question des lieux où devrait s'exprimer cette chaîne, c'est-à-dire des zones où elle devrait être diffusée, il faut savoir que ces marchés sont infiniment plus concurrentiels qu'ils ne l'étaient il y a une dizaine d'années. Ils consomment énormément de cash et l'on s'y trouve confronté à des mastodontes privés ou publics qui ont, soit une très longue expérience, soit beaucoup d'argent et toujours une volonté d'exister sur lesdits marchés.

Ce n'est donc pas en offrant une chaîne, aussi bonne soit-elle, que nous trouverons forcément des réponses à notre problème. Je ne vous apprendrai rien en vous disant qu'il ne suffit pas de créer une chaîne pour que tout le monde la regarde ! Or derrière ce projet, il y a un enjeu : l'argent investi doit avoir un minimum de rentabilité en termes de politique, d'économie ou d'influence. Tout cela étant dit, je n'ai pas fait beaucoup avancer le débat !

Néanmoins, à la lumière de ma petite ex chaîne de ce type pour arrêter ses priorités : est-ce le monde arabe, l'Afrique, l'Europe ? Dans la première hypothèse, est-ce le Maghreb, le Moyen-Orient, ou le Golfe persique ? Dans la seconde hypothèse, est-ce l'Afrique francophone ou anglophone ? Dans la troisième hypothèse, avons-nous une influence en Europe à travers les médias ?

Il faut définir un cahier des charges. Voilà quelle est, à mes yeux, la priorité et c'est à sa définition, qui est pour l'instant uniquement politique et diplomatique, que j'essaie de m'attacher dans le cadre de ma mission.

En revanche, une fois ce point établi, il reste à voir comment on peut « transformer l'essai » à la fois par un projet ou des projets industriels et des projets techniques. C'est là où les choses se compliquent un peu ! Cette deuxième étape est très importante et, selon moi, elle passe par une méthodologie. Jusqu'à présent nous ne sommes pas parvenus à très bien cerner le concept de « CNN à la française ». Si la formule est très belle, je n'ai, en revanche, pas vu encore grand monde qui soit capable de m'en fournir une définition précise et entourée de chair, ce qui renvoie à une vraie question.

Quelle est la méthode à suivre ? D'abord, fixer les priorités stratégiques que l'on peut avoir en tête, ensuite, décortiquer ce concept de CNN. S'agit-il d'une chaîne unique, d'un appel du Président de la République à développer l'influence française à travers les médias ? Est-ce que cet appel se traduit par une seule chaîne, par plusieurs chaînes, par des déclinaisons de chaînes ou par des décrochages ? Ce sont autant de questions qui demandent à être traitées avec beaucoup de précision parce qu'il convient ensuite de mettre en place des dispositifs éditoriaux et techniques et parce que c'est à partir des réponses qui nous seront apportées que nous en saurons plus sur la faisabilité de cette chaîne ou de ces chaînes.

La méthodologie doit être assez claire : d'abord, faire appel à la responsabilité des pouvoirs publics pour fixer les priorités stratégiques, ensuite, traduire ces priorités en concept de projet concret, enfin, déterminer si nous avons à notre disposition, en France un ou des acteurs susceptibles de répondre à ces différents projets avec une nécessité absolue : confronter ce ou ces projets aux marchés.

J'en reviens à mes propos antérieurs car j'ai la conviction qu'une chaîne de télévision internationale ne peut exister que si elle s'insère dans un marché, c'est-à-dire, même si elle n'est pas payante, que si elle répond à un vrai besoin. Vous pouvez toujours m'objecter que la méthode ainsi définie ne fait pas beaucoup progresser les choses, mais je crois quand même qu'elle permet de sérier les responsabilités de chacun.

La responsabilité du pouvoir politique c'est de fixer les priori françaises s'expriment actuellement en une langue autre que le français, ce qui constitue, malheureusement ou heureusement, un point de départ. Sauf à décider de recruter tout à coup, par exemple une rédaction en arabe ou composée de journalistes arabes, je ne vois pas comment faire autrement, même en envisageant de faire appel à d'autres puisque ni France Télévisions, ni TF1, ni LCI, ni personne n'a de tels moyens humains à sa disposition...

M. Michel Herbillon : Si, EuroNews !

M. Philippe Baudillon : Vous avez raison, sauf EuroNews, qui, pour l'instant, ne fait rien en arabe, mais qui a déjà édité quelque chose en cette langue. Si je ne vous ai pas encore parlé d'Euronews, c'est pour une raison simple - et je vous livre le résultat de mon tour de piste - c'est que tout le monde y pense, mais que personne n'en parle ! C'est là, je crois, un vrai problème politique et je vais m'en expliquer.

EuroNews a un atout absolument considérable : sa distribution. C'est une chaîne extrêmement bien distribuée, notamment sur l'Europe, et qui, bizarrement, n'est pas à la mode. Peut-être son concept éditorial ne correspond-il pas à ce qui doit être fait, mais beaucoup de personnes dont j'ignore même si elles la regardent, la critiquent. Je sais que lorsque j'étais président de CFI, j'avais beaucoup utilisé Euronews et j'étais parvenu à trouver des financements communautaires pour faire une version en arabe ce qui a été extrêmement apprécié car c'est une chaîne qui correspond à quelque chose.

Une fois de plus, il ne m'appartient pas de choisir. Je note simplement qu'il existe un certain nombre de supports dont EuroNews qui peuvent constituer des points de départ pour la création d'une chaîne ou de plusieurs chaînes.

Pour en revenir à mon propos, je constate que, hormis EuroNews, personne ne dispose de rédaction ou de production en une langue autre que le français. On voit donc bien que l'on se situe là dans une problématique de cinq à dix ans, qui représente un effort très important. Pourquoi ? Parce que, pour constituer une chaîne en arabe - ce qui suppose déjà de trouver des journalistes arabes qui sont assez rares sur le marché - la seule solution est de partir d'une chaîne en français et de la faire monter en puissance pour, progressivement, passer à d'autres langues, qu'il s'agisse d'une langue arabe si l'on veut se tourner vers le monde arabe ou de l'anglais si l'on cible le monde anglo-saxon, tout cela pour des coûts qui diffèreront très vite.

Je n'ai pas encore commencé la rédaction de mon rapport n'en étant encore qu'aux consultations - je passe ma vie à rencontrer de très nombreuses personnes - mais je peux, néanmoins, en quatre points, vous dire quelles sont aujourd'hui mes convictions.

Il s'agit d'un dossier technique et industriel à traiter politiquement. Politiquement, il est impératif, et c'est pourquoi il est aussi intéressant que l'Ass nullement à ce que nous souhaitons. Nous ne voulons pas, par exemple, résoudre à travers ce projet des problèmes de l'audiovisuel national, ou alors, il faut le dire.

C'est un projet international, très important pour l'image de la France : s'il résout des problèmes nationaux, tant mieux, s'il résout des problèmes de relative incohérence de l'audiovisuel national, très bien, mais je ne pense pas que ce soit l'angle sous lequel il convient d'envisager la question.

Il faut un cahier des charges qui définisse également - et c'est, à mon avis, très important - les évolutions souhaitables des différents opérateurs existants et j'y inclus évidemment et TV5 et CFI qui doit faire l'objet d'un grand toilettage. Si TV5 est une chaîne multilatérale, bien distribuée, qu'il est hors de question de remettre en cause, il convient en revanche de recaler le système. Ensuite se posera la question de savoir comment se comportent les chaînes nationales au niveau international, pour répondre à un souci de cohérence.

A mon sens, et j'en terminerai par là, nous devons nous poser une question qui est d'ordre politique. Cette question est la suivante : ne devons-nous pas nous doter d'un instrument sérieux d'orientation de l'audiovisuel international, qui ne soit ni un arbitrage budgétaire - procédure qui, jusqu'en 1995, permettait aux pouvoirs publics de se concerter chaque année - ni, comme c'est actuellement le cas, une prise en charge du dossier par plusieurs entités sans aucune logique commune, si ce n'est ponctuellement, pour répondre au souhait d'un homme politique du plus haut niveau, comme le Président de la République ou le Premier ministre, de voir l'audiovisuel public devenir plus rationnel ?

Il est indéniable que l'audiovisuel public doit devenir plus rationnel, mais je suis au regret de dire que l'audiovisuel a un tempo quotidien, voire horaire, qui change chaque jour et que ce n'est pas par des réunions interministérielles, malgré tout le respect qu'elles m'inspirent, que l'on traite de tels problèmes ! Il s'agit de problèmes industriels, des problèmes de business et de management.

Je conclurai en précisant que je regrette la disparition de la SOFIRAD, tout en sachant qu'il n'était plus possible de la maintenir du fait des changements du marché, car c'était un moyen pour l'Etat, plus fort encore au temps des participations, d'orienter l'audiovisuel international français. De la sorte, nous avions un échelon tampon dont on pouvait espérer qu'il doterait l'audiovisuel public extérieur d'un minimum de cohérence. Aujourd'hui, ce serait une grave erreur de créer une chaîne d'information internationale sans réfléchir à la manière d'assurer une plus grande cohérence, ce qui suppose d'ailleurs de mettre en jeu, non pas des schémas brutaux, mais des schémas de concertation et de discussion. Il y a quinze jours, je me trouvais en Chine : la France doit-elle ou non réfléchir à un outil à destination d'un pays qui est membre du Conseil de sécurité, qui pèse d'un poids extrêmement lourd et qui se développe très vite ? C'est une véritable question, mais qui y ré très sensiblement selon que l'on fait le choix d'émettre seulement en français ou en plusieurs langues.

Ce n'est que lorsque ce fameux cahier des charges que je considère absolument impératif sera établi que l'on pourra avancer des chiffres. C'est à la définition de ce cahier des charges que j'essaie de m'atteler et je me fonderai sur son contenu pour établir un chiffrage.

M. le président : Il s'agira d'un chiffrage avec plusieurs variantes ?

M. Philippe Baudillon : Tout à fait !

M. le rapporteur : J'ai entendu votre plaidoyer en faveur des offres alternatives. Avez-vous néanmoins le sentiment que la France pourrait se passer d'une utilisation partielle ou complète de son secteur public ? En d'autres termes, pourrait-on concevoir d'aboutir à une proposition d'initiative uniquement privée en matière de chaîne internationale, et si tel n'est pas le cas, pensez-vous a contrario qu'il conviendrait d'adosser le dispositif au secteur public en y intégrant une partie du secteur privé ?

Lorsque vous dites qu'il convient de procéder à des consultations et de faire la place aux différents opérateurs existants ou potentiels, quelle méthode préconisez-vous ? Penchez-vous pour un appel d'offres ouvert ou estimez-vous qu'il appartient au Gouvernement de choisir et de trancher à partir des conseils que notre rapport parlementaire pourrait lui apporter ?

Enfin, nous souscrivons pleinement à vos propos lorsque vous déclarez qu'il ne saurait être question de remettre de l'ordre ou de repenser le paysage audiovisuel français à l'occasion de la création de cette chaîne. Pour autant, vous paraît-il que nous puissions faire l'économie d'une réflexion sur ce panel de chaînes dont nous disposons : CFI, TV5, RFO, Arte ? Peut-on penser à une chaîne internationale en dehors d'une réflexion sur ces chaînes, peut-être périphériques, mais néanmoins existantes ?

Vous me permettrez une dernière observation : le cahier des charges que vous appelez de vos vœux renvoie à la responsabilité qui nous est confiée et qui consiste à déterminer les priorités jusqu'à son élaboration, étant précisé que nous disposons d'un délai assez bref pour le transmettre aux professionnels.

M. Philippe Baudillon : Je vais répondre à votre première question concernant la place à réserver au secteur public. J'estime que le secteur public compte beaucoup d'atouts, mais qu'il présente également de nombreux inconvénients.

Au nombre de ses atouts, il a, à l'évidence, un approvisionnement en images qui est tout à fait conséquent : quel que soit le projet, la pénurie d'images ne constitue pas un problème. Le fait de savoir s'il convient de produire ses propres ima l'évidence, faire l'objet d'une instruction dans ce cahier des charges. Il faut, si jamais une chaîne d'information internationale voit le jour, que TV5 y puise son information sans quoi on tournera en rond. C'est un des éléments du dossier.

Tels sont les principaux atouts de France Télévisions qui en a sûrement bien d'autres.

J'en arrive maintenant aux inconvénients du secteur public, que l'on connaît tous : la forte crainte qui est liée au statut du personnel qui est rigide, coûteux et qui peut poser problème. La notion de grève est vraiment à bannir sur une chaîne de ce type car elle nous ridiculiserait à l'étranger. Il y a là des engagements dont je crains qu'ils soient difficiles à tenir quelle que soit la qualité des dirigeants de France Télévisions. On connaît le processus et c'est un vrai problème ! Je ne suis pas opposé à faire du « tout France Télévisions », mais je préviens que cela implique de se couvrir très sérieusement.

Le projet peut-il être privé/public ou public/privé ? Je suis très favorable à cette formule. Je sais qu'elle est très compliquée - on me le dit sans cesse - mais les projets de ce type se développent partout et n'existent pas seulement dans l'audiovisuel : ils se montent sur la base de cahiers des charges extrêmement précis, d'engagements très pointus et ils débouchent sur une véritable dynamique.

Il faut tenir compte du fait que l'audiovisuel s'exprime dans un marché qui reflète la réalité des choses, surtout lorsqu'il s'agit du marché international. Cette formule représente une économie pour le budget de l'Etat et un frein à l'augmentation des dépenses car le plus souvent lorsque l'on crée une chaîne, en tablant sur un coût de 50 M€, le prix double en deux ans sans même que l'on comprenne ce qui s'est passé. Je vois donc là un facteur très important pour maîtriser les coûts, impulser une logique et faire en sorte que la chaîne soit efficacement distribuée et diffusée là où elle doit l'être.

Pour ce qui est des autres opérateurs nationaux comme RFO ou Arte, sans vouloir me faire d'ennemis, je dirai qu'ils posent une vraie question. A l'heure où le Premier ministre recommande au ministre des affaires étrangères de rationaliser ses représentations à l'extérieur, où l'on envisage presque d'avoir des ambassades communes avec les Allemands et où, simultanément, chaque opérateur y va de sa petite chanson à l'échelon international, j'avoue que je suis quelque peu inquiet. Peut-être convient-il de réfléchir ! Il faut bien mesurer que RFO est une énorme machine qui met en jeu beaucoup d'argent, qui diffuse en Afrique et un peu partout. A mon avis, elle nécessite un toilettage. C'est un élément qui sort totalement de mon champ de compétences mais qui mérite d'être très sérieusement pris en compte.

M. Michel Herbillon : Vous nous avez décrit un projet à géomé puisque vous avez signalé la difficulté de trouver des journalistes parlant l'arabe - peut-être serait-il plus facile de trouver des journalistes de langue espagnole qui seront nécessaires si l'on veut diffuser en Amérique latine - j'aimerais savoir ce que vous pensez du sous-titrage. Estimez-vous qu'une chaîne internationale diffusant en français et sous-titrée en fonction de la zone de diffusion serait viable ?

M. Philippe Baudillon : Pour ce qui est du choix des zones géographiques, si je m'en tiens à la lettre de mission que j'ai reçue du ministre des affaires étrangères, le monde arabe et l'Afrique sont une priorité. Je crois savoir que l'Europe en est une également, mais ce n'est que la première étape de la première étape ! Pourquoi ces zones sont-elles essentielles ? Parce qu'elles forment le premier cercle passé et à venir de notre pays, parce que c'est là que nous devons exister. Peut-être est-ce que je me trompe, mais c'est quand même primordial !

Derrière cela, il faut avoir à l'esprit deux ou trois notions qui renvoient encore une fois à un schéma politique - ce n'est pas moi qui choisirai - consistant à savoir quoi faire vis-à-vis d'un certain nombre de pays : je citerai de nouveau la Chine qui me paraît essentielle, mais aussi les Etats-Unis où le marché est si compliqué que de très grands groupes s'y sont cassé les dents. Ces choix mettent en jeu toute une série d'instructions et de réflexions sur ce que nous pouvons faire dans ces zones.

Pour ce qui est des trois secteurs prioritaires que sont l'Europe, l'Afrique et le monde arabe, et du format de la chaîne, la grande difficulté du problème tient au fait que les besoins du marché ne sont pas homogènes : la demande de l'Afrique ne correspond, ni à celle du monde arabe, ni à celle de l'Europe, étant précisé que je raisonne à publics communs et sans faire de différence. En effet, si nous commençons à nous intéresser aux cibles, il s'agit de savoir si les cibles dans le monde arabe sont les CSP + ou les 70 % de jeunes qui sont en face de nous : c'est là une question vraiment stratégique que j'entends bien poser ! Ce serait, à mon avis, véritablement jeter l'argent par la fenêtre que de prétendre s'adresser aux jeunes en leur offrant de l'information continue... Donc les marchés ne sont pas du tout homogènes en termes de demande.

Par ailleurs, du point de vue de la France, les liens sont différents. Le lien avec le monde arabe est un lien affectif qui dépasse le niveau de l'information. Toutefois, l'information sera d'autant mieux reçue que nous jouerons sur ce lien affectif. Pourquoi ? Parce que la réalité veut que nous ayons avec ces pays une communauté de destins que n'a pas la Suède. C'est là où nous avons une « french touch  » à exploiter, toute la question étant de savoir ce que nous entendons en faire. Cela peut aller très loin ! Cela peut aller jusqu'à envisager de travailler avec des chaînes arabes qui - si j'ouvre très largement les possibilités, c'est pour mieux répondre à votre question - peuvent même constituer un maillon de la chaîne de programmation.

M. Michel Herbillon : Et sur la langue ?

M. Philippe Baudillon : C'est une question qui renvoie à ma première considération. Si nous nous adressons au CSP +, quels que soient les pays, il faut nous en tenir au français et à l'anglais ; si nous voulons toucher des publics qui ne maîtrisent pas très bien ces deux langues ou qui les refusent, il nous faut parler la langue de l'endroit, car je ne suis pas favorable au sous-titrage. A mon avis, ce dernier, même s'il représente une possibilité, ne constitue pas la solution idéale pour le monde arabe. En revanche, je crois qu'il ne faut pas dédaigner des formules qui peuvent paraître un peu « cheap » mais qui ont une très grande efficacité sans être trop onéreuses. Cela étant, il reste à savoir comment les transformer en atouts sur le plan de l'image de la chaîne, mais on peut très bien imaginer une chaîne « patchwork ». Ainsi, pour reprendre l'exemple du monde arabe, on pourrait très bien diffuser, le matin ou le soir selon les heures d'audience, un programme en langue arabe et le reste du temps en français avec un peu de sous-titrage quand le format le permet, et de la traduction simultanée.

M. Michel Herbillon : Mais le coût serait plus élevé ?

M. Philippe Baudillon : Non ! Pas du tout ! Dans ce genre d'affaires, ce qui coûte cher c'est l'homme. Il existe une chaîne catalane qui diffuse en catalan, mais qui, souhaitant être suivie de tous les Espagnols, est en permanence traduite simultanément en castillan. Disons que c'est un autre principe, mais qu'il constitue un élément du positionnement de la culture de la chaîne à créer qui intervient aussi dans son coût.

Ce sont là autant de paramètres à agencer en fonction des zones, des publics que l'on souhaite toucher et, très sincèrement, il faut s'inscrire dans la durée. C'est la raison pour laquelle, l'autre jour, alors que nous nous interrogions sur l'articulation entre ma mission et la vôtre, j'ai tenu à préciser que je m'inscrivais dans une mission de trois mois alors que vous avez devant vous toute une législature... C'est un délai qui ne sera certainement pas suffisant, mais qui est déjà confortable !

M. Michel Herbillon : D'autant que nous espérons être réélus !

M. Didier Mathus : A ce stade de la discussion, je suis frappé de constater que le spectre de notre discussion collective est extraordinairement large, pour ne pas dire confus. En effet, nous voyons bien que, outre les questions qui se posent sur le coût, le format, la nature, la grille (infos chaudes ou plateaux), une inconnue demeure quant à la les questions que nous pouvons être conduits à nous poser aujourd'hui sur les zones géographiques, les formats, les structures découleront de celle qui sera apportée à la première question : à quoi cette chaîne doit-elle servir ? Aujourd'hui, personne n'a encore fourni la réponse, mais, en tant que diplomate et technicien de l'audiovisuel, vous avez peut-être votre petite idée sur le sujet....

M. Philippe Baudillon : Je suis complètement d'accord avec vos propos et c'est ce que j'ai tenté de dire précédemment en soulignant combien l'interprétation du concept de « CNN à la française » était tout à fait essentielle. Je vais m'efforcer d'en écrire une et je verrai si elle correspond à ce que souhaitent les politiques. Si cette interprétation est retenue, je dirai quel cahier des charges il convient d'élaborer et quelles conséquences sont à prévoir en termes d'organisation.

Ce que je vais m'efforcer de bâtir, c'est une architecture de projet. Je ne pense pas faire offense au Président de la République si je dis qu'il n'a pas une idée très précise de ce que doit être une « CNN à la française ». Il faut lui suggérer des orientations et lui montrer quelle est la réalité des choses en termes de faisabilité. Il s'agit de savoir ce qu'il est possible de faire. Peut-être est-ce que je me trompe, mais il s'agit très clairement de savoir si nous pouvons faire entrer dans le paysage de l'information internationale, un produit différent des médias anglo-saxons et arabes

A cette première question vient s'ajouter une seconde : comment pouvons-nous nous différencier de ces grands médias en termes d'organisation et de contenu ? Telles sont, selon moi, les données du problème - c'est du moins mon interprétation - étant entendu qu'on peut, ensuite, beaucoup affiner les choses. Derrière cette discussion se profile la notion d'influence de la France. Je suis bien d'accord avec vous pour reconnaître que ce concept peut aller dans toutes les directions au gré des vœux de chacun. Pour ma part, je vais m'efforcer d'abord de construire une réponse écrite, concrète, ensuite, de l'illustrer par des schémas opérationnels.

M. le président : Merci. Je tiens à dire à notre collègue que nous auditionnerons le ministre des affaires étrangères ainsi que le ministre de la culture et de la communication dans quelques semaines. La parole est à M. Brochand.

M. Bernard Brochand : Vous avez déjà répondu à bon nombre des questions et je crois que vous avez bien posé les termes de la problématique. Nous sommes dans une démarche de création de chaîne où, comme vous l'avez dit, c'est la méthodologie qui prime. Aujourd'hui vous êtes heureusement là, mais nous n'avons pas, pour ce qui nous concerne, fixé d'approche méthodologique : nous avons juste procédé à l'audition d'un certain nombre de personnes.

Vous avez, avec je crois beaucoup comment et pourquoi cette chaîne sera diffusée.

C'est la détermination de cette stratégie qui va vous permettre d'établir un cahier des charges et, en fait, vous allez, comme nous le faisions souvent pour les campagnes publicitaires en faveur des hommes politiques notamment, devoir, en n'étant chargé que de la forme, vous occuper du fond, ce qui est toujours tragique ! Vous me donnez l'impression de vous trouver dans cette situation où nous nous trouverons plongés nous-mêmes si nous devons participer à la rédaction de ce cahier des charges.

Je constate qu'aujourd'hui, nous n'avons pas défini les grandes lignes stratégiques de cette future chaîne et c'est là, à mon sens, le véritable problème ! J'aimerais donc avoir votre sentiment sur la façon de faire aboutir ce projet et de créer cette chaîne dont nous rêvons tous !

M. Philippe Baudillon : En fait, je me suis fixé pour objectif dans cette mission d'être le traducteur d'une pensée et d'une conviction profonde que je crois, ici et ailleurs, très largement partagée, quant à la nécessité de structurer l'influence de la France dans le monde. C'est là un impératif qui ne passera pas uniquement par des outils télévisés. Partant de ce constat, je vais m'efforcer de donner corps à cet objectif en fonction de toutes les rencontres auxquelles j'ai pu participer et de la pile de notes que j'ai pu réunir dans cet imposant dossier que j'ai sous la main, mais que vous me permettrez de garder pour moi, dans la mesure où il contient des appréciations personnelles.

Il est essentiel, au démarrage, de traduire cette volonté politique partagée par tous dans un schéma qui lui-même sera traduit dans un cahier des charges qui, à mon avis, peut ne pas être unique. Je n'apprendrai rien à personne en rappelant qu'en effet, la télévision n'est pas un monde fini et figé, mais qu'elle change tous les jours et j'en veux pour exemple la valse de ses dirigeants qui, non seulement en France, mais partout dans le monde, sautent comme des bouchons de champagne... C'est une caractéristique très forte dont il faut tenir compte si nous voulons aboutir et profiter du moment où le système laisse encore de la place pour la France.

Selon moi, et sans vouloir être trop « cocorico », la France peut réussir si elle se mobilise et s'en tient à cette méthode qui n'est pas cartésienne - il ne faut pas envisager de bâtir un projet à 200 millions d'euros - mais qui demande de jouer la carte de Robin des bois en assurant une présence là où on l'attend et sous la forme que l'on attend. C'est cette dimension qui est importante et c'est en quoi ma conclusion est essentielle quand je dis que nous devons avoir des moyens d'instructions adaptés à cette logique.

Si tel est le cas, et si nous disposons de moyens autres - et je mets les pieds dans le plat - que les moyens interministériels lourds qui ont leur utilité mais qui sont des moyens, non pas d'instruction, mais de décision, nous pourrons réussir. Il ne faut pas confondre les moyens : les moyens d'instructio ce genre d'activités : ce sont des systèmes qui ne sont pas comparables !

Il faut avoir un comportement d'out law, d'entrant sur un marché et se fonder sur nos forces et sur les faiblesses des autres : c'est cela la logique du système ! La formule peut paraître peu brillante et ne pas constituer la solution idéale, mais la chaîne qui serait la solution prétendument idéale, à mon avis, coûterait très cher et ne serait vue par personne !

M. Bernard Brochand : Cette approche d'out law comme vous la qualifiez, me semble tout à fait intéressante dans la mesure où elle est créative par rapport tant à ce qui existe qu'à ce que nous sommes et à ce que nous pouvons être.

Personnellement, j'ai très peur que des réunions interministérielles décident d'un cahier des charges sans avoir la connaissance de ce monde international, de ses différentes composantes, et sans mesurer surtout le niveau de compétitivité du marché. En effet, comme vous l'avez très justement signalé, il ne faut jamais oublier que la télévision est réactive d'heure en heure, voire de minute en minute. Ainsi, qu'on le veuille ou non, si l'on décide de créer une chaîne d'information, il faut savoir que l'enjeu est différent de celui d'une chaîne qui diffuse des films tous les soirs. Cette réactivité, cette prise de position, même « à la française », suppose des moyens et on ne peut lancer une telle chaîne qu'avec de l'imagination et de la créativité.

Comment peut-on faire adopter cette méthodologie que vous préconisez et à laquelle je suis tout à fait favorable dans le monde politique, administratif dans lequel nous vivons ? L'ancien dirigeant d'entreprise privée que je suis n'aurait, je pense, pas rencontré de problèmes pour, en quelques semaines, élaborer un cahier des charges, fixer des directions d'investissement, créer des équipes légères pour instruire le dossier, mais le Gouvernement, les ministères ou les députés que nous sommes peuvent-ils s'inscrire dans un tel système ? N'y a-t-il pas là un obstacle à votre volonté que je respecte et que je soutiens ?

M. Philippe Baudillon : Là, nous rentrons dans des sujets qui ne sont pas philosophiques mais qui sont au cœur du système. Mon seul avantage, c'est de ne pas avoir de structure à vendre ! J'ai rencontré quelques personnes - il y en a ! - qui ne voudraient pas être à la tête d'un tel système, contrairement à beaucoup d'autres qui le souhaitent. On prétend que c'est mon cas, mais je vous rassure : ce n'est pas mon problème et ce qui me passionne, c'est le sujet en lui-même !

La principale difficulté tient au fait que tout est affaire de volonté politique. Cette dernière s'exprimera au plus haut niveau et le devenir du projet se jouera sur cette alternative : nous pourrons retenir, soit un projet institutionnel qui coûtera de l'argent et rassurera tout le monde politiquement, soit une formu style="text-align: justify">Mme Martine Aurillac : Je crois que nous sommes tous assez impressionnés par la tâche qui est la vôtre. En effet, sans instructions ni directives très précises - vous avez parlé « d'interprétation », ce qui est éloquent - il vous faut construire une sorte de réponse tendant à déterminer ce qu'il est possible de faire, et, si la proposition est retenue, comment la réaliser. Ce n'est pas simple !

Je me bornerai, pour ma part, à quelques questions très rapides. Vous avez parlé d'un rapport que vous devez remettre d'ici à trois mois : à quelle date précisément ? La commission en sera-t-elle destinataire ?

Par ailleurs, j'aimerais savoir, dans le prolongement d'une question que vous a posée M. le rapporteur et à laquelle vous n'avez pas complètement répondu, si, une fois que les autorités politiques auront arrêté leur choix, la meilleure formule consistera à lancer un appel à différents opérateurs ou à s'en remettre à une décision purement politique ?

M. Philippe Baudillon : Pour ce qui est du rapport, j'espère le remettre au plus vite, si possible dans le courant du mois de mars, tout en étant conscient, que le sujet est inépuisable et que l'on pourrait y travailler jusqu'à la fin de l'année... Au mois de mars, je veux avoir déterminé les éléments du cahier des charges, ensuite, on pourra aller plus loin, mais c'est là que j'entends arrêter mon travail.

M. le président : Vous me pardonnerez de vous interrompre, mais je vous proposerai de nous rencontrer de nouveau, une fois votre rapport achevé.

M. Philippe Baudillon : Bien volontiers ! Ce rapport ne m'appartient pas et je le remettrai au ministre des affaires étrangères qui en fera l'usage qu'il jugera bon : s'il veut le jeter à la poubelle, il pourra le faire, mais si, comme je le souhaite, il entend le remettre aux présidents des commissions, ce document pourra constituer un outil de travail et marquer une étape dans votre réflexion.

Concernant l'opportunité de lancer un appel d'offres, tout dépendra de la réponse apportée à la méthodologie. Si nous disposons d'une structure d'instruction réelle de ce dossier, parce qu'il y a une réelle volonté politique et un véritable cahier des charges, l'appel d'offres sera inutile et ne servira qu'à nous confronter à des monstres, ou à des réponses qui ne seront pas adaptées. Cela est comparable à la notion de réponses graduées en termes militaires : de même que l'armée doit adapter sa réponse à la menace, de même, nous devons adapter notre réponse à la réalité du marché. Nous ne pouvons pas espérer obtenir une réponse absolue et c'est précisément pourquoi nous pouvons tourner en rond très longtemps... C'est bien là que se trouve l'élément essentiel du dispositif.

Présidence de M. François ROCHEBLOINE, Président

(Extrait du procès-verbal de la séance du 5 février 2003)

M. le président : Je remercie très sincèrement MM. David Lowen et Michael Peters d'avoir répondu favorablement à notre invitation.

Messieurs, je vous propose de faire une brève présentation de votre société. Je souhaiterais que vous dressiez un état des lieux d'EuroNews, que vous nous disiez si vous avez rencontré des difficultés financières, si vous seriez intéressé par la création d'une chaîne française d'information à vocation internationale et, si vous êtes éventuellement candidat, que vous puissiez nous parler de son format, de la langue ou des langues qui pourraient être employées et, également, de son coût financier.

Après votre présentation, notre collègue et rapporteur, M. Christian Kert, interviendra. Puis, suivront les questions de nos collègues. Je vous donne donc la parole.

M. David Lowen : Je suis directeur général d'EuroNews depuis seulement deux semaines. Mon collègue Michael Peters, qui en est le directeur financier, y travaille depuis quatre ans. Nous vous remercions de cette invitation qui nous permet d'exposer le point de vue d'EuroNews sur la création d'une télévision française à vocation internationale.

Comme vous pouvez le constatez, je ne parle pas très bien français, aussi je vous remercie de m'avoir accordé la présence d'un interprète car cette réunion avec le Parlement est importante et je voudrais apporter des réponses qui soient les plus claires et les plus utiles possibles.

Ce mois-ci, EuroNews célèbre dix ans de diffusion, dix ans de succès et de développement. Aujourd'hui, plusieurs pays, organisations et individus peuvent être fiers de l'état d'achèvement de la chaîne, tout spécialement la France, patrie d'EuroNews à Lyon, car, après dix ans, celle-ci est devenue une chaîne réellement internationale offrant un bouquet de chaînes en sept langues et un point de vue unique, européen. Chaque année, nous repoussons les frontières de l'Europe, jusque et y compris aux Etats-Unis, avec un budget qui représente un dixième de celui de Deutsche Welle, de BBC World ou d'ARTE. C'est la mission de service public qui continue. Voilà ce qu'est EuroNews aujourd'hui.

(Suit la projection d'une vidéo sur EuroNews, succession d'images d'actualité politique, sport, économie, mode, cinéma, informations dans différentes langues - espagnol, français, anglais, italien...)

M. David Lowen : Vous avez vu dans ces images la tragédie américaine de l'espace qui s'est produ d'information à vocation internationale et l'analyse que nous avons de la création d'une telle chaîne.

Je commence donc par le concept.

Il est illustré - cela commence mal ! - par une phrase anglaise mais, rassurez-vous, ce sera la seule : « Many voices. One vision. »

Ce concept montre qu'EuroNews est, avant tout, une chaîne paneuropéenne d'information : Many voices parce que nous sommes diffusés simultanément en sept langues - le français, l'anglais, l'allemand, l'espagnol, l'italien, le portugais et le russe - et One vision car c'est un concept et un principe unique : il s'agit d'une chaîne qui aborde l'actualité européenne et internationale dans une perspective et selon un point de vue européen destiné aux Européens.

En fait, EuroNews peut représenter la voix de l'Europe, qui viendrait se situer entre ce que l'on pourrait appeler l'ancienne voix américaine et la nouvelle voix arabe que l'on voit apparaître dans certains pays ; je veux parler, bien évidemment, de CNN et d'Al Jazira.

EuroNews a été créée en 1993, il y a dix ans aujourd'hui, par un consortium de chaînes publiques, membres de l'UER, principalement issues de l'Europe de l'Ouest, avec une forte présence dans le bassin méditerranéen et une ouverture sur l'Europe de l'Est et du Nord.

Un noyau dur au sein de notre actionnariat est composé de France Télévisions pour la France, de la RAI pour l'Italie, de la RTVE pour l'Espagne et de la SSR pour la Suisse. L'ensemble des vingt chaînes actionnaires détient aujourd'hui 51 % du capital de la chaîne ; les 49 % restants sont détenus par un groupe britannique ITN, lui-même détenu par des groupes tels que Reuters ou Granada, c'est-à-dire de grands groupes d'agences de presse mondiaux. Aujourd'hui, il nous manque quelques partenaires clés, dont l'Allemagne, qui n'est pas encore présente au capital de la chaîne.

M. Michel Herbillon : Il n'y a que des chaînes publiques?

M. Michael Peters : Les 51 % ne sont composés que de chaînes publiques. Cette structure capitalistique unique qui combine à la fois de nombreux radiodiffuseurs européens et des partenaires privés n'est pas sans conséquence sur la chaîne, la principale étant que nous disposons d'une source d'information incomparable puisque chacun des actionnaires publics met à notre disposition son contenu et sa production. A cela, s'ajoutent les deux principales agences de presse mondiales que sont Reuters et APTN, ainsi que les images de ITN, de la ZDF en Allemagne et de l'UER, qui était là dès le départ.

Cette multiplicité de sources d'informations et d'images a deux conséquences : d'une part, nous pouvons avoir une couverture complète de l'actualité dans le monde entier avec, souvent, un regard qui est celui du pays concerné. Si quelque chose se événement qui se produit dans le monde.

Dans sa présentation, David Lowen vous donnait en exemple l'accident de la navette Columbia que nous avons été les premiers à pouvoir diffuser en direct. Pourquoi ? Tout simplement parce que nous n'étions pas en plein débat ou en pleine émission lorsque l'accident s'est produit. Pour nous, c'est vraiment du roll over, du tout image. Cela nous permet d'être très réactifs par rapport à l'actualité qui se présente.

Juste pour votre information, nous fonctionnons par tranches types d'une demi-heure. J'ai tendance à dire qu'EuroNews est un peu le France Info de la télévision. Nous vous remettrons un dossier plus complet en fin de séance, mais je peux déjà vous dire que cette demi-heure est composée d'informations, de rubriques telles que l'économie, l'Europe, le sport, la météo et de notre fameux No comment, qui nous permet d'être souvent diffusé au Zapping sur Canal +.

A cela s'ajoutent un certain nombre de magazines principalement européens, tels que Europeans, Pass, Proximo, Parlamento. Ces magazines sont des exemples de coproduction avec un partenaire extérieur, en l'occurrence l'Union européenne. Cela pourrait tout aussi bien être le type de contenus que nous pourrions produire avec un partenaire français. Voilà le résumé de nos différentes tranches horaires au cours d'une journée. J'attire particulièrement votre attention sur l'information diffusée le matin, vers treize heures et le soir car, quand je vous montrerai les audiences, vous constaterez que ce sont nos trois temps forts.

Après le concept, le fonctionnement.

EuroNews, c'est 257 salariés et de multiples métiers : une rédaction de 157 journalistes, 61 techniciens collaborateurs, un secteur administratif de 19 personnes et une régie publicitaire intégrée, qui vend notre espace antenne, de 14 personnes basées à Paris, Londres et Francfort.

L'élément intéressant à relever à propos de ces chiffres est que l'effectif de la rédaction et de la technique représente 90 % de l'effectif total de la société, ce qui montre que nous avons vraiment un personnel dédié à l'opérationnel, les fonctions de support étant le plus limité possible.

J'ai essayé de ne pas vous assommer de chiffres, je ne vous en donnerai qu'un, celui du budget de fonctionnement, qui s'élève à 30 millions d'euros. Il est à comparer à celui de Deutsche Welle ou BBC World, dont le budget, pour ce que nous en savons, est de l'ordre de 300 millions d'euros ; notre budget représente donc le dixième du leur. On peut aussi le comparer à celui de TV5, qui se situe aux alentours de 80 millions d'euros.

Je rappelle que ces 30 millions d'euros s'entendent pour sept langues. En fait, comme vous avez pu le voir précédemment, le modèle é compte des synergies avec TF1, alors que nos 30 millions représentent notre budget total.

Pour illustrer ce que je viens de dire, vous verrez dans le dossier que 50 % de nos charges de fonctionnement sont des coûts de personnel et les 50 % autres sont des coûts opérationnels. Si l'on décompose les charges de fonctionnement, un poste très important (40 %) est affecté à la rédaction - frais de journalistes et agences de presse ; 20 % sont liés à la technique - techniciens et tous moyens techniques ; 15 % sont affectés à la distribution - commercialisation de la chaîne auprès des câblo-opérateurs dans le monde entier ; les 13 % restants comprennent 8 % pour la communication et 4 % pour les amortissements. On peut noter que 75 % de nos coûts de fonctionnement sont mobilisés par la rédaction, la technique et la distribution, avec une forte priorité donnée à nos personnels.

Nos revenus sont composés à hauteur de 40 % par des revenus de licence qui nous sont versés par nos actionnaires publics à deux titres : le premier tient au fait qu'ils nous mandatent pour créer une chaîne d'information et paient pour cela ; le second est qu'ils ont le droit d'utiliser notre contenu autant de temps qu'ils le veulent sur les chaînes hertziennes.

Une autre grosse partie de nos revenus, à hauteur de 30 %, est composée de revenus publicitaires ; une autre, à hauteur de 20 %, des revenus de production. Ces derniers sont liés principalement à trois contrats de coproduction importants avec l'Union européenne ainsi qu'avec la chaîne russe et la chaîne portugaise avec lesquelles EuroNews a un contrat de production dans leur langue respective.

Nous recevons aussi des subventions à hauteur de 7 %, ce qui est relativement faible, et des revenus de distribution correspondant à l'argent que nous recevons des câblo-opérateurs dans le monde.

M. le président : De qui recevez-vous ces subventions ?

M. Michael Peters : Des subventions sont versées par le parlement italien à la RAI pour la distribution, à partir d'un fonds appelé « Eurêka ». Il ne s'agit pas du fonds Eurêka européen. C'est donc la RAI qui nous le reverse. Cela représente 50 % des subventions que nous recevons, les autres 50 % proviennent de l'Etat français et du ministère des affaires étrangères qui nous versent une subvention de 600 000 euros depuis trois ou quatre ans. Cette subvention a été portée, de manière exceptionnelle, à 1,2 million d'euros cette année.

Comme vous pouvez le voir, entre les revenus de licence et les subventions, d'un côté, la publicité, la production et la distribution, de l'autre, nous avons un budget relativement équilibré entre ressources issues des fonds publics et ressources d'ordre plus commercial.

Je tenais également &agr forte concentration sur l'Europe. En terme d'audience, à ce jour, 3,6 millions de téléspectateurs nous regardent tous les jours sur le câble et le satellite, auxquels s'ajoutent 1,4 million de téléspectateurs qui nous regardent via les fenêtres hertziennes, ces fameuses retransmissions de nos programmes sur les chaînes publiques. Par exemple, nous sommes rediffusés tous les matins de 6 à 7 heures sur France 3, heure au cours de laquelle nous réalisons les meilleures parts de marché sur les six chaînes hertziennes.

Pour revenir sur la distribution, les 123 millions de foyers se décomposent en une très forte concentration sur l'Europe, avec 113 millions, et 10 millions un peu partout à travers le monde.

Petite remarque à ce sujet : nous venons de démarrer notre distribution aux Etats-Unis : de 3000 foyers en octobre 2001, nous sommes passés à 150 000 foyers aujourd'hui. Je crois savoir que TV5 touche 65 000 foyers aux Etats-Unis.

Notre distribution en Europe se compare à celle de CNN, à celle de BBC World, de CNBC et de Bloomberg. Je pense que les chiffres parlent d'eux-mêmes. Nous sommes, en plus du câble, du satellite et des fenêtres hertziennes, distribués dans les hôtels, les aéroports, les gares et sur certaines compagnies aériennes.

Si nous souhaitions revenir sur l'historique de notre société et sur ces dix dernières années, c'est qu'une telle distribution ne s'acquiert pas en deux, trois ou cinq ans. C'est la principale conclusion : il faut réellement une bonne dizaine d'années pour parvenir à une distribution aussi large.

La distribution d'EuroNews est relativement proche de celle de CNN sur le marché européen, le Moyen-Orient et l'Afrique, loin devant BBC World. Il est intéressant de savoir qu'en 1997, nous étions en dessous de CNN.

En terme d'audience, les 3,6 millions de téléspectateurs quotidiens sur le câble et satellite, et les 4,8 millions en prenant en compte les fenêtres hertziennes, sont comparables à ceux de CNN et de BBC World.

Nous souhaitions vous parler aussi des pics d'audience d'une journée ordinaire. Ces pics sont très élevés tôt le matin, car toutes les fenêtres hertziennes nous reprennent souvent le matin, et également, ce qui est intéressant à noter, en fin de soirée, entre 22 heures et minuit. Il nous semble que cela montre bien qu'EuroNews est un chaîne complémentaire : vous rentrez chez vous le soir, vous regardez le journal de TF1 ou de France 2, puis vous regardez le film et, après, vous suivez cinq minutes d'information sur une vision plus européenne en fin de soirée. Cela nous paraît bien illustrer la complémentarité que nous avons par rapport à des chaînes comme LCI ou aux principales chaînes en France.

En France, d'après des résultats Mediacabsat - il s'agit de mesures d'audiences hebdomada identifiées. Ensuite, nous serons à votre disposition pour entendre vos commentaires et répondre à vos questions.

Aujourd'hui, EuroNews est un partenaire reconnu. Elle est une chaîne de service public depuis dix ans, qui dispose d'un savoir-faire que peu possèdent : celui du multilinguisme.

EuroNews est une chaîne bien gérée. A la suite de certains mouvements dans son capital, dont nous reparlerons sans doute, un audit complet de la chaîne a été lancé l'an dernier par les chaînes publiques partenaires, qui a été communiqué au ministère des finances et dont la conclusion était que la chaîne était extrêmement bien gérée.

M. le président : Vous avez parlé des recettes, des dépenses, mais équilibrez-vous les comptes financiers ?

M. Michael Peters : Nous avons équilibré les comptes pour la première fois de l'histoire d'EuroNews en 2000. Nous avions alors enregistré un résultat positif de l'ordre de un million d'euros, mais 2000 a été une année extraordinaire en termes d'activité publicitaire pour l'ensemble du secteur des médias. Nous avons donc profité de cette conjoncture favorable. 2001 a été une année plus difficile. Nous avons enregistré une perte de 3 millions d'euros. Nous avons, en fait, mal subi le contrecoup de l'activité publicitaire. Je ne peux pas encore vous communiquer les chiffres pour 2002 puisqu'ils n'ont pas encore été approuvés par mes actionnaires, mais nous serons proches de l'équilibre, en léger déficit, inférieur au million d'euros. Le budget 2003 sur lequel nous travaillons actuellement est lui-même proche de l'équilibre, voire équilibré.

Pour l'année 2002, nous étions très proches de l'équilibre alors que notre budget s'inscrivait dans la continuité de celui de 2001, qui était à moins 3 millions d'euros. Nous avons donc fait une année bien meilleure que 2001.

Mais je crois comprendre le sens de votre question et je répondrai que le problème d'EuroNews aujourd'hui est de trouver le bon équilibre entre recettes privées et recettes publiques. Nous ne sommes pas une chaîne commerciale à proprement parler. C'est la raison pour laquelle nous nous axons volontiers en tant que chaîne du service public et toute la difficulté de la structure de la chaîne est justement de trouver le bon équilibre face à des actionnaires qui ne souhaitent pas voir leurs contributions augmenter, mais au contraire les voir maintenues, voire réduites. Il s'agit donc de contrebalancer cette évolution, qui est plutôt à la baisse, par un accroissement de nos revenus commerciaux.

C'est en ce sens que, si l'on prend l'année 2002 dont le résultat est quasi nul par rapport à l'année 2000 qui enregistrait un résultat légèrement supérieur, il est intéressant de savoir que la structure des revenus est très différente en 2002 par rapport à 2000 car, en 2000, la régie finale intégrée au studio disponibles pour le projet d'une chaîne internationale, vingt-quatre heures sur vingt-quatre et trois cent soixante-cinq jours par an.

Il nous paraît aussi très important pour une chaîne de ce type de voir ses coûts de démarrage réduits au maximum. Notre expérience et notre savoir-faire permettraient d'y contribuer. Très concrètement, une première façon d'obtenir des réductions de coûts serait de fournir durant la première, voire la seconde année, nos programmes la nuit, offrant éventuellement ainsi la possibilité à cette chaîne de ne pas avoir immédiatement une diffusion vingt-quatre heures sur vingt-quatre et de pouvoir conduire une réflexion plus approfondie, pendant un ou deux ans, sur son contenu et sa programmation.

Enfin, nous verrions bien un service public renforcé, ce qui rejoint la notion de coopération et non de concurrence. Il nous semble très important pour le Gouvernement français de ne pas fragmenter le marché ; les ressources liées à ce projet doivent venir renforcer le service public et non conforter la position dominante du marché privé.

Avant-dernier point, nous envisageons des échanges de contenus : la chaîne française internationale pourrait fournir ses contenus à EuroNews, leur donnant ainsi un débouché international. Cela lui permettrait d'atteindre le multilinguisme et elle pourrait, du coup, davantage se focaliser sur ses coûts de production de contenus et moins sur les coûts de distribution. A l'inverse, nous pourrions fournir des programmes à la chaîne, ce qui lui confèrerait, à mon avis, une crédibilité plus forte. Je fais ici référence à un article que j'ai lu récemment dans Le Monde de Jean-Claude Aillagon, qui expliquait que cette chaîne ne devrait pas apparaître comme « la voix institutionnelle de la France ». Il nous semble important en effet qu'elle puisse proposer, en plus de l'état d'esprit et du point de vue français, un point de vue plus général, plus européen.

Enfin, nous pourrions offrir à cette chaîne des opportunités pour le développement de sa distribution. De ce point de vue, nombre de coopérations peuvent être possibles. La chaîne pourrait bénéficier du réseau incomparable de distribution d'EuroNews dans le monde et de son réseau d'agents. Nous avons de grandes possibilités en termes de synergies. Nous pensons notamment à la langue arabe, langue que nous avons eue au sein d'EuroNews pendant trois ans et que nous avons dû arrêter il y a deux ans tout simplement par manque de financements.

M. le président : A propos de votre réseau d'agents, où ceux-ci sont-ils disposés dans le monde ?

M. Michael Peters : Nous disposons d'une équipe interne de distribution, formée de salariés qui travaillent beaucoup sur l'Europe, surtout sur l'Allemagne qui est un marché clé pour l'Europe. Puis, nous avons des agents pour le reste du monde, principalement pour les Etats-Unis, Israël et tous les pays d chaîne avec une chaîne internationale. Quel est, selon vous, le scénario idéal qui permettrait à EuroNews d'exister face à une plus grande sœur qui serait internationale ? Avez-vous le sentiment qu'il faudrait qu'un jour, EuroNews se fonde dans cette grande chaîne internationale française ou pensez-vous que, demain, la France sera prête à avoir deux ou trois chaînes européennes internationales, comme elle a trois grandes chaînes nationales plus ARTE ? N'est-ce pas un luxe pour la France de financer tout à la fois la chaîne franco-allemande ARTE, la chaîne d'information européenne qu'est EuroNews et de lancer, en plus, une chaîne internationale avec, parfois, des cibles identiques ?

M. David Lowen : De notre point de vue, il est de l'intérêt public d'offrir une grande variété de nouveaux services. EuroNews doit être partie intégrante de cet ensemble. Je ne m'attends pas à ce qu'EuroNews soit le joueur dominant mais il existe clairement une collaboration possible entre chaînes d'information et il serait difficile de coopérer avec des organisations qui aient une vision du monde différente de la nôtre. En parlant de monde, j'entends le monde de la télévision, le monde politique, mais également audiovisuel. Pouvons-nous coopérer avec des chaînes commerciales ? Oui, à condition que cette coopération s'appuie sur la qualité. Nous avons l'expertise, la compétence et, vous l'avez vu, la réussite qui est le fondement et le cœur même de toute nouvelle chaîne publique d'information. Il serait cependant plus facile d'avoir cette coopération avec une organisation ayant la même vision que nous en termes de service public.

M. Emmanuel Hamelin : Vous avez dit tout à l'heure, et la formule est bonne, qu'EuroNews est de l'actualité internationale vue par les Européens. La chaîne dont nous parlons s'inscrit, elle, dans le cas de figure d'une actualité mondiale vue par des Français. En tout cas, la mission que nous menons aujourd'hui va dans ce sens. Si nous partons de ce principe, comment envisageriez-vous la modification de votre capital ? Aujourd'hui, il est fait d'un certain nombre de partenaires internationaux, européens principalement. Si demain, nous devions la transformer en une chaîne française, comment s'organiserait le capital d'EuroNews ?

M. David Lowen : Arrêtez-moi si ma connaissance historique d'EuroNews était erronée, mais le capital d'EuroNews ainsi que le nombre d'actionnaires n'a cessé de bouger tout au long des dix dernières années. Nous nous sommes adaptés avec succès aux événements. Je ne vois donc aucun problème particulier pour nous adapter également à l'avenir, à condition que celui-ci offre à la chaîne l'occasion d'améliorer sa production, la qualité de sa production et de rendre un meilleur service. Cependant, je ne pense pas que la coopération que nous envisageons avec la future chaîne internationale impose automatiquement de devenir une seule et unique organisation.

M. Michael Peters : En ce qui concerne le capital, je crois comprendre votre question concernant le positionnement de nos autres partenaires sur ce projet. Si je caricature - ce ombre aux autres actionnaires publics.

En fait, la structure capitalistique d'EuroNews actuelle est telle que beaucoup de possibilités sont envisageables ; elle est très maniable. On l'a vu, depuis cinq ans, nous avons un capital semi-privé, semi-public, qui permet maintes évolutions et modifications.

M. Bernard Brochand : Le capital est tout de même le reflet des intentions d'une chaîne, le reflet de sa vision. Le cahier des charges de la nouvelle chaîne, que nous n'avons pas encore définitivement déterminé, indique déjà que cette dernière doit servir au rayonnement de la France et de la culture française.

M. Lowen disait tout à l'heure : « We can be the heart or we can be a part of the channel. » J'aimerais comprendre exactement ce qu'il entend par là.

M. David Lowen : Notre force provient de la largeur de notre base et de la structure de notre actionnariat. Quand je disais que nous pourrions être le cœur de la nouvelle chaîne, je voulais dire qu'en termes de télévision, de production, d'organisation, de professionnalisme, nous pouvons permettre à cette nouvelle entité de baisser ses coûts, de construire un projet moins coûteux. Mais nous pouvons dire aussi qu'au sein de chaque membre d'EuroNews, il y a un cœur français qui bat !

M. Bernard Brochand : La vision d'une chaîne culturelle française managée par EuroNews, sa structure et ses journalistes, vous paraît-elle possible alors que la programmation devra spécifiquement porter sur la France et sa culture ?

M. David Lowen : Encore une fois, nous avons toujours parlé de partenariat avec cette chaîne. C'est la meilleure façon de voir les choses, à la fois pour cette nouvelle chaîne et pour EuroNews. Nous pourrions en être le cœur professionnellement, ce serait sans doute notre limite, car je ne pense pas que nos actionnaires souhaitent devenir les propriétaires et lancer seuls une nouvelle chaîne d'information française.

M. Bernard Brochand : Oui, c'est la limite. Je suis d'accord. Mais votre chaîne s'appelle EuroNews et l'on pourrait imaginer qu'elle est justement la chaîne d'information européenne. Il existe CNN, Al Jazira, BBC World. Dans la définition future d'EuroNews, ne pensez-vous pas faire non pas une CNN à la française, mais plutôt une CNN à l'européenne ? C'est en tout cas la démarche qui semble aujourd'hui suivie par EuroNews et c'est une possibilité tout à fait envisageable.

M. David Lowen : Michael Peters a déjà répondu à cette question. Notre vision n'est pas celle d'une CNN européenne, mais d'une EuroNews pour l'Europe. C'est quelque peu différent.

M. Bernard Brochand : Oui, mais elle serait le concurrent direct de CNN ou de BBC&# votre expérience, de votre expertise et de la connaissance que vous avez de l'audiovisuel, ce qui vous semble être la formule idéale, celle que vous préconiseriez, pour la création de cette chaîne française à vocation internationale. Si vous deviez en décrire le schéma idéal en tant que professionnels, quel serait-il ?

M. David Lowen : Il est très difficile pour moi, avec mon expérience limitée de la télévision française de tous les jours, de définir ce que vous me demandez. Je peux tracer le principe global et Michael Peters développera plus précisément.

De mon point de vue, cette nouvelle chaîne d'information française doit offrir aux citoyens français des informations et des analyses de grande qualité sur tout ce qui concerne la France afin de leur permettre de devenir de meilleurs citoyens.

Il faut que cette chaîne examine de très près ce que fournissent les autres chaînes afin de créer quelque chose de vraiment différent. Ce n'est pas la peine d'avoir une approche publique ou de parler d'opportunités commerciales pour ne faire que reproduire quelque chose qui existe déjà sur le marché français. Ce ne serait qu'une perte d'argent et ce serait gâcher une occasion.

M. Michael Peters : Comme David Lowen, je dirais que cette chaîne doit absolument se distinguer de ce qui existe aujourd'hui. On dispose déjà de la voix des Etats-Unis à travers le monde, de la voix arabe à travers le monde et de la voix européenne à travers le monde. Mais il n'y a pas encore la voix française à travers le monde.

Dans cet état d'esprit, s'offrent deux possibilités opérationnelles et financières. En fait, tout dépend du budget que vous voulez y mettre. Aujourd'hui, la voix de la France souffre du fait qu'il n'y a pas d'images « françaises ». Les plus grandes agences d'images sont anglo-saxonnes. Je parle des agences d'images pures, telles que Reuters ou APTN. Si l'on veut changer le modèle par rapport à ce qui existe avec des moyens limités - parce qu'il est vrai que l'on peut tout faire avec de l'argent - il faut se concentrer sur la production de contenus, la production d'une image française qui puisse être diffusée à travers le monde et, ensuite, utiliser les outils existants - nous, puisque nous sommes les meilleurs ! mais aussi les autres - pour la diffusion de cette image à travers le monde.

Finalement, il s'agit de faire tout le contraire de notre modèle économique qui repose sur un contenu qui nous est apporté par les autres, qui sont toutes les visions européennes et sur la diffusion duquel nous focalisons notre énergie et nos moyens. Dans le cas de cette chaîne française d'information, je pense que la démarche doit être inverse : il est bien plus question de diffuser la voix de la France à travers le monde et non la voix de la France en France. Il existe déjà trois chaînes d'information pour cela.

Je me trompe peut-être, mais t et Jean MINOT, directeur général de CFI

Présidence de M. François ROCHEBLOINE, Président

(Extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 12 février 2003)

M. le président : Mes chers collègues, notre mission accueille aujourd'hui, dans le cadre d'une réunion élargie aux membres de la Commission des affaires culturelles et sociales et de la Commission des affaires étrangères, M. Ghislain Achard, directeur général délégué de France Télévisions, M. Serge Adda, Président-directeur général de TV5 et de CFI, M. Jean Mino, Directeur général de CFI et M. Jean-Paul Cluzel, Président-directeur général de RFI.

Nous attendions également M. Jérôme Clément, Président de ARTE France, mais, ayant dû partir en urgence à Berlin, hier après-midi, à la suite du décès de M. Daniel Toscan du Plantier, il m'a prié de l'excuser auprès de vous : nous l'entendrons lors d'une prochaine réunion de la mission d'information commune.

Je voudrais remercier tout particulièrement le Président de la Commission des affaires étrangères, M. Edouard Balladur, d'être présent à cette audition. Je sais combien il est attaché à la création de cette chaîne française d'information à vocation internationale puisqu'il était intervenu à ce sujet lors de l'examen du budget du ministère des affaires étrangères.

Cette audition commune a pour objectif de dresser un état des forces de l'audiovisuel public extérieur français. En réunissant les responsables des principaux organismes concernés par ces questions, nous souhaitons mieux connaître leurs capacités, leurs atouts et leurs propositions dans la perspective d'une participation au projet de la chaîne française d'information à vocation internationale, voulue par le Président de la République.

Nous entendrons successivement les différents responsables, en commençant par M. Ghislain Achard, directeur général délégué de France Télévisions.

M. Ghislain Achard : Si vous le voulez bien, je commencerai par rappeler à quelle nécessité répond la création de cette chaîne.

La France, quatrième puissance économique, pays qui anime la francophonie, qui a une vocation universelle par son rayonnement intellectuel et artistique, ne peut plus se passer d'une chaîne d'information internationale qui soit le vecteur de sa vision du monde.

Pour France Télévisions, quel doit être le projet éditorial de cette chaîne ?

Je commencerai, si vous le permettez, par éditoriaux doit se traduire dans la grille de programmation, à la fois par des sessions d'information à horaire fixe et par de grands rendez-vous permettant de traiter des dossiers concernant certaines zones géographiques : je citerai naturellement le Moyen-Orient, l'Afrique et l'Europe.

Cette chaîne doit aussi être le lieu de débats réunissant des invités, des experts et des représentants de la société civile. Elle doit, en outre, comporter dans sa grille des magazines, si possible, et si les sujets s'y prêtent, déjà existants par mesure d'économie : je pense à certains reportages d'émissions telles que Envoyé spécial ou Des racines et des ailes.

Le cahier des charges de cette chaîne doit préciser un certain nombre de paramètres, en particulier les zones géographiques visées. Même si la chaîne a vocation à être diffusée, à terme, sur l'ensemble de la planète, il semble qu'une zone prioritaire peut être rapidement ciblée, je veux parler de la zone Europe, Moyen-Orient, Afrique aussi bien francophone qu'anglophone. Pourquoi cette zone peut-elle être couverte en priorité ? Parce qu'elle ne nécessite pas une couverture satellitaire trop importante et parce qu'elle se trouve, de surcroît, sur un faisceau horaire assez réduit pour simplifier le fonctionnement de la chaîne.

Le cahier des charges doit aussi fixer la ou les langues utilisées. Bien entendu, la langue française doit être la langue de base, mais, à terme, les langues anglaise, arabe, espagnole doivent être pratiquées et nous préconisons d'avoir, dans un premier temps, encore une fois à horaire fixe pour fidéliser les publics, des modules dans ces différentes langues.

Pour ce qui concerne l'organisation de cette chaîne, je suis, aujourd'hui, en mesure de vous annoncer, en accord avec les Présidents de RFI de TV5, mais aussi d'ARTE et de RFO qui ne sont pas présents parmi nous ce matin, que nous avons décidé de coopérer et de présenter un projet commun. En effet, il semble que nos compétences, nos forces sont complémentaires et que nous pouvons, les uns et les autres, apporter une contribution à ce projet afin qu'il puisse fonctionner pour un coût minimal au plus haut niveau de performance.

S'agissant plus précisément de France Télévisions, elle peut apporter dans ce partenariat une expertise reconnue en matière d'information télévisée, celle-ci étant l'un de ses points forts : elle représente 25 % du coût de nos grilles nationales
- France 2 et France 3 - et nous diffusons chaque jour, en moyenne, sur nos deux antennes nationales, environ cinq heures de programmes d'information. En outre, je signale que les services étrangers de la rédaction de France 2 et de France 3 emploient 25 journalistes, qu'ils disposent de correspondants permanents dans une dizaine de grandes capitales à travers le monde et qu'en cas de crise, comme celle que nous traversons aujourd'hui avec l'Irak, ils sont en mesure de mobiliser environ une cinquantaine de journalistes ainsi que les équipes techniques associées pour couvrir un événement important.

France Télévisions peut aussi apporter son soutien technique puisque les rédactions de France 2 et de France 3 sont équipées de serveurs numériques permettant de stocker les images fabriquées par les uns et par les autres et de les faire circuler très librement entre les rédactions. Naturellement, ce dispositif peut être aisément adapté en vue d'être utilisé par la chaîne d'information internationale tout comme le téléport qui est un système d'acquisition des images du monde entier.

France Télévisions peut également faire bénéficier la chaîne internationale de sa participation à l'Union européenne de radiodiffusion (UER) qui offre un accès privilégié et gratuit à l'ensemble des images produites par les télévisions partenaires de cette union, ce qui permettrait d'alimenter de façon très fluide et régulière la chaîne d'information.

Enfin, France Télévisions est actionnaire principal de TV5 et actionnaire majoritaire de CFI. Elle détient aussi 28 % des parts d'EuroNews. Cette position lui permet de bâtir un certain nombre de synergies avec ces sociétés : on peut notamment imaginer qu' EuroNews et la nouvelle chaîne échangent des images à certains moments de la journée ou de la nuit. Par mesure d'économie, on peut ainsi envisager qu'EuroNews fournisse, la nuit, le journal de la chaîne d'information.

En résumé, la future chaîne doit être vivante, réactive. Elle doit présenter la vision française du monde et être le lieu de débats sur l'ensemble des problèmes internationaux. C'est une chaîne qui doit être résolument tournée vers son public international dans son contenu, mais aussi dans sa forme. Il lui faut être dotée d'une rédaction propre, mais qui s'appuie sur les forces rédactionnelles et techniques de France 2 et de France 3, et mettre à profit toutes les synergies des différents opérateurs publics dans le cadre d'un partenariat que nous considérons comme très ouvert.

M. le président : Merci ! La parole est maintenant à M. Serge Adda, président de TV5.

M. Serge Adda : Monsieur le Président, Monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs, je voudrais, tout d'abord, dire que ce débat sur la chaîne d'information est un débat fondamental pour l'avenir de la présence française dans le monde, dans le cadre de la bataille des images qui est - infos, sports, musique -, mais seule TV5 existe aujourd'hui comme chaîne internationale de langue française. C'est là un handicap incontestable pour asseoir la présence française dans le monde. C'est aussi une responsabilité particulièrement lourde pour TV5, qui doit répondre aux attentes des publics de tous les pays et de toutes les opinions internationales.

Je considère donc que l'émergence d'une chaîne d'information internationale française ne peut que renforcer TV5. Il me paraît utile de le préciser dès le départ pour dépassionner un débat que la presse a souvent un peu tendance à déformer.

Une chaîne d'information internationale ne peut se concevoir qu'en complément, et non pas en concurrence de TV5, remarque qui vaut naturellement aussi pour EuroNews. C'est un point de méthode essentiel ! Les zones d'arrosage, le rythme de progression des chaînes dans le monde, les délais nécessaires au lancement et au développement des chaînes d'information impliquent en effet que tout projet nouveau se construise non pas contre, mais avec ses prédécesseurs...

C'est la raison pour laquelle je me permettrai, très rapidement et avant d'aller plus loin dans le projet public que l'on peut imaginer entre les différents opérateurs et que Ghislain Achard vient de présenter, de rappeler la nécessité pour la France de ne pas affaiblir, mais de préserver, voire de sanctuariser l'existant et surtout de prendre en compte ses évolutions possibles.

EuroNews dispose aujourd'hui d'un formidable réseau. La France en détient 28 %, les Britanniques sont prêts à en sortir, ce qui laisse présager une montée en puissance des actionnaires français. EuroNews est donc un atout incontestable qu'on ne peut pas ignorer dans le débat actuel, car il peut devenir un des outils, certes multilatéral mais néanmoins essentiel pour assurer la présence des images françaises. Il représente un avantage d'autant intéressant que le montage d'un réseau demande, il faut le savoir, plusieurs années.

Pour en revenir à TV5, je rappellerai que la chaîne est présente sur 52 satellites, sur six mille réseaux câblés dans le monde et dans 165 pays : cela n'est pas le fruit de l'action de son Président qui est devant vous, mais le résultat de dix-huit années de travail et de l'indispensable et nécessaire grignotage de terrain, effectué chaque heure de chaque jour de chaque année.

Une partie de l'opinion et des leaders d'opinion a, il est vrai, une image souvent négative aussi bien de TV5 que d'EuroNews et le handicap de la multilatéralité est fréquemment vécu comme une quasi-prédestination à l'échec. J'en appelle donc aux élus pour promouvoir une vision positive des outils existants et faire en sorte que leur évolution soit mieux prise en compte.

Il est réellement possible de faire évoluer EuroNews à moindres frais et nous avons, en ce qui concerne TV5, été conduits, en cours d'ann&eacu quatre fois par jour et de 26 minutes à quatre heures, quatorze heures et, depuis une semaine, à 22 heures, heure de Paris. Parallèlement, TV5 propose un ensemble de magazines soit repris auprès des chaînes partenaires, soit produits par la chaîne. En résumé, entre magazines et journaux, ce sont sept heures d'information qui sont quotidiennement diffusées sur TV5.

Cette évolution est importante. Elle dénote, en tout cas, la volonté du conseil de ministres qui est en charge de TV5 qui en a approuvé la réforme l'année dernière, de faire en sorte que cette chaîne soit, plus que jamais, un outil vivant, moins institutionnel, plus professionnel, plus accessible au public. Là s'arrête la démonstration, car TV5 n'a pas, je le précise, prétention à être une chaîne d'information.

Nous sommes en mesure, aujourd'hui, en moins de vingt minutes, de déclencher des séquences « tout info », ce qui a été prouvé à l'occasion des événements du 11 septembre lorsque, pendant huit jours, TV5 a été transformée en «  chaîne info ».

Aujourd'hui, dans la perspective de la guerre annoncée en Irak, un dispositif a été mis en place pour déclencher, éventuellement, le moment venu dont j'espère qu'il ne se présentera pas, une chaîne «  tout info », avec ce que cela suppose de vigilance en terme éditorial. Compte tenu de la proximité du terrain des zones que nous arrosons, il est en effet essentiel d'éviter certains dérapages médiatiques du type de ceux que nous avons connus durant la guerre de 1991.

Nous pensons que TV5 peut, si on fait appel à elle, être partenaire d'un grand projet public de « chaîne d'info », par son savoir-faire en matière de réseaux et de capacité de pénétration dans le monde car qui dit «  télévision » pense aussi «  public » et « réseau ». Le savoir-faire de TV5 en matière de réseaux permettrait, j'en suis convaincu, de faciliter, d'accélérer la présence d'une chaîne d'information internationale.

Vous me permettrez d'étayer ma conviction par un exemple : nous sommes, pour la première fois, sur le point d'achever la négociation de la présence de TV5 au Japon d'où elle était absente depuis des années. Ainsi, TV5 sera, à compter du 2 avril, présente au Japon sur un bouquet qui, bien que ne datant que d'un an et demi, touche déjà 400 000 foyers. Il est évident que cette négociation en termes à la fois de prix d'accès à ce bouquet et de présence française, aurait pu aboutir en négociant l'offre, non pas d'une chaîne, mais de deux chaînes françaises. Tout le monde aurait profité des économies d'échelle qui en auraient résulté et nous aurions été en force pour défendre le développement de cette nouvelle chaîne.

Si notre apport en termes de réseaux est incontestable, notre connaissance du cont pas opposant - ! Il voyait dans cette entrevue une prise de position officielle de la France, alors qu'il ne s'agissait que d'information. Que dire de la Côte-d'Ivoire où chaque sujet traité, chaque mot prononcé se retourne contre nous, que ce soit dans l'un ou l'autre des deux camps ?

Tout cela illustre bien la difficulté, surtout en matière de télévision, d'élaborer une information qui soit indépendante et qui ne vienne pas discréditer les positions de la France. C'est vraiment très compliqué !

Les opérateurs publics peuvent naturellement travailler ensemble.

Vous avez devant vous le responsable de France Télévisions, structure qui a son expérience, sa rédaction, ses capacités, sa force de frappe, son réseau de correspondants, mais il faut aussi compter avec RFI qui dispose également d'un réseau exceptionnel de correspondants. Il est, certes, au service de la radio, mais on pourrait et on devrait l'associer au projet, de même que l'AFP qui n'est pas représentée ce matin et que CFI, dont le réseau pourrait être mis à disposition pour diffuser la nouvelle chaîne.

Par ailleurs, il conviendrait, à mon sens, d'imaginer une ouverture - j'ignore sous quelle forme aujourd'hui - sur le secteur privé qui offre aussi de très bonnes images françaises et qui ne doit donc pas se trouver écarté.

Je ne vois pas, en matière d'analyse internationale, de différence de qualité entre les images publiques et les images privées : tout repose sur la qualité des journalistes, des professionnels. L'image française dans le monde doit donc être la représentation de l'excellence du professionnalisme français et non pas l'objet d'un débat, insupportable à gérer, sur les mérites du secteur public et du secteur privé. C'est à partir de toutes ces données qu'il nous faut travailler, réfléchir et nourrir notre imagination.

Vous me permettrez d'ajouter deux observations.

Premièrement, la future chaîne se doit, comme cela a été dit par Ghislain Achard, d'être indépendante. Il appartiendra au cahier des charges d'en définir tous les contours, mais il convient d'envisager une structure qui soit indépendante des murs mêmes de chacune de nos institutions : il faut « faire du neuf » ! Une telle construction n'a pas sa place au cœur de nos institutions, même si ces dernières doivent participer à son fonctionnement. L'idéal serait de parvenir à une sorte de « nodal », pour employer un mot technique, où toutes les images et tous les correspondants des uns et des autres contribueraient à la construction commune que nous devons mettre en place.

Deuxièmement, nous ne pouvons pas faire l'économie d'une réflexion sur les langues. Il faut absolument prévoir d'intégrer la langue arabe dans le dispositif. Etant moi-même parfaitement arabophone et mesurant donc combien il sera d accompagner cette future chaîne, dont nous savons, sans en être ni les initiateurs, ni les leaders, que nous avons quelque chose à lui apporter.

Je noterai encore que toutes ces réflexions se mènent, pour l'instant encore, hors budget : Nous ne « parlons pas argent » car il faut, avant, « parler volonté politique » ! Ce n'est qu'à partir du moment où une volonté politique sera clairement affirmée, où les politiques - le Gouvernement et vous-mêmes - définiront un cadre, que l'on pourra trouver l'argent. Peut-être conviendra-t-il, alors, de repenser le projet, de le redimensionner... 

S'agissant du coût, il ne faut pas se faire d'illusions : une chaîne du niveau de CNN ou de la BBC, avec le réseau que cela suppose, revient à environ 200 millions d'euros, ce coût étant entendu sans aucun accompagnement des opérateurs.

Tout dépend donc de la volonté publique. Quand nous la connaîtrons, il nous appartiendra à nous, professionnels, d'y adapter notre raisonnement et d'apporter aux pouvoirs publics une réflexion professionnelle, et rien que professionnelle, pour que naisse, enfin, une présence française plus forte dans le monde.

M. le président : La parole est à M. Jean-Paul Cluzel, président de RFI.

M. Jean-Paul Cluzel : Monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les députés, vous vous étonnerez peut-être que le Président d'une radio ait à intervenir sur un sujet qui concerne une chaîne de télévision. Il y a sans doute à cela quelques raisons !

Premièrement, en 1996 et 1997, le gouvernement de M. Alain Juppé m'avait demandé de lui soumettre des propositions concernant ce que l'on appelait à l'époque « une chaîne-vitrine de la France ». Ces propositions, qui avaient été remises aux pouvoirs publics juste avant la dissolution, concluaient à la possibilité de créer une chaîne d'information internationale, dans une première version en langue française, pour un coût actualisé de l'ordre de 30 millions d'euros.

Deuxièmement, Radio France Internationale que je préside depuis maintenant sept ans se trouve disposer, du fait d'une mission qu'elle exerce depuis maintenant bien longtemps, d'un nombre de journalistes spécialisés dans le traitement de l'actualité internationale, à Paris et dans un réseau de correspondants propre, qui est de loin le plus important si l'on excepte l'AFP.

En effet, RFI compte 350 journalistes à Paris, dont la moitié travaille dans une vingtaine de langues étrangères, et un réseau de correspondants mondial qui emploie près de 300 personnes et qui peut intervenir à tout moment.

Troisièmement, il se trouve, que tant en Allemagne qu'en Grande-Bretagne
- qu'il s'agisse de la BBC ou de la Deutsche Welle, nos deux partenaires européens les plus proches et les plus comparables par les moyens financiers et humains dont ils disposent - ce sont mes homologues de la radio extérieure qui se trouvent avoir la responsabilité d'une télévision d'information internationale.

C'est sans doute à ce titre que vous m'avez demandé de m'exprimer, sachant en outre, que, depuis plusieurs années, je milite fermement en faveur de la création d'une nouvelle chaîne spécifique d'information internationale. Pourquoi une telle chaîne ?

Il convient d'abord de s'interroger sur les publics que l'on vise. S'il s'agit simplement de mettre à la disposition de nos compatriotes de l'étranger, voire d'une grande partie du monde francophone, une télévision d'expression française, il n'est pas évident qu'une nouvelle chaîne s'impose et cela pour plusieurs raisons.

Premièrement, parce que, avec l'arrivée prochaine, dans de nombreux pays, des technologies d'Internet haut débit, nous allons capter de manière assez simple, sur les écrans de nos ordinateurs, un nombre considérablement accru de chaînes nationales, disponibles tant en France qu'en Allemagne ou aux Etats-Unis. D'ores et déjà, France 3 diffuse sur l'Internet des images de certains journaux régionaux. Les expériences d'Internet haut débit se multipliant, il est probable que, d'ici à quelques années, tous les pays développés du monde disposant de systèmes de télécommunications performants pourront recevoir presque toutes les chaînes importantes : cela peut évidemment poser des problèmes de droits, mais il n'en reste pas moins que, techniquement, la chose est possible.

En conséquence, il nous a toujours semblé à Radio France Internationale, que, si un projet se justifiait, ce n'était pas simplement pour mettre à la disposition de nos compatriotes des images de France. Certes, les Français de l'étranger et les voyageurs qui vendent la France dans le monde doivent être pris en compte et il n'est pas normal qu'ils ne puissent, effectivement, bien souvent, regarder qu'une seule chaîne. Pour autant, ce n'est sans doute pas là le plus important.

Le plus important, c'est de pouvoir présenter au monde une vision française, européenne, de l'actualité internationale. Or, il suffit de comparer, d'une part, les chaînes existantes, et, d'autre part, ces trois grandes références que sont devenues CNN, BBC World et, pour le monde arabe Al Jazira, pour dresser un constat. Effectivement, à l'heure actuelle, notre pays, même s'il a des potentiels et une infinie richesse en matière d'images, d'actualités internationales, d'agences de presse, de radios internationales, ne dispose pas de l'outil qui lui permettrait de susciter autant d'intérêt chez un téléspectateur étranger, que CNN, BBC ou, pour le monde arabe, Al Jazira.

Nous réfléchissons donc, depuis plusieurs années, à la nécessité de doter notre pays, et sans doute à terme, l'Europe, d'une chaîne qui, dans toute sa conception, soit destinée à toucher créer une version en langue française. Des conversations importantes se sont même engagées entre CNN et la deuxième chaîne d'information en continu, i<Télé. Il s'agit d'une chaîne filiale de Canal + à laquelle, en raison sinon de son succès du moins de son relatif développement, CNN a été conduite à s'intéresser comme elle s'est intéressée à des chaînes équivalentes en Allemagne et en Espagne où elle offre une version en langue locale de ses programmes.

Entendons-nous bien ! Il ne s'agit pas d'une chaîne en allemand ou en espagnol, destinée à présenter une version allemande ou espagnole de l'actualité internationale au monde entier, mais d'une chaîne qui cherche à présenter CNN telle qu'elle existe, en langue espagnole ou en langue allemande en Espagne ou en Allemagne. C'est un danger car si la France ne se dote pas d'un instrument spécifique, une chaîne internationale risque d'être diffusée en langue française, mais sans refléter le point de vue français de l'actualité internationale.

Le besoin de cette chaîne est également pressant par rapport à la francophonie.

Hélas, de plus en plus nombreux sont les décideurs francophones du monde entier qui, pour avoir une vision complète de l'actualité internationale, se trouvent contraints de regarder une chaîne dans une autre langue que la nôtre.

Pour passer une bonne partie de mon temps à l'étranger, je sens, comme vous le sentez vous-mêmes, dans vos circonscriptions, Mesdames et Messieurs les députés, ce besoin et cette espèce de sentiment d'injustice et d'incompréhension qui est lié au fait que la France n'est pas en mesure de faire dans sa langue ce qui est à la portée des Etats-Unis ou de la Grande-Bretagne. Nous ne remplirions pas nos devoirs vis-à-vis de la francophonie si nous ne donnions pas aux francophones du monde entier, qui sont tout de même 200 millions et pas seulement regroupés en Afrique ou autour du bassin méditerranéen, une chaîne dont la richesse d'images, l'originalité des points de vue, la variété des magazines, sans être du jour au lendemain comparables à ceux de la BBC ou de CNN, tendraient du moins à s'en approcher.

A l'évidence, il faut une chaîne en français ; c'est par elle qu'il faudrait commencer et c'est elle qu'il faudrait pouvoir trouver dans les hôtels et sur les réseaux câblés.

Il faut, ensuite, une chaîne d'expression arabe, pourquoi ? Parce que, comme nous le voyons quotidiennement depuis maintenant presque trente ans, et plus encore ces dernières années et depuis le 11 septembre, le monde arabe est au centre de multiples enjeux géopolitiques à l'échelle mondiale.

Or, le monde arabe, non seulement dans la zone arabe elle-même, mais en Europe, du fait de l'importance des communautés musulmanes qui vivent dans nos pays, est l'objet d'une guerre des images que je vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à suivre vous-mêmes. émise selon les critères déontologiques qui sont les nôtres. La BBC a essayé de remédier à cette situation grâce à un partenariat avec la chaîne saoudienne MBC, mais elle a dû y renoncer parce que, effectivement, comme le soulignait à juste titre Serge Adda, il est très difficile, en matière d'information, de ne pas subir un sévère contrôle éditorial. Même une collaboration avec des pays arabes amis nous impose des compromissions auxquelles une chaîne se réclamant d'une stricte déontologie ne peut se laisser aller.

Il me semble qu'il y a urgence à créer un projet arabe. Nous pouvons l'initier en ne diffusant que quelques heures par jour, mais très vite, nous devrons avoir l'ambition et les moyens de nous doter d'une chaîne qui soit comparable à ce qui est déversé sur le monde arabe : des images vingt-quatre heures sur vingt-quatre qui soient, contrairement aux images actuelles de division, des images d'ouverture sur le reste du monde.

Il faut, enfin, impérativement émettre en anglais. Pourquoi ? Parce que, si notre langue est importante - je ne pourrais pas concevoir un projet venant de France qui ne s'exprime pas d'abord dans notre langue vis-à-vis des francophones du monde entier - il faudra assez vite prévoir une version en langue anglaise si nous voulons avoir un retour sur une dépense qui se chiffrera à quelques dizaines de millions d'euros au minimum et qui sera lourdement supportée par le contribuable français. En effet, si CNN et la BBC sont aussi importantes, ce n'est pas simplement parce que vous les regardez de temps en temps, mais parce que tous les journalistes du monde entier les regardent au point qu'elles sont, en quelque sorte, devenues leurs troisième et quatrième agences de presse. Dans les salles de rédaction du monde entier, il y a l'AFP, Reuters, puis CNN, la BBC et, de plus en plus, Al Jazira, du fait de ses « scoops » dont nous avons encore eu un échantillon hier soir.

Il faut savoir que l'influence de ces chaînes sur les rédactions du monde entier se démultiplie et que beaucoup d'images que vous voyez sont des images de CNN, de la BBC ou d'Al Jazira. Les commentaires que vous entendez sont ceux qu'ont entendus les journalistes. Or, il se trouve, hélas, que la situation de notre langue dans les rédactions du monde entier, aujourd'hui, est telle que si nous n'avons pas, nous aussi, dans un très proche avenir, une version en langue anglaise, nous n'aurons pas l'impact que nous espérons. Si nous ne nous exprimons pas en anglais, nous ne répondrons pas à la nécessité de présenter une vision française sur des problèmes aussi importants que ceux qui se déroulent actuellement en Irak, ou qui vont se dérouler, demain, nous l'espérons, dans le cadre d'une nouvelle version de la construction européenne à laquelle travaillent vos collègues à Bruxelles.

Sans cette capacité de présenter, avec des images adaptées, notre point de vue sur des débats majeurs qui ne sont pas seulement ceux des grandes crises internationales, mais également ceux qui s'engagent quotidiennement à l'OMC, à Bruxelles ou au Conseil de sécurité, dans la langue qui est devenue, hélas, celle des médias du monde entier, c'est-à-dire l'anglais, je crains que et les producteurs d'images privées. En effet, une chaîne d'information ne se résume pas à des présentateurs et à des journaux : elle doit comporter une bonne quantité de magazines reflétant le monde tel qu'il est, ne serait-ce que pour faciliter le passage d'une langue à une autre. Les émissions de plateau qui opposent des experts, supportent très mal d'être traduites : le téléspectateur s'ennuiera vite si on lui présente en version doublée un dialogue entre deux spécialistes français. En revanche, plus on a d'images et plus il est facile de les diffuser dans les langues étrangères adéquates. En conséquence, la participation de maisons de production privées, comme Capa par exemple, pour ne citer qu'elle, nous paraît essentielle pour ce genre de projet.

En associant les forces du service public et en s'appuyant sur les producteurs privés pour avoir des images nombreuses de qualité qui donnent à cette chaîne une originalité par rapport à l'existant, il doit être possible de bâtir un projet pour quelques dizaines de millions d'euros. Vous n'en verrez pas nécessairement les effets, dès l'année prochaine, dans toutes les chambres d'hôtels des pays où vous êtes appelés à voyager pour vos missions, mais il me semble qu'au bout de quatre ou cinq ans, il pourra commencer à avoir de l'impact.

Un certain nombre de projets importants ont été concrétisés, au cours des dernières années par l'audiovisuel public français. C'est le cas d'ARTE à qui il a fallu quinze ans pour s'établir. Au début, rappelons-nous, il s'agissait d'un projet purement français : La Sept. Ensuite, nous avons entraîné nos amis allemands et nous avons vu avec quel succès ! Nous avons également assisté à la création de la cinquième chaîne qui avait donné lieu à des hésitations et à des critiques, mais qui a récemment acquis toute sa place et qui, au bout de six ans, est devenue une des chaînes importantes du paysage audiovisuel français.

On ne peut pas attendre d'un projet aussi ambitieux que celui d'une chaîne d'information internationale française qu'il ait tout son impact en 2004. Je crains, mesdames et messieurs les députés, que vous n'en voyiez pas les retombées avant 2010, mais il faut y travailler dès aujourd'hui comme le montre tout ce qui s'est fait de plus moderne dans l'audiovisuel français. Il me semble que nous avons véritablement, ensemble, les capacités suffisantes notamment en ce qui concerne les journalistes, car la technique, elle, évolue chaque jour et il faut savoir que les solutions les plus modernes sont dépassées en l'espace de quatre ou cinq ans.

Ce qui importe c'est d'avoir la volonté de mener à bien le projet, de disposer de suffisamment de journalistes qui soient spécialistes du terrain et soucieux d'apporter une autre vision de ce qui se passe dans le monde.

Les forces de l'audiovisuel public conjuguées à celles des producteurs d'images privées peuvent nous aider à mettre en place, à partir de l'année prochaine, pour atteindre une pleine efficacité aux alentours de 2010, une c commun avec TV5, pour actionnaires France Télévisions à hauteur de 75 %, ARTE France à hauteur de 25 %, et propose dans le monde entier les programmes de ces chaînes de télévision publiques françaises. En outre, CFI collabore directement avec RFO pour l'information, RFI pour d'autres émissions, et avec l'INA pour tout ce qui touche aux actions de formation. Enfin, je tiens à préciser que CFI travaille également avec les chaînes de télévision privées.

CFI peut, bien entendu, prendre sa part dans ce travail commun qui nous réunit aujourd'hui. Cette participation doit s'appuyer sur sa force en tant que chaîne de programmes à destination des chaînes des télévisions du monde entier. Il ne s'agit pas d'une seule chaîne de programmes mais de cinq puisque nous proposons chaque jour entre quatre et six heures de programmes aux télévisions nationales africaines francophones et anglophones à travers 45 pays, environ quatre heures de programmes en direction de l'Europe de l'Est pour 21 pays et que nos programmes en direction de l'Asie couvrent de trois à cinq pays. De même, nous avons la possibilité - que nous mettons à profit - d'envoyer des programmes en Amérique latine.

Ce réseau existe donc et il est évident que CFI qui dispose d'une chaîne de télévision et qui émet en Afrique vingt-quatre heures sur vingt-quatre présente la particularité d'être diffusée, non seulement par satellite, mais également par MMDS, c'est-à-dire par réseaux hertziens micro-ondes, ce qui affermit son implantation en Afrique. Il faut donc bien retenir que CFI est une banque de programmes, mais que ce canal a aussi noué des liens par l'assistance technique et l'aide à la modernisation qu'elle a apportées à la plupart de ces télévisions, sans parler des réseaux qu'elle a créés avec l'ensemble des responsables des télévisions des pays. Ils pourront s'avérer utiles lors de la constitution d'une chaîne d'information internationale.

Ces réseaux, ces liens, ces relations forment un tout que RFI est en mesure d'apporter lors de la construction de ce grand projet et c'est pourquoi elle a un rôle à jouer dans ce concert pour la constitution d'une télévision d'information internationale.

M. le président : La parole est à M. le Premier ministre Edouard Balladur.

M. Edouard Balladur, Président de la commission des affaires étrangères : Je ne prononcerai que quelques mots pour dire d'abord combien je me réjouis de la constitution de cette mission, car elle tend à proposer un projet que beaucoup soutiennent depuis longtemps.

Il s'agit d'un projet difficile et coûteux car il poursuit deux objectifs : premièrement, défendre la langue et la culture françaises, étant précisé que j'entends surtout par culture les débats littéraires ou autres et non pas les grands spectacles ; deuxièmement, présenter le point de vue français - ce qui ne veut pas dire le point de vue gouvernemental - sur la situation internationale et sur les grands leurs efforts ! - au cours du deuxième trimestre de 2003, soit d'ici à trois mois.

Sommes-nous capables, dans les trois mois qui viennent d'avoir une idée précise du coût global des investissements à prévoir pour les années qui viennent et de la montée en puissance de cette chaîne ?

C'est tout l'objet de notre mission que de répondre à cette question et j'aimerais beaucoup que l'on précise les chiffres. L'un des intervenants a parlé de 200 millions d'euros, l'autre de 50  à 60 millions d'euros. S'agit-il de crédits de fonctionnement ? S'agit-il de crédits d'investissement ? Tous ces points mériteraient d'être précisés très rapidement, mais je répète que si nous voulons être crédibles et ne pas nous enliser dans des débats interminables, il faudrait que nous nous efforcions de soumettre des propositions précises au Gouvernement dans les trois mois qui viennent, en vue du prochain budget.

M. le président : Merci Monsieur le Premier ministre.

Est-ce que quelqu'un souhaite apporter des précisions concernant les chiffres ?...

M. Ghislain Achard : Le coût de cette chaîne dépendra, bien entendu, de son ambition. Tout le monde s'accorde à reconnaître qu'à partir du moment où elle sera en plusieurs langues, elle nécessitera des rédactions différentes, et qu'à partir du moment où sa distribution se fera sur l'ensemble du monde et ne sera pas limitée à la zone Europe/Afrique/Moyen-Orient, son coût sera différent.

Il est donc nécessaire de chiffrer plusieurs hypothèses et je pense que, raisonnablement, si nous chiffrons l'hypothèse de base qui est celle, d'une part d'une couverture sur une zone prioritaire comprenant l'Europe, l'Afrique francophone et anglophone et le Moyen-Orient, d'autre part d'une diffusion en langue française, il ne serait ni sage, ni viable, de descendre au-dessous de 30 millions d'euros.

C'est une estimation rapide qui appelle des études complémentaires, mais je pense que c'est une base de départ, quitte à chiffrer ensuite les hypothèses supérieures.

Si l'on entend ajouter des versions, constituer des modules en certaines langues, si l'on prévoit une chaîne en une autre langue ou si l'on souhaite distribuer la chaîne vers l'Asie, vers les Amériques, les coûts de distribution et des langues associées resteront à chiffrer.

M. Serge Adda : C'est moi qui ai avancé tout à l'heure le chiffre de 200 millions d'euros. On peut, bien sûr, s'en tenir à 30 millions d'euros, mais en tenant compte du fait qu'il y aura un apport d'images existantes provenant en grande partie du service public, ce qui suppose qu'il y ait un regroupement. Quand on sait que l'information coûte sur France Télévisions environ 400 millions d'euros, on mesure que, sans ce regroupement, l pouvoir en évaluer le coût.

Il existe plusieurs possibilités dont une très peu chère qui consisterait à diffuser LCI ou i<Télé à travers le monde, mais est-ce vraiment la formule attendue ? Espérons-nous une reproduction à l'identique des débats franco-français ?

C'est une chaîne qui doit s'adresser au monde et qui, par conséquent, doit avoir un contenu et, en fonction du périmètre que vous lui aurez fixé, un coût. Il ne faut pas inverser le problème : ce sont vraiment l'ambition et la volonté politiques qui doivent être clairement exprimées !

M. le président : Si j'ai bien compris, ce sont donc 30 à 50 millions d'euros qu'il convient de prévoir, au minimum, rien que pour une diffusion en langue française ?

M. Jean-Paul Cluzel : Je pense que le coût de fonctionnement minimum, pour une langue, s'élève à 30 millions d'euros dans le cadre d'un système utilisant les synergies et les capacités existantes. A cette somme, il convient d'ajouter, hors investissements immobiliers, un investissement technique de base de l'ordre de 15 millions d'euros. La principale différence des coûts pour des versions linguistiques supplémentaires tient évidemment à la présence de présentateurs et de journalistes. Il faut donc compter, par version linguistique supplémentaire, au minimum 20 millions d'euros.

Disons que « au minimum minimorum », il faut tabler, la première année pour une chaîne en une seule langue, sur 45 millions d'euros hors investissements immobiliers et hors aléas. C'est pourquoi j'ai précédemment avancé le chiffre de 50 à 60 millions d'euros. Le chiffre de référence qui me paraît le plus fiable, car ceux de CNN me paraissent très peu sûrs, est celui qui correspond à l'évaluation par la BBC du coût de BBC world, soit 40 millions de livres sterling, ce qui équivaut à 40 ou 60 millions d'euros.

M. le président : La parole est à M. Christian Kert, rapporteur.

M. le rapporteur : Monsieur Adda, lorsque vous en appelez à la définition de la chaîne, je crois que nous nous sommes à peu près arrêtés à une définition qui voudrait que cette chaîne permette de communiquer au monde une lecture de l'actualité mondiale, et parallèlement de présenter l'actualité française. C'est l'ambition générale qui s'est dégagée.

Par ailleurs, nous souhaiterions que cette chaîne sorte du cadre qui consiste à dire qu'il existe une exception culturelle de l'audiovisuel français pour en donner une image un peu plus contemporaine. C'est là un enjeu éditorial et peut-être M. Achard pourra-t-il nous dire par la suite si votre proposition est bien en mesure de répondre à ces objectifs.

Vous avez parlé, Monsieur Adda, de la nécessité de faire appel à des producteurs privés, mais vous n'avez jamais mentionné les diffuseurs privés : n'envisagez-vous pas de les associer ? Pourquoi cette question ? Simplement parce que, il y a dix ou quinze jours, nous avons reçu les responsables de LCI qui nous disaient être totalement ouverts à une proposition de partenariat avec le secteur public de l'audiovisuel.

M. le président : A ce stade de notre discussion, je propose de regrouper les questions pour permettre à nos invités d'y répondre globalement.

M. Michel Herbillon : Messieurs, vous avez, à plusieurs reprises, évoqué la volonté politique, qui, à n'en pas douter, existe et vous avez ajouté qu'ensuite vous pourriez la mettre en musique selon des tonalités différentes et pour des coûts différents. Si nous sommes bien d'accord sur ce point, j'aimerais néanmoins poser un certain nombre de questions aux professionnels que vous êtes, pour que vous y répondiez, à la lumière de vos connaissances, de votre analyse et des éléments que vous avez déjà signalés dans vos propos liminaires.

S'agissant de la question du budget, je suis, Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur, très curieux d'obtenir des chiffres un peu plus affinés. Cela me paraît d'autant plus important que, dans le cadre de notre réunion, des chiffres d'ampleur très variable sont avancés. Il serait vraiment utile d'obtenir de votre part un document intégrant les différents scénarios en fonction des zones géographiques et des langues, qui nous tracerait un schéma du coût technique et rédactionnel, et qui nous permettrait d'affiner les perspectives.

En ce qui concerne les zones géographiques, vous avez indiqué les zones prioritaires et vous avez principalement retenu l'Europe, le Moyen-Orient et l'Afrique. Y a-t-il, pour répondre à cette ambition de chaîne d'information internationale, une masse critique ? Dans votre esprit, peut-on se limiter à ces zones géographiques ? Constitueraient-elles une première étape dans un processus de montée en puissance, étant entendu qu'ensuite il y aurait - j'emploie à dessein le conditionnel car vous n'en avez pas parlé - nécessité de s'implanter en Asie, en Amérique du Sud, auquel cas se poserait de nouveau le problème de la langue et du contenu rédactionnel et éditorial ? J'aimerais que vous m'apportiez des réponses sur cette question des zones géographiques et ses conséquences sur la langue, étant précis&eacut prononcer sur les différents scénarios qui vous semblent envisageables et notamment sur celui qui vous paraît le plus fiable avec le secteur privé.

M. Richard Cazenave : J'évoquerai deux sujets qui, du point de vue des parlementaires, peuvent paraître un peu contradictoires.

Je veux parler, premièrement, de la difficulté que nous rencontrons les uns et les autres, lorsque nous sommes en mission à l'étranger et à l'hôtel, pour capter des programmes en langue française. C'est vrai, y compris au Maghreb qui est assez proche, il est possible de recevoir des programmes, y compris de divertissement, en italien et en allemand, alors que l'offre en français est extrêmement limitée.

Cette situation débouche sur une première interrogation : comment expliquez-vous que cette disponibilité allemande, espagnole ou anglaise n'ait pas son équivalent en français étant précisé que, sans même parler d'une chaîne internationale, nous ne demandons qu'à voir nos produits franco-français distribués à l'identique des autres. C'est une première question à laquelle je ne trouve pas de réponse et c'est pourquoi j'aimerais qu'un professionnel m'explique les raisons de cet état de fait.

Je veux parler, deuxièmement, de notre ambition de véhiculer nos idées, nos valeurs, dans ce monde un peu dangereux et difficile où la vision française d'un nouvel ordre mondial, dans une approche qui passe par un dialogue des cultures, s'affronte au cours de discussions parfois un peu spectaculaires à une vision toute différente. Or, l'approche française trouve un écho qui dépasse largement sa propre puissance. Intellectuellement et culturellement, un grand nombre de peuples, y compris parmi ceux qui ne parlent pas le français, sont disponibles pour entendre ce message. La question se pose donc de savoir si, pour faire valoir cette vision, il faut l'exprimer dans la langue arabe et dans la langue anglaise. Je reviens à cette question qui est un peu lancinante, mais, que je sache, Al Jazira ne diffuse pas en anglais...

M. Serge Adda : Elle s'y prépare !

M. Richard Cazenave : En attendant, elle a «  fait son trou » en diffusant en arabe !

Il me semble que, dans un premier temps, nous devrions poursuivre deux objectifs : avoir une disponibilité de diffusion d'émissions françaises et offrir un journal, des magazines, des émissions à vocation internationale, en français. C'est cet objectif que nous devrions retenir, si nous voulons viser 2004, étant entendu qu'il y aura, je pense, de nombreux publics pour vouloir relayer cette information française.

M. Patrick Bloche : Je souhaiterais m'inscrire dans la discussion en parlant de l'acquis.

Nous ne partons pas de rien ; il y a un audiovisuel extérieur en France qui existe depuis longtemps et qui a su, ces dernières années, partagée par nos voisins les plus proches, notamment au sein de l'Union européenne : vous ne retrouverez pas ce sentiment en Allemagne, en Italie ou en Espagne. Il relève d'une tradition historique qui reste très ancrée dans notre conscience collective ce qui explique d'ailleurs que l'audiovisuel extérieur dépende directement, dans l'architecture ministérielle, du ministère des affaires étrangères.

Le deuxième souci, comme nous le rappelait Richard Cazenave, est de présenter une vision française des enjeux internationaux. L'actualité la plus récente ne peut que nous inciter à jouer cette carte du pluralisme et de la diversité dans l'approche de ces problèmes.

Le troisième souci est tout aussi déterminant  à partir du moment où il s'agit d'un thème fédérateur dans notre pays : avoir un instrument de diffusion internationale pour notre mobilisation en faveur de la diversité culturelle. Au-delà des discours et de tout ce que nous pouvons dire sur le sujet, notre pays étant incontestablement en pointe en ce domaine, il nous faut les instruments adéquats.

Il est possible d'aborder tous ces aspects sous l'angle budgétaire comme cela s'est fait au cours de cette matinée. Mais, à partir du moment où une volonté politique est susceptible de se concrétiser - on parle depuis longtemps de ce projet de création de chaîne - je souhaiterais que l'on puisse, avant d'étudier les moyens, tenter de bien cadrer et de bien calibrer à la fois les besoins que nous souhaitons satisfaire et ce que nous entendons faire.

D'un point de vue géographique, on parle de « régions prioritaires » et à juste raison. Gardons tout de même à l'esprit que ces régions prioritaires le sont pour des raisons politiques et non pas techniques, ce qui est déjà une bonne chose car il y a quelques années la technique constituait encore un obstacle. Le Président Cluzel vient de rappeler à fort bon escient ce qu'apportent l'Internet à haut débit et la faculté de diffuser des images et du son au bout du monde pour autant qu'on y trouve des zones urbanisées, ce qui est déjà pas mal.

L'enjeu du plurilinguisme, ou plus exactement du trilinguisme, m'apparaît déterminant. J'estime, en effet, qu'à défaut de courir un grand risque, nous limiterions considérablement notre volonté politique commune et nos ambitions si, dès le début, pour des raisons budgétaires, nous devions nous satisfaire d'une chaîne en langue française.

Ce serait, à mon sens, une erreur fondamentale car nous savons tous, les uns et les autres, qu'à partir du moment où nous aurons créé cette chaîne en langue française, nous ne verrons pas avant longtemps, pour ne pas dire jamais, se monter parallèlement une chaîne en langue arabe et une chaîne en langue anglaise. Or, même si l'espagnol et le portugais sont des langues communément parlées à travers le monde, je considère que, pour des raisons à la fois politiques et diplomatiques sur lesquelles je ne m'étendrai pas, et pour des question renvoie au débat et on peut le dire à nos insatisfactions à propos d'EuroNews, notamment, mais pas seulement, pour des raisons linguistiques - alors que nous sommes sinon tous, du moins la plupart d'entre nous, conduits à plaider en faveur d'une intégration encore plus forte de notre pays dans l'Union européenne dont la France est un membre actif, peut-on ou doit-on porter et défendre un projet de chaîne internationale strictement française ?

La France appartenant à un second ensemble, je veux parler de l'ensemble francophone qui regroupe plus de cinquante pays ayant le français en partage, et TV5 étant le produit de ce multilatéralisme francophone, comment servir, à travers ce projet, la présence de la France dans cet ensemble francophone très évolutif qui constitue, d'un point de vue politique, pour notre pays, un moyen d'intervention internationale de première importance ?

M. Jean-Claude Guibal : La quasi-totalité des sujets que je souhaitais aborder ayant été soulevée, je m'en tiendrai à quelques approches ponctuelles.

Je note d'abord que nous avons, à l'évidence, quelque chose à dire et que nous découvrons que nous avons envie de le dire en nous dotant d'un moyen de faire savoir ce que nous sommes, ce que nous pensons, ce qu'est notre représentation du monde d'aujourd'hui.

Cette envie débouche sur ce projet de création d'une chaîne française d'information internationale dont j'ai bien compris qu'elle n'aurait pas de sens si elle ne venait pas se rajouter aux chaînes existantes à l'échelon international en tant que chaînes de référence : CNN, BBC World, Al Jazira.

Cela signifie qu'un aspect essentiel qui a été évoqué, celui du coût, me semble brusquement dérisoire. Alors que ma première préoccupation était de savoir combien une telle chaîne allait coûter - 50 ou 200 millions d'euros - et si son prix allait osciller entre celui de BBC World et CNN, j'ai tout à coup entendu M. Cluzel dire que BBC World ne représentait que 5 % du montant de la redevance... Si 5 % de la redevance suffisent à faire entendre «  la voix de la France » dans le monde, le point de vue de la France sur ce qu'est aujourd'hui l'ordre mondial, je m'étonne même que l'on se pose la question de savoir quels doivent être le format et le niveau. Soit on réalise un projet qui permet effectivement de compter parmi les trois ou quatre références internationales pour l'ensemble du monde des médias, soit on poussera des cocoricos dans le désert, ce qui ne servira à rien ! Il me semble donc que nous ne pouvons pas ne pas être ambitieux en la matière.

Les deux questions que je souhaite vous poser sont quelque peu oiseuses. Je veux dire par là que je vais vous les poser de façon très générale tout en étant conscient qu'il faudrait entrer dans le détail des choses. Mais, comme ce n'est sans doute pas encore le lieu et que nous n'avons pas suffisamment de temps pour faire preuve de finesse, je vous les soumets dans leur globalité.

Il me semble qu'il est difficile de monter un tel instrument, par ailleurs indispensable, à la limite, selon moi, quel que soit son coût, sans s'être auparavant posé ce type de questions.

M. Bernard Brochand : Les questions essentielles ont été posées par rapport à la problématique de cette chaîne, aussi je n'en ajouterai pas d'autres. Un tel projet nécessite une volonté politique, mais il reste à le déterminer à travers différents supports, et notamment un cahier des charges qui va vous être fourni et qui relève de la responsabilité du pouvoir politique.

Ce qui me soucie ce sont toutes les exigences et toutes les contraintes auxquelles nous allons être soumis pour créer cette chaîne. Si vous avez réglé un certain nombre de problèmes dont les réductions du coût et la représentation de la voix de la France grâce à votre association que vous incarnez par votre présence ici ce matin, il ne faudrait pas oublier que nous entrons dans une autre dimension qui est mondiale et donc très compétitive. Certains se sont empressés de dire dans les médias qu'il s'agissait de créer une chaîne « CNN à la française ». Or, aujourd'hui, il y a trois chaînes mondiales que l'on connaît, qui existent, qui couvrent plus ou moins les événements et répondent plus ou moins aux besoins, mais qui sont présentes et toutes les trois incontournables : Al Jazira, BBC World et CNN.

Je me pose donc la question de savoir en quoi cette chaîne internationale pourra être spécifique et compétitive ? Quelles sont les conditions qui doivent être réunies pour qu'elle tienne sa place dans la compétition puisque, qu'on le veuille ou non, elle sera regardée, non seulement par les publics francophones mais par les publics du monde entier étant précisé que ceux qui pratiquent le français peuvent également être attirés par d'autres chaînes existantes.

Sachant que la compétitivité est affaire de moyens et de contenu, quels seront ceux de cette nouvelle chaîne et quelle réactivité pourra-t-elle avoir par rapport à ses concurrents ? Nous avons bien vu au cours des derniers mois le poids financier que cette compétitivité a fait peser sur BBC World pour se maintenir face à CNN et nous savons que les investissements de Fox News pour couvrir l'éventuelle guerre irakienne s'élève à 40 millions de dollars. Ce sont là des données qui sont essentielles pour apprécier l'audience de la future chaîne, car il est bien beau de transmettre la voix de la France, mais il faut encore qu'elle soit entendue...

M. le rapporteur : En tant que rapporteur, je voudrais juste ajouter que, dès la première réunion de notre mission, nous avons bien défini l'objectif de cette chaîne en précisant qu'elle traduirait une lecture ou un regard de la France sur l'actualité mondiale et qu'elle rendrait au monde le service de présenter l'actualité française. J'ajoute que nous avions un peu évacué cette notion de « voix de la France », en considérant que ce n'est pas la France en tant qu'entité globale et intangible qui ferait face aux caméras.

Nous avons l'ambition de livrer le regard porté par la France sur l'actualité mondiale sans prétendre que la France doit, dans son homogénéité totale, être présente sur les écrans, quelle que soit l'heure du jour ou de la nuit, pour faire entendre ce que l'on a pu appeler « la voix de la France »... Ce n'est pas ainsi que nous avons conçu notre mission.

M. le président : Pour répondre aux questions, la parole est à M. Ghislain Achard.

M. Ghislain Achard : Les questions étant très nombreuses, je vais commencer par vous dire que nous nous sommes présentés ici, ce matin, surtout pour vous annoncer que nous allions travailler ensemble. Nous ne vous avons donc pas présenté un dossier complètement bouclé et fini et comportant des chiffres très précis. C'est à son élaboration que nous allons nous atteler à partir d'aujourd'hui.

Par ailleurs, sur le dernier point qui a été soulevé, qui est extrêmement important, et par lequel j'avais d'ailleurs débuté mon intervention, nous vous avons dit que cette chaîne d'information internationale ne pourra pas prétendre être la voix officielle de la France. Si tel était le cas, elle perdrait toute crédibilité, serait mal accueillie dans la plupart des pays et elle ne serait ni reprise ni redistribuée. Par conséquent, que faut-il faire ? Il faut travailler avec une équipe de professionnels ! Ce sont l'indépendance et le professionnalisme des journalistes qui feront toute la différence. Ce sont eux qui vont travailler avec leurs règles et conformément à leur déontologie pour présenter les faits, proposer des analyses et faire des commentaires.

Cette chaîne doit véhiculer une confrontation des points de vue qui sont multiples et divers sur les sujets mondiaux. C'est l'ensemble des débats qui pourront exister sur cette chaîne quand elle recevra des invités d'opinions différentes, des responsables politiques, des intellectuels, des artistes, des créateurs qui ont des points de vue à exprimer et qui incarnent le point de vue de la France dans sa diversité, qui donnera le point de vue de la société française.

J'aimerais aussi revenir sur l'impact Télévisions a d'ailleurs plusieurs chaînes thématiques, toutes faites en collaboration avec de grands groupes privés. C'est donc une formule dont nous avons l'habitude. Il restera simplement à trouver un accord sur l'objectif et sur la ligne éditoriale. Cela étant fait, nous pourrons avoir des partenariats publics et privés sur le sujet.

M. Jean-Paul Cluzel : Je voudrais, pour ma part, revenir sur le problème essentiel de la crédibilité de la chaîne. Je comprends la question tout en étant un peu surpris, aussi je vous propose de voir ce qui se passe, d'une part à l'étranger et d'autre part, chez nous.

A l'étranger, j'observe qu'Al Jazira est intéressante par ses images, mais qu'elle ne l'est pas nécessairement quant à la crédibilité et que, par conséquent, les deux seules chaînes fiables sont CNN et la BBC.

La première est une chaîne commerciale, cent pour cent privée, ne bénéficiant en tout cas pas de financements officiels de l'Etat américain - il y en a peut-être, mais de manière indirecte comme souvent chez nos amis d'outre-atlantique - et la seconde est une chaîne cent pour cent publique. Or, dans les deux cas, et indépendamment du statut, nous sommes bien certains qu'il s'agit d'une vision américaine ou britannique de l'actualité internationale.

En France même, je ne crois pas que l'on ait, depuis au moins une bonne vingtaine d'années, le sentiment que France Télévisions, Radio France ou France Info soient la voix du Gouvernement et je n'ai jamais entendu dire dans le champ international que RFI était la voix de la France, hormis par une simplification de langage. Tous les observateurs, nos auditeurs le savent bien et certains reprochent d'ailleurs parfois aussi bien à France Télévisions, à RFI, à TV5 qu'à France Info de critiquer le Gouvernement ou de ne pas donner une place suffisante aux voix de l'opposition tant il est vrai qu'effectivement nous avons pour habitude de faire travailler des équipes de journalistes professionnels. Par conséquent, ce problème, qui peut paraître important en théorie, ne me semble pas être aussi grave en pratique dès lors que l'on emploie des équipes de professionnels. A l'étranger CNN est une chaîne privée, BBC est une chaîne publique et, en France, France Télévisions, RFI, Radio France sont depuis longtemps, me semble-t-il, des grands organes non gouvernementaux.

Je voudrais maintenant en venir à deux ou trois points qui me paraissent très sensibles, notamment ceux qui ont trait aux zones de diffusion.

De même qu'il est important que les trois versions linguistiques, voire plus à terme, soient lancées très rapidement, de même il est clair que nous n'aurons une crédibilité internationale qu'en assurant une couverture mondiale. De ce point de vue, il convient de distinguer deux choses : d'une part la disponibilité d'une chaîne autour du monde, d'autre part sa présence sur les réseaux câblés ou dans les bouquets satellitaires. A vrai dire, il n'est ni très compliqué, ni très coûteux d'avoir une objectifs que CNN ou BBC dans la mesure où elle veut influer sur le monde arabe.

Il se trouve que nous en parlons tous, car, comme elle diffuse des images de M. Ben Laden presque tous les quinze jours, il va de soi qu'elles sont reprises sur toutes les autres chaînes. Du fait du caractère un peu sensationnel de la programmation de cette chaîne, que je ne rangerais même pas dans la catégorie idéologique des chaînes que nous avons en tête, le problème d'Al Jazira et ses formes d'expression sont un peu différents. Il n'en reste pas moins, comme l'a fait remarquer Serge Adda, qu'elle nourrit des ambitions qui la conduisent à penser en anglais.

J'ajoute qu'il existe une chaîne du Hesbollah qui a actuellement une grande audience, supérieure même à celle d'Al Jazira, en un peu plus haut de gamme. Elle émet en arabe classique, mais, ce dernier n'étant pas compris dans nos banlieues, elle diffuse aussi deux journaux d'une demi-heure en français, à destination des populations françaises d'origine musulmane.

Cela montre combien la langue est essentielle pour asseoir une influence en dehors de l'image, car, comme l'a dit aussi dit très justement Ghislain Achard, ce qui fait la différence entre une radio, une agence de presse et la télévision, c'est l'image ! Si l'on n'a pas des images exclusives susceptibles d'être reprises, elles ne le seront évidemment pas. Il n'en reste pas moins que le commentaire conserve son importance et que le fait de ne pas disposer de deux versions linguistiques constituerait probablement un très grave handicap pour le retentissement du projet.

S'agissant du sous-titrage, autant il se justifie pour les films et les documentaires, autant il nuit à l'intérêt d'un journal. Il peut constituer un pis-aller - j'ai moi-même été conduit à en recommander l'usage dans mon rapport de 1997 et nous avons été contraints d'y avoir recours pour certaines émissions de TV5, faute de mieux -, mais il est clair qu'aucun d'entre vous ne suivra un journal normal d'une durée de dix à vingt minutes s'il est sous-titré ! Il faut que le journal soit présenté dans une langue permettant aux journalistes et aux décideurs d'y trouver quelque intérêt. Le sous-titrage est excellent pour les films ou les émissions à caractère culturel, mais il ne convient pas aux journaux d'information.

Vous avez posé bien d'autres questions, mais je pense que mon ami Serge Adda y répondra en s'inscrivant en particulier dans une vision européenne et francophone.

Pour ce qui me concerne, je me contenterai d'ajouter que La Sept a commencé comme un projet français avant de devenir un projet allemand. Il est dangereux de vouloir, dès le départ, être trop nombreux. C'est également vrai pour les diffuseurs privés : vous vous doutez bien que c'est déjà un challenge non négligeable que de faire travailler ensemble de grandes maisons comme celles qui sont ici représentées, qui emploient un nombre important de journalistes, même si la taille de leurs effectifs est différente.

Le service publi quand même celui de Jérôme Clément, et que le succès de France 5 tient à l'énergie déployée par Jean-Marie Cavada et aujourd'hui par Jean-Pierre Cottet.

Autant nous devons faire appel à toutes les bonnes volontés et à toutes les compétences, autant, si le pouvoir est trop partagé, nous risquons de nous trouver confrontés à la difficulté dans laquelle se débat encore EuroNews.

De grâce, ne demandons pas de trop élargir le cercle de nos collaborations ! S'il s'agit de se doter des moyens de donner des ordres, oui, mais de là à trop élargir la concertation, il y a un pas à franchir qui risque, je le crains, de nous priver de cette chaîne car une rédaction c'est, avant tout, un patron.

M. Serge Adda : S'il y a eu des questions que l'on a pu qualifier de « oiseuses », bien qu'elles ne le soient pas, je n'y apporterai pas de réponses oiseuses !

Vous me permettrez de dire que je suis un peu gêné d'entendre toujours parler des trois grands réseaux mondiaux au nombre desquels on ne compte pas TV5. Je suis désolé - et je le dis avec beaucoup de franchise - car nous avons aujourd'hui un réseau mondial de diffusion supérieur à celui de la BBC. On le sait peu et il est regrettable qu'en France on n'en parle jamais... Je peux ainsi vous dire que, selon les derniers chiffres qui ont été publiés, nous dépassons en termes de diffusion, y compris sur l'Europe, depuis notre entrée sur le bouquet de BSkyB, CNN.

Une sorte de « franco-pessimisme » s'installe, qui laisserait entendre que nos outils seraient tous mauvais et insuffisants. Je sais qu'il faut faire plus, mais je m'érige en défenseur de la production française. Je le fais d'autant plus que je pense que, par un phénomène paradoxal - j'en suis désolé, mais je manierai le paradoxe tout au long de mon intervention - la « demande de France » dans le monde est plus forte que jamais !

Je donnerai deux exemples de ce paradoxe que je qualifierai de « l'après 11 septembre ». Je ne peux expliquer, autrement que comme des effets des attentats de New York, les succès remportés par TV5 dont je suis pourtant le patron, et cette « demande de France, » donc d'un regard différent.

Aux Etats-Unis, où TV5 et la langue française étaient absents, en l'espace d'un an, nous avons doublé notre présence. Ce sont aujourd'hui 160 000 foyers qui s'abonnent et qui payent dix dollars par mois pour voir TV5, et notre recette annuelle est estimée à 3 millions de dollars pour 2004, avec une progression de 84 % de nos abonnements sur une seule année.

Je ne peux expliquer autrement que par ce paradoxe de tels phénomènes et le fait qu'un groupe anglophone que vous connaissez bien, BSkyB, appartenant à M. Murdoch, accueille, depuis le 11 octobre et pour la première fois, une chaîne non anglophone, TV5, pour qu'elle s M. Bernard Brochand : Je vous dis bravo et si j'ai posé cette question, ce n'est pas un hasard : j'attendais que vous réagissiez. Vous savez que j'ai longtemps voyagé aux quatre coins du monde et que je regardais TV5. Il est vrai que TV5 n'a pas l'image qu'elle mérite et je vois là un défaut de communication.

M. Serge Adda : Soyons clairs : en défendant TV5, je veux que l'on évalue bien nos outils puisque vous les avez, les uns et les autres, évoqués.

J'ajouterai, à l'adresse de M. Cazenave, que si on analyse la présence des images françaises, on constate la présence à l'échelle mondiale de TV5 qui n'est pas une chaîne - je vous invite d'ailleurs à voir comment les choses fonctionnent car c'est assez compliqué ! - mais huit chaînes régionalisées.

Dans les régions dont vous parlez, sur un axe allant de Stockholm à Johannesburg, aujourd'hui, soit par piratage, soit par effet bouquet, soit par débordement satellitaire, il est possible d'avoir accès à toutes les chaînes françaises, de i<Télé à LCI, de TF1 à M6.

Je suis originaire de Tunis et je peux vous dire qu'il y a 1,5 million de paraboles en Tunisie, 4 millions en Algérie, 4,5 millions au Maroc, et qu'elles permettent aujourd'hui de capter toutes les chaînes françaises. En Afrique Noire, depuis maintenant quelques mois, vous pouvez avoir accès, grâce au bouquet du groupe Canal +, à toutes les chaînes françaises, ce que peu de gens savent, et si vous êtes à Moscou, à Berlin ou à Stockholm, le déplacement de toutes les chaînes hertziennes françaises du satellite Télecom 2C vers le satellite Stellat vous permettra bientôt d'avoir accès, de Casablanca à Téhéran, à toutes les chaînes hertziennes.

M. Bernard Brochand : C'est important !

M. Serge Adda : C'est là une donnée technique qu'il faut avoir en tête car ces chaînes seront accessibles sur des satellites grand public.

Pourquoi suis-je conduit à dire tout cela ? Parce qu'il faut quand même se départir de cette vision un peu négative de notre audiovisuel extérieur, qu'il soit de fait, par débordement satellitaire ou qu'il soit organisé par RFI, TV5 ou EuroNews. Qu'il faille y apporter des changements, j'en suis convaincu ! Qu'il faille l'améliorer, j'en suis convaincu ! Mais, de grâce, regardons ce que nous faisons les uns et les autres et voyons les améliorations que nous apportons.

J'ai su, en arrivant à TV5 où je suis depuis un an, les critiques lourdes qui pesaient sur la chaîne qui était vue comme une chaîne d'assemblage de programmes belges, suisses ou canadiens. J'ai fait en sorte d'y remédier en supprimant cette formule au niveau de l'information. Les tunnels d'informations ont disparu, mais il est vrai qu'aucun journal n'en pa éviter qu'il vienne perturber le paysage existant. Il faut qu'il soit complémentaire. Je pense que ce serait une erreur que de jouer les outils les uns contre les autres ou de les voir comme des vases communicants.

J'en reviens par ce biais à la volonté politique que j'appelais tout à l'heure de mes vœux et au problème du coût. J'ai avancé le chiffre de 200 millions d'euros, pour un projet à réaliser, je le répète ipso facto. Oublions tous mes propos et dites-moi si vous trouvez-vous normal qu'une chaîne internationale d'information ne dispose pas d'un budget important ? Après tout, ARTE, qui émet sur deux pays seulement, coûte 400 millions d'euros, alors que TV5 ne dispose que de 80 millions d'euros, soit trois fois moins que la Deutsche Welle et quatre fois moins que la BBC.

Puisque la France a l'ambition de créer une chaîne mondiale, il est normal qu'elle s'en donne les moyens. Ce n'est qu'une fois la volonté politique affirmée que nous pourrons nous livrer à des comparaisons et je pense qu'il ne nous appartient pas d'élaborer le cahier des charges. Nous sommes là pour vous répondre en tant que techniciens, mais l'élaboration du cahier des charges relève de la compétence des politiques.

J'en arrive maintenant à deux autres questions qui me tiennent à cœur.

La première concerne l'ouverture au secteur privé. Si, en qualité de groupe d'opérateurs publics, nous sommes d'accord pour apporter chacun notre petite pierre à la construction du projet, à titre personnel, je pense qu'il faut y associer, sous une forme ou sous une autre, les diffuseurs privés. J'ai une formule à proposer qui vaut ce qu'elle vaut : pourquoi ne pas soumettre par le biais de la loi ou de passations d'accords, les diffuseurs privés à l'obligation de fournir aux chaînes internationales les productions d'images et de magazines qui leur sont propres ? Après tout, dans la loi, jusqu'en 1996, TF1 était obligée de livrer à TV5 ses journaux, ses magazines et ses productions. Ce n'est qu'ensuite que, la loi ayant omis de reformuler cette obligation, nous nous sommes retrouvés privés des images de TF1.

On peut imaginer une association comprenant une obligation pour les diffuseurs privés, sans les associer aux mécanismes de direction ou de management, de livrer des images. Pour en avoir discuté aussi bien avec M. Drucker qu'avec M. Mougeotte, je sens qu'il y a là une possibilité car les diffuseurs ont besoin de valoriser leurs propres produits, pour que leur savoir-faire soit reconnu dans le monde. Au-delà de l'association, la future chaîne serait pour eux un faire-valoir extraordinaire. L'idée reste à creuser, mais je suis convaincu que cette association serait une bonne chose car la qualité de l'image de i<Télé et de TF1 serait très bonne pour une chaîne d'information internationale dans des endroits où nous pouvons manquer, les uns et les autres, de correspondants.

La seconde question qui me paraît importante est celle de la voix de la France, à laquelle nous sommes tous sensibles. Finalement, qu'est-ce qu'une chaîne d'information fran&cce 10pt">La France est porteuse de valeurs. Les débats et l'ouverture sur le monde font partie de ses traditions et c'est une originalité. A l'inverse si vous suivez les programmes de CNN et même de la BBC, vous pourrez constater que, même lorsqu'il y a débats, il s'agit de faux débats puisque l'interlocuteur du débatteur ne sort jamais de sa ligne.

Il nous revient donc d'apporter autre chose. Nous sentons, à travers les nouvelles émissions que nous venons d'inscrire dans les grilles de TV5, que nous pouvons apporter cet esprit d'ouverture, cette lecture du monde différente avec des éléments de recul et d'analyse. Ce sont les caractéristiques qui différencient nos chaînes des chaînes anglo-saxonnes !

Je terminerai en vous faisant observer que le cas d'Al Jazira est un contre-exemple de ce que nous nous proposons de faire et cela montre bien qu'il y a place pour une présence française entre Al Jazira et CNN. Al Jazira a la particularité d'être, comme l'a dit Jean-Paul Cluzel, une chaîne qui a un modèle particulier d'écriture mais dont la fonction est de déstabiliser les Etats arabes. Alors que l'on croit qu'il s'agit d'une chaîne d'information, il faut bien voir qu'elle a volontairement éditorialisé la présence islamiste à l'antenne dans le déséquilibre des interlocuteurs qui s'y succèdent. Tous les débats sur Al Jazira, y compris lorsqu'ils sont animés par son célèbre débateur-journaliste syrien, devenu la phobie de tous les régimes arabes, mais aussi de tous les démocrates arabes, s'inscrivent dans une logique qui consiste à faire parler les gens pour les conduire à se solidariser avec les intégristes les plus radicaux. C'est un vrai problème et c'est pourquoi je suis de ceux qui considèrent Al Jazira comme un facteur de déstabilisation et non pas d'ouverture du monde arabe. Le seul point positif en faveur d'Al Jazira, c'est d'avoir introduit dans le monde arabe le concept du débat, mais la ligne éditoriale est fondamentalement dangereuse.

Nous pouvons quant à nous apporter, même en arabe, une forme d'ouverture, avec tous les risques que cela comporte, ce qui nous ramène au problème de la voix de la France : dans le monde arabe, RFI comme TV5, comme la future chaîne, même si elles ne sont pas la voix de la France, sont perçues comme telles !

M. Jean Mino : Toutes les questions ont reçu réponse, aussi, je me contenterai d'ajouter, puisqu'il faut aussi regarder la réalité en face, qu'on ne doit pas attendre de cette chaîne qu'elle ait des audiences extraordinaires : il suffit d'étudier celles de CNN ou de BBC world pour s'en convaincre !

En revanche, je souscris tout à fait aux propos de Ghislain Achard : c'est l'influence de la chaîne, les répercussions de ses programmes au travers d'autres chaînes dans tous les pays, qu'il faut rechercher. Si cette chaîne doit s'implanter un peu partout, c'est aussi par ce canal qu'elle y parviendra. Il faut rechercher des auditeurs et des téléspectateurs, mais il faut surtout intéresser les médias du monde entier !

M. Ghislain Achard :&# se substituer à l'autre.

Vous me permettrez, puisque l'on a parlé du Maghreb, de dire que les chaînes françaises y sont extrêmement bien reçues, mais il faut savoir que si tel est le cas, c'est grâce ou à cause du piratage. Les bouquets français, qu'il s'agisse de TPS ou de Canal satellite, sont piratés, ce qui explique nos audiences extraordinaires qui sont d'ailleurs une lourde responsabilité et qui impliquent que l'on en tienne compte lorsque l'on traite des sujets qui concernent le monde arabe et tout particulièrement le Maghreb.

De telles audiences sont un vecteur formidable pour la francophonie. Je me suis rendu il y a quelques semaines à Alger et j'ai pu constater en achetant le journal que les programmes des chaînes françaises y figuraient contrairement à ceux de la télévision nationale. C'est dire l'impact de nos télévisions dans ces pays.

M. Michel Herbillon : Ce débat est absolument passionnant et crucial et je voudrais revenir sur cette question évoquée entre autres par M. Serge Adda de la « voix de la France ».

On retient très clairement de ce que vous avez dit qu'il ne s'agit pas, et cela avait d'ailleurs été précisé dès le début de nos travaux, d'une sorte de voix officielle. En revanche, lorsque vous faites état de la spécificité de cette chaîne par rapport à ses concurrentes, vous dites très justement qu'elle dépendra du ton qui sera donné à la ligne éditoriale, mais qu'elle tiendra au souci de prendre du recul sur l'événement par des débats, des reportages, etc.

Il y a pourtant un aspect que vous n'évoquez pas, sinon de façon subliminale, et sur lequel j'aimerais recueillir votre avis : cette spécificité pourra passer aussi par la diffusion de programmes qui ne seront pas uniquement d'information. En d'autres termes, je considère que la spécificité du message français passe aussi par la culture, par la tradition industrielle, par une conception de la qualité de vie ou par le sport. Je crois donc que faire entendre la voix de la France, faire entendre la spécificité française à travers le monde suppose, bien sûr, de diffuser de l'information, mais aussi toute une série de reportages sur ce qui fait la particularité de notre pays, y compris en Europe. Qu'en pensez-vous ?

M. Richard Cazenave : Je tenais, à dire, pour ma part, que je n'étais nullement inquiet concernant la spécificité de la chaîne parce qu'elle va se définir tout naturellement dans la mesure où nous avons tous ressenti un peu partout ce « besoin de France ». Qu'est-ce que ce « besoin de France » ? Finalement, dans ce monde qui a une tendance à l'unilatéralisme, c'est la seule autre voix puisque l'on ne peut pas parler d'Europe. Même si on voit l'axe franco-allemand se redessiner fortement aujourd'hui, je me rappelle, pour avoir autrefois conduit des missions, que lorsque la France marquait une volonté de développer certains projets en matière militaire, la plupart de nos amis européens affichaient un total d&eacu à la guerre de 1991 : les images du conflit qui seront diffusées ne seront plus exclusivement de CNN, mais parviendront aussi d'Al Jazira, sur laquelle je porte le même jugement que M. Serge Adda, ou d'autres chaînes. Si, demain, nous avons la capacité d'avoir une source d'informations française, en direct, sur ce qui se passe et de montrer ce qui doit être montré, je pense que cela changera aussi l'interprétation des faits qui se dérouleront sur le terrain.

Cette chaîne répondra aux attentes des populations ; ceux qui attendent une ouverture sur le monde auront tout naturellement tendance à chercher ce qui se dit sur la chaîne française d'information internationale.

M. Patrick Bloche : J'ai le sentiment d'avoir été mal compris : sans doute ai-je été imprécis. Quand j'ai souligné que la France participait à la fois à un ensemble européen et à un ensemble francophone, je n'avais évidemment pas à l'esprit l'idée de promouvoir une chaîne européenne revisitée ou une chaîne francophone élargie. Je voulais juste tenter de poser le problème de l'audience au-delà de la diffusion pour faire comprendre que si nous travaillons à ce projet, c'est pour toucher un maximum de téléspectateurs à travers le monde, pour en tenir compte dans la ligne éditoriale et pour mieux faire passer la voix de la France dans sa pluralité et dans sa diversité. Cela étant, je ne parle pas seulement de la voix hexagonale de la France, car pour avoir déjà eu cette discussion, nous savons que le fait de transmettre des débats franco-français sur les dates d'ouverture de la chasse ou sur d'autres sujets du même type risque de limiter considérablement l'audience de la chaîne.

Pour autant, il faut aussi prendre conscience que la France est l'un des pays moteurs de l'Union européenne, et que, quand elle parle, elle s'exprime, en quelque sorte, au nom de l'Europe et au nom de pays qui ont la francophonie en partage dans sa dimension linguistique et plus encore dans sa dimension culturelle. C'est là où je rejoins la préoccupation de Michel Herbillon par rapport à l'audience de la future chaîne : ne soyons pas obsessionnels de l'information-actualité, même si elle est évidemment au cœur du projet, mais sachons habiller le tout pour rendre le produit le plus attractif possible.

M. Emmanuel Hamelin : Je voudrais juste préciser un point.

Nous avons parlé sur le ton de la caricature d'une CNN à la française, mais nous n'avons pas parlé d'une Al Jazira à la française. On fait souvent allusion à CNN, à BBC World ou à Al Jazira, comme étant les références à la réflexion qui est la nôtre sur la chaîne d'information internationale, mais je ne conçois pas les choses tout à fait de la même manière : vous avez clarifié la position d'Al Jazira, Monsieur Adda, et il me semblait utile que cela soit fait ! Par ailleurs, je constate que l'on parle toujours d'Al Jazira, mais que personne ne la regarde : personnellement, je n'ai vu sur Al Jazira que des retransmissions d'images.

Par ailleurs, j'aimerais disposer d'un peu plus d'éléments pour justifier votre point de vue sur cette chaîne internationale. Vous nous avez expliqué, Monsieur Adda, la nouvelle configuration de TV5, vous nous avez précisé dans vos différentes interventions le nombre de journalistes dont vous disposez, énuméré vos implantations, mais j'aimerais en savoir plus. En effet, nous ne sommes pas encore en mesure de bien apprécier ce dont vous êtes capable et ce que vous pouvez apporter dans le cadre de cette chaîne d'information.

M. le président : La parole est à M. Ghislain Achard.

M. Ghislain Achard : Sur la programmation de la future chaîne, il va de soi qu'elle sera une chaîne d'information, mais qu'elle ne devra pas se contenter de diffuser de l'information. Il est évident qu'elle délivrera un double message et qu'il lui faudra à la fois traiter des problèmes du monde et refléter la vie en France en montrant ce qui s'y crée, ce qui s'y fabrique, comment on y vit et on y pense. Cette chaîne devra être une vitrine de notre pays. Il est vrai que cette mission passe par deux types de programmes qui doivent être présents dans la grille : des documentaires et des magazines qui alterneront avec des sessions d'information et des débats sur les plateaux. C'est un ensemble de programmes qui peut répondre aux deux objectifs.

S'agissant de la « voix de la France », qui a suscité beaucoup de questions auxquelles il a déjà été répondu, je ne peux que vous répéter que nous sommes maintenant en mesure de travailler ensemble et donc de fournir un dossier qui reprendra tous les éléments depuis le projet éditorial, en passant par son organisation et son financement, jusqu'à la problématique sur les langues et les zones prioritaires. C'est effectivement un dossier que nous devons élaborer. Même si, pour l'instant, nous n'avons pas un cahier des charges précis, nous pourrons travailler sur un certain nombre d'hypothèses et de scénarios que nous développerons.

M. le président : Je voudrais remercier nos invités. Je me félicite de la qualité de nos débats et des nombreuses questions qui ont été posées.

J'ignore si c'est le fait de vous avoir invités ensemble qui est à l'origine de l'annonce que vous venez de faire et du dossier que vous allez préparer dans les prochaines semaines. En tout cas, je vous remercie d'avoir répondu avec autant de clarté à nos interrogations. Nous aurons peut-être, en fonction des documents que vous nous adresserez, d'autres questions à vous poser et nous ne manquerons pas de le faire

1 www.france.diplomatie.fr/francophonie/francais/carte.html

2 Pour CNN International, plus de 161 millions de foyers, dont 109 sur la seule zone Europe/Moyen-Orient/Afrique ; pour BBC World, 254 millions de foyers dans le monde, dont 100 millions pour une réception 24 h/24.

3 L'Autre mondialisation, Dominique Wolton, Flammarion, février 2003

4 Cour des Comptes, rapport public 2002, p. 503.

5 « La chaîne internationale d'information », rapport établi par M. Philippe Baudillon à la demande du Ministre des affaires étrangères, mars 2003 (p. 18 et 21)

6 RFO dispose à Paris d'une structure dédiée à la production d'images de télévision pour l'international : l'AITV. Composée d'une rédaction multilingue (français, anglais, espagnol, arabe) de 20 journalistes en 1999, cette agence - qui bénéficie des moyens techniques de RFO (aujourd'hui numérisé) - n'a pas de statut juridique précis. Selon RFO, son coût exact s'établit à 3,8 millions d'euros en 2001.  (Source : rapport public de la Cour des comptes pour 2002, p. 519).

7 Coût marginal en sus des prestations fournies par l'infrastructure de la BBC et par BBC News (cf. le compte rendu du déplacement de la mission à Londres en fin de rapport).

8 Assurer une diffusion 24 heures sur 24, avec des journaux toutes les demi-heures, cela implique qu'à chaque poste, correspondent au moins trois personnes...