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I.- UN NIVEAU ÉLEVÉ DE FIABILITÉ TECHNIQUE QUI DOIT ÊTRE CONSTAMMENT MAINTENU

Il était nécessaire, dans le cadre de cette mission, d'examiner les aspects techniques de la réglementation en matière de sécurité aérienne : construction et maintenance des aéronefs, exploitation des compagnies aérienne, gestion du trafic aérien. Ces questions ont fait l'objet de tables rondes dont les comptes rendus figurent en annexe du présent rapport.

Ces réglementations sont en effet complémentaires des politiques et plans d'action entrepris par les autorités de l'aviation civile, en particulier aux Etats-Unis et en Europe, ainsi que des efforts en matière de recherche aéronautique.

A.- UN NIVEAU ÉLEVÉ DE SÉCURITÉ DANS LA CONSTRUCTION DES AÉRONEFS

1.- Des prescriptions qui vont au-delà des normes règlementaires

Au cours de la table ronde organisée sur la sécurité dans la construction aérienne, la mission a notamment pu entendre des représentants d'Airbus, de Dassault et de la Snecma. La mission s'est également rendue à Bruxelles où elle a rencontré des représentants de Boeing, et à Toulouse, où elle a visité les ateliers de montage d'Airbus et rencontré ses dirigeants. L'impression générale de la mission est que la construction aéronautique est désormais très fiable, mais que le processus de qualité et de sécurité impose une attention constante et soutenue de tous les participants.

M. Jérôme Bansard, vice-président exécutif du Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL), déclarait ainsi devant la mission54 : « Au niveau de la sécurité des vols, les constructeurs ont fait tous les progrès techniques imaginables depuis Mermoz de sorte que le nombre d'accidents dus à des causes techniques a considérablement diminué et reste stable depuis une dizaine d'années, alors même que le trafic aérien ne cesse de croître ».

Chaque constructeur a développé une gestion de la sécurité, à travers la promotion d'une culture de qualité et les exigences des constructeurs vont d'ailleurs toujours au-delà des prescriptions règlementaires. Un avion n'est jamais fini et le processus de retour d'expérience fonctionne activement en prenant en compte les expériences en vol, au fur et à mesure du compte rendu et de l'analyse des incidents ou événements. Ce retour d'expérience, à la suite d'incidents ou a fortiori d'accident, peut amener les autorités à édicter des consignes de navigation55 qui imposent aux compagnies aériennes de contacter les constructeurs pour apporter certains correctifs ou certaines modifications.

Des pilotes auditionnés par la mission ont estimé que les délais de mise en œuvre des consignes de navigabilité étaient souvent trop longs. Mais les compagnies aériennes ont fait remarquer que des calendriers de travaux doivent être programmés avec les constructeurs sur plusieurs mois et que l'immobilisation des avions aurait des conséquences économiques difficilement supportables.

M. Jérôme Bansard, déclarait ainsi56 : « Je voudrais pour ma part faire le parallèle avec les voitures. Lorsque Renault constate qu'un circuit de freinage est défaillant, il rappelle la totalité des véhicules concernés. Lorsque Boeing ou d'autres constructeurs constatent un problème sur un avion, un délai est accordé ; il peut être court ou extrêmement long. Or, parfois, il nous apparaît que ces délais sont tout à fait excessifs ».

On rappellera les règles applicables en matière de construction d'aéronefs. Celles-ci sont régies par l'annexe 8 de la convention de Chicago (navigabilité des aéronefs), en liaison avec l'annexe 13 sur les enquêtes accidents (recueil des accidents et incidents).

L'AESA est compétente pour l'adoption des règles correspondantes pour les pays de l'Union européenne. Elle a repris en grande partie des recommandations édictées par les JAA, en les améliorant et en les rendant obligatoires (par exemple les JAR 25 pour la construction des gros aéronefs). Comme dans les autres domaines, les règles européennes vont largement au-delà des normes minimales de l'OACI, et sont assez proches des règles américaines. L'AESA est responsable de la conception des règles et les Etats membres de leur mise en œuvre. Les modifications et réparations des aéronefs doivent également être approuvées par les autorités.

D'autres règles de navigabilité, en conformité avec l'annexe 8 de la convention de Chicago, existent au sein de la CEI, et dans certains regroupements régionaux d'Asie du Sud-Est et d'Asie centrale.

A la sortie de l'atelier, chaque aéronef reçoit un certificat de navigabilité avant de pouvoir être exploité commercialement. Celui-ci atteste de sa conformité à une conception approuvée et de la qualité du système de maintenance. En ce sens la « navigabilité » d'un aéronef couvre d'une part sa fabrication et d'autre part son entretien et l'on parle de « suivi de navigabilité ». La maintenance des aéronefs représente donc un sous-ensemble de la navigabilité, bien qu'elle soit souvent associée à l'exploitation.

La conception des aéronefs repose sur l'évaluation des risques. L'avion parfait n'existant pas, il faut quantifier la probabilité d'apparition d'un défaut mettant en cause la sécurité. Généralement un incident ou un accident résulte d'un enchaînement de causes dont la probabilité d'occurrence est systématiquement évaluée. Les modalités de construction et de certification doivent donc assurer que la probabilité d'occurrence du risque est contenue dans des proportions jugées acceptables pour ne pas mettre en cause la sécurité. L'évaluation de ces risques fait l'objet d'un processus continu et conjoint de réévaluation entre les industriels (Airbus, Boeing, sous-traitants) et les autorités de contrôle (administrations nationales de l'aviation civile, puis AESA, FAA pour la certification aux Etats-Unis). Le processus de certification aboutit à l'obtention d'un certificat de navigabilité octroyé par les autorités, d'abord pour le type d'avion quand il s'agit d'un nouveau modèle, ensuite pour chaque appareil produit selon ce type.

Les certificats de navigabilité ne sont pas identiques en Europe et aux Etats-Unis, même si les procédures sont proches. Les dirigeants d'Airbus, rencontrés à Toulouse, ont estimé que pour limiter les coûts de développement et de certification, il faudrait un jour envisager une normalisation ISO, comme dans les autres secteurs industriels. Le retour d'expérience peut conduire à des consignes de navigabilité imposant des modifications pour améliorer la sécurité des appareils. Là encore la reconnaissance mutuelle n'est pas encore en place. Ainsi, les modifications des Boeing certifiées aux Etats-Unis sont automatiquement acceptées en Europe, mais la réciproque n'est pas vraie : les modifications des Airbus certifiées en Europe doivent être une deuxième fois certifiées aux Etats-Unis.

Lors du déplacement de la mission à Toulouse, il a été possible de prendre conscience du degré de sophistication de la construction d'un avion Airbus : un appareil a toujours au moins quatre sources d'énergie, c'est-à-dire deux moteurs, la batterie (autonomie d'une demi-heure en vol) et une éolienne qui se déploie sous le train d'atterrissage en cas de panne, permettant de manœuvrer les gouvernes de l'appareil et de se poser en planant ; les pièces sensibles de l'avion sont maintenant en titane ; une aile est fixée par 4 000 rivets au fuselage ; toutes les transmissions (électricité, eau des pistons hydrauliques, gaz d'oxygène en cas de dépressurisation de la cabine) sont doublées, voire triplées ; les ordinateurs de bord sont tous doublés. Chaque avion, au moment de sa conception, connaît une version « moins un », antérieure à la « version zéro », qui ne volera jamais mais qui comporte toutes les pièces et transmissions en grandeur réelle, permettant de valider les options ; c'est l'« iron bird », l'oiseau d'acier. Cette maquette est conservée au moins pendant les dix premières années d'exploitation de l'appareil pour tester les modifications ou faire des simulations d'incidents ou de pannes. L'iron bird du Concorde a été détruit il y a peu de temps et celui de l'A 380 est en cours de constitution.

2.- Des progrès techniques constants pour améliorer la sécurité

On notera que plusieurs travaux sont en cours à l'AESA pour améliorer la sécurité relative à certains problèmes connus : le givrage des commandes de direction, l'explosion dans les soutes et l'éclatement des pneus :

A la suite de l'écrasement du Concorde, des études de sécurité ont également été lancées. On rappellera que l'accident du Concorde résulte d'un malheureux enchaînement de circonstances : roulement du Concorde sur une pièce lâchée par un avion sur la piste, éclatement du pneu, projection d'une partie métallique du pneu sur la paroi du réservoir plein, perforation du réservoir sous la pression du choc, explosion du carburant ainsi libéré, entraînant l'explosion de l'avion. La perforation d'un réservoir n'est pas, en soi, fatale, le souffle entraîné par la vitesse de l'avion entraînant en général l'extinction de l'incendie, mais l'ampleur de la perforation du réservoir a été telle que l'explosion de l'avion lui-même était inévitable. Après la remise en service temporaire du Concorde, les pneus et les parois des réservoirs ont été renforcés.

En matière de pneumatiques, le risque de défaillance existe, mais les efforts de l'industrie ont réussi à le réduire considérablement. Ainsi chez Michelin, les efforts d'innovation ont complètement changé la conception et la production depuis cent ans. La technologie radiale a notamment apporté un supplément de sécurité et, selon MM. Patrick Lepercq et Jean Couratier, responsables chez Michelin, l'entreprise est prête a faire encore plus d'efforts : tests de résistance aux dommage causés par le roulage sur des objets étrangers ; évaluation des risques de dommages en laboratoire et pas seulement sur les avions accidentés, évolution des procédures dans une démarche conjointe de l'industrie aéronautique et des manufacturiers. Plusieurs membres de la mission s'étaient inquiétés du rechapage des pneus ; il a été indiqué à la mission qu'il s'agit d'une pratique courante qui est sans danger. Elle est induite par la nature même des pneus d'avions qui sont constitués d'une coque en métal recouverte d'une couche de caoutchouc. Or le caoutchouc s'use beaucoup plus vite que le métal et une même coque peut recevoir plusieurs rechapages dans son cycle de vie.

Votre Rapporteur note que dans le prix payé pour un billet d'avion, moins de 10 centimes d'euros servent à payer les pneumatiques.

Les Etats-Unis sont en train de renforcer leurs règles pour éviter les explosions dans les réservoirs de carburant, à la suite de plusieurs accidents sur des Boeing 737 et 747 et l'AESA conduit une action équivalente, en coopération avec les autorités américaines (FAA).

Il faut se rappeler que plusieurs accidents fatals sur des avions Boeing ont été causés par des explosions dans les réservoirs de carburant. A la suite d'enquêtes, le NTSB57 a conclu qu'il fallait prendre plusieurs mesures correctrices, notamment la surveillance de la température (qui entraîne un risque d'explosion des vapeurs), l'interdiction du passage des câbles, l'interdiction d'installation d'appareils électriques dans l'enceinte des réservoirs (pompe, jauge). Les programmes de modification sur les flottes existantes sont en cours.

Votre Rapporteur note que le NTSB n'a pas demandé aux compagnies aériennes employant les avions Boeing de suspendre les vols tant que les modifications n'auront pas été apportées. Il s'interroge sur la décision qu'aurait prise le NTSB s'il s'était agi d'avions Airbus...

Des travaux réglementaires sont en cours au sein de l'AESA pour mieux prendre en compte le facteur humain dans l'ergonomie des postes de pilotage à l'échéance de 2004. Dans le même esprit, la prise en compte des personnels navigants techniques est maintenant systématique dans l'élaboration des règles (participation aux groupes de travail, consultation des projets réglementaires). En effet, on a pu vérifier combien l'amélioration des systèmes facilite globalement le pilotage et permet une meilleure intégration entre l'homme et la machine.

La presse a fait plusieurs fois état de problèmes de gouverne de direction sur les Boeing 737. M. Paul-Louis Arslanian, directeur du BEA, a confirmé ces problèmes lors de son audition par la mission d'information. Boeing nie toute implication de cette partie de l'avion dans l'accident de Charm el-Cheikh et les dernières informations semblent confirmer ce point de vue, mais le braquage intempestif des gouvernes de direction aurait été la cause de deux accidents, avant atterrissage, à Colorado Springs en 1991 (United Airlines) et à Pittsburgh en septembre 1994 (US Air). Il avait été allégué que si l'on manoeuvrait les gouvernes de direction selon une certaine séquence, l'appareil devenait incontrôlable. Boeing répliquait en disant que le problème était connu, que les compagnies aériennes avaient été informées et que les manuels d'opérations indiquaient les manœuvres à ne pas faire. A la suite d'enquêtes du NTSB, la FAA a demandé à Boeing de modifier le fonctionnement des gouvernes de direction pour éviter ce problème. Ces modifications sont actuellement en cours.

Aucun avion n'est exempt de critiques et la presse a également fait état de problèmes de corrosion de la queue chez certains avions Airbus. Ainsi, M. Paul-Louis Arslanian, directeur du BEA, déclarait lors de son audition par la mission58 : « Nous travaillons avec les Américains sur un accident d'Airbus qui s'est produit à New York, deux mois après les événements du 11 septembre. L'avion a perdu l'intégralité de sa dérive, juste après son décollage ».

Les statistiques des 50 dernières années montrent que la sécurité de la construction des aéronefs s'est très nettement améliorée. La grande majorité des cas d'accidents est couverte par des plans d'action européen (JSSI59) ou américain (CAST60) et les parties sensibles des appareils font l'objet d'une attention particulière.

Les statistiques relatives aux incidents et accidents montrent que les gros avions sont plus sûrs que les petits. Le processus en cours de certification du prochain très gros porteur d'Airbus, l'A380, se fait selon une certification intégrant les normes les plus récentes, avec la prise en compte des risques nouveaux.

Par contre, les avions de la CEI61 (Tupolev, Antonov, Iliouchine...) n'ont pas été certifiés selon les normes occidentales (européennes ou américaines) parce que ces avions étaient peu exportés en dehors de l'ex Union soviétique ou des ex pays de l'Est. Le problème se pose maintenant de la certification de ces appareils dans les nouveaux Etats membres de l'Union européenne qui appartenaient au bloc soviétique. On a vu que ces avions sont en cours d'examen par l'AESA.

Quelques statistiques sur l'année 2002 sont éclairantes.

Ainsi plus de 3 000 Airbus de tous types immatriculés en France étaient en exploitation au 31 décembre 2002. Au total, 184 avions Airbus et 58 avions Dassault Falcon ont été produits. Les avions Airbus A 340-500 et A 340-600 ont été certifiés par les JAA, et la certification des A 380 est en cours. La DGAC a émis 125 consignes de navigabilité sur des avions Airbus et 438 certificats de navigabilité pour des avions nouveaux.

Les contraintes de sûreté peuvent quelquefois entrer en contradiction avec la sécurité. Ainsi depuis les attentats du 11 septembre 2001, en application des décisions de la conférence ministérielle sur la sûreté de l'aviation organisée par l'OACI en février 2002 à Montréal, l'amendement 27 de l'annexe 6 de la convention de Chicago a été adopté selon une procédure d'urgence. Il prévoit la mise en place d'une porte sécurisée « anti-intrusion » au niveau du poste de pilotage pour les aéronefs de plus de 60 passagers. Les Etats avaient l'obligation de transposer cet amendement dans leur réglementation pour l'appliquer au plus tard le 1er novembre 2003. Les autorités américaines (FAA) et européennes (JAA) ont ainsi édicté de nouveaux règlements, qui imposent notamment la mise en place de portes de cockpit plus résistantes aux tentatives d'intrusion et aux impacts de balles. Ces prescriptions sont entrées en vigueur dès avril 2003 aux Etats-Unis et à partir du 1er novembre 2003 en Europe.

M. Francis Truchetet, commandant de bord, a déclaré devant la mission62 :

« Ces portes sont effectivement une nouveauté. L'obligation réglementaire [...] nous pose un problème d'exploitation absolument évident. Le fonctionnement de l'équipage a été altéré de façon non négligeable par l'existence de ces portes et par leur fermeture systématique qui est, malheureusement, pour le moment, non contestable pour des raisons de sûreté évidente, parce qu'il faut assurer la protection et éviter qu'un tel événement ne puisse se reproduire.

Mais je me suis battu, et je me bats encore, pour que le fonctionnement soit modifié parce qu'il pose problème pour deux raisons. La première est qu'avant d'ouvrir la porte, il faut pouvoir savoir qui demande l'entrée, que l'environnement de la porte du poste de pilotage soit libre, et que personne ne puisse y pénétrer en même temps. [...] La seconde est que ces portes ont été fabriquées et certifiées dans une certaine hâte, en raison de l'urgence née de l'événement du 11 septembre. Elles sont d'un fonctionnement parfois difficile, elles sont bruyantes, dures à ouvrir et elles perturbent le fonctionnement des équipages. Nous formulons donc des demandes très fortes pour l'amélioration des procédures et du fonctionnement de ces portes. Nous ne remettons en cause ni leur existence, ni le fait qu'il faille qu'elles soient verrouillées durant certaines phases de vol. Toutefois, nous estimons qu'il faut absolument en améliorer le fonctionnement et y associer une caméra vidéo, ou un autre moyen. Sur les avions plus petits, la solution peut être un panneau transparent dans la porte permettant de voir suffisamment l'intérieur du cockpit. Mais sur les avions plus gros, du type Boeing 737 ou autres, la solution de la caméra reste la seule permettant vraiment de s'assurer que nous pouvons ouvrir la porte en toute tranquillité ».

Votre Rapporteur note qu'un projet des JAA consistait à imposer des camera vidéo devant les portes blindées des cockpits des avions de plus de trente passagers, mais qu'une majorité d'Etats membres ne l'a pas retenu, pour des raisons de coût, la France étant plutôt opposée à cette obligation.

La DGAC a déjà approuvé les portes renforcées conçues par les constructeurs français Airbus et ATR et elle a proposé aux exploitants de procéder en trois phases : mise en place de solutions temporaires dès le 20 août 2002 et adoption des portes anti-intrusion à compter du 9 avril 2003 pour les avions volant au-dessus des territoires nord américain et israélien, puis généralisation du dispositif à l'échéance du 1er novembre 2003. Cependant, la DGAC veille à ce que les nouveaux équipements des portes demeurent compatibles avec les procédures de sécurité, telle que l'évacuation d'urgence du cockpit, et s'attache également à faire évoluer en conséquence la formation des équipages.

Des pilotes auditionnés par la mission d'information ont témoigné des difficultés résultant de l'installation de ces nouvelles portes, qui gênent considérablement les déplacements de l'équipage et donc rendent leurs tâches plus difficiles.

B.- UNE EXPLOITATION ET UNE MAINTENANCE DE QUALITÉ TRÈS INÉGALE SELON LES COMPAGNIES AÉRIENNES

Une fois l'aéronef construit, il est exploité par une compagnie aérienne et « maintenu » - ou entretenu - pour le conserver en état de navigabilité permanente. On notera que la notion d'exploitation des aéronefs concerne à la fois les « opérations », c'est-à-dire l'ensemble des règles et des procédures de manœuvre des aéronefs et les normes de maintenance. C'est pourquoi ces deux aspects, très liés à la sécurité, sont traités en une même partie.

On a vu que les règles européennes applicables dans ce domaine sont les JAR OPS pour l'exploitation des aéronefs, et les JAR 145 pour l'agrément et le fonctionnement des ateliers de maintenance, ainsi que pour la qualification des personnes. Les JAR OPS incluent les règles concernant les licences des personnels navigants techniques.

Pour les règles de maintenance, la Commission européenne édicte maintenant la réglementation, après avis technique de l'AESA, qui a repris l'expérience des JAA. Les Etats membres sont chargés de la délivrance des certificats (de pilotes, d'ateliers de maintenance...). Un avion immatriculé en Europe ne peut être entretenu que dans des ateliers de maintenance agréés JAR 145. Du fait de l'expertise acquise en Europe, de nombreux ateliers de maintenance situés dans des pays non européens - par exemple Maroc -, sont également agréés JAR 145. Ces ateliers peuvent ainsi procéder à la maintenance des avions européens. Les Etats-Unis ont une pratique similaire d'agrément d'ateliers de maintenance situés dans les pays étrangers où leurs compagnies aériennes exploitent des lignes.

Ainsi M. Edmond Suchet, expert, déclarait-il devant la mission63 : « Mais, il y a maintenant aussi des ateliers JAR 145 en Chine, en Asie du Sud-Est. Aux Etats-Unis, il y a des accords bilatéraux entre la FAA et les JAA, des accords avec le Canada, car eux aussi ont un système d'ateliers agréés. [...] De fait, la réglementation européenne a largement débordé ses frontières. Elle est un label de garantie pour certains opérateurs. Ainsi, les pétroliers demandent à opérer en Angola, en Libye avec des hélicoptères sous immatriculation française et entretenus sous JAR 145, parce qu'ils considèrent que c'est une garantie technique d'avoir un aéronef vérifié par un atelier aux normes européennes ».

Les avions sont entretenus selon des cahiers des charges élaborés par les constructeurs, qui prévoient un calendrier précis des opérations d'entretien et de changement des pièces. Une « grande visite » est effectuée tous les 5 ou 10 ans, à l'occasion de laquelle l'avion est en principe complètement démonté. La tendance actuelle est toutefois de renforcer l'entretien courant et le changement périodique des pièces usées, ce qui limite d'autant les tâches à effectuer lors des « grandes visites ».

A titre d'exemple de bonne pratique, les représentants d'Air France auditionnés par la mission d'information ont expliqué comment la compagnie organise une chaîne de responsabilités en matière de sécurité. Une culture de sécurité prévaut à tous les niveaux. Des audits internes périodiques sont effectués pour valider cette organisation, sans compter la surveillance effectuée par les autorités et les audits des compagnies partenaires dans le cadre des partages de codes. Les représentants d'Air France reconnaissent l'utilité de la surveillance des autorités pour ne pas relâcher les disciplines. Air France pratique l'analyse systématique des vols de façon anticipée par rapport à la réglementation.

1.- Les incertitudes sur la qualité de la maintenance et de l'exploitation

La mission d'information a organisé deux tables rondes sur la maintenance des avions et l'exploitation des compagnies aériennes, réunissant les régulateurs et les opérateurs, ainsi que des pilotes et des experts. Les débats ont permis de constater que ces opérations n'étaient pas effectuées avec la même garantie de sécurité par toutes les compagnies.

M. Richard Vainopoulos, voyagiste, déclarait devant la mission64 : « La guerre des prix entraîne aujourd'hui des systèmes d'économie permanente qui ont une incidence sur la qualité de la maintenance, le nombre et la formation du personnel. On sait, par exemple, que le prix et la durée de la maintenance sont très différents en France et en Irlande. En France, la durée de la maintenance est plus importante qu'en Irlande. De même, les tarifs présentent des différences notables. Par conséquent, lorsque certaines compagnies, en particulier low cost, cassent leurs tarifs, on peut s'interroger sur le niveau de sécurité qu'elles apporteront demain à leurs clients. ».

Par contre, son collègue M. Jean-François Rial, a fait part d'une opinion différente1 : « Je ne suis pas du tout d'accord avec ce que vient de dire M. Vainopoulos. Il me semble que l'on ne fait pas les bons raisonnements. Je précise que je ne suis pas un voyagiste qui propose, affrète, utilise ou vend des compagnies low cost. Néanmoins, je pense que le modèle économique de ces compagnies aériennes n'a absolument rien à voir avec celui des compagnies régulières et qu'aujourd'hui, jusqu'à preuve du contraire, la fiabilité et la sécurité des compagnies low cost sont extrêmement bonnes. ».

La mission a également rencontré les deux principaux constructeurs d'avion gros porteurs de passagers, Airbus à Toulouse et Boeing à Bruxelles. Ceux-ci ont expliqué que leurs équipes d'experts sont chargés de suivre le cycle de vie de leurs avions en cours d'exploitation et qu'ils peuvent ainsi auditer les programmes de maintenance et les modes opératoires, et dispenser des formations. Mais ils n'ont aucun pouvoir d'injonction et la responsabilité, de même que le coût des prestations de maintenance et de formation incombent aux compagnies aériennes.

Le processus de retour d'expérience peut déboucher sur l'obligation, pour le constructeur, de procéder à la modification de certaines parties de l'aéronef et cela s'effectue au travers d'un dialogue permanent entre les industriels et les autorités sur la base de rapports et de réunions techniques. A la suite d'un incident ou d'un accident, des actions correctrices, dénommées « consignes de navigabilité », peuvent être prescrites aux constructeurs (pour procéder à des modifications dans la conception) et aux compagnies aériennes (pour les avions existants). Le respect de ces consignes de navigabilité par les compagnies aériennes est contrôlé lors des opérations de maintenance.

A plusieurs reprises les auditions de la mission ont fait ressortir que certaines compagnies aériennes tardaient à effectuer ces réparations ou modifications.

Au contraire, plusieurs personnes entendues par la mission ont souligné que la sécurité était bien respectée dans les grandes compagnies ou chez les gros constructeurs, qui ont développé une véritable culture de sécurité, grâce à la stabilité de l'entreprise, à l'expérience et aux actions de formation.

Tel n'est pas toujours le cas des sous-traitants, en maintenance, en assistance en escale et en services annexes de toutes sorte, qui, pour des raisons de compression des coûts peuvent être amenés à rogner sur la sécurité. Se pose notamment le problème des intérimaires. On retiendra que les règles JAA imposent que les intérimaires représentent moins de 50 % du personnel des ateliers de maintenance, le responsable devant toujours être un employé permanent.

Une affaire a mis en cause en mai 2004 les activités d'une société d'assistance en escale à l'aéroport de Lyon (Saint Exupéry). La compagnie easyJet avait sous-traité à la société d'assistance en escale Avia Partner certaines opérations de maintenance. A la suite d'une dénonciation, des employés de la société Avia Partner ont été embauchés après falsification des certificats de formation. Avia Partner a immédiatement licencié les fautifs. La DGAC, interrogée par votre Rapporteur sur cette affaire, a répondu que ces sociétés d'assistance en escale agissent pour le compte des compagnies aériennes, sous leur responsabilité et que le préfet dont dépend l'aéroport doit autoriser préalablement chaque société d'assistance en escale. Il paraît nécessaire que les antennes locales de la DGAC renforcent leur surveillance sur ces sociétés d'assistance en escale.

Quelques données récentes sur l'exploitation et la maintenance des aéronefs :

- En 2002, la DGAC a enregistré la disparition de 20 compagnies aériennes et la création de 20 nouvelles compagnies, pour un stock de 124 CTA (certificat de transport aérien) ;

- Quelques 400 ateliers de maintenance sont agréés JAR 145, sous la surveillance du Groupement de la sécurité de l'aviation civile (GSAC), dont 44 situés à l'étranger, auxquels s'ajoutent 275 unités d'entretien d'aéronefs et 17 ateliers de maintenance ;

- La DGAC a effectué 2 175 contrôles techniques d'exploitation, dont environ la moitié sur des compagnies françaises et l'autre moitié sur des compagnies étrangères (programme SAFA de la CEAC). On rappellera que le Service de la formation aéronautique et du contrôle technique (SFACT) de la DGAC assure le contrôle technique des opérations et de la maintenance des aéronefs, en liaison avec les services déconcentrés de l'aviation civile et avec le support du GSAC dans le domaine de l'entretien (ateliers et systèmes d'entretien des opérateurs). Il participe également à la définition des normes et procédures d'exploitation des aéronefs, tant sur le plan national qu'international ;

- Au cours de l'année 2002, 16 nouveaux agréments JAR 145 ont été délivrés à des sociétés françaises, générant pour le GSAC une activité toujours aussi soutenue dans le domaine de l'entretien des aéronefs. Le nombre d'ateliers agréés s'élevait à 357, fin 2002, dont 21 basés outre-mer, auxquels il faut ajouter 44 ateliers implantés dans un pays non JAA, mais agréés par la France.

Le déploiement en Europe des minima réduits de séparations verticales entre avions (RVSM) est devenu effectif le 24 janvier 2002. Il a permis d'accroître à nouveau de manière significative la capacité du système de contrôle du trafic aérien. Essentiel pour la Direction de la navigation aérienne (DNA), ce dossier a également mobilisé le SFACT, chargée de veiller à sa mise en œuvre opérationnelle : équipement des avions, conditions d'entretien, formation des équipages, etc. Concernant les systèmes embarqués d'anti-abordage (ACAS), le SFACT a donné la priorité au renforcement de la réglementation relative à leur utilisation et à la formation des équipages. Il s'agissait à la fois d'améliorer la précision des modes d'emploi et de mieux définir les rôles respectifs des contrôleurs et des pilotes. Dans ce domaine, le SFACT exerce une pression constante sur les exploitants français pour garantir l'application des textes, tout en participant activement à l'homogénéisation des procédures, tant au niveau européen que dans le cadre de l'OACI.

Au niveau de l'OACI, les travaux de l'OPS Panel (commission des opérations), qui concernent notamment les routes polaires, les temps de vol, les opérations monomoteur en IFR65 (règles de vol aux instruments) et les autorisations permettant aux avions d'évoluer à grande distance de tout aéroport ont beaucoup progressé. A cet égard, 2002 restera une année record en termes d'autorisations délivrées aux exploitants français.

S'agissant des pneumatiques, les visites de routine et l'examen visuel permettent de démonter les pneus suspects. Chez Michelin, que la mission a auditionné66, la quasi-totalité des 8 000 pneus retournés pour examen sont ainsi retirés parce que suspects, sur un total de 95 000 pneus sur la période. Il est en outre recommandé que la pression soit contrôlée chaque jour avant que l'avion soit mis en service. Une pression trop faible entraîne en effet un écrasement excessif et un échauffement qui peuvent provoquer un arrachement de tout ou partie de la bande de roulement.

2.- Le problème des pièces détachées

a) Les pièces non conformes

Votre Rapporteur a noté, au cours des auditions et des déplacements de la mission, les fréquentes accusations relatives à l'utilisation de pièces non conformes sur les aéronefs. On pourra se reporter, à titre d'exemple, aux déclarations du directeur de la société de courtage Air Partner67.

On sait que la durée de vie des aéronefs fait que pratiquement toutes les pièces sont changées au fur et à mesure de leur usure. La règle, émanant d'une coopération réglementaire entre la FAA et les JAA, est que chaque pièce détachée est obligatoirement accompagnée d'un document indiquant son historique. Un bordereau commun a d'ailleurs été mis en circulation, qui illustre parfaitement les activités d'harmonisation de l'Europe et des Etats-Unis.

Lors de la visite de la mission à Toulouse, les ingénieurs des ateliers de montage Airbus ont expliqué que des avions qui devaient être détruits, avaient en fait été revendus en pièces détachées destinées à être réutilisées sur des avions en exploitation. Ils ont estimé que les processus de requalification des pièces (réparation et remise en service sur un autre avion) étaient mal réglementés et pouvaient donner lieu à des abus.

On sait qu'il existe de très nombreux courtiers ou grossistes68 en pièces détachées, dont certains sont loin d'être irréprochables et chacun peut trouver sur Internet tel courtier qui propose à la revente les pièces détachées provenant de l'épave d'un avion accidenté, pièces qui, dans certains cas, auraient dû être détruites pour cause de contamination chimique.

Le problème vient du fait qu'il est extrêmement difficile de distinguer une pièce détachée d'origine - bien entretenue - d'une pièce d'occasion ou de contrefaçon - avec maquillage des numéros de série et des documents. Aussi est-il impossible de se faire une idée précise de l'ampleur de ces trafics. Le représentant de l'association des compagnies aériennes américaines (ATA) a indiqué à la mission, lors de son déplacement à Washington, que la faible ampleur du trafic illicite n'en faisait pas une priorité pour les compagnies américaines, alors que l'on sait que la plupart des courtiers en pièces détachées sont implantés aux Etats-Unis. Par ailleurs, l'opinion dominante aux Etats-Unis est que la maintenance des aéronefs est de la responsabilité des compagnies aériennes et qu'elles doivent faire respecter les règles en matière de navigabilité des pièces détachées. Il existe d'ailleurs aux Etats-Unis des dispositions protégeant l'anonymat des personnes qui dénonceraient l'utilisation de pièces douteuses.

Les JAA ont identifié le problème des pièces de rechange, et un document a été produit il y a deux ans pour mieux suivre les ateliers de maintenance et détecter les pièces problématiques.

Votre rapporteur estime qu'il faudrait introduire une réglementation OACI des courtiers et grossistes en pièces détachées qui ne font actuellement l'objet d'aucune procédure d'agrément - contrairement aux ateliers de maintenance - pour assurer une meilleure traçabilité des pièces et lutter contre les trafics.

b) Les pièces copiées

Les Etats-Unis ont développé, depuis les années 50, un système de certification des pièces détachées qui ne sont pas construites par le fabricant d'origine, ce sont les PMA69. On compte, à ce jour, près de 36 000 références de pièces copiées PMA, et plus de 2 000 fabricants de PMA, tous américains, et il n'existe pas de système équivalent en Europe. Les JAA, en application d'un accord avec la FAA, acceptent les pièces certifiées aux Etats-Unis, sous réserve qu'elles ne soient pas « critiques », c'est-à-dire sous réserve qu'elles ne soient pas essentielles pour la sécurité.

Les auditions de la mission ont mis en relief l'évolution inquiétante du marché des PMA, lesquelles, initialement limitées aux pièces à faible niveau technologique, évoluent maintenant vers des pièces de haute technologie.

Votre Rapporteur a auditionné des représentants de la Snecma, qui sont particulièrement touchés par la vente des PMA. En effet, un motoriste réalise plus de chiffre d'affaire sur les pièces détachées que sur les moteurs neufs. Surtout, les PMA peuvent poser des problèmes de sécurité lorsqu'il s'agit de pièces critiques fabriquées en dehors du contexte technique initial.

En effet, un moteur est un système complexe et toute pièce a été conçue et produite pour fonctionner dans un certain environnement où elle fait partie d'un tout. Au contraire, les fabricants de PMA se contentent de copier la pièce, sans connaître les contraintes qu'elle devra subir du fait de son intégration dans un ensemble moteur. Un motoriste comme la SNECMA regrette qu'il n'y ait pas suffisamment de différenciation entre les pièces à faible risque et les pièces critiques.

Par ailleurs, le fabricant de PMA effectue moins d'essais de résistance que le concepteur des pièces d'origine. De même, celui-ci dispose d'une flotte en exploitation et bénéficie du retour d'expérience qui font défaut au fabricant de PMA. Enfin le concepteur corrige et anticipe d'éventuels problèmes de navigabilité, alors que le fabricant de PMA est tributaire des améliorations du concepteur d'origine. Or c'est sur ce dernier que repose la charge des coûts d'investissement et de recherche...

Proposition : Introduire, au niveau de l'OACI, une réglementation relative :

- aux courtiers et grossistes en pièces détachées, qui ne font actuellement pas l'objet d'une procédure d'agrément au contraire des ateliers de maintenance, afin d'assurer une meilleure traçabilité des pièces détachées et de lutter contre le trafic de pièces non conformes, de contrefaçon ou d'occasion ;

- aux pièces copiées susceptibles d'être considérées comme essentielles pour la sécurité.

3.- Le programme d'audit des compagnies aériennes de l'IATA

L'IATA70, l'association internationale des compagnies aériennes, a développé récemment un programme d'audit de toutes les compagnies aériennes pour le partage de code et l'affrètement : le programme IOSA71, fondé sur les normes internationales de l'OACI.

Ce programme part du principe que la prolifération des partages de code, des affrètements et des opérations de franchise entraîne une multiplication des audits entre compagnies aériennes. Ces audits ne sont pas normalisés, les auditeurs n'ont pas de qualifications définies, leurs résultats ne sont pas partagés et sont source d'un gâchis des ressources.

Ces audits de l'IATA couvrent l'organisation, la gestion, les opérations en vol, la maintenance, les opérations dans la cabine des passagers, les opérations de marchandises et la sûreté. Ils sont effectués par des organismes agréés et certifiés par l'IATA, après formation adéquate des équipes effectuées par des organismes de formation, également agréés et certifiés par l'IATA. Ces audits suivent un référentiel et une méthodologie communs et leurs résultats sont partagés entre les compagnies aériennes et avec les autorités de l'aviation civile.

Le programme est opérationnel depuis l'an dernier, le premier cabinet d'audit a été agréé en juillet 2003 et six audits ont été effectués entre juillet et décembre 2003.

Votre Rapporteur estime que ce programme d'audit a le mérite d'exister et qu'il constitue un intéressant exercice d'autodiscipline de la profession. Il remarque toutefois qu'il est limité par sa nature, c'est-à-dire qu'il correspond a des objectifs commerciaux de rentabilité (limiter le nombre et le coût des audits croisés entre compagnies aériennes). En outre l'IATA ne couvre pas toutes les compagnies aériennes. Enfin un conflit potentiel peut opposer les audits IATA et les règles OACI. Ces audits IATA pourraient en effet instituer, à terme, des règles concurrentes aux règles d'exploitations édictées par l'OACI et contrôlées par les autorités nationales de l'aviation civile...

C.- UNE GESTION DU TRAFIC AÉRIEN QUI DOIT FAIRE FACE A UN DOUBLEMENT PRÉVISIBLE DANS LES 20 PROCHAINES ANNÉES

La mission d'information a organisé une table ronde sur la gestion du trafic aérien le 28 avril 2004, dont le compte rendu figure en annexe du présent rapport et s'est rendue au Centre de la navigation aérienne (CENA) de Toulouse, le 30 avril.

La mission a été marquée par les statistiques d'Eurocontrol, selon lesquelles le trafic aérien européen a triplé au cours des 25 dernières années et doublera au cours des 20 prochaines années. Ainsi en France, en Belgique et en Allemagne, on comptabilisait 8 millions de vols en 2000 et on en prévoit 16 millions en 2020.

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La DNA fait remarquer qu'en matière de gestion du trafic aérien, c'est la sécurité qui dimensionne la capacité d'écoulement du trafic et non le contraire. Les études indiquent, par ailleurs, que les limitations de capacité prévisibles se situent davantage au niveau des infrastructures des aéroports européens, plus difficiles à étendre.

En France deux rapports sont élaborés chaque année :

● Le bilan sécurité : circulation aérienne, publié par le Service du contrôle du trafic aérien (SCTA) de la DGAC

Il s'agit d'un document réalisé par les spécialistes de la sécurité au sein du SCTA de la DGAC, sur la base de tous les incidents répertoriés par les systèmes de détection automatique ou par les personnels techniques (contrôleurs, techniciens, pilotes). Tous ces incidents sont classés dans une base de données nationale dénommée INCA72 et le rapport propose un certain nombre de mesures pour réduire les risques d'incidents.

● Le rapport annuel de la Commission nationale de sécurité de la circulation aérienne (CNSCA), publié par le ministère des transports

La CNSCA est une commission indépendante comprenant notamment des représentants des usagers. Dans la pratique, cette commission traite des airprox, c'est-à-dire des incidents notifiés par les pilotes à la suite d'un risque de collision. La CNSCA adresse au ministre un rapport annuel dans lequel figurent des recommandations qui font ensuite l'objet d'un examen minutieux par la DNA.

Votre Rapporteur a reçu copie des deux derniers rapports, non confidentiels, et regrette qu'ils ne soient pas mieux diffusés, par exemple sur le site Internet de la DGAC.

Les statistiques indiquent que les accidents impliquant la gestion du trafic aérien sont rarissimes dans l'espace aérien européen. On en compte 1 en 1973, 1976, 1977 et 1983 mais 3 au cours de ces dernières années :

- Aéroport Charles de Gaulle en 2000 (un avion de Cameroun Airlines a glissé sur une piste mouillée) ;

- Aéroport de Milan (collision au sol entre deux avions, dont un ayant contrevenu aux instructions de la tour de contrôle) en 2001 ;

- Près d'Überlingen en Allemagne en 2002 (un avion russe a suivi les instructions de la tour de contrôle aérien au lieu de suivre les instructions de son système embarqué anti-collision et a percuté, en plein vol, un autre avion. Il a été prouvé, par ailleurs, que le contrôle aérien suisse fonctionnait alors de façon dégradée, avec un seul contrôleur en poste, alors qu'il en faut toujours deux sur la même portion d'espace aérien).

On se rappelle aussi l'accident évité de justesse d'un avion russe qui a failli confondre la rocade routière avec la piste de l'aéroport de Nantes...

Ces trois accidents annoncent-ils une recrudescence des accidents liés au trafic aérien ? On peut se poser la question au vu de la croissance actuelle du trafic et des risques de saturation ou de pointe de trafic. Votre Rapporteur note cependant que la plus grande partie des personnes auditionnées lors de la mission d'information sont rassurantes. La circulation aérienne est une des parties les plus fiables du transport aérien en matière de sécurité.

Deux craintes ont cependant été exprimées pour l'avenir.

D'abord l'absorption de l'augmentation du trafic (+ 4 % par an en moyenne actuellement) entraîne une augmentation à due proportion de la masse de travail des centres de contrôle aérien. Les effectifs des contrôleurs aériens devront croître à l'avenir et des gains de productivité devront être recherchés, notamment à travers les résultats de la recherche fondamentale et appliquée, qui sont autant d'aides à la gestion. Les équipements actuels au sol et embarqués permettent une densité de trafic qui n'aurait même pas été imaginable il y a 10 ans, et plusieurs projets de modernisation et d'automatisation sont en cours.

Reste à savoir comment cette montée en puissance constante sera gérée au niveau humain.

La deuxième crainte concerne la gestion des aéroports, tant au sol en raison de la circulation sur les pistes que dans les manœuvres de décollage et d'atterrissage, les statistiques indiquant nettement que les accidents interviennent principalement dans les phases critiques d'approche et de décollage. La gestion des grands aéroports avec une multitude d'intervenants sur les pistes rend extrêmement complexe le maintien de la sécurité. Enfin, la congestion croissante des grands aéroports entraîne un transfert vers les plus petits, lesquels ont une organisation moins puissante et peuvent ainsi présenter des risques.

A la suite des accidents d'Überlingen et de Milan, Eurocontrol a adopté un plan d'action stratégique pour renforcer la sécurité de la gestion du trafic aérien dans le ciel unique européen et paneuropéen et un autre plan d'action couvre la prévention des incursions de piste sur les aéroports.

De son côté, l'OACI a présenté un rapport sur la modernisation des systèmes de navigation aérienne, présentant un tableau récapitulatif des actions nationales et régionales dans les domaines majeurs de l'évolution de la navigation aérienne, en particulier dans les systèmes satellitaires, les communications et la surveillance. Il insiste sur la mise en œuvre des SARPs et l'utilisation concrète des systèmes récemment inclus dans l'annexe 10 de la convention de Chicago (télécommunications). Il contient également une description des tâches à caractère technique qui vont occuper l'OACI dans les deux prochaines années.

La DNA, auditionnée par la mission lors de la table ronde du 28 avril, a clairement souligné que la sécurité est le premier objectif de la gestion du trafic aérien. Elle est donc totalement intégrée à la fois dans le cadre réglementaire, dans l'organisation des opérations des prestataires de services de navigation aérienne, dans le développement et la mise en œuvre des nouveaux systèmes et dans le retour d'expérience.

La DNA édicte la réglementation nationale selon les normes internationales. Elle supervise par ailleurs le niveau de sécurité et le retour d'expérience. Sous son autorité, le service du contrôle du trafic aérien (SCTA) est chargé d'assurer la navigation aérienne au travers des 5 centres de contrôle en route et des tours de contrôle des aéroports.

1.- Le risque majeur se situe dans la gestion des aéroports

Votre Rapporteur ne reviendra pas sur la difficile question des infrastructures aéroportuaires françaises73.

Lors de la visite de la mission à Bruxelles, les responsables d'Eurocontrol ont souligné le risque majeur de sécurité sur les aéroports, où circulent de nombreux véhicules de toutes sortes. On notera toutefois que ces véhicules doivent normalement être équipés de radio, que les autorisations de circulation sur les pistes et taxiways74 sont données par le service du contrôle aérien et que la formation des conducteurs est très complète. Les exigences concernant ces véhicules sont d'ailleurs incluses dans le plan d'action pour la prévention des incursions de piste.

D'une façon plus générale, il conviendrait de s'assurer que tous les éléments, tant d'infrastructure qu'opérationnels, sont totalement compatibles avec les recommandations de l'OACI. En effet, il est essentiel que les mouvements d'aéronefs tant au plan des communications que des procédures soient en conformité avec les recommandations de l'OACI et il faudrait, au minimum, que les aéroports soient conformes aux exigences internationales, telles qu'elles résultent de l'annexe 14 de l'OACI.

Afin de limiter les accidents sur les aéroports, il conviendrait également de mettre en œuvre des systèmes harmonisés de gestion de la sécurité qui prendraient en compte les spécificités des fournisseurs de services de navigation aérienne et des opérateurs aéroportuaires. Cela permettrait d'assurer que le niveau requis de priorité et d'importance liés à la sécurité est bien atteint pour toutes les opérations aéroportuaires.

Cela renvoie aux règles de prévention des incursions sur piste. Chaque aéroport a ses spécificités, et il appartient au gestionnaire local de trouver, en concertation avec les exploitants d'aéroport et les compagnies aériennes, le moyen le plus adéquat de faire fonctionner les infrastructures et de gérer le trafic dans les meilleures conditions de sécurité, conformément aux dispositions règlementaires applicables. Sur ce point, il conviendrait que le « plan d'action européen pour la prévention des incursions de piste » soit mis en œuvre. Ceci permettrait une réduction des risques associés aux facteurs d'incursions de piste.

Par ailleurs, la DNA a fait remarquer que les Etats d'Eurocontrol ont adopté en 2003 un vaste plan d'action visant à améliorer le niveau de sécurité sur les aéroports. Ce plan est destiné à tous les acteurs, qu'il s'agisse des gestionnaires de l'infrastructure, des services de contrôle, ou des utilisateurs - pilotes et compagnies aériennes. Ce plan, piloté en France à l'échelon central est bien entendu applicable à l'ensemble des grands aéroports français.

Le pilotage de l'évolution des aéroports à l'échelon national favorise la synergie entre les évolutions techniques, en étendant progressivement les nouveaux concepts mis en œuvre sur les aéroports les plus fréquentés - comme Roissy -, à ceux qui connaissent un trafic moins soutenu. Ainsi, les radars sol ont été mis en œuvre à Roissy et Orly depuis de nombreuses années et les systèmes informatisés les complétant pour alerter les contrôleurs des risques d'incursion sur piste commencent aujourd'hui à être mis en service. Un déploiement analogue a également commencé sur les autres grands aéroports français.

C'est au niveau de l'analyse des incidents et du retour d'expérience que les progrès les plus importants ont été constatés au cours des dernières années sur nos aéroports : tous les incidents sont aujourd'hui examinés par des structures de travail locales comprenant des représentants des utilisateurs, ce qui permet de modifier les outils et les procédures pour réduire les risques.

Proposition : Renforcer le plan d'action européen sur la sécurité des aéroports au-delà du seul aspect des incursions de piste et de manière à couvrir les petits aéroports.

● L'aéroport de Nice

Plusieurs membres de la mission d'information se sont inquiétés du fait que l'aéroport de Nice soit souvent présenté comme l'un des plus dangereux de France. Selon la DNA, cet aéroport ne connaît pas plus d'accident ou d'incident grave que la plupart des aérodromes de même taille. Il faut cependant reconnaître que la proximité de la ville et du relief montagneux, de même que les contraintes d'environnement imposent des conditions d'exploitation particulières. Dans le contexte de l'augmentation considérable du trafic enregistrée à Nice ces dernières années, deux procédures d'exploitation ont suscité des critiques :

- « L'inversion » du doublet de piste, imposée par des exigences environnementales, conduisait à traverser la piste d'atterrissage pour aller décoller. Elle a été à l'origine de plusieurs incursions de piste en 2001 et 2002. Les mesures de formation des équipages et de balisage ont désormais permis de résoudre le problème ;

- La procédure « Blue Bay 22 » utilisée dans les cas de vents d'ouest, souvent associés au mauvais temps, imposait aux avions, à l'arrivée et au départ, de se croiser avec une séparation verticale de 1 000 pieds alors que le plus bas est à 2 500 pieds du sol, juste après décollage. Bien que cet espacement soit normal au regard des prescriptions internationales, cette procédure a conduit, du fait des évolutions en altitude des avions, à de nombreux déclenchement des systèmes d'alerte avec notifications d'airprox. Une nouvelle procédure, « Saleya 22 », qui supprime la situation de face-à-face, a été mise en œuvre le 15 avril 2004. Elle devrait permettre à la fois de diminuer les cas de survol de la côte, de mieux assurer la séparation des arrivées et des départs ainsi que des remises de gaz, et par conséquent d'augmenter la capacité opérationnelle de la piste, au même niveau que celle qui existe par vent dominant.

Pour la DNA, ces deux sources d'incidents semblent aujourd'hui maîtrisées, mais la sécurité n'étant jamais totalement acquise, l'aéroport de Nice continue à faire l'objet d'une surveillance attentive : les incidents y sont analysés et les mesures correctives sont prises, comme d'ailleurs sur toutes les plates-formes françaises. La procédure « Saleya 22 » a demandé plusieurs d'années d'études en raison de la complexité du problème (la mer qui limite l'installation d'équipements, la contrainte du relief physique qui limite les volumes des procédures...).

Des personnalités auditionnées par la mission d'information ont cependant estimé que les considérations de protection de l'environnement (bruit occasionné aux riverains) avaient primé sur l'objectif de sécurité... Ainsi, M. Yann Goupil, du Syndicat national des contrôleurs du trafic aérien (SNTCA), déclarait devant la mission75 :

« Très clairement, on y a cédé aux pressions environnementales, au détriment de la sécurité. Un doublé de pistes est utilisé en général avec la piste intérieure pour les décollages et la piste extérieure pour les atterrissages. La raison en est simple : en cas de remise de gaz, la piste à l'extérieur dégage dans un sens et au décollage, l'avion maintient son axe. Pour des raisons de bruit, on a fait l'inverse à Nice. Et pour renforcer encore la nécessité de prendre en compte l'environnement, on fait se croiser les avions non pas au seuil de piste, ce qui permettrait en cas d'incursion de piste que l'avion passe au-dessus de l'avion en approche finale, mais au niveau du toucher des roues, parce que les seuils de pistes sont près des habitations.

De la même manière, on a mis en place la procédure Riviera qui ne donne plus aux contrôleurs de Nice que 36 degrés sur 360 pour travailler, à cause des montagnes et des problèmes de riverains. C'est très peu. Les riverains ont demandé à décaler encore cette procédure, ce qui réduirait le nombre de degrés disponibles pour les contrôleurs aériens. Il faut savoir que cette procédure a été la cause principale d'un accident en Allemagne. Cette procédure Riviera amène à perdre le contact visuel avec la piste, puisque l'avion fait un virage à gauche suivi d'un virage à droite avec la proximité des montagnes.

Enfin, la sécurité va bien au-delà. Une procédure en piste 22 à Nice prévoit que les avions à l'arrivée descendent à 2 500 pieds, au lieu de 1 500 pieds quand il fait beau. Quand il fait mauvais, les avions descendent à 2 500 pieds, alors que les avions au départ passent juste en dessous à 1 500 pieds. Comme les pilotes sont habitué à descendre à 1 500 pieds, il y a beaucoup d'alertes pour des problèmes environnementaux qui ont fait descendre l'avion de 1 500 pieds vers la mer, et donc avec des difficultés.

Depuis peu, une expérimentation essaye de changer cette procédure qui comprend deux volets : un volet qui concerne uniquement la plateforme de Nice et un volet qui concerne, en amont, toutes les procédures d'arrivée. Ces procédures d'arrivée nécessitent des études au niveau de la circulation aérienne, des accords avec les militaires, des accords avec l'ACNUSA76 et des accords avec le centre de contrôle aux routes. ».

2.- Éviter les collisions

● Les séparations verticales et horizontales

Il faut s'avoir qu'à une vitesse de 600 km/h, un avion avance de 10 km par minute, et que l'on parle de « quasi-collision » à moins de 8 km de distance de séparation horizontale.

La fonction première du contrôle aérien est d'éviter les collisions entre aéronefs et, pour y parvenir, la réglementation impose un espacement minimum obligatoire entre aéronefs. Cet espacement varie notamment en fonction des différents types d'espaces aériens et s'exprime à l'aide de divers paramètres, tels que la séparation latérale, longitudinale, ou verticale. L'ensemble des variables correspondant à tous ces types d'espacements constitue les minima de séparation réglementaires.

Par exemple, en Europe la séparation verticale minimale à partir du niveau 290, c'est-à-dire une altitude de l'ordre de 29 000 pieds ou encore 8 700 mètres, est de 1000 pieds, soit 303 mètres. Avant 2003, elle était de 2 000 pieds et cette diminution a été obtenue grâce à l'amélioration de la fiabilité des appareils de localisation (radars) et de gestion. En zone océanique, hors couverture radar, des portions d'espace pourront imposer 10 milles nautiques d'intervalle entre 2 avions suivant une même route, alors qu'en zone d'approche, sous couverture radar avancée il peut exister des espacements latéraux de l'ordre de 3 milles nautiques, soit 5 kilomètres et demi. Toutes ces valeurs varient en fonction des types d'espace aérien disponibles actuellement.

Actuellement, il n'existe pas de valeur unique de séparation horizontale et verticale en Europe.

● Les systèmes anticollision

Le système anticollision embarqué (ACAS77) est actuellement obligatoire sur les aéronefs dont la masse au décollage est supérieure à 15 tonnes. A compter de janvier 2005, il sera obligatoire sur les aéronefs de plus de 7,5 tonnes ou d'une capacité d'emport de 19 passagers et plus. Le dispositif ACAS a maintes fois fait la preuve de son efficacité. Mais on ne saurait souligner suffisamment l'importance que revêt le strict respect des dispositions de l'OACI concernant l'utilisation de l'ACAS. Pilotes et contrôleurs doivent savoir que les avis de résolution (RA) du dispositif ACAS l'emportent toujours sur les instructions du contrôle aérien. Sur ce plan, Eurocontrol a déployé des efforts considérables pour mettre au point des éléments indicatifs, des cours de formation et des logiciels de simulation à l'intention des prestataires de services.

Il est permis de supposer que si les deux pilotes impliqués dans l'accident d'Überlingen s'étaient conformés aux avis de résolution de l'ACAS, et si le contrôleur n'avait pas donné une instruction contraire, l'abordage en vol ne se serait jamais produit. Force est de constater qu'aujourd'hui encore, certains pilotes et contrôleurs n'appliquent pas systématiquement les recommandations d'utilisation de l'ACAS.

Immédiatement après l'accident d'Überlingen, l'OACI a publié une « Lettre aux Etats », suivie d'un amendement à la réglementation (applicable à compter de novembre 2003), qui actualise la documentation OACI, améliore la clarté du texte et renforce les dispositions visant la prévention d'une manœuvre dans la direction opposée à celle qu'indique l'avis de résolution. Il donne aussi des lignes directrices pour la formation des pilotes.

Le système ACAS a été conçu pour diviser le risque de collision par dix au moins, selon les études de la DGAC. La communauté internationale poursuit ses efforts pour améliorer le système anti-collision embarqué, grâce au système de positionnement par satellites qui permet de mieux situer les avions. Une nouvelle génération d'équipements pourrait donc améliorer encore l'efficacité du concept, d'ici une dizaine d'années.

3.- Une utilisation flexible de l'espace en fonction des utilisations civile et militaire

Lors de la table ronde du 28 avril 2004, le Colonel Hestin, représentant de la Direction de la circulation aérienne militaire (DIRCAM) du ministère de la défense a rappelé, qu'en France, la circulation aérienne se répartissait entre la circulation militaire et la circulation civile. La circulation militaire répondant à des missions incompatibles avec le respect des règles de circulation civile, la cohabitation des deux voies sur une même portion d'espace impose une coordination étroite, qui passe par un rapprochement des systèmes de gestion, actuellement à l'étude.

En effet, le ciel français, comme le ciel des autres pays européens, sépare les espaces réservés aux militaires de ceux réservés aux civils, mais la France dispose de deux systèmes parallèles de gestion du trafic - ce qui est une spécificité. La croissance du trafic civil accentue la pression des avions civils pour avoir accès aux couloirs réservés aux militaires, d'autant que, du fait de la géographie européenne, les goulets d'étranglement de la circulation aérienne se situent souvent là où les militaires sont les plus actifs, en France, au Royaume-Uni et en Suisse.

Dans ce domaine, on recourt au concept de « gestion flexible de l'espace », selon lequel l'espace aérien doit être considéré comme un continuum et être alloué au jour le jour pour répondre aux besoins quotidiens des utilisateurs. Dans ce cadre, les éventuelles mesures de séparation des espaces encore requises auront un caractère temporaire et s'effectueront en temps réel pendant une période limitée.

L'application du concept de gestion flexible de l'espace permet ainsi une augmentation de la capacité de gestion du trafic aérien, des méthodes plus efficaces de séparation, une coordination en temps réel améliorée entre civils et militaires et donc une réduction des besoins de séparation de l'espace aérien, grâce à une meilleure adéquation de l'utilisation des zones de séparation temporaire aux besoins opérationnels militaires.

Pour la Direction de la circulation aérienne militaire (DIRCAM), la gestion en temps réel ou quasi réel est largement perfectible en France.

La DNA considère que la coordination civile et militaire connaîtra bientôt un nouveau progrès avec l'expérimentation, d'ici fin 2004, d'une liaison automatisée entre contrôleurs civils et militaires dans le Nord-est de la France. Ce système devrait ensuite être déployé dans l'ensemble de l'espace aérien géré par la France.

On citera la Cour des Comptes qui, dans son rapport public de novembre 2002 sur le contrôle de la navigation aérienne, a recommandé une meilleure coordination des deux circulations et même toute réorganisation destinée à rapprocher les deux contrôles.

Proposition : Mettre en œuvre en France, le plus rapidement possible, une utilisation flexible de l'espace aérien, afin d'optimiser le partage du ciel entre civils et militaires.

4.- La protection de l'environnement à proximité des aéroports

On présente souvent de façon antinomique les contraintes de lutte contre le bruit et les contraintes de sécurité. Ainsi la protection des riverains a entraîné des règles de circulation de couloirs aériens et d'utilisation des pistes de l'aéroport de Nice qui compliquent la tâche des pilotes et imposent une qualification particulière pour y atterrir.

Les procédures visant à la réduction du bruit et à la protection de l'environnement sont, elles aussi, définies par l'OACI et doivent être utilisées comme critère minimum pour l'introduction de procédures opérationnelles sur les aéroports.

Toute mise en œuvre de procédures visant à la réduction du bruit et à la protection de l'environnement doit se faire dans le cadre d'un système harmonisé de gestion de la sécurité assurant l'identification des dangers potentiels ainsi que la réduction des risques associés, tels que limites de vent de travers, limites de vent arrière, longueur de piste. En d'autres termes, si aucune réduction des risques associés ne peut être mise en place, la mise en œuvre de procédures de réduction du bruit et de protection de l'environnement ne doit pas intervenir.

Selon Eurocontrol il n'est pas exclu que certains aéroports, pour des raisons environnementales, aient adopté des procédures de départ et d'arrivée ne tenant pas compte de ces recommandations.

Les débats en cours en France (Orly, Roissy) et, par exemple, en Belgique (aéroport de Zaventem) montrent que les incidences environnementales pèsent, de toute évidence, très fort sur l'adoption des procédures d'arrivée et de départ. Il s'agit d'un choix technique, financier et politique imposant une décision claire de la part des pouvoirs publics.

La sécurité n'est pas absolue et si les pouvoirs publics souhaitaient vraiment donner la priorité à la sécurité, il conviendrait de mettre en place un régulateur qui puisse porter un jugement indépendant sur l'acceptabilité de telle ou telle configuration opérationnelle. Cela a été fait, à diverses reprises, par des organismes indépendants, tels qu'Eurocontrol.

Il est à noter qu'Eurocontrol a déjà exprimé la priorité qu'il convient d'accorder à la sécurité : « Dans le cadre de la gestion du trafic aérien, le prestataire de services met en place un système de gestion de la sécurité (SMS) qui accorde la plus haute priorité à l'obtention d'un niveau de sécurité adéquat, indépendamment des pressions commerciales, opérationnelles, environnementales ou sociales (ESARRs78) ».

M. Frédéric Rico, directeur des opérations aériennes d'Aéroports de Paris, auditionné par la mission, a estimé qu'il ne fallait pas opposer les contraintes de sécurité et d'environnement, mais se demander comment prendre en compte les contraintes d'environnement, sans dégrader le niveau de sécurité. Il s'agit d'entamer une démarche participative incluant tous les acteurs, y compris les riverains, les élus et les compagnies aériennes79.

5.- Les récents règlements « ciel unique »

Les règlements communautaires « ciel unique » comprennent un règlement cadre, un règlement sur la fourniture de services de navigation aérienne, un règlement sur l'organisation et l'utilisation de l'espace aérien et un règlement sur l'interopérabilité du réseau européen de gestion du trafic aérien80. Ils représentent une avancée en matière de sécurité, mais peuvent aussi comporter des risques si leur application n'est pas bien contrôlée. Tout dépendra des modalités pratiques de mise en œuvre.

On notera que les règlements « ciel unique », et en particulier la séparation des fonctions de régulateur de prestataire de services de navigation aérienne, n'ont pas entraîné d'abaissement du niveau de la réglementation en matière de sécurité du trafic aérien. Ils n'ont pas non plus entraîné de privatisation, seule la Grande-Bretagne ayant opté pour un prestataire de service privatisé à 50 %, pour des raisons financières liées à la privatisation des aéroports.

Par ailleurs, les règlements communautaires ont plus d'impact politique et de force légale que les décisions de nature réglementaire d'Eurocontrol (pourtant obligatoires) ou les normes et pratiques recommandées de l'OACI. Aucune procédure de sanction obligatoire n'est prévue pour les règles d'Eurocontrol, à l'exception du recours à la Cour permanente d'arbitrage en cas de non respect des décisions.

La clarification des rôles et responsabilités entre les fonctions de régulateur et d'opérateur de services de navigation aérienne ne peut que bénéficier à la sécurité. Il convient par contre d'établir un rapport intelligent et dynamique entre les deux entités et de les doter des moyens financiers et humains adéquats. C'est ce qui résulte des audits d'Eurocontrol, selon lesquels, en l'absence d'expertise, il y a risque de dérégulation, et la fonction réglementaire peut alors devenir une pure fonction administrative, totalement inefficace, à la merci de la fonction non réglementaire.

Les règlements communautaires prévoient que les fournisseurs de services seront soumis à des exigences organisationnelles, opérationnelles et techniques communes. Par contre, et afin de respecter le principe de subsidiarité, ils ne prévoient pas d'imposer aux Etats d'exigences communes particulières relatives au contrôle et à la certification. Ceci induira fort probablement des différences de pratiques notables entre Etats, avec un impact possible sur le niveau de sécurité.

Les audits menés par Eurocontrol au sein des Etats membres ont déjà révélé de grandes disparités dans ce domaine et il faudra qu'Eurocontrol et la Commission européenne examinent conjointement les mesures complémentaires qu'exigerait un niveau de sécurité acceptable. Eurocontrol pourrait, par exemple, accompagner le « ciel unique » en règlementant les processus de contrôle, tout en maintenant son programme d'audits. Des propositions en ce sens devraient être soumises à l'approbation des Etats membres d'Eurocontrol en 2004.

6.- Une application très inégale des normes d'Eurocontrol en Europe

Eurocontrol a terminé un premier cycle d'audits des fonctions nationales de réglementation et de supervision de la sécurité aérienne.

Les résultats de ces audits montrent que la plupart des Etats d'Eurocontrol sont relativement avancés dans la mise en œuvre des règlements ESARRs, du moins en ce qui concerne la publication de règlements nationaux de mise en conformité. La majorité devrait avoir publié un règlement national à la date prévue ou avec un à trois ans de retard. Par contre, une grande majorité d'Etats n'est pas en mesure de vérifier la bonne application des règlements de sécurité par les fournisseurs de services. Ceci est d'autant plus préoccupant que les règlements communautaires relatif au « ciel unique » introduisent un système de certification des fournisseurs de services attestant de la conformité à des règlements communs communautaires, avec reconnaissance réciproque des certificats entre Etats membres de l'Union.

M. Erik Merckx, fonctionnaire d'Eurocontrol, déclarait à la mission81 : « La France est très avancée, très bien positionnée. Dans les 41 Etats-membres d'Eurocontrol, nous avons fait une étude pour apprécier le degré de maturité de chaque fournisseur de services pour la mise en place des systèmes de gestion de sécurité. Une planche du document distribué montre une très grande différence de niveau de maturité entre les 37 fournisseurs de services. Les pays ne sont pas identifiés, c'est une étude confidentielle ».

Sur les 27 pays audités, un premier groupe de 7 pays a mis en œuvre de façon satisfaisante une séparation organisationnelle entre les fonctions de régulation de la sécurité et celles de fourniture de service ; les régulateurs y ont rempli la plupart des normes d'Eurocontrol, dans des délais maîtrisés.

Un deuxième groupe de 13 pays a bien réalisé la séparation fonctionnelle, mais des limites sont relevées dans la capacité d'édicter des règles de gestion du trafic aérien, dans la supervision et dans le respect des ESARRs, en grande partie dues à l'absence de volonté politique et de personnel qualifié.

Un dernier groupe de 7 pays ne connaît pas de séparation fonctionnelle crédible et doit impérativement améliorer sa réglementation.

A la demande des Etats, les rapports d'audit ont pour l'instant un statut confidentiel. Compte tenu du peu de progrès constatés dans certains Etats, malgré les recommandations faites par Eurocontrol et ses actions de formations et d'assistance, il sera proposé aux Etats membres lors de la réunion du conseil provisoire d'Eurocontrol en juillet 2004 de lancer un programme d'audits sur six ans, coordonné avec celui de l'OACI. Il sera aussi proposé aux Etats qu'Eurocontrol rende public le résumé de chaque rapport d'audit. Ceci devrait permettre à la communauté aéronautique, ainsi qu'aux instances politiques, de prendre des mesures propres à encourager les Etats défaillants à rectifier leur retard.

7.- Vers une automatisation de la gestion et du contrôle ?

Selon la DNA, l'amélioration du niveau de sécurité est le souci majeur de toute avancée dans l'automatisation des tâches de contrôle. Ceci conduit à progresser par petits pas. Les études de sécurité, simulations et phases expérimentales sont toujours longues mais permettent de déceler et de corriger les vices éventuels. Les personnels et leurs organisations syndicales veillent d'ailleurs à n'accepter les mises en service qu'une fois tous les problèmes corrigés. Historiquement, l'automatisation a permis d'améliorer la sécurité du système, et ce processus est appelé à se poursuivre, tout en sachant que le contrôleur restera, pour une longue période au moins, au centre de la boucle du système opérationnel.

Une étude réalisée par Eurocontrol montre que le contrôle aérien européen utilise deux fois plus de contrôleurs aériens que le contrôle aérien américain. Selon Eurocontrol, l'explication tient pour moitié à la meilleure productivité des Etats-Unis (flexibilité, organisation) et pour moitié à la fragmentation du ciel européen. Aux Etats-Unis un seul système gère le trafic avec 18 centres ; en Europe 41 Etats ont chacun leur système utilisant au total 70 centres de contrôle (plus 91 centres en Russie). Les analystes de la FAA, interrogés par votre Rapporteur lors du déplacement de la mission à Washington, ont également évoqué les différences structurelles des deux systèmes : type de trafic, taille de l'espace aérien sous contrôle, complexité des procédures et autres raisons techniques.

Par exemple, les Etats-Unis utilisent de façon générale les approches à vue dans les phases finales d'atterrissage, ce qui allège la surveillance des écarts entre avions par les contrôleurs et permet aux avions de se suivre de plus près à l'approche de la piste. De plus, le nombre d'avions qu'un contrôleur aérien américain peut gérer simultanément est plus élevé que pour ses homologues européens : cela s'explique par le fait que les limites sont plus flexibles aux Etats-Unis et qu'elles tiennent davantage aux limites physiques dues à la capacité d'absorption de l'aéroport qu'à des règles arbitraires.

Les Etats-Unis pâtissent toutefois d'un système centralisé très difficile à modifier, et qui connaîtra des difficultés pour intégrer les nouvelles méthodes de gestion.

On considère que l'efficacité, la sécurité et le niveau technologique sont équivalents dans les deux espaces aériens. Ainsi après le 11 septembre 2001, les Etats-Unis ont fermé leur ciel instantanément, alors qu'Eurocontrol a réagi en quatre minutes pour rappeler 250 avions qui faisaient route vers les Etats-Unis, tout en donnant l'ordre aux avions en partance de rester au sol. Ces résultats ont été obtenus sans réglementation obligatoire par une bonne coopération entre les administrations nationales.

L'automatisation des systèmes de gestion du trafic aérien permettra, en Europe, d'absorber des niveaux accrus de trafic, tout en maintenant, voire, très probablement, en améliorant les niveaux de sécurité. Dans ce contexte nouveau, les contrôleurs - et les pilotes - demeureront responsables, en dernier ressort, du bon déroulement des vols, mais bénéficieront de l'appui de cette automatisation pour leurs tâches de routine. Eurocontrol, avec l'ensemble des partenaires, consacre des efforts considérables pour que cette automatisation se réalise avec le maximum de sécurité.

Tout le travail de la communauté aéronautique, et en particulier d'Eurocontrol, est de faire en sorte que la croissance continue du trafic puisse être absorbée en maintenant un niveau de sécurité optimal. C'est pourquoi toute modification opérationnelle ou technique du système de la circulation aérienne est subordonnée au maintien d'un niveau de sécurité acceptable.

Il est important qu'au vu de ces analyses de sécurité, une entité ait la responsabilité d'évaluer si la modification proposée est acceptable : cette décision revient au fournisseur de service mais peut être soumise à approbation préalable du régulateur ou de l'autorité de supervision.

8.- Le contrôle aérien aux Etats-Unis

Cette question a été évoquée lors du déplacement de la mission à Washington où elle a rencontré les responsables de la gestion du trafic aérien au sein de la FAA.

L'ouverture à la concurrence du transport aérien américain n'a pas, à ce jour, touché le contrôle du trafic aérien, en dehors de la nécessité pour la FAA de s'adapter aux variations du trafic en volume et en nature. Toutefois, la pression générale sur le coût/efficacité du transport aérien, exacerbée par les difficultés économiques récentes et les attentats du 11 septembre 2001, a poussé le gouvernement et le Congrès à demander à la FAA de réviser profondément ses structures et ses pratiques.

La FAA est ainsi en cours de restructuration et vient de procéder à la séparation des fonctions de régulateur de celles d'opérateur interne à la FAA. La possibilité d'une séparation plus marquée est à l'examen, mais ne semble pas être un objectif politique pour l'instant. De plus, la FAA vient de mettre en place une organisation interne orientée vers la « performance » pour les activités liées aux services de navigation aérienne, et a nommé à sa tête un responsable venant du milieu des compagnies aériennes. Le but de cette nouvelle organisation est de lier la planification et l'exploitation des services de contrôle aérien à des objectifs de performance, but similaire à celui mis en place dans le cadre d'Eurocontrol avec la Commission de revue des performances, la stratégie « ATM 2000+ », ou le Plan européen de convergence et de mise en œuvre. Cette restructuration devrait prendre au moins cinq ans. Un plan national a été mis en place, qui prévoit la création d'une structure multi-agences fédérales82, composée de représentants du Département de la défense, de la sécurité intérieure, du commerce, de la NASA et de la FAA.

Votre Rapporteur rappellera que le Président Reagan a, en 1981, licencié 11 000 contrôleurs sur 13 000, à la suite d'une grève ayant pour objet l'augmentation des salaires, une diminution de la durée du temps de travail et une meilleure retraite. Le Président a utilisé une disposition légale interdisant la grève aux employés fédéraux. Il n'en est venu à cette extrémité qu'après avoir tenté de négocier avec les grévistes et en adoptant des mesures d'urgence pour assurer un service minimum pendant la durée de la grève.

La gestion du trafic aérien aux Etats-Unis est maintenant très différente de ce qu'elle était il y a 20 ans, du fait de l'automatisation poussée des tâches. L'administration Reagan a essayé - en partie sans succès - de faire fonctionner le trafic aérien de façon automatisée, avec un nombre minimum de contrôleurs. On estime maintenant qu'il est erroné de penser pouvoir se passer du contrôleur comme acteur central du contrôle aérien.

Les administrateurs de la FAA, que la délégation de la mission a rencontrés lors de son déplacement, ont confirmé que les Etats-Unis ont dépensé à ce jour plus de 3 milliards de dollars dans l'automatisation des procédures. Une grande partie de ces dépenses a effectivement permis de financer des équipements actuellement en fonction, mais un projet dénommé Système d'automatisation avancé (AAS83) qui a coûté 2,6 milliards de dollars n'a jamais pu être mis en œuvre. Les causes en sont les insuffisances
- avouées - de la FAA et d'IBM, le principal fournisseur. On estime que seulement 1,1 milliard de dollars de ce programme a pu être utilisé, dans des sous-ensembles, 1,5 milliard ayant été dépensé en pure perte.

La FAA reconnaît que, par nature, les aéroports sont une source majeure de risque due à la concentration d'avions, de voitures et de piétons. Un programme spécifique a été lancé pour la sécurité dans les aéroports et l'approche des aéroports est également considérée, par nature, comme une source de risque, pour les mêmes raisons de concentration. Mais, à la différence de l'Europe, les aéroports américains ne sont pas saturés et ne sont pas menacés de l'être à terme. Les raisons en sont autant l'importance de la surface au sol que la meilleure gestion de ces surfaces à proximité des grandes villes.

Malgré les différences naturelles de géographie des deux continents, la FAA n'en a pas moins développé une utilisation « en temps réel » des espaces réservés aux militaires, qui peuvent être rétrocédés temporairement pour des utilisations civiles en cas de mauvais temps, ou d'urgence.

D.- LA NÉCESSITÉ D'UN EFFORT CONTINU EN MATIÈRE DE SÉCURITÉ

Au-delà des aspects sectoriels, des efforts horizontaux sont nécessaires pour maintenir un niveau optimal de sécurité.

1.- Les plans d'action pour la sécurité aérienne

Les deux plans d'action principaux ont un caractère horizontal et sont présentés ci-après.

a) Le programme CAST aux Etats-Unis

Aux Etats-Unis, le programme CAST84 a été mis en place à la suite du rapport établi en février 1997 par la commission sur la sécurité et la sûreté de l'aviation présidée par le vice-président Al Gore. Cette commission demandait notamment au gouvernement et à l'industrie de diviser par 5 le taux d'accident en 10 ans et à la FAA de concentrer la réglementation sur les sujets liés à la sécurité.

Le programme CAST repose sur une coopération entre la FAA et l'industrie américaine (constructeurs, compagnies aériennes, personnels navigants), avec la participation de l'IATA, l'OACI, la Fondation pour la sécurité des vols85, les JAA et l'IFALPA86.

Le processus CAST se décompose en plusieurs phases. L'équipe JSAT87 analyse d'abord les données disponibles sur les accidents (après avoir commencé son travail sur les accidents américains, elle a élargi son étude à tous les accidents à travers le monde). L'équipe JSIT88 a ensuite mis en place les mesures susceptibles d'améliorer la sécurité. Puis l'équipe JIMDAT89 a étudié l'efficacité des actions proposées.

Le programme CAST a présenté des mesures concernant la diminution des accidents CFIT (c'est-à-dire avec un impact au sol sans perte de contrôle), des accidents à l'approche et à l'atterrissage et des accidents dus à une perte de contrôle. Les mesures prises par le programme CAST concernent à la fois la conception des aéronefs (pour la protection contre les pertes de contrôle, par exemple), les procédures des compagnies, les équipements de bord (tels que le TAWS90), ou la formation des pilotes.

L'originalité du programme CAST est de reposer sur des initiatives volontaires des parties prenantes, compagnies aériennes, ateliers de maintenance, contrôle aérien, pilotes... La FAA estime, en effet, que les règles obligatoires sont des minima que les parties prenantes doivent dépasser, grâce à ce type de programmes volontaires d'amélioration de la sécurité.

Ces initiatives volontaires, connues sous le nom de « safer skies » (ciels plus sûrs) sont les suivantes :

- ATOS (système de supervision du transport aérien, mis en œuvre par chaque compagnie aérienne),

- VDP, ASAP et FOQA (programmes de comptes-rendus d'événements et du retour d'expérience),

- AQP (programme de formation pour les pilotes),

- COS (programme développé en liaison avec les constructeurs d'aéronefs).

Le programme CAST estime que les mesures adoptées jusqu'à présent pourraient induire une réduction de 73 % du taux d'accident des compagnies américaines d'ici 2007. La FAA estime que ces améliorations pourraient présenter un retour sur investissement pour l'ensemble de l'industrie américaine (avec une réduction du coût des accidents d'environ 20 $ par vol sur les 76 $ par vol estimés aujourd'hui). Elle a évalué le coût de cette réduction du risque, en précisant qu'une réduction supérieure à 73 % présenterait un coût marginal extrêmement élevé que ni les industriels ni les passagers ne seraient sans doute prêts à supporter.

b) Le programme JSSI en Europe

Sur le modèle de l'initiative américaine, les Européens, regroupés au sein des JAA, ont lancé leur propre programme, JSSI91, en 1998. Celui-ci porte, comme le programme américain sur le CFIT, l'approche et l'atterrissage, la perte de contrôle, la conception, les phénomènes météorologiques, la sécurité et la survie des occupants, ainsi que les incursion de piste.

Sur les points communs des deux programmes, les JAA ont décidé de s'appuyer sur les travaux du CAST et les mesures développées par les Américains ont été adaptées au contexte européen et transformées en plans d'action. Une étude de CAST estime que les plans d'action JAA devraient permettre une réduction du taux d'accident de 62 %. Les autres points ont fait l'objet de groupes de travail spécifiques.

Par ailleurs, constatant que certains accidents étaient dus à des évolutions du système aéronautique dont les conséquences avaient été mésestimées, les JAA ont souhaité mettre en place une approche prédictive, en complément de l'approche historique utilisée par le programme CAST. Les JAA ont donc mis en place au sein de JSSI le programme FAST92 qui a pour objet d'identifier les grands changements auxquels devrait faire face le système aéronautique et les éventuels dangers que ces changements pourraient induire.

Une première étude a été menée sur les conséquences éventuelles de l'automatisation accrue des aéronefs. Avant de tirer des recommandations générales sur une meilleure maîtrise des évolutions, le programme JSSI a souhaité lancer une seconde étude avec Eurocontrol sur les conséquences éventuelles des nouveaux concepts de gestion de l'espace aérien.

L'approche historique, ou rétroactive, est ainsi complétée par une approche prédictive, ou proactive. En effet, l'idée est que l'extrapolation du passé ne suffit pas forcément à prévenir les accidents du futur. On peut citer par exemple le fait que de nouvelles technologies introduisant de nouveaux risques et de nombreux accidents ont mis en exergue la différence entre les hypothèses de conception d'un produit et son utilisation pratique par les acteurs de l'aéronautique.

C'est le SFACT qui participe aux travaux de la JSSI pour la France, et concourt à mettre en œuvre les solutions développées dans ce cadre. Les résultats de la JSSI font l'objet de recommandations qui engagent les différents acteurs ayant participé à ces travaux.

2.- L'effort de recherche aéronautique

L'action de l'Union européenne en matière de recherche aéronautique est portée par les programmes cadres de recherche et de développement (PCRD). Le 5ème PCRD a prévu un budget de 700 millions d'euros pour la recherche aérienne en cinq ans. Prenant conscience de l'importance de la recherche aéronautique dans les enjeux économiques et industriels, notamment au regard de la concurrence entre Airbus et Boeing, dans la sécurité et dans le respect de l'environnement, le Commissaire chargé de la recherche, M. Philippe Busquin, a commandé, en l'an 2000, un rapport sur la « vision de l'industrie aéronautique européenne en 2020 ».

Les responsables d'Airbus, rencontrés à Toulouse, ont attiré l'attention de la mission sur l'importance de cette initiative.

Conformément aux conclusions du rapport, un conseil consultatif ACARE93 a été créé pour présenter un « calendrier de recherche stratégique ». Les objectifs étaient de réaliser un leadership global de l'Europe en matière de recherche aéronautique. Cinq domaines prioritaires ont été identifiés : les infrastructures européennes de recherche, la filière d'offre, la certification et la qualification, l'éducation et la synergie trans-européenne de recherche. En outre cinq défis doivent être relevés : la qualité des services de transport aérien au meilleur coût, la protection de l'environnement, la sécurité, l'efficacité du système de transport aérien et la sûreté.

Le niveau d'ambition d'ACARE a été tout de suite très élevé : diviser par deux le nombre des incidents et accidents d'avion tout en multipliant par deux ou trois le trafic, soit une diminution par cinq du taux d'accidents.

En France en 2002, la DGAC a centré son programme de recherche sur un nombre restreint de thèmes. Deux études, en partie liées aux recommandations du BEA à la suite de l'accident du Concorde, ont été lancées : la première sur l'éclatement des pneumatiques, afin de proposer des améliorations aux règlements de certification ; la seconde sur l'inflammabilité des fuites de carburant et la remontée des flammes vers la source des fuites. Les effets de la contamination du givre et l'établissement des seuils de détection de givre au sol font également l'objet d'un vaste programme de recherche mené en coordination avec les JAA, la FAA et l'autorité de l'aviation civile canadienne.

Il faut également mentionner les travaux du Centre d'études de la navigation aérienne (CENA) que la mission a visité lors de son déplacement à Toulouse le 30 avril 2004.

Le CENA a pour objectif de réaliser des recherches, études et expérimentations pour développer le système de gestion du trafic aérien français dans un environnement européen. Centre public de recherche - ce qui est une exception en Europe -, le CENA participe à de nombreux projets financés sur des crédits européens. Le postulat du CENA, en matière de gestion du trafic aérien, est que le système restera toujours centré sur l'homme. Il n'existera jamais d'avion sans pilote et sans contrôleur aérien.

Une des pistes de recherche du CENA est l'intégration des dispositifs de sécurité au sol et dans l'avion ; ces deux types de dispositifs ne dialoguent pas entre eux actuellement.

Par ailleurs, le CENA travaille, comme toutes les entités de recherche en gestion du trafic aérien, sur les plaques (ou boucles) de James Reason. Sachant qu'aucun système anti-collision n'est parfait, il s'agit de prévoir plusieurs filtres successifs permettant d'éviter l'accident : décideurs, règles, techniques, contrôleurs.

Le CENA travaille également sur ce qu'il est convenu d'appeler les « filets de sauvegarde », c'est à dire les systèmes de prévention des abordages et des collisions. Ce sont des systèmes automatiques d'alerte du contrôleur destinés à prévenir un risque. Ces risques sont la collision avec le CFIT, cause numéro un d'accidents, l'abordage entre aéronefs en vol, rarissime, et l'abordage entre aéronefs ou véhicules circulant au sol. Les systèmes au sol proposés sont le STCA94, pour éviter les collisions en vol, le MSAW95, pour empêcher les collisions avec le sol, et le RIMCAS96, pour éviter les collisions sur les pistes d'aéroports. On a déjà vu que le TCAS est un système embarqué qui complète le STCA au sol. Ces dispositions sont autant de plaques supplémentaires dans le modèle de Reason. Le CENA a expliqué à votre Rapporteur que plusieurs de ces dispositifs sont en cours de déploiement en France.

A plus long terme, le CENA travaille sur un système d'aide à la gestion du travail des contrôleurs aériens (ERATO). S'il ne cherche pas à remplacer le contrôleur par une machine automatique, ce système repousse la frontière entre l'homme et la machine. Il faut savoir que le travail des contrôleurs aériens est encore très artisanal, avec une observation visuelle sur écran radar - certes maintenant très sophistiqué - et l'inscription sur des bandes de papier des tâches à effectuer selon un calendrier étalonné en minutes. Le projet ERATO permettrait aux contrôleurs aériens de se passer des bandes papiers, grâce à une visualisation en surbrillance sur les écrans radar des tâches les plus importantes. Le projet permettrait d'analyser les données reçues par le radar et de générer, par calcul, une liste de tâches à effectuer en anticipant de 8 minutes le moment où elles doivent intervenir. Dans tous les cas la machine propose une décision, et c'est toujours le contrôleur qui décide et donne les ordres aux pilotes.

D'autre pistes de recherche sont explorées comme le couplage d'appareils anticollision avec un appareil de positionnement GPS (EGPWS97), qui complèteront le MSAW.

Les chercheurs du CENA ont attiré l'attention de la mission sur l'importance stratégique pour l'Europe du système de positionnement global, GALILEO, qui est en cours de déploiement mais toujours retardé, faute de financement européen. Votre Rapporteur note que le GPS américain a été financé par le ministère des transports américain alors que GALILEO sera financé en grande partie par les industriels européens...

A encore plus long terme votre Rapporteur a entendu les ingénieurs d'Airbus parler d'intégration air-sol des systèmes anticollision, avec peut-être, un jour, une gestion du trafic aérien embarquée...

Enfin, il faut se rappeler que la recherche est une composante essentielle des entreprises du secteur aéronautique. Ainsi votre Rapporteur a eu connaissance, très récemment du projet d'une petite entreprise qui s'emploie à commercialiser en France et en Europe un procédé consistant à fournir aux aéronefs l'énergie nécessaire aux déplacements au sol et au décollage, en utilisant des sources d'énergie et des mécanismes de transmission non polluants. Ce projet améliore également la sécurité et permet des économies de carburant, d'entretien des groupes motopropulseurs, de trains d'atterrissage et de dispositifs de direction et de freinage au sol.

Votre Rapporteur se félicite bien entendu de tous ces travaux qui permettent d'accroître constamment le nombre d'avions sous contrôle, qui augmentent la sécurité et soulignent l'excellence française. Il s'est néanmoins interrogé, avec les autres membres de la mission, sur le risque d'une dispersion des deniers publics sur plusieurs projets similaires développés simultanément au CENA et dans le centre de recherche d'Eurocontrol, à Brétigny, en banlieue parisienne. Ainsi le projet ERATO est-il directement concurrent du projet MTCD98 d'Eurocontrol portant également sur une assistance à la gestion du trafic aérien. Plutôt que de mettre les équipes de recherche en concurrence, il y aurait sans doute matière à mieux utiliser les synergies pour économiser les moyens...

Proposition : Augmenter les efforts consacrés à la recherche dans le domaine aéronautique, notamment s'agissant de la construction des aéronefs et du développement des équipements embarqués et au sol, en coordination avec le programme communautaire cadre de recherche et de développement, afin de soutenir les industriels dans leurs efforts d'amélioration de la sécurité.

Proposition : S'assurer que l'évolution des normes de l'OACI soit aussi neutre que possible en termes de concurrence entre les différents constructeurs d'avions et, à cette fin, veiller à une meilleure coordination des autorités et institutions européennes concernées.

54 Audition du 11 février 2004.

55 « Airworthiness directives » en anglais.

56 Audition du 31 mars 2004.

57  « National transportation safety board » (Bureau chargé des enquêtes-accidents aux Etats-Unis).

58 Audition du 2 mars 2004.

59 « Joint safety strategy initiative » (Initiative commune stratégique de sécurité).

60 « Commercial Aviation Safety Team » (Equipe de sécurité de l'aviation civile).

61 Communauté des Etats indépendants.

62 Audition du 7 avril 2004.

63 Audition du 11 février 2004.

64 Audition du 16 mars 2004.

65 « Instrument flight rules » en anglais.

66 Audition du 31 mars 2004.

67 Audition du 25 février 2004.

68 « Brokers » en anglais.

69 « Parts manufacturing approval » en anglais.

70 « International air transport association » (Association internationale du transport aérien).

71 « Operational safety audit » (Audit de sécurité en matière d'exploitation de l'IATA).

72 Base nationale de gestion des incidents de circulation aérienne.

73 Voir le rapport d'information n° 1016 du 9 juillet 2003, présenté par M. Yannick Fevennec, rapporteur au nom de la mission d'information sur l'avenir du transport aérien français et la politique aéroportuaire, présidée par votre Rapporteur.

74 Voies de circulations des avions.

75 Audition du 28 avril 2004.

76 Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires

77 « Airborne collision avoidance system » (Système anticollision embarqué) est le système normalisé par l'OACI, par opposition au TCAS « Traffic alert and collision avoidance system » (Système anticollision et d'alerte du trafic) qui est le système américain.

78 « Eurocontrol safety regulatory requirement » (règles d'Eurocontrol en matière de sécurité).

79 Voir le rapport d'information n° 1016 du 9 juillet 2003, présenté par M. Yannick Fevennec, rapporteur au nom de la mission d'information sur l'avenir du transport aérien français et la politique aéroportuaire, présidée par votre Rapporteur.

80 Voir le rapport d'information (n° 392) présenté par M. Thierry Mariani au nom de la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne le 21 novembre 2002.

81 Audition du 28 avril 2004.

82 « Joint planning development office » en anglais.

83 « Advanced automation system » en anglais.

84 « Commercial aviation safety team » (Equipe de sécurité dans l'aviation civile).

85 « Flight safety foundation » en anglais.

86 « Internation federation of airline pilots association » (Fédération internationale des associations de pilotes de ligne).

87 « Joint safety analysis team » (Equipe commune d'analyse de la sécurité).

88 « Joint safety implementation team » (Equipe commune de mise en œuvre de la sécurité).

89 « Joint implementation measurement data analysis team » (Equipe commune d'analyse et de mise en œuvre des données).

90 « Terrain avoidance warning system » (Système anticollision avce le sol).

91 « Joint safety strategy initiative » (Initiative stratégique commune de sécurité).

92 « Future aviation safety team » en anglais.

93 « Advisory council for aeronautics research » (Conseil consultatif pour la recherche aéronautique).

94 « Short term conflict alert » en anglais.

95 « Minimum safe altitude warning » en anglais.

96 « Runaway intrusion monitoring and collision avoidance system » en anglais.

97 « Enhanced ground proximity warning system » en anglais.

98 « Medium term conflict detection » (Détection des conflits à moyen terme).