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N° 2448

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 6 juillet 2005.

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES FINANCES, DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN,

en conclusion des travaux d'une mission d'évaluation et de contrôle (1),

ET PRÉSENTÉ

PAR Mme Marie-Hélène des ESGAULX,

Députée.

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MM. YVES DENIAUD ET AUGUSTIN BONREPAUX, Présidents

sur L'ÉVOLUTION DES COÛTS BUDGÉTAIRES DES DEMANDES D'ASILE (HÉBERGEMENT, CONTENTIEUX, CONTRÔLE
AUX FRONTIÈRES)

(1) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

La mission d'évaluation et de contrôle est composée de : MM. Augustin Bonrepaux, Yves Deniaud, Présidents ; M. Pierre Méhaignerie, Président de la commission des Finances, de l'économie générale et du Plan, M. Gilles Carrez, Rapporteur général ; MM. Pierre Albertini, Pierre Bourguignon, Jean-Pierre Brard, Alain Claeys, Charles de Courson, Jean-Yves Cousin, Jean-Louis Dumont, Jean-Michel Fourgous, Paul Giacobbi, Louis Giscard d'Estaing, Marc Laffineur, Didier Migaud, Mme Béatrice Pavy, MM. Nicolas Perruchot, Jean-Claude Sandrier.

INTRODUCTION 7

I.- LA MISE EN œUVRE DU DROIT D'ASILE EN FRANCE 11

A.- L'AUGMENTATION DU NOMBRE DES DEMANDEURS D'ASILE EN FRANCE, LA STABILISATION OU LA DIMINUTION EN EUROPE 11

1.- L'évolution du nombre des demandes d'asile adressées à la France 12

a) Qui sont les demandeurs d'asile ? 13

b) Les pays de provenance 14

2.- La procédure unique résultant de la réforme de 2003 15

3.-  Un taux faible de reconnaissance du statut 16

4.- La faculté de demander le réexamen 17

B.- LES MOYENS ACCRUS AFFECTÉS À LA RÉDUCTION DU DÉLAI DE TRAITEMENT DE LA DEMANDE 18

1.- La volonté d'abréger les délais à chaque étape de la procédure en apportant de meilleures garanties 18

a) La première phase de la procédure : réduire à quinze jours le délai de présentation de la demande 18

b) L'examen par l'OFPRA : réduire les délais d'examen et préserver la qualité des décisions 19

c) La Commission des recours rattrape son retard mais risque de subir les effets de la « professionnalisation » des recours 21

2.- Les évolutions prévisibles quant à la durée et la conduite de la procédure 22

a) L'adoption d'une liste nationale des pays sûrs 22

b) La directive européenne en cours de négociation 23

3.- Le budget de l'OFPRA et de la CRR 24

4.- L'aide juridictionnelle : limiter la progression des coûts tout en l'accordant aux cas particulièrement dignes d'intérêt 25

C.- LE STATUT DU DEMANDEUR D'ASILE EST COMPARATIVEMENT ATTRACTIF SANS GARANTIR LE BON DÉROULEMENT DE LA PROCÉDURE 26

1.- Affecter un lieu de résidence au demandeur 26

2.- Lier le bénéfice des prestations sociales au respect du lieu de résidence 28

II.- LA PRISE EN CHARGE SOCIALE DES DEMANDEURS D'ASILE 29

A.- L'HÉBERGEMENT DES DEMANDEURS D'ASILE 30

1.- L'engorgement du dispositif national d'accueil dédié aux demandeurs 31

a) La répartition des demandeurs sur le territoire 31

b) Le recours au secteur associatif et au secteur privé hôtelier 32

c) La dispersion des populations aidées entre les différents dispositifs sociaux 34

d) Les perspectives d'accueil au terme de la mise en œuvre du plan de cohésion sociale 35

2.- Instituer une allocation spécifique en remplacement de l'allocation d'insertion 35

3.- Existe-t-il une inégalité d'accès au statut de réfugié selon le mode de prise en charge du demandeur ? 37

B.- LES AUTRES BUDGETS DE L'ETAT 37

C.- LES DÉPENSES DE SANTÉ 38

1.- La couverture maladie des demandeurs d'asile 38

2.- Le coût estimé de la CMU pour les demandeurs d'asile 39

3.- Le passage des déboutés de la demande d'asile du dispositif dédié vers le dispositif généraliste 39

4.- L'aide au retour 41

D.- LES DÉPENSES INCOMBANT AUX COLLECTIVITÉS LOCALES 41

1.- Les mineurs isolés demandeurs d'asile 41

2.- Les autres coûts 43

E.- LES SUBVENTIONS EUROPÉENNES 44

III.- LES MISSIONS RELEVANT DU MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR 45

A.- LES COÛTS INCOMBANT AU MINISTÈRE 45

1.- Poursuivre la mise en œuvre du règlement Eurodac 45

2.- Vers une meilleure connaissance des coûts pour chaque étape de la procédure 46

3.- Mettre fin aux escortes de Roissy à Bobigny 48

4.- Faire échec à la destruction frauduleuse des documents de voyage 48

B.- LES DIFFICULTÉS DE LA RECONDUITE À LA FRONTIÈRE 49

1.- La progression du nombre des reconduites 49

2.- Définir des priorités pour la reconduite à la frontière parmi lesquelles les déboutés de la demande d'asile 50

IV- POURSUIVRE LA RÉFORME DE L'ASILE : OBSERVATIONS ET PROPOSITIONS 53

A.- UNIFIER LES STRUCTURES ADMINISTRATIVES CHARGÉES DE L'ASILE, DE L'IMMIGRATION ET DE LA NATURALISATION 53

B.- INTRODUIRE UNE PROCÉDURE RAPIDE POUR LES DEMANDES PRÉSENTÉES À LA FRONTIÈRE 56

1.- Les contradictions inhérentes à notre procédure 56

2.- L'exemple néerlandais 58

3.- Créer une procédure rapide d'examen au fond de la demande 59

C.- METTRE EN PLACE UN SUIVI DES DEMANDEURS D'ASILE 60

PROPOSITIONS DE LA MISSION D'ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE 61

ANNEXE 1 67

ANNEXE 2 69

ANNEXE 3 71

EXAMEN EN COMMISSION 73

AUDITIONS 79

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 81

INTRODUCTION

La France se trouve aujourd'hui au premier rang des pays d'accueil pour les demandeurs d'asile en Europe. Elle accueille 18 % du nombre total des demandes d'asile enregistrées dans les pays de l'OCDE.

Si l'on tente de résumer l'évolution des flux de demandeurs d'asile à destination de notre pays au cours des dix dernières années, on constate les mouvements suivants : une augmentation des demandes d'asile s'est installée progressivement, culminant pendant les années 1989 à 1991. Au cours de la période de cinq années qui a suivi, le flux des demandeurs d'asile est retombé à un niveau plus habituel (autour de 20.000 personnes par an), qui permettait aux services d'instruction des demandes comme aux structures sociales de faire face aux arrivées sur le territoire français. Mais l'on a assisté à nouveau, à partir de 1997, à une hausse spectaculaire des demandes d'asile ; celles-ci ont atteint le nombre de 59.770 en 2003 et 61.600 en 2004.

Outre l'explosion du nombre des demandes, on constate que la nature de la demande d'asile a évolué : les demandeurs qui étaient en majorité des hommes et femmes seuls se présentent souvent aujourd'hui en couple (véritable ou prétendu) ou accompagnés d'enfants. Ces situations entraînent des conséquences sociales : la nécessité d'héberger et de prendre en charge plus complètement ces familles pendant le déroulement de la procédure, puis, ensuite, la difficulté de faire accéder au logement les réfugiés statutaires et l'obligation de prise en charge sociale et humanitaire des déboutés qui ne seront pas reconduits. À cette catégorie de demandeurs d'asile s'ajoute celle des mineurs isolés, dont le nombre a également augmenté.

La modification brutale de ce flux a entraîné l'embolie du système d'accueil et de prise en charge des demandeurs, qui ne peut faire face et doit recourir à des solutions provisoires insatisfaisantes. Corrélativement, le contingent des personnes déboutées de leur demande augmente également : 50.000 personnes supplémentaires sont devenues expulsables du territoire français en cinq ans, et 65.000 nouveaux rejets de la demande sont prévisibles en 2005.

Ces phénomènes se traduisent logiquement par une progression des coûts représentés par l'hébergement et l'accès aux droits sociaux des demandeurs, progression mal connue, que la présente mission a pour tâche d'éclaircir. L'accueil des demandeurs d'asile est une compétence de l'État, aussi les dépenses relèvent-elles pour l'essentiel de crédits budgétaires. Néanmoins, les départements sont amenés à engager certaines dépenses qui découlent de la gestion de la politique de l'asile ; on donnera comme exemple les prestations de l'aide sociale à l'enfance, ouvertes aux enfants des demandeurs d'asile, et l'accueil des mineurs isolés demandeurs d'asile. Aussi conviendra-t-il d'appréhender les coûts supportés par les collectivités locales, en soulignant dès à présent qu'ils sont difficiles à identifier comme à additionner.

D'autres coûts doivent à notre sens être inclus dans cette étude et faire l'objet d'un suivi : ceux afférents à la prise en charge sociale des personnes déboutées qui restent sur le territoire français, et rejoignent la cohorte des étrangers en situation irrégulière.

La question que votre Rapporteur se posera est celle des raisons de l'attractivité de notre pays par rapport à nos voisins - Grande-Bretagne, Allemagne, Italie - par exemple. La France est certes située au carrefour de l'Europe, du monde méditerranéen et de l'Afrique ; sa compagnie nationale aérienne a un réseau mondial qui dessert aussi bien le Moyen-Orient, l'Afrique sub-saharienne et l'Asie ; elle a l'image de la patrie des droits de l'homme. Cependant, notre taux d'admission à la qualité de réfugié n'est pas supérieur à celui de nos partenaires européens.

Un phénomène est largement constaté : l'asylum shopping, soit la recherche, par un certain nombre de demandeurs, du pays le plus favorable à une utilisation du droit d'asile comme une faille pour se glisser dans le dispositif général d'immigration. Un premier attrait est la durée de nos procédures, qui donne au demandeur d'asile la garantie d'une situation irrégulière pendant plusieurs mois, ou même plusieurs années comme c'était le cas dans la période récente ; cette durée est un encouragement à rechercher des voies d'insertion et d'installation par le travail. D'autres éléments, au sein de nos procédures, de nos pratiques et du statut du demandeur d'asile contribuent à conférer à notre pays ce caractère attractif ; votre Rapporteur tentera de les relever et présentera des propositions pour renforcer l'efficacité de notre politique d'accueil des demandeurs d'asile.

La comparaison avec les pays voisins montre que nous consacrons des sommes très inférieures à celles qu'engagent l'Autriche, la Belgique et la Grande-Bretagne ou les Pays-Bas pour traiter les demandes d'asile avec efficacité et rapidité. En particulier, la procédure ultrarapide britannique est fortement consommatrice en crédits et en personnels.

Au-delà de cette rapidité, qui exige crédits et personnels disponibles, nos partenaires européens ont inclus dans leurs réformes un système de suivi des demandeurs d'asile beaucoup plus précis et qui sera vécu comme beaucoup plus contraignant pour un migrant économique : résidence obligatoire, obligation de se présenter chaque mois au service des étrangers, prestations sociales soumises à conditions voire à remboursement, notamment.

C'est l'ensemble de ces mesures, alliant rapidité de l'examen de la demande et contraintes dans le statut du demandeur, qui ont rendu ces pays beaucoup moins attirants pour les candidats à l'émigration pour des raisons économiques. Il est donc logique que notre pays voie converger ces personnes, dissuadées par les conditions d'accueil rigoureuses mises en place par nos voisins. Votre Rapporteur soulignera que si ces conditions sont rigoureuses, elles n'en restent pas moins humaines et respectueuses des droits de l'homme, comme le montre l'exemple des Pays-Bas.

Votre Rapporteur présentera successivement les trois volets de la prise en charge des demandeurs d'asile. Le premier volet concerne l'accueil et le déroulement de la procédure d'examen de la demande d'asile, qui incombent aux préfectures et à l'établissement public OFPRA placé sous la tutelle du ministère des Affaires étrangères. Le deuxième volet concerne les aspects sociaux de la prise en charge : la compétence en appartient au ministère de l'Emploi, de la cohésion sociale et du logement, et pour une part, aux conseils généraux. Enfin, sont analysées dans le troisième volet les missions et les coûts incombant au ministère de l'Intérieur.

L'ensemble des coûts qui ont été relevés, et qui sont incomplets dans la mesure où la comptabilité analytique n'est encore appliquée qu'à de rares aspects des politiques nationales, avoisine les 900 millions d'euros.

Si certaines des propositions qui seront faites, tant au fil même de l'analyse, que dans la quatrième partie du rapport, permettraient de réduire certains coûts sans que les exigences humanitaires n'en soient amoindries, d'autres peuvent en revanche générer des coûts plus élevés dans un premier temps, afin de rendre notre système d'accueil plus cohérent et plus efficace. Ces dernières, si elles sont adoptées, ne manqueront pas d'entraîner à moyen terme une baisse des demandes d'asile qui ne sont pas motivées par un réel besoin de protection. C'est alors qu'interviendra, dans un deuxième temps, la baisse significative des coûts, observée chez plusieurs de nos partenaires européens.

I.- LA MISE EN œUVRE DU DROIT D'ASILE EN FRANCE

Les demandes d'asile évoquées dans le présent rapport ne concernent que la demande d'asile au sens de la convention de Genève de 1951. En effet, l'asile constitutionnel, inscrit à l'article 53-1 de la Constitution, n'a quasiment pas d'effectivité. Par ailleurs, une forme d'asile plus récente, l'asile territorial, introduite par le législateur en 1998, a été supprimée par la loi du 10 décembre 2003.

A.- L'AUGMENTATION DU NOMBRE DES DEMANDEURS D'ASILE EN FRANCE, LA STABILISATION OU LA DIMINUTION EN EUROPE

Le nombre des demandeurs d'asile a suivi une progression spectaculaire à partir de l'année 1997, ce qui place aujourd'hui la France au premier rang des pays européens, comme le fait apparaître le tableau suivant incluant les mineurs et les demandes de réexamen :

DEMANDE D'ASILE TOTALE
DANS LES PRINCIPAUX PAYS EUROPÉENS CONCERNÉS

Pays

2002

2003

2004

Évolution 04/03

France

58.987

61.993

65.614

5,8 %

Allemagne

71.130

67.848

50.152

- 26,1 %

Grande-Bretagne

110.700

60.050

40.200

- 33,1 %

Autriche

39.350

32.360

24.680

- 24 %

Suède

33.020

31.360

23.160

- 26 %

Belgique

18.810

16.940

15.360

- 9 %

Pays-Bas

18.670

13.400

9.780

- 27 %

Source : Rapport 2004 de l'OFPRA. Consultations intergouvernementales (IGC), chiffres portant sur le total des demandes, mineurs et réexamens inclus.

Le rapport présenté par le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) en 2005 comporte une étude statistique de l'évolution de la demande d'asile de 1999 à 2004 dans les treize pays de l'OCDE principalement concernés par le phénomène de l'asile : douze pays ont vu le nombre de demandes d'asile diminuer à partir de 2001 (voire avant) ; un seul pays continuer à connaître une demande en hausse, la France. Ces statistiques portant sur les huit dernières années figurent en annexe 1 au présent rapport.

Les États-Unis ont accueilli, en 2004, 52.000 réfugiés ce qui traduit une baisse de plus de 25 %. Certains pays européens ont connu une baisse spectaculaire du nombre des demandes d'asile : 41 % de moins au Royaume-Uni en 2003 et une nouvelle baisse en 2004, 75 % de moins aux Pays-Bas en 2004.

Il convient de souligner que nos partenaires ont engagé avant la France des réformes du système de l'asile. Ainsi, les Pays-Bas ont réformé profondément le droit d'asile et la procédure d'examen en 2000, la Belgique a adopté des réformes en 2001, et le Royaume-Uni en 2002.

1.- L'évolution du nombre des demandes d'asile adressées à la France 

L'évolution du nombre des demandes d'asile en France depuis 1981 est présentée dans le graphique suivant :

graphique

L'adoption de la loi du 10 décembre 2003 sur l'asile a entraîné des conséquences sur l'évolution de la demande d'asile. Pour appréhender la demande d'asile en 2003, dernière année de l'« ancien régime », il faut additionner aux 52.000 demandes d'asile conventionnel les membres de la famille et particulièrement les enfants mineurs accompagnants. En effet, l'enregistrement des demandes de ces mineurs accompagnants a été mis en place à partir de 2003 : en les prenant en compte, le nombre total des demandeurs du statut de réfugié politique s'est élevé à 62.000. Si l'on ajoute les 28.000 demandes d'asile territorial, on parvient à une demande d'asile « physique » totale d'environ 90.000 personnes à la veille de la réforme législative. Ce chiffre explique les énormes difficultés rencontrées par les services administratifs et « l'explosion » du système d'accueil.

La mise en œuvre de la procédure unifiée en 2004 aurait pu se traduire par l'addition des deux types de demandes, et donc une demande globale de l'ordre de celle observée en 2003. Or la réforme a semble-t-il permis d'endiguer cette demande globale puisque l'ensemble des premières demandes stricto sensu en 2004 s'établit à 60.300, ce qui traduit une diminution d'environ 3,6 %, mineurs inclus. Les personnes aspirant à l'asile territorial ont donc renoncé à solliciter l'asile sous le régime unifié créé par la loi de 2003.

Ce chiffre permet de rapprocher les données 2004 et celles de l'année précédente, faisant apparaître un reflux de la demande de près de 25 %.

La très forte progression, de presque 10.000 demandeurs par an, observée jusqu'en 2002, laissera place à une stabilisation. Les premiers mois de 2005 font apparaître une baisse des demandes d'environ 12 %.

DEMANDE D'ASILE TOTALE EN 2004

Demandeurs d'asile

50.000

Mineurs accompagnants

7.900

Mineurs étrangers isolés

2.400

Réexamens

7.000

Total

65.600

Cependant, la « demande physique globale » pour l'asile conventionnel reste plus élevée pour cette même année 2004. Cela s'explique par le triplement des demandes de réexamen, qui ont pour conséquence la hausse de 5,8 % de la demande d'asile, ainsi que par la hausse de près de 6 % des demandes de mineurs accompagnants.

a) Qui sont les demandeurs d'asile ?

Statistiquement, celui qui demande le statut de réfugié est un homme, célibataire, de 31 ans. Pourtant, d'autres populations sont présentes dans une proportion croissante.

La demande d'asile familiale constitue un élément nouveau, car le demandeur était auparavant presque toujours un individu isolé, qui faisait ensuite venir sa famille au titre du regroupement. La proportion de demandeurs arrivant en famille, avec conjoint et enfants, s'est accrue notablement, ce qui modifie radicalement la nature de la prise en charge demandée à la collectivité publique. Notre pays a connu des crises d'accueil exceptionnelles comme lors des événements du Kosovo en 1999 ; mais les demandes actuelles, pour lesquelles la prise en charge porte sur des familles entières, avec notamment des enfants à scolariser, (auxquels peuvent s'ajouter les enfants nés en France à cause de la longueur des procédures), constituent une caractéristique nouvelle. Certaines nationalités sont plus fréquemment en famille : les Tchétchènes, les Bosniaques, les Serbo-Monténégrins, les Roms de différents États.

Les mineurs étrangers isolés auraient été, selon les données de l'IGAS, au nombre de 3.100 en 2003 ; en 2004, 2.400 auraient été pris en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance. Ces chiffres ne correspondent pas nécessairement à la réalité car l'enfant étranger isolé n'est pas toujours immédiatement repéré par les structures de protection. Ces mineurs sont pour 61 % d'entre eux originaires d'Afrique noire car les graves conflits qui s'y sont produits ont détruit un grand nombre de familles, les jeunes se trouvant ainsi livrés à eux-mêmes ; beaucoup viennent de République démocratique du Congo et d'Angola. 96 % d'entre eux ont plus de 16 ans et sont donc proches de la majorité, ce qui pose le problème de l'expertise dite de l'âge osseux pour déterminer leur âge réel, méthode qui suscite de vives critiques. Il est pourtant impossible de s'en tenir aux simples déclarations de l'intéressé et il n'existe aucune technique incontestable.

b) Les pays de provenance

Les demandeurs proviennent, pour 60% d'entre eux, d'une dizaine de pays : la Turquie (il s'agit du premier pays d'origine des demandeurs d'asile depuis 2001), la Chine, la RDC, l'Algérie en premier lieu. Ces pays sont énumérés dans le tableau ci-dessous.

DIX PREMIERS PAYS DE PROVENANCE DES PRIMO-DEMANDEURS D'ASILE
2004/2003

12 mois 2004

12 mois 2003

Évolution 2004/2003 %

Turquie

4.409

6.761

- 24,8

Chine

4.188

5.294

- 20,9

Algérie

3.702

2.431

52,3

RDCongo

3.353

4.407

- 23,9

Haïti

3.067

1.403

118,6

Serbie & Mont ;

2.378

1.755

35,5

Russie

2.165

2.147

0,8

Sri Lanka

2.090

1.967

6,3

Moldavie

2.058

1.778

15,7

Bosnie Herz.

2.012

746

169,7

Autres pays

21.125

23.515

- 10,2

Total

50.547

52.204

- 3,2

Toutes données hors mineurs accompagnants

Source : OFPRA rapport d'activité 2004

LES PAYS DE PROVENANCE DES PRIMO-DEMANDEURS D'ASILE EN 2004

graphique

Source : OFPRA, rapport d'activité 2004

2.- La procédure unique résultant de la réforme de 2003

La loi du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile confie à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), établissement public, la mission d'instruire les demandes d'asile conventionnel et d'assurer la protection des réfugiés.

Il est utile de rappeler ici que le régime de l'asile territorial, introduit en 1998 et supprimé en 2003, faisait reposer très largement le déroulement de la procédure sur les préfectures et les ministères des affaires étrangères et de l'intérieur. Les services préfectoraux se retrouvaient devoir faire face à une mission totalement nouvelle, obligés par la loi d'entendre les intéressés, d'organiser et de fixer les rendez-vous. Ces services n'ayant pas été dotés de moyens supplémentaires, la conséquence a été l'allongement des délais de rendez-vous, qui ont progressivement atteint douze, puis quinze, puis dix-huit mois.

La réforme de l'asile réalisée par la loi du 10 décembre 2003 a élargi le domaine d'activité de l'OFPRA. L'une des innovations de la loi a été de confier à l'organisme la tâche d'accorder le bénéfice de la protection subsidiaire à toute personne qui ne remplit pas les conditions d'octroi du statut de réfugié et qui établit qu'elle est exposée dans son pays aux menaces graves énumérées par la loi. Ce nouveau régime prend la suite de l'asile territorial supprimé. En outre, le décret du 21 juillet 2004 a transféré à l'OFPRA le bureau de l'asile à la frontière, auparavant rattaché au ministère des affaires étrangères.

La réforme est entrée en vigueur le 1er janvier 2004. L'OFPRA est à présent l'unique organisme compétent, sorte de « guichet unique » pour recueillir, instruire les demandes et décider d'attribuer le droit d'asile.

Cette unification du régime de l'asile - sur le plan de la protection juridique s'entend - a considérablement allégé et simplifié le dispositif. Cependant, le décret d'application de la loi n'ayant été pris que le 14 août 2004, tous les résultats de la réforme ne sont pas encore pleinement mesurables.

Toutefois, l'on observe que le passage au guichet unique ne s'est pas traduit par une augmentation des demandes, car l'on ne retrouve pas devant l'OFPRA les demandes qui étaient présentées au titre de l'asile territorial. En réalité, cette catégorie de demande, utilisée à 85 % par les Algériens, présentait des facilités quant au statut (et de longs délais de traitement) qui ont disparu dans le nouveau régime.

La protection subsidiaire introduite par la loi de 2003 est d'application très faible puisque 84 admissions ont été prononcées à ce titre au deuxième semestre 2004 et une cinquantaine au premier trimestre 2005. En fait l'extension du champ d'application de la convention de Genève retire beaucoup d'intérêt à la protection subsidiaire contre les traitements inhumains et dégradants, qui permet toutefois, même si cela concerne un faible nombre de dossiers, de prendre en compte de nouvelles problématiques comme les mariages forcés, les mutilations génitales féminines, la prostitution et l'homosexualité.

3.-  Un taux faible de reconnaissance du statut

Le nombre de décisions prises par l'OFPRA est passé de 40.779 décisions en 2001 à 68.100 décisions d'accord et de rejet en 2004. Ces décisions représentent une moyenne mensuelle de 5.700 décisions, auxquelles il faut ajouter environ 10.700 décisions portant sur des dossiers de mineurs accompagnants, soit un total de près de 79.000 décisions.

TAUX GLOBAL DE RECONNAISSANCE DU STATUT DE RÉFUGIÉ

2001

2002

2003

2004

Total décision Ofpra

40.779

50.206

66.344

68.100

Dont accords

5.049

6.326

6.526

6.358

Annulations C.R.R.

2.274

2.169

3.264

Nb global accords

7.323

8.495

9.790

11.292

 % global admission

18,0

16,9

14,8

16,6

Source :Ofpra

L'Office a admis sous protection 11.292 demandeurs en 2004, soit un taux global d'admission de 16,6% en incluant les décisions prises par la CRR. Le taux d'accord en première instance s'établit à 9,3% avec 6.358 admissions. La commission des recours annule environ 12 à 13% des décisions de rejet qui lui ont été déférées.

Le taux d'admission des mineurs isolés est plus élevé : en 2004, le taux d'admission a été de 22,7 %, et de 26,7 % après décision de la CRR. L'histoire et le parcours des jeunes justifient ce taux plus favorable.

La répartition des nouvelles reconnaissances du statut de réfugié accordées en 2004 s'établit comme suit :

CONTINENT D'ORIGINE
DES NOUVEAUX RÉFUGIÉS

Europe

5.491

Asie

1.180

Afrique

4.210

Amérique

336

Section apatrides

71

Total

11.292

La population placée sous la protection de l'OFPRA était estimée, au 31 décembre 2004, à un peu moins de 110.000 personnes, hors mineurs accompagnants. Ce chiffre reflète une hausse de 8,9 % par rapport à 2003, où l'on comptait 101.000 réfugiés statutaires.

Le taux de reconnaissance de la qualité de réfugié ne joue aucun rôle dans l'attractivité de notre pays ; avec en moyenne 10 % de dossiers acceptés par l'OFPRA depuis plusieurs années, le taux français n'est pas supérieur à celui de nos partenaires européens.

4.- La faculté de demander le réexamen

La construction jurisprudentielle du Conseil d'État admet qu'après le rejet, la situation du demandeur peut changer en fonction des évolutions politiques, ethniques ou sociales de son pays et de la situation de sa famille qui y est restée. S'il peut exciper de faits nouveaux, il lui est donc loisible de demander un réexamen de son dossier.

Le nombre des recours à ce titre avait triplé de 2003 à 2004, il n'a que doublé au premier trimestre 2005. Cependant, ce nombre va sans doute remonter puisque la CRR a une activité importante qui se traduira par des rejets supplémentaires.

Ce triplement s'explique par les raisons suivantes. La première est que les déboutés précédents ont demandé un réexamen de leur cas après l'adoption de la loi de décembre 2003 dans l'espoir de bénéficier de la nouvelle protection subsidiaire contre les traitements inhumains et dégradants, suscitant les demandes de réexamen au regard du champ élargi de la protection accordée par la France. Par ailleurs, l'Office comme la CRR ayant accéléré l'examen des dossiers et ayant fortement « déstocké », le nombre de rejets a augmenté comme, en conséquence, celui des demandes de réexamen. Enfin, certaines nationalités utilisent régulièrement la faculté de réexamen, notamment les Turcs.

Si on peut demander le réexamen aussi souvent qu'on le souhaite, celui-ci n'ouvre pas de droit au séjour et un éventuel recours n'a pas de caractère suspensif. Pendant sa durée, le demandeur bénéficie néanmoins de la totalité de la protection sociale instituée au moment de la demande initiale, ce qui, on le soulignera, n'est pas le cas dans d'autres pays européens.

Certaines préfectures doivent faire face à un nombre exponentiel de ces demandes ; ainsi la préfecture de la Seine-Saint-Denis reçoit actuellement 300 demandes de réexamen par mois contre 20 en 2004, et constate qu'il ne s'agit bien souvent que d'une démarche dilatoire pour se maintenir sur le territoire. Mais ce droit, en France, n'est limité que le pouvoir du préfet de classer immédiatement la demande s'il estime qu'elle constitue une manœuvre dilatoire destinée à éviter l'éloignement du territoire. Il serait souhaitable que cette faculté, insuffisamment utilisée, le soit davantage.

Il est difficile de remettre en question la faculté de réexamen. Cependant, il est possible de la rendre moins attrayante pour ceux qui l'utilisent à des fins dilatoires pour demeurer sur le territoire national.

Pour cela, il faudrait soumettre à la procédure prioritaire d'examen devant l'OFPRA les demandes de réexamen pour « fait nouveau ». En outre, il serait souhaitable de diminuer de moitié le quantum de l'aide juridictionnelle dont peuvent bénéficier les demandeurs déboutés une seconde fois par l'OFPRA qui déposent de nouveau un recours devant la CRR. Il s'agit, par cette proposition, de limiter la juridiciarisation du réexamen, demandé pour des motifs dilatoires dans la grande majorité des cas.

B.- LES MOYENS ACCRUS AFFECTÉS À LA RÉDUCTION DU DÉLAI DE TRAITEMENT DE LA DEMANDE

La France se caractérisait, pendant ces dernières années, par des délais d'examen de la demande d'asile particulièrement longs en comparaison avec ses voisins européens, qui ont procédé plus tôt à des réformes. La loi du 10 décembre 2003 et le décret du 14 août 2004 ont imposé des délais impératifs pour l'achèvement de certaines procédures ; ces textes commencent à produire leurs effets, qui seront vraiment sensibles à partir de 2006. Ces réformes avaient été précédées par le renforcement des moyens attribués à l'OFPRA et à la CRR.

1.- La volonté d'abréger les délais à chaque étape de la procédure en apportant de meilleures garanties

Votre Rapporteur examinera les délais imputables aux différents stades de l'accueil du demandeur d'asile : accueil par la préfecture, dépôt et examen de la demande à l'OFPRA et, en cas de rejet, recours devant la Commission de recours des réfugiés. On verra que ces délais se sont considérablement réduits ; il convient cependant dans certains cas d'aller plus loin, comme l'ont fait avant nous d'autres pays européens, considérant que la diminution des délais de procédure entraîne une diminution des demandes dont le but est d'obtenir et prolonger le séjour sur le territoire.

a) La première phase de la procédure : réduire à quinze jours le délai de présentation de la demande

Les demandes d'asile sont généralement présentées dans une préfecture. Les services des étrangers effectuent un premier examen de la situation du demandeur en vue de lui accorder l'admission au séjour, qui se traduit par la délivrance d'une autorisation provisoire de séjour d'un mois afin que le demandeur dépose sa demande à l'OFPRA. Les refus de délivrance obéissent à quatre motifs légaux : demande frauduleuse, menace grave pour l'ordre public, « clause de cessation » de la convention de Genève, demande relevant d'un autre pays partie à la Convention de Dublin.

Le traitement des demandes d'asile constitue une charge de travail très lourde dans certaines préfectures. Treize préfectures reçoivent 73 % des demandes d'asile : il s'agit des départements d'Île-de-France ainsi que du Rhône, des Bouches-du-Rhône, du Bas-Rhin, du Nord-Pas-de-Calais et de quelques métropoles régionales.

Les décrets d'août 2004, en particulier celui relatif à l'admission au séjour, prévoient que les préfectures disposent de 15 jours à partir de la présentation d'une demande pour délivrer l'autorisation provisoire. Certaines, compte tenu de leur charge, sont amenées à donner des rendez-vous, d'autres parviennent à traiter immédiatement le flux d'arrivées. Le demandeur doit parfois revenir pour fournir les documents qui lui ont été demandés, mais dans l'ensemble les délais sont tenus et plusieurs grandes préfectures se sont organisées avec les associations pour une prise en compte de l'hébergement en temps réel.

Ayant reçu le formulaire de demande d'asile, le demandeur dispose d'un délai de 21 jours pour déposer sa demande à l'OFPRA. Votre Rapporteur estime que ce délai, plus long que celui en vigueur chez nos partenaires européens, pourrait être réduit à 15 jours.

Lorsque le demandeur se présente à nouveau à la préfecture, à la fin de son autorisation provisoire, avec le document de l'OFPRA attestant que sa demande est bien prise en compte, il lui est délivré automatiquement un récépissé le maintenant en séjour régulier pendant toute la durée de l'instruction.

Le ministère de l'Intérieur a évalué à 260 le nombre d'équivalents temps plein consacrés à la procédure - accueil, entretien et prise d'empreintes, soit environ six à huit heures de travail par dossier - ce qui représente un coût d'un peu plus de 8,5 millions d'euros, auxquels il convient d'ajouter 1,6 million d'euros pour la préfecture de Paris.

b) L'examen par l'OFPRA : réduire les délais d'examen et préserver la qualité des décisions

En 2001-2002, le délai moyen était de dix mois. Pendant cette période, moins de 40% des demandeurs seulement étaient auditionnés par l'Office.

L'objectif du plan gouvernemental décidé en 2003 consiste à réduire le délai de traitement et, par ce biais, à réduire le flux de demandeurs. Cependant, dès lors que la loi du 10 décembre 2003 a posé le principe de l'audition du demandeur, ce qui est incontestablement une avancée, l'OFPRA devait se confirmer à cette obligation.

Accélérer le délai de traitement devait s'accompagner de la résorption du stock de dossiers en souffrance, c'est pourquoi des moyens supplémentaires ont été alloués à l'Office dès 2001. Le tableau suivant montre la résorption progressive des dossiers en attente, conséquence de l'accroissement du nombre de décisions prises depuis cette date.

ÉVOLUTION DU NOMBRE
DES DOSSIERS EN STOCK DEPUIS 2001

Total stocks

Au 31/12/2001

34.550

Au 31/12/2002

34.590

Au 31/12/2003

22.900

Au 31/12/2004

11.600

Pour atteindre l'objectif de résorption des demandes d'asile en instance, l'Office a réalisé un important effort de productivité et de réorganisation mais a aussi bénéficié du renforcement de ses moyens.

Des recrutements ont été effectués à plusieurs reprises. Des agents contractuels ont été recrutés en 2001 (48 personnes), tout d'abord, dont les contrats ont été reconduits jusqu'en fin 2003. Cette même année, 171 agents supplémentaires étaient recrutés. En 2004, tous ces postes contractuels ont été consolidés et 125 nouveaux emplois ont été créés. Une partie du personnel contractuel, soit une cinquantaine de personnes, a été intégrée, avec ou sans concours, dans la fonction publique.

En 1998, l'OFPRA ne comptait que 262 agents. Au terme des recrutements successifs, les effectifs budgétaires se sont élevés en 2004 à 802 personnes, dont 461 de catégorie A, 66 de catégorie B et 270 de catégorie C. Plus de la moitié des agents (434) sont contractuels, souvent recrutés pour une période d'un an. L'effectif budgétaire total est complété par 67 agents de catégorie C du ministère des affaires étrangères affectés à l'OFPRA.

L'OFPRA indique, en avril 2005, que le nombre de dossiers en attente de décision fin 2004 correspond à un délai de traitement théorique d'environ deux mois (1), estimant donc être à présent en mesure de travailler presque en temps réel. Le stock de dossiers s'élève à 11.600 demandes et semble aujourd'hui stabilisé. Ce délai de traitement a été maintenu pour les premiers mois de 2005, ce qui correspond à 5.000 à 6.000 décisions rendues par mois.

Le délai de deux mois apparaît aujourd'hui incompressible compte tenu des délais de convocation et d'instruction.

Cette accélération du traitement n'a pas empêché de procéder à l'audition des demandeurs, puisque l'OFPRA a atteint, pour les premiers mois de cette année, un taux de convocation de 87 %, pour environ la moitié de présentations effectives. Si on retire du total les dossiers excellents qui font l'objet d'un accord immédiat et ceux qui relèvent de l'article 1 C5 de la convention de Genève (pays assurant le respect des droits de l'homme), cela signifie que la quasi-totalité des demandeurs sont effectivement appelés à faire valoir leurs arguments lors d'entretiens, ce qui offre des garanties accrues car beaucoup de réfugiés ne sont guère accoutumés à une procédure écrite.

Si la demande d'asile a été rejetée par l'OFPRA, le demandeur dispose d'un délai d'un mois pour présenter son recours devant la Commission de recours des réfugiés. Les demandeurs attendent généralement la fin de ce mois pour déposer leur recours, prolongeant d'autant la durée de la procédure, à laquelle il faut encore ajouter quinze jours pour tenir compte de l'acheminement postal. Votre Rapporteur estime que ce délai de recours pourrait sans dommage être abrégé : un délai de 15 jours apparaît suffisant pour présenter le dossier de recours. On notera, même si ce n'est pas un modèle, que la procédure rapide britannique limite le délai d'appel à cinq jours.

c) La Commission des recours rattrape son retard mais risque de subir les effets de la « professionnalisation » des recours

Le surcroît d'activité de l'OFPRA a eu pour conséquence d'accroître le nombre de déboutés, et donc, en aval, le nombre de recours devant la Commission de recours des réfugiés (CRR), juridiction spécialisée compétente pour traiter des décisions prises par l'Office.

La saisine de la Commission a pour effet de proroger l'autorisation de séjour des demandeurs. De fait, on ne connaît pas d'autre exemple d'un tel pourcentage de décisions administratives attaquées devant un juge : 80 % des rejets de l'OFPRA font l'objet d'un recours.

Le nombre de recours devant la juridiction administrative est passé de 34.000 en 2003 à 61.000 en 2004. On assiste de toute évidence à une « procédurisation » croissante de la demande d'asile, les avocats des demandeurs conseillant souvent à leur client de faire appel d'une décision négative, ce qui permet de gagner du temps. La moitié environ des affaires est aujourd'hui plaidée.

À la fin 2004, le stock de dossiers en instance devant la CRR s'élevait à 47.700. Quant aux délais de jugement, ils dépassaient encore douze mois à la fin de l'année dernière. L'effectif de la Commission était de 273 agents en 2004. Le gouvernement a accepté de financer le recrutement de 125 personnes sous contrat d'un an jusqu'à la fin 2005. La CRR compte donc temporairement 398 agents, auxquels s'ajoutent 136 magistrats vacataires composant les formations de jugement, dotées chacune d'un président et de deux assesseurs.

La Commission de recours met donc aujourd'hui en œuvre les mêmes efforts que ceux réalisés par l'OFPRA ; recevant environ 51.000 dossiers par an, elle est aujourd'hui la première juridiction française par le nombre d'affaires jugées. Les moyens exceptionnels disponibles en 2005 devraient permettre de résorber le retard en jugeant environ 74.000 affaires, ce qui réduira les dossiers en instance à 10.000, soit seulement trois, voire quatre mois d'entrées de dossiers.

Le délai moyen d'examen d'un recours par la CRR pourrait donc être ramené, pour le début 2006, à trois mois. Il ne semble guère possible de l'abréger davantage, compte tenu des nécessités d'une procédure juridictionnelle contradictoire. Le rythme des dépôts de recours en baisse (3.400 recours par mois actuellement contre 4.400 en 2004) pourrait contribuer à cette amélioration.

Toutefois, à la fin de l'année, la Commission perdra son renfort en personnel, et la situation pourrait s'avérer à nouveau critique si un flux plus important de demandeurs se produisait.

Une innovation importante de la loi de 2003 n'a été que peu utilisée jusqu'ici : c'est la possibilité d'un rejet par ordonnance, par un juge unique, d'une demande qui ne contient manifestement aucun argument sérieux de nature à remettre en cause la décision de l'OFPRA. Cette procédure s'ajoute aux rejets traditionnels, pour irrecevabilité, de 10 à 15 % des requêtes. Elle ne concerne encore que 5 à 6 % des dossiers, mais elle pourrait jouer davantage, d'autant que le Conseil constitutionnel l'a validée avec un considérant très intéressant aux termes duquel, si elle semble offrir moins de garanties, elle permet de mettre en œuvre le premier droit des demandeurs d'asile : celui d'être jugé rapidement.

La protection subsidiaire prévue par la loi du 10 décembre 2003 n'est pas très utilisée, non plus que l'asile interne. Le Conseil constitutionnel a réduit le champ de cette mesure, mais on peut regretter qu'elle soit peu appliquée, peut être en raison de son caractère nouveau.

Votre Rapporteur considère qu'une modification pourrait être apportée à l'organisation de la CRR : réduire le délai de publication de ses décisions à 10 jours au lieu de trois semaines. En effet, les décisions sont établies, en pratique, à l'issue de la séance, et font, le cas échéant, l'objet d'une révision par le président de section en fin de semaine. L'accélération des délais de lecture fait, il faut le rappeler, partie des objectifs de performance retenus pour l'ensemble des juridictions, elle s'impose aux magistrats comme aux personnels des greffes

2.- Les évolutions prévisibles quant à la durée et la conduite de la procédure

Aussi, si l'on fait la somme des délais afférents aux différents stades, le délai initial, le délai de deux mois de l'OFPRA, le délai de recours d'un mois après la décision rendue par l'OFPRA, puis le délai d'un an d'examen du recours, la durée de la procédure était encore récemment, au total, de seize mois au minimum à dix-huit mois, sinon deux ans. Une telle durée conforte l'attractivité de la France, contrairement à d'autres pays européens.

L'objectif de l'administration est de réduire la durée totale de la procédure à une année : 1 mois pour le dépôt de la demande, 2 mois pour le rendu de la décision par l'OFPRA, 3 mois encore pour le rendu du jugement de la CRR.

Toutefois, dans ces conditions d'accélération des délais et d'accroissement des demandes, il convient de veiller à ce que ces deux organes puissent rendre des décisions de bonne qualité et donc leur maintenir le personnel nécessaire.

a) L'adoption d'une liste nationale des pays sûrs

La notion de pays d'origine sûr figure dans la loi de décembre 2003 comme dans la directive européenne « procédures d'asile » en cours d'adoption. Cependant, les États membres n'ont pu adopter jusqu'à présent de liste commune des pays sûrs, ni même un noyau commun, car chaque État membre a des liens avec un certain nombre de pays. La directive va donc paraître sans liste annexée, mais il est prévu qu'au moment de la parution de la liste européenne, celle-ci s'ajoutera aux listes nationales.

Dans cette situation, certains États ont adopté une liste : l'Allemagne, l'Autriche, le Danemark, l'Irlande, la République Tchèque (dont la liste comprend la Nouvelle-Zélande, l'Australie et les États-Unis), la Grande-Bretagne qui a une liste très importante de 16 pays dont plusieurs lui sont directement liés comme le Bangladesh, le Sri Lanka et l'Inde. La Hongrie et le Luxembourg ont également prévu d'établir une liste mais ils ne l'ont pas encore adoptée.

La loi de décembre 2003 a confié au conseil d'administration de l'OFPRA la responsabilité de déterminer une liste nationale, « dans l'attente » de la liste européenne. Or, en prévoyant que la liste de la France serait établie « dans l'attente » de la liste européenne, la loi nous a de facto privés de la possibilité de garder notre liste nationale, ce que pourront faire la Grande-Bretagne et l'Allemagne.

La liste française a été adoptée le 30 juin dernier ; elle figure en annexe au présent rapport. Un pays est dit sûr quand il veille au respect des principes de liberté, de démocratie, d'État de droit, des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la directive y ajoutant la notion de traitements inhumains et dégradants et exigeant l'existence d'un système de sanctions efficaces contre les violations des droits de l'homme. L'inscription d'un pays sur cette liste ne fait pourtant pas obstacle à ce que ses ressortissants arrivent en France et demandent l'asile, ni à ce que l'OFPRA leur accorde le statut de réfugié.

Les effets pratiques de l'adoption de cette liste auront néanmoins des conséquences sur l'organisation interne de l'OFPRA, puisque les demandes des ressortissants des pays considérés représentent environ 14 % des premières demandes d'asile enregistrées en 2004. Les délais d'examen sont de quinze jours si le demandeur est libre et de 96 heures si le demandeur est placé en détention. D'autre part, l'absence de droit au séjour implique que l'État n'aura pas à verser de prestations sociales aux demandeurs concernés. Cela ne concerne, en fait, que les ressortissants des États qui ne figuraient pas déjà dans la liste des pays pour lesquels la clause de cessation de la convention de Genève s'applique. Enfin, l'absence d'effet suspensif du recours à la CRR devrait permettre de voir diminuer le nombre des recours, pour autant que les demandeurs déboutés soient effectivement éloignés.

Ce caractère non suspensif du recours, plus systématique dans d'autres pays comme le Royaume-Uni, existe déjà en France pour les ressortissants de pays relevant de l'article 1 C5 de la convention de Genève.

b) La directive européenne en cours de négociation

La directive sur les procédures d'asile, qui a fait l'objet d'un accord politique des États membres le 29 avril 2004, si elle est adoptée, renforcera le mouvement de judiciarisation. Elle favorisera un accès élargi à l'aide juridictionnelle, ce qui aura des conséquences sur le fonctionnement de la CRR, car les affaires seront alors vraisemblablement toutes plaidées, alors qu'actuellement, 12 % des requérants prennent un avocat à leurs frais et 38 % bénéficient de l'aide juridictionnelle. La procédure actuelle devant la CRR est déjà assez lourde, du fait des nécessités de l'interprétariat en 103 langues traduites, du fait que 50 % des affaires sont plaidées, et aussi à cause des demandes de réouverture actuellement multipliées par trois.

Il est à craindre que la directive ne parachève la professionnalisation du secteur de l'asile : un étranger qui se voir refuser la qualité de réfugié va systématiquement devant le juge et présente une demande de réouverture quand sa requête est repoussée, tous pouvant s'offrir les services d'un avocat.

Si l'évolution était telle, la commission devrait prévoir l'embauche de 40 personnes pour faire face aux développements de la procédure.

Ce mouvement pourrait également gagner l'OFPRA. Aujourd'hui, comme dans l'ensemble des pays européens, l'entretien du demandeur d'asile avec l'officier de protection permet de préparer la décision éventuellement avec le concours d'un interprète. Cependant, en Allemagne, par exemple, un avocat peut être présent et demander des rectifications au procès-verbal signé par les deux parties. La nouvelle directive pourrait conduire les ONG à accentuer la pression pour que notre dispositif soit modifié, ce qui conduirait à un allongement de la procédure.

3.- Le budget de l'OFPRA et de la CRR

Les effectifs budgétaires de l'OFPRA ont été doublés depuis la crise du traitement de l'asile en 2001 jusqu'en 2005. Dans le même temps les crédits budgétaires ont été multipliés par 2,5. Le montant de la subvention de l'État a également tenu compte du regroupement des services de l'Office sur un nouveau site en 2003 et du déménagement de la Commission de recours des réfugiés dans des locaux loués dans un immeuble neuf à Montreuil à l'automne 2004, faisant augmenter le poste location immobilière. Toutefois, on notera qu'un des trois étages occupés par la CRR doit être restitué cette année, pour un coût induit de restitution de 1,5 million d'euros environ.

Le budget de l'OFPRA s'est élevé à 38,6 millions d'euros en 2004, la part de la subvention de l'État étant de 38,2 millions d'euros. Le montant de la subvention atteint 46,3 millions d'euros dans la loi de finances pour 2005, dont 7,3 millions d'euros de mesures nouvelles et 1,1 million d'euros correspondant à des transferts d'emplois.

Les dépenses de fonctionnement s'élèvent à 37,1 millions d'euros, et la hausse de 10 % constatée s'explique principalement par l'augmentation des dépenses de personnel et la croissance des dépenses locatives (avec la prise à bail d'un nouvel immeuble en 2003), qui deviennent le deuxième poste budgétaire.

Le tableau suivant présente l'évolution des dotations du chapitre 36-30, article 30, qui comporte la subvention de l'OFPRA et de la CRR.

DOTATIONS DE L'OFPRA DEPUIS 2001 (CHAPITRE 36-30, ARTICLE 30)

(en euros)

2001

2002

2003

2004

2005

Dotation

17.047.014

22.867.352

28.501.878

38.197.375

46.348.310

Disponible

20.705.791

29.059.855

28.635.221

42.247.375*

Nd

Variation
(en  %)

+ 10

+ 34

+ 51

+ 11

+ 21

* Un décret d'avance de 3,9 millions d'euros a abondé la subvention du ministère à l'OFPRA en 2004 afin de financer les dépenses relatives au plan de résorption du stock de dossiers en attente à la CRR (recrutement de 125 contractuels sur 4 mois, déménagement de la CRR, dépenses de fonctionnement).

Pour l'ensemble de l'établissement public OFPRA et CRR, le budget pour 2005 s'élève à 53,9 millions d'euros.

Le coût d'instruction de la demande d'asile représentait, en 2004, 321 euros, hors protection. Le coût d'un recours était de 449 euros, ce qui conduit à un total de 700 euros par demandeur d'asile.

4.- L'aide juridictionnelle : limiter la progression des coûts tout en l'accordant aux cas particulièrement dignes d'intérêt

Les requérants devant la commission des recours de réfugiés sont admissibles à l'aide juridictionnelle ; cependant, le bénéfice de cette aide étant subordonné à l'entrée régulière sur le territoire, nombre de demandes d'aide juridictionnelle sont rejetées. En effet, environ 15 % seulement des demandeurs d'asile pénètrent en effet de façon régulière sur le territoire.

En 2004, 5071 décisions ont été rendues par le bureau d'aide juridictionnelle installé auprès de la CRR, 2123 demandes ont donné lieu à une admission et 2742 demandes ont été rejetées.

Le montant de l'aide juridictionnelle allouée pour l'année 2004 est donc de 350.000 euros, sur la base de 169,20 euros par dossier (soit huit unités de valeur s'élevant à 22 euros chacune).

Les coûts imputables à l'aide juridictionnelle sont susceptibles d'augmenter considérablement à l'avenir, en fonction des dispositions de la future directive « normes minimales concernant la procédure d'octroi et de retrait du statut de réfugié », actuellement en cours de négociation entre les États membres.

En effet, l'article 13 de cette proposition de directive se propose d'ouvrir largement aux demandeurs d'asile le bénéfice de l'aide. Or, si l'on ouvrait l'aide aux quelque 38.000 recours traités en une année, le coût total s'élèverait à 6,76 millions d'euros hors TVA et 7,10 millions d'euros TTC. Cette augmentation est à replacer dans le contexte général de la hausse annuelle de 9 % des aides juridictionnelles depuis deux ans, d'une part, et du passage des crédits évaluatifs à une enveloppe limitative dans le cadre de la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001, d'autre part.

Une telle évolution, qui conduirait à multiplier le coût par 20, n'est donc pas envisageable.

La directive permet de formuler des conditions d'accès : ainsi par exemple, l'appréciation « des chances d'aboutir du recours ». On soulignera que cette formulation est peu juridique ; l'inconvénient qu'elle présente est d'obliger en fait à un double examen au fond du dossier, ce qui nécessitera la disponibilité de magistrats plus nombreux au bureau d'aide juridictionnelle de la CRR. Or celui-ci est déjà saturé, si l'on en juge les quelque 7.800 dossiers actuellement en stock, qui hypothèquent d'ailleurs la résorption des recours anciens et la volonté de parvenir à respecter un délai de traitement de trois mois.

Votre rapporteur propose que soient maintenues les conditions tenant à la situation financière du demandeur et à l'entrée régulière sur le territoire, mais en admettant une exception à la deuxième condition : l'aide pourrait être attribuée à titre exceptionnel aux personnes ne remplissant pas la condition de régularité lorsque leur situation apparaît particulièrement digne d'intérêt.

L'aide juridictionnelle devrait en outre être exclue pour les demandeurs issus d'un pays figurant sur la liste nationale des pays d'origine sûrs. Toutefois, là encore, l'attribution à titre exceptionnel pourrait être prévue.

Par ailleurs, afin de contribuer à rendre les demandes de réexamen dilatoires moins attractives, il conviendrait de modifier les règles d'attribution du quantum de l'aide juridictionnelle en réduisant de moitié le nombre d'unités de valeurs attribuées à un recours dans le cadre d'un réexamen,.

Le montant total de l'aide juridictionnelle allouée au ministère de la Justice a été en 2004 de 294 millions d'euros. Le montant dû au titre de la demande d'asile apparaît donc très limité par rapport à ce total ; cependant il faut l'appréhender dans un contexte de progression des demandes en général, auxquelles le ministère de la Justice devra faire face avec une enveloppe de crédits devenue limitative en 2006.

C.- LE STATUT DU DEMANDEUR D'ASILE EST COMPARATIVEMENT ATTRACTIF SANS GARANTIR LE BON DÉROULEMENT DE LA PROCÉDURE

1.- Affecter un lieu de résidence au demandeur 

Notre pays n'impose aucune contrainte au demandeur d'asile en ce qui concerne la préfecture dans laquelle il présentera sa demande et, ensuite, le département dans lequel il résidera.

Cette faculté conduit à des abus ; ainsi, certaines personnes présentent plusieurs demandes dans des préfectures différentes, d'autres choisissent la préfecture qui semble plus favorable ou plus encombrée. Par ailleurs, il arrive que le demandeur se présente à l'OFPRA après plusieurs années de résidence en France. La faculté de choisir son lieu de résidence contribue à l'attractivité de notre pays, car le demandeur peut ainsi s'établir dans le bassin d'emploi de son choix. Cette liberté favorise, il faut bien l'admettre, l'activité des réseaux de passeurs qui organisent l'arrivée du demandeur dans une ville où l'attendra un emploi clandestin ou bien, simplement, une communauté issue de son pays d'origine.

La comparaison avec les autres pays européens montre que nos partenaires ont supprimé cette faculté ou l'ont réduite. Soit le lieu de présentation de la demande est contraint (passage par un centre d'accueil), soit le lieu de résidence est assigné (avec obligation de se présenter à échéance régulière au service des étrangers de ce district), soit les deux.

En Allemagne, le demandeur se voit assigner un logement et ne peut quitter le kreis ; de plus, l'obligation a été faite par le Gouvernement aux Länder de créer des centres d'accueil pour héberger de façon obligatoire les demandeurs. Les pouvoirs publics sont donc contraints de constituer un parc immobilier pour ce logement obligatoire ; bien que les logements nécessaires ne soient pas encore réalisés, il semble que l'annonce même d'une telle contrainte ait contribué à la baisse de la demande d'asile. En Belgique, le demandeur d'asile est soumis à l'obligation de logement en centre d'accueil : à défaut, il perd ses droits sociaux et ne peut pas présenter sa demande. Le programme de construction n'est pas achevé mais la demande d'asile a été, entre-temps, divisée par deux.

Il apparaît que dans ces conditions, déposer une demande d'asile non dans un but de protection, mais dans un but économique, ne présente plus d'intérêt, car la résidence obligatoire empêche en pratique de s'établir dans le bassin d'emploi de son choix.

Votre Rapporteur estime qu'il y a lieu de faire évoluer notre pratique. Les capacités d'hébergement des demandeurs vont augmenter dans le cadre du plan de cohésion sociale : cette augmentation permet d'envisager de confier au préfet l'affectation du demandeur (et de sa famille éventuellement) dans un logement du dispositif national d'accueil. Lorsque le demandeur n'est pas hébergé dans le dispositif d'accueil faute de place, le préfet pourrait décider dans quel département devra résider le demandeur, ce qui permet de contribuer aux efforts de répartition des demandeurs d'asile sur l'ensemble du territoire national, que votre rapporteur évoquera plus loin.

Corrélativement, il conviendrait de confier au préfet l'élaboration, dans chaque département, d'un plan de construction de logements pour les demandeurs d'asile ou de transformation d'emprises existantes. Afin que cet investissement n'incombe pas à l'administration, des solutions devraient être étudiées avec les opérateurs spécialisés, comme la Caisse des dépôts et consignations, quant aux modalités de tels logements qui pourraient trouver une autre destination si le nombre des demandeurs d'asile venait à diminuer.

2.- Lier le bénéfice des prestations sociales au respect du lieu de résidence

L'imposition d'un lieu de résidence doit être accompagnée d'une possibilité de sanction en cas de refus, faute de quoi elle s'avérerait totalement inopérante. C'est pourquoi le bénéfice des prestations sociales devrait être lié au respect de cette résidence, dans les deux cas évoqués plus haut.

On rappellera que dans sa conférence de presse du 11 mai, M. Dominique de Villepin, alors ministre de l'Intérieur, a souhaité une évolution de notre système, affirmant qu'il convenait de « mettre fin à la pratique de certains demandeurs d'asile » qui déposent leur demande dans le département de leur choix, et a proposé de soumettre le bénéfice des prestations sociales à l'acceptation du logement proposé. Votre Rapporteur considère qu'il est urgent de réforme en ce sens notre système d'accueil.

Ce traitement a été adopté en Allemagne et en Belgique où on a lié logement et prestations sociales. On notera que d'autres pays se sont montrés plus exigeants : l'Allemagne a instauré en outre l'obligation pour les demandeurs qui perçoivent des prestations d'effectuer un travail d'intérêt général, la loi britannique permet de contraindre le débouté à des travaux d'intérêt général pour rembourser les aides perçues.

II.- LA PRISE EN CHARGE SOCIALE DES DEMANDEURS D'ASILE

L'autorisation provisoire de séjour ouvre à son détenteur l'accès aux centres d'hébergement du dispositif national d'accueil (DNA) et le certificat de dépôt d'une demande auprès de l'OFPRA donne droit à l'allocation d'insertion, qui ouvre droit elle-même aux prestations d'assurance maladie-maternité du régime général de sécurité sociale.

La direction de la population et des migrations (DPM) du ministère de l'Emploi et de la cohésion sociale est chargée principalement de cette mission de prise en charge. Les moyens en personnel dévolus à la mission sont réduits à quelques personnes. La DPM agit par l'intermédiaire du réseau des DRASS et DDASS dans la mesure où, pour l'essentiel, les crédits consacrés à l'hébergement des demandeurs d'asile font l'objet d'une gestion déconcentrée et sont délégués aux services locaux de l'État, exception faite des cas où la direction signe des conventions directement avec quelques grands opérateurs comme la SONACOTRA ou l'AFTAM.

On rappellera que la Cour des comptes avait analysé le coût des actions d'accueil des demandeurs d'asile et d'intégration des réfugiés pendant les années 1995-1999 (2). L'effort financier de l'État, pour sa partie identifiable, s'était élevé, selon la Cour, à 1,14 milliards de francs pour l'année 1999 (soit 173,5 millions d'euros). Les éléments réunis dans le présent rapport montrent que ces coûts sont aujourd'hui largement dépassés.

Le tableau suivant présente les dépenses effectuées en 2004 en faveur des demandeurs d'asile et des réfugiés statutaires. Ces derniers ne sont pas inclus dans notre étude, aussi les coûts qui s'appliquent à eux ne sont-ils pas pris en compte dans l'évaluation globale.

DÉPENSES EN FAVEUR DES DEMANDEURS D'ASILE ET DES RÉFUGIÉS STATUTAIRES
(Année 2004)

(en millions d'euros)

Exécution 2004

Crédits
LFI 2005

1/ Hébergement

Dispositif national d'accueil (CADA, CPH, centres de transit)

133,97

154,31

Hébergement d'urgence

143,77

28

2/ Aides aux associations

2,21

1,62

3/ Aides financières

Aides diverses (l'allocation d'attente a été supprimée au 01/01/04)

1,48

1,48

4/ Plates-formes et domiciliation

3,53

5,27

5/ Formation (concerne uniquement les réfugiés statutaires) Formation en CPH et fin des actions 2003/2004 pour réfugiés non hébergés en CPH

3,35

-

6/ Budget du SSAE (subvention État) (La part consacrée aux demandeurs d'asile et réfugiés ne peut être identifiée)

16,4

16,4

7/ Allocation d'insertion (les D.A, réfugiés, apatrides et rapatriés représentation 84 % des bénéficiaires en 2003)

187,6

156,93

A.- L'HÉBERGEMENT DES DEMANDEURS D'ASILE

Le système d'accueil français offre deux possibilités aux demandeurs pendant la période d'instruction de leur demande : l'hébergement dans un centre où ils sont pris en charge au titre de l'aide sociale de l'État, ou l'attribution, au demandeur pendant douze mois, d'une allocation d'insertion versée par les ASSEDIC, afin qu'il puisse faire face au coût de son hébergement.

Les crédits consacrés à l'hébergement des demandeurs d'asile sont gérés par la Direction de la population et des migrations (DPM) du Ministère de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. Ces crédits font pour l'essentiel l'objet d'une gestion déconcentrée et sont délégués aux DRASS et DDASS, exception faite des cas ou la direction signe directement des conventions avec quelques grands opérateurs comme la SONACOTRA ou l'AFTAM, spécialisés dans la gestion des foyers de travailleurs migrants mais accueillant à présent une partie de la population des demandeurs d'asile dans des centres d'accueil. Les opérateurs gérant les structures d'accueil sont au nombre de 180 au total.

Le tableau suivant récapitule les crédits consacrés à l'hébergement des demandeurs d'asile, et fait apparaître la sous dotation importante des chapitres concernés depuis trois ans.

HÉBERGEMENT DES DEMANDEURS D'ASILE

(chapitre 46-81 article 60 et 40)

Crédits délégués ou engagés

2003

2004

2005

(en euros)

LFI

Exécution

LFI

Exécution

LFI

Exécution

Montant total

139.695.155

239.864.540,07

15.683.041

277.743.894

182.305.828

78.000.000

dont :

- DNA (CPH et CADA)(1)

120.665.238

115.547.589,89

125.688.749

133.968.402

154.311.530 (2)

8.900.000

- Hébergement d'urgence

19.029.917

124.316.950,18

125.688.749

133.968.402

154.311.530(2)

69.100.000

· gestion centrale

3.060.414

19.024.964,89

7.228.150

17.542.311

7.228.150

5.800.000

· gestion déconcentrée

15.969.503

105.291.985,29

20.766.142

126.233.181

20.766.142

63.300.000

(1) distinction des crédits CADA et CPH non disponible pour 2003 et 2004.

(2) dont CPH :11.920.000 euros

1.- L'engorgement du dispositif national d'accueil dédié aux demandeurs

Le dispositif national d'accueil (DNA) comporte au 1er janvier 2005, 15.719 places. Elles sont occupées à plus de 90 %, les places vacantes ne l'étant que de façon « frictionnelle ». Il s'agit de 15.500 places dans les 220 centres d'accueil des demandeurs d'asile (CADA), de 186 places de transit et de 33 places dans le CAOMIDA réservé aux mineurs isolés demandeurs d'asile.

Dans la répartition par nationalité des admissions nouvelles dans le réseau des CADA - 8 600 admissions au total en 2004, soit, compte tenu du taux de rotation, un peu plus de la moitié des places disponibles - la Russie vient en première place avec 20 % des admissions, suivie par les pays de l'ex-Yougoslavie avec 14 %, la Bosnie, non prise en compte dans les précédents, avec presque 9 %, l'Arménie avec 5,7 %. Le premier pays africain, la République du Congo, n'arrive qu'en cinquième position avec 5,4 %, devant l'Angola : 5,2 %. Suivent la Mongolie - qui représente un cas très étonnant -, le Rwanda et la Géorgie.

Mais, comme chacun le sait, le réseau des CADA est largement insuffisant pour accueillir l'ensemble de la population des demandeurs d'asile n'ayant d'autre choix que celui d'être hébergés par les structures sociales. L'insuffisance des places de CADA conduit à placer des demandeurs dans les structures d'hébergement d'urgence et à recourir au secteur privé hôtelier.

a) La répartition des demandeurs sur le territoire

Les demandeurs d'asile arrivent massivement à la frontière est de la France et à l'aéroport de Roissy, ce qui a provoqué durant un temps une véritable crise dans la région Ile-de-France, qui concentre 45 % des demandeurs d'asile. Les autres arrivées se répartissent dans la métropole lilloise, le couloir rhodanien et le littoral méditerranéen.

La cartographie des demandes d'asile recouvre très exactement la cartographie traditionnelle de l'immigration. Sur une demande totale de 59.000 - 52.000 dossiers plus 7.000 mineurs accompagnants - la région Île-de-France concentre 30.000 personnes, Rhône-Alpes en enregistre un peu moins de 5000, PACA 3.200, Centre 2800, Alsace un peu moins de 1.700. La surreprésentation de l'Île-de-France est particulièrement frappante, de même que la part de Rhône-Alpes. Les difficultés se concentrent dans la région Rhône-Alpes où l'afflux de demandeurs est spectaculaire, dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, où le phénomène est traditionnel, en Alsace et dans le Nord-Pas-de-Calais enfin. Les évolutions les plus récentes montrent une légère diminution de la pression sur l'Île-de-France - 30.000 demandes en 2003 et « seulement » 24.000 en 2004 - au détriment d'autres régions.

Une coordination générale a été instituée par le Gouvernement à partir de 2003, consistant, en liaison avec la DPM, à gérer au mieux la répartition des demandeurs d'asile entre tous les CADA du territoire. Cette mission de répartition, d'abord confiée à l'association France - Terre d'asile, a été transférée à l'Agence nationale d'accueil des étrangers et des migrations (ANAEM), lors de sa création en 2005, par la fusion de l'Office des migrations internationales et de l'organisme associatif qu'était le Service social d'aide aux émigrants.

Le Gouvernement s'est fixé l'objectif de faire passer le taux d'hébergement des demandeurs de 42 % à 55 % entre 2004 et 2006. L'autre but poursuivi est le renforcement de la capacité des régions d'arrivée où le déséquilibre était très important, (principalement en Île-de-France et Rhône-Alpes) mais surtout à répartir sur l'ensemble du territoire la charge que représente l'accueil des demandeurs d'asile : des CADA ont été créés dans toutes les régions et, si possible, dans tous les départements, hormis la Corse. Cependant cette répartition reste encore très inégale : ainsi, la région Île-de-France, avec seulement 2.500 places, souffre d'un déficit d'équipement, source d'énormes difficultés.

Quant aux places d'accueil pour les mineurs isolés, elles sont au nombre de 33 seulement, alors que plus de 2.000 cas sont actuellement examinés annuellement.

b) Le recours au secteur associatif et au secteur privé hôtelier

Le manque structurel de place dans le dispositif dédié pose de nombreux problèmes, le premier étant le recours au dispositif d'urgence hôtelier.

Le recours aux chambres d'hôtel est un des aspects les plus spectaculaires de la crise actuelle : lorsqu'une filière d'acheminement « dépose » dans un département donné plusieurs centaines de demandeurs d'asile supplémentaires par rapport aux arrivées de l'année précédente, le département en question ne peut faire face à cette dépense supplémentaire, aussi la solution la plus rapide est l'hébergement à l'hôtel. Cette solution d'urgence est essentiellement mise en place pour héberger les familles, les enfants en particulier. Plusieurs groupes hôteliers, ainsi que des structures d'économie mixte, se sont portés sur ce nouveau marché.

Une partie de la population des demandeurs d'asile est adressée, ou s'adresse elle-même, aux centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS). Les services sociaux y observent un « effet d'éviction » dans la mesure où les demandeurs d'asile, doués généralement d'une forte capacité à mener leur projet personnel et d'un réel dynamisme, savent chercher et trouver les appuis sociaux dont ils ont besoin au détriment de populations plus fragiles.

La Direction de la population et des migrations doit solliciter des crédits complémentaires obtenus en gestion qui permettent de compléter les enveloppes de financement des CADA par des enveloppes « urgence » financées par ponction sur les fonds de réserve d'établissements publics excédentaires - agence sanitaire, OMI, FASILD - ou par décret d'avance. Ces moyens supplémentaires ont pour objet de financer, par le biais des services déconcentrés, des places d'urgence sous forme de places d'hébergement collectif en foyer ou de nuits d'hôtel.

Le Parlement a dénoncé à plusieurs reprises la sous dotation initiale récurrente du chapitre 46-81, article 60, en loi de finances initiale. Celle-ci oblige à procéder par abondements successifs qui rendent souvent difficile la gestion du dispositif par les associations.

Le coût comparé des différents modes d'hébergement est le suivant :

Le coût moyen d'une place en CADA est exactement de 24,82 euros par personne et par jour. Ce chiffre recouvre l'hébergement et la nourriture (40 %), l'accompagnement social, le transport vers l'OFPRA, le financement des éléments de la scolarisation des enfants et le versement d'une allocation sociale globale pour le financement des petites dépenses de la vie quotidienne. Les frais de personnel s'élèvent à 40 % du coût. Enfin, l'amortissement et les frais de structure s'élèvent constituent les 20 % restants. On notera que par comparaison, une place en CHRS revient à presque 40 euros.

Le coût de l'hébergement d'urgence est quant à lui estimé à un peu moins de 17 euros : cette somme ne correspond qu'à l'hébergement sec, sans accompagnement ni prise en charge des besoins élémentaires : les intéressés sont renvoyés sur les banques alimentaires. Il faut souligner que les coûts de l'hébergement en urgence sont moins bien connus.

Le Haut comité au logement, dans son rapport présenté en 2005, chiffre à 19.000 le nombre de places d'hébergement d'urgence, pour un montant total de 103 millions d'euros. Dans la seule ville de Paris, près de 8.000 chambres d'hôtel ont été répertoriées pour 2004, représentant un coût total estimé de près de 57 millions d'euros, occupées par des demandeurs d'asile et pour moitié par des déboutés. Ce dernier mode est incontestablement un mauvais système : la gestion dans l'urgence rend les gestionnaires totalement dépendants de l'offre hôtelière dont la qualité est extrêmement variable. Pour les demandeurs, il est très difficile de construire un projet à moyen ou long terme dans de telles conditions,

L'objectif gouvernemental est de supprimer totalement la dépense hôtelière. Il est en effet souhaitable de parvenir à une totale adéquation de la capacité du dispositif accompagné à la demande, mais ce sera loin d'être encore le cas en 2005.

c) La dispersion des populations aidées entre les différents dispositifs sociaux

La réalité de l'hébergement des demandeurs est très complexe, car les différentes catégories de population aidées sont totalement mélangées dans les dispositifs d'accueil.

Dans un rapport consacré aux familles déboutées du droit d'asile, l'IGAS a essayé en 2004 d'estimer par des sondages locaux l'importance des populations concernées. D'après les éléments recueillis, on compterait 23.850 demandeurs d'asile hébergés dont 10.350 dans le dispositif dédié - CADA et accueil d'urgence des demandeurs d'asile -, le reste se répartissant dans le dispositif généraliste. S'y ajoutaient 5.400 réfugiés statutaires, dont 1.800 dans les structures dédiées, et 5.950 déboutés ou sans papiers, dont 850 dans le dispositif dédié.

La situation est d'autant plus complexe et difficile à évaluer que l'on trouve dans le dispositif dédié des personnes qui ne devraient plus y être, et dans le dispositif généraliste des personnes qui pourraient avoir droit au dispositif dédié. Selon d'autres évaluations, on trouve dans les CADA 17 % de réfugiés statutaires et 7 à 8 % de déboutés.

Lorsqu'un demandeur se voit accorder le statut de réfugié, il reçoit, dans les trois mois en moyenne, une carte de résident et bénéficie, s'il le souhaite, des droits sociaux communs, RMI notamment, dans un délai d'environ deux mois. S'il se trouve en CADA, il doit quitter cette structure. Néanmoins, de nombreux réfugiés statutaires demeurent dans les centres jusqu'à six mois, d'une part à cause des délais évoqués plus haut, et d'autre part, car ils se heurtent aux difficultés de l'insertion dans le monde du travail et plus encore, aux difficultés de l'accès au logement, aidé ou non.

Le fait pour un réfugié statutaire de demeurer plusieurs mois dans un centre dédié obère évidemment les possibilités d'accueil des nouveaux demandeurs. Néanmoins, cette situation s'explique et peut être regardée comme légitime. En effet, le réseau dédié aux demandeurs était auparavant double : il comportait les CADA pour les demandeurs et les centres provisoires d'hébergement (CPH) pour les réfugiés. Ces derniers comportent 1.028 places, ce qui s'avère aujourd'hui insuffisant. Or, la crise des dernières années a conduit à concentrer tous les moyens sur les CADA sans créer de nouveaux CPH, aussi les places de CPH se retrouvent-elles en fait dans les CADA, dont les gestionnaires ont appris à bien connaître les moyens et les procédures pour aider les réfugiés à accéder au logement social. Les CADA assument désormais une partie de la mission autrefois dévolue aux CPH.

Il n'y a pas lieu de créer de nouveaux CPH. En effet, les réfugiés, logiquement assimilés aux nouveaux immigrants, pourront accéder au service public de l'accueil articulé autour des plates-formes de l'ANAEM. Les réfugiés et leurs familles y seront dorénavant totalement pris en charge, particulièrement pour ce qui touche à l'accompagnement social et à la formation linguistique, auparavant financés dans le seul cadre des CPH.

Les réfugiés aspirent à accéder à l'autonomie, c'est-à-dire au logement et au travail. C'est pourquoi des solutions doivent être imaginées en articulation avec le droit commun dans le logement social privé et public : il serait utile d'étudier la mise en place de dispositifs de garantie. La généralisation d'un fonds de garantie logement, par exemple, répondrait au problème rencontré par les réfugiés à la recherche d'un logement. Le renforcement de l'allocation logement temporaire pourrait, par ailleurs, s'avérer moins coûteux que le coût d'un hébergement dans un CPH. Il conviendrait d'examiner avec attention les propositions des associations, qui prônent la création d'une formule de cautionnement apporté par elles-mêmes, ainsi FTDA par exemple, au bénéfice des réfugiés qui ont une perspective d'insertion.

d) Les perspectives d'accueil au terme de la mise en œuvre du plan de cohésion sociale

Au terme de la mise en œuvre de la loi de programmation pour la cohésion sociale, en 2007, 4.000 places nouvelles devraient être ouvertes dans les CADA et dans les CPH. Le dispositif national devrait alors atteindre 20.000 places. L'objectif du plan gouvernemental, à terme, est de disposer d'une capacité d'accueil à peu près équivalente à la demande d'asile.

Toutefois, l'accroissement des capacités n'a pas pour effet direct que la capacité d'accueil sera de 20.000 personnes. Pour atteindre ce résultat, il faudrait que la durée du séjour des demandeurs n'excède pas un an (le taux de rotation est aujourd'hui de 0,5%). Ramener la durée totale de la procédure à six mois, au lieu de dix-huit mois actuellement, reviendrait à tripler la capacité des CADA, qui passerait de 15.000 à 45.000 personnes. Une telle évolution conduirait à des conditions mieux gérables, et à un accueil amélioré des demandeurs. Toutefois, cela suppose aussi que le nombre des demandeurs diminue parallèlement, pour « s'aligner » sur celui des autres pays européens.

2.- Instituer une allocation spécifique en remplacement de l'allocation d'insertion

L'allocation d'insertion, dispositif de solidarité créé en 1984, vise différents publics et non pas seulement les demandeurs d'asile, même si ces derniers représentent 84 % des allocataires actuels. Le principe en est le même pour tous : assurer un revenu à des personnes qui n'ont pas accès au marché du travail ou qui éprouvent des difficultés particulières, les détenus libérés par exemple.

Pour les demandeurs d'asile, l'allocation d'insertion est attribuée sous les conditions suivantes : une demande d'asile recevable doit avoir été déposée auprès de l'OFPRA ; ils doivent être inscrits comme demandeurs d'emploi dans un délai d'un an après le dépôt de la demande d'asile ; l'allocation est attribuée à la condition de disposer de ressources inférieures à 887,40 euros pour une personne seule et de 1.774,80 euros pour un couple.

Le montant de l'allocation pleine est, au 1er janvier 2005, de 295 euros par mois pour une personne seule, et un couple peut percevoir deux allocations à taux plein sous les conditions de ressources dites. Les enfants peuvent toucher l'allocation d'insertion sous certaines conditions. Aucune condition d'âge n'est fixée précisément, mais le seuil implicite est celui des 16 ans, âge limite de la scolarité obligatoire. Au-delà, un jeune qui poursuit une formation assimilée à une formation initiale ne pourra pas percevoir l'allocation d'insertion, mais il la touchera éventuellement si la formation qu'il suit est considérée comme une insertion professionnelle, ce qui conduit à des distinctions parfois délicates.

En 2004, 49.000 bénéficiaires de l'allocation d'insertion ont été enregistrés, dont 41.258 demandeurs d'asile, lesquels ont donc représenté 86 % de l'ensemble, contre 84,2 % en 2003. La loi de finances pour 2005 prévoit 48.315 bénéficiaires dont 40.680 demandeurs d'asile, pour un coût total de 180 millions, dont 152 millions au titre de l'asile. L'allocation d'insertion est versée par les ASSEDIC pendant douze mois, sur des crédits du Fonds de solidarité logement.

Il convient de souligner que l'impact financier de l'allocation d'insertion s'est accru du fait de l'unification des procédures d'asile opérée par la loi du 10 décembre 2003. L'unification du traitement des demandes d'asile conventionnel et des demandes d'asile territorial conduit à accorder l'allocation également aux demandeurs d'asile territorial jusqu'à présent exclus : le nombre d'allocataires est estimé à 55.600 après l'extension de la couverture, qui devrait résulter prochainement d'un décret.

Votre Rapporteur considère que les conditions d'accès et de versement de cette allocation sont totalement inappropriées au cas des demandeurs d'asile. C'est pourquoi il y a lieu d'instituer en faveur de ce public particulier une allocation spécifique, répondant à des conditions d'octroi adaptées, et limitée à la durée de la procédure d'examen de la demande d'asile.

En outre, il est important que cette allocation soit conditionnée à l'acceptation d'un lieu de résidence par le bénéficiaire. Elle devrait en outre porter un caractère quérable pour le bénéficiaire, élément qui participerait aux possibilités de suivi du demandeur pendant toute la durée de la procédure.

3.- Existe-t-il une inégalité d'accès au statut de réfugié selon le mode de prise en charge du demandeur ?

Selon l'association France Terre-d'Asile, le taux de reconnaissance du statut de réfugié oscille entre 60 et 70 % pour les demandeurs logés en CADA alors que la moyenne n'est que de 15 %, démontrant ainsi selon l'association que seul l'accompagnement spécialisé peut garantir l'effectivité des droits, et que le demandeur logé en CADA a cinq fois plus de chances de se voir attribuer la qualité de réfugié.

En effet, le demandeur reçoit au sein de cette structure une aide administrative et juridique pour la constitution de son dossier. Les dispositions adoptées en 2003 ont rendu plus sévère le formalisme de la demande d'asile : une demande qui n'a pu être présentée complète et motivée en français dans un délai de 21 jours, ne peut être enregistrée. Le taux de non-enregistrement (dossiers déposés hors délai ou incomplets) était de 5 % à la fin de l'année 2004. Être hébergé dans un de ces centres permet notamment d'être assuré de recevoir son courrier, ce qui est plus aléatoire lorsque le demandeur est seulement en lien avec une ONG.

La corrélation faite entre l'hébergement en CADA et l'admission au droit d'asile doit être relativisée. En effet, on trouve surtout dans ces centres des ressortissants de nationalités - Tchétchènes, Rwandais, Bosniaques - à fort taux d'admission. Et on observe un plus faible taux d'admission chez les Chinois, les Turcs, les Sri-Lankais, les Moldaves, qui ne demandent rien aux pouvoirs publics et qui ont leurs propres réseaux et leurs propres communautés.

Par ailleurs, le fait d'être admis en CADA résulte souvent d'un examen préalable du dossier en comité de sélection. Ainsi, ce sont souvent des familles qui y entrent, ce qui renforce la concentration de certaines nationalités et augmente le nombre de décisions favorables.

B.- LES AUTRES BUDGETS DE L'ETAT

Des crédits déconcentrés s'élevant à 11,4 millions d'euros sont inscrits à l'article 50 ; ils contribuent à financer des interventions sanitaires en centres de rétention administrative ainsi que des actions de formation linguistiques, notamment. On soulignera l'intervention d'un décret d'avance en date du 14 juin 2004 : 439.000 euros ont été destinés d'une part à renforcer les moyens des plates formes d'accueil et d'orientation des demandeurs d'asile pour faire face aux besoins rencontrés et, d'autre part, à accroître les interventions sanitaires en centres de rétention administrative compte tenu d'une importante montée en charge du dispositif de la rétention.

L'État subventionne des associations remplissant une mission de service public dans le cadre de conventions passées avec la DPM. Ces associations assurent un accompagnement social et d'assistance juridique des demandeurs d'asile. Des conventions ont ainsi été conclues avec la Croix-Rouge française, le Secours catholique ainsi que France-terre d'asile et la CIMADE. Pour 2005, 1,62 millions d'euros sont versés aux associations.

Certaines associations gèrent des plates-formes d'accueil des demandeurs pour ceux qui ne bénéficient pas d'un hébergement dans le secteur dédié ; ces plates-formes effectuent des tâches liées à l'accueil, domiciliation, courrier, aide juridique. Les subventions à cette fin s'élèvent pour 2005 à 5,27 millions d'euros. Les crédits affectés ont été évalués à 60.000 euros par plate-forme.

Ces montants sont récapitulés dans le tableau de la page 26.

D'autres montants sont beaucoup plus difficiles à prendre en compte : il s'agit notamment de la scolarisation et de la prise en charge sanitaire des enfants de moins de six ans dans le cadre de la protection maternelle et infantile (PMI). Ces dépenses devraient s'accroître avec l'évolution marquée vers une demande d'asile plus familiale.

C.- LES DÉPENSES DE SANTÉ

1.- La couverture maladie des demandeurs d'asile

La couverture maladie des demandeurs d'asile est assurée par la CMU de base et la CMU complémentaire, gérées par la Sécurité sociale. Toutefois, selon que ces demandeurs ont perçu l'allocation d'insertion ou qu'ils ont été hébergés en CADA, en cas de rejet de leur demande, la situation des personnes déboutées est différente quant à la prise en charge des frais médicaux.

Les demandeurs d'asile hébergés en CADA ne bénéficient pas de l'allocation d'insertion, ils sont affiliés à la CMU de base sur critères de résidence et bénéficient, s'ils en font la demande, de la CMU C.

Si leur demande d'asile a été rejetée, ces personnes perdent ces droits ; elles peuvent le cas échéant bénéficier de l'AME.

Les demandeurs d'asile non hébergés en CADA perçoivent l'allocation d'insertion : cette allocation est un revenu de remplacement au sens du code du travail. Le montant de cette allocation (300 euros par mois environ) leur permet de bénéficier de la CMU C.

Si leur demande a été rejetée, ces personnes sont en situation irrégulière et devraient relever de l'aide médicale de l'État. Toutefois, elles bénéficient au titre de la perception antérieure de l'allocation d'insertion d'un maintien de droit aux prestations en nature des assurances maladie maternité du régime général : leurs soins ne sont alors pris en charge qu'à concurrence du tarif de responsabilité. Elles se retrouvent paradoxalement dans une situation moins favorable que les demandeurs d'asile déboutés qui avaient été hébergés en CADA. En revanche, elles perdent également le droit à la CMU C.

2.- Le coût estimé de la CMU pour les demandeurs d'asile

Le fonds CMU ne dispose pas d'éléments spécifiques d'identification des demandeurs d'asile, ni même des étrangers.

Le régime de la CMU de base est « fondu » dans le régime général. La prestation moyenne remboursée par an s'élève à 1.953 euros pour les bénéficiaires de la CMU, contre 2.995 euros pour les bénéficiaires de l'aide médicale de l'État (AME) et 1.504 euros pour les autres bénéficiaires du régime général (1.071 euros redressés pour avoir une structure par âge identique). Le coût total de la couverture sociale des demandeurs d'asile peut donc être évalué à 175,7 millions d'euros, sur la base approximative de 90.000 demandeurs d'asile en cours de procédure en 2004, en se fondant sur la prestation moyenne remboursée de 1.953 euros.

S'agissant de la CMU complémentaire, une tentative d'évaluation par extrapolation, de portée limitée, a été faite par la Direction de la Sécurité sociale en appliquant aux demandeurs d'asile en cours de procédure le coût moyen annuel de la CMU C par bénéficiaire (soit 320 euros en 2004). Sur la même base de 90.000 demandeurs d'asile, le coût total de la CMU C serait pour ceux-ci de l'ordre de 28,8 millions d'euros.

Il convient de rappeler que, en 2004, le coût total de la CMU C est supérieur à 1,5 milliard d'euros pour quelque 4,7 millions de bénéficiaires. Pour 2006, le coût moyen de la CMU C par bénéficiaire est chiffré à 350 euros.

Ces coûts, liés au nombre de demandeurs d'asile en cours de procédure, peuvent évidemment diminuer si la CRR poursuit l'accélération des délais d'examen à laquelle elle s'est engagée.

3.- Le passage des déboutés de la demande d'asile du dispositif dédié vers le dispositif généraliste

Les déboutés hébergés en CADA doivent quitter ces structures, ce qu'ils ne font généralement qu'après plusieurs mois.

Par la suite, ils peuvent solliciter le système social de droit commun en appelant le 115 ; les opérateurs ne leur demanderont pas leur situation administrative, leur rôle étant de traiter des situations de détresse. Bon nombre d'étrangers en situation irrégulière sont ainsi pris en charge dans les centres d'hébergement de droit commun. Les opérateurs sociaux ne distinguent pas les trois catégories d'hébergés : les demandeurs arrivés dans les CHRS faute de place en CADA, les bénéficiaires du droit d'asile, même si ceux-ci n'y restent jamais bien longtemps, et les déboutés.

Un rapport de l'IGAS présenté en janvier 2004 évaluait à 265.000 les personnes déboutées du droit d'asile de 1998 à 2003, et qui se trouveraient toujours sur le territoire français. À la fin de l'année 2005, ce nombre est estimé à 440.000 déboutés. Parmi elles se trouvent 18.000 familles représentant 62.000 personnes (selon les données de la fin 2003).

La mission a estimé à 6.000 le nombre de personnes déboutées prises en charge par l'aide sociale au titre d'un hébergement. Le coût global de cette prise en charge s'élevait à 43 millions d'euros ; l'hébergement s'effectue le plus souvent à l'hôtel, au coût moyen de 17 euros par jour et par personne, modalité assez coûteuse, le prix des chambres étant mal négocié. La mission soulignait l'absence de perspective de sortir de cette situation pour les familles déboutées, faute d'une régularisation, absence de perspective qui contribue à l'impossibilité de maîtriser les coûts.

Les personnes déboutées de la demande d'asile peuvent bénéficier de l'aide médicale de l'État. Il n'existe pas d'indications statistiques sur la part respective des différentes catégories de population bénéficiaire de l'AME, mais il ressort des estimations de l'IGAS, faites par sondages, que les déboutés constituent de 20 à 25 % de l'ensemble des bénéficiaires. Ils sont donc loin d'être la majorité. Leur nombre pourrait s'accroître avec l'accélération des procédures d'instruction des demandes d'asile.

Les dépenses au titre de l'AME ont connu une très forte montée en puissance au cours des dernières années. La tendance à la baisse du nombre de bénéficiaires, annoncée avec optimisme par le Ministère de la Solidarité à la fin de l'année 2004, ne s'est pas maintenue. Ce nombre, qui était 170.000 au dernier trimestre 2003, avait diminué pendant toute l'année 2004 pour s'établir à 146.000 au dernier trimestre 2004, mais il est remonté à 158.600 au premier trimestre 2005. La tendance à la baisse des dépenses s'est cependant poursuivie au premier trimestre, sans que l'on parvienne à les contenir dans la dotation budgétaire. Estimée en moyenne glissante sur quatre trimestres, la dépense était de 515 millions au premier trimestre 2004 ; elle est de 383 millions pour ce premier trimestre 2005.

Pour le public des demandeurs d'asile déboutés, le montant des dépenses peut donc être évalué entre 76 et 128 millions d'euros.

Votre Rapporteur, en sa qualité de rapporteur des crédits de la solidarité, soulignera que le Parlement a apporté des correctifs au système actuel de l'AME par deux dispositions législatives adoptées en lois de finances rectificatives pour 2002 et 2003. Malgré les demandes insistantes du Parlement, les décrets nécessaires à l'entrée en application d'une partie de ces correctifs n'ont pas encore été pris par les Ministères de l'Emploi et de la solidarité et de la Santé.

4.- L'aide au retour

L'aide au retour volontaire et assisté présente un bilan assez faible, qui se développe néanmoins. Le dispositif prévoit plusieurs prestations matérielles et financières, ces dernières étant le versement d'un pécule d'environ 150 euros par adulte et 46 euros par enfant. Le rythme annuel est actuellement de près de 1.500 retours aidés. Ce volet est géré par l'OMI, aujourd'hui intégré dans la nouvelle Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations (ANAEM).

Les programmes de réinsertion mis en place depuis 1996 n'ont pas eu beaucoup de succès. Il semble qu'environ 450 projets économiques aient été financés depuis cette date, pour un coût global avoisinant 1,5 million d'euros.

Votre Rapporteur considère que cet aspect de la question doit faire l'objet d'une attention accrue et de la recherche de modèles étrangers instructifs. Il convient d'entreprendre une véritable relance des retours volontaires. Le montant de l'aide au retour devrait être augmenté pour être plus attractif : la comparaison du pécule avec le coût du séjour en France d'un débouté parle d'elle-même. En outre, la charge des personnes déboutées, que soit vers une régularisation ou vers une aide au retour, pourrait être fortement améliorée si une unification des services compétents était réalisée : elle fait partie des propositions que votre Rapporteur présentera à la fin du présent rapport.

D.- LES DÉPENSES INCOMBANT AUX COLLECTIVITÉS LOCALES

Diverses prises en charge incombent aux collectivités locales, car le code de l'action sociale et des familles ne fait pas de distinction entre mineurs français et étrangers. Elles concernent d'abord les mineurs étrangers, qu'ils soient demandeurs d'asile ou non.

1.- Les mineurs isolés demandeurs d'asile

Le nombre de mineurs étrangers isolés en France s'est accru depuis dix à quinze ans. Une mission d'inspection de l'IGAS a effectué en 2005 une enquête auprès des conseils généraux ; 64 départements y ont répondu, dont on peut penser que ce sont les plus concernés. Il en ressort qu'au 30 septembre 2004, près de 2.500 mineurs étrangers isolés étaient présents dans ces 64 départements, et quelque 1.200 jeunes majeurs, avec lesquels avaient été signés 11 % de tous les « contrats jeunes majeurs ». Ces mineurs ont fréquemment été acheminés par des filières des pays de l'Est, de Chine - afin de leur faire gagner de l'argent- ou africaines- afin de fuir la guerre ou l'insécurité dans leur pays.

Le nombre de demandes d'asile présentées par les mineurs augmente également. Selon les statistiques de l'OFPRA, elles sont passées de 300 au début 2001 à 845 en 2002, et plus de 1.200 en 2004. Les travailleurs sociaux observent que cette augmentation est la conséquence de l'accès plus difficile à la nationalité française depuis la loi du 26 novembre 2003. Le taux d'accès à la qualité de réfugié s'établit, selon l'enquête, à 33 % pour les mineurs isolés, et se limite à 14 % pour les jeunes majeurs.

Ce phénomène engendre des coûts budgétaires, mais ils sont limités par rapport à la prise en charge par l'aide sociale à l'enfance (ASE). Ces coûts sont ceux de l'accueil de 33 mineurs étrangers isolés au CAOMIDA, financé par le ministère des affaires sociales, du LAO de la Croix-Rouge à Taverny, qui accueille une trentaine de mineurs étrangers isolés sortis de la zone d'attente de Roissy, enfin, moins facilement repérables, les contributions qui découlent de l'activité normale des services, ceux de l'éducation nationale et des services de santé par exemple.

Dans certains départements, les plus sollicités, c'est-à-dire ceux de l'Ile-de-France, le Rhône, les Bouches-du-Rhône, le Nord et la Gironde, l'arrivée de nombreux mineurs étrangers isolés a pour conséquence la saturation des foyers d'accueil d'urgence que tout département doit avoir à disposition. Certains fonctionnent au-delà de la capacité autorisée, et l'ASE est conduite à héberger les jeunes autrement ; les garçons proches de la majorité sont hébergés à l'hôtel, par exemple.

La mission d'inspection a considéré que, en fonction de la volonté d'insertion manifestée par le jeune, la durée moyenne de séjour pouvait être de 200 ou de 300 jours. Pour le prix de journée, l'échelle suivante a été retenue : 200 euros en accueil d'urgence, 150 euros en foyer classique, 100 euros en famille d'accueil et 50 euros à l'hôtel (en prix moyens approchés). Faute d'éléments sur la répartition globale des modes de prise en charge, la mission a retenu deux hypothèses : un prix de journée moyen de 100 euros et un prix de journée moyen de 130 euros. La combinaison des différentes hypothèses permet d'estimer le coût annuel de la prise en charge des quelque 3.700 mineurs étrangers isolés et jeunes majeurs, pour l'ensemble des 64 départements qui ont répondu à l'enquête et qui sont ceux où vit la majeure partie de ces jeunes, à une fourchette comprise entre 75 et 120 millions d'euros.

Un tiers environ de ces jeunes sont demandeurs d'asile : le coût de leur prise en charge se situerait donc entre 25 et 40 millions d'euros par an.

Les mineurs étrangers isolés ne peuvent accéder au travail que sur une décision prise par la préfecture, qui examine le cas qui lui est soumis et autorise la régularisation. Il semble que selon les départements, la régularisation s'avère difficile ou presque impossible ; or, lorsque l'insertion professionnelle est refusée, le jeune se trouve dans une situation de non droit, qui le conduit vers le travail clandestin et parfois vers une exploitation avérée. Votre Rapporteur considère qu'il serait souhaitable de permettre un meilleur accès à la formation professionnelle et éventuellement à un travail d'intérêt général pour ces mineurs isolés de plus de 16 ans.

2.- Les autres coûts

Les enfants de demandeurs d'asile bénéficient de l'application du droit commun en matière de prestations de l'aide sociale à l'enfance (ASE), à la charge des départements. Il apparaît que l'application des articles 40 et suivants du code de la famille et de l'aide sociale est inégale suivant le département de rattachement du demandeur, ce qui soulève des difficultés d'interprétation dans nombre de départements.

Certains membres de la mission d'évaluation et de contrôle s'interrogent sur une propension des services préfectoraux à se décharger sur les conseils généraux de la prise en charge d'enfants étrangers ne relevant pas de la solidarité départementale, faute de moyens supplémentaires disponibles en cas d'arrivées nombreuses dans le département. Les divergences de vues qui s'élèvent entre les préfectures et les élus, et qui donnent parfois lieu à des recours, conduisent à demander une clarification des responsabilités financières en ce domaine.

Les coûts d'hébergement, bien qu'incombant à l'Etat, doivent être pris en charge par les départements et les villes lorsqu'une crise intervient sous l'impact d'une arrivée massive de demandeurs d'asile.

La ville de Blois illustre particulièrement le phénomène d'explosion des coûts d'hébergement auquel une municipalité peut être confrontée. Cette ville de 50.000 habitants a fait face, en 2003 et en 2004, à 450 arrivées. Pour assurer un hébergement d'urgence à ces demandeurs d'asile, la ville a dû effectuer une avance de trésorerie à l'État. Faute de centre d'urgence et l'absence de possibilités de réquisition, l'hébergement à l'hôtel s'est imposé, où les personnes se trouvent depuis juin 2003, leur demande n'ayant pas encore été traitée. Faute d'avoir préalablement négocié un tarif de groupe, les coûts sont élevés. Le fait que les plates-formes associatives soient implantées uniquement dans les villes chefs-lieux empêche en outre de répartir cette population sur tout le territoire. L'explosion du coût de l'hébergement, suivi grâce à des tableaux hebdomadaires, conduit aujourd'hui la ville à renoncer à certaines aides sociales.

E.- LES SUBVENTIONS EUROPÉENNES

La France a accès au fond européen pour les réfugiés qu'elle utilise pour financer des associations venant en aide aux demandeurs d'asile dans leurs démarches administratives. Pour être éligibles à ces subventions, ces associations doivent créer des « plateformes d'accueil » respectant un cahier des charges établi par le ministère délégué à la Cohésion sociale et à la Parité.

2003

2004

2005

Total

Dotation annuelle du Fonds

42.271.000

42.271.000

46.452.250

130.994.250

Crédits utilisés par la France

5.067.825

4.041.961

4.419.370

13.529.157

 %

11,99

9,56

9,51

10,33

III.- LES MISSIONS RELEVANT DU MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR

Les coûts indiqués ci-après résultent d'estimations établies à partir du coût structurel total incluant le traitement des étrangers en situation irrégulière sur le territoire. Ce coût total est rapporté à la population particulière des demandeurs d'asile. Dans le cadre de la nouvelle présentation de la loi de finances, le ministère de l'Intérieur met en place des indicateurs de suivi qui permettront d'établir le coût des demandes d'asile pour le réseau préfectoral. L'on disposera donc de coûts plus précis à l'avenir.

A.- LES COÛTS INCOMBANT AU MINISTÈRE

1.- Poursuivre la mise en œuvre du règlement Eurodac

Depuis janvier 2003, l'Union européenne dispose d'une base centrale d'empreintes digitales des demandeurs d'asile afin de vérifier qu'aucune demande n'a déjà été déposée ailleurs et de déterminer quel État membre doit examiner le dossier au fond, en vertu des dispositions de la Convention de Schengen et du règlement européen de Dublin II. En 2004, sur 54.000 prises d'empreintes, soit 4.500 par mois, ont été identifiées, en moyenne mensuelle, quelque 400 personnes déjà enregistrées, principalement en Allemagne, en Autriche, en Belgique, en Pologne, en Italie et, pour 8 % des cas, dans d'autres préfectures françaises. Ce système permet donc de connaître la géographie des entrées sur le territoire européen et de savoir avec plus de certitude quels pays connaissent une progression des entrées de demandeurs d'asile sur le territoire européen.

Toutefois, dans notre pays, l'équipement des préfectures et des points de contrôle de la Police aux frontières prend du retard, car seulement 14 bornes d'interrogation du système Eurodac ont été installées en préfecture, pour un coût d'achat moyen de 38.000 euros. L'acquisition de cinq à sept bornes supplémentaires est programmée pour 2005, mais n'a pas encore commencé. Or presque tous les départements devraient être équipés d'une borne d'accès afin d'appliquer le règlement européen.

En particulier, l'aéroport de Roissy n'en dispose pas : il serait souhaitable que la Police aux frontières puisse en bénéficier dans les plus brefs délais, afin d'être plus efficace et de gagner du temps dans les procédures de vérification menées pendant le délai de rétention. En effet, en l'absence de borne, les empreintes sont relevées sur papier, puis les séquences sont numérisées et transmises au Luxembourg via le point de contact national, situé au sein de la direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'Intérieur.

Ceci est d'autant plus important que le passage à la seconde phase d'Eurodac impose aux États membres de prendre désormais en compte non seulement les demandeurs d'asile mais aussi les étrangers entrés irrégulièrement et maintenus sur le territoire pour un motif juridique incontestable.

Votre Rapporteur a constaté que les statistiques montrent un meilleur usage du système Eurodac par nos partenaires que par la France : les Pays-Bas ont procédé, en 2004, à la remise de 254 demandeurs d'asile à la France, alors que notre pays n'en a remis que 554, ce qui est comparativement peu considérant le décalage des deux pays en termes de territoire et de flux migratoires. Il est donc souhaitable de poursuivre le plan d'équipement prévu. Il est également très souhaitable que les préfectures fassent pleinement jouer les dispositions du règlement afin de remettre les demandeurs d'asile aux autorités du pays compétent « au fond », même si cela nécessite un échange de procédures assez complexe - qui exige une journée de travail pour un agent. Le coût structurel de cette journée de travail sera en tout état de cause moins élevé que la prise en charge du demandeur pendant toute la durée de la procédure dans notre pays.

2.- Vers une meilleure connaissance des coûts pour chaque étape de la procédure

Tout d'abord, le coût du contrôle aux frontières extérieures est évalué à 123,3 millions d'euros.

La fonction de soutien à la demande d'asile en administration centrale est exercée par dix-huit personnes : son coût est estimé à un peu moins d'1,2 million d'euros.

Il a déjà été indiqué que le traitement dans les préfectures a été évalué à 260 équivalents temps plein, soit un peu plus de 8,5 millions d'euros, et 1,6 million d'euros pour la préfecture de Paris.

Les coûts documentaires n'ont pas été évalués ; ils varient selon les documents et leur degré de sécurisation : 293.000 papiers - autorisations provisoires de séjour et récépissés de demande d'asile, ceux-ci étant renouvelés tous les trois mois - ont été imprimés en 2004.

En 2004, le coût budgétaire de la zone d'attente de Roissy - maintenance, restauration, nettoyage, sécurité extérieure, loyer, autres dépenses, interprétariat, prestations médicales, convention avec la Croix-Rouge et charges de personnel - a atteint 13.094.459 euros. Partant de la constatation selon laquelle un peu plus du quart des personnes placées en zone d'attente sont des demandeurs d'asile à la frontière, la part que représentent ces derniers dans le coût de fonctionnement de la zone d'attente est évalué à un peu plus de 3,7 millions d'euros (3).

Le coût par journée et par individu, sur la base de 36.852 jours d'hébergement, s'élève à 355 euros, considérant que cette zone d'attente fonctionne avec 97 fonctionnaires de police nationale, également chargés des escortes, sur le millier d'agents affecté au contrôle de la frontière à Roissy.

Le coût de fonctionnement de la zone pourrait diminuer à l'avenir car il est lié à un marché forfaitaire passé avec la société privée GTM. Ce marché a été passé fin 2002 pour un montant de 5,8 millions d'euros qui correspondaient à une occupation très importante de la zone, où étaient alors retenues 500 à 600 personnes pour une capacité de 180 places. Le prochain marché sera inférieur, se basant sur une occupation de la zone d'attente plus conforme à ses capacités.

La subvention versée à la Croix-Rouge pour sa présence en zone d'attente (seize permanents) atteint 1.077.884 euros, imputée sur le budget des affaires étrangères. Il convient de prendre en compte également le versement de 1,5 million d'euros à la CIMADE, association conventionnée, au titre de son action d'assistance auprès des étrangers dans les centres de rétention.

Le coût de fonctionnement des centres de rétention administrative n'est connu qu'en partie.

En 2004, 15.660 étrangers ont été éloignés à partir des centres de rétention administrative (les CRA), mais aucune comptabilisation n'est faite en ce qui concerne le débouté du droit d'asile au sein des étrangers en situation irrégulière car tous font l'objet du même type d'arrêtés, l'interpellation étant faite sur réquisition préfectorale. Un logiciel de suivi de la rétention permettra, fin 2005, d'opérer un suivi analytique. Les cinq centres gérés par la police aux frontières - Coquelles, Lille-Lesquin, Lyon, Hendaye et Sète - totalisent 258 places, soit un peu plus du quart du total en métropole, et représentent un coût de fonctionnement, de personnel et d'escorte de 16.064.140 euros en 2004. Le bilan consolidé prenant en compte les CRA placés sous la responsabilité des autres directions de la police et de la gendarmerie n'est pas connu. Le coût total de l'ensemble des centres pourrait avoisiner les 60 millions d'euros, mais il s'agit d'une estimation très approximative car deux modes de gestion coexistent et peuvent aboutir à des coûts différents d'un centre à l'autre.

Deux structures sont chargées de l'éloignement. Le bureau d'éloignement du ministère de l'intérieur est chargé de choisir les avions, de vérifier la procédure voire d'assister les services extérieurs pour la délivrance des laissez-passer consulaires. L'unité nationale d'escorte et la cellule de coordination opérationnelle sont chargées de la reconduite matérielle des étrangers à la frontière. Ces structures auraient un coût total de 5.731.158 euros par an, l'essentiel étant constitué par des coûts de personnel.

Il convient d'y ajouter les frais de dossiers demandés par les consulats de certains pays pour la délivrance des laissez-passer consulaires, qui s'élèvent à 45 à 60 euros par document. Certains consulats ne délivrent que 10 à 15 % des laissez-passer demandés, taux qui s'améliore progressivement à la suite d'interventions appuyées des ministères de l'Intérieur et des Affaires étrangères.

Les dépenses d'éloignement directes - billetterie, escorte voire location d'aéronefs - ont atteint 34.100.719 euros en 2004.

Le coût d'une reconduite à la frontière s'analyse de la façon suivante : le coût des services, ceux du billet d'avion et de l'escorte s'élèvent à 2.600 euros par personne, auxquels il faut ajouter le coût de l'hébergement en centre de rétention administrative et les frais annexes comme les soins médicaux. Le coût d'interpellation accroît considérablement ce montant, mais il ne peut être établi aujourd'hui faute de calcul en coûts complets.

3.- Mettre fin aux escortes de Roissy à Bobigny

Un aspect du fonctionnement de la zone d'attente pour les passagers en instance (ZAPI) de Roissy appelle un commentaire de votre Rapporteur. Les personnes retenues, demandeurs d'asile ou non, qui contestent le maintien dans la zone d'attente ou la prolongation de la rétention sont déférées au tribunal de grande instance de Bobigny. Cette présentation donne lieu quotidiennement à un transfert des requérants, accompagnés de leur famille éventuellement, et de leurs bagages, jusqu'au tribunal. Ce transfert est effectué dans des autocars loués, avec d'importantes escortes d'agents de la police aux frontières. Pour éviter ces transferts de caractère pénible pour les requérants et coûteux pour l'administration (1,3 million d'euros par an), une salle d'audience parfaitement adaptée a été construite il y a trois ans, jouxtant le bâtiment de la ZAPI. Or cette salle n'a encore jamais été utilisée, ce qui oblige à la poursuite des transferts sous escorte.

Votre Rapporteur considère qu'il y a lieu de tenir les audiences judiciaires dans cette salle d'audience aussitôt les améliorations d'accès pour les magistrats et les avocats effectuées. Il paraît inutile d'attendre la construction d'une deuxième salle d'audience, semble-t-il demandée par les magistrats, car sa nécessité ne pourrait découler que de l'usage.

Cette nouvelle organisation beaucoup plus rationnelle et plus humaine pour les requérants, et qui ne saurait nuire à la sérénité des magistrats ou des avocats, permettra d'affecter les emplois d'agents libérés par la suppression des escortes à des tâches beaucoup plus utiles comme le contrôle à la sortie de l'avion pour les vols sensibles.

4.- Faire échec à la destruction frauduleuse des documents de voyage

L'une des majeures difficultés du contrôle aux frontières extérieures, et qui rend particulièrement difficile l'examen de la situation du demandeur d'asile, est la perte ou la destruction volontaire des documents de voyage. Votre Rapporteur considère qu'il convient de mettre à l'étude une disposition législative établissant la reconduite immédiate pour tout étranger fraudeur non muni des documents de voyage nécessaire. Une telle disposition, très dissuasive à l'encontre des faux demandeurs d'asile, est applicable dans d'autres États membres, au Royaume-Uni notamment. Également afin de lutter contre les fraudes, il serait souhaitable d'étudier selon quelles modalités les agents de la police aux frontières pourraient accéder aux logiciels des compagnies aériennes pour obtenir des informations sur le trajet suivi par les demandeurs d'asile.

B.- LES DIFFICULTÉS DE LA RECONDUITE À LA FRONTIÈRE

Lorsque tombe la décision définitive - le plus souvent de la CRR, le Conseil d'État, qui nécessite le concours d'un avocat, étant très rarement saisi -, l'abri juridique que constitue le statut de demandeur disparaît et l'individu débouté est invité par la préfecture, qui avait enregistré sa demande et accordé le titre de séjour, à quitter la France dans un délai d'un mois.

NOMBRE DES DEMANDEURS D'ASILE DÉBOUTÉS PAR LA CRR

2000

2001

2002

2003

2004

2005
Prévisions

2006
Prévisions

23.000

-

28.000

39.000

45.000

64.000

34.000

Certains déboutés quittent le territoire, d'autres pas, auquel cas les préfectures émettent des arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière, mis en œuvre par les autorités de police suivant la procédure de droit commun : interpellation, prise en charge dans un centre de rétention administrative et mise en œuvre de la procédure de reconduite proprement dite. La spécificité du demandeur d'asile disparaît : s'il se maintient sur le territoire, il devient tout simplement un étranger en situation irrégulière.

Les arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière notifiés par voie postale sont en nombre croissant depuis quatre ans, comme le montre le tableau suivant :

ARRÊTÉS PRÉFECTORAUX DE RECONDUITE À LA FRONTIÈRE
NOTIFIÉS PAR VOIE POSTALE (1998-2004)

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

APRF

Notifiés par voie postale

27.134

21.730

20.306

19.889

20.619

23.191

30.578

Source : Ministère de l'Intérieur

1.- La progression du nombre des reconduites

Les personnes faisant l'objet d'un arrêté préfectoral ou d'une décision judiciaire de reconduite à la frontière sont prises en charge dans un CRA à la suite d'une réquisition préfectorale : en 2004, plus de 22.000 réquisitions ont été signifiées, pour seulement 15.900 éloignements effectifs.

Les mesures d'éloignement sont peu nombreuses, notamment si l'on rapproche leur nombre au seul nombre des déboutés, qui ne sont qu'une partie des étrangers en situation irrégulière. Il faut néanmoins souligner leur progression, puisqu'elles sont passées de 8.000 en 2001 à 15.900 en 2004. Dans le cadre de la lutte contre l'immigration illégale, le ministre de l'Intérieur a fixé l'objectif de 23.000 éloignements pour 2005. Le passage de l'unité d'escorte à 200 fonctionnaires doit également être approuvé.

Pourtant, à la suite de la réduction des délais de jugement, on se trouvera, à la fin de cette année, avec 64.000 nouveaux déboutés, qui s'ajouteront aux personnes déboutées les années précédentes, comme le montre le tableau ci-dessus.

La reconduite se heurte en pratique à différentes difficultés. On évoquera notamment la capacité insuffisante des centres de rétention administrative - le gouvernement a décidé de porter le nombre de places à 1.600 à la fin de l'année. Une proportion des personnes déboutées ne peut être reconduite dans l'État d'origine : cet État n'existe plus, la représentation consulaire est absente sur le territoire national ou si elle est présente, se refuse à délivrer un laissez-passer consulaire, les liaisons aériennes ne permettent pas cette reconduite.

Les personnes déboutées présentent parfois devant le tribunal administratif un recours à l'encontre de l'arrêté préfectoral de reconduite à la frontière : il serait souhaitable de supprimer le caractère automatique de l'effet suspensif de ce recours, afin de décourager les recours dilatoires.

Le réalisme conduit à considérer qu'une partie de ces milliers de personnes déboutées entrera dans la clandestinité ou, pour certaines, bénéficieront d'une régularisation. Une autre conséquence des retards imputables aux années passées est aujourd'hui l'explosion des demandes de naturalisation dans certains départements, comme en Seine-saint-Denis.

2.- Définir des priorités pour la reconduite à la frontière parmi lesquelles les déboutés de la demande d'asile

Le nombre de demandeurs d'asile déboutés effectivement reconduits n'est pas connu, faute d'être recensé par les services des étrangers des préfectures ou par la police aux frontières. Les statistiques du ministère de l'intérieur sont quant à elles constituées par un état global des arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière, qu'ils concernent ou non les demandeurs d'asile. Il semble que seulement 20% des déboutés fassent l'objet d'une reconduite à la frontière.

Votre Rapporteur considère que les mesures d'éloignement doivent obéir à certaines priorités, et non plus dépendre seulement des possibilités pratiques d'éloigner une personne. Ainsi, les déboutés de la demande d'asile devraient figurer au rang de ces priorités, dans la mesure où une décision administrative ou judiciaire a été rendue à leur encontre.

Par ailleurs, les préfectures ne sont pas, aujourd'hui, tenues informées de la fin de la procédure d'examen et donc du déboutement du demandeur si tel est le cas. Pourtant, la reconduite pourrait intervenir plus fréquemment si les services préfectoraux pouvaient préparer, dans les jours qui précèdent la décision de la CRR, la reconduite à la frontière du débouté en demandant notamment le laisser passer consulaire nécessaire. C'est pourquoi il serait souhaitable qu'une information systématique des préfectures soit faite, portant sur la date de convocation du demandeur à l'audience devant la CRR, puis sur la teneur de la décision aussitôt celle-ci rendue publique. Cela favoriserait la rapidité de traitement en matière d'éloignement, particulièrement dissuasive pour les personnes qui ont contourné la loi par la demande d'asile.

Il serait également logique de réduire à quinze jours à compter de la fin de la procédure le délai d'exécution de l'arrêté préfectoral de reconduite à la frontière pour les demandeurs d'asile hébergés dans le dispositif national d'accueil.

Au contraire, la reconduite des familles installées depuis des années en France s'avère difficile. Les membres de la famille du débouté sont comme lui reconductibles à la frontière, comme l'a établi clairement la jurisprudence du Conseil d'État, et la famille n'est donc pas un obstacle de droit, cependant elle devient un obstacle de fait lorsqu'elle est installée et relativement insérée dans la société, les enfants fréquemment bien intégrés à l'école. Plus le séjour de la famille en France est long, plus la reconduite est difficile.

Certains déboutés bénéficient d'une régularisation de leur situation. On estime que 27,8 % des régularisés en 2003 seraient d'anciens déboutés du droit d'asile, contre 17 % en 1999 et 23 % sur la période de régularisation de la loi RESEDA. Autrement dit, un quart à peu près des régularisations bénéficie à des étrangers qui n'avaient pu accéder au statut de réfugié.

IV- POURSUIVRE LA RÉFORME DE L'ASILE : OBSERVATIONS ET PROPOSITIONS

On se souviendra que la France a déjà dû faire face, dans les années 1989 à 1991, à une très forte hausse du nombre des demandeurs d'asile, s'élevant jusqu'à 61.000 demandes en 1989. À l'époque, deux mesures avaient été prises, qui avaient entraîné une moindre attractivité de notre pays : le renforcement de l'OFPRA qui a pu doubler le nombre de ses décisions en 1990 et 1991 et la suppression du droit au travail pour les demandeurs d'asile par une circulaire du Premier ministre du 26 septembre 1991.

Ces mesures avaient amené une forte baisse de la demande. La démarche de qualité engagée par la suite a suscité l'allongement des délais et, jointe aux crises internationales, a eu pour conséquence l'augmentation des demandes et la crise du traitement qui perdure jusqu'à aujourd'hui.

De nouvelles mesures doivent être prises aujourd'hui. Non seulement l'attractivité de la France est source de coûts budgétaires importants, mais le fonctionnement de notre système d'accueil des demandeurs d'asile aboutit à des aberrations et à une grande hypocrisie. D'abord, on contraint l'État à traiter de plus en plus de demandes dans un délai de plus en plus bref : les moyens supplémentaires dont ont été dotées les structures compétentes ne seront pas pérennes, aussi pourra-t-on douter, à terme, de la capacité à traiter le flux de demandes. Ensuite, si 85 % des demandes sont rejetées in fine, on peut légitimement se demander pourquoi ces personnes ont été admises pendant près de deux ans (souvent plus longtemps encore) sur le territoire, avec l'obligation pour la collectivité publique de pourvoir à leur logement et à leur fournir l'aide nécessaire en l'absence d'activité rémunératrice ? Enfin, la très grande proportion des personnes non reconduites à la frontière conduit à se demander pourquoi il a été voté une loi contre l'immigration irrégulière.

L'ensemble des causes procédurales, matérielles et psychologiques mises en évidence dans le présent rapport explique l'attractivité de notre pays.

A.- UNIFIER LES STRUCTURES ADMINISTRATIVES CHARGÉES DE L'ASILE, DE L'IMMIGRATION ET DE LA NATURALISATION

Notre organisation administrative en matière d'asile reste très éclatée, quatre ministères au moins étant directement concernés par la politique de l'asile :

- le ministère de l'Intérieur, qui intervient en amont (entrée sur le territoire, procédure d'admission au séjour) et en aval (éloignement des déboutés) de la procédure d'asile conventionnel ;

- le ministère des Affaires étrangères, dont dépend l'OFPRA ;

- le ministère de la Justice, avec la CRR ;

- le ministère de l'Emploi et de la solidarité, à travers notamment sa direction de la population et des migrations (DPM) et l'Anaem, agence en charge du service public d'accueil des étrangers. Ce ministère finance l'accueil des demandeurs d'asile et gère du point de vue économique et social l'immigration légale.

Pour remédier à cet éparpillement, un préfet et un administrateur civil chargé de mission ont d'abord été placés auprès de l'OFPRA. En mai 2005, dans le cadre du plan de maîtrise de l'immigration décidé par le Gouvernement, a été installé le Comité interministériel de contrôle de l'immigration. Ce comité peut siéger sous la présidence du Premier ministre ou du ministre de l'Intérieur. Un réel effort de coordination de la politique interministérielle de l'immigration a donc été entrepris.

Néanmoins, on peut craindre que ces premiers efforts restent insuffisants pour donner une cohérence d'ensemble aux multiples aspects des politiques concernant les étrangers, pour conférer une autorité à nos choix politiques et une efficacité dans l'application de nos décisions.

C'est pourquoi la réponse aux enjeux d'aujourd'hui, qui ne sont pas seulement liés à l'importance des coûts de nos politiques, est la création d'une direction générale réunissant l'ensemble des agents qui définissent et mettent en œuvre les politiques de l'asile, de l'immigration, de l'aide au retour et de la naturalisation. Cette réorganisation s'impose d'autant plus que la politique de l'asile ne peut plus être envisagée sans tenir compte des autres politiques concernant les étrangers.

Votre Rapporteur s'est rendu aux Pays-Bas afin d'étudier la manière dont ce pays avait réformé sa politique d'accueil des demandeurs d'asile, d'une part, et les services définissant et mettant en œuvre l'ensemble des politiques concernant les étrangers. Ce pays a adopté le schéma d'une administration unique, réunissant les différents services appelés à intervenir dans ces politiques.

Cette administration est placée sous l'autorité d'un ministre délégué, placé sous la tutelle du Ministre des Affaires étrangères ou de la Justice. Dirigée par le ministre pour l'immigration et l'intégration, elle est placée sous la tutelle du ministre de la Justice, comme l'explique l'encadré ci-joint.

Votre Rapporteur souligne la cohérence et l'autorité qu'impliquent une telle organisation ; le suivi humanitaire de la personne y semble en outre beaucoup mieux assuré, puisque le passage d'un statut juridique à l'autre se traduit concrètement par la transmission du dossier à un autre service dans un même bâtiment avec une liaison entre les agents beaucoup plus immédiate. Ainsi une personne déboutée du droit d'asile qui peut être reconduite à la frontière pourra voir son cas examiné par le bureau de l'aide au retour, et, si elle ne peut être reconduite à la frontière pour des raisons humanitaires ou autres, elle verra son cas examiné par le bureau de la régularisation.

L'exemple néerlandais de l'IND

Les Services de l'immigration et de la naturalisation (Immigratie Naturalisatie Dienst - IND) sont placés sous la tutelle du Ministère de la Justice mais se trouvent sous l'autorité du Ministre pour l'immigration et l'intégration, actuellement Madame Rita VERDONK. L'IND est un ensemble de directions réunissant les services chargés de l'immigration au sens large, en scindant le stratégique et le tactique. Le directeur de l'IND, anime ses services en vue de préparer et orienter la politique sur les étrangers sous la responsabilité et la direction de la Ministre pour l'immigration et l'intégration.

À ce titre, l'IND œuvre pour que la loi et les règlements relatifs aux étrangers soient compris de tous, même des étrangers, et appliqués. L'institution est garante des droits et devoirs des étrangers séjournant sur le territoire néerlandais, que ce soit au titre du séjour régulier ou au titre de l'asile. L'IND émet également ses conclusions sur les demandes de visa déposées dans les représentations diplomatiques néerlandaises à l'étranger. Elle statue enfin sur les naturalisations.

En conséquence, l'IND est une vaste structure regroupant en son sein des services qui en France sont distincts : DLPAJ, Préfecture (services des étrangers-naturalisation), OFPRA, MAE (service en charge des consultations visas).

Les partenaires de l'IND sont la maréchaussée royale et la police des étrangers, mais également le Ministère des affaires étrangères et l'Organisation Internationale des migrations (OMI).

Dans les municipalités, un guichet pour les étrangers séjournant depuis plus de trois mois et sollicitant un titre de séjour, traite les demandes de naturalisation et alimente la base de données administrative assurant la traçabilité des étrangers (fichiers couplés entre eux, consultables par les grandes administrations).

C'est pourquoi il devrait être étudié une réorganisation de tous nos services appelés à intervenir en ce domaine, dans l'objectif de créer une telle direction générale.

Cette direction réunirait l'OFPRA, une partie de la DFAE (Ministère des affaires étrangères), une partie de la DLPAJ (Ministère de l'Intérieur), une partie de la DPM (Ministère de l'Emploi et de la solidarité), ainsi que l'ANAEM,. Des officiers de police judiciaire pourraient être mis à disposition par le ministère de l'Intérieur. Un bureau d'études restreint chargé d'effectuer des études précises et actualisées sur la situation dans les pays et régions d'origine des demandeurs d'asile pourrait être adjoint ; car il semble aujourd'hui que les directions géographiques du ministère des affaires étrangères ne participent pas à l'élaboration des éléments d'information disponibles pour le traitement des dossiers.

Une telle organisation présenterait de nombreux avantages. Outre la cohérence évoquée plus haut, le renforcement des compétences d'analyse permettrait par exemple de mieux apprécier l'existence ou non, dans le pays d'origine du demandeur, d'une partie du territoire permettant son retour sans crainte d'être persécuté. Le recours à l'asile interne pourrait ainsi être utilisé plus souvent. Elle permet enfin une meilleure gestion des agents, qui peuvent être affectés à d'autres tâches si la demande d'asile vient à diminuer.

B.- INTRODUIRE UNE PROCÉDURE RAPIDE POUR LES DEMANDES PRÉSENTÉES À LA FRONTIÈRE

La procédure d'admission sur le territoire au motif de la demande d'asile, malgré la cohérence apparente de la procédure et l'efficacité des efforts déployés par la Police aux frontières pour contenir les tentatives d'entrée irrégulière sur le territoire, conduit pourtant, dans la pratique, à un détournement de procédure et à un « effet de passoire » incontrôlable.

1.- Les contradictions inhérentes à notre procédure

L'asile à la frontière est une procédure autonome par rapport à l'application de la Convention de Genève, qui peut toutefois déboucher sur une admission au titre de l'asile, à charge pour l'intéressé, une fois admis sur le territoire, de présenter une demande formelle devant l'OFPRA.

Les demandeurs d'asile à la frontière se présentent, pour 93 % d'entre eux, à l'aéroport de Roissy, plus grand poste frontière de France, qui a drainé en 2004 51 millions de passagers, dont plus de 80 % à l'international hors Schengen, grâce au système de correspondances (« hub ») d'Air France. D'autres demandes d'asile sont présentées à Orly - 4,5 % de cette catégorie - et dans les ports et aéroports de province - 2,5 % seulement.

Les autorités ont reçu à Roissy 2.513 demandes en 2004, contre 5.633 l'année précédente, ce qui traduit une diminution de 55 % (en 2001, 10.500 demandes y étaient présentées). Parmi ces quelque 2.500 personnes qui ont demandé l'asile à leur entrée sur le territoire national, 1.100 ont émis leur requête spontanément - ou plutôt dès qu'elles ont compris, lors du contrôle initial, que leur irrégularité était découverte - tandis que les autres étaient refoulées au cours de leur passage en zone d'attente. Les demandeurs d'asile ont été accompagnés de 336 mineurs ; par ailleurs 155 mineurs isolés ont été accueillis.

Au cours des dernières années, des mesures ont été adoptées pour les vols en provenance de pays sensibles, en sus des aubettes, à la porte des avions : ce contrôle avancé permet de détecter les passagers qui se sont débarrassés de leurs papiers dans l'avion en espérant ensuite échapper aux autorités dans la zone internationale, avant le contrôle initial, avec ou sans complicité. Ces mesures de contrôle, ainsi que l'instauration du visa de transit aéroportuaire, ont permis la baisse importante du nombre de demandes, soulignée plus haut.

Dans un tel cas, l'étranger est maintenu en zone d'attente pendant que le ministère de l'Intérieur vérifie que « sa demande n'est pas manifestement infondée » (4)., après avoir reçu l'avis d'un des agents de l'OFPRA présent en permanence sur place. Cet avis est rendu dans 96 % des cas sous quatre jours et dans 90 % sous 48 heures.

Le tableau suivant permet de confronter le nombre des avis favorables à l'admission sur le territoire (3,75 % en 2003 et 14 % en 2004) au taux global de l'admission qui sera accordée au demandeur, pour une raison ou une autre (67,5 %).

DEMANDES D'ASILE À LA FRONTIÈRE

Nombre de demandes enregistrées

Nombre avis rendu par MAE

Taux global admission
(en   %)

Avis admission émis par MAE
(en   %)

1998

2.484

2.272

79,00

51,00

1999

4.818

3.193

85,80

49,90

2000

7.413

5.262

87,40

38,50

2001

10.379

7.018

93,00

38,00

2002

7.754

6.678

71,40

79,70

2003

5.914

5.914

67,5

3,75

Total

38.762

30.337

73,30

18,70

Source : DCPAF

Ce hiatus montre à quel point les efforts de rigueur entrepris par la Police aux frontières dans la lutte contre l'immigration clandestine sont mis à mal par le jeu des procédures que peut invoquer le demandeur pour pénétrer sur le territoire français. Les responsabilités sont multiples, comme le montre le tableau joint en annexe 3 au présent rapport.

L'inquiétude s'accroît si l'on considère que parmi les personnes admises à la frontière au titre de l'asile seules 15 % d'entre elles concrétisent leur démarche en présentant réellement une demande en préfecture.

Le nombre des demandes d'asile à la frontière a certes beaucoup diminué. Cependant, il faut envisager l'avenir : le Hub de Roissy est destiné à accueillir 80 millions de passagers en 2008. Par ailleurs, les vols « à risque », qui sont aujourd'hui 150 par jour seront plus fréquents ; ainsi par exemple, deux vols quotidiens en provenance de Chine sont prévus à partir de cet été, les personnes en provenance de ce pays constituant aujourd'hui le nombre le plus élevé de non-admission à la frontière.

C'est pourquoi une procédure adaptée aux caractéristiques de cette situation doit être prévue.

2.- L'exemple néerlandais

L'exemple des réformes engagées par nos partenaires européens doit être pris en compte, sans qu'elles constituent nécessairement un exemple. Ainsi, le Royaume-Uni a adopté, pour accélérer le traitement de ces dossiers, une procédure rapide dite fast track, qui se déroule dans des centres fermés concédés au secteur privé. Cette procédure est efficace, mais onéreuse.

Votre Rapporteur a étudié le système néerlandais de traitement des demandes d'asile à la frontière, qui apparaît l'un des plus cohérents et efficaces, ayant en outre la caractéristique d'être proche de nos traditions juridiques. Ce système sera ici brièvement expliqué.

Les personnes présentant une demande d'asile à la frontière (« procédure Schengen » selon la terminologie néerlandaise) sont conduites dans le centre d'accueil fermé Schipol (application center), situé à une quinzaine de kilomètres de l'aéroport international. Il s'agit, comme votre Rapporteur a pu les constater au cours de sa visite, d'un grand bâtiment très moderne et organisé de façon très pragmatique où le demandeur est admis successivement dans des locaux différents selon le stade de la procédure, afin que le contact avec des demandeurs dans une phase plus avancée soit évité.

Cette procédure d'examen de la demande se déroule en deux phases. La première consiste en un examen du caractère recevable et sérieux de la demande, et est conduite en 48 heures administratives, soit 5 à 6 jours au maximum ; 40 % des demandes d'asile à la frontière trouvent un règlement au cours de cette première phase. La deuxième, réservée aux dossiers retenus à l'issue de la première phase, dure généralement deux semaines mais davantage dans certains cas. Le demandeur est alors conduit dans un autre bâtiment, également fermé, mais aux dimensions plus vastes, afin d'y attendre qu'il soit statué sur sa demande.

Les deux phases de l'examen sont conduites par des agents de l'IND, et chaque dossier est examiné par deux personnes en première phase (un agent et un réviseur), comme en deuxième phase, ce qui conduit quatre voire cinq personnes à étudier un cas. Une ONG humanitaire est présente en permanence dans les centres et le conseil juridique est assuré à tous aussitôt après le premier examen et fouille effectué à l'arrivée par la police aux frontières.

Une particularité consiste en la possibilité d'un recours devant l'autorité judiciaire (il s'agit d'un tribunal spécialisé) aux deux stades. On soulignera que le conseil juridique ne pousse pas systématiquement le demandeur à déposer un recours, étant rémunéré à raison de son conseil, et non du dépôt ou non du recours. Le taux de recours est donc bien inférieur à celui connu en France.

À l'issue de la première comme de la seconde phase, l'éloignement du demandeur débouté est facilité par la présence du demandeur dans le centre.

Cette procédure rapide est réservée aux demandes à la frontière. Pour celles présentées dans un bureau des étrangers dans une municipalité néerlandaise - procédures hors Schengen - il existe un deuxième centre où sont invités à se présenter les demandeurs. L'hébergement n'y est pas obligatoire, et par ailleurs, le centre est ouvert et ne fonctionne pas en fin de semaine.

3.- Créer une procédure rapide d'examen au fond de la demande

L'examen au fond de la demande sera effectué alors que le demandeur est retenu dans un centre d'accueil fermé qui peut être le bâtiment existant de la zone de rétention pour les passagers en instance (ZAPI), mais dont les capacités devront être renforcées par la construction ou la mise à disposition d'un autre bâtiment pour y transférer les demandeurs appelés à séjourner plus d'une semaine.

L'examen doit être effectué par des agents de l'OFPRA présents dans les lieux, assistés d'interprètes. Il peut comporter deux phases, l'une au cours de laquelle les dossiers manifestement irrecevables sont rejetés, et l'autre pour l'examen des dossiers présentant les justifications les plus fondées. Il s'effectuerait en quelques jours nécessaires pour l'examen au fond, et un délai maximum devrait être prévu pour cet examen, qui pourrait correspondre à la période maximale de rétention prévue par l'article 35 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945. L'examen conclurait au rejet de la demande ou à la délivrance de la qualité de réfugié.

Il convient d'étudier s'il y a lieu d'instaurer un recours à l'encontre de la première décision. Il y devrait alors être statué en quelques jours. Le recours à l'encontre de la décision prise à l'issue de la seconde phase est porté devant la Commission de recours des réfugiés : la décision doit alors intervenir dans un délai de deux semaines au plus.

Un bureau d'accès au droit sera créé à l'intérieur du centre d'accueil ; le demandeur pourra ainsi recourir à l'aide d'un conseiller juridique dès le dépôt de sa demande. Il importe que la vacation attribuée au conseiller juridique soit liée au dossier suivi davantage qu'au dépôt ou non d'un recours par le demandeur d'asile. La présence des associations à caractère humanitaire continue d'être assurée dans les mêmes conditions.

En cas de rejet, l'éloignement du demandeur est effectué par la Police aux frontières dans les meilleurs délais.

C.- METTRE EN PLACE UN SUIVI DES DEMANDEURS D'ASILE

La situation du demandeur d'asile est caractérisée, en France, par la liberté de mouvement, déjà soulignée, par la perception d'allocations et le bénéfice de droits sociaux, sans qu'aucune obligation ne lui soit imposée quant à sa participation à la procédure elle-même. Aussi, comme le soulignent les représentants de l'OFPRA, le demandeur vient ou ne vient pas aux convocations qui lui sont adressées, et peut se rendre dans un autre département afin d'y séjourner ou d'y être employé clandestinement, par exemple.

On notera que nos partenaires européens ont adopté des systèmes beaucoup plus coercitifs à l'encontre des demandeurs afin que ceux-ci soient l'objet d'un suivi pendant toute la durée de la procédure. Cependant, c'est l'exemple des Pays-Bas, qui, là encore, paraît le plus approprié, et la proposition ici présentée s'en inspire.

Votre Rapporteur a déjà indiqué que la définition d'une obligation de résidence est indispensable. Mais il convient d'aller plus loin, en contraignant le demandeur à se rendre chaque mois au service des étrangers de la préfecture ou de la sous-préfecture de son lieu de résidence, afin de manifester sa présence et le fait qu'il participe aux différentes étapes de la procédure d'examen. S'il manque à trois ou quatre reprises de se rendre à cette convocation, il convient de considérer la demande d'asile comme caduque.

En outre, il pourrait être étudié de rendre l'allocation spécifique du demandeur d'asile quérable, et non plus portable comme l'est aujourd'hui l'allocation d'insertion. Elle serait alors versée au demandeur par la caisse d'allocations familiales, et non plus par les Assedics. En outre, la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF) pourrait être avertie par la Commission des recours des réfugiés du rejet du recours afin de mettre fin aux droits du demandeur débouté.

Le système ici proposé a pour but d'instaurer une meilleure cohérence entre la procédure d'examen et les aides dont les demandeurs peuvent bénéficier. Le fait de s'y prêter manifestera la sincérité du demandeur et sa volonté de satisfaire aux différentes étapes de la procédure. En outre, le suivi s'ajoute à l'obligation de résidence, et ces deux éléments auront pour effet de contrarier les projets des réseaux criminels organisant le passage et l'arrivée de ces demandeurs, car ceux-là souhaitent les soumettre à exploitation dans une ville précise.

PROPOSITIONS DE LA MISSION D'ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE

Procédures d'examen de la demande d'asile

1) Demandes d'asile présentées sur le territoire national

Proposition n° 1 :

Réduire le délai de dépôt de la demande d'asile auprès de l'OFPRA. Ce délai, actuellement de 21 jours, peut être réduit à 15 jours, commençant à courir à la remise du formulaire de demande d'asile au demandeur par le service des étrangers de la préfecture. Ceci exige la modification du décret du 14 août 2004.

Proposition n° 2 :

Réduire le délai de recours devant la Commission des recours des réfugiés (CRR) à quinze jours au lieu d'un mois, en modifiant le décret du 14 août 2004.

Proposition n° 3 :

Accélérer la publication des décisions de la CRR : 10 jours au lieu de trois semaines, les décisions étant établies, en pratique, à l'issue de la séance, et faisant, le cas échéant, l'objet d'une révision par le président de section en fin de semaine. L'accélération des délais de lecture fait partie des objectifs de performance retenus pour l'ensemble des juridictions, elle s'impose aux magistrats comme aux personnels des greffes.

Proposition n° 4 :

Supprimer l'effet suspensif du recours devant la CRR pour les personnes ayant la nationalité d'un pays ayant fait l'objet d'une clause de cessation d'application de la convention de Genève ; il s'agit des personnes ayant un titre de séjour, les autres ne pouvant déposer un recours suspensif. (modification de l'ordonnance du 2 novembre 1945)

Proposition n° 5 :

Supprimer le caractère automatique de l'effet suspensif du recours devant le tribunal administratif à l'encontre de l'arrêté préfectoral de reconduite à la frontière d'une personne déboutée de la demande d'asile (modification de l'ordonnance du 2 novembre 1945)

Proposition n° 6 :

Soumettre par la loi à la procédure prioritaire d'examen les demandes de réexamen pour « fait nouveau » intervenu dans le pays d'origine du demandeur débouté de sa demande d'asile lors d'un premier examen.

2) Demandes d'asile présentées à la frontière

Proposition n° 7 :

Instaurer une procédure rapide d'examen au fond des demandes d'asile présentées à la frontière.

Les demandes d'admission sur le territoire au motif de la demande d'asile sont présentées, pour 95 % d'entre elles, à l'aéroport de Roissy ; c'est pourquoi cette procédure ne sera applicable que dans ce lieu. Il sera procédé à l'examen de la demande alors que le demandeur est retenu dans un centre d'accueil fermé qui peut être le bâtiment existant de la zone de rétention pour les passagers en instance (ZAPI), mais dont les capacités devront être renforcées par la construction ou la mise à disposition d'un autre bâtiment pour y transférer les demandeurs appelés à séjourner plus d'une semaine.

L'examen doit être effectué par des agents de l'OFPRA présents dans les lieux, assistés d'interprètes. Il peut comporter deux phases, l'une au cours de laquelle les dossiers manifestement irrecevables sont rejetés, et l'autre pour l'examen des dossiers présentant les justifications les plus fondées. Il s'effectuerait en quelques jours nécessaires pour l'examen au fond, et un délai maximum devrait être prévu pour cet examen, qui pourrait correspondre à la période maximale de rétention prévue par l'article 35 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945. L'examen conclurait au rejet de la demande ou à la délivrance de la qualité de réfugié.

Il convient d'étudier s'il y a lieu d'instaurer un recours à l'encontre de la première décision. Il y devrait alors être statué en quelques jours. Le recours à l'encontre de la décision prise à l'issue de la seconde phase est porté devant la Commission des recours des réfugiés : la décision doit intervenir dans un délai de deux semaines au plus.

Créer un bureau d'accès au droit à l'intérieur du centre d'accueil ; le demandeur pourra ainsi recourir à l'aide d'un conseiller juridique dès le dépôt de sa demande. Il importe que la vacation attribuée au conseiller juridique soit liée au dossier suivi davantage qu'au dépôt ou non d'un recours par le demandeur d'asile. La présence des associations à caractère humanitaire continue d'être assurée dans les mêmes conditions.

En cas de rejet, l'éloignement du demandeur est effectué par la police aux frontières dans les meilleurs délais.

Recours judiciaire contre une décision de prolongation de la rétention dans la zone de rétention pour les passagers en instance (ZAPI) de Roissy

Proposition n° 8 :

Tenir les audiences judiciaires portant sur les requêtes des personnes retenues à la ZAPI de Roissy dans la salle d'audience aménagée spécialement sur place, aussitôt les améliorations d'accès pour les magistrats et les avocats effectués, et sans attendre la construction d'une deuxième salle d'audience, dont la nécessité ne pourrait découler que de l'usage.

Aide juridictionnelle

Proposition n° 9 :

Préciser par la loi les conditions d'accès à l'aide juridictionnelle. Les critères d'accès suivants seraient prévus :

- un critère financier ;

- une condition d'accès liée à l'entrée régulière sur le territoire ;

- les demandeurs issus d'un pays figurant sur la liste nationale des pays d'origine sûrs arrêtée le 30 juin 2005 seraient exclus du bénéfice de l'aide.

Toutefois, les deux dernières conditions seraient assorties d'une possibilité d'attribution de l'aide à titre exceptionnel aux personnes dont la situation apparaît particulièrement digne d'intérêt.

Proposition n° 10 : Modifier les règles d'attribution du quantum de l'aide juridictionnelle en réduisant de moitié le nombre d'unités de valeurs attribuées à un recours dans le cadre d'un réexamen, afin de contribuer à rendre les demandes de réexamen dilatoires moins attractives.

Conditions d'accueil des demandeurs

Proposition n° 11 :

Créer une obligation de résidence des demandeurs d'asile dans un centre d'accueil du Dispositif national d'accueil ; sanctionner le refus de l'hébergement proposé par la perte de l'allocation sociale.

Proposition n° 12 :

Confier au préfet l'élaboration, dans chaque département, d'un plan de construction de logements pour les demandeurs d'asile ou de transformation d'emprises existantes. Étudier avec les opérateurs spécialisés les modalités de ces constructions afin que l'investissement n'incombe pas à l'administration.

Proposition n° 13 :

Pour les demandeurs d'asile hébergés à l'extérieur en cas d'insuffisance des capacités d'accueil, créer une obligation de résidence réelle, pendant la durée de la procédure, dans un département déterminé par une décision préfectorale sous peine de suppression de l'allocation sociale. Le demandeur ne doit pas quitter le département pendant la phase d'instruction de la demande.

Proposition n° 14 :

Créer une allocation spécifique aux demandeurs d'asile venant en remplacement de l'allocation d'insertion ; adapter les conditions d'octroi et de suspension aux mesures ci-dessus ; limiter le versement de l'allocation à la durée de la procédure. Rendre cette allocation quérable à la caisse d'allocations familiales.

Proposition n° 15 :

Instituer une obligation de se présenter chaque mois au service des étrangers de la préfecture ou de la sous-préfecture du lieu de résidence, ou au bureau présent éventuellement en mairie, pendant toute la période de la procédure. Si le demandeur ne se présente pas pendant une durée de trois ou quatre mois, sa demande d'asile est considérée comme caduque, sans recours possible.

Proposition n° 16 :

Préciser la participation financière de l'État, s'agissant de l'accueil des mineurs isolés demandeurs d'asile par les départements.

Proposition n° 17 :

Permettre un meilleur accès à la formation professionnelle et éventuellement à un travail d'intérêt général pour les mineurs isolés de plus de 16 ans.

Application du règlement Dublin II

Proposition n° 18 : Poursuivre l'équipement des préfectures concernées par la demande d'asile de bornes de consultation Eurodac afin de rendre systématique et plus rapide la consultation de la base de données Eurodac.

Proposition n° 19 : Équiper dans les meilleurs délais d'une borne Eurodac la zone d'attente pour les passagers en transit (ZAPI) de Roissy.

Police aux frontières

Proposition n° 20 :

Affecter aux contrôles à la sortie de l'avion les emplois libérés par la suppression des escortes de Roissy au tribunal de grande instance de Bobigny.

Proposition n° 21 :

Formuler des priorités pour la politique d'éloignement parmi lesquelles l'éloignement des personnes déboutées de la demande d'asile.

Proposition n° 22 :

Pour l'éloignement des demandeurs d'asile hébergés dans le dispositif national d'accueil, réduire à quinze jours à compter de la fin de la procédure le délai d'exécution de l'arrêté préfectoral de reconduite à la frontière.

Proposition n° 23 :

Permettre aux préfectures de mettre en place une gestion prévisionnelle de l'éloignement aujourd'hui trop aléatoire. Dans ce but, informer les préfectures de l'état d'avancement de la procédure d'examen de la demande d'asile, en particulier de la convocation devant la CRR puis de la décision rendue.

Proposition n° 24 :

En cas de fraude, rendre dissuasive la perte ou la destruction des documents de voyage, auxquels de nombreux demandeurs d'asile comme migrants en situation irrégulière ont trop fréquemment recours pour présenter une demande d'asile. Il convient d'établir dans la loi la reconduite immédiate de tout étranger fraudeur non muni des documents de voyage nécessaires.

Proposition n° 25 :

Etudier les modalités d'un accès des agents de la police aux frontières aux logiciels des compagnies aériennes afin d'obtenir des informations sur le trajet suivi par les demandeurs d'asile.

Proposition n° 26 :

Renforcer et graduer les sanctions pénales applicables aux passeurs et à tout membre des réseaux d'acheminement des demandeurs d'asile et des étrangers en situation irrégulière, les sanctions prévues par la loi du 26 novembre 2003 n'apparaissant pas assez dissuasives au regard des montants financiers considérables en jeu dans chaque étape de ces trafics humains. En outre, une réflexion sur les mesures d'investigation financières et de sanction à l'encontre des chefs de ces réseaux doit être entreprise.

Aide au retour

Proposition n° 27 :

Instituer un service de l'aide au retour, dont les agents pourraient conseiller et assister le demandeur d'asile débouté ; la préparation du retour aurait lieu en liaison avec les agents des directions géographiques du ministère des Affaires étrangères. Un suivi du retour de la personne dans son pays d'origine par les agents du poste diplomatique pourrait être étudié.

Unifier les structures chargées de l'accueil des étrangers

Proposition n° 28 :

Créer une direction unique réunissant l'ensemble des agents définissant et mettant en œuvre les politiques de l'asile, de l'immigration, de l'aide au retour et de la naturalisation.

Cette direction réunirait l'OFPRA, une partie de la DFAE (Ministère des affaires étrangères), une partie de la DLPAJ (Ministère de l'Intérieur), une partie de la DPM (Ministère de l'Emploi et de la solidarité) ainsi que l'ANAEM éventuellement. Des officiers de police judiciaire pourraient être mis à disposition par le ministère de l'Intérieur. Un bureau d'études chargé d'effectuer des études précises et actualisées sur la situation dans les pays et régions d'origine des demandeurs d'asile pourrait être adjoint ; à défaut, les directions géographiques du ministère des affaires étrangères apportent leur appui au fonctionnement de la direction.

Cette direction serait placée sous l'autorité d'un ministre délégué, placé sous la tutelle du Ministre des Affaires étrangères ou de la Justice.

Proposition n° 29 :

Assurer la publication sans délai des décrets d'application de l'article 57 de la loi de finances rectificative pour 2002 et de l'article 49 de la loi de finances rectificative pour 2003 réformant l'AME.

Proposition n° 30 :

Prévoir de meilleures conditions d'indemnisation des médecins requis d'office et réduire les délais de versement des indemnités.

ANNEXE 1

ÉVOLUTION DE LA DEMANDE D'ASILE DEPUIS 1999 EN FRANCE
ET CHEZ NOS PRINCIPAUX PARTENAIRES

1999

2000

2001

2002

2003

2004

Allemagne

95.110

78.560

88.290

71.130

50.560

35.610

Autriche

20.100

18.280

30.140

39.360

32.360

24.680

Belgique

35.780

42.690

24.550

18.810

16.940

25.500

Canada

30.880

34.250

44.040

39.500

31.940

25.500

Danemark

12.330

12.200

12.510

6.070

4.590

3.220

Espagne

8.410

7.930

9.490

6.310

5.920

5.370

États-Unis

80.910

104.340

100.270

73.780

52.360

France

30.190

44.560

54.290

58.970

59.770

61.600

Italie

33.360

15.560

9.620

16.020

13.460

10.000

Pays-Bas

42.730

43.900

32.580

18.670

13.400

10.000

Royaume-Uni

91.200

98.900

91.600

103.080

60.050

40.200

Suède

11.230

16.300

23.520

33.020

31.350

23.160

Suisse

46.070

17.670

20.630

26.130

20.810

14.250

(1) Les données fournies au HCR par l'OFPRA n'intègrent pas les demandes d'asile territorial.

Source : Haut commissariat pour les réfugiés.

ANNEXE 2

Le Conseil d'administration de l'OFPRA, réuni le 30 juin 2005 a fixé la liste suivante des pays considérés comme pays d'origine sûrs, au sens de l'article L.741-4, 2° du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile :

- Bénin

- Bosnie-Herzégovine

- Cap Vert

- Croatie

- Géorgie

- Ghana

- Inde

- Mali

- Maurice

- Mongolie

- Sénégal

- Ukraine

Il est rappelé à cette occasion que, conformément à la loi, la prise en compte par l'OFPRA du caractère sûr de tel ou tel pays d'origine, ne peut faire obstacle à l'examen individuel de chaque demande au fond, pouvant comporter un entretien avec le demandeur. Une telle garantie permet de déterminer si la demande est, ou non, fondée en raison d'un risque personnel et réel de persécution ou d'une menace grave émanant, notamment, d'acteurs non étatiques.

ANNEXE 3

MOTIFS D'ADMISSION SUR LE TERRITOIRE FRANÇAIS DES DEMANDEURS D'ASILE À LA FRONTIÈRE

Admissions

1998

1999

2000

2001

2002

2003

Au titre de l'asile

1.067

54,1 %

1.379

28,6 %

1.605

23,5 %

1.795

18,41 %

1.184

20,22 %

222

3,75 %

À titre exceptionnel

407

20,6 %

1.250

25,9 %

1.531

22,4 %

2.514

25,78 %

1.599

27,31 %

1.447

24,46 %

Admis TGI

284

14,4 %

1.043

21,7 %

2.901

42,5 %

3.498

35,87 %

1.381

23,59 %

363

6,13 %

Admis TA

-

-

-

-

-

-

-

-

1

0,02 %

9

0,15 %

Admis Cour d'appel

21

1,06 %

77

1,6 %

127

1,9 %

385

3,95 %

513

8,76 %

300

5,07 %

À titre humanitaire

21

1,06 %

58

1,2 %

51

0,7 %

24

0,25 %

20

0,34 %

18

0,19 %

Admis de fait

89

4,52 %

154

3,2 %

337

4,9 %

1.144

11,73 %

658

11,24 %

367

6,20 %

Article 27-2

80

4,06 %

248

5,1 %

275

4 %

392

4,02 %

498

8,51 %

1.267

21,42 %

Total des admis

1.969

-

4.209

-

6.827

-

9.752

-

5.855

-

3.993

-

Total des demandes

2.484

-

4.817

-

7.392

-

10.364

-

7.786

-

5.914

-

Taux d'admission

79,2 %

-

87,4 %

-

92 %

-

94,1 %

-

75,2 %

-

67,5 %

-

EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa séance du 6 juillet 2005, la Commission a procédé, sur le rapport de Mme  Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteur de la Mission d'évaluation et de contrôle, à l'examen des conclusions de la MEC sur l'évolution des coûts budgétaires des demandes d'asile (Hébergement, contentieux, contrôle aux frontières).

Votre Rapporteur de la MEC, a souligné l'actualité et la difficulté du sujet, car la France se trouve aujourd'hui au premier rang des pays d'accueil pour les demandeurs d'asile en Europe, avec une hausse spectaculaire des demandes en 2003 et en 2004. Au contraire, nos partenaires européens, qui ont adopté des réformes avant la France, observent une baisse de la demande d'asile, et des coûts en diminution dans certains domaines. Il faut souligner que, de manière générale, ces pays engagent des crédits plus importants pour le traitement et l'accompagnement des demandeurs d'asile. La question se pose donc des raisons de l'attractivité de notre pays, sachant que le taux de reconnaissance de la qualité de réfugié, autour de 16 %, est proche de celui observé ailleurs.

Outre la hausse du nombre des demandes, on constate que la nature de la demande d'asile a évolué : les demandeurs qui étaient en majorité des hommes et femmes seuls se présentent souvent aujourd'hui en famille. Ces situations ont entraîné une embolie des structures d'accueil et se sont traduites par une progression des coûts représentés par l'hébergement et l'accès aux droits sociaux des demandeurs. Bien que l'accueil des demandeurs d'asile soit une compétence de l'Etat, les départements sont aussi amenés à engager certaines dépenses dans le cadre notamment de l'aide sociale à l'enfance.

Les différentes étapes de la procédure d'examen de la demande d'asile se traduisent par des particularités dont le recours quasi-systématique présenté par les déboutés et la possibilité d'exciper d'un « fait nouveau » intervenu dans le pays d'origine pour déposer une demande de réexamen, possibilité qui génère de très nombreuses demandes, souvent purement dilatoires. La procédure va connaître quelques évolutions à l'avenir en conséquence de l'adoption par le conseil d'administration de l'OFPRA, le 30 juin dernier, d'une liste des pays d'origine sûrs, et l'adoption prochaine de la directive « normes minimales concernant la procédure d'octroi et de retrait du statut de réfugié », qui participera à un mouvement de « judiciarisation » mais qui risque de s'avérer coûteuse en termes d'aide juridictionnelle.

La loi du 10 décembre 2003 relative au droit d'asile et le décret d'application du 14 août 2004 ont amélioré les procédures. Les délais impératifs imposés par la loi, ainsi que les exceptionnels moyens en personnel alloués à l'OFPRA et à la Commission des recours des réfugiés, ont permis de réduire les délais de traitement à deux mois à l'Office et à quatre, et bientôt trois mois, à la Commission, délais à présent incompressibles. Au total, en incluant le mois de délai pour le dépôt initial de la demande et le mois de délai de recours, le délai d'examen total d'une demande est aujourd'hui de sept mois à sept mois et demi, l'objectif étant de le limiter, à la fin de cette année, à six mois, les « stocks » de dossiers en retard ayant été résorbés.

Après avoir souligné l'ampleur du progrès réalisé, si l'on compare avec la situation antérieure où la durée de la procédure pouvait être de 18 mois à deux ans, votre Rapporteure a indiqué que la MEC propose un abrègement de deux délais de procédure : le délai de dépôt de la demande d'asile auprès de l'OFPRA, réduit à 15 jours, et le délai de recours, également réduit à 15 jours. Elle propose aussi d'abréger le délai de publication de la décision de la Commission, qui est actuellement trop long.

Les coûts budgétaires imputables à l'accueil des demandeurs d'asile et au traitement de la procédure, y compris l'ensemble des prises en charges du domaine social (hébergement, aide aux associations, allocation d'insertion, CMU de base et complémentaire, aide médicale de l'État pour les personnes déboutées, prise en charge des mineurs isolés) et les crédits européens peuvent être évalués à plus de 811 millions d'euros, évaluation insatisfaisante faute d'une imputation précise de la dépense dans beaucoup de domaines. Le volet « Intérieur » conduit, en rapportant les dépenses structurelles au nombre estimé des demandeurs d'asile figurant parmi les publics concernés, à près de 29 millions d'euros. Ici encore, l'imputation des dépenses structurelles par action et en fonction des personnes prises en charge ne fait que commencer ; le ministère de l'Intérieur a précisé que des indicateurs de suivi permettant d'établir le coût des demandes d'asile pour le réseau préfectoral allaient être mis en place. Enfin, le volet « Affaires étrangères » s'élève à 54 millions d'euros. Le total des coûts identifiables approche donc 900 millions d'euros, auxquels il convient d'ajouter les dépenses engagées par les collectivités locales.

La MEC propose trois types de réformes.

La première est la mise en place d'un suivi des demandeurs d'asile. Ce suivi suppose notamment de créer une obligation de résidence des demandeurs d'asile dans un centre d'accueil du dispositif national d'accueil et de sanctionner le refus de l'hébergement proposé par la perte de l'allocation sociale. L'augmentation des capacités d'accueil à 17.000 places prévues par le plan de cohésion sociale, comme l'accélération des délais de traitement participent à l'objectif de loger la plupart des demandeurs dans les structures dédiées. Pour les demandeurs d'asile hébergés à l'extérieur en cas d'insuffisance des capacités, il convient de créer une obligation de résidence, pendant la durée de la procédure, dans un département déterminé par une décision préfectorale. Le demandeur ne devrait pas quitter le département pendant la phase d'instruction de la demande.

Par ailleurs, une allocation spécifique aux demandeurs d'asile doit être créée, venant en remplacement de l'allocation d'insertion ; ses conditions d'octroi et de suspension doivent être adaptées à la situation du demandeur, ce qui suppose de faire coïncider le versement de l'allocation et la durée de la procédure. Il est important que le versement de cette allocation soit conditionné à l'acceptation de la résidence déterminée par le préfet.

La deuxième proposition est la création d'une procédure rapide d'examen au fond des demandes d'asile présentées à la frontière. Il s'agit en fait de demandes d'admission sur le territoire, qui sont présentées, pour 95 % d'entre elles, à l'aéroport de Roissy. Or les statistiques d'admission sur le territoire confrontées à celle du dépôt effectif de la demande d'asile montrent que les failles de notre procédure portent un grand tort aux efforts de rigueur et d'efficacité de la Police aux frontières dans la lutte contre l'immigration clandestine. En effet, alors que les agents de l'OFPRA présents en permanence dans la Zone d'attente des passagers en instance (ZAPI) rendent un avis majoritairement défavorable à l'admission du demandeur sur le territoire (3,75 % d'avis favorable en 2003 et 14 % en 2004), le taux global d'admission s'élève à 67,5 %, les responsabilités de l'admission étant multiples. Or, on constate que par la suite, parmi ces personnes admises à la frontière au titre de l'asile, seules 15 % concrétisent leur démarche en présentant réellement une demande en préfecture. Cette situation insatisfaisante conduit à proposer une procédure rapide d'examen au fond de la demande d'asile alors que le demandeurs est retenu dans un centre fermé. Certains pays européens, notamment les Pays-Bas, ont mis en place une telle procédure, qui permet en outre un traitement juridique et humanitaire parfaitement abouti.

Cette proposition est à considérer dans le contexte d'un accroissement du trafic à Roissy, le Hub d'Air France étant prévu pour accueillir 80 millions de passagers par an en 2008, avec plusieurs vols provenant de pays demandeurs chaque jour.

La troisième proposition conduit à poursuivre l'effort de coordination entre les structures administratives chargées de l'accueil des étrangers. Il conviendrait de créer une direction unique réunissant l'ensemble des agents définissant et mettant en œuvre les politiques de l'asile, de l'immigration, de l'aide au retour et de la naturalisation.

Cette direction réunirait l'OFPRA, une partie de la DFAE (Ministère des affaires étrangères), une partie de la DLPAJ (Ministère de l'Intérieur), une partie de la DPM (Ministère de l'Emploi et de la solidarité) ainsi que l'ANAEM, éventuellement. Cette direction serait placée sous l'autorité d'un ministre délégué, placé sous la tutelle du Ministre des Affaires étrangères ou de la Justice. Certains pays européens ont mis en place une telle structure, qui présente des avantages en termes de cohérence.

Votre Rapporteur a souligné la cohérence et l'autorité qu'impliquent une telle organisation ; le suivi humanitaire de la personne y semble, en outre, beaucoup mieux assuré, puisque le passage d'un statut juridique à l'autre se traduit concrètement par la transmission du dossier à un autre service dans un même bâtiment, avec une liaison entre les agents beaucoup plus immédiate.

Votre Rapporteur a ensuite détaillé l'ensemble des propositions de la MEC.

S'agissant de la proposition n° 11 relative à l'hébergement obligatoire dans un centre d'accueil des demandeurs d'asile, M. Gilles Carrez, Rapporteur général, a demandé si les pays qui ont imposé une obligation de résidence obtiennent de meilleurs résultats que la France en termes d'éloignement des déboutés du droit d'asile. Le logement dans un CADA n'empêche pas la personne déboutée de quitter les lieux afin de ne pas être reconduite à la frontière.

Votre Rapporteur a répondu qu'en effet, le seul fait d'être hébergé en CADA ne change pas considérablement les choses. C'est plutôt le recours aux centres fermés qui facilite la reconduite, et aussi le suivi précis du demandeur.

S'agissant de la proposition n °16 relative à la prise en charge des mineurs isolés demandeurs d'asile, M. Augustin Bonrepaux, Président de la MEC, a souligné que les départements étaient parfois contraints de prendre en charge une dépense, à travers l'aide sociale à l'enfance, qui incombait en réalité à l'Etat, seul compétent pour l'accueil des demandeurs d'asile. Il y a donc lieu de demander une clarification des participations financières en la matière.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général, a souhaité savoir quels décrets étaient visés par la proposition n° 29, relative à l'aide médicale de l'Etat.

Votre Rapporteur, a précisé qu'il s'agissait des décrets d'application de deux dispositions législatives réformant le dispositif de l'aide médicale de l'Etat : l'article 57 de la loi de finances rectificative pour 2002 et l'article 49 de la loi de finances rectificative pour 2003. Certaines des mesures de réformes ainsi adoptées ont pu entrer en vigueur immédiatement, mais pour d'autres, l'adoption de mesures réglementaires est nécessaire, et la parution des décrets est régulièrement demandée par le Parlement.

M. Jean-Louis Dumont a salué l'excellent travail de la Rapporteure et a remercié cette dernière pour la grande qualité d'écoute dont elle a fait preuve, permettant de dépasser les polémiques. La MEC peut s'honorer d'avoir choisi un thème aussi transversal et de ne pas s'être exclusivement intéressée à la question du coût du droit d'asile. La réduction des délais est un impératif. Face à des personnes souvent fragilisées et nerveuses, il est essentiel de veiller à une bonne formation et une suffisante mobilité des personnels chargés de l'accueil des demandeurs d'asile. Malgré les évolutions qui ont déjà concerné l'OFPRA, cet office a encore besoin d'évoluer. Même si les associations font un travail d'encadrement remarquable, l'enjeu principal est de ne pas laisser les demandeurs d'asile en situation d'oisiveté lorsqu'ils attendent, pendant parfois plusieurs années, le terme des procédures engagées. Le groupe Socialiste votera les conclusions du rapport, ne serait-ce que parce qu'il est important que ces dernières suscitent des réactions. La diversité des flux en matière de demandes d'asile doit être observée de près, dans le respect des valeurs humaines conformes à notre tradition. Parmi les demandeurs, on observe de plus en plus de femmes seules, avec enfants, qui proviennent de pays instables où elles sont victimes d'incessants changements de régime.

Votre Rapporteur, a précisé qu'une proposition avait, un temps, été envisagée, consistant à demander une modulation des primes des fonctionnaires chargés de l'accueil des demandeurs d'asile.

M. Jean-Louis Dumont a indiqué qu'il ne souhaitait pas nécessairement une proposition normée, mais qu'il était important que le rapport évoque la question des personnels administratifs. Les préfets ont une grande part de responsabilité dans l'encadrement des demandeurs d'asile, certains d'entre eux demeurant trop souvent fermés à l'analyse des associations et des élus.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général, a félicité et remercié la Rapporteure pour la qualité de son analyse et la richesse de ses propositions. C'est la première fois que la MEC aborde un sujet aussi complexe, avec une approche transversale et interministérielle. C'est l'honneur de l'Assemblée nationale de rappeler le souci que nous avons tous de respecter le droit d'asile, l'un des socles de notre démocratie. Seule la mise en œuvre des procédures est en cause, à commencer par le problème des délais. La MEC doit veiller à ce que le Gouvernement tire les conséquences concrètes des conclusions du rapport.

M. Augustin Bonrepaux, Président de la MEC, s'est joint aux remarques de ses collègues sur la difficulté du travail et a salué l'efficacité de la Rapporteure.

S'associant à ces félicitations, M. Yves Deniaud, Président de la MEC, a tenu à souligner le climat de consensus des travaux de la MEC et la grande qualité des services auditionnés, dont la compétence, l'humanité et le souci de transparence à l'égard des investigations parlementaires se sont révélés tout à fait conformes à l'esprit de la MEC. Il ne s'agit aucunement de mettre en cause le droit d'asile, mais de s'attaquer aux procédures qui entravent sa mise en œuvre concrète et son efficience.

M. Jean-Louis Dumont a indiqué que, forte de ces expériences concluantes, la commission des Finances est désormais parfaitement armée pour étudier des domaines aussi vastes que sensibles et qu'il convient à présent de donner une suite aux demandes répétées du Président Augustin Bonrepaux de créer une MEC sur la Défense nationale.

M. Michel Bouvard a considéré que la MEC pouvait tout à fait aborder des sujets complexes, pour autant que l'on s'assure de la mise en œuvre effective des préconisations formulées. Cette forme d'exercice d'un « droit de suite » doit constituer une pression positive sur le Gouvernement, que les propositions relèvent ou non du domaine de la loi. Les questionnaires budgétaires, de même que les indicateurs et les objectifs de performance sont un des moyens d'assurer le suivi de la mise en œuvre des préconisations des MEC.

La commission a alors adopté les conclusions de la MEC et autorisé, en application de l'article 145 du Règlement, la publication du rapport.

AUDITIONS

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Pages

17 mars 2005 :

a) 9 heures 30 : - M. Jean Gaeremynck, directeur de la Population et des migrations, et Mme Claire Descreux, sous-directrice des politiques d'insertion et de lutte contre les exclusions à la direction de l'action sociale, du ministère des solidarités, de la santé et de la famille 83

b) 11 heures 30 : - M. Pierre Henry, directeur général de l'Association France Terre d'asile 96

12 mai 2005 :

a) 9 heures 30 : - M. Jean-Loup Kuhn-Delforge, directeur de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et M. François Bernard, Président de la Commission de recours des réfugiés (CRR) 101

Jeudi 9 juin 2005 :

9 heures 30 : - M. Stéphane Fratacci, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l'Intérieur, M. Pierre Debue, directeur central de la Police aux frontières, M. Jean-Louis Figuet, chef du bureau logistique, informatique et transmissions de la police aux frontières, Mme Véronique Garnier, chef du bureau éloignement de la police aux frontières, M. Éric Tison, chef du bureau droit d'asile de la direction des libertés publiques et des affaires juridiques, Mme Dara Sin, adjointe au sous-directeur des affaires financières, M. Olivier André, adjoint au sous-directeur de l'administration territoriale, M. Louis-Michel Bonté, secrétaire général de la préfecture de Seine-Saint-Denis et Mme Dominique Bacle, directrice des étrangers à la préfecture de Seine-Saint-Denis 115

Jeudi 16 juin 2005 :

10 heures 30 : - M. François Barry Martin-Delongchamps, Directeur des Français de l'étranger et des Étrangers en France et M. Eric Lubin, délégué dans les fonctions de sous-directeur de l'asile et de l'immigration ; Ministère des Affaires étrangères 137

Jeudi 23 juin 2005 :

a) 10 heures : - M. Hugues de Balathier-Lantage, Chef de la Mission indemnisation du chômage au ministère de l'Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement 151

b) 10 heures 30 : - Mme Claire Descreux, sous-directrice des politiques d'insertion et de lutte contre les exclusions à la direction générale de l'action sociale du ministère de l'Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement 155

c) 11 heures 15 : - M. Maxime Tandonnet, conseiller technique au cabinet du ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du Territoire 157

d) 12 heures : - M. Dominique Giorgi et Mme Anne Burstin, inspecteurs de l'IGAS, membres de la mission d'inspection sur les conditions d'accueil des mineurs isolés demandeurs d'asile 161

COMPTES RENDUS DES AUDITIONS

Auditions du 17 mars 2005

a) 9 heures 30 : M. Jean Gaeremynck, Directeur de la population et des migrations, et de Mme Claire Descreux, sous-directrice des politiques d'insertion et de lutte contre les exclusions, au ministère des solidarités, de la santé et de la famille

Présidence de M. Augustin Bonrepaux, Président

M. Augustin Bonrepaux, Président : La Mission d'évaluation et de contrôle commence aujourd'hui un nouveau cycle d'auditions publiques consacré à l'évolution des coûts budgétaires des demandes d'asile. Nous avons le plaisir d'accueillir M. Jean Gaeremynck, directeur de la population et des migrations au ministère de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale, de la santé et de la famille, et Mme Claire Descreux, sous-directrice des politiques d'insertion et de lutte contre les exclusions à la direction générale de l'action sociale du même ministère. Je remercie la Cour des comptes de nous assister dans nos travaux.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Pour entrer directement dans le sujet qui nous préoccupe, je formulerai quelques questions simples. Notre pays est confronté depuis six ans environ à une véritable explosion du nombre des demandes d'asile, plaçant la France au premier rang des pays d'accueil pour les demandeurs en Europe. En même temps, le pourcentage des cas pour lesquels le statut de réfugié est attribué a tendance à diminuer. Les structures d'accueil et d'hébergement des demandeurs sont engorgées et les coûts engendrés par l'hébergement et l'accès aux droits sociaux augmentent, dans une proportion encore mal connue. Aussi, afin d'introduire nos travaux, pourriez-vous nous décrire l'évolution du nombre de demandes d'asile au cours des dernières années ainsi que leur répartition sur le territoire national, la situation différant considérablement, semble-t-il, d'un département à un autre ? Constate-t-on un surpeuplement des structures d'accueils de certains départements et, à l'inverse, l'existence de places libres dans d'autres ? Disposez-vous de données socio-économiques sur l'âge, l'origine géographique, le niveau d'études, et éventuellement la profession des demandeurs d'asile ?

Le taux de reconnaissance du statut a diminué significativement au cours des dix dernières années. Comment expliquer cette évolution ? Corrélativement, quelle est la proportion de personnes déboutées et que deviennent-elles ? Sont-elles expulsables ou non ? Quelle est la proportion des personnes déboutées qui font l'objet d'une mesure d'éloignement ?

Enfin, pouvez-vous nous préciser le rôle des structures de l'État - OMI, direction de la population et des migrations, notamment - dans l'hébergement et la prise en charge des demandeurs d'asile ? Pouvons-nous en savoir davantage sur ce qui touche aux normes et aux conditions d'accueil des demandeurs ?

M. Jean Gaeremynck : Je commencerai par votre dernière question. La direction de la population et des migrations travaille sous l'autorité de M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale, et de Mme Nelly Olin, ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances à la lutte contre l'exclusion. Je suis accompagné de Mme Furnon-Pétrescu, chef du bureau des demandeurs d'asile et des réfugiés et de Mme Claire Descreux, sous-directrice des politiques d'insertion et de lutte contre les exclusions.

La DPM est responsable de la prise en charge des demandeurs d'asile sur le plan social, ceux-ci relevant également de la compétence du ministère de l'intérieur pour ce qui est de l'admission au séjour en vue de demander l'asile, ainsi que du ministère des affaires étrangères à travers les deux organismes responsables de l'instruction des demandes de protection juridique : l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et la Commission des recours des réfugiés (CRR).

La DPM est également gestionnaire des crédits destinés à la prise en charge des demandeurs d'asile, tout au moins pour ce qui relève de leur hébergement car s'agissant de leurs dépenses de santé, celles-ci s'imputent sur les crédits de la CMU, gérée par la Sécurité sociale. La DPM agit par l'intermédiaire du réseau des DRASS et DDASS dans la mesure où, pour l'essentiel, les crédits consacrés à l'hébergement des demandeurs d'asile font l'objet d'une gestion déconcentrée et sont délégués aux services locaux de l'État, exception faite des cas où notre direction conventionne directement avec quelques grands opérateurs comme la SONACOTRA ou l'AFTAM, spécialisés dans la gestion des foyers de travailleurs migrants.

Quant à l'Office des migrations internationales (OMI), il change actuellement, sinon de nature, du moins de dimension, du fait de sa fusion avec le Service social d'aide aux émigrants, organisme jusqu'alors de nature associative, mais qui bénéficiait très largement de concours de l'État. OMI et SSAE sont appelés à devenir l'ANAEM, Agence nationale d'accueil des étrangers et des migrations, prévue par la loi de cohésion sociale de janvier 2005 et dont les décrets de création sont en cours de finalisation et passeront en Conseil d'État dès la semaine prochaine.

M. Augustin Bonrepaux, Président : Où est géographiquement implantée votre direction ?

M. Jean Gaeremynck : La DPM est une administration centrale, en relation avec les directions régionales et départementales des affaires sanitaires et sociales. À noter, pour l'anecdote, que nous sommes certainement la direction centrale la plus délocalisée de France puisque la sous-direction des naturalisations, qui regroupe les deux tiers de nos effectifs, est implantée à Nantes... Cela dit, le rôle des services déconcentrés est essentiel. Ce sont notamment les DRASS et les DDASS qui passent avec les organismes gestionnaires des centres d'accueil des demandeurs d'asile les conventions déterminant les conditions d'emploi des crédits affectés par l'État à cette mission.

M. François Fillon avait décidé en 2002 de confier à l'OMI, en passe de devenir l'ANAEM, la mission de coordination générale de l'accueil des demandeurs d'asile, auparavant dévolue à France Terre d'asile. L'association France Terre d'asile étant partie prenante dans la gestion du dispositif, il nous paraissait difficile de continuer à mêler la gestion des structures et la coordination générale, véritable mission d'administration.

La coordination générale consiste, en liaison avec la DPM, à gérer au mieux la répartition des demandeurs d'asile entre tous les CADA du territoire. Or les demandeurs d'asile arrivent massivement aux portes de la France, autrement dit à notre frontière Est et à l'aéroport de Roissy, ce qui a provoqué durant un temps une véritable crise en région parisienne. Cette mission de répartition et, en quelque sorte, de solidarité nationale sera désormais assurée par l'ANAEM. J'insiste sur le fait qu'il ne s'agit pas d'une mission de gestion, laquelle est déléguée, sous le contrôle des services de l'État, à une série d'opérateurs nationaux ou locaux, mais bien d'une mission d'administration.

Le nombre des demandeurs d'asile a suivi une progression spectaculaire : le nombre de dossiers déposés, qui s'établissait à un peu moins de 22.500 en 1998, est passé à 31.000 en 1999, à presque 39.000 en 2000, à plus de 47.000 en 2001, à plus de 51.000 en 2002 et à plus de 52.000 en 2003, pour revenir à un peu plus de 50.000 en 2004. La très forte progression, de presque 10.000 demandeurs par an, observée jusqu'en 2002 a laissé place à une stabilisation, confirmée par les premiers résultats observables de la mise en œuvre de la loi du 10 décembre 2003 réformant le régime de l'asile en France, votée à l'initiative du ministre des affaires étrangères.

Précisons que ces chiffres ne concernent que la demande d'asile au sens de la convention de Genève de 1951, à laquelle la France est partie comme tous les pays développés et notamment européens ; c'est en application du texte de cette convention et notamment de son article 1er que le statut de réfugié est attribué ou, à l'inverse, refusé.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Comment ont évolué, depuis l'entrée en vigueur de la loi, les trois types de demandes d'asile ?

M. Jean Gaeremynck : J'allais y venir. La convention de 1951 est le texte fondamental, le texte sacré, historiquement et politiquement, élaboré à l'issue de la seconde guerre mondiale. Un protocole de 1967 en a actualisé certaines rédactions par trop marquées par ce contexte historique et notamment axées sur les déplacements de populations. Est éligible au statut de réfugié toute personne ayant subi ou craignant avec raison de subir des persécutions du fait de son sexe, sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. La convention de Genève est appliquée partout dans le monde et particulièrement en Europe, à telle enseigne que l'uniformisation de ses conditions d'application, sur le plan du fond comme sur celui de la procédure, était un des enjeux du Conseil européen de Tampere d'octobre 1999, qui s'était fixé pour objectif la définition à terme d'un régime d'asile commun à toute l'Union européenne.

La convention de Genève n'est pas le seul texte de base pour l'attribution du droit d'asile. Mentionnons, pour mémoire, l'asile dit constitutionnel, pratiquement sans effet pratique : il est prévu dans la Constitution (5) que la République se réserve le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté. Mais cette disposition n'a quasiment pas d'effectivité, essentiellement pour la raison qu'elle est très proche de la convention de Genève et qu'il n'y a guère de raison d'appliquer la Constitution plutôt que la convention, d'autant que celle-ci, aux termes mêmes de la Constitution, prévaut sur la loi.

Mais surtout, le législateur avait introduit en 1998 une nouvelle forme d'asile, dit asile territorial, supprimé par la loi du 10 décembre 2003. Ce régime, qui n'aura finalement duré que quelques années, n'en a pas moins énormément perturbé les services administratifs par le fait qu'il n'obéissait pas exactement aux mêmes conditions de fond ni de procédure que l'asile conventionnel. La procédure notamment reposait très largement sur les préfectures et les ministères des affaires étrangères et de l'intérieur. Ainsi, les demandeurs de l'asile territorial devaient-ils être entendus dans les préfectures et leurs motivations explicitées dans un procès-verbal. La mise en œuvre de ces formalités a donc grandement compliqué le fonctionnement des services des étrangers dans les préfectures, obligés par la loi d'entendre les intéressés, d'organiser et de fixer les rendez-vous ; bien évidemment, les délais de rendez-vous ont progressivement atteint douze, puis quinze, puis dix-huit mois, les services préfectoraux se retrouvant devoir faire face à une mission totalement nouvelle sans savoir été dotés de moyens supplémentaires.

M. Augustin Bonrepaux, Président : Les services préfectoraux, faute de moyens supplémentaires, n'ont-ils pas eu tendance à se décharger sur les départements qui se voient attribuer la responsabilité d'enfants étrangers ne relevant pas de la solidarité départementale ? Il s'ensuit fréquemment des recours devant les tribunaux.

M. Jean Gaeremynck : Je ne parlais pour l'instant que de la mise en œuvre de la protection de l'individu, qui a toujours relevé du domaine de l'État. Nous reviendrons sur la prise en charge sociale, à laquelle les collectivités locales peuvent effectivement être parties prenantes.

Le régime de l'asile territorial permettait ainsi d'accorder une forme de protection, autrement dit un titre de séjour, à des gens qui ne voulaient pas se réclamer de la convention de Genève. En le supprimant, la loi du 10 décembre 2003 a totalement unifié le régime de l'asile - sur le plan de la protection juridique, s'entend - et considérablement allégé et simplifié le dispositif en le rendant beaucoup plus clair pour tout le monde, demandeurs d'asile compris. L'OFPRA, établissement public placé sous la tutelle du ministère des affaires étrangères, est désormais l'unique organisme compétent pour recueillir, étudier, instruire les demandes et décider d'attribuer le droit d'asile. Ce à quoi vient s'ajouter une juridiction spécialisée, en ce sens qu'elle n'est compétente que pour connaître et traiter des décisions prises par l'OFPRA : la Commission des recours des réfugiés, objet de tant de demandes et d'attentes qu'il a fallu lui accorder des moyens budgétaires supplémentaires considérables au titre de 2005.

À noter que les demandeurs d'asile territorial, n'étant pas enregistrés avec les demandeurs d'asile au sens de la convention de Genève, ne figurent pas dans les chiffres que j'ai mentionnés plus haut. Il faudrait donc les y ajouter pour avoir une exacte appréciation de l'évolution des dernières années dans la mesure où il ne s'agit le plus souvent, pas des mêmes personnes. Non seulement on y trouvait des déboutés de la procédure « convention de Genève », mais les ressortissants de certains pays comme l'Algérie préféraient systématiquement demander l'asile territorial qui, contrairement à l'asile conventionnel, permettait de garder des liens avec le pays d'origine.

Totalement marginal à son entrée en application, l'asile territorial a vu le nombre de demandes s'accroître rapidement à partir de 2000 pour s'établir à 30 000 environ en 2002. Mes collègues de la direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'intérieur pourront vous donner les chiffres précis. Par comparaison, le nombre des admis à l'asile territorial n'a jamais dépassé quelques dizaines de personnes - moins de trois cents. Autrement dit, une procédure très lourde, beaucoup de temps et d'argent pour pas grand-chose... D'où la réforme de 2003.

Ainsi, pour avoir une vue complète de la demande d'asile en France en 2003, dernière année de l'« ancien régime », il faut additionner aux 52 000 demandes d'asile conventionnel les 30 000 demandes d'asile territorial, plus les membres de la famille et particulièrement les enfants mineurs accompagnants : soit une demande d'asile « physique » totale d'environ 90 000 personnes à la veille de la réforme législative introduite par le nouveau gouvernement dès son entrée en fonction. Il y avait effectivement urgence.

Restait à savoir si, en 2004, la mise en application de la procédure unifiée ne se traduirait pas par l'addition des deux types de demandes d'asile qui existaient en 2003, autrement dit par une demande globale de l'ordre de 80 000 personnes. Tout porte heureusement à croire que la réforme gouvernementale est en passe d'atteindre son but puisque les demandes d'asile en 2004 semblent s'établir à un peu plus de 50 000. Autrement dit, les demandeurs d'asile territorial n'ont pas sollicité l'asile sous le régime unifié créé par la loi de 2003.

Peut-être vous arrivera-t-il d'entendre avancer pour 2004 le chiffre non pas de 50 000, mais de 65 000. La différence tient d'abord aux 7 000 mineurs accompagnants désormais pris en compte - on a longtemps reproché au système français de ne faire apparaître que le nombre de dossiers et non le nombre total de personnes concernées -, et, pour le reste, à la possibilité ouverte à certains demandeurs auparavant déboutés de représenter une demande dans la mesure où la nouvelle loi reconnaît le bien-fondé de motifs jusqu'alors non pris en considération - tel le caractère non étatique des persécutions, désormais pris en compte alors qu'il n'était pas considéré comme entrant dans les conditions d'application de la convention de Genève. Plus de 7 000 demandes de réexamen ont été introduites en 2004. D'où cet écart d'environ 15.000. Reste que le chiffre de 50.000 est à mes yeux le plus intéressant dans la mesure où il indique la tendance ; or celle-ci montre, pour la première fois, une stabilisation et même un commencement de reflux.

Pour ce qui est de la répartition sur le territoire, la cartographie des demandes d'asile recouvre très exactement la cartographie traditionnelle de l'immigration en France : sur une demande totale de 59.000 - 52.000 dossiers plus 7.000 mineurs accompagnants - la région Île-de-France concentre 30.000 personnes, Rhône-Alpes en enregistre un peu moins de 5.000, PACA 3.200, Centre 2.800, Alsace un peu moins de 1.700. La surreprésentation de l'Île-de-France est particulièrement frappante, de même que la part de Rhône-Alpes. Les relations quotidiennes que nous entretenons avec les services déconcentrés de l'État nous permettent d'avoir une image très précise du rythme des arrivées et des difficultés qui en découlent : celles-ci se concentrent en Rhône-Alpes où l'afflux est spectaculaire, en PACA, où le phénomène est traditionnel, en Alsace et dans le Nord-Pas-de-Calais. Les évolutions les plus récentes montrent une légère diminution de la pression sur l'Île-de-France - 30.000 demandes en 2003, 24.000 en 2004 - au détriment d'autres régions.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Mais peut-on offrir des places d'accueil en conséquence dans les régions où affluent les demandeurs ?

M. Jean Gaeremynck : Le principe retenu, sur notre proposition, par le ministre est celui de la diffusion sur le territoire. Il ne pouvait être question de concentrer l'accueil des demandeurs d'asile en se basant exactement sur les chiffres des arrivées. Certes, il fallait créer des CADA (centre d'accueil des demandeurs d'asile) en Île-de-France qui comptait très peu de places. Mais nous avons surtout cherché à en installer un peu partout en France pour détendre cette situation ; notre réseau de services déconcentrés nous permet de gérer au mieux un système de répartition - « de solidarité », comme nous le disons. Le principe consiste évidemment à mettre à disposition un nombre de places d'accueil suffisant, à renforcer la capacité des régions d'arrivée où le déséquilibre était criant, principalement en Île-de-France et Rhône-Alpes, mais surtout à répartir à peu près partout sur le territoire la charge que représente l'accueil des demandeurs d'asile en installant des CADA dans toutes les régions et, si possible, dans tous les départements. On en trouve aujourd'hui pratiquement partout, sauf en Corse - nous avons préféré ne pas insister...

On compte au 1er janvier 2005 15.500 places disponibles dans les centres d'accueil des demandeurs d'asile - en fait, 15.700 en comptant le petit centre d'accueil pour les mineurs de Boissy-Saint-Léger -, dont 2.500 en Île-de-France, plus de 1.000 en Pays-de-la-Loire, 1.324 en Rhône-Alpes, 1.132 en PACA.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Reste-t-il des places inoccupées dans certains départements ?

M. Jean Gaeremynck : Dans ce domaine, il n'y a jamais de places libres, hormis dans les cas où le précédent demandeur vient de partir et le suivant n'est pas encore arrivé... La pression est telle que les places de CADA sont occupées à plus de 90 %, les quelques pour cent de vacances tenant à ces raisons « frictionnelles ».

Précisons que ce chiffre de 15.700 ne concerne que les seuls CADA et ne donne pas une idée complète de tout le dispositif d'hébergement accompagné. Le but n'est pas seulement d'héberger les demandeurs d'asile ; encore faut-il les accompagner dans la mise en œuvre de leurs droits sociaux et tout au long de la procédure. La loi de décembre 2003 a conduit à une recentralisation des procédures d'asile au profit de l'OFPRA, installé à Val-de-Fontenay. De ce fait, toute audition pour les besoins de l'instruction d'un dossier oblige le demandeur à se déplacer dans le Val-de-Marne. Nous étudions avec nos collègues des affaires étrangères les moyens d'installer des antennes de l'OFPRA dans les départements, mais rien n'a encore été décidé. La formule des visioconférences, qui permet des entretiens à distance, d'ores et déjà utilisée avec les départements d'outre-mer, est certainement appelée à prendre de l'importance. En attendant, l'OFPRA, tout comme la CRR, est un organisme central et il faut monter à Paris.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Sur le nombre de dossiers déposés, combien de personnes se voient reconnaître la qualité de réfugié ? Dans quels délais ? Quel est le nombre des reconduites à la frontière ?

M. Jean Gaeremynck : La reconnaissance de la qualité de réfugié ou d'attribution du statut de réfugié est une « décision recognitive » - par laquelle on reconnaît que l'intéressé répond aux conditions de la convention de Genève.

La question des délais est évidemment centrale. Pour le ministère des affaires sociales - mais je crois cette position partagée par mes collègues de l'intérieur et des affaires étrangères -, si les flux de demandeurs d'asile ont crû dans de telles proportions en France au point que celle-ci est devenue leur premier pays de destination en Europe, accueillant 18 % du nombre total des demandes d'asile enregistrées dans les pays développés, c'est tout simplement que la France est attractive. Pourquoi ? Je vous livre ma conviction personnelle : même si nous sommes un beau pays, il n'y a pas davantage de libertés ni de droits sociaux chez nous qu'en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Italie ou ailleurs en Europe. Les pays européens sont sur ces plans totalement comparables au nôtre et les demandeurs d'asile y bénéficient de protections sociales et sanitaires comparables. L'attractivité de la France est bel et bien liée à la durée de ses procédures, qui donnent au demandeur d'asile la garantie d'une situation régulière.

Durant tout le temps que durera, au jour près, la procédure devant l'OFPRA puis devant la CRR, le demandeur est assuré de bénéficier d'une situation régulière, laquelle est recherchée pour elle-même. Certes, il ne lui est pas permis de travailler, mais le simple fait de pouvoir rester sur notre territoire durant plusieurs mois, sinon plusieurs années comme on l'a vu dans la période récente, est un encouragement de fait à rechercher des voies d'insertion et d'installation par le travail. Tout l'objectif du plan gouvernemental consiste à réduire le délai de traitement et, par ce biais, à réduire le flux de demandeurs. Tous les observateurs s'accordent à reconnaître qu'une grande partie de la demande d'asile tient à des raisons purement économiques, parfaitement compréhensibles mais sans rapport avec la convention de Genève. La faiblesse du taux de reconnaissance - 15 % - en démontre le caractère souvent artificiel.

Aussi des moyens supplémentaires considérables sur le plan humain et budgétaire ont-ils été alloués à l'OFPRA qui a ainsi pu réduire à deux mois son délai moyen de traitement des dossiers, contre dix mois en 2001-2002. La situation est différente à la CRR, devant laquelle la procédure doit recommencer dans 90 % des cas, la quasi-totalité des déboutés faisant appel. Les délais dépassaient encore douze mois fin 2004. Autrement dit, sachant qu'il faut compter entre-temps le délai de recours d'un mois, la procédure continue à prendre au total dix-huit mois, sinon deux ans, ce qui conforte l'attractivité de la France, contrairement à certains pays dans lesquels tout va très vite.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Quel serait à votre avis le délai raisonnable ?

M. Jean Gaeremynck : Six mois. Nous devrions pouvoir offrir assez rapidement 20.000 places de CADA au terme du plan de cohésion sociale. Mais pour accueillir 20.000 personnes, encore faudrait-il que la durée de séjour n'excède pas un an. Or le taux de rotation n'est aujourd'hui que de 0,5 %. Ramener la durée de l'accueil de dix-huit mois à six mois revient mécaniquement à tripler la capacité des CADA qui passerait de 15.000 à 45.000. De l'autre côté, le chiffre de 50.000 demandeurs d'asile par an apparaît encore largement artificiellement élevé par comparaison avec d'autres pays européens. L'objectif à terme du plan gouvernemental est de parvenir à une capacité d'accueil à peu près équivalente à la demande d'asile : les conditions d'accueil et de prise en charge des intéressés eux-mêmes en seraient à l'évidence considérablement améliorées.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Quel est le taux de reconnaissances et donc la proportion de déboutés ?

M. Jean Gaeremynck : Le taux de reconnaissance du statut résulte des décisions de l'OFPRA, puis de la commission des recours, celle-ci annulant environ 12 à 13 % des décisions de rejet qui lui ont été déférées. Au total, le taux de reconnaissance atteint 15 à 16 % en 2004. Il semblerait marquer une légère progression, contrairement à ce que vous laissiez entendre tout à l'heure.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : J'avais noté qu'il était de 30 % en 1993 et de 25 % entre 1994 et 1999.

M. Jean-Marie Rolland : Pouvez-vous nous détailler l'origine géographique des demandeurs d'asile, notamment des « proxi-européens », séparés par une seule frontière de l'espace Schengen ? Les mineurs isolés sont-ils compris dans vos chiffres relatifs aux mineurs accompagnants ? Enfin, la perspective d'une harmonisation européenne doit-elle rester un vœu pieux ?

M. Jean Gaeremynck : Je vous suggère d'auditionner le directeur de l'OFPRA pour connaître les chiffres les plus récents sur la structure de la demande d'asile. Le « bloc africain » a toujours été important. Le premier pays concerné est aujourd'hui la République du Congo, devant le Rwanda, le Burundi et les pays traditionnellement liés à la France, Mali et Sénégal. Du côté du Moyen-Orient, la Turquie est fortement représentée, et si la part de l'Irak, plus tourné vers les pays anglo-saxons, est marginale, celle de l'Iran n'est pas négligeable. La demande asiatique, assez traditionnelle, se répartit principalement entre les Tamouls du Sri-Lanka, dont une proportion notable obtient le statut de réfugiés, et la Chine, plusieurs fois en tête du classement ces dernières années. Dernier venu, le bloc des pays d'Europe centrale et orientale a connu une progression spectaculaire ces dernières années, particulièrement du côté des pays de l'ex-Yougoslavie et notamment de la Bosnie, mais également de la frange occidentale de l'ex-URSS - Arménie, Ukraine, Azerbaïdjan, Tchétchénie, Russie et Géorgie.

Dans la répartition par nationalité des admissions nouvelles dans le réseau des CADA - 8 600 au total en 2004, soit, compte tenu du taux de rotation, un peu plus de la moitié des places disponibles - la Russie vient en première place avec 20 % des admissions, suivie par les pays de l'ex-Yougoslavie avec 14 %, la Bosnie, non prise en compte dans les précédents, avec presque 9 %, l'Arménie avec 5,7 %. Le premier pays africain, la République du Congo, n'arrive qu'en cinquième position avec 5,4 %, devant l'Angola : 5,2 %. Suivent la Mongolie - cas très étonnant -, le Rwanda et la Géorgie.

Nous n'établissons pas de relevés des caractéristiques d'âge, de sexe ou d'ordre socio-économique dans les CADA. Ce serait très souhaitable à terme et l'OFPRA serait le mieux placé pour ce faire dans la mesure où c'est, pour les demandeurs, le lieu le plus approprié pour expliciter leur situation. On sait toutefois que le demandeur d'asile type est une personne jeune, animée, quoi qu'on en dise, d'un projet personnel fort, financièrement capable de payer les filières spécialisées dans l'immigration clandestine, et incontestablement dynamique. Au-delà de l'aspect de la détresse humaine, les demandeurs d'asile ne sont en rien des cas sociaux : ce sont plutôt des « costauds », sur le plan de la santé comme du mental.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : C'était bien le sens de ma question.

M. Jean Gaeremynck : Il suffit de visiter un CADA et de discuter avec les gens pour s'apercevoir de leur forte capacité à mener leur projet personnel, quel que soit le sort réservé à leur dossier. Cela n'est du reste pas sans poser problème dans les structures d'hébergement de droit commun et notamment les CHRS où se retrouvent un grand nombre de demandeurs d'asile, faute de places en CADA : nos collègues de la direction des affaires sociales y observent un « effet d'éviction » dans la mesure où les demandeurs d'asile, grâce précisément à leur dynamisme, savent chercher et trouver les appuis sociaux dont ils ont besoin au détriment de populations plus fragiles.

Autre phénomène, encore difficilement chiffrable, observé dans la période récente : la montée en puissance de la demande d'asile familiale. Hier encore, le demandeur d'asile était pratiquement toujours un individu isolé. Désormais, la proportion de demandeurs arrivant en famille, avec conjoint et enfants, s'accroît notablement, ce qui modifie radicalement la nature de la prise en charge demandée à la collectivité publique. Nos prédécesseurs ont pu connaître des crises d'accueil exceptionnelles comme lors des événements du Kosovo en 1999 ; mais jamais ils n'ont eu à répondre à des demandes d'une telle ampleur où la prise en charge porte sur des familles entières, avec notamment des enfants à scolariser, etc., sans même parler des enfants qui naissent en France à cause de la longueur des procédures... C'est là une caractéristique tout à fait nouvelle.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Cela complique d'autant le problème des déboutés...

M. Jean Gaeremynck : En effet. J'y reviendrai.

Les mineurs étrangers se décomposent en deux catégories ; d'un côté les mineurs accompagnants - 7 900 en 2004, 7 500 en 2003, 7 900 en 2002 -, enregistrés avec leurs parents qui eux-mêmes ont déposé un dossier ; de l'autre, les mineurs étrangers isolés qui apparaissent sur le territoire, pris en charge de manière totalement différente, suivant les procédures de droit commun applicables aux situations de détresse et de dépendance appelant une protection : signalement par les autorités de police, déferrement devant le juge des enfants, intervention éventuelle du juge des tutelles, placement auprès des établissements de l'aide sociale à l'enfance.

M. Jean-Marie Rolland : Ces demandeurs-là viennent en plus.

M. Jean Gaeremynck : Tout à fait. Selon le rapport établi par l'IGAS, on aurait compté 3.100 mineurs étrangers isolés en 2003 : en 2004, 2.400 auraient été pris en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance. Encore ces chiffres ne correspondent-ils pas à la réalité : non seulement l'enfant étranger isolé n'est pas immédiatement repéré par les structures de protection, mais l'appréciation de l'âge réel du soi-disant mineur n'est pas toujours facile et il n'existe aucune technique incontestable. La méthode dite de l'âge osseux suscite de vives critiques, mais il est difficile de s'en tenir aux simples déclarations de l'intéressé.

La consolidation de la situation juridique du demandeur pendant toute la durée de la procédure est, je l'ai dit, un des éléments de l'attractivité de la France. Sitôt que tombe la décision définitive - le plus souvent de la CRR, le Conseil d'État, qui nécessite le concours d'un avocat, étant très rarement saisi -, cet abri juridique disparaît et l'individu débouté est invité par la préfecture, qui avait enregistré sa demande et accordé le titre de séjour, à quitter la France dans un délai d'un mois. Certains partent, ou tout au moins disparaissent sans laisser de traces, d'autres pas, auquel cas les préfectures émettent des arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière, mis en œuvre par les autorités de police suivant la procédure de droit commun : interpellation, prise en charge dans un centre de rétention administrative et mise en œuvre de la procédure de reconduite proprement dite. La spécificité du demandeur d'asile disparaît : s'il se maintient sur le territoire, il devient tout simplement un étranger en situation irrégulière.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Et donc expulsable.

M. Jean Gaeremynck : Expulsable dans les conditions du droit commun. Je veux à ce propos dissiper une idée fausse : les membres de la famille sont parfaitement reconductibles à la frontière, la jurisprudence du Conseil d'État est sur ce point tout à fait claire. Le juge interdit seulement de disperser les familles : on ne peut évidemment reconduire les parents sans les enfants. Cela dit, si ce n'est pas un obstacle de droit, cela peut devenir un obstacle de fait lorsque les gens sont installés en France depuis des années. Un des enjeux du plan gouvernemental consiste à améliorer l'ensemble du système, les conditions d'accueil sur le plan social, mais également les conditions de reconduite. Il faut à ce propos relever que les enfants de réfugiés s'intègrent fort bien à l'école et leur cursus scolaire est souvent remarquable. Plus le séjour de la famille en France est long, plus la reconduite est difficile. La nationalité également entre en ligne de compte ; je vous renvoie au ministère de l'intérieur pour les chiffres...

M. Augustin Bonrepaux, Président : La reconduite à la frontière ne représente, semble-t-il, que 20 % des cas. Que deviennent les autres déboutés ?

M. Jean Gaeremynck : Du fait qu'ils sont en situation irrégulière, ils n'ont pas le droit de rester sur le territoire.

M. Augustin Bonrepaux, Président : Mais ils y sont...

M. Jean Gaeremynck : Certes, mais on a un mal fou à les compter : entrés dans la clandestinité, ils sont par définition peu amenés à effectuer des formalités administratives... Nous en retrouvons évidemment par le biais des structures d'hébergement d'urgence...

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Mais ils quittent alors les CADA.

M. Jean Gaeremynck : En effet. Avec un peu de retard, certes, mais c'est chose faite au bout de trois mois. Cela dit, ils peuvent parfaitement solliciter le système social de droit commun en appelant le 115. Les opérateurs ne leur demanderont pas leur situation administrative : ce n'est ni leur métier ni le sujet ; leur rôle est de traiter des situations de détresse. Bon nombre d'étrangers en situation irrégulière sont ainsi pris en charge dans les centres d'hébergement de droit commun. Les opérateurs sociaux ne font pas le détail entre les trois catégories : les demandeurs arrivés dans les CHRS faute de place en CADA, les bénéficiaires du droit d'asile, même si ceux-ci n'y restent jamais bien longtemps, et les déboutés. Pour eux, ce sont des demandeurs d'asile, sans plus.

M. Jean-Yves Audoin, conseiller maître à la Cour des comptes : La Cour a poursuivi en 2004 une série d'enquêtes commencées en 2003, juste avant les lois de novembre et décembre 2003. La loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité a notamment prévu dans son article 1er un rapport du Gouvernement au Parlement sur les orientations de la politique d'immigration. Ce rapport, qui vient d'être déposé, répond à une bonne part des questions posées, notamment sur les flux, les statistiques et les origines - confirmant les indications de M. Gaeremynck qui a du reste fait état de chiffres encore plus récents -, et va jusqu'à détailler le pourcentage des déboutés parmi les irréguliers, calculés par extrapolation sur les dossiers de régularisation - on sait qu'à côté des grandes périodes de régularisation, dont la dernière en date remonte à la loi RESEDA, il existe une multitude de motifs pour régulariser un dossier. Au-delà des incertitudes et des variations d'une préfecture à l'autre, on estime que 27,8 % des régularisés en 2003 seraient d'anciens déboutés du droit d'asile, contre 17 % en 1999 et 23 % sur la période de régularisation de la loi RESEDA. Autrement dit, un quart à peu près des régularisations bénéficient à des étrangers qui n'avaient pu accéder au statut de réfugié.

Les demandeurs d'asile ont évidemment droit, comme le prévoient les textes, y compris les textes européens, à un hébergement et un accompagnement ; encore faut-il qu'ils en aient réellement besoin. Cela aussi concourt à expliquer ce décalage entre les 57 000 demandes annuelles et le nombre de place disponibles.

Quoi qu'il en soit, le rapport au Parlement fournit nombre d'éléments utiles et votre programme d'auditions vous permettra de couvrir votre champ d'investigations. Vous aurez également tout loisir de nous entendre ; pour l'instant en tout cas, tous les éléments confirment la tendance décrite par M. Gaeremynck.

M. Gérard Bapt : Je voulais vous soumettre un problème budgétaire ponctuel spécifique à la Haute-Garonne, où l'État et le conseil général sont en conflit à propos du financement de l'allocation de logement temporaire, au point que les CHRS seraient prêts à licencier et à arrêter toute activité. Pourtant, les crédits sont prévus dans le budget...

M. Augustin Bonrepaux, Président : Ce problème n'est malheureusement pas propre à la Haute-Garonne... Ces conflits se retrouvent dans tous les départements. D'où ma question tout à l'heure.

M. Gérard Bapt : Je ne parlais pas de l'aide sociale à l'enfance, mais de l'ALT, qui a fait l'objet, semble-t-il, d'un transfert de 40 millions d'euros du budget du logement vers le budget de la solidarité, qui sont donc gérés par la DGAS.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Par ailleurs, comment s'établit la dépense d'hébergement, entre sa part consacrée aux CADA et la part consacrée à la prise en charge des hébergements à l'hôtel ?

Mme Claire Descreux : L'allocation de logement temporaire (ALT) fait partie de la gamme d'outils destinés à l'hébergement dit « généraliste », à distinguer du système spécifiquement dédié aux demandeurs d'asile. À côté des CHRS et des centres d'hébergement d'urgence, nous utilisons l'ALT pour des formules d'appartements en sous-location, sans oublier le recours aux chambres d'hôtel. Dans tous ces dispositifs, il nous arrive effectivement d'avoir affaire à des réfugiés à différents stades de la procédure, demandeurs d'asile, bénéficiaires ou déboutés en situation irrégulière. L'accueil de ces personnes est d'abord déterminé par des critères de détresse et il n'est pas toujours facile de connaître exactement le statut ni de vérifier les déclarations de l'intéressé.

Dans un rapport consacré aux familles déboutées du droit d'asile, l'IGAS a essayé l'an dernier d'estimer par des sondages locaux l'importance des populations concernées. D'après les éléments recueillis, on compterait 23 850 demandeurs d'asile hébergés dont 10.350 dans le dispositif dédié - CADA et accueil d'urgence des demandeurs d'asile -, le reste se répartissant dans le dispositif généraliste. S'y ajoutaient 5.400 réfugiés, dont 1.800 dans les structures dédiées, et 5.950 déboutés ou sans papiers, dont 850 dans le dispositif dédié. La situation est d'autant plus compliquée à évaluer que l'on trouve dans le dispositif dédié des gens qui ne devraient plus y être, et dans le dispositif généraliste des gens qui pourraient avoir droit au dispositif dédié... D'où ces effets de vases communicants.

M. Jean Gaeremynck : La réalité est effectivement très complexe, par le fait que les catégories sont totalement mélangées, et cela vaut pour les étrangers comme pour les formes d'hébergement.

On me permettra une entrée administrative - elle en vaut une autre, et elle a au moins le mérite de permettre d'identifier les responsabilités : ma direction est chargée du financement et de la prise en charge des demandeurs d'asile, cependant que la direction générale de l'action sociale est chargée du financement des dispositifs d'hébergement des personnes en situation de détresse. Le nombre de places en CADA, malgré l'effort budgétaire considérable de l'État, ne suffisant pas, en raison notamment de la durée des procédures, nous sommes obligés de solliciter des crédits complémentaires que nous obtenons en gestion et qui nous permettent de compléter les enveloppes de financement des CADA par des enveloppes « urgence » financées par ponction sur les fonds de réserve d'établissements publics excédentaires - agence sanitaire, OMI, FASILD - ou par décret d'avance. Ces moyens supplémentaires nous permettent de financer, par le biais des services déconcentrés, des places d'urgence sous forme de places d'hébergement collectif en foyer ou de nuits d'hôtel. Le recours aux chambres d'hôtel, dénoncé de tous côtés, est un des aspects les plus spectaculaires de la crise actuelle. Je suis parfaitement d'accord avec le caractère de mauvaise administration de ce système, mais il est difficile de faire autrement lorsqu'une filière d'acheminement vous « dépose » dans tel département plusieurs centaines de demandeurs d'asile de plus que ce que l'on recensait l'année précédente... Ledit département n'ayant pas les moyens de faire face à cette dépense supplémentaire, il faut bien trouver une solution d'urgence et l'hôtel est la solution la plus rapide. Ajoutons que ces solutions d'urgence sont essentiellement mises en place pour héberger les familles, et particulièrement les enfants ; les personnes isolées, on ne s'en occupe pratiquement pas...

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Que fait-on pour inciter les réfugiés ayant obtenu leur statut à libérer des places ?

M. Jean Gaeremynck : Pour eux, le problème ne se pose plus. Sitôt que leur statut est reconnu, les réfugiés reçoivent leur carte de résident et bénéficient de tous les droits sociaux, RMI et autres. Autrement dit, ils sont sauvés.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Mais ils peuvent bloquer des places en restant dans les CADA...

M. Jean Gaeremynck : Effectivement, mais guère plus de six mois, et j'ai tendance à considérer, en tant que gestionnaire, que c'est légitime. Nous avions auparavant un double réseau : les CADA et les centres provisoires d'hébergement (CPH) pour les réfugiés. Désormais, les places de CPH se retrouvent en fait dans les CADA, dont les gestionnaires commencent à bien connaître les moyens et les procédures pour aider les réfugiés à accéder au logement social. Là où la situation devient anormale, c'est lorsque des déboutés s'incrustent et obèrent le dispositif. Il en va tout autrement pour les réfugiés : disons que la distinction entre CADA et CPH est devenue moins claire et que les premiers assument désormais une partie de la mission autrefois dévolue aux seconds.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Cette absence d'adéquation entre le statut et l'hébergement aboutit à un mélange des genres certes compréhensible, mais dont je persiste à croire qu'il complique les choses.

M. Jean Gaeremynck : Les réfugiés ne demandent qu'une chose : accéder à l'autonomie, autrement dit au logement et au travail. Il faut bien prévoir une « période sas ». Ou bien l'on crée des établissements spécifiques, comme on l'avait fait avec les CPH, ou bien on les garde un temps en CADA. La crise des dernières années nous a conduits à concentrer tous nos moyens sur les CADA sans créer un seul CPH. Mais cela revient un peu au même ; mieux, cela fait de partie de ce que les équipes des CADA savent et aiment faire : aider les personnes qu'ils ont accompagnées dans l'obtention de leur statut à accéder au logement social et à s'en sortir.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Quel est le coût d'un hébergement en hôtel par comparaison avec une place en CADA ?

M. Jean Gaeremynck : Le coût moyen d'une place en CADA est exactement de 24,82 euros par personne et par jour. Ce chiffre, qui recouvre l'hébergement, la nourriture, l'accompagnement social, le transport vers l'OFPRA, le financement des éléments de la scolarisation des enfants et les petites dépenses de la vie quotidienne, ne paraît pas exorbitant. Par comparaison, une place en CHRS revient à presque 40 euros... Le coût de l'hébergement d'urgence est quant à lui estimé à un peu moins de 17 euros. Signalons toutefois, par honnêteté, que nous avons une mauvaise appréciation des coûts de l'hébergement en urgence alors que, pour les CADA, nous les connaissons à l'euro près, même si nous sommes en train d'en revoir totalement la structure avec les organismes gestionnaires, conformément aux exigences de la LOLF.

L'urgence, autrement dit la soudaineté de l'apparition du besoin, nous rend totalement dépendants de l'offre hôtelière dont la qualité est pour le moins extrêmement variable. Dans les cas de rareté, l'offre devient beaucoup plus chère que ce que nous souhaiterions ; et quand bien même nos gestionnaires se sont tellement habitués à cette situation de crise qu'ils en ont acquis une excellente connaissance du dispositif et se sont organisés pour minimiser au mieux les coûts, on ne saurait se satisfaire d'un tel système. N'oublions pas enfin que ces 17 euros ne correspondent qu'à l'hébergement sec, sans accompagnement ni même la prise en charge des besoins élémentaires : les intéressés sont renvoyés sur les banques alimentaires. C'est donc un mauvais système.

L'objectif gouvernemental, et les chiffres semblent attester que nous allons dans ce sens, est d'effacer totalement la dépense hôtelière. Nous souhaitons parvenir à une totale adéquation de la capacité du dispositif accompagné à la demande, afin que plus personne ne soit logé à hôtel. Ce ne sera pas encore le cas en 2005, même si la dépense hôtelière est appelée à diminuer.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : La création de CPH supplémentaires ne serait-elle pas une solution ?

M. Jean Gaeremynck : Pour moi, non. Mon expérience me porte à croire que ce système n'est plus justifié. Les équipes des CADA sont parfaitement capables d'assumer cette mission qui est le prolongement naturel de ce qu'elles savent faire. Ajoutons que nous avons développé, dans le cadre de la politique d'intégration, un service public de l'accueil articulé autour des plates-formes de l'OMI. Les réfugiés et leurs familles, contrairement à ce qui se passait auparavant, y sont totalement pris en charge, particulièrement pour ce qui touche à l'accompagnement social et à la formation linguistique, auparavant financés dans le seul cadre des CPH. Désormais, les réfugiés, logiquement assimilés aux nouveaux immigrants, pourront accéder à ce service public de l'accueil par le biais des plates-formes de l'OMI. Pourquoi vouloir interposer à toute force les centres provisoires d'hébergement entre nos CADA et notre dispositif d'accueil de droit commun ? Je n'irai pas jusqu'à dire que les CPH ne servent à rien, mais nous n'en créerons pas d'autres, à moins que les futurs ministres ne prennent une option différente. Pour l'instant, on ne nous l'a pas demandé.

M. Augustin Bonrepaux, Président : Monsieur Gaeremynck, Madame Descreux, nous vous remercions.

b) 11 heures 30 : M. Pierre Henry, Directeur général de l'association France Terre d'asile

Présidence de M. Augustin Bonrepaux, Président

M. Augustin Bonrepaux, Président : Nous sommes heureux d'accueillir M. Pierre Henry, Directeur général de l'association France Terre d'asile.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Mes questions porteront sur la même problématique : la répartition des places d'accueil des demandeurs d'asile entre les départements plus ou moins confrontés à la demande d'asile, les modalités de l'hébergement et les défauts éventuels du système actuel, le financement de l'hébergement et de la prise en charge des demandeurs, le manque de crédits.

M. Pierre Henry : Nous assumions depuis 1973 la coordination du dispositif national d'accueil, qui est aujourd'hui transférée à l'OMI puis à l'ANAEM. Cette fonction relève désormais de la compétence exclusive de l'État.

La répartition des demandeurs d'asile sur le territoire est d'abord fonction des principaux lieux d'arrivée : la région Île-de-France concentre 45 % des demandes d'asile, le reste des arrivées se répartissant principalement dans la zone que les économistes appellent « la banane bleue » : la métropole lilloise, le couloir rhodanien et le littoral méditerranéen. La diffusion de l'accueil sur tout le territoire a été favorisée par les créations de nouvelles places en centres d'accueil de demandeurs d'asile : le parc est ainsi passé d'un peu moins de 1.200 places en 2000 à près de 15.000 places fin 2004. Cette répartition reste cependant très inégale dans la mesure où les moyens sont eux aussi inégalement répartis. Ainsi, la région Île-de-France, avec seulement 2.500 places, souffre d'un déficit d'équipement, source d'énormes difficultés.

Ajoutons que le manque structurel de place dans le dispositif lui-même pose également problème. L'objectif que s'est fixé le Gouvernement de faire passer le taux d'hébergement de 42 % à 55 % entre 2004 et 2006, pour louable qu'il soit, n'en est pas pour autant suffisant. Seule la proposition d'un hébergement systématique en CADA, avec accompagnement spécialisé, sera de nature à clarifier le dossier des demandeurs d'asile, et à garantir l'effectivité de leurs droits, conformément à l'objectif fixé dans le programme gouvernemental d'accueil et d'intégration.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Quels problèmes budgétaires rencontrez-vous dans la gestion des centres d'hébergement ?

M. Pierre Henry : Depuis 2000, la dotation fixée en loi de finances initiale est nettement insuffisante, ce qui oblige à procéder par abondements successifs. Les parlementaires ont maintes fois dénoncé cette pratique qui met en danger bon nombre d'associations chargées de gérer le dispositif. France Terre d'asile gère des CADA dans trente départements. Leur financement s'effectue dans le cadre d'une dotation globale inscrite en loi de finances initiale - je signale à ce propos que le coût moyen de la place de CADA n'est pas de 24,81 euros, mais de 24,51 euros par jour et par personne. Le problème ne se pose pas au niveau des CADA, mais bien au niveau des places d'hébergement d'urgence au titre de l'asile, que le Haut comité au logement chiffrait dans son dernier rapport à 19.000, pour un montant total de 103 millions d'euros. Dans la seule ville de Paris, près de 8.000 chambres d'hôtel ont été répertoriées pour 2004, qui représentent un coût total estimé de près de 57 millions d'euros, occupées par des demandeurs d'asile et pour moitié par des déboutés, autrement dit par des gens qui sont à 89 % dans l'impossibilité juridique de travailler ! Dans de telles conditions, tout projet à moyen ou long terme est évidemment difficile à construire.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : L'accueil dans ces centres se double-t-il d'une action sociale spécifique ?

M. Pierre Henry : Dans ces 24,51 euros par jour et par personne, 40 % sont dévolus à l'hébergement et au versement d'une allocation sociale globale, 40 % aux frais de personnel. La norme à France Terre d'asile est d'un travailleur social pour dix personnes accueillies, enfants compris. Encore cette norme ne rend-elle pas compte des spécialisations qu'impose l'accompagnement dans des domaines aussi divers que la scolarité, la santé, le suivi juridique et l'aide aux dossiers. On comprend dès lors pourquoi le taux de reconnaissance du statut de réfugié oscille entre 60 et 70 % pour les demandeurs en CADA alors que la moyenne n'est que de 15 %... Il est vrai que certaines nationalités - les Chinois ou les Maliens, par exemple - refusent systématiquement d'entrer dans nos structures d'accueil. Reste que la comparaison entre ressortissants de même nationalité montre que le taux de reconnaissance varie de cinq à un suivant que l'intéressé est entré en CADA ou est resté en dehors. C'est bien la preuve que seul un accompagnement spécialisé peut garantir l'effectivité des droits.

M. Gérard Bapt : Sitôt qu'un demandeur d'asile est débouté, il cesse d'être couvert par la CMU et tombe dans le régime de l'aide médicale de l'État. Qu'en est-il aujourd'hui ? Les 24,51 euros par jour servent-ils également à financer le ticket modérateur ou l'accès à la santé ?

M. Pierre Henry : Les déboutés ne restent pas plus de deux mois en CADA. Nos équipes spécialisées savent comment les aider à rejoindre des structures d'accueil humanitaires, qui prennent le relais. Quant au financement de la CMU et du ticket modérateur, il relève d'une autre ligne budgétaire.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : À quoi servent les 20 % restants de ces 24,51 euros ?

M. Pierre Henry : À financer l'amortissement des équipements et les frais de structure. Il faut savoir que la plupart de nos structures d'accueil sont désormais des « CADA éclatés », autrement dit des appartements disséminés sur un territoire donné, ce qui en facilite l'acceptation. En contrepartie, la gestion d'un parc immobilier suppose de mobiliser des ressources en conséquence.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Comment décide-t-on de prendre en charge un demandeur d'asile ? Quels critères retenez-vous pour lui proposer tel ou tel type d'hébergement ?

M. Pierre Henry : Le mode d'admission dans les structures spécialisées repose sur des commissions départementales d'admission - plus une commission nationale destinée avant tout à désenclaver la région parisienne. Entre la demande, l'état de l'offre et une série de critères d'urgence, l'urgence se retrouve à chasser l'urgence... Autrement dit, il n'y a pas véritablement de choix, si ce n'est l'urgence, à l'entrée des structures d'accueil pour demandeurs d'asile ! Bien évidemment, il faut être titulaire d'une autorisation provisoire de séjour et avoir formellement déposé son dossier à l'OFPRA. En dépit des efforts déployés par l'État, qu'il faut saluer, le nombre des nouveaux arrivants dans le dispositif d'accueil n'a pas dépassé 7.500 en 2004 alors que nous disposons de 15.000 places. Les raisons de cette situation tiennent à la durée de la procédure, réduite au niveau de l'OFPRA, mais rallongée au niveau de la CRR, ou encore à la présence dans les CADA de 17 % de réfugiés ayant obtenu leur statut et de 7 à 8 % de déboutés.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Le dossier de demande d'asile est-il si difficile à constituer ? Le délai d'examen est effectivement un élément déterminant pour la question de l'hébergement.

M. Pierre Henry : Chacun admettra qu'il faut un niveau certain de maîtrise de la langue française comme des arcanes de notre droit pour le remplir... Faute de quoi, on rencontrera les pires difficultés. Signalons à ce propos que le raccourcissement du délai d'instruction de 30 à 21 jours, tel qu'il ressort des dispositions de la loi adoptée en décembre 2003, n'est mentionné nulle part dans le dossier. Il s'ensuit une proportion de rejets administratifs de l'ordre de 5 % ; ce n'est pas négligeable, mais surtout, cela me paraît difficilement acceptable dans une grande démocratie.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Les demandeurs d'asile ne bénéficient-ils pas d'un accompagnement pour monter leur dossier ?

M. Pierre Henry : Uniquement s'ils ont la chance de pouvoir recourir aux services d'une organisation comme la nôtre... Cela suppose que le dispositif soit correctement mis en place sur l'ensemble du territoire - autrement dit, que des plates-formes d'accueil et d'orientation soient mises en places dans les principaux lieux d'arrivée. Là encore, un gros effort a été réalisé : on en compte désormais quatorze, mais les moyens ne sont malheureusement pas à la hauteur. La plate-forme dont nous nous occupons sur Paris accueille près de 1.200 personnes par jour... Pour gérer un tel flux - accueil, domiciliation, courrier, aide juridique, etc. - on nous finance en tout et pour tout quinze salariés... Et France Terre d'asile est certainement parmi les mieux lotis ! Quelle administration publique supporterait de travailler dans de telles conditions ? Les crédits affectés ont été évalués à 60.000 euros par plate-forme ; il est très difficile de réaliser de telles missions avec une enveloppe aussi mince...

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Souhaitez-vous un raccourcissement des délais d'examen des demandes d'asile ?

M. Pierre Henry : J'ai toujours plaidé pour un raccourcissement des délais d'examen des dossiers. Il n'est pas bon que des gens restent sans réponse ni droit au travail pendant dix-huit mois. Un délai normal d'instruction des dossiers, alliant un objectif quantitatif à un objectif qualitatif, devrait être de l'ordre de six mois. Faute de quoi, l'accélération de l'examen des dossiers ne répondra qu'à un objectif purement quantitatif en reportant les difficultés sur la commission des recours et produisant en bout de chaîne des déboutés par manque d'accompagnement spécialisé.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Vous estimez donc qu'un délai de six mois est adapté, sans compter le recours.

M. Pierre Henry : Six mois, sans compter le recours, nous paraît l'objectif souhaitable. L'analyse des annulations par la CRR des décisions de l'OFPRA est à cet égard assez révélatrice. Nous aurions pu penser que l'accroissement des moyens accordés à l'OFPRA se répercuterait sur la qualité des dossiers. Or, loin de se réduire, le taux d'annulation est passé 9,8 % en 2003 à près de 12,6 % en 2004. Se pose dès lors la question de la qualité de la décision rendue en première instance à l'OFPRA. Cela nous conforte dans l'idée qu'il ne faut pas sacrifier l'objectif qualitatif à l'objectif quantitatif.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Nous nous sommes interrogés tout à l'heure sur le profil sociologique des demandeurs d'asile. On nous les a décrits comme des gens plutôt jeunes, voire « costauds »... Cette appréciation vous paraît-elle fondée ? Existe-t-il un profil type ?

M. Pierre Henry : Il n'y a pas de profil type. La demande d'asile peut évidemment s'analyser par continent : le premier par le nombre de provenances est aujourd'hui l'Europe de l'Est - 24.529 personnes en 2004 - suivie par l'Afrique - 20.924 - puis par l'Asie - 10.575. On observe une distorsion dans les demandes d'entrée en CADA, où 60 % des hébergés viennent d'Europe de l'Est et 40 % d'Afrique.

Pour fuir son pays d'origine, il faut des moyens. Économiquement parlant, les candidats à l'asile ne sont pas les plus pauvres. Il faut avoir quelques ressources pour arriver jusque sur le territoire français... Je ne crois pas qu'il existe d'étude sur l'ensemble de la cohorte des demandeurs d'asile. Pour ce qui est des réfugiés statutaires, les situations sont très diverses, notamment parce que bon nombre d'arrivées se font désormais en famille, et souvent en familles monoparentales qui posent un énorme problème, moins en termes d'intégration qu'en termes d'autonomie à brève échéance : une femme avec enfants ne trouve pas facilement un travail ni, donc, un logement.

Une bonne part de la capacité d'accueil des centres provisoires d'hébergement est mobilisée par les familles monoparentales, dans la mesure où c'est dans un CPH que l'on peut construire un projet professionnel durable. La crise de la demande d'asile appelle des solutions alternatives, faute de quoi elle risque fort de se déporter de l'amont vers l'aval - plus de décisions entraînant plus de réfugiés statutaires, mais également plus de déboutés. Ajoutons que les CPH, dont la vocation est d'aider à atteindre l'autonomie par le travail et le logement, ne sont pas forcément implantés dans les zones économiquement les plus dynamiques... Il serait plus pertinent de les réorienter vers la prise en charge des familles les plus vulnérables, notamment monoparentales. Pour le reste, nous devons travailler à des solutions en articulation avec le droit commun dans le logement social privé et public, ce qui suppose la mise en place de dispositifs de garantie - la généralisation d'un fonds de garantie logement, par exemple - et le renforcement de l'allocation logement temporaire, autrement moins coûteuse que les CPH.

M. Jean-Marie Rolland : Une mission d'évaluation et de contrôle a pour raison d'être d'apprécier l'ampleur des crédits affectés, de savoir qui fait quoi, qui paie quoi et qui coordonne quoi. Or nous avons le sentiment d'un fractionnement de l'accueil, du soin, de l'hébergement et de l'orientation, et d'une gestion au cas par cas. Pouvez-vous, fort de votre pratique du terrain, nous aider dans ce travail d'identification ? Les formes d'immigration ont connu une extraordinaire évolution. Autrefois individus isolés, les arrivants viennent de plus en plus en famille ; se pose de surcroît le cas des mineurs étrangers isolés. L'évolution des origines ethniques aura également des incidences sur l'efficacité de notre politique. Pouvez-vous nous aider à répondre à toutes ces questions ?

M. Pierre Henry : Qui fait quoi, qui paie quoi et qui coordonne quoi ? Pour ce qui est des structures d'accompagnement spécialisé, le fléchage est clair : les crédits proviennent d'un abondement sur le chapitre 46-81, article 60, et les opérateurs - 180 au total - sont parfaitement répertoriés.

Pour ce qui est de l'urgence, et particulièrement de la mise en place du dispositif d'urgence hôtelier, on sait également qui paie. Mais les opérateurs sont trop souvent des marchands de chambres peu préoccupés d'accompagnement. Ce constat est largement partagé. Plusieurs groupes hôteliers, voire des structures d'économie mixtes se sont portés sur ce marché depuis deux ou trois ans, ce qui n'est pas sans poser des difficultés.

À l'urgence au titre de la première arrivée vient s'ajouter l'urgence au titre de l'insertion. Là encore, les choses ne sont pas toujours très claires. Les réfugiés statutaires doivent compter environ soixante jours avant que leurs droits soient reconnus et quatre-vingt-dix jours en moyenne pour recevoir leur carte de résident, sans parler du temps qu'il leur faudra, une fois leurs papiers en poche et leurs droits assurés, pour atteindre la nécessaire autonomie. Ajoutons que les structures d'accueil comptent désormais une grande proportion - près de 80 % - de non francophones, et si les formations linguistiques font désormais l'objet d'efforts importants dans le cadre du contrat d'accueil et d'intégration, ce transfert de moyens s'est opéré au détriment des CPH qui se sont vu retirer les financements correspondants.

Il faut éviter la stratégie du millefeuille. Le RMI est devenu le revenu de base du réfugié entrant dans la société française. Or qui dit RMI dit insertion, ce qui suppose un accompagnement et un suivi. Nous avons maintes fois insisté sur la nécessité d'articuler l'accompagnement de l'intéressé par le biais du RMI avec le contrat d'accueil et d'intégration afin d'éviter la multiplication des référents. Enfin, l'offre linguistique nous semble mal adaptée.

Pour ce qui est des mineurs isolés demandeurs d'asile, 33 places spécifiques sont financées, situées à Boissy-Saint-Léger, à comparer aux 1.200 dossiers de mineurs isolés déposés à l'OFPRA...

Les modes d'arrivée ont en effet considérablement évolué. Les demandeurs arrivent de plus en plus en famille, contrairement à ce qui se passait il y a quelques années, où l'asile restait essentiellement le fait d'hommes isolés, qui faisaient ensuite venir leur famille au titre du regroupement.

M. Augustin Bonrepaux, Président : Monsieur Henry, nous vous remercions. Je remercie également la Cour des comptes d'avoir assisté à cette séance.

Auditions du 12 mai 2005

a) 9 heures 30 : M. Jean-Loup Kuhn-Delforge, directeur de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), et M. François Bernard, président de la Commission des recours des réfugiés (CRR)

Présidence de M. Augustin Bonrepaux, Président

M. Augustin Bonrepaux, Président : Je vous souhaite la bienvenue à cette audition de notre mission d'évaluation de contrôle, consacrée aux coûts de la politique d'asile.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : La France est aujourd'hui le premier pays destinataire des demandeurs d'asile, alors que d'autres pays européens, qui devaient faire face à des flux importants de demandeurs d'asile, ont vu, récemment, ces flux diminuer considérablement. C'est pourquoi je souhaite interroger M. Kuhn-Delforge sur les raisons qui expliqueraient la situation française, et sur les perspectives que l'on peut tracer aujourd'hui.

Par ailleurs, comment évolue la demande d'asile ? Quelle est la proportion respective des demandes d'asile individuelles et familiales ? Quel est le nombre des mineurs isolés demandeurs d'asile et quelle est leur situation. Pour ces derniers, comment expliquer le taux d'admission sur le territoire plus élevé et à quel titre sont-ils admis, si ce n'est en qualité de réfugiés ? Existe-t-il, enfin, des données socio-économiques qui permettent de connaître l'âge, le niveau d'études et la profession des demandeurs. Il s'agit enfin de comprendre pourquoi, alors que le nombre de demandes baisse partout ailleurs en Europe, ce n'est pas le cas en France.

M. Jean-Loup Kuhn-Delforge : Les données du HCR indiquent en effet que la France est le premier pays auquel s'adressent les demandeurs, avant les États-Unis, la Grande-Bretagne, l'Allemagne et l'Autriche. En rapportant le nombre de demandes à la population de ces différents États, c'est le dernier cité qui est en tête des pays de l'Union européenne.

Quelles en sont les raisons ? Tout d'abord, la France est à la rencontre de plusieurs mondes. Notre compagnie aérienne nationale est l'une des rares dont le réseau mondial dessert à la fois le Moyen-Orient, l'Afrique sub-saharienne et l'Asie. Notre pays est aussi au carrefour de l'Europe, du monde méditerranéen et de l'Afrique ; il entretient des liens historiques privilégiés avec un certain nombre de régions du monde ; il a dans le monde la réputation d'être la patrie des droits de l'homme.

Mais joue aussi ce qu'on appelle en anglais l'asylum shopping, c'est-à-dire le fait pour un certain nombre de demandeurs de rechercher le pays le plus favorable à une utilisation du droit d'asile comme une faille pour se glisser dans le dispositif général d'immigration.

Généreuse en matière d'aide, la France offre aussi une liberté de circulation sur son territoire : le demandeur peut présenter son dossier dans la préfecture de son choix et s'établir où il le souhaite. Aux Pays-Bas, il est placé dans un centre fermé dans lequel pendant cinq jours sa demande est examinée. En Allemagne, il se voit assigner une résidence et ne peut quitter le Kreis.

À cela s'ajoutait jusqu'ici, pour l'OFPRA comme pour la Commission de recours, le fait que le délai de traitement des dossiers était plus long que celui observé chez nos partenaires, qui de surcroît ont procédé plus tôt à des réformes. Désormais, la loi du 10 décembre 2003 et le décret du 14 août 2004 commencent à produire leurs effets, qui seront vraiment sensibles à partir de 2006.

L'ensemble de ces causes contribue à expliquer le nombre supérieur de demandes adressées à notre pays. En revanche le taux de reconnaissance ne joue pas car, avec en moyenne 10 % d'acceptation des dossiers depuis plusieurs années, notre taux n'est pas supérieur à celui nos partenaires.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Les possibilités de recours ne jouent-elles pas aussi un rôle ? Un demandeur d'asile peut soumettre son dossier à réexamen autant de fois qu'il le veut : est-il vrai que ce phénomène s'est accentué ces derniers mois ?

M. Jean-Loup Kuhn-Delforge : Le principe, tel qu'il se dégage de la jurisprudence du Conseil d'État, consiste à admettre qu'après le rejet, la situation du demandeur peut changer en fonction des évolutions politiques, ethniques ou sociales de son pays et de la situation de sa famille qui y est restée. S'il peut exciper de faits nouveaux, il lui est donc loisible de demander un réexamen de son dossier.

Le nombre des recours avait triplé de 2003 à 2004, il n'a « que » doublé au premier trimestre 2005, mais il va sans doute remonter puisque la CRR a une activité importante qui se traduira par des rejets supplémentaires.

Plusieurs raisons expliquent ce triplement. La première est que les déboutés précédents ont demandé un réexamen de leur cas après l'adoption de la loi de décembre 2003 dans l'espoir de bénéficier de l'élargissement du champ de la convention de Genève et de la nouvelle la notion de protection subsidiaire contre les traitements inhumains et dégradants. Par ailleurs, l'Office comme la CRR ayant examiné plus rapidement les dossiers et ayant fortement « déstocké », le nombre de rejets a augmenté comme, en conséquence, celui des demandes de réexamen. Enfin, certaines nationalités ont traditionnellement recours au réexamen, notamment les Turcs.

Je rappelle toutefois que si on ne peut dans l'absolu limiter le nombre de demandes susceptibles d'être introduites par un étranger, les nouvelles dispositions réglementaires permettent, sur le plan des procédures, d'encadrer l'instruction des demandes successives dans des délais extrêmement brefs (actuellement moins de 96 heures, pour la plupart d'entre eux) et de priver les intéressés du caractère suspensif d'un éventuel recours.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Dans certains pays, le demandeur ne peut accéder à l'aide sociale au stade du réexamen. En France, en revanche, il n'y a pas de distinction entre ces deux procédures et le demandeur bénéficie de la totalité de la protection instituée au moment de la demande initiale.

M. Jean-Loup Kuhn-Delforge : À moins que le préfet concerné ne classe immédiatement la demande en estimant qu'elle constitue une manoeuvre dilatoire destinée à éviter l'éloignement du territoire car dans ce cas, je le précise à nouveau, la demande de réexamen n'ouvre pas de droit au séjour et un éventuel recours n'a pas de caractère suspensif.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Quand la liste des pays sûrs, qui facilitera l'instruction des dossiers, sera-t-elle adoptée ?

M. Jean-Loup Kuhn-Delforge : La notion de pays d'origine sûr figure dans la loi de décembre 2003 comme dans la directive européenne sur les procédures d'asile, qui a fait l'objet d'un accord politique le 29 avril 2004 et qui devait être publiée d'ici la fin de cette année. Cette dernière donne une définition plus précise, qui porte davantage sur l'idée de protection subsidiaire contre les traitements inhumains et dégradants. La loi de décembre 2003 confie au conseil d'administration de l'OFPRA la responsabilité de déterminer la liste, « dans l'attente » de la liste européenne. Cette dernière n'a pas pu être établie jusqu'ici, chaque État membre ayant une position propre sur les pays à retenir. Cette directive sur les procédures va donc paraître sans liste commune mais il est prévu qu'au moment de la parution de la liste, celle-ci s'ajoutera aux listes nationales. Certains de nos partenaires ont déjà établi une telle liste : l'Allemagne, l'Autriche, le Danemark, l'Irlande, la République Tchèque, la Nouvelle-Zélande, l'Australie et les États-Unis, la Grande-Bretagne qui a dressé une liste importante de 16 pays dont plusieurs lui sont directement liés comme le Bangladesh, le Sri Lanka et l'Inde. La Hongrie et le Luxembourg ont également prévu d'établir une liste mais ils ne l'ont pas encore adoptée.

En France, nous devrions donc adopter une liste en juin prochain, dans le respect de la définition de la loi et de l'esprit de la directive. Ainsi, un pays est dit sûr quand il veille au respect des principes de liberté, de démocratie, d'État de droit, des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la directive y ajoutant la notion de traitements inhumains et dégradants et exigeant l'existence d'un système de sanctions efficaces contre les violations des droits de l'homme.

L'inscription d'un pays sur cette liste n'entraîne qu'une présomption et ne fait pas obstacle à ce que ses ressortissants arrivent en France et demandent l'asile, ni à ce que l'OFPRA in fine leur accorde le statut de réfugié. Pendant la période d'instruction, ils jouiront d'une garantie de non-éloignement, mais ne pourront bénéficier ni de droit au séjour ni de prestations sociales. En cas de rejet, le recours devant la CRR ne sera pas suspensif et les déboutés pourront donc être éloignés immédiatement du territoire.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Le législateur aurait-il eu tort en 2003 de nous priver de la possibilité de mettre en œuvre une liste française même après l'adoption de la liste européenne ?

M. Jean-Loup Kuhn-Delforge : Cette question du maintien ou non d'une liste nationale en France reste ouverte mais n'a guère d'importance si nous adoptons une liste réduite comportant les mêmes pays que la future liste européenne. Pour sa part, la Grande-Bretagne s'est empressée d'adopter une liste nationale exhaustive avant que les travaux européens ne progressent...

J'en viens à vos questions plus précises sur les demandeurs d'asile. Je rappelle que nous ne nous prononçons que sur des demandes individuelles, et non sur des demandes groupées. Les mineurs accompagnants, c'est-à-dire qui suivent le chef de famille, représentent 13,6 % des premières demandes en 2004 et 14 % au premier trimestre 2005. 35 % des demandeurs se déclarent mariés, ce qui ne signifie ni que leur conjoint est en France ni qu'il est demandeur d'asile. Certaines nationalités sont plus fréquemment en famille : les Tchétchènes, les Bosniaques, les Serbo-Monténégrins, les Roms de différents États. Cela tient à la proximité géographique et à l'habitude de se déplacer en famille ; cette situation comporte des conséquences sociales et budgétaires ainsi qu'en termes d'ordre public.

Les situations sont très différentes selon les pays d'origine et les habitudes. Dans le cas de l'ex-URSS et de l'ex-Yougoslavie, les gens se sont d'abord déplacés en famille au sein de ces territoires avant de venir en Occident, toujours en famille. En Afrique, en revanche, les hommes partent en éclaireurs tandis que la famille reste sur place.

Nous avons un très grand problème avec les mineurs isolés, dont le nombre est en forte augmentation même s'il tend à se modérer au premier trimestre de cette année. Ils sont majoritairement originaires d'Afrique noire car les graves conflits qui s'y sont produits ont détruit un grand nombre de familles, les jeunes se trouvant ainsi livrés à eux-mêmes. Parmi ces mineurs, 61 % sont d'origine africaine, beaucoup venant de République démocratique du Congo et d'Angola ; 96 % d'entre eux ont plus de 16 ans et sont donc proches de la majorité, ce qui pose le problème de l'expertise osseuse pour déterminer leur âge réel. Parce qu'il s'agit d'une population très sensible, nous pratiquons une audition systématique avant toute décision et nous sommes tenus d'obtenir la désignation d'un administrateur ad hoc, qui accompagne le jeune dans toutes les phases de la procédure. Ce dispositif alourdit et ralentit cette dernière, mais il est très protecteur.

Peut-être faut-il voir aussi dans l'augmentation du nombre de personnes concernées un effet indirect de la réforme de l'article 21-12 du Code civil par la loi du 26 novembre 2003, qui a restreint les conditions d'accès à la nationalité française pour les mineurs isolés étrangers sous protection sociale. En effet, les services d'aide à l'enfance incitent désormais les jeunes à se présenter en tant que demandeurs d'asile parce qu'ils y voient un moyen plus facile d'accéder à la nationalité.

En 2004, le taux d'admission des mineurs isolés a été de 22,7 %, et de 26,7 % après décision de la CRR. S'il est supérieur au taux global c'est peut-être parce que nous avons un a priori favorable, mais aussi parce que l'histoire et le parcours des jeunes le justifient.

Statistiquement, celui qui demande le statut de réfugié est un homme, célibataire, de 31 ans. Nous ne disposons pas en revanche de données par niveau d'études et par profession.

M. Gérard Bapt : Avez-vous quand même une idée de la qualification des demandeurs ?

M. Jean-Loup Kuhn-Delforge : Elle est très variable, notamment en fonction de la nationalité. Nous accueillons aussi bien des gens simples que des personnes très qualifiées mais, faute d'éléments statistiques, je ne puis vous répondre précisément. Nous nous efforcerons désormais de recueillir ces informations.

M. Yves Deniaud : Y a-t-il une forte proportion d'analphabètes ?

M. Jean-Loup Kuhn-Delforge : Je ne le crois pas, mais cela dépend beaucoup de la nationalité, des flux, des conflits. Peut-être la CRR a-t-elle une idée plus précise à ce sujet.

Mme Béatrice Pavy : On ne peut plus parler de mineur isolé si l'expertise osseuse montre que le demandeur a plus de 18 ans... Que se passe-t-il dans ce cas ?

M. Jean-Loup Kuhn-Delforge : Certains parquets se fondent sur cette expertise pour refuser de désigner des administrateurs ad hoc, estimant que le jeune est majeur. Nous engageons alors avec un dialogue difficile parce que l'OFPRA ne se satisfait pas obligatoirement de l'expertise osseuse, d'autres éléments du dossier dont nous disposons permettant de se prononcer. Souvent l'expertise est rédigée de la sorte : « Aspect général faisant estimer l'âge de l'intéressé entre 17 et 19 ans. Radiographie de la main compatible avec un âge de 18 ans. Méthode morphologique correspondant à un âge de 17 à 19 ans. Méthode dentaire correspondant à un âge supérieur à 16 ans. » Il est donc normal d'avoir un débat sur la désignation d'un administrateur à partir de tels critères...

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Je souhaite revenir sur le délai de traitement théorique de la demande d'asile qui, d'après votre bilan, a été réduit à deux mois en 2004. Cette accélération s'est-elle confirmée au cours des premiers mois de 2005 ?

M. Jean-Loup Kuhn-Delforge : Deux mois est en effet un chiffre théorique qui correspond à un stock stabilisé à 11.600 demandes et au chiffre de 5.000 à 6.000 décisions rendues par mois. Ce délai s'est vérifié au cours des premiers mois de cette année et il paraît incompressible compte tenu des délais de convocation et d'instruction.

La situation varie selon la nationalité et selon la complexité du dossier. Mais il nous arrive de traiter en une seule journée un dossier complexe, par exemple tchétchène, et de mettre beaucoup plus longtemps à traiter un dossier facile comme celui d'un Chinois.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Est-il vrai qu'il y a une inégalité d'accès à la qualité de réfugié entre les demandeurs hébergés dans les centres d'accueil et ceux qui sont moins bien pris en charge ?

M. Jean-Loup Kuhn-Delforge : Nous avons beaucoup étudié cette question, car circule actuellement une pétition au Président de la République sur le thème des « faux déboutés du droit d'asile ». L'association France Terre d'asile affirme en effet qu'un certain nombre de personnes ont été déboutées parce qu'elles n'ont pas bénéficié d'une procédure juste et équitable, n'ayant pu être reçues dans un délai de 21 jours parce qu'elles sont en extrême précarité, tandis que ceux qui sont logés dans les CADA ont cinq fois plus de chances de voir leur demande aboutir parce qu'ils bénéficient d'un accompagnement et d'une sécurité matérielle.

Je ne nie pas que le fait d'être hébergé et accompagné constitue une aide, mais la corrélation relativement automatique qui est faite pour certains entre l'hébergement en CADA et l'admission au droit d'asile doit être relativisée. En effet, on trouve surtout dans ces centres des ressortissants de nationalités difficiles - Tchétchènes, Rwandais, Bosniaques - à fort taux d'admission. Et on observe un plus faible taux d'admission chez les Chinois, les Turcs, les Sri-Lankais, les Moldaves, qui ne demandent rien aux pouvoirs publics et qui ont leurs propres réseaux et leurs propres communautés.

Par ailleurs, le fait d'être admis en CADA résulte souvent d'un examen préalable du dossier. Ainsi, ce sont souvent des familles qui y entrent, ce qui renforce la concentration de certaines nationalités et augmente le nombre de décisions favorables.

Être hébergé dans un de ces centres permet aussi d'être assuré de recevoir son courrier dans les meilleures conditions, ce qui est plus aléatoire quand on dépend d'une association domiciliatrice.

S'agissant des Afghans et des Sierra-Léonais, les chiffres cités par France Terre d'asile (qui a lancé une pétition assise sur la corrélation CADA admission à laquelle je faisais allusion) et repris par Libération le 15 mars, ne correspondent pas aux nôtres : sur 196 demandes de Sierra-Léonais, il y a eu 27 accords dont quatre concernaient des personnes logées en CADA. Ces proportions sont équivalentes pour les Afghans.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Quelles ont été les répercussions du renforcement du formalisme avec l'obligation de présenter la demande en français dans un délai de 21 jours ?

M. Jean-Loup Kuhn-Delforge : La réforme qui a fait passer le délai de présentation de la demande de quatre à trois semaines avait suscité l'opposition de ceux qui craignaient qu'elle prive beaucoup de demandeurs de l'accès à la procédure. Au cours des premiers mois, nous avons eu un taux de non-enregistrement de 10 %, ce qui était peu mais qui demeurait trop élevé. Grâce à l'effort de pédagogie des ONG et de nous-mêmes, nous sommes tombés à 5 %, et même moins pour les divisions Afrique et Europe. On peut donc dire que les nouvelles obligations n'ont pas vraiment été un obstacle à l'accès au droit d'asile.

Dès lors que la loi du 10 décembre 2003 posait le principe de l'audition du demandeur, ce qui est une avancée, il convenait que nous nous conformions à cette obligation et nous avons atteint lors des premiers mois de cette année 87 % de taux de convocation, pour environ la moitié de présentations effectives. Si on retire du total les dossiers excellents qui font l'objet d'un accord immédiat et ceux qui relèvent de l'article 1 C5 de la convention de Genève. On peut dire que la quasi-totalité des demandeurs sont effectivement appelés à faire valoir leurs arguments lors d'entretiens, ce qui est très important car beaucoup d'entre eux ne sont guère accoutumés à une procédure écrite. Nous constatons ainsi souvent que le meilleur dossier n'est pas forcément le mieux préparé.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Ramener le délai de traitement des dossiers à deux mois ne conduit-il pas à une baisse de la qualité des décisions rendues ?

M. François Bernard : Je ne le pense pas. Et je réfute solennellement l'idée selon laquelle nous braderions les réfugiés à des fins de déstockage. L'Office accorde plus de garanties qu'autrefois, avec un taux d'entretiens de 87 %. Quant à la CRR, bien que le nombre d'affaires jugées ait doublé, la durée de ses audiences est passée en deux ans, pour un nombre d'affaires équivalent, de 4 heures 45 à 5 heures 15. Nous avons donc augmenté le temps que nous consacrons à chaque affaire, et je ne puis laisser dire que nous aurions réduit les garanties offertes aux réfugiés.

M. Jean-Loup Kuhn-Delforge : Si la qualité n'était pas au rendez-vous, nous le saurions car nous avons comme partenaire un milieu associatif très vigilant, avec lequel nous entretenons de bons rapports et qui, par exemple, travaille avec nous à la réforme du formulaire de demande d'asile.

Nous combinons rapidité de traitement, quantité et qualité car notre premier devoir de service public à l'égard des demandeurs et de fixer ceux-ci sur leur situation. Tout en « déstockant » fortement depuis la fin de 2003, nous avons mis en place des instruments destinés à garantir la qualité en formant ceux qui instruisent les demandes, en effectuant des missions extérieures, en renforçant nos services juridique et documentaire. Il n'y a donc pas opposition entre brièveté du délai et qualité, bien au contraire les deux notions sont liées et complémentaires.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Vous paraîtrait-il opportun de créer des antennes décentralisées de l'Office, voire des délégations de la CRR, dans les régions Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte-d'Azur ?

M. Jean-Loup Kuhn-Delforge : La question se pose surtout en Rhône-Alpes qui connaît un afflux de demandes et qui est la deuxième région en nombre de demandes. La situation est également explosive en Guadeloupe avec une très forte demande des Haïtiens (la première en France). Regrouper dans une plateforme régionale des représentants du ministère de l'intérieur, du ministère des affaires sociales et de l'OFPRA me paraît toutefois une « fausse bonne idée », qui confond unité de lieu et unité de temps : ce n'est pas parce que l'OFPRA sera à Lyon dans le même espace que la préfecture qu'il pourra s'affranchir de ses délais de convocation et d'instruction. Il faut aussi éviter les flux secondaires entre les régions. Pourquoi traiterait-on à Lyon certaines nationalités plutôt que d'autres ? Comment répartir nos interprètes et nos officiers de protection spécialisés dans l'instruction des demandes en fonction des nationalités ?

Cela semble aller à l'encontre du mouvement de décentralisation, mais il vaut mieux conserver une force de frappe regroupée. Toutefois, pour tenir compte des problèmes spécifiques de ces régions et des contraintes d'escorte du ministère de l'intérieur, nous pourrions prévoir des audiences foraines au cours desquelles les officiers de protection spécialisés viendraient entendre, en une fois, une population identifiée. C'est déjà un peu ce que nous avons fait dans un passé récent en dépêchant une équipe dans certaines régions pour entendre sur place des groupes importants de tell ou telle nationalité, arrivés dans certaines régions. Des missions de ce type sont actuellement effectuées tous les deux ou trois mois en Guadeloupe. Il serait également possible d'organiser des visioconférences pour répondre à des besoins plus ciblés. Il s'agirait au total de plates-formes « virtuelles » et non permanentes.

M. Yves Deniaud : Il ne vous étonnera pas que la MEC s'intéresse surtout aux aspects financiers. J'aimerais donc que vous nous indiquiez quelles ont été les évolutions de vos moyens ces dernières années et comment il vous est possible de faire face à l'accélération du traitement des demandes.

M. Jean-Loup Kuhn-Delforge : Les résultats actuels de l'OFPRA, en termes de délai de traitement, ont été atteints grâce à un important effort de productivité de nos agents mais aussi aux moyens très importants dont les pouvoirs publics nous ont dotés. Ainsi, nos effectifs budgétaires ont été doublés depuis la crise du traitement de l'asile en 2001. Dans le même temps, nos moyens budgétaires ont été multipliés par 2,5.

L'ensemble de l'établissement public OFPRA et CRR disposait en 2004 de 863 agents répartis à peu près équitablement entre les deux organismes. Nous avons procédé en 2003-2004 à de très importants recrutements de contractuels - ce qui fait que l'instruction des demandes est réalisée à 71 % par des CDD d'un an -, et leur nombre dépasse maintenant celui des titulaires. On peut toutefois se demander s'il est normal que cette tâche régalienne, qui est au cœur de nos préoccupations politiques et sociales, soit confiée à des personnes sous contrat, surtout pour une durée aussi brève, ce qui pose aussi la question de la professionnalisation et de la formation de ces agents à l'exercice d'un véritable « métier ».

Pour l'ensemble de l'établissement, le budget 2005 est de 53,9 millions.

M. Nicolas Perruchot : Je crois qu'on peut dire qu'il y a eu un « avant » et un « après » le décret du 14 août 2004. Je suis de très près l'évolution de la situation à Blois et je vois mal comment on pourrait tenir le délai de deux mois. J'ai surtout le sentiment qu'en réduisant le délai pour l'Office on risque de l'augmenter pour la CRR...

M. Jean-Loup Kuhn-Delforge : Avant la réforme, le délai était d'environ plus ou moins un an. Passer à deux mois nous a aussi permis de rajeunir notre stock, et les 11.600 dossiers qui restent en attente ne sont globalement pas très anciens.

M. Nicolas Perruchot : Si on analyse le coût de cette réforme, j'appelle l'attention de mes collègues sur l'explosion des coûts d'hébergement. En 2003 et en 2004, nous avons dû, à Blois, pour faire face à 450 arrivées dans une ville de 50.000 habitants, sans doute en raison de la saturation du département voisin du Loiret, faire une avance de trésorerie à l'État pour que cet hébergement puisse être assuré. Faute de centre d'urgence, c'est à l'hôtel que ces personnes ont dû être hébergées. Cela fait donc deux ans qu'elles y habitent car depuis juin 2003 leur cas n'a pas encore été traité. Faute d'avoir préalablement négocié un tarif de groupe, on imagine ce que cela coûte. J'ajoute que le préfet n'avait pratiquement pas de possibilités de réquisitionner des gymnases ou des écoles et que, si nous avons bien quelques dizaines de places en CADA dans le Loir-et-Cher, le fait que les plates-formes associatives soient implantées uniquement dans les villes chefs-lieux empêche de répartir cette population sur tout le territoire. Cette explosion du coût de l'hébergement, que nous suivons régulièrement grâce à des tableaux hebdomadaires, nous conduit aujourd'hui à renoncer à certaines aides sociales.

On peut douter de la capacité de l'État à traiter de plus en plus de demandes dans un délai de plus en plus bref. Si 90 % des demandes sont rejetées, pourquoi garde-t-on ces gens pendant deux ans sur le territoire, avec l'obligation de les loger, de les nourrir et de les aider ? À quoi bon avoir voté une loi contre l'immigration irrégulière ? Pour ma part, je vais suivre de très près l'évolution de la situation avec la mise en œuvre des nouveaux textes, car je crains qu'on se contente de déplacer le problème de l'OFPRA vers la CRR.

M. Jean-Loup Kuhn-Delforge : Notre budget couvre les frais de loyer, de personnel et d'interprétariat. Les 53,9 millions marquent un pic puisque cette somme tient compte du renforcement important de la CRR. Il est vrai qu'on peut rapporter notre budget au coût pour l'État de l'hébergement des demandeurs d'asile !

M. François Bernard : Je reviendrai sur le problème essentiel des délais de traitement. Je crois que la crainte que l'accélération du traitement des demandes par l'OFPRA soit compensée par un allongement du côté de la CRR n'est pas fondée : on peut améliorer les choses des deux côtés, c'est ce que nous sommes en train de faire.

M. Gérard Bapt : Il est un peu choquant de recourir autant à des contractuels recrutés pour un an, dont la rotation rapide nuit sans doute à l'efficacité du dispositif.

Pouvez-vous nous indiquer quels moyens l'Allemagne et la Grande-Bretagne affectent à ce type d'actions ?

M. Jean-Loup Kuhn-Delforge : Nous disposons d'une comparaison à compétences égales, que je vous transmettrai dans les meilleurs délais. Elle montre que, par rapport à la demande, nous consacrons des moyens inférieurs à ceux qu'engagent l'Autriche, la Belgique et la Grande-Bretagne, cette dernière ayant mis en place une procédure ultrarapide mais fortement consommatrice en crédits et en personnels.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : La CRR a bénéficié, on l'a dit, de recrutements supplémentaires. Pouvez-vous, Monsieur Bernard, nous indiquer quels sont les évolutions prévisibles de son personnel et les besoins estimés pour 2006 ?

M. François Bernard : Nous avons actuellement 398 agents, auxquels s'ajoutent 136 magistrats vacataires qui composent nos formations de jugement dotées chacune d'un président et de deux assesseurs. Le gouvernement a accepté l'an dernier de financer le recrutement de 125 personnes sous contrat d'un an, qui expirera le 15 décembre de cette année. Nous reviendrons donc à cette date à la situation antérieure, avec un effectif de 273 agents. Si le gouvernement a accepté de faire un effort sans précédent dans la fonction publique, c'est afin que nous résorbions notre stock de 47.700 dossiers en instance au 31 décembre 2004. Ce chiffre avait terrifié tout le monde, mais encore faut-il savoir que la commission est la première juridiction française en nombre d'affaires jugées et que voir arriver 51.000 dossiers en un an est assez inhabituel pour une juridiction.

Je puis aujourd'hui affirmer avec un optimisme raisonné que ces moyens exceptionnels nous auront permis, avant la fin de l'année, de résorber notre retard et de tomber sous les 10.000 affaires en instance. Il semble difficile d'aller plus loin car cela correspond à trois mois d'entrées, compte tenu des nécessités d'une procédure juridictionnelle contradictoire. J'observe toutefois que l'aide juridictionnelle alourdit considérablement le processus, j'y reviendrai.

Si nous avons gagné à la fin de l'année le pari de la résorption du stock, le départ des 125 contractuels sera possible, d'autant que la demande d'asile, qui avait doublé ces deux dernières années, paraît se ralentir puisque nous sommes passés de 4.400 recours par mois en 2004 à 3.400 recours en ce moment.

Je nourris toutefois une inquiétude très forte car je crains que l'application de la directive relative aux procédures d'asile, courant 2006, ne fasse sauter le verrou essentiel qui freine l'aide juridictionnelle. La procédure actuelle présente en effet un certain nombre de particularités. Elle est alourdie par l'interprétariat, puisque 103 langues sont traduites, ce qui complique tout et double la durée des séances. On ne connaît pas, par ailleurs, d'autres exemples d'un tel pourcentage de décisions administratives attaquées devant le juge : 80 % des rejets de l'OFPRA font l'objet d'un recours. Le taux de 50 % d'affaires plaidées est également spectaculaire, et cela nous prend deux fois plus de temps. Qui plus est, les demandes de réouverture sont maintenant multipliées par trois.

Nous sommes dans un secteur véritablement professionnalisé : un étranger qui arrive demande la qualité de réfugié, va systématiquement devant le juge quand elle lui est refusée, et présente une demande de réouverture quand sa requête est repoussée. Jusqu'ici, nous étions en quelque sorte protégés par la loi de 1991, qui permettait de refuser l'aide juridictionnelle quand l'étranger était entré irrégulièrement en France. La nouvelle directive va faire sauter - et on peut le comprendre - ce verrou. Alors que 12 % des personnes prenaient un avocat à leurs frais et que 38 % bénéficiaient de l'aide juridictionnelle, désormais tous ceux qui ne pourront s'offrir les services d'un avocat vont la demander et le nombre d'affaires plaidées va doubler.

D'après les études réalisées par mon prédécesseur, rebus sic stantibus, la commission pourra fonctionner jusqu'à l'année prochaine mais, après transposition de la directive, on peut prévoir que l'embauche de 40 personnes de plus sera nécessaire.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Le nombre des dossiers transmis à votre commission a fait un véritable bond, passant de 34.000 en 2003 à 61.000 en 2004. Même si on observe une diminution depuis le début de l'année, comment expliquez-vous cette judiciarisation ?

M. François Bernard : C'est à l'Office qu'il faut poser cette question, car le nombre des recours augmente parallèlement à celui des demandes traitées par l'OFPRA. Si on observe les courbes depuis une vingtaine d'années, on voit qu'il y a eu des périodes calmes, de 1988 à 1990 et de 1996 à 1998, au cours desquelles la CRR traitait environ 15.000 recours, et des pics, avec trois fois plus de demandes. Il y en avait eu un en 1991-1992, il y en a eu un autre ces dernières années, que nous sommes en train de résorber. Pourquoi de tels pics ? Le directeur général vous répondra mieux que moi...

M. Jean-Loup Kuhn-Delforge : Nous sommes tous les deux sur la même voie, avec, si je puis dire, des « goulots d'étranglement » qui se déplacent et se succèdent. Parce que nous avons déstocké, donc débouté de nombreux dossiers, le nombre des recours devant la CRR a augmenté.

Le véritable départ des demandes d'asile date de la fin des années 1970. Alors que nous n'avions eu jusque-là qu'à traiter globalement que des demandes liées à la guerre froide et à la division de l'Europe, à partir de 1975 nous avons connu un flux croissant et plus diversifié, avec le phénomène des boat people, tandis que les moyens de l'OFPRA stagnaient. Cela a provoqué un allongement des délais qui a attiré vers la France les filières d'immigration. Après le pic de 1989, le gouvernement a décidé en 1990-1991 de supprimer le droit au travail (plus exactement d'opposer le marché de l'emploi) et de renforcer l'OFPRA. Du coup, les délais se sont raccourcis et on est retombé à un très bas niveau en 1996. Ensuite, nous nous sommes engagés dans une démarche de qualité qui a allongé les délais et qui, combiné aux crises internationales, a provoqué une augmentation des demandes et débouché sur la crise récente du traitement de l'asile dont nous commençons à sortir. Désormais, la France semble rejoindre le mouvement général des pays industrialisés : nombre global de demandes a diminué de près de 25 % en 2004, les demandes correspondant à l'asile territorial disparu ne se retrouvant par-devant l'Office. La baisse se poursuit au cours des premiers mois de 2005 puisqu'elle dépasse 12 %.

Mais, on le voit, ces mouvements sont très fluctuants. C'est notamment ce qui explique un besoin permanent en agents contractuels afin d'ajuster notre action.

J'ajoute que nous sommes les seuls en Europe à ne traiter que l'asile, les organismes équivalents à l'étranger s'occupant également d'immigration, ce qui permet, quand il y a moins de demandes d'asile, d'affecter les agents à d'autres tâches. En France, l'Office relève du ministère des affaires étrangères, ce qui a un sens puisque nous travaillons à partir d'analyses géopolitiques.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : La réforme de l'asile, ayant élargi le champ d'application de la convention de Genève, s'est-elle traduite par l'apparition d'une nouvelle catégorie de demandes ?

M. Jean-Loup Kuhn-Delforge : Non, car il y avait auparavant l'asile territorial de la loi RESEDA de 1998, qui a été supprimé par celle de décembre 2003 et qu'on ne retrouve pas devant l'OFPRA puisque le nombre des demandes a diminué de 26 %. Le passage au guichet unique se traduit donc par une diminution.

En fait, l'asile territorial, qui faisait l'objet d'un traitement pouvant aller jusqu'à deux ans en préfecture, avec un très faible taux d'acceptation, était utilisé à 85 % par les Algériens qui y trouvaient avantage. L'Office disposant pour ce qui concerne l'Algérie d'une capacité de traitement très importante et donc très rapide des dossiers, cela n'arrange pas du tout les demandeurs et on observe une chute spectaculaire du nombre des demandes de la part des Algériens.

Par ailleurs, la protection subsidiaire introduite par la loi du 10 décembre est d'application très faible puisque 84 admissions ont été prononcées à ce titre au deuxième semestre 2004 et une cinquantaine au premier trimestre 2005. En fait l'extension du champ d'application de la convention de Genève retire beaucoup d'intérêt à la protection subsidiaire contre les traitements inhumains et dégradants, qui permet toutefois, même si cela concerne un faible nombre de dossiers, de prendre en compte de nouvelles problématiques comme les mariages forcés, les mutilations génitales féminines, la prostitution et l'homosexualité.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Que pensez-vous de la façon dont s'effectue la demande d'asile à l'aéroport de Roissy ? La zone d'attente, dans laquelle j'ai l'intention de me rendre, a-t-elle vraiment été améliorée ?

M. Jean-Loup Kuhn-Delforge : Pour ma part, je m'y suis rendu car, bien qu'elle relève du ministère de l'intérieur, nous y sommes présents en permanence. J'ai trouvé des locaux remarquables, des installations de grande qualité et donc de très bonnes conditions d'accueil.

Si la demande d'asile est exprimée à la descente des avions - 96 % des demandes d'asile aux frontières sont faites à Roissy - la police aux frontières dresse un procès-verbal de la demande, avec recours si nécessaire à un interprète, et la personne est ensuite conduite en Zone d'attente pour personnes en instance (ZAPI). Les agents de l'Office, présents sur place sept jours sur sept, entendent systématiquement les demandeurs et donnent leur avis au ministère de l'intérieur sur le caractère manifestement infondé ou non de la demande, afin de permettre à la personne d'entrer sur le territoire national pour y déposer sa demande dans les conditions habituelles. Cet avis est rendu dans 96 % des cas sous quatre jours et dans 90 % sous 48 heures.

La diminution du nombre de demandes a été spectaculaire - moins 55,6 % entre 2001, où nous avions eu 10.500 demandes, et 2004 -, parce que le renforcement des effectifs a rendu la procédure très rapide et donc moins attractive. Par ailleurs, l'introduction du visa de transit aéroportuaire en 2003 a limité l'accès à Paris par avion. Les mesures prises par les pays étrangers dans les aéroports de départ - je pense en particulier à celui de Kinshasa - et la multiplication des contrôles à bord a également joué un rôle important.

M. François Bernard : Je suis optimiste. L'effort exceptionnel accompli en faveur de la commission nous permettra de résorber le déficit avant la fin de l'année et nous pourrons même tenir le cap l'an prochain si la tendance actuelle se maintient. Mais, même si nous n'y pouvons rien car cela tient à une directive européenne, je nourris, je l'ai dit, une inquiétude en ce qui concerne l'aide juridictionnelle. Un autre facteur d'incertitude est, bien évidemment, la possible modification des courbes actuelles.

S'agissant du délai, je pense que l'Office pourra régler les affaires en deux mois, ce qui n'est guère ordinaire dans l'administration française pour des dossiers aussi complexes. Pour la commission, le stock est de trois mois et même de quatre compte tenu des contraintes. Mais, entre les deux, il s'écoule encore un mois et demi parce que le débouté attend souvent la fin du délai d'un mois pour déposer son recours et parce qu'il faut aussi tenir compte de l'acheminement postal.

Il semble difficile de réduire cette période, surtout dans la mesure où la faible insertion des personnes concernées dans la collectivité les empêche de réagir plus rapidement.

M. Jean-Loup Kuhn-Delforge : À l'OFPRA, nous ne sommes pas favorables à une forme de judiciarisation du traitement des demandes. Dans tous les pays, c'est généralement l'entretien du demandeur d'asile avec l'officier de protection qui fonde la décision. Or, en Allemagne et dans d'autres États, on va plus loin : un conseil du demandeur peut être présent et demander des rectifications au procès-verbal signé par les deux parties. En France, on reste pour l'instant dans le dialogue singulier entre le demandeur et l'officier ainsi, éventuellement qu'un interprète. On peut penser que la nouvelle directive va conduire les ONG à accentuer la pression pour que ce dispositif soit modifié, ce qui conduirait à un allongement de la procédure.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Pouvez-vous nous indiquer quel a été le nombre des déboutés ces dernières années et combien sont prévisibles en 2005 ?

M. François Bernard : En 2005, je pense que nous jugerons 74.000 affaires. Avec un taux d'annulation de 14,3 %, ce sont donc environ 10.000 personnes qui seront admises au séjour, s'ajoutant aux quelque 6.000 demandes qui seront acceptées par l'Office. Il y aura donc 64.000 déboutés par la CRR. Il y en a eu 45.000 en 2004, 39.000 en 2003, 28.000 en 2002 et 23.000 en 2000. On peut penser que si la tendance actuelle se confirme, avec un pourcentage d'annulation constant, il n'y aura plus que 34.000 rejets en 2006.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Il est intéressant de se pencher sur les exemples des pays étrangers. La réforme intervenue au Royaume-Uni a permis de réduire à six mois le traitement des dossiers, procédure d'appel comprise. Pensez-vous que des mesures de ce type pourraient être transposées en France ?

Pour sa part, l'Allemagne fait obligation aux Länder de créer des centres d'accueil pour les demandeurs. Elle a aussi instauré l'obligation pour ceux qui perçoivent des prestations d'effectuer un travail d'intérêt général. Qu'en pensez-vous ?

M. Jean-Loup Kuhn-Delforge : L'exemple britannique est intéressant puisqu'il a permis de réduire de 41 % les demandes d'asile en 2003 et qu'une nouvelle baisse est intervenue en 2004. Il semble toutefois difficile de transposer chez nous les mesures qui ont été prises dans ce pays, car elles ne correspondent ni à nos traditions, ni à notre système juridique, ni à nos habitudes administratives.

Il me semble que l'exemple néerlandais est à la fois plus intéressant en termes de résultat et plus proche de nos propres méthodes. La réforme d'avril 2000 a permis de passer de 44.000 demandes à 9.000 en 2004.

En Grande-Bretagne, l'appel n'est pas suspensif pour les ressortissants des 24 pays considérés comme sûrs. Nous pourrons faire de même quand nous aurons notre propre liste, et c'est d'ailleurs déjà le cas pour les pays relevant de l'article 1 C5 de la convention de Genève.

La restriction de l'accès à l'aide sociale est une vraie question, mais qui ne relève pas de l'Office.

S'agissant de l'obligation de visa de transit aéroportuaire (VTA), nous faisons mieux que nos voisins, puisque nous l'imposons déjà à 28 pays contre 24 pour la Grande-Bretagne.

Pour les contrôles conjoints aux frontières, la Grande-Bretagne dispose d'Immigration officers qui vérifient déjà un certain nombre de choses à Colombo ou à Dacca.

Pour accélérer le traitement des dossiers, la Grande-Bretagne dispose de la procédure fast track, qui se déroule dans des centres fermés concédés au secteur privé et qui ont connu d'importants problèmes récemment. Cette procédure est lourde et onéreuse. Il ne semble guère conforme à notre tradition juridique de limiter le délai de recours à cinq jours.

Pour toutes ces raisons, le modèle britannique ne paraît pas totalement transposable.

Dans le système néerlandais, la demande d'asile est faite dans un centre fermé. Il en existe un pour les demandeurs venant de pays Schengen et un autre pour les demandeurs extérieurs à l'espace Schengen. Je m'y suis rendu, c'est un grand bâtiment très moderne d'où on ne peut pas sortir avant cinq jours. On y conduit, après 48 heures, une série d'entretiens destinés à « filtrer » les demandes et à éliminer les plus faibles d'entre elles. Les ONG et les avocats y sont présents afin de garantir le respect des droits de l'homme. 40 % des demandes sont ainsi traitées dans les cinq jours. Pour le reste, le délai d'instruction est supérieur à celui de l'OFPRA et le traitement peut aller jusqu'à six mois. Il n'est pas possible, comme en France, de faire la demande dans un département de son choix, différent de celui où on réside.

De même, en Allemagne, l'obligation faite aux Länder de créer des centres d'accueil prive les demandeurs d'asile du choix de leur résidence. Les pouvoirs publics ont dès lors été conduits de constituer un parc immobilier pour ce logement obligatoire. Les choses se passent de la même façon en Belgique. Cela rend sans doute moins intéressant de déposer la demande dans ces pays quand l'asile n'est pas le but recherché, car l'assignation à résidence empêche de s'établir dans le bassin d'emploi de son choix.

Dans sa conférence de presse du 11 mai, le ministre de l'intérieur a annoncé une évolution de notre pratique, affirmant qu'il convenait de « mettre fin à la pratique de certains demandeurs d'asile » qui déposent leur demande dans le département de leur choix, et a proposé de soumettre le bénéfice des prestations sociales à l'acceptation du logement proposé par le préfet. C'est ce qui a été fait en Allemagne et en Belgique où on a lié logement et prestations sociales. En Grande-Bretagne, on contraint le débouté à des travaux d'intérêt général pour rembourser les aides perçues. On est encore assez loin, en France, de telles mesures...

M. Nicolas Perruchot : Les 40 % de personnes dont les dossiers sont rejetés dans les cinq jours sont-ils systématiquement reconduits à la frontière ?

M. Jean-Loup Kuhn-Delforge : Je l'ignore. Mais on peut penser que le fait d'avoir le demandeur « sous la main » de l'administration, dans un centre fermé, facilite la reconduite...

Chez nous, le demandeur se présente parfois à l'OFPRA avec plusieurs années de résidence en France. Il est convoqué, il vient ou ne vient pas. S'il est débouté, il dépose un recours devant la CRR, et vient ou ne vient pas...

M. François Bernard : Il s'agit en fait ici de l'attractivité comparée des différents pays. Je ne reviens pas sur le traitement social des demandeurs, qui ne nous concerne absolument pas. Sur un plan strictement juridictionnel, il y a un certain nombre de solutions jurisprudentielles et législatives différentes selon les pays.

Le législateur français a conduit en décembre 2003 une réflexion importante, en particulier sur les délais de recours, qu'il semble impossible de réduire davantage, au vu de notre tradition juridique. Il n'a pas choisi alors de rendre ces recours suspensifs.

Il a procédé à une innovation potentiellement très importante qui n'a pas beaucoup joué jusqu'ici, c'est la possibilité d'un rejet par ordonnance, par un juge unique, d'une demande qui ne contient manifestement aucun argument sérieux de nature à remettre en cause la décision de l'OFPRA. Cette procédure s'ajoute aux rejets traditionnels, pour irrecevabilité, de 10 à 15 % des requêtes. Elle ne concerne encore que 5 à 6 % des dossiers, mais elle pourrait jouer davantage, d'autant que le Conseil constitutionnel l'a validée avec un considérant très intéressant aux termes duquel, si elle semble offrir moins de garanties, elle permet de mettre en œuvre le premier droit des demandeurs d'asile : celui d'être jugé rapidement.

La protection subsidiaire prévue par la loi du 10 décembre 2003 n'est pas très utilisée, non plus que l'asile interne qui fait, par exemple, qu'un Kurde de Turquie, persécuté dans sa montagne, peut en revanche vivre en toute tranquillité à Istanbul. Le Conseil constitutionnel a un peu rogné cette mesure, mais il faudra réfléchir à son application.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Pensez-vous que limiter le dépôt de la demande au département de résidence présenterait un avantage ?

M. Jean-Loup Kuhn-Delforge : Cela ne changerait sans doute rien à l'instruction ni au fond de la demande, mais l'impossibilité pour le demandeur de choisir le bassin d'emploi qui lui convient réduirait sans doute l'attractivité de notre pays.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Tout ce qui concerne la résidence est très important car cela a des effets sur les flux d'immigration, le débouté venant grossir le nombre des personnes en situation irrégulière.

M. Jean-Loup Kuhn-Delforge : En Belgique, le demandeur d'asile est soumis à l'obligation de logement en centre d'accueil. À défaut, il perd ses droits sociaux et ne peut même pas déposer sa demande. Pour que cette mesure soit crédible, le gouvernement belge a lancé un programme de construction de centres, mais il n'a pas eu besoin d'aller jusqu'au bout car la demande d'asile a, entre-temps, été divisée par deux.

M. Augustin Bonrepaux, Président : Je vous remercie d'avoir participé à cette audition.

Audition du 9 juin 2005

9 heures 30 : M. Stéphane Fratacci, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l'intérieur, M. Pierre Debue, directeur central de la police aux frontières, M. Jean-Louis Figuet, chef du bureau logistique, informatique et transmissions de la police aux frontières, Mme Véronique Garnier, chef du bureau éloignement de la police aux frontières, M. Éric Tison, chef du bureau droit d'asile de la direction des libertés publiques et des affaires juridiques, Mme Dara Sin, adjointe au sous-directeur des affaires financières, M. Olivier André, adjoint au sous-directeur de l'administration territoriale, M. Louis-Michel Bonté, secrétaire général de la préfecture de Seine-Saint-Denis et Mme Dominique Bacle, directrice des étrangers à la préfecture de Seine-Saint-Denis

Présidence de M. Yves Deniaud, Président

M. Yves Deniaud, Président : Je souhaite la bienvenue à M. Stéphane Fratacci, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l'intérieur, et à M. Pierre Debue, directeur de la police aux frontières, qui sont accompagnés de M. Jean-Louis Figuet, de Mme Véronique Garnier, de M. Éric Tison, de Mme Dara Sin et de M. Olivier André.

Je salue également la présence des représentants de la Cour de comptes, qui éclaire nos travaux de sa lumière.

M. Jean-Louis Dumont : Je rappelle, au passage, qu'Yves Jego et moi-même avions demandé à rencontrer des responsables de la Cour des comptes et que nous n'avons pas obtenu de réponse favorable. Je m'étonne de ce refus. N'oublions pas que le Parlement a lui aussi un rôle à jouer dans le contrôle des comptes de la Nation.

M. Yves Deniaud, Président : Vous avez parfaitement raison, mon cher collègue.

La Mission d'évaluation et de contrôle travaille cette année, entre autres sujets, sur l'évaluation du coût budgétaire des demandes d'asile, concernant l'hébergement, les contentieux et le contrôle aux frontières. Le droit d'asile revêtant un caractère sacré dans la tradition républicaine, notre Mission a pour objectif de distinguer entre, d'un côté, ce qu'il est nécessaire de faire pour le respect de la dignité des personnes et, de l'autre, les dérives financières, imputables au manque d'organisation, au laisser-aller ou au manque de clarté des textes réglementaires applicables.

Les précédentes auditions nous confortent dans la volonté d'examiner les différents coûts de façon approfondie et nous attendons de votre part des réponses claires et précises.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : La France reste le premier pays d'accueil pour les demandeurs d'asile et il est important que nous comprenions les causes de cette situation et les perspectives d'évolution de notre système.

Par quels moyens de transport et par quelles frontières extérieures ou intérieures les demandeurs d'asile accèdent-ils au territoire français ?

M. Pierre Debue : Les demandeurs d'asile accèdent au territoire français par toutes les frontières extérieures et intérieures à l'espace Schengen, sans exception.

On les remarque surtout à l'aéroport de Roissy, plus grand poste frontière de France, qui, l'année dernière, a drainé 51 millions de passagers, dont plus de 80 % à l'international hors Schengen, grâce au hub Air France. Nombre de ces passagers sont en situation irrégulière, soit qu'ils possèdent de faux papiers, soit qu'ils prétendent ne passer à Roissy que pour un transit et tâchent de se perdre dans les méandres de l'aéroport pour entrer irrégulièrement sur notre territoire. Ainsi, l'année dernière, plus de 2.500 personnes ont demandé l'asile à leur entrée sur le territoire national : 1.100 ont émis leur requête spontanément - ou plutôt dès qu'ils ont compris, lors du contrôle initial, que leur irrégularité était découverte - tandis que les autres présentaient leur demande au cours de leur passage en zone d'attente suivant immédiatement le refus d'admission sur le territoire.

Roissy étant un lieu tentateur, des mesures ont été adoptées pour les vols en provenance de pays sensibles, en sus des aubettes, à la porte des avions : cela permet de détecter les passagers qui se sont débarrassés de leurs papiers dans l'avion en espérant ensuite échapper aux autorités dans la zone internationale, avant le contrôle initial, avec ou sans complicité. Un certain nombre d'entre eux, sur les conseils des officines ou des filières, demande l'asile dès le constat de leur irrégularité par les services de police.

Beaucoup de demandeurs d'asile entrent également sur le territoire national par les frontières intérieures de l'espace Schengen, particulièrement en provenance des Balkans ou de l'Europe de l'Est, les communautés nationales - géorgienne, kosovare ou bosniaque - se regroupant ensuite dans telle ou telle ville en fonction de l'« accueil social », ou des points d'attache qu'ils y retrouvent.

Aux frontières maritimes, nous enregistrons nettement moins de demandes d'asile que l'Italie, l'Espagne ou la Grèce, pays assaillis par l'immigration clandestine transportée par bateaux entiers. En France, les irréguliers maritimes tentent d'entrer généralement comme passagers des ferries ou dissimulés à bord de cargos.

Aucune frontière n'est cependant épargnée par les flux de demandeurs d'asile. Certains immigrés clandestins souhaitent s'installer en France mais d'autres comptent y rebondir vers d'autres pays, en particulier le Royaume-Uni. Une bonne partie des demandeurs d'asile bénéficie de l'aide d'officines ou de réseaux criminels organisés contrôlant toute la filière jusqu'au pays d'arrivée. Ils sont ensuite exploités d'une manière ou d'une autre pour rembourser le tarif plein de leurs pérégrinations. En tout cas, j'y reviens, 90 % des demandes d'asile à la frontière sont enregistrées à Roissy.

M. Stéphane Fratacci : L'asile à la frontière est une procédure autonome par rapport à l'application de la Convention de Genève, qui peut toutefois déboucher sur une admission au titre de l'asile, à charge pour l'intéressé, une fois admis sur le territoire, de présenter une demande formelle devant l'OFPRA, l'Office français de protection des étrangers et apatrides.

Je vais citer deux séries de chiffres concernant les demandes d'asile par nationalité, pour 2004 et pour le début de 2005. En 2004, selon le rapport de l'Office, 4.409 demandeurs se déclaraient Turcs, 4.188 Chinois, 3.702 Algériens, 3.553 ressortissants de la République démocratique du Congo, 3.067 Haïtiens, après quoi venaient les ressortissants de Serbie-Monténégro, les Russes, les Sri-Lankais, les Moldaves et les Bosniaques, pour un total de 50.547 premières demandes - non compris les réexamens et les situations particulières. Les chiffres provisoires de 2005 sont les suivants : un peu plus de 1.300 Haïtiens ou prétendus tels, surtout comptabilisés aux Antilles, un peu moins de 1.300 Turcs, un millier de Moldaves - peut-être en réalité des Roumains - et un millier de Chinois.

Quand les intéressés se sont revendiqués d'une nationalité qui ne s'avère pas la leur, une fois déboutés, cela complique l'obtention du laissez-passer consulaire lorsqu'il est nécessaire à leur éloignement.

Les comparaisons du système EURODAC offrent aussi des informations intéressantes. L'Union européenne, depuis janvier 2003, dispose d'une base centrale d'empreintes digitales des demandeurs d'asile afin de vérifier qu'aucune requête n'a déjà été déposée ailleurs et de déterminer quel État membre doit traiter le dossier, en vertu de la Convention de Schengen et du règlement européen de Dublin : l'an dernier, sur 54.000 prises d'empreintes, soit 4.500 par mois, nous avons identifié, en moyenne mensuelle, quelque 400 personnes déjà enregistrées, principalement en Allemagne, en Autriche, en Belgique, en Pologne, en Italie et, pour 8 % des cas, dans d'autres préfectures françaises. Ce système permet donc de connaître la géographie des entrées sur le territoire européen et de savoir avec plus de certitude quels pays connaissent une progression sensible des entrées de demandeurs d'asile sur le territoire européen.

M. Jean-Pierre Brard : On dit que l'Allemagne et la Belgique sont très permissifs et laissent entrer les immigrés clandestins, considérant qu'ils ne sont qu'en transit sur leur territoire.

Par ailleurs, comment se fait-il que les ressortissants africains, hormis les ex-Zaïrois, soient si peu nombreux dans vos statistiques alors que j'en rencontre tant dans ma ville ? De nombreux Maliens, par exemple, demandent l'asile politique alors que leur pays ne connaît pas actuellement de problème politique particulier.

M. Stéphane Fratacci : Le volume de demandes maliennes tend à se réduire - en 2004, nous en avons enregistré 836 - et le taux de reconnaissance par l'Office est relativement faible. Je précise toutefois que la doctrine de ce dernier, confortée par une jurisprudence de la commission de recours des réfugiés, prend en compte les menaces d'excision, pratique coutumière au Mali. Les demandes africaines, au total, sont nombreuses mais éclatées entre nationalités, la plus concernée numériquement étant celle de la République démocratique du Congo.

M. Pierre Debue : L'Allemagne et la Belgique connaissent surtout des problèmes dus à la pénétration de migrants d'Europe de l'Est. Nous n'avons pas grand-chose à redire sur les efforts de l'Allemagne, un gros travail ayant été réalisé à la frontière avec la Pologne, qui n'appartient pas encore à l'espace Schengen. Quant à la Belgique, hormis sa façade maritime, très peu concernée, elle ne possède que des frontières intérieures à l'espace européen et il est impossible de lui demander un aménagement des règles de Schengen.

Quant aux frontières extérieures, elles ne peuvent être totalement étanches. Nous avons affaire, en effet, à des filières extrêmement bien organisées, d'autant que ces activités criminelles sont rentables et peu risquées, la répression dans les pays sources étant très modérée : au Moyen-Orient, par exemple, ce trafic humain est considéré comme de la simple contrebande. Dès lors, les systèmes les plus sophistiqués n'empêcheront pas les filières de parvenir à faire passer des candidats à l'émigration, par voie terrestre, maritime ou aérienne.

L'Allemagne ou l'Autriche, pour leur part, ont un problème avec des pays comme la Bulgarie ou la Roumanie, dont les ressortissants ne sont plus assujettis aux visas et, sous certaines conditions administratives, peuvent passer normalement à travers les frontières de Schengen. Il convient alors de vérifier, à la frontière, que les voyageurs remplissent les conditions requises, concernant leurs ressources financières, la détention d'un billet de retour ou la capacité à l'acquérir, ainsi que les possibilités d'hébergement. C'est sur ces bases qu'est considérée l'entrée d'un Roumain, d'un Bulgare voire d'un Bolivien. À titre d'exemple, lorsque l'Espagne a entamé son opération de régularisation massive, en un peu plus d'un mois, avant que la filière soit neutralisée, 1.200 Boliviens ont tenté de passer par Roissy pour rejoindre l'Espagne, sans pécule - la somme exigée par les autorités leur était prêtée par les passeurs puis reprise une fois passé le contrôle à l'aéroport - ni point de chute dans ce pays.

En revanche, quand un visa est nécessaire, pénétrer dans l'espace Schengen est plus compliqué et l'on ne peut y parvenir que de façon frauduleuse.

M. Jean-Pierre Brard : D'éventuelles pratiques corruptives ont-elles été constatées, au hasard, du côté polonais ou tchèque, parmi les fonctionnaires chargés d'assurer l'étanchéité ?

M. Pierre Debue : Il n'est pas aisé de répondre à cette question, monsieur le député.

M. Yves Deniaud, Président : Quel sens de la litote, monsieur le directeur !

M. Pierre Debue : La Pologne affirme clairement qu'elle cherche à éradiquer toute forme de corruption, ce qui laisse à penser qu'il y en a... Quant à la Roumanie, elle s'est dernièrement gendarmée. Cela tient tout simplement au niveau de revenu encore faible des fonctionnaires.

M. Yves Deniaud, Président : « Ah, qu'en termes galants ces choses-là sont dites » !

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Disposez-vous de statistiques distinguant le nombre de demandeurs d'asile entrés régulièrement et irrégulièrement ?

M. Stéphane Fratacci : Si la Convention de Genève dispose expressément que la détention de papiers réguliers n'est en rien un critère d'appréciation de la demande d'asile, le bénéfice de l'aide juridictionnelle est subordonné à l'entrée régulière sur le territoire, en vertu de quoi nombre de demandes d'aide juridictionnelle devant la commission des recours de réfugiés sont rejetées.

Enfin, les caractéristiques des situations varient notablement selon les nationalités : la plupart des ressortissants algériens candidats à l'asile territorial, jusqu'au 1er janvier 2004, date de suppression de ce dispositif, étaient entrés régulièrement sur le territoire mais s'y étaient maintenus irrégulièrement, tandis que les Chinois, par exemple, sont difficilement rattachables à une entrée régulière, n'étant souvent plus pourvus de passeport lorsqu'ils présentent leur demande devant l'Office.

M. Jean-Pierre Brard : Oh ! Les étourdis !

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Pouvez-vous nous fournir une appréciation du coût - en personnel, en impression de documents, pour la mise en œuvre du système EURODAC et l'exécution des mesures d'éloignement - incombant au ministère de l'intérieur ?

M. Stéphane Fratacci : Je précise au préalable que le ministère de l'intérieur, dans la perspective du changement de présentation de la loi de finances, travaille à la mise en place d'indicateurs de suivi permettant d'établir plus précisément le coût des demandes d'asile pour l'ensemble du réseau préfectoral. Les chiffres que je vais vous livrer, fruit d'approximations basées sur des indicateurs d'activité et des extrapolations, ne sont donc que des estimations.

En préfecture, aucun agent n'est affecté exclusivement aux tâches afférentes au droit d'asile, hormis dans les départements les plus concernés, qui se sont dotés de bureaux spécialisés.

Nous ne sommes pas encore en situation d'apprécier de manière analytique la part de demandeurs d'asile déboutés mais il est prévu de mettre à la disposition de l'ensemble des centres de rétention, fin 2005, un logiciel destiné à faire remonter et à suivre au quotidien des informations concernant des indicateurs de gestion comme le nombre de places disponibles ou les caractéristiques objectives des situations des étrangers en rétention.

M. Yves Deniaud, Président : Je suppose que le coût de l'éloignement est identique, que l'individu soit demandeur d'asile ou non.

M. Stéphane Fratacci : Évidemment.

M. Yves Deniaud, Président : Mais quel est le coût d'un éloignement ?

M. Stéphane Fratacci : M. Debue vous répondra.

Pour évaluer le coût global des demandes d'asile, nous nous sommes livrés à un premier exercice par cercles concentriques : les demandes à la frontière de Roissy ; le traitement par l'administration centrale ; le traitement dans les préfectures. Pour ce dernier cercle, le nombre d'équivalents temps plein - accueil, entretien et prise d'empreintes représentant environ six à huit heures de travail par dossier - a été évalué à 260, soit un peu plus de 8,5 millions d'euros, auxquels il convient d'ajouter 1,6 million d'euros pour la préfecture de Paris. Mais j'insiste sur l'imprécision des données qui nous conduisent à ce résultat.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Et comment les préfectures sont-elles équipées pour appliquer EURODAC ?

M. Stéphane Fratacci : Quatorze bornes EURODAC sont installées en préfecture, pour un coût d'achat moyen de 38.000 euros. L'acquisition de cinq à sept bornes supplémentaires est programmée pour 2005, au profit de Roissy et de nouvelles préfectures.

M. Yves Deniaud, Président : Il n'y a pas encore de borne à Roissy ?

M. Stéphane Fratacci : Formellement, EURODAC prévoit que les empreintes des demandeurs d'asile soient relevées lorsque ceux-ci expriment leur demande devant l'autorité nationale chargée de la reconnaissance de leur droit. En l'absence de borne, les empreintes sont relevées sur papier, après quoi les séquences sont numérisées et transmises au Luxembourg via le point de contact national, situé au sein de la direction des libertés publiques et des affaires juridiques. Les délais sont alors un peu plus longs mais la France fait partie des pays les plus performants dans la rapidité de ses communications à destination de la base EURODAC.

M. Yves Deniaud, Président : Il me paraît tout de même curieux que l'aéroport de Roissy ne soit pas doté car il est souhaitable d'agir en amont.

M. Stéphane Fratacci : Tout à fait. D'autant que nous sommes entrés dans une seconde phase d'EURODAC : les États membres doivent désormais prendre en compte non seulement les demandeurs d'asile mais aussi les étrangers entrés irrégulièrement mais maintenus sur le territoire pour un motif juridique incontestable.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Et quel est le coût de délivrance des titres ?

M. Stéphane Fratacci : Le coût matière variant énormément selon les documents et leur degré de sécurisation, le calcul doit être pondéré en fonction de la nature des commandes préfectorales ; je vous communiquerai ce montant par écrit, une fois que nous aurons procédé à son appréciation. Quoi qu'il en soit, 293.000 papiers - autorisations provisoires de séjour et récépissés de demande d'asile, ceux-ci étant renouvelés tous les trois mois - ont été imprimés l'an dernier.

Nous estimons en première approximation à un peu moins d'1,2 million d'euros le coût des dix-huit personnes affectées en administration centrale à la fonction de soutien à la demande d'asile.

Enfin, partant de la constatation selon laquelle un peu plus du quart des personnes placées en zone d'attente sont des demandeurs d'asile à la frontière, nous évaluons à un peu plus de 3,7 millions d'euros la part que représentent ces derniers.

M. Pierre Debue : Le placement en zone d'attente de Roissy ou en centre d'éloignement ainsi que l'éloignement au sens strict reviennent au même prix pour les demandeurs d'asile et les personnes en situation irrégulière, le traitement de ces deux catégories étant indifférencié. En 2004, le coût budgétaire de la zone d'attente de Roissy - maintenance, restauration, nettoyage, sécurité extérieure, loyer, autres dépenses, interprétariat, prestations médicales, convention avec la Croix-Rouge et charges de personnel - a atteint 13.094.459 euros.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Et le coût par personne ?

M. Pierre Debue : Le coût par journée et par individu, sur la base de 36.852 jours d'hébergement, s'élève à 355 euros, sachant que cette zone d'attente tourne avec 97 fonctionnaires de police nationale, également chargés des escortes, sur le millier d'agents affecté au contrôle de la frontière stricto sensu à Roissy.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Mais quel est le coût de l'hébergement des demandeurs d'asile ?

M. Pierre Debue : Sur les 15 362 personnes placées en rétention à Roissy, 2 629 s'étaient déclarées demandeurs d'asile à la police aux frontières - mais certaines d'entre elles, prenant conscience que leur requête était infondée, y renoncent devant l'OFPRA. Je précise qu'un demandeur d'asile reste habituellement un peu plus longtemps en rétention qu'un étranger sans titre.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Des subventions sont également versées à toutes les associations intervenant dans les centres de rétention.

M. Pierre Debue : La subvention versée à la Croix-Rouge pour sa présence en zone d'attente atteint 1.077.884 euros.

M. Stéphane Fratacci : Mais cette somme est imputée sur le budget des affaires sociales.

M. Yves Deniaud, Président : Cela nous intéresse tout autant.

M. Stéphane Fratacci : La CIMADE, association conventionnée, reçoit quant à elle un peu plus d'1,5 million d'euros au titre de son action d'assistance auprès des étrangers dans les centres de rétention.

À Roissy, deux associations sont présentes en permanence : la Croix-Rouge, qui met à disposition seize permanents, et l'Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers, qui fonctionne essentiellement grâce à des bénévoles - sa convention, en cours de renouvellement, n'est donc pas assortie de clause budgétaire mais prévoit seulement la mise à disposition d'un local et de matériel.

Je précise que, pour l'émission de titres, notre estimation prend en compte non seulement le coût en personnel mais aussi en structure. Pour l'administration centrale, elle est centrée sur le coût en personnel, les charges de structures étant sans doute sous-estimées.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Je vous demande de nous faire passer une note sur ce sujet.

M. Stéphane Fratacci : D'accord, avec les réserves méthodologiques que je vous ai indiquées ; nous serons plus précis l'an prochain.

M. Pierre Debue : L'année dernière, 15.660 étrangers ont été éloignés à partir des centres de rétention administrative, les CRA, mais nous sommes dans l'incapacité de différencier le débouté du droit d'asile de l'étranger en situation irrégulière car tous deux font l'objet du même type d'arrêtés et nous travaillons sur réquisition préfectorale. Les cinq centres gérés par la police aux frontières - Coquelles, Lille-Lesquin, Lyon, Hendaye et Sète - totalisent 258 places, soit un peu plus du quart du total en métropole, pour un coût de fonctionnement, de personnel et d'escorte de 16.064.140 euros en 2004. Mais je ne puis vous donner le bilan consolidé prenant en compte les CRA placés sous la responsabilité des autres directions de la police et de la gendarmerie. J'estime à 3.900 le nombre d'étrangers éloignés à partir des CRA relevant de la police aux frontières mais il m'est impossible de fournir un chiffre à l'unité près, certains individus étant transférés en cours de rétention, pour des motifs pratiques comme le rapprochement d'un lieu d'embarquement.

M. Yves Deniaud, Président : Peut-on estimer approximativement à 60 millions d'euros le coût total des CRA ?

M. Pierre Debue : Il serait préférable de faire le bilan de chaque centre. Initialement, dans les années 1980, leur responsabilité a été mise entre les mains de l'administration pénitentiaire, mais il a ensuite été considéré que l'étranger en situation irrégulière n'était pas un délinquant et ressortissait par conséquent de la police nationale ou de la gendarmerie nationale. Celles-ci ne disposent toutefois pas d'expérience de gestion de ce type de centres et il a fallu confier cette tâche à l'administration pénitentiaire ou l'externaliser : ainsi, deux modes de gestion coexistent. C'est pourquoi le prix moyen de la place de CRA n'est pas forcément identique partout.

En outre, si les CRA doivent répondre à des normes d'hébergement précises, l'idéal serait de tous les amener à l'excellent niveau de la zone d'attente de Roissy.

M. Jean-Pierre Brard : Et le coût des billets d'avion des fonctionnaires ?

M. Pierre Debue : Les personnes faisant l'objet d'un arrêté préfectoral ou d'une décision judiciaire de reconduite à la frontière sont prises en charges dans un CRA en attendant que toutes les voies de recours soient épuisées, qu'un laissez-passer consulaire soit obtenu et qu'un moyen de reconduite dans leur pays d'origine soit trouvé - l'an dernier, plus de 22.000 réquisitions préfectorales ont ainsi été signifiées pour à peine 15.900 éloignements effectifs.

Ce sont donc un bureau d'éloignement - chargé de choisir les avions, de vérifier la procédure voire d'assister les services extérieurs pour la délivrance des laissez-passer consulaires -, une unité nationale d'escorte et une cellule de coordination opérationnelle qui travaillent à la reconduite des étrangers à la frontière, pour un coût total de 5.731.158 euros par an, l'essentiel étant constitué par des coûts de personnel.

M. Yves Deniaud, Président : Et certain pays ne facturent-ils pas leurs laissez-passer consulaires ?

M. Pierre Debue : Absolument ; ce sont des « frais de dossier » !

Mme Véronique Garnier : Il faut se montrer généreux : 45 à 60 euros par document.

M. Yves Deniaud, Président : Cela fait cher le coup de tampon...

M. Pierre Debue : Il est préférable de payer des frais de dossier plutôt que d'essuyer les reculades systématiques de certains consulats, connus pour délivrer leurs laissez-passer au compte-gouttes, même lorsque nous leur amenons sur un plateau des preuves démontrant la nationalité de leurs ressortissants.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général : Et les Chinois ?

Mme Véronique Garnier : Au premier trimestre de 2005, le nombre de laissez-passer délivrés a tourné autour de 15 % mais, suite à des visites officielles en Chine et à des interventions conjointes du ministère de l'intérieur et du ministère des affaires étrangères, ce taux progresse sensiblement : dans le cadre d'opérations menées récemment dans le Calaisis, quarante demandes ont abouti à trente obtentions, soit le total annuel de 2004. Tout dépend du contexte géopolitique et des pressions exercées par les uns et les autres.

M. Pierre Debue : Tous les pays n'accordent pas la même latitude d'action à leurs consuls, certains ne délivrant de laissez-passer que lorsque l'autorité policière locale a reconnu la nationalité de l'individu considéré : en Inde, où la bureaucratie est tellement pesante, le taux atteint à peine 10 %. L'an dernier, 44.545 personnes ont été interpellées en situation irrégulière sur le territoire : 4.864 Algériens, dont une grande partie demeurait irrégulièrement en France après y être entrée régulièrement, après quoi viennent les Irakiens - notamment dans le Calaisis, d'où ils espèrent gagner la Grande-Bretagne -, les Marocains, les Roumains et les Turcs.

Les dépenses d'éloignement directes - billetterie, escorte voire location d'aéronefs - ont atteint 34.100.719 euros en 2004.

M. Jean-Pierre Brard : Qui s'ajoute aux 5,7 millions dont vous venez de parler.

M. Pierre Debue : Tout à fait.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Ce chiffre, encore une fois, ne concerne pas uniquement les demandeurs d'asile déboutés. À quel pourcentage du total estimeriez-vous le coût concernant ces derniers ?

M. Pierre Debue : Je l'ignore.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Ne serait-il pas utile d'en avoir connaissance ?

M. Yves Deniaud, Président : Surtout si l'on considère que le temps de séjour en zone d'attente est plus long pour les demandeurs d'asile. Au prix de journée...

M. Pierre Debue : La durée d'attente en CRA est aussi très variable selon les nationalités.

M. Jean-Pierre Brard : Avez-vous une idée du coût moyen d'une reconduite ?

M. Pierre Debue : Dans le cadre de la future gestion budgétaire, des outils informatiques permettront de regrouper dans un même ensemble les dépenses engagées dans des budgets aujourd'hui totalement disjoints.

M. Jean-Pierre Brard : Le prix de 10.000 euros par reconduite à la frontière, parfois évoqué, vous semble-t-il fantasmatique ?

M. Pierre Debue : En intégrant le coût de nos services, ceux du billet d'avion et de l'escorte, on arrive à 2.600 euros par personne, auxquels il faut ajouter le coût de l'hébergement en CRA et les frais annexes comme les soins médicaux. Et, si l'on part de l'interpellation, la facture est beaucoup plus salée.

M. Yves Deniaud, Président : Le chiffre de 10.000 euros ne doit donc pas relever du fantasme.

M. Jean-Pierre Brard : Un projet d'aide au développement revient à la moitié, je le dis à l'attention de la Cour des comptes.

M. Jean-Louis Figuet : Je vous indique que, ne disposant pas encore de tous les outils, nous ne raisonnons pas en coût complet.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Avez-vous connaissance du montant des subventions versées par les préfectures et les collectivités territoriales ?

M. Stéphane Fratacci : Pour le volet hébergement, cela ne relève pas du budget du ministère de l'intérieur. Je suis donc dans l'incapacité de vous répondre.

S'agissant de l'éloignement, seule la CIMADE est conventionnée au plan national et je vous ai déjà indiqué pour quel montant.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Les préfectures ne distribuent-elles pas des crédits déconcentrés ?

M. Stéphane Fratacci : Pas du tout.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Le nombre de demandes d'asile à la frontière a beaucoup diminué en 2004 : seules 2.500 demandes d'asile ont été enregistrées, soit pratiquement une baisse de moitié. Comment s'explique ce phénomène ?

M. Stéphane Fratacci : La demande exprimée à l'aubette n'est pas forcément maintenue, ce qui explique quelques dizaines d'unités d'écart.

La distinction entre les personnes éloignées qui demandent l'asile à la frontière et celles qui s'en abstiennent, ainsi que l'évolution du poids respectif de ces deux catégories, constituent par ailleurs des éléments d'information intéressants. À Roissy, en 2001, sur 21.490 personnes non admises à la frontière, 10.176 ont demandé l'asile, soit près de la moitié, et quelque 7.500 d'entre elles ont finalement été admises au titre de l'asile. En 2003, nous avons dénombré 15.200 personnes non admises et 5.783 demandes d'asile à la frontière, puis, en 2004, 15.200 personnes non admises et 2.390 demandes d'asile. Roissy représentant 95 % des demandes d'asile - le reste se répartissant entre les aéroports d'Orly, de Lyon-Saint-Exupéry, de Marseille-Marignane et les ports maritimes -, cela signifie que le taux de demandeurs d'asile parmi les personnes non admises à la frontière accuse un recul. Par ailleurs, le taux de reconduites effectives pour l'ensemble des non admis est passé de 48 % à 86 % entre 2001 et 2004. Il faut dire qu'une chaîne de mesures a été mise en œuvre.

Premièrement, nous avons instauré des contrôles à la porte des avions ou à leur proximité pour les dessertes dites sensibles, afin de pouvoir mieux imputer aux compagnies aériennes les arrivées irrégulières, la Convention de Chicago faisant obligation au transporteur de reprendre à bord quiconque est entré irrégulièrement.

Deuxièmement, pour éviter que les ressortissants de certains États entrent irrégulièrement sur notre territoire en profitant d'une escale, nous avons instauré des visas de transit aéroportuaires, reposant sur des arrêtés conjoints du ministre des affaires étrangères et du ministre de l'intérieur, et nous avons porté le nombre de pays concernés - principalement africains, antillais et moyen-orientaux - à vingt-huit.

Troisièmement, nous avons accru les moyens du ministère des affaires étrangères, de l'OFPRA et du ministère de l'intérieur dédiés au traitement des demandes d'asile : six agents étant désormais affectés à cette fonction à temps plein pour la DLPAJ, 90 % des demandes sont instruites en moins de quatre jours, entretien compris, et presque tous demandeurs d'asile passent par un entretien, ce qui peut dissuader certaines personnes de déposer une demande, considérant que leur dossier n'est pas suffisamment étayé.

M. Jean-Pierre Brard : C'est du langage Quai d'Orsay !

M. Stéphane Fratacci : De fait, la fréquence des demandes d'asile en guise de prétexte pour entrer sur le territoire semble avoir très fortement diminué.

Quatrièmement, l'actualité internationale, notamment en Afrique ou aux Antilles, joue sous quarante-huit heures sur les arrivées dans les aéroports français.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : La compétence directe de l'OFPRA vous paraît-elle une bonne chose ?

M. Stéphane Fratacci : Oui. D'une part, la présence de l'OFPRA assure une meilleure continuité par rapport à sa doctrine et à la jurisprudence de la CRR : les officiers de protection les connaissent et peuvent donc mieux déterminer la probabilité d'admission d'une demande. D'autre part, cette présence est un gage de transparence : il est bon que l'Office, en tant qu'autorité indépendante, propose un avis au ministère de l'intérieur. Cela étant, cette disposition n'a pas entraîné de réelle modification par rapport à la période où le ministère de l'intérieur était en charge de proposer des avis.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Cela devrait aussi permettre de disposer d'une comptabilité plus détaillée. Le chiffre qui a été donné, de 2.629 sur 15.000, est un indicateur intéressant.

M. Stéphane Fratacci : Nous aurons effectivement ainsi des chiffres plus précis sur les avis rendus. Mais si vous voulez connaître, s'agissant de l'asile à la frontière, la répartition selon les nationalités et les avis rendus, nous sommes tout à fait à même de produire les informations. Un bilan est fait, chaque année, de l'asile à la frontière et de l'activité des zones d'attente.

S'agissant de ces dernières, notre vision est exhaustive et nos chiffres sont très proches de la réalité. Les écarts évoqués tout à l'heure, qui ne portent que sur 150 à 200 personnes, tiennent simplement au fait que le décompte n'est pas effectué au même moment : nous avons pris en compte les demandes d'asile effectivement maintenues et traitées.

M. Yves Deniaud, Président : Est-il prévu d'imposer au demandeur un lieu de dépôt de la demande et un lieu de résidence ?

M. Stéphane Fratacci : Le système français n'est analogue ni à celui de l'Allemagne, qui oblige le demandeur à une domiciliation déterminée, ni à celui des Pays-Bas et, pour partie, de la Belgique, avec une rétention de cinq jours dans des lieux clos, ni à celui de la Grande-Bretagne, où certaines procédures s'accompagnent d'une rétention d'une durée encore supérieure.

Notre dispositif a évolué depuis les réformes de 2003 et de 2004. Ainsi, les décrets d'application de la loi de 2003 ont introduit l'obligation pour le demandeur de faire connaître un lieu où il réside. Au moment de la première demande, qui aboutit à la délivrance de l'autorisation provisoire de séjour, il doit soit donner une adresse personnelle, soit faire appel à une association agréée qui assure sa domiciliation postale. Au bout de trois mois, le renouvellement du récépissé, qui est lié à l'enregistrement d'une demande à l'Office et éventuellement à un recours devant la commission, suppose que le demandeur justifie d'une adresse où il peut être joint.

Aujourd'hui, certains demandeurs sont très mobiles sur le territoire et ils tentent leur chance dans telle ou telle préfecture, qui n'est pas forcément celle de leur lieu de résidence. Une réflexion pourrait donc être engagée à l'initiative du ministère des affaires sociales afin de mieux assurer l'offre d'hébergement et de mieux établir le lien du bénéfice des prestations à l'acceptation de cette offre lorsqu'elle est formulée. L'expérience de quelques départements qui ont eu une approche plus directive en la matière montre qu'il y a là une manière de stabiliser la demande d'asile et d'éviter des contournements qui peuvent illustrer que cette demande ne repose pas sur un réel besoin de protection, mais traduit simplement une tentative de rester sur le territoire français. Ainsi, en Rhône-Alpes, le préfet de région a une compétence régionale qui peut se traduire par une prescription d'hébergement. Dans le Loiret, le préfet mène une expérience avec les services des affaires sociales afin de mieux assurer au plan concret l'articulation entre la prise en compte de l'accueil et l'hébergement proposé et la demande d'asile.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Aucun croisement des données entre les préfectures ne permet d'éviter que le demandeur ne dépose sa demande à plusieurs endroits ?

M. Stéphane Fratacci : Deux recoupements peuvent être pratiqués. D'une part, grâce aux listes EURODAC dont je parlais tout à l'heure, le fait que la demande a déjà été prise en compte dans une autre préfecture apparaît immédiatement. D'autre part, grâce aux nouvelles procédures, la délivrance d'une autorisation provisoire de séjour fait que l'étranger entre très tôt, sur la base de l'identité déclarée, dans le fichier de suivi des étrangers. Il peut toutefois y avoir des fraudes à l'identité, mais c'est là que les comparaisons des empreintes digitales que permet EURODAC prennent leur intérêt.

M. Jean-Pierre Brard : Pouvez-vous nous dire un mot des Roms, dont j'ai l'impression qu'ils bénéficient d'une mansuétude particulière ?

Par ailleurs, pour fréquenter assez souvent l'aéroport de Roissy, j'ai le sentiment que les fonctionnaires de la PAF ont progressé dans le registre de la courtoisie. Avez-vous pris des dispositions pour cela ?

M. Stéphane Fratacci : Je ne dispose pas d'éléments de réponse spécifiques du point de vue de l'asile car les nationalités déclarées par les Roms varient : Moldaves, Roumains, Hongrois, Tchèques ou Slovaques. Il est donc bien difficile de savoir si la qualification de Rom permet ou non d'obtenir l'asile.

S'agissant de la Moldavie, le taux global de réponse positive - OFPRA et CRR - est très faible : 3,6 % en 2004. Pour la Roumanie, les 702 demandes traitées par l'Office ont abouti à 702 rejets...

M. Pierre Debue : Les Roumains sont la deuxième nationalité en nombre de personnes reconduites : 2.487, dont une grande partie sont des Roms. Environ 900 ont été réadmis immédiatement chez nos voisins allemands ou italiens alors que nous les avions interpellés dans la bande frontalière des 20 km. Il s'agit d'une population très mobile car les Roms savent que, quand ils s'installent trop longtemps à un endroit, qu'ils commencent à commettre des infractions et à poser des problèmes à la population, ils sont contrôlés très fréquemment et conduits presque automatiquement, s'ils sont en situation irrégulière, en centre de rétention et renvoyés. C'est pour cela que, lorsque se crée un camp, deux mois plus tard, ce ne sont plus les mêmes qui y résident. Et on assiste aussi à un phénomène très important de rotation entre la France, l'Italie et l'Espagne. C'est cette dernière qui attire aujourd'hui le plus les Roms, non seulement parce que le travail saisonnier y est abondant - du moins pour ceux qui veulent travailler... -, mais aussi parce que la législation française est devenue plus ferme en matière de mendicité et de prostitution. Il suffirait donc que l'Espagne corrige également sa politique pour que ce phénomène s'arrête. Mais il est certain qu'il s'agit de populations qui poseront, à terme, des problèmes à l'ensemble de l'Europe.

Je vous remercie, Monsieur Brard, d'avoir noté qu'il y a un peu plus de courtoisie à Roissy. Cela relève de notre politique générale en matière d'accueil, aussi bien dans les commissariats que dans les aéroports. Je suis d'autant plus sensible à votre appréciation que les choses ne sont pas toujours simples dans les aéroports, où les fonctionnaires sont soumis à de fortes amplitudes de fréquentation : il n'est pas toujours facile de rester calme et courtois quand on se trouve face à une masse de passagers qui arrivent en même temps. Les fonctionnaires ont d'autant plus de mérite que l'arrivée d'avions en provenance de pays sensible oblige à doubler les contrôles. Cela coûte cher, mais c'est le prix à payer pour lutter contre l'immigration clandestine et contre les filières.

M. Yves Deniaud, Président : Quel est le régime indemnitaire des fonctionnaires ? Perçoivent-ils une prime au mérite ?

M. Pierre Debue : Ceux qui travaillent en zone d'attente comme ceux qui assurent les contrôles et les autres charges de sûreté aéroportuaire et de sécurité générale dans les aéroports bénéficient du régime indemnitaire classique en région parisienne.

Un certain nombre d'unités et de fonctionnaires travaillant à Roissy ont été proposés l'année dernière pour la prime au mérite. Plusieurs de ceux qui travaillent en zone d'attente l'ont touchée. Ils ont un travail qui demande beaucoup d'attention et qui est difficile, si ce n'est physiquement, du moins humainement : alors qu'un policier urbain n'a guère d'état d'âme quand il est face à des gens qui ont commis des délits, ici c'est d'étrangers qui tentent d'entrer sur le territoire qu'il s'agit, et c'est à toute la misère du monde qu'on est confronté...

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Quels commentaires appellent de votre part la mise en œuvre de la loi du 26 novembre 2003 et les premiers résultats de la réforme de l'asile du 10 décembre de la même année ? Pouvez-vous également nous dire où en est la transposition des directives européennes et si nous sommes désormais en conformité ?

M. Stéphane Fratacci : Un certain nombre de textes européens, un peu à la périphérie de l'asile et pour lesquels nous étions à la limite des délais, sont en cours de transposition. C'est le cas de la directive sur la protection temporaire, qui organise la répartition de l'accueil en cas d'afflux massif d'étrangers ayant un besoin particulier de protection. Ce dispositif, qui trouve son origine dans la crise du Kosovo, a été transposé en partie par la loi du 26 novembre 2003 relative à l'immigration. Il le sera également par un décret qui sera publié très prochainement.

Autre directive, celle du 6 février 2003 sur les conditions d'accueil, qui détermine le régime social et l'information des demandeurs d'asile. Elle a été en partie transposée par les décrets du 14 août 2004, qui traitent de ces questions. Elle le sera aussi, pour la partie relative aux conditions d'accueil, notamment pour le droit au travail, par un décret, également en voie de publication, qui modifiera le décret du 30 juin 1946 sur le séjour. Depuis 1991, la France a choisi de ne pas ouvrir le droit au travail aux demandeurs d'asile auxquels on oppose la situation de l'emploi. La directive prévoit que les États membres peuvent attendre un an avant d'ouvrir le droit au travail, auquel peut ensuite être opposée la préférence communautaire.

Deux directives paraissent plus essentielles au regard de l'asile. La première, dite directive « statut », détermine les conditions d'octroi de la protection Genève et de la protection subsidiaire. Elle a en fait été transposée par anticipation par la loi du 10 décembre 2003 qui a créé le régime de protection subsidiaire en France, et par les décrets du 14 août 2004, qui ont organisé la procédure.

Enfin, devrait bientôt être publiée la directive sur les normes minimales en matière de procédure, qui a fait l'objet d'un accord politique au conseil des ministres affaires intérieures du 29 avril 2004. Là aussi, nous nous sommes déjà rapprochés de ces standards. La question des pays d'origine sûrs reste toutefois en suspens, même si la directive ne nous fait pas obligation de renoncer à la liste que nous avons déjà arrêtée au profit de la nouvelle liste européenne, dès lors que les critères sont les mêmes - respect des règles démocratiques et fonctionnements de l'État de droit.

La directive prévoit aussi la possibilité - et non l'obligation - d'établir une liste de pays tiers sûrs, dont le demandeur d'asile n'a pas la nationalité, mais dans lesquels il aurait pu en sécurité demander l'asile. Assortir cette liste de conditions d'irrecevabilité permet à certains États membres de renvoyer le demandeur, sans même que sa demande d'asile soit examinée, vers le pays tiers sûr par lequel il est passé. Un système similaire fonctionne pour les pays d'origine sûre. En France, conformément aux principes constitutionnels, le demandeur voit toujours sa demande examinée. L'inclusion de son pays dans la liste des pays d'origine sûre fait simplement que cette demande est traitée en priorité, c'est-à-dire qu'il ne bénéficie pas d'une admission au séjour, donc pas des aides prévues et que l'Office statue dans un délai d'une quinzaine de jours. Ce système fonctionne déjà pour les pays relevant de l'article 1C5 de la Convention de Genève.

Une question de transposition va aussi se poser en ce qui concerne l'aide juridictionnelle, le dispositif prévu par la directive se conciliant mal à avec la règle qui prévaut en France depuis 1991, en vertu de laquelle la demande d'aide est irrecevable si le demandeur d'asile est entré irrégulièrement sur le territoire national. Nous devrons donc probablement adapter notre droit et ne rejeter la demande d'aide qu'aux motifs que la demande est manifestement infondée, c'est-à-dire qu'elle est destinée à utiliser des délais de procédure plutôt qu'à faire prospérer une cause.

M. Yves Deniaud, Président : Encore de l'argent à dépenser en plus...

M. Stéphane Fratacci : L'Office et la Commission des recours vous le confirmeront, mais il peut en effet y avoir, dans un premier temps, une incidence sur le nombre de demandes d'aide juridictionnelle à traiter et sur le bureau de l'aide auprès de la CRR, du moins jusqu'à ce que sa jurisprudence fasse apparaître que ses critères de sélection relèvent toujours du même esprit.

J'en viens à la question sur l'application des lois récentes. Celle du 26 novembre 2003 comportait 95 articles, dont 31 faisaient état de la nécessité de dispositions réglementaires, les autres étant donc d'application immédiate. L'ordonnance sur l'outre-mer ainsi que celle qui codifie l'ordonnance de 1945 et la loi de juillet 1952 dans le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ont été publiées. Douze décrets l'ont également été, dont ceux relatifs à l'attestation d'accueil, au regroupement familial, à l'origine de l'éloignement et de la rétention, de même que douze arrêtés. Quatre décrets sont encore au Conseil d'État, dont celui relatif aux fichiers que les maires peuvent tenir pour suivre les attestations d'accueil qu'ils établissent, qui a également été préalablement soumis à la CNIL, celui qui tire les conséquences de la suppression de l'obligation de titre de séjour pour les ressortissants de l'Union européenne, et celui relatif à la commission régionale des étrangers malades.

En termes de résultats, l'entrée en vigueur du dispositif de l'attestation d'accueil a un impact direct sur le nombre des attestations et sur les conditions dans lesquelles elles sont appréciées. Nous appliquons également, de façon expérimentale dans huit consulats, le visa biométrique. Cette expérimentation a commencé depuis deux mois et demi à Bamako, à Minsk et à Colombo ; elle vient de débuter à Washington et à San Francisco. L'objectif est, à partir de tous les continents et de toutes les situations consulaires, que le système européen définitif soit plus performant. Grâce aux prises d'empreintes, il permettra à la police aux frontières d'effectuer un meilleur contrôle frontalier. Il rendra également possible de retrouver au moins le consulat où a été délivré le visa d'une personne qui déclarera ultérieurement, au moment d'un contrôle, ne pas avoir d'identité. La délivrance des laissez-passer consulaires pourra s'en trouver facilitée. J'ajoute que le système de visa européen VIS permettra en 2006-2007 à l'ensemble des États de l'Union de partager ce type d'informations.

S'agissant de la rétention, les décrets viennent de paraître ; nous avons déjà engagé les investissements et nous allons poursuivre en 2005 et 2006 pour faire en sorte que les nouveaux centres soient aux normes. Les nouvelles normes relatives au regroupement familial s'inscrivent dans la volonté du législateur de préciser certains critères pour éviter les contournements. Il est un peu tôt pour en mesurer tous les effets mais ils sont certains.

Enfin un certain nombre de dispositions législatives sont entrées en vigueur en ce qui concerne notamment l'état civil, les mariages et le rôle du maire ainsi que sa capacité à saisir le procureur. Ce dispositif est sans doute plus réactif qu'auparavant, mais il me semble que c'est la chancellerie que vous devriez interroger à ce propos.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Je me tourne vers les représentants de la préfecture de Seine-Saint-Denis, que je remercie de leur présence.

Nous souhaitons avoir des indications sur les moyens humains et financiers affectés à l'accueil des demandeurs d'asile et connaître les problèmes concrets rencontrés par les préfectures.

M. Louis-Michel Bonté : La Seine-Saint-Denis compte 1.480.000 habitants dont 420.000 étrangers déclarés. 750 personnes travaillent à la préfecture dont 120 au service des étrangers, qui est une véritable direction avec à sa tête Mme Bacle, présente à mes côtés. En termes de coût, cette direction représente 3,650 millions d'euros dont 3,250 millions au titre des rémunérations et 420.000 euros en fonctionnement.

S'agissant plus précisément de l'asile, nous accueillons les étrangers au sein d'un bâtiment spécifique, qui a neuf ans et qui est donc moderne, mais qui est déjà sous-dimensionné. C'est la raison pour laquelle le ministère de l'intérieur a accepté un projet de réaménagement pour lequel nous avons obtenu une autorisation de programme de 350.000 euros pour les études préliminaires, le coût global des travaux étant estimé à 1,9 million d'euros. En raison de ce problème de taille et en dépit des moyens importants que nous engageons, l'accueil est pour nous une difficulté presque quotidienne, qui explique d'ailleurs notre léger retard ce matin. Cela signifie qu'une pression extrêmement forte s'exerce sur les agents, dont je souligne au passage la très grande qualité.

Parmi mes préoccupations, j'insisterai plus particulièrement sur le fait que la demande d'asile peut être réexaminée à n'importe quel moment, même quand il n'y a pas d'élément nouveau. C'est un droit et nous sommes obligés d'accueillir le demandeur et de recevoir son dossier. Mais manifestement, dans la plupart des cas il ne s'agit que d'une démarche dilatoire pour se maintenir sur le territoire, avec un récépissé qui ne fait du demandeur ni un irrégulier ni un régularisé. Simplement, il se trouve sur le territoire, le temps que son dossier soit réexaminé, avec un document qui lui permet de s'y maintenir. La croissance de ce type de demandes est exponentielle puisque nous en recevons actuellement 300 par mois contre 20 en 2004 !

Je suis également inquiet de la procédure de réadmission européenne, car chaque dossier occupe un agent pendant toute une journée. Lorsqu'il s'agit de réadmettre en France, la charge de travail peut être estimée à une demi-journée.

Mme Dominique Bacle : Au sein de la direction, la section en charge de l'asile emploie dix agents auxquels s'ajoute un vacataire en cas de besoin, soit dix mois sur douze. Ces fonctionnaires délivrent des autorisations provisoires de séjour dont le nombre est passé de moins de 2.000 en 1998 à 5.380 en 2004.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : La suppression de l'asile territorial a-t-elle changé quelque chose pour vous ?

Mme Dominique Bacle : L'asile territorial s'est estompé au fur et à mesure que la date-butoir approchait et nous n'avons pas assisté à un report vers l'asile conventionnel.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Quel est le délai de traitement de la demande ?

Mme Dominique Bacle : Pour les premières demandes, lorsqu'un étranger se présente à la préfecture pour demander l'asile, il remplit un document sommaire avec son nom et son adresse, à laquelle il reçoit une convocation pour un rendez-vous qu'il obtient en général entre 10 et 12 jours après sa présentation à la préfecture. Lors de ce rendez-vous, on enregistre sa demande, on relève ses empreintes, on lui donne les documents nécessaires pour l'OFPRA et on lui délivre une autorisation provisoire de séjour. Il a alors 21 jours pour déposer sa demande à l'Office. Lorsqu'il se présente, à la fin de son autorisation provisoire, avec le document de l'OFPRA attestant que sa demande est bien prise en compte, nous lui délivrons automatiquement le récépissé qui va le maintenir en séjour régulier pendant toute la durée de l'instruction.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Le délai de 21 jours pour déposer la demande à l'OFPRA est-il respecté ?

Mme Dominique Bacle : Il y a eu au début beaucoup de refus de l'OFPRA pour ce motif, mais leur nombre a tendance à diminuer.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Le dossier de demande est-il facile à remplir ?

Mme Dominique Bacle : C'est un formulaire élaboré par l'OFPRA, nous ne faisons que le distribuer. Nous le commentons quelquefois car les étrangers ont besoin d'aide. Une aide est également rendue nécessaire par l'obligation que la demande soit faite en français.

M. Jean-Pierre Brard : Comment votre travail a-t-il évolué ces dernières années ?

Mme Dominique Bacle : Nous avons assisté à une très forte augmentation de la demande. Alors que, en 2002 encore, les demandeurs passaient la nuit devant la préfecture, nous avons réussi à traiter cette foule, en augmentant la cadence et la productivité et grâce à l'affectation de six agents supplémentaires. L'accueil est aujourd'hui moins tendu : nous recevons tous ceux qui se présentent chaque jour pour renouveler leur document de séjour. C'est grâce à une réorganisation totale que les agents ont pu supporter cette forte pression.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Je ne suis pas certaine que toutes les préfectures soient aussi bien organisées que celle de Seine-Saint-Denis...

M. Stéphane Fratacci : Je rends hommage à la préfecture de Seine-Saint-Denis, dont on connaît les tâches et la manière de travailler. Après Paris, c'est celle qui reçoit le plus de demandes d'asile.

Je souhaite d'ailleurs préciser comment se répartissent les demandes entre préfectures. En fait, treize d'entre elles reçoivent 73 % des demandes d'asile. Il s'agit bien sûr des départements d'Île-de-France ainsi que du Rhône, des Bouches-du-Rhône, du Bas-Rhin, du Nord-Pas-de-Calais et de quelques métropoles régionales.

S'agissant des délais, les décrets d'août 2004, en particulier celui relatif à l'admission au séjour, prévoient que les préfectures disposent de 15 jours à partir de la présentation d'une demande pour délivrer l'autorisation provisoire. Certaines, compte tenu de leur charge, sont amenées à donner des rendez-vous, d'autres parviennent à traiter immédiatement le flux d'arrivées. Le demandeur doit parfois revenir pour fournir les documents qui lui ont été demandés, mais dans l'ensemble les délais sont tenus et plusieurs grandes préfectures se sont organisées avec les associations pour une prise en compte de l'hébergement en temps réel.

S'agissant de la fin de l'asile territorial, je rappelle qu'en 2002 et en 2003, le ministère de l'intérieur a accordé aux préfectures les plus concernées des moyens en vacataires pour traiter ce qui était devenu un facteur d'allongement considérable de la procédure, avec parfois, notamment dans le sud de la France, un an et demi d'attente pour obtenir un rendez-vous. Là où ces moyens ont été engagés, les demandes ont pu être traitées bien plus rapidement et on a corrélativement constaté une forte diminution de la demande d'asile territorial.

M. Yves Deniaud, Président : Avez-vous une connaissance statistique de ce que deviennent les demandeurs d'asile définitivement déboutés ?

M. Stéphane Fratacci : Un demandeur d'asile débouté est un étranger en situation irrégulière comme un autre, qui ne bénéficie plus de la protection dont il jouissait pendant le traitement de sa demande, et les systèmes de suivi de l'éloignement ne nous permettent pas d'en distinguer le motif. Le logiciel de suivi de la rétention nous permettra, à partir de la fin de l'année, d'opérer un suivi analytique.

Une partie des déboutés peut solliciter le séjour à un autre titre, par exemple parce que leur situation de famille ou leur état de santé ont évolué. Certains partent vers d'autres pays d'Europe, sans doute sous l'effet des régularisations intervenues en Italie et en Espagne. D'autres tentent de satisfaire l'objectif économique de leur migration en cherchant meilleure fortune ailleurs. Un nombre sans doute faible d'entre eux retourne dans leur pays. D'autres, enfin, font l'objet d'un éloignement. Sans me livrer à une approximation, je puis dire qu'ils représentent sans doute une minorité non négligeable des 15.560 personnes éloignées en un an. Cela tient tout simplement au fait que, parmi les refus d'admission au séjour, ceux qui sont liés au rejet d'une demande d'asile sont les plus nombreux : alors que 10 à 15 % des demandes de séjour pour d'autres motifs sont rejetées, à peine plus de 20 % des demandes d'asile sont acceptées.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : La diminution des délais de procédure va sans doute changer les choses.

M. Stéphane Fratacci : Elle entraîne, d'abord, une diminution du nombre des demandes. Pour les préfets, l'éloignement est aussi plus facile à envisager et à mettre en œuvre quand il intervient rapidement qu'après de nombreuses années, au cours desquelles la situation personnelle, notamment matrimoniale, du demandeur a pu changer. Le raccourcissement de la procédure permet également un meilleur suivi de la domiciliation, donc une meilleure délivrance des décisions négatives.

On peut aussi escompter au deuxième semestre de cette année et l'année prochaine, grâce aux 125 emplois supplémentaires qui lui ont été accordés pour un an à la fin de l'année dernière, une résorption du stock de dossiers de la CRR. Un certain nombre de demandes anciennes vont donc être rejetées et on aura à la fois des admissions au séjour sous un autre motif, des retours volontaires, en particulier grâce au dispositif de soutien du ministère des affaires sociales, et des départs spontanés vers d'autres pays.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : On parle de 65.000 personnes. Comment la PAF pourra-t-elle assurer autant d'éloignements ?

M. Pierre Debue : Éloigner 65.000 personnes en trois mois poserait un certain nombre de problèmes en moyens humains comme aériens. En effet, les compagnies limitent le nombre de reconduits dans un même avion, et des retours groupés ne sont possibles que pour un nombre important de reconduits originaires du même pays.

Le fait même que le nombre de demandes diminue quand le délai se raccourcit montre qu'il s'agissait souvent de manœuvres dilatoires visant à rester assez longtemps sur le territoire pour fonder une famille ou y installer la leur. Dans ces conditions, il faut être réalistes : pour un certain nombre de déboutés la solution sera la régularisation.

D'autres recours étaient destinés à permettre à des personnes qui n'ont nullement l'intention de s'installer sur le territoire national d'y rester le temps d'organiser leur passage en Angleterre, aux États-Unis ou au Canada. Je rappelle qu'on a interpellé l'an dernier, dans le Calaisis et dans le Nord, 20.000 personnes qui avaient vocation à passer en Angleterre. Ce phénomène tient à la présence de communautés importantes dans les pays anglo-saxons, ainsi qu'au fait qu'il est beaucoup plus facile d'y travailler.

Enfin, au moment où la décision négative sera notifiée, on s'apercevra que le recours était également dilatoire pour ceux qui plongeront dans la clandestinité dans notre pays. On sait bien qu'il y a des réseaux de travail très organisés, notamment dans le bâtiment et les travaux publics, où la jeunesse nationale n'a guère envie de s'investir. On observe par ailleurs qu'un certain nombre de gens en situation irrégulière ne sont pas en France pour s'y implanter, mais simplement pour y gagner de l'argent avant de retourner dans leur pays.

Pour toutes ces raisons, je suis persuadé que la PAF n'aura pas à traiter un volume aussi important d'éloignements qu'on le dit.

Cela étant, il lui est tout à fait possible, en logistique comme en personnel, d'accroître les éloignements. L'unité d'escorte aux frontières comptera 200 fonctionnaires d'ici la fin de l'année. Nous étudions aussi la possibilité de spécialiser une unité de force mobile dans ce domaine.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Mais ne devrait-on pas privilégier la reconduite des déboutés ?

M. Pierre Debue : Nous pouvons privilégier le placement en CRA de tel ou tel type de population étrangère, mais nous ne maîtrisons pas les laissez-passer consulaires... Pour les déboutés indiens ou pakistanais, on sait bien qu'on en obtiendra un pour dix, surtout si la personne est depuis longtemps sur le territoire, et on peut se demander s'il convient de mobiliser l'administration pour ne pas parvenir à ses fins... Mais je suis bien d'accord avec vous : il faut privilégier l'éloignement de ceux qui ont demandé l'asile pour contourner la loi française. Plus on les éloignera vite, plus on dissuadera les candidats à de telles manœuvres. C'est parce qu'elle mène une politique très ferme dans ce domaine que l'Italie n'a que 15.000 demandes d'asiles par an. La solution est donc bien dans la rapidité de traitement : plus l'étranger reste longtemps sur le territoire, plus le problème est difficile à gérer pour l'administration et pour les élus.

M. Louis-Michel Bonté : Je puis vous donner quelques indications locales à ce propos. En 2004, en Seine-Saint-Denis, 5.300 arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière ont été notifiés par voie postale, avec un taux effectif de reconduite marginal. Nous avons eu, la même année, 3.250 refus de séjour pour d'anciens déboutés du droit d'asile, que nous retrouvons, pour la plupart, un peu plus tard, notamment au titre de la demande de séjour pour soigner une pathologie, prévue par le nouvel article L. 313-11-11. Nous les retrouvons à nouveau ensuite, une fois régularisés au titre de la vie privée et familiale qu'ils ont établie en France, en demande de naturalisation. Cette demande a explosé à tel point qu'alors qu'il fallait, en 2004, 16 mois pour obtenir un entretien d'assimilation, on est aujourd'hui à deux ans, en dépit des renforts apportés au service des naturalisations.

Les demandes d'asile viennent d'abord de ressortissants du Sri Lanka, puis du Bangladesh, du Congo et de Chine, ces dernières augmentant fortement.

M. Jean-Louis Dumont : On voit bien la pression qui peut être exercée sur le personnel, surtout dans une préfecture comme la vôtre, et je me demandais s'il existait un profil de recrutement et une formation particuliers.

Par ailleurs, on entend dire que certains services des CRA pourraient être externalisés, lesquels ? Qu'en attendez-vous en termes d'économies et de qualité du service ?

Pouvez-vous, enfin, préciser le rôle que peuvent jouer les associations en dehors du domaine sanitaire ?

M. Olivier André : Le développement des emplois consacrés à l'asile dans les préfectures a amené le ministère à publier, en octobre dernier, une directive nationale d'orientation. Ce document de programmation pour les six ans à venir indique clairement que le traitement des demandes d'asile et, plus généralement, l'accueil des étrangers sont des priorités qui nécessitent de renforcer le personnel pour faire face aux flux. La déclinaison locale de ses orientations est de la compétence des préfets, ce qui est logique au regard de l'hétérogénéité de la charge supportée par les différents départements. D'où l'importance du dispositif de globalisation des crédits mis en place en 2004. Les préfectures ont ainsi anticipé l'application de la nouvelle loi organique relative aux lois de finances puisqu'on leur a confié une dotation globale et un plafond d'emplois, à charge pour le préfet de choisir les priorités. La préfecture de Seine-Saint-Denis a été une des premières à entrer dans le dispositif. Grâce à cette souplesse les préfets peuvent, en temps réel, redéployer une partie de l'emploi vers telle ou telle mission. Il leur est également possible de recruter des vacataires.

S'agissant de la formation des agents, nous avons besoin, pour pouvoir faire face rapidement à des pics d'activité, de recruter des agents temporaires ou d'affecter à ces tâches un personnel qui n'a pas pu y être formé longuement. Mais la matière est de plus en plus complexe et nous avons aussi besoin de disposer d'un socle d'agents bien formés. Il est déjà difficile de satisfaire conjointement ces deux exigences dans un département important comme la Seine-Saint-Denis, mais cela devient vraiment très compliqué dans un petit département où seulement un ou deux agents se consacrent à la demande d'asile, ainsi d'ailleurs qu'à d'autres tâches.

M. Louis-Michel Bonté : La directive nationale d'orientation et la globalisation offrent, en effet, une souplesse indispensable en nous permettant, sur le terrain, d'adapter très rapidement les effectifs aux besoins. Grâce à la fongibilité asymétrique des crédits, nous pouvons recruter des vacataires pour faire face à des pics d'activité. Ainsi, en Seine-Saint-Denis, nous avons besoin de souplesse entre le service des titres, qui reçoit environ 1.000 personnes par jour, et celui des étrangers, qui en reçoit entre 1.500 et 1.800.

Je l'ai dit, l'admission, l'asile, le contentieux et bien d'autres tâches mobilisent 120 personnes, auxquelles il faut en ajouter 20 autres qui s'occupent de la naturalisation, qui relève désormais, au titre de l'insertion, de la direction de la cohésion sociale. Parmi les 120 emplois de la direction des étrangers, on en compte 7 de catégorie A, 20 de catégorie B et 93 de catégorie C. Ce sont ces derniers qui sont aux guichets et qui subissent la pression quotidienne. Il faut passer une journée à leurs côtés dans une préfecture comme celle-là pour se rendre compte du travail qu'ils accomplissent.

Mme Dominique Bacle : Les agents n'ont pas de prime au mérite. Ils bénéficient, s'ils font de l'accueil au guichet, d'une NBI qui ne va pas au-delà de 10 points par mois pour les agents de catégorie C et qui peut même être inférieure : pour les agents qui ne reçoivent des demandeurs d'asile que le matin, elle n'est que de 5 points.

M. Olivier André : Les agents qui reçoivent les demandeurs d'asile peuvent bénéficier de primes dites de spécificité, dégagées dans l'enveloppe indemnitaire globale du cadre des préfectures. Ces primes ne sont pas affectées à des agents mais, par décision déconcentrée du préfet, à des types de postes, en fonction de compétences ou de contraintes particulières.

Dans le cadre de la globalisation et de la fongibilité des crédits, lorsqu'une préfecture dispose en fin d'année d'une marge de gestion sur les rémunérations, les préfets ont aussi la possibilité de développer un régime de primes ciblées soit sur un service qui a atteint ses objectifs, soit sur des individus. Ce système est naissant car la globalisation n'a été lancée qu'en 2004.

M. Stéphane Fratacci : Je reviens sur la question relative aux associations. En matière d'asile, les préfets ont la capacité d'agréer des associations, avec des cahiers des charges, notamment sur les questions de domiciliation postale et d'hébergement. Par ailleurs, dans le cadre du traitement de l'ensemble de la problématique des étrangers, en particulier des demandes de régularisation, les préfets ont reçu à plusieurs reprises l'indication d'entretenir des contacts, au niveau local, avec des associations qui peuvent les aider à apprécier les dossiers, notamment d'un point de vue humain. Les préfets et les secrétaires généraux peuvent donc être amenés à recevoir régulièrement des représentants des associations pour examiner avec eux la situation des étrangers dans leur département.

S'agissant des externalisations, la loi du 26 novembre 2003 a créé un cadre qui permet de passer avec des prestataires privés des marchés globaux pour la gestion, l'hôtellerie et le transport liés à la rétention et aux zones d'attente. Cette méthode se développe pour la zone d'attente de Roissy et le centre de rétention de Coquelles. Le ministère de l'intérieur s'efforce, à partir de ces expériences, de mesurer les avantages et les inconvénients d'une gestion des prestations matérielles par des professionnels. Bien évidemment, la procédure, la garde et tout ce qui touche à la privation de liberté reste de la compétence exclusive des services de l'État.

Mes visites fréquentes dans les centres de rétention me montrent l'hétérogénéité des situations de gestion. Une partie est assurée par la police nationale, une autre par la gendarmerie et les interlocuteurs peuvent être différents : prestataires et services administratifs. L'administration pénitentiaire assure ainsi, dans une douzaine de centres, l'interface avec des prestataires. L'idée de l'externalisation est aussi de permettre aux chefs de centre d'avoir un interlocuteur unique pour l'ensemble de la gestion, de la fourniture de prestations au bénéfice des étrangers retenus. Le système devrait ainsi être bien plus simple et plus réactif.

M. Pierre Debue : On s'achemine en effet vers une externalisation de l'hôtellerie qui permette de faire évoluer plus facilement les prestations et de répondre au souhait de l'administration pénitentiaire de ne pas rester engagée dans les centres de rétention. Je vous invite à venir voir comment les choses se passent dans la ZAPI de Roissy. Là comme à Coquelles, la qualité des prestations est exemplaire.

M. Jean-Louis Figuet : La procédure est bien engagée puisque, dès les 16 et 17 juin prochains, avec la direction de l'administration de la police nationale et le bureau des marchés publics, nous préparerons les cahiers des charges qui permettront de lancer des appels d'offres en vue des marchés d'externalisation, tant pour les zones d'attente pour les centres de rétention administrative. Les exemples de la ZAPI de Roissy et du CRA de Coquelles serviront certainement de base à cette réflexion.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Je souhaitais m'assurer que notre demande d'être destinataires des rapports d'inspections qui pourraient nous être utiles a bien été entendue.

M. Stéphane Fratacci : Je m'en ferai le relais, mais la décision appartient aux ministres concernés.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : J'aimerais également que vous vous adressiez une note sur des exemples étrangers dont nous pourrions nous inspirer pour gagner en efficacité. Pouvez-vous nous dire un mot des éloignements groupés ?

M. Pierre Debue : Il a eu trois vols groupés européens en 2002, cinq en 2003 comme en 2004, deux en 2005. C'est grâce à l'échange d'informations entre les pays concernés, par l'intermédiaire des attachés de sécurité intérieure et des officiers de liaison des ambassades, que nous apprenons qu'un autre pays de l'Union organise un vol vers tel ou tel pays. Si nous avons un certain nombre de personnes de la nationalité concernée qui sont prêtes à partir, nous acceptons le principe de participer à ces vols plutôt que de les mettre dans des vols commerciaux. L'avantage est moins financier que psychologique car on montre ainsi qu'il y a une véritable politique commune en ce qui concerne la tolérance vis-à-vis des étrangers en situation irrégulière.

Pour ce qui nous concerne, la plupart de ces vols sont à destination de la Roumanie et la Bulgarie ainsi que du Nigeria. En 2005 un vol a été affrété par le Royaume-Uni à destination de la Roumanie et un autre par les Pays-Bas à destination du Cameroun via le Nigeria, grâce auquel nous avons pu faire partir quatre ressortissants camerounais.

On a surtout eu recours aux vols groupés lorsque s'exerçait une pression très forte sur Roissy, avec parfois plus de 500 personnes dans une zone d'attente de 270 places. Il y avait eu alors ce que la presse avait appelé des « charters » vers la Côte d'Ivoire, le Sénégal et le Mali. L'adoption des visas de transit aéroportuaire a ralenti cette pression migratoire. En effet une des principales techniques pour entrer sur le territoire était le faux transit : alors qu'il y a plusieurs liaisons hebdomadaires entre Dakar et Tunis, de nombreux Sénégalais prétendaient passer par Paris... Aujourd'hui, les spécialistes de cette combine sont les Chinois qui, prétendument à destination de Caracas, Mexico, La Havane ou même de Conakry et Lomé, arrivent à Roissy et essaient de se faufiler dans la zone internationale, puis à l'intérieur du territoire. Évidemment, nous leur apportons toute l'assistance nécessaire pour qu'ils trouvent le chemin de leur avion... Cela ne les empêche pas de réessayer sur le chemin du retour vers Shanghai, Canton ou Pékin. Certains s'arrangent pour qu'il y ait un laps de temps important entre leurs deux avions, mais ils se voient refuser le visa d'escale et passent donc quelques heures en zone d'attente.

Les choses étant globalement rentrées dans l'ordre, nous n'avons plus besoin de recourir aux vols groupés et nous utilisons essentiellement des vols commerciaux.

Si les vols groupés européens à destination de l'Afrique sont rares, c'est aussi en raison de leurs effets diplomatiques : l'arrivée d'un charter à Bamako a des retentissements très importants dans le pays. C'est pourquoi d'autres modes d'acheminement sont préférés.

M. Yves Deniaud, Président : Je remercie tous les participants à cette longue et fructueuse audition pour la remarquable qualité des réponses qui nous ont apportées. Nous avons en particulier apprécié que vous ayez déjà commencé à tirer profit de la LOLF. Les progrès que vous escomptez en matière de connaissances statistiques nous serons sans doute utiles dans le suivi de ce rapport.

Au-delà des considérations financières, nous avons pu mesurer la difficulté et la qualité du travail accompli par les fonctionnaires dans un domaine éminemment humain.

Il me reste à vous demander, en application de l'article 57 de la loi organique relative aux lois de finances, de bien vouloir communiquer les rapports d'inspections sollicitées : le rapport sur l'asile en Europe et le rapport de synthèse de la mission d'inspection interministérielle sur le droit d'asile.

Audition du 16 juin 2005

10 heures 30 : M. François Barry Martin-Delongchamps, Directeur des Français de l'étranger et des Étrangers en France et M. Eric Lubin, délégué dans les fonctions de sous-directeur de l'asile et de l'immigration ; Ministère des Affaires étrangères

Présidence de M. Yves Deniaud, Président

M. Yves Deniaud, Président : Mes chers collègues, nous sommes heureux d'accueillir ce matin M. François Barry Martin-Delongchamps, directeur des Français de l'étranger et des étrangers en France au ministère des affaires étrangères, M. Éric Lubin, délégué dans les fonctions de sous-directeur de l'asile et de l'immigration, M. Philippe Bossière, chef du service des étrangers en France, et Mme Isabelle Edet, chargée de mission Asile.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Madame, messieurs, nous souhaiterions d'abord que vous puissiez nous apporter quelques précisions sur la mise en œuvre des deux lois de 2003, celle du 26 novembre et celle du 10 décembre et sur leurs premiers résultats observés.

M. François Barry Martin-Delongchamps : Les délais d'instruction des demandes d'asile ont été sensiblement réduits. Ils sont aujourd'hui de deux mois à l'OFPRA et devraient être de trois mois à la CRR d'ici la fin de l'année. L'ensemble du traitement, administratif et judiciaire, de la demande d'asile avoisinera donc six mois, délai de recours compris, d'ici la fin de 2005, alors qu'il pouvait atteindre plusieurs années précédemment.

L'OFPRA a enregistré, au cours des cinq premiers mois de 2005, 25.980 demandes d'asile, c'est-à-dire 5.196 demandes mensuelles, et a pris 5.491 décisions chaque mois. Le nombre de dossiers en instance de traitement s'établissait, au 31 mai dernier, à 11.975, alors qu'il était de 15.785 l'année dernière à la même date, soit une baisse de 24 %. Sur ce total, 6.264 demandes avaient plus de deux mois, alors qu'elles étaient 10.171 à être dans ce cas l'année passée, soit une baisse de 38 %. Parallèlement, la juridiction a enregistré, entre le 1er janvier et le 3 juin 2005, 16.068 recours et a rendu 34.042 décisions. Le nombre de recours en instance était de 47.746 au 31 décembre 2004. Il est tombé à 29.772 au 3 juin 2005. La durée du traitement d'un recours est un peu supérieure à quatre mois et demi, et devrait être de trois mois avant la fin de cette année.

La deuxième conséquence des deux lois de 2003 est le fait que la demande d'asile a baissé de 27 % en 2004 par rapport à 2003. Cette baisse est à peu près comparable à celle constatée dans tous les pays industrialisés, mais avec un temps de retard lié aux retards dans la réforme de notre législation. Cette évolution s'est poursuivie en 2005. Même en tenant compte de phénomènes qui vont dans l'autre sens, par exemple les demandes de réexamen, qui progressent de 87 %, les demandes d'asile depuis le 1er janvier sont en baisse de 3,6 % par rapport à la même période l'année dernière.

M. Yves Deniaud, Président : Ces chiffres sont rassurants.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : La question qui se pose à présent est celle de l'adoption par le conseil d'administration de l'OFPRA de la liste française des pays d'origine sûrs. Pourquoi a-t-elle pris du retard ? Cette liste pose-t-elle des problèmes diplomatiques ? Sur quels critères notre liste pourrait-elle être établie ? En l'absence d'une harmonisation européenne, peut-on rechercher une harmonisation avec les pays frontaliers ? Quels avantages attend-on de cette liste, ou quels inconvénients peut-elle avoir ?

M. François Barry Martin-Delongchamps : Le concept de pays d'origine sûre participe des efforts visant à la réduction des délais d'instruction.

Les critères sont d'abord ceux donnés par la loi : est pays d'origine sûr un pays qui veille au respect des principes de la liberté, de la démocratie et de l'État droit, ainsi que des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Autre critère : le nombre des demandeurs d'asile originaires des pays répondant à cette définition. Nous avons jugé inutile d'inscrire dans cette liste des pays dont aucun ressortissant ne vient demander l'asile en France. Comme ses partenaires européens, la France ne juge pas utile de dresser une liste exhaustive des démocraties. Il s'agit d'être pratique, effectif. Les Canadiens, par exemple, ne sollicitent pas l'OFPRA. Nous n'avons pas jugé utile d'inscrire le Canada dans la liste des pays sûrs.

De manière très concrète, il s'agit de rendre les procédures d'asile plus efficaces, en se fondant sur les flux existants, et cela, bien sûr, dans le respect du droit. Dans ces conditions, le conseil d'administration de l'OFPRA se verra proposer le 30 juin prochain de faire figurer sur la liste française des pays qui sont déjà considérés comme pays d'origine sûr par nos voisins : l'Inde, par exemple, figure sur la liste britannique ; la Bosnie figure sur la liste suisse ; le Sénégal et le Ghana figurent sur la liste de l'Allemagne. Nous espérons que la publication de la liste aura un effet en amont, sur les demandeurs potentiels, puisque nous considérons a priori que les ressortissants de ces pays n'ont aucune chance sérieuse d'obtenir l'asile en France. Ce sont essentiellement des migrants économiques. Toutes leurs demandes seront néanmoins examinées, cas par cas, avec le même soin que les autres demandes. Il n'est d'ailleurs aucunement exclu que certaines personnes obtiennent effectivement une protection - asile conventionnel ou protection subsidiaire - dès lors que leurs craintes seront fondées.

Pourquoi l'adoption d'une liste a-t-elle pris du retard ? Dans un premier temps, les autorités françaises ont préféré miser sur l'adoption d'une liste européenne plutôt que d'utiliser la compétence accordée par la loi au conseil d'administration de l'OFPRA. Des négociations ont eu lieu à Bruxelles au cours de l'année 2004, visant à l'adoption de cette liste européenne. Des divergences très nettes sont apparues entre les partenaires, et entre la Commission et les États membres. La Commission souhaitait y inscrire des pays sans considération du nombre de demandeurs d'asile. Le Conseil du 19 novembre 2004 a pris acte de cet échec. Le conseil d'administration de l'OFPRA s'est réuni pour la première fois le 9 décembre 2004. Il a consacré essentiellement sa première séance à l'établissement du budget de l'établissement public. La question des pays d'origine sûrs est donc inscrite à l'ordre du jour du conseil d'administration du 30 juin, ce qui permet de préparer dans de bonnes conditions la décision de ce conseil.

M. Yves Deniaud, Président : Une liste européenne et une liste nationale ne peuvent-elles pas coexister ?

M. Philippe Bossière : La question se posera effectivement, une fois qu'il y aura une liste communautaire, de savoir si peuvent figurer sur la liste française des pays qui ne figureraient pas sur la liste communautaire. Dans l'état actuel du projet de directive, c'est possible.

M. François Barry Martin-Delongchamps : Les effets pratiques de l'adoption de cette liste se feront sentir sur l'organisation de l'OFPRA, puisque les demandes des ressortissants des pays considérés représentent environ 14 % des premières demandes d'asile enregistrées en 2004. Les délais sont de quinze jours si le demandeur est libre et de 96 heures si le demandeur est placé en détention. Cela aura des conséquences sur l'organisation interne de l'OFPRA. D'autre part, l'absence de droit au séjour implique que l'État n'aura pas à verser de prestations sociales aux demandeurs concernés. Cela ne concerne, je le rappelle, que les ressortissants des États qui ne figuraient pas déjà dans la liste des pays pour lesquels la clause de cessation de la convention de Genève s'applique. Enfin, l'absence d'effet suspensif du recours à la commission des recours des réfugiés devrait permettre de voir diminuer le nombre des recours déposés à la CRR, pour autant que les demandeurs déboutés soient effectivement éloignés.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Quels sont, sur la liste envisagée, les autres pays que ceux que vous avez cités ?

M. Philippe Bossière : Il y aurait entre autres l'Inde, la Bosnie, la Croatie, l'Ukraine, le Bénin, le Cap-Vert, le Mali, le Ghana, le Sénégal. Une douzaine de pays en tout.

Tout à l'heure, il a été dit que nos partenaires européens avaient adopté des listes. Je voudrais apporter une précision sur ce point. L'Espagne n'a pas de liste. Le Danemark ou la Finlande n'ont sur leur liste que les pays de l'OCDE, ce qui est d'un intérêt très limité. Le Royaume-Uni a dressé une liste de seize pays, mais celle de l'Allemagne n'en compte que quatre, dont la Bulgarie et la Roumanie. La situation actuelle est donc très hétérogène, ce qui explique les difficultés que nous avons eues à dresser une liste commune.

Mme Béatrice Pavy : Vous avez dit que les demandes de réexamen étaient en augmentation de 87 %. Sont-elles toujours fondées sur des éléments sérieux ? Comment les limiter ? Quelles conséquences pour l'aide juridictionnelle ?

M. Éric Lubin : L'explosion des demandes de réexamen correspond vraisemblablement à un changement de législation. À législation constante, ces demandes auraient eu peu de chances d'apparaître. La législation ayant été modifiée en décembre 2003, il est logique de voir un certain nombre de demandes de réexamen apparaître, et ce sans préjuger du bien-fondé ou de l'absence de bien-fondé des motifs ou des motivations de ces demandes.

Deuxièmement, la majorité de ces demandes de réexamen n'ont aujourd'hui pour but que de prolonger le séjour des demandeurs sur le territoire. Les taux d'admission de l'OFPRA restent les mêmes, ou sont en légère diminution, autour de 9,5 %.

Les éléments nouveaux sont rares. Ils peuvent parfois se révéler concluants. Quelques cas particuliers ont abouti à une décision inverse, soit de la CRR, dans sa phase judiciaire, soit de l'OFPRA.

Comment limiter ces demandes de réexamen ? C'est au législateur de répondre à cette question. Cela dit, la législation touchant aux demandeurs d'asile doit aussi être analysée au regard des autres possibilités offertes par le droit français à tout autre justiciable. Il y a là une question de principe, que le législateur a à trancher.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Il est très difficile d'empêcher ces demandes de réexamen. Par contre, ne pourrait-on pas imaginer que l'aide juridictionnelle ne soit pas accordée en cas de demande de réexamen ?

M. François Barry Martin-Delongchamps : La judiciarisation croissante de la demande d'asile est un phénomène de société, qui n'est pas seulement lié au changement de législation mais aussi au rôle croissant des avocats. Si l'on souhaite contenir cette judiciarisation croissante - et il ne m'appartient de me prononcer sur ce point -, plusieurs moyens existent. On pourrait réduire le délai de recours devant la CRR, en s'inspirant de l'expérience de certains de nos voisins. Il est de cinq jours au Royaume-Uni, et d'un mois en France. Cela supposerait une modification du décret du 14 août 2004. Un autre moyen serait de rendre le recours devant la CRR non suspensif dans un certain nombre de cas précis - par exemple quand le demandeur a été indûment admis sur le territoire. Pour dire les choses franchement, je ne suis pas sûr que cela serait très respectueux du principe même de l'asile. Ce n'est pas parce qu'on demande l'asile que l'on est entré régulièrement sur le territoire. Les chiffres indiquent d'ailleurs que seuls 15 % environ des demandeurs d'asile sont entrés régulièrement sur le territoire.

Je pense que l'on pourrait rendre le recours devant la CRR non suspensif pour des personnes qui ont la nationalité d'un pays ayant fait l'objet d'une clause de cessation d'application de la convention de Genève. Ce sera le cas pour les pays d'origine sûre. Je parle des personnes qui ont un titre de séjour, puisque ceux qui n'en ont pas n'ont déjà pas le droit de déposer un recours suspensif.

On pourrait imaginer que la demande d'asile qui repose sur une fraude délibérée constitue un recours abusif aux procédures d'asile. Un recours n'étant présenté qu'en vue de faire obstacle à une mesure d'éloignement pourrait également ne pas être suspensif.

Tout cela implique une modification de la loi, ce qui est normal, puisque ce sont des questions qui touchent aux libertés individuelles, au droit des personnes.

S'agissant de l'aide juridictionnelle, nous ne sommes pas tout à fait en accord avec la plupart de nos partenaires, qui considèrent que l'aide juridictionnelle ne doit pas être liée aux conditions de l'entrée sur le territoire. En France, actuellement, elle est refusée à ceux qui ne sont pas entrés sur le territoire dans des conditions régulières. Personnellement, je trouve un peu curieux un critère de ce genre pour l'asile. J'aurais plutôt tendance à retenir un critère défini par les chances de succès du recours. Si le recours a une chance d'aboutir, l'aide juridictionnelle devrait pouvoir être accordée. S'il n'a aucune chance raisonnable d'aboutir et qu'il n'a visiblement d'autre but que de prolonger la présence sur le territoire, j'aurais tendance à dire que l'aide juridictionnelle est moins justifiée.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : J'ai constaté que de toute façon, même lorsque le demandeur n'a pas droit à l'aide juridictionnelle parce qu'il est entré illégalement sur le territoire, les associations paient l'avocat. Il y a là, déjà, un détournement de la part des associations qui sont subventionnées.

Il me semble que l'aide juridictionnelle devrait être systématiquement accordée à tout le monde, mais pas pour les demandes de réexamen. Car étant donné les délais très courts qui sont aujourd'hui imposés, la probabilité qu'il y ait un élément nouveau entre l'examen et le réexamen est extrêmement faible.

M. Jean-Yves Audouin, Cour des Comptes : Étant donné que l'aide juridictionnelle n'est accordée qu'à ceux qui sont régulièrement entrés sur le territoire, la plupart des demandeurs ne peuvent en bénéficier. Je siège moi-même à la commission des recours. Cette aide juridictionnelle est relativement rare. Mais en ce qui concerne les réexamens, il arrive régulièrement que des éléments nouveaux soient apportés. La question à se poser est celle de la réalité, de la pertinence et de la valeur juridique de ces éléments. C'est pourquoi l'aide juridictionnelle peut difficilement être exclue pour les demandes de réexamen.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : S'agissant de la dimension européenne du problème, qu'en est-il de la transposition des directives ?

M. François Barry Martin-Delongchamps : La dimension européenne touche à plusieurs aspects.

En ce qui concerne la directive dite « directive Accueil », n° 2003-9, toutes les dispositions obligatoires, telles que l'accès aux prestations minimales, aux soins, à l'éducation, sont d'ores et déjà couvertes par le droit commun. À titre d'exemple, il n'y a pas de distinction entre Français, ressortissants communautaires et étrangers en ce qui concerne le droit à l'éducation. Dans ce domaine, la France est tenue de respecter la convention relative aux droits de l'enfant.

Pour ce qui est de la directive de 2004, dite « directive Statuts », ses principales dispositions ont déjà été transposées, par anticipation dans la loi du 10 décembre 2003. Le ministère de l'intérieur souhaite néanmoins inscrire dans un texte réglementaire les dispositions qui n'ont pas fait l'objet d'une transposition explicite, notamment l'obligation de retirer le statut de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire aux personnes qui n'en remplissent plus les conditions.

Il existe une proposition de directive sur les procédures d'asile. Si elle est adoptée un jour, par exemple à la fin de 2005, la transposition devra être achevée à la fin de 2007, et en 2008 pour l'aide juridictionnelle. Les mesures les plus coûteuses à transposer sont : l'audition des demandeurs...

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : L'audition systématique ?

M. François Barry Martin-Delongchamps : Disons : l'audition des demandeurs. Les autres mesures les plus coûteuses sont le recours à l'interprétariat et l'aide juridictionnelle. Le budget de l'OFPRA a d'ailleurs été abondé dans le but de couvrir l'augmentation du coût des auditions. S'agissant de l'aide juridictionnelle, on peut faire deux hypothèses. Hypothèse basse : comme à l'heure actuelle, seuls 50 % des demandeurs prennent un avocat. Dans ce cas, la dépense est estimée à 3,2 millions d'euros pour un nombre constant de recours, autour de 38.400 par an. Deuxième hypothèse : tous les requérants se font assister. Le coût serait alors d'au moins 6,4 millions d'euros.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Quels sont les chiffres actuels ?

M. Éric Lubin : Le coût de l'aide juridictionnelle devant la CRR est d'environ 1,4 million d'euros, sur la base d'une restriction, celle de la légalité de l'entrée sur le territoire du demandeur. Le coût moyen de l'aide juridictionnelle est de 169,20 euros par requérant. En faisant l'hypothèse de 38.400 recours annuels - tous les requérants sollicitant et obtenant l'aide juridictionnelle -, on arrive au chiffre de 6,497 millions d'euros.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : A-t-on une idée de ce que cela représente par rapport à la totalité de l'aide juridictionnelle ?

M. Éric Lubin : Je ne dispose pas de ce chiffre.

M. François Barry Martin-Delongchamps : Ce qu'il faut avoir en tête, c'est que l'effet de la directive est que nous ne pourrons plus opposer notre législation actuelle, qui exclut de l'aide juridictionnelle ceux qui ne sont pas entrés régulièrement sur le territoire. C'est cela, l'effet majeur et massif de la directive.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Les directives comportent-elles des dispositions relatives au regroupement familial ?

M. François Barry Martin-Delongchamps : En ce qui concerne les demandeurs d'asile, il n'y a pas d'obligation européenne en matière de regroupement familial. Aucun État membre ne procède d'ailleurs à des regroupements sur le territoire national à partir de l'étranger. S'agissant des réfugiés statutaires, c'est autre chose.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : La France bénéficie-t-elle des crédits du Fonds européen des réfugiés ?

M. François Barry Martin-Delongchamps : En 2003, il y a eu une dotation de 42,271 millions d'euros. La France a utilisé 11,99 % de cette dotation, soit 5,067 millions d'euros. En 2004, elle a utilisé 9,56 % de la dotation. La proportion sera à peu près la même en 2005 : la dotation est de 46.452.250 euros ; la France utilisera 4.419.370 euros, soit 9,51 % de cette dotation.

Ce fonds peut être utilisé pour financer des associations venant en aide aux demandeurs d'asile dans leurs démarches administratives. Pour être éligibles à ces subventions, les associations doivent créer des plateformes d'accueil respectant un cahier des charges établi par le ministère de la cohésion sociale.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Sur la proposition britannique de centres de transit et de traitement pour les demandeurs d'asile dans les pays tiers situés sur les routes de flux des demandeurs, quelle est la position de votre gouvernement ?

M. François Barry Martin-Delongchamps : La France est fermement opposée à l'idée d'établir de tels centres de transit en vue d'opérer un premier chiffrage des candidats à l'immigration. Cette position a été affirmée en juin 2003 par le Président de la République à Thessalonique. Elle a été confirmée à Rome en octobre 2004 par le ministre des affaires étrangères lors d'un déjeuner de travail auquel participaient ses homologues italien, espagnol, portugais. Elle a été exprimée par le ministre de l'intérieur à Florence, lors d'une réunion du G5.

J'ajouterai, à titre personnel, que cette proposition, indépendamment des questions éthiques qu'elle soulève - parce qu'elle est contraire à nos traditions, aurait aussi pour inconvénient de concentrer vers ces centres tous les flux d'immigration illégale et d'y favoriser l'action de mafias, de filières criminelles, qui tireraient profit de cette activité.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Dans le droit européen, y a-t-il une obligation de résidence pour les demandeurs ?

M. François Barry Martin-Delongchamps : Il n'y a pas d'obligation de résidence dans le droit européen.

Mais la directive relative aux normes minimales d'accueil autorise les États à décider du lieu de résidence des demandeurs d'asile pour des raisons d'intérêt public ou d'ordre public, ou, le cas échéant, aux fins du traitement rapide de leur demande. Il n'y a donc pas obligation, mais autorisation d'obliger.

L'Allemagne et les Pays-Bas appliquent d'ailleurs cette forme d'assignation à résidence de manière sévère.

La « détention » des demandeurs d'asile peut être longue : elle peut être de dix-huit mois aux Pays-Bas ; elle peut être illimitée au Royaume-Uni.

En France, l'obligation éventuelle de résider dans un lieu donné ne pourrait avoir de sens que si le refus d'hébergement était sanctionné de manière forte, par exemple par la perte de l'allocation perçue comme une alternative à l'hébergement. Cela pourrait avoir un effet dissuasif sur les demandeurs d'asile dont l'hébergement est assuré par la communauté implantée en France. Mais il faudrait s'assurer au préalable que l'État aurait effectivement les moyens de rendre effectif un tel hébergement obligatoire, et que son coût n'excède pas les avantages escomptés.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : La convention de Dublin s'avère-t-elle efficace ? Un collègue signalait qu'il apparaît, après plusieurs années d'expérience, que la détermination de l'État responsable ajoute une étape procédurale et un surcoût, pour une efficacité réduite, puisque dans 95 % des cas, c'est l'État saisi de la demande d'asile qui assume finalement la responsabilité de l'examen.

M. François Barry Martin-Delongchamps : Le mécanisme prévu par le règlement Dublin II peut avoir un effet dissuasif. Les empreintes digitales de la personne sont prises dès le premier contact en préfecture - si elle est équipée. La finalité de l'opération est expliquée au demandeur. L'espoir du dépôt d'une deuxième demande en cas d'échec dans un premier pays devrait normalement s'évanouir à ce stade.

Cela dit, il n'est pas possible de mesurer cet effet dissuasif. On ne peut pas compter le nombre de demandes qui ne sont pas exprimées parce que l'échec aurait été anticipé.

Le problème de l'application du règlement Dublin II vient des États, non des demandeurs. Nos partenaires ne reprennent pas tous les demandeurs qui remplissent les conditions de réadmission dans leur propre pays. Plutôt que de renoncer à appliquer cet accord, il faut amener nos partenaires à mieux le respecter, par la voie de la négociation. C'est ce que nous faisons.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Nous pouvons maintenant en venir aux coûts proprement dits.

Quels sont les budgets de l'OFPRA et de la CRR ? Comment leurs effectifs ont-ils évolué ?

M. François Barry Martin-Delongchamps : Pour ce qui concerne le ministère des affaires étrangères, la partie administrative de l'OFPRA représente un budget de 26,5 millions d'euros : 17,6 millions pour le personnel, soit 66 % ; 8,9 millions pour le fonctionnement, dont 4,8 millions au titre des dotations immobilières. Nous avons un effectif de 468 agents.

Pour la CRR, nous avons un budget de 27,5 millions, un effectif budgétaire de 371 agents. Le budget se décompose comme suit : 13,2 millions - 48 % - pour le personnel ; 14,3 millions - 52 % - pour le fonctionnement, dont 5,1 au titre des dotations immobilières.

Le coût d'instruction de la demande d'asile représentait, en 2004, 321 euros, hors protection. Le coût d'un recours était de 449 euros. Soir un total de 700 euros par demandeur d'asile.

Si je rapporte ces chiffres au coût du maintien sur le territoire français d'un demandeur d'asile et de sa famille, qui est évalué par le ministère de la cohésion sociale à 100.000 euros par an - et je laisse de côté le coût pour les collectivités locales -, j'arrive à la conclusion que le coût administratif du traitement des demandes d'asile représente 0,7 % du coût pour l'État du phénomène de l'asile.

Un audit de la commission des réfugiés a été réalisé. Car il y avait, et il y a toujours, des progrès à faire. Il serait souhaitable de procéder à un audit du coût général de l'asile en France. C'est ce que nous avons demandé aux quatre inspections concernées.

M. Yves Deniaud, Président : Vous avez raison de souligner que les collectivités locales consentent également un certain nombre de dépenses.

Je retiens de ce que vous avez dit une conclusion que vous n'avez pas explicitement formulée : le coût du traitement administratif des demandes d'asile représente si peu de chose que des dépenses supplémentaires visant à le rendre plus rapide et plus efficace peuvent aboutir à des économies substantielles par ailleurs.

M. François Barry Martin-Delongchamps : Nous plaidons depuis plusieurs années en ce sens. Il a fallu doubler les moyens que le ministère consacrait au traitement administratif de l'asile pour faire en sorte que sa durée passe de plusieurs années à environ six mois d'ici la fin de 2005. Mais ces dépenses supplémentaires sont sans commune mesure avec les économies qu'elles peuvent entraîner : le rapport est de 1 à 40.

Cela dit, si ces économies ne sont pas effectivement réalisées, ce serait un peu décevant du point de vue de la politique publique. Nous plaidons pour un examen général du coût de l'asile en France. Cet audit pourrait être mené par l'inspection générale des finances, l'inspection générale des affaires sociales, l'inspection du ministère de l'intérieur et l'inspection générale des affaires étrangères.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : L'objectif n'est pas tant d'arriver à une baisse des coûts que de traiter de manière correcte les demandes réelles, celles qui ne sont pas dilatoires.

M. François Barry Martin-Delongchamps : Si une demande est réelle ou dilatoire, nous ne le savons qu'après les avoir examinées. Notre travail consiste à examiner, cas par cas, toutes les demandes d'asile. Nous le faisons sans état d'âme.

Mais après que le demandeur a été soit admis au statut, soit débouté, il se pose un certain nombre de problèmes. Je constate qu'entre le 1er janvier 1997 et le 31 décembre 2005, le nombre de déboutés sera d'environ 440.000. On ne sait pas s'ils sont tous sur le territoire, mais la présence de ceux qui sont restés dans notre pays occasionne plusieurs milliards de dépenses. Cette somme, que nous ne connaissons pas avec précision, est sans commune mesure avec le coût du traitement administratif des demandes.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : C'est un fait que ces 440.000 personnes viennent grossir les rangs de l'immigration clandestine.

M. François Barry Martin-Delongchamps : Ils représentent une partie de l'immigration clandestine, une partie un peu mieux connue que l'autre, puisqu'il s'agit de personnes qui ont donné leur nom et leur adresse. Les pouvoirs publics connaissent un certain nombre d'informations à leur sujet, puisque la loi de 2003, qui a été totalement validée par le Conseil constitutionnel, permet au ministère de l'intérieur de connaître certaines informations nécessaires le cas échéant pour assurer leur éloignement.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Pourriez-vous détailler l'évolution des effectifs de l'OFPRA et de la CRR, compte tenu du recrutement exceptionnel qui est intervenu pour abaisser le stock des demandes non traitées ?

M. François Barry Martin-Delongchamps : En 2006, l'OFPRA proprement dit envisage le maintien des effectifs budgétaires actuels. Par contre, pour la CRR, il sera mis fin au contrat de 125 agents -  78 A et 47 C  d'ici au 15 décembre de cette année, la mission de résorption des recours étant remplie.

À l'échéance de 2006, deux évolutions sont envisagées. La première est une adaptation du nombre des emplois à l'évolution de la demande d'asile et aux besoins de professionnalisation de la CRR. Elle se traduira, je pense, par le transfert de certains emplois titulaires entre l'OFPRA et la CRR, la transformation de certains emplois contractuels en emplois de titulaires, une répartition différente entre catégories, et le licenciement d'un certain nombre d'agents contractuels.

D'autre part, j'insiste sur la transformation de l'emploi précaire en emploi permanent. La répartition actuelle entre contractuels et titulaires n'est pas satisfaisante. La proportion de 70 % d'emplois précaires doit être considérablement réduite. La bonne proportion, pour que l'institution soit capable de s'adapter dans les deux sens, serait de 60 % de titulaires, au minimum. Nous avons demandé la mise en œuvre dès 2006 d'un plan de trois ans de stabilisation du personnel de la CRR, avec des perspectives de carrière et de mobilité entre le ministère et l'établissement public.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : La CRR doit céder une partie de ces locaux pris à bail. Comment cette restitution s'effectue-t-elle, et quel est son coût ?

M. François Barry Martin-Delongchamps : La volonté de restituer le troisième étage de l'immeuble occupé par la CRR a été signifiée au propriétaire par huissier en mars dernier, conformément aux dispositions du bail. Les coûts induits sont de deux ordres : le remboursement d'une partie de la franchise de six mois de loyers qui a été consentie lors de la négociation du bail représente 1,3 million d'euros ; les coûts liés à la remise en état des locaux sont estimés à 150.000 euros. Le poste location immobilière a beaucoup augmenté en 2005.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Peut-on connaître le montant exact de l'ajustement ?

M. François Barry Martin-Delongchamps : Il y a eu un décret de virement de 5,8 millions d'euros lié à l'équilibre de la décision modificative n° 1 du budget 2005, qui a été adoptée par le dernier conseil d'administration et qui est en cours de publication. La part découlant des conséquences de l'opération immobilière de la commission des recours est de 836.000 euros : 150.000 euros pour la remise en état des bureaux du troisième étage du nouveau site, qui seront libérés au 31 décembre 2005 ; et 686.000 euros sont prévus, à titre de précaution, pour financer les loyers du second semestre de l'ancien site de la commission, au Val-de-Fontenay, au cas où il serait impossible de négocier avec les propriétaires une sortie avancée des baux dus au premier semestre 2005.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : L'effectif de l'administration centrale qui se consacre au traitement des demandes d'asile peut-il être évalué ?

M. François Barry Martin-Delongchamps : Il s'agit de la sous-direction de l'asile. C'est une petite équipe, dont les effectifs n'ont rien à voir avec ceux de l'OFPRA et de la CRR. Elle sera chargée de suivre le budget opérationnel de programme correspondant. J'aurais dû mal à vous donner des chiffres. Il faudrait pour cela pouvoir disposer d'une comptabilité analytique. Je souhaiterais connaître les chiffres.

M. Éric Lubin : La sous-direction représentait jusqu'à la fin de l'année 2003 62 personnes. La fin du traitement de la procédure d'asile territorial a vu le départ de 33 agents. Le transfert, en juillet 2004, du bureau de l'asile à la frontière à l'OFPRA a occasionné le départ de 15 agents. Nous sommes aujourd'hui à un effectif de 13 personnes, dont cinq agents de catégorie A et un agent de catégorie B.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Y a-t-il des coûts documentaires ?

M. Éric Lubin : Je pense pouvoir dire que cette question est sans objet.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Qu'en est-il des subventions aux associations ?

M. François Barry Martin-Delongchamps : En ce qui concerne les subventions aux associations, nous avons un crédit sur le chapitre 46-94, qui a été attribué au COMEDE - Comité médical pour les exilés - et à l'AVRE - Association pour les victimes de la répression en exil -, selon une répartition qui était en 2003 de 9 000 pour le COMEDE et de 7.600 pour AVRE. Il a été réduit de moitié entre 2002 et 2003, et définitivement supprimé en 2004, pour des raisons tout à fait claires. En 2003, la dépense qui était subventionnée représentait respectivement 92 et 95,9 % du budget du COMEDE et de l'AVRE, et les salaires versés 85,6 % et 63 % du budget total des deux associations en question. Les six premiers salaires versés représentaient à eux seuls 48 % et 38 % de la masse salariale. Les salaires versés aux directeurs du COMEDE et de l'AVRE étaient respectivement de 51.876 euros et 46.687 euros. Les subventions avaient alors été réduites de moitié. En 2004, seul le COMEDE a présenté une demande de subvention. La part de la subvention par rapport au budget de l'association était de 80 % et celle des salaires de 102 %, les six premiers salaires représentant encore presque 46 %. Le salaire versé au directeur était, là encore, très substantiel. Les subventions ont été supprimées.

M. Yves Deniaud, Président : Que signifie le chiffre de 102 % ?

M. Éric Lubin : Ces deux associations sont supposées avoir des activités médicales, qui prêtent à remboursement, notamment au titre de la CMU. Dans la présentation du budget de l'association, la part des salaires représentait 102 % des subventions, indépendamment de la part prestation remboursement.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Avez-vous des chiffres précis sur l'aide au retour ?

M. François Barry Martin-Delongchamps : L'aide au retour n'est pas de notre responsabilité, même si nous participons aux réflexions. Les consulats pourront avoir un rôle à jouer si elle se développe. Mais c'est un programme qui ne dépend pas de nous.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : S'agissant des visas, vous avez dit que 85 % des demandeurs d'asile sont entrés irrégulièrement sur le territoire. Avez-vous des précisions à nous apporter à ce sujet ?

M. François Barry Martin-Delongchamps : Tout d'abord, j'insiste sur un point fondamental : il n'y a pas de lien entre visa et immigration clandestine. Le nombre des bénéficiaires de visas restés illégalement sur le territoire est estimé à quelques milliers par an, sans doute entre 4.000 et 8.000. Nous n'avons pas de moyens nous permettant d'avoir un chiffre précis, si ce n'est ce que nous faisons nous-mêmes dans les consulats, à main nue, à savoir les clauses de rendez-vous. Nous demandons aux gens de revenir nous voir pour nous assurer qu'ils sont bien revenus. Mais c'est une approche empirique, qui ne repose sur aucun texte. Si les personnes étaient contrôlées à la frontière à l'aller et au retour, ce serait plus simple. Ce n'est pas encore le cas.

Ce chiffre de quelques milliers est à comparer aux 2 millions de visas délivrés chaque année par nos consulats, et aux 80 millions d'étrangers qui visitent chaque année notre pays sans être soumis à l'obligation de visa. N'oublions pas qu'il n'y a qu'un faible contrôle aux frontières terrestres et maritimes, seules les frontières aériennes étant relativement bien contrôlées.

Cela étant, un certain nombre de mesures, européennes et nationales, vont dans le sens d'un durcissement des procédures.

L'essentiel des mesures sont européennes. Il s'agit en effet d'une politique totalement communautarisée, puisque même le pouvoir d'initiative relève exclusivement de la Commission. La France ne peut plus décider elle-même, unilatéralement, que les ressortissants de tel ou tel pays seront soumis à une obligation de visa.

La réglementation s'est durcie à l'égard de l'Équateur. La France a souhaité étendre cette mesure à l'égard de la Bolivie, mais cette demande a été rejetée par la Commission européenne. Nous ne sommes plus souverains, sur ce terrain-là.

La réglementation a été renforcée en matière de garanties, avec l'instauration de l'obligation de justifier d'assurances au voyage - une garantie de 30.000 euros. Dans le but d'éviter des demandes multiples ou fantaisistes, les frais de dossier sont désormais payables au moment de la demande. C'est une mesure que nous avons nous-mêmes initiée, qui a été appliquée dès le 1er janvier 2003. Une nouvelle vignette, dont la sécurité a été renforcée, est utilisée depuis le 1er juin 2004. La France a également contribué au développement de la coopération consulaire locale, en participant à deux missions du groupe d'experts Visas de l'Union européenne, en Inde et en Égypte. C'est la France qui affiche le taux de refus le plus élevé, 18 %.

Sur le plan national, nous ne mésestimons pas la nécessité, non d'une politique, mais d'une philosophie du comportement que nous attendons de nos consulats. L'aménagement du réseau, dont six postes ont été fermés, a permis de professionnaliser les fonctions de visa. La diffusion du nouveau logiciel consulaire RMV 2 s'est achevée à la fin de 2004. L'instauration du visa de transit aéroportuaire a été très importante. Elle a permis de dissuader la pression exercée sur la zone d'attente de Roissy en 2004. La loi du 26 novembre 2003 a durci les conditions d'entrée - attestation d'accueil, assurance. Les empreintes digitales peuvent être relevées et numérisées. Nous avons commencé cette expérience dans cinq postes consulaires : Bamako, Colombo, Minsk, San Francisco et Annaba. Nous envisageons d'étendre cette expérience pour préparer la France à mettre en œuvre le système d'information Visas de l'Union européenne. Nous veillons, en collaboration avec la CNIL, à ce que toutes les conditions de protection des données soient remplies.

Toutes ces mesures ont été mises en œuvre à budget et effectifs constants, alors qu'elles induisent une surcharge de travail significative. Quelques minutes par avion et par visa, cela fait beaucoup d'heures et d'emplois à temps plein en fin d'année. Nous avons calculé que 78 ETP supplémentaires auraient été nécessaires pour faire face à toutes ces mesures. Cela a été fait en comptant sur la bonne volonté des agents et l'accroissement de leur productivité.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Pensez-vous qu'il y a à l'étranger des exemples dont la France pourrait s'inspirer pour améliorer l'efficacité de ce dispositif ?

M. François Barry Martin-Delongchamps : S'agissant de l'asile, il y a effectivement des exemples qui vont dans le sens de mesures plus restrictives. Je pense à la Belgique, à l'Espagne, à l'Italie, au Royaume-Uni. J'indique quelques pistes.

Pénalisation et renforcement des sanctions en cas d'infraction commise par les passeurs.

Reconduite immédiate de tout étranger démuni des papiers nécessaires. C'est le cas au Royaume-Uni.

En matière d'attractivité sociale du territoire, la France est particulièrement attractive, comme l'a fait remarquer la Cour des comptes. La situation irrégulière est en passe de devenir un véritable statut. Au Royaume-Uni, les étrangers en situation irrégulière et leurs familles ne bénéficient pas de la politique sociale. En Suisse, lorsqu'un étranger débouté de sa demande d'asile ne se décide pas à quitter le territoire, il perd les bénéfices sociaux. Ce sont là des choix qui dépassent mes compétences. Mais vous me demandez des exemples, je vous en donne.

En Autriche, il est interdit au demandeur de quitter l'arrondissement administratif pendant la phase d'instruction de la demande.

Le pouvoir d'arrestation des fonctionnaires chargés des questions d'immigration peut être accru, sous le contrôle du juge, bien entendu.

La mise en détention des étrangers en situation irrégulière suppose que des locaux soient disponibles.

Il est possible d'équiper systématiquement les préfectures en bornes d'Eurodac, afin de raccourcir les temps de consultation dans le cadre de la procédure Dublin II.

On pourrait aussi raccourcir certains délais. Le délai de 21 jours pour la demande d'asile a fait l'objet d'une controverse rare.

Le délai de recours à la CRR est d'un mois en France, et plus court dans certains pays. Il est de 8 jours au Royaume-Uni.

La publication des décisions de la CRR pourrait se faire dans un délai plus court.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Concernant la demande d'asile à la frontière, quelle est la compétence de l'OFPRA ?

M. François Barry Martin-Delongchamps : Même si les mots, ainsi que le bon sens, ont tendance à faire penser le contraire, l'asile à la frontière ne relève pas du droit d'asile. Il relève du droit de l'admission au séjour, en application de l'ordonnance de 1945. Le délai de 21 jours concerne le droit d'asile au sens de la loi d'août 1952, modifiée par la loi du 10 décembre 2003 et du décret d'application.

À partir du moment où un étranger qui s'est présenté à une préfecture s'est fait remettre un formulaire de demande d'asile, son autorisation provisoire de séjour est valable un mois. Pendant cette période, il faut qu'il ait fait enregistrer sa demande d'asile par l'OFPRA, faute de quoi son autorisation provisoire de séjour pourrait ne pas être renouvelée si elle n'a pas d'autre fondement. Il a donc paru convenable de prévoir que sitôt qu'il a reçu son formulaire de demande d'asile, il a 21 jours pour le remplir et le déposer à l'OFPRA.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Je croyais que l'OFPRA intervenait à Roissy.

M. François Barry Martin-Delongchamps : L'asile à la frontière, c'est autre chose. Un étranger se présente à l'aéroport et demande l'admission sur le territoire. Cette demande n'est pas examinée au fond sous l'angle de l'asile. Elle est examinée au titre de l'ordonnance de 1945, sur le caractère manifestement infondé ou non de sa demande. Celle-ci fait l'objet d'une décision du ministre de l'intérieur, sous le contrôle du juge administratif. Cette décision est précédée - et tient compte - d'un avis formulé, jusqu'à l'année dernière, par le ministre des affaires étrangères - la direction des Français à l'étranger avait une équipe présente à Roissy vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour pouvoir auditionner les demandeurs et donner un avis sur le caractère manifestement infondé ou pas de la demande d'admission sur le territoire - et, depuis l'année dernière, par l'OFPRA. Ce n'est pas la loi de 2003 qui le prévoit, mais il nous est apparu raisonnable qu'un établissement public spécialisé dans cette matière donne cet avis au ministère de l'intérieur.

Pour répondre tout à fait à votre question, il était effectivement curieux que les indications recueillies à l'occasion de cette procédure ne puissent pas servir, le moment venu, lorsque l'intéressé, une fois admis sur le territoire, déposait une demande d'asile en bonne et due forme à l'OFPRA. La procédure repartait depuis le début. Cela est apparu comme un gaspillage d'énergie. Le fait que l'OFPRA donne cet avis au ministère de l'intérieur sur la demande d'admission favorise donc l'examen, le moment venu, de la demande d'asile, pour autant que l'intéressé ne disparaisse pas dans la nature. Car s'il est admis au séjour, nous ne sommes pas en mesure de nous assurer qu'il va demander l'asile. Il peut fort bien, et cela arrive malheureusement trop souvent, être pris en charge par des filières et rejoindre les très nombreux clandestins présents sur le territoire.

M. Augustin Bonrepaux, Président : L'examen immédiat de la demande au fond ne pourrait-il pas être envisagé ?

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Le taux d'admission est extrêmement faible.

M. François Barry Martin-Delongchamps : Le taux d'avis favorables est très faible, le taux d'admission final est très élevé. Il y a un énorme écart entre le taux d'avis positifs d'admission qui étaient donnés par le ministère des affaires étrangères à l'époque où on lui demandait son avis - de l'ordre de 3 % - et le taux d'admissions au séjour, de l'ordre de 65 %.

M. Philippe Bossière : Juridiquement, le demandeur d'asile à la frontière n'est pas encore sur le territoire.

Pour répondre à la question de M. le Président, on pourrait imaginer, dans l'avenir, une réforme consistant à instaurer une espèce de plateforme, à Roissy, où serait traitée, d'abord, la demande d'admission au séjour, et où l'intéressé pourrait, dans la foulée, déposer formellement sa demande d'asile qui serait examinée au fond par les officiers de l'OFPRA. Pour l'instant, cela ne s'est pas fait, pour différentes raisons, mais dans l'avenir, c'est une réforme à laquelle on peut penser.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : De votre point de vue, faudrait-il interdire aux demandeurs déboutés d'être naturalisés ?

M. François Barry Martin-Delongchamps : Il me semble, à titre personnel, que cela n'a rien à voir. Je pense qu'un demandeur débouté du droit d'asile, s'il n'a pas d'autre raison de rester sur le territoire, devrait en être éloigné. Cela étant, il peut toujours, comme tout étranger, demander à être naturalisé. Je ne vois pas de lien, ni dans un sens, ni dans l'autre.

M. Yves Deniaud, Président : Messieurs, nous vous remercions pour la grande précision de vos réponses.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Pourriez-vous nous faire parvenir une note récapitulant l'ensemble des chiffres que vous avez cités ?

M. François Barry Martin-Delongchamps : Nous le ferons bien volontiers.

M. Augustin Bonrepaux, Président : Il me reste à vous demander de nous faire parvenir, en application de l'article 57 de la loi organique sur les lois de finances, des rapports d'inspection utiles à nos travaux, à savoir le Rapport sur l'asile en Europe et le Rapport de synthèse de la mission d'inspection interministérielle sur le droit d'asile. Cette demande vous a déjà été adressée par courrier au directeur de cabinet du ministre des affaires étrangères.

M. François Barry Martin-Delongchamps : Ces documents ont été préparés. Il y a sans doute eu un problème de transmission, peut-être lié au changement de gouvernement. Il va de soi que je veillerai à ce qu'ils vous soient transmis dans les plus brefs délais.

Auditions du 23 juin 2005

a) 10 heures : M. Hugues de Balathier-Lantage, Chef de la Mission indemnisation du chômage au ministère de l'Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement

Présidence de M. Augustin Bonrepaux, Président

M. Augustin Bonrepaux, Président : Mes chers collègues, nous accueillons M. Hugues de Balathier-Lantage, chef de la mission indemnisation du chômage au ministère de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, rapporteure : L'audition est consacrée à l'attribution de l'allocation d'insertion aux demandeurs d'asile. La MEC souhaite savoir quels sont les critères d'admission au bénéfice de l'allocation et sa durée de perception, si le retrait de l'allocation est prévu et dans quel cas, et si des directives européennes sont susceptibles de modifier le dispositif français.

M. Hugues de Balathier-Lantage : L'allocation d'insertion, dispositif de solidarité créé en 1984, vise différents publics et non pas seulement les demandeurs d'asile, même si ces derniers représentent 84 % des allocataires actuels. Les conditions d'attribution diffèrent légèrement selon les publics, mais le principe est le même pour tous : il s'agit d'assurer un revenu à des gens qui n'ont pas accès au marché du travail ou qui éprouvent des difficultés particulières - les détenus libérés par exemple.

Pour les demandeurs d'asile, l'allocation d'insertion est attribuée sous les conditions suivantes : une demande d'asile recevable doit avoir été déposée auprès de l'OFPRA ; sur le plan juridique, les textes prévoient qu'ils doivent être inscrits comme demandeurs d'emploi dans un délai d'un an après le dépôt de la demande d'asile ; l'allocation est attribuée à la condition de disposer de ressources inférieures à 887,40 euros pour une personne seule et de 1.774,80 euros pour un couple. Le montant de l'allocation pleine est, au 1er janvier 2005, de 295 euros par mois pour une personne seule, et un couple peut percevoir deux allocations à taux plein sous les conditions de ressources dites. Les enfants peuvent toucher l'allocation d'insertion sous certaines conditions. En effet, aucune condition d'âge n'est fixée précisément, mais le seuil implicite est celui des 16 ans, âge limite de la scolarité obligatoire. Au-delà, un jeune qui poursuit une formation assimilée à une formation initiale ne pourra pas percevoir l'allocation d'insertion, mais il la touchera éventuellement si la formation qu'il suit est considérée comme une insertion professionnelle. Cela conduit à des distinctions parfois délicates. Enfin, l'allocation d'insertion n'étant pas « familiarisée », aucun supplément n'est prévu pour les enfants mineurs. L'allocation est versée pendant une durée de six mois renouvelable une fois, après contrôle de la situation du demandeur par les Assedic.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, rapporteure : Pourquoi exige-t-on de gens qui n'ont pas le droit de travailler qu'ils s'inscrivent comme demandeurs d'emploi ? Par ailleurs, servir l'allocation d'insertion pendant un an n'a plus grand sens quand on s'achemine vers un délai d'instruction des demandes d'asile de 7,5 mois environ.

M. Hugues de Balathier-Lantage : L'allocation d'insertion visant des publics disparates, les conditions d'attribution s'appliquent à tous. Il est vrai que pour les demandeurs d'asile, les conditions d'octroi sont légèrement décalées ; il n'est pas certain qu'elles soient parfaitement appliquées.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Je m'étonne qu'une allocation spécifique ne leur soit pas destinée.

M. Hugues de Balathier-Lantage : L'allocation d'insertion date de 1984, avant la création du RMI. Elle visait à assurer un minimum vital à des populations très hétérogènes : femmes isolées, apatrides et réfugiés, détenus libérés, certains salariés expatriés, certaines victimes d'accidents du travail... L'évolution intervenue depuis lors fait que l'allocation est de plus en plus centrée sur les demandeurs d'asile, les autres catégories concernées remplissant désormais les conditions d'accès au RMI. Une réforme du dispositif est d'ailleurs en cours pour supprimer certaines dispositions devenues caduques et, en particulier, pour caler la durée de versement de l'allocation sur celle de la procédure de demande d'asile, au lieu qu'elle soit, comme c'est actuellement le cas, accordée pour une période de 6 mois renouvelable une fois, quelle que soit la durée de la procédure.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Cette modification paraît indispensable, mais quelles sont les modalités pratiques du versement de l'allocation ?

M. Hugues de Balathier-Lantage : L'allocation d'insertion, gérée pour le compte de l'État par l'assurance chômage, est versée par les Assedic. Les réfugiés dont la demande d'asile est acceptée continuent de percevoir l'allocation d'insertion sous leur nouveau statut pendant le reliquat de temps restant à courir.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Un demandeur d'asile débouté de sa demande au bout de huit mois continue-t-il de percevoir l'allocation d'insertion pendant quatre mois encore ?

M. Hugues de Balathier-Lantage : Oui.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : C'est un curieux dispositif.

M. Hugues de Balathier-Lantage : C'est bien ce qui justifie la réforme, laquelle tendra à suspendre éventuellement les versements en fonction de la durée effective de la procédure, avérée par des échanges entre l'OFPRA et le ministère de l'emploi.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : À combien s'élèvent les crédits de l'allocation d'insertion ? Et quelle est leur répartition entre les catégories de bénéficiaires ?

M. Hugues de Balathier-Lantage : On a répertorié 49.000 bénéficiaires de l'allocation d'insertion en 2004, dont 41.258 demandeurs d'asile, lesquels ont donc représenté 86 % de l'ensemble, contre 84,2 % en 2003. La loi de finances pour 2005 prévoit 48.315 bénéficiaires dont 40.680 demandeurs d'asile, pour un coût total de 180 millions, dont 152 millions à ce titre.

La réforme prochaine de l'allocation d'insertion, tendant à caler la durée du versement de l'allocation d'insertion sur celle de la procédure de demande d'asile, résulte d'une directive communautaire. Par ailleurs, la loi portant réforme du droit d'asile, qui unifie les procédures, a conduit à prévoir l'extension aux demandeurs d'asile territorial de la couverture jusqu'alors uniquement accordée aux demandeurs d'asile conventionnel. Le projet de décret d'extension est en cours de rédaction, et l'on a pour perspective une évolution assez importante du nombre de demandeurs d'asile couverts par l'allocation d'insertion. L'équilibre se fera par le biais d'une autre mesure consistant à retirer le bénéfice de l'allocation d'insertion aux demandeurs d'asile qui refuseront l'hébergement qui leur est proposé au titre de l'aide sociale.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Quel type d'hébergement l'aide sociale peut-elle proposer aux demandeurs d'asile ?

M. Hugues de Balathier-Lantage : Il s'agit de places en CADA. La réforme suppose donc que leur nombre augmente. On dénombre quelque 52.000 demandes annuelles d'asile conventionnel ; l'extension de la couverture aux demandeurs d'asile territorial portera ce nombre à 81.000. Mais comme il y a environ 20 % de doubles demandes et que trois quarts seulement des demandeurs d'asile conventionnel perçoivent l'allocation d'insertion, on estime à 55.600 le nombre total d'allocataires après l'extension de la couverture, extension dont l'effet sera en partie compensé dès 2006 et totalement en 2007 par l'augmentation des places en CADA. On en comptait 12.500 en 2003, 14.000 en 2004, et l'objectif est d'en porter le nombre à 17.000 en 2005.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Selon quelles modalités pratiques se font les versements ? Les allocataires sont-ils tenus de se présenter pour les percevoir ?

M. Hugues de Balathier-Lantage : Il y a peu de contacts réguliers avec les demandeurs d'asile.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : C'est bien ce qui ne va pas.

M. Jean-Yves Audouin, Cour des comptes : L'allocation d'insertion est servie par les Assedic, qui ont la responsabilité du contrôle de la régularité du versement, effectué sur un compte bancaire ou postal. Elles l'exercent en demandant une copie de la demande d'asile ainsi que les documents attestant l'absence de ressources ou des ressources d'un montant inférieur au plafond fixé et un document prouvant que le demandeur ne bénéficie pas d'un hébergement de l'État. La réforme prévoit que, désormais, celui qui refusera l'hébergement n'aura plus droit à l'allocation. L'allocation est actuellement prévue pour durer un an, période scindée en deux semestres, ce qui permet le contrôle de la situation du demandeur par les Assedic au bout des premiers six mois. Par la réforme à venir, cette durée obligatoire disparaîtra, et la durée de versement sera alignée sur celle de la procédure.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Lorsqu'une demande d'asile refusée est présentée pour réexamen et que l'année pendant laquelle l'allocation d'insertion était due est achevée, repart-on à zéro en ouvrant un nouveau dossier ?

M. Hugues de Balathier-Lantage : Un verrou est prévu dans le cadre de la réforme : il sera mis fin au versement si le refus de l'OFPRA est suivi d'un refus de la CRR, même si la durée d'un an n'est pas écoulée. Il peut reprendre en cas de nouvelle demande jugée recevable (uniquement en cas de fait nouveau).

M. Jean-Yves Audouin, Cour des comptes : En l'état, l'allocation n'est plus due, même en cas de nouvelle demande, après une année de versements.

M. Christian Pallot, Cour des comptes : Lorsqu'une décision de l'OFPRA est cassée, le demandeur d'asile considéré passe successivement d'une situation régulière à une situation irrégulière puis, à nouveau, à une situation régulière. Ce cheminement juridique est curieux.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : La moindre des choses serait de caler la durée des versements sur celle de la procédure. La France respectera-t-elle le droit européen si elle cesse tout versement après le rejet du recours ?

M. Hugues de Balathier-Lantage : Il faut espérer que le Conseil d'État, qui examine actuellement le projet de décret, confirme l'analyse du ministère.

Par ailleurs, en conséquence d'une décision du Conseil européen, une protection complémentaire est due à une population non quantifiable : celle qui, en raison d'une crise grave, se trouverait devoir être accueillie par l'Union européenne et répartie parmi les pays membres. La décision a été prise suite aux évènements en Bosnie. Il n'y a pas de population dans ce cas actuellement, et aucune prévision n'est possible à ce sujet.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Connaît-on la répartition des demandeurs d'asile par nationalités ?

M. Hugues de Balathier-Lantage : Non, et je ne sais pas quelle serait la position de la CNIL à ce sujet. Les seules informations connues portent sur les différentes catégories de populations auxquelles l'allocation d'insertion est versée : demandeurs d'asile, détenus libérés...

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Je vous demanderai de bien vouloir nous adresser une fiche synthétique sur la réforme en cours de l'allocation d'insertion.

M. Augustin Bonrepaux, Président : Monsieur de Balathier-Lantage, je vous remercie.

b) 10 heures 30 : Mme Claire Descreux, sous-directrice des politiques d'insertion et de lutte contre les exclusions à la direction de l'action sociale, à la direction générale de l'action sociale au ministère de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, accompagnée de M. Mabille.

Présidence de M. Augustin Bonrepaux, Président

M. Augustin Bonrepaux, Président : Nous accueillons maintenant Mme Claire Descreux, sous-directrice des politiques d'insertion et de lutte contre les exclusions à la direction de l'action sociale, à la direction générale de l'action sociale au ministère de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, accompagnée de M. Mabille.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, rapporteure : L'audition est consacrée à l'évolution, frappante, de l'aide médicale de l'État, dont bénéficient notamment les déboutés de la demande d'asile. La MEC souhaite des précisions sur l'évolution du nombre des bénéficiaires, sur la proportion de déboutés de la demande d'asile en leur sein et sur l'évolution du coût de ce dispositif.

Mme Claire Descreux : La tendance est à la décélération aussi bien du nombre de bénéficiaires que des dépenses d'AME, qui avaient, il est vrai, beaucoup augmenté précédemment. La poursuite, légère mais régulière, de la baisse des dépenses engagées au titre de l'AME continue cependant, sans que l'on parvienne pour autant à les contenir dans la dotation budgétaire. Le nombre des bénéficiaires, qui étaient 170.000 au dernier trimestre 2003, a diminué pendant toute l'année 2004 pour s'établir à 146.000 au dernier trimestre 2004, avant de remonter à 158.600, de manière inexpliquée, au premier trimestre 2005. La tendance à la baisse des dépenses s'est poursuivie au premier trimestre 2005. Estimée en moyenne glissante sur quatre trimestres, la dépense était de 515 millions au premier trimestre 2004 et de 383 millions un an plus tard.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Les paiements en retard ont-ils été résorbés ?

Mme Claire Descreux : Les décalages dans le temps sont de plusieurs ordres, ce qui rend les interprétations difficiles. Il peut s'agir de décalages dans la saisie des factures à l'hôpital, à la CPAM ou à la CNAM. L'on constate ainsi que, pour près d'un tiers, les soins payés en 2004 ont été délivrés les années précédentes. La diminution de la masse facturée au titre des années antérieures laisse toutefois penser qu'une résorption est en cours. Ainsi, en 2003, 41 % des dépenses étaient afférentes aux années antérieures ; en 2004, elles ne constituaient plus que 31 % de l'ensemble.

Il n'existe pas d'indications statistiques sur la part respective des différentes catégories de populations bénéficiaires de l'AME, mais il ressort d'estimations de l'IGAS, faites par sondages, que les déboutés constitueraient de 20 à 25 % de l'ensemble des bénéficiaires. Ils sont donc loin d'être la majorité. Leur nombre pourrait s'accroître avec l'accélération des procédures d'instruction des demandes d'asile.

Les autres publics bénéficiaires de l'AME sont multiples. Il peut s'agir de personnes entrées régulièrement sur le territoire mais qui s'y sont maintenues irrégulièrement, tels les étudiants en fin d'étude ou des titulaires de CDD qui sont restés à l'échéance de leur contrat. Il peut s'agir aussi de personnes arrivées irrégulièrement sous couvert de regroupement familial ou d'autres qui, entrées régulièrement avec une autorisation provisoire de séjour pour soins, perçoivent la CMU avec retard. L'AME prend aussi en charge les soins aux personnes en rétention administrative et en garde à vue et, à Mayotte, ceux nécessaires aux personnes en situation irrégulière qui ne relèvent pas de l'assurance maladie territoriale. Outre l'AME de droit commun, il existe une AME à titre humanitaire, dont les bénéficiaires sont soit des Français expatriés démunis, soit des personnes de nationalité étrangère dont l'état de santé grave demande des soins qui ne peuvent être dispensés dans leur pays d'origine. La prise en charge de ces soins est autorisée sur décision ministérielle.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Où en sont les décrets réformant le dispositif ?

Mme Claire Descreux : À ce jour, aucun décret n'est paru. La DGAS a informé les nouveaux ministres et les nouveaux cabinets de la situation. Toutefois, l'article 97 de la loi de finances rectificative pour 2003, qui a institué un délai de résidence de trois mois avant de pouvoir prétendre au bénéfice de l'AME, était d'application immédiate ; en contrepartie, la circulaire du 16 mars 2005 permet de délivrer des soins urgents aux étrangers en situation irrégulière durant les trois premiers mois de leur séjour sur le territoire. Par ailleurs, dans le cadre de la préparation du budget pour 2006, l'AME a été rattachée au programme « protection maladie ».

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Nous nous en félicitons, car il s'agissait là d'une de nos recommandations.

M. Gérard Bapt : Quel est le nombre des admissions à l'AME décidées à titre humanitaire ?

Mme Claire Descreux : Environ 900 dossiers sont déposés chaque année mais, selon les années, de 30 à 70 seulement sont acceptés. D'autre part, l'AME humanitaire permet également la prise en charge des Français de l'étranger démunis, après vérification de leurs ressources ; cela concerne, selon les années, de 40 à 70 personnes. L'ensemble de ces prises en charge représente une dépense de 4 à 5 millions par an.

M. Gérard Bapt : Dans tous les hôpitaux, des associations prennent en charge certaines interventions nécessaires à des malades étrangers. Quels sont les ministres dont les décrets en souffrance attendent la signature depuis un an ?

Mme Claire Descreux : Il s'agit des ministres de la santé et de la cohésion sociale.

M. Gérard Bapt : Je crois savoir que certains hôpitaux ont mis au point une formule ingénieuse : ils s'évitent des recouvrements fastidieux en passant par l'AME. Est-ce seulement une rumeur ?

Mme Claire Descreux : Les conditions d'accès à l'AME doivent être vérifiées dans tous les cas. Des discussions ont lieu avec les établissements hospitaliers, qui sont astreints à l'obligation de soins et qui n'auront pas de créance irrecouvrable si le patient bénéficie de l'AME. La question est finalement de déterminer qui, de l'État ou de l'assurance maladie, payera la facture de la prise en charge. Il peut y avoir débat après qu'une admission a eu lieu, mais le problème est marginal, d'autant qu'un étranger non résident qui veut se faire soigner en France doit déposer une provision auprès de l'hôpital. L'IGAS a montré que, parfois, certaines personnes ont pu, après avoir obtenu l'AME, demander le remboursement de la provision. Ce n'est plus possible depuis l'intervention de la loi de finances rectificative pour 2003.

M. Augustin Bonrepaux, Président : Madame, je vous remercie.

c) 11 heures 15 : M. Maxime Tandonnet, ancien membre de l'Inspection générale de l'administration, conseiller technique auprès de M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État, ministre de l'intérieur.

Présidence de M. Augustin Bonrepaux, Président

M. Augustin Bonrepaux, Président : Nous accueillons maintenant M. Maxime Tandonnet, conseiller technique auprès de M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État, ministre de l'intérieur, ancien membre de l'Inspection générale de l'administration et auteur de plusieurs ouvrages, articles et études consacrés à l'immigration.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, rapporteure : Quelles seront les conséquences de la création du Comité interministériel de contrôle de l'immigration sur la définition et la gestion de la politique d'asile ? Est-il prévu de revoir l'organisation administrative en matière d'asile, actuellement éclatée entre différents ministères ?

M. Maxime Tandonnet : La gestion de l'asile est effectivement éclatée entre le ministère des affaires étrangères - pour les visas et pour l'asile par le biais de l'OFPRA -, le ministère de l'intérieur - pour la tutelle des préfectures et les autorisations provisoires de séjour -, et la direction des populations et des migrations du ministère de la cohésion sociale. Pour remédier à cet éparpillement, un préfet et un administrateur civil chargé de mission ont été placés auprès de l'OFPRA. De plus, tout récemment, dans le cadre du plan de maîtrise de l'immigration voulu par le Gouvernement, le comité interministériel de contrôle de l'immigration, dont le secrétaire général est M. Stefanini, a été installé. Il peut siéger sous la présidence du Premier ministre ou du ministre de l'intérieur. On s'est ainsi efforcé de mieux coordonner la politique interministérielle de l'immigration. Toutes les administrations concernées jouant le jeu, l'expérience est probante, et la coordination de la politique d'asile et d'immigration prend une tournure nouvelle.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : D'autres regroupements administratifs sont-ils envisagés ?

M. Maxime Tandonnet : La coordination va se renforcer entre la direction des populations et des migrations du ministère de la cohésion sociale et le ministère de l'intérieur. Pour le reste, tout est à l'état de projet.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Quelles sont les conséquences de la transposition des directives européennes sur les procédures et les coûts de l'accueil ?

M. Maxime Tandonnet : Les directives ont été adoptées à l'unanimité. Les normes qui valent désormais pour tous les pays membres de l'Union européenne correspondant assez bien aux pratiques françaises, elles auront un impact limité sur le droit français. Il en ira autrement pour les pays nouveaux entrants.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Quels problèmes spécifiques la directive sur les normes minimales d'octroi et de retrait du statut de réfugié soulève-t-elle ? Le point est d'une particulière importance, car on constate une tendance croissante à la judiciarisation des demandes d'asile.

M. Maxime Tandonnet : L'essentiel des problèmes est à venir puisque le droit d'asile sera désormais traité à la majorité qualifiée. Il faudra éviter que les procédures ne se renforcent exagérément, au risque de contrarier la politique de maîtrise des flux. Mais, après avoir fait l'objet d'âpres discussions sur certains points, la directive a été adoptée et il faut s'en accommoder.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Le gouvernement précédent avait évoqué le projet d'assigner les demandeurs d'asile à résidence dans un département, le bénéfice des aides sociales étant suspendu en cas de non-respect de la décision du préfet. Qu'en est-il ?

M. Maxime Tandonnet : La mesure reste à l'étude mais il faut, pour l'appliquer, tenir compte des contraintes imposées par les directives et par la Convention de Genève. L'idée est, dans le respect de la Constitution et du droit international, de rendre fortement incitatif l'hébergement des demandeurs d'asile dans des structures dépendant de l'État, ce qui n'est pas le cas actuellement. Les administrations concernées réfléchissent donc au moyen de conditionner le versement de l'allocation d'insertion à l'acceptation d'un hébergement officiel. Ainsi saurait-on où se trouvent les demandeurs d'asile, ce qui permettrait de gérer la suite s'ils sont déboutés.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Une telle approche ne pose-t-elle pas un problème d'ordre constitutionnel ?

M. Maxime Tandonnet : Ce qui poserait problème serait de conditionner l'examen de la demande d'asile à l'acceptation de l'hébergement. Les choses sont différentes si c'est le versement d'aides financières qui lui est conditionné. La question est à l'étude.

Mme la Rpporteure : Quelles mesures en préparation peuvent avoir un impact sur l'asile ?

M. Maxime Tandonnet : Une réflexion est en cours, tendant à faciliter la possibilité, pour les préfets, de demander à l'OFPRA d'examiner en priorité les demandes d'asile qui leur paraissent abusives ou frauduleuses. Mais ce ne sont encore que des idées générales.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : À quel stade en est la constitution de la liste des pays d'origine sûre ?

M. Maxime Tandonnet : Je rappelle qu'il s'agit de la liste des pays dans lesquels les conditions du respect des droits de l'homme sont à l'évidence réunies. Sur le plan national, la décision du Conseil d'administration de l'OFPRA, le 30 juin 2005, est attendue. Mais il reste à s'entendre sur la liste au niveau européen, ce qui peut être très long.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Je vous demanderai de bien vouloir nous communiquer la liste de ces pays. Aux Pays-Bas, les demandeurs d'asile sont retenus pendant cinq jours dans des centres d'accueil tandis que l'on procède à un premier examen du caractère fondé de la demande ; un système semblable ne pourrait-il être institué en France, au moins pour les demandeurs d'asile à la frontière ?

M. Maxime Tandonnet : Pour ces derniers, la zone d'attente de Roissy est un système équivalent, qui ne concerne cependant qu'un nombre très limité de demandeurs d'asile, la majeure partie présentant les demandes en préfecture. Répartir les demandeurs d'asile dans les CADA, où le nombre de places d'accueil serait très renforcé, correspondrait à ce qui se fait ailleurs en Europe. C'est l'un des modèles dont le ministère de l'intérieur souhaite s'inspirer car, actuellement, on ne suit pas les demandeurs d'asile.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : De ce fait, 85 % des demandeurs étant déboutés, ils vont grossir les rangs de l'immigration clandestine.

M. Maxime Tandonnet : En effet. Les demandeurs d'asile hébergés en CADA, parce qu'ils y bénéficient de conseils, ont beaucoup plus de chance que les autres d'obtenir l'asile. De plus, l'acceptation d'un hébergement officiel est en soi un témoignage de la sincérité de la demande d'asile.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Le nouveau dispositif permettra de protéger les vrais demandeurs d'asile, car le système en vigueur pâtit de l'engorgement induit par les demandes infondées. Au delà, les critères de reconduite à la frontière des demandeurs d'asile déboutés ne sont pas clairs, et beaucoup ne sont pas pris en charge après que leur recours a été rejeté.

M. Maxime Tandonnet : Les mesures d'éloignement, peu nombreuses pendant longtemps, augmentent cependant, puisqu'elles sont passées de 8.000 en 2001 à 15.000 en 2004 ; le ministre a fixé un objectif de 23.000 pour 2005. Les obstacles tiennent d'une part à l'insuffisante capacité des centres de rétention administrative - l'objectif est qu'il y ait 1.600 places à la fin de l'année 2006 - et d'autre part aux refus de laissez-passer consulaires par les pays d'origine. Le ministère des affaires étrangères mène une action très ferme à ce sujet auprès de ces pays.

La position du ministre d'État est qu'il faut éloigner les célibataires. En ce qui concerne les familles en France depuis longtemps, dont les enfants sont scolarisés, une solution d'éloignement n'est pas toujours envisageable. Il faut donc également envisager une aide au retour ; c'est la formule la plus adaptée et le Gouvernement a engagé une réflexion approfondie à ce sujet. Enfin, la régularisation des familles ne doit pas être exclue si toute solution de retour est impossible.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Le ministère s'était fixé un programme d'éloignement ambitieux.

M. Maxime Tandonnet : En effet, puisqu'il s'agit d'accroître de 30 % les reconduites à la frontière. Les efforts accomplis pour améliorer l'efficacité des mesures d'éloignement ont déjà permis des progrès très significatifs en peu de temps.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : S'il est difficile de réduire les délais d'instruction des demandes d'asiles, qui doivent faire l'objet d'un examen sérieux de l'OFPRA et de la CRR, il faut absolument réduire ceux constatés au niveau des préfectures. Il est bon que des progrès aient déjà été accomplis.

M. Maxime Tandonnet : Le délai d'instruction des demandes a également chuté, passant de deux ans en 2002 à huit mois en 2004 après un renforcement marqué des effectifs.

M. Gérard Bapt : J'avais cru comprendre que la réforme envisagée consisterait à faire bénéficier les demandeurs d'asile soit d'un hébergement en CADA soit d'une allocation d'insertion. Or il vient d'être dit que l'acceptation de l'hébergement en CADA conditionnerait le versement de l'allocation. Qu'en est-il précisément ?

M. Maxime Tandonnet : Le terme d'insertion n'est pas adapté à la situation des demandeurs d'asile, puisque le sort qui sera fait à leur demande n'est pas arrêté. L'idée soumise à réflexion consiste à leur verser une aide à condition qu'ils ne refusent pas l'hébergement que leur proposera l'État, étant entendu que, si l'État ne leur propose rien, ils auront droit à l'allocation.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : La réflexion porte-t-elle aussi sur les moyens de ramener à la frontière les déboutés hébergés dans les CADA ?

M. Maxime Tandonnet : L'examen de la situation des familles a lieu au cas par cas.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Le nombre de ces cas est appelé à diminuer à mesure que le délai d'instruction des demandes d'asile se réduit.

M. Maxime Tandonnet : Je partage ce point de vue. La situation difficile dans laquelle se trouvent actuellement certaines familles déboutées résulte de la longueur passée de la procédure.

M. Augustin Bonrepaux, Président : Monsieur Tandonnet, je vous remercie.

d) 12 heures : M. Dominique Giorgi et Mme Anne Burstin, inspecteurs de l'IGAS, membres de la mission d'inspection sur les conditions d'accueil des mineurs isolés demandeurs d'asile.

Présidence de M. Augustin Bonrepaux, Président

M. Augustin Bonrepaux, Président : Nous accueillons enfin M. Dominique Giorgi et Mme Anne Burstin, inspecteurs de l'IGAS, membres de la mission d'inspection conduite en 2004 et 2005 sur les conditions d'accueil des mineurs étrangers isolés.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : L'audition vise à cerner l'un aspect des coûts engagés par les collectivités territoriales en matière d'aide sociale à l'enfance : je veux parler du phénomène des mineurs isolés demandeurs d'asile.

M. Dominique Giorgi : L'évaluation demandée à la mission d'inspection portait sur les mineurs étrangers isolés, qui ne sont pas tous demandeurs d'asile. Certains souhaitent acquérir la nationalité française, d'autres seront régularisés à leur majorité, d'autres encore acceptent de retourner dans leur patrie d'origine. La demande d'asile est donc la quatrième possibilité qui s'offre à eux pour régulariser leur situation, mais c'est une possibilité qu'ils sollicitent de plus en plus, pour la raison simple que les autres voies sont de moins en moins empruntables, particulièrement depuis que la loi du 26 novembre 2003 a durci les conditions d'accès à la nationalité française. Les demandes d'asile sont donc devenues plus nombreuses, mais tous les mineurs étrangers isolés n'en présentent pas. À l'inverse, de nombreux mineurs qui demandent l'asile ne sont pas isolés.

Le nombre de mineurs étrangers isolés en France s'accroît depuis dix à quinze ans, ce dont on n'a pris conscience qu'à la fin des années 1990. Les premières données chiffrées sont contenues dans une étude réalisée en 2001. L'analyse à laquelle la mission d'inspection s'est livrée en 2005 dans la continuité de cette étude montre que le phénomène s'est incontestablement développé. Une enquête a été menée auprès des conseils généraux ; 64 départements y ont répondu, dont on peut penser que ce sont les plus concernés. Il en ressort qu'au 30 septembre 2004, près de 2.500 mineurs étrangers isolés étaient présents dans ces 64 départements, et quelque 1.200 jeunes majeurs, avec lesquels avaient été signés 11 % de tous les « contrats jeunes majeurs ». On constate de grandes disparités, puisque la proportion des mineurs étrangers isolés, rapportée au total des mineurs placés, est de 13 % à Paris et de 7 % dans le Rhône, et que les jeunes majeurs étrangers sont titulaires d'un tiers des « contrats jeunes majeurs » signés à Paris et de plus de 40 % de ceux signés dans le Rhône.

On constate par ailleurs l'augmentation du nombre de demandes d'asile par les mineurs. Selon les statistiques de l'OFPRA, elles sont passées de 300 début 2001 à 845 en 2002, 950 en 2003 et plus de 1.200 en 2004. Les travailleurs sociaux confirment que c'est incontestablement l'effet de la modification des textes sur la nationalité : une porte se ferme, une autre s'ouvre.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Quels problèmes l'hébergement d'urgence de ces jeunes pose-t-il ? Les foyers de l'enfance disposent-ils de suffisamment de places ? Que se produit-il si ce n'est pas le cas ?

M. Dominique Giorgi : Tout dépend du département et de la pression que les mineurs étrangers isolés font supporter aux dispositifs d'accueil. Pour les départements les plus sollicités, c'est-à-dire ceux de l'Ile-de-France, le Rhône, les Bouches-du-Rhône, le Nord et la Gironde, la pression est telle que la marge de manœuvre est inexistante, les foyers d'accueil d'urgence que tout département doit avoir à disposition étant saturés. Certains fonctionnent en surrégime, au-delà de la capacité autorisée, et l'ASE est conduite à héberger les jeunes autrement, à l'hôtel par exemple. Cette solution est souvent réservée aux garçons proches de la majorité, pour limiter les risques que ce type d'hébergement peut faire courir.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Quel est le coût de ces prises en charge pour les collectivités territoriales ?

M. Dominique Giorgi : La mission d'inspection, souhaitant chiffrer le coût de la prise en charge des mineurs étrangers isolés par l'ASE, a dû, faute d'informations, définir des hypothèses portant à la fois sur la durée moyenne de séjour et sur le prix de journée. S'agissant de la durée de séjour, les mineurs qui cherchent à s'insérer dans la société française ont un parcours d'insertion exemplaire ; ils sont scolarisés et occupent une place à plein-temps dans un foyer ou dans une famille d'accueil. D'autres, qui appartiennent à des réseaux de petite délinquance, fuguent. Quant aux jeunes majeurs, ils occupent une place à plein-temps, car ils ont pour objectif l'insertion. La mission d'inspection a donc considéré que, selon les cas, la durée moyenne de séjour pouvait être de 200 ou de 300 jours. Pour le prix de journée, l'échelle suivante a été retenue : 200 euros en accueil d'urgence, 150 euros en foyer classique, 100 euros en famille d'accueil et 50 euros à l'hôtel. Il s'agit bien sûr de prix moyen approchés. Faute d'éléments sur la répartition globale des modes de prise en charge, la mission a retenu deux hypothèses : un prix de journée moyen de 100 euros et un prix de journée moyen de 130 euros. La combinaison des différentes hypothèses permet d'estimer le coût annuel de la prise en charge des quelque 3.700 mineurs étrangers isolés et jeunes majeurs, pour l'ensemble des 64 départements qui ont répondu à l'enquête et qui sont ceux où vit la majeure partie de ces jeunes, à une fourchette comprise entre 75 et 120 millions.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Je souhaite des précisions sur la recommandation de la mission d'inspection tendant à créer des structures d'accueil supplémentaires dans certaines régions.

M. Dominique Giorgi : La saturation des centres d'accueil d'urgence dans certains départements traduit probablement le besoin de places supplémentaires, mais il convient de distinguer deux phases. Celle de l'accueil d'urgence, qui est aussi celle de l'évaluation et de l'orientation, est la plus mal organisée et celle pour laquelle il est le plus nécessaire de créer des capacités nouvelles. Pour la prise en charge de moyen terme, le problème est plus qualitatif que quantitatif : les capacités d'accueil physique des jeunes existent, mais elles sont mal adaptées à leurs besoins spécifiques.

Mme Anne Burstin : La prise en charge dans la durée des mineurs étrangers isolés se heurte à de multiples écueils. Il y a d'abord le barrage de la langue, avec des interprètes plus ou moins compétents. Il y a les difficultés de la scolarisation, qui finit par se faire, mais il y faut souvent des mois - et l'on notera que, si l'inspecteur d'académie se saisit de la question, comme cela a été le cas dans le Bas-Rhin sur interpellation d'un juge des enfants, les procédures s'accélèrent. Il y a encore la question de l'insertion professionnelle des jeunes âgés de seize ans, qui suppose une autorisation de travailler dont l'obtention est très difficile. La loi de cohésion sociale présente à cet égard un progrès manifeste, mais ses dispositions ne concernent que les mineurs étrangers isolés arrivés en France avant seize ans, si bien que les difficultés demeureront pour les autres.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : A-t-on connaissance de filières d'immigration de mineurs étrangers isolés ?

M. Dominique Giorgi : Il existe indéniablement, dans les pays de l'Est et en Chine, des organisations dont l'objectif est de faire venir en France, avec ou sans l'accord de leurs parents, des mineurs étrangers isolés pour leur faire gagner de l'argent par tous moyens, légaux ou illégaux. D'autres filières, africaines en particulier, tendent à acheminer des jeunes qui fuient la guerre ou l'insécurité dans leur pays. Les capacités d'accueil, les modalités juridiques de la prise en charge des mineurs, le droit de la protection de l'enfance, les conditions de la scolarisation et de l'apprentissage leur sont parfaitement familières. Il faut donc à la fois éviter de donner des signaux à des gens qui savent tirer parti des facilités qu'offre la réglementation française, et éviter les amalgames car des mineurs qui courent de réels dangers méritent d'être accueillis par la France. Cela leur est dû, c'est une obligation nationale et internationale.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Les incriminations qui pèsent sur les filières sont-elles assez dissuasives ?

M. Dominique Giorgi : La mission d'inspection a préconisé une lutte résolue contre les filières.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Je me suis rendue moi-même dans la zone d'attente de Roissy et j'ai relevé que la mission d'inspection juge l'organisation de cette zone et des centres de rétention inadéquate pour les mineurs. Quelles sont ses propositions ?

M. Dominique Giorgi : La mission ne s'est pas rendue dans la zone d'attente de Roissy car elle n'avait pas mandat pour le faire. Mais des discussions avec plusieurs interlocuteurs en Seine-Saint-Denis lui ont permis d'envisager les choses sous l'angle juridique et l'ont amenée à formuler des recommandations. Sur le plan pratique, comme le demande la défenseure des enfants, le souci de protection de l'enfance doit conduire à ce que tous les mineurs soient accueillis dans un lieu spécifique et non, seulement, les mineurs de moins de treize ans. Sur le plan juridique, la mission suggère que la Cour de cassation soit saisie pour trancher sur la possibilité de saisine du juge des enfants par un mineur retenu en zone d'attente ou par son administrateur ad hoc.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Faut-il, selon vous, accorder le droit au travail à ces jeunes ?

Mme Anne Burstin : La mission d'inspection a proposé que les mineurs étrangers isolés âgés de seize à dix-huit ans et les jeunes majeurs puissent accéder au travail. L'impasse actuelle est très peu satisfaisante, car ces jeunes en déshérence ont un très vif désir d'intégration et de qualification professionnelle. Les choses empirent lorsqu'ils atteignent l'âge de la majorité, l'incertitude juridique dans laquelle ils se trouvent alors poussant certains d'entre eux à disparaître dans la nature et à grossir malgré eux les rangs du travail clandestin, victimes d'une exploitation parfois avérée. La protection qui leur est due passe par l'intégration professionnelle.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : La mission d'inspection a d'ailleurs souligné la situation de non droit dans laquelle se trouvent ces jeunes.

Mme Anne Burstin : Les textes instaurent un cercle vicieux en refusant aux mineurs étrangers isolés le droit au travail. Même si certaines préfectures examinent avec attention les cas qui leur sont soumis et acceptent la régularisation, qui induit le droit au travail, lorsque l'ASE donne sa garantie, la vacance juridique est très dommageable pour ces mineurs renvoyés à une inactivité totale, proies toutes trouvées d'exploiteurs potentiels. Cette situation est d'autant plus paradoxale que, très souvent, les employeurs chez qui les jeunes gens ont été en stage dans le cadre de leur scolarité souhaitent les embaucher, souvent dans les secteurs qui ont du mal à trouver de la main-d'œuvre. Les démarches conjointes entreprises alors par ces employeurs et par les éducateurs ont des résultats très inégaux, ce qui est inéquitable.

M. Dominique Giorgi : L'article 28 de la loi de cohésion sociale améliore heureusement la situation, mais seulement pour les mineurs étrangers isolés pris en charge par l'ASE avant leur seizième anniversaire.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Quel coût l'accueil des mineurs étrangers isolés représente-t-il pour l'État ?

M. Dominique Giorgi : Il y a trois sources de coûts : l'accueil de 33 mineurs étrangers isolés au CAOMIDA, financé par le ministère des affaires sociales ; le LAO de la Croix-Rouge à Taverny, qui accueille une trentaine de mineurs étrangers isolés sortis de la zone d'attente de Roissy ; moins facilement repérables, les contributions qui découlent de l'activité normale des services, ceux de l'éducation nationale et des services de santé par exemple.

Mme Anne Burstin : Par convention entre l'ASE et la PJJ, celle-ci participe, à Paris notamment, à la prise en charge d'une minorité de mineurs étrangers isolés en mettant certaines structures à leur disposition. Dans certains départements, l'accueil d'urgence est organisé conjointement par l'ASE et par la PJJ.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure : Quelle est votre opinion sur la gestion éclatée de l'asile ?

M. Dominique Giorgi : La demande d'asile n'était pas au centre de l'investigation de la mission car même si leur nombre augmente, les demandeurs d'asile ne constituent qu'une proportion limitée des mineurs étrangers isolés. La mission a toutefois constaté une très grande disparité dans la manière dont les dossiers sont constitués selon qu'ils sont étayés par les spécialistes de l'ASE ou que la demande est présentée spontanément par le mineur. Elle a aussi constaté les imperfections du dispositif d'accompagnement par des administrateurs ad hoc, qui manque de moyens, ainsi que le problème spécifique des mineurs reconnus majeurs : le parquet ne désignant pas d'administrateur ad hoc pour eux, ils ne peuvent présenter une demande d'asile à l'OFPRA. Les procédures sont donc disparates, et les chances de voir aboutir les demandes sont fluctuantes. Il ressort enfin de l'enquête de terrain que les audiences sont sérieuses et attentives, et que le taux de succès des demandes d'asile est très nettement plus élevé - 33 % - pour les mineurs étrangers isolés qu'il ne l'est pour les jeunes majeurs - 14 %.

Mme Anne Burstin : Les logiques divergentes des administrations font que l'on peine à trouver un équilibre entre la nécessité de protéger ces mineurs plongés dans un grand désarroi et celle de dissuader les filières. On procède donc à une approche par paliers pour trouver des solutions satisfaisantes. En dépit de la volonté de protection accrue qui s'est traduite par une circulaire du ministère de l'intérieur appelant à considérer les demandes de régularisation avec une certaine bienveillance, le sujet demeure très difficile. Par ailleurs, la modification du code de la nationalité a entraîné un déport vers la demande d'asile. On peut donc s'attendre qu'un grand nombre des quelque 2.500 mineurs étrangers isolés et 1.200 jeunes majeurs recensés dans les départements qui ont répondu à l'enquête seront, à terme, demandeurs d'asile.

M. Augustin Bonrepaux, Président : Quelles règles imposent aux départements, sur lesquels on se défausse de plus en plus, de prendre en charge les mineurs étrangers isolés ?

M. Dominique Giorgi : Le code de l'action sociale et des familles qui régit la protection de l'enfance ne fait pas de distinction entre mineurs français et mineurs étrangers. Il s'agit donc une compétence de droit commun des départements. Toutefois, l'État a accepté de participer à l'accueil des mineurs étrangers isolés demandeurs d'asile hébergés au CAOMIDA de Boissy-Saint-Léger et à l'accueil de ceux qui sortent de la zone d'attente de Roissy au LAO de Taverny.

M. Augustin Bonrepaux, Président : Madame, Monsieur, je vous remercie.

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N° 2448 - Rapport d'information sur l'évolution des coûts budgétaires des demandes d'asile (hébergement, contentieux, contrôle aux frontières) (Yves Deniaud, Augustin Bonrepaux - mission d'évaluation et de contrôle)

1 () Rapport d'activité pour 2004

2 () Rapport public de la Cour des Comptes de 2000

3 () Sur les 15.362 personnes placées en rétention à Roissy en 2004, 2.629 se sont déclarées demandeurs d'asile à la police aux frontières.

4 () Loi n°92-625 du 6 juillet 1992 sur la zone d'attente des ports et aéroports.

5 () Article 53-1 : « La République peut conclure avec les États européens qui sont liés par des engagements identiques aux siens en matière d'asile et de protection des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales, des accords déterminant leurs compétences respectives pour l'examen des demandes d'asile qui leur sont présentées.

« Toutefois, même si la demande n'entre pas dans leur compétence en vertu de ces accords, les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif. »