![]() ![]() Document mis en distribution le 25 novembre 2003 ![]() N° 1244 -- ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 DOUZIÈME LÉGISLATURE Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 20 novembre 2003. RAPPORT FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LA PROPOSITION DE LOI (N° 1194) DE MM. PATRICK BLOCHE, JEAN-MARC AYRAULT ET PLUSIEURS DE LEURS COLLÈGUES, portant pénalisation des propos à caractère discriminatoire. PAR M. Patrick BLOCHE, Député. -- Justice - Sécurité. INTRODUCTION 5 I. - LA LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS : UNE EXIGENCE RÉPUBLICAINE 6 A. - UNE PRÉOCCUPATION EUROPÉENNE 6 B. - LE DISPOSITIF FRANÇAIS 7 II. - LA SANCTION DES PROPOS DISCRIMINATOIRES : UN VIDE JURIDIQUE À COMBLER 9 A. - LES DISPOSITIONS MODIFIÉES DE LA LOI DE 1881 10 B. - LES MOTIFS DE DISCRIMINATION AJOUTÉS PAR LA PROPOSITION DE LOI 11 DISCUSSION GÉNÉRALE 12 TABLEAU COMPARATIF 15 MESDAMES, MESSIEURS, Alors que la France s'interroge sur la laïcité, un autre principe fondateur de la République est régulièrement malmené par l'existence de discriminations : l'égalité. Les pratiques discriminatoires constituent la négation du principe d'égalité, proclamé dès l'article 1er de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. A l'heure de la mondialisation, la lutte contre les discriminations est un élément du combat contre le communautarisme et le repli sur soi qui fragilisent la cohésion nationale. Les revendications communautaristes sont attisées par le refus du droit à la différence qu'expriment les discriminations. Stigmatiser les personnes pour ce qu'elles sont est une atteinte intolérable à leur dignité et une amputation de leur citoyenneté. La France, comme les autres États membres de l'Union européenne, possède une législation sur la non-discrimination, au premier rang de laquelle se trouvent les dispositions relatives à la lutte contre le racisme, la xénophobie et l'antisémitisme. Face au regain actuel, le législateur vient de manifester sa détermination en adoptant, à l'initiative du député Pierre Lellouche, une loi visant à aggraver les peines punissant les infractions à caractère raciste, antisémite ou xénophobe (1). Cependant d'autres discriminations demeurent et méritent toute l'attention de la représentation nationale, qu'elles soient liées au sexe, à l'orientation sexuelle ou au handicap. La présente proposition de loi, issue de celle déposée dès le 10 mai 2000, a pour objet de réprimer les propos d'exclusion en harmonisant et complétant notre législation sur les discriminations. En effet, si les différentes formes de discrimination sont sanctionnées dans le code pénal et le code du travail, la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse sanctionne les seuls propos discriminatoires à caractère raciste. Elle laisse de ce fait subsister une discrimination là où l'on voudrait la combattre. Il importe aujourd'hui de combler ce vide juridique en pénalisant l'ensemble des propos à caractère discriminatoire. I. - LA LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS : UNE EXIGENCE RÉPUBLICAINE La France, encouragée par la résolution de l'Union européenne dans ce domaine, a construit en matière de non-discrimination un édifice juridique dont la consolidation se poursuit. A. - UNE PRÉOCCUPATION EUROPÉENNE Tirant les leçons de la seconde guerre mondiale, l'Europe s'est très tôt préoccupée de combattre les discriminations et poursuit aujourd'hui son œuvre avec de nouvelles compétences. Ainsi, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 stipule dans son article 14 : « la jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ». Avec le traité d'Amsterdam, l'Union européenne s'est dotée d'une compétence en matière de lutte contre les discriminations. Désormais, selon l'article 13 du traité instituant la Communauté européenne, « le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, peut prendre les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l'origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle ». Le principe de non-discrimination est également affirmé par l'article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. S'appuyant sur ces principes forts, l'Union européenne a développé une politique globale de lutte contre les discriminations qui trouve son application dans le programme d'action communautaire de lutte contre la discrimination pour la période 2001-2006 (2)et dans des politiques ciblées : - résolution du Parlement européen du 8 février 1994 sur l'égalité des droits des homosexuels et des lesbiennes dans la Communauté européenne (3) ; - résolution du Conseil du 15 juillet 2003 relative à la promotion de l'emploi et de l'intégration sociale des personnes handicapées (4) ; - directive 76/207/CEE du 9 février 1976 relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes, modifiée par la directive 2002/73/CE du 23 septembre 2002 (5). L'engagement européen en faveur de la lutte contre les discriminations a largement influencé le corpus juridique français. Le dispositif français de lutte contre les discriminations, directement inspiré par les articles premier de la Constitution et de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui proclament le principe d'égalité, repose principalement sur le code pénal, le code du travail et la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. _ L'article 225-1 du code pénal définit ainsi la discrimination : « toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur apparence physique, de leur patronyme, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ». Cette rédaction résulte d'un enrichissement régulier dont témoigne en dernier lieu la loi n° 2001-1066 du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations. Celle-ci a notoirement renforcé la législation en introduisant dans le code du travail (art. L. 122-45), dans le code pénal (art. 225-1) et dans la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 relative aux droits et obligations des fonctionnaires les motifs de discrimination suivants : l'orientation sexuelle, l'âge, le patronyme et l'apparence physique. Par ailleurs, des progrès législatifs substantiels ont été enregistrés dernièrement en matière de discriminations fondées sur le sexe ou l'orientation sexuelle. _ Sous la précédente législature, la révision constitutionnelle qui a inscrit le principe de parité dans la Constitution (6) et la loi n° 2001-397 du 8 mai 2001 relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes illustrent ces avancées pour les droits des femmes. De même, la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes a modifié l'article 2-6 du code de procédure pénale pour permettre aux associations combattant les discriminations fondées sur le sexe ou les mœurs d'exercer les droits reconnus à la partie civile en cas d'atteintes volontaires à la vie ou à l'intégrité de la personne, de destructions et de dégradations commises en raison du sexe ou des mœurs de la victime. La loi n° 2000-719 du 1er août 2000 modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, à la suite d'un amendement de votre rapporteur, a confié au Conseil supérieur de l'audiovisuel la mission de veiller à ce que les programmes ne contiennent aucune incitation à la haine ou à la violence pour des raisons de mœurs. La loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale sanctionne les discriminations dans la location des logements en reprenant la définition de l'article 225-1 du code pénal. _ Plus récemment, la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure a créé, à la suite d'un amendement de M. Pierre Lellouche, repris par le groupe socialiste, un article 132-77 du code pénal prévoyant la possibilité de retenir une nouvelle circonstance aggravante lorsque les crimes ou délits suivants ont été commis à raison de l'orientation sexuelle de la victime : meurtre, tortures, violences, viol, agressions sexuelles. Cette circonstance est constituée lorsque l'infraction est précédée, accompagnée ou suivie de propos, écrits, utilisation d'images ou d'objets ou d'actes de toute nature portant atteinte à l'honneur ou à la considération de la victime ou d'un groupe de personnes dont fait partie la victime à raison de leur orientation sexuelle vraie ou supposée. Pour la première fois, le mobile homophobe constitue une circonstance aggravante de certaines infractions pénales. A l'occasion de la discussion de cette disposition, le ministre de l'Intérieur a reconnu la nécessité de la « lutte contre toute forme d'homophobie » (7). L'Assemblée nationale a enfin adopté lors de l'examen en première lecture du projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité trois amendements qui font du mobile homophobe une circonstance aggravante des infractions de menace (art. 222-18-1 du code pénal), de vol (art. 311-4) et d'extorsion (art. 312-2). Le tribunal de Charleville-Mézières a condamné le 29 octobre 2003 à deux mois de prison ferme deux jeunes gens pour violences à caractère homophobe commises en réunion. Cette condamnation témoigne de la persistance de l'homophobie mais aussi de l'utilité des nouveaux instruments juridiques à la disposition de la justice pour condamner ces comportements. _ Si la pénalisation des actes homophobes a progressé, celle des propos homophobes reste à réaliser. Jacques Chirac, alors en campagne présidentielle, avait affirmé dans une interview que l'homophobie « est aussi condamnable que le sexisme ou le racisme. A l'instar du dispositif mis en place pour d'autres phénomènes de rejet, il faut à l'évidence une condamnation de l'homophobie » (8). En réponse à une question écrite de M. Emmanuel Hamelin (9), le garde des Sceaux a reconnu qu' « en l'état actuel du droit positif, la seule mention de l'homosexualité d'une personne n'est pas en soi pénalement sanctionnée, ce qui peut constituer une lacune juridique préjudiciable aux homosexuels » et a assuré « que les modifications législatives à venir permettront de parfaire la protection des homosexuels aussi bien dans le domaine des discriminations qu'en cas d'agressions physiques ou verbales à caractère homophobe et permettront aux associations de lutte contre l'homophobie de remplir au mieux leurs missions ». Le Premier ministre, lors de sa rencontre le 18 juillet 2003 avec l'association Inter-lgbt, s'est également engagé à mettre à l'ordre du jour un projet de loi permettant la pénalisation des propos à caractère discriminatoire. L'initiative du groupe socialiste vise à honorer cet engagement et à l'inscrire dans une démarche globale de lutte contre les discriminations, répondant ainsi au vœu exprimé par le garde des Sceaux, le 2 octobre dernier, de voir le Parlement « légiférer sur cette question dans les tous prochains mois » (10). A cet effet, la présente proposition de loi vise à sanctionner les propos discriminatoires liés à l'orientation sexuelle mais également à d'autres critères. Les propos sexistes ou discriminatoires à l'égard des handicapés ou des personnes malades requièrent la même vigilance que les propos homophobes. Ils participent de cette intolérance que la République se doit de combattre. II. - LA SANCTION DES PROPOS DISCRIMINATOIRES : UN VIDE JURIDIQUE À COMBLER L'article unique de la proposition de loi qui vous est soumise modifie la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Cette grande loi de la République assure l'équilibre auquel doit parvenir toute démocratie entre la protection de la liberté d'expression et la sanction des abus qu'elle peut générer. Depuis 1881, cette loi a subi de nombreuses modifications, la dernière en 2001 (11), qui n'en ont jamais changé l'économie, ni altéré la valeur symbolique, tradition que cette nouvelle modification entend respecter. La loi de 1881, tout en consacrant la liberté de la presse, incrimine les propos ou écrits qui portent atteinte à l'ordre public. Elle délimite le champ d'application de la répression afin de garantir la liberté d'expression. Il ne s'agit pas, en effet, de réprimer toute opinion ou expression, aussi discutable soit-elle, mais de sanctionner les débordements expressément prévus par la loi. Les délits de diffamation ou d'injure, réprimés par cette loi, sont déjà aggravés lorsqu'ils sont commis à raison de l'origine, l'appartenance ou la non-appartenance de la victime à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. Seuls ces motifs sont retenus comme circonstance aggravante alors même que le droit français reconnaît de nombreux autres motifs de discrimination et attribue à certains d'entre eux un caractère aggravant (cf. supra). La pénalisation des propos discriminatoires se heurte donc à un vide juridique ainsi que l'a constaté la Cour de cassation dans un arrêt du 30 janvier 2001 (12), les propos homophobes ne pouvant être sanctionnés sur le fondement de l'article 24, huitième alinéa, de la loi de 1881, relatif à la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence. Pour combler cette lacune, la présente proposition de loi complète le délit de provocation par les motifs de discrimination suivants : le sexe, l'état de santé, le handicap, les mœurs et l'orientation sexuelle ; elle inscrit ces motifs comme circonstance aggravante des délits de diffamation et d'injure ; elle modifie les règles de poursuite pour ces délits aggravés ; elle permet aux associations ayant pour objet de combattre ces discriminations de se porter partie civile. A. - LES DISPOSITIONS MODIFIÉES DE LA LOI DE 1881 La proposition de loi modifie six articles de la loi de 1881 précitée. - L'article 13-1 prévoit les conditions d'exercice par les associations du droit de réponse dont les modalités sont définies à l'article 13. - L'article 24, huitième alinéa, punit d'un an d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. - Les articles 32 et 33 sanctionnent la diffamation et l'injure publiques. Ces délits sont punis respectivement d'un an d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende et de six mois d'emprisonnement et 22 500 euros d'amende lorsqu'ils sont commis à raison de l'origine ou de l'appartenance ou non-appartenance de la victime à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. Leur définition figure à l'article 29. La distinction entre l'injure et la diffamation réside dans l'imputation ou non d'un fait déterminé. Le délit d'injure publique suppose l'emploi, avec une intention de nuire, d'une expression outrageante, de termes de mépris ou d'une invective, sans renfermer l'imputation d'aucun fait. Le délit de diffamation doit porter atteinte à l'honneur et à la considération de la personne ou du corps visé. La portée de ces délits est atténuée par le droit de critique, reconnu par la jurisprudence. - L'article 48 prévoit les modalités de poursuite applicables à chaque délit sanctionné par la loi de 1881 précitée. - L'article 48-1 permet aux associations « se proposant de [...] combattre le racisme ou d'assister les victimes de discrimination fondée sur leur origine nationale, ethnique, raciale ou religieuse » d'exercer les droits reconnus à la partie civile pour les infractions de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence raciales, de diffamation et d'injure publiques à caractère racial. Le régime juridique des délits de presse applicable aux infractions susmentionnées obéit aux règles suivantes : - les délits doivent satisfaire à la condition de publicité, donc être commis « soit par des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l'écrit, de la parole ou de l'image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposés au regard du public, soit par tout moyen de communication audiovisuelle » (article 23 de la loi de 1881 précitée) ; - peuvent être déclarés pénalement responsables et sanctionnés dans l'ordre suivant le directeur de publication ou l'éditeur, à défaut l'auteur, puis l'imprimeur, enfin le vendeur, distributeur ou afficheur (article 42) ; - le délai de prescription est de trois mois à compter du jour où l'écrit ou le propos a été porté à la connaissance du public (article 65). Il pourrait être modifié par le projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité. B. - LES MOTIFS DE DISCRIMINATION AJOUTÉS PAR LA PROPOSITION DE LOI Dans chacun des articles cités plus haut, la proposition introduit, à côté des discriminations raciales, les motifs de discrimination suivants : le sexe, l'état de santé, le handicap, les mœurs et l'orientation sexuelle. Ces différents motifs figurent dans l'article 225-1 du code pénal et font écho aux discours d'exclusion qui minent notre société. La proposition ne reprend cependant pas l'ensemble des motifs de discrimination énoncés par le code pénal. Se prononçant le 2 octobre dernier au Sénat sur un amendement reprenant tous les critères de l'article 225-1, le garde des Sceaux, après avoir rappelé que « le Gouvernement n'est pas par principe opposé à une telle extension », avait estimé que cet article, dans lequel figure également les discriminations syndicales ou politiques, « couvre en effet à juste titre un champ très large car il tend à réprimer des comportements discriminatoires et non des propos ou écrits. Doit-on pour autant aggraver une injure ou une diffamation proférée pour des motifs politiques ? Je ne le crois pas, mais la question se pose de savoir jusqu'où doit aller la liberté dans l'expression de la pensée ». Il avait ensuite convenu qu'on ne pouvait viser les seuls cas d'homophobie sans réprimer les propos sexistes au risque de manquer de cohérence. Il est en effet apparu nécessaire d'analyser la pertinence des motifs figurant dans le code pénal au regard de l'expression publique. Certains d'entre eux, comme l'âge, le patronyme ou les caractéristiques génétiques n'ont réellement de sens que dans le monde du travail ou dans le cadre de relations commerciales. D'autres motifs comme les activités syndicales ou les opinions politiques ne peuvent faire l'objet d'une pénalisation sans porter atteinte à la liberté d'expression. En revanche, les différents types de discrimination qu'il s'agit d'insérer dans la loi de 1881 sont justifiés par leur actualité et la reconnaissance de leur acuité par la société : - L'activisme de l'association « les Chiennes de garde » et la concertation engagée par le gouvernement sur la publicité sexiste sont autant de signes de la sensibilité du combat contre les violences faites aux femmes, en premier lieu la violence verbale. - La campagne 2002-2003 du programme commun des Nations unies sur le sida portait sur la stigmatisation et les discriminations liées au sida. Les malades du sida ne sont pas les seuls à subir des discours de rejet du fait de leur état de santé. - En cette année européenne du handicap, les États membres de l'Union européenne se sont engagés à protéger les handicapés contre les discriminations et à sensibiliser aux multiples formes de discrimination. Cette proposition de loi est une contribution, modeste, à cet effort indispensable. - Le meurtre d'un jeune homme à Reims en septembre dernier a rappelé jusqu'où pouvait conduire l'homophobie. La pénalisation des propos discriminatoires doit permettre de répondre à une violence qui de verbale peut devenir physique. Si la pénalisation des propos discriminatoires est une nécessité républicaine, il convient cependant de garder à l'esprit les limites de la répression. De même que la sanction des propos racistes n'a pas éradiqué le racisme en France, la condamnation des propos discriminatoires doit s'accompagner d'une pédagogie pour faire vivre la devise de la République. * * * Après l'exposé du rapporteur, plusieurs commissaires sont intervenus dans la discussion générale. Relevant que la proposition de loi ne reprenait pas l'ensemble des discriminations énoncées par l'article 225-1 du code pénal, M. Xavier de Roux a exprimé des réserves à l'égard des critères, quelque peu arbitraires, qui ont été retenus. Il s'est étonné de cette forme de discrimination dans la lutte contre les discriminations, avant d'insister sur le fait que la loi de 1881 sur la presse, que la proposition de loi tend à modifier, ne devait pas faire l'objet d'improvisations ou d'approximations. M. Patrick Bloche a souligné que certains motifs de discrimination n'avaient effectivement pas été repris car ils ne paraissaient pas pertinents au regard de l'expression publique prohibée par la proposition de loi. Il a précisé que la rédaction retenue avait été motivée par un souci de clarté, tout en se déclarant ouvert à toute proposition de rédaction alternative. Relevant à son tour les approximations de la rédaction proposée, M. Jean-Paul Garraud a estimé suffisant l'arsenal dont la France dispose déjà pour lutter contre les discriminations ; tout en déclarant partager la réprobation des auteurs de la proposition de loi à l'égard de celles-ci, il a relevé l'incohérence du groupe socialiste qui, après avoir soutenu la proposition de loi communiste tendant à supprimer le mot « race » dans la législation, proposait un texte introduisant ce terme dans la loi de 1881 sur la presse. M. Jacques Floch s'est élevé contre l'argument selon lequel le dispositif législatif actuel serait satisfaisant ; il a rappelé la forte mobilisation des plus hautes autorités de la République sur ce problème et les inquiétudes croissantes des groupes sociaux victimes de propos discriminatoires et jugé indispensable de compléter la législation sur ce point. M. Christophe Caresche a réfuté les propos relatifs à l'incohérence de son groupe, invitant au contraire la majorité à se montrer cohérente et à ne pas repousser aujourd'hui un texte qu'elle pourrait être amenée à adopter demain à l'initiative du Gouvernement. Évoquant l'adage selon lequel le mieux est l'ennemi du bien, M. Christian Vanneste a observé qu'il s'appliquait particulièrement bien à la proposition de loi. S'il lui paraît en effet légitime de pénaliser les actes discriminatoires, comme l'Assemblée nationale l'a fait à l'initiative de M. Pierre Lellouche, il lui semble en revanche que la proposition de loi aurait pour effet de limiter de manière trop stricte la liberté d'expression. Après avoir observé que la proposition de loi suscitait un débat entre ceux qui préfèrent l'égalité et ceux qui sont plus attachés à la liberté, dont il fait partie, il a estimé que, s'il était normal de ne pas critiquer un état naturel comme le handicap, il n'en était pas de même à l'égard des mœurs et des comportements. Il a enfin exprimé la crainte que la possibilité donnée aux associations d'ester en justice ravive le communautarisme. Tout en rappelant que le Gouvernement préparait un texte plus général dans le même esprit, M. Xavier de Roux a considéré qu'il convenait d'être prudent s'agissant d'une proposition de loi qui touche à la liberté d'expression. Citant les « imputations susceptibles de porter atteinte à l'honneur ou à la réputation d'une personne », il a considéré que la rédaction actuelle pouvait soulever des difficultés. En application de l'article 94 du Règlement, il a proposé à la Commission de ne pas présenter de conclusions. M. Gérard Léonard, appuyé par M. Jean-Paul Garraud, a estimé au contraire que la Commission était suffisamment éclairée et demandé que la proposition de loi fasse l'objet d'un vote. En réponse aux intervenants, M. Patrick Bloche a émis le souhait que le Parlement puisse débattre sereinement de cette question. Il a ajouté, dans le prolongement de l'intervention de M. Christophe Caresche, qu'un projet de loi serait bientôt présenté par le garde des Sceaux sur le sujet. Il a, dès lors, jugé sans fondement les propos selon lesquels l'arsenal juridique actuel était satisfaisant. S'agissant de la rédaction proposée, il a réitéré son vœu de la parfaire en prenant en compte toute proposition d'amendement. Reprenant les propos de M. Christian Vanneste, il a nié vouloir établir un « ordre moral à l'envers » qui empêcherait toute liberté d'expression. Ayant rappelé que les condamnations visées par sa proposition ne concernaient que les propos discriminatoires, qui seraient considérés comme des injures ou des provocations à la haine, il a estimé qu'elle ne portait donc pas atteinte à la liberté d'opinion. A l'issue de ce débat, la Commission a rejeté l'article unique de la proposition de loi. ___
N° 1244 - Rapport sur la proposition de loi portant pénalisation des propos à caractère discriminatoire (M. Patrick Bloche) 1 () Loi n° 2003-88 du 3 février 2003. 2 () Décision 2000/750/CE du Conseil du 24 novembre 2000, JO L. 303 du 2 décembre 2000, p. 23. 3 () J.O. C. 61 du 28 février 1994, p. 40. 4 () J.O. C. 175 du 24 juillet 2003, p. 1. 5 () J.O. L. 039 du 14 février 1976, p. 40 ; JO L. 269 du 5 octobre 2002, p. 15. 6 () Loi constitutionnelle n° 99-569 du 8 juillet 1999. 7 () J. O. Débats de l'Assemblée nationale, 2ème séance du mardi 21 janvier 2003, p. 357. 8 () Interview au magazine Têtu, avril 2002. 9 () Question n° 20861, J.O. Questions du 15 septembre 2003, p. 7161. 10 () J. O. Débats du Sénat, séance du 2 octobre 2003, p. 6273 11 () Loi n° 2001-434 du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité, article 5. 12 () Chambre criminelle, n° 00-81292. © Assemblée nationale |