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le 17 mai 2004

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N° 1598

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 12 mai 2004

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES, FAMILIALES ET SOCIALES SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION (n° 1459) de M. GEORGES HAGE, tendant à la création d'une commission d'enquête sur la progression du nombre d'internements psychiatriques en France,

PAR Mme Maryvonne BRIOT,

Députée.

--

INTRODUCTION 5

I.- SUR LA RECEVABILITÉ DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION 7

II.- SUR L'OPPORTUNITÉ DE LA CRÉATION D'UNE COMMISSION D'ENQUÊTE 9

1. L'augmentation du nombre des hospitalisations sans consentement pour troubles mentaux doit être nuancée 9

2. De nombreuses dispositions visent à prévenir le risque d'une hospitalisation abusive 10

3. La représentation nationale dispose déjà de moyens d'information et d'intervention sur ce sujet 11

TRAVAUX DE LA COMMISSION 15

INTRODUCTION

Le 22 mars 2004 a été mise en distribution la proposition de résolution déposée par M. Georges Hage tendant à la création d'une commission d'enquête sur la progression du nombre d'internements psychiatriques en France (n° 1459).

Cette commission serait chargée de déterminer les causes de l'augmentation « excessive » du nombre des hospitalisations sous contrainte en psychiatrie depuis 1992, mais également « d'explorer les pistes pour la mise en place d'un système de santé mentale garantissant qualité des soins, sûreté publique et liberté individuelle ».

Selon l'usage, le rapporteur examinera la recevabilité de la proposition de résolution, avant de s'interroger sur l'opportunité de créer une telle commission d'enquête, au regard des prérogatives qui lui sont attachées et de l'organisation qu'elle exige.

I.- SUR LA RECEVABILITÉ DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION

La recevabilité de la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête doit s'apprécier au regard des dispositions conjointes de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et des articles 140 et 141 du Règlement de l'Assemblée nationale.

· La première exigence posée par ces textes est de déterminer avec précision dans la proposition de résolution les faits pouvant donner lieu à enquête.

En l'occurrence, le champ de l'éventuelle commission d'enquête paraît suffisamment circonscrit, puisqu'il s'agit d'examiner « les causes de l'augmentation du nombre des hospitalisations sous contrainte depuis 1992 », c'est-à-dire des hospitalisations d'office (HO) et à la demande d'un tiers (HDT) des personnes souffrant de troubles mentaux.

On regrettera cependant que l'auteur de la proposition de résolution ait retenu les termes d' « hospitalisations sous contrainte », et plus encore ceux d' « internements psychiatriques », qui semblent renvoyer à des temps plus sombres où la psychiatrie était impuissante face aux cas de psychose profonde et où la prise en charge de ces personnes se limitait à une démarche d'assistance et de sécurité. Loin d'être une mesure d'enfermement et de sanction, l'hospitalisation sans consentement constitue en réalité une mesure de contention justifiée par les spécificités de certaines maladies mentales, à savoir le déni de la maladie et le refus des soins, qui justifient que des restrictions puissent être apportées à l'exercice de leurs libertés individuelles. Ainsi, comme l'a souligné à juste titre le rapport du groupe national d'évaluation de la loi du 27 juin 19901, « l'hospitalisation sans consentement est totalement différente de l'internement et du placement. C'est toujours d'abord une mesure sanitaire, ordonnée par un médecin ».

Il convient par ailleurs de souligner la définition très large du champ des propositions que devrait avancer l'éventuelle commission d'enquête, puisqu'il s'agirait pour elle d'« explorer les pistes pour la mise en place d'un système de santé mentale garantissant qualité des soins, sûreté publique et liberté individuelle ». Dès lors, cela pourrait la conduire à porter ses travaux au-delà des seules hospitalisations sans consentement, pour examiner par exemple les conditions de l'hospitalisation libre ou encore de la psychiatrie ambulatoire.

Nonobstant ces remarques, on peut donc considérer que les faits visés sont formulés de façon suffisamment précise pour justifier, a priori, la création d'une commission d'enquête.

· La seconde condition de recevabilité concerne la mise en œuvre du principe de séparation des pouvoirs législatif et judiciaire qui interdit à l'Assemblée nationale d'enquêter sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours.

Or, par une lettre en date du 7 mai 2004, M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice, a fait savoir à M. le Président de l'Assemblée nationale que « des procédures judiciaires sont régulièrement diligentées à la suite d'internements psychiatriques dénoncés comme arbitraires », avant de conclure qu'il lui appartient dès lors « d'apprécier si les procédures en cours sont de nature à faire obstacle à la création d'une commission d'enquête ».

Il existe en conséquence un risque non négligeable que les travaux d'une commission d'enquête parlementaire créée sur le fondement de cette proposition de résolution se heurtent au principe de la séparation des pouvoirs. En particulier, les demandes d'audition de personnes ou de communication d'informations ayant un lien avec les poursuites judiciaires pourraient ne pas aboutir, ce qui est de nature à réduire considérablement le champ des investigations, et de ce fait, l'intérêt d'une telle commission d'enquête.

En conclusion, la recevabilité juridique de cette proposition de résolution n'apparaît pas formellement établie et le fait que des poursuites judiciaires soient en cours a pour conséquence de limiter à des généralités le champ des investigations d'une éventuelle commission d'enquête.

II.- SUR L'OPPORTUNITÉ DE LA CRÉATION
D'UNE COMMISSION D'ENQUÊTE

Il reste à déterminer s'il convient, en opportunité, de créer ou non une commission d'enquête sur la progression, depuis 1992, du nombre des personnes souffrant de troubles mentaux faisant l'objet d'une mesure d'hospitalisation sans consentement (HSC).

1. L'augmentation du nombre des hospitalisations sans consentement pour troubles mentaux doit être nuancée

Si l'observation statistique en santé mentale est confrontée à la double difficulté d'un objet à mesurer hétérogène et de définitions souvent évolutives, il existe néanmoins plusieurs sources de données à partir desquelles des constats chiffrés peuvent être établis2.

· L'évolution des hospitalisations sans consentement (HSC) se caractérise en effet par une progression continue des hospitalisations à la demande d'un tiers (HDT), qui s'élevaient à 62 894 en 2001 (contre 31 057 en 1992). L'augmentation des hospitalisations d'office (HO) est plus limitée (+ 45 % entre 1992 et 2001). Dans les deux cas, on enregistre également, depuis le milieu des années 1990, une augmentation régulière des hospitalisations effectuées selon la procédure d'urgence.

Évolution du nombre de décisions d'HSC entre 1992 et 2001

1992

1997

1998

1999

2000

2001

Nombre d'HDT

31 057

49 112

55 033

57 277

62 560

62 894

Dont HDT de plus de 3 mois (en %)

25

17,5

14,35

14,5

12,14

11,9

Nombre d'HO

6 631

7 475

8 817

8 931

9 171

9 625

Dont HO de plus de 4 mois (en %)

30

33,9

30,2

26,1

30

23,7

Total du nombre des HSC

37 688

56 787

63 850

66 208

71 731

72 519

Source : Direction générale de la santé (DGS) - Rapports d'activité des commissions départementales des hospitalisations psychiatriques (CDHP)

· Cette évolution doit cependant être pondérée par l'ensemble des éléments suivants :

- Les statistiques ne comptent pas le nombre de personnes hospitalisées sans leur consentement, mais le nombre de mesures d'hospitalisation. Or l'état de certains patients nécessite parfois plusieurs hospitalisations au cours de l'année, un même malade pouvant ainsi être comptabilisé plusieurs fois.

- La proportion des mesures d'hospitalisation sans consentement dans l'ensemble des hospitalisations en psychiatrie reste limitée : elle représentait 14 % en 2001, contre 13 % en 1997 et environ 11 % en 1992.

- Les chiffres de 1992 sont vraisemblablement sous-estimés, du fait de la parution tardive des textes d'application de la loi du 27 juin 1990, s'agissant en particulier des commissions départementales des hospitalisations psychiatriques.

- La durée moyenne du séjour a diminué dans le même temps à 37,5 jours en 2001, contre 40 jours en 1995 et 5 mois et demi en 1975, ce qui pourrait être lié, selon le rapport du groupe national d'évaluation précité, à l'examen régulier de la situation de personnes hospitalisées institué par la loi du 27 juin 1990.

- Un certain nombre de patients relevant du régime juridique de l'HDT ne sont pas hospitalisés de fait lorsqu'ils font l'objet de sorties d'essai3, qui ont lieu dans la plupart des cas à leur domicile.

Certes, il manque encore des études épidémiologiques permettant d'analyser plus finement l'augmentation des HSC, en suivant notamment des parcours individuels. Toutefois, la rapporteure constate que ces travaux d'investigation, qui requièrent une expertise spécifique, relèvent davantage de la compétence d'organismes tels que l'Institut national de veille sanitaire (INVS) ou la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) du ministère de la santé4.

2. De nombreuses dispositions visent à prévenir le risque d'une hospitalisation abusive

Il existe aujourd'hui des garanties légales importantes, qui ont encore été renforcées par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades, afin d'empêcher des hospitalisations injustifiées ou abusives.

· Ainsi, une personne atteinte de troubles mentaux ne peut faire l'objet d'une HDT que si ses troubles rendent impossible son consentement et si son état impose des soins immédiats assortis d'une surveillance constante en milieu hospitalier5. Dans ce cas, la demande d'admission doit être présentée par un membre de la famille du malade ou par une personne susceptible d'agir dans son intérêt et qui « est en mesure de justifier de l'existence de relations antérieures à la demande lui donnant qualité pour agir dans l'intérêt de celui-ci6 », ce qui exclut par exemple l'administrateur de garde dans un hôpital. Enfin, la demande doit être accompagnée de deux certificats médicaux circonstanciés (un seul en cas d'urgence), établis par des médecins qui ne peuvent être ni les parents, ni la personne ayant demandé l'hospitalisation, et dont l'un au moins ne doit pas exercer dans l'établissement d'accueil.

· S'agissant de l'HO, les préfets ne peuvent prononcer cette décision par arrêté qu'au vu d'un certificat médical circonstancié et à la condition que les troubles mentaux « nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l'ordre public ».

· Dans les deux cas, les personnes hospitalisées font l'objet d'un suivi médical régulier afin de déterminer les caractéristiques de l'évolution ou la disparition des troubles justifiant l'hospitalisation (après 24 heures, après 15 jours puis chaque mois).

· Chargées de contrôler la situation des personnes hospitalisées au regard du respect des libertés individuelles et de la dignité des personnes, les commissions départementales des hospitalisations psychiatriques (CDHP) ont examiné en 1999 près de 11 200 dossiers d'hospitalisation sous contrainte et effectué 305 visites sur 168 centres hospitaliers, au cours desquelles il a été rencontré 1 158 personnes. Or, depuis leur institution par la loi du 27 juin 1990, les commissions n'ont pas constaté d'hospitalisations sans consentement abusives.

La décision d'hospitalisation sous contrainte est ainsi au cœur d'une chaîne de décisions, faisant intervenir la famille ou les proches (pour une HDT), le préfet (pour une HO), les personnels soignants, les psychiatres ou encore les commissions départementales des hospitalisations psychiatriques (CDHP). Il semble dès lors difficilement envisageable que chacun des maillons de cette chaîne décide, d'un commun accord, de placer et de maintenir arbitrairement une personne en hospitalisation sous contrainte.

De surcroît, n'est-il pas précisément « abusif », pour ne pas dire insultant, de laisser penser que les professionnels de la santé et les psychiatres puissent ignorer les répercussions importantes, notamment en termes de stigmatisation sociale, d'une décision d'HSC - a fortiori si cette mesure n'est pas justifiée - alors même qu'ils sont chaque jour confrontés à la lourde tâche de concilier les libertés et la sécurité des malades, mais aussi celles de leur entourage ?

3. La représentation nationale dispose déjà de moyens d'information et d'intervention sur ce sujet

· S'agissant du manque d'évaluation de la loi du 27 juin 1990 et de « la volonté » présumée par l'auteur de la proposition « d'occulter un aspect très inquiétant de la psychiatrie actuelle », il faut rappeler que de nombreux rapports ont été établis au cours des dernières années sur les conditions de prise en charge des troubles mentaux, et en particulier :

- le rapport établi en 1997 par le groupe national d'évaluation de la loi de 1990, piloté par la DGS et l'Inspection générale des affaires sociales, qui a permis d'auditionner notamment des organisations représentatives de professionnels de santé mentale, d'élus locaux et de malades ;

- le « Plan d'actions pour le développement de la psychiatrie et la promotion de la santé mentale », rapport de la mission Clery-Melin remis au ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées en septembre 2003.

· Alors que l'auteur de la proposition de résolution évoque « une situation de menace pour les droits de l'homme sans avoir la moindre explication de ce phénomène par l'administration et sans se voir proposée de véritables solutions par le gouvernement », M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées a indiqué, à de nombreuses reprises, à la représentation nationale, par la voie de réponses à des questions écrites, que :

« D'une manière générale, les CDHP expliquent cette augmentation par l'élargissement du profil des personnes pour lesquelles une mesure d'hospitalisation sous contrainte est ordonnée : personnes dépendantes aux produits toxiques (surtout l'alcool), victimes de troubles du comportement, malades perturbateurs et/ou violents.

« La diminution souhaitable des mesures d'hospitalisation sous contrainte est liée au développement de la prévention en santé mentale afin d'éviter la survenue de troubles et d'en limiter les effets. La prévention constitue d'ailleurs l'une des priorités du projet de loi relatif à la politique de santé publique.

« Enfin, dans le cadre des réflexions en cours sur la réforme de la loi du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d'hospitalisation, il est envisagé la fusion des régimes d'hospitalisation d'office et d'hospitalisation à la demande d'un tiers, au profit d'une première brève période d'observation, ce qui devrait permettre, en recherchant le consentement aux soins psychiatriques des personnes, d'éviter un certain nombre de mesures d'hospitalisation sous contrainte. »

· Concernant les mesures mises en œuvre par les pouvoirs publics, on rappellera qu'un « plan national de santé mentale » a été engagé en novembre 2001 afin de répondre aux besoins sanitaires et sociaux des personnes atteintes de troubles mentaux, notamment les mineurs. En outre, à la demande de la DGS, l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé (ANAES) est actuellement chargée d'établir des recommandations de bonnes pratiques concernant les « modalités de prise de décision en urgence concernant l'indication éventuelle d'une HSC d'un patient présentant des troubles mentaux ».

· Enfin, l'Assemblée nationale a eu l'occasion de débattre des conditions de prise en charge des personnes atteintes de troubles mentaux au cours de l'examen de la loi relative aux droits des malades, mais également du projet de loi relatif à la politique de santé publique, dont l'article 64 permet d'améliorer les conditions de transport des personnes souffrant de troubles mentaux. Alors même que l'exposé des motifs de la présente proposition de résolution affirme que « l'Assemblée nationale ne peut rester insensible à cette évolution alarmante », aucun membre du groupe des député-e-s Communistes et Républicains n'est alors intervenu pour amender ces dispositions ou simplement faire valoir la nécessité de procéder à une réforme plus ambitieuse de la loi de 1990.

Fruit d'un compromis difficile entre les impératifs du respect des libertés publiques, de l'efficacité requise des soins psychiatriques et de la sécurité, voire d'une forme particulière du principe de précaution, le cadre juridique actuel est à l'évidence perfectible. Il n'est cependant pas certain que la commission d'enquête, qui est un dispositif lourd et contraignant, soit l'organe le plus adapté pour mener à bien ce travail de réflexion.

Au bénéfice des observations qui viennent d'être formulées, la rapporteure conclut donc au rejet de la proposition de résolution n° 1459.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a examiné, sur le rapport de Mme Maryvonne Briot, la présente proposition de résolution au cours de sa séance du mercredi 12 mai 2004.

Un débat a suivi l'exposé de la rapporteure.

Après avoir souligné la qualité de l'exposé de la rapporteure, M. Georges Colombier, président, s'est déclaré rassuré par les informations qui ont été apportées concernant cette question, sur laquelle de nombreux élus ont été alertés et qui mérite une attention particulière.

M. Georges Hage a souligné l'importance persistante de ce sujet dans la vie sociale française, ce dont témoigne la lettre du garde des sceaux du 7 mai dernier, et qui justifie dès lors d'en approfondir l'étude. Les conditions d'internement psychiatrique sous contrainte sont en effet au cœur des valeurs républicaines, telles que la liberté, le respect de la personne humaine ainsi que les droits de l'homme.

Permettre à des citoyens d'accéder aux soins que réclame leur santé mentale, protéger la société des actes que peut commettre celui dont la raison s'égare, nul ne remet en cause ces exigences. Mais la raison qui motive, au premier chef, cette proposition de résolution tient au constat suivant : 60 000 internements psychiatriques sous contrainte sont pratiqués chaque année, alors que la moitié seulement l'étaient il y a vingt ans. En particulier, l'une des formes de placement, l'HDT a connu une augmentation exponentielle au cours de ces dernières années. On peut donc s'interroger sur le point de savoir si la santé mentale de nos concitoyens s'est altérée, ce qui conduit également à examiner les raisons de ce changement. Les périodes de crise économique, la montée du chômage et de l'exclusion ont certes des effets sur les comportements. Elles suscitent angoisses, déstabilisations, pertes de repères et sont souvent marquées par un accroissement des dépressions et des maladies mentales. Toutefois, la situation économique et sociale de ces dernières années ne peut suffire à expliquer cette brutale augmentation du nombre des internements psychiatriques sous contrainte.

De plus, il est important de prendre conscience du fait qu'un placement d'office ou à la demande d'un tiers constitue d'abord une mesure privative de liberté. Il ne s'agit pas d'une décision anodine à caractère exclusivement thérapeutique. Il faut donc y voir plus clair. Or, précisément, les faits sont entourés d'une extraordinaire opacité, puisqu'à l'exception des rapports des CDHP, il n'existe, semble-t-il, aucune analyse fiable.

Il faut également souligner les très fortes disparités entre les départements, sans qu'aucune explication sérieuse ne puisse être avancée. Les hospitalisations sous contrainte représentent 14 % de l'ensemble des hospitalisations psychiatriques, ce qui constitue déjà une augmentation de 3 points par rapport à 1990, mais dans certains départements le nombre de ces internements a parfois quadruplé, sans raisons démographiques, épidémiologiques ou socio-économiques pertinentes.

La loi du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d'hospitalisation a prévu une évaluation de ses dispositions dans les cinq années suivant la promulgation de la loi et soumise au Parlement. Or, elle n'est intervenue qu'en 1997, soit avec trois ans de retard, et le Parlement n'en a pas été saisi. Par ailleurs, le rapport du groupe d'évaluation n'a pu prendre en compte que des chiffres remontant à 1995, ce qui n'a pas permis d'obtenir une photographie de la situation et de son évolution. Au reste, la DGS ne semble toujours pas disposer, à ce jour, d'informations vraiment actualisées sur cette question.

Dans son rapport pour 2000, la Cour des comptes a ainsi estimé que le « nombre des hospitalisations sans consentement a connu une augmentation spectaculaire qui pose avec acuité la question de l'indispensable conciliation entre des impératifs de sécurité et le respect des droits des malades ». Elle a également souhaité que des investigations approfondies soient conduites afin notamment de vérifier que le dispositif législatif n'est pas à l'origine de dérives préjudiciables aux droits des personnes. Il est donc urgent de disposer d'un état des lieux et d'une analyse exacte de la situation.

Cette proposition de résolution relève pleinement des objectifs fixés par la loi de 1990 et de la compétence du législateur, qui comprend notamment, conformément à l'article 34 de la Constitution, « les droits civiques et les garanties fondamentales accordés aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ».

Cette proposition vise, en second lieu, à répondre à la nécessité de faire évoluer rapidement la législation actuelle. En effet, l'hospitalisation sous contrainte relève en France d'une décision administrative puisque l'HDT est décidée par le chef de l'établissement hospitalier au vu d'une demande écrite et signée par un tiers et de deux certificats médicaux, dont l'un doit être établi par un médecin non rattaché à l'établissement d'accueil. Toutefois, en cas de péril imminent, un seul certificat, établi par le médecin de garde de l'hôpital, peut suffire, dès lors qu'il s'accompagne d'une demande écrite et signée par un tiers. L'HO est décidée par arrêté par le préfet au vu d'un certificat médical émanant d'un médecin non rattaché à l'établissement d'accueil. En cas de danger imminent, les commissaires de police, à Paris, et les maires, dans les autres communes, peuvent prendre toutes les mesures provisoires utiles, à charge pour eux d'en référer dans les vingt-quatre heures à l'autorité préfectorale. L'imminence du danger doit être attestée par la notoriété publique ou par un avis médical. Ainsi dans la logique française, le médecin émet un avis et l'administration décide. La justice n'intervient donc qu'a posteriori, dès lors qu'elle est saisie. Or, le patient n'est pas toujours informé de ses droits et ignore en particulier qu'il peut saisir le juge de la détention et des libertés qui statue en référé, ce qui est d'autant plus difficile que l'intéressé se trouve parfois déjà sous neuroleptiques.

Le 12 avril 1994, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a cependant recommandé que toute décision de placement non volontaire en hôpital psychiatrique relève d'un organe judiciaire. Il s'agit en effet d'une mesure privative de liberté : elle ne peut pas être administrative. Aujourd'hui, l'institution judiciaire, qui constitue tout de même la meilleure garantie contre les abus et l'arbitraire, n'intervient en France, éventuellement, que pour contrôler la pertinence d'une décision administrative de privation de liberté, ce qui est assez préoccupant.

C'est la raison pour laquelle de récentes réformes sont intervenues en Europe pour judiciariser les modalités d'hospitalisation non volontaire. C'est le cas en Italie, en Belgique, en Grande-Bretagne, en Espagne, en Grèce, aux Pays-Bas, en Pologne et en Suisse. La France des droits de l'homme ne peut pas rester en retrait. Une commission d'enquête pourrait dès lors constituer un premier pas vers une réforme nécessaire, dans la mesure où elle permettrait non seulement d'établir un état des lieux mais également de formuler des propositions qui pourraient constituer les prémices d'une initiative gouvernementale ou parlementaire.

Il faudra donc suivre avec la plus grande vigilance les propositions de réforme qui pourraient être avancées par le gouvernement actuel, ou à tout le moins par certains de ses membres, dont les positions ne peuvent être regardées sans une certaine méfiance. Les travaux d'investigation parlementaire pourraient prendre la forme d'une commission d'enquête, d'une mission d'information ou encore d'un groupe d'études.

Après avoir remercié la rapporteure pour son intervention riche d'enseignements, Mme Hélène Mignon a rappelé que de nombreux élus, interrogés sur ces questions, ont également procédé à des investigations sur ce sujet. Il en ressort qu'il n'y a pas lieu, en particulier dans la Haute-Garonne, de s'inquiéter outre mesure de la situation actuelle. L'origine des messages d'alerte adressés aux parlementaires laisse plutôt penser qu'une organisation joue un jeu qui paraît malsain. S'il est vrai qu'en raison de souffrances psychiques réelles des personnes, souvent jeunes, peuvent être violentes et hospitalisées, on ne peut pour autant y voir le signe d'une « chaîne malfaisante » visant à hospitaliser arbitrairement les personnes.

En revanche, la situation de certains prisonniers qui souffrent de troubles psychologiques importants est très préoccupante. Avec une hospitalisation préalable, certains drames auraient peut-être pu être évités. En tout état de cause, s'il est nécessaire d'engager sur ce sujet une réflexion dont l'objet devrait être suffisamment large, la création d'une commission d'enquête n'apparaît pas nécessaire.

Evoquant son expérience de président d'un hôpital psychiatrique dans le Cher, comprenant près de 2 500 patients et 1 500 employés, M. Louis Cosyns a rejoint les propos tenus par la rapporteure concernant le caractère très strict de la réglementation actuelle qui rend excessives les dénonciations d'hospitalisations psychiatriques abusives en France. Trois types de placements existent en effet aujourd'hui : l'hospitalisation libre, qui a lieu avec le consentement du patient ; l'HDT à la demande d'un membre de la famille, un tuteur ou un curateur ; l'HO, qui est subordonnée à l'accord de nombreux intervenants - le médecin de garde, qui délivre un certificat médical, mais aussi le maire, qui prend un arrêté en ce sens, avant que la personne concernée ne soit dirigée vers un hôpital, puis un centre départemental d'accueil et d'orientation (CDAO). Après vingt-quatre heures, cette décision doit encore être confirmée par le préfet. Ainsi, une grande connivence entre ces différents intervenants serait nécessaire pour qu'apparaissent de tels abus ; elle est donc peu probable. Par ailleurs, les patients disposent d'un certain nombre de droits au cours de leurs hospitalisations. Pour l'ensemble de ces raisons, la création d'une commission d'enquête n'apparaît donc pas souhaitable.

Mme Martine Carrillon-Couvreur a salué la présentation de la rapporteure, qui permet d'éclairer utilement la situation actuelle. Il s'agit d'un sujet sérieux qui mérite en effet une étude approfondie. Les problèmes sont nombreux et le législateur doit pouvoir en connaître. L'accroissement du nombre des HSC traduit également de nombreuses difficultés sociales et doit être rapproché de la situation des incapables majeurs, des personnes âgées ou encore des détenus. A cet égard, trop de personnes souffrant de troubles psychologiques graves sont aujourd'hui détenues en prison, alors que ce n'est pas leur place.

Il est cependant inexact d'affirmer que les internements psychiatriques sont faciles à mettre en œuvre dans la mesure où les médecins, et de manière générale l'ensemble des personnels concernés, prennent de nombreuses précautions avant de telles décisions. Une étude, qui pourrait être conduite par un groupe de travail créé à cette occasion, s'avérerait donc utile, dès lors que son objet est élargi à l'examen de l'ensemble de ces difficultés sociales.

M. Georges Colombier, président, a souscrit à cette proposition.

Partageant les conclusions de la rapporteure, M. Jean-Marie Geveaux s'est déclaré hostile à la création d'une commission d'enquête, qui ne semble pas nécessaire. Plusieurs éléments demeurent cependant préoccupants, et en particulier l'existence d'importantes disparités entre les départements concernant le nombre d'hospitalisations sous contrainte. En outre, de nombreux détenus souffrent de graves troubles psychiatriques qui sont souvent à l'origine des infractions. Enfin, les familles des patients sont parfois confrontées à la trop courte durée des hospitalisations psychiatriques et, par exemple, au retour au foyer d'enfants dont les troubles se manifestent à nouveau, ce qui peut entraîner pour elles de grandes difficultés. Il apparaît donc nécessaire d'engager une réflexion approfondie sur l'ensemble des problèmes liés à la psychiatrie.

M. Dominique Juillot a également déclaré partager les conclusions de la rapporteure. Toutefois, les hospitalisations d'office de courte durée, qui sont suivies d'un retour dans la famille alors que les problèmes psychiatriques subsistent, requièrent un examen approfondi. Il faut également s'interroger sur la définition du trouble à l'ordre public en matière psychiatrique et les raisons pour lesquelles le nombre des hospitalisations sous contrainte augmente.

Mme Marie-Renée Oget a souligné l'effort réalisé en matière de restructuration des services de psychiatrie et d'externalisation de la prise en charge des malades. Il est néanmoins important d'améliorer l'accompagnement de ces personnes à la sortie de l'hôpital. Il faut donc élargir la mission du groupe de travail au-delà du problème de l'hospitalisation sous contrainte.

Après avoir souligné que les troubles psychiatriques sont toujours source de drames et de souffrances dans les familles, M. Claude Leteurtre a jugé nécessaire de clarifier la situation réglementaire et de remédier au désert médical actuel en psychiatrie.

M. Maurice Giro a constaté un changement réel et profond dans les soins et le fonctionnement des établissements psychiatriques, notamment en ce qui concerne les troubles mentaux liés à la drogue et à l'alcool qui sont deux causes importantes des internements. Les disparités entre les départements tiennent à l'existence ou l'absence de structures adaptées, comme les hôpitaux de jour qui offrent des soins de proximité. De graves problèmes apparaissent en effet dans les départements où ce maillage n'existe pas.

Evoquant son expérience de cadre hospitalier dans un hôpital psychiatrique, M. Céleste Lett a jugé infondée la crainte concernant l'existence d'internements injustifiés et arbitraires. La loi du 27 juin 1990 encadre bien les décisions en la matière et les hospitalisations d'office en psychiatrie ne posent pas véritablement de problèmes majeurs.

M. Georges Hage s'est déclaré favorable à la proposition de création d'un groupe d'études. Les problèmes sont réels et graves dans le secteur de la prise en charge des maladies mentales et on ne peut que craindre qu'ils s'aggravent.

En réponse aux différents intervenants, la rapporteure a apporté les précisions suivantes :

- Un important travail a été réalisé dans les hôpitaux psychiatriques pour améliorer la prise en charge des malades, à travers notamment le développement des soins ambulatoires. Deux problèmes urgents doivent cependant trouver des réponses appropriées. Il s'agit tout d'abord de l'hospitalisation selon la procédure d'urgence, par exemple dans le cas d'un jeune toxicomane violent arrivant aux urgences psychiatriques et hospitalisé dans le cadre d'une HDT. Dans un arrêt de décembre 2003, le Conseil d'Etat a précisé la notion de tiers demandeur, qui doit être un membre de la famille ou avoir qualité pour agir dans l'intérêt de la personne. Or, dans les situations d'urgence et faute d'autres moyens, c'est souvent l'administrateur de garde qui présente la demande au titre de l'HDT. Quelques jours plus tard, si les troubles ne justifient plus l'hospitalisation, la personne peut sortir de l'hôpital plus fragilisée encore par ce court internement. Le second problème concerne les CDHP, qui sont très peu connues des familles, et dont le rôle de surveillance et d'examen des dossiers d'hospitalisation sous contrainte doit être renforcé.

- Concernant les autres problèmes liés à la psychiatrie, une étude approfondie pourrait être réalisée dans le cadre d'un groupe d'étude sur la santé mentale, afin d'avancer des propositions au gouvernement, sachant que l'administration semble consciente de la nécessité de faire évoluer la réglementation dans ce domaine.

- Enfin, concernant la proposition de confier au juge et non plus à l'autorité administrative, la compétence en matière d'hospitalisation sans consentement, il convient de se montrer prudent et d'étudier plus avant la question.

En conclusion, la rapporteure a jugé fallacieux d'affirmer que les hospitalisations sous contrainte se font sans réflexion et dans la précipitation. Il est vrai, en revanche, que la situation des urgences psychiatriques est extrêmement difficile, mais la redéfinition de la notion de tiers demandeur et le renforcement du rôle des CDHP auront sans doute un impact positif sur l'évolution du nombre des HDT.

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Conformément aux conclusions de la rapporteure, la commission a rejeté la proposition de résolution n° 1459.

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N° 1598 - Rapport sur la proposition de résolution tendant à la créationd'une commission d'enquête sur les internements psychiatriques (Mme Maryvonne Briot)

1 Loi n° 90-527 du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d'hospitalisation.

2 En particulier, les statistiques relatives à l'activité des CDHP sont exploitées chaque année par la DGS et les résultats sont communiqués aux préfets par circulaire du ministre chargé de la santé.

3 Afin de favoriser leur guérison, leur réadaptation ou leur réinsertion sociale, l'article L. 3211-1 du code de la santé publique prévoit que les personnes qui ont fait l'objet d'une HDT ou d'une HO peuvent bénéficier d'aménagements de leurs conditions de traitement sous forme de sorties d'essai, éventuellement au sein d'équipements et services ne comportant pas d'hospitalisation à temps complet. La sortie d'essai comporte une surveillance médicale. Sa durée ne peut dépasser trois mois et elle est renouvelable.

4 A cet égard, on signalera qu'une étude de la DREES consacrée aux populations prises en charge par les services de psychiatrie en 2003 doit être publiée au cours du second semestre 2004.

5 Articles L. 3212-1 et suivants du code de la santé publique.

6 Conseil d'Etat, 3 décembre 2003, n° 244867, Centre hospitalier spécialisé de Caen.


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