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le 16 juin 2004

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N° 1670

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 15 juin 2004.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LA PROPOSITION DE LOI (N° 1654) DE MM. PASCAL CLÉMENT ET BERNARD ACCOYER, relative aux conditions permettant l'expulsion des personnes visées à l'article 26 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945

PAR M. Alain MARSAUD,

Député.

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INTRODUCTION 5

I. -  L'ARTICLE 26 DE L'ORDONNANCE DU 2 NOVEMBRE 1945 : UN DISPOSITIF INSUFFISANT POUR LUTTER EFFICACEMENT CONTRE TOUTES LES PROVOCATIONS À LA DISCRIMINATION, À LA HAINE OU À LA VIOLENCE 6

A. LE BÉNÉFICE D'UNE PROTECTION CONTRE L'EXPULSION POUR CERTAINES CATÉGORIES D'ÉTRANGERS 6

1) la protection relative 7

2) la protection quasi absolue 7

B. UN DISPOSITIF QUI A RÉVÉLÉ SES INSUFFISANCES 9

II. -  LA PROPOSITION DE LOI : UN OUTIL JURIDIQUE ADAPTÉ POUR LUTTER CONTRE LES COMPORTEMENTS CONTRAIRES AUX VALEURS DE LA RÉPUBLIQUE 10

A. LA PROPOSITION DE LOI N° 1654 DE MM. CLÉMENT ET ACCOYER 10

B. L'EXAMEN EN COMMISSION 12

TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION 13

TABLEAU COMPARATIF 15

PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR 19

MESDAMES, MESSIEURS,

Dans le cadre du débat intervenu voici un an sur le projet de loi relatif à la maîtrise de l'immigration et au séjour des étrangers en France, l'Assemblée nationale, sous l'impulsion du ministre de l'intérieur d'alors, M. Nicolas Sarkozy, s'est retrouvée, toutes tendances confondues, pour aménager le régime des mesures d'éloignement du territoire applicables aux étrangers qui ont construit toute leur vie en France.

Au terme de ce débat, la loi n° 2003-1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité a donc modifié, pour plus de la vingtième fois depuis 1980, l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, et notamment son chapitre V, consacré à l'expulsion.

Nécessaire, l'aménagement de ces dispositions n'en était pas moins délicat. Lors de l'examen en première lecture à l'Assemblée nationale du projet de loi précité, le ministre affirmait d'ailleurs : « je suis [...] de ceux qui sont convaincus que sur un sujet dont on n'a pas parlé depuis des années, on ne peut pas trouver la vérité du premier coup. Je n'assène pas : voici la législation parfaite, je dis qu'il fallait faire bouger les choses » (1). Et pour le législateur, c'est avec le souci constant de parvenir à un équilibre entre la protection due à ces étrangers et à leurs familles installés depuis de très nombreuses années sur notre territoire, d'une part, et les exigences de l'ordre public, d'autre part, qu'il a réaménagé les dispositions relatives à l'expulsion.

C'est ce même souci d'équilibre qui conduit aujourd'hui le groupe ump à inscrire à l'ordre du jour de la séance mensuelle d'initiative parlementaire qui lui est réservée la proposition de loi n° 1654 de MM. Pascal Clément et Bernard Accoyer relative aux conditions permettant l'expulsion des personnes visées à l'article 26 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 précitée.

Enregistrée à la Présidence de l'Assemblée nationale le 8 juin dernier, cette proposition de loi n'a pas pour objet de rouvrir le débat qui s'est tenu récemment sur les conditions d'entrée et de séjour des étrangers. Toutefois, partant du constat selon lequel la législation ne permet pas aujourd'hui de lutter efficacement contre tous les appels à la discrimination, à la violence ou à la haine, elle tend à doter l'autorité administrative des moyens adéquats pour protéger les valeurs qui sont au cœur de notre pacte républicain.

I. -  L'ARTICLE 26 DE L'ORDONNANCE DU 2 NOVEMBRE 1945 : UN DISPOSITIF INSUFFISANT POUR LUTTER EFFICACEMENT CONTRE TOUTES LES PROVOCATIONS À LA DISCRIMINATION, À LA HAINE OU À LA VIOLENCE

Dans son volet consacré à la législation relative à l'expulsion et à l'interdiction du territoire, la loi du 26 novembre 2003 précitée s'est attachée à remédier aux situations parfois très difficiles dans lesquelles se trouvent placés les étrangers qui font l'objet de mesures d'éloignement du territoire alors qu'ils ont des liens étroits avec notre pays. À l'expérience, ces dispositions ont révélé des lacunes.

A. LE BÉNÉFICE D'UNE PROTECTION CONTRE L'EXPULSION POUR CERTAINES CATÉGORIES D'ÉTRANGERS

Réformant les règles de protection contre l'expulsion dont bénéficient certaines catégories d'étrangers, la loi du 26 novembre 2003 a introduit dans l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative à l'entrée et au séjour des étrangers en France deux degrés de protection contre l'expulsion et, de manière subsidiaire, contre les arrêtés de reconduite à la frontière. Ces deux types de protection bénéficient à certaines catégories d'étrangers en fonction de la force de leurs liens avec la France : la première forme de protection est dite « relative », la seconde « quasi absolue ». Une place à part est faite aux étrangers mineurs de dix-huit ans : conformément au II de l'article 26 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 précitée, ils ne peuvent, en effet, faire l'objet ni d'un arrêté d'expulsion ni d'une mesure de reconduite à la frontière et bénéficient donc à ce titre d'une protection absolue.

Lorsqu'elle est possible, l'expulsion de ces étrangers protégés est prononcée par le ministre de l'intérieur, conformément à l'article 2 du décret n° 82-440 du 26 mai 1982. Distincte de l'arrêté ministériel d'expulsion (article 27 ter de l'ordonnance du 2 novembre 1945), la décision fixant le pays de renvoi est prise par le préfet et, à Paris, par le préfet de police (article 3 bis du décret précité du 26 mai 1982) ; en outre, s'appliquent les prescriptions de l'article 27 bis de l'ordonnance, qui interdit l'éloignement de l'étranger à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements inhumains ou dégradants au sens de l'article 3 de Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

ARRÊTÉS D'EXPULSION DE 2000 À 2003

2000

2001

2002

2003

Arrêtés préfectoraux d'expulsion (1)

348

298

278

301

Arrêtés ministériels d'expulsion

199

229

167

84

Total

547

527

445

385

Pour 2004, du 1er janvier au 1er juin : 10 arrêtés ministériels ont été prononcés dont 7 à raison d'activités terroristes et islamistes.

(1) Le préfet et, à Paris, le préfet de police sont compétents pour prononcer, en application de l'article 23 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, une décision d'expulsion à l'encontre de l'étranger dont la présence constitue une menace grave pour l'ordre public (soit les étrangers non couverts par une protection relative ou quasi absolue ainsi que ceux rentrant dans l'une des catégories énumérées à l'article 25 de l'ordonnance de 1945 mais ayant été définitivement condamnés à une peine de prison au moins égale à cinq ans).

Source : Ministère de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

1) la protection relative

L'article 25 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 définit les catégories de personnes bénéficiant de la protection relative. Il s'agit de :

- l'étranger, ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant depuis sa naissance ou depuis au moins un an ;

- l'étranger marié depuis au moins deux ans avec un conjoint de nationalité française à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé et que le conjoint ait conservé la nationalité française ;

- l'étranger qui justifie par tous moyens qu'il réside habituellement en France depuis plus de quinze ans, sauf s'il a été pendant toute cette période titulaire d'une carte de séjour temporaire portant la mention « étudiant » ;

- l'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans, sauf s'il a été, pendant toute cette période, titulaire d'une carte de séjour temporaire portant la mention « étudiant » ;

- l'étranger titulaire d'une rente d'accident du travail ou de maladie professionnelle servie par un organisme français et dont le taux d'incapacité permanente est égal ou supérieur à 20 %.

Alors que l'article 23 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 ouvre la faculté de prononcer l'expulsion « si la présence sur le territoire français d'un étranger constitue une menace grave pour l'ordre public », l'appartenance à l'une de ces catégories protège l'étranger contre une expulsion qui serait prononcée sur ce fondement. En revanche, il peut être expulsé :

- soit pour nécessité impérieuse pour la sûreté de l'État ou la sécurité publique (article 25 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945) ;

- soit en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'État, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à raison de l'origine ou de la religion des personnes (article 26 de l'ordonnance du 2 novembre 1945).

En outre, l'étranger perd le bénéfice de cette protection relative et peut être expulsé si sa présence sur le territoire constitue une menace grave pour l'ordre public, s'il a commis une infraction d'une certaine gravité, ayant entraîné une condamnation à une peine d'emprisonnement ferme au moins égale à cinq ans.

2) la protection quasi absolue

Principale innovation de la loi du 26 novembre 2003 en la matière, l'article 26 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 reconnaît une protection quasi absolue à certaines catégories d'étrangers qui ont noué des liens particulièrement forts avec la France. Pour reprendre les termes du rapport rendu le 31 mars 2003 au ministre de l'intérieur sur la réforme de la « double peine », l'objectif de la réforme était « d'empêcher deux types de situations : d'une part, l'éloignement des étrangers qui sont en France depuis l'enfance, pour lesquels la " double peine " correspond à un bannissement ; d'autre part, l'éloignement d'étrangers qui provoquerait l'éclatement de familles stables ».

À cette fin, l'article 26 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 distingue cinq catégories :

- l'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans ;

- l'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans ;

- l'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui, ne vivant pas en état de polygamie, est marié depuis au moins trois ans soit avec un ressortissant français ayant conservé la nationalité française, soit avec un ressortissant étranger résidant habituellement en France depuis l'âge de treize ans au plus, à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé ;

- l'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui, ne vivant pas en état de polygamie, est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant depuis sa naissance ou depuis au moins un an ;

- l'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve qu'il ne puisse effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans le pays de renvoi.

Ouvrant le bénéfice de cette protection même si l'étranger a été condamné définitivement à une peine d'emprisonnement ferme au moins égale à cinq ans, l'article 26 prévoit toutefois que cette protection ne prévaut pas lorsque les victimes des agissements de l'étranger sont son conjoint ou ses enfants : l'étranger qui rentre pourtant dans le champ de la protection quasi absolue en raison de sa situation familiale (catégories définies aux 3° et 4° de l'article 26), en perd le bénéfice et n'est plus couvert que par une protection relative ; il peut alors être expulsé pour des faits autres que ceux visés à l'article 26, si son expulsion constitue « une nécessité impérieuse pour la sûreté de l'État ou la sécurité publique ».

En outre, et parce qu'il est évident que, dans certains cas gravissimes, l'expulsion doit demeurer possible, l'article 26 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 prévoit trois hypothèses dans lesquelles ces étrangers perdent le bénéfice de cette protection. Ces exceptions ont été non seulement choisies en raison de leur gravité mais surtout parce que les comportements qu'elles visent menacent les fondements mêmes de l'État et de la cohésion sociale et sont de nature à remettre en cause la force du lien qui unit l'étranger à la France. Il s'agit de « comportements » :

- de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'État ; explicitant cette formule lors de l'examen du projet de loi en première lecture à l'Assemblée nationale, le ministre de l'intérieur a indiqué qu'étaient ainsi visées les activités d'espionnage, relevant à juste titre qu'« on ne peut à la fois comploter contre la France et lui demander de vous accueillir » (2) ;

- ou liés à des activités à caractère terroriste ;

- ou constituant des actes de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à raison de l'origine ou de la religion des personnes. C'est cette dernière exception que la présente proposition de loi modifie, au vu des premiers mois d'application de ce nouveau dispositif.

B. UN DISPOSITIF QUI A RÉVÉLÉ SES INSUFFISANCES

Aucune disposition réglementaire spécifique n'étant requise, les dispositions de la loi du 26 novembre 2003 relatives à l'expulsion sont entrées en vigueur immédiatement après la publication de la loi.

D'après les informations fournies par le ministère de l'intérieur, dix arrêtés ministériels d'expulsion ont été pris depuis le 1er janvier 2004. Sept ont visé des activités en lien avec le terrorisme. Sur ces sept arrêtés deux ont concerné des membres de l'ETA. Parmi les cinq autres : l'un a donné lieu à une assignation à résidence, l'étranger concerné ayant le statut de réfugié statutaire ; un autre n'a pas été mis à exécution pour l'heure parce que l'intéressé fait l'objet de poursuites judiciaires pour des faits en rapport avec le terrorisme ; l'exécution du dernier arrêté a été suspendue par le tribunal administratif de Lyon : c'est l'arrêté concernant M. Abdelkader Bouziane, imam à Vénissieux.

La publication dans un mensuel lyonnais de déclarations de ce dernier relatives au statut de la femme et l'émoi qu'elles ont suscité en France ont mis en lumière les insuffisances du dispositif de l'article 26 de l'ordonnance du 2 novembre 1945. Sans doute cette publication n'a-t-elle ni été à l'origine de l'arrêté d'expulsion - celui-ci était antérieur et fondé notamment sur les liens de l'intéressé avec des éléments très déterminés de la mouvance intégriste islamiste - ni eu d'incidence sur le moment de l'exécution de l'arrêté, la nécessité d'organiser son interpellation et de déterminer le pays de destination expliquant le délai entre la date de l'arrêté et celle de l'expulsion. Toutefois, cette publication a révélé que, telles qu'elles étaient définies, les exceptions à la protection quasi absolue dont bénéficient les étrangers entretenant les liens les plus étroits avec la France, ne permettaient pas de prendre en compte tous les types d'appels à la discrimination, à la violence ou à la haine. En effet, tel qu'ils résultent de la loi du 26 novembre 2003 précitée, seuls des comportements constituant des actes de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence « à raison de l'origine ou de la religion des personnes » peuvent faire tomber la protection absolue dont bénéficient les étrangers visés à l'article 26 de l'ordonnance du 2 novembre 1945. Or, si ce cadre est parfaitement adapté pour lutter contre certains comportements, par exemple de nature antisémite, il ne l'est pas dans d'autres cas. Pour autant, certains comportements vont à l'évidence à l'encontre des valeurs de la République et de la cohésion sociale et leur impact ne saurait être négligé.

Lors de sa conférence de presse tenue le 29 avril dernier sur l'Europe, interrogé sur les poursuites susceptibles d'être engagées contre l'imam de Vénissieux, le Président de la République a d'ailleurs exprimé sans ambiguïté son refus de voir développer dans notre pays des thèses contraires aux droits de l'homme et indiqué : « s'il faut [...] modifier notre législation pour ne pas retomber sur des cas de cette nature, qui sont pour nous inacceptables, eh bien, on modifiera la législation de façon à pouvoir expulser les auteurs de ce type de déclarations ». Tel est l'objet de la présente proposition de loi.

II. -  LA PROPOSITION DE LOI : UN OUTIL JURIDIQUE ADAPTÉ POUR LUTTER CONTRE LES COMPORTEMENTS CONTRAIRES AUX VALEURS DE LA RÉPUBLIQUE

Des initiatives parlementaires ont vu le jour pour donner à l'autorité administrative les moyens juridiques de lutter efficacement contre des comportements contraires aux valeurs qui fondent la République et éloigner leurs auteurs du territoire.

Avec MM. Michel Voisin et Thierry Mariani, le rapporteur a ainsi déposé une proposition de loi (n° 1648) concernant la procédure d'expulsion en urgence absolue. Elle tend à compléter l'article 25 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 qui précise dans quels cas l'expulsion peut être prononcée sans respecter la procédure de droit commun prévue à l'article 24 de l'ordonnance de 1945 et dans quels cas l'expulsion peut concerner un étranger qui fait l'objet d'une protection relative en vertu de l'article 25 de l'ordonnance ; elle autorise ainsi le prononcé d'une expulsion, par dérogation aux articles 24 et 25, « en cas d'atteinte grave ou renouvelée aux principes universels qui fondent la République, ou en cas de proximité avec toute personne ou groupe susceptible de faire l'objet de poursuites pour association de malfaiteurs avec circonstances de terrorisme telle que définie aux articles 450-1, 421 et suivants du code pénal ou de faire l'apologie de ces crimes et délits ».

Dans le même temps, MM. Pascal Clément et Bernard Accoyer ont présenté une proposition de loi (n° 1654) relative aux conditions permettant l'expulsion des personnes visées à l'article 26 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945.

Pour sa part, soulignant la gravité de la question, notre collègue André Gerin a fait part au rapporteur de son intention de déposer, dans les prochains jours à l'Assemblée nationale, une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête « relative aux propos discriminatoires et hostiles aux institutions, aux lois et à la France, tenus par des prédicateurs qui combattent la République au nom d'une idéologie intégriste et islamique qui nourrit le terrorisme ».

A. LA PROPOSITION DE LOI N° 1654 DE MM. CLÉMENT ET ACCOYER

Composée d'un article unique, cette proposition de loi donne une nouvelle rédaction au premier alinéa du I de l'article 26 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, qui interdit l'expulsion d'un étranger rentrant dans l'une des catégories qu'il définit, d'une part, et pose trois exceptions à ce principe, d'autre part.

La modification proposée porte plus précisément sur la troisième de ces exceptions, qui vise les comportements « constituant des actes de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à raison de l'origine ou de la religion des personnes ».

Aux termes de l'article unique de la proposition de loi, l'expulsion de l'étranger bénéficiant d'une protection quasi absolue serait désormais rendue possible en cas de comportements constituant des « actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes ».

Cette modification supprime ainsi la restriction que prévoit le droit positif, qui exige que l'acte de provocation ait un rapport avec l'origine ou la religion des personnes. Neutre, la formulation proposée est susceptible d'inclure les provocations contre des personnes non seulement à raison de leur origine ou de leur religion mais également à raison de leur sexe, de leurs convictions politiques, etc. Elle est en outre conforme à la logique propre des textes de police administrative qui évitent de citer des termes pénaux et qui visent ici des « comportements » et non des infractions. Sur ce point, on rappellera que le groupe de travail constitué sur la réforme de la double peine indiquait dans son rapport rendu en mars 2003 : « s'agissant des exceptions aux protections absolues, il conviendra de veiller à ce que la liste des comportements en cause soit rédigée de manière suffisamment large pour ne pas viser des infractions précisément définies. En effet, si la plupart des mesures d'expulsion sont fondées sur des infractions et des condamnations pénales effectives, certaines procédures procèdent parfois d'une accumulation précise de faits qui donnent à penser que la personne est dangereuse alors même qu'elle n'a pas commis d'infraction précise ou que les preuves pénales n'ont pas pu être réunies. »

Mais, dans le même temps, la proposition de loi qualifie la provocation, qui devra être « explicite et délibérée ». Le premier adjectif permettra ainsi d'établir que les actes de provocation sont clairs et qu'il n'y a pas de procès d'intention de la part de l'autorité administrative ; le second doit permettre d'éviter qu'une mesure d'expulsion puisse être prise sur la base d'un dérapage involontaire. Ces deux précisions seront de nature à garantir le caractère exceptionnel de ces expulsions, conformément aux intentions exprimées par le législateur en novembre 2003.

En tout état de cause, il convient de faire observer que l'expulsion ne pourra être ordonnée, comme c'est le cas aujourd'hui, qu'à deux conditions : d'une part, que le comportement de l'étranger rentre dans l'une des trois hypothèses visées au I de l'article 26 de l'ordonnance de 1945, ce qui lui fait perdre le bénéfice de la protection absolue ; d'autre part, que l'expulsion constitue une nécessité impérieuse pour la sûreté de l'État ou la sécurité publique, ainsi que l'exige l'article 25 bis de l'ordonnance.

En outre, les garanties prévues par l'article 26 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 ne sont pas modifiées.

Tout d'abord, la protection absolue dont bénéficient les étrangers mineurs de dix-huit ans contre les mesures d'expulsion et les mesures de reconduite à la frontière demeure.

De même en est-il de la garantie que représente la procédure prévue à l'article 24 de l'ordonnance de 1945 : en effet, sauf « en cas d'urgence absolue », l'expulsion de l'étranger rentrant dans l'une des catégories prévues à l'article 26 ne peut intervenir qu'après que l'étranger en ait été avisé et qu'ait été consultée la commission des expulsions, qui est composée de magistrats et devant laquelle l'étranger « peut faire valoir toutes les raisons qui militent contre son expulsion ».

Enfin, ces dispositions seront mises en œuvre sous le contrôle du juge administratif, à qui il reviendra de définir notamment les contours des provocations « explicites et délibérées ».

B. L'EXAMEN EN COMMISSION

Après l'exposé du rapporteur, le président Pascal Clément a fait observer que cette proposition de loi, qui n'est pas destinée à traiter l'affaire Bouziane puisque l'expulsion de celui-ci était motivée par ses liens avec des éléments de la mouvance fondamentaliste, permettait de donner une portée plus grande à une disposition privant les étrangers de la protection absolue que leur offre l'ordonnance du 2 novembre 1945. Il a rappelé que la proposition s'inscrivait dans le mouvement général de la législation française tendant à sanctionner plus durement les propos provocateurs tenus à l'encontre de certaines personnes ou certains groupes de personnes. Il a enfin souligné que les auteurs de la proposition avaient choisi la voie de la simplicité en ne modifiant qu'un seul article de l'ordonnance de 1945.

M. Jérôme Lambert a estimé que les signataires de la proposition de la loi ne pouvaient faire abstraction de l'affaire de l'imam de Vénissieux et s'est interrogé sur la portée de la rédaction proposée, qui permettait l'expulsion des auteurs d'une provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence sans pour autant permettre l'expulsion de ceux qui commettaient une violence.

Le rapporteur a rappelé que l'article 26 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 devait être rapproché de son article 25 bis, qui subordonnait l'expulsion des étrangers bénéficiant d'une protection particulière à l'existence d'une nécessité impérieuse pour la sûreté de l'État ou la sécurité publique.

Suivant son rapporteur, la Commission a adopté sans modification l'article unique de la proposition de loi.

*

* *

En conséquence, la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, vous demande d'adopter la proposition de loi (n° 1654) relative aux conditions permettant l'expulsion des personnes visées à l'article 26 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945, dans le texte figurant ci-après.

TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION

PROPOSITION DE LOI RELATIVE AUX CONDITIONS PERMETTANT
L'EXPULSION DES PERSONNES VISÉES À L'ARTICLE 26
DE L'ORDONNANCE n° 45-2658 DU 2 NOVEMBRE 1945

Article unique

Le premier alinéa du I de l'article 26 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France est ainsi rédigé :

« I. -  Sauf en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'État, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes, ne peut faire l'objet d'une mesure d'expulsion, y compris dans les hypothèses mentionnées au dernier alinéa de l'article 25 : ».

TABLEAU COMPARATIF

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Textes de référence

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Conclusions de la commission

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Article unique

Ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France

Le premier alinéa du I de l'article 26 de l'ordonnance no 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France est ainsi rédigé :

Art. 26. -  I. -  Sauf en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'État, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à raison de l'origine ou de la religion des personnes, ne peut faire l'objet d'une mesure d'expulsion, y compris dans les hypothèses mentionnées au dernier alinéa de l'article 25 :

« I. -  Sauf en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes, ne peut faire l'objet d'une mesure d'expulsion, y compris dans les hypothèses mentionnées au dernier alinéa de l'article 25 : ».

1° L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans ;

2° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans ;

3° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui, ne vivant pas en état de polygamie, est marié depuis au moins trois ans soit avec un ressortissant français ayant conservé la nationalité française, soit avec un ressortissant étranger relevant du 1°, à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé ;

4° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui, ne vivant pas en état de polygamie, est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins un an ;

5° L'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve qu'il ne puisse effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans le pays de renvoi.

Les dispositions prévues aux 3° et 4° ne sont toutefois pas applicables lorsque les faits à l'origine de la mesure d'expulsion ont été commis à l'encontre du conjoint ou des enfants de l'étranger.

Sauf en cas d'urgence absolue, les dispositions de l'article 24 sont applicables aux étrangers expulsés sur le fondement du présent article.

Ces mêmes étrangers ne peuvent faire l'objet d'une mesure de reconduite à la frontière en application de l'article 22.

II. -  L'étranger mineur de dix-huit ans ne peut faire l'objet ni d'un arrêté d'expulsion, ni d'une mesure de reconduite à la frontière prise en application de l'article 22.

Art. 25. -  Sous réserve des dispositions de l'article 26, ne peuvent faire l'objet d'un arrêté d'expulsion, en application de l'article 23 :

1° L'étranger, ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins un an ;

2° L'étranger marié depuis au moins deux ans avec un conjoint de nationalité française, à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé et que le conjoint ait conservé la nationalité française ;

3° L'étranger qui justifie par tous moyens qu'il réside habituellement en France depuis plus de quinze ans, sauf s'il a été, pendant toute cette période, titulaire d'une carte de séjour temporaire portant la mention « étudiant » ;

4° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans, sauf s'il a été, pendant toute cette période, titulaire d'une carte de séjour temporaire portant la mention « étudiant » ;

5° L'étranger titulaire d'une rente d'accident du travail ou de maladie professionnelle servie par un organisme français et dont le taux d'incapacité permanente est égal ou supérieur à 20 % ;

Ces mêmes étrangers ne peuvent faire l'objet d'une mesure de reconduite à la frontière en application de l'article 22.

Par dérogation aux dispositions du présent article, l'étranger peut faire l'objet d'un arrêté d'expulsion en application des articles 23 et 24 s'il a été condamné définitivement à une peine d'emprisonnement ferme au moins égale à cinq ans.

Art. 25 bis. -  L'expulsion peut être prononcée :

1° En cas d'urgence absolue, par dérogation à l'article 24 ;

2° Lorsqu'elle constitue une nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique, par dérogation à l'article 25 ;

3° En cas d'urgence absolue et lorsqu'elle constitue une nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique, par dérogation aux articles 24 et 25.

PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR

Ministère de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales

· M. Jean de l'hermite, conseiller pour les affaires juridiques ;

· M. Stéphane fratacci, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques ;

· Mme Florence berthout, conseillère parlementaire.

Syndicat de la juridiction administrative 

· M. Bernard even, président ;

· M. Robert le goff, secrétaire général.

Union syndicale des magistrats administratifs

· Mme Sabine saint-germain, présidente ;

· M. Paul-Louis albertini, secrétaire général.

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N° 1670 - Rapport sur la proposition de loi relative aux conditions permettant l'expulsion des personnes visées à l'article 26 de' l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 (M. Alain Marsaud)

1 () Journal officiel, débats de l'Assemblée nationale, 1ère séance du 9 juillet 2003, page 7155.

2 () Journal officiel, débats de l'Assemblée nationale, 2e séance du 3 juillet 2003, page 6736.


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