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le 24 novembre 2004

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N° 1874

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 19 octobre 2004.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES, DE L'ENVIRONNEMENT ET DU TERRITOIRE SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION (n° 1871) de M. HENRI EMMANUELLI et PLUSIEURS DE SES COLLÈGUES tendant à la création d'une commission d'enquête visant à analyser le niveau et le mode de formation des marges et des prix dans le secteur de la grande distribution, et les conséquences de l'évolution des prix sur le pouvoir d'achat des ménages,

PAR M. Jean GAUBERT,

Député.

--

INTRODUCTION 5

I.- UNE PROPOSITION RECEVABLE 7

II.- LA POLITIQUE SUIVIE DEPUIS JUIN 2002 NE PERMET PAS LA PROGRESSION DU POUVOIR D'ACHAT DES MÉNAGES 9

A.- LE REFUS DE SOUTENIR DIRECTEMENT LE POUVOIR D'ACHAT 9

1. Un contraste avec la forte hausse du pouvoir d'achat entre 1997 et 2002 9

2. Depuis, une politique d'affichage sur le SMIC 11

3. Le refus de soutenir le pouvoir d'achat et la consommation des plus modestes 13

a) Le refus d'augmenter réellement la prime pour l'emploi 13

b) Une politique d'indexation systématique sur l'inflation 13

4. L'échec du Gouvernement sur la deuxième composante du pouvoir d'achat : l'emploi 14

5. Pas d'amélioration du pouvoir d'achat 14

a) Malgré des données controversées, une certitude : pas de hausse du pouvoir d'achat 14

b) Les prévisions du Gouvernement 16

B.- UN SENTIMENT CROISSANT DE DÉCALAGE ENTRE INFLATION CALCULÉE ET INFLATION PERÇUE 17

1. L'importance du décalage 17

2. Un constat : l'augmentation des prix 18

3. Différents indices contestables 19

a) L'indice des prix à la consommation 19

b) Echantillon et pondération, deux limites de cet indice 19

c) L'effet qualité 20

III.- LE GOUVERNEMENT TENTE SANS SUCCÈS DE SUBSTITUER À UNE POLITIQUE D'AUGMENTATION DU REVENU UNE POLITIQUE DE BAISSE DES PRIX 22

A.- LA QUESTION DES MARGES DANS LA GRANDE DISTRIBUTION A ÉTÉ UNE NOUVELLE FOIS POSÉE PAR LE GOUVERNEMENT 22

1. Les dangers de la guerre des prix : exemples étrangers 22

a) Le commerce : un secteur soumis à des restructurations permanentes 22

b) « Le système Wal-Mart » : l'avenir de la distribution ? 23

c) Le précédent néerlandais 26

2. Le « plan Sarkozy » : motifs et premiers résultats 28

a) Des chiffres contestables 28

b) Pas d'effet sur la consommation 28

3. La question de la réalité des marges dans la grande distribution 29

a) L'incertitude sur l'ampleur des marges 29

b) Un mode de formation opaque 30

B.- CES QUESTIONNEMENTS DÉBOUCHENT DIRECTEMENT SUR LA QUESTION DU MODE DE FORMATION DES MARGES ARRIERE 30

1. Des pratiques contestables 30

2. La nécessité de disposer d'informations exactes 33

EXAMEN EN COMMISSION 35

MESDAMES, MESSIEURS,

Une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête visant à analyser le niveau et le mode de formation des marges et des prix dans le secteur de la grande distribution, et les conséquences de l'évolution des prix sur le pouvoir d'achat des ménages, a été déposée le 19 octobre 2004.

Elle a été présentée par MM. Henri Emmanuelli, François Brottes, Mme Marylise Lebranchu, MM. Michel Vergnier, Jean Gaubert, Jean-Marc Ayrault, François Hollande, Augustin Bonrepaux, Didier Migaud, Eric Besson, Pascal Terrasse, Jean-Paul Bacquet et les membres du groupe socialiste et apparentés.

Après s'être assuré de la recevabilité juridique de la proposition, votre rapporteur vous en démontrera l'opportunité.

I.- UNE PROPOSITION RECEVABLE

En vertu de l'article 6 de l'Ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, ainsi que des articles 140 et 141 du règlement de l'Assemblée nationale, la recevabilité d'une telle proposition s'apprécie au regard de deux conditions cumulatives.

La première concerne l'objet de l'enquête, laquelle doit porter, entre autres, « sur des faits déterminés ».

De ce point de vue, les objectifs que la commission d'enquête entend poursuivre apparaissent décrits avec une précision suffisante, tant s'agissant du champ de ses investigations que des propositions qu'elle pourrait être amenée à formuler, puisqu'il s'agit de répondre à deux questions essentielles, qui s'inscrivent dans le débat sur le soutien au pouvoir d'achat des ménages.

La commission devra déterminer le niveau réel des prix pratiqués par la grande distribution. Les associations pointent notamment des prix entre 5 et 13 % plus chers en France qu'en Europe, et une hausse des prix de référence dans le secteur pouvant atteindre le double de celle de l'inflation officielle. Il n'existe pas non plus de consensus sur la mesure des effets de l'accord pour une baisse durable des prix à la consommation, signé le 17 juin 2004 sous les auspices du ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, qui visait à une baisse moyenne de 2 % des prix des produits des « marques des grands distributeurs », ni sur les taux de marge réellement pratiqués par la grande distribution.

La commission s'interrogera également sur les causes qui ont conduit à une situation dans laquelle la grande distribution peut se trouver sommée par un Gouvernement de baisser les prix qu'elle pratique. Une analyse précise de la façon dont peuvent se constituer des marges qui sont jugées excessives, et un effort pour remédier à ces dysfonctionnements sont indispensables. Cette analyse nécessitera de prendre en considération l'ensemble des relations entre producteurs et distributeurs, et la formation des prix d'achat qui reste largement opaque pour de nombreuses filières.

La seconde question, qui englobe largement la première, est celle de l'évolution réelle des prix à la consommation. En effet, les achats en grande distribution représentent une part des dépenses de consommation des ménages certes importante mais non exclusive (la part de marché de la grande distribution en ce qui concerne l'alimentaire serait de 65 %, mais de moins de 20 % pour le commerce de détail non alimentaire).

Depuis 2001, les ménages perçoivent une inflation supérieure d'au moins 1 point à celle calculée par l'Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques (INSEE). Jusqu'à présent, aucune explication satisfaisante et définitive de cet écart n'a pu être fournie.

Dès lors, la question de la pertinence des instruments statistiques ne peut être laissée sans réponse. D'une part car le décalage important entre inflation mesurée et inflation perçue a, en soi, des effets importants sur le comportement de consommation des ménages, et donc sur la croissance économique. D'autre part, car à l'heure où le Gouvernement multiplie les règles d'indexation automatique des prestations sociales - en matière d'évolution des retraites notamment - la nécessité de lever tout doute sur la qualité de cet indice devient impérieuse.

Par ailleurs, les dispositions de l'Ordonnance du 17 novembre 1958 requièrent la réalisation d'une seconde condition : les faits ayant motivé le dépôt de la proposition de résolution ne doivent pas faire l'objet de poursuites judiciaires.

La réponse, datée du 12 novembre 2004, de M. Dominique Perben, Garde des Sceaux, ministre de la justice, à la notification par le Président de l'Assemblée nationale d'une proposition de résolution déposée le 19 octobre 2004, indique qu'aucune poursuite judiciaire n'a été requise concernant les faits ou les agissements ayant motivé le dépôt de cette proposition.

La proposition de résolution apparaît donc juridiquement recevable.

II.- LA POLITIQUE SUIVIE DEPUIS JUIN 2002 NE PERMET PAS
LA PROGRESSION DU POUVOIR D'ACHAT DES MÉNAGES

A.- LE REFUS DE SOUTENIR DIRECTEMENT LE POUVOIR D'ACHAT

1. Un contraste avec la forte hausse du pouvoir d'achat entre 1997 et 2002

Depuis leur arrivée au pouvoir en juin 2002, le Gouvernement et sa majorité refusent de soutenir le pouvoir d'achat de la très grande majorité des ménages. Ils préfèrent une politique de cadeaux fiscaux très ciblés au profit des quelques ménages les plus aisés. Par ailleurs, ils s'obstinent à ne pas rétablir le mécanisme de TIPP flottante et ne concèdent que quelques euros par mois en moyenne aux bénéficiaires de la prime pour l'emploi.

A l'inverse, la stratégie du Gouvernement élu en 1997 reposait sur la conviction que l'atonie de la croissance française depuis le début des années 90 était due à une trop faible demande. Cette conviction s'est traduite par la baisse des prélèvements, et la politique de l'emploi.

Au titre de la baisse des prélèvements pesant sur le plus grand nombre, il faut citer la baisse d'un point du taux normal de TVA et l'application du taux réduit à de nombreuses activités (travaux de réhabilitation des logements locatifs sociaux, abonnement souscrit pour la fourniture de gaz et d'électricité travaux d'entretien et de rénovation des logements privés, services d'aide à domicile, prestations de collecte, de tri sélectif des déchets ménagers), l'allégement important des impôts locaux, et notamment de la taxe d'habitation qui a été réduite pour la totalité des contribuables dès 2000, avec la suppression de la part régionale. Grâce à cette réforme, un million de contribuables supplémentaires ne paient plus de taxe d'habitation. Un dégrèvement d'office de 100 euros sur la taxe foncière sur les propriétés bâties a été mis en place en faveur des personnes âgées de plus de 65 ans non imposables.

En parallèle à la suppression ou à l'aménagement de nombreux régimes fiscaux dérogatoires au profit des plus aisés, l'impôt sur le revenu a été abaissé prioritairement au profit des contribuables les moins fortunés. Le régime des stocks-options a été encadré et rendu plus progressif, et le plafond de la réduction d'impôt pour l'emploi d'un salarié à domicile a diminué de moitié. L'ensemble des tranches du barème de l'impôt sur le revenu a été abaissé, plus fortement pour les quatre premières tranches, et le mécanisme de la décote a été revu dans un sens favorable aux contribuables les plus modestes.

La création de la prime pour l'emploi visait tout à la fois à renforcer les gains de pouvoir d'achat pour les ménages aux revenus les plus faibles et à inciter au retour à l'activité. Elle devait représenter en 2003 l'équivalent d'un treizième mois de salaire pour les salariés payés au SMIC. En 2002, son montant moyen était de 440 euros pour un SMIC.

Des mesures spécifiques sont également venues augmenter le pouvoir d'achat de certaines catégories de contribuables. Ainsi, la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) a été supprimée à partir de 2001 pour les chômeurs et les retraités non imposables, et les personnes non imposables de plus de 65 ans ont été exonérées de la redevance audiovisuelle.

Surtout, la politique de l'emploi a été la priorité constante du Gouvernement. Alors que l'emploi avait quasiment stagné entre 1993 et 1997 (+0,3 %/an en moyenne), il a progressé entre 1997 et 2001 plus vite que chez nos partenaires européens (+1,8 %/an en moyenne). La hausse de l'emploi total, portée par celle de l'emploi marchand, a atteint un niveau historique en 2000 (+589.000 emplois en glissement). Cette progression a permis une baisse du chômage de 3,4 points, largement supérieure à celle qu'ont connue nos principaux voisins. Pour mémoire, il avait augmenté de 1,3 point sous la période précédente.

La baisse du chômage, accentuée par la politique de réduction du temps de travail, s'est traduite par une hausse historique du volume total d'heures travaillées entre 1997 et 2001, alors que celui-ci avait quasiment stagné entre 1993 et 1997.

Cette politique reposait sur une activation de l'ensemble des outils à la disposition du Gouvernement : crédits de l'emploi, contrats aidés, réduction du temps de travail, et politique fiscale incitative à l'emploi en direction des entreprises, avec notamment la réforme de la taxe professionnelle, engagée dès 1999 par la suppression sur cinq ans de la part de cet impôt calculée sur la masse salariale.

Au total selon l'INSEE (1), cette politique aura permis, une progression du niveau de vie moyen des Français de 10 % hors inflation entre 1996 et 2001. Le niveau de vie moyen des 10 % de personnes les plus modestes a progressé le plus fortement, puisque le taux est de 16 % contre 8 % pour les catégories médianes.

NIVEAU DE VIE MOYEN DE LA POPULATION

(en euros 2001 par an)

1996

1997

1998

1999

2000

2001

Evolution 2001/1996

15 020

15 050

15 390

15 780

16 150

16 540

10,1 %

Source : INSEE (cité dans Didier Migaud, rapport n°1591 sur la proposition de résolution visant à la création d'une commission d'enquête sur la dégradation des comptes publics)

Cette évolution est notamment due à la très forte diminution du chômage (baisse de 24 % sur la période soit 900 000 chômeurs de moins), l'effectif des personnes ayant une activité salariée pendant toute l'année augmentant parallèlement de 11 %.

Les choix du Gouvernement actuel, à l'opposé de ceux qui avaient été faits entre 1997 et 2002, ont pour conséquence directe la stagnation du pouvoir d'achat des ménages depuis deux ans. Son évolution a ainsi été ramenée de + 2,3 % en 2002 à seulement + 0,3 % en 2003, alors qu'elle avait oscillé entre 2,8 % et 3 % entre 1998 et 2001. Les chiffres prévisionnels avancés aujourd'hui par le Gouvernement de 2,5 % de hausse en 2004 et 2005 ne paraissent pas justifiés.

2. Depuis, une politique d'affichage sur le SMIC

La progression du SMIC a été limitée depuis 2002 à la convergence des différentes garanties mensuelles. Cette convergence était attendue : le processus avait été enclenché à la fin de la précédente législature, avec la consultation des différents syndicats.

Il est donc nécessaire de relativiser fortement l'accent mis par le Gouvernement sur une progression du SMIC de 11,4 % de juillet 2002 à juillet 2005. En réalité, cette progression mécanique ne touche qu'une part des personnes payées au SMIC, puisque la progression maximale ne concerne que 56 % des salariés rémunérés au SMIC.

SALARIÉS AYANT BÉNÉFICIÉ D'UNE GARANTIE LÉGALE D'ÉVOLUTION
DE LEUR RÉMUNÉRATION AU 1ER JUILLET 2003

Ensemble

dont : à temps partiel

Effectifs

En %

Effectifs

En %

Garantie mensuelle de rémunération (GMR)

890 000

5,8

220 000

7,4

dont : GMR 1 (RTT entre le 15/06/98 et le 30/06/99).......................................


60 000


0,4


20 000

GMR 2 (RTT entre le /10/7/99 et le 30/06/00).......................................


310 000


2,0


80 000

GMR 3 (RTT entre le 01/07/00 et le 30/06/01)....................................


180 000


1,2


50 000

GMR 4 (RTT entre 01/07/01 et le 30/06/02).......................................


270 000


1,7


50 000

GMR 5 (RTT le 01/07/02 ou après).......

70 000

0,5

20 000

SMIC horaire.........................................

1 160 000

7,6

570 000

19,6

dont : entreprise ayant réduit la durée du travail

390 000

2,6

190 000

Total....................................................

2 050 000

13,4

790 000

27,0

Lecture : le nombre de salariés concernés par une garantie mensuelle de rémunération s'élevait à 890 000 au 1er juillet 2003, soit 5,8 % des salariés. Parmi eux, 220 000 étaient employés à temps partiel ; 7,5 % de l'ensemble des salariés à temps partiel bénéficiant ainsi d'une garantie mensuelle.

Champ : ensemble des salariés, sauf apprentis, Etat et collectivités locales, secteur agricole, intérim et secteur domestique.

Source : Dares, enquête Acemo

Les gains de pouvoir d'achat sont nuls pour un nombre non négligeable de salariés, notamment pour tous les salariés dont l'entreprise a signé un accord de réduction du temps de travail à compter du 1er juillet 2002.

ESTIMATION DU NOMBRE DE SALARIÉS AU SMIC OU BÉNÉFICIANT D'UNE GARANTIE MENSUELLE DE RÉMUNÉRATION EN JUILLET 2003*


Emploi salarié

Proportion de salariés au SMIC ou aux GMR

Nombre de salariés au SMIC ou aux GMR

Entreprises non agricoles, hors intérim

15 270 000 x

13,4 % =

2 050 000

Intérim

610 000 x

19,7 % =

120 000

Salariés agricoles

330 000 x

31,2 % =

100 000

Secteur domestique

580 000 x

43,6 % =

250 000

Etat et collectivités locales

5 540 000 x

7,0 % =

390 000

* - Ce chiffre ne comprend pas les apprentis (340 000 fin juin 2003), qui sont soumis à des règles spécifiques en termes de salaire minimum.

Source : Dares, enquête Acemo ; INSEE, enquête emploi ; Estimations d'emploi INSEE - Dares

La crainte est forte de voir à l'avenir le SMIC progresser uniquement en ligne avec l'inflation, alors que la revalorisation du SMIC et la prime pour l'emploi (PPE) ont représenté, entre 1997 et 2002, l'équivalent d'un 13ème et d'un 14ème mois pour les familles modestes. Grâce à ces deux mesures et à la baisse des cotisations Unedic, le pouvoir d'achat du SMIC avait augmenté sur cette période de 9 % (2).

SMIC HORAIRE BRUT

(en euros)

2004

7,61

2003

7,19

2002

6,83

2001

6,67

2000

6,41

1999

6,21

1998

6,13

1997

6,01

Source : INSEE

3. Le refus de soutenir le pouvoir d'achat et la consommation des plus modestes

a) Le refus d'augmenter réellement la prime pour l'emploi

La prime pour l'emploi a bénéficié dès sa création en 2001 à huit millions de foyers. Sa montée en charge progressive devait conduire à son doublement en 2002 par rapport au montant atteint en 2001, puis à une nouvelle hausse de 50 % en 2003. En réalité, le doublement de la prime a été avancé à 2001 pour combattre les premiers effets du ralentissement conjoncturel et le choc des attentats aux Etats-Unis. Ainsi, le montant réellement attribué en 2001 a été sensiblement égal à celui prévu pour 2002.

En revanche, le Gouvernement issu des élections législatives de 2002 a refusé de mettre en œuvre la hausse de 50 % prévue en 2003 par le plan d'allégement et de réforme de la fiscalité par M. Laurent Fabius, ministre de l'économie et des finances, présenté en 2000. Il s'est contenté de mesures d'ajustement - en direction notamment des salariés à temps partiel dans la loi de finances pour 2003 - et d'indexation, accompagnées de « coups de pouce » très limités. Le rehaussement des seuils de la PPE prévu dans les lois de finances n'était au total que de 1,7 % en 2003 et 4,5 % en 2004. Il ne sera que de 4 % en 2005.

Ce refus de revaloriser une prime qui concerne plus de 8 millions de personnes est à mettre en regard de la réalité des 1,2 million de personnes concernées par la revalorisation maximale du SMIC.

b) Une politique d'indexation systématique sur l'inflation

Atteindre un consensus sur l'analyse de l'inflation est d'autant plus important que les politiques d'indexation sur l'inflation se multiplient. L'indice INSEE des prix à la consommation (IPC), publié chaque mois au Journal Officiel, sert à indexer de nombreux contrats privés, des pensions alimentaires, des rentes viagères, des obligations indexées sur l'inflation, mais surtout le SMIC.

La loi n° 2003-47 du 17 janvier 2003 sur les salaires, le temps de travail et le développement de l'emploi, dite « Fillon », visant la convergence des différents niveaux de SMIC dispose notamment que, pour les personnes dont l'entreprise aurait signé un accord de réduction du temps de travail à compter du 1er juillet 2002, le gain de pouvoir d'achat serait nul car la revalorisation serait limitée à l'inflation. On perçoit immédiatement pour les personnes concernées l'enjeu en terme de dégradation de leur niveau de vie s'il s'avérait que cet indice était décalé par rapport à l'évolution réelle des prix.

De même, la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites précise, en son article 27, que « le coefficient annuel de revalorisation des pensions de vieillesse servies par le régime général et les régimes alignés sur lui est fixé par un arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale, conformément à l'évolution prévisionnelle des prix à la consommation hors tabac prévue dans le rapport économique, social et financier annexé à la loi de finance pour l'année considérée ». Cet article prévoit également un ajustement, pour le cas où l'évolution constatée des prix ne serait pas conforme aux prévisions.

4. L'échec du gouvernement sur la deuxième composante du pouvoir d'achat : l'emploi

Les chiffres du chômage sont parlants :

TAUX DE CHÔMAGE AU SENS DU BIT (SOURCE INSEE)

Année

Taux de chômage

Nombre de chômeurs

Juin 1997

12,2 %

3 134 000

Mars 2001

8,6 %

2 291 000

Juin 2002

9,0 %

2 428 000

Septembre 2004

9,9 %

2 690 000

La présentation par le Premier ministre de son « contrat France 2005 » en septembre dernier peut sonner comme un constat d'échec de la politique menée depuis 2002 : outre la réforme pour la réussite à l'école, les deux objectifs essentiels sont la baisse du chômage en 2005, avec la promesse d'une diminution de 10 % pour descendre sous la barre des 9 %, et la lutte contre la vie chère.

5. Pas d'amélioration du pouvoir d'achat

Le bilan de cette politique se traduit au total par une progression plus faible du pouvoir d'achat sur la période 2002-2004 que lors de la précédente législature.

a) Malgré des données controversées, une certitude : pas de hausse du pouvoir d'achat

La discussion sur le pouvoir d'achat des fonctionnaires constitue un exemple typique de l'opposition des thèses en présence, et des méthodes de calcul :

Selon le Gouvernement, la rémunération moyenne des fonctionnaires a augmenté de plus de 6 % en euros constants en 3 ans, dont 1,3 % cette année, compte tenu des revalorisations particulières dues à l'ancienneté et aux promotions.

Les syndicats en revanche, dénoncent une baisse de pouvoir d'achat de 5 %, dans un contexte de hausse des prix, puisque la dernière augmentation générale (+0,5 % seulement) remonte à janvier 2004, après une année blanche en 2003.

En tout état de cause, les chiffres fournis par le Gouvernement permettent de constater le ralentissement global des gains de pouvoir d'achat.

graphique

Source : RESF pour le PLF 2005

- L'indice Leclerc

Mettant en avant les limites de l'indicateur officiel du pouvoir d'achat publié par l'INSEE, les centres Edouard Leclerc ont lancé en février 2004 une campagne publicitaire contestant les chiffres officiels du pouvoir d'achat. Cette action était destinée également à préparer les esprits à la campagne pour la modification de la loi Galland.

L'indice INSEE repose sur une mesure du revenu total des ménages : leur revenu disponible brut, qui est ensuite divisé par l'indice des prix à la consommation, pour éliminer l'effet des hausses des prix. Or, les centres Leclerc ont souligné trois limites de cet indice, qui ne prend pas en compte le caractère contraint ou non des dépenses des ménages (les dépenses contraintes regroupent les dépenses liées au logement, les dépenses d'assurance obligatoires, et les frais de transports collectifs) ; il masque par ailleurs les différences entre consommateurs, qui n'ont pas tous le même profil de dépenses, et il élude l'âge des consommateurs et la structure des ménages.

Les centres Leclerc proposent donc un autre indicateur, le « pouvoir d'achat effectif du consommateur », obtenu en retirant du revenu disponible brut défini par l'INSEE les dépenses contraintes, et en le divisant par l'indice des prix de la consommation non contrainte des ménages, puis en tenant compte de la structure des ménages.

La comparaison de cet indicateur avec les indices INSEE de pouvoir d'achat est édifiante :

Indice INSEE
Pouvoir d'achat des ménages

Indice E. Leclerc/BIPE
Pouvoir d'achat effectif
du consommateur

1996

0 %

-1,7 %

1997

1,5 %

0,9 %

1998

2,8 %

2,1 %

1999

2,8 %

2,6 %

2000

3,1 %

2,9 %

2001

3,3 %

2,5 %

2002

2 %

1,3 %

2003

+1,2 %

-1,1 %

b) Les prévisions du Gouvernement

Le Gouvernement affirme que le pouvoir d'achat du revenu disponible progressera de 1,5 % cette année et de 2,2 % l'an prochain, après une faible hausse de 0,3 % en 2003.

Or l'indicateur du pouvoir d'achat du revenu a une vocation macroéconomique : il tient compte des masses financières disponibles pour la consommation et pour l'épargne, et intègre de ce fait des facteurs démographiques. La France ayant une population encore en croissance, l'évolution du pouvoir d'achat par tête est moins avantageuse. Sa progression serait plutôt (3) de 0,7 % cette année, de 1,4 % l'an prochain, après un recul de 0,5 % l'an dernier.

D'après les données du rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour 2005, le pouvoir d'achat du salaire moyen par tête (pour les entreprises) a reculé de 0,5 % en 2003, connaîtra une croissance nulle en 2004 et augmentera de 0,9 % en 2005.

Si, pour autant, la consommation ne faiblit pas, c'est que les ménages puisent dans leur épargne : en deux ans, le taux d'épargne a chuté de deux points et la solvabilité des ménages s'est fragilisée.

Il est de plus quasiment certain que l'inflation sera supérieure aux prévisions officielles, limitant le pouvoir d'achat : avec un glissement annuel de 2,2 % aujourd'hui, l'hypothèse de 1,8 % retenue par Bercy pour 2005 n'a que très peu de chances de se réaliser, si le prix du pétrole reste à son niveau actuel.

D'autres facteurs peuvent peser sur la perception des ménages de leur pouvoir d'achat à venir. A compter du 1er janvier 2005, les fonctionnaires paieront une nouvelle cotisation sur leurs primes ; les retraités imposables subiront une hausse de la contribution sociale généralisée (CSG) ; les salariés seront assujettis à la CSG sur 97 % de leur revenu imposable, contre 95 % aujourd'hui (soit un prélèvement supplémentaire de 0,1 point sur la masse salariale). Devrait également se faire sentir la hausse des tarifs des mutuelles, et le prélèvement d'un euro sur chaque acte médical, avant la hausse des cotisations vieillesse début 2006, et d'autres augmentations inévitables avant la fin de la décennie pour financer les retraites.

B.- UN SENTIMENT CROISSANT DE DÉCALAGE ENTRE INFLATION CALCULÉE ET INFLATION PERÇUE

Faute de mettre en œuvre une vraie politique des revenus, afin de garantir le pouvoir d'achat des ménages, le Gouvernement actuel a affiché des mesures destinées à faire baisser les prix. Il est donc crucial d'en mesurer la portée, alors que le décalage entre les chiffres officiels de l'inflation et la perception qu'en ont nos concitoyens ne fait que s'aggraver.

1. L'importance du décalage

Le ministre d'Etat a reconnu ce décalage dans sa réponse à une récente question d'actualité.

Ce décalage constant doit être expliqué, c'est l'un des buts de la commission d'enquête. Il est d'autant plus urgent de retrouver un consensus sur cette question que, comme on l'a vu, les politiques d'indexation se multiplient.

De plus, le niveau des prix joue un rôle important en droit de la concurrence. En vertu des dispositions du I, 2° de l'article L. 420-4 du code de commerce (et de l'article équivalent en droit communautaire : 81§3 du traité CE), ne sont pas soumises aux dispositions des articles L. 420-1 et L. 420-2 les pratiques « dont les auteurs peuvent justifier qu'elles ont pour effet d'assurer un progrès économique ».

Si le conseil de la concurrence, dans le cadre d'une saisine contentieuse, devait se prononcer sur la compatibilité avec le droit de la concurrence d'un accord consistant à fixer le niveau des marges arrière, il examinerait d'abord si le progrès économique allégué est objectivement vérifiable. « Par exemple, une baisse des prix de vente au consommateur des produits de grande distribution constituerait un progrès économique objectif, mesurable par des relevés de prix. Au contraire, la simple allégation de conditions de concurrence plus saines ne remplirait pas les conditions d'objectivité et de vérifiabilité requises ».

Depuis mi-2001, les ménages surestiment systématiquement l'inflation ; cette surestimation est exceptionnelle à la fois par son ampleur : jamais un tel écart n'a été constaté depuis les années 1990, et par sa durée : l'écart se maintient depuis 3 ans maintenant. Le décalage est en moyenne d'un point depuis 2002. Pendant la période précédente (1999-2001), l'écart moyen n'était que de 0,4 point. Rappelons que selon les économistes, tout écart supérieur à 0,75 point peut être considéré comme anormal.

Cet écart a un impact important sur les dépenses de consommation des ménages : en effet, la perception d'une inflation supérieure à ce qu'elle était réellement a conduit les ménages français à ajuster à la baisse leur consommation. En 2002, ce décalage aurait minoré à hauteur de - 0,7 point la croissance des dépenses de consommation des ménages en volume (4) : c'est une perte considérable. Une resynchronisation entre l'inflation perçue et l'inflation effective en 2004 apporterait un surcroît de consommation de 0,3 point pour la zone euro dans son ensemble. La Banque centrale européenne (BCE) s'en est alarmée.

2. Un constat : l'augmentation des prix

La hausse de l'inflation est particulièrement marquée en France sur la période récente. De 1991 à 2002, la hausse des prix a été généralement plus faible en France que dans les pays de la zone euro : l'écart moyen sur l'ensemble de la période se montait à 0,6 point par an.

Depuis le début 2003, le glissement annuel de l'indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) en France rejoint, voire dépasse, celui de la zone euro. Même après exclusion des produits les plus volatils, les performances de la France restent moins satisfaisantes que celles de la zone euro.

D'après le bulletin mensuel d'octobre 2003 de la BCE, pour les 12 pays de l'Union monétaire, « le niveau perçu de l'inflation a commencé à s'écarter de l'indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) en janvier 2002 et a atteint un pic en janvier 2003 ; même si ce niveau a légèrement fléchi depuis, il reste encore très élevé ».

Plusieurs faits incontestables expliquent la hausse des prix, et la perception qu'en ont les ménages :

- des hausses ponctuelles mais importantes ont eu lieu avant le passage à l'euro ;

- des arrondis excessifs se sont produits à cette occasion ;

- le passage à l'euro a brouillé la perception des prix ;

- des hausses de prix particulièrement visibles en 2003 ;

- la forte augmentation des prix administrés et des droits indirects : revalorisation des honoraires des professions de santé, multiples hausses des prix du tabac ;

- la forte persistance de l'inflation dans le secteur des services : la contribution des loyers et charges et autres services à l'inflation perçue était de 2,5 points en 2002 et 2,2 points en 2003, alors que leur contribution à l'inflation effective n'était que de 1 et 0,9 point.

3. Différents indices contestables

a) L'indice des prix à la consommation

L'indice des prix à la consommation (IPC), est mesuré par l'INSEE à partir d'un échantillon d'un peu plus de mille familles de produits, appelées « variétés » dont la liste reste confidentielle. Les relevés sont effectués dans 96 agglomérations de plus de deux mille habitants, de toutes tailles, sur tout le territoire, sur 27 000 points de vente. Au total cela représente 160 000 relevés mensuels, et 50 000 séries de type « tarif », collectées de façon centralisée (électricité, etc.).

La mise à jour annuelle de l'échantillon permet de tenir compte de l'évolution des comportements de consommation ; les révisions portent sur la liste et le contenu des variétés, ainsi que sur la répartition par forme de vente et par agglomération.

Sont mises à jour au même rythme les pondérations, qui représentent la part des dépenses associées à l'agrégat concerné au sein de l'ensemble des dépenses de consommation des ménages couvertes par l'IPC.

Des traitements spécifiques sont effectués pour les produits frais, les autres variétés saisonnières et pour déterminer des évolutions de prix  « pures » à qualité constante, lorsqu'un produit disparu est remplacé en cours d'année par un autre. Les promotions et les soldes sont également pris en compte.

VALEUR DE L'IPC, FRANCE ENTIÈRE, BASE 100 EN MARS 1998

Date

Série hors tabac
Ménages urbains dont le chef est ouvrier ou employé

Série hors tabac
Ensemble des ménages

Septembre 2004

109,6

109,6

Juin 2004

109,6

109,5

Juin 2002

105,6

105,5

Juin 2000

102,1

102,2

Janvier 1998
(dernière date disponible de cette série)

99,4

99,5

b) Echantillon et pondération, deux limites de cet indice

Une étude réalisée par le Crédit agricole (5) a permis de comparer les pondérations affectées par les ménages pour calculer le taux d'inflation ressenti, et les pondérations officielles moyennes entre 1998 et 2003 dans l'indice des prix à la consommation de l'INSEE :

Pondération INSEE %

Pondération ménages %

Produits alimentaires (hors produits frais, boissons comprises)

15,4

12,8

Tabac

2

2

Energie

7,6

4,4

Loyers, charges

7,6

21

Autres services

25

59,8

Total

57,6

100

Les ménages se forment une opinion sur les prix à partir d'un échantillon de biens et services qui représente moins de 60 % du panier total de l'INSEE. Aucun bien manufacturé (hors énergie) n'est pris en compte dans la perception des ménages, alors qu'ils représentent 30 % de l'indice INSEE. Trois explications possibles :

Les ménages en achètent rarement et sont donc peu sensibles aux baisses de prix ou les méconnaissent ; ils sont habitués aux baisses de prix pour tous les biens intégrant de la technologie au fur et à mesure de leur démocratisation, et n'y sont donc pas sensibles ; l'utilisation de prix hédoniques (prenant en compte l'amélioration de la qualité des produits) est réservée aux statisticiens : les ménages ne raisonnent pas en ces termes. Notons que le tabac n'est pas surpondéré : ce n'est donc pas la hausse du tabac qui explique le décalage.

De plus, l'agrégation des résultats produit un effet de lissage, et la moyenne statistique est une abstraction.

En outre, les effets inflationnistes des pratiques de coopération commerciale sont constatés au niveau macro-économique. Mais il semble que les hausses de prix des produits de marque aient atteint les limites de la propension à payer des consommateurs. Le report de la demande vers les produits de marques de distributeurs (MDD), les premiers prix et le hard discount entraîne mécaniquement une baisse de l'inflation.

Enfin, l'accord signé à Bercy le 17 juin 2004 prévoit la mise en œuvre d'un nouvel indice des prix dans la grande distribution. L'intention est louable, mais le risque est d'ajouter à la confusion, avec un indice partiel.

c) L'effet qualité

Ce qu'on appelle « l'effet qualité » joue également un grand rôle dans le calcul et la perception de l'inflation. La prise en compte de cet effet est délicate, et il a été récemment reproché à l'IPC de sous-estimer l'inflation induite par le renouvellement rapide des produits, du fait de la méthode de calcul de cet indice.

L'ensemble des ajustements de qualité a réduit l'évolution de l'IPC de 0,3 % sur l'année 2003 (6) : en l'absence de cet ajustement, l'indice des prix à la consommation aurait augmenté de 2,5 % au lieu de 2,2 %.

L'IPC mesure en effet l'évolution du prix des produits consommés par les ménages à qualité constante. Indépendamment des évolutions de consommation prises en compte lors de la mise à jour annuelle de l'échantillon, le renouvellement continu des produits amène à compléter le dispositif en cours d'année. Ces remplacements concernent 4 à 5 % des relevés chaque mois. Un tiers sont des remplacements à qualité équivalente, sans ajustement. Pour les deux autres tiers, il existe un effet qualité, qui est calculé selon les cas de deux manières différentes, qui ont suscité des controverses, notamment parce que ne sont pas prises en compte les données tarifaires (services de santé, électricité, etc.), ni la saisonnalité de certains produits. De plus, l'étude de l'INSEE précitée montre une grande variabilité de l'impact des ajustements qualité selon les postes de consommation, et dans le temps. Deux exemples permettront de comprendre que l'effet qualité peut jouer dans deux sens différents : en 2003, le prix moyen des lecteurs DVD a baissé de 27 % pendant que l'indice ne baissait que de 20 %, parce que dans ce cas, l'ajustement qualité a limité la baisse de l'indice en intégrant la simplification des modèles proposés. A l'inverse, l'indice des prix des micro-ordinateurs a baissé de 15 %, tandis que leur prix moyen ne baissait que de 7,6 %, du fait dans ce cas d'une augmentation de la qualité.

Comment estimer alors les effets de la politique de baisse des prix mise en œuvre par le Gouvernement ? Comment préparer une réforme ambitieuse de la législation sur les relations commerciales à partir de données aussi peu assurées ?

III.- LE GOUVERNEMENT TENTE SANS SUCCÈS DE SUBSTITUER
À UNE POLITIQUE D'AUGMENTATION DU REVENU
UNE POLITIQUE DE BAISSE DES PRIX

A.- LA QUESTION DES MARGES DANS LA GRANDE DISTRIBUTION A ÉTÉ UNE NOUVELLE FOIS POSÉE PAR LE GOUVERNEMENT

1. Les dangers de la guerre des prix : exemples étrangers

Votre rapporteur, et ses collègues du groupe socialiste tiennent à rappeler que l'essentiel réside dans la politique de revenu et non pas de baisse des prix, qui conduit inévitablement à des comportements dangereux pour les salariés et pour les sous-traitants et fournisseurs. Si la baisse des prix pour les consommateurs est un objectif louable sur lequel tous peuvent s'accorder, il ne faut pas oublier que ces derniers sont aussi des salariés, et des contribuables.

Il est particulièrement significatif que le rapport remis le 18 octobre dernier par la commission Canivet propose des réformes d'ampleur, et reconnaisse que celles-ci auraient très certainement des conséquences douloureuses pour nombre de fournisseurs de la grande distribution, et certaines formes de commerce, tout en précisant que « la mission du groupe ne s'étend toutefois pas à l'ensemble des intérêts publics en cause qui sont susceptibles, par ailleurs, d'être pris en compte par le législateur ».

C'est effectivement le rôle du législateur, qui doit l'exercer en toute connaissance de cause.

a) Le commerce : un secteur soumis à des restructurations permanentes

En 2003, le Bureau International du Travail (BIT) a établi un rapport relatif aux conséquences pour l'emploi des fusions et acquisitions dans le secteur du commerce, qui a souligné la particularité économique et sociale de ce secteur économique.

Parmi les motifs essentiels des fusions et acquisitions dans le secteur du commerce, il faut noter l'expansion du marché et la recherche de positions concurrentielles plus favorables qui s'obtiennent notamment par la réduction des coûts d'exploitation. Selon le BIT, « Un vaste processus de concentration du capital est en cours, qui débouche inexorablement sur une concentration correspondante de l'emploi dans un nombre de plus en plus limité d'entreprises de nombreux pays développés et de certains pays en développement. » En 2003, 61 des 500 plus grandes entreprises mondiales selon le chiffre d'affaires étaient des entreprises commerciales multinationales, opérant en majorité dans le commerce de détail.

Le BIT estime que la loi Raffarin, la loi Galland, et la loi NRE ont permis de restreindre les mouvements de concentrations. Pour autant, la France a été le théâtre de la plus importante transaction réalisée à l'échelle européenne dans le secteur du commerce avec la fusion de Carrefour et de Promodès, qui a donné naissance au deuxième détaillant du monde après Wal-Mart.

Même si elle y est moindre que dans les autres branches d'activités comme les services financiers, cette concentration a des conséquences non négligeables en terme d'emplois dans les entités fusionnées du commerce. Il apparaît que, dans ce secteur, « la création d'emplois dans l'entité issue de la fusion sert souvent à masquer une détérioration globale des conditions de travail et d'emploi, que des opérations croissantes de fusions peuvent accélérer. ».

Au-delà des conditions de travail des employés de la distribution, marquées par le temps partiel et la précarité, l'Organisation internationale du travail (OIT) (7), a « mis en évidence, parmi les conséquences de la restructuration du secteur, l'éviction des petits détaillants et des grossistes indépendants dans certains secteurs du commerce ».

Les emplois changent ainsi de nature : la multiplication des contrats à temps partiel et à durée déterminée gonfle le nombre d'emplois par rapport à l'équivalent temps plein qu'ils représentent. Les faibles salaires d'une main-d'œuvre majoritairement féminine, employée à temps partiel, rendent les relations sociales très dures pour les salariés. Le rapport précité du BIT relève ainsi que « dans la plupart des grandes sociétés de distribution, la gestion des ressources humaines a pour principal objectif de maintenir les effectifs à un minimum absolu. [...] La structure du personnel ainsi que le déploiement des effectifs dans le temps sont rationalisés selon des modalités qui entraînent la fragmentation de l'emploi et du temps de travail ». Le « taux élevé de rotation du personnel » est une des rançons de ces conditions où les employés sont le principal instrument d'ajustement de l'entreprise.

b) « Le système Wal-Mart » : l'avenir de la distribution ?

Si les politiques de baisse des prix jouent un rôle essentiel pour le pouvoir d'achat, leurs effets doivent être mesurés au-delà du simple acte d'achat. Les conséquences sur le travail des fournisseurs et sur la délocalisation des productions sont ainsi des éléments essentiels du débat qui se développe autour du modèle développé par le n° 1 mondial de la distribution : Wal-Mart.

Fondé en 1962 par Sam Walton, Wal-Mart Stores est le premier groupe de distribution mondial. Tout le système repose sur le slogan : « everyday low prices ». Pour atteindre cet objectif, il faut tirer tous les coûts vers le bas. Wal-Mart a ainsi été l'un des premiers groupes à instaurer la logique industrielle dans la distribution.

Suivant la stratégie dite de « la tache d'huile », Wal-Mart commence par implanter un entrepôt chargé de l'approvisionnement, puis installe ensuite des magasins dans un rayon de 300 miles. Wal-Mart contrôle alors toute la logistique en restant propriétaire des murs, des camions et en employant les chauffeurs, ce qui lui permet de maintenir les coûts les plus bas.

Mais c'est la gestion des relations avec les fournisseurs qui est le véritable moteur du développement du groupe. La compétitivité ne se mesure plus seulement au niveau local, mais aussi international. Ceci explique que de nombreux sous-traitants américains, dans le textile par exemple, aient été confrontés à des problèmes de coût de production et aux délocalisations d'entreprises.

Le distributeur ne fait aucun effort pour améliorer l'efficacité des ventes des produits, et c'est au fournisseur de trouver des solutions, magasin par magasin.

Au-delà des efforts de prix, Wal-Mart tente aussi d'imposer ses standards de fonctionnement. Avec une communication minimaliste (seul 0,3 % des ventes est investi en publicité), son énorme système informatique d'échanges de données est le fondement de sa réussite. Les 10 000 fournisseurs devront adopter la technologie imposée par le groupe pour continuer de travailler avec lui. Tous les magasins sont entièrement équipés de terminaux points de vente (TPV) permettant de suivre les ventes, référence par référence. Ils sont tous reliés par un réseau privé de communication par satellite, auquel sont connectés les fournisseurs, qui permet un réapprovisionnement en flux tendus au plus juste. De même, Wal-Mart veut imposer un système de traçabilité par étiquettes sur les produits et palettes, qui suppose des investissements très importants, particulièrement lourds pour les fournisseurs.

Les standards de communication et de production sont, de fait, imposés par le distributeur qui guide les choix technologiques, et les axes de la politique économique et sociale des fournisseurs, au cœur de laquelle se trouve la flexibilité.

Selon les sources du BIT, le groupe comptait 1,383 million d'employés dans le monde en 2002. On dénombre actuellement 1,2 million de salariés aux Etats-Unis. Son chiffre d'affaires se répartit comme suit :

- magasins Wal-Mart (68 %) : distribution généraliste (36 familles de produits) à prix réduits. 1 478 points de vente sous l'enseigne Wal-Mart, 1 471 Supercenters et 64 magasins de proximité ;

- Sam's Club (13,5 %) : 538 points de vente. Sam's Club est un réseau d'entrepôts proposant des articles à prix réduits (alimentation, biens d'équipement domestiques, bijoux, etc.) accessibles aux seuls adhérents du club ;

- international (18,5 %) : 1 355 points de vente dont 623 au Mexique (enseignes Vips, Bodegas, Suburbias, Superamas), 267 au Royaume-Uni (enseignes Asda, George Stores), 235 au Canada, 92 en Allemagne, 25 au Brésil, 34 en Chine, 53 à Puerto Rico (enseigne Todo Dias), 11 en Argentine et 15 en Corée du Sud.

Wal-Mart est par ailleurs le numéro un mondial du jouet devant Toy'R'Us. Il poursuit sa diversification, et a lancé en décembre 2003 son site de musique en ligne payante avec plus de 200 000 titres disponibles.

Le montant des ventes du groupe a progressé de 10,4 % en rythme annuel au mois d'octobre pour un total de 21,042 milliards de dollars. Le mois de novembre 2004 devrait voir une hausse de 2 à 4 % des ventes totales du groupe.

Le bénéfice annuel est de 9 milliards de dollars et sa capitalisation boursière est de plus de 252 milliards de dollars.

Dans le cadre de la campagne présidentielle de 2004 les positionnements politiques autour de Wal-Mart se sont cristallisés aux Etats-Unis (8).

Pour M. Bush, l'histoire de Wal-Mart « met en valeur les qualités [des Etats-Unis] : ardeur au travail, esprit d'entreprise, loyauté, intégrité, Wal-Mart est devenue l'une des plus grandes et des plus généreuses entreprises américaines ». Son adversaire démocrate, John Kerry, dénonçait, lui, « la manière dont Wal-Mart traite ses salariés », et « ses pratiques en matière de couverture sociale ».

L'enjeu politique fait suite à la montée de critiques de plus en plus fortes sur le modèle de développement et de fonctionnement du groupe Wal-Mart qui compte 3 200 magasins aux Etats-Unis et plus de 1 100 à l'étranger.

Ces critiques portent d'abord sur son anti-syndicalisme. Le syndicat des travailleurs du secteur du commerce des Etats-Unis - la United Food and Commercial Workers Union (UFCW) - dénonce la minoration des droits des travailleurs et les pressions psychologiques contre les travailleurs désireux de se syndiquer ou déjà syndiqués. Un certain nombre de décisions juridictionnelles viennent confirmer la fréquente violation des droits des travailleurs, dans le but d'interdire l'expression des employés pour maintenir des coûts du travail très faibles, qui ne leur permettent pas de vivre décemment.

Dans le contexte de l'extrême flexibilité et de la précarisation des emplois dans le secteur de la distribution, très féminisé, les syndicats s'alarment ensuite du traitement discriminatoire dont Wal-Mart ferait preuve à l'égard des femmes, qui représentent 65 % des employés et seraient payées, à travail égal, de 4,5 à 5,6 % de moins que les hommes. Les managers seraient en priorité des hommes. L'avancement des femmes serait beaucoup plus lent. Le 22 juin 2004, un juge fédéral a lancé la plus grande procédure juridique pour discrimination sexuelle de l'histoire des Etats-Unis en accordant le statut de class action (action collective) à une plainte de six anciennes employées de Wal-Mart. Ce statut permet aux plaignantes de représenter les 1,6 million de femmes qui sont et ont été employées de Wal-Mart depuis le 26 décembre 1998.

Enfin, les critiques dénoncent un modèle social et économique destructeur. Un employé de Wal-Mart gagne en moyenne 8 dollars de l'heure et travaille 32 heures par semaines. Son salaire mensuel est d'environ 1 000 dollars. Au-delà des bas salaires, il faut remarquer que, à la fin de l'année 2003, des centaines de clandestins avaient été découvertes travaillant chez Wal-Mart par l'entremise de sous-traitants assurant le nettoyage.

Le modèle du groupe Wal-Mart repose en réalité sur le moins disant social et fait désormais l'objet de critiques de plus en plus fortes. Les habitants de certaines villes en viennent à refuser de nouvelles implantations du groupe malgré la promesse de centaines d'emplois, craignant la destruction du commerce local.

En réponse aux dizaines de procédures contre Wal-Mart pour discrimination, heures supplémentaires impayées..., Wal-Mart met au contraire en avant un modèle d'intégration sociale, d'émancipation et de progression des employés, avec le diptyque « good jobs, good carreers » et insiste, par la voix de son vice-président, sur le fait qu'il ne s'agit que de dérives locales dont le groupe dans son ensemble se désolidarise.

Si votre rapporteur a insisté sur ce groupe, c'est que Wal-Mart est l'acteur économique de la distribution le plus puissant, capable de conquérir les marchés en achetant ses concurrents. La situation actuelle de certains groupes français pourrait, dans ce contexte, conduire Wal-Mart à vouloir entrer en force sur le marché hexagonal. Depuis cinq ans, les rumeurs du rachat de Carrefour par Wal-Mart n'ont cessé de courir. Si à l'heure actuelle, la législation semble constituer un frein à sa volonté de s'implanter en France, la menace demeure.

Partout dans le monde, Wal-Mart représente ainsi, pour ses détracteurs, un risque économique et social majeur, celui de la standardisation de la vie à faible coût. Le modèle ainsi développé conduirait à la paupérisation de l'ensemble de l'économie. Un autre exemple, au cœur de l'Union européenne cette fois, ajoute à l'inquiétude.

c) Le précédent néerlandais

Le projet de réforme de la loi Galland, avec une redéfinition du seuil de revente à perte, sur la base du prix triple net (nets de rabais, ristournes, et coopération commerciale) pourrait enclencher une guerre des prix aux conséquences néfastes.

L'exemple des Pays-Bas (9) est significatif : la baisse des prix de 10 % dans la grande distribution est concomitante de la disparition de 10 000 emplois équivalent temps plein (17 000 emplois en réalité, compte tenu des temps partiels), soit 10 % des emplois d'un secteur qui en compte 170 000. Les industriels, distributeurs et représentants du monde agricole néerlandais dressent un sombre tableau de la situation, et lancent des appels à un encadrement réglementaire des prix, alors même qu'il n'existe aux Pays-Bas aucune interdiction de revente à perte, ni dispositif législatif comparable à celui de la loi Galland.

Le 17 octobre 2003, Albert Heijn, enseigne la plus en vue du pays, annonçait la baisse du prix d'un millier d'articles, poussée par la nécessité de regagner une partie au moins des parts de marché conquises par les hard-discounters, et de redresser une image atteinte par les scandales comptables touchant la maison mère Ahold. Avant la baisse annoncée fin 2003, les prix Albert Hejn avaient augmenté de 6 à 10 % entre 2000 et 2003.

Bilan d'un an de guerre des prix :

- baisse des prix de 5 % en moyenne sur 3 500 produits de grandes marques ;

- baisse du chiffre d'affaires des supermarchés de 3 % en moyenne, soit 750 à 800 millions d'euros ;

- baisse de 2 % de la marge bénéficiaire ;

- réduction moyenne de 75 % du bénéfice net, soit une perte de 70 000 euros par supermarchés ;

- diminution des coûts salariaux estimés à 250 millions d'euros ;

- suppression de 17 000 emplois ;

- diminution ou report des investissements pour 2/3 des indépendants ;

- difficultés financières pour un quart des supers indépendants ;

- baisse des ventes des fournisseurs estimée à 500 millions d'euros.

Le consommateur aurait vu le prix de son caddie baisser de 3,2 % en un an ; sachant que les prix augmentent de 1,8 % par an, il aurait gagné 5 % de pouvoir d'achat sur ses achats alimentaires en un an. Mais les industriels fournisseurs comme l'organisme de prévision néerlandais (le Central Plan Bureau) craignent les conséquences à long terme : une baisse du nombre de supermarchés, la diminution du personnel et de l'assortiment : les supermarchés prendront des mesures pour compenser la diminution de leurs marges.

Faut-il craindre un scénario à la néerlandaise ? La situation économique des Pays-Bas et celle de la France ne sont pas comparables, et le chiffre de 17 000 emplois perdus semble devoir être relativisée, puisque ce déclin qui concerne surtout le commerce indépendant n'est pas récent, mais la proportion de 10 % d'emplois perdus reste particulièrement alarmante, confirmant les analyses précitées du BIT. Les chiffres néerlandais sur l'évolution des exploitations agricoles sont tout aussi préoccupants.

Pareille menace nécessite toutefois qu'on prenne le temps d'examiner la question, et que l'on se donne les moyens nécessaires à une étude approfondie. Le Parlement devra sans doute bientôt débattre de modifications législatives, alors que de très nombreux acteurs s'accordent sur une même priorité : faire d'abord appliquer la loi existante. Dans tous les cas, il est indispensable d'évaluer les conséquences d'un changement de législation, et de mesurer les détournements possibles de la loi, pour remédier à ces problèmes d'application.

2. Le « plan Sarkozy » : motifs et premiers résultats

Le bilan effectif de l'accord du 17 juin 2004 sur la baisse durable des prix à la consommation est difficile à établir.

a) Des chiffres contestables

Les résultats annoncés par Bercy, la DGCCRF, et les distributeurs indiquaient au 18 octobre une baisse des prix fin septembre de 1,57 % sur près de 18 000 produits de grande marque, alors que les prix de 4 000 produits de marques parmi les plus détenus et les plus vendus dans les grandes et moyennes surfaces auraient baissé de 3,18 % au cours du même mois.

L'indice INSEE des prix à la consommation pour septembre 2004 signale en revanche, pour l'ensemble des prix, et l'ensemble des ménages, sur la France entière une hausse de 0,1 % au cours du dernier mois, de 0,2 % au cours des trois derniers mois, et de 2,1 % au cours des 12 derniers mois.

Un communiqué de presse UFC Que Choisir daté du 30 septembre 2004 dénonce quant à lui des résultats incompréhensibles.

Les prix sont d'autant plus difficiles à lire que, pour contourner la législation sur la vente à perte, les distributeurs mettent en place des systèmes de coupons de réduction, bons d'achat, qui ont deux effets négatifs ; d'une part, ces promotions brouillent les repères des consommateurs, qui ignorent le prix réel de l'article acheté. D'autre part, le financement de ces campagnes pèse sur les fournisseurs, qui vont augmenter leurs tarifs pour financer les marges arrière ainsi exigées par la grande distribution : un cercle vicieux s'enclenche.

b) Pas d'effet sur la consommation

M. Christian Jacob lui-même, ministre délégué aux PME, en réponse à la question « Quel bilan dressez-vous des premières baisses de prix des grandes marques de 2 % en moyenne en septembre ? » déclarait le 6 novembre 2004 : « Il n'y a eu aucune reprise de la consommation à la suite de la baisse des prix. Pour la relance de la consommation, le prix n'est d'ailleurs qu'un élément parmi d'autres. Il faut restaurer un climat de confiance. Un accord comme celui-là ne se boucle pas à l'arraché ! ».

Votre rapporteur ne peut que constater la justesse de cette observation. Comme l'a constaté l'INSEE le 21 octobre 2004 « Les dépenses de consommation des ménages en produits manufacturés, exprimées à prix constants, corrigées des effets de jours ouvrables et des variations saisonnières, baissent en septembre 2004 (-0,6 % après +0,5 % en août) ». L'Institut souligne même que « dans le champ commerce, les dépenses fléchissent de 1,6 % (après +0,4 %) ». Le bilan pour le troisième trimestre de 2004 est ainsi négatif, les dépenses de consommation en produits manufacturés diminuant de 0,7 % (après +1,5 % au deuxième trimestre).

Votre rapporteur s'interroge par ailleurs sur le lien qui est fait entre la réforme de loi Galland et celle de la loi Raffarin, qui ressemble à un échange de bons procédés dans lequel la baisse des prix serait récompensée par la possibilité d'augmenter les surfaces de vente. Les garanties actuellement envisagées pour les PME, les producteurs agricoles et le petit commerce ne paraissent pas réalistes.

3. La question de la réalité des marges dans la grande distribution

La démarche du ministre suppose que les marges sont trop importantes dans la grande distribution, mais leur ampleur n'est jamais chiffrée : déterminer celle-ci est l'un des buts de la commission d'enquête.

a) L'incertitude sur l'ampleur des marges

L'Institut de liaisons et d'études des industries de consommation (ILEC) mesure par enquête auprès de ses adhérents (84 groupes industriels, présents dans tous les secteurs de la production alimentaire et non alimentaire, qui commercialisent des produits de marque de notoriété nationale et internationale) les marges arrière de la distribution sur les produits de marque depuis 1998. Ses chiffres sont largement admis. Ils montrent que les marges arrière ont progressé de manière continue depuis 1998 :

1998

1999

2000

2001

2002

2003

Marges arrière en % du prix net facturé

22

24

27

29

30

32

L'ILEC précise que : « les chiffres ci-dessus traduisent une moyenne, toutes catégories et tous fournisseurs confondus. Dans le détail, il apparaît que selon les catégories de produits, la dispersion est très forte : les chiffres vont, en 2003, de moins de 10 % à plus de 50 % ».

Le rapport d'étape du groupe de travail de la commission des affaires économiques, sur les pratiques commerciales de la grande distribution, rendu le 16 juin 2004 pour devancer l'accord du 17 juin, indique pour sa part que « les marges arrière s'élèvent en moyenne à 30 % du prix de vente des articles mais s'échelonnent de 5 % à 60 % selon les secteurs de produits peu dans le bricolage ou les produits agricoles non transformés, mais beaucoup dans la saucisserie ».

On constate déjà l'absence de concordance précise des chiffres.

De plus, selon les fournisseurs, « au sein d'une catégorie, la dispersion est significative (...) il existe une liaison négative entre la hausse des marges arrière et le pouvoir de marché des marques. Plus la marque est puissante, moins la marge est élevée. Les marques phares payent moins de marges arrière que les marques secondes, et celles-ci moins que les PME ». Enfin, il est à noter que le hard-discount n'est pas concerné par les marges arrière, ni les MDD et produits premiers prix.

b) Un mode de formation opaque

Le Conseil de la concurrence a lui-même rappelé dans son avis du 18 octobre 2004 (10) que « les marges arrière étant négociées de façon bilatérale entre les distributeurs et leurs fournisseurs, elles ne sont pas publiques », et que « la définition du seuil de revente à perte conduit les distributeurs et leurs fournisseurs à distinguer deux volets dans leurs négociations. Le premier volet concerne les conditions générales de vente (CGV), qui doivent être communiquées à toute personne qui en fait la demande ; le second volet des négociations porte sur les réductions hors facture et les accords de coopération commerciale qui, au contraire, se caractérisent par leur opacité ».

Ce sont ces éléments, qui ne sont pas toujours portés par écrit, ni déterminés dans les conditions de loyauté souhaitables, que la commission d'enquête devra éclaircir.

B.- CES QUESTIONNEMENTS DÉBOUCHENT DIRECTEMENT SUR LA QUESTION DU MODE DE FORMATION DES MARGES ARRIERE

1. Des pratiques contestables

De multiples rapports, démontrent que ces marges, importantes, reposent sur des pratiques commerciales contestables.

Au point 26 de l'avis précité, le conseil de la concurrence affirme que « le développement des marges arrière depuis la fin des années 1990 ne semble pas justifié par un essor équivalent des prestations de service rendues au titre de la coopération commerciale, alors même que la loi permet de sanctionner une disproportion manifeste des montants facturés au regard de la valeur des services rendus (article L.442-6-I du code de commerce). Le faible nombre de plaintes et de sanctions démontre l'existence d'une forte puissance d'achat des distributeurs, les fournisseurs n'utilisant pas les voies classiques de résolution des conflits commerciaux, par crainte de déréférencement ».

Le conseil rappelle par ailleurs au point 34 que le conseil est compétent pour sanctionner les pratiques en cause, dès lors que la puissance d'achat des distributeurs (particulièrement concentrée en France : 6 centrales effectuent 90 % des achats destinés aux rayons des grandes et moyennes surfaces), est utilisée à des fins anticoncurrentielles. Il donne l'exemple du « comportement d'un distributeur consistant à menacer ses fournisseurs de déréférencement s'ils continuent à livrer l'un de ses concurrents » et précise qu'un tel comportement constitue une pratique anticoncurrentielle en ce qu'elle vise à fausser le jeu de la concurrence sur le marché de la grande distribution.

Or nous avons tous à l'esprit des témoignages et des exemples, dans nos circonscriptions, des conditions dans lesquelles se font les négociations entre certains fournisseurs et certains distributeurs ; mais du fait des pressions et des intérêts en cause, ces témoignages sont anonymes, ou transmis par des personnes qui n'exercent plus d'activité dans ce secteur.

Le rapport Canivet (11) fait état de pratiques maquillant la réalité économique pour répondre aux exigences du code du commerce, rappelle que « la loi est régulièrement dénoncée comme peu respectée par les opérateurs les plus puissants, et le juge est rarement saisi par les opérateurs les plus vulnérables qui craignent les représailles ».

Ce rapport de forces est notoirement déséquilibré, du fait de la pression qui pèse sur les fournisseurs. Leur situation économique et juridique est telle que l'on peut parler « d'indépendants-dépendants ». Nous savons tous comment sont passés certains contrats, lorsque les distributeurs posent oralement leurs conditions, afin que les fournisseurs présentent ensuite par écrit leur offre ainsi adaptée, avec toute l'apparence de la spontanéité. Nous le savons, mais personne n'en fournira la preuve. Face à ce que l'on peut qualifier d'omerta, votre rapporteur estime que seule une commission d'enquête, qui garantirait l'anonymat pour le présent et pour l'avenir à tous ceux qui le demanderaient lors d'auditions menées à huis clos, et permettrait à ses membres de bénéficier de très fortes prérogatives d'enquête, pourrait réunir l'intégralité de ces informations.

La proposition faite par la commission Canivet, et retenue par le ministre d'Etat, d'inverser la charge de la preuve de la réalité de la coopération commerciale, est particulièrement révélatrice de ces difficultés. D'autres recommandations du même rapport vont dans ce sens : il est notamment suggéré de permettre à la commission d'examen des pratiques commerciales (CEPC) de « sanctionner les pratiques illicites sans la nécessité préalable du dépôt d'une plainte », et plus généralement d'adapter les méthodes d'enquête et celles de l'appareil judiciaire.

Le déséquilibre dans ce rapport de forces risque d'augmenter encore avec le développement des marques de distributeurs (MDD). Celles-ci ont été définies par l'article 62 de la loi du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques (NRE) : « est considéré comme produit vendu sous marque de distributeur le produit dont les caractéristiques ont été définies par l'entreprise ou le groupe d'entreprises qui en assure la vente au détail et qui est le propriétaire de la marque sous laquelle il est vendu ».

ÉVOLUTION DES PARTS DE MARCHÉ DES MDD PAR RAYON EN FRANCE

2000

1999

1998

1997

2000/1997

Epicerie

21,8

21,1

19,9

18,7

117

Liquides

19,9

19,1

18,9

18,6

107

Entretien

24,8

22,9

20,7

20,0

124

Hygiène - Beauté

7,3

7,1

6,6

5,9

124

Surgelés

33,8

31,7

29,7

29,0

117

Saucisserie

32,9

33,3

28,9

28,6

115

Crémerie

26,4

26,1

25,7

24,2

109

Fromage Libre Service

21,5

20,0

19,4

18,8

114

Charcuterie Libre Service

37,7

35,2

32,5

24,2

156

Traiteur Libre Service

26,4

23,1

19,2

17,2

153

Source : Linéaires (www.lineaires.com) d'après SECODIP

Les MDD semblent séduisantes, et profitables aux PME et aux agriculteurs, à qui elles offrent de nouveaux débouchés. Mais à plus long terme, elles peuvent avoir des effets plus pernicieux. En effet, leur principe réside dans « le contrôle de la marque par le distributeur, alors que ce contrôle est traditionnellement du ressort d'un producteur », et dans l'exclusivité « qui implique que les différents distributeurs ne fourniront pas les mêmes MDD, ce qui n'est pas le cas lorsque les distributeurs distribuent des marques de producteurs » (12). Ainsi, le distributeur devient le concurrent de son fournisseur, et renforce son pouvoir de négociation, et la pression sur l'amont de la filière. Des économistes ont démontré que la seule menace, et a fortiori l'introduction effective d'une MDD entraînait une baisse du prix de gros, et que le profit du distributeur augmentait plus fortement que la perte du producteur.

Les MDD multiplient les risques de pratiques abusives liées aux menaces de déréférencement, puisque le consommateur ne peut observer le changement de producteur. De plus, ce passage d'un producteur à un autre permet de modifier les prix au terme d'une nouvelle négociation, troublant ainsi les contrôles de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes et relativisant le suivi de l'inflation.

Cette dépendance économique des petits producteurs contraste avec leur indépendance juridique. Sauf les agriculteurs qui bénéficient d'un contrat d'intégration, ils ne bénéficient d'aucune des protections du salariat, malgré l'absence d'autonomie dans leur travail. Or, « si le droit de la concurrence accepte cette violence due à la dépendance économique, en revanche, le droit civil la rejette » (13), quand elle prend la forme d'abus de position de force pour obtenir un avantage excessif. On l'a vu, la difficulté est d'établir cet abus.

Devant cette situation, votre rapporteur s'interroge sur les objectifs réels et les modalités de l'assouplissement des autorisations d'équipement commercial envisagé dans le débat actuel, notamment par le rapport d'information fait à la demande du Premier ministre sur l'évaluation du dispositif législatif et réglementaire garantissant l'équilibre entre les différentes formes de commerce par le sénateur Alain Fouché en octobre 2004. Le lien que le ministre d'Etat propose d'établir entre les autorisations d'équipement commercial et l'accès des marques de PME aux linéaires, aux opérations promotionnelles et aux catalogues laisse votre rapporteur perplexe. D'une part, il n'existe pas de définition légale des PME. Il n'est pas sûr d'autre part que la présence des produits des PME dans les linéaires puisse être effectivement contrôlée.

2. La nécessité de disposer d'informations exactes

Sans jeter l'opprobre sur l'ensemble des acteurs, il apparaît de plus en plus urgent d'éclaircir un certain nombre de phénomènes, notamment les méthodes de contractualisation entre les distributeurs et les fournisseurs, les autres facteurs qui interviennent dans la formation des prix, et de parvenir à un instrument de mesure satisfaisant de l'inflation.

Pour y parvenir, votre rapporteur estime indispensable de travailler selon un calendrier qui ne soit pas dicté par les projets d'un ministère, et de bénéficier des prérogatives qui sont celles des commissions d'enquête : possibilité de contrôles sur pièces et sur place, obligation faite à toute personne de déférer aux auditions, et de déposer sous serment, obligation de transmettre les renseignements demandés, le tout sous la menace de sanctions pénales.

Afin de garantir une totale liberté de parole aux acteurs auditionnés, votre rapporteur estime que les auditions devraient se faire sous le régime du secret. La rédaction d'un rapport de grande qualité en serait facilitée.

La dimension informelle d'un groupe de travail aussi studieux soit-il, ou d'une mission d'information, ne saurait suffire.

Alors que les lois sur les relations commerciales se multiplient à un rythme accéléré, la perspective d'un débat parlementaire sur une réforme des lois Galland et Raffarin serait vaine si le législateur ne disposait des informations nécessaires au vote d'une loi applicable, qui ne puisse être contournée immédiatement.

Pour toutes ces raisons, votre rapporteur vous appelle à donner un avis favorable à la création de cette commission d'enquête.

EXAMEN EN COMMISSION

Lors de sa réunion du 16 novembre 2004, la Commission a examiné, sur le rapport de M. Jean Gaubert, la proposition de résolution (n° 1871) de M. Henri Emmanuelli et plusieurs de ses collègues tendant à la création d'une commission d'enquête visant à analyser le niveau et le mode de formation des marges et des prix dans le secteur de la grande distribution, et les conséquences de l'évolution des prix sur le pouvoir d'achat des ménages.

Après l'exposé du rapporteur, plusieurs commissaires sont intervenus dans la discussion générale.

M. Jean-Paul Charié, s'exprimant au nom du groupe UMP, a estimé que les cinq grandes centrales d'achat abusaient de leur position dominante dans leurs relations avec leurs fournisseurs, en contraignant certains d'entre eux, notamment les PME et les agriculteurs, à vendre à perte. Il a évoqué plusieurs de ces pratiques commerciales, comme les sommes excessives exigées, les pénalités de livraison, les services gratuits, et l'indifférence absolue des grandes centrales aux conséquences de ces méthodes.

Il a attiré l'attention sur la gravité de la situation des PME étranglées, des agriculteurs obligés de vendre en deçà de leur seuil de rentabilité, et dénoncé les consignes inhumaines reçues par les acheteurs des centrales. Il s'est également élevé contre les marques premiers prix et les marques de distributeurs, dont les effets sont néfastes à terme pour les producteurs.

Il a rappelé que ces pratiques étaient connues, décrites dans le rapport d'étape du groupe de travail, comme dans un rapport de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), publié en 2002, qui faisait état de fréquentes illégalités dans les pratiques de la grande distribution, telles que les menaces de rupture, la signature de certains contrats après la fourniture de la prestation, les imprécisions voire les lacunes présentées par certaines factures, l'exigence de primes de référencement sans engagement sur un volume d'achat, ou encore le caractère fictif de certaines prestations. De même, il a indiqué que les pénalités de retard de livraison atteignaient parfois 60 % du montant de la facture et que certaines clauses imposaient au fournisseur de payer les amendes auxquelles le distributeur pourrait être condamné pénalement. Il a jugé ces pratiques d'autant plus regrettables que les distributeurs qui en usaient interpellaient fréquemment les pouvoirs publics sur un mode moralisateur.

Il a ensuite montré l'importance des marges des distributeurs, rappelant que les prix payés aux agriculteurs avaient baissé de 56 % depuis 1960 alors que les prix à la consommation avaient connu dans le même temps une hausse de 12 %. Il a donc estimé que les agriculteurs avaient été ruinés au profit des cinq grandes centrales d'achat, et il a vu là une des raisons pour lesquelles ni la droite ni la gauche ne parvenaient pas à réduire le chômage.

Il a ensuite relevé que les majorités successives, au-delà des clivages partisans, avaient affronté ce problème des relations commerciales discriminatoires pour les PME, les agriculteurs et les consommateurs, dès la loi Royer de 1973. Mentionnant notamment l'ordonnance de 1986, la loi Doubin de 1989, la loi Galland de 1996, et la loi du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques (NRE), il a noté la cohérence des préoccupations des différentes majorités. Il a toutefois regretté l'impuissance du législateur à faire appliquer ces dispositions, dont plusieurs accords se sont pourtant inspirés, tel celui du 22 novembre 2002 signé par la fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), les jeunes agriculteurs (JA), et la fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD), et condamnant le développement des pratiques commerciales déloyales.

Il a estimé en outre que la loi Galland n'était pas responsable de cette situation, la preuve étant que les marges arrière ne s'étaient pas développées dans les secteurs du jardin, du bricolage ou des fournitures industrielles, alors que la législation qui s'y applique est la même que pour la grande distribution alimentaire. D'accord avec Mme Marylise Lebranchu pour dénoncer le racket des cinq centrales d'achat, dont sont victimes les consommateurs, les PME, et toute notre économie, il a conclu que la priorité des pouvoirs publics devait être l'application des lois existantes.

Doutant que la commission d'enquête constitue la forme d'action parlementaire la plus adéquate, il a affirmé que le législateur devait prouver, sans clivages partisans, sa volonté de voir la loi appliquée. Aussi s'est-il prononcé pour la constitution d'un groupe de travail qui réunirait les députés de l'ensemble des groupes politiques.

S'exprimant au nom du groupe UDF, M. François Sauvadet s'est interrogé sur la configuration de ce groupe de travail, mais s'est déclaré d'accord sur la gravité de la situation, et l'impuissance des majorités successives à réguler les pratiques des grandes surfaces, malgré leurs efforts répétés pour concilier deux impératifs contradictoires : d'une part, offrir aux consommateurs des prix aussi modérés que possible et, d'autre part, conserver un réseau territorial dense de commerces de proximité. Il a ainsi rappelé que cette recherche d'équilibre avait inspiré aussi bien les schémas départementaux d'urbanisme commercial que le travail du président Patrick Ollier pour la réglementation de l'implantation des grandes surfaces.

Il a donc souligné que les pouvoirs publics avaient mis en œuvre un certain nombre d'instruments tendant à réguler les pratiques des centrales d'achat, mais que ceux-ci avaient été détournés par la grande distribution au moyen d'importantes marges arrière, qui peuvent atteindre 40 %, voire 60 % des prix.

Il a souligné que ces pratiques commerciales étaient particulièrement difficiles à clarifier et à réguler, du fait du déséquilibre du rapport de forces entre dominants et dominés, aucun d'eux n'ayant intérêt à parler. Il a ainsi jugé que les auditions du groupe de travail de la commission, de même que l'initiative du ministre d'Etat, ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, s'étaient heurtées au silence des fournisseurs comme à la résistance des distributeurs. En effet, les fournisseurs ne pouvaient pas protester contre les pratiques des grandes surfaces, ce qui a permis à celles-ci de n'offrir que des concessions limitées au Ministre de l'Économie.

Aussi, s'est-il déclaré a priori favorable à la création d'une commission d'enquête. Il a rappelé qu'une proposition de son groupe en ce sens avait été récemment repoussée au motif que le Gouvernement déposerait un texte sur le sujet : il a jugé que les délais d'examen de ce projet risquaient de n'être pas satisfaisants. Aussi a-t-il déclaré qu'il aurait pu adhérer à la proposition du groupe socialiste, surtout si l'objet de celle-ci était élargi à la répartition des marges. Il a toutefois considéré que l'exposé des motifs de cette proposition était inacceptable, et que les accusations portées contre le Gouvernement niaient la politique de ce dernier en faveur de la baisse des prix et de la relance de la consommation.

Il a ajouté que le vote par le groupe UDF de la création d'une mission d'information sur le sujet était conditionné au caractère pluraliste de cette dernière.

Le président Patrick Ollier a rappelé l'initiative que la Commission avait prise en juin dernier, à travers la création d'un groupe de travail, ainsi que les engagements qui avaient été formulés à cette occasion. Il a considéré que la Commission devait continuer à inscrire son action dans cette perspective.

M. Luc Chatel, président du groupe de travail sur les pratiques commerciales dans la grande distribution, s'est félicité des travaux menés par la Commission, dans une logique d'ouverture et de proposition. Il a constaté que ses membres étaient d'accord sur l'essentiel du constat et des propositions, et il a regretté la dimension politicienne qui marquait les débats aujourd'hui, et qui lui semblait déplacée.

Revenant à l'argumentation du rapporteur, il a affirmé au contraire que tout n'était pas rose sous le Gouvernement Jospin, et rappelé la politique du Gouvernement actuel en faveur du pouvoir d'achat. Il a ainsi mentionné la baisse de 10 % de l'impôt sur le revenu pour dix-sept millions de foyers, le bénéfice de la prime pour l'emploi pour huit millions de foyers, son augmentation de 4 % en 2004 et en 2005. Il a insisté sur l'importance du rattrapage du SMIC, correspondant à un treizième mois, alors que l'écart entre le SMIC le plus haut et le SMIC le plus bas était de 112 euros par mois en 2002.

Il a souligné les effets de cette politique, ainsi de la croissance du PIB de 0.5 % au niveau national en 2003, dans une conjoncture difficile, grâce à la consommation des ménages, sans laquelle le PIB aurait au contraire diminué de 0.3 %.

Il a rappelé la loi du 9 août 2004 relative au soutien à la consommation et à l'investissement, et ses principales mesures en faveur des dons exceptionnels, des réductions d'impôt au titre du crédit à la consommation, du déblocage anticipé des droits à participation aux résultats de l'entreprise, et de l'épargne salariale.

Quant au manque d'informations sur le niveau des prix, et les différents indices, il a rappelé que l'un des éléments essentiels de l'accord signé le 17 juin 2004 à Bercy par l'ensemble des acteurs était précisément la mise en place d'un indice, reconnu par tous, des prix dans la grande distribution, sous l'autorité du ministère de l'économie et des finances. Il a souligné que le groupe de travail, tout au long de ses travaux, n'avait jamais eu de difficulté à trouver les informations nécessaires.

Loin d'y voir le coup politique dénoncé par le rapporteur, M. Chatel s'est réjoui, comme le ministre de l'Economie et des Finances, que l'on puisse parler de baisse des prix à chaque rentrée scolaire, au lieu de déplorer des hausses de prix comme auparavant.

Il a ensuite estimé que la baisse des prix de 1.57 %, si elle était inférieure à l'objectif attendu de 2 %, n'en consacrait pas moins la pertinence de la méthode retenue.

Il a tenu ensuite à rappeler que le groupe de travail s'était insurgé, dans son rapport d'étape, contre la perspective d'une augmentation des surfaces de la grande distribution, et qu'il avait été entendu sur ce point, puisque l'accord du 17 juin 2004 ne prévoyait aucune disposition en ce sens.

Constatant que le groupe de travail avait obtenu, au long des quarante auditions effectuées, toutes les informations disponibles ; que grâce aussi à de nombreux autres rapports parlementaires, l'état des lieux était bien connu ; et que sur le fond tous étaient d'accord, il a déclaré ne pas voir l'intérêt d'une commission d'enquête. D'autant plus qu'une mission d'information pourrait le cas échéant demander à bénéficier des prérogatives d'une commission d'enquête, conformément au règlement de l'Assemblée nationale.

Il a observé que la création de la mission d'information s'inscrivait dans la continuité de l'action de la Commission, rappelée par le président, et qu'elle permettrait d'affiner les propositions du groupe de travail et d'en mesurer l'impact, dans la perspective du travail législatif proprement dit.

Il s'est donc prononcé, au nom du groupe de travail, contre la création d'une commission d'enquête.

M. Michel Raison a estimé que l'utilisation de ses propos par le rapporteur ne servait qu'à démontrer l'inutilité de la création d'une commission d'enquête, dans la mesure où les éléments du problème étaient déjà largement connus.

Il s'est par ailleurs élevé contre la formulation de l'exposé des motifs de la présente proposition de résolution, qui réservait au groupe socialiste le monopole de la politique en faveur de la croissance et de la défense des consommateurs.

Il a ensuite indiqué que la création d'une mission d'information était l'outil approprié pour continuer et préciser les analyses du groupe de travail constitué au sein de la Commission, en dégageant notamment des pistes de réforme législative permettant de rendre plus efficace le dispositif existant, et en contrant les effets pervers du système actuel de formation des prix.

M. Jean-Marc Lefranc a estimé qu'un consensus politique existait sur la nécessité de trouver des solutions concrètes à la situation de plus en plus difficile des producteurs, tout en assurant aux distributeurs des marges raisonnables et aux consommateurs des prix équilibrés, et en mettant fin à des pratiques commerciales abusives.

Il a également jugé scandaleux l'exposé des motifs de la proposition de résolution, notamment lorsqu'il affirme que le Gouvernement actuel n'a rien fait en faveur du pouvoir d'achat des Français, alors qu'il a augmenté de 1300 euros le pouvoir d'achat des bas salaires. Il a en outre indiqué que le niveau actuel des prix français, supérieur de 5 à 13 % aux prix européens suivant les produits, était largement imputable aux effets des 35 heures, et que la volonté actuelle du ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, de trouver un accord dans ce domaine mettait en évidence l'absence de toute décision politique depuis 1997.

En conséquence, il a indiqué qu'il serait favorable à la création d'une mission d'information, d'abord parce qu'elle suffirait à poursuivre les travaux constructifs du groupe de travail, mais aussi pour ne pas avaliser l'exposé des motifs de la présente proposition de résolution, dont le caractère politicien était en décalage avec le consensus actuel sur cette question.

M. Léonce Deprez a rappelé qu'une mission d'information, dont le rapporteur était M. Jean-Yves Le Déaut et le président Jean-Paul Charrier, avait déjà effectué un travail remarquable sous la précédente législature, dans un esprit d'objectivité qui avait recueilli l'approbation d'une large majorité des membres de la Commission.

Il a estimé que les éléments du problème étaient déjà connus, et a donc appelé ses collègues à aborder un débat nécessaire avec sérénité.

Mme Marylise Lebranchu, s'exprimant au nom du groupe socialiste, a indiqué que la suppression des deux premiers paragraphes de l'exposé des motifs de la présente proposition de résolution pouvait être envisagée si elle était de nature à apaiser le débat.

Elle a ensuite plaidé pour la constitution d'une commission d'enquête, rappelant que la loi du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques (NRE) avait eu peu d'effets dans ce domaine, à l'exception de quelques jugements mettant en cause des distributeurs. Elle a ensuite jugé qu'une commission d'enquête, menant des auditions à huis clos et sous serment, était le seul moyen d'établir et de prouver les pratiques commerciales actuelles. Elle a en outre ajouté que le travail préliminaire à la rédaction de la loi NRE avait mis en évidence l'abondance des informations disponibles mais aussi la difficulté de les interpréter pour en tirer des preuves concrètes contre la grande distribution.

Elle s'est ensuite défendue d'avoir critiqué le rôle historique de la grande distribution dans l'amélioration du pouvoir d'achat du plus grand nombre, mais a dénoncé les dérives actuelles d'une concurrence annihilée par les relations entre quelques distributeurs oligopolistiques, l'Institut de liaisons et d'études des industries de consommation (ILEC) et les petites et moyennes entreprises. S'appuyant sur un exemple concret dans la région de Bordeaux, elle a estimé que l'impossibilité pour un entrepreneur de commercialiser son produit sans passer par le référencement de la grande distribution, voire par un rachat de son entreprise, constituait un frein à la création d'entreprise, à l'innovation et la recherche, et à l'accessibilité des marchés.

Elle a ensuite indiqué que le récent accord trouvé par le ministre des finances n'avait pas reçu son plein assentiment, dans la mesure où elle connaissait les pressions exercées sur les pouvoirs publics et les contreparties d'un tel accord, notamment s'agissant de l'assouplissement de la loi Galland et de l'ouverture des grandes surfaces le dimanche.

Elle a en outre estimé qu'un tel accord ne permettait pas de maîtriser l'évolution du prix d'un type de produit, dans la mesure où la modification des caractéristiques de ce produit suffisait à rendre invérifiable le respect de l'accord initial.

Elle a enfin indiqué que les marques de distributeurs étaient le moyen, en passant d'un producteur à un autre au terme d'une nouvelle négociation, de fixer les prix sans que l'intervention de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes soit d'une quelconque efficacité.

M. Jean-Marc Nudant a estimé que l'incapacité de la gauche, au cours de ses cinq années d'exercice du pouvoir, puis de l'actuelle majorité, depuis deux ans, à régler le problème des relations entre les fournisseurs et les distributeurs appelait à la modestie l'ensemble des responsables politiques.

Soulignant l'ampleur des difficultés rencontrées par certains producteurs agricoles en citant l'exemple des producteurs d'oignons de la Haute-Saône incapables d'écouler leur production, il a douté de la capacité d'une commission d'enquête à apporter des solutions concrètes, rappelant qu'il avait participé, sous la précédente législature, à la commission d'enquête sur la situation des prisons françaises et qu'il n'avait pas constaté de mise en œuvre substantielle de ses conclusions avant le changement de majorité.

Puis, il a estimé que la tonalité de l'exposé des motifs de la proposition de résolution conduisait à s'interroger sur les motivations de ses auteurs, et qu'il conviendrait de le corriger très substantiellement pour aboutir à un texte moins partisan.

Il a enfin appelé à la définition d'une solution permettant de garantir la transparence sur la réalité des pratiques commerciales.

M. Édouard Jacque a jugé que la représentation nationale s'honorerait en adoptant une position consensuelle sur une question aussi cruciale que celle des pratiques commerciales.

Puis, il a souligné la nécessité de briser la loi du silence qui protège des pratiques qui ne peuvent plus durer, et a appelé les commissaires à prendre leurs responsabilités pour imposer leur volonté aux grands groupes de la distribution.

Il a ensuite rappelé le contournement constant des dispositions législatives encadrant la création de surfaces commerciales, notamment à travers le développement de la distribution spécialisée par des entreprises souvent filiales des groupes de la grande distribution, et par la création de magasins de hard-discount d'une surface de 299 mètres carrés. Il a également rappelé la responsabilité de certains élus locaux dans une partie des dysfonctionnements constatés dans le fonctionnement des commissions départementales d'équipement commercial (CDEC) et de la commission nationale d'équipement commercial (CNEC).

Puis, il a souligné que la situation actuelle se caractérisait par l'existence de monopoles résultant notamment de l'impossibilité, pour des commerçants indépendants, d'exploiter des magasins dans les centres commerciaux créés autour des grandes surfaces, et du gel du foncier proche des hypermarchés.

Il a enfin appelé à la prise en compte des spécificités des régions frontalières dans lesquelles la grande distribution pouvait créer des magasins voisins de la frontière sans qu'ils ne soient pris en compte par les commissions départementales d'équipement commercial.

Le président Patrick Ollier a rappelé que le groupe de travail que la Commission avait décidé de constituer avait travaillé parallèlement au Gouvernement et qu'il avait été convenu de le transformer, dans un deuxième temps, en mission d'information s'il apparaissait nécessaire de poursuivre la réflexion. Il a également rappelé que le ministre d'Etat avait annoncé son intention de déposer très prochainement un projet de loi.

Après avoir souligné que la priorité ne lui paraissait pas être l'établissement de faits déjà largement connus mais la recherche sereine de solutions, ce qui ne nécessitait pas de disposer de preuves judiciaires, il a estimé que la commission d'enquête ne constituait pas une formule adaptée.

Puis, il a rappelé que les prérogatives d'une commission d'enquête et celles d'une mission d'information étaient voisines, rien n'empêchant notamment une mission d'information de travailler à huis clos. Il a également souligné que les rares pouvoirs spécifiques à une commission d'enquête, comme celui de faire appel à la force publique pour requérir la venue d'une personne, étaient en pratique fort peu utilisés, lui-même ayant été, à sa connaissance, le seul président de commission d'enquête à en faire fait usage.

En conclusion, il a appelé au rejet de la proposition de résolution.

M. Jean Gaubert s'est ensuite félicité de la qualité des débats menés par la Commission, mais a constaté qu'aucun consensus n'en avait émergé. Il a estimé que l'examen d'une loi serait en l'espèce prématuré compte tenu de l'absence d'éléments irréfutables, alors que la commission d'enquête, notamment du fait de l'obligation pour les personnes auditionnées de déposer sous serment, assortie du secret entourant les auditions pour le présent et pour l'avenir, permettrait précisément de les établir. Il a ensuite accepté de retirer, en accord avec Mme Marylise Lebranchu, les deux premiers paragraphes de l'exposé des motifs de la proposition de résolution, afin de lever les oppositions exprimées jusqu'alors.

La Commission a ensuite rejeté la proposition de résolution n° 1871 tendant à la création d'une commission d'enquête sur le niveau et le mode de formation des marges et des prix dans le secteur de la grande distribution et sur les conséquences de l'évolution des prix sur le pouvoir d'achat des ménages ; le groupe UDF s'est abstenu du fait de son désaccord avec l'exposé des motifs de cette proposition de résolution.

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N° 1874 - Rapport sur la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur la formation des marges de prix dans le secteur de la grande distribution (M. Jean Gaubert)

1 () (INSEE Première n° 947 - janvier 2004 : « Évolution des niveaux de vie de 1996 à 2001 »).

2 () La lutte contre la pauvreté et l'exclusion, février 2002, Ministère de l'emploi et de la solidarité.

3 () « La panne du pouvoir d'achat », D. Seux, Les Echos, 9 novembre 2003.

4 () « Les effets de richesse et l'arbitrage consommation-épargne », G. FLANDRIN-LE MAIRE, Direction de la Prévision, janvier 2004.

5 () « Pourquoi les ménages français surestiment-ils l'inflation ? », A. DERAMBURE, Crédit Agricole, Flash Eco, 26 mars 2004.

6 () « Impact des ajustements de qualité dans le calcul de l'IPC », D. GUEDES, document de travail INSEE, mai 2004.

7 () Réunion tripartite sur les implications de la mondialisation et de la restructuration du commerce du point de vue des ressources humaines, octobre 1999.

8 () Le Monde, daté du 9 novembre 2005.

9 () « Faut-il craindre un scénario à la néerlandaise ? » D. BRUG & F. LECOMPTE, LSA, 10 novembre 2004.

10 () Avis n° 04-A-18 du Conseil de la concurrence du 18 octobre 2004 relatif à une demande d'avis présentée par l'Union Fédérale des Consommateurs (UFC Que Choisir) relative aux conditions de la concurrence dans le secteur de la grande distribution non spécialisée.

11 () Notamment dans la conclusion de la deuxième partie.

12 () « L'impact économique du développement des marques de distributeurs », F. BERGES-SENNOU, Ph. BONTEMS, et V. REQUILLART, Université de Toulouse (INRA, IDEI), juin 2003.

13 () voir H. GILBERT, le travail en agriculture, thèse dactyl., Nantes 2003, INRA, Université de droit.


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