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le 24 janvier 2005

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N° 2033

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 19 janvier 2005.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE
L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LE PROJET DE LOI (N° 2022)
modifiant
le
titre XV de la Constitution
,

PAR M. Pascal CLÉMENT,

Député.

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Voir les numéros :

Assemblée nationale : 2022, 2023 et 2024.

INTRODUCTION 7

I. - UN TRAITÉ AMBITIEUX 9

A. UN INTITULÉ AMBIGU QUI REFLÈTE LE CARACTÈRE HYBRIDE DU TRAITÉ SIGNÉ LE 29 OCTOBRE 2004 9

1. L'utilisation du terme « Constitution » n'est pas anodine 10

a) Une volonté affichée de s'inscrire dans une démarche constitutionnelle 10

b) Des caractères constitutionnels 11

2. Le texte n'en reste pas moins formellement un traité interétatique 13

a) Les États restent le fondement juridique de l'Union européenne 13

b) L'entrée en vigueur du traité établissant une Constitution pour l'Europe ne donnera pas à l'Union les caractéristiques fondamentales d'un État 14

c) Le traité comporte des stipulations réaffirmant le caractère interétatique de la construction européenne 14

B. UN FONCTIONNEMENT SIMPLIFIÉ POUR PLUS D'EFFICACITÉ ET DE DÉMOCRATIE 15

1. Une nouvelle architecture institutionnelle pour permettre le fonctionnement efficace de l'Europe élargie 15

a) Des institutions plus efficaces 15

b) Une clarification des procédures et des compétences 18

c) Le renforcement du rôle de l'Union européenne dans certains domaines 20

2. Une Europe plus démocratique 21

a) La volonté d'affirmer la place des citoyens. 21

b) L'affirmation du rôle du Parlement européen 22

c) L'information et l'association des parlements nationaux 22

II. -  UNE RÉVISION NÉCESSAIRE 24

A. LES ASPECTS LES PLUS NEUFS DU TRAITÉ SONT COMPATIBLES AVEC LA CONSTITUTION 25

1. Le principe de primauté 25

2. La Charte des droits fondamentaux 26

B. LA NÉCESSITÉ D'UNE RÉVISION ÉTAIT PRÉVISIBLE 27

1. L'effet de la réforme des compétences sur les conditions d'exercice de la souveraineté nationale 27

2. Le renforcement des droits des parlements nationaux 28

III. -  UNE CONSTITUTION ADAPTÉE 29

A. UN CALENDRIER D'APPLICATION EN DEUX TEMPS 29

1. Un volet transitoire 30

2. Un volet permanent 30

B. LE CONSENTEMENT AUX TRANSFERTS DE SOUVERAINETÉ PRÉVUS PAR LE TRAITÉ 30

C. LA MISE EN œUVRE DES NOUVELLES PRÉROGATIVES DU PARLEMENT 31

1. Les procédures existantes demeurent : l'article 88-4 31

2. Trois nouvelles procédures parlementaires 32

a) L'article 88-5 : le contrôle de la subsidiarité 32

b) L'article 88-6 : l'opposition à une révision simplifiée du traité 33

D. L'OBLIGATION DE SOUMETTRE AU RÉFÉRENDUM LES ÉLARGISSEMENTS FUTURS DE L'UNION EUROPÉENNE 34

AUDITION DE M. DOMINIQUE PERBEN, GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE 35

EXAMEN DES ARTICLES 43

Avant l'article premier 43

Article premier (art. 88-1 de la Constitution) : Autorisation de ratifier le traité établissant une Constitution pour l'Europe 46

Après l'article premier 47

Article 2 (art. 88-5 [nouveau] et 60 de la Constitution) : Autorisation par référendum de ratifier les traités d'adhésion 52

Article 3 (titre XV de la Constitution) : Modification des dispositions relatives à l'Union européenne 56

Article 88-1 de la Constitution : Consentement aux transferts de souveraineté rendus nécessaires par le traité 56

Article 88-2 de la Constitution : Base constitutionnelle des règles relatives au mandat d'arrêt européen 57

Article 88-3 de la Constitution : Droit de vote et d'éligibilité des citoyens de l'Union aux élections municipales 58

Article 88-4 de la Constitution : Soumission aux assemblées parlementaires des projets d'actes et des documents de l'Union européenne 59

Article 88-5 [nouveau] de la Constitution : Procédures parlementaires de contrôle de la subsidiarité 63

Article 88-6 [nouveau] de la Constitution : Révision simplifiée du traité 66

Article 88-7 [nouveau] de la Constitution : Autorisation par référendum de ratifier les traités d'adhésion 68

Après l'article 3 69

Article 4 : Champ d'application des règles d'autorisation par référendum de ratifier les traités d'adhésion 69

Après l'article 4 71

TABLEAU COMPARATIF 73

ANNEXE AU TABLEAU COMPARATIF 77

AMENDEMENTS NON ADOPTÉS PAR LA COMMISSION 85

ANNEXE : DÉCISION DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL N° 2004-505 DC DU 19 NOVEMBRE 2004 89

MESDAMES, MESSIEURS,

Dans les géorgiques parlementaires, les révisions constitutionnelles tendent à faire figure de travaux annuels, voire saisonniers. La Constitution du 4 octobre 1958 a été dix-sept fois révisée et depuis le traité de Maastricht en 1992, la cadence moyenne est celle d'une révision annuelle. La campagne 2004 aura vu l'adoption de la Charte de l'environnement, en termes identiques par l'Assemblée nationale et le Sénat, le 24 juin 2004. Pour devenir définitive, il reste à cette Charte d'être adoptée par le référendum ou par le Parlement réuni en Congrès.

Pourtant, une révision constitutionnelle n'est pas un acte banal. La Charte de l'environnement doit consacrer pas moins que l'entrée dans la Constitution d'une troisième génération de droits de l'homme. Aujourd'hui, l'Assemblée nationale est conviée à rendre possible la participation rapide de la France à une réforme profonde et ambitieuse de l'Union européenne. Le nouveau traité de Rome, signé le 29 octobre 2004, établit une Constitution, en vue d'une Europe élargie et pourtant mieux gouvernée et plus proche de ses citoyens.

Pour rendre le fonctionnement de l'Europe deux fois plus efficace avec deux fois plus d'États membres, il faut la rendre plus simple et plus démocratique. Les parlements nationaux doivent y prendre toute leur part.

Disons-le tout net : les parlementaires que nous sommes n'ont, jusqu'à présent, pas assez utilisé les moyens de contrôle et les marges d'initiative qui leur étaient dévolus. Il est vrai que la complexité de la mécanique communautaire n'y encourageait guère. La Constitution européenne contenue dans le traité nous offre des moyens réels pour peser sur l'évolution du droit européen. Il appartiendra à chaque commission, à chaque député ou sénateur de s'en saisir et d'inscrire son action dans le cadre de l'Europe élargie.

Dès aujourd'hui, le Parlement va prendre part à l'une des étapes conduisant, peut-être pour la fin de l'année 2006, à l'entrée en vigueur du traité. Ces étapes sont nombreuses, car le texte, élaboré un peu comme une constitution, demeure un traité soumis à ratification.

Or, la ratification par la France a pour préalable une révision constitutionnelle, ainsi que l'a jugé le Conseil Constitutionnel : notre Constitution devra consentir aux nouveaux transferts de compétences. Le présent projet répond à cet impératif. Il lève dans l'immédiat le préalable juridique à la ratification, et tire les conséquences qui découleront, pour nos institutions, de l'entrée en vigueur du traité du 29 octobre 2004. Comme toute loi de révision constitutionnelle, il devra être adopté en termes identiques par l'Assemblée nationale et le Sénat, sans recours à la procédure de conciliation par une commission mixte paritaire. Puis il lui faudra être adopté soit directement par le peuple souverain, soit, si le Président de la République le décide, par le Parlement réuni en congrès, à la majorité des trois cinquièmes des votants.

Une fois le présent projet adopté et devenu définitif selon les modalités prévues par l'article 89 de la Constitution, c'est le processus de ratification proprement dit qui s'ouvrira, dans le cadre tracé par l'article 11.

L'autorisation de ratifier le traité ne peut être donnée que par la loi, conformément à l'article 53 de la Constitution. Le Président de la République ayant annoncé aux Français son intention de remettre la décision entre leurs mains, un projet de loi de ratification sera soumis au référendum. Même si une proposition de loi de ratification serait juridiquement concevable - quoique politiquement très improbable -, l'article 11 de la Constitution n'ouvre au chef de l'État la possibilité de soumettre au référendum que des projets de lois. Au nombre de ceux-ci figurent les projets « tendant à autoriser la ratification d'un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions ».

Si, comme chacun l'espère, la loi référendaire est adoptée, le Président de la République pourra ratifier le traité, comme lui seul peut le faire en vertu de l'article 52 de la Constitution. L'instrument de ratification de la France sera déposé auprès du Gouvernement de la République italienne, comme prévu par l'article IV-447 du traité.

C'est après le dépôt de l'instrument de ratification du dernier des vingt-cinq États signataires, et au plus tôt le 1er novembre 2006, que le traité pourra entrer en vigueur. C'est alors que s'appliqueront les nouvelles procédures parlementaires du titre XV de la Constitution française dans la rédaction donnée par le présent projet. Il appartiendra aux assemblées de les faire vivre.

I. -  UN TRAITÉ AMBITIEUX

Le traité établissant une Constitution pour l'Europe, signé à Rome le 29 octobre 2004, est l'aboutissement d'une volonté de réforme en profondeur des institutions européennes, initiée, dès 1996, par la convocation d'une conférence intergouvernementale sur ce sujet. Or, les échecs relatifs constitués par les traités d'Amsterdam, en 1997, et de Nice, en 2000 ont conduit les États membres de l'Union européenne à proposer un changement de méthode, prenant ainsi acte des limites de la négociation diplomatique classique pour parvenir à une refonte complète des institutions.

Le Conseil européen de Laeken (14-15 décembre 2001) a ainsi adopté une « déclaration sur l'avenir de l'Union européenne » qui fixe les objectifs assignés à la Convention sur l'avenir de l'Europe, convoquée dans le même temps et dont la présidence a été confiée à Valéry Giscard d'Estaing. Cette déclaration insiste sur la nécessité de mieux répartir les compétences au sein de l'Union européenne, de simplifier les instruments de l'Union, de rendre les institutions plus démocratiques et plus efficaces et, enfin, « d'ouvrir la voie vers une Constitution pour les citoyens européens ». Le mouvement constitutionnel européen est donc tout à fait particulier puisqu'il n'est pas au fondement de la réflexion sur l'évolution institutionnelle de l'Union, mais plutôt considéré comme le terme logique de cette réflexion. Il en résulte une ambiguïté fondamentale sur la nature du « traité constitutionnel » issu des travaux de la Convention, dont il ne faut pas oublier que le but originel n'était pas de constituer un super État européen, mais tout simplement de permettre une évolution institutionnelle nécessaire pour le fonctionnement d'une Europe qui devrait compter à terme une trentaine d'États.

A. UN INTITULÉ AMBIGU QUI REFLÈTE LE CARACTÈRE HYBRIDE DU TRAITÉ SIGNÉ LE 29 OCTOBRE 2004

L'intitulé du traité signé à Rome le 29 octobre 2004, « traité établissant une Constitution pour l'Europe » est une véritable hérésie juridique. Mais s'il n'est peut être pas satisfaisant pour un esprit cartésien, il est en totale cohérence avec la fameuse formule de Jacques Delors définissant l'Europe comme « un objet politique non identifié ». En effet, il est clair que l'utilisation même du terme de Constitution n'est pas anodine, d'autant qu'elle ne relève pas uniquement du symbole mais se manifeste par des éléments concrets. Cependant, cette Constitution européenne reste un acte conventionnel, qui exprime le consentement des États signataires à être liés par celle-ci, ceux-ci restant donc des États souverains. Ainsi, l'Union européenne disposera peut-être d'une Constitution, sans disposer pour autant des caractéristiques d'un État souverain.

1. L'utilisation du terme « Constitution » n'est pas anodine

a) Une volonté affichée de s'inscrire dans une démarche constitutionnelle

Au-delà du symbole, le choix des mots n'est jamais neutre. Certes, qualifier un traité de « Constitution » ne suffit certainement pas pour faire oublier que ce texte est formellement un traité, et non un acte unilatéral, émanation d'une souveraineté européenne encore lointaine. Néanmoins, la relance du débat constitutionnel au cours de l'année 2000, au travers notamment des discours du Président Jacques Chirac devant le Bundestag et du ministre allemand des Affaires étrangères Joschka Fischer à l'Université Humboldt de Berlin, reposait sur la nécessité d'une refondation politique de l'Europe, qui ne pouvait donc passer que par un acte fort autant politiquement que symboliquement, à savoir une Constitution.

Or, l'impact de ce choix sémantique ne doit pas être négligé. Il avait d'abord pour but de faire naître chez les citoyens une véritable prise de conscience sur la nature de l'Union européenne, qui est bien davantage qu'une simple organisation internationale classique. Ce choix pourrait cependant avoir aussi des conséquences plus concrètes. Le professeur Gil Carlos Rodriguez Iglesias, ancien Président de la Cour de justice des Communautés européennes (cjce), expliquait que « si ce traité est dûment ratifié par l'ensemble des États membres avec la dénomination expresse de Constitution, il me paraît que cela a une portée normative. Cela veut dire que les États membres acceptent d'adopter et de faire entrer en vigueur un texte normatif qu'ils considèrent comme une Constitution. (...) Je crois que l'utilisation de l'appellation « Constitution » montre la volonté politique d'établir un texte qui, par ses fonctions et son contenu, est de nature constitutionnelle. Un texte appelé à être perçu et compris comme une Constitution par l'ensemble des citoyens et non pas seulement par des juristes spécialisés » (1).

De la même façon, la décision de confier à une « convention » le soin d'élaborer un projet de Constitution était beaucoup plus qu'une simple allusion aux expériences constitutionnelles de la Révolution française et des États-Unis. En effet, suite à la désastreuse expérience du traité de Nice et au précédent réussi de la « convention » qui avait rédigé en 2000 la Charte des droits fondamentaux, il a semblé indispensable de faire naître un véritable débat public sur la nature du projet européen. On peut certes discuter la légitimité des 105 conventionnels, toujours est-il que le progrès est indéniable entre la méthode diplomatique traditionnelle - centrée sur des tractations secrètes entre négociateurs chargés avant tout d'assurer la défense de leurs intérêts nationaux - et le caractère ouvert des débats au sein de la Convention. Bien sûr, cette Convention a été suivie d'une conférence intergouvernementale. Au moins celle-ci s'est-elle déroulée en partant d'une base audacieuse qui a permis une remise à plat de l'ensemble des problèmes, alors que dans une négociation diplomatique classique, le champ même de la discussion fait généralement l'objet de barrières fixées au préalable.

b) Des caractères constitutionnels

Le mandat donné à la Convention par le Conseil européen de Laeken était prioritairement de simplifier et de clarifier les traités existants sans en bouleverser la substance, même s'il était envisagé que cette entreprise permette « d'ouvrir la voie vers une Constitution européenne ». Pourtant, bien des dispositions du traité signé le 29 octobre 2004 sont d'une nature constitutionnelle, et ne se trouvaient d'ailleurs pas dans les traités signés jusqu'ici.

· Un texte unique et consolidé.

Par son objet, le traité du 29 octobre 2004 est indéniablement d'ordre constitutionnel puisqu'il vise à régler l'organisation et le fonctionnement des pouvoirs publics ainsi que la répartition des compétences. D'ailleurs, la cjce estime depuis longtemps (2)que la Communauté européenne est une «  communauté de droit [régie par] la charte constitutionnelle de base qu'est le traité ». Cependant, la Constitution permet de simplifier considérablement l'architecture de l'Union européenne. Elle unifie juridiquement la Communauté européenne et l'Union européenne, en mettant fin à la séparation byzantine entre les trois piliers, le premier traitant des matières régies par la méthode « communautaire », les deux autres piliers relevant de la méthode intergouvernementale.

La complexité était encore accrue par la coexistence de deux traités fondateurs, le traité instituant la Communauté européenne, avec à sa base le traité de Rome, dont relève le « premier pilier », et le traité sur l'Union européenne, résultant du traité de Maastricht, qui, non seulement régit les deuxième et troisième piliers, mais apporte également des modifications au traité instituant la Communauté européenne. Ainsi, les nouveaux traités, comme par exemple le traité d'Amsterdam, ont pour conséquence de modifier à la fois le traité instituant la Communauté européenne et le traité sur l'Union européenne, textes dont les stipulations se croisent et se recoupent. En fusionnant l'ensemble des traités dans un texte unique, la Constitution met ainsi fin à une situation juridique difficilement compréhensible par des non spécialistes, en faisant œuvre codificatrice, effort qui relève véritablement d'une démarche constitutionnelle.

· L'affirmation de la primauté.

Le caractère intégrateur du droit communautaire a souvent été considéré comme l'un des facteurs de progrès les plus efficaces de la construction européenne. De fait, dès 1964 (3), la cjce a affirmé la primauté du droit communautaire sur celui des États membres, primauté qui vaut, selon la Cour, même à l'égard des normes constitutionnelles (4).

Le traité établissant une Constitution pour l'Europe consacre ce principe jurisprudentiel en inscrivant la primauté du droit de l'Union sur celui des États membres à l'article I-6. Certes, la déclaration n° 1 jointe au traité précise que les dispositions de l'article « reflètent la jurisprudence existante de la Cour », ce qui tend à relativiser la portée de l'inscription du principe de primauté dans le traité. Pour autant, l'affirmation de ce principe s'apparente bien à la définition d'une hiérarchie des normes, au sommet de laquelle se trouvent «  la Constitution et le droit adopté par les institutions de l'Union », ce qui correspond bien à une démarche constitutionnelle. De plus, il ne faut pas sous-estimer les effets de l'inscription du principe de primauté dans le traité : autant certaines cours suprêmes nationales, notamment en France, mais aussi en Allemagne ou au Danemark, avaient pu contester ce principe, dégagé de façon prétorienne par la cjce, autant il leur sera plus difficile de le faire lorsqu'il sera expressément affirmé dans un traité international régulièrement ratifié par leur pays.

· L'attribution de la personnalité juridique à l'Union européenne.

Le traité innove encore dans la voie de la constitutionnalisation en attribuant (article I-7) à l'Union européenne une personnalité juridique qui lui faisait jusque-là défaut, celle-ci n'existant que pour la seule Communauté européenne. Cela signifie que l'Union n'est pas seulement une émanation des États, mais un sujet de droit autonome, qui peut par exemple conclure directement des traités internationaux, sans le faire « au nom des États membres ». Une Constitution est l'acte fondateur d'une communauté de droit : l'affirmation de la personnalité juridique de l'Union est donc importante car, sans résoudre la question de la nature constitutionnelle du traité, elle donne cependant une base juridique à ce débat.

· La reconnaissance des citoyens de l'Union comme sujets directs de droit

Une autre caractéristique importante du traité établissant une Constitution pour l'Europe est qu'il fait directement référence aux citoyens de l'Union et non seulement aux États qui l'ont conclu, comme c'est le cas pour un traité international classique. Tout d'abord, dans une logique constitutionnelle classique, le traité signé à Rome le 29 octobre 2004 offre aux citoyens qui composent l'Union européenne la protection des droits fondamentaux, en intégrant la Charte constitutionnelle des droits fondamentaux, proclamée en 2000 mais qui n'avait qu'une valeur déclaratoire. Au-delà des États, l'Union européenne fonde donc également sa légitimité sur les citoyens européens, qui reçoivent directement du traité des « droits et devoirs », proclamés à l'article I-10.

Ce lien direct entre l'Union et les citoyens, sans passer par l'intermédiaire des États membres, se manifeste dans l'évolution des termes utilisés en ce qui concerne la représentation au Parlement européen : alors qu'actuellement l'article 189 du traité établissant la communauté européenne stipule que «  le Parlement européen est composé de représentants des peuples des États réunis dans la Communauté », l'article I-46 de la Constitution inverse ce principe en indiquant que « les citoyens sont directement représentés, au niveau de l'Union, au Parlement européen ».

2. Le texte n'en reste pas moins formellement un traité interétatique

Le traité établissant une Constitution pour l'Europe est donc novateur par de nombreux aspects, ne serait-ce que parce qu'il sera qualifié dans le langage courant de « Constitution européenne ». Pour les citoyens, il ne fera donc probablement pas de doute que l'Union européenne dispose d'une Constitution, mais il n'est pas sûr qu'ils la considèrent pour autant comme un État. Pourtant, Constitution et État sont deux notions étroitement liées : il importe donc de montrer que l'entrée en vigueur de la « Constitution européenne » ne changera pas la nature particulière de la construction européenne. Celle-ci n'a pas pour but de transférer la souveraineté des États membres vers un ensemble étatique supranational.

a) Les États restent le fondement juridique de l'Union européenne

La distinction fondamentale entre une Constitution et un traité est que la première est un acte unilatéral qui « n'a pas d'autre fondement juridique qu'elle-même (5)»,le second étant un acte conventionnel, dont l'existence dépend de ses signataires qui prennent eux-mêmes la décision de consentir à être lié par le traité. Cette distinction est fondamentale car elle signifie qu'une Constitution est le fondement originel d'une construction politique alors qu'un traité exprime la concordance de la volonté des parties. En d'autres termes, les États restent les maîtres du jeu dans une démarche conventionnelle, ce qui ne serait pas le cas dans une authentique démarche constitutionnelle.

Ainsi, comme l'a jugé le Conseil constitutionnel, le texte signé à Rome le 29 octobre 2004 a les attributs juridiques d'un traité. Contrairement à la Constitution des États-Unis de 1776, il n'entrera en vigueur que lorsqu'il aura été ratifié par l'ensemble des États signataires. En outre, sa révision est, pour l'essentiel, soumise aux mêmes exigences de consensus dans la mesure où les modalités des procédures simplifiées de révision permettent à tout État de s'opposer à une modification qu'il ne souhaiterait pas.

Si les compétences attribuées à l'Union européenne sont importantes, et concernent des domaines régaliens, il n'en reste pas moins que ces transferts de souveraineté relèvent d'une délégation acceptée librement par les différents États membres : il s'agit donc bien d'un « consentement à être lié », définition même du traité en droit international public.

b) L'entrée en vigueur du traité établissant une Constitution pour l'Europe ne donnera pas à l'Union les caractéristiques fondamentales d'un État

Puisque la « Constitution européenne » reste un acte interétatique, cela signifie qu'elle n'est pas le fondement d'un « super État » européen. Il est d'ailleurs important de noter que cette Constitution ne donne pas à l'Union européenne les éléments essentiels de la capacité étatique.

En premier lieu, si la Constitution permet de clarifier la répartition des compétences entre l'Union européenne et les États membres, elle le fait selon une logique inversée par rapport à une Constitution étatique, même d'État fédéral. En effet, l'article I-11 de la Constitution précise que les compétences sont réparties selon les principes d'attribution, de proportionnalité et de subsidiarité, c'est-à-dire que « l'Union agit dans les limites des compétences que les États membres lui ont attribuées dans la Constitution pour atteindre les objectifs qu'elle établit. Toute compétence non attribuée à l'Union dans la Constitution appartient aux États membres ». Autrement dit, l'Union n'a pas la compétence de sa compétence : ce n'est pas la « Constitution» qui fixe les compétences des membres de l'Union, mais au contraire ces derniers qui délimitent les compétences attribuées au niveau central.

En second lieu, l'absence de nature étatique de l'Union européenne réside tout simplement dans l'absence de certains attributs essentiels de la souveraineté étatique. Certes, l'Union dispose, pour une partie de ses membres, d'une monnaie, et le traité constitutionnel donne une onction juridique à ses symboles (drapeau, hymne, devise, journée de l'Europe), mais il lui manque ce que Max Weber appelait le « monopole de la violence légitime ». En effet, l'Union ne possède pas de capacité de contrainte sur ses membres, qui ont ainsi toujours la possibilité de s'affranchir des règles communes, notamment s'ils estiment qu'un intérêt national fondamental est en cause. Dans de telles circonstances, un État peut mettre en jeu sa responsabilité internationale, il risque des sanctions, notamment financières, mais, en fin de compte, aucune autorité européenne ne peut lui enjoindre de prendre une décision contre sa volonté, même en cas de violation flagrante de ses obligations. Cela signifie que le droit européen, en dépit de son originalité fondamentale et de ses spécificités, reste dans la sphère du droit international.

c) Le traité comporte des stipulations réaffirmant le caractère interétatique de la construction européenne

L'idée selon laquelle l'Union européenne relève de la double légitimité des États et des peuples a été au centre des travaux de la Convention, dont tout l'enjeu a été d'arriver à un équilibre entre ces deux formes de légitimité. Ainsi, les rédacteurs du traité constitutionnel ont pris soin d'intégrer des stipulations rappelant cette double exigence.

Depuis 1957, les débats institutionnels européens se sont largement concentrés sur une polémique assez stérile sur la nature fédérale ou non de la construction européenne. Le sommet de Maastricht en 1991 avait d'ailleurs failli échouer en raison d'un désaccord sur l'opportunité d'inscrire le terme de fédéralisme dans le traité sur l'Union européenne. Or, le traité du 29 octobre 2004 semble avoir définitivement tranché une question qui l'était depuis longtemps dans les faits : une Europe composée de 25 États, voire bientôt de 30, ne correspond plus aux rêves fédéralistes des pères fondateurs. En effet, le compromis institutionnel auquel est arrivé la Convention, puis la conférence intergouvernementale, réaffirme par exemple le rôle du Conseil, émanation des États, en même temps qu'il accroît les pouvoirs du Parlement européen. L'institution d'une présidence du Conseil européen viendra par exemple concurrencer celle de la Commission, qui est la véritable instance supranationale de l'Union européenne. L'objectif de la Convention était bien de permettre un fonctionnement plus efficace et plus démocratique de l'Union, plutôt que d'avancer encore dans la voie du fédéralisme. D'ailleurs, dans les domaines où la Constitution innove le plus, affaires étrangères et défense, le mécanisme décisionnel repose largement sur la méthode intergouvernementale, au détriment de la méthode communautaire.

Une grande innovation du traité constitutionnel réside dans l'adoption d'une clause de sortie de l'Union européenne. Le premier alinéa de l'article I-60 prévoit expressément que « tout État membre peut décider, conformément à ses règles constitutionnelles de se retirer de l'Union européenne ». Les traités actuels sont muets sur ce point, indiquant simplement qu'ils sont conclus « pour une durée illimitée ». La nouvelle disposition inscrite dans la Constitution va à l'encontre de la conception dominante d'une dynamique de resserrement des liens entre les peuples de l'Europe, qui relèverait de l'évidence et ne saurait connaître de remise en cause. Le processus demeure au contraire soumis à la volonté des États de rester dans l'Union, preuve supplémentaire du caractère encore essentiellement interétatique de la construction européenne.

B. UN FONCTIONNEMENT SIMPLIFIÉ POUR PLUS D'EFFICACITÉ ET DE DÉMOCRATIE

1. Une nouvelle architecture institutionnelle pour permettre le fonctionnement efficace de l'Europe élargie

a) Des institutions plus efficaces

· L'institution d'un président du Conseil européen

Le Conseil européen a été créé en 1974 sous l'impulsion de Valéry Giscard d'Estaing et institutionnalisé en 1986. Pourtant, cette instance d'impulsion et de stratégie, qui réunit deux fois par trimestre les chefs d'État ou de gouvernement de l'Union, ne fait pas formellement partie des institutions de l'Union européenne. Le traité du 29 octobre 2004 innove sur ce point en faisant du Conseil européen l'une des institutions de l'Union (article I-19), au même titre que le Parlement européen, le Conseil des ministres, la Commission et la Cour de justice.

Par ailleurs, le Conseil européen aura désormais un visage identifiable puisqu'il élira, à la majorité qualifiée, son président pour un mandat de deux ans et demi, renouvelable une fois. L'article I-22 met ainsi fin au système des présidences tournantes, qui, à vingt-cinq, impliquait que chaque pays n'exerce la présidence que tous les treize ans. Le développement de la politique étrangère de l'Union suscitait le besoin de donner un visage au Conseil.

En dépit de la légitimité conférée par l'élection, la présidence n'est dotée que de pouvoirs limités : dépourvu de pouvoir hiérarchique sur ses collègues et d'une administration propre, il est chargé d'assurer la continuité des travaux du Conseil européen mais n'a pas autorité sur l'instance décisionnelle réelle qu'est le Conseil des ministres. Il assure également la représentation extérieure de l'Union « à son niveau et en sa qualité », sous réserve des pouvoirs du ministre des affaires étrangères.

· Une rationalisation limitée du fonctionnement du Conseil des ministres

Éclaté en une vingtaine de formations spécialisées (agriculture, budget, etc.) et composé de vingt-cinq représentants, le Conseil des ministres était menacé de paralysie, alors qu'il représente, avec le Parlement européen, l'instance législatrice de l'Union.

L'article I-24 le réforme donc à trois titres. Il rénove le Conseil des affaires générales, qui assure dorénavant la cohérence des travaux des diverses formations ; il tente de limiter le nombre des formations du Conseil, qui seront créées par une décision européenne ; enfin, il prévoit que la présidence des différentes formations - hors conseil des affaires étrangères - reste régie par le principe de la rotation semestrielle, mais selon un système différent de l'actuel. En effet, des équipes de trois pays seront constituées, qui exerceront en commun la présidence pour dix-huit mois, même si, formellement, chacun de ces trois pays exercera à son tour la présidence pour six mois (sauf accord préalable entre les trois pays concernés qui pourront décider de confier à l'un d'eux pour dix-huit mois la présidence d'un conseil sectoriel).

· La réforme des règles de majorité au Conseil

La principale réforme concernant le Conseil des ministres réside dans la réforme des règles du système de majorité qualifiée. Le système issu du traité de Nice était en effet particulièrement compliqué et, surtout, il multipliait les risques de blocage. Dans la mesure où le nombre de décisions devant être prises à la majorité qualifiée augmentera sensiblement si la Constitution entre en vigueur, il était en effet indispensable d'adopter des règles de majorité plus simples et plus efficaces.

Cependant, cette question, compte tenu de son importance politique et symbolique, a bien failli faire échouer la conférence intergouvernementale sous la pression de l'Espagne et de la Pologne, qui considéraient que le système imaginé par la Convention réduisait leur influence par rapport à celui du traité de Nice.

La règle de double majorité, des États membres et des peuples, est posée en principe, avec toutefois des seuils relevés, par rapport à ceux proposés par la Convention, à 55 % des États membres représentant 65 % de la population (article I-25). Deux garde-fous ont été posés : une minorité de blocage doit être constituée d'au moins quatre États membres ; une minorité de membres du Conseil, égale à trois quarts d'une minorité de blocage (population ou États membres) peut demander que les discussions se poursuivent durant un délai raisonnable avant le passage au vote. Ces règles s'appliqueront à partir de novembre 2009.

La fixation de la règle de majorité qualifiée était donc d'autant plus décisive que son utilisation a vocation à être généralisée, en particulier dans le cadre de la procédure législative ordinaire (décalque de la codécision et elle-même étendue pour devenir procédure de droit commun), elle concernera ainsi 95 % des lois européennes. Elle s'appliquera à une vingtaine de nouvelles bases juridiques. De plus, une « clause passerelle » permet au Conseil, de sa propre initiative, de décider à l'unanimité d'autoriser deux types d'extensions :

-  l'adoption selon la procédure législative ordinaire de textes qui devaient faire l'objet d'une procédure spéciale ;

-  de statuer à la majorité qualifiée dans des domaines régis par l'unanimité.

· La création d'un ministre des affaires étrangères

Il s'agit là sans doute de l'une des principales innovations institutionnelles du traité constitutionnel. Le consensus a d'ailleurs été facile autour de cette création, qui figure à l'article I-28, et que facilite la réunion des trois piliers. Le ministre conduit la politique européenne et de sécurité commune (pesc) de l'Union, « contribue à l'élaboration de cette politique et l'exécute en tant que mandataire du Conseil. Il agit de même pour la politique de sécurité et de défense commune ». Le ministre des Affaires étrangères a la particularité de faire partie à la fois du conseil - il préside le conseil Affaires Étrangères - et de la Commission dont il est vice-président, chargé des relations extérieures. Cette création devrait ainsi mettre fin à une dyarchie peu satisfaisante en matière de politique étrangère de l'Union. Coexistent aujourd'hui un commissaire européen chargé des relations extérieures disposant d'un budget très confortable (plus de 5 milliards d'euros par an), mais sans aucune visibilité, ni d'ailleurs de mandat, pour incarner une politique extérieure de l'Union, et le Haut représentant pour la pesc, chargé de présenter la position de l'Union sur les grands problèmes internationaux, mais dépourvu de moyens humains et financiers.

· La réduction du format de la Commission

Nécessaire, la réduction du nombre des commissaires, dans une Europe à vingt-cinq et plus, a été très difficile, et ses modalités vigoureusement débattues.

La Convention, dans son projet de juin 2003, avait prévu quinze commissaires, dont le président et le ministre des affaires étrangères. Le traité du 29 octobre 2004 est proche de cet objectif ambitieux : il prévoit un nombre de commissaires égal aux deux tiers du nombre d'États membres, soit seize dans une Europe à vingt-cinq. Des concessions ont été nécessaires : à titre transitoire jusqu'en 2014, la Commission comprendra un ressortissant par État membre (art. I-26, § 5). De plus, le Conseil pourra décider de relever le nombre des commissaires.

Par ailleurs, l'article I-27 précise que le candidat à la fonction de président de la Commission, proposé à l'investiture du parlement européen par le Conseil, est choisi en « tenant compte des élections au Parlement européen ». Cette disposition, seulement implicite dans les traités actuels, pourrait avoir pour conséquence de donner une légitimité politique qui fait actuellement défaut au président de la Commission européenne.

b) Une clarification des procédures et des compétences

· La rationalisation des instruments juridiques

Il existe actuellement cinq types d'actes de base et une prolifération d'actes spécifiques, soit en tout une quinzaine d'actes.

Les articles I-32 et suivants du traité distinguent désormais six instruments. Les deux premiers sont nouvellement définis comme des actes législatifs : loi et loi-cadre, héritiers du règlement et de la directive, et applicables à l'ensemble du traité, y compris aux matières actuellement non communautarisées, comme la coopération judiciaire en matière pénale.

Les catégories d'actes non législatifs, au nombre de quatre, sont les règlements, les décisions, les recommandations et les avis. Ils interviennent lorsque l'exécution ne peut être assurée par les États membres. Les règlements, en particulier, deviennent des actes non législatifs de portée générale, destinés à mettre en œuvre soit des actes législatifs, soit certaines dispositions spécifiques de la Constitution. À noter que le pouvoir de recommandation, aujourd'hui dévolu à la Commission, est étendu au Conseil.

· Une répartition plus claire des compétences entre l'Union et les États membres

Le traité distingue, en son article I-11, trois catégories : compétences exclusives, compétences partagées et compétences d'appui. Il rappelle au préalable le principe d'attribution : l'Union agit dans les limites des compétences qui lui ont été dévolues dans la Constitution. Toute autre compétence appartient aux États membres.

L'article I-13, relatif aux compétences exclusives de l'Union, maintient l'énumération actuelle (union douanière, règles de concurrence nécessaires, politique monétaire dans la zone euro, conservation des ressources biologiques de la pêche, politique commerciale commune).

Dans le domaine des compétences partagées, les États légifèrent dans la mesure où l'Union n'a pas exercé sa compétence ou a cessé de l'exercer. Leur liste est légèrement allongée par l'article I-14 (espace de liberté de sécurité et de justice, recherche, etc.).

Enfin, l'article I-17 est relatif aux compétences d'appui, de coordination et de complément dans lesquels l'Union renforce l'action des États sans remplacer leur compétence. Leur liste comporte peu de changements.

Enfin, une clause de flexibilité permet, au Conseil, à l'unanimité, de combler une éventuelle lacune dans les compétences de l'Union, si une action est nécessaire pour réaliser l'un des objectifs de la Constitution. À l'évidence, cette disposition est potentiellement lourde d'effets dans l'avenir.

· La régulation des compétences : le principe de subsidiarité

En complément, le traité innove en créant un mécanisme de contrôle de l'application du principe de subsidiarité, impliquant pour la première fois directement les Parlements nationaux. Ceux-ci seraient en mesure d'alerter publiquement les institutions européennes, mais aussi leur propre gouvernement, sur toute proposition qui ne leur paraîtrait pas respecter le principe de subsidiarité. Ainsi, chaque parlement national pourra réexaminer les propositions de la Commission et pourra émettre un avis motivé s'il considère que le principe de subsidiarité n'a pas été respecté. Si un tiers des parlements partagent le même avis, la Commission devra revoir sa proposition. Ce seuil est d'au moins un quart lorsqu'il s'agit d'une proposition de la Commission ou d'une initiative émanant d'un groupe d'États membres dans le cadre de l'espace de liberté, de sécurité et de justice. À l'issue de ce réexamen, la Commission peut décider soit de retirer sa proposition, soit de la maintenir ou de la modifier. En tout état de cause, elle doit motiver son choix.

L'article IV-444 confère également aux parlements nationaux la possibilité d'introduire devant la Cour, par l'intermédiaire de leur État membre, un recours pour violation du principe de subsidiarité par un acte législatif européen.

Afin de garantir l'exercice de ces nouveaux pouvoirs et plus généralement de renforcer le contrôle des parlements nationaux, le protocole n° 1 annexé au traité prévoit des modalités plus rigoureuses de transmission des informations, à la charge des diverses institutions européennes (Commission, Conseil, Cour des comptes).

c) Le renforcement du rôle de l'Union européenne dans certains domaines

Les précédents traités de Maastricht, Amsterdam et Nice ont considérablement augmenté les compétences de l'Union, y compris dans des domaines régaliens, sans apporter de modifications sensibles à l'équilibre institutionnel imaginé en 1957. Par conséquent, la mission confiée à la Convention sur l'avenir de l'Europe était au contraire de se concentrer prioritairement sur la réforme des institutions, plutôt que de proposer de donner de nouvelles compétences à l'Union. Cependant, il est vite apparu que cette distinction était artificielle et qu'une réflexion sur l'avenir de l'Europe devait autant porter sur les institutions que sur les compétences de l'Union européenne.

Ainsi, l'entrée en vigueur du traité établissant une Constitution pour l'Europe aurait pour conséquence de renforcer significativement les compétences de l'Union européenne dans deux domaines très sensibles : les affaires étrangères et la défense.

Concernant la politique extérieure commune, la création du ministre des affaires étrangères de l'Union est tout d'abord un grand pas dans la voie d'une action diplomatique européenne plus visible et plus cohérente. En outre, ce ministre disposera d'un service européen pour l'action extérieure, composé de fonctionnaires du secrétariat général du conseil, de la Commission et de diplomates détachés par les services diplomatiques nationaux. Mais la Constitution ne remet pas en cause la distinction entre les matières actuellement « communautarisées » (aide au développement, coopération...) et celles qui relèvent de l'intergouvernemental (questions diplomatiques et de sécurité) et donc de l'unanimité : le passage à la majorité qualifiée est possible dans certains domaines, mais il devrait être décidé à l'unanimité et resterait en tout état de cause fortement encadré.

Les dispositions relatives à la politique européenne de sécurité et de défense (pesd) apportent des modifications significatives par rapport à la situation actuelle :

-  l'extension des compétences de l'Union en matière de défense à la prévention des conflits et au renforcement de la sécurité internationale (article I-40, §1), alors que la pesd est actuellement cantonnée à la « gestion des crises » ;

-  une référence à une « définition progressive d'une politique de défense collective de l'Union » (article I-40, §2) qui pourrait éventuellement conduire à une « défense commune ». Si ces dispositions ne remettent pas en cause l'architecture des organisations de sécurité en Europe, elles fixent, pour la première fois, que l'objectif final de la pesd est de parvenir, à terme, à une défense commune. L'article I-41, §7, introduit même une clause de défense mutuelle, même si le traité précise que l'Alliance atlantique reste le fondement de la défense collective des États qui en sont membres et respecte le caractère spécifique de la politique de défense des pays neutres  ;

-  le principe d'une « coopération structurée » (article I-40, §6) dans le cadre de l'Union entre États membres qui souhaiteraient mettre en œuvre une coopération plus étroite en matière de défense mutuelle ;

-  la création d'une Agence européenne de défense, en matière d'armement ;

-  une clause de solidarité (article I-43) : celle-ci est limitée à la lutte contre le terrorisme et à la protection civile, mais s'applique à tous les États, y compris les pays neutres.

2. Une Europe plus démocratique

La dénonciation du « déficit démocratique » de la construction européenne est un thème récurrent du débat sur les institutions. Il est vrai que la focalisation des négociations institutionnelles autour de l'influence respective des États membres dans le processus décisionnel n'a pas contribué à résoudre ce problème, même si les traités successifs ont considérablement augmenté les pouvoirs du Parlement européen.

Ainsi, l'un des apports principaux de la Constitution, préparée par une Convention largement composée de parlementaires nationaux naturellement préoccupés par la question du « déficit démocratique », a été de rendre l'Union européenne plus proche des citoyens.

a) La volonté d'affirmer la place des citoyens.

Associés aux travaux d'élaboration de la Constitution, les citoyens sont, avec les États, l'une des deux sources de la légitimité de l'Union. Les valeurs de l'Union proclamées à l'article I-2 sont pour une large part des valeurs de civisme ; ses objectifs figurant à l'article I-3 sont d'abord tournées vers eux : bien-être des peuples, espace de liberté, de sécurité et de justice, économie sociale de marché.

La Charte des droits fondamentaux est intégrée d'un bloc dans le traité. Elle comprend 54 articles, consacrant autant de droits, rattachés à six valeurs fondamentales : dignité, liberté, égalité, solidarité, citoyenneté, justice. Cette « constitutionnalisation » des droits fondamentaux est essentielle compte tenu de la place croissante du droit européen dans la vie quotidienne des citoyens : elle signifie que les citoyens de l'Union peuvent contrôler effectivement le respect d'un certain nombre de droits et de libertés par les institutions de l'Union, voire par les États quand ils mettent en œuvre le droit européen.

En outre, un titre de la partie I de la Constitution est spécifiquement consacré à la « vie démocratique de l'Union », même si son contenu est peu original. Il comporte néanmoins une innovation, un droit d'initiative citoyenne des lois, qui permet à un million de citoyens d'inviter la Commission à présenter une proposition.

b) L'affirmation du rôle du Parlement européen

Les pouvoirs du Parlement européen sont fortement étendus par la Constitution européenne, dans toutes les dimensions traditionnelles de l'activité parlementaire.

Le pouvoir législatif du Parlement européen est considérablement renforcé par la décision de faire de la « codécision » la procédure législative ordinaire de l'Union européenne : cela signifie concrètement une égalité de droit entre le Parlement et le Conseil pour l'adoption des lois européennes dans vingt-sept nouveaux domaines (dont le contrôle des personnes aux frontières, l'asile, l'immigration, Eurojust, Europol, la protection civile, la mise en œuvre de la politique commerciale, etc.). Par ailleurs, dans les domaines restant en dehors de la procédure législative ordinaire, le Parlement européen obtient un renforcement de ses pouvoirs, notamment vis-à-vis des accords internationaux conclus par l'Union européenne.

En matière budgétaire, la suppression de la notion de « dépenses obligatoires » donnera au Parlement européen un droit de décision égal à celui du Conseil des ministres pour l'ensemble du budget, alors qu'actuellement le Conseil décide en dernier ressort pour une partie importante des dépenses, par exemple les dépenses agricoles.

En ce qui concerne le contrôle politique, la principale innovation de la Constitution concerne l'obligation pour le Conseil de prendre en compte les résultats des élections au Parlement européen dans le choix du candidat à la présidence de la Commission. L'objectif visé est de politiser les élections européennes, et de donner une légitimité plus importante au Parlement européen aux yeux des citoyens.

c) L'information et l'association des parlements nationaux

Conformément au mandat de Laeken, le traité associe beaucoup plus étroitement les parlements nationaux à l'élaboration du droit européen. Leur rôle a été longuement débattu au cours des travaux de la Convention. Significativement, des trente-six protocoles annexés au traité, le premier est relatif au rôle des parlements nationaux dans l'Union européenne et le deuxième leur accorde des pouvoirs nouveaux et étendus en vue de veiller au principe de subsidiarité.

· Les parlements nationaux seront d'abord mieux informés. Les articles 1er et 2 du protocole n° 1 prévoient que « les documents de consultation de la Commission (livres verts, livres blancs et communications) (...), le programme législatif annuel ainsi que tout autre instrument de programmation législative », « les projets d'actes législatifs européens (...) » sont désormais transmis aux parlements nationaux directement, et non plus par l'intermédiaire des gouvernements.

Il importe de distinguer ces documents transmis - tous les documents européens - des documents soumis aux parlements, qui peuvent faire l'objet d'une résolution selon les modalités prévues par l'article 88-4 de la Constitution.

· Le traité va plus loin : il prévoit en certaines matières l'association des parlements nationaux. Dans le cadre de l'espace de liberté, de sécurité et de justice, ils participent aux mécanismes d'évaluation, sont associés au contrôle politique d'Europol et à l'évaluation des activités d'Eurojust. En matière de révision du traité, les projets leur sont notifiés, comme c'est le cas depuis le traité d'Amsterdam, et ils envoient des représentants à la Convention participant à la procédure de révision ordinaire.

Plus significatif encore est leur rôle dans la nouvelle procédure de révision simplifiée. Celle-ci, régie par l'article IV-444, permet au Conseil européen, après approbation de la majorité des membres du Parlement européen, de substituer pour certains domaines ou certaines décisions, à la règle d'unanimité une simple exigence de majorité qualifiée, ou à une procédure législative spéciale une procédure législative ordinaire. Ces « clauses passerelles » sont d'une grande portée. Si leur principe n'est pas nouveau, le traité élargit sensiblement leur champ d'application. En contrepartie, l'article 6 du protocole n° 1 prévoit l'information des parlements nationaux au moins six mois avant l'adoption d'une décision européenne. L'opposition d'un seul parlement national, notifiée dans les six mois après la transmission, suffit à faire échec à l'adoption de la décision européenne.

· Le traité ouvre enfin aux parlements nationaux de nouvelles compétences pour contrôler le respect par les institutions européennes du principe de subsidiarité.

Une première procédure est préventive : elle porte sur les projets d'actes législatifs, avant leur adoption. Le paragraphe 3 de l'article I-11 du traité prévoit que les parlements nationaux veillent au respect du principe de subsidiarité par les institutions de l'Union conformément au protocole n° 2. À cet effet, un parlement national ou, le cas échéant, chacune de ses chambres, pourra désormais, dans un délai de six semaines à compter de la date à laquelle lui est transmis un projet d'acte législatif européen, adresser aux présidents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission un avis motivé exposant les raisons pour lesquelles il estime que le projet n'est pas conforme aux principe de subsidiarité.

Le projet devra être réexaminé lorsque ces avis rassembleront un tiers des voix des parlements nationaux, ou un quart de ces voix dans le domaine de la coopération judiciaire en matière pénale ou dans celui de la coopération policière.

La seconde procédure s'applique aux actes déjà adoptés. L'article 8 du protocole n° 2 prévoit que la Cour de justice, compétente pour se prononcer sur les requêtes formées pour violation du principe de subsidiarité, pourra également examiner un recours transmis par un État membre « conformément à son ordre juridique au nom de son parlement national ou d'une chambre de celui-ci ».

L'une et l'autre de ces procédures, entièrement nouvelles, donneront au parlement de chaque État-membre le moyen d'éviter un dessaisissement progressif au profit des institutions de l'Union.

II. -  UNE RÉVISION NÉCESSAIRE

Comme pour les traités de Maastricht et d'Amsterdam en 1992 et 1997, le Président de la République a choisi de demander au Conseil constitutionnel si l'autorisation de ratifier ce traité devait être précédée d'une révision de la Constitution. Simple faculté aux termes de l'article 54 de la Constitution, cette saisine, adressée le jour même de la signature, le 29 octobre 2004, paraissait s'imposer. L'importance du traité ne laissait aucun doute sur la nécessité d'une confrontation entre la nouvelle « Constitution pour l'Europe » et la Constitution de la France. Un principe nouveau : la primauté, de nouvelles procédures, une déclaration des droits, le terme même de « constitution » : la saisine était attendue.

Elle paraissait d'ailleurs attendue de pied ferme par le Conseil lui-même, qui, par quatre décisions rendues en juin et juillet, avait marqué son attention pour la prise en compte du droit européen, et en particulier, du droit dérivé. De la décision du 10 juin 2004 n° 2004-496 DC sur l'économie numérique à la décision n° 2004-499 DC du 29 juillet, il a jugé que, sauf dispositions spéciales contraires figurant dans la Constitution, la primauté du droit communautaire s'imposait au droit français, sur le fondement de l'article 88-1 de la Constitution.

C'est également sans véritable surprise que, par sa décision n° 2004-505 DC du 19 octobre 2004, le Conseil constitutionnel a jugé que l'autorisation de ratifier le traité « exigeait » une révision préalable de la Constitution.

De façon pourtant quelque peu paradoxale, la décision du Conseil a tendu à banaliser les dispositions les plus novatrices du traité, en les ramenant à des problématiques classiques compatibles avec la Constitution. En revanche, si la révision est nécessaire, c'est en fonction de deux exigences guère originales : accepter une nouvelle étape dans les transferts de souveraineté, et donner une base constitutionnelle à trois nouvelles procédures parlementaires.

A. LES ASPECTS LES PLUS NEUFS DU TRAITÉ SONT COMPATIBLES AVEC LA CONSTITUTION

1. Le principe de primauté

La décision n° 2004-505 DC du 19 novembre 2004 est fortement étayée, tant par ses nombreux visas que par ses normes de référence, lesquelles font l'objet des huit premiers considérants. On relève néanmoins un souci d'accessibilité de la décision, pour ne pas dire de pédagogie : les visas ne sont pas exceptionnellement nombreux, et simplifiés dans leur présentation : « Vu les autres engagements souscrits par la France et relatifs aux Communautés européennes et à l'Union européenne ». Les normes applicables sont présentées assez brièvement et dans la pleine continuité des décisions relatives aux traités de Maastricht et d'Amsterdam. Elles combinent en particulier la souveraineté et l'acceptation des « limitations de souveraineté nécessaires à l'organisation et à la défense de la paix » figurant au quinzième alinéa du préambule de 1946. Outre les principes du droit international, est mobilisé l'article 88-1 de la Constitution, qui proclame la participation de la République aux Communautés européennes et à l'Union européenne. Les normes de référence couvrent ainsi un espace de deux siècles, de 1789 à 1992.

Le considérant 6 actualise le 13e considérant de la décision « Maastricht I » du 9 avril 1992, pour déclarer que l'ensemble des normes constitutionnelles applicables « permettent à la France de participer à la création et au développement d'une organisation européenne permanente, dotée de la personnalité juridique et investie de pouvoirs de décision par l'effet de transferts de compétences consentis par les États membres ». Pour autant, la logique communautaire ou européenne n'est pas une logique fédérale. Ce considérant de principe présente l'intérêt d'annoncer la distinction entre l'ordre international et l'ordre juridique européen.

Sur ces bases, le Conseil constitutionnel s'est d'abord employé à désamorcer les effets explosifs du principe de primauté, énoncé pour la première fois dans un traité européen.

Ayant pris acte de l'article I-6 du traité relatif à la primauté et de la jurisprudence très volontariste de la Cour de justice, le Conseil a constaté néanmoins que le traité soumis conserve le caractère d'un traité international. Il a tiré argument à la fois des nouvelles règles de retrait volontaire et du principe d'acceptation unanime des États signataires pour son entrée en vigueur et sa révision.

Puis il a déduit de l'article I-5, qui pose en principe le respect de l'égalité « des États membres devant la Constitution ainsi que de leur identité nationale, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles », que la Constitution européenne est sans incidence sur l'existence de la Constitution française et sa place au sommet de l'ordre juridique interne.

Or l'article 88-1 a consacré l'existence d'un ordre juridique communautaire intégré à l'ordre juridique interne et distinct de l'ordre international. En définitive, le principe de primauté, dont la portée n'est pas modifiée par le traité, ne fonde aucune nouvelle hiérarchie des normes. Il s'applique dans les limites des compétences de l'Union européenne ; la hiérarchie des normes en droit interne demeure, quant à elle, avec à son sommet la Constitution du 4 octobre 1958.

Dès lors, une révision de celle-ci tendant à intégrer le principe de primauté est inutile : celui-ci est déjà reconnu par l'article 88-1.

2. La Charte des droits fondamentaux

Lors de sa proclamation au sommet de Nice, le 7 décembre 2000, la Charte n'avait pas caractère normatif. Le traité l'ayant intégrée tel quel comme sa deuxième partie, il convenait pour le Conseil constitutionnel de s'assurer de sa compatibilité avec la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et les autres garanties des droits figurant dans notre bloc de constitutionnalité.

C'est par un raisonnement construit en plusieurs étapes que le Conseil constitutionnel a admis la compatibilité. Il a considéré que, comme le principe de primauté, la Charte devait être interprétée à la lumière du droit antérieur.

· Ses stipulations ne s'imposent aux États membres que dans la limite des compétences de l'Union.

· Lorsque la Charte reconnaît des droits résultant des traditions constitutionnelles communes aux États membres, l'article II-112 indique que « ces droits doivent être interprétés en harmonie avec lesdites traditions ». Pour le Conseil, sont ainsi admises la conception française du principe d'égalité et sa tradition de refus du communautarisme : « sont dès lors respectés les articles 1er à 3 de la Constitution qui s'opposent à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce soit ».

· Aux termes de son préambule, la Charte doit être interprétée en prenant en compte les explications établies sous l'autorité du praesidium qui l'a élaborée ; or celui-ci renvoie, pour certains droits, à la Convention européenne des droits de l'homme et à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. La prise en compte de la jurisprudence de la cedh est sans précédent dans le contrôle de constitutionnalité effectué par le Conseil constitutionnel. Comme le relève le professeur Anne Levade, ce raisonnement ouvre « la voie à un dialogue avec la Cour de justice de Luxembourg et la Cour européenne des droits de l'homme de Strasbourg »(6).

Dans le cas particulier, et particulièrement sensible, du principe de laïcité, le Conseil a relevé que la jurisprudence de la Cour, prenant acte de la valeur de ce principe, laissait aux États une large marge d'appréciation pour concilier liberté de culte et principe de laïcité.

· Le dernier point du raisonnement du Conseil s'appuie sur la clause générale de limitation qui ouvre l'article II-112 : les limitations sont possibles à condition de respecter la proportionnalité, d'être nécessaires, de répondre au besoin de protection et de liberté d'autrui, ainsi qu'à des objectifs d'intérêt général reconnus par l'Union. Au nombre de ces objectifs figurent les « fonctions essentielles de l'État, notamment celles qui ont pour objet d'assurer son intégrité territoriale, de maintenir l'ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale » (article I-5).

C'est au bénéfice de ces considérations, qui réduisent sensiblement la portée des droits reconnus dans la Charte, que le Conseil a pu estimer que ni le contenu de ses articles, ni ses effets sur les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté ne justifiaient de révision de la Constitution. Il avait conscience de pousser loin le raisonnement, comme en atteste le commentaire de la décision aux Cahiers du Conseil constitutionnel : « Il est cependant clair que toute interprétation jurisprudentielle future des Cours de Luxembourg ou de Strasbourg allant au-delà des dispositions de la Charte ou restreignant la portée de ses clauses de limitation particulières ou générales conduirait à altérer les données au vu desquelles s'est prononcé le Conseil constitutionnel pour arriver à la conclusion que la deuxième partie du traité n'appelait pas de révision. ». Si la haute juridiction a donc écarté une attitude de prudence frileuse à l'encontre des nouveautés apportées par le traité, elle devrait donc à l'avenir demeurer vigilante, et tenir compte des résultats du « dialogue des juges » dans l'exercice de son contrôle de constitutionnalité des lois.

B. LA NÉCESSITÉ D'UNE RÉVISION ÉTAIT PRÉVISIBLE

Ayant ainsi levé les obstacles constitutionnels les plus novateurs et les plus redoutables en apparence, le Conseil constate finalement la nécessité d'une révision de la Constitution sur des terrains plus classiques.

1. L'effet de la réforme des compétences sur les conditions d'exercice de la souveraineté nationale

En l'espèce, la décision se traduit simplement par un pas supplémentaire, après ceux franchis du fait des traités de Maastricht en 1992 et d'Amsterdam en 1997.

Les principaux transferts de souveraineté consentis jusqu'à présent figurent à l'article 88-2 et concernent l'Union économique et monétaire, la libre circulation des personnes et le mandat d'arrêt européen. Le Conseil choisit du reste de se prononcer seulement sur les avancées par rapport aux stipulations des traités existants, qui avaient pour leur part été soumises au contrôle dans les décisions n° 92-308 DC et 92-312 DC des 9 avril et 2 septembre 1992, puis n° 97-394 DC du 31 décembre 1997.

Pour rendre sa décision plus facile à lire, il a retenu une présentation inhabituelle, dans un domaine - la conformité des traités à la Constitution - où son contrôle est pourtant exhaustif. Au long des considérants 23 à 36 relatifs aux politiques et au fonctionnement de l'Union, il énonce plusieurs séries de stipulations du traité appelant une révision constitutionnelle. Pour chacune d'elles, plutôt que de donner la liste complète des dispositions incompatibles, il n'énonce que quelques exemples, annoncés par les mots « notamment » ou « en particulier », peu usités dans un tel contexte.

Cette présentation à visée « pédagogique » emporte une conséquence précise. Faute de disposer de l'énumération - qui serait interminable et dans certains cas sujette à interprétation - des stipulations du traité contraires à la Constitution française, le constituant ne peut que procéder par une formule globale de reconnaissance de conformité constitutionnelle. Cette présentation est la seule à éviter les lacunes et à préserver la concision du texte constitutionnel.

Quatre séries de stipulations du traité appellent une révision. Leur typologie n'avait jamais été aussi clairement présentée. Les premières sont « les transferts de compétence intervenant dans des matières nouvelles ». Les considérants 27 et 28 citent par exemple le contrôle aux frontières, ou la coopération judiciaire en matière civile ou pénale.

La deuxième catégorie est celle des modalités nouvelles et immédiatement applicables, d'exercice de compétences déjà transférées. Sont en cause à ce titre les diverses règles de changement des règles de décision applicables, s'agissant de compétences énumérées aux considérants 30 à 32, touchant notamment l'organisation et le rôle d'Eurojust et d'Europol ou la coopération policière.

Plus originale est la catégorie des « clauses passerelles » permettant ultérieurement un assouplissement des règles de majorité dans des matières régaliennes. Le considérant 34 cite en particulier divers types de décision en matière de droit de la famille, de procédure pénale ou de politique étrangère et de sécurité commune.

La quatrième catégorie de stipulations, évoquée au considérant 35, est celle de la « clause passerelle » générale qui institue une procédure de révision simplifiée du traité prévue à l'article IV-444. À la différence des autres procédures de révision, ordinaire ou simplifiée, celle-ci n'étant soumise à aucune ratification, elle ne peut faire l'objet d'aucun contrôle de constitutionnalité préalable.

2. Le renforcement des droits des parlements nationaux

Le Conseil constitutionnel consacre cinq considérants à évoquer les nouvelles prérogatives confiées aux parlements nationaux. Un mot suffira ici avant d'y revenir plus avant. L'une des trois procédures en cause s'inscrit dans le cadre de la procédure précitée de révision simplifiée, à laquelle le parlement de chaque État membre peut s'opposer.

Les deux autres procédures nouvelles permettent aux assemblées de protéger leur domaine de compétence en veillant au respect du principe de subsidiarité. À un contrôle préventif des projets d'actes législatifs, sous forme d'avis motivé donné par l'une ou l'autre assemblée, répond un contrôle contentieux des actes venant d'être adoptés, par un recours formé devant la Cour de justice.

La nécessité d'une révision tient à deux raisons, l'une de principe, l'autre pratique. Au titre des principes, le Parlement dispose sous la Ve République d'une compétence d'attribution, si bien qu'il ne peut exercer des prérogatives que si la Constitution les lui a expressément conférées. En pratique, la révision s'impose aussi par la nécessité d'organiser l'exercice des compétences nouvelles. Cette organisation peut être, pour les mesures de détail, renvoyée au règlement de chaque assemblée, à condition que le fondement constitutionnel en soit clairement établi.

III. -  UNE CONSTITUTION ADAPTÉE

Le présent projet de loi constitutionnelle a principalement pour objet de lever les obstacles constitutionnels à la ratification tels qu'ils viennent d'être présentés, tout en tenant compte du caractère hypothétique de l'entrée en vigueur du traité.

Son deuxième objet est de soumettre au référendum les futurs élargissements, afin de concrétiser l'engagement du Président de la République.

De façon corollaire, la révision est l'occasion d'actualiser le texte du titre XV de la Constitution, afin de tirer les conséquences des modifications - tant terminologiques qu'institutionnelles - opérées par le traité. C'est ainsi par exemple que les références aux Communautés européennes seront supprimées. La réécriture globale du titre XV s'imposait, non seulement pour des raisons de lisibilité, mais aussi afin de procéder à ce qui est plus qu'un simple « toilettage ».

A. UN CALENDRIER D'APPLICATION EN DEUX TEMPS

La présente opération de révision comporte une particularité, qui tient à son calendrier d'application. Les péripéties rencontrées dans le passé lors de la ratification de traités européens par certains États membres ont montré que les vingt-cinq ratifications préalables à l'entrée en vigueur du traité ne peuvent être considérées comme acquises à l'avance.

Or il est très préférable d'éviter d'inscrire dans la Constitution des dispositions hypothétiques. En l'espèce, elles seraient fort nombreuses en raison des différentes inconstitutionnalités identifiées par le Conseil constitutionnel. La technique retenue a donc consisté à élaborer deux dispositifs successifs, l'un transitoire et d'application immédiate, l'autre pérenne et applicable à compter de l'entrée en vigueur du traité.

1. Un volet transitoire

Le premier volet est destiné à une application immédiate. Préalable à l'ouverture du processus de ratification par la France, l'article premier se borne à énoncer la dérogation générale aux dispositions de notre Constitution qui pourraient être contraires à des stipulations du traité. Cet article rend possible l'adoption de la loi ordinaire autorisant la ratification du traité par le Président de la République. Comme celui-ci s'y est engagé, ladite loi pourrait être soumise au peuple souverain d'ici cet été.

Seront également d'application immédiate les dispositions de l'article 2, relatives à un autre type de référendum : celui auquel sera obligatoirement soumis chaque nouvel élargissement. Un article 88-5 nouveau est inséré à cet effet en fin de titre XV.

2. Un volet permanent

Les mesures précitées seront nécessaires et suffisantes tant que le traité ne sera pas entré en vigueur. Mais à compter de son entrée en vigueur, un dispositif pérenne devra être mis en place, pour tirer toutes les conséquences du traité, notamment en prévoyant les nouvelles procédures parlementaires. À cette fin, l'article 3, cœur du projet, procède à l'ensemble des modifications exigées par le Conseil constitutionnel, aux actualisations du texte et à la pérennisation du référendum sur les élargissements futurs. Ce dispositif permanent se substituera au volet transitoire des articles 1er et 2.

B. LE CONSENTEMENT AUX TRANSFERTS DE SOUVERAINETÉ PRÉVUS PAR LE TRAITÉ

Le traité établissant une Constitution pour l'Europe affecte à maintes reprises les conditions essentielles de l'exercice de leur souveraineté nationale par les États membres.

Pour une part, il se borne à reprendre des stipulations des traités de Maastricht et d'Amsterdam, pour lesquelles le consentement de la France figure aux deux premiers alinéas de l'article 88-2. Mais, au fil de ses 448 articles et 36 protocoles, sans parler des 48 déclarations et de l'acte final, le traité a prévu de nouveaux transferts de souveraineté ou de nouvelles conditions d'exercice des précédents transferts : passage éventuel à la majorité qualifiée ou procédure de révision simplifiée.

Le Conseil constitutionnel n'a pas cru devoir - ou pouvoir - procéder à un inventaire complet des lignes ainsi déplacées. L'exercice était délicat et aurait conduit à une liste extrêmement complexe et peu lisible. En se bornant à citer des exemples caractéristiques, il invitait implicitement mais nécessairement le pouvoir constituant à procéder, comme pour les précédents traités, à une « validation » constitutionnelle globale des stipulations du traité.

L'article 1er, applicable aussi longtemps que le traité ne sera pas entré en vigueur, autorise a priori les transferts éventuels de souveraineté résultant du traité.

L'article 3 (article 88-1 de la Constitution), quant à lui, prend acte de ces transferts, le traité étant par hypothèse devenu applicable. En assurant globalement la conformité constitutionnelle des divers transferts de souveraineté opérés par le traité, ces dispositions assurent une sécurité juridique complète que n'aurait pu atteindre une liste des mesures de transfert, à la fois complexe et ouverte, compte tenu des compléments possibles selon sa procédure de révision simplifiée.

C. LA MISE EN œUVRE DES NOUVELLES PRÉROGATIVES DU PARLEMENT

1. les procédures existantes demeurent : l'article 88-4

Le projet de loi constitutionnelle ne modifie qu'à la marge l'article 88-4 de la Constitution afin de prendre en compte les modifications rédactionnelles induites par le traité. Cet article permet à l'Assemblée nationale et au Sénat de voter des résolutions sur un certain nombre de documents européens soumis par le Gouvernement de façon obligatoire, lorsqu'ils ont une portée normative et sont du domaine de la loi, ou facultative, lorsqu'ils ne sont pas du domaine de la loi ou n'ont pas de portée normative, tels les documents de consultation de la Commission par exemple (livres blancs, livres verts, communications...).

Cette distinction entre soumission obligatoire et soumission facultative se justifie pleinement. Il est en effet normal que le Parlement puisse donner son avis dans tous les cas lorsqu'un projet ou proposition d'acte relève du domaine de la loi en France, puisque dans cette hypothèse l'adoption d'une norme européenne a pour conséquence de dessaisir le Parlement français de sa compétence législative. L'adoption par l'Assemblée ou le Sénat d'une résolution ne remet alors nullement en cause l'équilibre des institutions puisqu'elle intervient dans le domaine d'intervention du Parlement prévu par la Constitution.

En revanche, prévoir une soumission obligatoire des autres documents européens reviendrait à permettre au Parlement de voter des résolutions quand il le désire dans des domaines qui ne relèvent pas de sa compétence, alors même que l'interdiction de voter des résolutions est l'un des fondements de la Ve République. Le Constituant a en effet voulu mettre en place une stricte séparation des pouvoirs et empêcher le Parlement d'entraver l'action du Gouvernement en votant des résolutions dont le but serait d'orienter l'action gouvernementale dans des domaines ne relevant pas de la compétence du Parlement. Tel n'est pas le cas dans le dispositif actuel de l'article 88-4, sauf lorsque le Gouvernement y consent lui-même.

De plus, l'extension du pouvoir de résolution du Parlement à l'ensemble des documents européens aurait notamment pour conséquence directe de permettre à l'Assemblée nationale ou au Sénat de se voir soumettre obligatoirement des documents qui concernent la conduite par le Président de la République de négociations internationales, pouvoir qui lui est conféré par l'article 52 de la Constitution. Même si les affaires européennes ne doivent plus être considérées comme des affaires étrangères stricto sensu, dans la mesure où la construction européenne a mis en place un ordre juridique propre, l'Union européenne reste une organisation interétatique, au sein duquel se négocient encore des accords purement diplomatiques, par exemple les traités d'adhésion ou les traités modifiant les institutions. L'extension du champ d'application de l'article 88-4 permettrait au Parlement d'intervenir dans le cours d'une négociation purement diplomatique. Elle empiéterait ainsi sur la claire répartition que la Constitution opère en cette matière entre le Président de la République, qui négocie et ratifie les traités (article 52), et le législateur qui en autorise la ratification (article 53). Elle réduirait la marge de manœuvre du Président de la République dans l'exercice de son pouvoir de négociation, en risquant de l'entraver.

2. Trois nouvelles procédures parlementaires

Les considérants 37 à 41 de la décision rendue le 19 novembre 2004 par le Conseil constitutionnel font obligation au constituant de permettre l'exercice de trois nouvelles prérogatives du Parlement français. L'une se rapporte à la procédure de révision simplifiée du traité, longuement évoquée dans la décision pour ses implications en matière de souveraineté. Elle fait l'objet de l'article 88-6 [nouveau] de la Constitution. Les deux autres permettent aux assemblées de veiller au respect du principe de subsidiarité. L'article 88-5 [nouveau] en fixe les modalités, dans des termes qui mériteraient d'être précisés.

a) L'article 88-5 : le contrôle de la subsidiarité

Défini au 3. de l'article I-11 du traité, le principe de subsidiarité fait désormais l'objet de procédures de contrôle à la disposition des parlements nationaux, en vertu du protocole n° 2 annexé au traité, doté de la même valeur juridique que ses articles.

Le premier alinéa de l'article 88-5 [nouveau] organise le volet préventif de la procédure, par lequel l'une ou l'autre assemblée peut émettre un avis motivé sur un projet d'acte législatif européen. Cet avis motivé, dont le Gouvernement français est tenu informé, est adressé aux présidents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission. Les modalités d'application de la procédure sont renvoyées au règlement de chaque assemblée.

Le second alinéa assure la base constitutionnelle de la procédure applicable aux actes législatifs européens déjà adoptés. Chaque assemblée, si elle estime un tel acte contraire à la subsidiarité, peut former à son encontre un recours, transmis par le Gouvernement à la Cour de justice.

Quoique proches des articles 6 et 8 du protocole n° 2, ces dispositions comportent certaines imperfections qui doivent être corrigées.

En particulier, le renvoi au règlement de chaque assemblée, dans le deuxième alinéa, est assorti de la mention « dans les mêmes conditions », qui est ambiguë, car on ne sait si cette expression se borne à renvoyer au règlement ou suppose que les modalités des deux procédures devront être identiques, ce qui n'est pas souhaitable. Les analogies entre les deux procédures seront en effet nécessairement limitées, ne serait-ce qu'en raison de l'urgence qui s'attache à l'avis motivé, soumis à un délai de six semaines. Pour cette raison de délai, la procédure d'avis motivé devra pouvoir être mise en œuvre hors session. Comme une convocation du Parlement en session extraordinaire ne serait ni souhaitable, ni réaliste, le terme « voter » est inadéquat : les avis motivés doivent pouvoir être adoptés par des organes des assemblées, sans examen obligatoire en séance publique.

Une deuxième raison conduit à envisager avec la plus grande prudence l'examen en séance publique. Tant l'avis motivé que le recours sont susceptibles de porter chaque année sur des centaines d'actes et leur examen est de nature à saturer un ordre du jour déjà chargé. Des restrictions concernant tant l'initiative des résolutions que leurs conditions de discussion et d'adoption paraissent indispensables. Il importe dès lors de leur assurer une base constitutionnelle.

Il est donc proposé d'amender l'article 88-5 pour en améliorer la clarté et la sécurité juridique. Après les règles de fond figurant aux deux premiers alinéas, un troisième alinéa procéderait au renvoi au règlement de chaque assemblée pour déterminer les conditions d'initiative et de discussion qui pourront être différentes pour l'avis motivé et le recours.

Afin d'ouvrir sans ambiguïté la possibilité de procédures ne faisant pas appel à la séance publique, les résolutions seraient dites « adoptées » et non « votées », la phrase étant conjuguée à la forme passive comme dans le texte de l'actuel article 88-4.

b) L'article 88-6 : l'opposition à une révision simplifiée du traité

La troisième procédure est celle qui permet au Parlement de s'opposer à une révision simplifiée du traité.

Son fondement figure à l'article IV-444 du traité, qui, à la différence du protocole n° 2, se réfère aux parlements nationaux, non aux chambres qui les composent. En effet, comme le met en évidence la décision précitée du Conseil constitutionnel, cette procédure met en cause « les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale ». Elle permet, pour des matières inhérentes à cet exercice, de soumettre les décisions à la majorité qualifiée au lieu de la règle d'unanimité. Or, à la différence des révisions ordinaires, ces modifications des conditions d'exercice de la souveraineté ne sont soumises ni à ratification, ni à un contrôle préalable de constitutionnalité.

Il est donc pleinement justifié que le pouvoir de s'opposer à de telles révisions soit dévolu au Parlement, et non à l'une ou l'autre des chambres qui le composent. Par ailleurs, s'agissant d'une procédure emportant des conséquences sur notre ordre constitutionnel, il était logique de prévoir l'adoption d'une motion « en termes identiques » par l'Assemblée nationale et le Sénat. Cette expression, naturellement, n'implique aucune forme de navette parlementaire - procédure propre au vote des lois -, puisque la motion d'opposition, comme la motion de censure devant l'Assemblée nationale ou la motion référendaire, ne serait pas amendable et ne ferait l'objet que d'un vote d'adoption ou de rejet.

D. L'OBLIGATION DE SOUMETTRE AU RÉFÉRENDUM LES ÉLARGISSEMENTS FUTURS DE L'UNION EUROPÉENNE

Le projet de loi constitutionnelle contient enfin un volet qui n'est pas lié aux obstacles constitutionnels à la ratification du traité établissant une Constitution pour l'Europe : il s'agit de l'introduction dans notre Constitution d'une obligation de soumettre au référendum l'autorisation de ratification des futurs traités d'adhésion à l'Union européenne.

Il est ainsi inséré un nouvel article 88-5 dans la Constitution, qui deviendra l'article 88-7 lorsque le traité établissant une Constitution entrera en vigueur. Cela signifie donc que cette obligation de recourir, en France, au référendum pour les futurs élargissements de l'Union s'appliquera dans tous les cas, que le traité entre en vigueur ou non. Ainsi, l'engagement pris en ce sens par le Président de la République le 1er octobre 2004 sera respecté.

L'article 4 du projet de loi prévoit par ailleurs les conditions d'application dans le temps de cette obligation. En effet, dans la mesure où cette obligation de soumettre l'autorisation de ratification d'un traité d'adhésion est nouvelle, et inédite dans l'Union européenne, son entrée en vigueur immédiate pourrait avoir pour conséquence de troubler les processus d'adhésion en cours. Il a ainsi été décidé que cette obligation ne s'appliquerait pas aux États pour lesquels la décision d'ouvrir les négociations d'adhésion avait été prise avant le 1er juillet 2004, soit la Bulgarie et la Roumanie - dont le processus d'adhésion est presque achevé et devrait aboutir sur la signature d'un traité au cours de l'année 2005 - et la Croatie, puisque la décision d'ouvrir les négociations d'adhésion avec ce pays a été prise par le Conseil européen des 17 et 18 juin 2004.

En revanche, la Turquie n'a été invitée à ouvrir des négociations d'adhésion que le 17 décembre 2004. Dès lors, si, d'ici dix à quinze ans, celles-ci aboutissent à la signature d'un traité d'adhésion, les Français ont la certitude qu'ils seront consultés par référendum sur cet élargissement. Cela permettra ainsi de dissocier le débat, légitime, sur la candidature de la Turquie et le référendum qui doit être organisé au printemps prochain sur le traité établissant une Constitution pour l'Europe. Plus généralement, alors que l'Union européenne comprendra bientôt 27 États, elle a désormais atteint une taille critique, et tout nouvel élargissement doit désormais faire l'objet d'un débat populaire approfondi sur son opportunité, qu'il s'agisse donc de la candidature de la Turquie, mais aussi plus tard d'éventuelles candidatures de certains pays des Balkans, de l'Ukraine, de la Norvège, voire de la Suisse.

La Commission a procédé, le 13 janvier 2004, à l'audition de M. Dominique Perben, garde des Sceaux, ministre de la Justice, sur le projet de loi constitutionnelle modifiant le titre XV de la Constitution (n° 2022).

Accueillant M. Dominique Perben, le président Pascal Clément a souligné que le début de l'année 2005 serait marqué par le débat sur le projet de loi constitutionnelle modifiant le titre XV de la Constitution. Saisi par le Président de la République, le Conseil constitutionnel a en effet jugé, le 19 novembre, que l'autorisation de ratifier le traité signé à Rome le 29 octobre 2004 supposait la modification préalable de la Constitution. Ce n'est pas tant l'intitulé du traité qui rend la révision nécessaire, car s'il est qualifié de « constitutionnel », le choix de ce terme n'emporte pas de conséquence juridique spécifique ; c'est le fait qu'il organise de nouveaux transferts de compétences et étende de façon importante les matières régies par le principe de la majorité qualifiée, y compris dans des domaines régaliens tels que la diplomatie ou la justice, dont le Conseil a estimé qu'ils affectent les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.

Plutôt que d'énumérer les domaines dans lesquels les transferts sont autorisés, le projet de loi constitutionnelle innove en créant une clause générale d'« immunité constitutionnelle » des stipulations du traité ; il serait intéressant d'entendre le garde des Sceaux confirmer que cette clause ne vaut pas pour l'avenir et qu'elle ne saurait couvrir d'éventuelles modifications du traité qui seraient contraires à la Constitution.

Le traité créant, par ailleurs, de nouveaux mécanismes de contrôle par les parlements nationaux, la Constitution doit en prévoir les modalités et tel est l'un des objets essentiels du projet de révision.

Enfin, la révision de la Constitution donne une base juridique à l'engagement du Président de la République d'organiser un référendum préalablement à tout nouvel élargissement de l'Union européenne, et il conviendrait de préciser le champ d'application de cette disposition.

M. Dominique Perben, garde des Sceaux, ministre de la Justice, a rappelé que, le jour même de la signature, à Rome, du traité établissant une Constitution pour l'Europe, le Président de la République a saisi le Conseil constitutionnel de la question de sa conformité à la Constitution du 4 octobre 1958. C'est en se fondant sur la décision rendue par le Conseil le 19 novembre 2004 que le Gouvernement a élaboré le projet de révision.

Ce projet comporte trois volets. Le premier permet l'organisation du référendum annoncé par le Président de la République sur la ratification du traité ; le deuxième concrétise l'engagement pris par le chef de l'État de soumettre au référendum les futurs traités d'adhésion de nouveaux États à l'Union européenne ; le troisième, le plus substantiel, et qui n'entrera en vigueur qu'après la ratification du traité, réécrit intégralement le titre XV de la Constitution de façon à tirer les conséquences de la ratification.

Les articles 88-1 et 88-2 sont profondément remaniés, de manière que l'article 88-1 garantisse la constitutionnalité de tous les transferts de compétence prévus par le traité établissant une Constitution pour l'Europe ; sont ainsi levés, pour ce traité uniquement, les obstacles à la ratification relevés dans la décision du Conseil constitutionnel. Cette modification entraîne l'abrogation des deux premiers alinéas de l'article 88-2. Ledit article ne comportera donc plus que son ultime alinéa actuel, relatif au mandat d'arrêt européen, qui demeure nécessaire pour couvrir d'éventuelles inconstitutionnalités d'actes de droit dérivé à venir ; c'est une autre manière d'établir que la nouvelle rédaction de l'article 88-1 lève uniquement les obstacles liés à la ratification du traité lui-même.

Les articles 88-3 et 88-4 font l'objet de modifications formelles mineures. Il s'agit, pour le premier, d'améliorer le dispositif relatif à l'autorisation de droit de vote aux élections locales pour les ressortissants des États membres de l'Union européenne et, pour le second, de dissiper le risque de confusion lié à l'expression « de nature législative » ; le champ d'application de l'article 88-4 sera désormais défini par renvoi au « domaine de la loi ».

Aucune des stipulations du traité n'implique une modification du champ d'application du deuxième alinéa de l'actuel article 88-4, qui permet aux assemblées de voter des résolutions sur les projets ou propositions d'actes comprenant des dispositions relevant du domaine de la loi. Mais l'extension de cette faculté au vote de résolutions sur des actes des institutions européennes sans rapport avec le domaine de la loi méconnaîtrait la répartition des compétences entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif telle qu'elle résulte des articles 34 et 37 de la Constitution, et donnerait, contrairement aux traditions constitutionnelles de la France, des compétences au Parlement dans la conduite des relations internationales.

Les nouveaux articles 88-5 et 88-6 renforcent les pouvoirs du Parlement en inscrivant dans la Constitution même les nouvelles prérogatives qui lui sont reconnues par le traité et qui lui permettent de veiller, par l'adoption d'avis motivés ou la saisine de la Cour européenne de justice, au respect du principe de subsidiarité. De plus, le Parlement pourra, par l'adoption d'une motion votée en termes identiques par les deux Assemblées, exercer un droit de veto dans le cadre de la procédure de révision simplifiée instituée par le traité.

Ce très intéressant dispositif répond au souci constant et ancien d'éviter que les compétences nationales soient « grignotées » par la mécanique bruxelloise puisque, pour la première fois, un moyen politique est donné au Parlement de défendre le principe de subsidiarité. Il faudra expliquer aux Français le grand avantage politique d'un texte qui préserve les prérogatives de l'État et qui, par ailleurs, règle la question turque en instituant l'obligation constitutionnelle de soumettre à référendum toute nouvelle adhésion à l'Union européenne, selon les dispositions du nouvel article 88-7 qui résultent de l'article 2 du projet.

M. Alain Marsaud a demandé si la France serait, parmi les États membres de l'Union européenne, le seul à procéder à une révision constitutionnelle tendant notamment à défendre le principe de subsidiarité, préalablement à la ratification du traité.

M. Jacques Floch a observé que, si la révision constitutionnelle envisagée est la dix-huitième, et la cinquième relative aux affaires européennes, son importance justifie que l'on étudie avec un soin particulier les considérants du Conseil constitutionnel. S'agissant de l'intitulé de l'acte signé à Rome, le choix du terme « Constitution » traduit la volonté de la Conférence intergouvernementale de souligner l'importance du texte pour la construction européenne. Mais la France doit le considérer comme un traité international, car il ne s'agit de rien d'autre, ainsi que le Conseil constitutionnel l'a fort bien rappelé.

Les députés socialistes, membres d'un parti qui avait instamment demandé au chef de l'État de soumettre au référendum la ratification du traité, voteront le projet de révision constitutionnelle. Pour autant, ils ne sont pas favorables à son article 2, qui n'a pas sa place dans un texte de principe et n'y est introduit que parce que le Président de la République veut, par opportunisme, rassurer la partie de l'opinion publique qui lui est favorable quant à l'entrée éventuelle de la Turquie dans l'Union européenne - ainsi que l'a d'ailleurs reconnu le garde des Sceaux lui-même. C'est une fâcheuse confusion des genres, et le groupe socialiste votera contre cet article qui, de surcroît, prive à la fois le Président de la République de son droit d'organiser un référendum quand il le souhaite et le Parlement de son droit de débattre de ces questions.

S'agissant du rééquilibrage des pouvoirs, une réforme d'une tout autre ampleur serait nécessaire. Certes, la commission des lois sera appelée à débattre de l'amendement déposé par le président de la commission des affaires étrangères, et qui tend à renforcer les droits du Parlement en ces matières, mais cela ne suffira pas à rééquilibrer les relations entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, ne serait-ce que parce que n'est pas remis en cause le principe constitutionnel selon lequel l'ordre du jour prioritaire des assemblées est fixé par le Gouvernement. Nul ne doit donc se leurrer sur la portée réelle du projet, et ceux qui affirment qu'avec ce texte le Parlement obtient de nouveaux droits se trompent.

M. Daniel Garrigue s'est dit certain que chacun mesure l'importance du traité et, partant, du projet de révision constitutionnelle. Raison de plus, selon lui, pour saisir cette occasion de renforcer la participation du Parlement français au traitement des questions européennes. Les travaux des délégations pour l'Union européenne des deux Assemblées ont un caractère de plus en plus confidentiel, et il est très rare que les résolutions votées par elles en application de l'article 88-4 de la Constitution soient examinées en séance publique. Il résulte de cette situation un « déficit d'Europe » au sein du Parlement français. Le moment est donc venu de créer, au sein de chaque Assemblée, une commission permanente des affaires européennes ; un amendement a été déposé à cette fin. Non seulement l'application des articles 88-4, 88-5 et 88-6 en serait rendue plus efficace et plus rapide, mais encore on mettrait fin à l'anomalie qui veut que les textes d'origine européenne sont certes examinés en amont par la Délégation, mais qu'ils ne le sont pas au moment de la transposition. La création de commissions de plein exercice garantirait la continuité qui manque actuellement et placerait enfin les enjeux européens au cœur du débat parlementaire, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, comme l'a encore montré l'examen de la dernière loi de finances.

M. Xavier de Roux, après avoir salué le projet de loi, et en particulier son article 2, a estimé que la révision du titre XV de la Constitution était rendue nécessaire par un traité prévoyant de vastes transferts de compétences, étant précisé que l'articulation des articles 88-1, 88-4 et 88-5 est un exercice difficile. Déjà la moitié du droit français, parce qu'elle est d'origine européenne, échappe au Parlement ; c'est à cela que les signataires du traité ont souhaité remédier en faisant bénéficier de procédures de contrôle le principe de subsidiarité, dont la Cour européenne de justice sera appelée à préciser la définition.

Mais le contrôle du Parlement sur l'élaboration du droit européen est chose délicate. Il disposera certes de l'instrument - la résolution - mais comme le traité ne connaît pas la distinction française entre le domaine de la loi et le domaine du règlement, le champ d'application du dispositif sera extrêmement large. C'est parce qu'il lui paraît souhaitable qu'une commission spécialisée permette au Parlement français de suivre l'élaboration des normes communes, élaboration qui, sinon, lui échapperait très largement, qu'il a cosigné l'amendement déposé par M. Daniel Garrigue.

M. Arnaud Montebourg a relevé que le texte comporte des éléments qui, pour les amoureux de la construction européenne, sont aussi intéressants que significatifs. Ainsi le contrôle de la subsidiarité, qui s'inscrit dans le renforcement des droits du Parlement, conduira, par saisines successives de la Cour européenne de justice, à éclairer une notion encore obscure et à permettre l'avènement progressif du fédéralisme efficace dont l'Europe-puissance a besoin. Le renforcement du contrôle parlementaire est la contrepartie des excès de l'« intergouvernementalisme » européen : si le Parlement européen n'a pas le moyen d'équilibrer les pouvoirs et l'exercice du droit de veto des gouvernements, il faut bien que les représentants des nations aient celui d'exprimer le désaccord des populations.

On comprend mal, dès lors, la réaction du garde des Sceaux à l'amendement déposé par le président Édouard Balladur, qui ne fait que reprendre des amendements analogues, déposés au fil du temps par MM. Henri Nallet, Hubert Haenel, Michel Barnier et Robert Pandraud, ainsi que par Mme Nicole Ameline. Ces amendements posaient tous la question du contrôle parlementaire sur l'ensemble des actes gouvernementaux pris en matière européenne. Or le ministre a déclaré que l'adoption d'une telle disposition conférerait au Parlement des compétences excessives dans la conduite des affaires européennes. On peut estimer superflu le contrôle parlementaire pour ce qui relève du domaine de la loi, puisqu'il y aura obligatoirement transposition, mais qu'en est-il des actes d'ordre réglementaire ? Faut-il rappeler que la Constitution ne distingue pas la loi du règlement pour ce qui est du contrôle parlementaire ? Et faut-il rappeler que les trois quarts des questions orales et l'ensemble des questions écrites posées par les parlementaires portent sur des actes d'ordre réglementaire ?

M. Dominique Perben a observé que tel était précisément le sens de son exposé, dont il aurait souhaité qu'il ne fût pas dénaturé.

M. Arnaud Montebourg a rappelé qu'en 1998 M. Michel Barnier, alors sénateur, avait énuméré les problèmes posés par l'article 88-4, qu'il s'agisse de son champ d'application, de la portée des résolutions ou de leur délai d'application. À quoi bon des votes, en effet, s'ils n'influencent pas la politique du Gouvernement ? Prenant pour exemple les droits du Bundestag en la matière, le sénateur Michel Barnier appelait de ses vœux une réflexion sur l'article 48 de la Constitution, visant à permettre à la représentation nationale d'exercer un contrôle effectif, et s'élevait contre l'« archaïsme » qui caractérisait, selon lui, les rapports entre le Gouvernement et le Parlement en France.

Ce sont en vérité tous les parlementaires, sur tous les bancs, qui souhaitent mettre fin à la situation actuelle. Le fondement de la notion de « domaine réservé » du Président de la République se trouve dans l'article 52 de la Constitution, mais nulle compétence formelle n'est conférée au Premier ministre en matière européenne, ce qui crée, en cas de cohabitation, une ambiguïté susceptible de mettre en danger la stabilité des institutions. Le moment est venu de décider que le Premier ministre, qui rend des comptes au Parlement - contrairement au Président de la République, institutionnellement irresponsable - à juste titre d'ailleurs puisqu'il est censé être un arbitre - dispose du pouvoir de négociation en matière européenne. Cette modernisation du processus de décision, qui n'a rien de révolutionnaire, est indispensable, car la population française, attachée à l'Europe, est plus que lasse de la façon scandaleuse dont celle-ci se construit.

Répondant aux intervenants, M. Dominique Perben a précisé que des réformes constitutionnelles auraient vraisemblablement lieu dans la plupart des pays de l'Union disposant d'une constitution écrite, afin qu'ils puissent inscrire dans leur loi fondamentale la défense du principe de subsidiarité auquel oblige le traité. La portée de ce principe n'est, au demeurant, pas aussi imprécise que certains semblent le penser : qu'ils veuillent bien se rappeler les dispositions de l'article 1-11, alinéa 3 du traité, relatives aux compétences de l'Union, et du protocole 2 qui lui est annexé. Les éléments existent déjà qui fourniront le socle de la jurisprudence ; s'y ajouteront les dispositions relatives au rôle des assemblées parlementaires qui figurent dans le présent projet. Il est donc impossible de nier que le traité prévoit l'élargissement du rôle des parlements nationaux ; en outre, la généralisation de la codécision entre le Parlement européen et le Conseil européen est un élément-clef du rééquilibrage entre la représentation des peuples et celle des États. La proposition de création d'une commission des affaires européennes concerne en réalité le fonctionnement du nouveau dispositif. Pour assurer la cohérence dans l'élaboration de la norme, mieux vaut, semble-t-il, renforcer le rôle des instances sectorielles que créer de nouvelles entités, à l'image de ce qui se fait au demeurant à la Chancellerie ; mais l'Assemblée règlera naturellement ces questions d'organisation comme elle l'entend. Les deux assemblées reçoivent déjà tous les projets de textes européens, mais on peut envisager de réfléchir à une meilleure organisation du travail collectif relatif aux affaires européennes.

S'agissant de l'amendement déposé par M. Édouard Balladur, il faut rappeler que la révision constitutionnelle proposée a simplement pour objet de prendre acte des dispositions du traité signé à Rome en renforçant le rôle du Parlement dans le contrôle du fonctionnement de l'Union européenne. Il ne s'agit donc pas de modifier l'équilibre prévu par la Constitution du 4 octobre 1958 entre pouvoir exécutif et pouvoir législatif. Ce serait en outre, pour les négociateurs français à Bruxelles, une difficulté supplémentaire que d'être liés par un vote du Parlement avant des discussions ardues. En disposant en son article 52 que le Président de la République négocie et ratifie les traités, la Constitution préserve une indispensable souplesse.

M. Francis Delattre a dit considérer le texte comme un progrès intéressant et souhaiter que le président - et probable rapporteur - de la commission parvienne à concilier les points de vue au moyen d'un amendement de compromis. La formulation du nouvel article 88-5, qui prévoit la réunion du Parlement « le cas échéant hors des sessions », a de quoi laisser dubitatif : les règlements des Assemblées pourront-ils prévaloir sur les dispositions constitutionnelles régissant la convocation du Parlement en session extraordinaire ? Par ailleurs, le nouvel article 88-6, en prévoyant que le droit d'opposition s'exerce par le vote d'une motion « adoptée en termes identiques par l'Assemblée nationale et le Sénat » - alors que l'on sait combien la chose est difficile -, réduit considérablement la portée du dispositif et place de surcroît les deux Assemblées sur un pied d'égalité, portant ainsi atteinte à la prééminence constitutionnelle de l'Assemblée nationale. Il conviendrait donc de revoir cette rédaction.

Le président Pascal Clément a souligné que le Parlement français a peu usé des pouvoirs qui lui ont été successivement octroyés par les révisions constitutionnelles de 1992 et 1999. La question soulevée par M. Daniel Garrigue mérite assurément examen, mais il serait sans doute préférable de redéfinir les attributions des commissions actuelles que d'en créer de nouvelles. D'une manière générale, s'agissant des compétences du Parlement, on peut malicieusement observer que ceux-là mêmes qui, lorsqu'ils sont dans la minorité, déposent des amendements tendant à renforcer les pouvoirs du Parlement, s'y opposent une fois qu'ils sont dans la majorité ou, a fortiori, au Gouvernement... Quant à l'amendement du président Édouard Balladur, il ne pourrait être retenu que si l'on parvenait à le rendre compatible avec l'article 52 de la Constitution. Enfin, les assemblées devront peut-être adapter leurs règlements, mais la rédaction de l'article 88-5 nouveau ne diffère guère, sur le point qu'a évoqué M. Francis Delattre, de celle de l'actuel article 88-4, et l'on peut penser, s'agissant de l'article 88-6, que les deux Assemblées s'accorderont plus aisément pour exprimer leur opposition que pour élaborer un texte. Mais la réflexion doit encore se poursuivre.

M. Robert Pandraud a dit partager l'opinion de M. Francis Delattre sur le déséquilibre introduit par l'article 88-6. Quant au vote d'une résolution par le Parlement français, il aurait plutôt pour effet de renforcer que d'affaiblir la position du ministre dans les discussions à Bruxelles. Les pouvoirs de la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne ne sont pas aussi dérisoires qu'il a pu être dit : n'a-t-elle pas réussi à obtenir l'inscription d'un certain nombre de sujets à l'ordre du jour de l'Assemblée, qui ont été l'occasion d'autant de débats sur la construction européenne ? Pour autant, M. Robert Pandraud a rappelé que lorsqu'il présidait la Délégation, il s'était toujours opposé à la création d'une commission permanente consacrée aux affaires européennes, car elle se serait coupée, par excès de spécialisation, du reste de l'activité parlementaire. Cela étant, comme il n'est pas satisfaisant que ce soit le Conseil d'État, et non le Parlement, qui définisse le périmètre du domaine législatif, il serait souhaitable de confier à un organe parlementaire ad hoc le soin de procéder à un tri.

Mme Valérie Pécresse s'est déclarée très sensible à la nécessité de renforcer les pouvoirs du Parlement, mais également au risque d'affaiblir la position de la France et de son gouvernement dans les négociations européennes, ainsi qu'à la nécessité de préserver les compétences de l'Exécutif. Approuvée par M. Michel Piron, elle a estimé qu'avant d'examiner l'amendement déposé par le président Édouard Balladur, il conviendrait qu'une étude préalable permette d'en apprécier l'exacte portée, tant en ce qui concerne le déroulement des négociations à Bruxelles que le fonctionnement du Parlement, en se fondant notamment sur une comparaison des règles et des pratiques dans les différents États membres de l'Union européenne.

M. Arnaud Montebourg a rappelé que de nombreux rapports sont déjà disponibles sur ce sujet, à commencer par celui qu'avait rédigé M. Robert Pandraud.

M. Xavier de Roux a estimé urgent, la vie quotidienne des Français étant désormais régie pour moitié par le droit européen, de mettre au point un mécanisme permettant au Parlement français de participer de manière plus intensive à l'élaboration des textes européens, sans quoi la révision constitutionnelle proposée restera sans effet.

M. Robert Pandraud a souligné que le renforcement des pouvoirs du Parlement en matière européenne suppose également une plus forte implication des parlementaires eux-mêmes.

M. Jérôme Bignon s'est étonné de la rédaction de l'article 88-4 remanié et surtout du nouvel article 88-5 qui évoque explicitement des votes des assemblées elles-mêmes, « le cas échéant en dehors des sessions », ce qui semble remettre en cause les procédures appliquées jusqu'à présent.

Le président Pascal Clément a convenu que la formulation devrait en effet être précisée et qu'il proposerait sans doute à la Commission d'y procéder.

M. Dominique Perben a indiqué que la rédaction de l'article 88-4 était inchangée sur ce point et que le nouvel article 88-5 se bornait à la transposer à la procédure du contrôle de subsidiarité.

Après avoir rejeté l'exception d'irrecevabilité n° 1 de M. Alain Bocquet et la question préalable n° 1 de M. Jacques Myard, la Commission est passée à l'examen des articles.

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EXAMEN DES ARTICLES

Avant l'article premier

La Commission a été saisie d'un amendement présenté par M. Arnaud Montebourg et confiant au Premier ministre la compétence pour négocier et signer les traités relatifs à la participation de la France à l'Union européenne et en assurer la représentation au Conseil.

Son auteur a estimé que le projet de révision posait la question de la répartition des pouvoirs non seulement entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, mais également au sein même du pouvoir exécutif, ce qui n'était pas sans conséquence sur le pouvoir du Parlement, dès lors que le Président était irresponsable devant lui, contrairement au Premier ministre. Il a relevé que la Constitution, dans son article 52, créait un domaine réservé au profit du Président de la République en lui confiant le monopole de la négociation et de la ratification des traités, ce qui réduisait à la portion congrue la part prise par l'opinion et ses représentants dans la construction européenne. Il a ajouté que l'équilibre institutionnel défini par la Constitution dans la conduite des relations internationales, inédit parmi les États membres, avait conduit dans le passé, en raison de divergences entre le Président et le Premier ministre, à des difficultés certaines dans la définition de la position de la France, non seulement en période de cohabitation mais aussi récemment à propos, par exemple, de la Turquie.

Pour lever toute ambiguïté dans la conduite de la politique européenne de la France et pour confier cette dernière à la seule autorité responsable devant les représentants du peuple, il a jugé nécessaire de confier clairement au Premier ministre le pouvoir de représentation et de lui transférer le pouvoir de négociation et de ratification des traités européens.

Le rapporteur a fait valoir qu'une telle réforme traduirait un changement majeur dans l'équilibre des pouvoirs de la Ve République. Ayant rappelé que le pouvoir de négocier et de ratifier des traités était soumis au contreseing, car l'article 52 de la Constitution n'est pas mentionné à l'article 19 qui énumère les pouvoirs propres du Président de la République, il a indiqué que le Gouvernement assumait pleinement devant le Parlement la responsabilité politique en la matière.

Conformément à l'avis défavorable du rapporteur, la commission a rejeté cet amendement.

Puis elle a été saisie d'un amendement présenté également par M. Arnaud Montebourg et interdisant le recours aux ordonnances de l'article 38 de la Constitution pour la transposition des textes de l'Union européenne. Après avoir estimé que le Parlement ne pouvait se dessaisir de tout droit de regard à la fois en amont et en aval des décisions européennes, M. Arnaud Montebourg s'est dit prêt à retirer son amendement s'il obtenait l'assurance que le contrôle a priori des textes européens serait sensiblement amélioré par le présent projet.

Mme Anne-Marie Comparini a tenu à souligner l'excellent travail de suivi et de contrôle qui est d'ores et déjà assuré par la délégation pour l'Union européenne, comme en témoignent ses très nombreux rapports.

Le rapporteur a rappelé que, depuis le début de la législature, la commission des Lois avait habilité le Gouvernement à transposer par ordonnances un très grand nombre de directives européennes, tant dans le cadre des deux lois de simplification du droit que dans deux lois de transposition d'actes européens. Il a témoigné de ce que l'examen de ces textes est l'occasion pour les parlementaires d'un travail de contrôle extrêmement approfondi, en citant l'exemple du rapport de M. Étienne Blanc de 2004, le plus volumineux rapport parlementaire qu'il eût jamais vu. Il a considéré que la procédure des ordonnances, qui ne faisait donc pas échec au contrôle, était la seule de nature à rattraper le retard chronique de la France dans la transposition des actes européens, et qu'il serait dommageable de se priver de cet instrument. Sur le fond, avec l'assentiment de M. Arnaud Montebourg, il a lancé un appel à un renouvellement des pratiques, aussi bien de la part du Gouvernement que des parlementaires, lesquels s'abstiennent trop souvent de faire usage des pouvoirs dont ils disposent.

L'amendement a été retiré.

La Commission a ensuite été saisie de l'amendement n° 1 de M. Daniel Garrigue ayant pour objet de porter de six à sept le nombre de commissions permanentes fixé par l'article 43 de la Constitution, en vue de transformer l'actuelle délégation pour l'Union européenne, créée à l'initiative de M. Jean Foyer, en véritable commission dotée de pouvoirs réels lui ouvrant plus souvent la voie à la séance publique, à l'instar de ce qui existe dans les vingt-quatre autres États membres.

M. Daniel Garrigue a ajouté que cette modification était d'autant plus justifiée que les procédures spécifiques d'examen des projets de textes ou des textes eux-mêmes pris par l'Union européenne se multiplient, qu'il existe un hiatus entre le travail en amont exercé par la délégation et celui réalisé, en aval, par les commissions permanentes et que les débats en séance publique sur les questions européennes sont rares. Une modification des compétences des commissions permanentes étant difficilement envisageable en l'état, il a jugé nécessaire de faire sauter le « verrou » constitutionnel de la limitation à six du nombre de commissions permanentes.

M. Jacques Floch a rappelé qu'une telle modification avait été proposée dans le passé à de nombreuses reprises et que la création de six commissions permanentes n'avait été acceptée par Michel Debré, critique à l'exemple de Boissy d'Anglas et de Léon Blum à l'encontre de la multiplication des commissions parlementaires, qu'à la condition de ne constituer qu'une procédure exceptionnelle à côté de la création de commissions spéciales.

Il a estimé que l'origine du problème devait être recherchée dans l'absence de pouvoirs réels de la délégation et le filtrage effectué par les commissions permanentes, qui constitue un obstacle au passage en séance publique. Puis il a posé la question de l'appartenance à deux commissions qui nécessiterait sans doute que chaque parlementaire soit membre titulaire d'une commission et suppléant d'une autre, ainsi que celle du rattachement du ministère chargé des affaires européennes à celui chargé des affaires étrangères, alors même que les premières appartiennent de moins en moins à la sphère des secondes.

Soulignant l'intérêt d'une double appartenance à la délégation et à une commission permanente, M. Jérôme Lambert a indiqué que, dans le cadre du rapport qu'il avait présenté avec son collègue Didier Quentin au nom de la délégation sur le principe de subsidiarité, il jugeait nécessaire de mettre en place des modalités de contrôle de subsidiarité à la fois réactives et efficaces, si le Parlement français souhaitait faire entendre sa voix dans les institutions de l'Union européenne.

M. Jean-Pierre Soisson, relevant à son tour le rôle fondamental joué par la délégation à l'Union européenne, a cependant estimé prématuré de modifier la Constitution et a jugé utile de poursuivre plus avant la réflexion sur l'articulation entre la délégation et les commissions permanentes.

M. Robert Pandraud a considéré qu'il convenait de conserver le système actuel, qui permet de disposer d'une délégation, peu nombreuse, souple et maniable, et qui offre la possibilité d'assurer une liaison étroite entre les parlementaires spécialisés dans les affaires européennes et l'ensemble des commissions permanentes et il a jugé que la création d'une nouvelle commission présenterait ainsi plus d'inconvénients que d'avantages.

Rappelant que l'expérience de l'inscription de la discussion des résolutions de l'article 88-4 en séance publique, prévue initialement le vendredi, avait entraîné une assiduité toute relative des députés, il a souhaité que le renforcement des compétences des parlements prévu par le traité trouve sa traduction dans la Constitution. Il a en effet souligné que le contrôle de subsidiarité donnera un réel pouvoir au Parlement, aujourd'hui cantonné dans un rôle consultatif, ce qui exigera non seulement de tenir compte des différences de rythme de travail entre les institutions de l'Union et le Parlement français, mais aussi d'aménager la distinction entre loi et règlement, qui existe dans notre droit et gouverne nos procédures, et que le droit communautaire ignore.

M. Arnaud Montebourg a interrogé le rapporteur sur la manière dont le travail sur les questions européennes et en particulier sur celle de la subsidiarité serait organisé dans l'avenir afin que le Parlement parvienne dans un délai raisonnable à discuter, à décider et à définir une position commune sur chacun des textes qui lui seront soumis. Il a demandé si certains commissaires seraient spécialisés, si continuerait à fonctionner le filtre de la délégation, si des procédures communes seraient organisées entre cette dernière et les commissions permanentes ou bien encore si le Parlement serait uniquement sensibilisé à certaines questions par le truchement du Gouvernement.

Mme Anne-Marie Comparini, après avoir rappelé qu'elle était cosignataire de l'amendement présenté par M. Daniel Garrigue, a insisté sur l'importance d'organiser de manière pratique un contrôle renforcé du Parlement, en particulier en matière de subsidiarité comme l'a montré le rapport de MM. Didier Quentin et Jérôme Lambert, et a fait observer qu'en conséquence une révision préalable de la Constitution était nécessaire pour augmenter le nombre de commissions permanentes.

En réponse aux intervenants, le rapporteur a estimé que créer une commission permanente spécialisée dans les questions européennes n'était pas une bonne solution, compte tenu du caractère transversal de ces dernières. Par exemple, en matière de contrôle de la subsidiarité, celui-ci concerne l'activité quotidienne de chacune des six commissions permanentes et il serait néfaste de confier cette tâche à une seule commission en particulier.

Pour autant, il est clair que le terme de « délégation » n'est pas tout à fait adapté, et qu'il est, par exemple, difficile à traduire. Il serait donc judicieux de changer son nom : on pourrait par exemple la qualifier de « Comité pour l'Union européenne », ce qui ne nécessiterait pas de modifier la Constitution. D'ailleurs, à l'occasion de la modification du Règlement que rendra nécessaire la mise en œuvre des nouvelles procédures sur la subsidiarité, l'Assemblée nationale aura l'occasion de réfléchir à l'ensemble de ses méthodes de travail sur le contrôle des questions européennes.

Après que M. Daniel Garrigue eut fait remarquer que le changement d'intitulé de la délégation ne suffirait pas à résoudre la question de ses pouvoirs, que la création d'une commission spécialisée dans les affaires européennes permettrait de mieux sensibiliser l'ensemble des parlementaires aux questions européennes et que la double appartenance d'un parlementaire à une commission permanente et à la délégation relevait du Règlement, la Commission a rejeté l'amendement n°1.

Elle a ensuite rejeté un amendement de M. Arnaud Montebourg, de coordination avec un précédent amendement du même auteur.

Article premier

(art. 88-1 de la Constitution)


Autorisation de ratifier le traité établissant une Constitution pour l'Europe

L'article premier du projet de loi constitutionnelle ouvre la possibilité pour la France de participer à l'Union européenne dans les conditions prévues par le traité. Ce faisant, il répond à l'exigence, posée par l'article 54 de la Constitution, d'une révision de la Constitution préalablement à l'autorisation de ratifier le traité. Son seul objet est ainsi de rendre possible la consultation référendaire annoncée aux Français par le Président de la République.

De façon originale, ce dispositif est conçu comme transitoire. Dans le cas où le traité entrera en vigueur - après la dernière ratification et au plus tôt le 1er novembre 2006, ainsi que le prévoit son article IV-447 -, ce sont les dispositions de l'article 3 ci-après qui s'appliqueront de façon pérenne.

Le caractère transitoire de cet article explique son extrême concision. Il se borne à répondre à la règle posée à l'article 54, mais ne suffirait pas à mettre la Constitution en conformité avec le traité. En effet, cette mise en conformité comporte deux aspects : l'acceptation des conditions de transfert de souveraineté prévues par le traité, et l'organisation des procédures nécessaires à l'exercice des nouveaux pouvoirs du Parlement.

Ce deuxième aspect n'est pas abordé par le présent article, lequel se borne à accorder au traité cette sorte de « bénédiction » globale qui est un gage de sécurité juridique. La formule est inspirée de précédents constitutionnels faisant suite à des avancées de la construction européenne. Ainsi, les deux premiers alinéas de l'article 88-2 expriment le consentement à des transferts de compétences affectant les conditions d'exercice de la souveraineté : ceux prévus par les traités de Maastricht en 1992 et d'Amsterdam en 1997.

Ayant levé l'obstacle constitutionnel à la ratification, l'article ne peut considérer comme acquises, ni la ratification, ni l'entrée en vigueur du traité. Les premiers refus de ratification du traité de Maastricht en 1992 par le Danemark, puis du traité de Nice par l'Irlande en 2001 ont mis en évidence les blocages toujours possibles, singulièrement avec vingt-cinq États signataires. Le présent article ouvre donc une simple possibilité de ratification. Cette formulation est également celle des articles 53-1 de la Constitution en matière de traités européens d'asile, 53-2 pour la reconnaissance de la Cour pénale internationale, ou 88-3 s'agissant de la reconnaissance du droit de vote et d'éligibilité de ressortissants européens aux élections municipales.

La Commission a adopté cet article sans modification.

Après l'article premier

M. Roland Blum a présenté l'amendement n° 2, adopté par la commission des Affaires étrangères, visant à renforcer les pouvoirs de contrôle du Parlement concomitamment aux transferts de souveraineté à l'Union européenne prévus par le traité constitutionnel européen, et tirant les conséquences de l'importance quantitative de la législation nationale d'origine communautaire. Le dispositif proposé prolonge, en l'occurrence, une démarche engagée à l'occasion des deux précédentes révisions constitutionnelles : la première, préalable à la ratification du traité de Maastricht, qui avait prévu l'obligation pour le Gouvernement de transmettre au Parlement tous les projets d'actes communautaire de nature législative au sens national ; et celle, plus récente, liée à la ratification du traité d'Amsterdam, qui avait introduit la faculté, pour le Gouvernement, de transmettre tout projet ou proposition d'acte ou tout document émanant d'une institution de l'Union européenne lorsqu'il le souhaiterait. L'amendement proposé tend à rendre cette transmission obligatoire, quelle que soit la nature du projet d'acte, si le président de l'Assemblée nationale ou celui du Sénat, le président d'une commission permanente ou soixante députés ou soixante sénateurs le demandent.

Deux reproches ont été adressés à ce dispositif :

-  en premier lieu, il porterait atteinte à la séparation des pouvoirs législatif et réglementaire. En réalité, il convient de rappeler que ne sont ici visées que de simples résolutions dépourvues de portée normative, qui ne sauraient être contraignantes pour le Gouvernement. Par ailleurs, la distinction constitutionnelle entre les mesures de nature réglementaire et législative apparaît aujourd'hui avoir perdu de sa substance, dans la mesure où le Conseil constitutionnel a décidé, depuis une décision du 30 juillet 1982, de ne pas faire de sa méconnaissance un vice d'inconstitutionnalité, et où l'évolution de la société et du droit a réduit la pertinence de cette répartition des textes normatifs. Seul le Conseil d'État l'applique encore, dans le cadre du « filtrage » qu'il a été chargé d'opérer entre les projets d'actes communautaires, nécessaire pour décider de leur transmission au Parlement en application de l'article 88-4 de la Constitution ;

-  en second lieu, certains ont pu considérer qu'il pourrait ainsi être porté atteinte aux pouvoirs du Président de la République tels qu'ils sont définis par l'article 52 de la Constitution. En l'espèce, tel n'est pas l'objet de l'amendement adopté par la commission des Affaires étrangères, d'autant que, ainsi qu'il a été indiqué précédemment, l'amendement ne vise que l'adoption de résolutions non contraignantes. Quoi qu'il en soit, pour tenir compte de cette objection, a été déposé un amendement alternatif (portant le n°6), excluant le cas des projets d'actes relatifs aux traités en cours de négociation par le Président de la République en application de l'article 52 précité.

Répondant à l'auteur de l'amendement, le rapporteur a souhaité rappeler les évolutions du pouvoir de contrôle du Parlement en matière européenne. Avant la révision constitutionnelle de 1992, aucun contrôle des projets d'actes n'était possible, l'article 88-4 ayant alors été institué afin de répondre à l'extension des compétences communautaires par le traité de Maastricht. En effet, il est logique de permettre au Parlement de donner sa position concernant des compétences législatives qui sont constitutionnellement les siennes, mais qui ont été transférées au niveau européen. En 1999, il a été décidé de permettre au Gouvernement, s'il le souhaite, de soumettre au Parlement les projets d'actes relevant, en France, du domaine réglementaire ainsi que tous les documents n'ayant pas de caractère normatif.

Le présent amendement a donc pour objet de rendre cette soumission obligatoire, au risque de peser sur les équilibres institutionnels de la Ve République. En effet, il faut manier avec beaucoup de précaution les résolutions parlementaires, dont les excès avaient conduit les rédacteurs de la Ve République à les supprimer. Même si ces résolutions n'ont qu'une valeur consultative, il est clair que leur existence peut limiter la marge de manœuvre de l'exécutif au cours d'une négociation internationale. Certes, un amendement de repli, déposé par les auteurs du présent amendement, tente de limiter le champ d'application de cette obligation, en faisant réserve des documents liés aux pouvoirs que le Président de la République tient de l'article 52 de la Constitution. Mais, une telle distinction entre les différents documents de l'Union européenne serait en pratique extrêmement difficile à opérer.

Après avoir estimé que le Gouvernement pourrait cependant utilement soumettre davantage de documents en application de la clause facultative, et s'engager à le faire au cours des débats, le rapporteur a donné un avis défavorable aux amendements nos 2 et 6.

M. Claude Goasguen s'est déclaré peu convaincu par l'argument stigmatisant l'atteinte à l'indépendance du pouvoir réglementaire, considérant que cette notion, dans son acception constitutionnelle, ne s'appliquait pas aux activités communautaires. En revanche, au moment où les institutions communautaires changent de nature et où, en particulier, le Parlement européen voit s'étendre ses prérogatives, il conviendrait de décider si le Parlement français doit ou non chercher à s'associer à ce mouvement, notamment en accroissant ses compétences de contrôle. En l'occurrence, l'amendement proposé ne porte nullement atteinte à la Constitution, dont la souplesse a permis de faire face à des difficultés bien plus aiguës.

Après avoir regretté que l'amendement déposé en Commission par les membres de son groupe, proposant une rédaction nouvelle de l'article 88-4 à des fins proches de celles qui venaient d'être exprimées, ne puisse faire l'objet d'une discussion commune, M. Christophe Caresche a estimé que la discussion en cours mêlait des problèmes distincts.

Le premier, bien réel, est celui du recoupement imparfait de la notion de nature législative de la norme, d'une part, au plan communautaire, telle qu'elle résulte de l'article I-34 du traité constitutionnel, et, d'autre part, au plan national, telle qu'elle est prévue par l'article 37 de la Constitution. De cet écart, pourraient résulter des situations paradoxales : ainsi, dans l'hypothèse où l'une des assemblées viendrait, en application du nouvel article 88-5, à contester par une résolution la conformité au principe de subsidiarité d'un projet d'acte communautaire comprenant des mesures de nature législative au sens européen mais réglementaire au sens national, elle ne pourrait connaître par la suite d'un tel acte dans le cadre de la procédure de l'article 88-4. Pour éviter ce type de situation dommageable, une solution simple pourrait consister à prévoir l'élargissement du domaine d'application de l'article 88-4 à l'ensemble de celui couvert par l'article 88-5, c'est-à-dire à tous les actes législatifs au sens du traité.

La seconde hypothèse, qui va toutefois sensiblement plus loin, consisterait à prévoir la transmission de tous les projets d'actes, quelle que soit leur nature - législative ou réglementaire - au sens national.

M. Robert Pandraud, faisant état de son expérience passée de président de la délégation pour l'Union européenne, a estimé que l'amendement en discussion proposait une mauvaise solution à un vrai problème. Il a souligné la relative modestie des moyens mis en œuvre par le pouvoir exécutif en matière de négociations communautaires, moyens reposant essentiellement sur le sgci - secrétariat général du comité interministériel pour les questions de coopération économique européenne -, le secrétaire d'État ou le ministre délégué aux Affaires européennes auprès du ministre chargé des Affaires étrangères, les ministres sectoriellement compétents et, enfin, les diplomates les suppléant en leur absence, lorsque l'intérêt desdits ministres pour les questions en discussion à Bruxelles vient à manquer ou que les circonstances requièrent leur présence ailleurs. Après avoir remercié M. Édouard Balladur d'avoir accepté, lorsqu'il était Premier ministre, de transmettre à la délégation tous les projets d'actes communautaires accompagnés de l'avis motivé du Conseil d'État portant sur leur nature législative ou réglementaire, M. Robert Pandraud a souhaité souligner qu'il lui semblait surtout primordial, maintenant, de rechercher les voies d'une liaison opérationnelle plus efficace entre l'exécutif et le Parlement, par exemple par l'intermédiaire du sgci.

M. Arnaud Montebourg a indiqué que le contrôle parlementaire ne lui semblait pas susceptible de s'arrêter aux limites du domaine de la loi au sens de l'article 34 de la Constitution, mais que ce contrôle devait par nature porter sur l'intégralité de l'action du Gouvernement, y compris au niveau communautaire. L'amendement présenté par M. Jacques Floch, proposant une rédaction nouvelle de l'article 88-4, ne fait, en la matière, que reprendre la substance de celui qui avait été déposé à l'occasion de la révision préalable à la ratification du traité d'Amsterdam et défendu en 1998 par M. Michel Barnier, alors sénateur, s'agissant du périmètre des projets d'actes concernés, du délai d'examen par le Parlement et de la portée des résolutions adoptées, ces deux derniers thèmes ayant, pour leur part, été ignorés par l'amendement présenté par M. Roland Blum.

Tout en faisant part de son opposition aux divers amendements proposés et de son souhait de s'en tenir, en l'état, au texte du Gouvernement, M. Jean-Pierre Soisson a cependant estimé qu'il existe un réel problème de contrôle parlementaire des documents communautaires, auquel l'amendement de M. Jacques Floch apporte d'ailleurs une réponse plus appropriée que celui de M. Édouard Balladur. Il a proposé de confier à la délégation pour l'Union européenne une mission de réflexion, afin d'établir avec précision quel pourrait être à l'avenir le rôle du Parlement et dans quelles conditions son contrôle pourrait s'exercer.

M. Hervé de Charette a souhaité souligner les raisons de poursuivre la démarche qui avait été entreprise lors de la révision constitutionnelle rendue nécessaire par le traité de Maastricht. Il a rappelé que l'article 88-4, qui avait alors été introduit dans la Constitution, a ensuite été modifié lors de la révision constitutionnelle appelée par le traité d'Amsterdam et que cet article a ainsi élargi les conditions de contrôle du Parlement sur les actes communautaires. Il a précisé que le second amendement présenté par MM. Édouard Balladur, Roland Blum et lui-même, qui reprend le sens du premier amendement adopté par la commission des Affaires étrangères, permet aussi de répondre aux inquiétudes relatives aux prérogatives du Président de la République. Le second amendement fait en effet réserve des documents relatifs aux traités en cours de négociation par le chef de l'État, ce qui préserve sa liberté d'action. Il a ensuite fait remarquer qu'évoquer dans la discussion de ces amendements le principe, posé par les articles 34 et 37 de la Constitution, de la distinction du domaine législatif et du domaine réglementaire n'est pas pertinent dans la mesure où la question porte, non pas sur le pouvoir normatif du Parlement, mais sur son pouvoir de contrôle. Il a rappelé que ce pouvoir de contrôle doit s'exercer sur l'ensemble de l'action du Gouvernement et qu'à ce titre il est naturel d'ouvrir une possibilité de transmission au Parlement d'un plus grand nombre de documents communautaires. Il a précisé que la responsabilité gouvernementale exige que la totalité de son action soit contrôlée. Il a ajouté que la modification proposée, techniquement utile, est modeste, dans la mesure, d'une part, où les documents qui pourront être transmis ne le seront que si le Parlement en fait la demande expresse, et où, d'autre part, une telle pratique ne se développera que si le Gouvernement est ensuite d'accord pour inscrire à l'ordre du jour le vote de résolutions sur les documents concernés. Il a par ailleurs insisté sur le fait qu'il pourrait être très utile pour le gouvernement français de pouvoir éventuellement se référer à une position du Parlement au cours des négociations à Bruxelles.

Le rapporteur a estimé au contraire que le pouvoir de résolution donné au Parlement dans le cadre de l'article 88-4 n'était pas lié à sa fonction de contrôle, mais bien à sa fonction normative. Ainsi, si le Parlement pouvait intervenir en amont sur les actes européens de caractère réglementaire, cela ne saurait s'inscrire dans le cadre de son contrôle a posteriori du pouvoir réglementaire, mais lui donnerait un quasi-pouvoir normatif en la matière. L'adoption de ces amendements aurait donc pour conséquence de modifier l'équilibre de nos institutions. Pour améliorer le contrôle parlementaire des questions européennes, il faudrait déjà utiliser pleinement les pouvoirs existants, ce qui passe probablement par une modification de nos pratiques parlementaires.

Rappelant alors les propos qu'avait tenus M. Pascal Clément en novembre 1998, lors de l'examen du projet de loi constitutionnelle modifiant l'article 88-2 de la Constitution, préalable à la ratification du traité d'Amsterdam, M. Hervé de Charette a regretté que leur auteur n'ait plus aujourd'hui la même appréciation sur la transmission au Parlement de documents communautaires.

La Commission a alors rejeté les amendements nos 2 et 6.

Article 2

(art. 88-5 [nouveau] et 60 de la Constitution)


Autorisation par référendum de ratifier les traités d'adhésion

Les deux modifications prévues par l'article 2 ont en commun leur effet immédiat. Elles tendent, l'une à insérer un nouvel article 88-5 soumettant à référendum les élargissements non encore engagés, l'autre à actualiser l'article 60 pour étendre la compétence du Conseil constitutionnel pour le contrôle de ces référendums. La modification de l'article 60 aurait valeur permanente.

1. La création d'une nouvelle procédure référendaire dans la Constitution

Le Président Jacques Chirac s'est engagé, le 1er octobre 2004, à ce que « avant la question de l'entrée éventuelle de la Turquie, les Français [soient] interrogés, non pas par le biais de la procédure parlementaire, mais obligatoirement, pour cet élargissement et d'autres éventuels élargissements, par le biais du référendum » (7).

En effet, le Président de la République a estimé qu'en dernier ressort, il reviendrait au peuple souverain d'accepter ou non l'adhésion de la Turquie, en fonction des résultats des négociations et des progrès éventuellement réalisés par ce pays. Ainsi, l'assurance de l'organisation de ce référendum garantit que la décision d'ouvrir les négociations d'adhésion avec la Turquie, prise par le Conseil européen du 17 décembre 2004, ne préjuge réellement pas de l'aboutissement de ce processus, ni ne ferme le débat public sur cette question. Par ailleurs, il permettra d'éviter que cette question n'interfère avec le débat référendaire sur le traité établissant une Constitution pour l'Europe. En effet, quel que soit le résultat de ce dernier, les Français ont l'assurance qu'ils seront directement consultés sur l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne.

Cependant, les dispositions constitutionnelles actuelles ne permettent pas de donner un fondement juridique à l'engagement pris par le Président de la République. En dehors des procédures de référendum local organisées par le titre XII de la Constitution en métropole et outre-mer et de la consultation obligatoire des populations concernées avant toute cession, échange ou adjonction de territoire prévue par l'article 53, la Constitution de la Ve République ne prévoit que deux cas d'utilisation du référendum :

-  l'article 11 dispose que le Président de la République peut soumettre au référendum « tout projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique ou sociale de la Nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d'un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions ». Cette procédure a été utilisée à sept reprises depuis 1958 ;

-  l'article 89 prévoit qu'une révision de la Constitution n'est définitive qu'après avoir été adoptée par référendum. Cependant, lorsque la révision est d'origine gouvernementale, le Président de la République peut également la soumettre au Parlement réuni en Congrès. Cette dernière procédure a été utilisée à quatorze reprises, une seule révision constitutionnelle ayant été adoptée définitivement par l'organisation d'un référendum en application de l'article 89, le 24 septembre 2000 pour la réduction à cinq ans du mandat du Président de la République.

Le choix de soumettre un projet de loi au référendum est donc toujours soumis à l'appréciation discrétionnaire du Président de la République, qui peut toujours choisir de lui préférer la voie parlementaire. Ainsi, si l'article 11 permet de soumettre au référendum l'autorisation de ratifier le traité d'adhésion d'un ou plusieurs États à l'Union européenne, il ne s'agit que d'une faculté, qui n'a d'ailleurs été utilisée qu'une seule fois, en 1972 pour l'entrée du Royaume-Uni, de l'Irlande et du Danemark dans les communautés européennes. La ratification des quatre autres traités d'élargissement a été autorisée par des lois adoptées par le Parlement.

Par conséquent, le présent projet de loi constitutionnelle innove, en créant un article 88-5 dans la Constitution qui impose la voie référendaire pour autoriser la ratification des futurs traités (8) d'adhésion d'un État, et a fortiori de plusieurs, à l'Union européenne et aux communautés européennes.

2. Les modalités d'organisation de ce nouveau type de référendum

Dans la mesure où l'article 88-5 crée une procédure entièrement nouvelle, les modalités d'organisation de ce nouveau type de référendum ne sont donc pas entièrement les mêmes que pour les référendums organisés en application de l'article 11.

En ce qui concerne l'initiative de l'organisation du référendum, il s'agit, comme dans le cas de l'article 11, d'une prérogative du Président de la République. En effet, si le recours au référendum est obligatoire pour autoriser la ratification d'un traité d'adhésion à l'Union européenne, cela ne signifie pas pour autant que la signature d'un tel traité entraînera automatiquement l'organisation d'un référendum, qui sera une compétence du Président de la République. Cette disposition ne constitue donc pas tant une obligation d'organiser un référendum, qu'une interdiction pour l'exécutif d'utiliser la voie parlementaire pour obtenir l'autorisation de ratifier un traité d'adhésion.

Cependant, la décision d'organiser un référendum sur l'autorisation de ratifier un traité d'adhésion à l'Union européenne devra, en application de l'article 19 de la Constitution, être contresignée par le Premier ministre et les ministres responsables, ce qui n'est pas le cas pour les référendums de l'article 11, même si le Président de la République doit néanmoins s'appuyer sur une proposition du Gouvernement ou du Parlement. Ainsi, la décision d'organiser un tel référendum ne pourrait être prise, par exemple en période de cohabitation, sans l'accord du Gouvernement, solution qui est d'ailleurs cohérente avec l'obligation de contreseing qui concerne la signature des actes de ratification pris par le Président de la République en application de l'article 52 de la Constitution.

Les modalités de contrôle des opérations référendaires sont prévues par le deuxième paragraphe de l'article 2 du projet de loi constitutionnelle qui, renvoyant à l'article 60 de la Constitution, donne au Conseil constitutionnel les mêmes pouvoirs de « veiller à la régularité des opérations » et de « proclamer les résultats » que ceux qu'il détient en ce qui concerne les référendums de l'article 11 et de l'article 89. Il reviendra également au Conseil constitutionnel d'examiner les réclamations relatives au contentieux des opérations préalables au référendum, conformément à l'interprétation donnée de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel tant par ce dernier que par le Conseil d'État (9).

Enfin, en l'absence de dispositions spécifiques en ce qui concerne le délai de promulgation de la loi si le résultat du référendum est positif, les modalités de droit commun prévues par l'article 10 de la Constitution s'appliqueront, comme c'est d'ailleurs le cas pour les référendums organisés en application de l'article 89. Le Président de la République devra donc promulguer la loi « dans les quinze jours qui suivent la transmission au Gouvernement de la loi définitivement adoptée », formalité qui incombe alors au Conseil constitutionnel, suite à la proclamation par ce dernier des résultats du référendum.

Présentant un amendement de suppression de l'article, M. Jacques Floch a estimé qu'il ne fallait pas mélanger les principes et l'opportunité dans un texte constitutionnel et que l'article 2 du projet est à l'évidence un article d'opportunité dont la raison d'être est de résoudre les divisions de la majorité sur la question de l'adhésion éventuelle de la Turquie à l'Union européenne. Il a ajouté que le Président de la République se priverait et priverait ses successeurs du pouvoir de choisir ou non de recourir au référendum, pouvoir actuellement prévu par l'article 11 de la Constitution et qui permet déjà au chef de l'État d'organiser s'il le souhaite un référendum sur les traités d'adhésion à l'Union européenne. Il a précisé que l'adoption de l'article 2 du projet de loi conduirait au paradoxe que l'on pourrait accepter sans référendum l'entrée de la Roumanie, de la Bulgarie et de la Croatie, mais qu'il faudrait à l'inverse obligatoirement recourir au référendum pour accepter la Macédoine.

M. Robert Pandraud a pour sa part considéré très souhaitable de rendre le recours au référendum obligatoire pour toute entrée d'un nouvel État dans l'Union européenne. Estimant que la Roumanie ou la Bulgarie ne devraient en aucune manière être favorisées par rapport à la Turquie, il a jugé que la procédure du référendum obligatoire s'imposait, y compris lorsque la convocation d'une conférence intergouvernementale a été décidée antérieurement au 1er juillet 2004.

M. René Dosière a jugé l'article 2 tout à fait inopportun et souhaité sa suppression afin d'éliminer du débat tout ce qui pourrait créer des interférences. Il a estimé que la révision constitutionnelle conditionnerait la réponse que les Français apporteront au traité européen et que cette révision, pour cette raison, ne devait pas faire référence à d'autres questions, comme celle de l'adhésion turque. Il a ajouté qu'il lui paraissait peu opportun de demander à l'Assemblée nationale d'abandonner ses prérogatives au profit du recours au référendum, qui ne constitue pas nécessairement une panacée politique.

Le rapporteur a déclaré qu'il lui semblait difficile de critiquer le recours automatique à la procédure la plus démocratique qui soit, celle de la consultation du peuple souverain. Concernant la non application de cette disposition à la Bulgarie, à la Roumanie et à la Croatie, il l'a justifiée dans la mesure où le processus d'adhésion de ces pays était déjà largement engagé lorsque le Président de la République a pris cet engagement.

La Commission a rejeté l'amendement de M. Jacques Floch, ainsi qu'un amendement du même auteur visant à obliger le Gouvernement à faire devant chaque assemblée une déclaration suivie d'un débat à chaque fois que serait soumise au référendum une adhésion à l'Union européenne.

La Commission a adopté l'article 2 sans modification.

Article 3

(titre XV de la Constitution)


Modification des dispositions relatives à l'Union européenne

La refonte du titre XV de la Constitution est naturellement le cœur du projet de révision. Elle prévoit le dispositif pérenne qui sera applicable en cas d'entrée en vigueur du traité. Doté d'un intitulé actualisé - « De l'Union européenne » -, de sept articles au lieu de quatre, ce titre ferait l'objet de trois séries de modifications : la mise à jour rendue nécessaire par la réforme des institutions, la pérennisation de la procédure de ratification par référendum des futurs traités d'adhésion, enfin l'instauration des procédures parlementaires nouvelles, selon l'« exigence » constatée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2004-505 DC du 19 novembre dernier.

Article 88-1 de la Constitution

Consentement aux transferts de souveraineté
rendus nécessaires par le traité

Reflétant l'unification du traité européen, le présent article proclame en une formulation ramassée la participation de la France à l'Union européenne et le consentement aux transferts de souveraineté limitativement énumérés dans ce traité. Ces dispositions succèderont à celles de l'actuel article 88-1 et des deux premiers alinéas de l'article 88-2.

Selon la rédaction actuellement en vigueur de l'article 88-1, la République participe aux Communautés européennes et à l'Union, constituées d'États qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont instituées, d'exercer certaines de leurs compétences.

La référence aux Communautés deviendra sans objet avec l'entrée en vigueur du traité établissant une Constitution pour l'Europe. Les transferts de compétences seront admis dans les conditions prévues par ce traité, tel qu'il a été signé à Rome le 29 octobre 2004. Les éventuelles modifications ultérieures devront être soumises à ratification, ainsi que le stipule l'article IV-443 du traité. Elles pourront donc être soumises au contrôle de constitutionnalité sur le fondement de l'article 54 de la Constitution, et, s'agissant de la loi de ratification, de son article 61.

Échapperont seulement à la ratification les modifications du traité, élaborées selon la procédure de révision simplifiée. Elles seront soumises à la faculté d'opposition des parlements nationaux, selon les modalités fixées, pour le Parlement français, à l'article 88-6 ci-après. Néanmoins, le Conseil constitutionnel a jugé, au considérant 35 de sa décision précitée du 19 novembre 2004 « qu'en l'absence de procédure nationale de ratification de nature à permettre un contrôle de constitutionnalité, ces dispositions appellent une révision de la Constitution nonobstant la faculté donnée à tout parlement national de s'opposer à leur mise en œuvre ». Le présent article procède à cette révision pour la période qui s'ouvrira avec l'entrée en vigueur du traité.

L'actuel article 88-2, dans ses deux premiers alinéas, prévoit le consentement aux transferts de compétences prévues par les traités de Maastricht et d'Amsterdam. L'unification des traités rend ces mentions inutiles. La réserve de réciprocité est également, pour deux raisons, superflue : les traités antérieurs ont bien été ratifiés par tous les États membres, et le présent article ne sera applicable qu'à compter de l'entrée en vigueur du nouveau traité, consécutive à sa ratification unanime. En effet, l'article IV-447 stipule que le traité entrera en vigueur le premier du deuxième mois après le dépôt du dernier instrument de ratification, et au plus tôt le 1er novembre 2006.

Article 88-2 de la Constitution

Base constitutionnelle des règles relatives
au mandat d'arrêt européen

L'article 88-2 de la Constitution, dans sa rédaction actuelle, vise à parer les inconstitutionnalités liées à des transferts de souveraineté en les énumérant. Ainsi, la nouvelle rédaction de l'article 88-1 justifie la disparition de cette énumération. Pourtant, le Gouvernement a choisi de maintenir la référence au mandat d'arrêt européen, estimant qu'il fallait maintenir une base constitutionnelle aux dispositions législatives prises en application d'une décision-cadre dont le Conseil d'État a estimé qu'elle dérogeait au principe constitutionnel interdisant l'extradition pour les infractions politiques. Il faut d'ailleurs rappeler que ce principe a été dégagé par le Conseil d'État lui-même (10) et que le Conseil constitutionnel n'a jamais eu l'occasion de confirmer son caractère constitutionnel.

Cependant, des éléments nouveaux sont à prendre en compte depuis l'adoption de la loi constitutionnelle du 25 mars 2003 relative au mandat d'arrêt européen. En effet, la question de la transposition d'actes de l'Union européenne relatifs au mandat d'arrêt européen, et leurs éventuelles contrariétés avec la Constitution, se poseraient dans des termes bien différents en cas d'entrée en vigueur du traité établissant une Constitution pour l'Europe :

-  le traité constitutionnel a notamment pour conséquence de simplifier le régime juridique des actes de l'Union européenne. Dans le domaine législatif, les lois européennes remplaceront les règlements, et les lois-cadres européennes les directives et les décisions-cadres, qui sont aujourd'hui utilisées dans le domaine de la coopération judiciaire, mais qui n'ont, contrairement aux directives, pas d'effet direct. Ainsi, la transposition en droit français des lois-cadres européennes se fera dans les mêmes conditions que pour les directives. Or, la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel (11) a indiqué que « la transposition en droit interne d'une directive résulte d'une exigence constitutionnelle à laquelle il ne pourrait être fait obstacle qu'en raison d'une disposition expresse contraire de la Constitution », et spécifique à cette dernière. Il n'est pas certain que le principe fondamental reconnu par les lois de la République, dégagé au demeurant par le seul Conseil d'État, et selon lequel l'État doit refuser l'extradition pour des infractions à caractère politique, constitue une disposition expresse et spécifique de la Constitution, susceptible de faire obstacle à la transposition en droit français d'une future loi européenne modifiant les règles du mandat d'arrêt européen ;

-  par ailleurs, le traité donne, pour la première fois, force conventionnelle au principe de la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires en matière pénale (article III-257), qui est le fondement du mandat d'arrêt européen lequel constitue l'une des procédures de mise en œuvre de ce principe. Il en résulte donc que les actes de coopération judiciaire en matière pénale pris en application de ce principe seront couverts par la clause générale d'immunité constitutionnelle des actes pris en application du traité établissant une Constitution pour l'Europe.

Pour autant, si la référence constitutionnelle au mandat d'arrêt européen ne semble plus juridiquement indispensable, il est vrai que sa suppression aurait pu être considérée comme la manifestation d'une méfiance du Constituant à l'égard du mandat d'arrêt européen, dont les premiers résultats sont très satisfaisants.

Article 88-3 de la Constitution

Droit de vote et d'éligibilité des citoyens de l'Union aux élections municipales

Le présent article 88-3 reprend quasiment à l'identique la rédaction actuelle de l'article. Les conditions et limites du droit de vote et d'éligibilité des résidents européens aux élections municipales ainsi que le renvoi à une loi organique sont maintenus.

Seule disparaît la réserve de réciprocité, pour la même raison que dans la rédaction donnée à l'article 88-1 par l'article 3 du présent projet : l'article n'entrera en application qu'à compter de l'entrée en vigueur du traité, laquelle suppose la ratification préalable par l'ensemble des États-membres. Le dispositif est donc d'effet équivalent à l'exigence de réciprocité dont la portée avait été précisée au cinquième considérant de la décision n° 98-400 DC du 20 mai 1998. Celle-ci avait jugé l'exigence satisfaite dès lors que le dernier instrument de ratification avait été déposé.

Comme dans sa rédaction actuelle, l'article 88-3 du projet de loi se borne à ouvrir la possibilité d'accorder le droit de vote et d'éligibilité. Il aurait pu le pérenniser expressément. Cette actualisation aurait été sans incidence pratique : l'article I-10, paragraphe 2, reconnaît le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales pour les citoyens de l'Union dans l'État où ils résident, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État.

L'article I-10 précise que ce droit s'exerce « dans les conditions et limites définies par la Constitution et par les mesures adoptées en application de celui-ci ». Sur ce fondement, la loi organique n° 98-404 du 25 mai 1998 prise pour l'application de l'article 88-3 peut valablement prévoir que les ressortissants communautaires ne peuvent accéder aux fonctions de maire ou d'adjoint.

Article 88-4 de la Constitution

Soumission aux assemblées parlementaires des projets
d'actes
et des documents de l'Union européenne

La rédaction de l'article 88-4, telle qu'elle figure dans le projet de loi constitutionnelle, ne modifie pas l'économie générale des dispositions actuellement applicables. Les quelques modifications apportées sont liées aux nouvelles terminologies utilisées par le traité établissant une Constitution pour l'Europe.

Ainsi, la référence aux Communautés européennes est supprimée pour tenir compte de la fusion de celles-ci et de l'Union européenne. Cependant, au lieu de remplacer la mention aux « projets ou propositions d'acte des Communautés européennes et de l'Union européenne » par une mention comparable se limitant à l'Union européenne, le Gouvernement a préféré faire référence aux « projets ou propositions d'acte des institutions européennes ». L'inconvénient de cette solution est que certains des projets ou propositions d'actes actuellement soumis au Parlement en application de l'article 88-4, car comportant des dispositions législatives, n'ont pas pour auteur des institutions européennes. En effet, tant les traités en vigueur que le traité établissant une Constitution pour l'Europe énumère limitativement les institutions européennes (12). La rédaction retenue semble donc exclure de la liste des documents dont la soumission est obligatoire ceux qui sont produits par des organes de l'Union européenne comme Europol et Eurojust. Or, ces organismes ont le pouvoir de prendre des actes qui, en France, relèvent du domaine de la loi, notamment par le pouvoir qu'ils ont de conclure des accords avec des États étrangers, actes qui sont aujourd'hui soumis au Parlement. Il est donc préférable de faire référence aux « projets ou propositions d'acte de l'Union européenne ».

En conséquence, la commission a adopté un amendement rédactionnel du rapporteur visant à revenir à la rédaction actuelle de l'article 88-4 concernant le champ des projets ou propositions d'actes de l'Union européenne dont la soumission au Parlement est obligatoire (amendement n° 9).

L'autre modification introduite par le projet de révision concerne la substitution de l'expression « qui sont du domaine de la loi » à celle « de nature législative » pour qualifier les actes dont la soumission est obligatoire. En effet, l'expression actuellement utilisée pouvait entraîner une confusion avec la notion « d'actes législatifs européens » introduite par l'article I-34 du traité établissant une Constitution pour l'Europe, et qui définit par ailleurs le champ des actes pouvant faire l'objet d'un contrôle de subsidiarité par le Parlement en vertu du nouvel article 88-5 de la Constitution. Ces deux notions sont en effet bien différentes : le critère du domaine de la loi au sens des articles 34 et 37 de la Constitution est matériel, alors que celui du domaine législatif européen est purement organique. Cela signifie que les actes soumis au Parlement par application de l'article 88-4 doivent faire l'objet d'une appréciation sur leur caractère législatif, qui est opérée par le Gouvernement après avis du Conseil d'État. En revanche, le caractère législatif d'un acte européen relève d'une réalité objective : pour être qualifié ainsi, il suffit qu'il porte le nom de « loi européenne » ou de « loi-cadre européenne ».

Au-delà de ces modifications rédactionnelles, il n'a pas paru opportun au Gouvernement d'apporter de changement à la procédure de contrôle des textes européens. Celle-ci permet à l'Assemblée nationale et au Sénat de voter des résolutions sur un certain nombre de documents européens soumis par le Gouvernement de façon obligatoire, lorsqu'ils ont une portée normative et sont du domaine de la loi, ou facultative, lorsqu'ils ne sont pas du domaine de la loi ou n'ont pas de portée normative, tels les documents de consultation de la Commission (livres blancs, livres verts, communications...).

L'ARTICLE 88-4 EN CHIFFRES

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

Total

Documents transmis (pour information)

568

994

1 038

1 060

2 818

1 592

2 215

2 096

1 776

1 652

1 425

1 431

1 253

19 920

Documents soumis (permet dépôt de résolutions)

40

143

171

206

201

231

206

197

274

295

285

317

331

2 897

dont clause facultative

6

18

17

11

22

19

93

Nombre total de propositions de résolution

24

31

27

37

13

18

17

11

7

6

15

6

212

Nombre de résolutions adoptées par l'Assemblée nationale

11

23

18

18

12

12

12

11

6

4

9

5

141

dont en séance publique

6

15

7

5

0

2

5

0

1

0

1

3

45

Source : délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne

Certes, le nombre de résolutions adoptées par l'Assemblée nationale peut sembler insuffisant : 141 ont été définitivement adoptées depuis 1992, mais cela s'explique d'abord par une insuffisante utilisation des outils existants. En effet, il n'y a eu depuis 1992 que 212 propositions de résolutions déposées par des parlementaires alors que 2 897 documents nous ont été soumis. Il est vrai que ces documents soumis de façon obligatoire sont parfois très techniques, alors que d'autres documents, dont la transmission n'est que facultative, sont d'une beaucoup plus grande importance politique. Les modalités d'application par le Gouvernement de cette clause facultative sont prévues par une circulaire du Premier ministre du 13 décembre 1999. Elle prévoit la soumission systématique des « livres blanc », « livres verts » et du programme de travail annuel de la commission, ainsi que celle des communications de la Commission « qu'il estime revêtir un intérêt particulier pour le Parlement ». Au total, le nombre de ces soumissions facultatives est peu élevé (entre 10 et 20 par an en moyenne), mais elle concerne les documents les plus importants. Pour autant, il serait probablement préférable que le Gouvernement précise davantage sa doctrine concernant les communications de la Commission, et que, plus globalement, il augmente le nombre de textes soumis facultativement au Parlement.

Ainsi, l'accroissement du contrôle parlementaire sur les textes européens pourrait passer par une meilleure utilisation des dispositions actuelles, que ce soit par le Parlement ou par le Gouvernement, sans toucher aux équilibres institutionnels de la Ve République. À l'inverse, modifier l'article 88-4 pour rendre obligatoire la soumission par le Gouvernement de tous les projets et propositions d'actes et de tous les documents de l'Union européenne constituerait une évolution institutionnelle substantielle :

-  en permettant la soumission de tous les actes normatifs européens au Parlement, elle remettrait en cause la stricte séparation des pouvoirs voulue par les auteurs de la Constitution, qui passe notamment par la séparation des domaines législatif et réglementaire. En effet, permettre au Parlement de voter des résolutions sur des textes qui relèvent, en France, du domaine réglementaire revient à lui donner un droit de regard sur des matières que le Constituant a entendu réserver au pouvoir exécutif. Autant il est normal que le Parlement vote des résolutions sur des projets ou propositions d'actes qui seraient en France du domaine de la loi, puisque l'existence de celui-ci a en quelque sorte pour conséquence de le dessaisir d'une compétence qui est confiée par la Constitution, autant rien ne justifie l'intervention automatique du Parlement dans le domaine réglementaire ;

-  en permettant la soumission de tous les documents d'une institution de l'Union européenne, cette évolution conduirait le Parlement à s'immiscer dans la conduite par l'exécutif des relations internationales. En effet, les résolutions qui seraient adoptées sur ces documents, par exemple certaines communications de la Commission ou les conclusions des Conseils européens, pourraient réduire la marge de manœuvre de l'exécutif dans la définition de la politique de la France sur les sujets traités dans ces documents. En outre, ces documents ont parfois directement pour objet la négociation d'un traité international ; c'est le cas de ceux relatifs aux processus d'élargissement. Leur soumission obligatoire au Parlement remettrait donc en cause la compétence de négociation des traités que le Président de la République tient de l'article 52 de la Constitution.

Présentant un amendement rectifié tendant à étendre le contrôle systématique du Parlement sur les projets ou propositions d'actes communautaires, M. Jacques Floch a exposé qu'il permettrait aux deux assemblées d'être saisies non seulement des textes relevant du domaine législatif au sens du droit interne mais aussi de ceux relevant du domaine législatif au sens du droit européen.

M. Xavier de Roux a estimé que l'adoption du traité européen obligerait à clarifier à terme les relations entre le domaine législatif au sens européen et le domaine législatif au sens national.

M. Jérôme Bignon a ajouté qu'il pourrait être envisagé de compléter l'article 34 de la Constitution, ce qui n'exige que le vote d'une loi organique. Le rapporteur s'est déclaré sceptique à l'égard des chances d'une telle extension dans un avenir proche.

M. Jean-Pierre Soisson a réitéré sa proposition de charger la délégation pour l'Union européenne d'un examen approfondi des procédures de contrôle des actes communautaires par le Parlement. Il a en effet estimé que ce travail permettrait de recenser les différences entre les conceptions française et européenne du domaine législatif ainsi que les moyens de remédier à d'éventuelles incohérences.

M. Christophe Caresche a rappelé que, dans son rapport d'information sur la révision constitutionnelle, présenté au nom de la délégation pour l'Union européenne, M. Pierre Lequiller souligne la logique qui devrait conduire le Gouvernement à soumettre obligatoirement au Parlement tous les projets d'actes législatifs européens. Il a précisé que l'amendement rectifié de M. Jacques Floch tendait à répondre à cette recommandation et a regretté que le groupe ump s'oppose systématiquement à l'adoption des amendements proposés par le groupe socialiste. Il a déploré cette attitude qui pourrait finalement être préjudiciable à la majorité, dans la mesure où l'adoption de la révision constitutionnelle exige une majorité des trois cinquièmes des votants au Congrès du Parlement.

M. Arnaud Montebourg a fait observer qu'il existait depuis plusieurs années des éléments de convergence sur la question des actes communautaires à transmettre au Parlement. Il a rappelé avoir évoqué la semaine dernière, lors de l'audition du garde des Sceaux, l'amendement qui avait été proposé en 1998 par M. Michel Barnier, alors sénateur, et qui permettait à la fois d'élargir le domaine des documents transmis au Parlement et de régler le problème de l'inscription à l'ordre du jour d'une discussion sur ces documents. Déclarant se rallier à la version rectifiée de l'amendement de M. Jacques Floch, il a cependant souhaité qu'il ne constitue qu'une étape vers le renforcement nécessaire des compétences du Parlement, comme le prévoyait l'amendement initial.

Le rapporteur s'est réjoui que les auteurs de l'amendement l'aient rectifié et aient puisé leur inspiration dans le rapport de M. Pierre Lequiller : ainsi rédigé, il permet d'ouvrir un débat utile. En effet, il y a, d'un côté, le domaine de la loi au sens de l'article 34, et de l'autre le domaine législatif européen. Or, les deux notions ne se recoupent que partiellement, au risque d'entraîner des confusions et des situations illogiques concernant la soumission des documents au titre de l'article 88-4, d'autant que le contrôle de la subsidiarité concernera, lui, l'ensemble des documents législatifs européens. Il est donc tentant de suivre les auteurs de l'amendement, mais cela aurait pour conséquence de contraindre le Gouvernement à soumettre des projets d'actes législatifs européens qui relèvent en France du domaine réglementaire, comme ceux concernant la procédure civile. Il n'est donc pas possible, en l'état, de donner un avis favorable à l'adoption d'un tel amendement, sans qu'une étude approfondie ait été préalablement menée sur les conséquences qu'il pourrait entraîner.

La Commission a rejeté l'amendement rectifié de M. Jacques Floch.

La commission a ensuite rejeté l'amendement n°3 de la commission des affaires étrangères et l'amendement n°7 de M. Édouard Balladur, par cohérence avec le rejet des amendements n°2 et 6

Article 88-5 [nouveau] de la Constitution

Procédures parlementaires de contrôle de la subsidiarité

Le présent article organise deux des trois procédures parlementaires pour l'exercice de prérogatives rendant nécessaire une révision de la Constitution. Elles tendent au contrôle - ex ante ou ex post - du respect du principe de subsidiarité par les actes législatifs de l'Union.

Ce principe est ainsi défini par le paragraphe 3 de l'article I-11 du traité :

« 3. En vertu du principe de subsidiarité, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, l'Union intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres, tant au niveau central qu'au niveau régional et local, mais peuvent l'être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, au niveau de l'Union.

Les institutions de l'Union appliquent le principe de subsidiarité conformément au protocole sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité. Les parlements nationaux veillent au respect de ce principe conformément à la procédure prévue dans ce protocole. »

Cette définition n'est pas nouvelle. La nouveauté tient à l'implication des parlements nationaux, pour faire respecter un principe protecteur de leurs prérogatives et de leurs compétences.

Le premier alinéa du présent article porte sur l'avis motivé que peuvent émettre, à titre préventif, l'Assemblée nationale et le Sénat sur les projets d'actes législatifs européens. Par « actes législatifs », il faut entendre les nouveaux instruments juridiques de l'Union que sont la loi européenne (qui succède à l'actuel règlement) et la loi-cadre européenne (nouvelle désignation de la directive), définies aux articles I-33 et I-34.

1. Le contrôle a priori : l'avis motivé

C'est dans le protocole n° 2 que figurent les modalités d'intervention des parlements nationaux, étant rappelé que, conformément à l'article IV-442, les protocoles et annexes du traité en font partie intégrante. L'article 6 de ce protocole permet à tout parlement national ou à toute chambre de l'un de ces parlements d'adresser un avis motivé expliquant les raisons pour lesquelles il estime qu'un projet d'acte législatif ne respecte pas le principe de subsidiarité. L'avis motivé est destiné aux présidents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission, et doit leur être adressé dans les six semaines après que le projet a été transmis.

En ordre de grandeur, un document par jour en moyenne serait transmis à ce titre aux assemblées : la Commission les évalue à environ 400 chaque année. La tendance est fortement croissante : en 2002, 316 projets d'actes européens était dénombrés par le Secrétariat général de la Commission européenne, le flux atteignant déjà 371 projets pour les dix premiers mois de 2003 (13) selon un rapport d'information établi par nos collègues Didier Quentin et Jérôme Lambert. Ceux-ci estiment à une cinquantaine le nombre de textes pouvant donner lieu annuellement à un débat sur le respect de la subsidiarité.

L'article 88-5 et les futures dispositions réglementaires prises pour son application devront donc permettre le traitement de très nombreux projets d'actes dans un délai extrêmement resserré.

L'article 88-5 [nouveau] rappelle que la procédure est à la disposition de l'une ou l'autre assemblée. Celles-ci ne partagent pas toujours la même analyse : dans leur rapport précité, MM. Jérôme Lambert et Didier Quentin citent l'exemple d'une divergence d'appréciation au regard du principe de subsidiarité entre l'Assemblée nationale et le Sénat en 2004 concernant la directive sur le permis de conduire.

La brièveté du délai de six semaines, aggravée par les décalages entre le calendrier parlementaire et celui des instances européennes, exige, comme à l'article 88-4, de prévoir l'adoption d'avis motivés hors session. Le corollaire est un renvoi au règlement de chaque assemblée, à tout le moins pour la définition des instances parlementaires compétentes à défaut d'examen en séance publique.

Mais il convient également de s'interroger sur l'opportunité même de débats en séance publique sur les avis motivés, lorsque le Parlement est en session : le nombre des projets concernés est tel que leur examen en séance est de nature à bloquer l'ordre du jour en cas d'initiatives foisonnantes, voire inspirées par une volonté d'obstruction. Dans ces conditions, les dispositions réglementaires devront prévoir des modalités d'initiative et d'adoption des avis motivés propres à conjurer ce risque.

Il est permis d'imaginer, par exemple, une initiative reconnue soit à un dixième des membres composant chaque assemblée, soit aux présidents de groupe et de commission. S'agissant de l'instruction du dossier et de la discussion, il conviendra de déterminer le rôle respectif des organes des assemblées : délégation pour l'Union européenne, commissions permanentes, voire conférence des présidents.

Rappelons que les institutions européennes doivent prendre en considération les avis motivés. L'article 7 du protocole prévoit que le projet en cause doit être réexaminé dès lors qu'un avis motivé a recueilli le tiers des voix des parlements nationaux, ou un quart dans le domaine de la coopération policière ou de la coopération judiciaire en matière pénale.

2. Le contrôle a posteriori : le recours devant la Cour de justice

Le deuxième alinéa du présent article organise la procédure de recours à l'encontre des actes législatifs européens en vigueur. Il fait suite à l'article 8 du protocole n° 2, qui prévoit que les recours pour violation du principe de subsidiarité sont, soit formés par un État-membre, soit transmis par lui au nom de son parlement national ou d'une chambre de celui-ci.

Le délai de recours prévu par le paragraphe 6 de l'article III-365 du traité, auquel renvoie l'article 8 précité, est de deux mois à compter de la publication de la loi européenne ou de la loi-cadre européenne. Ce délai est donc presque aussi bref que celui dans lequel est enfermé l'avis motivé. Pour cette raison, le renvoi à des dispositions réglementaires est nécessaire, afin d'admettre et d'organiser l'adoption d'un recours hors des périodes de session.

Rien n'impose que les règles d'initiative et de discussion soient identiques à celles prévues pour l'avis motivé, dont les caractéristiques sont différentes. C'est pourquoi la rédaction du projet n'emporte pas l'adhésion ; les mots « dans les mêmes conditions » sont en effet porteurs d'une ambiguïté : s'agit-il d'un renvoi au Règlement ou de règles identiques pour les deux procédures, ce qui ne serait pas souhaitable ?

* *

Une clarification paraît donc nécessaire. Elle consisterait d'abord à ajouter à deux alinéas traitant des règles de fond un troisième alinéa, relatif aux conditions de procédure, qui seraient librement déterminées par les règlements des assemblées. Elle tendrait en outre à tirer les conséquences rédactionnelles de l'adoption possible par tel ou tel organe des assemblées, des résolutions portant avis motivés sur la méconnaissance du principe de subsidiarité ou recours devant la Cour de justice en construisant la phrase en cause à la forme passive et en substituant le verbe « adopter » au verbe « voter ».

Quant aux formes que pourraient prendre ces résolutions, elles seront certainement spécifiques. Celles adoptées en application du premier alinéa de l'article 88-5, dans le cadre du contrôle a priori, pourraient être voisines de celles des résolutions de l'article 88-4. Celles prises en application du deuxième alinéa, dans le cadre du contrôle a posteriori, pourraient en revanche se borner à définir l'étendue du recours, c'est-à-dire la liste des dispositions mises en cause tandis que la motivation du recours aurait plutôt vocation à être détaillée dans le rapport établi par les organes parlementaires compétents.

En conséquence, la Commission a adopté un amendement du rapporteur, rectifié à l'initiative de M. Jean-Pierre Soisson, clarifiant la rédaction de l'article 88-5, afin de renvoyer au règlement de chaque assemblée les conditions d'initiative et d'examen des avis motivés sur la conformité d'un projet d'acte législatif européen au principe de subsidiarité ainsi que des recours portés devant la Cour de justice (amendement n° 10).

Article 88-6 [nouveau] de la Constitution

Révision simplifiée du traité

Le présent article prévoit les modalités d'exercice par le Parlement du droit de s'opposer à l'usage de la nouvelle procédure de révision simplifiée du traité instituée par son article IV-444.

L'article IV-444 posait un double problème constitutionnel. En premier lieu, en instituant une « clause passerelle » générale permettant la révision simplifiée du traité sans ratification préalable, donc sans contrôle de constitutionnalité, il appelait une révision constitutionnelle. Celle-ci est réalisée par les deux rédactions données à l'article 88-1 de la Constitution par les articles 1er et 3 du présent projet, s'appliquant respectivement avant et après l'entrée en vigueur du traité. On notera, obiter dictum, que l'article IV-445, quoique prévoyant un autre cas de révision simplifiée, qui concerne les politiques et actions internes de l'Union, ne soulève pas de difficulté constitutionnelle. Il prévoit en effet l'approbation de la décision par les États membres, « conformément à leurs règles constitutionnelles respectives ».

En second lieu, parce qu'il prévoit l'intervention des parlements dans la procédure, l'article IV-444 implique une révision, en vue de prévoir les conditions d'exercice de la nouvelle prérogative parlementaire. Tel est l'objet du présent article.

L'importance de la procédure de révision, dont l'exercice est de nature à mettre en cause les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté, a conduit l'article IV-444 du traité à faire du Parlement, et non de chaque assemblée, le titulaire de la nouvelle prérogative. C'est au Parlement, représentant du peuple souverain, qu'il revenait de pouvoir s'opposer à la révision. Comme en matière de révision de la Constitution, les deux assemblées doivent logiquement être placées dans une situation égalitaire. Or ni la commission mixte paritaire, ni le « dernier mot » de l'Assemblée nationale, prévus dans la procédure législative ordinaire par l'article 45 de la Constitution, ne sont appliqués pour une révision constitutionnelle dans le cadre de l'article 89.

Autre différence avec l'avis motivé prévu par l'article 88-5, ce pouvoir est doté d'un effet absolu : il suffit de l'opposition d'un parlement national pour faire échec à l'utilisation de la « clause passerelle ». Cette opposition n'a pas à être motivée.

En d'autres termes, l'article 88-6 instaure, au profit de chaque parlement national, le pouvoir de dire « non », tandis que l'article 88-5, alinéa 1, permet aux assemblées d'argumenter en vue de participer à une minorité de blocage européenne.

C'est en ce sens qu'il convient de lire, au début du présent article : « une motion adoptée en termes identiques ». En dépit de l'expression « en termes identiques », qui paraît suggérer l'idée d'un texte susceptible d'être amendé, voire soumis à une sorte de « navette parlementaire », c'est bien d'une motion qu'il s'agit. Comme la motion référendaire ou la motion de censure devant l'Assemblée nationale, elle a vocation à faire l'objet d'un vote d'approbation ou de rejet, mais non à être amendée, comme pourrait l'être une résolution. L'article 122 du règlement de l'Assemblée nationale, qui régit la motion tendant à proposer de soumettre au référendum le texte en discussion, prévoit, en son deuxième alinéa : « Elle ne peut être assortie d'aucune condition ou réserve, ni comporter d'amendement au texte déposé par le Gouvernement ». Il s'agit en effet d'éviter les motions à caractère dilatoire ou destinées à détourner la procédure normale de discussion du projet de loi.

Quant à la motion de censure, si elle peut être motivée, conformément au troisième alinéa de l'article 153 du règlement, il ne peut lui être présenté d'amendement, aux termes de l'article 154, cinquième alinéa. La motion tendant à l'ajournement de la ratification d'un traité ou d'un accord international présente les mêmes caractéristiques : si l'article 128 dispose qu'elle peut être motivée, elle ne peut faire l'objet d'amendements.

Pour sa part, la motion de renvoi en commission, comme les autres motions de procédures régies par l'article 91 du règlement de notre Assemblée, ont en commun de faire l'objet d'un débat organisé portant sur le sens de la décision, sans laisser place à un débat sur des amendements.

La motion d'opposition devra donc faire l'objet devant chaque assemblée d'un vote identique tendant à s'opposer à l'application de la clause passerelle, pour interrompre la procédure engagée. Il serait concevable que ce vote soit simultané devant l'Assemblée nationale et le Sénat.

L'article 88-6 ne le précise pas, mais il résulte de l'article IV-444 que la motion d'opposition doit être adoptée de façon à permettre une notification dans le délai de six mois à compter de la transmission du projet.

Présentant un amendement de M. Jacques Floch visant à donner à l'Assemblée nationale le dernier mot pour s'opposer à une modification des règles d'adoption d'actes de l'Union européenne selon la procédure de révision simplifiée, M. René Dosière a souligné que l'article, en instaurant, dans le cadre de cette procédure, un parlementarisme égalitaire, portait atteinte à la prééminence constitutionnelle de l'Assemblée nationale.

Défendant un amendement ayant le même objet, M. Francis Delattre a estimé que le fait de soumettre le vote de la motion prévue à l'article 88-6 à un accord des deux assemblées réduisait la portée du dispositif et n'était en outre pas conforme à l'esprit de la Constitution.

Le rapporteur a objecté que la nouvelle procédure prévue à l'article IV-444 du traité, permettant le passage de la règle de l'unanimité à celle de la majorité qualifiée, s'apparente à une révision du traité, sans être soumise ni à ratification, ni à un contrôle préalable de constitutionnalité, alors qu'elle met en cause les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale. Il a en conséquence estimé pleinement justifié que, comme en matière de révision de la Constitution, le pouvoir de s'opposer à une telle révision du traité soit dévolu au Parlement, selon une procédure conférant aux deux chambres des pouvoirs identiques. Il a, par ailleurs, rappelé que le mécanisme de l'article 89 imposait que toute révision constitutionnelle procède d'un accord des deux assemblées et qu'en outre une majorité qualifiée des trois cinquièmes est exigée au Congrès.

La Commission a, contre l'avis du rapporteur, adopté l'amendement de M. Jacques Floch (amendement n° 11), l'amendement de M. Francis Delattre étant déclaré satisfait.

Puis la Commission a rejeté un amendement de M. Jacques Floch précisant que la discussion d'une motion présentée en application de l'article 88-6 est inscrite à l'ordre du jour prioritaire de chaque assemblée.

Article 88-7 [nouveau] de la Constitution

Autorisation par référendum de ratifier les traités d'adhésion

L'article 88-7, dans sa rédaction en vigueur à partir de l'entrée en vigueur du traité établissant une Constitution pour l'Europe, se contente de reprendre les dispositions introduites, par la création d'un nouvel article 88-5 dès promulgation de la loi constitutionnelle, qui concernent l'obligation de soumettre au référendum l'autorisation de ratification des futurs traités d'adhésion.

Outre une modification rédactionnelle, liée à la fusion des communautés européennes et de l'Union européenne, le principal changement opéré par la future rédaction du titre XV réside donc dans le changement de numérotation de cet article. En effet, il a semblé logique au Gouvernement de rapprocher les articles relatifs aux pouvoirs nouveaux du Parlement prévus par le traité de l'article 88-4 qui fixe les pouvoirs actuels des Assemblées en matière de contrôle de la construction européenne : ceux-ci deviendront donc les articles 88-5 et 88-6 de la Constitution à l'entrée en vigueur du traité, ce qui aura donc pour conséquence de déplacer les dispositions sur le référendum préalable tout élargissement à l'article 88-7.

Par cohérence avec son vote sur l'amendement présenté à l'article 2, la Commission a rejeté un amendement de M. Jacques Floch soumettant la ratification d'un traité relatif à l'adhésion d'un État à l'Union européenne à une déclaration du Gouvernement devant chaque assemblée, suivie d'un débat.

La Commission a ensuite adopté l'article 3 ainsi modifié.

Après l'article 3

La Commission a rejeté un amendement de M. Jacques Floch visant à inscrire à l'ordre du jour prioritaire des assemblées les résolutions proposées en application de l'article 88-5 ainsi que les motions déposées en application de l'article 88-6.

Article 4

Champ d'application des règles d'autorisation par référendum
de ratifier les traités d'adhésion

L'article 4 du projet de loi constitutionnelle définit le champ d'application dans le temps des nouvelles dispositions relatives à l'organisation d'un référendum obligatoire pour autoriser la ratification des futurs traités d'élargissement de l'Union européenne. Il est à noter que les dispositions de cet article ne feront pas matériellement partie de la Constitution car elles ne seront pas insérées dans le texte même de la Constitution du 4 octobre 1958. Elles auront en revanche formellement valeur constitutionnelle puisqu'elles seront inscrites dans une loi constitutionnelle.

L'obligation d'organiser un référendum avant tout nouvel élargissement est nouvelle et n'est prévue dans aucun autre pays de l'Union européenne. Par exemple, aucun des quinze États alors membres de l'Union n'a organisé de référendum préalablement à l'élargissement historique de 2004 à dix nouveaux membres. L'introduction de cette disposition en France, l'un des pays moteurs de la construction européenne, pourrait ainsi avoir une incidence sur le processus même de négociation avec les futurs adhérents. C'est pourquoi, il a semblé qu'il était honnête vis-à-vis des États qui se sont déjà engagés dans le processus de ne pas les soumettre à cette obligation de référendum, ce qui reviendrait autrement à modifier le cadre des négociations dans lequel ils s'étaient engagés. Pour cela, l'article 4 du projet de loi constitutionnelle précise que les dispositions relatives à cette nouvelle disposition ne seront « pas applicables aux adhésions faisant suite à une conférence intergouvernementale dont la convocation a été décidée par le Conseil européen avant le 1er juillet 2004 », ce qui exclut la Bulgarie, la Roumanie et la Croatie.

La Bulgarie et la Roumanie font en effet partie du même processus historique d'élargissement que les dix États qui ont rejoint l'Union le 1er mai 2004. En effet, les négociations d'adhésion ont débuté avec ces deux pays le 13 octobre 1999, en même temps que celles avec la Lituanie, la Lettonie, la République slovaque et Malte (14). Une dissociation a été décidée en décembre 2002 par le Conseil européen qui a considéré que la Bulgarie et la Roumanie ne pouvaient reprendre l'ensemble de l'acquis communautaire avant 2004 et il a alors décidé que leur adhésion interviendrait en 2007. De fait, les négociations avec ces deux pays sont achevées depuis le 14 décembre 2004, le traité d'adhésion devant être signé au cours de l'année 2005.

S'agissant de la Croatie, sa candidature est plus récente, elle date du 21 février 2003, ce qui s'explique par la guerre qui a suivi l'éclatement de l'ex-Yougoslavie jusqu'en 1995. Compte tenu du niveau de développement de ce pays, la Croatie semble en mesure de rattraper relativement ce retard dans le processus d'adhésion. Ainsi, le Conseil européen, lors de la réunion des 17 et 18 juin 2004, « a décidé de convoquer une conférence intergouvernementale bilatérale avec la Croatie au début de 2005 avant d'entamer ces négociations ». Le processus d'adhésion de ce pays à l'Union européenne était donc déjà entamé lorsque le Président de la République a pris l'engagement de soumettre au référendum les futurs élargissements de l'Union, le 1er octobre 2004.

Ainsi, parmi les candidats actuels, seule la Turquie est susceptible d'être concernée par l'obligation d'organiser un référendum préalablement à son adhésion, puisque la décision d'organiser une conférence intergouvernementale avec ce pays a été prise lors du Conseil européen des 16 et 17 décembre 2004, soit postérieurement à la date du 1er juillet 2004, indiquée dans l'article 4 du projet de loi. Bien évidemment, l'article 88-5, qui deviendra l'article 88-7 après l'entrée en vigueur du Traité établissant une Constitution pour l'Europe, s'appliquera également à toute nouvelle candidature d'un État à l'Union européenne. Il est par exemple probable que d'autres États issus de l'ex-Yougoslavie souhaiteront rejoindre l'Union européenne, comme la Macédoine, la Serbie-et-Monténégro ou la Bosnie-Herzégovine. De même, si la Norvège a par deux fois renoncé à adhérer aux institutions européennes, le débat sur l'appartenance à l'Union européenne est loin d'être clos dans ce pays.

La Commission a adopté cet article sans modification.

Après l'article 4

La Commission a rejeté un amendement de M. Jacques Myard proclamant la participation de la France au développement de la francophonie.

*

* *

La Commission a adopté l'ensemble du projet de loi constitutionnelle ainsi modifié.

*

* *

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République vous demande d'adopter le projet de loi constitutionnelle (n° 2022) modifiant le titre XV de la Constitution, modifié par les amendements figurant au tableau comparatif ci-après.

TABLEAU COMPARATIF

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Texte en vigueur

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Texte du projet de loi
constitutionnelle

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Propositions de la Commission

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Article 1er

Il est ajouté à l'article 88-1 de la Constitution un second alinéa ainsi rédigé :

Article 1er

(Sans modification).

Constitution du 4 octobre 1958

Art. 88-1. -   La République participe aux Communautés européennes et à l'Union européenne, constituées d'États qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont instituées, d'exercer en commun certaines de leurs compétences.

« Elle peut participer à l'Union européenne dans les conditions prévues par le traité établissant une Constitution pour l'Europe signé le 29 octobre 2004. »

Article 2

I. -  Il est ajouté au titre XV de la Constitution un article 88-5 ainsi rédigé :

Article 2

(Sans modification).

« Art. 88-5. -  Tout projet de loi autorisant la ratification d'un traité relatif à l'adhésion d'un État à l'Union européenne et aux Communautés européennes est soumis au référendum par le Président de la République. »

Art. 60. -   Le Conseil Constitutionnel veille à la régularité des opérations de référendum prévues aux articles 11 et 89 et en proclame les résultats.

II. -  À l'article 60 de la Constitution, les mots : « et en proclame les résultats. » sont remplacés par les mots : « et au titre XV. Il en proclame les résultats. »

Article 3

À compter de l'entrée en vigueur du traité établissant une Constitution pour l'Europe, le titre XV de la Constitution est remplacé par les dispositions suivantes :

Article 3

(Alinéa sans modification).

« Titre XV
Des communautés européennes et de l'Union européenne

« Titre XV
« De l'Union européenne

(Alinéa sans modification).

(Alinéa sans modification).

Art. 88-1. -   cf. supra art. 1er du projet de loi constitutionnelle

« Art. 88-1. -  Dans les conditions fixées par le traité établissant une Constitution pour l'Europe signé le 29 octobre 2004, la France participe à l'Union européenne, constituée d'États qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences.

« Art. 88-1. -  (Sans modification).

Art. 88-2. -   Sous réserve de réciprocité et selon les modalités prévues par le Traité sur l'Union européenne signé le 7 février 1992, la France consent aux transferts de compétences nécessaires à l'établissement de l'union économique et monétaire européenne.

Sous la même réserve et selon les modalités prévues par le Traité instituant la Communauté européenne, dans sa rédaction résultant du traité signé le 2 octobre 1997, peuvent être consentis les transferts de compétence nécessaires à la détermination des règles relatives à la libre circulation des personnes et aux domaines qui lui sont liés.

La loi fixe les règles relatives au mandat d'arrêt européen en application des actes pris sur le fondement du Traité sur l'Union européenne.

« Art. 88-2. -  La loi fixe les règles relatives au mandat d'arrêt européen en application des actes pris par les institutions de l'Union européenne.

« Art. 88-2. -  (Sans modification).

Art. 88-3. -   Sous réserve de réciprocité et selon les modalités prévues par le Traité sur l'Union européenne signé le 7 février 1992, le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales peut être accordé aux seuls citoyens de l'Union résidant en France. Ces citoyens ne peuvent exercer les fonctions de maire ou d'adjoint ni participer à la désignation des électeurs sénatoriaux et à l'élection des sénateurs. Une loi organique votée dans les mêmes termes par les deux assemblées détermine les conditions d'application du présent article.

« Art. 88-3. -  Le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales peut être accordé aux citoyens de l'Union résidant en France. Ces citoyens ne peuvent exercer les fonctions de maire ou d'adjoint ni participer à la désignation des électeurs sénatoriaux et à l'élection des sénateurs. Une loi organique votée dans les mêmes termes par les deux assemblées détermine les conditions d'application du présent article.

« Art. 88-3. -  (Sans modification).

Art. 88-4. -   Le Gouvernement soumet à l'Assemblée nationale et au Sénat, dès leur transmission au Conseil de l'Union européenne, les projets ou propositions d'actes des Communautés européennes et de l'Union européenne comportant des dispositions de nature législative. Il peut également leur soumettre les autres projets ou propositions d'actes ainsi que tout document émanant d'une institution de l'Union européenne.

« Art. 88-4. -  Le Gouvernement soumet à l'Assemblée nationale et au Sénat, dès leur transmission au Conseil de l'Union européenne, les projets ou propositions d'actes des institutions européennes comportant des dispositions qui sont du domaine de la loi. Il peut également leur soumettre les autres projets ou propositions d'actes ainsi que tout document émanant d'une institution européenne.

« Art. 88-4. -  



... 
actes de l'Union européenne comportant ...

(amendement n° 9)

Selon des modalités fixées par le règlement de chaque assemblée, des résolutions peuvent être votées, le cas échéant en dehors des sessions, sur les projets, propositions ou documents mentionnés à l'alinéa précédent.

« Selon les modalités fixées par le règlement de chaque assemblée, des résolutions peuvent être votées, le cas échéant en dehors des sessions, sur les projets, propositions ou documents mentionnés à l'alinéa précédent.

(Alinéa sans modification).

« Art. 88-5. -  L'Assemblée nationale ou le Sénat peuvent voter, le cas échéant en dehors des sessions, selon les modalités fixées par leur règlement, une résolution portant avis motivé sur la conformité d'un projet d'acte législatif européen au principe de subsidiarité. La résolution est adressée par le président de l'assemblée aux présidents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission de l'Union européenne. Le Gouvernement en est tenu informé.

« Art. 88-5. -   ... peuvent émettre un avis motivé ...


... subsidiarité. L'avis est adressé par le président de l'assemblée concernée aux présidents ...

... est informé.

« Chaque assemblée peut, dans les mêmes conditions, former un recours devant la Cour de justice de l'Union européenne contre un acte législatif européen pour violation du principe de subsidiarité. Ce recours est transmis à la Cour de justice de l'Union européenne par le Gouvernement.

... peut former ...

« À ces fins, des résolutions peuvent être adoptées, le cas échéant en dehors des sessions, selon des modalités d'initiative et de discussion fixées par le règlement de chaque assemblée. »

(amendement n° 10)

« Art. 88-6. -  Par le vote d'une motion adoptée en termes identiques par l'Assemblée nationale et le Sénat, le Parlement peut s'opposer à une modification des règles d'adoption d'actes de l'Union européenne selon la procédure de révision simplifiée du traité établissant une Constitution pour l'Europe.

« Art. 88-6. -   ... motion, le Parlement ...

« Lorsque la motion n'est pas adoptée en termes identiques par les deux chambres, l'Assemblée nationale statue définitivement selon les modalités fixées par son règlement. »

(amendement n° 11)

« Art. 88-7. -  Tout projet de loi autorisant la ratification d'un traité relatif à l'adhésion d'un État à l'Union européenne est soumis au référendum par le Président de la République. »

« Art. 88-7. -  (Sans modification).

Article 4

L'article 88-5, dans sa rédaction en vigueur jusqu'à l'entrée en vigueur du traité établissant une Constitution pour l'Europe, et l'article 88-7 de la Constitution ne sont pas applicables aux adhésions faisant suite à une conférence intergouvernementale dont la convocation a été décidée par le Conseil européen avant le 1er juillet 2004.

Article 4

(Sans modification).

ANNEXE AU TABLEAU COMPARATIF

Traité établissant une Constitution pour l'Europe

Partie III

Les politiques et le fonctionnement de l'Union

Art. III-365. -  1. La Cour de justice de l'Union européenne contrôle la légalité des lois et lois-cadres européennes, des actes du Conseil, de la Commission et de la Banque centrale européenne, autres que les recommandations et les avis, ainsi que des actes du Parlement européen et du Conseil européen destinés à produire des effets juridiques à l'égard des tiers. Elle contrôle aussi la légalité des actes des organes ou organismes de l'Union destinés à produire des effets juridiques à l'égard des tiers.

2. Aux fins du paragraphe 1, la Cour de justice de l'Union européenne est compétente pour se prononcer sur les recours pour incompétence, violation des formes substantielles, violation de la Constitution ou de toute règle de droit relative à son application, ou détournement de pouvoir, formés par un État membre, le Parlement européen, le Conseil ou la Commission.

3. La Cour de justice de l'Union européenne est compétente, dans les conditions prévues aux paragraphes 1 et 2, pour se prononcer sur les recours formés par la Cour des comptes, par la Banque centrale européenne et par le Comité des régions qui tendent à la sauvegarde des prérogatives de ceux-ci.

4. Toute personne physique ou morale peut former, dans les conditions prévues aux paragraphes 1 et 2, un recours contre les actes dont elle est le destinataire ou qui la concernent directement et individuellement, ainsi que contre les actes réglementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d'exécution.

5. Les actes créant les organes et organismes de l'Union peuvent prévoir des conditions et modalités particulières concernant les recours formés par des personnes physiques ou morales contre des actes de ces organes ou organismes destinés à produire des effets juridiques à leur égard.

6. Les recours prévus par le présent article doivent être formés dans un délai de deux mois à compter, suivant le cas, de la publication de l'acte, de sa notification au requérant ou, à défaut, du jour où celui-ci en a eu connaissance.

Partie IV

Dispositions générales et finales

Art. IV-442. -  Protocoles et annexes

Les protocoles et annexes du présent traité en font partie intégrante.

Art. IV-443. -  Procédure de révision ordinaire

1. Le gouvernement de tout État membre, le Parlement européen ou la Commission peut soumettre au Conseil des projets tendant à la révision du présent traité. Ces projets sont transmis par le Conseil au Conseil européen et notifiés aux parlements nationaux.

2. Si le Conseil européen, après consultation du Parlement européen et de la Commission, adopte à la majorité simple une décision favorable à l'examen des modifications proposées, le président du Conseil européen convoque une Convention composée de représentants des parlements nationaux, des chefs d'État ou de gouvernement des États membres, du Parlement européen et de la Commission. La Banque centrale européenne est également consultée dans le cas de modifications institutionnelles dans le domaine monétaire. La Convention examine les projets de révision et adopte par consensus une recommandation à une Conférence des représentants des gouvernements des États membres telle que prévue au paragraphe 3.

Le Conseil européen peut décider à la majorité simple, après approbation du Parlement européen, de ne pas convoquer de Convention lorsque l'ampleur des modifications ne le justifie pas. Dans ce dernier cas, le Conseil européen établit le mandat pour une Conférence des représentants des gouvernements des États membres.

3. Une Conférence des représentants des gouvernements des États membres est convoquée par le président du Conseil en vue d'arrêter d'un commun accord les modifications à apporter au présent traité.

Les modifications entrent en vigueur après avoir été ratifiées par tous les États membres conformément à leurs règles constitutionnelles respectives.

4. Si à l'issue d'un délai de deux ans à compter de la signature du traité modifiant le présent traité, les quatre cinquièmes des États membres ont ratifié ledit traité et qu'un ou plusieurs États membres ont rencontré des difficultés pour procéder à ladite ratification, le Conseil européen se saisit de la question.

Art. IV-444. -  Procédure de révision simplifiée

1. Lorsque la partie III prévoit que le Conseil statue à l'unanimité dans un domaine ou dans un cas déterminé, le Conseil européen peut adopter une décision européenne autorisant le Conseil à statuer à la majorité qualifiée dans ce domaine ou dans ce cas.

Le présent paragraphe ne s'applique pas aux décisions ayant des implications militaires ou dans le domaine de la défense.

2. Lorsque la partie III prévoit que des lois ou lois-cadres européennes sont adoptées par le Conseil conformément à une procédure législative spéciale, le Conseil européen peut adopter une décision européenne autorisant l'adoption desdites lois ou lois-cadres conformément à la procédure législative ordinaire.

3. Toute initiative prise par le Conseil européen sur la base des paragraphes 1 ou 2 est transmise aux parlements nationaux. En cas d'opposition d'un parlement national notifiée dans un délai de six mois après cette transmission, la décision européenne visée aux paragraphes 1 ou 2 n'est pas adoptée. En l'absence d'opposition, le Conseil européen peut adopter ladite décision.

Pour l'adoption des décisions européennes visées aux paragraphes 1 et 2, le Conseil européen statue à l'unanimité, après approbation du Parlement européen, qui se prononce à la majorité des membres qui le composent.

Art. IV-445. -  Procédure de révision simplifiée concernant les politiques et actions internes de l'Union

1. Le gouvernement de tout État membre, le Parlement européen ou la Commission peut soumettre au Conseil européen des projets tendant à la révision de tout ou partie des dispositions de la partie III, titre III, relatives aux politiques et actions internes de l'Union.

2. Le Conseil européen peut adopter une décision européenne modifiant tout ou partie des dispositions de la partie III, titre III. Le Conseil européen statue à l'unanimité, après consultation du Parlement européen et de la Commission ainsi que de la Banque centrale européenne dans le cas de modifications institutionnelles dans le domaine monétaire.

Cette décision européenne n'entre en vigueur qu'après son approbation par les États membres, conformément à leurs règles constitutionnelles respectives.

3. La décision européenne visée au paragraphe 2 ne peut pas accroître les compétences attribuées à l'Union dans le présent traité.

Art. IV-446. -  Durée

Le présent traité est conclu pour une durée illimitée.

Art. IV-447. -  Ratification et entrée en vigueur

1. Le présent traité est ratifié par les Hautes parties contractantes, conformément à leurs règles constitutionnelles respectives. Les instruments de ratification sont déposés auprès du gouvernement de la République italienne.

2. Le présent traité entre en vigueur le 1er novembre 2006, à condition que tous les instruments de ratification aient été déposés, ou, à défaut, le premier jour du deuxième mois suivant le dépôt de l'instrument de ratification de l'État signataire qui procède le dernier à cette formalité.

Protocoles annexés

Protocole n° 1 sur le rôle des parlements nationaux dans l'Union européenne

Les hautes parties contractantes,

Rappelant que la manière dont les parlements nationaux exercent leur contrôle sur leur gouvernement pour ce qui touche aux activités de l'Union relève de l'organisation et de la pratique constitutionnelles propres à chaque État membre ;

Désireuses d'encourager une participation accrue des parlements nationaux aux activités de l'Union européenne et de renforcer leur capacité à exprimer leur point de vue sur les projets d'actes législatifs européens ainsi que sur d'autres questions qui peuvent présenter pour eux un intérêt particulier,

Sont convenues des dispositions ci-après, qui sont annexées au traité établissant une Constitution pour l'Europe et au traité instituant la Communauté européenne de l'énergie atomique :

Titre I

Informations destinées aux parlements nationaux :

Art. 1er -  Les documents de consultation de la Commission (livres verts, livres blancs et communications) sont transmis directement par la Commission aux parlements nationaux lors de leur publication. La Commission transmet également aux parlements nationaux le programme législatif annuel ainsi que tout autre instrument de programmation législative ou de stratégie politique en même temps qu'elle les transmet au Parlement européen et au Conseil.

Art. 2. -  Les projets d'actes législatifs européens adressés au Parlement européen et au Conseil sont transmis aux parlements nationaux.

Aux fins du présent protocole, on entend par « projet d'acte législatif européen », les propositions de la Commission, les initiatives d'un groupe d'États membres, les initiatives du Parlement européen, les demandes de la Cour de justice, les recommandations de la Banque centrale européenne et les demandes de la Banque européenne d'investissement, visant à l'adoption d'un acte législatif européen.

Les projets d'actes législatifs européens émanant de la Commission sont transmis directement par la Commission aux parlements nationaux, en même temps qu'au Parlement européen et au Conseil.

Les projets d'actes législatifs européens émanant du Parlement européen sont transmis directement par le Parlement européen aux parlements nationaux.

Les projets d'actes législatifs européens émanant d'un groupe d'États membres, de la Cour de justice, de la Banque centrale européenne ou de la Banque européenne d'investissement sont transmis par le Conseil aux parlements nationaux.

Art. 3 -  Les parlements nationaux peuvent adresser aux présidents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission, un avis motivé concernant la conformité d'un projet d'acte législatif européen avec le principe de subsidiarité, selon la procédure prévue par le protocole sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité.

Si le projet d'acte législatif européen émane d'un groupe d'États membres, le président du Conseil transmet le ou les avis motivés aux gouvernements de ces États membres.

Si le projet d'acte législatif européen émane de la Cour de justice, de la Banque centrale européenne ou de la Banque européenne d'investissement, le président du Conseil transmet le ou les avis motivés à l'institution ou l'organe concerné.

Art. 4. -  Un délai de six semaines est observé entre le moment où un projet d'acte législatif européen est mis à la disposition des parlements nationaux dans les langues officielles de l'Union et la date à laquelle il est inscrit à l'ordre du jour provisoire du Conseil en vue de son adoption ou de l'adoption d'une position dans le cadre d'une procédure législative. Des exceptions sont possibles en cas d'urgence, dont les motifs sont exposés dans l'acte ou la position du Conseil. Sauf dans des cas urgents dûment motivés, aucun accord ne peut être constaté sur un projet d'acte législatif européen au cours de ces six semaines. Sauf dans les cas urgents dûment motivés, un délai de dix jours est observé entre l'inscription d'un projet d'acte législatif européen à l'ordre du jour provisoire du Conseil et l'adoption d'une position.

Art. 5 -  Les ordres du jour et les résultats des sessions du Conseil, y compris les procès-verbaux des sessions au cours desquelles le Conseil délibère sur des projets d'actes législatifs européens, sont transmis directement aux parlements nationaux, en même temps qu'aux gouvernements des États membres.

Art. 6. -  Lorsque le Conseil européen envisage de recourir à l'article IV-444, paragraphe 1 ou 2, de la Constitution, les parlements nationaux sont informés de l'initiative du Conseil européen au moins six mois avant qu'une décision européenne ne soit adoptée.

Art. 7 -  La Cour des comptes transmet à titre d'information son rapport annuel aux parlements nationaux, en même temps qu'au Parlement européen et au Conseil.

Art. 8. -  Lorsque le système parlementaire national n'est pas monocaméral, les articles 1 à 7 s'appliquent aux chambres qui le composent.

Titre II

Coopération interparlementaire

Art. 9 -  Le Parlement européen et les parlements nationaux définissent ensemble l'organisation et la promotion d'une coopération interparlementaire efficace et régulière au sein de l'Union.

Art. 10. -  Une conférence des organes parlementaires spécialisés dans les affaires de l'Union peut soumettre toute contribution qu'elle juge appropriée à l'attention du Parlement européen, du Conseil et de la Commission. Cette conférence promeut, en outre, l'échange d'informations et de meilleures pratiques entre les parlements nationaux et le Parlement européen, y compris entre leurs commissions spécialisées. Elle peut également organiser des conférences inter-parlementaires sur des thèmes particuliers, notamment pour débattre des questions de politique étrangère et de sécurité commune, y compris la politique de sécurité et de défense commune. Les contributions de la conférence ne lient pas les parlements nationaux et ne préjugent pas de leur position.

Protocole n° 2 sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité

Les hautes parties contractantes,

Désireuses de faire en sorte que les décisions soient prises le plus près possible des citoyens de l'Union;

Déterminées à fixer les conditions d'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité fixés à l'article I-11 de la Constitution, ainsi qu'à établir un système de contrôle de l'application de ces principes,

Sont convenues des dispositions ci-après, qui sont annexées au traité établissant une Constitution pour l'Europe:

Art. 1er -  Chaque institution veille de manière continue au respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité définis à l'article I-11 de la Constitution.

Art. 2 -  Avant de proposer un acte législatif européen, la Commission procède à de larges consultations. Ces consultations doivent tenir compte, le cas échéant, de la dimension régionale et locale des actions envisagées. En cas d'urgence exceptionnelle, la Commission ne procède pas à ces consultations. Elle motive sa décision dans sa proposition.

Art. 3 -  Aux fins du présent protocole, on entend par « projet d'acte législatif européen », les propositions de la Commission, les initiatives d'un groupe d'États membres, les initiatives du Parlement européen, les demandes de la Cour de justice, les recommandations de la Banque centrale européenne et les demandes de la Banque européenne d'investissement, visant à l'adoption d'un acte législatif européen.

Art.4. -  La Commission transmet ses projets d'actes législatifs européens ainsi que ses projets modifiés aux parlements nationaux en même temps qu'au législateur de l'Union.

Le Parlement européen transmet ses projets d'actes législatifs européens ainsi que ses projets modifiés aux parlements nationaux.

Le Conseil transmet les projets d'actes législatifs européens émanant d'un groupe d'États membres, de la Cour de justice, de la Banque centrale européenne ou de la Banque européenne d'investissement, ainsi que les projets modifiés, aux parlements nationaux.

Dès leur adoption, les résolutions législatives du Parlement européen et les positions du Conseil sont transmises par ceux-ci aux parlements nationaux.

Art. 5. -  Les projets d'actes législatifs européens sont motivés au regard des principes de subsidiarité et de proportionnalité. Tout projet d'acte législatif européen devrait comporter une fiche contenant des éléments circonstanciés permettant d'apprécier le respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité. Cette fiche devrait comporter des éléments permettant d'évaluer son impact financier et, lorsqu'il s'agit d'une loi-cadre européenne, ses implications sur la réglementation à mettre en oeuvre par les États membres, y compris, le cas échéant, la législation régionale. Les raisons permettant de conclure qu'un objectif de l'Union peut être mieux atteint au niveau de celle-ci s'appuient sur des indicateurs qualitatifs et, chaque fois que c'est possible, quantitatifs. Les projets d'actes législatifs européens tiennent compte de la nécessité de faire en sorte que toute charge, financière ou administrative, incombant à l'Union, aux gouvernements nationaux, aux autorités régionales ou locales, aux opérateurs économiques et aux citoyens soit la moins élevée possible et à la mesure de l'objectif à atteindre.

Art. 6. -  Tout parlement national ou toute chambre de l'un de ces parlements peut, dans un délai de six semaines à compter de la date de transmission d'un projet d'acte législatif européen, adresser aux présidents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission un avis motivé exposant les raisons pour lesquelles il estime que le projet en cause n'est pas conforme au principe de subsidiarité. Il appartient à chaque parlement national ou à chaque chambre d'un parlement national de consulter, le cas échéant, les parlements régionaux possédant des pouvoirs législatifs.

Si le projet d'acte législatif européen émane d'un groupe d'États membres, le président du Conseil transmet l'avis aux gouvernements de ces États membres.

Si le projet d'acte législatif européen émane de la Cour de justice, de la Banque centrale européenne ou de la Banque européenne d'investissement, le président du conseil transmet l'avis à l'institution ou organe concerné.

Art.7 -  Le Parlement européen, le Conseil et la Commission, ainsi que, le cas échéant, le groupe d'États membres, la Cour de justice, la Banque centrale européenne ou la Banque européenne d'investissement, si le projet d'acte législatif émane d'eux, tiennent compte des avis motivés adressés par les parlements nationaux ou par une chambre de l'un de ces parlements.

Chaque parlement national dispose de deux voix, réparties en fonction du système parlementaire national. Dans un système parlementaire national bicaméral, chacune des deux chambres dispose d'une voix.

Dans le cas où les avis motivés sur le non-respect par un projet d'acte législatif européen du principe de subsidiarité représentent au moins un tiers de l'ensemble des voix attribuées aux parlements nationaux conformément au deuxième alinéa, le projet doit être réexaminé. Ce seuil est un quart lorsqu'il s'agit d'un projet d'acte législatif européen présenté sur la base de l'article III-264 de la Constitution relatif à l'espace de liberté, de sécurité et de justice.

À l'issue de ce réexamen, la Commission ou, le cas échéant, le groupe d'États membres, le Parlement européen, la Cour de justice, la Banque centrale européenne ou la Banque européenne d'investissement, si le projet d'acte législatif européen émane d'eux, peut décider, soit de maintenir le projet, soit de le modifier, soit de le retirer. Cette décision doit être motivée.

Art. 8. -  La Cour de justice de l'Union européenne est compétente pour se prononcer sur les recours pour violation, par un acte législatif européen, du principe de subsidiarité formés, conformément aux modalités prévues à l'article III-365 de la Constitution, par un État membre ou transmis par celui-ci conformément à son ordre juridique au nom de son parlement national ou d'une chambre de celui-ci.

Conformément aux modalités prévues audit article, de tels recours peuvent aussi être formés par le Comité des régions contre des actes législatifs européens pour l'adoption desquels la Constitution prévoit sa consultation.

Art. 9. -  La Commission présente chaque année au Conseil européen, au Parlement européen, au Conseil et aux parlements nationaux un rapport sur l'application de l'article I-11 de la Constitution. Ce rapport annuel est également transmis au Comité des régions et au Comité économique et social.

AMENDEMENTS NON ADOPTÉS PAR LA COMMISSION

Avant l'article premier

Amendements présentés par M. Arnaud Montebourg :

·  Insérer l'article suivant :

« Dans le premier alinéa de l'article 21 du titre III de la Constitution, après les mots « exécution des lois », il est inséré une phrase ainsi rédigée : « Il négocie et signe les traités relatifs à la participation de la France à l'Union européenne et en assure la représentation au conseil de l'Union européenne. »

·  [retiré] Insérer l'article suivant :

« Après le premier alinéa de l'article 38 du titre V de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« L'autorisation ne peut pas permettre de prendre par ordonnance des mesures émanant d'une institution de l'Union européenne comportant des dispositions qui sont du domaine de la loi. »

Amendement n° 1 présenté par M. Daniel Garrigue :

Insérer l'article suivant :

« Dans le deuxième alinéa de l'article 43 de la Constitution, le nombre : "six" est remplacé par le nombre : "sept". »

Amendement présenté par M. Arnaud Montebourg :

Insérer l'article suivant :

« Le premier alinéa de l'article 52 du titre VI de la Constitution, est complété par les mots : "à l'exclusion des traités relatifs à la participation de la France à l'Union européenne". »

Après l'article premier

Amendement n° 2 présenté par M. Roland Blum, rapporteur au nom de la commission des affaires étrangères saisie pour avis :

Insérer l'article suivant :

« Le premier alinéa de l'article 88-4 de la Constitution est complété par une phrase ainsi rédigée : « Il y est tenu lorsque le Président de l'Assemblée nationale ou du Sénat, le Président de l'une des commissions permanentes de ces assemblées, ou soixante députés ou soixante sénateurs le demandent. »

Amendement n° 6 présenté par M. Édouard Balladur :

Insérer l'article suivant :

« Le premier alinéa de l'article 88-4 de la Constitution est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Lorsque le Président de l'Assemblée nationale ou du Sénat, le Président de l'une des commissions permanentes de ces assemblées, ou soixante députés ou soixante sénateurs le demandent, le Gouvernement est tenu de soumettre à chaque assemblée ces documents ou ces autres projets ou propositions d'actes, à l'exception de ceux relatifs aux traités en cours de négociation par le Président de la République en application de l'article 52. »

Article 2

Amendements présentés par M. Jacques Floch et les commissaires membres du groupe socialiste :

·  Supprimer cet article.

·  Compléter le I de cet article par l'alinéa suivant :

« Le référendum mentionné à l'alinéa précédent fait l'objet d'une déclaration du Gouvernement devant chaque assemblée, suivie d'un débat. »

Article 3

(Art. 88-4 de la Constitution)

Amendement présenté par M. Jacques Floch et les commissaires membres du groupe socialiste :

Après les mots « domaine de la loi », rédiger ainsi la fin de la première phrase du premier alinéa de cet article : « ainsi que tout projet d'acte législatif européen. »

Amendement n° 3 présenté par M. Roland Blum, rapporteur au nom de la commission des affaires étrangères saisie pour avis :

Compléter le premier alinéa de cet article par la phrase suivante :

« Il y est tenu lorsque le Président de l'Assemblée nationale ou du Sénat, le Président de l'une des commissions permanentes de ces assemblées, ou soixante députés ou soixante sénateurs le demandent. »

Amendement n° 7 présenté par M. Édouard Balladur :

Compléter le premier alinéa de cet article par la phrase suivante :

« Lorsque le Président de l'Assemblée nationale ou du Sénat, le Président de l'une des commissions permanentes de ces assemblées, ou soixante députés ou soixante sénateurs le demandent, le Gouvernement est tenu de soumettre à chaque assemblée ces documents ou ces autres projets ou propositions d'actes, à l'exception de ceux relatifs aux traités en cours de négociation par le Président de la République en application de l'article 52. »

(Art. 88-6 de la Constitution)

Amendement présenté par M. Jacques Floch et les commissaires membres du groupe socialiste :

Compléter cet article par l'alinéa suivant :

« La motion mentionnée à l'alinéa précédent fait l'objet d'une inscription prioritaire à l'ordre du jour de chaque assemblée. »

(Art. 88-7 de la Constitution)

Amendement présenté par M. Jacques Floch et les commissaires membres du groupe socialiste :

Compléter cet article par l'alinéa suivant :

« Le référendum mentionné à l'alinéa précédent fait l'objet d'une déclaration du Gouvernement devant chaque assemblée, suivi d'un débat. »

Après l'article 3

Amendement présenté par M. Jacques Floch et les commissaires membres du groupe socialiste :

Insérer l'article suivant :

« L'article 48 du titre V de la Constitution est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« L'inscription à l'ordre du jour des assemblées comporte, par priorité la discussion d'une résolution prévue à l'article 88-5 ou d'une motion prévue à l'article 88-6. »

Après l'article 4

Amendement n° 5 présenté par M. Jacques Myard :

Insérer l'article suivant :

« I. -  Le titre XIV de la Constitution est complété par les mots : « et de la Francophonie ».

« II. -  L'article 88 de la Constitution est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« La République française participe à la construction d'un espace francophone de solidarité et de liberté ».

ANNEXE

Décision du Conseil constitutionnel n° 2004-505 DC du 19 novembre 2004

Traité établissant une Constitution pour l'Europe

Le Conseil constitutionnel a été saisi par le Président de la République le 29 octobre 2004, en application de l'article 54 de la Constitution, de la question de savoir si l'autorisation de ratifier le traité établissant une Constitution pour l'Europe, signé à Rome le même jour, doit être précédée d'une révision de la Constitution ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Vu la Constitution du 4 octobre 1958, notamment son titre XV : « Des communautés européennes et de l'Union européenne » ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu le traité instituant la Communauté européenne ;

Vu le traité sur l'Union européenne ;

Vu les autres engagements souscrits par la France et relatifs aux Communautés européennes et à l'Union européenne ;

Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu les décisions du Conseil constitutionnel nos 2004-496 DC du 10 juin 2004, 2004-497 DC du 1er juillet 2004, 2004-498 DC et 2004-499 DC du 29 juillet 2004 ;

Vu l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme n° 4774/98 (affaire Leyla Sahin c. Turquie) du 29 juin 2004 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

- Sur les normes de référence applicables :

1.  Considérant que, par le préambule de la Constitution de 1958, le peuple français a proclamé solennellement « son attachement aux droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946 » ;

2.  Considérant que, dans son article 3, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen énonce que « le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation » ; que l'article 3 de la Constitution de 1958 dispose, dans son premier alinéa, que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum » ;

3.  Considérant que le préambule de la Constitution de 1946 proclame, dans son quatorzième alinéa, que la République française se « conforme aux règles du droit public international » et, dans son quinzième alinéa, que « sous réserve de réciprocité, la France consent aux limitations de souveraineté nécessaires à l'organisation et à la défense de la paix » ;

4.  Considérant que, dans son article 53, la Constitution de 1958 consacre, comme le faisait l'article 27 de la Constitution de 1946, l'existence de « traités ou accords relatifs à l'organisation internationale » ; que ces traités ou accords ne peuvent être ratifiés ou approuvés par le Président de la République qu'en vertu d'une loi ;

5.  Considérant que la République française participe aux Communautés européennes et à l'Union européenne dans les conditions prévues par le titre XV de la Constitution ; qu'en particulier, aux termes de son article 88-1 : « La République participe aux Communautés européennes et à l'Union européenne, constituées d'États qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont instituées, d'exercer en commun certaines de leurs compétences » ;

6.  Considérant que ces textes de valeur constitutionnelle permettent à la France de participer à la création et au développement d'une organisation européenne permanente, dotée de la personnalité juridique et investie de pouvoirs de décision par l'effet de transferts de compétences consentis par les États membres ;

7.  Considérant, toutefois, que, lorsque des engagements souscrits à cette fin contiennent une clause contraire à la Constitution, remettent en cause les droits et libertés constitutionnellement garantis ou portent atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale, l'autorisation de les ratifier appelle une révision constitutionnelle ;

8.  Considérant que c'est au regard de ces principes qu'il revient au Conseil constitutionnel de procéder à l'examen du traité « établissant une Constitution pour l'Europe » signé à Rome le 29 octobre 2004, ainsi que de ses protocoles et annexes ; que sont toutefois soustraites au contrôle de conformité à la Constitution celles des stipulations du traité qui reprennent des engagements antérieurement souscrits par la France ;

- Sur le principe de primauté du droit de l'Union européenne :

9. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte des stipulations du traité soumis au Conseil constitutionnel, intitulé « Traité établissant une Constitution pour l'Europe », et notamment de celles relatives à son entrée en vigueur, à sa révision et à la possibilité de le dénoncer, qu'il conserve le caractère d'un traité international souscrit par les États signataires du traité instituant la Communauté européenne et du traité sur l'Union européenne ;

10. Considérant, en particulier, que n'appelle pas de remarque de constitutionnalité la dénomination de ce nouveau traité ; qu'en effet, il résulte notamment de son article I-5, relatif aux relations entre l'Union et les États membres, que cette dénomination est sans incidence sur l'existence de la Constitution française et sa place au sommet de l'ordre juridique interne ;

11. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article 88-1 de la Constitution : « La République participe aux Communautés européennes et à l'Union européenne, constituées d'États qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont instituées, d'exercer en commun certaines de leurs compétences » ; que le constituant a ainsi consacré l'existence d'un ordre juridique communautaire intégré à l'ordre juridique interne et distinct de l'ordre juridique international ;

12. Considérant qu'aux termes de l'article I-1 du traité : « Inspirée par la volonté des citoyens et des États d'Europe de bâtir leur avenir commun, la présente Constitution établit l'Union européenne, à laquelle les États membres attribuent des compétences pour atteindre leurs objectifs communs. L'Union coordonne les politiques des États membres visant à atteindre ces objectifs et exerce sur le mode communautaire les compétences qu'ils lui attribuent » ; qu'en vertu de l'article I-5, l'Union respecte l'identité nationale des États membres « inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles » ; qu'aux termes de l'article I-6 : « La Constitution et le droit adopté par les institutions de l'Union, dans l'exercice des compétences qui sont attribuées à celle-ci, priment le droit des États membres » ; qu'il résulte d'une déclaration annexée au traité que cet article ne confère pas au principe de primauté une portée autre que celle qui était antérieurement la sienne ;

13. Considérant que, si l'article I-1 du traité substitue aux organisations établies par les traités antérieurs une organisation unique, l'Union européenne, dotée en vertu de l'article I-7 de la personnalité juridique, il ressort de l'ensemble des stipulations de ce traité, et notamment du rapprochement de ses articles I-5 et I-6, qu'il ne modifie ni la nature de l'Union européenne, ni la portée du principe de primauté du droit de l'Union telle qu'elle résulte, ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel par ses décisions susvisées, de l'article 88-1 de la Constitution ; que, dès lors, l'article I-6 du traité soumis à l'examen du Conseil n'implique pas de révision de la Constitution ;

- Sur la charte des droits fondamentaux de l'Union :

14. Considérant qu'il y a lieu d'apprécier la conformité à la Constitution de la « Charte des droits fondamentaux de l'Union » qui constitue la deuxième partie du traité soumis au Conseil constitutionnel ;

15. Considérant, en premier lieu, qu'en vertu de l'article II-111 du traité et à l'exception de ses articles II-101 à II-104, lesquels ne concernent que les « institutions, organes et organismes de l'Union », la Charte s'adresse aux États membres « lorsqu'ils mettent en œuvre le droit de l'Union » et « uniquement » dans ce cas ; qu'elle est sans incidence sur les compétences de l'Union ; qu'en vertu du paragraphe 5 de l'article II-112, elle comporte, à côté de « droits » directement invocables devant les juridictions, des « principes » qui constituent des objectifs ne pouvant être invoqués qu'à l'encontre des actes de portée générale relatifs à leur mise en œuvre ; qu'au nombre de tels « principes » figurent notamment le « droit d'accès aux prestations de sécurité sociale et aux services sociaux », le « droit de travailler », le « droit des personnes âgées à mener une vie digne et indépendante et à participer à la vie sociale et culturelle », le « principe du développement durable » et le « niveau élevé de protection des consommateurs » ;

16. Considérant, en deuxième lieu, que, conformément au paragraphe 4 de l'article II-112 du traité, dans la mesure où la Charte reconnaît des droits fondamentaux tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, « ces droits doivent être interprétés en harmonie avec lesdites traditions » ; que sont dès lors respectés les articles 1er à 3 de la Constitution qui s'opposent à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d'origine, de culture, de langue ou de croyance ;

17. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de son préambule, « la Charte sera interprétée par les juridictions de l'Union et des États membres en prenant dûment en considération les explications établies sous l'autorité du præsidium de la Convention qui a élaboré la Charte » ; que le paragraphe 7 de l'article II-112 du traité dispose également que : « Les explications élaborées en vue de guider l'interprétation de la Charte des droits fondamentaux sont dûment prises en considération par les juridictions de l'Union et des États membres » ;

18. Considérant, en particulier, que, si le premier paragraphe de l'article II-70 reconnaît le droit à chacun, individuellement ou collectivement, de manifester, par ses pratiques, sa conviction religieuse en public, les explications du præsidium précisent que le droit garanti par cet article a le même sens et la même portée que celui garanti par l'article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'il se trouve sujet aux mêmes restrictions, tenant notamment à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé et de la morale publics, ainsi qu'à la protection des droits et libertés d'autrui ; que l'article 9 de la Convention a été constamment appliqué par la Cour européenne des droits de l'homme, et en dernier lieu par sa décision susvisée, en harmonie avec la tradition constitutionnelle de chaque État membre ; que la Cour a ainsi pris acte de la valeur du principe de laïcité reconnu par plusieurs traditions constitutionnelles nationales et qu'elle laisse aux États une large marge d'appréciation pour définir les mesures les plus appropriées, compte tenu de leurs traditions nationales, afin de concilier la liberté de culte avec le principe de laïcité ; que, dans ces conditions, sont respectées les dispositions de l'article 1er de la Constitution aux termes desquelles « la France est une République laïque », qui interdisent à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s'affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers ;

19. Considérant, par ailleurs, que le champ d'application de l'article II-107 du traité, relatif au droit au recours effectif et à un tribunal impartial, est plus large que celui de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, puisqu'il ne concerne pas seulement les contestations relatives à des droits et obligations de caractère civil ou le bien-fondé d'une accusation en matière pénale ; qu'il résulte néanmoins des explications du præsidium que la publicité des audiences peut être soumise aux restrictions prévues à cet article de la Convention ; qu'ainsi, « l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice » ;

20. Considérant, en outre, que si, en vertu de l'article II-110, « Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l'Union par un jugement pénal définitif », il résulte des termes mêmes de cet article, comme le confirment les explications du præsidium, que cette disposition concerne exclusivement le droit pénal et non les procédures administratives ou disciplinaires ; que, de plus, la référence à la notion d'identité d'infractions, et non à celle d'identité de faits, préserve la possibilité pour les juridictions françaises, dans le respect du principe de proportionnalité des peines, de réprimer les crimes et délits portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation prévus au titre premier du livre IV du code pénal, compte tenu des éléments constitutifs propres à ces infractions et des intérêts spécifiques en cause ;

21. Considérant, en quatrième lieu, que la clause générale de limitation énoncée au premier paragraphe de l'article II-112 prévoit : « Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d'intérêt général reconnus par l'Union ou au besoin de protection des droits et libertés d'autrui » ; que les explications du præsidium précisent que les « intérêts généraux reconnus par l'Union » s'entendent notamment des intérêts protégés par le premier paragraphe de l'article I-5, aux termes duquel l'Union respecte « les fonctions essentielles de l'État, notamment celles qui ont pour objet d'assurer son intégrité territoriale, de maintenir l'ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale » ;

22. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que ni par le contenu de ses articles, ni par ses effets sur les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale, la Charte n'appelle de révision de la Constitution ;

- Sur les dispositions du traité relatives aux politiques et au fonctionnement de l'Union :

23. Considérant qu'en vertu de l'article 88-2 de la Constitution, dans sa rédaction issue des révisions constitutionnelles des 25 juin 1992, 25 janvier 1999 et 25 mars 2003 : « Sous réserve de réciprocité et selon les modalités prévues par le Traité sur l'Union européenne signé le 7 février 1992, la France consent aux transferts de compétences nécessaires à l'établissement de l'Union économique et monétaire européenne. - Sous la même réserve et selon les modalités prévues par le Traité instituant la Communauté européenne, dans sa rédaction résultant du traité signé le 2 octobre 1997, peuvent être consentis les transferts de compétences nécessaires à la détermination des règles relatives à la libre circulation des personnes et aux domaines qui lui sont liés. - La loi fixe les règles relatives au mandat d'arrêt européen en application des actes pris sur le fondement du Traité sur l'Union européenne » ;

24. Considérant qu'appellent une révision constitutionnelle les clauses du traité qui transfèrent à l'Union européenne des compétences affectant les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale dans des domaines ou selon des modalités autres que ceux prévus par les traités mentionnés à l'article 88-2 ;

25. Considérant que le « principe de subsidiarité », énoncé par l'article I-11 du traité, implique que, dans les domaines ne relevant pas de la compétence exclusive de l'Union, celle-ci n'intervienne que « si, et dans la mesure où, les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres, tant au niveau central qu'au niveau régional et local, mais peuvent l'être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, au niveau de l'Union » ; que, toutefois, la mise en œuvre de ce principe pourrait ne pas suffire à empêcher que les transferts de compétence autorisés par le traité revêtent une ampleur ou interviennent selon des modalités telles que puissent être affectées les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale ;

26. Considérant que, conformément à l'article I-34 du traité, sauf disposition contraire, la « loi européenne » et la « loi-cadre européenne », qui se substituent au « règlement communautaire » et à la « directive communautaire », seront adoptées, sur proposition de la seule Commission, conjointement par le Conseil des ministres, statuant à la majorité qualifiée prévue à l'article I-25, et par le Parlement européen, selon la « procédure législative ordinaire » prévue à l'article III-396 ; que, sauf exception, relèveront désormais de cette procédure toutes les matières de la compétence de l'Union, notamment celles qui intéressent l'« espace de liberté, de sécurité et de justice » faisant l'objet du chapitre IV du titre III de la troisième partie du traité ;

En ce qui concerne les transferts de compétence intervenant dans des matières nouvelles :

27. Considérant qu'appellent une révision de la Constitution les dispositions du traité qui transfèrent à l'Union européenne, et font relever de la « procédure législative ordinaire », des compétences inhérentes à l'exercice de la souveraineté nationale ; qu'il en est ainsi notamment de l'article III-265, dans le domaine du contrôle aux frontières, de l'article III-269, dans le domaine de la coopération judiciaire en matière civile, et des articles III-270 et III-271, dans le domaine de la coopération judiciaire en matière pénale, pour celles des compétences mentionnées auxdits articles qui n'entrent dans les prévisions ni des articles 62 et 65 du traité instituant la Communauté européenne, ni des articles 31 et 34 du traité sur l'Union européenne ;

28. Considérant qu'appelle également une révision de la Constitution, eu égard à la portée que revêt une telle disposition pour l'exercice de la souveraineté nationale, l'article III-274, relatif à la création d'un Parquet européen, organe habilité à poursuivre les auteurs d'infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union et à exercer devant les juridictions françaises l'action publique relative à ces infractions ;

En ce qui concerne les modalités nouvelles d'exercice de compétences déjà transférées, applicables dès l'entrée en vigueur du traité :

29. Considérant qu'appelle une révision de la Constitution toute disposition du traité qui, dans une matière inhérente à l'exercice de la souveraineté nationale mais relevant déjà des compétences de l'Union ou de la Communauté, modifie les règles de décision applicables, soit en substituant la règle de la majorité qualifiée à celle de l'unanimité au sein du Conseil, privant ainsi la France de tout pouvoir d'opposition, soit en conférant une fonction décisionnelle au Parlement européen, lequel n'est pas l'émanation de la souveraineté nationale, soit en rivant la France de tout pouvoir propre d'initiative ;

30. Considérant, en conséquence, qu'appellent une révision de la Constitution, dès lors qu'ils font désormais dépendre les mesures en cause d'une décision du Conseil statuant à la majorité qualifiée, notamment les articles III-270 et III-271, en ce qu'ils se rapportent à des compétences déjà transférées dans le domaine de la coopération judiciaire en matière pénale, les articles III-273 et III-276, qui concernent la structure, le fonctionnement, le domaine d'action et les tâches d'Eurojust et d'Europol, et le b) du paragraphe 2 de l'article III-300, relatif aux actions ou positions de l'Union décidées sur proposition du ministre des affaires étrangères de celle-ci ;

31. Considérant qu'il en va de même, en tant qu'ils confèrent une fonction décisionnelle au Parlement européen, notamment de l'article III-191, qui prévoit que la loi ou la loi-cadre européenne établit les mesures nécessaires à l'usage de l'euro, et du premier paragraphe de l'article III-419 qui, dans les matières intéressant l'espace de liberté, de sécurité et de justice, soumet désormais à l'approbation du Parlement européen l'instauration de toute « coopération renforcée » au sein de l'Union ;

32. Considérant qu'il en va également de même de l'article III-264, en ce qu'il substitue au pouvoir propre d'initiative dont dispose chaque État membre en vertu des traités antérieurs l'initiative conjointe d'un quart des États membres en vue de présenter un projet d'acte européen dans des matières relevant de l'espace de liberté, de sécurité et de justice, comme celles mentionnées à l'article III-273 concernant Eurojust, et aux articles III-275 à III-277 relatifs à la coopération policière ;

En ce qui concerne le passage à la majorité qualifiée en vertu d'une décision européenne ultérieure :

33. Considérant qu'appelle une révision de la Constitution toute disposition du traité, dénommée « clause passerelle » par ses négociateurs, qui, dans une matière inhérente à l'exercice de la souveraineté nationale, permet, même en subordonnant un tel changement à une décision unanime du Conseil européen ou du Conseil des ministres, de substituer un mode de décision majoritaire à la règle de l'unanimité au sein du Conseil des ministres ; qu'en effet, de telles modifications ne nécessiteront, le moment venu, aucun acte de ratification ou d'approbation nationale de nature à permettre un contrôle de constitutionnalité sur le fondement de l'article 54 ou de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution ;

34. Considérant que tel est le cas en particulier des mesures relatives au droit de la famille ayant une incidence transfrontière prévues par le paragraphe 3 de l'article III-269, des règles minimales relatives à la procédure pénale prévues par le d) du paragraphe 2 de l'article III-270, ainsi que des règles minimales relatives à la définition et à la répression des infractions dans des domaines de criminalité particulièrement grave revêtant une dimension transfrontière prévues par le troisième alinéa du premier paragraphe de l'article III-271 ; qu'il en va de même du paragraphe 7 de l'article I-40 et du paragraphe 3 de l'article III-300, qui permettent que des décisions relatives à la politique étrangère et de sécurité commune, dont la portée n'est pas limitée par le traité, soient désormais prises par le Conseil statuant à la majorité qualifiée, s'il en est décidé ainsi par le Conseil européen se prononçant à l'unanimité, mais sans ratification nationale ;

En ce qui concerne les procédures de révision simplifiée prévues par les articles IV-444 et IV-445 du traité :

35. Considérant, d'une part, que, pour les raisons exposées ci-dessus, doit être également examinée la « clause passerelle » générale figurant à l'article IV-444, qui institue une procédure de « révision simplifiée » du traité ; que cet article permet au Conseil européen, par son premier paragraphe, d'autoriser le Conseil, sauf en matière de défense, à se prononcer à la majorité qualifiée dans un domaine ou dans un cas pour lesquels le traité requiert l'unanimité et, par son deuxième paragraphe, d'autoriser l'adoption de lois ou lois-cadres conformément à la procédure législative ordinaire chaque fois que la partie III prévoit une procédure législative spéciale ; qu'en l'absence de procédure nationale de ratification de nature à permettre un contrôle de constitutionnalité, ces dispositions appellent une révision de la Constitution nonobstant la faculté donnée à tout parlement national de s'opposer à leur mise en œuvre ;

36. Considérant, d'autre part, que l'article IV-445 institue une procédure de révision simplifiée concernant les politiques et actions internes de l'Union ; qu'il prévoit que, sur proposition d'un État membre, du Parlement européen ou de la Commission, le Conseil européen, statuant à l'unanimité, « peut adopter une décision européenne modifiant tout ou partie des dispositions de la partie III, titre III » relatives aux politiques et actions internes de l'Union ; qu'aux termes du second alinéa de son deuxième paragraphe, cette décision européenne n'entre en vigueur qu'après son approbation par les États membres « conformément à leurs règles constitutionnelles respectives » ; que cette référence aux règles constitutionnelles des États membres renvoie, dans le cas de la France, à l'autorisation législative prévue par l'article 53 de la Constitution ;

- Sur les nouvelles prérogatives reconnues aux parlements nationaux dans le cadre de l'Union :

37. Considérant que le traité soumis au Conseil constitutionnel accroît la participation des parlements nationaux aux activités de l'Union européenne ; qu'il leur reconnaît, à cet effet, de nouvelles prérogatives ; qu'il y a lieu d'apprécier si ces prérogatives peuvent être exercées dans le cadre des dispositions actuelles de la Constitution ;

38. Considérant, en premier lieu, que l'article IV-444 instaure, comme il a été dit, une procédure de révision simplifiée du traité ; qu'il prévoit la transmission aux parlements nationaux de toute initiative prise en ce sens et ajoute que : « En cas d'opposition d'un parlement national notifiée dans un délai de six mois après cette transmission, la décision européenne... n'est pas adoptée » ;

39. Considérant, en deuxième lieu, que le second alinéa du paragraphe 3 de l'article I-11 prévoit que les parlements nationaux veillent au respect du principe de subsidiarité par les institutions de l'Union conformément au protocole n° 2 ; qu'il résulte des articles 6 et 7 de celui-ci, combinés avec l'article 3 du protocole n° 1, qu'un parlement national ou, le cas échéant, chacune de ses chambres, pourra désormais, dans un délai de six semaines à compter de la date à laquelle lui est transmis un projet d'acte législatif européen, adresser aux présidents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission un avis motivé exposant les raisons pour lesquelles il estime que le projet n'est pas conforme au principe de subsidiarité ; que le projet devra être réexaminé lorsque ces avis rassembleront un tiers des voix des parlements nationaux, ou un quart de ces voix dans le domaine de la coopération judiciaire en matière pénale ou dans celui de la coopération policière ; qu'à cet effet, tout parlement national dispose de deux voix, chacune des chambres d'un parlement bicaméral disposant d'une voix ; qu'à l'issue de ce réexamen, l'organe dont le projet émane pourra décider de le maintenir, de le modifier ou de le retirer ;

40. Considérant, en troisième lieu, que l'article 8 du protocole n° 2 prévoit que la Cour de justice, compétente pour se prononcer sur les requêtes formées pour violation du principe de subsidiarité, pourra également examiner un recours transmis par un État membre « conformément à son ordre juridique au nom de son parlement national ou d'une chambre de celui-ci » ;

41. Considérant que le droit reconnu au Parlement français de s'opposer à une modification du traité selon le mode simplifié prévu par l'article IV-444 rend nécessaire une révision de la Constitution afin de permettre l'exercice de cette prérogative ; qu'il en va de même de la faculté qui lui est conférée, le cas échéant selon des procédures propres à chacune de ses deux chambres, d'émettre un avis motivé ou de former un recours devant la Cour de justice dans le cadre du contrôle du respect du principe de subsidiarité ;

- Sur les autres dispositions du traité :

42. Considérant qu'aucune des autres dispositions du traité soumis au Conseil constitutionnel au titre de l'article 54 de la Constitution n'implique de révision de celle-ci ;

- Sur l'ensemble du traité :

43. Considérant que, pour les motifs ci-dessus énoncés, l'autorisation de ratifier le traité établissant une Constitution pour l'Europe exige une révision de la Constitution,

D É C I D E :

Art. premier. -  L'autorisation de ratifier le traité établissant une Constitution pour l'Europe ne peut intervenir qu'après révision de la Constitution.

Art. 2. -  La présente décision sera notifiée au Président de la République et publiée au Journal officiel de la République française.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 19 novembre 2004, où siégeaient : M. Pierre Mazeaud, Président, MM. Jean-Claude Colliard, Olivier Dutheillet de Lamothe, Mme Jacqueline de Guillenchmidt, MM. Pierre Joxe et Jean-Louis Pezant, Mme Dominique Schnapper, M. Pierre Steinmetz et Mme Simone Veil.

N° 2033 - Rapport de la commission des lois sur le projet de loi modifiant le titre XV de la Constitution (rapporteur : M. Pascal Clément)

1 () Actes du colloque « Quelle Constitution pour l'Europe » organisé par la Fondation Robert Schuman le 17 mars 2004.

2 () Arrêt « Les Verts contre Parlement européen » du 23 avril 1986.

3 () Arrêt « Costa contre Enel » du 14 juillet 1964.

4 () Arrêt « Simmenthal » du 9 mars 1978.

5 () Expression de Michel Troper citée par Alain Laquieze et Anne Paynot in « L'Union européenne tend-elle à devenir un État ? »; publié par la Fondation pour l'innovation politique, novembre 2004.

6 () « Le cadre constitutionnel du débat de révision de la Constitution », supplément de la lettre n° 191 de la Fondation Robert Schuman, 6 décembre 2004.

7 () Conférence de presse à l'issue du sommet franco-allemand de Strasbourg le 1er octobre 2004.

8 () Le champ d'application dans le temps des dispositions de cet article est précisé par l'article 4 du projet de loi constitutionnelle : il ne s'appliquera pas aux adhésions à l'Union européenne faisant suite à une conférence gouvernementale dont la convocation a été décidée par le Conseil européen avant le 1er juillet 2004, c'est-à-dire en pratique aux traités concernant la Roumanie, la Bulgarie et la Croatie.

9 () Décisions du Conseil constitutionnel sur des requêtes présentées contre des actes préparatoires au référendum du 24 septembre sur le projet de loi constitutionnelle relatif au quinquennat (« Hauchemaille », 25 juillet, 23 août et 6 septembre 2000, « Larrouturou », 23 août 2000, « Pasqua », 6 septembre 2000 et « Meyet », 11 septembre 2000) et arrêt Mégret, Meyet et autres, du Conseil d'État du 1er septembre 2000.

10 () Avis du 9 novembre 1995.

11 () Décisions n°2004-496 DC du 10 juin 2004(« économie numérique ») et n°2004-498 DC du 29 juillet 2004.

12 () Les articles I-19, I-30 et I-31 du traité qualifient d'institutions le Parlement européen, le Conseil européen, le Conseil des ministres, la Commission européenne, la Cour de justice de l'Union européenne, la Banque centrale européenne et la Cour des comptes

13 () Jérôme Lambert et Didier Quentin, rapport d'information n° 1919 du 16 novembre 2004 présenté au nom de la délégation pour l'Union européenne, page 26.

14 () Les négociations d'adhésion avec les six autres pays avaient débuté le 31 mars 1998.


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