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le 14 mars 2005

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N° 2152

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 9 mars 2005

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES, DE L'ENVIRONNEMENT ET DU TERRITOIRE SUR LA PROPOSITION DE LOI (n° 2145) DE M. JEAN-CLAUDE SANDRIER ET PLUSIEURS DE SES COLLÈGUES, relative au droit à vivre dans la dignité,

PAR M. JEAN-CLAUDE SANDRIER,

Député.

--

INTRODUCTION 5

I.- UN NOMBRE CROISSANT DE PERSONNES SONT PRIVÉES DES CONDITIONS D'UNE VIE DIGNE 7

A.- L'ACCÈS AU LOGEMENT, À L'EAU ET À L'ÉNERGIE : LES CONDITIONS MINIMALES D'UNE VIE DIGNE 7

1. Des coupures d'eau, d'énergie, et des expulsions de plus en plus fréquentes 7

2. Un facteur aggravant de la montée de l'exclusion sociale 9

B.- UNE DÉRIVE QUI SUSCITE, EN RÉACTION, UNE DEMANDE SOCIALE DE SOLIDARITÉ 10

1. L'incurie de l'État, la réaction des élus locaux 10

2. La mobilisation des acteurs associatifs : avantages et limites 11

II.- LE DROIT À VIVRE DANS LA DIGNITÉ RELÈVE DES DROITS DE L'HOMME 13

A.- UN PRINCIPE RECONNU ET PROCLAMÉ AU SOMMET DE NOTRE HIÉRARCHIE DES NORMES 13

1. Le principe du droit à vivre dans la dignité se déduit de la Constitution 13

2. Le principe du droit à vivre dans la dignité est confirmé par le droit international 14

B.- UN PRINCIPE PLUSIEURS FOIS RÉAFFIRMÉ PAR LE LÉGISLATEUR 15

1. Le législateur a reconnu le principe d'un droit au logement 15

2. La loi a reconnu le principe d'un droit à la fourniture en eau 16

3. Le législateur a progressivement reconnu le droit à l'électricité et au gaz pour tous 17

III.- LA MISE EN œUVRE LÉGISLATIVE DU DROIT À VIVRE DANS LA DIGNITÉ EST INSUFFISANTE 19

A.- LE DROIT AU LOGEMENT : UNE MISE EN œUVRE LÉGISLATIVE ENCORE INSUFFISANTE 19

1. Le système de prévention des expulsions issu de la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions 19

a) Les aides des fonds de solidarité pour le logement 20

b) La procédure d'expulsion : une procédure très encadrée, qui offre de larges pouvoirs au juge et au préfet 20

2. Les dysfonctionnements de ce système de prévention des expulsions 21

a) Une procédure qui débouche souvent sur une situation de non droit : l'inexécution d'un jugement d'expulsion 22

b) Une procédure longue, qui maintient le bailleur comme le locataire dans une incertitude problématique 22

c) Un coût social disproportionné par rapport aux dettes en jeu 23

d) Une mise en œuvre administrative insuffisante 25

e) Une incohérence : la suspension des aides au logement en cas d'incidents de paiement 26

f) Un champ d'application trop étroit 26

B.- L'APPROVISIONNEMENT EN EAU ET EN ÉNERGIE : DES GARANTIES INSUFFISANTES 27

1. Les systèmes de prévention des coupures d'eau et d'électricité antérieurs à la loi « responsabilités locales » 27

a) Le système de prévention des coupures d'eau 27

b) Le système de prévention des coupures d'électricité et de gaz 27

2. La fusion des fonds « eau » et « énergie » dans le FSL : une réforme sans garanties 28

C.- LA PROCÉDURE DE TRAITEMENT DU SURENDETTEMENT, SOUVENT INSATISFAISANTE ET PARFOIS CONTREPRODUCTIVE 29

1. Les commissions de surendettement ne prennent pas suffisamment en compte le droit à vivre dans la dignité. 29

2. L'insuffisante coordination des deux procédures de surendettement et d'expulsion nuit à leur efficacité 30

IV.- FAIRE AVANCER LA MISE EN œUVRE CONCRÈTE DU DROIT À VIVRE DANS LA DIGNITÉ 33

A.- METTRE FIN À LA PRATIQUE DES EXPULSIONS ET DES COUPURES D'EAU, DE GAZ OU D'ÉLECTRICITÉ 33

1. Mettre fin à la pratique des expulsions pour garantir un véritable droit au logement 33

2. Mettre fin à la pratique des coupures d'eau et d'énergie pour garantir un véritable droit à l'eau et à l'énergie 34

B.- AMÉLIORER LA PROCÉDURE ADMINISTRATIVE ET JUDICIAIRE POUR MIEUX PRENDRE EN COMPTE LES DIFFICULTÉS DES DÉBITEURS 35

1. Instaurer une procédure administrative de traitement capable de prendre la mesure des difficultés individuelles 35

2. Instaurer des mécanismes de prévention des impayés pour les personnes défavorisées 37

EXAMEN EN COMMISSION 39

MESDAMES, MESSIEURS,

Près de 10 000 expulsions locatives, 215 000 coupures d'électricité, 120 000 coupures d'eau sont effectuées par an. La « trêve hivernale », qui interdit les expulsions pendant l'hiver, prend fin le 15 mars, jour de la discussion de la proposition de loi que votre rapporteur a l'honneur de vous présenter. Personne ne niera que sans logement, sans eau, sans électricité, il n'y a pas de vie possible dans la dignité. Voire qu'il n'y a pas de vie possible tout simplement !

Pourtant, le droit à vivre dans la dignité est proclamé au plus haut niveau de notre hiérarchie des normes. La Constitution, dans le Préambule de 1946, comme la déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948 le reconnaissent. Même la « Constitution européenne », aussi libérale soit-elle, proclame que tout individu a droit à une aide au logement permettant d'assurer une existence digne.

Depuis vingt ans, plusieurs lois ont reconnu et, progressivement, commencé à mettre en œuvre le droit au logement, le droit à l'eau, le droit à l'énergie. Toutefois, les chiffres susmentionnés témoignent de l'échec ou pour le moins de l'insuffisance des dispositifs mis en place par ces lois successives.

C'est donc ce double constat d'inefficacité et d'urgence qui a inspiré les rédacteurs de la présente proposition de loi. Ils entendent par là inviter notre Assemblée nationale à faire acte d'humanisme et à prendre ses responsabilités. Ils proposent des dispositifs simples, rapidement applicables, efficaces, acceptables par tous les membres de notre Assemblée.

Cette proposition de loi propose d'interdire les expulsions, les coupures d'eau, de gaz et d'électricité en les prévenant. Elle tend à simplifier, à assouplir et à rendre plus efficace les dispositifs administratif et judiciaire qui participent de la mise en œuvre du droit au logement comme du droit à l'eau et à l'énergie.

Surtout, elle tend à faire prévaloir une logique de droits, et non une logique de charité, parce que la dignité ne repose que sur des droits. C'est en cela que ce texte se veut profondément humaniste. Empêcher la pratique dégradante, humiliante d'expulser d'un logement ou de couper les moyens de vivre à des familles, à des femmes, à des hommes, des enfants : ce n'est pas la réponse à la pauvreté, au désarroi, parfois au désespoir de dizaines de milliers de nos concitoyens. Réponse tellement inadaptée qu'elle mène parfois jusqu'à la mort ceux qui en sont les victimes.

Mettons un peu d'humanité dans ce monde dur envers les plus faibles ; telle est la seule ambition de la présente proposition de loi qu'il vous est demandé, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter.

I.- UN NOMBRE CROISSANT DE PERSONNES SONT PRIVÉES
DES CONDITIONS D'UNE VIE DIGNE

A.- L'ACCÈS AU LOGEMENT, À L'EAU ET À L'ÉNERGIE : LES CONDITIONS MINIMALES D'UNE VIE DIGNE

1. Des coupures d'eau, d'énergie, et des expulsions de plus en plus fréquentes

Votre rapporteur regrette que les statistiques disponibles ne permettent pas de cerner avec précision le nombre des coupures d'eau, d'électricité et de gaz ainsi que le nombre des expulsions locatives effectives. En effet, les statistiques disponibles sont souvent anciennes : elles datent de la dernière enquête effectuée en 2002 par l'INSEE, dans un contexte de croissance et d'emploi radicalement différent de celui que nous connaissons aujourd'hui.

Aussi votre rapporteur se félicite-t-il de constater que M. le Ministre délégué au logement a confié à M. Jean-Pierre Grunspan, membre du Conseil général des Ponts et Chaussées, la mission de mettre en place un outil statistique permettant une appréciation globale du dispositif de prévention des expulsions et des coupures d'eau et d'électricité. Votre rapporteur ne peut que souligner l'importance de cette mission.

·  A défaut de statistiques récentes, votre rapporteur constate toutefois que les expulsions, coupures d'eau et coupure d'électricité étaient nombreuses en 2002 ; il estime par ailleurs que la dégradation du contexte macroéconomique depuis lors suggère plutôt une aggravation de ce phénomène qu'une amélioration.

Ainsi, en 2002, 7 534 expulsions ont été effectuées par les forces de police, contre 4 359 en 1998. Votre rapporteur relève en outre qu'un nombre non négligeable de locataires défaillants acceptent de se plier au jugement les condamnant à quitter les lieux sans qu'il soit besoin de recourir à la force publique. Empiriquement, on peut donc estimer à plus de 10 000 les contentieux locatifs qui aboutissent à une expulsion.

S'agissant des coupures d'eau pour facture impayée, on en comptait 120 000 en 2003, dont 2 000 durant plus de 24 heures. Considérant toutefois qu'un certain nombre de coupures résultent de simples « oublis » de paiement, votre rapporteur note que l'on estime généralement le nombre des coupures d'eau pour incapacité avérée de payer à 17 000 cas par an, dans l'hypothèse la plus basse (1).

Pour ce qui est des coupures d'électricité pour impayé, on en comptait 225 000 en 2003, malgré les efforts d'Électricité de France pour prévenir les coupures de courant (2).

·  D'après les informations fournies à votre rapporteur, il semble que ces phénomènes connaissent une croissance prononcée depuis plusieurs années, à la seule exception des coupures d'électricité.

C'est notamment le cas des expulsions. Malgré les dispositifs de prévention prévus par la loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions, les expulsions connaissent une croissance forte depuis 1998, comme en témoigne le tableau ci-dessous.

LA CROISSANCE DU CONTENTIEUX DE L'EXPULSION

1998

1999

2000

2001

2002

variation 2002 / 1998

Contentieux locatifs avec demande de délivrance de titre exécutoire

100.554

97.575

104.433

106.841

111.107

+ 10,5 %

Jugements d'expulsion

75.125

71.323

79.614

80.683

83.836

+ 11,6 %

Commandements de quitter les lieux

47.623

43.017

45.828

47.473

52.351

+ 10,0 %

Demandes de concours de la force publique

33.285

29.823

33.872

36.400

38.151

+ 14,6 %

Décisions accordant le concours de la force publique

13.256

13.915

16.275

16.844

20.087

+ 51,5 %

Interventions effectives de la force publique

4.359

4.866

5.936

6.337

7.534

+ 72,8 %

Source : Ministère de la Justice

En outre, d'après les informations fournies à votre rapporteur, le Secours populaire a dû multiplier par trois ses aides aux dépenses liées au logement (eau et énergie comprises) depuis 2002. De même, d'après le Secours catholique, la fréquence des cas d'impayés parmi les 1 600 000 personnes qu'il a secourues a connu une augmentation sensible entre 2002 et 2003. En outre, parmi les dettes en cause, les dettes d'eau, d'énergie et de loyer sont les plus fréquentes, comme l'indique le tableau ci-dessous.

PART DES PERSONNES SECOURUES
AYANT DES ARRIÉRÉS DE CHARGES

2002

2003

loyer

37,8 %

42,3 %

EDF / GDF

33,1 %

36,6 %

eau

15,3 %

17,0 %

téléphone

12,9 %

12,9 %

assurances

10,5 %

11,4 %

impôts

7,0 %

8,4 %

assurances

10,5 %

11,4 %

Source : Secours catholique

Enfin, l'enquête typologique sur le surendettement menée par la Banque de France en 2001 montre que, devant les commissions administratives de surendettement, entre 1994 et 2001, la part des dossiers comportant des arriérés de charges est passée de 70 à 80 % ; dans le même temps, celle des dossiers constitués exclusivement de ces arriérés a doublé, passant de 3 à 6 %, malgré la mise en place, entre-temps, des fonds de solidarité logement, eau et énergie.

2. Un facteur aggravant de la montée de l'exclusion sociale

Comme le disait M. Alain Cacheux dans son rapport (3) sur la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions, « il n'est pas besoin de longs discours pour convaincre de l'importance de la politique du logement en matière de lutte contre les exclusions sociales. Tous les rapports, toutes les études qui se sont succédé sur ce sujet s'accordent sur ce point précis : la perte du logement est la marque du basculement dans l'exclusion, l'accès à un logement décent est la condition de la réinsertion sociale. ». Votre rapporteur adhère pleinement à ce propos; un vrai logement est indispensable à chacun pour vivre dans la dignité.

B.- UNE DÉRIVE QUI SUSCITE, EN RÉACTION, UNE DEMANDE SOCIALE DE SOLIDARITÉ

Votre rapporteur constate, sur le terrain, une réelle demande sociale de solidarité. Le travail d'information de certaines associations y a largement concouru. En outre, certains cas d'expulsion, de coupures d'eau ou d'électricité ont particulièrement ému l'opinion publique (4).

1. L'incurie de l'État, la réaction des élus locaux

Votre rapporteur constate que, malgré la croissance du chômage et la montée de la grande pauvreté en France, les préfets accordent de plus en plus fréquemment aux bailleurs le concours de la force publique pour expulser des locataires défaillants. Ils y sont même incités aujourd'hui par des directives ministérielles qui les alertent sur la possibilité offerte aux bailleurs de se retourner contre l'État si un jugement d'expulsion n'est pas exécuté. Les chiffres mentionnés plus haut témoignent de cette aggravation : entre 1998 et 2002, le nombre de ces expulsions a augmenté de près de 73 % alors que le nombre des contentieux n'augmente « que » de 10 %. La loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales a confirmé ce désengagement de l'État : sous couvert de décentralisation, son article 65 prévoit, à compter du 1er janvier 2005, le transfert aux départements du financement des fonds de solidarité pour le logement (FSL).

Face à ce désengagement, votre rapporteur relève que certains maires ont pris des arrêtés interdisant, dans leur juridiction, les expulsions, les coupures d'eau ou les coupures d'électricité ; la plupart de ces arrêtés ont été annulés, faute de fondement légal. Votre rapporteur souligne toutefois que, si les élus locaux n'ont pas le pouvoir d'interdire les expulsions et les coupures d'eau ou d'électricité, ils ne sont pas moins tenus, de fait, de faire face aux conséquences de ces phénomènes. En effet, sur le terrain, leurs centres communaux d'action sociale sont en première ligne dans la lutte contre les exclusions. En outre, la loi relative aux responsabilités locales les invite à contribuer au financement des FSL, en remplacement de l'État.

2. La mobilisation des acteurs associatifs : avantages et limites

Votre rapporteur constate que les pouvoirs publics, locaux comme nationaux, s'adjoignent fréquemment les services des acteurs associatifs de la lutte contre l'exclusion sociale. Certaines associations interviennent en effet massivement, soit qu'elles prennent en charge les frais alimentaires de personnes en difficulté (comme c'est le cas, par exemple, du Secours catholique ou des Restos du cœur), soit qu'elles versent des subventions aux particuliers pour les aider à apurer leurs dettes (comme c'est le cas du Secours populaire). Votre rapporteur salue aussi l'action d'associations plus spécialisées dans la défense du logement, comme le Droit au logement ou Emmaüs. Il constate que leur appui est souvent déterminant pour solvabiliser certaines personnes en difficulté, de façon à leur éviter d'être expulsées ou privées d'eau et d'énergie.

Si votre rapporteur ne peut que saluer le fait que les acteurs associatifs veulent bien prendre le relais des pouvoirs publics, il relève toutefois que cette substitution ne peut tenir lieu de politique sociale et de fait présente certains inconvénients.

En effet, le budget de ces associations n'est pas illimité : il dépend des dons des particuliers et des subventions publiques. Or il s'avère que les aides publiques vont en décroissant, qu'il s'agisse des aides directes (les subventions) ou des aides indirectes (les emplois-jeunes par exemple).

Surtout, l'État et les associations n'interviennent pas dans le même registre d'action : les associations ont un but caritatif, là où l'État ne connaît que des droits. Si cette distinction peut paraître futile, votre rapporteur soutient qu'elle est de toute première importance : la charité permet de survivre, le droit permet de vivre dans la dignité.

II.- LE DROIT À VIVRE DANS LA DIGNITÉ RELÈVE
DES DROITS DE L'HOMME

Le « droit à vivre dans la dignité » constitue un droit fondamental. Cette formule recoupe plusieurs des droits particuliers proclamés à la Libération, dans le préambule de la Constitution de 1946 : le droit au logement, le droit de l'individu et de la famille de disposer de conditions de développement décentes en participent.

Si cette formulation du « droit à vivre dans la dignité » n'est pas inscrite, telle quelle, dans nos textes fondateurs, elle n'en est pas pour autant vide de sens et de portée juridique. Elle synthétise l'ensemble des Droits nouveaux, proclamés en 1946, qui sous-tendent le pacte social renouvelé à la Libération.

Plus encore, la notion même de « dignité » n'est pas dénuée de portée juridique : les différents juges des droits fondamentaux (Conseil constitutionnel, Cour européenne des Droits de l'Homme) ont développé cette exigence au gré de jurisprudences récentes.

A.- UN PRINCIPE RECONNU ET PROCLAMÉ AU SOMMET DE NOTRE HIÉRARCHIE DES NORMES

1. Le principe du droit à vivre dans la dignité se déduit de la Constitution

Le Préambule de la Constitution de 1946, appliqué par le Conseil constitutionnel depuis 1971 (5), reconnaît à toute personne le droit aux « conditions nécessaires à son développement », à sa « sécurité matérielle » ainsi qu'à « des moyens convenables d'existence ». Les alinéas 10 et 11 du Préambule définissent donc ce que votre rapporteur entend par « droit de vivre dans la dignité » :

« La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement.

Elle garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence. ».

Le Conseil constitutionnel se fonde sur ces articles pour affirmer que « la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle » (6).

C'est notamment sur ce fondement que le Conseil a reconnu que les actions à mener pour promouvoir le logement des personnes défavorisées répondent à « une exigence d'intérêt général » (7) et, plus encore, « qu'il résulte de ces principes que la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent est un objectif de valeur constitutionnelle » (8). Cette jurisprudence a amené le tribunal de grande instance de Paris, en mars 1995, à conclure que cet impératif constitutionnel « constitue un devoir de solidarité nationale qui mérite protection au même titre que le droit de propriété ».

Votre rapporteur observe que le Conseil constitutionnel n'a encore jamais eu à se prononcer sur la valeur constitutionnelle du droit à l'eau, à l'énergie et au téléphone. Il relève toutefois que ces droits sont de même nature que le droit au logement, reconnu par le Conseil : en effet, sans accès à l'eau, à l'énergie et aux télécommunications, il n'y a pas d'insertion sociale possible et donc pas de vie possible dans la dignité, au sens constitutionnel de ce terme. Votre rapporteur estime donc que l'approvisionnement en eau, en énergie et en services minimaux de télécommunication constituent la base des « moyens d'existence convenables » qui sont les « conditions nécessaires au développement de l'individu et de la famille ». A ce titre, logement, eau, énergie et téléphone participent également du droit constitutionnel à vivre dans la dignité.

C'est pour cela que votre rapporteur estime que le droit de propriété, autre principe à valeur constitutionnel, ne saurait faire obstacle à ce que soit reconnu et mis en œuvre le droit à vivre dans la dignité. Le Conseil constitutionnel a d'ailleurs toujours rappelé que le droit de propriété doit être concilié avec les autres principes à valeur constitutionnelle.

2. Le principe du droit à vivre dans la dignité est confirmé par le droit international

Le droit communautaire, bien que pauvre en dispositions sociales, reconnaît à chaque personne vivant dans l'Union « le droit à une aide sociale et à une aide au logement destinées à assurer une existence digne à tous ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes » (article 34 de la Charte des droits fondamentaux adoptée par le Conseil Européen de Nice en décembre 2000 et intégrée au projet de Constitution européenne).

Le droit issu de la Convention européenne des Droits de l'Homme va plus loin. En effet, dans sa recommandation R-2000-3, le Conseil de l'Europe a reconnu un « droit individuel, universel et justiciable à la satisfaction des besoins humains matériels élémentaires. Ce droit devrait à tout le moins servir à couvrir la nourriture, l'habillement, le logement et les soins médicaux de base. ».

Le droit international reconnaît lui aussi un droit aux conditions essentielles d'une vie digne. En effet, l'article 11 du Pacte sur les droits économiques, sociaux et culturels de 1966 stipule que « les États parties au présent pacte reconnaissent le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisant, ainsi qu'à une amélioration constante de ses conditions d'existence. ». De même, l'article 25-1 de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme de 1948 reconnaît que « toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l'alimentation, l'habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires. ». En outre, la conférence de l'Organisation des Nations Unies « Habitat II » aboutit, en mai 1996, à une proclamation unanime des Etats reconnaissant le droit au logement comme un droit fondamental à portée universelle ; les Etats se sont engagés à agir pour que ce droit soit effectif.

Votre rapporteur souligne donc que le droit international, dans son inspiration humaniste, comme le Préambule de la Constitution de 1946, fondement du pacte social renouvelé à la Libération, consacrent le droit des personnes aux conditions d'une vie digne. Progressivement, le législateur s'est inspiré de ces principes pour les retranscrire dans la loi.

B.- UN PRINCIPE PLUSIEURS FOIS RÉAFFIRMÉ PAR LE LÉGISLATEUR

Votre rapporteur constate que le législateur a plusieurs fois appliqué, dans des dispositions déclaratives, le principe du droit à vivre dans la dignité à plusieurs domaines. Il s'agit notamment du logement, de l'eau, de l'énergie.

1. Le législateur a reconnu le principe d'un droit au logement

La reconnaissance formelle d'un droit au logement par la loi a été progressive. Elle a commencé avec l'article premier de la loi n° 82-526 du 22 juin 1982 relative aux droits et obligations des locataires et des bailleurs, dite « loi Quilliot »,qui dispose que « le droit à l'habitat est un droit fondamental ». A la suite de ce texte, une circulaire du 20 juillet 1982 inaugure une série d'initiatives publiques tendant à mettre en place des dispositifs divers d'aide au logement des personnes défavorisées.

La notion de « droit au logement » en tant que telle est ensuite reconnue par la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs, qui dispose que « le droit au logement est un droit fondamental ». Plus encore, ce droit est l'objet même de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement, dite « loi Besson », dont l'article premier reconnaît que « garantir le droit au logement constitue un devoir de solidarité pour l'ensemble de la Nation. Toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières, en raison notamment de l'inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d'existence, a droit à une aide de la collectivité, dans les conditions fixées par la présente loi, pour accéder à un logement décent et indépendant et s'y maintenir. ».

Votre rapporteur note que la loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions réaffirme ce droit : « la présente loi tend à garantir sur l'ensemble du territoire l'accès effectif de tous aux droits fondamentaux dans les domaines ... du logement, ... de la famille et de l'enfance. ».

Votre rapporteur relève aussi que la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 relative à la cohésion sociale, qui prévoit un programme de construction de logements sociaux, s'inscrit dans la lignée des lois précitées. Si le principe du droit au logement semble désormais faire l'objet d'un consensus, au moins dans son principe, il reste à le rendre effectif.

2. La loi a reconnu le principe d'un droit à la fourniture en eau

En effet, l'article 43-5 de la loi n° 92-722 du 29 juillet 1992 relative au revenu minimum d'insertion dispose que « toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières du fait d'une situation de précarité a droit à une aide de la collectivité pour accéder ou préserver son accès à une fourniture d'eau. ». Pour essayer de donner un contenu concret à ce principe, quatre ans plus tard, une charte « Solidarité-eau » a été signée entre le ministre du logement, le syndicat des distributeurs d'eau, l'Association des maires de France et la Fédération nationale des collectivités concédantes. Cette charte tend à créer un système de prise en charge publique des impayés d'eau des foyers en difficulté.

En outre, la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions précitée, en son article 136, a confirmé ce principe et précisé que la fourniture d'eau aux foyers qui ne peuvent pas s'acquitter de leurs dettes d'eau doit être maintenue, entre l'incident de paiement et la mise en place d'un dispositif d'aide.

Votre rapporteur souligne toutefois le fait que les dispositifs d'aide prévus par ces deux lois ont été difficiles à mettre en place, et qu'aujourd'hui encore, leur efficacité reste très limitée. Il estime en effet que la coupure de l'eau, élément essentiel à la vie, constitue un moyen de pression disproportionné au regard de l'enjeu, simple paiement d'une facture. La jurisprudence (9) adopte fréquemment le même point de vue.

3. Le législateur a progressivement reconnu le droit à l'électricité et au gaz pour tous

La loi n° 92-722 du 29 juillet 1992 relative au revenu minimum d'insertion a reconnu aux personnes défavorisées le droit à une aide leur permettant d'accéder à la fourniture en électricité ou de la maintenir en cas de difficultés de paiement. Comme en matière d'eau, une charte « Solidarité-énergie » a donc été signée en 1996 entre le ministre du logement, Electricité de France (EDF) et Gaz de France (GDF). Par ailleurs, une convention nationale a été signée entre le ministère de l'emploi et de la solidarité, d'une part, EDF et GDF, d'autre part.

Comme en matière d'approvisionnement en eau, la loi d'orientation contre les exclusions a complété le principe posé par la loi de 1992 précitée en disposant que la fourniture d'un service restreint d'électricité et de gaz doit être maintenue avant que ne soient mises en place les aides publiques.

Votre rapporteur note surtout que l'article 1er de la loi n° 2000-108 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité dispose que « le service public de l'électricité ... concourt à la cohésion sociale en assurant le droit à l'électricité pour tous... Matérialisant le droit de tous à l'électricité, produit de première nécessité, le service public de l'électricité est géré dans le respect des principes d'égalité, de continuité et d'adaptabilité, et dans les meilleures conditions de sécurité, de qualité, de coûts, de prix et d'efficacité économique, sociale et énergétique. ».

Ainsi, votre rapporteur se félicite que le principe d'un droit au logement, à l'eau et à l'énergie ait été reconnu par le législateur. Il souligne le fait que la mise en œuvre de ces droits ne suffit pas à régler les problèmes posés.

III.- LA MISE EN œUVRE LÉGISLATIVE
DU DROIT À VIVRE DANS LA DIGNITÉ EST INSUFFISANTE

De plus, la mise en œuvre des droits qui découlent du droit à vivre dans la dignité est directement menacée : si l'État a mis en place un certain nombre d'aides et de fonds de solidarité, il tend aujourd'hui à se dégager de cette exigeante politique de solidarité. Ainsi, la libéralisation des grands services publics, comme la décentralisation progressive des responsabilités de l'État en matière de solidarité participent de ce désengagement.

Les aides auxquelles les personnes défavorisées ont droit fonctionnent globalement plutôt mal, et la procédure collective de traitement du surendettement ne leur permet que rarement de trouver les moyens d'une véritable « seconde chance ».

A.- LE DROIT AU LOGEMENT : UNE MISE EN œUVRE LÉGISLATIVE ENCORE INSUFFISANTE

Les mesures législatives de mise en œuvre du « droit au logement », affirmé par la loi Besson, n'ont pas satisfait pleinement les intentions et les aspirations de ceux qui militaient déjà pour le droit au logement.

1. Le système de prévention des expulsions issu de la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions

Le système de prévention des expulsions créé par la loi Besson et renforcé par la loi relative à la lutte contre les exclusions repose sur deux axes :

− le renforcement de la solvabilité des ménages en difficulté, par les aides que leur offrent les fonds de solidarité pour le logement (FSL) ;

− l'encadrement de l'expulsion par une procédure relativement lourde, dans laquelle le juge et le préfet ont un rôle déterminant.

a) Les aides des fonds de solidarité pour le logement

Les articles 6 à 8 de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement ont créé, dans chaque département, un « fonds de solidarité pour le logement » ; il accorde des subventions et des avances remboursables aux personnes défavorisées pour accéder à un logement ou s'y maintenir ; il subventionne aussi les associations caritatives. Les critères d'octroi des aides ne peuvent reposer que sur le niveau de patrimoine ou de ressources des personnes et l'importance et la nature de leurs difficultés. Le FSL peut être saisi par les débiteurs, le préfet, ou toute autre personne y ayant vocation ou intérêt.

De 1990 à 2005, il était obligatoirement financé par l'État et les départements : à compter du 1er janvier 2005 (10), ce financement est confié aux seuls départements. Les autres collectivités, leurs groupements et les organismes privés ou publics intervenant dans le domaine du logement (organismes d'HLM, caisses d'allocations familiales, caisses de mutualité sociale agricole, organismes collecteurs du « 1 % logement », etc.) peuvent y contribuer facultativement.

b) La procédure d'expulsion : une procédure très encadrée, qui offre de larges pouvoirs au juge et au préfet

Pour concrétiser le droit au logement, le législateur a choisi d'encadrer la procédure d'expulsion, comme le décrivent l'encadré et le schéma ci-dessous.

LA PROCÉDURE D'EXPULSION ISSUE DE LA LOI DE 1998

● 1 : l'impayé de loyer, caractérisé au 1er incident dans le secteur privé et au 3ème dans le parc social.

● 2 : le commandement de payer, qui ouvre un délai de négociation précontentieuse de deux mois (11) dans le secteur privé (trois dans le parc social).

● 3 : l'assignation du locataire au tribunal, qui ouvre un délai deux mois avant l'audience, pendant lequel le préfet diligente une enquête sociale.

● 4 : l'audience et le jugement : le juge ordonne l'expulsion ou donne au locataire un délai de grâce.

● 5 : le commandement de quitter les lieux donne au locataire deux mois pour quitter les lieux.

● 6 : la demande du concours de la force publique, adressée par le bailleur au préfet, qui a deux mois pour diligenter une enquête sociale, envoyer un Commissaire négocier avec le locataire et répondre.

● 7 : après l'expulsion, les services départementaux doivent rechercher des moyens de relogement.

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Source : Agence nationale d'information pour le logement

2. Les dysfonctionnements de ce système de prévention des expulsions

Votre rapporteur note que la loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions a marqué une étape importante dans la mise en œuvre du droit au logement. Toutefois, votre rapporteur observe que les insuffisances de ce système apparaissent plus manifestement qu'auparavant, en raison du contexte économique actuel.

a) Une procédure qui débouche souvent sur une situation de non droit : l'inexécution d'un jugement d'expulsion

Votre rapporteur observe que 18 000 procédures environ aboutissent à un jugement d'expulsion que le préfet refuse de faire exécuter par la force publique. Deux cas sont alors envisageables : soit le bailleur met en jeu la responsabilité de l'administration, systématiquement condamnée (« règlement contentieux » de la situation), soit le bailleur accepte de recevoir une indemnisation transactionnelle de la part de l'administration (« règlement amiable » de la situation).

S'il semble avantageux pour le locataire, le principe de cette situation de non droit est radicalement différent de celui d'un véritable droit au logement, condition d'une vie dans la dignité.

b) Une procédure longue, qui maintient le bailleur comme le locataire dans une incertitude problématique

Votre rapporteur constate que la procédure d'expulsion est longue, alors même qu'elle finit souvent par un jugement d'expulsion. Ainsi, même quand la procédure judiciaire se déroule sans retard et dans les délais minimaux, la procédure d'expulsion prend six mois (plus délais de grâce, souvent accordés) dans le secteur privé, pour neuf mois (plus délais de grâce) dans le secteur social. En outre, les sections départementales des aides publiques au logement accordent parfois au locataire défaillant le maintien des aides au logement pendant trois à six mois ; de même, les plans d'apurement des dettes validés, sous forme de « protocoles transactionnels », par le juge s'étalent le plus souvent sur 24 mois : ces deux facteurs contribuent à l'allongement de la procédure. Une étude publiée en 2004 par l'Union sociale pour l'habitat (12) montre que, dans la pratique, il n'est pas rare qu'une procédure d'expulsion n'aboutisse que deux ans et demi après le premier incident de paiement.

Votre rapporteur souligne qu'une telle lenteur procédurale est préjudiciable aux deux parties. En effet, comme ne manquent pas de le souligner les associations de propriétaires, les bailleurs (sociaux comme privés) sont privés de revenus durant la majeure partie de la procédure. Votre rapporteur estime qu'une telle lenteur porte tout autant préjudice au locataire en difficulté :

− elle enferme le locataire dans une situation de précarité matérielle et d'insécurité juridique : le locataire en cours de procédure ne doit de conserver son logement qu'à des délais « de grâce » et à divers expédients administratifs ;

− toute procédure a un coût, et ce coût croît de façon exponentielle quand la procédure s'étend : les exploits d'huissiers et une éventuelle condamnation aux dépens alourdissent les frais du locataire ;

− elle laisse le locataire accumuler une dette considérable, alors qu'un apurement rapide de la dette initiale lui aurait permis de mettre un terme à une situation d'exclusion sociale.

Ainsi, votre rapporteur note que la longueur de la procédure n'est pas un avantage pour le locataire : il bénéficie d'un sursis, d'une grâce, mais non d'un véritable droit au logement.

c) Un coût social disproportionné par rapport aux dettes en jeu

Votre rapporteur relève que cette procédure a un coût social important. En effet, le montant des impayés cumulés et des indemnités constitue une charge pour la collectivité.

Une étude publiée par l'Union sociale pour l'habitat (13) montrait que le coût des impayés de loyers pour les entreprises sociales de l'habitat (ESH), les offices publics de l'habitat et le Ministère de l'Intérieur (14) représentait entre 115 et 120 millions d'euros en 2001, et 135 millions d'euros en 2004. Ce chiffre est considérable : il correspond au double des crédits engagés par les fonds de solidarité pour le logement (66,6 millions d'euros en 2001).

Il faut, de plus, ajouter à ce chiffre les autres composantes du coût social de ce système de prévention : coût administratif de la procédure judiciaire, coût exorbitant du relogement des personnes expulsées dans certains hôtels spécialisés, coût administratif de la procédure précontentieuse. On estime ainsi que la prévention des expulsions emploie, en moyenne, un agent pour 1 000 logements.

En outre, votre rapporteur souligne que les chiffres cités ci-dessus sont des approximations comptables qui ne révèlent qu'une partie de la réalité du coût du système actuel de prévention des expulsions. En effet, un examen approfondi révèle que certains bailleurs sociaux accumulent des stocks de créances douteuses plutôt que de les comptabiliser en pertes. C'est par exemple le cas des entreprises sociales de l'habitat (ESH), comme en témoigne le tableau ci-dessous.

ÉVOLUTION DU STOCK DE CRÉANCES LOCATIVES DES ESH

1998

1999

2000

2001

2002

retards de paiement au 31 décembre

484

524

552

604

630

dont :

- créances non douteuses :

88

96

93

94

82

- créances douteuses sur des locataires présents :

188

217

233

257

266

- créances douteuses sur des locataires partis :

208

211

226

253

282

sous-total créances douteuses

396

428

459

510

568

évolution / 1998

+ 8 %

+ 16 %

+ 29 %

+ 43,5 %

pertes annuelles sur créances irrécouvrables (passées en non valeur)

50

42

38

35

37

évolution / 1998

- 16 %

- 24 %

- 30 %

- 26 %

Source : Fédération nationale des ESH, chiffres présentés à l'assemblée générale 2004

Ainsi, ces chiffres révèlent une dérive de ce système de prévention des expulsions : faute de reconnaître un véritable droit au logement assis sur des aides, la politique du logement se contente de tolérer des impayés, supportés par l'ensemble des locataires.

La même dérive est lisible dans le budget du Ministère de l'Intérieur : au chapitre 37-91 de ce budget (frais de contentieux et réparations civiles), l'article 11 concerne la mise en jeu de la responsabilité de l'État, le paragraphe 31 de cet article regroupant les crédits d'indemnisation pour refus du concours de la force publique, en particulier pour non-expulsion d'un locataire défaillant. Ces crédits sont en forte hausse, comme en témoigne le tableau ci-dessous.

ÉVOLUTION DES CRÉDITS D'INDEMNISATION
POUR REFUS DE CONCOURS DE LA FORCE PUBLIQUE

2000

2001

2002

2003

2004 (1er semestre)

crédits d'indemnisation pour refus de concours de la force publique

48,4

50,5

50,5

64,5

27

évolution / n-1

+ 25 %

+ 12 %

+ 0 %

+ 2,1%

+ 27,7 %

évolution / 2000

+ 12 %

+ 12 %

+ 33,3 %

Source : rapport spécial n° 1863-26 de M. Marc Le Fur sur les crédits de l'Intérieur, PLF 2005

Votre rapporteur ne conteste pas le principe de la prise en charge par la Nation du logement des personnes défavorisées. Toutefois, il estime que cet effort collectif doit être clairement identifié en loi de finances dans son ensemble (et non pour les seuls crédits du ministère de l'Intérieur), assumé politiquement et soumis au contrôle du Parlement, comme toute grande politique sociale de l'Etat. Cette politique sociale volontariste doit reposer sur une reconnaissance sans équivoque et sur une mise en œuvre concrète d'un véritable droit au logement. A défaut d'une telle politique, l'effort financier consenti par la collectivité nationale est doublement biaisé :

− d'une part, il est inutilement lourd : les pertes financières sont d'autant plus importantes que la procédure est longue, les dettes locatives s'accumulant sans que la situation du locataire défaillant soit résolue ;

− d'autre part, il est réparti injustement : la nécessaire couverture contre le risque d'impayé amène les bailleurs à intégrer ce risque dans le calcul de leurs loyers. C'est donc sur les autres locataires que pèse indirectement la charge des impayés, alors même que ces locataires sont souvent relativement défavorisés eux-mêmes, notamment dans le parc de logements sociaux. En réalité le refus ou l'insuffisance d'un soutien aux revenus permettant d'accéder à un logement et à l'énergie a un coût non seulement humain mais aussi financier.

d) Une mise en œuvre administrative insuffisante

Votre rapporteur constate que la mise en œuvre du dispositif de prévention des expulsions n'a pas toujours été à la hauteur de l'ambition du législateur de 1998. L'enquête publiée en 2004 par l'Union sociale pour l'habitat (15) a notamment recensé les conséquences du manque de moyens des administrations déconcentrées :

− Il apparaît ainsi que les sections départementales des aides publiques au logement ont tendance à accorder ou à refuser systématiquement, selon les départements, le maintien des aides au logement pour trois à six mois, sans examiner les dossiers au cas par cas.

− Il ressort aussi de cette étude que les aides du FSL n'interviennent que six à neuf mois après la saisine des sections départementales des aides publiques au logement, à un moment où la dette est devenue conséquente.

− Les auteurs de l'étude relèvent aussi que les délais de paiement accordés par les protocoles transactionnels « sont souvent automatiques (24 mois) et peu adaptés au montant des dettes, alourdies par l'allongement des délais de procédure ».

Ces trois écueils sont dus, en partie, au manque d'instruction de l'enquête familiale et sociale que les services déconcentrés doivent établir pour renseigner le juge. Faute de moyens, les enquêtes ne permettent pas de traiter au cas par cas les situations des différents locataires. Ainsi, l'enquête relève que, souvent, le partenariat entre les différents services administratifs, les bailleurs sociaux, les FSL et les services des collectivités territoriales « se limite à l'échange de fiches-navettes insuffisamment renseignées de part et d'autres, et à un traitement automatique des situations individuelles ».

Votre rapporteur ne peut que regretter que l'apparente inertie de certains services, ou plus probablement leur manque de moyens, soit ainsi préjudiciable aux personnes en difficulté de paiement.

e) Une incohérence : la suspension des aides au logement en cas d'incidents de paiement

Les aides au logement, et notamment l'aide personnalisée au logement, constituent une part non négligeable des ressources des personnes défavorisées. Pourtant, en cas d'incident de paiement, elles sont souvent automatiquement suspendues : en effet, leur maintien dépend de la décision des sections départementales des aides publiques au logement et les pratiques en la matière varient selon les départements.

Votre rapporteur regrette que les aides ne soient pas maintenues, dans la mesure où leur suspension compromet gravement la solvabilité des personnes concernées. Il estime par ailleurs que cette suspension est à l'origine de l'échec d'un nombre important de plans d'apurement des dettes locatives, dans la mesure où les personnes concernées subissent une baisse très sensible de leurs revenus.

Plus particulièrement, dans un nombre croissant de départements, les règlements intérieurs des FSL conditionnent l'aide du FSL à la reprise du paiement des loyers depuis trois mois. Or votre rapporteur constate que les personnes en difficulté choisissent leur logement en fonction de son loyer réel (aides au logement déduites) et non de son loyer nominal. Aussi, dans un grand nombre de cas, le foyer en difficulté ne peut pas faire face à son loyer sans que lui soit versées les aides auxquelles il a droit : il n'est donc pas rare que le foyer en question ne remplisse pas les conditions d'attribution des aides du FSL. C'est pourquoi votre rapporteur estime que la suspension des aides au logement compromet gravement le règlement des cas de défaillance locative.

f) Un champ d'application trop étroit

La procédure de prévention des expulsions ne s'applique qu'aux baux soumis à la loi n°98-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs. Ainsi, les baux régis par la loi du 1er septembre 1948 (16), ainsi que les baux meublés dérogeant à la législation sur les baux d'habitation sont exclus du champ d'application .

Votre rapporteur constate que cette situation est paradoxale, dans la mesure où les personnes les plus démunies sont aussi celles qui ont le plus souvent recours à la location en meublé.

B.- L'APPROVISIONNEMENT EN EAU ET EN ÉNERGIE : DES GARANTIES INSUFFISANTES

1. Les systèmes de prévention des coupures d'eau et d'électricité antérieurs à la loi « responsabilités locales »

a) Le système de prévention des coupures d'eau

Pour mettre en œuvre les droits reconnus respectivement par loi relative au revenu minimum d'insertion précitée et réaffirmés par la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions précitées, l'État avait mis en place dès 1992 un « fonds de solidarité pour l'eau ».

La mise en œuvre de ce fonds a été difficile.

En effet, une charte « Solidarité-eau » a été signée le 6 novembre 1996 entre le ministre du logement, le syndicat des distributeurs d'eau, l'Association des maires de France et la Fédération nationale des collectivités concédantes. Cette charte mettait en place un dispositif de prise en charge des impayés d'eau des foyers en difficulté par renonciation au recouvrement d'une fraction ou de la totalité du montant de la créance. Des chartes départementales devaient être signées, et des commissions départementales devaient être chargées d'examiner les dossiers des particuliers. Pourtant, ce dispositif n'a touché que très peu de départements. Cet échec est généralement attribué à la multiplicité des distributeurs d'eau et au caractère complexe de la procédure d'abandon de créance.

A la suite de la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions, une nouvelle convention nationale a été signée le 28 avril 2000. Elle a mis en place un fonds de soutien au fonctionnement plus simple, qui fonctionnait, en 2003, dans 62 départements. En 2003, il a accordé 20 000 aides environ, pour des montants compris entre 40 et 800 euros.

b) Le système de prévention des coupures d'électricité et de gaz

Avant le 1er janvier 2005, il existait deux mécanismes de solidarité destinés à aider les personnes en difficulté à faire face à leur facture énergétique :

− des fonds de solidarité énergie à l'échelle de chaque département ;

− un tarif social de l'électricité.

Les fonds de solidarité énergie a été constitué sur le même modèle que les fonds de solidarité pour l'eau, à la suite de la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions. Ils associent, au niveau de chaque département, l'État, EDF, GDF et les collectivités qui le souhaitent. En 2002, les fonds solidarité énergie avaient consacré 60,9 millions d'euros à l'aide au paiement des factures d'énergie (électricité comme gaz) de 229 000 foyers.

S'agissant du tarif social de l'électricité, il a été créé par la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation du service public de l'électricité, précisée par le décret n° 2004-325 du 8 avril 2004, entré en vigueur le 1er janvier 2005. Il propose aux clients en situation difficile ou précaire dont le quotient social est inférieur ou égal à 460 euros par mois (soit 5 520 euros par an), une réduction annuelle de 30 %, 40% ou 50%, en fonction de la composition du foyer concerné.

Cette réduction vaut sur la première tranche de 100 kilowatts-heure consommés par mois : la réduction nette annuelle devrait donc se chiffrer en moyenne à 60 euros. Ce dispositif devrait toucher 1,6 million de foyers.

Votre rapporteur juge ce dispositif particulièrement intéressant, dans la mesure où il est inspiré par une logique de prévention, et non de traitement des difficultés des ménages à payer leur facture d'électricité.

2. La fusion des fonds « eau » et « énergie » dans le FSL : une réforme sans garanties

L'article 65 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales prévoit, à compter du 1er janvier 2005, la fusion des fonds de solidarité eau et énergie dans le FSL, ainsi que le transfert aux départements de la gestion de ces fonds. Cet article a abrogé l'article L. 261-4 du code de l'action sociale qui prévoyait un dispositif national d'aide et de prévention en faveur des familles ne pouvant faire face à leurs dépenses d'eau, d'électricité et de gaz ; la loi a également révisé le dispositif de l'article L. 115-3 du même code, renvoyant désormais aux fonds de solidarité pour le logement. Selon les informations fournies à votre rapporteur, le décret en Conseil d'État, prévu pour préciser les modalités d'application de cette disposition, serait en cours d'élaboration.

Pour justifier cette réforme, le Gouvernement avançait l'idée qu'un fonds unique simplifierait les démarches des administrés.

S'il ne conteste pas ce point, votre rapporteur craint surtout que cette fusion ne complique gravement le fonctionnement de ce fonds. En effet, il est à craindre que, dans un contexte de contraintes budgétaires fortes, les gestionnaires de ces fonds ne privilégient les demandes d'aides liées au logement, au détriment de celles qui concernent spécifiquement l'eau et l'énergie. Votre rapporteur observe par ailleurs que les crédits alloués aux FSL sont reconnus pour être insuffisants, alors même que les fonds eau et énergie sont suffisamment dotés. Le risque est donc grand que les contributions des acteurs économiques de l'eau et de l'énergie ne servent à compenser l'insuffisance des moyens destinés au logement.

Aussi votre rapporteur estime-t-il que la principale garantie qui concrétisait le droit à l'eau et à l'énergie est menacée. En revanche, il juge intéressant le principe d'un tarif social de l'électricité.

C.- LA PROCÉDURE DE TRAITEMENT DU SURENDETTEMENT, SOUVENT INSATISFAISANTE ET PARFOIS CONTREPRODUCTIVE

Votre rapporteur souligne la nécessité de coordonner les procédures auxquelles sont soumises les personnes en difficulté de paiement. Ainsi, une réflexion sur les procédures d'expulsion et de garantie des droits à l'eau et à l'énergie ne peut pas faire l'économie d'un examen de la procédure collective de traitement du surendettement.

Celle-ci a été créée par la loi n°89-1010 du 31 décembre 1989 relative à la prévention et au règlement amiable des difficultés liées au surendettement des particuliers et des familles, dite loi « Neiertz ». Les « commissions départementales de surendettement » constituent le pivot de cette procédure. Sous le contrôle du juge, elles sont chargées de proposer des mesures tendant à apurer les dettes de toutes natures, à l'exception des créances de l'administration fiscale ou des organismes de sécurité sociale. Ces mesures sont de trois ordres différents :

- des « mesures ordinaires » de rééchelonnement des dettes, créées par la loi du 31 décembre 1989, complétée par la loi n° 95-125 du 8 février 1995 (17) ;

- des « mesures extraordinaires » d'effacement de dettes, créées par la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions, destinées à traiter le cas des débiteurs insolvables ;

- une « procédure de rétablissement personnel », créée par la loi « Borloo » du 1er août 2003 (18), pour traiter les cas irrémédiablement compromis.

1. Les commissions de surendettement ne prennent pas suffisamment en compte le droit à vivre dans la dignité.

Pour déterminer la part de leur revenu que les ménages surendettés peuvent consacrer à l'apurement de leurs dettes, les commissions de surendettement calculent le minimum vital qui leur est nécessaire pour la vie courante, communément appelé le « reste à vivre ».

Celui-ci est défini à l'article L. 331-2 du Code de la consommation, qui dispose, dans son second alinéa, que « le montant des remboursements ... est fixé, dans des conditions précisées par décret, par référence à la quotité saisissable du salaire telle qu'elle résulte de l'article L.145-2 du Code du travail, de manière à ce qu'une partie des ressources nécessaires aux dépenses courantes du ménage lui soit réservée par priorité. ». L'article précise en outre que « cette part de ressources (...) intègre le montant des dépenses de logement, de nourriture et de scolarité, dans la limite d'un plafond, selon des modalités définies par décret ». Ainsi, le plancher fixé pour les « reste à vivre » correspond au revenu minimum d'insertion (RMI) majoré de 50 % dans le cas d'un ménage.

Votre rapporteur salue ici le fait que les dépenses de logement, de nourriture et de scolarité aient été intégrées dans le calcul du « reste à vivre » par la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale. Cette disposition nouvelle va dans le sens d'une meilleure mise en œuvre du droit au logement.

Il note toutefois que le mode de calcul du « reste à vivre » n'intègre ni les dépenses d'alimentation en eau, ni les dépenses de fourniture d'énergie. Du fait de cette lacune, les commissions de surendettement ne sont pas obligées de prendre en compte le droit à l'eau et à l'énergie.

Votre rapporteur relève en outre que le plancher fixé pour un ménage ne tient pas compte du nombre de personnes à charge dans ce ménage. Il relève pourtant du bon sens que le revenu minimal nécessaire à la vie d'un couple sans enfant et sans adulte à charge n'est pas le même que celui qui convient à une famille nombreuse.

En outre, par un arrêt du 2 février 2002, la 1ère chambre civile de la Cour de Cassation a admis que les prestations sociales soient incluses dans les ressources du débiteur permettant de déterminer la capacité de remboursement et le reste à vivre. Votre rapporteur juge cette jurisprudence discutable, dans la mesure où les aides sociales sont, par principe, insaisissables.

Ainsi, votre rapporteur regrette qu'en dépit de récents progrès, certaines implications du droit à vivre dans la dignité ne s'imposent pas encore aux commissions de surendettement.

2. L'insuffisante coordination des deux procédures de surendettement et d'expulsion nuit à leur efficacité

Bien qu'il soit trop tôt pour juger de l'efficacité des progrès accomplis par la loi du 18 janvier 2005 en matière de prise en compte des dépenses de logement, votre rapporteur relève que le groupe de travail constitué au sein du Conseil national de l'habitat (CNH) sur la garantie des risques locatifs constate, dans son rapport du 15 novembre 2004, que « l'origine économique des commissions de surendettement ... les incite à travailler d'abord sur les dettes liées aux crédits ».

Ainsi, la coordination administrative entre les commissions de surendettement d'une part, et les différents intervenants de la procédure de prévention des expulsions d'autre part, est insuffisante. Le rapport du CNH précité le constate et souhaite « une plus grande articulation entre les commissions de surendettement et les FSL ... notamment par la généralisation de différentes formes de collaboration (échange de listings avant les commissions de chaque dispositif, désignation de correspondants dans chaque instance) ».

Le même rapport relevait aussi deux cas techniques dans lesquels le manque de coordination des deux procédures nuit à l'efficacité de chacune.

Il s'agit d'abord de l'hypothèse dans laquelle un foyer aurait des revenus nominaux trop élevés pour avoir le droit à une aide personnalisée au logement ou à une aide du FSL, tout en étant considéré comme impécunieux par la commission de surendettement qui raisonne en termes de reste à vivre. Ainsi, la commission de surendettement peut prononcer une mesure de moratoire ou d'effacement de dette locative, alors que le surendettement du foyer en question n'est en aucun cas causé par ses dépenses de logement.

Il s'agit ensuite du cas dans lequel un locataire en cours de procédure d'expulsion entre en procédure de rétablissement personnel. Dans le cadre de la procédure de rétablissement personnel, le juge peut procéder à l'effacement des dettes après liquidation des actifs de la personne intéressée ; pour ce faire, l'article L. 331-5 du code de la consommation lui donne le droit de suspendre toutes les procédures d'exécution. Or la Cour de Cassation, par un arrêt de la 1ère chambre civile du 30 mais 1995, a estimé que l'expulsion ne constituait pas une procédure d'exécution. Ainsi, un locataire pourrait se voir expulsé pour une dette effacée, bien qu'il semble que la Cour n'ait pas encore eu à connaître de telles situations.

Enfin, le CNH propose que soient harmonisés les critères définissant la bonne foi des personnes dans la procédure de rétablissement personnel et dans la procédure de prévention des expulsions. Il suggère aussi que les mesures d'accompagnement social des personnes en situation de faillite civile (article L. 332-6 du code de la consommation) soient harmonisées avec celles qui sont mises en œuvre dans le cadre de la prévention des expulsions. Votre rapporteur juge ces propositions intéressantes, et note que la seconde semble d'autant plus opportune que le dispositif de suivi social de la procédure de prévention des expulsions n'est pas correctement mis en œuvre (cf. supra).

IV.-  FAIRE AVANCER LA MISE EN œUVRE CONCRÈTE
DU DROIT À VIVRE DANS LA DIGNITÉ

Votre rapporteur tire de tout ce qui précède deux conclusions :

- la pratique des expulsions, des coupures d'eau et des coupures de gaz et d'électricité n'est pas convenable au regard du droit à vivre dans la dignité, au regard de la constitution et au regard de la déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948.

- la mise en œuvre concrète du droit à vivre dans la dignité, comme celle des droits au logement, à l'eau et à l'énergie qui en découlent, méritent d'être améliorée pour mieux prendre en compte la spécificité des situations individuelles.

Ces deux orientations sont celles de la présente proposition de loi.

A.- METTRE FIN À LA PRATIQUE DES EXPULSIONS ET DES COUPURES D'EAU, DE GAZ OU D'ÉLECTRICITÉ

1. Mettre fin à la pratique des expulsions pour garantir un véritable droit au logement

Comme votre rapporteur l'a montré plus haut, si l'on applique pleinement les impératifs qui découlent du droit à vivre dans la dignité en matière de droit au logement, le principe même de l'expulsion locative doit être interdit. L'article 1er de la présente proposition de loi tend donc à proclamer que « toute expulsion poursuivie à l'encontre du locataire d'un local à usage d'habitation au seul motif du défaut de paiement des loyers, charges locatives ou indemnités d'occupation, ou en raison de difficultés économiques et sociales, est interdite. ». Si cette formulation peut sembler brutale, votre rapporteur souligne qu'elle présente l'avantage d'être sans équivoque ; seule une formulation de cette espèce est de nature à concrétiser pleinement le principe du droit au logement et à placer, pas seulement l'individu, mais l'ensemble de la société et ses représentants devant leurs responsabilités.

Toutefois, l'intention des rédacteurs de la présente proposition de loi n'est pas de porter atteinte aux intérêts du bailleur, mais de favoriser le règlement des impayés locatifs dans des conditions qui ne portent atteinte ni au droit au logement, qui découle du droit à vivre dans la dignité, ni au droit de propriété. C'est pourquoi ils proposent de soumettre les dossiers d'impayés de loyer, dès le deuxième impayé, à une commission départementale de solidarité. Celle-ci réunirait, sous la présidence du préfet, tous les acteurs du secteur du logement (associations, bailleurs, locataires, organismes sociaux notamment) ; elle serait chargée de mobiliser toutes les aides disponibles pour solvabiliser le locataire.

En outre, votre rapporteur a montré que la procédure contentieuse existante débouche trop souvent sur un jugement d'expulsion du locataire, alors même que la dette locative initiale, en début de procédure, ne s'élève en moyenne qu'à 1 600 euros environ (19). Il observe en revanche que la procédure précontentieuse de trois mois, instaurée pour le parc social par la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions, permet de résoudre 80 % à 90 % des cas d'impayés de plus de deux mois (20). Les commentateurs expliquent cette efficacité par le caractère précoce de la négociation, qui évite l'accumulation des dettes.

Dans son neuvième rapport annuel (21), le Haut comité pour le logement des personnes défavorisées préconisait la généralisation d'une procédure précontentieuse de « recours amiable appuyé sur une instance de médiation » collégiale, comportant des représentants de l'État, des collectivités territoriales et de leurs groupements, des associations et de tous les acteurs locaux de la politique du logement. Le haut conseil estime que « la procédure de recours amiable doit éviter la multiplication de procédures contentieuses en permettant la confrontation des points de vue du requérant et de la collectivité ; elle doit conduire à la définition d'une solution adaptée aux besoins du requérant et pouvant être obtenue dans un délai compatible avec l'urgence de sa situation ; elle doit permettre à l'autorité responsable de mobiliser les opérateurs compétents. La procédure reposera[it] sur une instance de médiation, qui se substituera[it] à celle qui a été instituée par la loi de lutte contre les exclusions ».

Votre rapporteur partage sur cette question le point de vue du comité, et souligne donc l'opportunité d'instaurer une procédure précontentieuse efficace et applicable à tous les baux, y compris ceux du secteur privé.

2. Mettre fin à la pratique des coupures d'eau et d'énergie pour garantir un véritable droit à l'eau et à l'énergie

La fourniture en eau et en énergie constituant une condition minimale de vie dans la dignité, il semble juste d'interdire formellement toute coupure d'eau, d'électricité ou de gaz. C'est pourquoi l'article 2 de cette proposition de loi adopte, pour cette interdiction, une formule aussi claire, précise et catégorique que celle de l'article 1er : « toute coupure de fourniture en énergie et en eau est interdite ».

Les dispositifs de négociation précontentieuse à l'amiable ayant fait la preuve de leur efficacité en matière de règlement des impayés de loyers dans le parc locatif social, votre rapporteur juge opportun d'en étendre le champ aux impayés d'eau, de gaz et d'électricité. Il ne peut donc qu'approuver le fait que la proposition de loi soumette les cas d'impayés d'eau et d'énergie à la commission départementale de solidarité qui est chargée de résoudre les problèmes d'impayés de loyers.

En outre, votre rapporteur constate que la coupure d'eau est utilisée comme un instrument de pression sur l'abonné défaillant, pour l'obliger à payer. Il arrive même que ces pressions soient exercées pour obliger les abonnés qui, contestant une facture ou une clause de leur contrat, ont cessé leurs paiements, à abandonner leurs revendications. Plusieurs cas de cette espèce ont été soumis aux juges, qui, généralement, condamnent le fournisseur d'eau, estimant que la coupure de la fourniture d'eau, élément essentiel à la vie, constitue un moyen de pression disproportionné par rapport à l'enjeu du litige. Toutefois, votre rapporteur remarque que les personnes défavorisées qui ne parviennent pas à régler leurs dettes d'eau sont rarement en mesure d'intenter une action contre leur fournisseur : l'action est en effet longue et coûteuse. Aussi, votre rapporteur estime-t-il judicieux d'inciter les fournisseurs d'eau et d'énergie à cesser ces pratiques, en mettant en jeu non seulement leur responsabilité contractuelle, mais surtout leur responsabilité pénale, plus dissuasive. C'est pourquoi l'article 2 prévoit que « le fournisseur qui procède de sa propre initiative à une coupure engage sa responsabilité pénale ».

Votre rapporteur estime que ces dispositions sont de nature à mettre en œuvre un véritable droit à l'eau et à l'énergie.

B.- AMÉLIORER LA PROCÉDURE ADMINISTRATIVE ET JUDICIAIRE POUR MIEUX PRENDRE EN COMPTE LES DIFFICULTÉS DES DÉBITEURS

Votre rapporteur a montré les insuffisances de la procédure actuelle de prévention des expulsions. Pour renforcer l'efficacité de ce système, la présente proposition de loi tend, d'une part, à réformer cette procédure pour la rendre plus réactive et plus efficace et, d'autre part, à instaurer de nouveaux mécanismes de prévention des impayés.

1. Instaurer une procédure administrative de traitement capable de prendre la mesure des difficultés individuelles

·  D'abord, votre rapporteur a montré que l'inefficacité relative de la procédure actuelle de prévention des expulsions tenait, en bonne partie, à sa lenteur et au manque de réactivité des services sociaux.

La présente proposition de loi tend à rendre la procédure plus réactive : plus l'intervention des services sociaux sera rapide, moins les dettes accumulées seront difficiles à apurer. C'est dans cette optique que le système des articles 1er et 2 de la proposition fait intervenir la commission de solidarité dès le deuxième impayé. Pour comparaison, dans la procédure actuelle, les services sociaux ne procèdent à une enquête qu'entre le cinquième et le septième mois qui suit le premier impayé, quand il s'agit d'un locataire du parc social.

·  Ensuite, votre rapporteur souligne que la proposition tend à simplifier considérablement les démarches des personnes en difficulté. En effet, dans la procédure actuelle, il appartient à ces personnes, aux associations ou au préfet de saisir les organismes sociaux susceptibles d'accorder des aides (les FSL notamment depuis le 1er janvier 2005, mais aussi les centres communaux d'action sociale par exemple). Or il s'avère que les particuliers, parfois insuffisamment informés, ne mobilisent pas toutes les aides auxquelles ils ont droit, tant la multiplicité des demandes à présenter rend leurs démarches complexes.

Dans la procédure prévue par les articles 1er à 3 de la présente proposition de loi, c'est aux bailleurs et aux fournisseurs qu'il reviendrait de saisir la commission de solidarité, laquelle est composée de façon à représenter tous les organismes, publics ou privés, susceptibles d'offrir des aides. Cette disposition simplifie donc considérablement les démarches des personnes en difficulté.

·  De plus, la proposition de loi tend à mieux prendre en compte les spécificités de chaque cas. Votre rapporteur a montré que le traitement des dossiers, dans le système actuel, était souvent automatique ; il a aussi établi le manque de personnalisation des plans d'apurement proposés par le juge ou par les services sociaux.

L'article 3 de la proposition de loi précise la composition de la commission de solidarité, disposant qu'elle « comprend le représentant de l'État dans le département, des élus municipaux et départementaux, les bailleurs, les opérateurs de distribution d'eau, d'électricité et de gaz, les centres communaux et intercommunaux d'action sociale, les associations de locataires, les associations, organismes et institutions intervenant dans le domaine de l'exclusion. ». Votre rapporteur souligne que cette composition, particulièrement large, présente deux avantages :

− elle permet de confronter des points de vue différents, ce qui donnerait à ses délibérations un caractère contradictoire ;

− elle réunit tous les acteurs susceptibles de débloquer des aides, ce qui évite que certaines soient sous-employées.

Ainsi, votre rapporteur estime que cette commission pourra cerner avec précision la nature et la gravité des difficultés de la personne intéressée, statuer sur sa bonne foi de façon contradictoire, et proposer des plans d'apurement des dettes faisant intervenir toutes les aides possibles. La procédure prévue par la proposition de loi serait donc plus sensible aux spécificités de chaque cas individuel.

·  Enfin, la proposition tend à renforcer les moyens financiers mis à la disposition des commissions pour solvabiliser les débiteurs, tant dans une optique d'efficacité que de justice :

− dans une optique d'efficacité, elle interdit que les aides au logement soient suspendues ou supprimées à la suite des impayés ;

− dans une optique de justice, elle dispose que les aides sociales (notamment celles du FSL) sont de droit, quand l'insolvabilité du débiteur est avérée. Actuellement, les aides sont dispensées en fonction des crédits disponibles, ce qui défavorise les personnes connaissant des difficultés en fin d'année, au moment où elles doivent faire face à leurs dépenses de chauffage.

Votre rapporteur souligne que la solvabilisation du débiteur constitue un avantage de taille pour le créancier.

2. Instaurer des mécanismes de prévention des impayés pour les personnes défavorisées

En premier lieu, la proposition de loi tend à élargir le tarif social électricité à l'ensemble des personnes non imposables à l'IRPP. Cette disposition permettrait non seulement d'éviter des situations financières difficiles, mais elle aurait aussi l'avantage de la simplicité : pour bénéficier du tarif, l'usager n'a qu'à envoyer à EDF son avis de non-imposition.

En second lieu, votre rapporteur a montré que le caractère souvent restrictif du calcul du « reste à vivre » compromettait l'efficacité des différents plans d'apurement de dettes.

La présente proposition de loi tend à élargir le calcul du « reste à vivre ». Elle reprend en cela les recommandations du rapport présenté au Gouvernement en décembre 2002 par M. Jolivet, secrétaire général du conseil national du crédit et du titre (CNCT), au nom du comité consultatif constitué au sein du CNCT pour étudier les voies d'amélioration de la prévention du surendettement. La proposition de loi propose ainsi d'intégrer dans le calcul du « reste à vivre » :

− les factures d'eau et d'énergie ;

− le montant des prestations familiales, pour les rendre insaisissables ;

− le nombre de personnes à charge.

Ainsi, pour votre rapporteur, en laissant plus de marge aux personnes surendettées, les plans de redressement établis par les commissions de surendettement, comme les plans d'apurement des dettes validés par le juge dans le cadre de la procédure de prévention des expulsions, connaîtraient probablement un taux d'échec inférieur à ce qu'il est actuellement.

EXAMEN EN COMMISSION

Lors de sa réunion du mercredi 9 mars 2005, la Commission a examiné, sur le rapport de M  Jean-Claude Sandrier, la proposition de loi de M. Jean-Claude Sandrier et plusieurs de ses collègues relative au droit à vivre dans la dignité (n° 2145).

Invité par le Président Patrick Ollier à présenter à la Commission la proposition de loi n° 2145 relative au droit à vivre dans la dignité, M. Jean-Claude Sandrier, rapporteur, a remercié la Commission de l'accueillir en son sein à l'occasion de la discussion de cette proposition.

Il a présenté les motivations et le contenu de sa proposition de loi et a rappelé, en conclusion de son intervention, que cette proposition de loi était d'inspiration authentiquement humaniste. Il a indiqué que ses auteurs entendaient, en la soumettant à l'Assemblée nationale, que le législateur prenne conscience des difficultés sociales en question et ne puisse les ignorer plus longtemps.

M. Philippe Folliot, ayant été autorisé par le Président à exposer la position du groupe UDF bien que n'étant pas membre de la Commission des affaires économiques, a estimé que la proposition de loi partait d'un bon sentiment et que personne ne pouvait s'opposer au droit de vivre dans la dignité.

Rappelant plusieurs événements tragiques récents, notamment le décès dans l'incendie de son appartement, à Castres, d'une personne qui était contrainte à utiliser un éclairage de fortune, il a déclaré que nul ne pouvait être insensible à de telles situations et a reconnu que la mise en œuvre du droit au logement, l'accès à l'eau et à l'énergie étaient des sujets particulièrement sensibles.

Mais il a estimé qu'un traitement des difficultés au cas par cas serait plus approprié que des dispositions générales créant des droits purement théoriques.

Il a également dénoncé les effets pervers que pourrait induire un tel texte, citant notamment la déresponsabilisation des individus, et a estimé que ce problème ne pouvait être écarté, même au nom du principe de dignité. Il a rappelé qu'il n'était pas possible de traiter de la même manière ceux qui font l'effort de payer leurs factures, ceux qui ne le peuvent vraiment pas (pour lesquels des procédures de soutien existent déjà) et ceux qui y mettent de la mauvaise volonté. Il a assuré qu'en tant qu'ancien responsable d'organisme HLM, il pourrait multiplier les exemples.

Il a rappelé que les motifs d'expulsion n'étaient pas seulement économiques, mais tenaient parfois au comportement des locataires, et qu'il fallait conserver la possibilité de distinguer ces deux situations.

Abordant la question du droit au logement, il a rappelé les textes déjà proposés par le Gouvernement, notamment la création d'une médiation départementale pour les familles qui attendent toujours un logement, au-delà d'un délai raisonnable, estimant que le problème fondamental était celui du manque de logements.

Sur la question de fourniture énergétique, il a suggéré de faire jouer des mécanismes de solidarité, en consacrant une partie du budget de la Caisse centrale d'activités sociales d'Electricité de France aux organismes HLM pour les aider à réduire la facture énergétique de leurs locataires.

Sur le « reste à vivre », il a rappelé les travaux de M. Jean-Pierre Abelin pour conclure qu'il fallait permettre aux bénéficiaires d'allocations logement de les toucher même lorsque leur montant était inférieur à 24 euros, contrairement à ce que prévoit un arrêté des Ministres des Affaires sociales et de l'Économie datant du 30 avril 2004.

Il a conclu en indiquant que le groupe UDF voterait contre la proposition de loi.

M. Daniel Paul, s'exprimant au nom du groupe des Député-e-s Communistes et Républicains a exprimé le soutien total de son groupe à la proposition de loi, dont il a souligné l'inspiration humaniste, et a regretté le manque de clarté de la position exprimée par le groupe UDF.

Il a estimé que la proposition de loi était particulièrement bienvenue, en raison de l'aggravation de la précarité dans le pays.

Il a souligné que tous connaissaient, quelque soit leur horizon politique et leur circonscription, la situation de personnes qui, sans mauvaise volonté, étaient confrontées tous les mois à la nécessité de choisir entre le paiement de leur loyer, de leur facture d'électricité, ou de la cantine de leurs enfants, faute de pouvoir assumer l'ensemble de ces charges.

Il a estimé que l'intervention d'huissiers à plusieurs stades de la procédure d'expulsion, loin d'accélérer les remboursements, ne faisait qu'accroître les dettes.

Il a admis la nécessité d'une alerte sociale, mais a regretté que les services sociaux, confrontés à l'explosion du nombre des situations sociales difficiles, aient du mal à les détecter.

Il a souhaité que les fournisseurs d'énergie ou d'eau, ainsi que les bailleurs, soient obligés de signaler ces situations difficiles, et a tenu à rappeler qu'ils n'étaient pas des marchands comme les autres, dans la mesure où leurs marchandises étaient nécessaires à la vie, soulignant que l'exigence de responsabilisation devait aussi s'appliquer aux fournisseurs.

Enfin, il a annoncé que son groupe voterait en faveur de ce texte, dont la date de discussion, le 15 mars, est particulièrement symbolique.

S'exprimant au nom du groupe socialiste, M. Jean Launay a indiqué qu'il partageait tant l'analyse de M. Jean-Claude Sandrier que le constat dressé par l'exposé des motifs de la proposition de loi. Il a estimé que l'augmentation du nombre des loyers impayés, mais aussi la multiplication des sollicitations des associations caritatives (dont les moyens ont par ailleurs été réduits par le Gouvernement actuel) témoignaient de la dégradation des conditions de vie des citoyens aux revenus modestes et de l'aggravation de la précarité de leur situation.

Rappelant que la Déclaration universelle des droits de l'Homme du 10 décembre 1948 énonce le principe essentiel du respect de la dignité inhérente à chaque individu dans le domaine du logement et des services sociaux nécessaires, il a indiqué que le groupe socialiste en avait tiré les conséquences en déposant une proposition de loi concernant la couverture énergétique universelle, dont il a jugé que l'esprit était repris par la présente proposition de loi. Il a par ailleurs estimé qu'en prenant également en compte le problème du logement, cette dernière présentait un intérêt supplémentaire.

Il a estimé que certains points de la proposition de loi mériteraient d'être débattus en séance publique, tels que l'obligation faite au bailleur de saisir, à compter du deuxième loyer impayé, une commission départementale de solidarité, le rôle du préfet dans ce domaine, mais aussi les relations entre les fournisseurs d'électricité et leurs clients, compte tenu du fait que la loi n° 2004-803 du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières, en transformant l'opérateur historique en société anonyme, avait également modifié la nature de ces relations, comme le montre l'exemple récent des coupures d'électricité en Corse.

Indiquant que le groupe socialiste était favorable à cette proposition de loi, il a estimé qu'au lieu d'encourager la déresponsabilisation des citoyens aux revenus modestes, elle incitait les hommes politiques à assumer leurs responsabilités dans ce domaine, ce qui n'a été qu'imparfaitement réalisé par la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale.

Le président Patrick Ollier a indiqué que la transformation du statut d'Electricité de France ne l'exonérait en aucune manière des missions de service public qui lui sont assignées par la loi, rappelant que le groupe UMP était également très attaché au respect de cette spécificité du droit français.

S'exprimant au nom du groupe UMP, M. Jacques Bobe a indiqué qu'il partageait les objectifs poursuivis par la proposition de loi, mais que différentes mesures, tant législatives que réglementaires, prises par les gouvernements successifs avaient été prises pour régler les problèmes évoqués dans son exposé des motifs.

Il a estimé que l'interdiction de toute expulsion d'un locataire n'ayant pas payé son loyer, prévue par l'article 1er, risquait d'être censurée par le Conseil constitutionnel sur le fondement du respect du droit de propriété. En outre, il a estimé que cette disposition risquait fortement d'inciter les propriétaires à ne pas louer leur bien immobilier, ce qui pourrait avoir des conséquences difficilement mesurables sur le marché de l'immobilier locatif.

Il a rappelé que la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale, s'ajoutant aux différentes mesures prises sous la législature précédente dans le domaine du logement, prévoyait la construction de 500 000 logements sociaux en 5 ans, ce qui constitue la seule mesure efficace pour lutter contre les problèmes de logement des plus démunis. Il a en outre attiré l'attention de ses collègues sur l'imminence de la discussion de projet de loi relatif à l'habitat pour tous.

Par ailleurs, il a estimé que l'article 2 de la proposition de loi, relatif à l'interdiction de toute coupure d'eau ou d'électricité, était redondant avec diverses mesures déjà existantes dans ce domaine depuis une dizaine d'années, même si celles-ci pourraient être mieux mises en œuvre. En particulier, les opérateurs historiques dans le domaine de l'électricité et du gaz ont, depuis 1998, la possibilité de s'appuyer sur le fonds de solidarité énergie afin d'éviter toute coupure de la fourniture en énergie dans le cas d'une facture impayée.

En outre, il a indiqué qu'un décret devrait être publié à la fin du mois de mars afin de prévenir les coupures d'électricité, en contraignant le fournisseur à informer le client de l'existence du fonds de solidarité pour le logement.

S'agissant de l'article 5 de la proposition de loi, il a indiqué que loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale avait déjà élargi les modalités de calcul du « reste à vivre », en augmentant par ailleurs les moyens des commissions de surendettement.

Il a donc appelé à ne pas passer à l'examen des articles de la présente proposition de loi, jugeant préférable d'améliorer l'application des dispositions déjà existantes, notamment dans le cadre des commissions départementales de surendettement regroupant des représentants des conseils généraux, des maires et des associations d'usagers.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont a observé que la proposition de loi de M. Jean-Claude Sandrier allait dans le bon sens, et s'inscrivait dans le droit fil de celle qu'avait déposée le groupe socialiste sur la couverture énergétique. Rebondissant sur la remarque de M. Jacques Bobe selon laquelle il convenait de faire mieux fonctionner les dispositifs de solidarité existants avant d'en créer de nouveaux, elle a attiré l'attention de ses collègues sur le transfert des fonds partenariaux aux conseils généraux, source d'inquiétude sur l'avenir de ces fonds. Elle a rappelé qu'ils étaient jusque-là gérés, soit directement par l'Etat, soit dans le cadre d'un partenariat entre l'Etat et les départements, parfois élargi aux caisses d'allocations familiales et aux centres communaux d'action sociale. Elle s'est inquiétée du montant des crédits qui seraient transférés par l'Etat en même temps que les compétences, et de la poursuite de l'effort contributif des caisses d'allocations familiales et des centres communaux d'action sociale après le transfert. Elle a signalé en outre que certains fonds, comme le fonds de solidarité logement, le fonds de solidarité énergie ou le fonds pour les impayés de téléphone, étaient gérés par des associations employant du personnel, dont l'avenir restait également problématique et que les fonctionnaires jusque-là mis à disposition n'avaient pas été transférés. Elle a conclu en regrettant que cette restriction des moyens intervînt alors que les besoins de soutien aux personnes en difficultés s'étaient considérablement accrus au cours des derniers mois.

M. François Brottes s'est interrogé sur la signification qu'il fallait tirer de l'évocation, lors d'une récente séance de questions au Gouvernement, sans que le ministre concerné ne fût conduit à effectuer une rectification, d'EDF en tant qu'« établissement public », alors que la loi n° 2004-803 du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières avait transformé l'entreprise en société anonyme. Il a souhaité également savoir quand seraient publiés les décrets d'application de cette loi, destinés à définir l'organisation du service public dans le secteur de l'électricité.

M. Patrick Ollier, président, a indiqué que ces dernières questions avaient plutôt vocation à être posées au ministre chargé de l'industrie lors du débat en séance publique, que, s'agissant de ce qui s'était passé lors des questions au Gouvernement, il ne fallait pas mal interpréter ce qui n'était probablement qu'une indulgence du ministre vis-à-vis de l'erreur d'un orateur ; qu'en l'occurrence la loi citée était parfaitement claire sur le statut juridique d'EDF, et qu'elle n'avait pas été modifiée depuis août 2004 ; qu'en outre il n'y avait aucune raison que les engagements pris par le Gouvernement concernant la publication des décrets d'application ne fussent pas respectés, la majorité se montrant elle-même soucieuse que les lois votées fussent appliquées. Il a remercié les différents intervenants pour la qualité de leur contribution au débat, observant qu'ils partageaient tous le sentiment de générosité qui inspirait la proposition de loi de M. Jean-Claude Sandrier. Il a souligné la pertinence de l'argument d'inconstitutionnalité soutenu par M. Jacques Bobe, et a rappelé que, sur le fond, il fallait tenir compte de l'action conduite par le Gouvernement, la question des coupures de services de base faisant l'objet d'un décret en cours de préparation au ministère de l'industrie.

En réponse aux intervenants, M. Jean-Claude Sandrier a apporté les réponses suivantes :

- le dépôt de cette proposition de loi a précisément été motivé par le fait que les dispositions existantes sont insuffisantes, en dépit de certaines améliorations ponctuelles, pour apporter une solution concrète aux problèmes de logements, de coupures d'eau et d'électricité de nos concitoyens ;

- la commission départementale de solidarité a précisément pour objet de traiter au cas par cas les problèmes abordés par la proposition de loi, sans pour autant que cette procédure ne place dans le registre de la charité le traitement de difficultés sociales nées de la mauvaise application de droits fondamentaux. La disposition de l'article 2 de la proposition de loi prévoyant la saisine de cette commission dans un délai rapide lui permet par ailleurs d'avoir une action efficace ;

- on ne saurait affirmer que la présente proposition de loi encourage la déresponsabilisation des locataires et des usagers de l'eau et de l'électricité, dans la mesure où son article 3 prévoit des moyens garantissant le paiement du débiteur, notamment par le biais d'un plan d'apurement de ses dettes proposé par la commission départementale de solidarité et de suivi, plans placés sous le contrôle du juge de l'exécution ;

- compte tenu du fait que la pauvreté n'est jamais choisie mais subie, l'expulsion du logement ou la saisine des meubles est toujours vécue comme une humiliation ; il faut donc responsabiliser les décideurs politiques afin que ce problème soit pris en compte par d'autres moyens que l'expulsion, qui constitue sur le plan politique une solution de facilité ;

- s'agissant du respect du droit de propriété, la jurisprudence du Conseil constitutionnel accorde une égale valeur constitutionnelle au principe du droit de propriété et à celui de la dignité de la personne humaine. Aussi le Conseil a-t-il toujours cherché à concilier ces deux principes à valeur constitutionnelle, sans que l'un ait à primer l'autre. Cette jurisprudence a été appliquée dès 1995 par les juges de première instance, à l'instar du tribunal de grande instance de Paris. En conséquence, le respect du droit de propriété ne saurait être systématiquement mis en avant pour empêcher toute mesure visant à protéger les locataires ayant des difficultés financières ;

- contrairement à ce qui a été dit, la proposition de loi renforce les garanties du bailleur dans la mesure où elle solvabilise son locataire, alors qu'aujourd'hui, le bailleur ne peut couvrir le risque d'impayé du loyer qu'en souscrivant une assurance. Les bailleurs seront en outre représentés dans la commission départementale de solidarité et de suivi ;

- il serait effectivement souhaitable, dans le rapport sur cette proposition de loi, de faire un inventaire des dispositions législatives existantes dans ce domaine, afin que la représentation nationale soit correctement informée sur les mesures complémentaires à prendre.

La Commission a alors décidé de ne pas passer à la discussion des articles et en conséquence de ne pas présenter de conclusions.

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N° 2152 - Rapport sur la proposition de loi relative au droit à vivre dans la dignité (M. Jean-Claude Sandrier)

1 ()  Estimation retenue par le rapport de M. Henri Smets pour l'Académie de l'eau, du 3 décembre 2004.

2 () Votre rapporteur salue ces efforts, qui s'organisent en deux temps :

− une concertation systématique avec le client défaillant, avant toute mesure de coupure ;

− l'offre de services d'alimentation réduite  : le « service maintien d'énergie » et le « service minimum ».

3 () Rapport n° 856, XIème législature, sur le projet de loi relatif à la lutte contre les exclusions discuté et adopté en 1998.

4 () Parmi les cas les plus choquants, votre rapporteur en rappellera deux :

− en 2002, EDF a coupé l'électricité à une personne dont la fille vivait sous assistance respiratoire, qui en est morte ;

− l'hiver dernier, à Castres, une personne est morte dans l'incendie de son appartement, du à l'éclairage de fortune qu'elle a été obligée d'installer à la suite de la coupure de l'électricité dans cet appartement.

5 () Décision n° 71-45 DC du 16 juillet 1971, Loi complétant les dispositions des articles 5 et 7 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association, définissant la notion de « bloc de constitutionnalité » qui intègre le Préambule de la Constitution de 1946.

6 () Décision n° 94-359 DC 19 janvier 1995, loi relative à la diversité de l'habitat.

7 () Décision n° 90-274 DC 29 mai 1990, loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement, dite « loi Besson ».

8 () Décision n° 94-359 DC 19 janvier 1995, loi relative à la diversité de l'habitat.

9 () Par exemple, le rapport précité de l'Académie de l'eau cite l'arrêt du TGI d'Avignon (Référé, 12 mai 1995, n°1492/95) qui a ordonné le rétablissement de l'eau coupée, estimant que la privation d'eau, « élément essentiel à la vie d'une famille » constitue une « gêne très importante et un risque pour la santé » sous astreinte de 5 000 F par jour.

10 () Date d'entrée en vigueur de l'article 65 de la loi n°2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales.

11 () A l'exception du cas, rare, dans lequel le contrat de bail ne comporte pas de clause résolutoire pour impayé de loyer.

12 () Enquête FORS - Recherche sociale, commandée en 2003 par l'Union sociale pour l'habitat et dont le résumé est publié dans le n° 762 de la revue « Actualités Habitat » du 15 janvier 2004.

13 () N° 768 de la revue « Actualités Habitat » du 15 avril 2004, article de M. Patrick Kamoun.

14 () indemnités versées pour refus de concours de la force publique.

15 () Enquête FORS - Recherche sociale, commandée en 2003 par l'Union sociale pour l'habitat et dont le résumé est publié dans le n° 762 de la revue « Actualités Habitat » du 15 janvier 2004.

16 () Loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948 portant modification et codification de la législation relative aux rapports des bailleurs et locataires ou occupants de locaux d'habitation ou à usage professionnel et instituant des allocations de logement.

17 () Loi n°95-125 du 8 février 1995 relative aux juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative.

18 () Loi n°2003-710 du 1er août 2003 d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine.

19 () Statistique constatée par le Secours catholique dans son rapport « la France précaire »

20 () Statistique publiée par l'Union sociale pour l'habitat, dans le n° 768 de la revue « Actualités Habitat » du 15 avril 2004, article de M. Patrick Kamoun.

21 () 9ème rapport du Haut comité intitulé : « Droit au logement : construire la responsabilité »,, novembre 2003.


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