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le 4 avril 2005

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N° 2203

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 23 mars 2005.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI n° 1980, autorisant l'approbation de l'accord concernant la coopération en vue de la répression du trafic illicite maritime et aérien de stupéfiants et de substances psychotropes dans la région des Caraïbes,

PAR M. JEAN-MARC ROUBAUD,

Député

--

INTRODUCTION 5

I - LA LUTTE CONTRE LE TRAFIC DE STUPÉFIANTS REPRÉSENTE UN ENJEU MAJEUR POUR LA FRANCE 7

A - LE TRAFIC DE STUPÉFIANTS DANS LES CARAÏBES : DES SAISIES EN PROGRESSION CONSTANTE 7

B - DES CONSÉQUENCES PRÉOCCUPANTES 9

II - LE DISPOSITIF FRANÇAIS DE LUTTE CONTRE LE TRAFIC DE STUPÉFIANTS DANS LES CARAÏBES EST D'ORES ET DÉJÀ TRÈS ÉTOFFÉ 11

A - LA COORDINATION, CLÉ DE L'EFFICACITÉ DES MOYENS D'ACTION NATIONAUX DANS LA LUTTE CONTRE LE TRAFIC DE STUPÉFIANTS 11

B - LA COOPÉRATION INTERNATIONALE, UNE OBLIGATION 13

III - L'ACCORD DE SAN JOSÉ VA PERMETTRE D'ACCROITRE L'EFFICACITÉ DE LA LUTTE CONTRE LE TRAFIC DE STUPÉFIANTS DANS LES CARAÏBES 15

A - UN ACCORD DE COOPÉRATION QUI RENFORCE LES DISPOSITIFS EXISTANTS 15

B - LE DISPOSITIF DE L'ACCORD 16

1) Une coopération multiforme 16

2) Un respect scrupuleux des principes de souveraineté nationale et d'intégrité territoriale 18

CONCLUSION 19

EXAMEN EN COMMISSION 21

Mesdames, Messieurs,

Actuellement 55 % du total de la cocaïne produite en Amérique du Sud et destinée aux deux principaux marchés de consommation que sont l'Amérique du Nord et l'Europe transitent par les Caraïbes. Ainsi, ce sont, chaque année, près de 250 tonnes de cocaïne qui quittent les Andes colombiennes, péruviennes et boliviennes pour l'Europe via les Caraïbes, tandis que 750 tonnes partent vers les Etats-Unis.

Les trafiquants mettent, au service de leurs activités, des moyens toujours plus importants et toujours plus rapides. Or, la région des Caraïbes, qui regroupe vingt Etats, dont la France, via ses départements d'outre-mer, constitue une véritable mosaïque d'eaux territoriales, très proches les unes des autres : comment, dans un tel contexte géographique, organiser une coopération efficace entre les Etats présents dans la région, en vue de mettre en échec des trafiquants aussi déterminés qu'inventifs et réactifs ?

Tel est l'objet de l'accord de coopération signé le 10 avril 2003, à San José, au Costa Rica, entre neuf pays de la région, en vue de la répression du trafic illicite maritime et aérien de stupéfiants et de substances psychotropes dans la région des Caraïbes. Premier accord régional signé sur la base de l'article 17 de la convention des Nations unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, adoptée à Vienne le 19 décembre 1988, il représente une étape déterminante dans la lutte contre le trafic de drogues dans une région stratégique à cet égard.

I - LA LUTTE CONTRE LE TRAFIC DE STUPÉFIANTS
REPRÉSENTE UN ENJEU MAJEUR POUR LA FRANCE

A l'instar de l'ensemble de la région des Caraïbes, les départements français d'Amérique (DFA : Guadeloupe, Martinique et Guyane) sont particulièrement touchés par le trafic de drogue. En effet, leur situation géographique, entre les pays producteurs de cocaïne et de cannabis, que sont les pays d'Amérique centrale et d'Amérique du Sud, et les marchés de consommation de la drogue américain et européens, en fait une zone particulièrement sensible au trafic illicite de stupéfiants.

Or, depuis quelques années, ces départements acquièrent un rôle déterminant pour le transit et le transbordement de ces produits. Qui plus est, ils deviennent, de manière croissante, des lieux de consommation de drogues, ce qui n'est pas sans conséquences lourdes, notamment en matière socio-sanitaire.

A - le trafic de stupéfiants dans les caraïbes : des saisies en progression constante

Evaluer l'évolution du trafic de stupéfiants dans les Caraïbes n'est pas chose aisée : par définition, ces activités clandestines échappent largement à une rigoureuse appréhension scientifique.

Dans ces conditions, les statistiques de la délinquance en matière de stupéfiants n'ont qu'une portée très relative, ne reflétant pas la réalité du phénomène mais uniquement l'activité des services de police et de gendarmerie. En outre, ces statistiques sont sujettes à des évolutions aberrantes aux yeux de l'observateur non averti : il suffit en effet d'une saisie massive sur un navire ou un aéronef pour que les chiffres s'envolent d'une année sur l'autre.

Les données fournies par les services des douanes fournissent néanmoins des indications sur les évolutions importantes en cette matière, comme en témoigne le tableau suivant, retraçant le nombre d'infractions à la législation sur les stupéfiants relevées dans les DFA depuis 2000.

infractions à la législation sur les stupéfiants
constatées dans les dfa de 2000 à 2003

2000

2001

2002

Évolution 2001/2002

2003

Évolution 2002/2003

GUADELOUPE

570

478

584

+ 22,18 %

797

+ 34,47 %

MARTINIQUE

914

837

1456

+ 73,95 %

1 757

+ 20,67 %

GUYANE

348

285

443

+ 55,44 %

381

- 14,00 %

TOTAL

1 832

1 600

2 483

+ 55,19 %

2 935

+ 18,20 %

Plus encore que ces chiffres absolus, c'est la part des DFA dans le volume global des saisies réalisées au plan national qui révèle l'ampleur des trafics de stupéfiants dans cette zone. Ainsi, au regard des saisies réalisées en 2003 sur le territoire national, il apparaît que :

- En matière de cocaïne, la part des départements d'outre-mer (DOM) augmente sensiblement par rapport à 2002, pour atteindre 45,8 % en 2003. Le volume global intercepté par les services connaît de nouveau une progression très importante, soit 1 802 kilogrammes en 2003 contre 341 kilogrammes en 2002.

Ces données confirment l'importance relative de la cocaïne dans le trafic de stupéfiants dans la zone caraïbe. Depuis 2000, les quantités cumulées de cocaïne interceptée en Antilles Guyane se montent à 2 476,26 kilogrammes, les quantités appréhendées ne cessant de croître - à l'exception de l'année 2001. Il convient toutefois de noter que les premières statistiques disponibles pour 2004 indiquent une diminution substantielle des saisies (70 kilogrammes environ), qui s'expliquerait par l'absence de saisie remarquable, telle celle réalisée en décembre 2003 dans les eaux martiniquaises, qui a conduit à la découverte de plus d'une tonne de cocaïne.

- C'est dans les départements français d'Amérique, et plus particulièrement en Guyane, que le crack reste majoritairement appréhendé. Avec une saisie de 2,42 kilogrammes, la Guyane compte pour 51,16 % des quantités totales interceptées en 2003 au plan national et 93,9 % du volume global saisi dans les DOM. Notons néanmoins la faiblesse des volumes en cause, soit 4,73 kilogrammes au plan national.

- Les quantités de cannabis saisies en Antilles-Guyane ont diminué de 53,75 %, passant de 608,81 kilogrammes en 2002 à 281,66 kilogrammes en 2003.

- Enfin, pour ce qui concerne l'héroïne, on assiste à un accroissement significatif de la part des DOM, qui représentent 9,1 % des quantités interceptées au plan national pour 2003. Le volume total d'héroïne saisie atteint 30,55 kilogrammes, dont 18,79 en Martinique et 11,76 en Guadeloupe. Malgré la modestie des quantités appréhendées, on constate une progression constante des saisies depuis 2000.

Ces chiffres sont très révélateurs de l'évolution récente de la situation dans les DFA : les saisies récentes confirment le rôle important de la Martinique et de Saint-Martin comme point de passage de la cocaïne et du crack vers l'Europe (France métropolitaine et Royaume-Uni principalement). S'agissant du crack, on ne peut que constater un véritable particularisme des départements français d'Amérique : sur les 897 usagers de crack interpellés en France en 2003, 234 l'ont été dans cette région (27,40 %), ce qui en fait la deuxième zone française de consommation de cette drogue. Quant à la Guyane, elle est utilisée comme zone de transit, en direction de l'Europe, pour une grande partie de la cocaïne en provenance du Surinam.

B - des conséquences préoccupantes

L'importance des trafics de stupéfiants dans la zone caraïbe est lourde de conséquences, non seulement dans les départements français de la zone mais également pour l'ensemble du territoire métropolitain, l'Europe étant le deuxième marché visé par les trafiquants.

Sans parler de la petite délinquance qu'engendrent de tels trafics, les conséquences socio-sanitaires en sont désastreuses pour les jeunes, principales victimes de ces trafics. Ainsi, en France métropolitaine, les dernières études montrent une expansion de la diffusion de la cocaïne (+ 6,39 % d'interpellations chez les étudiants et lycéens en 2002). Dans les DFA, on assiste à un accroissement de la consommation de drogues, la région n'étant plus seulement terre de transit mais devenant également lieu de consommation. D'après le rapport 2004 de l'Organe international de contrôle des stupéfiants (OICS), publié le 2 mars dernier, ce phénomène est renforcé par le fait que la drogue est, de plus en plus, utilisée comme moyen de paiement pour les passeurs. Tel est le cas aux Antilles néerlandaises, « les trafiquants paient de plus en plus souvent les passeurs non en liquide mais en MDMA [ecstasy] ou en cocaïne, ce qui accroît le niveau de la toxicomanie ».

Si, chez les jeunes, la cocaïne reste encore peu consommée, le crack connaît un important accroissement de sa consommation dans cette frange de la population : largement disponible, il présente surtout « l'avantage » d'être beaucoup moins onéreux : son prix aurait baissé de 51 % entre 2001 et 2002, d'après l'observatoire français des drogues et toxicomanies. Les trois départements des Antilles et d'Amérique figurent ainsi parmi les cinq départements français les plus concernés par les interpellations pour usage.

Il semblerait par ailleurs que les femmes soient de plus en plus touchées par la consommation de drogues. Le dernier rapport de l'OICS constate une hausse préoccupante de la proportion de femmes consommant de la drogue en Amérique centrale, aux Caraïbes et au Mexique, région marquée par une augmentation de la consommation de cocaïne.

En termes socio-sanitaires, la consommation de ces produits a des effets inquiétants. Notamment, elle entraîne une surexposition aux infections virales. A cet égard, la population de consommateurs de cocaïne est particulièrement touchée : selon un sondage récent, 9 % des personnes interrogées auraient contracté le VIH (sida), 51 % le VHC (hépatite C) et 13 % le VHB (hépatite B). Par ailleurs, la consommation de cocaïne reste responsable de décès par surdose chaque année sur le territoire national : en 2002, douze cas de décès par cocaïne ont ainsi été enregistrés, ce qui représente 12,37 % de l'ensemble des surdoses mortelles pour la même année, nombre le plus élevé atteint depuis de nombreuses années.

Les effets du crack sont également redoutables. Comme le souligne le rapport de l'observatoire français des drogues et toxicomanies qui, en 2004, a consacré une étude au cas de la Martinique1, le crack peut entraîner des complications psychiatriques, y compris, dans certains cas, une schizophrénie. Il reste le stupéfiant le plus destructeur, d'ailleurs perçu comme tel chez les usagers comme chez les non usagers.

II - LE DISPOSITIF FRANÇAIS DE LUTTE CONTRE
LE TRAFIC DE STUPÉFIANTS DANS LES CARAÏBES
EST D'ORES ET DÉJÀ TRÈS ÉTOFFÉ

Le grand nombre d'acteurs présents dans la zone Caraïbe, au plan français comme au plan international, rend complexes, voire opaques, les réseaux par lesquels transite l'information.

Les trafiquants jouent de ces complexités et lourdeurs administratives, en développant des moyens d'action à la fois rapides et réactifs. Ainsi, ils ont recours soit à des embarcations légères et très rapides leur permettant de traverser plusieurs eaux territoriales en un laps de temps très court et, la plupart du temps, d'échapper aux poursuites des services répressifs nationaux concernés (80 % des cas), soit à des petits avions utilisés pour larguer des paquets de drogue étanches munis d'une balise. Ceux-ci sont ensuite récupérés et embarqués à bord de porte-conteneurs, avant d'être acheminés vers l'Amérique du Nord ou l'Europe (20 % du trafic).

L'objectif des administrations présentes dans la zone consiste donc à rationaliser et simplifier en permanence les circuits de l'information, de façon à éviter les doublons et à garantir l'efficacité de l'action répressive qui suivra le recueil du renseignement. Les deux dernières années ont ainsi été riches d'initiatives en la matière, symbolisant par là même la préoccupation constante d'améliorer le dispositif répressif dans une région de première importance.

Coordination des moyens nationaux, coopération avec les Etats de la zone : tels sont, dans ce contexte, les axes d'action mis en œuvre par la France, avant même qu'ait été conclu l'accord de San José aujourd'hui soumis à notre ratification.

A - la coordination, clé de l'efficacité des moyens d'action nationaux dans la lutte contre le trafic de stupéfiants

Pour répondre aux contraintes spécifiques de la lutte contre le trafic de stupéfiants aux Antilles - éloignement géographique, niveau très élevé du trafic de stupéfiants, caractère excentré de la Guyane par rapport aux deux autres DFA -, la France a mis en place un dispositif de lutte contre le trafic de drogue spécifique par rapport au modèle métropolitain. C'est, en réalité, une véritable « plate-forme anti-drogue » qui s'est mise en place, construite autour des deux termes clés de coordination et de formation.

L'importance des défis à relever pour les administrations répressives présentes dans les DFA a conduit à modifier et renforcer sans cesse les dispositifs mis en place, afin de tenir compte des évolutions des trafics illicites. En bref, face à la réactivité et à l'inventivité des trafiquants de drogue, la coordination est le seul mot d'ordre.

Celle-ci a pris forme en 1997, avec la publication d'une circulaire interministérielle, le 5 mai 1997, qui a créé un comité zonal, placé sous l'autorité conjointe du préfet de la Martinique, préfet de zone, et du procureur général, chargé de coordonner les actions de lutte contre le trafic de stupéfiants, notamment par voie maritime.

Nécessaire, cette mesure réglementaire était cependant insuffisante. En l'occurrence en effet, la véritable difficulté réside dans l'absence de tradition de coopération entre les différents services impliqués, dans une culture du cloisonnement que ne suffisent à surmonter ni les circulaires ni quelque texte que ce soit. Confrontés à l'accroissement des trafics, les acteurs administratifs présents dans la zone ont cependant pris conscience de la nécessité de combler ce manque de synergie entre les services français. A cet égard, le développement de la coopération opérationnelle avec les autres Etats présents dans la zone a représenté un puissant aiguillon à la remise en cause des méthodes de travail traditionnelles des différents services compétents : la nécessité de créer un point d'entrée et un point de sortie uniques, notamment en matière d'échange de renseignement, est apparue dans toute son urgence.

Dans le cadre de leur réflexion sur les moyens d'améliorer le dispositif répressif dans la zone Caraïbe, la douane, la police et la gendarmerie se sont donc entendus sur la nécessité de renforcer prioritairement le recueil et l'analyse de renseignement à caractère opérationnel et partant, d'accorder au bureau de liaison permanent (BLP), créé dans la foulée du comité zonal et réunissant les représentants des trois administrations (police, gendarmerie, douanes), une plus grande importance au sein de ce dispositif.

Désormais, le BLP, qui a son siège en Martinique, est le centre de référence, le point de passage unique dans le circuit de toute information en lien avec la lutte contre le trafic de stupéfiants intéressant la zone Caraïbe, que celle-ci provienne des services des DFA ou de ceux, français ou étrangers, présents dans la zone. C'est en son sein, grâce à la mutualisation des ressources fournies par les trois administrations, que s'élaborent l'analyse du renseignement, sa synthèse et les propositions d'actions soumises, en temps utile, aux autorités compétentes, administratives ou judiciaires, dès lors qu'existent des raisons plausibles de considérer que l'infraction se commet ou va se commettre.

Dans le même esprit de collaboration, une antenne de l'OCTRIS (office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants) a été mise en place à Fort de France en avril 2004. Interministérielle, elle regroupe des policiers, des gendarmes et des douaniers. Une des premières enquêtes de cette antenne a conduit à l'interpellation, le 26 juillet 2004, de deux Sud Américains au large de Saint Martin, transportant, dans les caches d'un voilier 156 kilos de cocaïne.

Le volume croissant des saisies réalisées chaque année par l'ensemble des services répressifs et par la douane témoigne de l'efficacité de ces dispositifs et des vertus de la coopération interservices. Cette dernière n'a jamais été aussi intense qu'à l'heure actuelle et la tendance est à l'approfondissement. Certes, si l'intensification des trafics impose la modestie, il n'en reste pas moins que les résultats de ces dernières années démontrent que le partage du renseignement et la coopération entre la douane, la police et la gendarmerie sont des conditions essentielles de la répression des trafics illicites dans les DFA.

B - la coopération internationale, une obligation

L'intensification de la coordination des moyens nationaux s'est accompagnée, en parallèle, d'un accroissement de la coopération internationale avec les Etats de la région, les deux évolutions se nourrissant d'ailleurs mutuellement.

En matière internationale, la plate-forme anti-drogue s'articule autour d'une coopération opérationnelle avec les Etats-Unis - notamment avec l'unité américaine basée à Key West en Floride, la Joint Interagency Task Force East ou JIATF-E -, avec le réseau Interpol, structure de coopération internationale de police dont une antenne est installée à la direction de la police judiciaire Antilles-Guyane, à Pointe-à-Pitre, et autour des attachés de sécurité intérieure du Service de coopération technique internationale de police de la zone Caraïbe et d'Amérique latine. Elle mobilise également de multiples organisations et enceintes internationales, dépendantes de l'ONU ou financées par l'Union Européenne.

(1) La coopération dans la lutte contre le narco-trafic entre la France et les Etats-Unis a pris un essor nouveau avec la mise en place en août 1998 d'un officier de liaison interministériel (OLI) représentant unique des services français, au JIATF-E.

Les Américains, à l'instar de tous les Etats présents dans la zone, sont très demandeurs d'actions communes dans l'arc antillais, tant sur le plan opérationnel qu'en matière d'échange de renseignements. Notamment, à la suite du repli des moyens navals américains consécutif aux événements du 11 septembre 2001, les navires français sur la zone caraïbe ont été de plus en plus sollicités, plusieurs opérations de lutte contre le narco-trafic en haute mer ayant été entreprises à partir de septembre 2001. Malgré des résultats souvent négatifs, ces opérations ont démontré une amélioration très nette de la coordination entre les participants. Notamment, il convient de souligner la grande réactivité de la coordination assurée par le JIATF-E, qui a toujours apporté le soutien aérien demandé. De même, la coopération nouvelle des pays concernés doit être soulignée, s'agissant de l'obtention des autorisations de visites des navires appréhendés (article 17 de la convention de Vienne), en particulier de la part du Venezuela. Il est à souhaiter que les progrès enregistrés dans ce domaine s'inscrivent dans la durée.

(2) Par ailleurs, l'OCRTIS a mis en place, au plus près des zones de production et de transit, des officiers de liaison spécialisés « drogue », basés à Bogota en Colombie, à Caracas au Venezuela, à Miami et à Key-West aux Etats-Unis, à Porto Rico et au Brésil.

(3) La coopération internationale joue également un rôle croissant dans le domaine de la formation. Celle-ci est assurée par le centre interministériel de formation antidrogue (CIFAD), créé en 1992, à l'initiative des ministères de l'intérieur, de la Défense et du Budget, auxquels a été associé les ministères des Affaires Etrangères, de la Justice, de l'Outre-mer et de la Coopération. Son but est de répondre aux besoins spécifiques de formation rencontrés dans les départements français d'Amérique. C'est ainsi que le CIFAD est très sollicité par les délégations étrangères des pays de la zone, tant anglophones qu'hispanisants. Récemment transformé en groupement d'intérêt public, bénéficiant à présent de l'autonomie juridique et financière, il développe des formations intéressant tous les Etats de la zone. Il participe ainsi à la coopération internationale dans la zone Caraïbe et latino-américaine, en proposant des stages ou séminaires sur la lutte contre les stupéfiants et le blanchiment d'argent. 36 actions de formation ont été réalisées en 2003 et 41 pour l'année 2004.

III - L'ACCORD DE SAN JOSÉ VA PERMETTRE D'ACCROITRE L'EFFICACITÉ DE LA LUTTE CONTRE LE TRAFIC DE STUPÉFIANTS DANS LES CARAÏBES

Les Gouvernements du Costa Rica, des Etats-Unis d'Amérique, de la France, du Guatemala, d'Haïti, du Honduras, du Nicaragua, des Pays-Bas et de la République dominicaine ont signé le 10 avril 2003 à San José de Costa Rica un accord concernant la coopération en vue de la répression du trafic illicite maritime et aérien de stupéfiants et de substances psychotropes dans la région des Caraïbes.

Comme il a été démontré dans les pages qui précèdent, cet accord s'inscrit dans une dynamique de coopérations opérationnelles multiformes entre les Etats présents dans la zone, formalisées ou non par des accords internationaux. Par son ampleur et son ambition, il introduit cependant un changement d'échelle dans la coopération internationale préexistante et ouvre les perspectives d'une efficacité accrue de la lutte contre le trafic de stupéfiants dans la zone Caraïbes.

a - un accord de coopération qui renforce les dispositifs existants

Si l'accord de San José représente le premier accord régional signé sur la base de l'article 17 (« trafic illicite par mer ») de la convention des Nations unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, adoptée à Vienne le 19 décembre 1988, il intervient cependant à la suite de nombreux accords bilatéraux et sous-régionaux, pris sur la base de cette même convention, qui incitait les Parties à conclure des accords bilatéraux ou aussi régionaux :

- En 1989, les membres de la conférence douanière inter-Caraïbes (CDI) ont décidé de formaliser l'échange d'informations entre eux par l'adoption d'un mémoire d'entente en vue de l'assistance mutuelle et de la coopération pour prévenir et réprimer les infractions douanières commises dans la région de la Caraïbe. A cette époque, 21 pays ont adhéré au mécanisme, nombre aujourd'hui porté à 38 signataires, dont la France2.

- Par ailleurs, en 1988, le traité instaurant le système de sûreté régionale, initialement conclu en 1982 pour protéger les institutions démocratiques des Etats des petites Antilles face aux dangers de subversion ou d'invasion étrangère, a été étendu à la lutte contre le trafic de stupéfiants. Les Etats-Unis, le Royaume-Uni et les Pays-Bas participent à ce traité en qualité de pays associés et fournissent aux Etats membres une assistance en matière logistique, d'équipement et de formation ; ils contribuent également à son financement. Ce dispositif est un élément majeur de la politique américaine dans le domaine de la sécurité et de la lutte contre le narco-trafic dans la zone Caraïbe. Il organise chaque année des manœuvres aéronavales combinées. Il est fondé sur une approche très interventionniste puisqu'il prévoit notamment la possibilité pour les Américains de pénétrer dans les eaux territoriales du pays partenaire sous réserve d'avoir embarqué au préalable à bord de leur bâtiment un officier de ce pays. Bien que ne faisant pas partie de ce traité, la douane française entretient une coopération opérationnelle soutenue avec les membres de cet accord.

Ces accords révèlent le fort activisme des Etats-Unis dans la zone, qui, d'emblée, ont signé de nombreux accords bilatéraux de coopération avec les Etats de la région, notamment avec le Nicaragua, la Grande-Bretagne et les Pays-Bas. Une telle démarche a naturellement suscité le plus vif intérêt des Etats de la zone et, à l'initiative des Pays-Bas, s'est déroulée, à Curaçao, en mars 1998, une première réunion de consultation portant sur un accord régional de coopération maritime contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes dans la région Caraïbes.

Si, soucieuse du respect des règles de souveraineté dans les eaux territoriales et des compétences juridictionnelles qui en découlent, la France n'avait jusqu'alors pas souhaité négocier avec les Etats-Unis un accord bilatéral conçu sur le modèle de ceux liant ces derniers aux Pays-Bas ou à la Grande-Bretagne, elle a changé de posture en 1998, constatant le lien intrinsèque entre coopération et efficacité de la lutte contre le trafic de drogues.

Ainsi, à partir de 1998, la France a pris part à la discussion sur un accord régional et est entrée rapidement dans une phase de négociation active. Celle-ci a abouti, le 10 avril 2003, à la signature du présent accord de coopération régionale par huit Etats de la région, désireux de renforcer l'efficacité de leurs services de lutte contre le trafic de drogue.

b - le dispositif de l'accord

L'accord de coopération de San José organise la coopération entre les Etats parties sans remettre en cause la souveraineté et l'intégrité territoriale des Etats parties.

1) Une coopération multiforme

La coopération opérationnelle mise en œuvre dans l'accord de San josé concerne aussi bien la détection, l'identification et la surveillance que l'immobilisation des navires et aéronefs suspects.

Si des programmes de coopération sous-régionale, d'assistance technique et opérationnelle sont envisagés, l'apport majeur de la convention réside dans l'accent mis sur l'échange d'agents nationaux des services répressifs des différents Etats parties à l'accord. Lorsqu'ils sont embarqués sur des navires d'une autre partie, ce dispositif facilite, en effet, l'obtention rapide de l'autorisation d'arraisonnement et de poursuite par les navires des services répressifs dans les eaux de la partie de l'agent embarqué. Ainsi, la poursuite et l'arraisonnement d'une vedette rapide de trafiquants de drogue ne sont plus limités aux seules eaux territoriales d'une partie mais peuvent se poursuivre au-delà, par autorisation des autres Etats parties à l'accord. On retrouve là l'un des mécanismes d'ores et déjà mis en œuvre par les Etats parties ou associés au traité de sûreté régionale de 1982 évoqué précédemment. De fait, le gain de temps réalisé grâce à ce type de dispositif est essentiel dans ce qui s'apparente le plus souvent à une course de vitesse avec les trafiquants.

La coopération se décline également en termes d'échanges d'informations. A cet égard, l'identification des navires et aéronefs suspects constitue l'un des points clés de la lutte contre le trafic de stupéfiants, notamment dans le sens où elle détermine les règles de compétence applicables. Le délai de quatre heures prévu pour permettre aux Etats de faire savoir si le navire ou l'aéronef possède réellement la nationalité de l'Etat dont il bat pavillon doit, à cet égard, être considéré comme un maximum. En France, c'est aux préfets de Martinique (pour les Antilles) et de Guyane qu'il reviendra d'assurer cette mission de traitement des demandes de vérification de nationalité.

De même, ce sont ces autorités qui, conformément aux dispositions du décret no 79-413 du 25 mai 1979 qui leur confie l'autorité de police administrative en mer, désigneront, pour la France, aux autres parties les agents des services répressifs autorisés à embarquer à bord des navires d'une autre Partie et collaborer à des poursuites. Il faut noter que ces agents, autorisés à être munis de leur arme de service, pourront procéder à des arraisonnements et à des fouilles à partir d'un navire d'une autre Partie.

Les opérations au-delà de la mer territoriale constituent le cœur de la convention. Dans ce cas de figure, l'arraisonnement peut être régi par trois options :

- Le principe est que la signature du présent accord vaut autorisation d'un Etat signataire d'arraisonner et fouiller un navire suspect revendiquant sa nationalité ;

- Toutefois, il peut être notifié que l'Etat signataire doit donner son « consentement exprès » pour l'arraisonnement d'un navire revendiquant sa nationalité ;

- Enfin, si, dans le délai autorisé de quatre heures, l'Etat du pavillon ne peut ni réfuter ni confirmer la nationalité du navire, l'arraisonnement par la Partie requérante peut avoir lieu, en vertu de l'article 110 de la convention de Montego Bay sur le droit de la mer. La France choisira cette option, étant en mesure de réagir dans un délai de quatre heures. Dans l'attente de l'obtention de ce consentement, la Partie demanderesse pourra être autorisée par la Partie requise à prendre toutes les mesures nécessaires afin de prévenir la fuite du navire suspect. Enfin, dans le cas d'un trafic illicite avéré, le navire peut être immobilisé, les biens et les personnes retenus, dans l'attente d'instructions de l'Etat du pavillon.

2) Un respect scrupuleux des principes de souveraineté nationale et d'intégrité territoriale

L'enjeu d'une telle convention réside tout autant dans la capacité de chacune des parties à jouer le jeu de la coopération que dans le respect de la souveraineté de chaque État, la convention touchant notamment à des aspects aussi sensibles que la procédure pénale.

A cet égard, la convention prévoit que si les agents répressifs des autres parties seront habilités à intervenir dans cette procédure, cette habilitation sera toutefois soigneusement encadrée. Ainsi, dans le cas de la France, cette habilitation ne sera pas strictement équivalente aux pouvoirs des agents nationaux. De même, l'emploi de la force est strictement encadré (avertissement, respect des lois et procédures en vigueur dans l'État dont relèvent les eaux d'arraisonnement ou le pavillon du navire).

Par ailleurs, dans le souci de préserver la souveraineté des Etats parties, les règles de compétence juridictionnelle sont précisément définies. Ainsi, l'accord stipule que chaque Partie doit établir sa compétence à l'égard des infractions lorsque :

- l'infraction est commise dans des eaux relevant de sa souveraineté ou dans sa zone contiguë ;

- l'infraction est commise à bord d'un navire battant son pavillon ou d'un aéronef immatriculé conformément à sa législation ;

- l'infraction est commise à bord d'un navire dépourvu de nationalité, ou assimilé à un navire dépourvu de nationalité conformément au droit international, et qui se trouve en dehors de la mer territoriale d'un Etat, quel qu'il soit ;

- l'infraction est commise à bord d'un navire battant le pavillon ou portant l'immatriculation ou toute autre marque de la nationalité d'une autre Partie, et qui se trouve au-delà de la mer territoriale de l'un quelconque des Etats ;

Quant aux navires et aux personnes immobilisés, l'accord précise qu'une Partie a compétence juridictionnelle sur tout navire dans ses eaux territoriales et sur un navire battant son pavillon, ainsi que sur la cargaison et l'équipage, lorsque l'arraisonnement a lieu en dehors des eaux territoriales d'un État.

CONCLUSION

L'accord du 10 avril 2003 constitue une avancée majeure de la lutte contre le trafic illicite maritime et aérien de stupéfiants et de substances psychotropes dans la région des Caraïbes dans la mesure où, en assouplissant les règles traditionnelles, il facilite la poursuite et l'arraisonnement des navires se livrant au trafic de stupéfiants. Il préserve, cependant, les règles de la souveraineté dans les eaux territoriales et les compétences juridictionnelles, ce qui était une priorité française lors de la négociation.

Pour ces raisons, votre Rapporteur propose d'adopter le projet de loi autorisant la ratification de l'accord de San José.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission a examiné le présent projet de loi au cours de sa réunion du 23 mars 2005.

Après l'exposé du Rapporteur, M. Hervé de Charette a souhaité savoir si l'accord de San José avait été signé par l'ensemble des Etats membres de la région.

M. Jean-Marc Roubaud ayant indiqué que neuf Etats de la région (France, Costa Rica, Etats-Unis d'Amérique, Guatemala, Haïti, Honduras, Nicaragua, Pays-Bas et République dominicaine) l'avaient signé, M. François Loncle a noté, pour la regretter, l'absence du Mexique et du Panama.

M. Jean-Marc Roubaud a rappelé que, même si les saisies réalisées ne donnaient qu'une image tronquée de la réalité des trafics, par définition très difficiles à évaluer, elles montraient toutefois que les principaux pays concernés étaient parties à l'accord de San José, ce qui garantissait son efficacité réelle.

Suivant les conclusions du Rapporteur, la Commission a adopté le projet de loi (no 1980).

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La Commission vous demande donc d'adopter, dans les conditions prévues à l'article 128 du Règlement, le présent projet de loi.

NB : Le texte de l'accord figure en annexe au projet de loi (n° 1980).

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N° 2203 - Rapport sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord concernant la coopération en vue de la répression du trafic illicite maritime et aérien de stupéfiants et de substances psychotropes dans la région des Caraïbes (M. Jean-Marc Roubaud)

1 Phénomènes émergents liés aux drogues en 2003 - Tendances récentes sur le site Martinique, Octobre 2004. http://www.ofdt.fr/ofdt/fr/trend/mart03.pdf

2 Il s'agit des Etats suivants : Anguilla, Antigua et Barbuda, Aruba, les Bahamas, La Barbade, Belize, Les Bermudes, Iles vierges britanniques, Canada, Iles Caïmans, Colombie, Costa Rica, Cuba, Dominique, République dominicaine, France, Grenade, Guatemala, Guyana, Haïti, Honduras, Jamaïque, Mexique, Montserrat, Pays-Bas, Antilles néerlandaises, Nicaragua, Panama, Saint Kitts et Nevis, Sainte Lucie, Saint Vincent et Grenadines, Espagne, Surinam, Trinidad et Tobago, Turques et Caïcos, Royaume-Uni, Etats-Unis, Venezuela.


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