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le 3 février 2006

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N° 2812

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 25 janvier 2006.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION n° 2405, de M. Georges Hage et plusieurs de ses collègues, tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'état de la dette des pays en développement à l'égard de la France, sur les conséquences pour le développement de ces pays et sur les perspectives d'annulation de la dette,

Par M. Jacques GODFRAIN,

Député

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INTRODUCTION 5

I - LA FRANCE FACE À LA DETTE DES PAYS EN DÉVELOPPEMENT 7

A - DETTE ET DÉVELOPPEMENT : UNE QUESTION D'INTÉRÊT MONDIAL 7

B - LES EFFORTS DE LA FRANCE POUR RÉDUIRE LA FRACTURE ENTRE LE NORD ET LE SUD 9

C - QUELLE EST LA PLACE RÉELLE DES ALLÉGEMENTS DE DETTE DANS CET EFFORT ? 10

II - INFORMER LE PARLEMENT : UNE INDÉNIABLE NÉCESSITÉ 13

A - UN RÉEL BESOIN D'ÉCLAIRCISSEMENTS... 13

B - ...AUQUEL IL POURRAIT ÊTRE RÉPONDU SANS CRÉER UNE COMMISSION D'ENQUÊTE 14

CONCLUSION 17

EXAMEN EN COMMISSION 19

Mesdames, Messieurs,

M. Georges Hage et l'ensemble de ses collègues constituant le groupe des députés(es) communistes et républicains ont déposé en 2005 une proposition de résolution n° 2405 tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'état de la dette des pays en développement à l'égard de la France, sur les conséquences pour le développement de ces pays et sur les perspectives d'annulation de la dette.

Disons le d'emblée, plusieurs questions posées par nos collègues dans leur proposition de résolution sont dignes d'intérêt. Comme rapporteur pour avis de votre Commission pour ce qui est aujourd'hui la mission budgétaire « aide publique au développement », nous n'avons eu de cesse, depuis le début de cette législature, d'obtenir des administrations des précisions sur l'état de l'endettement des pays du Sud à l'égard de la France. Le Gouvernement a fait des efforts notables, notamment lors de la dernière loi de finances, pour répondre à cette demande. Nous nous en sommes faits l'écho dans nos rapports budgétaires successifs. Mais, en dépit de ces efforts, on doit reconnaître que la question mériterait d'être approfondie, tant ces mécanismes très complexes ne permettent pas de se faire actuellement une idée précise du montant de cette dette et des conséquences de son allègement. Pour autant, est-il justifié de constituer une commission d'enquête sur ce sujet ? Ce n'est pas notre avis.

Pour votre Rapporteur, la question de la dette des pays du Sud est, tant au plan international que français, suffisamment importante pour que le Parlement s'en empare et obtienne des différents acteurs toutes les informations utiles pour que nos concitoyens puissent de manière simple et claire mesurer le rôle des annulations de dette dans le développement des pays du Sud. La mobilisation des Français n'est jamais prise en défaut quand il s'agit de contribuer à réduire la fracture entre le Nord et le Sud. Mais en ce domaine, un effort de transparence doit être accompli pour maintenir la confiance dans cette politique d'aide aux pays en développement, politique dans laquelle la France s'est engagée activement sous l'impulsion majeure du Président de la République.

I - LA FRANCE FACE À LA DETTE DES PAYS EN DÉVELOPPEMENT

A - Dette et développement : une question d'intérêt mondial

Suscitant une très forte mobilisation des associations et des organisations non gouvernementales (ONG) mais également des Etats et des organisations internationales, au premier rang desquelles l'ONU, la question de l'annulation des dettes contractées par les pays en développement a été au cœur des débats internationaux en 2005. Les initiatives prises en juillet dernier par le Royaume-Uni lors du G8 à Gleneagles ont constitué l'un des moments forts de cette année.

Ce sommet a, en effet, confirmé l'accord des ministres des finances de juin 2005 pour l'annulation de la dette multilatérale de dix-huit pays pauvres très endettés (dits PPTE). Il s'agit d'annuler 100 % du stock de la dette à l'égard de l'Association internationale du développement (AID, du Groupe Banque Mondiale), du Fonds africain de développement (FAD, Banque africaine de développement) et du Fonds monétaire international (FMI) pour les pays pauvres très endettés remplissant certaines conditions. L'ensemble de ces annulations devrait porter sur environ 55 milliards de dollars de stocks de dette. Le coût de ces annulations est provisoirement évalué pour la France à 67 millions de dollars par an pour les trois prochaines années, et à 366 millions de dollars au total d'ici 2015.

Cette initiative marquante en direction des pays en développement intervient notamment après celle engagée pour ces mêmes pays pauvres très endettés en 1996 et renforcée en 1999.

Il s'agissait à l'époque de ramener la dette de ces pays à un niveau soutenable tout en luttant durablement contre la pauvreté. Dix ans après, le résultat de cette initiative est jugé encore insuffisant par de nombreux observateurs. En 2004, seuls sept des quarante et un pays concernés par cette initiative avaient, semble-t-il, une dette jugée soutenable par le FMI et la Banque mondiale. En 2003, le service de la dette des vingt-sept pays ayant bénéficié d'allègements s'élevait toujours à 15 % de leurs revenus, ce niveau ne permettant pas d'atteindre les fameux Objectifs du Millénaire pour le Développement.

En la matière, on a le sentiment que les multiples initiatives prises par les organisations internationales ou les Etats créanciers n'apportent pas de solution durable au problème de l'endettement des pays en développement. La question est récurrente et une curieuse impression règne. Finalement ces pays ne continueraient-ils pas à s'endetter pour payer leurs dettes ?

Le stock de dette des pays en développement était de 2400 milliards de dollars en 2002 répartis comme suit : 460 milliards de dollars de dette multilatérale, 640 de dette bilatérale et 1 300 de dette privée. En 1980, ce stock était d'environ 560 milliards de dollars. Le poids de l'endettement des pays en développement s'accroît donc depuis vingt-cinq ans sans que l'on réussisse à réguler ce processus. A la suite de la fameuse crise mexicaine de 1982, ont été mis en place des plans d'ajustement structurels, qui, via des accords avec les institutions financières internationales, ont imposé aux pays en développement un assainissement drastique de leurs finances publiques et le retour à l'équilibre de leurs balances des paiements. Ces programmes ont entraîné des politiques de privatisation et des coupes importantes dans les dépenses publiques, notamment de santé et d'éducation et cette approche a suscité depuis de nombreuses critiques, notamment de l'UNICEF, du PNUD et plus récemment de nombreuses ONG.

Depuis quelque temps, ces organisations lancent d'ailleurs des campagnes très actives pour l'annulation intégrale de la dette des pays en développement. Pour ces organisations, la dette est un fardeau insupportable qui obère toute perspective de développement. Ces ONG relèvent également que la dette a finalement déjà été remboursée, l'augmentation des taux d'intérêt conduisant les pays du Sud à devoir rembourser beaucoup plus qu'ils n'ont effectivement reçu. On peut, à titre d'exemple, citer le collectif d'associations Jubilee 2000 qui a lancé une pétition internationale et a organisé, dans une cinquantaine de pays, des campagnes pour la renégociation ou l'annulation de la dette. Cette mobilisation a été, en partie, entendue par les gouvernements des pays les plus riches comme l'a montré le Sommet de Gleneagles. Mais est-ce suffisant ?

La question est, il est vrai, complexe. Il faut, en effet, distinguer la dette multilatérale de la dette bilatérale, les dettes à court, moyen ou long terme. Les acteurs qui interviennent sur ces questions sont nombreux : FMI, Banque mondiale, ONU, gouvernements, G8, Club de Paris, banques privées... La situation de chaque pays est très spécifique et les techniques d'annulation de dette sont d'une insondable complexité avec des procédures strictes, des modes de calcul financiers dont la compréhension est l'apanage des seuls initiés.

Dans cette atmosphère d'incertitude, où les estimations varient d'un organisme à l'autre, une chose est sûre cependant : la question de la dette des pays en développement est d'intérêt mondial. Le vaste mouvement d'opinion qui émerge dans le monde occidental, relayé par les médias, ne va pas s'interrompre brutalement. Il répond fondamentalement à une demande d'information de la part de nos concitoyens et à une sensibilité de plus en plus profonde de nos sociétés aux difficultés des pays du Sud.

Les autorités françaises ont pris la juste mesure de ce mouvement et du besoin des pays du Sud de voir le « fardeau » de leur dette allégé.

B - Les efforts de la France pour réduire la fracture entre le Nord et le Sud

Les efforts de la France en direction des pays en développement et notamment, en faveur des pays les plus pauvres sont indéniables.

L'initiative prise par le Président de la République en 2004 à l'ONU pour pérenniser le financement de l'aide au développement, par le biais désormais d'une taxe assise sur le transport aérien en est la preuve. A partir du 1er juillet 2006, une taxe de solidarité sur les billets d'avion doit être instaurée afin de « contribuer au financement des pays en développement ». Les passagers embarquant de France paieront au maximum 1 euro en classe économique et 10 euros en classe affaires pour les vols vers un aéroport de l'Espace économique européen (Union européenne, Islande, Liechtenstein et Norvège). Pour les vols en dehors de l'Espace économique européen, ce montant maximum sera de 4 euros en classe économique et de 40 euros en classe affaires. La contribution de solidarité sur les billets d'avion est intégrée à l'article 22 de la loi de finances rectificative pour 2005.

L'instauration de ce dispositif s'inscrit dans une perspective politique plus large afin de réduire la fracture entre le Nord et le Sud. En mars 2002, lors de la Conférence internationale de Monterrey, le Président de la République a pris l'engagement de donner une impulsion nouvelle à notre effort en faveur du développement des pays du Sud. Cette impulsion forte a été suivie d'effets tangibles puisque de 0,31 % du RNB en 2000, l'aide publique au développement est passée à 0,32 % en 2001, 0,38 % en 2002, 0,41 % en 2003, 0,42 % en 2004 (6,8 milliards d'euros) et 0,44 % en 2005 (7,4 milliards d'euros). En volume, la France occupe le troisième rang après les Etats Unis et le Japon.

Si l'on prend en compte le rapport entre l'aide publique au développement et le RNB, la France supporte l'effort le plus important de tous les pays du G7. Mais l'objectif est d'aller plus loin avec une aide qui atteindrait 0,5 % en 2007 soit environ 9 milliards de dollars contre 4,2 milliards en 2001. Le but est plus ambitieux encore à l'horizon 2012 où la France devrait consacrer 0,7 % de son RNB à l'aide publique au développement.

Pour 2006, la France consacrera 0,47 % de son RNB à l'aide publique au développement soit 8,2 milliards d'euros. L'engagement de la France va donc bien au-delà des objectifs européens qui prévoient un niveau moyen de l'aide des Etats membres de 0,39 % du RNB en 2006.

C - Quelle est la place réelle des allégements de dette dans cet effort ?

Une partie de l'aide publique au développement est constituée par les annulations de dettes, comme le prévoit l'OCDE. Mais quel est le montant précis des allègements de dette qui contribuent à l'aide publique au développement en France ? Répondre à cette question n'est pas simple. En dépit des efforts de l'administration, notamment lors de l'examen de la dernière loi de finances, les documents fournis manquent encore trop souvent de clarté, ce qui les rend parfois difficilement compréhensibles. Cette situation est sans doute due, en grande partie, à la matière elle-même qu'il est difficile d'aborder simplement.

Une grande complexité règne en ce domaine en raison de l'opacité des procédures d'annulation de dette et de l'éclatement de cette dette entre plusieurs instruments. Une partie de ces annulations est comptabilisée au titre de l'aide publique au développement ; l'autre non. En outre, les annulations de dette peuvent être imputées ou non dans le budget de l'Etat. Enfin, ces montants varient fortement d'une année sur l'autre. Leur prévisibilité est très faible. Tout cela ne permet pas d'avoir une vue claire de la politique française en la matière.

Les annulations de dette qui font l'objet d'une dépense budgétaire représentaient environ 14 % de l'ensemble des annulations en 2004, 11 % en 2005 et, en prévision, 9 % en 2006.

Les annulations restantes - l'essentiel - qui ne grèvent pas le budget de l'Etat sont réparties entre les annulations dites « COFACE » dont le montant ne cesse de s'accroître (34 % du total en 2003, 40 % en 2004 et 80 % en prévision en 2006) et les annulations portées aux découverts du Trésor (46 % en 2004). Ces annulations ne sont pas toutes considérées comme relevant de l'aide publique au développement. Ainsi quand une dette relevant de l'aide publique au développement est annulée, seuls les intérêts sont intégrés dans le périmètre de l'aide publique au développement dans la mesure où le prêt lui-même a déjà été considéré comme participant à cette aide lors de son octroi.

En 2003, les allègements de dette intégrés dans l'aide publique au développement représentaient 1,84 milliard d'euros ; en 2004, 1,41 milliard. Les prévisions pour 2005 s'établissent à 2,8 milliards et, pour 2006, à 1,93 milliard d'euros.

On a observé que les annulations de dette avaient largement contribué, ces dernières années, à l'augmentation de l'aide publique au développement française. Elles représentaient seulement 13 % de notre aide soit 772 millions d'euros en 1996 et 10 % de l'aide soit 470 millions d'euros en 2000 contre 29 % de notre aide en 2003, 20 % en 2004 et 35 % en 2005 (2,8 milliards d'euros).

Alors que votre Rapporteur a, à maintes reprises, interrogé l'administration sur le montant total des créances détenues aujourd'hui par la France dont l'annulation pourrait alimenter notre aide au développement dans les années à venir, il semble qu'il soit difficile d'apporter une réponse claire à cette question simple. En outre, les annulations ne sont pas toujours prévisibles ; par exemple, certaines d'entre elles aujourd'hui escomptées en 2007 pourraient intervenir plus tôt et, à l'inverse, d'autres pourraient être reportées en fonction de la vitesse à laquelle est atteint le point d'achèvement, c'est-à-dire le moment où le pays concerné remplit les conditions pour bénéficier de l'allègement de dette. Le rythme dépend aussi de la progression des négociations multilatérales et bilatérales pour certains Etats comme le Nigeria et l'Irak. Le fait que le volume global des annulations de dette passe de 2,8 milliards d'euros en 2005 à 1,9 milliard en 2006 en témoigne.

Les contrats de désendettement et de développement (C2D) constituent le volet bilatéral français pour l'allègement de la dette contractée au titre de l'aide publique au développement. Ce volet se conjugue avec l'initiative multilatérale d'allègement de la dette des pays pauvres ; c'est l'initiative PPTE qu'on a déjà évoquée.

Ces C2D contribuent au développement des pays bénéficiaires parce qu'ils correspondent à un refinancement par dons des créances : les pays continuent d'honorer leur dette, mais, aussitôt le remboursement constaté, la France reverse au pays la somme correspondante pour l'affecter à des programmes de lutte contre la pauvreté sélectionnés d'un commun accord avec l'Etat partenaire. Ils sont mis en œuvre à partir du point d'achèvement de l'initiative PPTE et viennent s'ajouter aux annulations de dette consenties dans le cadre du Club de Paris. Par ce biais, la France instaure un dialogue avec les autorités des pays bénéficiaires autour de leur politique de réduction de la pauvreté.

Après trois années d'expérience et conformément aux décisions du CICID du 18 mai 2005, ce dispositif va être ajusté afin de le rendre encore plus lisible et efficace. Sa gestion sera déconcentrée sous l'autorité des ambassadeurs ; le rôle de l'Agence française de développement dans la mise en œuvre des C2D sera renforcé dans la Zone de solidarité prioritaire (ZSP) ; le dispositif sera allégé pour les contrats de faible montant. Cette amélioration utile du système mériterait d'être évaluée par le Parlement.

Quels sont les pays bénéficiaires de ces C2D ? Sur les vingt-trois pays éligibles aux contrats de désendettement et de développement (1), dix ont atteint le point d'achèvement et huit ont signé leur premier C2D avec la France. Ces pays sont le Mozambique, l'Ouganda, la Tanzanie, la Bolivie, la Mauritanie, le Ghana, Madagascar et le Nicaragua. Le Mozambique a signé son deuxième C2D en novembre 2004 et le deuxième C2D de l'Ouganda est en cours de préparation. Les C2D Honduras et Rwanda sont en cours d'instruction et devaient être signés fin 2005. Là encore, on pourrait se demander si d'autres pays, plus nombreux, ne pourraient pas bénéficier de ce dispositif très utile. Une information plus précise des parlementaires serait nécessaire pour évaluer l'impact de cette politique sur les pays bénéficiaires.

II - INFORMER LE PARLEMENT : UNE INDÉNIABLE NÉCESSITÉ

A - Un réel besoin d'éclaircissements...

L'exposé des motifs de la proposition de résolution dont la Commission est saisie comporte des éléments d'information intéressants qui sont souvent repris du travail actif de collectifs d'ONG comme « Dette et développement », plate-forme qui regroupe des organisations pour l'information et l'action sur la dette des pays du Sud. Votre Rapporteur ne partage pas le ton parfois véhément de cet exposé qui ne fait pas justice aux efforts déployés par la France au profit de la cause des pays en développement. La critique systématique des initiatives prises en ce domaine n'est pas de nature à permettre aux pays du Nord et du Sud de collaborer dans de bonnes conditions pour améliorer le sort de ces derniers, nous semble-t-il.

Pourtant, comme il a été indiqué en introduction de ce rapport, les questions posées par la proposition de résolution sont, pour plusieurs d'entre elles, pertinentes.

On peut ainsi s'interroger sur le montant même de la dette des pays du Sud à l'égard de la France. Quels sont les montants précis en cause ? Quelle est la structure de cette dette ?

Vient ensuite la question des processus d'annulation de dette. Quels sont les procédures suivies, les acteurs institutionnels (Club de Paris, ministères, COFACE, banques...) ? Comment sont prises concrètement les décisions d'annulation ? Comment se fait le choix des pays bénéficiaires ?

On peut également s'interroger sur l'impact de ces annulations. Quel est leur montant actuel et les perspectives en ce domaine ? D'un point de vue plus qualitatif, quels sont les effets concrets de ces annulations sur la lutte contre la pauvreté dans les pays concernés ? L'exposé des motifs de la proposition de résolution est, de ce point de vue, parfois peu objectif lorsqu'il dénonce l'absence d'impact de ces annulations sur l'amélioration des conditions de vie des habitants des pays bénéficiaires ou lorsqu'il met en cause la conditionnalité des allègements qui impose l'orientation des moyens financiers ainsi dégagés vers la lutte contre la pauvreté. Cette question mérite une réflexion plus approfondie.

Les informations dont la représentation nationale dispose aujourd'hui sont souvent partielles et peu claires. La majeure partie de la dette échappe à la sphère du budget de l'Etat dont nous avons à connaître chaque année lors de l'examen de la loi de finances. Les réponses apportées ne sont pas entièrement satisfaisantes, moins en raison d'une mauvaise volonté des administrations que d'une réelle incapacité à réunir les informations dans des documents synthétiques et lisibles par tous, c'est-à-dire par nos concitoyens, de plus en plus nombreux et mobilisés sur ces sujets.

Le Parlement doit donc se saisir de cette question de manière plus précise et plus volontariste. Pour autant, la constitution d'une commission d'enquête ne nous semble pas l'option la plus pertinente pour mener à bien ce nécessaire travail d'information.

B - ...auquel il pourrait être répondu sans créer une commission d'enquête

Les dispositions de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1110 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et les articles 140, 141 et 144 du Règlement de notre assemblée soumettent la recevabilité d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête à trois conditions :

- la proposition doit déterminer avec précision, soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services publics ou les entreprises nationales dont la commission doit examiner la gestion ;

- les faits ayant motivé le dépôt de la proposition de résolution ne doivent pas faire l'objet de poursuites judiciaires ;

- douze mois au moins doivent s'être écoulés depuis la fin des travaux de toute mission pour l'exercice de laquelle le bénéfice des prérogatives attribuées aux commissions d'enquête a été demandé (2) ou de toute commission d'enquête qui aurait eu le même objet que la commission d'enquête dont la proposition de résolution vise la constitution.

La proposition de résolution qui nous est soumise remplit ces trois conditions.

La proposition de nos collègues communistes détermine avec suffisamment de précisions les faits qui donneraient lieu à enquête. Il s'agirait de dresser un état de la dette des pays en développement à l'égard de notre pays ainsi que d'évaluer les conséquences de cet endettement sur leur développement et de mettre en évidence les effets des dispositifs existants et prétendant à une réduction de cette dette. Cette proposition va même plus loin, puisqu'elle considère que la commission d'enquête aurait aussi à élaborer des propositions « permettant de déboucher sur l'annulation de la dette des pays en développement dans le cadre des rapports bilatéraux de la France avec ces pays mais également dans le cadre multilatéral au niveau international ».

Concernant la deuxième condition requise, le Garde des Sceaux a confirmé par une lettre du 22 juillet 2005 qu'aucune poursuite judiciaire n'était en cours pour des faits susceptibles de se rattacher à l'objet de la proposition de résolution.

Enfin, notre Assemblée n'a mené à ce jour ni mission d'information ni commission d'enquête sur les faits qui motivent la présente proposition de résolution.

Les conditions de la recevabilité juridique de la proposition de résolution sont donc réunies, ce qui ne signifie pas que votre Rapporteur juge son adoption pertinente.

L'opacité et la complexité des mesures d'annulation de la dette des pays en développement justifient à n'en pas douter une plus grande attention de la part des parlementaires. En qualité de rapporteur pour avis de la Commission des affaires étrangères sur le budget de la coopération et du développement, nous n'aurons eu de cesse d'obtenir des informations plus précises de la part du ministère de l'Economie et des Finances et du ministère des Affaires étrangères. On doit d'ailleurs observer que ces services ont entrepris des efforts notables pour améliorer l'information des parlementaires, notamment dans le cadre de l'élaboration des nouveaux documents budgétaires qui ont vu le jour avec la mise en œuvre la loi organique sur les lois de finances (LOLF).

La constitution d'une commission d'enquête ne paraît pas justifiée à votre Rapporteur pour deux raisons.

Elle impose la mise en place d'une structure très lourde (convocations, serment, procès-verbaux ...) dont les travaux sont strictement limités dans le temps à six mois. Ce n'est pas en l'occurrence la procédure la mieux adaptée.

Surtout, nous savons très bien que la constitution d'une commission d'enquête renvoie à l'idée d'une investigation pour comprendre les raisons d'un mauvais fonctionnement de mécanismes publics qui aurait entraîné des conséquences dommageables. Ce n'est évidemment pas le cas.

Si le Parlement doit être informé afin d'évaluer ensuite les effets de notre politique d'aide au développement, ce travail de clarification doit être accompli avec détermination mais de manière proportionnée.

Ce travail d'information a déjà été engagé par votre Rapporteur pour avis sur la mission budgétaire « aide publique au développement ». Il vous propose d'aller plus loin cette année et de focaliser véritablement l'avis rendu sur le projet de loi de finances pour 2007 sur la question de l'endettement des pays du Sud à l'égard de la France. Afin de donner à ses propres travaux la plus grande transparence et d'associer tous les députés qui pourraient s'intéresser à cette question, il serait proposé aux membres de notre Commission et, pourquoi pas, d'autres, comme celles des Finances, une série d'auditions tout au long de la préparation du rapport pour avis consacré à la mission « aide publique au développement », auditions auxquelles ils pourront librement participer.

Cette formule permettrait d'articuler plus clairement la question de la dette avec celle plus générale de l'aide publique au développement, dont elle peut difficilement être dissociée.

CONCLUSION

Votre Rapporteur vous propose, en conséquence, de rejeter la proposition de résolution n° 2405. Il préconise, en revanche, que la Commission des affaires étrangères engage un travail d'investigation et d'étude dont elle pourrait rendre compte à l'automne dans le cadre de l'avis rendu sur la mission « aide publique au développement », à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2007.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission a examiné la proposition de résolution (n° 2405) tendant à la création d'une commission d'enquête au cours de sa réunion du mercredi 25 janvier 2006.

M. Jacques Remiller a souhaité que soient précisées les conditions dans lesquelles les députés pouvaient engager des investigations.

M. Jacques Godfrain, Rapporteur, a rappelé que l'on pouvait constituer une commission d'enquête, une mission d'information mais que les rapporteurs budgétaires avaient également des pouvoirs d'investigations permettant d'éclairer les travaux de l'Assemblée. Il a ajouté que, selon lui, la création d'une commission d'enquête était une procédure trop rigide et trop solennelle pour mener ce travail d'information sur la dette des pays en développement.

Après avoir déclaré qu'il n'était pas surpris par la proposition du Rapporteur de s'engager dans un travail d'investigation sur ce sujet, puisque depuis plusieurs années M. Godfrain met en évidence, dans ses avis budgétaires, les zones d'ombre qui demeurent concernant la situation de nos créances vis-à-vis des pays du Sud, M. Jean-Paul Bacquet a considéré qu'il s'agissait là d'une excellente démarche, à laquelle mériteraient d'être associés les sénateurs, qui se sont déjà très sérieusement intéressés à ce dossier.

Le Président Edouard Balladur a insisté sur les difficultés que rencontraient les parlementaires pour obtenir des informations claires sur la dette des pays en développement à l'égard de la France. Il a rappelé qu'il avait interrogé le Ministre de l'Economie et des Finances l'an passé sans obtenir de réponse convaincante. La suggestion du Rapporteur est bienvenue et il importera d'associer les membres de la Commission des finances aux auditions menées par M. Godfrain. Ce travail devrait avoir finalement pour objet de déterminer quelle est la situation actuelle de nos créances en précisant clairement les montants et les pays concernés. Il devrait également permettre de mesurer l'impact des variations des annulations de dette sur le budget de l'Etat ainsi que les conséquences éventuelles d'une annulation totale de cette dette.

M. Jacques Godfrain, Rapporteur, a conclu en rappelant qu'en tant que membre du conseil de surveillance de l'Agence française de développement, il n'obtenait pas toutes les réponses à ses questions sur ce sujet, le caractère flou des informations délivrées ayant été d'ailleurs souligné lors d'un récent audit de l'Agence. Il a engagé ses collègues à se pencher sur les mécanismes actuels d'annulations de dette employés par la France qui conditionnent ces allègements à la mise en œuvre dans les pays bénéficiaires d'investissements sociaux ou productifs destinés à améliorer le sort des populations locales.

Conformément aux conclusions du Rapporteur, la Commission a rejeté la proposition de résolution (n° 2405).

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* *

La Commission vous demande donc de rejeter, dans les conditions prévues à l'article 140 du Règlement, la présente proposition de résolution.

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N° 2812 - Rapport fait au nom de la commission des affaires étrangères sur la proposition de résolution n° 2405 de M. Georges Hage tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'état de la dette des pays en développement à l'égard de la France (M. Jacques Godfrain)

1 () Cameroun, Côte d'Ivoire, Congo, République démocratique du Congo, Guinée, Mozambique, Madagascar, Mauritanie, Burundi, Ghana, Rwanda, Ouganda, Tanzanie, Sao Tomé et Principe, Sierra Leone, Soudan, Liberia et six pays hors ZSP (Bolivie, Nicaragua, Honduras, Malawi, Myanmar et Somalie).

2 () Article 145-1 du règlement de l'Assemblée nationale.


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