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le 5 mai 2006

N° 3060

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 2 mai 2006.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES, DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION (n° 2970) de MM. Alain BOCQUET et Jean-Pierre BRARD, tendant à la création d'une commission d'enquête sur les origines, les fondements et les conséquences du projet de création de Natixis, sur le devenir et le rôle des établissements financiers du secteur semi-public, en particulier la Caisse des dépôts et consignations, les Caisses d'épargne, la Banque de France, La Poste, Natexis-Banques Populaires et la COFACE, ainsi que sur la nécessité de doter notre pays d'un pôle financier public au service de l'emploi, des collectivités locales et d'un aménagement structurant du territoire concourant à la satisfaction des besoins sociaux.

PAR M. Philippe AUBERGER,

Député.

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INTRODUCTION 5

I.- LA RECEVABILITÉ DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EST ENTACHÉE PAR LE FLOU DE SA FORMULATION 7

A.- LA PRÉCISION DES CONDITIONS DE RECEVABILITÉ 7

B.- DES IMPRÉCISIONS DANS LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION 7

1.− Le contexte du projet de création de Natixis mérite certes attention... 7

a) Les éléments constitutifs du dossier sont connus 8

b) Les développements du projet vont venir en leur temps 10

2.− ... mais l'ampleur du champ d'investigation proposé pose la question de la cohérence de la proposition 12

II.- EN OPPORTUNITÉ, RIEN NE JUSTIFIE LA CRÉATION D'UNE COMMISSION D'ENQUÊTE 15

A.- LA CRÉATION ANNONCÉE DE NATIXIS DOIT SE CONFORMER AUX MÉCANISMES DE RÉGULATION DU SECTEUR BANCAIRE ET FINANCIER DE DROIT COMMUN 15

1.- Le Parlement a déjà rempli son rôle et continuera de le faire 15

2.- Le droit commun doit s'appliquer 17

B.- LE DEVENIR DES « ÉTABLISSEMENTS FINANCIERS DU SECTEUR SEMI-PUBLIC » N'APPELLE PAS EN SOI D'INVESTIGATION PARTICULIÈRE 18

1.− Une commission d'enquête peut-elle entraver l'évolution du secteur ? 19

2.− Une confusion entretenue entre secteur public et missions d'intérêt général 19

C.- LA CRÉATION D'UN « PÔLE FINANCIER PUBLIC » RELÈVE DE LA PROSPECTIVE ET D'UNE POSTURE POLITIQUE 20

EXAMEN EN COMMISSION 23

INTRODUCTION

Nos collègues Alain BOCQUET et Jean-Pierre BRARD ont déposé sur le Bureau de notre Assemblée, le 16 mars dernier, une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête « sur les origines, les fondements et les conséquences du projet de création de Natixis, sur le devenir et le rôle des établissements financiers du secteur semi-public, en particulier la Caisse des dépôts et consignations, les Caisses d'épargne, la Banque de France, La Poste, Natexis-Banques Populaires et la COFACE, ainsi que sur la nécessité de doter notre pays d'un pôle financier public au service de l'emploi, des collectivités locales et d'un aménagement structurant du territoire concourant à la satisfaction des besoins sociaux ». Cosignée par l'ensemble des membres du groupe des député-e-s communistes et républicains, cette proposition a été mise en distribution le 3 avril.

L'élément déclencheur de cette proposition de résolution aux contours particulièrement vastes est l'annonce du projet de création de Natixis, société issue du rapprochement entre le Groupe Caisse d'Épargne et le Groupe Banque Populaire. Si l'on ne peut que se féliciter de l'intérêt porté par nos collègues communistes et républicains à cette annonce importante - mais qui n'est encore qu'une velléité, à ce stade - dans le paysage bancaire et financier français, on doit s'interroger sur l'adéquation d'une commission d'enquête aux fins poursuivies par les auteurs.

Certes, qui pourrait nier l'ampleur des préoccupations qui se font jour à propos des implications, potentiellement importantes pour les intérêts patrimoniaux des Français, du projet Natixis ? Mais quel pourrait bien être, aujourd'hui, le rôle d'une commission d'enquête qui prétendrait s'ingérer dans des négociations entre établissements financiers, parallèlement à l'information du marché et à la consultation des actionnaires ?

Comme il est d'usage pour un tel exercice, votre Rapporteur, s'appuyant sur le Règlement de notre Assemblée, entend tout d'abord se pencher sur la recevabilité de la proposition de résolution, avant d'examiner l'opportunité de la création d'une commission d'enquête, en répondant aux différentes demandes des auteurs.

I.- LA RECEVABILITÉ DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION
EST ENTACHÉE PAR LE FLOU DE SA FORMULATION

L'examen de la recevabilité formelle d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête, pour convenu qu'il puisse paraître, n'en est pas moins utile en ce qu'il permet de déceler, souvent, certaines faiblesses inhérentes à la demande, en particulier concernant le caractère suffisamment précis des faits devant donner lieu à enquête.

A.- LA PRÉCISION DES CONDITIONS DE RECEVABILITÉ

L'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et les articles 140 et suivants du Règlement de l'Assemblée nationale posent deux conditions à la recevabilité d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête :

- d'une part, « cette proposition doit déterminer avec précision, soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services publics ou les entreprises nationales dont la commission doit examiner la gestion » (1) ;

- d'autre part, « Si le garde des sceaux fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition, celle-ci ne peut être mise en discussion » (2).

Sur ce dernier point, le Garde des Sceaux a fait savoir au Président de l'Assemblée nationale, par lettre en date du 18 avril dernier, qu'aucune procédure n'était en cours à sa connaissance. En conséquence, c'est sur le premier point que votre Rapporteur fondera son argumentation concernant la recevabilité formelle, tant il est vrai, à ce stade, que des critiques peuvent être adressées à la proposition.

B.- DES IMPRÉCISIONS DANS LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION

1.− Le contexte du projet de création de Natixis mérite certes attention...

Il est patent que le projet de rapprochement annoncé entre le Groupe Banque Populaire et le Groupe Caisse d'Épargne, avec à sa tête la Caisse nationale des caisses d'épargne (CNCE) dont la Caisse des dépôts et consignations (CDC) est actionnaire à hauteur de 35 %, est un sujet d'intérêt national, qui intéresse le Parlement au premier chef du fait de la surveillance que celui-ci exerce sur la CDC depuis sa création en 1816. Cependant, outre le fait que l'enchaînement des événements jusqu'à ce jour est suffisamment connu et discutable sur des points déjà identifiés, le projet n'a pas encore abouti et des négociations sont toujours en cours ; ces deux éléments ne plaident pas en faveur de la création d'une commission d'enquête.

a) Les éléments constitutifs du dossier sont connus

Comme la presse a eu amplement l'occasion de le relater (3), un rapprochement entre les Caisses d'épargne et les Banques populaires avait déjà été tenté, par deux fois au moins, dans des conjonctures différentes, en 1996 et en 2003. Il semble que la perspective d'une cotation du Groupe Caisse d'Épargne et le contexte du lancement de la Banque postale aient accéléré la mise en chantier d'un nouveau projet, à l'automne dernier.

Après de premières négociations tenues secrètes entre M. Charles MILHAUD, Président du directoire de la CNCE, et M. Philippe DUPONT, Président du Groupe Banque Populaire, l'annonce du projet a été précipitée par des révélations partielles parues dans la presse ; elle a été rendue publique le dimanche 12 mars, date de réunion d'un conseil de surveillance exceptionnel de la CNCE et d'un conseil d'administration des Banques populaires. Elle a pris la forme d'une lettre d'ouverture de négociations exclusives, avant la tenue d'une conférence de presse le lendemain. La CDC s'est trouvée mise devant le fait accompli, son directeur général, hospitalisé, n'ayant jamais été averti personnellement par M. Charles MILHAUD. La violation des statuts de la CNCE comme du pacte d'actionnaires qui lie la CNCE et la CDC depuis le 30 juin 2004, ne fait guère de doute.

Cela étant, sur le fond, le projet de montage est globalement connu, qui est censé aboutir à la création de Natixis (4), société détenue à parité par la CNCE et par la Banque fédérale des banques populaires (à hauteur de 34 %), et regroupant des actifs apportés par chacune des parties. Le capital flottant représenterait 25 %, ce qui laisserait, en théorie, une possibilité de participation directe à hauteur de 7 % au maximum, pour la CDC. Cette dernière, actionnaire de la CNCE à hauteur de 35 %, pourrait choisir entre les options suivantes :

- conserver cette participation de 35 % dans une CNCE au périmètre substantiellement réduit ;

- opter pour une participation directe dans Natixis, de l'ordre de 5 à 7 % ;

- devenir actionnaire des deux entités, ou au contraire se retirer totalement.

Quoi qu'il en soit, les enjeux pour la CDC sont cruciaux : il est de toute première importance que la valorisation de sa participation ne la lèse en aucune manière, car il y va des intérêts patrimoniaux des Français, compte tenu du rôle historique de la CDC au service de l'intérêt général. Par ailleurs, les règles élémentaires de bonne gouvernance de la place de Paris - en particulier le respect d'un pacte d'actionnaires - sont mises à mal par la conduite particulièrement cavalière des discussions.

Sous ces importantes réserves, voici le schéma global de l'opération telle qu'elle se présente pour l'heure :

graphique

Source : sociétés.

Au demeurant, ce projet n'est pas finalisé ; ses grandes lignes ont déjà évolué depuis l'annonce du 12 mars. Ainsi, aux termes du communiqué conjoint publié par les deux groupes le 13 avril dernier à l'issue de la réunion du conseil d'administration de la Banque fédérale des banques populaires et du conseil de surveillance de la CNCE, le Crédit Foncier, filiale du Groupe Caisse d'Épargne, et l'activité d'assurance-dommages (Écureuil IARD (5)) seraient exclus de l'ensemble, dont le poids global serait désormais plus proche de 20 milliards d'euros que de 25 milliards. La proposition de résolution est donc d'ores et déjà obsolète sur ce point, puisque son exposé des motifs évoque « Natixis, nouvelle entité cotée fusionnant Ixis, le Crédit Foncier et Natexis ».

En 2005, les principaux éléments de la situation de chacun des deux groupes étaient les suivants :

CHIFFRES CLEFS DES GROUPES CAISSE D'ÉPARGNE ET BANQUE POPULAIRE EN 2005

Groupe Caisse d'épargne

Groupe Banque populaire

Fonds propres

19 milliards d'euros

15 milliards d'euros

Produit net bancaire

10 milliards d'euros

8,2 milliards d'euros

Résultat net

2 milliards d'euros

1,5 milliard d'euros

Effectifs

55.000

45.500

Agences

4.700

2.807

Source : sociétés.

Le montage envisagé mérite d'être examiné : les deux groupes, l'un comme l'autre mutualistes, présentent des complémentarités entre banque de détail et banque d'investissement, des synergies sont possibles entre les deux réseaux, et le nouvel ensemble Natixis deviendrait l'un des tout premiers groupes bancaires français, derrière le Crédit Agricole.

Pourtant, ce projet mérite d'être examiné avec la plus grande attention et certainement pas dans la précipitation, compte tenu des enjeux et du risque de lésion des intérêts de la CDC. Sans oublier qu'en la forme, il constitue un inacceptable fait accompli, au moins dans son annonce. Est-il besoin d'ajouter qu'une commission d'enquête parlementaire ne viendrait en rien faciliter l'apaisement d'un climat difficile entre les parties ?

b) Les développements du projet vont venir en leur temps

Si les origines du projet de rapprochement sont donc connues, à l'heure où ces lignes sont écrites, il n'est pas certain qu'il puisse aboutir dans les formes où il a été esquissé. La signature de l'accord devant donner naissance à Natixis n'interviendra vraisemblablement pas avant le 1er juin prochain - date de la fin de la période de négociations exclusives -, et une consultation des institutions représentatives du personnel en cours.

Dès lors, il serait à la fois superflu et hâtif de prétendre enquêter « sur les origines, les fondements et les conséquences du projet de création de Natixis » : superflu quant aux raisons, et hâtif quant aux conséquences, quand les contours du nouvel ensemble ne sont même pas encore fixés.

Le ministre de l'Économie, des finances et de l'industrie, M. Thierry BRETON, n'a d'ailleurs pas dit autre chose en déclarant, sitôt le projet dévoilé, qu'il était impératif de donner le temps aux actionnaires, dans le respect de leurs règles de gouvernance, d'examiner le projet.

Pendant cette phase d'examen, l'actionnaire essentiel qu'est la CDC n'entend pas rester inactif. En effet, du fait du statut de la Caisse nationale des caisses d'épargne et de l'existence, depuis le 30 juin 2004, d'un pacte d'actionnaires liant la Caisse des dépôts et la CNCE, la CDC n'est pas dépourvue de moyens juridiques pour faire valoir son point de vue et faire respecter les intérêts qu'elle représente, sur trois points au moins :

- concernant les modalités de convocation et de prise de décision du conseil de surveillance de la Caisse nationale des caisses d'épargne, l'article 28-1 des statuts de la CNCE prévoit que les membres du conseil de surveillance doivent être convoqués dans un délai raisonnable et disposer, avant la réunion et dans un délai suffisant, de l'information leur permettant de prendre une position éclairée. L'article 4.2.1 du pacte d'actionnaires entre la CNCE et la CDC reprend, en substance, les mêmes dispositions ;

- s'agissant du droit de veto des représentants du groupe CDC au conseil de surveillance de la CNCE, l'article 4.2.2 du pacte d'actionnaires prévoit que les projets de « décisions importantes » doivent être soumis à l'autorisation préalable du conseil, au sein duquel ils doivent recueillir, pendant la phase initiale, l'approbation de la majorité des représentants du groupe CDC, faute de quoi lesdits projets ne peuvent être poursuivis. Par « décision importante », il faut entendre toute opération dont les principaux éléments ne sont pas prévus par le plan stratégique, la notion d'opération recouvrant tout investissement ou désinvestissement, tout apport, fusion ou scission, tout joint-venture ou tout partenariat réalisé par la société et/ou ses filiales d'un montant total supérieur à 250 millions d'euros ;

- le pacte d'actionnaires prévoit également l'accord des deux parties s'il devait y avoir transfert des certificats coopératifs d'investissement à un tiers, ce qui figure effectivement dans le projet Natixis dans sa formulation connue ;

- enfin, aux termes des articles 28-4-4 des statuts de la CNCE et 5.2 du pacte d'actionnaires, un « comité stratégie et développement » doit préparer les décisions du conseil de surveillance sur les deux aspects que sont, d'une part, la définition des orientations stratégiques et des axes de croissance de la société, des 34 caisses d'épargne et de prévoyance et de leurs filiales, et d'autre part, l'élaboration et la révision du plan stratégique, ainsi que les projets relatifs à des opérations ou des partenariats. Ce comité doit être tenu informé au fur et à mesure de la réalisation des opérations ou des partenariats.

Sur aucun de ces points les engagements existants n'ont véritablement été respectés. Cela ne peut manquer d'influer sur l'avancement du projet de création de Natixis. Quoi qu'il en soit, le champ de l'investigation proposée par nos collègues communistes et républicains déborde bien au-delà de cette question ponctuelle.

2.− ... mais l'ampleur du champ d'investigation proposé pose la question de la cohérence de la proposition

On peut légitimement s'interroger sur la cohérence d'une proposition qui englobe, à partir de l'épisode de la création annoncée de Natixis, « le devenir et le rôle des établissements financiers du secteur semi-public ». Quels sont ici, conformément aux articles précités du Règlement de l'Assemblée nationale, les « faits qui [doivent] donne[r] lieu à enquête » ? Quelles sont « les entreprises nationales dont la commission doit examiner la gestion » ?

Ni le Rapport sur l'État actionnaire, annexe « jaune » au projet de loi de finances de l'année qui retrace l'évolution des principales participations de l'État, ni une quelconque disposition législative ne permettent de définir un tel secteur. Ou, plutôt, une telle disposition a existé, à l'article 38 de la loi n° 99-532 du 25 juin 1999 relative à l'épargne et à la sécurité financière, modifiant l'article 53 de la loi de nationalisation n° 82-155 du 11 février 1982 pour instituer un Haut Conseil du secteur financier public et semi-public. Mais le décret n° 2000-440 du 23 mai 2000, pris pour l'application de cet article, a été abrogé par le 124° du décret n° 2005-1007 du 2 août 2005, relatif à la partie réglementaire du code monétaire et financier.

Entre-temps, le Haut Conseil aura néanmoins publié un rapport, dans lequel sont citées certaines des entités figurant dans la liste établie dans la proposition de résolution, sans qu'en définitive cette liste gagne en cohérence. À l'évidence, s'intéresser pêle-mêle à des entités aux statuts et aux rôles aussi divers que « la Caisse des dépôts et consignations, les Caisses d'Épargne, la Banque de France, La Poste [ne s'agit-il pas plutôt de la Banque postale ?], Natexis-Banques Populaires et la COFACE » démontre que l'objet d'éventuelles investigations est mal cerné.

Sont mélangés groupes et filiales, institut d'émission et établissements de crédit, banque de détail et banque d'investissement, établissements publics et sociétés anonymes, statut de service public et missions d'intérêt général... Et si le but recherché était précisément de donner au champ d'investigation le périmètre le plus large possible, tout un pan d'activités financières assorties de missions d'intérêt général a alors été oublié : celui du financement des PME et de l'innovation à travers la holding OSEO - établissement public national à caractère industriel et commercial -, et ses filiales OSEO Anvar - société anonyme dotée d'une mission de service public -, OSEO BDPME - société anonyme, établissement financier de place - et OSEO Sofaris - société anonyme filiale d'OSEO BDPME, institution financière spécialisée dotée d'une mission d'intérêt général.

Le projet de création de Natixis n'appelle, en l'état actuel de nos connaissances, aucune modification du statut des caisses d'épargne ni de la CNCE, déterminé en dernier lieu par la loi précitée du 25 juin 1999. Quant au statut des banques populaires, il relève du droit privé, même pour la partie où des conventions ont été signées avec l'État (pour certaines activités de la Coface notamment). Dans ces conditions, la légitimité d'une commission d'enquête n'apparaît pas établie, ces établissements ne relevant pas du secteur public.

Au total, la légitime attention portée au projet annoncé de création de Natixis semble servir de prétexte à une prise de position sur certaines institutions du paysage bancaire et financier français, globalement qualifiées de « semi-publiques ». Au flou de la demande s'ajoutent ainsi de lourds arguments d'opportunité.

II.- EN OPPORTUNITÉ, RIEN NE JUSTIFIE
LA CRÉATION D'UNE COMMISSION D'ENQUÊTE

Parmi les diverses remarques formulées dans le dispositif ou l'exposé des motifs de la proposition de résolution et censées justifier la création d'une commission d'enquête, aucune n'emporte la conviction. Elles sont d'ailleurs discutables en elles-mêmes, qu'il s'agisse des conditions de l'éventuelle création de Natixis, du devenir des « établissements financiers du secteur semi-public » ou de l'institution souhaitée d'un « pôle financier public ».

A.- LA CRÉATION ANNONCÉE DE NATIXIS DOIT SE CONFORMER AUX MÉCANISMES DE RÉGULATION DU SECTEUR BANCAIRE ET FINANCIER DE DROIT COMMUN

1.- Le Parlement a déjà rempli son rôle et continuera de le faire

Le contexte et les modalités, encore évolutives, de la création annoncée de Natixis ont été rappelés. Que la forme prise par les négociations et la conduite du projet soient critiquables est un fait avéré, souligné à juste titre par les auteurs de la proposition, quand ils dénoncent la mise à l'écart de la CDC dans le processus initial. Mais on a déjà évoqué les voies de droit ouvertes à la CDC, et une commission d'enquête ne serait en l'espèce d'aucune utilité. La Caisse n'est nullement en danger, pas plus que ne sont menacées ses missions d'intérêt général ; ce qui est en jeu ici sur le plan patrimonial et qui concerne tous les Français, c'est la valorisation de la participation de la CDC dans l'actuelle CNCE, et son devenir dans le nouvel ensemble à naître.

Le Parlement porte, certes, une responsabilité particulière en la matière. Mais précisément, s'il s'agissait simplement de souligner toute l'attention portée par la Représentation nationale à cet épisode, et en particulier de marquer très clairement l'attachement du Parlement à son rôle de garant de l'indépendance et de la protection de la CDC depuis 1816, votre Commission des finances y a déjà répondu. Réunie le 21 mars dernier pour entendre le Président du Conseil de surveillance de la Caisse - fonction qui échoit à un député membre de votre Commission et que votre Rapporteur a l'honneur d'assumer depuis 2002 - et M. Dominique MARCEL, directeur des finances et de la stratégie de la CDC, suppléant le directeur général alors souffrant, votre Commission a en effet longuement débattu du projet de création de Natixis, sur le fond comme sur la forme. Ont également été évoquées les implications éventuelles de ce projet, ce qui a motivé la publication du communiqué à la presse reproduit page suivante :

graphique

La même réunion a également permis de constater qu'au-delà de la nécessaire réaction immédiate à une démarche cavalière de la part des dirigeants des Caisses d'épargne et des Banques populaires, il apparaissait « urgent d'attendre » : il importe de ne pas se laisser aveugler par l'effet d'annonce et de se donner le temps nécessaire pour l'analyse détaillée du projet avant que la CDC puisse décider de la conduite à tenir face à ce projet.

Les auteurs de la proposition eux-mêmes ne disent pas autre chose, lorsqu'ils estiment que « au reste, rien n'est encore joué », évoquant notamment l'existence d'un droit de veto de la CDC. Telle est bien la réalité, et dès lors se révèle toute l'ambiguïté de la proposition de résolution sur ce point : s'agit-il de faire la lumière sur des faits précis, ou bien plutôt de brandir la menace de la création d'une commission d'enquête comme un moyen de pression ou d'intimidation à l'égard de sociétés privées ? Votre Rapporteur estime qu'il y aurait là un risque de détournement du contrôle parlementaire, lequel continuera naturellement à s'exercer par le truchement de la commission de surveillance de la CDC.

2.- Le droit commun doit s'appliquer

Au-delà des négociations en cours, si le projet de création de Natixis aboutit, il devra nécessairement être soumis aux autorités de régulation du secteur bancaire ainsi qu'aux autorités de marché compétentes, ce que les deux groupes concernés évoquent eux-mêmes dans leur communiqué conjoint du 13 avril dernier :

« Après signature des accords définitifs, les demandes d'autorisation auprès des autorités compétentes, en particulier le ministre chargé de l'économie et des finances au titre du contrôle des concentrations ainsi que les autorités réglementaires françaises et étrangères (notamment bancaires et boursières), seront déposées dans la perspective d'une réalisation de l'opération au plus tard courant décembre 2006. »

Tant le Comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement, en matière d'agrément, que la Commission bancaire, en matière de contrôle prudentiel, ou l'Autorité des marchés financiers, s'agissant de la cotation du nouvel ensemble, auront donc à attester la régularité de l'opération, avec des compétences qui, au plan technique, sont différentes de celles mises en œuvre par une commission parlementaire.

Dans le même esprit, sont dépourvues de fondement les assertions alarmistes relatives au statut des caisses d'épargne, aux missions de la Coface effectuées pour le compte de l'État, au fonctionnement du Livret A, au financement du logement social ou à la lutte contre l'exclusion bancaire. En effet, demeurent évidemment en vigueur les dispositions du code monétaire et financier relatives au réseau des caisses d'épargne, et notamment le premier alinéa de son article L. 512-85, aux termes duquel :

« Le réseau des caisses d'épargne remplit des missions d'intérêt général. Il participe à la mise en œuvre des principes de solidarité et de lutte contre les exclusions. Il a en particulier pour objet la promotion et la collecte de l'épargne ainsi que le développement de la prévoyance, pour satisfaire notamment les besoins collectifs et familiaux. Il contribue à la protection de l'épargne populaire, à la collecte des fonds destinés au financement du logement social, à l'amélioration du développement économique local et régional, particulièrement dans le domaine de l'emploi et de la formation, et à la lutte contre l'exclusion bancaire et financière de tous les acteurs de la vie économique, sociale et environnementale grâce en particulier aux fonds collectés sur le livret A dont la spécificité est maintenue. » On ne saurait être plus clair.

D'ailleurs, s'agissant plus particulièrement du livret A, un indice du fait que son régime n'est pas directement lié à la création de Natixis réside... dans le contentieux qui se poursuit entre la CNCE et Natexis Banques Populaires, celle-ci faisant partie des cinq banques qui contestent, à Bruxelles et à Paris, le monopole que celle-là détient avec la Banque postale.

Votre Rapporteur veut aussi préciser, concernant la Coface, ancienne Compagnie française d'assurance du commerce extérieur créée en 1946, privatisée en 1994 et dont Natexis Banques Populaires est devenue l'actionnaire majoritaire en 2002, qu'elle avait perdu son monopole en matière d'assurance-crédit à l'occasion de l'entrée en vigueur du marché européen des services. Devenue un assureur privé, exposé à la concurrence, pour les opérations courantes de commerce extérieur, la Coface garantit sur ses fonds propres les entreprises contre le risque de non-paiement de leurs clients. Mais elle continue d'agir pour le compte de l'État, et de recevoir une commission à ce titre, pour les grands contrats d'une durée supérieure à un an en général, et pour certains contrats d'une durée inférieure à un an. Pour cette activité, la Coface est rémunérée en application d'une convention de gestion. Cette rémunération, indépendante du résultat financier de la procédure, représente environ 10 % de son chiffre d'affaires. Les opérations réalisées avec la garantie de l'État font l'objet d'un enregistrement comptable distinct. De même que la prise de contrôle par Natexis, société privée, n'avait pas remis en cause ce système, de même le projet en cours, s'il devait aboutir, ne le modifierait pas davantage.

Enfin, concernant l'inquiétude exprimée par les syndicats des établissements concernés au sujet des « conséquences négatives de la fusion sur l'évolution des métiers, les effectifs et les conditions de travail des quelque dix mille salariés employés par Natexis, Ixis et le Crédit Foncier en France et dans le monde », il faut, d'une part, rappeler que le Crédit Foncier ne sera finalement pas apporté au nouvel ensemble, d'autre part indiquer que les promoteurs du projet, tout comme le ministère des Finances insistent, à ce stade, sur l'absence de fusion entre les réseaux des deux groupes, et en troisième part, répéter que les institutions représentatives du personnel seront, en application des statuts des deux groupes concernés, consultées avant toute formalisation d'un accord. Là encore, on voit mal ce qu'apporterait une commission d'enquête.

Le Parlement ne peut constituer un simple relais des prises de position de l'intersyndicale du secteur semi-public économique et financier, qui regroupe notamment les syndicats de la Banque de France, de la CDC, des caisses d'épargne et du Crédit Foncier. Dès le 10 mars dernier, celle-ci a demandé publiquement la création d'une commission d'enquête parlementaire ; la Représentation nationale n'a pas à obtempérer et à créer une telle commission englobant tous les établissements relevant de ladite intersyndicale.

B.- LE DEVENIR DES « ÉTABLISSEMENTS FINANCIERS DU SECTEUR SEMI-PUBLIC » N'APPELLE PAS EN SOI D'INVESTIGATION PARTICULIÈRE

Critiquée pour l'imprécision de son contenu, la demande d'investigation concernant le devenir des « établissements financiers du secteur semi-public » peut aussi être contestée sur le terrain de l'opportunité.

1.− Une commission d'enquête peut-elle entraver l'évolution du secteur ?

Si les auteurs de la proposition de résolution refusent, en réalité, de prendre acte de la privatisation de la plus grande partie du secteur bancaire et financier français depuis les années 1990, il est douteux qu'une commission d'enquête puisse répondre à ce problème.

S'il s'agit de se pencher sur l'évolution du rôle de la CDC, la commission d'enquête n'est toujours pas l'outil adéquat, mais la question est déjà plus intéressante. Que le présent rapport soit alors l'occasion de se féliciter de la pérennité de la CDC au service des Français, comme le réaffirment les dispositions suivantes de l'article L. 518-1 du code monétaire et financier qui définissent les missions du groupe :

« La Caisse des dépôts et consignations et ses filiales constituent un groupe public au service de l'intérêt général et du développement économique du pays. Ce groupe remplit des missions d'intérêt général en appui des politiques publiques conduites par l'État et les collectivités locales et peut exercer des activités concurrentielles.

« Dans ce cadre, la Caisse des dépôts et consignations est plus particulièrement chargée de la gestion des dépôts réglementés et des consignations, de la protection de l'épargne populaire, du financement du logement social et de la gestion d'organismes de retraite. Elle contribue également au développement économique local et national, particulièrement dans les domaines de l'emploi, de la politique de la ville, de la lutte contre l'exclusion bancaire et financière, de la création d'entreprise et du développement durable. ».

L'intérêt général et les activités concurrentielles, les missions historiques et le rôle d'investisseur actif dans les sociétés du CAC 40, telle est la profonde originalité de la CDC, qui nourrit sa stratégie ambitieuse dans l'intérêt du pays, et que le projet de création de Natixis ne disqualifie en aucune manière. Quant au devenir de la CDC, il est fermement assuré dans le cadre légal qui vient d'être rappelé, sous l'impulsion du directeur général et de la commission de surveillance, qui fait annuellement rapport au Parlement.

2.− Une confusion entretenue entre secteur public et missions d'intérêt général

Au fond, les auteurs de la proposition de résolution voudraient amalgamer le statut particulier de certains établissements de crédit, mutualistes ou coopératifs, avec un caractère public ou « semi-public ». Or le rapport du Haut Conseil du secteur financier public et semi-public de 2001, précité, soulignait avec justesse que, « tout en affirmant leur originalité par rapport aux normes capitalistes classiques, les organismes mutualistes ou coopératifs revendiquent hautement leur appartenance au secteur privé », une telle situation n'étant « pas incompatible avec l'exercice de missions ponctuelles d'intérêt général, puisque même des sociétés purement commerciales peuvent en être chargées ».

Ainsi, la collecte de l'épargne logement et des dépôts sur CODEVI est indifféremment confiée à tous les réseaux, sans discrimination de nature juridique. Il en est de même de la mise en œuvre du droit au compte prévu à l'article L. 312-1 du code monétaire et financier. Quant aux fonds d'épargne centralisés à la CDC pour être affectés à des missions d'intérêt général, ils proviennent de trois supports proposés par des établissements appartenant à des catégories différentes : le livret A de la Caisse nationale d'épargne est l'instrument de collecte de La Poste, établissement public ; le livret A de l'Écureuil est distribué par les caisses d'épargne dont le législateur de 2001 a dit qu'elles appartenaient au secteur « semi-public » ; enfin, le livret bleu du Crédit mutuel émane d'un réseau qui, pour appartenir au monde mutualiste et coopératif, n'en est pas moins purement privé.

Dès lors, résume le Haut Conseil, « le secteur financier semi-public, au sens de la loi [de 2001] relative à l'épargne et à la sécurité financière, ne s'identifie donc nullement à la totalité des institutions mutualistes ou coopératives. Il n'en représente qu'un sous-ensemble, qui partage deux caractéristiques avec le secteur public proprement dit :

a) un actionnariat mettant en permanence en balance le souci de rentabilité avec d'autres objectifs ;

b) l'affectation d'une fraction significative des résultats à des missions d'intérêt général. »

L'identification d'un « secteur financier semi-public » qui serait immuable dans ses structures et dans son statut relève donc manifestement d'une prise de position politique, ce qui nous entraîne assez loin de la justification d'une commission d'enquête.

C.- LA CRÉATION D'UN « PÔLE FINANCIER PUBLIC » RELÈVE DE LA PROSPECTIVE ET D'UNE POSTURE POLITIQUE

Il faut faire crédit aux auteurs de la proposition de résolution de la clarté dont ils font preuve pour annoncer leurs intentions : « Les députés communistes et républicains proposent, depuis plusieurs années, en écho aux préoccupations des salariés et de leurs organisations, la création d'un pôle financier public ». Il s'agit pourtant de demander la création d'une commission d'enquête, et non d'un comité de prospective...

Cette antienne renvoie à la création du Haut Conseil du secteur financier public et semi-public par la loi de 1999 précitée, et à son éphémère existence. Au demeurant, les développements nuancés consacrés par le rapport de ce Haut Conseil au devenir du secteur financier public et semi-public avaient rendu critique le ton de l'insertion dans ledit rapport de la contribution de la CGT, qui rappelait sa volonté de voir créer un « pôle financier public » aux contours encore plus vastes que celui décrit dans la présente proposition de résolution.

Les structures actuelles du secteur ou de l'administration ne permettent pas la création d'un tel « pôle ». Ce n'est du reste pas la politique du Gouvernement aujourd'hui, et ce ne serait vraisemblablement pas celle d'un quelconque gouvernement responsable, quelle que soit sa couleur politique, par souci de ne pas brider le développement et la restructuration du secteur bancaire et financier français chaque fois que cela est nécessaire. Il est tout à fait illusoire, et il serait probablement contre-productif, de vouloir à toute force rendre public ce qui n'a pas lieu de l'être dans ce secteur.

Si des efforts doivent être déployés par la puissance publique, c'est surtout pour faire respecter les règles de bonne gouvernance qui doivent prévaloir sur toute place financière correctement organisée. À l'heure où continue de s'échafauder le projet de création de Natixis, voilà la première priorité.

Votre Rapporteur laissera donc aux auteurs le soin de déposer une proposition de loi sur la création d'un « pôle financier public » s'ils le souhaitent, car telle est bien la seule forme appropriée à leur initiative, et en aucun cas celle d'une commission d'enquête.

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* *

Il est légitime que nos collègues communistes et républicains aient cru de leur devoir de manifester, au mois de mars dernier, sitôt ce projet connu, leur préoccupation face au projet de création de Natixis, eu égard à l'implication du Groupe Caisse d'Épargne investi de missions d'intérêt général, ainsi qu'à l'implication « forcée » de la Caisse des dépôts.

Mais les tenants et les aboutissants de ce projet, encore à préciser, sont suffisamment connus pour que l'on puisse regarder comme inutile une commission d'enquête parlementaire sur ce point. En revanche, le Parlement, et au premier chef votre Commission des finances, se doivent de rester vigilants dans les semaines et les mois à venir, conformément à leur mission de surveillance de la CDC. Non pas tant avec l'inquiétude de voir remises en cause des missions d'intérêt général, puisqu'elles sont légalement garanties, qu'avec le souci de préserver les intérêts patrimoniaux des Français et les règles de bonne gouvernance de la place de Paris.

Chacun peut partager cet objectif ; laissons en revanche dans le champ du débat politique, et non dans le champ du contrôle parlementaire, les souhaits de nationalisation dans le secteur bancaire et financier. Votre Rapporteur vous propose, en conséquence, le rejet de la présente proposition de résolution.

EXAMEN EN COMMISSION

Votre Commission a procédé à l'examen de la présente proposition de résolution au cours de sa séance du 2 mai 2006.

Votre Rapporteur a évoqué les trois points soulevés dans la proposition de résolution. En premier lieu, s'agissant de la création de Natixis, il convient de souligner que l'accord n'en est encore qu'à l'état de projet. La Commission des finances avait déjà eu l'occasion d'aborder cette question au cours de sa réunion du 21 mars dernier. Depuis, la presse a détaillé les modalités du projet, et l'on a notamment appris que le périmètre du montage envisagé avait évolué : le Crédit Foncier, filiale du Groupe Caisse d'Épargne, ne serait plus apporté au nouvel ensemble, non plus que les activités d'assurance de l'Écureuil. Le projet d'accord « établit un équilibre entre egos, mais ne permet pas un équilibre entre égaux ». En effet, en l'état actuel des choses, le Groupe Caisse d'Épargne apporterait davantage d'actifs que le Groupe Banque Populaire, la présence à parité des deux groupes dans Natixis poserait le problème d'une double minorité de blocage, le risque de dilution de la participation des deux partenaires rendrait les opérations externes très difficiles, et, enfin, l'absence d'intégration dans Natixis de certaines filiales porte en germe le risque de conflits d'intérêts au sein d'un ensemble qui serait intrinsèquement déséquilibré. En définitive, le projet apparaît nettement moins convaincant qu'annoncé.

Contrairement à ce qu'évoque la proposition de résolution, le Groupe Banque Populaire étant soumis au droit privé, tout comme les Caisses d'Épargne depuis la loi du 25 juin 1999 qui a réformé leur statut, ce n'est pas sur ce terrain qu'il faut rechercher un obstacle au rapprochement. Par ailleurs, aucune fusion n'étant prévue entre les réseaux des deux groupes, les auteurs de la proposition ne sont pas non plus fondés à invoquer un risque avéré concernant les salariés des sociétés en cause. S'il aboutit, le projet ne devrait pas être formalisé par la signature d'un accord avant le 1er juin prochain.

S'agissant, en deuxième lieu, des intérêts patrimoniaux de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), il est patent que le pacte d'actionnaires existant avec la Caisse nationale des Caisses d'Épargne (CNCE) a été transgressé dans son esprit comme dans sa lettre. En effet, tout transfert d'actifs de plus de 250 millions d'euros comme tout transfert de certificats coopératifs d'investissement doivent obligatoirement, aux termes de ce pacte, être approuvés par la CDC. Le droit de veto dont dispose cette dernière n'a pas encore trouvé à s'appliquer, en raison de l'absence de décision formelle prise par le Conseil de surveillance de la CNCE quant à la poursuite des négociations avec le Groupe Banque Populaire. À l'évidence, il faut préserver les intérêts patrimoniaux de la CDC. La Commission de surveillance de la Caisse est tout entière tournée vers cet objectif ; une réunion est prévue le 24 mai prochain en présence du directeur général et de ses collaborateurs, qui permettra d'examiner tous les aspects du projet d'accord, ainsi que les éventuelles modalités de sortie du pacte d'actionnaires, compte tenu de l'ensemble des valorisations afférentes, au bénéfice de la CDC.

En troisième et dernier lieu, l'argumentation des auteurs de la proposition de résolution quant à l'avenir du secteur public financier n'est pas davantage recevable. Le statut particulier du livret A fait actuellement l'objet de contentieux devant les juridictions françaises et communautaires, sans que le projet de création de Natixis n'entre en ligne de compte dans ce contentieux, le financement du logement social n'est pas touché par le projet.

Les Caisses d'Épargne continueront, de par leur statut, à financer des projets en faveur de l'économie locale et de l'économie sociale. La convention qui lie la Coface - dont l'actionnaire majoritaire est aujourd'hui Natexis Banques Populaires - et l'État, pour la couverture de certaines garanties d'assurance en matière d'exportations, n'est pas non plus remise en cause.

En conclusion, la création d'une commission d'enquête est inopportune au regard des trois questions posées : l'accord tendant à la création de Natixis n'est pas finalisé, les intérêts patrimoniaux de la CDC font l'objet d'un suivi approprié, et l'évolution du secteur financier public et semi-public n'est pas concernée par le projet de rapprochement.

M. Jean-Pierre Brard a réfuté les arguments invoqués par le Rapporteur à l'appui de sa demande de rejet de la proposition de résolution et estimé que l'on pouvait légitimement s'interroger sur le bon fonctionnement de la commission de surveillance de la CDC. En effet, l'affaire Natixis est susceptible de porter atteinte aux intérêts patrimoniaux de notre pays et à l'équilibre d'un système dans lequel la protection du livret A doit rester un objectif prioritaire. La désinvolture dont a fait preuve la CNCE est étonnante : elle pose, comme l'a parfaitement écrit l'ancien président du Conseil des marchés financiers René Barbier de La Serre, le problème de l'éthique collective et individuelle et du respect de la parole donnée. La « loi de la jungle » ne devant pas se substituer à celle du marché au risque d'entacher gravement la réputation de la place de Paris, la CDC doit réagir fermement afin de défendre son intégrité en France comme à l'étranger. Rien n'empêche le Parlement de mener ses investigations, quand bien même l'accord concernant Natixis ne serait pas finalisé. S'en remettre à la commission de surveillance de la CDC ne constitue pas une garantie, cette instance étant loin de disposer de pouvoirs comparables à ceux d'une commission d'enquête parlementaire. Dans le souci de protéger l'intérêt national et de faire échec au fatalisme exprimé par le Rapporteur, il est ainsi essentiel d'adopter la proposition de résolution.

Manifestant son accord avec les conclusions de votre Rapporteur, M. Pierre Hériaud s'est étonné de la précipitation du groupe des députés communistes et républicains et a jugé préférable d'attendre non seulement que la commission de surveillance de la CDC se réunisse à nouveau, le 24 mai prochain, mais également que les conditions de création de Natixis, tout comme le devenir du pacte d'actionnaires soient clarifiés. Toute autre décision serait prématurée.

Votre Rapporteur, a tenu à préciser que l'on ne pouvait, à ce stade, conclure à la mort du pacte d'actionnaires, et que l'utilisation du droit de veto serait évidemment nécessaire si ce pacte ne fonctionnait pas.

La Commission a ensuite, conformément à l'avis de votre Rapporteur, rejeté la proposition de résolution.

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N° 3060 - Rapport au nom de la commission des finances sur la proposition de résolution (n° 2970) de MM. Alain Bocquet et Jean-Pierre Brard , tendant à la création d'une commission d'enquête sur les origines, les fondements et les conséquences du projet de création de Natixis, sur le devenir et le rôle des établissements financiers du secteur semi-public, en particulier la Caisse des dépôts et consignations, les Caisses d'épargne, la Banque de France, La Poste, Natexis-Banques Populaires et la COFACE, ainsi que sur la nécessité de doter notre pays d'un pôle financier public au service de l'emploi, des collectivités locales et d'un aménagement structurant du territoire concourant à la satisfaction des besoins sociaux (M. Philippe Auberger)

1 () Article 140, alinéa 1er.

2 () Article 141, alinéa 2.

3 () Voir notamment Les Echos du 15 mars 2006.

4 () Nom formé à partir de Natexis, la société cotée du Groupe Banque populaire, et de Ixis, filiale de la CDC créée en 2001 pour regrouper les activités financières concurrentielles du groupe, avant d'être apportée dans la holding formée entre la CDC et les caisses d'épargne, Eulia, puis cédée à la CNCE.

5 () C'est-à-dire la catégorie des assurances incendie, accidents et risques divers.


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