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(En application de l’article 117 du règlement)
(La réunion de la commission élargie commence à onze heures cinq.)
M. Didier Migaud, président de la commission des finances, de l’économie générale et du plan. Madame la garde de sceaux, mes chers collègues, nous sommes heureux, avec Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, de vous accueillir en commission élargie afin d’examiner l’exécution du programme « Administration pénitentiaire ». Nous avons en effet décidé de consacrer davantage de temps à l’exécution des lois de finances et de faire de l’examen des projets de loi de règlement un temps fort du contrôle parlementaire.
D’une certaine façon, nous expérimentons cette année une nouvelle formule de débat, notre intention étant de concentrer notre attention sur une politique publique suffisamment restreinte pour éviter la dispersion. Vous le savez, madame la garde des sceaux, la procédure de la commission élargie a pour objet de favoriser un dialogue dynamique entre les ministres et les parlementaires, au moyen de questions directes et de réponses précises.
M. René Couanau, rapporteur spécial pour la mission « Justice », a préparé une note de présentation résumant ses principales appréciations sur votre gestion, à partir du rapport annuel de performance, le RAP, que vous nous avez adressé. M. Jean-Paul Garraud, suppléant Michèle Tabarot, rapporteure pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour le programme « Administration pénitentiaire », prendra ensuite la parole. Après leurs exposés, la discussion pourra s’engager, l’objet de cet échange étant d’apprécier les performances de la politique pénitentiaire en 2007 et leur conformité aux objectifs initiaux que vous aviez annoncés.
M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Madame la garde des sceaux, je tiens simplement à exprimer également ma satisfaction de pouvoir nous consacrer ainsi au contrôle, car du temps passé à cette activité dépend toute l’évolution du travail parlementaire.
Je vous présente les excuses de Michèle Tabarot, qui sera cette année encore rapporteure pour avis de la commission des lois pour le programme « Administration pénitentiaire » ; elle est fort bien suppléée par Jean-Paul Garraud, rapporteur de la future loi pénitentiaire.
M. René Couanau, rapporteur spécial de la commission des finances, de l’économie générale et du plan, pour la mission « Justice ». Madame la garde des sceaux, je tiens d’abord à vous remercier pour le travail accompli par vos services.
Sans donner un caractère trop formel à l’exercice, je soulignerai cependant que le taux de consommation des crédits avoisine 100 % – 99,9 % pour les crédits de personnel et 98,1 % pour les crédits hors personnel – pour l’ensemble de la mission, qui représente au total 8,064 milliards d’euros en autorisations d’engagement et 6,221 milliards d’euros en crédits de paiement.
S’agissant des recrutements dans l’administration pénitentiaire, vous avez pris la précaution d’agir assez tôt pour être « dans les clous », si vous me permettez l’expression, en prévision de l’ouverture des futurs établissements, qui créeront de nouveaux besoins.
L’exécution de la mission « Justice » m’inspire trois motifs de satisfaction au regard des observations formulées précédemment. Durant l’exercice, les frais de justice, grâce à la forte implication des chefs de cour, ont été maîtrisés, de même que l’aide juridictionnelle, puisque 99 % des crédits ont été consommés. Quant au problème récurrent du règlement tardif des dépenses endossées par les nombreuses associations œuvrant dans le domaine de la protection judiciaire de la jeunesse – qui leur causait des difficultés de trésorerie – vous l’avez réglé.
M. Didier Migaud, président de la commission des finances. Je précise que la maîtrise des crédits alloués aux frais de justice ne remet nullement en cause l’action publique.
M. René Couanau, rapporteur spécial. Absolument.
L’une des observations formulées par la Cour des comptes, et qui doit certainement concerner toutes les missions, porte sur la mise en place tardive des crédits de paiement par rapport aux autorisations d’engagement accordées, et sur les difficultés d’exécution du budget qui s’ensuivent.
À cet égard, madame la garde des sceaux, quel sera l’impact financier de la réforme de la carte judiciaire ?
Le rythme de 2007 de création de postes administratifs et techniques dans les greffes sera-t-il maintenu ?
Enfin, pouvez-vous apporter quelques précisions quant à la numérisation et au guichet universel de greffe ?
S’agissant de l’administration pénitentiaire proprement dite…
M. Didier Migaud, président de la commission des finances. Qui est, après tout, notre sujet...
M. René Couanau, rapporteur spécial. Je ne pouvais pas l’aborder sans évoquer la mission dans son ensemble, monsieur le président.
...le programme « Administration pénitentiaire » a été marqué, durant l’exercice, par une forte augmentation – plus 3,2 % – du nombre de personnes prises en charge, soit 61 076 détenus, 2 927 personnes non hébergées et 149 000 personnes suivies en milieu ouvert. Dans le même temps, les aménagements de peine ont progressé de 34 %.
L’exécution du budget a été bonne, meilleure en tout cas qu’en 2006, avec une consommation de 99 % des crédits. Même si, à cause d’évaporations après concours et de départs plus nombreux que prévu, une centaine de recrutements ont pris un petit peu de retard, le rythme d’embauche reste élevé : 1 900 personnes entrent en fonction et les départs en retraite sont intégralement remplacés, ce que doivent vous envier bien des ministres.
Je n’insisterai pas sur l’ampleur du programme de construction d’établissements pénitentiaires, presque inédit, puisqu’il prévoit, sur une courte période, la construction de vingt sites et de 10 800 places, auxquelles s’ajouteront 2 000 places en quartiers pour courtes peines et 420 places destinées aux mineurs. Le programme se déroule selon le calendrier prévu, mais il ne résoudra pas à lui seul les problèmes récurrents du manque de places et de la surpopulation dont souffrent nombre d’établissements.
Nous nous demandons même si les grands programmes ne risquent pas, en étant privilégiés, de porter préjudice aux crédits d’entretien et de rénovation utilisés sur le plan interrégional. En effet, 11,5 millions d’euros n’ont pas été consommés dans les échelons déconcentrés interrégionaux, en dépit du bon niveau de consommation obtenu par l’AMOTMJ, l’Agence de maîtrise d’ouvrage des travaux du ministère de la justice.
Pour ce qui est des indicateurs, qu’il conviendra certainement de faire évoluer, de bons résultats sont enregistrés en ce qui concerne le nombre d’évasions, le taux d’incidents dans les établissements et le taux d’aménagement de peine. Les résultats sont un peu plus mitigés pour l’accueil des familles – peu d’établissements encore sont dotés des structures nécessaires –, la formation générale et professionnelle des détenus et le taux d’activité rémunérée, même si celui-ci s’applique à des effectifs en hausse, ce qui donne peu de sens à la comparaison par rapport à l’exercice précédent, comme vos services me l’ont fait remarquer.
Les indicateurs financiers sont plus délicats à interpréter, notamment ceux qui portent sur les coûts de construction et de gestion. Plus les partenariats public-privé – PPP – progresseront, plus nous devrons approfondir cette question, car nous manquons d’éléments de comparaison entre les deux modes de gestion, notamment sur la répartition des amortissements.
Plus généralement, est-il prématuré de s’interroger sur l’opportunité de lancer un nouveau programme de construction, après celui-ci ? Aujourd'hui, vingt ou vingt-cinq établissements au moins ne sont plus aux normes, et nombre d’entre eux comportent encore des « chauffoirs », comme dirait M. le directeur de l’administration pénitentiaire, c’est-à-dire des dortoirs – hébergement collectif complètement inadapté à notre époque.
Quant à l’encellulement individuel, notion que les détenus préfèrent à celle d’« un homme, une place » qu’utilise votre administration, je n’ai pas perçu de programme déterminé dans ce domaine, hormis dans les établissements en construction.
Pour ce qui est des recrutements, le bon rythme actuel, qui permet de faire face aux besoins, sera-t-il maintenu ? Quelles sont les prévisions, notamment pour le budget 2009 ?
Il semble par ailleurs, selon les indicateurs, que les progrès attendus en matière tant d’amélioration de la formation générale et professionnelle que d’accompagnement du retour à la vie en société, ne soient pas au rendez-vous. Qu’en est-il vraiment ?
Enfin, puisque nous avons lu la presse d’hier comme tout un chacun, vous ne pourrez échapper à une question sur la loi pénitentiaire : pourriez-vous nous apporter quelques éclaircissements à son propos ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. S’agissant tout d’abord de l’exécution du budget 2007, les crédits votés pour la mission « Justice » s’élevaient à 6,254 milliards, dont 3,685 milliards, c’est-à-dire la moitié, consacrés aux dépenses de personnel. La dépense exécutée s’établit à 6,167 milliards. Les crédits non utilisés représentent 54 millions d’euros, soit 0,86 %. La consommation des crédits atteint 99,9 % pour le personnel et 98,1 % hors personnel. Ce petit décalage est surtout dû au rejet de factures ou à leur arrivée après la clôture comptable.
Ma première réunion avec les représentants de Bercy a eu lieu hier et nous devons nous revoir aujourd’hui. S’agissant de la carte judiciaire, nous avons quelques petites divergences. Au départ, nous avions évalué son impact global – essentiellement sur l’immobilier – à 400 ou 500 millions d’euros. Je précise que les chiffres que je vais vous communiquer ce matin, qu’ils concernent les recrutements ou, plus généralement, le budget pour 2009, sont encore très aléatoires, car je me réserve quelques arguments de négociation afin d’obtenir des arbitrages favorables. Dès que les montants obtenus seront connus, je serai à votre disposition, dès avant le débat devant le Parlement, pour les commenter.
La carte judiciaire fera l’objet, en termes d’immobilier, de quelque 477 opérations de réaménagement, d’achat ou de location. De nombreuses juridictions accusent un retard très lourd en matière de mise aux normes de l’immobilier et leur remise à niveau sera intégrée dans la réforme de la carte judiciaire, car il est impossible de regrouper des juridictions sans réhabiliter leurs locaux. Cette réforme englobera donc des types de dépenses – comme au tribunal de grande instance d’Aix-en-Provence que j’ai visité dernièrement – qui vont au-delà de la carte judiciaire proprement dite.
L’accompagnement social pour les fonctionnaires et les magistrats à déplacer est évalué à 30 millions d’euros environ contre 20 millions pour les avocats, avec lesquels des mesures particulières sont négociées.
En 2008, 400 emplois environ auront été créés dans les services judiciaires, se répartissant en 187 magistrats, 187 greffiers et 26 secrétaires administratifs. En effet, si les créations de postes de magistrats ne s’accompagnent pas de celles de postes de greffiers, la justice restera bancale – Jean-Paul Garraud a souvent eu l’occasion de soulever ce problème. Je n’ai guère eu de marges de manœuvre cette année pour la création de postes de magistrats, mais il conviendra d’affiner les conditions de recrutement car le nombre de magistrats va quelque peu se tasser, ce qui ne sera pas le cas pour les greffiers et les fonctionnaires au sens large.
En 2009, l’entrée des nouvelles technologies dans les juridictions permettra normalement d’améliorer les conditions de travail des magistrats, mais surtout des fonctionnaires, en particulier des greffiers, qui consacreront ainsi moins de temps aux photocopies et aux recherches dans les archives. L’impact ne sera pas immédiat, mais à court ou moyen terme. Je pourrai, d’ici au débat budgétaire, vous fournir des évaluations plus précises.
De même, la réforme des contentieux nous obligera à reconsidérer l’organisation judiciaire, notamment en termes de fonctionnement. J’attends que le rapport sur ce point me soit remis, mais compte tenu du calendrier parlementaire, les premiers résultats ne sont pas attendus avant 2010.
M. René Couanau, rapporteur spécial. Et encore !
Mme la garde des sceaux. Nous nous adapterons en attendant.
M. Didier Migaud, président de la commission des finances. C’est un autre sujet.
Mme la garde des sceaux., Nous avons stabilisés les frais de justice sans remettre en cause l’action publique. Leur maîtrise a en effet été obtenue non pas au détriment de la justice, mais grâce à une meilleure utilisation des fonds publics.
En 2007, 388 millions d’euros ont été consommés et 100 millions d’euros ont été économisés en dépit de la revalorisation des montants des expertises, des traductions, des rémunérations des administrateurs ad hoc et des vacations accordées notamment aux médecins – ces dernières n’entrant pas dans les frais de justice, mais étant incluses dans la mission « Justice » –, toutes ces revalorisations étant survenues après l’affaire d’Outreau.
Le taux de réponse pénale a progressé de dix points entre 2005 et 2007, pour passer de 77 à 84 %. Pour les mineurs, il a crû de 87 à 92 % entre mai 2007 et mai 2008, toujours dans le cadre d’une action publique dont la règle est : « une infraction, une réponse pénale ».
Les crédits de fonctionnement et d’investissement du programme pénitentiaire ont été consommés à hauteur de 99 %.
J’en viens à la question du nombre de places, sujet que j’étudie particulièrement car l’administration pénitentiaire me tient vraiment à cœur. Je suis accusée à cet égard de vouloir vider les prisons. C’est faux ! Le seul objectif du Gouvernement est la lutte contre la récidive, et le meilleur moyen d’y parvenir consiste à réinsérer les personnes détenues. En effet, les sorties sèches constituent un facteur massif de récidive, faute pour de nombreuses personnes, qui n’ont pourtant pas un profil très récidiviste, d’avoir un logement et une activité.
Le nombre de places en détention a bénéficié de l’important programme Chalandon de 13 000 places lancé en 1987. Entre 1997 et 2001 cependant, plus de 2 000 places ont été fermées alors que pratiquement toutes étaient occupées. Or, quand on ferme des places de prison, il faut bien mettre quelque part les détenus qui les occupaient. Sans vouloir polémiquer sur le thème « la gauche ne construit pas, tandis que la droite construit », il n’en reste pas moins que la suppression de places, certes insalubres, a aggravé le taux d’occupation, d’autant qu’en 2002 la population carcérale, déjà assez importante, a augmenté du fait des résultats de la politique de fermeté menée contre la délinquance. Aussi poursuivons-nous aujourd’hui le grand programme de construction de places de prison lancé en 2002.
Parallèlement, j’ai souhaité relancer la politique d’aménagement des peines. C'est ainsi que le nombre de condamnés bénéficiant d’un aménagement de peine a augmenté de 34 % depuis un an, passant au total de seulement 5 % à 12 % aujourd'hui. Le nombre de libérations conditionnelles, par exemple, qui avait stagné entre 2003 et 2005, a augmenté de plus de 10 % entre 2007 et 2008. Je crois vraiment à la libération conditionnelle comme outil de réinsertion et, surtout, de lutte contre la récidive.
M. Christophe Caresche. C’est nouveau !
Mme la garde des sceaux. J’ai toujours cru à la lutte contre la récidive et à la réinsertion. Tel était bien l’objet – sachant que j’ai été nommée le 18 mai – de la circulaire du 27 juin 2007 relative à la mise en place des conférences régionales d’aménagement des peines.
L’outil que constitue la libération conditionnelle n’a été que trop peu utilisé. C'est pourquoi, alors que leur nombre avait diminué entre 1997 et 2002 sous la mandature socialiste – vous pourrez retrouver très facilement les chiffres – le budget 2008 contient 100 créations supplémentaires de conseillers d’insertion et de probation après les plus de 1 000 engagés entre 2002 et 2007.
Je ne tiens pas à polémiquer, car le sujet est beaucoup trop grave. En tout cas, la réinsertion de la population carcérale est pour nous une priorité.
Je ne crois pas à cet égard aux réductions de peine automatiques, car faute de comprendre des contreparties, elles conduisent à remettre en liberté des personnes sans aucune garantie de réinsertion. Aussi avons-nous révisé ce dispositif dans le cadre de la loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive. La libération conditionnelle a pour critères l’activité, la formation ou le suivi de soins, voire celui de la responsabilité parentale si le détenu à un enfant à charge. C’est une mesure très responsabilisante pour la personne qui en bénéficie, d’autant que toute violation d’une obligation entraîne quasi automatiquement sa réincarcération, ce qui est une vraie menace.
Le sujet est très compliqué – Jean-Paul Garraud, magistrat ici présent, le sait. Quand le juge d’application des peines prend une décision de libération conditionnelle ou de semi-liberté, il la transmet aux services pour sa mise à exécution. Les conférences régionales d’aménagement des peines que nous avons institutionnalisées permettent alors de mettre tous les acteurs autour de la même table. Ainsi, lorsqu’une décision est difficile à mettre en œuvre – du fait, par exemple, du profil de la personne concernée –, de telles conférences évitent que la décision soit mal exécutée voire pas exécutée du tout.
Si les libérations conditionnelles, qui étaient très peu nombreuses, ont progressé de 10 %, ce n’est pas un hasard. C'est parce que nous y croyons. Nous, nous ne fermons pas des places de prison pour ne rien mettre à la place.
M. Jean-Paul Garraud, suppléant Mme Michèle Tabarot, rapporteure pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour le programme « Administration pénitentiaire ». Très bien !
Mme la garde des sceaux. Notre souci est de réinsérer les personnes détenues pour lutter contre la récidive. Les chiffres sont là. Les indicateurs n’ont pas changé.
Nous visitons souvent des établissements avec des parlementaires de tous bords. Ainsi, à Gradignan, Mme Michèle Delaunay, député de l’opposition en Gironde, a admis que la politique d’aménagement des peines et de construction de places de prisons était nécessaire – les syndicalistes de l’administration pénitentiaire le lui ont d’ailleurs eux-mêmes fait savoir.
Pour ce qui est des établissements pénitentiaires, la notion de soins pourrait être un bon indicateur. Toutefois, la loi de 1994 a rattaché la médecine pénitentiaire au service public hospitalier, et l’administration pénitentiaire n’a donc pas de maîtrise sur les soins en prison. De plus, dans la mesure où il est interdit de contraindre une personne incarcérée à se soigner, les résultats ne dépendent pas que d’une question de moyens.
La loi pénitentiaire généralisera les commissions pluridisciplinaires, qui sont en cours d’expérimentation dans vingt-sept établissements. Jusqu’à présent, le médecin, l’administration pénitentiaire, les travailleurs sociaux et les conseillers d’insertion et de probation travaillaient chacun de leur côté. Or il est nécessaire d’échanger des informations pour réussir à amener la personne détenue à l’éducation, aux soins, à la prise en charge sociale ou à la formation. Le médecin doit, par exemple, pouvoir signaler à l’administration pénitentiaire que tel détenu, fragile, présente des tendances suicidaires ou telle ou telle carence.
Ce dispositif, ébauché dans la loi du 25 février 2008, qui autorise déjà les échanges d’informations entre les médecins et l’administration pénitentiaire, permettra d’éviter des drames comme l’affaire de cannibalisme survenue à Rouen : les médecins avaient signalé que la personne en question devait être incarcérée seule, mais l’administration, qui ne disposait pas de l’information, l’avait placée en cellule avec un codétenu.
Le dispositif permettra également d’amener aux soins les personnes les refusant, notamment les pédophiles et autres délinquants sexuels ou très dangereux, qui n’admettent pas eux-mêmes être atteints d’une pathologie.
Le taux d’activité peut aussi être un indicateur des établissements, même si l’activité, là encore, ne dépend pas de l’administration pénitentiaire.
Quant à l’indicateur relatif aux mesures d’aménagement, qui dépendent du juge d’application des peines, il sera opérationnel lorsque les commissions pluridisciplinaires auront été mises en place.
En arrivant au ministère, j’ai demandé une cartographie des établissements pénitentiaires pour identifier ceux qui réinsèrent le mieux, qui offrent le plus d’activité, qui proposent le plus de soins, ou encore qui mènent une vraie politique de réinsertion et d’éducation pour les mineurs. Toutes ces actions sont très compliquées à mettre en œuvre, mais les établissements où tous les acteurs travaillent ensemble y parviennent. Les autres souffrent encore d’une différence de culture.
Les grands programmes en cours aboutiront à la création de 3 000 places supplémentaires cette année et à 13 200 d’ici à 2012. Quant à la réhabilitation, nécessaire dans de nombreux établissements, elle fera l’objet d’une deuxième phase, en tenant compte des contraintes budgétaires.
Dans le cadre de la révision générale des politiques publiques – RGPP –, il nous a été préconisé de fermer des établissements. Cela va de soi : nous avons, par exemple, fermé un quartier pour mineurs à Valence car un établissement pénitentiaire pour mineurs, EPM, ouvrait à Marseille.
Les quartiers de mineurs ont d’ailleurs, pour l’essentiel, vocation à fermer au profit de nouveaux établissements, pourvus d’unités de vie familiale et, dans presque toutes les cellules, de douches, afin de respecter un peu mieux la vie des personnes détenues.
Je suis partisane de la fermeté, mais j’ai aujourd’hui même pris un décret pour augmenter les durées de promenade et pour faciliter les parloirs, même pour les personnes placées en quartier disciplinaire, auxquelles, voilà encore dix ans, l’administration pénitentiaire interdisait toute visite. Une vraie réflexion a en effet été menée au sein tant de la pénitentiaire que des organisations syndicales pour améliorer les conditions de détention des personnes incarcérées.
M. Didier Migaud, président de la commission des finances. J’ai compris qu’une réflexion est en cours concernant les indicateurs, mais j’insiste sur la question posée par René Couanau.
Nous avons besoin de mieux comparer, par exemple, le coût d’une journée de détention selon que la gestion est publique ou mixte. Or, des éléments de comparaison de cet ordre nous manquent dans le RAP. Il en est de même s’agissant de l’immobilier. Il est essentiel que des progrès soient réalisés en la matière.
Mme la garde des sceaux. La gestion déléguée concerne 30 % des établissements et 50 % des détenus hébergés. Les premiers partenariats public-privé – PPP – ne sont d’ailleurs pas récents. Ils datent de 1987, car l’administration pénitentiaire avait anticipé.
En vingt ans, une prison gérée par l’État perd 85 % de sa valeur, contre 20 % lorsqu’elle est gérée par un délégataire. La gestion déléguée constitue donc également un indicateur de performance.
L’administration pénitentiaire travaille en tout cas à affiner les indicateurs de performance, qui permettent de mieux gérer les placements sous écrou en privilégiant les types d’établissements selon les catégories de la population carcérale, tels les mineurs. Ces indicateurs seront à votre disposition l’année prochaine.
M. René Couanau, rapporteur spécial. Qu’en est-il de l’encellulement individuel ?
Mme la garde des sceaux. La disposition relative à l’encellulement individuel s’applique aux personnes prévenues – soit 27 % de la population carcérale – pas aux condamnés. Or la surpopulation concerne surtout les maisons d’arrêt et non les établissements pour peine, qui hébergent 18 500 détenus.
Un moratoire a certes été adopté, mais ce n'est pas parce qu’une loi est adoptée que des places de prison sont immédiatement disponibles. Tel est le cas de l’encellulement individuel, demandé alors que le nombre de places est déjà insuffisant par rapport au nombre de détenus incarcérés.
J’ai cependant pris un décret en la matière, en souhaitant qu’il soit mis en œuvre avec pragmatisme. Il faudra d’abord, pour être incarcéré en cellule individuelle, en formuler la demande, car tous les détenus ne le souhaitent pas et il serait absurde de procéder autoritairement. Ensuite, le juge devra donner son accord, car dans des affaires graves, le transfert de certains prévenus dans un établissement aménagé éloigné peut ne pas être souhaité. De même, il peut être préférable, pour prévenir le suicide, de ne pas laisser un détenu seul.
Le décret permettra d’autant plus d’organiser l’encellulement individuel, que le développement des aménagements de peine libérera des places. Le bracelet électronique mobile, qui a été expérimenté à compter de 2005 pour un an et uniquement pour les libérations conditionnelles, est en effet une mesure de sûreté aujourd’hui étendue aux suivis socio-judiciaires et aux assignations à résidence.
Cependant, si de telles mesures libèrent des places, il serait à l’évidence compliqué de loger du jour au lendemain en cellule individuelle toutes les personnes prévenues. Nous procéderons donc avec pragmatisme, une fois que l’administration pénitentiaire aura enregistré toutes les demandes.
M. Jean-Paul Garraud, suppléant Mme Michèle Tabarot, rapporteure pour avis. Mme Michèle Tabarot, que je supplée avec plaisir – j’ai moi-même l’honneur d’être le rapporteur du projet de loi pénitentiaire que nous examinerons bientôt – avait mis en valeur dans son rapport pour avis certains points importants du budget de 2008 : l’ambition d’un programme immobilier sans précédent ; la prise en charge médicale des détenus ; le rôle crucial des services pénitentiaires d’insertion et de probation pour préparer la réinsertion ; les aménagements de peine et donc la prévention de la récidive.
Mme Tabarot avait également souligné la nécessité d’accroître les crédits alloués aux aumôniers de prison. Elle avait à cet égard déposé un amendement, qui a été adopté, tendant à revaloriser ces crédits de 150 000 euros, montant qui, selon le RAP, a été intégralement consommé. Pouvez-vous préciser, madame la garde des sceaux, comment cette hausse de crédits se traduit concrètement ?
Mes autres questions concerneront trois thèmes qui me semblent prioritaires : l’évolution de la population pénale et la gestion du parc immobilier ; la politique d’aménagement des peines ; l’accès des détenus aux soins.
S’agissant de l’évolution de la population pénale et de la gestion du parc immobilier, comment l’administration pénitentiaire a-t-elle fait face à la hausse de 6 % en un an du nombre de personnes placées sous écrou ? L’analyse des crédits fait apparaître un déséquilibre au profit de l’action « Garde et contrôle des personnes placées sous main de justice », avec notamment une surexécution de 33 millions d’euros de dépenses de fonctionnement, s’ajoutant aux 25 millions prévus en loi de finances initiale, soit un total de 58 millions.
Intervenant au détriment de l’action « Accueil et accompagnement des personnes placées sous main de justice », qui connaît pour sa part une sous-exécution de 137 millions d’euros en crédits de paiement, ce déséquilibre s’explique par l’augmentation – qui n’est pas directement maîtrisée par l’administration pénitentiaire – de la population pénale. Comment cet accroissement de la population prise en charge s’est-il traduit concrètement dans les établissements, notamment en matière de formation ?
L’année 2007 a été marquée par l’ouverture des quatre premiers établissements pour mineurs, à Lavaur, Meyzieu, Quiévrechain et Marseille. Pourriez-vous dès à présent dresser un bilan de leurs premiers mois de fonctionnement ?
Le ministère de la justice a-t-il des leçons à tirer de ses expériences pour améliorer les conditions dans lesquelles seront construits les futurs établissements pénitentiaires, sur le plan aussi bien matériel – je pense notamment aux normes de construction – qu’organisationnel ?
S’agissant de la politique d’aménagement des peines, le nombre de condamnés concernés a augmenté de 34 % entre 2006 et 2007, passant de 3 414 à 4 565. C’est là d’ailleurs une preuve de votre volonté d’aménager les peines et d’éviter les sorties sèches. Je salue bien entendu cette politique particulièrement déterminée, qui devrait éviter toute caricature. En effet, si certains communiqués dénoncent régulièrement une « politique sécuritaire », l’exécution du budget démontre la réalité des mesures prises en matière d’aménagement des peines,.
Au 1er janvier 2008, les prisons comptaient 47 000 détenus condamnés. Combien d’entre eux étaient susceptibles de faire l’objet d’un aménagement de peine ? Est-il possible de connaître, à partir du nombre de détenus sortant de prison, le pourcentage respectif de ceux qui bénéficient d’un aménagement de peine et de ceux qui sont libérés en sortie sèche ? Ainsi pourrions-nous évaluer l’ampleur de la diminution des sorties sèches, contre lesquelles le Parlement et le Gouvernement luttent depuis plusieurs années.
Vous avez envisagé, dans le cadre de la future loi pénitentiaire, d’ouvrir les aménagements de peine aux personnes condamnées à deux ans d’emprisonnement, contre un an aujourd’hui. Le nombre de détenus susceptibles d’être concernés a-t-il été évalué ? Pour accompagner cette augmentation du nombre de bénéficiaires d’aménagements de peine, est-il prévu de recruter davantage de travailleurs sociaux pour s’en occuper ?
Concernant toujours l’aménagement des peines – vous me pardonnerez ces nombreuses questions –...
M. Christophe Caresche. Elles sont fort pertinentes.
M. Didier Migaud, président de la commission des finances. Absolument.
M. Jean-Paul Garraud, suppléant Mme Michèle Tabarot, rapporteure pour avis. ...le RAP indique une augmentation importante du recours au bracelet électronique, soit plus 52 % pour le bracelet fixe. Est-il possible de dresser un bilan du recours à ce dispositif – que n’avions-nous d’ailleurs entendu à l’époque à ce sujet !
Quant au bracelet électronique mobile, le premier président de la Cour de cassation, Vincent Lamanda, préconise, dans le rapport qu’il vient de remettre au Président de la République, une évolution des matériels utilisés, pour les rendre plus légers et pour favoriser ainsi leur emploi. Cette possibilité, notamment son coût, est-elle étudiée ?
En ce qui concerne l’accès des détenus aux soins, le RAP fait état de quelques difficultés concernant le financement des unités hospitalières sécurisées interrégionales – UHSI. Pouvez-vous nous apporter quelques précisions complémentaires ?
Par ailleurs, quel indicateur sera retenu, dans le projet de budget pour 2009, pour l’objectif n° 5 : « Améliorer l’accès aux soins », sachant que l’indicateur portant sur le nombre d’extractions médicales à l’extérieur par rapport à la population détenue est jugé peu pertinent car exogène à l’administration pénitentiaire ? Enfin, où en sont les recrutements de médecins coordonnateurs ? L’objectif de 450 recrutements est-il atteint ?
La loi pénitentiaire vient de faire l’objet d’échos dans la presse qui me semblent dénués de fondement. Qu’en pensez-vous ? Le calendrier d’examen du texte a-t-il été arrêté ?
(M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, remplace M. Jean-Luc Warsmann à la présidence.)
Mme la garde des sceaux. S’agissant de la surexécution suite à la recette exceptionnelle de 31,4 millions d’euros, il n’existe pas de déséquilibre entre les actions. Simplement, les crédits sont mal imputés. Si l’administration pénitentiaire est chargée d’une mission de réinsertion, la population pénale, avant de devoir être réinsérée, est gardée et contrôlée. La baisse de la première ligne budgétaire correspondante est compensée par la hausse de la seconde. En clair, le déséquilibre est purement dû à un problème d’imputation budgétaire.
Concernant les aménagements de peine, nous disposons d’une enquête nationale portant sur 7 348 détenus sortis de prison, dont 5 667 condamnés. Parmi ces derniers, un peu plus d’un quart – 25,3 % – ont fait l’objet d’un aménagement de peine. Le taux des sorties sèches est donc encore excessif. Par rapport à l’ensemble des condamnés libérés, 7,2 % ont bénéficié de la semi-liberté, 3,1 % du placement à l’extérieur, 7,4 % de la libération conditionnelle et 7,6 % du placement sous surveillance électronique.
L’augmentation élevée du taux de bracelets électroniques n’est due, il est vrai – si l’on veut être totalement honnête –, qu’à leur mise en place récente : toute hausse par rapport à rien ne peut constituer qu’une progression…
J’insiste en tout cas sur l’intérêt de la libération conditionnelle, qui concerne près de 8 % des détenus libérés après avoir connu des taux de 10 et de 12 % : toutes les mesures favorisant, en termes de moyens, les libérations conditionnelles sont une garantie de réinsertion et d’un taux de récidive quasi nul.
La semi-liberté, pour sa part, ne peut s’appliquer qu’à certains profils. Quant au placement extérieur, il n'est décidé que pour des durées limitées et s’adresse le plus souvent à des jeunes majeurs.
Je travaille à cet égard sur un autre sujet, celui de la population pénale vieillissante, composée plus particulièrement de condamnés pour délinquance sexuelle. En effet, les libérations conditionnelles dépendent souvent d’une activité professionnelle. Il convient donc de revoir ce critère car la libération conditionnelle peut être adaptée pour les profils pénaux de ce type.
Je reviens sur le bilan de la politique d’aménagement des peines. À ce jour, 5 990 condamnés bénéficient d’un aménagement de peine, soit 12 % du total, taux qui a doublé en moins de deux ans, ce qui est énorme, et progressé de 34 % en un an : 3 215 personnes sont sous surveillance électronique, soit 1 000 de plus qu’en mai 2007 ; 842 personnes font l’objet d’un placement extérieur ; 1 863 vivent en semi-liberté. Il faut incontestablement continuer sur cette voie.
Cette politique a été grandement favorisée grâce aux conférences régionales d’aménagement des peines. Ceux qui connaissent de l’intérieur le fonctionnement de mon administration, comme Mme Lebranchu, savent combien il est difficile, au sein d’un même ministère, de faire travailler des corps différents, dotés de statuts divers, parfois animés par des visions différentes de la réinsertion. Les contraindre à se réunir par l’intermédiaire des conférences régionales d’aménagement des peines permet d’aboutir tout de même à des résultats.
Les aménagements de peine, l’insertion, la formation, l’éducation, les soins et l’amélioration des conditions de travail, tels seront les axes principaux de la future loi pénitentiaire.
Avec l’éligibilité au placement sous bracelet des condamnés à un emprisonnement d’une durée d’une à deux années, 5 000 personnes supplémentaires seront concernées. Mais, contrairement à ce qui se dit souvent, ces personnes ne seront pas remises en liberté sans exécution de peine. Ce n’est pas un cadeau : si elles ne trouvent pas d’activité, elles resteront incarcérées.
La peine peut être aménagée ab initio de manière fractionnée – pendant les vacances, dans le cadre d’une semi-liberté – si le condamné fait valoir au juge d’application des peines et au conseiller d’insertion et de probation qu’il a un travail. Mais si la peine est fractionnée, elle n’en reste pas moins exécutée.
Le fait que les détenus condamnés à des peines inférieures ou égales à deux ans, et non plus seulement à un an, seront concernés, ne change rien à la contrainte : sans garantie d’insertion, la peine est exécutée. Cette mesure pourra concerner, dans les maisons d’arrêt, les personnes condamnées à de courtes peines – et non pas, bien entendu, à vingt ans.
L’assignation à résidence avec surveillance électronique, qui s’appliquera principalement, dans l’esprit du respect de la présomption d’innocence, aux personnes prévenues, contribuera aussi à soulager les prisons.
Pour les personnes âgées de plus de soixante-quinze ans, les modalités de libération conditionnelle seront assouplies. Cette limite d’âge pourra même être abaissée car la libération conditionnelle, je le répète, est difficilement accessible à ces personnes dans la mesure où, à l’origine, son objectif était d’obliger les jeunes à travailler. Élisabeth Guigou a d’ailleurs eu la bonne idée d’ajouter un critère lié à la charge effective d’un enfant, car la responsabilité parentale ne peut qu’inciter les condamnés à travailler pour nourrir leur famille.
Les placements sous bracelet électronique sont proposés quatre mois avant la fin de la peine afin d’éviter les sorties sèches. Ils ont été expérimentés à la suite de l’entrée en vigueur de la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales, mais en étant cantonnés à la seule libération conditionnelle. Un décret que j’ai signé en août 2007 a étendu leur usage aux suivis socio-judiciaires, et ils sont donc maintenant proposés pour toutes les modalités d’aménagement des peines.
Ce dispositif présente l’intérêt d’être très contraignant. C'est ainsi qu’une expérimentation, menée pendant un an par la cour d’appel de Douai sur six délinquants sexuels récidivistes lourds, n’a enregistré aucune récidive. Les intéressés eux-mêmes m’ont expliqué que s’ils ne passent plus à l’acte, c’est parce qu’ils se sentent contraints par le bracelet électronique mobile.
Si la loi pénitentiaire était en vigueur, 31 % de personnes supplémentaires pourraient accéder aux aménagements de peine.
Depuis leur entrée en service, 24 000 bracelets ont été activés, dont 4 155 en 2005 et 9 000 en 2007. Au 1er mai 2008, 3 279 étaient actifs, soit 1 000 de plus qu’à la même date en 2007.
Il est très rare qu’un délinquant placé sous bracelet électronique viole ses obligations – cela a été le cas, par exemple, d’une personne retrouvée ivre –, car elle risque alors d’être à nouveau incarcérée. Les incidents sont en effet plus rares qu’en cas de libération conditionnelle ou de semi-liberté – le cas le plus fréquent étant alors celui du condamné qui ne regagne pas sa prison, le soir, après son travail, pour rendre visite à sa famille –, car les personnes placées sous bracelet peuvent être localisées beaucoup plus vite.
Je vous invite vraiment à lire le rapport Lamanda, dont les vingt-trois propositions sont à ce point frappées au coin du bon sens qu’elles paraissent évidentes. Tel est le cas, en particulier, de l’absolue nécessité de faire travailler les services de façon beaucoup plus imbriquée et le plus en amont possible. Quant aux modalités pratiques de lutte contre la récidive, le rapport suggère notamment d’adopter de nouveaux modèles de bracelet électronique moins lourds, moins encombrants et moins coûteux – un marché sera signé à cet effet dans un mois.
M. René Couanau, rapporteur spécial. Quel est le coût du suivi des personnes placées sous bracelet électronique ? Est-il par ailleurs possible d’externaliser la surveillance ? Pourrait-on disposer, comme le demandait le président Migaud, d’une comparaison des coûts selon que ce travail est externalisé ou non, ou faudra-t-il que nous nous en chargions nous-mêmes ?
Mme la garde des sceaux. Le coût du bracelet fixe est de 13 euros par jour et par détenu, contre 20 euros pour le bracelet GPS mobile et 70 euros pour la détention. Le placement sous bracelet mobile est d’autant plus intéressant qu’il concerne non pas des délinquants de voie publique, condamnés à de courtes peines, mais des détenus au profil lourd, condamnés à de longues peines.
Concernant l’externalisation de la surveillance, qui a été mise à l’étude, j’y suis, à titre personnel, défavorable, tout comme je l’étais aux prisons totalement privées. Je pense en particulier – il faut être clair – aux problèmes de corruption. Les Britanniques d’ailleurs en reviennent et se tournent vers nous pour prendre modèle sur nos établissements pour mineurs. Dans les leurs, en effet, qui peuvent accueillir jusqu’à 700 ou 800 jeunes, tout est privatisé, y compris la surveillance. Outre que l’on compte ainsi un seul surveillant par couloir, je puis vous dire, pour avoir visité les cellules, qu’elles ne ressemblent à rien. En France, un mineur ne sort pas de la sienne si elle n’est pas rangée et nettoyée.
Le Royaume-Uni avait créé ce l’on peut appeler des « infractions forfait », croyant pouvoir traiter la délinquance des mineurs par l’incarcération. Certes, c'est ce que nous faisons aussi, mais notre philosophie est différente. Nos EPM, non seulement n’accueillent pas 700 ou 800 mineurs avec un surveillant par couloir, mais sont gérés par des équipes pluridisciplinaires, comprenant des éducateurs, des médecins, des psychologues...
M. Christophe Caresche. Vous allez donc recruter ?
Mme la garde des sceaux. Quand nous construisons, nous affectons du personnel. Dans ce domaine, j’ai pris mes responsabilités. Pour les établissements qui ont été ouverts cette année, le personnel correspondant a été budgété, avec, je le reconnais, l’appui des parlementaires. L’inverse serait insensé, en particulier pour les EPM.
À titre personnel, en tout cas, je suis défavorable à l’externalisation de la surveillance, surtout s’agissant des délinquants très lourds : face à un pédophile récidiviste, la surveillance doit être régalienne.
M. René Couanau, rapporteur spécial. Très bien !
Mme la garde des sceaux. L’option de la privatisation est cependant étudiée.
M. Didier Migaud, président de la commission des finances. Par qui ?
Mme la garde des sceaux. Par l’administration pénitentiaire, car je n’ai pas, malgré tout, de tabou en la matière. Peut-être certains aspects de la surveillance méritent-ils en effet d’être externalisés, qu’il s’agisse de la vidéosurveillance dans les établissements ou de la réception des signaux GPS. Mais je persiste à considérer que la surveillance est une mission régalienne.
M. René Couanau, rapporteur spécial. Parfait !
Mme la garde des sceaux. Dans la population carcérale, le taux des personnes atteintes de problèmes psychiques, c'est-à-dire allant de la petite déprime aux troubles lourds du comportement ou de la personnalité, est évalué à 20 %. Or, vous le savez, garantir l’accès des détenus aux soins était un engagement du Président de la République. C'est ainsi qu’il avait envisagé la création d’hôpitaux prisons, ou UHSA – unités hospitalières spécialement aménagées –, car les personnes présentant des troubles psychiatriques n’ont rien à faire dans un établissement classique. Elles doivent en être sorties et faire l’objet de soins. Une fois guéries, si l’exécution de leur peine n’est pas achevée, elles reviennent en détention. Sinon, elles sortent sous surveillance médicale.
Le premier centre de soins fermé ouvrira à Fresnes en septembre et deux hôpitaux prisons ouvriront l’an prochain à Lyon et à Rennes, comprenant respectivement quarante et soixante places. À terme, il est prévu d’ouvrir 711 places en hôpitaux prisons.
J’entends dire que ce sera insuffisant au vu de la population carcérale, mais c’est oublier que le placement en UHSA n’est pas une détention dans la détention. Il crée un flux en faisant sortir de détention des personnes malades pour leur permettre de suivre des soins. Il est d’ailleurs déjà possible de faire sortir de détention les détenus atteints de troubles psychiatriques lourds en recourant à l’hospitalisation d’office, la HO.
Après l’adoption de la loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, et qui a prévu des peines planchers, l’entrée en vigueur des dispositions relatives aux soins psychiatriques ou au suivi psychologique avait été différée au 1er mars 2008, faute d’un nombre suffisant de médecins coordonnateurs. Nous en compterons cependant 200 d’ici à la fin de l’été, contre à peine une centaine en août 2007, et nous nous sommes engagés à ce qu’ils soient 500 d’ici à la fin de l’année.
Même si cela va beaucoup mieux, les rapports entre la santé et la justice sont toujours très compliqués. C’est une vraie difficulté, ainsi que je l’avais souligné à M. Blisko lors de la discussion parlementaire – j’imagine que Mme Lebranchu y a aussi été confrontée.
Si le principe des soins en prison a été posé par Mme Guigou, sa loi, adoptée en fin de législature, n’était malheureusement pas accompagnée des moyens nécessaires. En outre, nombre de médecins considèrent qu’un soin psychologique ou psychiatrique contraint est inopérant, faute d’adhésion de la personne concernée. Les difficultés ne sont donc pas seulement imputables au manque de moyens mais aussi, pour beaucoup, à cette controverse philosophique concernant le soin en prison.
M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Les dispositions en question de la loi de 2007 sont-elles entrées en vigueur ?
Mme la garde des sceaux. Tout à fait : aujourd'hui, à peu près 150 médecins coordinateurs sont opérationnels. Je le répète, ce n’est pas uniquement un problème de moyens – les anciens gardes des sceaux le savent parfaitement.
Le centre de soins fermé de Fresnes ouvrira, mais les difficultés pour le mettre en œuvre sont nombreuses. Le corps médical considère que les soins ne sont pas dispensés de la même manière en prison. Mais il est impossible de transférer tous les malades des centres pénitentiaires dans les hôpitaux. En tout cas, la vacation des médecins coordonnateurs a été substantiellement revalorisée par un arrêté de janvier dernier, passant de 426 à 700 euros.
La formation constitue l’un des autres volets de la loi pénitentiaire. Déjà, vingt-sept établissements ont expérimenté les commissions pluridisciplinaires et les quartiers arrivants.
Habituellement, les personnes sont prises en charge, dans les établissements pénitentiaires, en fonction de l’infraction dont elles se sont rendues coupables : une personne condamnée pour conduite en état alcoolique est traitée pour ses problèmes d’alcool, ce qui n'est pas le cas d’une personne condamnée pour violences conjugales même si elle présente un profil alcoolique, car ce problème est, dit-on, déconnecté du délit.
Dans les quartiers arrivants, que la loi pénitentiaire généralisera, la personne placée sous écrou sera évaluée, pendant sept jours, à tous points de vue :...
Mme Marylise Lebranchu. Enfin !
Mme la garde des sceaux. ...son niveau scolaire, son degré de formation, son niveau de socialisation, ses addictions, notamment aux stupéfiants – dont l’usage est très courant, en particulier parmi les jeunes.
Le mode de détention pourra alors être adapté : placement dans une cellule individuelle ou non, mise en place immédiate d’un programme de soins adapté – d’autant que, pour de nombreuses personnes, l’incarcération est un choc traumatique –, propositions de formation. Il faut savoir en effet que 60 % de la population carcérale n’a ni activité, ni diplôme, ni qualification lors de l’entrée en prison et que 12 % est totalement illettrée. L’évaluation des besoins en formation, en éducation, en soins ne pourra que favoriser la réinsertion.
Ce système des quartiers arrivants est expérimenté pendant huit jours, notamment à Meaux et à Melun, et il présente de bons résultats. Le quartier arrivants de la prison de Villefranche-sur-Saône a d’ailleurs fait l’objet d’un grand reportage dans Libération, et il a même reçu le label de qualité Afnor. L’administration pénitentiaire est très impliquée dans la mise en œuvre des règles pénitentiaires européennes, mais aussi dans cette mission de réinsertion.
Auparavant, les anciens détenus cachaient leur situation pour trouver un travail. Aujourd’hui, les entreprises se mobilisent, et je viens de signer une convention avec le Medef, qui sera déclinée dans toute la France, pour que des entreprises se déplacent sur les lieux de détention afin de dispenser des formations professionnelles en alternance, dans le cadre d’un partenariat avec les régions, ou d’offrir des emplois à l’issue de la détention.
La loi pénitentiaire permettra également aux détenus d’élire domicile en prison. Cette mesure peut paraître négligeable, mais la plupart des détenus, notamment les jeunes, qui souvent n’ont plus de papiers au moment de leur incarcération, n’avaient aucune activité et n’étaient inscrits nulle part. Une fois qu’ils auront élu domicile, ils pourront chercher un logement, s’inscrire directement à l’ANPE ou à l’AFPA, et recevoir du courrier. Ils n’auront plus besoin de passer par une association pour faire reconnaître leurs droits. Certains élus, il est vrai, se sont déclarés réticents à l’idée que des détenus élisent domicile dans leur commune car ils ne voulaient pas d’eux comme électeurs.
La formation professionnelle est surtout valable dans les prisons pour femmes, car nombre de ces dernières, qui ont d’ailleurs généralement moins de passé pénal que les hommes, n’ont jamais travaillé. La formation en alternance leur permet de suivre un cursus théorique en prison et de se rendre en entreprise pour des stages. C’est pourquoi nous avons signé des conventions avec des entreprises et trois régions afin que la formule soit approfondie.
Malgré les drames que nous avons eus à déplorer, notamment des suicides, je reste convaincu que les EPM, par leur caractère pluridisciplinaire, sont adaptés aux mineurs. Il en va de même d’ailleurs des CEF, les centres éducatifs fermés, qui ont été évalués dans un rapport de la Cour des comptes : 61 % des mineurs qui en sortent ne récidivent pas dans l’année suivante, alors que, dans leur majorité, ils se sont rendus coupables d’actes graves, de nature criminelle ; il ne s’agit donc pas de foyers de protection de l’enfance. Les CEF coûtent très cher, il faut le savoir, mais un vrai travail de fond y est accompli.
Les EPM constituent en fait le stade supérieur de la prise en charge des mineurs : ce sont de petites unités, animées par des équipes pluridisciplinaires, avec obligation d’activité, de formation, d’éducation et de soins. Les cinq premiers établissements fonctionnent plutôt bien – la principale difficulté reconnue par les professionnels eux-mêmes étant de travailler ensemble car ils sont issus de corps différents –, et l’on en comptera sept d’ici à la fin de l’année. Ce nombre permettra de fermer les quartiers pour mineurs, où les détenus n’ont aucune obligation d’activité. Ils peuvent rester toute la journée dans leur cellule alors que les EPM ont, au contraire, une vraie vocation éducative, sanitaire, mais aussi de réinsertion.
M. Serge Blisko. Vous avez déjà apporté de nombreuses réponses, madame la garde des sceaux, mais je vous demanderai de revenir sur quelques points relatifs aux mêmes thèmes, sensiblement, que ceux abordés par M. Garraud.
En dépit de l’annonce de la loi pénitentiaire – qui pose également des questions de méthode et de calendrier – et des efforts déployés par l’administration pénitentiaire, je crains que vous ne soyez dépassée par l’inflation du nombre de personnes incarcérées, soit plus 6 % par an. La situation conduit en effet à s’interroger sur les causes de ce flux de détenus et sur les dispositifs alternatifs envisagés, en particulier l’assignation à résidence, qui risquent de se révéler insuffisants.
La phase de rénovation des bâtiments doit intervenir en 2012, après la fin du « programme 13 000 ». Mais certains établissements connaissent aujourd’hui des situations critiques, en particulier ceux dont le taux d’occupation excède 200 %, comme ceux Béziers ou du Mans. Pensez-vous vraiment qu’il soit possible d’attendre jusqu’en 2012 ? C’est un sujet d’inquiétude majeur.
En revanche, les CPA, les centres pour peines aménagées, et les CSL, les centres de semi-liberté, ne sont pas occupés à 100 %. Pour quelles raisons ? Il conviendrait, pour le coup, et nous en serons certainement tous d’accord, qu’ils soient non pas suroccupés, mais, pour le moins, très occupés. Ne serait-ce pas une preuve du développement des alternatives à la prison ?
À propos des libérations conditionnelles, je constate une discordance entre vos propos et les positions prises par le Gouvernement en 2007. Si j’ai bien compris, le taux de libérations conditionnelles s’établit entre 8 à 12 % suivant les années.
Mme la garde des sceaux. Il avait stagné jusqu’en 2005 et 2006, pour excéder 10 % à la fin de l’année dernière et dépasser 8 % à ce jour.
M. Serge Blisko. Si les libérations conditionnelles sont convenablement accompagnées – car elles ne sont jamais sèches –, nous sommes tous d’accord pour considérer qu’il s’agit d’une sorte de mise à l’épreuve, mais les dispositifs doivent être plus nombreux.
S’agissant de la loi de règlement proprement dite, je ne vous fais pas reproche de traiter en trois lignes les EPM, car cette loi porte sur l’exercice 2007. Nous attendons cependant avec impatience le bilan de ces établissements, en particulier en ce qui concerne les coûts et les résultats.
Je me suis posé à cet égard la même question que M. Migaud s’agissant de l’intérêt financier du partenariat public-privé par rapport à la gestion directe. Votre réponse ne m’a pas donné l’impression de donner un avantage certain au PPP.
Mme la garde des sceaux. C’est pourtant le cas en termes de valorisation des immeubles.
M. Serge Blisko. Sans doute un indicateur fait-il défaut pour évaluer la PPP par rapport à la gestion régalienne classique. Une étude un peu dépassionnée est nécessaire.
Aux pages 90 et 91 du RAP, deux indicateurs me paraissent compliqués au regard de ce qui nous intéresse le plus et nous rassemble : accroître les chances de réinsertion.
Le taux de « détenus bénéficiant d’une formation générale et/ou professionnelle », par le biais de l’éducation nationale ou de l’AFPA, stagne depuis des années entre 23 et 29 %. Si l’on en croit les chiffres de l’objectif n° 6, « Favoriser les conditions d’insertion professionnelle des détenus », aucun saut ni qualitatif ni quantitatif n’a été enregistré depuis des années.
Le problème, me semble-t-il, tient à l’implication des acteurs. D’aucuns, issus de l’éducation nationale, s’estiment en effet peu soutenus par leur administration d’origine. Ce n’est évidemment pas à vous de répondre sur ce point, mais je voulais vous le signaler. Nous avons ainsi découvert qu’aucun inspecteur général de l’éducation nationale n’était chargé de suivre les questions de formation et de remise à niveau – le fort taux d’illettrisme que vous avez rappelé constitue en effet un grave problème. Bref, les enseignants et autres personnels en provenance de l’éducation nationale se sentent un peu isolés.
De façon connexe, le taux de « détenus bénéficiant d’une activité rémunérée », hors travail d’intérêt général, est lui aussi en stagnation, se situant autour de 38 %. Ce résultat mérite d’être amélioré. Je sais que les difficultés sont énormes, du fait de la concurrence qui s’accroît à l’extérieur et des contraintes inhérentes aux établissements, mais le travail pénitentiaire devrait être développé dans les années à venir, en particulier dans les établissements neufs ou rénovés. Une mesure législative ou réglementaire pourrait même rendre éligible ce type de travail aux clauses sociales des marchés publics. Si les produits fabriqués en prison restent soumis aux conditions de concurrence légales, ils ne seront jamais concurrentiels avec ceux du marché et, en particulier, des pays à bas coût de main-d’œuvre : les détenus travaillent en effet entre vingt et trente heures par semaine pour des raisons liées à la vie de l’établissement.
Nous restons aussi sur notre faim en ce qui concerne le taux de « détenus bénéficiant d’un projet de préparation à la sortie ». Des marges de progression importantes existent également dans ce domaine.
On entend beaucoup parler d’associations spécialisées dans la réinsertion ou l’hébergement à la sortie de prison qui se retrouvent en liquidation judiciaire, le versement de leurs crédits ayant été différé voire coupé. Tel a été encore le cas récemment d’une très importante association en Aquitaine. Ce problème nous préoccupe, et nous y reviendrons évidemment lors de l’examen de votre projet de loi, car l’administration pénitentiaire a toujours été accompagnée par une vie associative très riche, même si, à l’époque de Saint-Vincent-de-Paul, on ne parlait pas d’« associations ».
M. René Couanau, rapporteur spécial. Quelle référence idéologique !
M. Serge Blisko. Nous ne pouvons tous qu’admirer l’homme et son œuvre.
Concernant les soins, les considérations quelque peu techniques de la page 90 du RAP concernant l’application informatique GIDE – gestion informatisée des détenus en établissement – appellent des explications. Je note tout de même que si la prévision à mi-2007 en matière d’extractions médicales et de transfèrements était de 48 000, la réalisation se limite à 37 000. Cet écart est-il positif ou négatif ?
Ma question n’est pas innocente. Je veux en effet faire ici allusion à ce qu’il était convenu d’appeler l’hôpital des prisons de Fresnes, ou établissement public de santé national de Fresnes, dont la cotutelle souhaite la fermeture. Autant l’implantation de deux UHSI s’impose au regard des normes requises pour un bloc opératoire – les sites hospitaliers de la Salpêtrière et de Henri-Mondor, à Créteil, ont ainsi été évoqués –, autant je ne suis pas convaincu que la fermeture de la structure de Fresnes améliorera la qualité des soins en prison, en particulier pour les détenus âgés, qui, souvent délinquants sexuels, sont de plus en nombreux compte tenu de l’inflation carcérale – je ne résiste pas à l’emploi de cette expression – et de l’allongement des peines.
J’ai en effet été frappé par la qualité des soins dans ce dernier établissement où les détenus présentent des pathologies lourdes, et je ne pense pas que les nouveaux hôpitaux, très spécialisés, qui coûteront une fortune, seront vraiment adaptés aux transfèrements de tels détenus pour rééducation neurologique.
L’hôpital de Fresnes possède une histoire, une culture, une expérience ; l’administration pénitentiaire y travaille en symbiose avec un personnel de santé qui dépend de l’Assistance publique et qui est spécialisé dans les soins de suite après opération – le problème intervenu en matière de dialyse a été résolu après les remarques de la Cour des comptes.
Alors qu’il est déjà très difficile de trouver des médecins pour intervenir auprès d’une population très particulière, je crains que la mise « au rancart » de cet établissement ne bénéficie ni aux détenus, ni à l’administration, ni aux finances publiques. L’hôpital prison de Fresnes mérite d’être rénové. Je vous demande instamment, puisque l’occasion se présente, de réexaminer la décision de fermeture, sans doute trop radicale et prise de manière un peu hâtive.
M. Christophe Caresche. La situation à laquelle vous faites face, madame la garde de sceaux, me semble assez critique.
Le nombre de détenus croît fortement, et je ne vois pas ce qui pourrait infléchir cette tendance, tout simplement parce qu’elle est inhérente à votre politique pénale. Certes, j’ai approuvé le refus d’accorder une grâce présidentielle, mesure qui a dû peser de manière significative sur le nombre des libérations, mais, quoi qu’il en soit, le rythme annuel d’augmentation de 5 % de la population carcérale reste préoccupant, car difficile à endiguer.
Comme M. Garraud l’a souligné, cette évolution se traduit par un déséquilibre budgétaire préoccupant : tandis que les crédits de l’action n° 1, « Garde et contrôle des personnes placées sous main de justice », dérapaient de plus de 50 % par rapport aux prévisions, les crédits de l’action n° 2, « Accueil et accompagnement des personnes placées sous main de justice », qui contribue notamment à la lutte contre la récidive, étaient sous-consommés. Si vos explications à ce propos sont recevables, elles ne justifient pas tout. Nous pourrons en rediscuter puisque vous annoncez un texte de loi.
Vous proposez finalement deux orientations : la construction de places nouvelles, qui n’interviendra cependant pas dans l’immédiat et n’aura donc pas d’effets à court terme, et des aménagements de peine.
Je veux bien vous donner acte de la progression de ces derniers. L’évolution est positive. Mais nous partions de bas, ainsi que vous l’avez vous-même relevé. Aussi peut-on se demander si cette progression va se poursuivre.
Je reconnais également que le bracelet électronique n’a pas connu le développement qui aurait pu être le sien depuis qu’il a été autorisé par la loi en 1997.
Mme la garde des sceaux. Les premiers placements datent de 2000.
M. Christophe Caresche. Je ne mets pas en doute la bonne volonté des ministres successifs, mais ils ont manifestement eu du mal à développer le dispositif, même si sa mise en œuvre a progressé ces dernières années. La difficulté tient au fait que, dans ce domaine comme dans d’autres, toute mesure de surveillance requiert non seulement du matériel, mais également du personnel supplémentaire, ce qui a un coût. Il m’a ainsi été rapporté que la police ou la gendarmerie pouvaient parfois se substituer à l’administration pénitentiaire pour assurer la mise en œuvre de ce dispositif. Aussi ne suis-je pas certain que votre administration dispose vraiment des moyens de sa politique en la matière.
Je suis heureux, madame la garde de sceaux, que vous érigiez la libération conditionnelle en élément central de votre politique. Ces dernières années nous avions plutôt constaté, en matière pénale, un encadrement toujours plus restrictif de cette mesure et même l’interdiction d’y accéder pour certains détenus, tout simplement parce que, après des affaires ayant défrayé la chronique, des responsables politiques se sont scandalisés d’infractions commises par des personnes en libération conditionnelle.
J’espère que vous continuerez de défendre ce dispositif avec détermination lorsque des événements similaires se produiront – ce qui malheureusement ne manquera pas d’arriver car la récidive zéro n’existe pas.
J’ajoute que certains détenus ne sont pas volontaires pour bénéficier de la libération conditionnelle, tout simplement à cause de l’automaticité des mécanismes de réduction de peine : ils préfèrent accomplir un temps de prison un peu plus long sachant qu’ils seront alors débarrassés de la main de justice, plutôt que sortir un peu plus tôt et rester sous main de justice. Pour favoriser la libération conditionnelle, il faudra prendre des mesures concernant les réductions des peines.
Mme la garde des sceaux. Il ne vous aura pas échappé, monsieur Caresche, que de telles mesures ont été adoptées dans les textes relatifs aux peines planchers et à la rétention de sûreté. Il existe en effet deux sortes de réductions de peine. La réduction de peine pour bonne conduite, qui est automatique, c'est-à-dire que le détenu sait en arrivant le nombre de mois ou d’années qu’il ne fera pas, et la réduction de peine supplémentaire. Ces deux dispositifs ont été réformés, sans en remettre en cause le principe.
Le premier n’est plus accordé ab initio, dès l’entrée en prison, mais au cours de la détention. La réduction n’est donc plus automatique, mais conditionnée aux soins, s’agissant notamment des délinquants sexuels. Quant au second, il a été réformé par deux textes.
M. Christophe Caresche. J’examinerai cela de près. En tout cas, si aucun effort n’est fait en matière de réductions de peine, vous ne parviendrez pas à développer les libérations conditionnelles. Or le dispositif que vous proposez, en prévoyant moins de réductions de peine, se traduira par un maintien plus long des détenus en prison.
Mme la garde des sceaux. Nous comptons bien favoriser les aménagements.
Mme Marylise Lebranchu. Sans vouloir non plus polémiquer, je rappelle que si un programme de construction de places et de fermeture d’établissements vétustes a été engagé juste avant 2002 – nous avions d’ailleurs créé une agence et commencé à embaucher des ingénieurs –, notre objectif était de ne pas dépasser 50 000 places, en s’engageant même à développer les aménagements de peine pour limiter le nombre de détenus, à 45 000 dans un premier temps. Je suis donc très contente d’entendre le discours d’aujourd’hui, qui traduit incontestablement une évolution.
Il n’en reste pas moins que notre programme a été stoppé par M. Bédier – décision dont vous n’êtes donc pas responsable – qui a alors lancé des appels d’offre, sous forme de PPP, pour la construction d’établissements avec le privé, ce qui a évidemment demandé à nouveau beaucoup de temps. C’est donc un choix politique qui a entraîné l’arrêt de notre programme de construction.
J’insiste à mon tour sur le fait que nous ne disposons pas des éléments de comparaison de coût par détenu entre un établissement sous gestion privée et un établissement que je qualifierai d’ordinaire. Vous prétendez que les bâtiments publics, du fait de leur mauvaise maintenance, perdent de la valeur au bout de vingt ans, contrairement aux bâtiments privés. Or faut-il rappeler que, dans un PPP, c’est la maintenance, que les sociétés privées facturent au ministère, qui leur rapporte le plus ? Que la maintenance soit facturée par le privé ou réalisée en interne, ne change donc rien. Il faudra d’ailleurs nous expliquer comment une société privée peut entretenir un bâtiment de façon parfaite et à moindre coût, contrairement au secteur public, alors qu’elle doit rémunérer son capital.
Au demeurant, si nous avons choisi de maintenir un système public, c’est au terme de plusieurs expériences. Un certain établissement sous gestion privée, que je ne citerai pas, mais que vous reconnaîtrez, a pu ainsi prêter le flanc aux mêmes critiques que celle que vous avez formulées vis-à-vis des établissements britanniques correspondants : la situation y était à un point tel que les surveillants, mis à disposition par le ministère, ne pouvaient plus entrer dans les quartiers de jeunes majeurs.
J’espère vraiment que nous pourrons un jour disposer d’une analyse économétrique des deux systèmes afin de savoir pourquoi l’un est moins cher que l’autre.
S’agissant de la carte judiciaire, vous avez d’abord annoncé que vous disposeriez de 800 millions puis, quelques semaines plus tard, en décembre, de 500 millions. Je comprends que vous ne nous communiquiez pas les éléments de discussion avec Bercy, mais pourquoi des bâtiments aux normes, dont certains appartiennent au ministère, vont-ils fermer, alors qu’il est prévu de transférer leur activité dans des bâtiments qui ne sont pas aux normes, sachant que le ministère de la justice gère déjà au moins 15 000 mètres carrés d’Algeco ? Il faudra donc construire.
Aussi, je demande une évaluation de la situation actuelle et de la situation envisagée, en tenant compte de la moyenne de 57 mètres carrés par fonctionnaire dans les tribunaux, ainsi que le bilan carbone, en particulier des déplacements que ces transferts entraîneront. L’État doit être exemplaire en toute matière.
Enfin, pourquoi l’École nationale de la magistrature ne forme-t-elle que quatre-vingts élèves, alors que le départ des « papy-boomers » touche fortement la magistrature ? Comme nombre d’entre eux ne partiront pas à la retraite à soixante ans, mais, pour être entrés tard dans la carrière, entre soixante-deux et soixante-cinq ans, de grandes vagues de départ restent donc à venir. Pourquoi, dans ces conditions, avoir réduit les effectifs d’entrée à l’ENM ?
Mme la garde des sceaux. Pour répondre d’abord à M. Blisko, il est vrai que treize établissements sont surpeuplés, par exemple à Gradignan. Certains d’entre eux cependant bénéficieront du transfert de détenus dans de nouveaux établissements. Ce sont ainsi 576 places qui seront ouvertes, en octobre, à Saint-Denis-de-la-Réunion, dont l’établissement actuel, avec ses 200 places, est dans un état inacceptable. Les travaux y ont été différés pendant très longtemps et j’ai décidé d’en faire une priorité.
Il est arrivé à des gouvernements que vous souteniez, monsieur Blisko, de fermer des places, non pour le plaisir, mais parce qu’elles étaient insalubres ou vétustes. De même, nous réduisons la capacité de certains établissements, mais en les mettant aux normes, sachant que, lorsque nous construisons une nouvelle prison, sa capacité est systématiquement supérieure à l’ancienne.
Nous n’avons pas pour autant opté pour deux phases distinctes : certaines réhabilitations sont déjà en cours, comme à Nice, où l’établissement, situé en centre-ville, pose un vrai problème, car je n’ai pu trouver de terrain ailleurs. Compte tenu de son état, je suis en effet obligée de le mettre aux normes, ce qui implique des dépenses qui pourraient être mieux utilisées, par exemple pour accroître le nombre de places. Mais je dois bien tenir compte des résistances manifestées par les élus, qui ont leur mot à dire.
Suivant les cas, nous remettons aux normes, nous supprimons une partie des places ou nous fermons pour reconstruire avec davantage de places. Il en ira ainsi pour l’établissement de Gradignan, où je me suis rendue voilà deux semaines, qui est surpeuplé : comme nous construisons un établissement, de 900 places, à Mont-de-Marsan et un autre vers Poitiers, des détenus de Gradignan pourront être transférés dans ces deux prisons supplémentaires ouvertes dans la même région judiciaire.
S’agissant du travail en prison, je fais miennes vos remarques. Nous sommes tout de même parvenus à maintenir le taux d’activité, en dépit des contraintes d’aménagement des ateliers, notamment à la Santé, comme j’ai pu le constater lors d’une visite. D’autres établissements pénitentiaires sont, au contraire, bien adaptés, comme celui de Muret, où je me suis également rendue, qui est doté de grands hangars, propices à une activité de fonderie, mais qui garantissent également une vraie sécurité au personnel pénitentiaire et aux détenus. La réinsertion des prisonniers s’en trouve facilitée, d’autant qu’il s’agit de détenus qui ont souvent commis des crimes graves, notamment sexuels, et qui purgent par conséquent des peines assez longues.
Environ 37 % de détenus ont une activité, en dépit, d’une part, des difficultés à trouver des employeurs pour salarier les détenus et, d’autre part, des contraintes immobilières. À la Santé, par exemple, les personnes concernées travaillent dans des couloirs réaménagés, dans lesquels sont installés des mini-ateliers sur des petites tables.
Dans tous les nouveaux établissements, en tout cas, il sera possible d’avoir une activité professionnelle. Nous avons d’ailleurs signé des conventions avec des entreprises pour que davantage d’activités soient proposées aux détenus, même si c’est très compliqué pour tout le monde – pour l’employeur comme pour l’administration pénitentiaire – puisque les détenus ne signent pas de contrat de travail et sont rémunérés à la moitié du SMIC.
Nombre de prévenus pourraient accéder à une activité, mais l’administration hésite à les classer sur la liste des personnes aptes au travail, car elle ignore combien de temps ils resteront incarcérés, et elle privilégie donc les personnes condamnées. En outre, le temps d’être classés, les condamnés à de courtes peines sont souvent proches de leur sortie. Pour l’administration pénitentiaire, même si l’activité abondait, tout ne serait donc pas simple pour autant. Aussi le taux de 38 % est-il déjà élevé, compte tenu des contraintes auxquelles elle est soumise.
Il est vrai, par ailleurs, que des centres de semi-liberté et des centres pour peines aménagées ne sont pas pleins. Le placement dépend d’une décision judiciaire, mais encore faut-il la faire exécuter car, dans certaines régions judiciaires, il n’existe pas toujours d’établissement à proximité. Lorsque j’étais magistrate à Évry, le centre de semi-liberté était situé dans le Val-de-Marne ; il n’y en avait pas à côté de Fleury-Mérogis.
Les placements en semi-liberté sont plus courants. Ils participent aussi de la politique volontariste d’aménagement des peines. À cet égard, les conférences régionales d’aménagement des peines, en réunissant tous les acteurs concernés, permettent d’affecter des détenus dans un centre dépendant d’un autre ressort judiciaire. Le tout est de savoir si des places sont disponibles dans un autre ressort, surtout s’il est contigu. Nous prévoyons en tout cas un programme de 1 500 places supplémentaires en centres de semi-liberté d’ici à 2012.
La rénovation de l’hôpital de Fresnes, que vous préconisez, coûterait autant que la construction d’un établissement neuf. C’est pourquoi, avec le ministère de la santé, nous avons opté pour sa fermeture et privilégié l’UHSI de la Salpêtrière.
L’administration pénitentiaire ne maîtrise pas grand-chose en matière de santé, car elle ne dispose guère de moyens de contrainte sur la population carcérale. En outre, si vous émettiez des doutes en matière d’extractions sur l’intérêt de transférer tel ou tel détenu dans des établissements pas toujours adaptés, l’administration pénitentiaire n’a pas la maîtrise de la politique sanitaire, Si un détenu a besoin de soins, il est dirigé là où il peut en recevoir.
Quant aux PPP, ils seront évalués, notamment le « programme 13 000 » lancé par Albin Chalandon. Il n’en reste pas moins que les établissements en gestion déléguée – on en compte aujourd’hui 30 sur 196 – sont bien mieux gérés que les prisons d’État : les prisons du « programme 13 000 » sont toutes en bon état, alors que Fleury-Mérogis, aurait besoin d’une rénovation qui coûterait 380 millions d’euros.
Mme Marylise Lebranchu. Ce n'est là que le résultat d’un problème de gestion interne à l’administration pénitentiaire.
Mme la garde des sceaux. C’est sans doute aussi que la gestion ou la maintenance n’est pas son métier. J’ai moi-même nommé à la direction des ressources humaines du ministère de la justice un administrateur, car le métier des magistrats n’est pas de gérer. Chacun son métier. Nous conserverons les missions régaliennes, mais il faut bien constater que les prisons en gestion déléguée sont mieux entretenues que celles en gestion directe.
Mme Marylise Lebranchu. Pardonnez-moi d’insister, mais c’est là un problème d’organisation – j’ai d’ailleurs oublié de vous demander ce qu’est devenue l’agence que nous avions créée pour la construction de nouveaux établissements. Ce que vous venez de dire est en tout cas inadmissible s’agissant des établissements encore gérés par le ministère de la justice.
Les personnels – j’ai discuté sur place à l’époque avec eux – savent parfaitement comment procéder. Simplement, leurs établissements ne disposent pas des crédits nécessaires pour embaucher le chef des travaux et les deux contremaîtres dont ils ont besoin pour leurs travaux.
L’administration pénitentiaire a les moyens de progresser : les mairies et les autres collectivités territoriales savent fort bien gérer leurs bâtiments publics, tels que les écoles primaires.
Mme la garde des sceaux. Il ne faut pas confondre école et prison.
Mme Marylise Lebranchu. La gestion de l’établissement de Luynes, pour parler clairement, s’est révélée catastrophique. Il a fallu se battre contre le gestionnaire pour qu’il fasse un minimum, et encore avons-nous dû injecter de l’argent. Non seulement cet établissement n’était pas mieux entretenu qu’un établissement sous gestion publique, mais il rencontrait de graves problèmes de fonctionnement interne.
Il faudrait, pour éviter des débats interminables, disposer d’un tableau financier comparatif. S’il apparaît en effet que la somme consacrée à la maintenance dans un établissement public est inférieure de 20 % à celle d’un établissement privé, il est normal que le premier soit mal entretenu.
Mme la garde des sceaux. Que je sache, l’établissement de Luynes fonctionne très bien.
Mme Marylise Lebranchu. C'est oublier ce que nous avons été obligés de faire à l’époque.
Mme la garde des sceaux. Lorsqu’il y a eu un problème, il a été réglé sur une simple demande de notre part. Aujourd'hui, il fonctionne très bien.
Pour ma part, je considère que la maintenance n’est pas le métier de l’administration pénitentiaire. Je ne vous communique pas les chiffres dont je dispose car je souhaite en avoir confirmation. Mais s’ils se confirment, ils montreront – mais je n’en fais pas une question idéologique – que la gestion déléguée est systématiquement plus efficace que la gestion directe.
La fonction publique n’a pas à assurer un métier qui n’est pas le sien alors que les sociétés œuvrant en gestion déléguée, qui travaillent sur de grandes masses, réalisent des économies d’échelle. La maintenance n’est pas nécessaire tous les jours. Pourquoi l’État emploierait-il pendant quarante ans un chauffagiste, pour qu’il travaille trois fois par-ci par-là ? Je préfère assouplir la gestion.
Quand un problème se pose, par exemple en matière de chauffage ou de restauration, l’entreprise concernée est appelée et intervient immédiatement. À Luynes, tout fonctionne très bien, sans rien coûter à l’État, puisque, conformément au contrat, l’entreprise règle ses problèmes elle-même. Selon moi, si sa gestion avait été en régie directe, cela aurait coûté beaucoup plus cher.
Je vous l’affirme, dans certains établissements en gestion déléguée, les résultats sont nettement meilleurs que si la gestion était directe. Je l’ai d’ailleurs dit aux représentants des services techniques, qui me faisaient évidemment remarquer qu’avec la gestion déléguée des postes sont en péril.
Quand vous entrez dans un établissement, vous savez immédiatement s’il est ou non en gestion déléguée au vu de la restauration ou encore du chauffage. Je n’en fais pas une question d’idéologie, je le répète, car j’estime que les missions régaliennes ne doivent surtout pas être externalisées.
Allez donc visiter l’établissement de Gradignan. Vous verrez la différence avec Luynes : les murs des cellules tombent et seul un coup de peinture les recouvre car l’administration ne sait pas faire. En gestion déléguée, l’entreprise aurait posé de l’enduit et remis la cellule en état car c’est son métier.
Vraiment, je préfère pour les détenus la gestion déléguée. J’effectuerai l’évaluation des trente établissements concernés, mais selon les éléments dont je dispose, elle est beaucoup plus efficace.
Même dans les établissements surpeuplés en gestion déléguée, comme Villepinte, la différence est probante, qu’il s’agisse seulement de l’état des cellules ou des gymnases et autres installations sportives.
Concernant les porteurs de bracelet électronique, ils sont surveillés et localisés par l’administration pénitentiaire, et certainement pas par la police, monsieur Caresche. Celle-ci n’intervient qu’en cas de violation d’une obligation afin d’appréhender l’individu localisé.
Vous dites par ailleurs qu’il faudrait davantage de personnel afin de surveiller les porteurs de bracelet électronique. Mais il en faut surtout davantage pour les personnes écrouées, qui coûtent 70 euros par jour, contre 13 pour le bracelet électronique. L’aménagement de peine coûte beaucoup moins cher que la détention.
Vous parlez également de dérapage et de déséquilibre budgétaires. Les chiffres que je vous ai donnés pourront être affinés, mais, je le répète, il s’agit là d’un strict problème d’imputation budgétaire.
M. Didier Migaud, président de la commission des finances. La LOLF, la loi organique relative aux lois de finances, autorise justement une certaine souplesse de gestion.
Mme la garde des sceaux. Certaines associations de réinsertion connaissent, il est vrai, des difficultés – j’étudie de près le dossier de l’une d’entre elles, située à Bordeaux. Nous ne sommes pas là cependant pour financer des structures, mais pour travailler à des projets, notre objectif étant de réinsérer des personnes détenues. Si une association rencontre des problèmes parce qu’elle a moins de personnes à réinsérer, je comprends sa difficulté, mais, je le répète, nous ne sommes pas là pour financer des structures. Or quand deux associations ont exactement la même activité, si nous en privilégions une, l’autre est forcément en difficulté.
Pour autant, cela ne signifie pas que les crédits accordés par le ministère de la justice aux associations diminuent. Bien au contraire, ils ont progressé de 10 %, au profit de la qualité de la réinsertion.
M. Serge Blisko. Comme nous sommes très sollicités par ces associations, pourrions-nous disposer de chiffres sur le partenariat avec elles, s’agissant notamment du rapport coût/efficacité ?
Mme la garde des sceaux. Cela me semble très difficile, car certains juges d’application des peines travaillent, pour l’exécution ou le suivi des mesures, avec des associations habilitées, tandis que d’autres – j’ai eu à connaître d’un cas à Mulhouse, il y a trois ans – préfèrent travailler avec des structures qui ne sont pas forcément habilitées, mais qui font un bon travail. L’analyse de ce partenariat est donc compliquée, car il se noue au niveau de chaque cour. Il arrive aussi qu’un magistrat, notamment pour le placement des mineurs, ne souhaite plus travailler avec telle ou telle association, même s’il dispose du financement nécessaire.
La libération conditionnelle, monsieur Caresche, n’a jamais été remise en cause. Si le Président de la République a pu considérer que des libérations conditionnelles auraient pu, au regard de certains critères, être évitées, nous avons toujours été favorables à la libération conditionnelle, que nous considérons comme le meilleur outil de réinsertion, car elle est assortie d’une vraie mise à l’épreuve et d’une vraie surveillance.
Quant au repli en matière de réduction de peine, il favorisera évidemment les libérations conditionnelles. Si je suis défavorable aux réductions de peines comme aux grâces collectives, c’est en effet parce qu’elles ne comportent pas de contreparties.
À propos des programmes de construction, madame Lebranchu, l’APIJ, la fameuse Agence publique pour l’immobilier de la justice, créée en 2000, a connu de graves difficultés internes. De mémoire, elle était liée au « programme 4 000 ».
Mme Marylise Lebranchu. L’objectif était de changer la façon de travailler pour tous les programmes à venir.
Mme la garde des sceaux. Si ce « programme 4 000 » de constructions n’a pas été lancé, c'est parce qu’un changement de gouvernement est intervenu en 2002 et que nous avons alors élaboré le nôtre. Je n’en fais donc pas un thème de polémique.
Mme Marylise Lebranchu. Je souhaitais simplement savoir ce que cette agence était devenue après la nouvelle orientation prise en faveur de la gestion privée, car elle ne correspondait pas à un programme borné dans le temps. Elle était destinée à durer pour régler les problèmes de construction, de maintenance et d’entretien des bâtiments en évitant le recours aux PPP.
Mme la garde des sceaux. L’APIJ a simplement été reconfigurée et s’appelle maintenant l’AMOTMJ.
Mme Marylise Lebranchu. Vous avez juste changé le nom ?
Mme la garde des sceaux. Elle a été transformée et vous allez comprendre pourquoi. Quand je suis arrivée au ministère, chaque direction de l’administration centrale avait son service immobilier, son service informatique, son service statistique et son inspection. Avec la réforme qui vient de passer en comité technique paritaire, l’administration centrale a désormais un seul pôle immobilier, un seul pôle statistique – hormis pour la pénitentiaire, compte tenu des contraintes de sécurité – et une seule inspection. En matière de statistiques, par exemple, les écarts allaient parfois non pas de 1 à 2, mais de 1 à 10. C’est aussi pourquoi j’ai décidé de regrouper tous les outils.
L’AMOTMJ est chargée de suivre toutes les constructions, et L’APIJ n’a donc pas été supprimée, mais reconfigurée.
À propos de la carte judiciaire, je tiens tout de même à souligner, sans être désagréable, que certains tribunaux avaient bénéficié d’investissements importants pour se faire plaisir.
Mme Marylise Lebranchu. Vous n’avez pas le droit de dire cela !
Mme la garde des sceaux. Des frais ont été engagés dans certains tribunaux de grande instance alors que, de notoriété publique, ils devaient faire l’objet d’un regroupement. Il ne s’agit pas de faire offense à la droite ou à la gauche, mais certains arbitrages n’ont pas été faits dans l’intérêt général.
Pour établir la carte judiciaire, j’ai retrouvé les travaux de tout le monde – les vôtres, ceux d’Élisabeth Guigou, ceux d’Henri Nallet – pour m’en inspirer. Or un certain tribunal auquel vous faites référence était déjà voué au regroupement dans les travaux d’Élisabeth Guigou !
Mme Marylise Lebranchu. Vous n’avez pas retrouvé malheureusement deux autres documents : l’étude d’impact financière et l’étude d’impact des transferts, notamment quant au nombre de postes récupérés.
Mme la garde des sceaux. Tout sera totalement transparent : une fois les arbitrages rendus notamment en matière immobilière, les chiffres relatifs à la réforme de la carte judiciaire vous seront communiqués. Nous aurons du reste un débat budgétaire, et c’est encore, que je sache, le Parlement qui adopte le budget.
M. Didier Migaud, président de la commission des finances. Encore et toujours !
Mme la garde des sceaux. Il est vrai en tout cas qu’une partie du montant consacré au redécoupage de la carte judiciaire servira à rattraper le retard en matière de mise aux normes de certains tribunaux.
Mme Marylise Lebranchu. Et pourquoi l’ENM n’accueille-t-elle que quatre-vingts magistrats cette année ?
Mme la garde des sceaux. Le nombre total de magistrats reste stable : ce sont les autres voies d’accès qui sont recalibrées.
Mme Marylise Lebranchu. Nous poserons une question écrite pour obtenir des précisions à ce sujet.
M. Didier Migaud, président de la commission des finances. Je vous remercie, madame la garde des sceaux, pour l’extrême précision de vos réponses à ces nombreuses questions.
(La réunion de la commission élargie s’achève à treize heures quinze.)