13 novembre 2008
Préambule
Des représentants de tous
les groupes politiques des deux assemblées parlementaires françaises
ont formé un groupe de travail ayant pour objectif de proposer des
pistes de réforme du système financier international.
Il va de soi que tous les
membres de ce groupe ne portent pas une appréciation identique sur
les origines de cette crise et sur la pertinence du système
économique et financier mondial existant. Toutefois, il leur a
semblé possible de dégager, à partir d’éléments de diagnostic
partagé sur la crise la plus grave que le monde ait connue depuis
1929, une série de propositions d’actions que seules les instances
politiques peuvent impulser.
*
* *
Depuis l’apparition des premières inquiétudes liées aux crédits
qualifiés de « subprimes » au cours de l’été 2007, la crise
n’a cessé de muter. Contrairement à celles qui l’ont précédée depuis
la fin de la seconde guerre mondiale, elle se distingue par son
caractère à la fois général et international.
La crise est générale, parce
qu’elle résulte de l’enchaînement et du cumul de crises multiples :
une crise immobilière, d’origine américaine, qui s’est muée en crise
bancaire et en crise boursière ; une crise de liquidités puis de
solvabilité, qui a provoqué une crise de confiance vis-à-vis de
l’ensemble des établissements de crédits, sans qu’aucun pays ne soit
épargné. Et au bout du compte, par suite d’effets en chaîne qui ont
aussi impliqué les marchés de matières premières, une crise
économique mondiale : la démonstration est faite qu’il n’y a pas,
d’un côté, la sphère financière et, de l’autre, l’économie réelle,
qui allait continuer à fonctionner comme si de rien n’était.
La déformation du partage
des revenus du capital et du travail et le développement
irresponsable du crédit aux Etats-Unis qui lui est lié, a sa part
dans les désordres actuels. Au surplus, les taux de rentabilité à
deux chiffres souvent exigés par les marchés n’étaient pas tenables
à long terme, eu égard au rythme de croissance de l’économie
mondiale. L’hypertrophie des marchés financiers, qui a pu apparaître
comme favorable à la croissance a en fait provoqué, étant donné la
vision à court terme qui sous-tendait nombre d’investissements
financiers, une bulle dont l’éclatement remet en cause la prospérité
de tous.
La crise est ensuite
internationale car c’est aussi celle de la globalisation. La
dérégulation des marchés, si elle a été un facteur d’innovation, a
eu également pour conséquence une opacité et une complexité
croissantes, qui ont affecté la solidité des réseaux interconnectés
que constituent les circuits de financements. Loin de favoriser la
répartition et la mutualisation des risques et, donc, leur
soutenabilité, la titrisation, par ses excès et en dépit d’un
concept pertinent, a fragilisé le système financier mondial. Les
subprimes ont été un révélateur, l’accident sur un segment de la
chaîne financière qui a entraîné toute une suite de courts-circuits
de plus en plus graves, jusqu’à manquer de faire « disjoncter », par
pans successifs, le réseau mondial dans son ensemble. Le transfert
des risques vers le marché est allé de pair avec une
déresponsabilisation des opérateurs et a provoqué une perte de
crédibilité d’un système dont on a pu penser qu’il s’efforçait de
les dissimuler.
L’hypertrophie de la sphère
financière s’est traduite par la multiplication des pratiques à
risques, notamment dans les modalités de rémunération, tant pour les
dirigeants que pour les opérateurs de marché, ainsi que par la mise
en œuvre de règles de nature pro-cyclique. Le rôle des normes
comptables fondées sur les valeurs de marché est, à cet égard,
évident dans la propagation de la crise, même s’il ne va pas de soi
de changer les règles du jeu à un moment critique de la partie.
En tout état de cause, il
est nécessaire de revoir la ligne de partage entre autorégulation et
régulation et de replacer les Etats et donc la politique au centre
du jeu monétaire et financier international.
La crise actuelle s’analyse
en effet comme le résultat de la conjonction d’une double démission
des États face au leadership américain et à la toute
puissance des marchés.
La dérégulation amorcée dans
les années 80 a laissé libre cours aux conceptions anglo-saxonnes,
américaines mais aussi britanniques, des marchés financiers. Par
leur monnaie, le dollar, qui a bénéficié de fait du statut de
monnaie internationale à travers un déficit des paiements sans
limite leur permettant de s’imposer comme l’émetteur d’actifs
dominant, et au moyen d’une politique monétaire qui a facilité
l’inflation immobilière et la constitution d’une bulle financière,
les États-Unis ont imposé leur vision du monde. Il est temps que les
pays européens fassent entendre leur voix.
L’autre renoncement se
constate surtout au niveau de l’Europe. En ne mettant pas en place
des mécanismes de supervision et de régulation financières et
économiques, les Etats membres se sont laissés déposséder au profit
de procédures souvent technocratiques et faisant de plus en plus de
place aux décisions d’instances à caractère professionnel, dont il
est difficile que les membres ne soient pas en conflit d’intérêts.
C’est la remise en cause
d’un certain conformisme intellectuel et la fin d’un laisser-faire
dont les membres du groupe de travail s’accordent à souligner les
limites. Ce retour de l’Etat, il faut l’envisager sur différents
plans.
Au niveau national, un large
accord s’est dégagé pour considérer que les mesures d’urgence
étaient indispensables pour garantir la continuité des activités
bancaires, nécessaire à l’alimentation de l’économie en liquidités,
même si des options différentes se sont exprimées sur le contrôle,
voire la nationalisation des banques. L’usage trop fréquent de la
législation par ordonnance est, par ailleurs, un témoignage du
retrait du politique d’un domaine dont l’importance stratégique ne
lui est pas toujours bien apparue.
Au niveau européen, la
question institutionnelle est posée. L’Europe a-t-elle joué son
rôle ? N’a-t-elle pas trop vite renoncé à ses prérogatives au nom de
la liberté des marchés pour laisser la réalité du pouvoir à des
instances professionnelles sans légitimité politique ?
Au niveau mondial, enfin, le
rôle du Fonds monétaire international doit être revu. Sans négliger
ses fonctions traditionnelles en matière de soutien à des États en
difficulté de balance des paiements, on peut penser qu’en raison de
sa position centrale entre pays industrialisés et en voie de
développement comme par le capital de compétences qu’elle concentre,
cette institution de Bretton Woods est en mesure de
constituer, en liaison avec la Banque des règlements internationaux,
le lieu où peuvent se mettre au point les nouvelles règles du jeu et
se coordonner les différentes instances de régulation.
Les matières abordées
ci-dessous ne sont pas « techniques », elles impliquent des choix
politiques et relèvent à ce titre de la responsabilité des pouvoirs
publics. Elles ne peuvent atteindre leur pleine efficacité que si
elles sont adoptées et mises en œuvre par l’ensemble des pays.
Des réformes à mettre en
œuvre en réponse
à la crise actuelle et pour établir les bases
d’un système financier international rénové
I – Les paradis
bancaires, fiscaux et juridiques
Enjeux et problèmes :
Toute « remise à plat »
du système financier international ne saurait éluder cette question
récurrente, qu’une récente affaire de fraude fiscale réalisée par le
biais de fondations détenues au Liechtenstein a remise en lumière au
début de l’année 2008. Comment peut-on en effet demander aux
contribuables de renflouer les institutions financières en faillite
et laisser dans le même temps ces institutions faciliter la fraude
offshore par le recours aux paradis fiscaux ?
Les enjeux sont importants
en termes d’opacité financière, de blanchiment et d’évasion
fiscale : l’OCDE évoque des montants de placement compris entre
5.000 et 7.000 milliards de dollars dans ces territoires.
Le G20 doit donner
l’impulsion nécessaire en vue de l’établissement d’un protocole
international visant à la transparence financière et à la sanction
des relations avec les territoires non-coopératifs.
Plusieurs éléments
rendent toutefois particulièrement complexe la lutte concrète contre
les paradis fiscaux :
– tout d’abord, il s’agit
d’établir la liste des pays devant être considérés comme des paradis
fiscaux à partir de critères objectifs (la transparence et la
coopération en matière d’échanges d’informations bancaires étant,
naturellement, le point clé) ;
– ensuite, il s’agit d’être
conscient que les intérêts vitaux de plusieurs pays sont en jeu,
dont certains sont membres de l’Union européenne et/ou de l’OCDE ;
– enfin, les négociations ou
sanctions doivent avancer à un rythme comparable avec l’ensemble des
membres, aucun ne souhaitant perdre de la compétitivité par rapport
à ses « concurrents ».
Ce qui pourrait être
fait :
Au niveau mondial :
Le niveau pertinent d’action
est l’OCDE. Le ministre français du budget et des comptes publics et
son homologue allemand ont initié, le 21 octobre dernier, un
renouveau de ses travaux qui doit permettre d’établir une nouvelle
liste de pays classés selon leur degré de coopération.
La question se pose de la
levée du secret bancaire. Il est essentiel que la traçabilité des
mouvements de capitaux puisse être établie. A cet effet, les banques
doivent être tenues de communiquer leurs archives informatiques en
cas d’enquête judiciaire diligentée à partir d’un pays membre. Cette
exigence vaut tout aussi bien aux niveaux européen et national.
Il faut sanctionner les pays
non coopératifs, y compris au travers des entités qui y sont
établies.
Au niveau européen :
Il est nécessaire
d’accélérer la révision de la directive 2003/48/CE du Conseil, du
3 juin 2003, en matière de fiscalité des revenus de l’épargne sous
forme de paiements d’intérêts. Il s’agirait d’étendre le champ des
produits couverts par la directive, et d’identification des
bénéficiaires effectifs des revenus d’épargne afin d’éviter les
dissimulations visant à intercaler certaines structures, comme les
trusts, entre la banque versante et le bénéficiaire final. En effet,
à l’heure actuelle, la directive ne couvre que les particuliers et
certains produits spécifiques.
Il est également nécessaire
de supprimer rapidement le régime dérogatoire dont
bénéficient aujourd’hui plusieurs Etats membres.
Au niveau national :
– renforcer, par des
actions nationales coordonnées, la lutte contre les territoires non
coopératifs (par exemple en augmentant la taxation des capitaux en
provenance de ces territoires, à partir de la notion de présomption
de fraude simple, y compris par la non application d’avantages
fiscaux et en prévoyant la suspension des conventions fiscales) ;
– renforcer les procédures
en matière de lutte contre la fraude en créant un service d’enquêtes
fiscales judiciaires disposant de prérogatives traditionnellement
dévolues aux officiers de police judicaire telles que filatures et
écoutes téléphoniques. Une telle création pourrait intervenir dès la
prochaine loi de finances rectificative ;
– instituer une procédure de
surveillance des flux financiers avec les établissements localisés
dans les territoires non coopératifs.
II – LES ACTEURS FINANCIERS
Enjeux et problèmes :
Certains acteurs, en
particulier les hedge funds et agences de notation, ont été
des courroies de transmission de la crise. Les agences ont failli à
leur mission par des conflits d’intérêts et un défaut de
méthodologie et de diligence, et certains hedge funds ont
amplifié le krach boursier en recourant aux ventes à découvert et
par l’accumulation de positions sur les marchés de gré à gré des
dérivés de crédit.
Des établissements de
crédit, non soumis à la réglementation bancaire, ont
abusivement octroyé du crédit dont le risque de défaut a été
externalisé dans des véhicules structurés hors-bilan, devenus une
source majeure de profit, et ont suradossé les rémunérations à la
performance sans les exposer au risque.
Par ailleurs, certains fonds
d’investissement, en particulier de LBO, ont participé de ce
mouvement de diffusion du risque de crédit par une structuration de
plus en plus complexe de la dette et un relèvement du levier.
Dans ces errements se
retrouvent plusieurs facteurs communs : la sophistication qui a pu
conduire à l’opacité, l’inflation des marchés de gré à gré, le
transfert du risque à la partie la moins informée, l’émulsion du
profit fondée sur un crédit abondant et peu onéreux, le recours au
levier.
1 – Les agences de
notation
Ce qui va être fait :
L’enregistrement européen
des agences de notation, sur le modèle des NRSRO (Nationally
Recognized Statistical and Rating Organizations) américaines,
vient de faire l’objet d’une proposition de règlement communautaire.
La réunion annuelle de l’OICV,
qui s’est tenue à Paris du 26 au 29 mai 2008, a débouché sur un
rapport constituant un nouveau code de conduite applicable aux
agences de notation à qui il est demandé d’être plus transparentes
sur leur méthodologie et ses changements éventuels et de renforcer
la qualité et l’intégrité du processus de notation et de révision
des notes.
Ce qui pourrait être
fait :
– la séparation des
activités de conseil et de notation ;
– le développement du nombre
d’agences pour diversifier un secteur oligopolistique (la même
recommandation vaut pour les cabinets d’audit) ;
– la normalisation des
notations en fonction du type d’actifs : émissions simples et
produits structurés. Pour ces derniers, le critère du risque de
défaut à échéance (la solvabilité) ne suffit pas. Il conviendrait de
mettre au point des indices de volatilité et de liquidité ;
– l’instauration d’une
surveillance, au niveau européen, par le régulateur de marché, qui
pourrait réaliser des contrôles sur place. On peut rappeler que le
Comité technique de l’OICV (Organisation internationale des
commissions de valeurs) a récemment encouragé une plus grande
coordination internationale sur la supervision des agences de
notation.
2 – Les fonds
d’investissement
Ce qui pourrait être
fait :
Au niveau mondial :
– instituer une obligation
de déclaration auprès de l’autorité de marché. Cela permettrait de
localiser et évaluer le degré de risque et mettrait les banques
centrales en mesure de réagir en cas de difficultés sur ce segment ;
– accroître les exigences de
transparence des fonds à l’égard des banques qui reçoivent
les collatéraux des hedge funds en garantie de leurs prêts.
Les normes de Bâle II pourraient également être renforcées de façon
à ce que les fonds apportent des garanties plus solides.
Au niveau européen :
– requérir des hedge
funds établis en Europe des standards minimaux de transparence
et de valorisation régulière des portefeuilles ;
– créer un statut européen
pour les fonds de LBO.
3 – Les rémunérations
des opérateurs de marché, des gestionnaires de fonds et des
dirigeants de sociétés cotées
Ce qui pourrait être
fait, sous forme d’action concertée ou nationale :
– réviser dans un sens plus
strict les recommandations de la Commission européenne du
14 décembre 2004 sur les rémunérations des dirigeants, qui devraient
être précisées quant à leur champ d’application (insertion des « golden
hellos ») et au principe de critères précis de performance et de
prohibition des « indemnités d’échec » ;
– interdire le cumul des
statuts de mandataire et de salarié ;
– demander à la Commission
de formuler une recommandation plus spécifique sur la transparence
de la rémunération des acteurs de marché (traders,
gestionnaires de fonds de LBO en particulier) ;
– encadrer les
rémunérations : les calculer sur un cycle de plusieurs années afin
de privilégier la perspective du long terme ; instaurer un système
de « bonus-malus ».
4 – Les banques
Ce qui pourrait être
fait :
Au niveau mondial :
– relever le niveau de fonds
propres pour certains produits structurés complexes, pour les
risques de défaut et d’événement de crédit et pour les facilités de
crédit accordées aux « conduits » d’émission hors bilan ;
– renforcer la surveillance
prudentielle sur l’identification et la gestion des risques, sur les
exercices de simulation et sur la gestion des engagements de
hors‑bilan et leur déclaration ;
– instaurer l’obligation
d’inscrire dans leurs comptes l’intégralité de leurs risques et
engagements directs et indirects.
Au niveau européen :
– Dans le cadre de la
révision des deux directives sur les fonds propres réglementaires/CRD
du 4 juin 2006 en cours, il conviendrait d’appuyer les propositions
de la Commission européenne qui visent :
> à maintenir au passif des établissements bancaires une part
significative de la créance, avant titrisation, le ratio de 5 %
proposé par la Commission paraissant à cet égard excessivement
faible ;
> à limiter les expositions interbancaires à 25 % maximum des fonds
propres ;
> à poser des critères plus détaillés d’éligibilité des instruments
hybrides comme fonds propres de base et à poser de nouveaux
principes de gestion du risque de liquidité ;
> il importera de veiller à une application homogène des deux
directives dans les États membres.
– Instaurer une obligation
d’information des régulateurs bancaires sur tous les produits
dérivés échangés sur les marchés de gré à gré (credit default
swaps – CDS, collateralised debt obligations – CDO,
contracts for difference – CFD…).
III – Les régulateurs,
superviseurs et organismes internationaux
Enjeux et problèmes :
Le FMI peut acquérir une nouvelle
légitimité et être l’organisme de la supervision financière
mondiale. Ses missions et sa représentativité doivent être
réformées.
Au niveau européen, les comités de
régulateurs de niveau 3 (Comité européen des contrôleurs bancaires
– CEBS –, Comité européen des régulateurs de valeurs mobilières – CESR
– et Comité européen des assurances et des pensions professionnelles
– CEIOPS), dans le cadre du « processus Lamfalussy », ne sont pas
assez opérationnels mais des mesures de coordination des régulateurs
nationaux figurent dans les priorités de l’agenda financier de la
Présidence française de l’Union européenne.
Au plan national, les abus ont été
manifestement facilités par la grande fragmentation des autorités
américaines et les interstices de non-régulation, et le modèle
unique type FSA s’est montré défaillant dans la gestion de la
faillite de Northern Rock. En France, le projet de rapprochement des
régulateurs bancaire et assuranciel fait l’objet d’un groupe de
travail qui doit rendre son rapport d’ici la fin de l’année.
Il faut passer d’un modèle structuré par
secteurs à un modèle reposant sur la nature et l’ampleur des
risques. La coordination des régulateurs nationaux, qui s’est
intensifiée dans un foisonnement d’instances, doit également être
simplifiée et mieux formalisée.
Ce qui est prévu :
Au niveau européen :
– la mise en place d’une
supervision bancaire consolidée pour les grandes banques
transnationales par l’institution de collèges de superviseurs.
Au niveau national :
– Le rapprochement entre l’ACAM
et la Commission bancaire.
Ce qui pourrait être
fait :
Au niveau mondial :
– faire du FMI le lieu de
coopération et de décision des États sur les équilibres
macro-économiques mondiaux et la stabilité monétaire ;
– tendre à une harmonisation
des règles prudentielles applicables aux États‑Unis, en Europe, mais
aussi dans les pays émergents ;
– renforcer, sous l’égide du
FMI, la coordination des régulateurs et des superviseurs nationaux
bancaires et boursiers.
Au niveau européen :
– Une transmission par les
banques à la BCE, directement ou via les banques centrales
nationales, d’informations sur leurs engagements, afin d’acquérir
une perception consolidée et de disposer d’un « tableau de bord »
des risques ;
– renforcer la coopération
entre les superviseurs nationaux.
IV – Les normes
comptables, la transparence et la sincérité des comptes
Enjeux et problèmes :
Les normes IFRS sont
critiquées pour leur caractère procyclique qui crée un « effet de
ciseaux » : nécessité de provisionner massivement des pertes
latentes assises sur la valeur de marché, malgré la possibilité de
lui substituer une valeur déterminée par des modèles mathématiques,
et d’augmenter les fonds propres pour respecter le ratio de
solvabilité face à un passif croissant. Ces normes, qui permettent
en temps normal de disposer d’une évaluation sincère et pertinente,
ont donc contribué à amplifier la crise.
Ce qui a été fait :
Sous la menace d’une mesure
de suspension de la norme IAS 39 applicable aux banques, l’IASB a
adopté, en urgence, le 13 octobre dernier, une mesure analogue à
celle qu’avaient déjà décidé la SEC américaine et le FASB en
autorisant le reclassement d’actifs du portefeuille de négociation (trading
book) en portefeuille bancaire (banking book),
c’est-à-dire le portefeuille de créances conservées à échéance, avec
un effet rétroactif au 1er juillet 2008, donc sur les
comptes du troisième trimestre.
L’IASB a également autorisé
« dans la situation actuelle de stress » une nouvelle méthode de
valorisation qui tient compte du risque de défaut et de liquidité
ainsi que de l’écart de rendement d’un actif et du taux d’intérêt de
marché.
Ce qui pourrait être
fait, en coordination avec les États-Unis :
– prolonger
les reclassements pour les rendre applicables à la clôture de
l’exercice 2008 ;
– conserver cette
possibilité de transfert d’un portefeuille à un autre en cas de
situation de stress ;
– envisager le renforcement
du European Financial Reporting Advisory Group (EFRAG) en
amont de la production et de l’interprétation des normes, afin de
servir de contrepoint à l’IAS Board dont la gouvernance est
critiquée ;
– distinguer les types
d’actifs, la valeur de marché s’appliquant aux actifs boursiers mais
non aux actifs obligataires acquis pour être conservés. Il
conviendra d’assurer l’harmonie des normes IAS, en particulier la
norme IAS 4 relative à la comptabilisation des passifs à la juste
valeur, avec celles de la directive Solvabilité II (Solvency II).
V – les Produits et la
titrisation
Enjeux et problèmes :
Les dérivés de crédit, non
standardisés et échangés de gré à gré (marchés over the
counter – OTC) ont été largement utilisés dans le processus de
titrisation et sont au cœur du déclenchement de la crise. Le risque
de crédit est devenu une source de profits élevés, en particulier
avec les CDS et, dans une économie de dette, les dérivés de crédit
ont été banalisés dans les transactions financières et les OPCVM.
Ils se sont accumulés de façon exponentielle (le montant notionnel
des CDS était évalué à 54.600 milliards $ fin juin 2008) et sans
chambre de compensation. L’enjeu majeur réside donc dans la
standardisation des contrats, la transparence des encours et la
centralisation du règlement-livraison.
Ce qui est en cours :
– la réserve fédérale de New
York a réuni début octobre les intervenants du marché des dérivés de
crédit pour les appeler à créer une chambre de compensation unique ;
– certaines places de marché
(Eurex, NYSE Euronext via sa filiale dédiée aux dérivés Liffe
et sa chambre de compensation LCH.Clearnet, le Chicago Mercantile
Exchange associé au fonds Citadel, ou la plate-forme électronique
Intercontinental Exchange) travaillent sur la création de
plates-formes de clearing des CDS, qui impliqueront leur
listing pour le règlement-livraison ;
– une plate-forme dite de
« compression des ordres » sur les CDS américains et européens
devrait voir le jour, à l’initiative de l’International Swaps and
Derivatives Association (ISDA) et de 13 banques.
Ce qui pourrait être
fait :
Au niveau mondial :
– inciter l’ISDA à mettre en
place un contrat-type standardisé de CDS, comportant des exigences
élevées de valorisation ;
– limiter la spéculation en
imposant des appels de marges et en restreignant l’accès aux marchés
stratégiques des matières premières.
Au niveau européen :
– instaurer une obligation
de rapport annuel à la charge de l’établissement qui a titrisé la
créance ou de l’agence de notation qui a noté le produit, informant
du contenu et de l’évolution des créances ;
– introduire une
homogénéisation à l’échelle européenne des statuts des véhicules de
titrisation et entreprendre une réforme concertée du secret
bancaire ;
– rendre obligatoire
l’information des autorités de réglementation prudentielle des
paramètres et tests de dépréciation utilisés concernant les modèles
mathématiques de valorisation des actifs ;
– évaluer les effets de la
suppression du principe de concentration des ordres sur les marchés
réglementés qui pourrait accroître les espaces de non-régulation, en
particulier s’ils venaient à proposer des transactions sur produits
dérivés. Si besoin, revenir sur les dispositions de la directive MIF
correspondantes ;
– dans un souci de
protection des investisseurs « classiques » : fixer des règles
d’acquisition de produits titrisés pour les secteurs des assurances,
des OPCVM, des mutuelles et des collectivités territoriales, qui
n’incluraient dans leur portefeuille que des actifs titrisés de
premier niveau, rendant possible la connaissance de la créance
sous-jacente et donc l’appréciation du risque par l’investisseur.
Paris, le 13 novembre 2008
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