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Groupe de travail Assemblée nationale - Sénat
sur la crise financière internationale

Propositions de réformes du système financier international

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Dans le prolongement de sa note du 13 novembre 2008, le groupe de travail appuie les initiatives européennes récentes en souhaitant leur inclusion au sein de lignes directrices arrêtées au niveau du G20 et soumet des propositions concrètes sur trois volets donnant lieu à des travaux au sein des commissions des finances : les paradis fiscaux, la supervision internationale et la régulation financière.

La crise a mis en évidence les limites et les effets pervers de l’auto-régulation. Le groupe de travail rappelle la nécessité d’affirmer la primauté de la régulation et de replacer les États – et donc le politique – au centre du jeu monétaire et financier international.

I. Assainir les relations avec les paradis fiscaux, bancaires et réglementaires 

L’opacité des paradis fiscaux, bancaires et réglementaires pose trois types de problèmes : une fraude et une évasion fiscales qui se traduisent par une perte de recettes fiscales substantielle pour les autres États ; des moyens de blanchir l’argent sale par l’absence de traçabilité des flux et d’identification des bénéficiaires effectifs ; une sous-réglementation qui entraîne des risques de déstabilisation du système financier mondial. Chacun de ces aspects relève d’une instance internationale, respectivement l’OCDE, le GAFI et le Forum de la stabilité financière (FSF).

À cet égard, il est essentiel que les États prennent des mesures tendant à éviter qu’une régulation lacunaire ne soit utilisée pour développer des pratiques d’optimisation fiscale et financière préjudiciables aux États, au système financier international et aux équilibres économiques mondiaux. Toutefois, la lutte contre les paradis fiscaux passe aussi par un changement profond des pratiques de gouvernance des entreprises.

La France et l’Allemagne ont exprimé leur volonté dans ce domaine. Outre les modalités particulières d’imposition pour lutter contre la concurrence fiscale dommageable, ils avancent à raison la nécessité de s’attaquer aux poches d’opacité en invitant les juridictions concernées à plus de transparence et de régulation. Cette politique – qui doit être endossée par l’ensemble des membres du G20 ‑ devra s’accompagner, pour être crédible, de mesures dissuasives et de sanctions à activer de manière coordonnée à l’encontre des juridictions qui refuseraient de coopérer. Après une première période de pression exercée avec succès sur ces juridictions, la réunion du 2 avril 2009 apparaît comme le moment décisif de franchissement d’une étape supplémentaire en démontrant que les États sont unis dans la lutte contre l’opacité financière, et s’accordent sur des méthodes et des contre-mesures dans une action de long terme.

PROPOSITIONS AU NIVEAU MONDIAL :

1) En direction des juridictions non coopératives

– Donner mandat à l’OCDE, au FSF et au GAFI, de produire chacun une liste de juridictions non coopératives et d’assurer le suivi de la mise en œuvre effective des engagements pris. Ce suivi, dont le G20 doit établir les principes et assurer la supervision, pourrait prendre la forme d’une mise à jour annuelle des listes rendues publiques, complétée par la possibilité d’inscrire à tout moment une juridiction qui ne satisferait pas aux critères de coopération. Donner mandat à ces mêmes organisations d’établir une gradation des contre-mesures et sanctions.

– Procéder à la conclusion rapide d’accords d’échange de renseignements ou à la renégociation des conventions fiscales pour y intégrer l’article 26 du modèle de convention OCDE, qui établit une obligation d’échanger les renseignements pertinents pour assurer le respect des lois fiscales nationales, y compris en levant le secret bancaire. À défaut, suspendre de manière coordonnée les conventions fiscales liant la juridiction non coopérative à des membres du G20.

– Mettre en œuvre les instruments internationaux anti-corruption tels que les Conventions des Nations Unies Contre la Corruption (CNUCC) et de l’Union Africaine (CUA) en achevant le processus de leur ratification et en instituant des mécanismes extérieurs de surveillance de leur application par les États.

– Prévoir un examen spécifique par le FMI de la situation des juridictions qui présentent une proportion prépondérante d’activités financières.

2) En direction des agents économiques résidents des États du G20

– Imposer des obligations d’information sur leurs activités opérées dans les juridictions non coopératives (produits, filiales, succursales) au travers par exemple d’une annexe à leur rapport annuel certifié, relative aux activités conduites, aux montages utilisés, aux entités impliquées et aux risques induits. Ces informations doivent notamment permettre aux administrations fiscales d’exercer un contrôle sur les flux financiers induits par certaines pratiques courantes entre sociétés d’un même groupe, telles que la surfacturation de biens ou services et le versement de primes à des compagnies d’assurances captives.

– Imposer des obligations comptables et prudentielles aux entités, fonds compris, exerçant des activités en relation avec des juridictions non coopératives, en établissant des contraintes de fonds propres spécifiques et des obligations de tenue de comptes.

– Alourdir la taxation des opérations en lien avec les juridictions non coopératives figurant sur la liste de l’OCDE (retenue à la source, imposition des revenus réalisés à l’étranger, limitation des exemptions etc.), sauf le cas échéant à ce que le contribuable apporte la preuve que ses opérations n’ont pas pour but essentiel d’échapper à l’impôt et se soumette, s’agissant des personnes morales, à des obligations fortes de transparence incluant le contrôle sur pièces et sur place par le régulateur et le superviseur.

– Instituer une obligation de déclaration de tout mouvement financier vers des juridictions non coopératives, des ouvertures de comptes pour des résidents d’États du G20 dans ces juridictions et des montages réalisés par des sociétés financières ou non financières au profit de leurs clients résidents de ces États, pour elles-mêmes ou leurs sociétés liées.

– Autoriser le rapatriement sans sanction pénale mais sans amnistie fiscale des avoirs détenus et revenus localisés dans des juridictions qui, au terme d’un délai de six mois suivant la publication des listes noires, y figureraient encore.

3) En direction des agents économiques domiciliés dans les paradis fiscaux

– Généraliser, lorsqu’une entité établie dans une juridiction non coopérative souhaite s’implanter dans un Etat du G20, le système des agréments et de l’intermédiaire qualifié, imposant :

o       le respect des normes prudentielles et de supervision de l’Etat d’accueil, à l’entité concernée et ses sociétés liées, avec institution d’un droit de suite ;

o       la divulgation des avoirs détenus ou revenus localisés dans les juridictions non coopératives dont le bénéficiaire effectif est un résident d’un État du G20.

– Interdire la distribution d’actifs par des entités établies dans une juridiction non coopérative pour l’épargne grand public.

– Alourdir la taxation applicable aux flux entre une entité et sa société mère ou des sociétés liées, lorsque ces dernières sont établies dans les juridictions non coopératives.

– Interdire l’accès des bateaux battant pavillon de complaisance enregistrés dans les juridictions non coopératives.

4) Manifester l’unité des membres du G20 dans une lutte de long terme

– Élever au rang de normes internationales les critères utilisés par les instances internationales précitées pour qualifier une juridiction non coopérative ou présentant un risque systémique du fait d’une régulation et transparence insuffisantes (tenue d’une comptabilité, enregistrement et identification des bénéficiaires effectifs, qualité du régulateur et du superviseur, fréquence et qualité de la coopération avec les autorités étrangères, etc.).

– Renforcer les modalités de la coopération entre les autorités des membres du G20 : coopération entre administrations fiscales, entre les cellules de renseignement, entre les superviseurs et entre les régulateurs en direction des juridictions non coopératives et enfin, renforcer la capacité à procéder à des enquêtes communes.

–  Renforcer la coordination entre les instances internationales (OCDE, FSF, le et FMI) quant au suivi de la situation et du respect des engagements pris.

– En cas d’échec de l’ensemble de ces contre-mesures et de persistance de juridictions particulièrement opaques, prévoir la possibilité pour l’ensemble des États de suspendre tout flux avec ces juridictions (embargo financier).
 

II – L’architecture de la supervision internationale 

Un mouvement existe en faveur de la création d’un véritable échelon de supervision internationale, essentiellement par un renforcement du FMI et du Forum de la stabilité financière (FSF) sous le contrôle des États membres du G20, enceinte qu’il convient d’institutionnaliser comme instrument principal de supervision internationale. L’attribution d’un véritable pouvoir normatif à ce niveau doit être défendue même si un consensus semble difficile[1]. Il est nécessaire, d’amont en aval, de soumettre tous les pays à des inspections et évaluations régulières, de disposer d’une connaissance précise de l’ampleur et de la nature des flux financiers, d’identifier les facteurs de risque et d’établir une « courroie de transmission » avec les régulateurs nationaux pour qu’ils prennent, le cas échéant, les réglementations qui s’imposent.

Au niveau européen, il s’agirait d’appliquer les recommandations du groupe d’experts présidé par Jacques de Larosière pour renforcer la surveillance européenne :

– au niveau macro-prudentiel par la création d’un Conseil européen du risque systémique, qui remplacerait le Comité de supervision bancaire de la BCE et associerait les 27 gouverneurs des banques centrales, les 3 comités de niveau 3 (assurances, banques, marchés) et la Commission européenne ;

– et au niveau micro-prudentiel par la transformation des actuels comités de niveau 3 en quasi-autorités européennes sectorielles, dotés de pouvoirs substantiellement renforcés dans le cadre d’un Système européen de supervision financière[2]. Ces attributions auraient dans de nombreux cas un caractère impératif et non plus consultatif, et supposeraient donc de sortir de l’actuelle logique de l’unanimité. 

PROPOSITIONS AU NIVEAU MONDIAL :

1) Étendre le mandat du FMI à la surveillance des marchés et acteurs financiers, au niveau global et dans chaque Etat actionnaire. Les statuts du FMI pourraient ainsi être révisés par l’insertion de dispositions relatives aux « Obligations concernant la stabilité du secteur financier », sur le modèle de l’actuel article 4 relatif aux « Obligations concernant les régimes de change ». Cet article prévoirait notamment l’obligation de se soumettre à des inspections régulières du FMI sur place, portant sur l’étendue des risques bilantiels et la qualité du contrôle des autorités.

2) Renforcer l’effectivité du Financial Sector Assessment Program (FSAP), programme conjoint du FMI et de la Banque mondiale, et des préconisations des rapports associés sur le respect des standards et codes (Reports on the Observance of Standards and Codes – ROSCs). 

3) Faire mieux relayer les observations du FSF (qui a déjà produit nombre de constats et recommandations sur les vulnérabilités du système financier) par les organismes internationaux sectoriels (Comité de Bâle, OICV, IASB, BCE…) et les régulateurs nationaux qui en sont membres, afin d’aboutir à une convergence des standards de régulation.

4) Améliorer la représentativité des pays émergents au FMI et au FSF afin de renforcer leur légitimité et l’acceptabilité de leurs nouvelles missions. Cela implique de poursuivre la révision des quotas du FMI, parallèlement à l’augmentation de ses ressources, et d’élargir la composition du FSF au Brésil, la Chine et l’Inde[3].

5) Renforcer le rôle des régulateurs à l’égard des établissements financiers qui, par leurs dimensions et leur caractère transnational, présentent un risque systémique majeur pour le système financier mondial. Identifier et évaluer les risques résultant de la concentration des activités au sein de ce type d’établissements.

6) Accentuer, à défaut de normes communes à l’échelle internationale, les efforts de reconnaissance mutuelle des principes de régulation entre l’Europe, les États-Unis, et au-delà la Chine et les grandes places financières.

7) Établir une « cartographie mondiale des risques », qui ferait l’objet d’un rapport annuel conjoint FMI-FSF-BRI et donnerait lieu à l’alimentation d’une base de données interconnectée des transactions financières internationales sur tous les marchés (réglementés, organisés et de gré à gré). Cette base serait déclinée au niveau européen, avec l’obligation pour les banques de transmettre aux banques centrales nationales, puis à la BCE selon un reporting élargi, des informations sur leurs engagements (en particulier hors-bilan).

8) Élargir le mandat, les objectifs et les outils des banques centrales, au‑delà du suivi de la masse monétaire, à celui de l’évolution du prix des actifs financiers et immobiliers dont il s’agit d’éviter l’inflation. Leur pouvoir d’alerte en cas de formation de bulles s’en trouverait renforcé. 

 

III – La régulation des produits et acteurs financiers

Il est nécessaire de mettre en place sous le contrôle du G20 des procédures permettant de disposer d’une connaissance complète des acteurs et de leur exposition sur les marchés, d’harmoniser les principes de suivi et de contrôle des risques, de mettre en place des incitations saines et de nature à limiter l’effet de levier et les bulles de crédit ou d’actifs.  

PROPOSITIONS AU NIVEAU MONDIAL : 

1) Accélérer l’adoption par les États et les membres de l’Union européenne d’un ensemble de règles applicables aux agences de notation avec reconnaissance mutuelle des processus d’enregistrement, qui serait d’ailleurs facilitée s’agissant des États-Unis et de l’Union européenne si était modifiée la proposition de règlement européen sur les conditions de l’enregistrement[4].

2) Instaurer une procédure analogue d’enregistrement des hedge funds. Sans chercher à plafonner arbitrairement le niveau de leur levier, ces derniers devraient également communiquer aux banques qui leur octroient des prêts le niveau consolidé du levier sur leur portefeuille.

3) Prévoir, pour les hedge funds comme les fonds de capital-investissement, des normes européennes harmonisées de valorisation des portefeuilles et de bonnes pratiques de reporting aux clients.

4) Prévoir des standards communs sur les rémunérations des acteurs de marché (traders et arrangeurs) et des gestionnaires de fonds (« carried interest »)

5) Aménager les lignes directrices du Comité de Bâle en matière de normes prudentielles et la directive européenne sur les fonds propres réglementaires (dite « directive CRD ») du 14 juin 2006, afin de :

o     préciser la définition des fonds propres et des ratios Tier One et Tier Two, en particulier s’agissant de l’éligibilité des instruments hybrides, pour mettre fin aux divergences d’interprétation et assurer la comparabilité des informations sur la solvabilité ;

o     préciser la périodicité et la méthodologie de la Value at Risk (VaR) des activités de marché et des « stress tests » que les banques doivent mettre en œuvre ;

o     affiner la pondération des éléments hors-bilan et des produits structurés en fonction de leur risque réel ;

o     prévoir la constitution progressive de sur-provisions en période de croissance du crédit ;

o     fixer à au moins 10 % le ratio de maintien au bilan des créances titrisées et interdire la titrisation intégrale des prêts ;

o     accroître les exigences d’information sur les créances titrisées dans les rapports annuels des banques et des agences de notation. 

6) Modifier le régime des normes comptables afin de :

o     réduire leur procyclicité en limitant l’application de la valeur de marché aux actifs qui le justifient et en pérennisant la possibilité de déroger à la règle de la valeur de marché en cas de fonctionnement non satisfaisant du marché (reclassement au « banking book » en cas d’illiquidité). Etendre ces facultés au secteur des assurances ;

o     fixer dans la norme comptable des principes fiables et précis d’évaluation des instruments financiers en cas de marché illiquide, en particulier pour les instruments financiers complexes, et renforcer les obligations d’information sur les méthodes d’évaluation des instruments financiers alors utilisées ;

o     renforcer les liens entre les instances de normalisation prudentielles (comme le comité de Bâle), les autorités de régulation bancaire et le normalisateur comptable international, notamment via une présence de celles-ci au sein du futur « conseil de surveillance » de l’IASC (International Accounting Standards Committee), et renforcer la coordination des normalisateurs nationaux en amont du processus normatif.

7) Instaurer, dans les meilleurs délais, une chambre de compensation des instruments dérivés négociés de gré à gré (OTC), en particulier des dérivés de crédit. Une telle chambre pourrait être gérée en Europe par la BCE, qui dispose déjà de l’expérience acquise avec Target II Securities [5]. Parallèlement, promouvoir les travaux de l’ISDA en faveur d’une plus grande standardisation de ces contrats OTC. Standardisation et compensation centralisée devraient ainsi, à terme, accélérer le passage de ces produits à des marchés organisés.

8) Harmoniser autant que possible au niveau mondial, sous l’égide de l’Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV) puis du FSF, les principes déterminant le fonctionnement et la transparence des marchés : franchissements de seuil, ventes à découvert, définition des investisseurs qualifiés…

9) Clarifier la responsabilité des dépositaires et sous-dépositaires de fonds, sur le modèle de la réglementation française (obligation de restitution des actifs sur demande des investisseurs).

10) Mettre en place une séparation effective des activités de banque de dépôt et de banque d’investissement, afin de mieux cantonner les risques. Ces métiers devraient relever de sociétés et groupes bancaires distincts, sans possibilité de consolidation comptable.

 


 


[1] L’application des recommandations du Groupe d’action financière (GAFI) et du Comité de Bâle illustre cependant l’autorité réelle que peuvent exercer ces entités sans pouvoir normatif.

[2] Il s’agit finalement de poursuivre, en allant plus loin, la démarche initiée sous présidence française de l’UE, mais qui n’avait pu se traduire par un réel renforcement des comités.

[3] Actuellement, outre les pays du G7 (avec 3 représentants par pays), 4 pays et territoires (un représentant chacun) sont représentés parmi les invités « ad hoc » : l’Australie, Hong-Kong, les Pays-Bas et Singapour.

[4] Le processus d’enregistrement pourrait prévoir la compétence du CERVM pour le dépôt, l’instruction et l’octroi, les autorités nationales étant mandatées pour collecter les informations et effectuer des contrôles sur les succursales. Cette formule novatrice présenterait les avantages suivants : levier de renforcement de ce comité de niveau 3, nouvelles ressources financières, lisibilité et capacité de dialogue avec les États-Unis dans la perspective d’une reconnaissance mutuelle avec le processus NRSRO américain.

[5] Système homogène et centralisé pour les paiements de gros montants, supérieurs à 12.000 euros.

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Voir aussi :

Contributions de membres du groupe de travail

Présentation et composition du groupe de travail


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