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Mission d’information relative à l’analyse des causes des accidents de la circulation et à la prévention routière

Mardi 6 septembre 2011

Séance de 17 heures 10

Compte rendu n° 16

Présidence de M. Armand Jung, Président

Table ronde, ouverte à la presse, sur le problème spécifique des jeunes

– M. Jean Yves Salaün, délégué général de l'Association Prévention routière

– M. Ahmed Lel Khadiri, délégué général de Animafac

– M. Philippe Loup, président de la Fédération générale des associations étudiantes (Fage)

– M. Marc Meunier, sous directeur de l'éducation routière - Ministère de l'Écologie, du Développement durable, des Transports et du Logement (DSCR)

– M. Jean-Pascal Assailly, chargé de recherche à l'IFSTTAR et M. Sylvain Lassarre, directeur de recherche

Table ronde, ouverte à la presse, sur le problème spécifique des jeunes réunissant :

- M. Jean Yves Salaün, délégué général de l'Association Prévention routière ;

- M. Ahmed Lel Khadiri, délégué général de Animafac ;

- M. Philippe Loup, président de la Fédération générale des associations étudiantes (Fage) ;

- M. Marc Meunier, sous directeur de l'éducation routière -Ministère de l'Écologie, du Développement durable, des Transports et du Logement (DSCR); 

- M. Jean-Pascal Assailly, chargé de recherche à l'IFSTTAR et M. Sylvain Lassarre, directeur de recherche.

La table ronde débute à dix-sept heures dix.

Présidence de M. Armand Jung, président.

M. le président Armand Jung. Je vous remercie de votre présence et vous propose que chacun se présente rapidement, après quoi nous passerons à la discussion de fond. Le rapporteur et moi-même serons très attentifs à vos analyses et à vos suggestions car nous serons ensuite amenés à déposer des conclusions et à adresser des propositions au gouvernement, probablement dans le courant du mois d’octobre.

Le problème des jeunes est apparu de façon récurrente au cours de nos travaux, les uns criant haro à leur encontre, les accusant notamment de rouler trop vite, d’autres formulant des opinions plus nuancées. Votre expertise, à partir de votre connaissance du terrain, et vos observations nous serons donc précieuses.

M. Jean-Pascal Assailly, chargé de recherche à l’IFSTTAR. Je travaille depuis vingt-cinq ans sur les accidents de la route des quinze – vingt-cinq ans. J’essaierai donc de vous transmettre des informations pouvant déboucher sur des pistes d’action en matière de prévention.

M. Sylvain Lassarre, directeur de recherche à l’IFSTTAR. Statisticien de formation, je travaille tout particulièrement sur la modélisation du risque pour les jeunes conducteurs. Nous avons à cet égard mené une grande enquête, de 2002 à 2005, dont je vous présenterai les grandes lignes. Sur cette base, j’évoquerai les moyens d’une politique efficace pour lutter contre les accidents de la route.

M. Marc Meunier, sous-directeur de l’éducation routière au ministère de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement. Au sein de la délégation à la sécurité et à la circulation routières (DSCR), ma sous-direction prend en charge les questions relatives à la formation des conducteurs, en amont comme en aval du permis de conduire, ainsi que la gestion des inspecteurs qui le délivrent.

M. Ahmed Lel Khadiri, délégué général de Animafac. Notre réseau d’associations étudiantes mène, depuis plus de dix ans, des actions à la fois de sensibilisation et de formation sur les différents thèmes de la sécurité routière et, plus largement, sur la prévention des conduites à risque.

M. Philippe Loup, président de la fédération générale des associations étudiantes (FAGE). Nos associations travaillent aussi sur les questions de sécurité routière depuis bientôt une vingtaine années, en mettant l’accent sur leur interaction avec les activités festives. Nous explorons de nouvelles pistes sur les notions de conduite responsable et de développement durable.

M. Jean-Yves Salaün, délégué général de l’association prévention routière. Notre association agit sur l’ensemble du territoire national par l’intermédiaire de ses 101 comités départementaux. L’éducation routière constitue l’essentiel de notre mission. Nous militons en faveur de son renforcement dans le milieu scolaire, souhaitant notamment qu’une heure d’éducation routière par mois soit programmée tout au long du cursus scolaire.

Par ailleurs cela fait maintenant douze ans que nous avons essayé de créer en France le réflexe dit du capitaine de soirée, ou SAM.

M. le président Armand Jung. Venons en à la discussion de fond.

M. Jean-Pascal Assailly. J’ai préparé à votre intention un document dans lequel figure l’essentiel de ce qu’il faut savoir sur le problème des jeunes et des accidents de la route.

Les jeunes sont plus nombreux que par le passé en raison de l’accroissement du taux de natalité, ce qui augmente automatiquement le nombre des accidents les affectant. Ils représentent aujourd’hui 15% de la population mais 25% des tués sur la route et 31% des blessés graves. Ce sur-risque coûte très cher à la société : il est évalué à 1,7 millions d’euros par personne en intégrant tout ce que le jeune aurait pu apporter à la collectivité s’il avait accompli son espérance de vie. On constate aussi une tendance des accidents mortels à frapper à un âge de plus en plus bas, pour des raisons à la fois biologiques et psychologiques.

Le sur-risque jeune existait déjà dans l’Egypte ancienne et existera probablement encore dans 2000 ans. On constate en effet, dans l’histoire de l’humanité, une tendance constante et quasiment naturelle à la mise en danger de soi entre quinze et vingt-cinq ans.

M. le président Armand Jung. Dans l’antiquité, et pendant très longtemps, la surmortalité des jeunes résultait davantage des guerres que des accidents de chars.

M. Jean-Pascal Assailly. Certes, mais les tablettes égyptiennes déploraient déjà le caractère incivil des adolescents à la sortie des tavernes, où ils consommaient beaucoup de bière et se comportaient plus mal que les adultes.

Il faut donc prendre garde à ne pas porter un regard trop négatif sur l’attitude des jeunes : « il faut bien que jeunesse se passe ».

Notre tableau montre qu’au pic de l’insécurité routière, en 1972, sur 16 000 tués, 4000 étaient des jeunes ; en 2000, sur 8 000 tués, 2 000 étaient des jeunes ; aujourd’hui, grâce aux progrès récemment réalisés, sur 4000 tués, 1000 sont des jeunes. On observe donc un taux constant de 25%. Par conséquent, les jeunes se comportent de la même façon que la population de référence : mieux que les générations précédentes et dans la même proportion. Il n’existe donc aucune raison de se monter particulièrement pessimiste, stigmatisant ou répressif à leur égard. Les mesures générales de sécurité routière produisent les mêmes effets quelles que soient les classes d’âges. En fait, le sur-risque jeune « coulisse » depuis les débuts de l’humanité, et tout progrès systémique entraîne des conséquences analogues, aussi bien sur les jeunes que sur les autres tranches de la population.

M. Jérôme Lambert. Cela signifie-t-il que toutes les politiques visant à cibler les jeunes sont inutiles ?

M. Jean-Pascal Assailly. C’est, en effet, mon premier message : arrêtons de cibler les actions en fonction de l’âge et prenons des mesures générales efficaces pour l’ensemble de la population. Leurs effets sur les jeunes seront les mêmes. Mais cela ne doit pas nous empêcher de prendre des mesures spécifiques concernant, par exemple, le port du casque à cyclomoteur ou la consommation de cannabis.

Mon observation générale est également valable pour les personnes âgées.

En revanche, on constate de grandes différences entre hommes et femmes. Parmi les jeunes, huit tués sur dix sont des garçons et, sur les deux filles, l’une se trouvait être la passagère d’un conducteur masculin. La responsabilité des accidents mortels s’établit donc à neuf contre un selon le sexe ; le retour de discothèque chez les jeunes jouant à peu près le même rôle que le retour de mariage chez les plus vieux.

Le principal déterminant des accidents de la route s’impute à la tenue du volant par un homme ou par une femme. Le reste est presque négligeable.

M. le président Armand Jung. Un de nos axes de réflexion porte précisément sur la possibilité de cibler des actions ou de communiquer sur cette question des hommes et des femmes.

M. Jean-Pascal Assailly. Si l’on ne peut, évidemment, toucher aux différences biologiques entre hommes et femmes, on peut, en revanche, prendre en compte des facteurs psychologiques tels que la masculinité exagérée au volant, l’adhésion aux stéréotypes propres au sexe et la façon dont l’éducation parentale la construit ou l’encourage. Car les hommes et les femmes n’ont pas du tout les mêmes problèmes au volant ; ils ne commettent pas les mêmes fautes de conduite. On retrouve d’ailleurs des différences de même nature en matière de maladies infantiles, d’accidents domestiques, de comportements dans le sport, de délinquance, de coups et blessures … On en viendrait à préconiser des routes pour garçons, comme il existe des écoles pour garçons. Sans tomber dans cette caricature, on pourrait envisager une formation et une prévention « à la carte » afin de prendre en compte le facteur le plus important – et de loin – de l’insécurité routière. De fait, on se limite aujourd’hui à le relever sans mener aucune action en rapport. La formation, à l’école comme à l’auto-école, l’examen pour le permis de conduire, ainsi que les stages de récupération de points de permis sont les mêmes pour les garçons et pour les filles, alors qu’ils n’ont pas les mêmes problèmes à surmonter. L’infraction prédomine chez les hommes, l’erreur chez les femmes.

On sait aussi que le milieu social exerce une influence importante dans l’enfance comme dans l’âge adulte, sur des questions aussi diverses que la santé, la sécurité, la réussite scolaire et sociale. Or, entre quinze et vingt-cinq ans, les jeunes issus de milieux favorisés présentent autant de risques routiers que les autres. Ils s’estiment magiquement protégés. L’ensemble des statistiques relatives aux accidents de la route et de sport, à la consommation d’alcool et de cannabis, aux suicides, aux dépressions et à l’anxiété, montre que les jeunes bourgeois présentent autant, sinon davantage, de risques que ceux des milieux défavorisés. Nous avons donc un message préventif important à adresser à ces jeunes, comme à leurs parents, pour leur expliquer que leur milieu social ne les protège pas.

M. Sylvain Lassarre. La grande enquête que j’ai évoquée fut financée par trois partenaires : la fédération française des sociétés d’assurances (FFSA), la direction de la sécurité routière (DRS) et l’institut national de recherche sur les transports et leur sécurité (INRETS), dans le cadre du contrat passé entre l’État et le secteur des assurances. Elle a permis d’améliorer notre connaissance de la conduite automobile chez les jeunes.

Ainsi, nous savons que 40% d’entre eux passent le permis de conduire dès dix-huit ans et que 73% l’ont obtenu à vingt ans. Les garçons le présentent plus tôt que les filles, en moyenne de quatre mois. L’apprentissage accompagné de la conduite accélère l’accès au permis et favorise le taux de réussite à l’examen. En moyenne, les titulaires du permis de conduire l’ont passé 1,7 fois.

L’accès au permis de conduire coûte cher : environ 5 à 600 euros lors de l’enquête, mais on parle aujourd’hui de 1 500 euros.

Quant à l’accès à l’automobile, il n’est pas immédiat. Environ un tiers des dix-huit – vingt-cinq ans sont des emprunteurs de véhicules, à des parents ou à des amis ; les possesseurs de véhicules représentent un autre tiers ; le dernier tiers concerne les conducteurs mixtes : à la fois possesseurs et emprunteurs.

Les jeunes disposent le plus souvent de véhicules très anciens, d’une moyenne d’âge d’environ dix ans, avec des incidences sur la gravité des blessures car ils assurent une moindre protection en cas de choc, et peu puissants, entre 4 et 5 chevaux fiscaux. C’est pourquoi je conteste le mythe des jeunes roulant très vite. Ils sont néanmoins attirés par le désir de transgression des limitations de vitesse. Toutefois, nous manquons de données précises sur ce point, notamment sur les vitesses pratiquées.

L’apprentissage de l’automobile se déroule selon une progression assez lente mais régulière du kilométrage parcouru au cours des premières années, allant de 5 ou 6000 km la première année et se stabilisant, quelques années plus tard, entre 15 et 20 000 km. Les hommes circulent davantage que les femmes : 15 000 km en moyenne contre 10 000.

Selon les statistiques de la DRS, le taux d’accident matériel par kilomètres parcourus est identique pour les hommes et pour les femmes. En revanche, une forte différence apparaît pour ce qui est des accidents corporels : les hommes sont deux fois plus impliqués que les femmes. Toutefois, cet écart s’estompe avec l’expérience de la conduite.

M. le président Armand Jung. Cette différence s’expliquerait-t-elle par la vitesse, l’alcool, la drogue ?

M. Sylvain Lassarre. Nous manquons de données suffisamment précises pour l’affirmer.

M. Christian Vanneste. Ces statistiques portent-elles sur tous les véhicules, à deux comme à quatre roues ? Car les garçons utilisent peut-être davantage les premiers, et ceux-ci sont plus fréquemment accidentés.

M. Sylvain Lassarre. Je ne parle que des automobiles. Les facteurs d’accident que vous avez signalés sont, bien sûr, avérés. En effet, les statistiques relatives aux accidents mortels montrent que le sur-risque masculin s’élève jusqu’à trois contre un. On connaît évidemment les relations entre vitesse et gravité des accidents : ceux impliquant des jeunes hommes se produisent à des vitesses plus élevées.

Plus la conduite devient expérimentée, plus le risque d’accident diminue. Mais il faut quatre ou cinq ans de pratique avant d’atteindre le niveau de risque moyen observé chez les adultes. C’est donc, je le répète, un apprentissage très long. Peut-on l’accélérer ?

M. le président Armand Jung. Le « comment » nous intéresse davantage.

M. Sylvain Lassarre. Peut-on éviter certaines situations à risque ? Cela fera sans doute l’objet de notre discussion.

Les hommes commettent plus d’infractions que les femmes, à près de 85%.

M. Philippe Houillon, rapporteur. Cette proportion vaut-elle aussi pour toutes les tranches d’âge ? Se retrouve-t-elle dans l’ensemble de la population pour ce qui est, par exemple, des retraits de points ? Ou bien le facteur est-il spécifique aux jeunes ?

M. Sylvain Lassarre. On retrouve en effet le même phénomène dans toutes les classes d’âge.

Parmi les causes d’accidents, la vitesse figure toujours en premier, puis l’absence de port de la ceinture, ainsi que les infractions aux règles de la circulation, l’alcoolémie …

Nous retirons aussi l’impression que le jeune accédant à la conduite connaît d’abord des accidents matériels, en général dans les cinq premiers mois. Au-delà, 30% des jeunes ont un accident au cours de leur première année au volant.

M. le président Armand Jung. Quelle conclusion en tirez-vous ? Une action de prévention est-elle possible dans l’année qui suit l’obtention du permis de conduire ?

M. Sylvain Lassarre. Nous suggérons à cet effet une phase de formation, six mois après l’obtention du permis.

M. le président Armand Jung. Je suis prêt à prôner la mise en place d’une telle formation mais de quelle façon ? Organisée et financée par qui ?

M. Sylvain Lassarre. Nous vous transmettrons par écrit les propositions déjà formulées à ce sujet.

Les infractions sont plutôt commises dans la deuxième année de conduite. Car, lorsqu’on prend le volant dans les premiers temps, on n’est pas encore très sûr de soi. L’assurance arrive un peu plus tard, et c’est alors que l’on commence à prendre quelques risques et que les infractions se commettent.

Nous avons également observé un fort taux de récidive, de 30% pour les accidents matériels et de 42% pour les infractions.

M. le président Armand Jung. Dans quel délai ?

M. Sylvain Lassarre. Au cours de l’année suivant l’obtention du permis.

Le taux de récidive est important quel que soit l’âge auquel on a passé son permis.

On peut donc identifier les jeunes conducteurs à risque, ou « accidentogènes », ce qui permet de repérer les groupes de population sur lesquels on peut agir, notamment au moyen du permis à points – conçu pour cela et que l’on pourrait renforcer – ainsi que du bonus-malus.

Les facteurs d’accident résident certes dans la vitesse mais nous manquons de données précises sur les vitesses pratiquées.

En revanche, en ce qui concerne l’alcool et les drogues, nous disposons de données plus précises. Ainsi, près de 10% des jeunes interrogés dans le cadre de notre enquête déclaraient consommer des drogues et cependant conduire, 19% consommer de l’alcool et conduire la nuit, contre 9% le jour. Les chiffres obtenus recoupent d’ailleurs ceux de l’enquête SAM réalisée sur la route. De surcroît, 10% des jeunes interrogés associent drogue, alcool et conduite, soit la combinaison la plus dangereuse imaginable.

Nous disposons ainsi d’éléments permettant d’expliquer le sur-risque d’accidents mortels par la consommation d’alcool et de drogue chez les jeunes.

M. Jean-Pascal Assailly. Bien que les jeunes suivent la tendance générale, ils ont leurs spécificités. La combinaison entre alcool, cannabis, fatigue, pression des passagers et non attachement à l’arrière illustre de façon typique la méthode que pratiquent les jeunes pour se tuer le samedi soir, ou plutôt le dimanche matin. Il faut donc agir sur chacun de ces facteurs de risque, car il s’agit moins d’un problème de conduite automobile que de style de vie.

M. le président Armand Jung. Le rapporteur et moi-même avons appris à relativiser les chiffres. Vous avez parlé de 10% de consommation de drogue associée à la conduite ; or j’aurais pensé que le taux était plus élevé. Au reste, ce pourcentage reflète-t-il la consommation d’alcool et de cannabis par les jeunes en général ?

M. Jean-Pascal Assailly. Ce sont nos collègues chargés de la recherche médicale qui pourraient le mieux vous répondre. Il est vrai que tous les consommateurs de substances psychotropes ne prennent pas forcément le volant par la suite. La consommation globale est donc nettement supérieure à celle mise en rapport avec la conduite automobile : elle se monte à 20% s’agissant du cannabis.

M. Marc Meunier. Les préoccupations de la DSCR sont les mêmes que celles qui viennent d’être exposées. En premier lieu, elles concernent l’insécurité routière des jeunes, notamment le fait que 9% des jeunes entre dix-huit et vingt-quatre ans représentent 24% des tués sur la route, cela à cause d’un excès de confiance en soi couplé à un manque d’expérience. En second lieu, nous avons le souci de faciliter l’accès des jeunes au permis de conduire, car celui-ci représente, pour un bon nombre d’entre eux, non seulement un passeport professionnel mais aussi un instrument d’insertion sociale, puisque c’est souvent le seul examen qu’ils passent dans leur vie.

Les principes guidant notre action portent d’abord sur la continuité éducative : plus l’apprentissage des règles de sécurité routière intervient tôt, plus celles-ci ont de chance d’être intériorisées et d’être mises naturellement en application ; le jeune joue également un rôle de prescripteur vis-à-vis des adultes, notamment de ses parents, auxquels il peut opportunément rappeler les règles qu’il a apprises. Il nous faut ensuite travailler davantage que par le passé sur les comportements : il ne s’agit plus d’apprendre à manier un véhicule et à connaître les situations circulatoires mais aussi de prendre en compte les modes de vie, les valeurs morales, le respect des règles ; on parviendra ainsi à changer les habitudes au volant. Enfin, il convient d’assurer une progressivité dans l’apprentissage de la conduite avant de lâcher un jeune sur la route à peine muni de son permis de conduire.

Se pose la question de l’accès au permis et de son coût. La situation a évolué au cours des dernières années, notamment du fait de la réforme du permis de conduire et de la mise en place de mesures d’accompagnement. Nous n’avons guère modifié ce qui se fait en milieu scolaire jusqu’au lycée car il existe déjà une attestation scolaire de sécurité routière (ASSR) à deux niveaux, en classe de cinquième puis de troisième. On constatait cependant un vide au stade du lycée. C’est pourquoi, depuis la rentrée de 2010, nous expérimentons dans un nombre croissant d’établissements, généraux et professionnels, des actions de sécurité routière.

Outre l’apprentissage anticipé de la conduite à seize ans, module en vigueur depuis quelque temps, nous avons mis en place, dans le cadre de la réforme, trois autres modules de conduite accompagnée.

La conduite supervisée s’adresse aux jeunes de plus de dix-huit ans, en cours de formation après un échec au permis de conduire. Elle est assortie de conditions plus souples que celles de la conduite anticipée : trois mois au lieu d’un an et 1000 km au lieu de 3000.

La conduite accompagnée en entreprise tend à ce que les jeunes apprentis apprennent à conduire, sur leur lieu et durant leur temps de travail, en se rendant sur leurs chantiers avec un formateur de l’entreprise. Un certain nombre de conventions ont été passées dans ce but avec la confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB), la fédération nationale des travaux publics (FNTP), l’union professionnelle artisanale (UPA) et directement avec certaines entreprises des secteurs correspondants.

Notre troisième cible concerne les jeunes en milieu professionnel passant le diplôme de conducteur routier. Ceux-ci ont le plus souvent passé le permis B (voiture) dès l’âge de seize ans ou seize ans et demi, mais, bien sûr, ne se voient délivrer le certificat qu’à dix-huit ans. Il existait donc une période, allant jusqu’à deux ans, pendant laquelle ces jeunes ne conduisaient plus alors qu’ils avaient déjà réussi l’examen : on leur permet désormais de conduire accompagnés afin d’entretenir et d’accroître leur expérience de la route.

Nous travaillons aussi dorénavant sur les comportements au volant, sachant que les actions principales à mener se situent postérieurement à l’obtention du permis. Car on ne peut tout intégrer à la fois. On perçoit la nécessité, au bout de six mois ou d’un an après l’obtention du permis, de subir une sorte de piqûre de rappel et d’approfondir certains aspects comportementaux.

Depuis 2005, le dispositif d’aide au permis de conduire, par le biais d’un prêt remboursable à raison d’un euro par jour – l’État prenant les intérêts à sa charge – fonctionne bien : sans avoir bénéficié de publicité massive, il profite à plus de 80 000 jeunes par an. Dans le cadre de la réforme du permis de conduire, nous avons également mis en place un mécanisme de caution, financé par l’État, car les jeunes ayant le plus besoin de ce prêt ne sont pas souvent en mesure d’obtenir une facilité de la part des banques.

Nous avons développé un partenariat avec l’association des maires de France en vue de favoriser l’octroi d’une bourse pour passer le permis. Il s’agit d’un dispositif d’aide directe, mis en place par certaines communes et permettant aux jeunes de bénéficier du financement de tout ou partie de leur permis de conduire, en échange d’une activité d’intérêt général de quelques dizaines d’heures au sein de la commune ou d’une association à vocation sociale.

Nous avons enfin participé à une opération organisée par le ministère chargé de la jeunesse, appelée « 10 000 permis pour réussir ». Il s’agit, là encore, d’une aide directe à la préparation du permis destinée aux jeunes en insertion professionnelle ou en formation et inscrits dans les missions locales pour l’emploi.

Nous multiplions donc les dispositifs d’aide aux jeunes et travaillons beaucoup sur la progressivité. L’Europe nous y pousse, à travers notamment la dernière directive en cours de transposition en droit interne, laquelle demande une formation complète des jeunes, quels que soient les engins conduits. C’est ainsi que nous devrons instituer un permis de conduire les cyclomoteurs pour les jeunes nés après 1999, la mesure devant entrer en vigueur en 2013. Le brevet de sécurité routière (BSR) l’anticipe déjà, mais nous devrons le transformer en un véritable permis. Nous devrons aussi créer un permis intermédiaire pour les motocyclettes de moyenne cylindrée, dénommé A2, étape nécessaire entre les petites et les grosses cylindrées qui nécessitent un permis A.

Dans les prochains mois, nous nous efforcerons de mettre en place une formation post-permis, dont on perçoit l’intérêt, mais dont on imagine aussi les difficultés pratiques de réalisation pour ce qui concerne tant son financement que la décision d’en faire un dispositif obligatoire ou simplement volontaire.

M. Ahmed Lel Khadiri. Notre réseau s’est préoccupé de plusieurs questions. La première est celle de la conduite accompagnée, laquelle nous paraît très utile, mais qui mériterait sans doute d’être assortie d’une incitation financière car le problème du coût du permis se pose régulièrement.

L’apprentissage du code et de la conduite débouche certes sur un examen, mais, celui-ci réussi, on observe un certain relâchement de la part de la personne qui l’a passé avec succès. Intervenant à une époque où les jeunes passent d’autres examens, le permis de conduire se prépare selon la méthode du bachotage, qui vise à connaître les règles au moment où la question est posée mais non à les assimiler vraiment. Se pose aussi la question de la dématérialisation de l’enseignement du code, par DVD ou en ligne : on apprend ainsi toutes les réponses par cœur mais sans en comprendre fondamentalement l’intérêt. Il en résulte une perception faussée des enjeux de l’apprentissage, l’unique objectif du candidat étant d’obtenir son permis, non de savoir véritablement conduire.

Nous avons donc eu l’idée d’introduire, en amont de l’apprentissage du code de la route, un temps pour mettre en perspective les vrais enjeux de la conduite automobile.

L’ensemble des statistiques dont il a été fait état incitent chacun à s’interroger de nouveau sur son comportement routier et à essayer de savoir à quelle catégorie de conducteurs il appartient, ne serait-ce que pour s’évaluer et pour progresser. En effet, trop de conducteurs s’autorisent à transgresser les règles, en vertu de la confiance en soi ou de la représentation sociale du « pilote ». Il conviendrait de mieux montrer, statistiques à l’appui, quelles sont les conséquences de ce genre d’attitude.

Le thème récurrent de l’alcool et des jeunes a été beaucoup étudié dans le cadre de la réflexion mise en place par M. Marc-Philippe Daubresse quand il était ministre de la jeunesse et des solidarités actives. Cette réflexion faisait suite au problème soulevé par la pratique des apéros géants. Le lien entre alcool et fête ne concerne évidemment pas exclusivement les jeunes mais il a des implications sur la sécurité routière et, plus largement, sur les comportements à risque. Il faut donc s’efforcer de supprimer l’automatisme de la relation entre fête et consommation d’alcool, notamment par des campagnes de sensibilisation et par des modules d’interventions spécifiques.

M. le président Armand Jung. Le rapporteur me faisait remarquer que nous partageons entièrement vos préoccupations mais comment les traduire en termes législatifs ? Il s’agit plutôt d’un travail de communication et de réseaux, impliquant, par exemple, les programmes d’enseignement. Autant nous pouvons nous inspirer des pistes que vous décrivez, autant il est difficile d’inscrire dans une loi les intentions dont vous faites état.

M. Jean-Pascal Assailly. Certains éléments du problème, comme la relation entre la consommation d’alcool et la conduite, pourraient s’insérer dans le champ législatif. Je pense, par exemple, à la formation des barmen et de tous les personnels servant de l’alcool.

M. Jérôme Lambert. Il n’existe ni diplôme ni formation pour ces personnels.

M. Ahmed Lel Khadiri. Notre réseau expérimente la sensibilisation par les pairs, laquelle consiste à faciliter l’action de jeunes auprès d’autres jeunes, afin qu’ils abordent ensemble la problématique de l’alcool et de la conduite.

Il faut, pour cela, distinguer deux niveaux. Le premier concerne la réduction des risques, c’est-à-dire l’intervention en milieu festif, ce dont s’occupent certaines associations. À cet égard, on devrait également pouvoir s’appuyer sur le service civique, créé pour répondre à des besoins d’intérêt général. Les discussions organisées traduisent une grande sincérité de la part des individus dans leur rapport à la conduite. Il conviendrait de les développer en milieu scolaire.

M. le président Armand Jung. Pourriez-vous nous adresser vos propositions par écrit ? Je crois, en effet, que l’on devrait chercher comment utiliser le service civique.

M. Ahmed Lel Khadiri. Le deuxième niveau porte sur les modes de transport doux, principalement le vélo, dont il faudrait anticiper le développement. Des politiques publiques ont déjà été mises en place à ce sujet. Il faut les renforcer, notamment dans le milieu étudiant, où il existe déjà des prêts à l’année, et réfléchir aux moyens de former les cyclistes à la circulation routière. Des informations sont fournies au stade de l’école primaire et du collège mais ne font pas l’objet de rappels au niveau du lycée, alors qu’on est alors plus enclin à une utilisation régulière de ce mode de transport.

M. Philippe Loup. Nos associations constituent pour les étudiants non seulement des interlocuteurs privilégiés mais aussi souvent des référents presque moraux. C’est pourquoi la FAGE exerce de multiples actions depuis une quinzaine d’années en matière de sécurité et de prévention routières, travaillant avec la DSR depuis 1999.

Notre premier axe d’action consiste à sensibiliser les personnes à l’accidentologie, c’est-à-dire aux causes des accidents, notamment à la poly-consommation de drogue et d’alcool, ce fameux cocktail détonnant qui, en outre, progresse. Nous considérons donc qu’il est de notre devoir d’informer les étudiants sur les dangers qu’ils encourent à ce titre.

Les associations étudiantes sont également organisatrices de soirées et d’événements festifs, ce qui leur confère une certaine responsabilité vis-à-vis des participants. Elles tiennent donc à introduire des éléments de prévention lors de ces manifestations. Ainsi, par exemple en collaboration avec la MACIF, nous mettons en place des stands d’information et des simulateurs permettant de tester la capacité à conduire en sortant d’une soirée. Ces derniers instruments sont beaucoup plus démonstratifs que le simple ballon dans lequel on souffle.

Au fil des années, nous constatons que les étudiants sont de plus en plus sensibles au problème de l’alcool au volant, comme l’a déjà montré le groupe « alcool et jeunes » qu’avait mis en place M. Marc-Philippe Daubresse. Il est donc essentiel que les acteurs de la prévention continuent de bénéficier du soutien des pouvoirs publics afin de continuer à casser le mythe de l’invulnérabilité au volant malgré un peu d’alcool dans le sang.

M. le rapporteur. L’installation de simulateurs est sans doute une bonne formule mais n’est-elle pas un peu lourde et donc difficile à généraliser ?

M. Philippe Loup. Les associations mettant en place de telles actions sont évidemment celles qui disposent de moyens importants. Bien qu’effectivement lourds, ces dispositifs revêtent néanmoins une certaine urgence, compte tenu du nombre de jeunes accidentés sur les routes et de la progression de leur prise de conscience du problème.

Notre deuxième axe d’action tient à notre responsabilité en tant qu’organisateurs de soirées vis-à-vis des risques créés par l’alcool. Nous cherchons ici à agir directement sur les événements festifs. C’est pourquoi nous offrons des formations à nos membres pour apprendre à aborder un jeune en état d’ébriété ou à le gérer, par exemple dans un bar.

Enfin, nous agissons en aval du permis de conduire. Comme on l’a dit, l’accès à la conduite automobile constitue un facteur d’intégration professionnelle et sociale. Il faut donc le faciliter. Dans ce but, nous informons nos membres de l’existence de dispositifs tels que le permis de conduire à un euro par jour ; nous diffusons des guides sur l’éco-conduite concernant la responsabilité écologique et environnementale du jeune conducteur ; nous éditons également un pack de conseil « permis en poche » indiquant comment s’assurer et à qui s’adresser pour différents services. Nous cherchons ainsi à responsabiliser le jeune qui vient d’obtenir son permis.

M. Jean-Yves Salaün. Les chiffres relatifs à la part de la jeunesse dans la population et dans les accidents de la route ont été rappelés. Il faut aussi préciser que le taux de tués est l’un des plus élevés d’Europe. Au-delà des éléments relevant de la natalité ou de la densité de population, cette situation nécessite d’agir.

Il ne faut pas se limiter, s’agissant des jeunes, à la problématique automobile : un quart des jeunes tués le sont sur des deux roues motorisés. Le cyclomoteur, pratiqué par 10% des adolescents, représente la moitié des accidents corporels dont sont victimes les quatorze – dix- sept ans.

Nous voyons donc bien les leviers par lesquels nous pouvons agir. Nous le voyons d’autant mieux que nous sommes en train de préparer la transposition de la directive européenne prévoyant, notamment, la création d’un permis de conduire pour les cyclomoteurs, distinct du permis moto.

Notre association croit beaucoup à l’éducation routière : quels que soient les progrès réalisés au cours des années sur le permis de conduire, l’obtention de celui-ci continue d’obéir à une logique de bachotage. Les épreuves du code, telles qu’elles se déroulent, ne permettent guère de traiter les problèmes de comportement routier ou les problématiques liées aux normes sociales. Il faut donc aborder la question ailleurs : dans la famille bien sûr, mais cela n’est pas assuré. Reste l’école : l’éducation routière y est obligatoire depuis 1957, et des associations comme la nôtre ont fait beaucoup de choses pendant de nombreuses années. Depuis 1993, existent certes les attestations scolaires de sécurité routière (ASSR) mais leur mode de délivrance ressemble un peu à celui de l’examen du code de la route, faisant encore appel au bachotage et intégrant peu les comportements au volant.

Le permis de conduire les cyclomoteurs devrait comprendre une formation théorique, dont on ne sait encore si elle sera dispensée à l’école ou en dehors d’elle. En fonction de la solution choisie, il faudra repenser le rôle des enseignants afin de l’orienter davantage vers les questions liées au comportement ou aux normes sociales. Il conviendra aussi de rééquilibrer les actions selon les degrés de l’enseignement : aujourd’hui, nos associations sont très présentes dans l’enseignement primaire, un peu moins dans les collèges et presque pas dans les lycées. L’expérimentation à laquelle nous avons participé montre que se posent là des problèmes de temps et d’implication des enseignants. Or il faut absolument agir dans la tranche d’âge où le risque routier explose.

La réforme de 2008 du permis de conduire a apporté des éléments positifs mais l’objectif politique consistait davantage à réduire le coût du permis et la durée d’attente, avant de pouvoir le passer, qu’à améliorer son contenu.

À la différence de celle du permis à un euro, ne fut pas retenue l’idée de créer un livret d’épargne pour financer le permis de conduire. Le ministère chargé des finances s’y était opposé. Or un tel mécanisme aurait pu être abondé par les parents, les parrains et marraines, les grands-parents, voire par certaines collectivités territoriales. On aurait pu ouvrir le livret, par exemple, à l’âge de douze ans, ce qui aurait aussi permis d’envoyer régulièrement des informations de sensibilisation aux adolescents. L’idée mériterait peut-être qu’on la reprenne aujourd’hui.

La pratique de l’apprentissage anticipé de la conduite (AAC) n’apporte pas d’amélioration sensible en matière de risques routiers. Elle ne fait que décaler dans le temps la survenance des premiers accidents, qui se produisent au moment ou la prise de confiance s’installe chez le conducteur.

Les cyclomoteurs soulèvent deux problèmes : celui de la formation, pour laquelle des textes sont en cours de préparation comme on l’a vu, et celui des engins eux-mêmes, puisque la moitié d’entre eux sont débridés. Aussi demandons-nous depuis des années l’institution d’un contrôle technique. Les études réalisées auprès de l’union technique de l’automobile, du motocycle et du cycle (UTAC) montrent que les cyclomoteurs, normalement bridés pour ne pas dépasser les 45 km/h, peuvent, lorsqu’ils sont débridés, atteindre des vitesses de 80 à 90 km/h.

Certains pays, notamment anglo-saxons, ont traité le problème des jeunes et du risque routier en travaillant sur l’accès au véhicule. Selon une étude comparative relative aux cyclomoteurs, la France reste l’un des seuls pays où l’on accède à leur conduite dès l’âge de quatorze ans. Nous avons demandé aux pouvoirs publics d’examiner la possibilité de remonter ce plancher. Et encore, il ne s’agit pas seulement d’une question d’âge : l’entourage et le sexe, par exemple, jouent également un rôle et rendent la question plus complexe. Il n’en demeure pas moins qu’il faut agir.

Des pays ont réduit l’usage de la voiture dans les premiers mois de la conduite, mais l’idée en fut abandonnée en France. En contrepartie, il conviendrait d’améliorer la formation des futurs conducteurs, au lycée et avant qu’ils ne passent le permis de conduire.

M. le président Armand Jung. Les statistiques qu’on nous a fournies indiquent que plus de 90% des scooters sont débridés. Une solution consisterait donc à disposer de blocs moteurs impossibles à débrider. Il s’agirait là d’un important progrès technique.

M. Jean-Yves Salaün. Le taux de 50% de débridage que j’évoquais est, en effet, discutable. L’obligation de contrôle technique proposée ne répondrait qu’à une partie du problème, car il suffit de procéder à une manipulation très simple pour débrider et rebrider un moteur.

Nous travaillons aussi à la transposition de la directive européenne concernant les motos. Le projet d’accès progressif aux grosses cylindrées ne prévoit actuellement rien au-delà de vingt-quatre ans. Or, grâce aux statistiques de la sécurité routière sur les accidents des deux-roues motorisés, nous savons que le risque est maximal au cours des dix-huit premiers mois de pilotage des grosses motos. L’âge de vingt-quatre ans me semble donc un peu bas pour permettre un accès direct aux grosses cylindrées.

Nous publierons d’ici à la fin de ce mois une étude menée auprès d’environ 300 bureaux des élèves (BDE) qui montre une situation plutôt critique, avec une forte consommation d’alcool et une prise en compte du risque très variable. Les BDE les plus importants, qui organisent le plus d’événements festifs, ont certes mis en place des structures de prévention mais celles-ci font encore défaut dans un grand nombre de soirées. Deux difficultés principales sont à signaler : la première est que les animateurs de BDE considèrent généralement que la responsabilité est d’abord individuelle, chacun devant, par lui-même, savoir s’il doit boire ou non avant de reprendre le volant ; la seconde est qu’il n’existe pas aujourd’hui d’obligations pour la mise en place d’actions de prévention. Nous pourrions donc envisager que, lorsque les soirées se tiennent sur les campus, les dirigeants d’établissements demandent la présence de dispositifs de prévention. Et que, lorsqu’elles se tiennent dans des discothèques ou dans des bars, munis d’une licence IV au titre de laquelle une formation est requise, les propriétaires des lieux soient sensibilisés à la nécessité d’actions de prévention.

En 2008, nous avons mené, dans huit pays européens, une action auprès des jeunes sur la consommation d’alcool, et l’on s’est aperçu que, dans l’Europe du nord, les jeunes boivent beaucoup plus mais ne conduisent pas, tandis que la France est le pays où l’on prend le plus de risques en se jouant de la réglementation. Toutefois, ces dernières années, de nombreux jeunes ont adopté le réflexe du capitaine de soirée. Lorsque ce genre d’habitude est pris dès que l’on a obtenu son permis de conduire, on le conserve par la suite. Il est beaucoup plus difficile de faire changer les habitudes de personnes de cinquante ans sur les questions de consommation d’alcool, de vitesse ou de bouclage de la ceinture de sécurité.

La fixation d’un taux réduit d’alcoolémie pour les jeunes conducteurs, dispositif déjà institué dans de nombreux pays dont l’Allemagne, les Pays-Bas et, plus récemment, l’Italie, est un sujet sensible. Selon l’Observatoire de la sécurité routière, la mise en place d’un taux réduit aurait peu de sens car les accidents mortels liés à la prise d’alcool sont dus à de très forts taux d’alcoolémie. Cela dit, j’attire votre attention sur un problème de communication : les campagnes en cours indiquent que celui qui conduit ne doit pas boire ; or, le taux légal d’alcoolémie étant de 0,5 g, cela signifie que celui qui conduit peut boire deux, voire trois verres. Il y a là une ambiguïté.

Il faut aussi noter l’utilisation de plus en plus fréquente chez les jeunes des téléphones portables et des smartphones en conduisant.

Au même titre que les adultes, un certain nombre de jeunes se comportent très bien au volant. Il faut donc identifier les jeunes à risques. L’aspect prédictif existe, ce qui signifie qu’une première infraction, même purement matérielle, peut conduire à une autre infraction, voire à un accident corporel ou mortel. Voilà une autre piste de réflexion.

Pour lutter contre l’alcoolémie délictuelle, la LOPPSI a prévu la mise en place d’éthylotests antidémarrage pour les conducteurs récidivistes. Pourquoi ne pas équiper les véhicules des jeunes de ces éthylotests – naturellement sur la base du volontariat ?

M. le rapporteur. Tous nos interlocuteurs reconnaissent que d’énormes progrès ont été réalisés en matière de sécurité routière puisque nous sommes passés en quelques années de 17 000 à 4 000 morts par an. Toutefois, nous devons encore progresser ; or cela s’avère plus difficile car il faut s’attaquer à des attitudes radicales qui exigent une action spécifique. Ce seuil n’est pas incompressible, mais le constat est clair : en matière d’accidentalité, la proportion des hommes est infiniment plus élevée que celle des femmes. Que suggérez-vous pour remédier à cette situation ? Les textes réglementaires et légaux doivent naturellement être identiques pour tous, mais la communication nous permettrait peut-être de progresser en ce domaine.

M. Jean-Yves Salaün. Le regard de la société sur cette question est très important. Sur les conseils de Jean-Pascal Assailly, nous avons décidé il y quelques années de mener une campagne sur ce thème en direction des jeunes. Nous avons pour cela réuni des groupes de jeunes, garçons et filles. Cette étude a démontré que, dans une société où les femmes partagent le pouvoir avec les hommes, il reste encore quelques domaines dans lesquels les hommes s’estiment supérieurs : c’est le cas du sport et de la conduite automobile. Il faut faire évoluer les mentalités.

M. le rapporteur. Quelle mesure concrète, pas nécessairement réglementaire ou légale, pouvez-vous nous proposer ?

M. Philippe Loup. Les comportements des hommes et des femmes sont effectivement différents. Les pays scandinaves ont réalisé des études sur ce point et ils tentent de parvenir à une parfaite parité, notamment en cessant d’inculquer aux petits garçons qu’ils doivent nécessairement jouer avec des petites voitures et aux petites filles qu’elles doivent jouer avec des poupées. Cette différence comportementale est très profonde et doit être prise en compte dès la plus tendre enfance ; il faut enseigner la parité dans un environnement mixte. L’école est le lieu privilégié pour cela : certes, on dispense en CM1 un cours de sensibilisation à la sécurité routière, mais il convient d’aller plus loin. L’éducation nationale ne pourrait-elle prendre sa part de responsabilité en prenant en charge l’obtention du permis de conduire, nécessaire pour la mobilité des jeunes et leur insertion professionnelle ? De plus, son coût dépasse les 1 000 euros, ce qui induit une sélection sociale. Qui pourrait le mieux gommer cette inégalité sociale ? C’est naturellement l’école, en particulier le lycée.

M. Ahmed Lel Khadiri. S’agissant de la consommation d’alcool, les femmes sont en train de rattraper leur retard. Nous avons bien compris l’attitude des jeunes hommes vis-à-vis de la transgression, mais il serait effectivement très difficile, sur un plan légal, d’imposer aux hommes un permis différent de celui des femmes.

M. le rapporteur. Il est en effet impossible d’instaurer une telle discrimination. En revanche, nous pourrions imaginer des mesures qui s’appliqueraient à l’ensemble des conducteurs et seraient efficaces pour les populations masculines.

M. Jean-Pascal Assailly. Les 4 000 tués chaque année mettent essentiellement en cause des conducteurs masculins. Toutefois, le facteur de risques tient à la masculinité, non au fait d’être un homme. Il faut remettre en question la masculinité et ses effets. Pour cela, quatre stratégies existent : l’éducation à partir de l’école maternelle, la prévention, la formation des conducteurs et la réhabilitation.

Le rapport à la règle fondamentale est différent pour les garçons et pour les filles, et cela dès l’âge de trois ans. Ce n’est pas que les petits garçons ne perçoivent pas le danger lorsqu’ils transgressent un interdit, mais ils le transgressent, tandis que pour les filles la règle est un mur infranchissable. La thématique de la masculinité et de ses effets doit devenir un thème transversal, à l’école comme dans les cours de formation dispensés à l’auto-école ou dans le cadre des stages de sensibilisation, et être au cœur de la sécurité routière.

M. le rapporteur. Que pensez-vous du permis probatoire ? Comment, selon vous, améliorer son efficacité ?

M. Jean-Pascal Assailly. Je ne vous le cache pas, j’étais défavorable au permis probatoire lorsqu’il a été mis en place car il s’agit pour moi d’une mesure exclusivement répressive et dépourvue de portée éducative. Les jeunes progressant de la même manière que les adultes depuis trente ans, pourquoi mener une politique répressive à leur égard, en leur imposant un taux de zéro gramme d’alcool ou en leur attribuant moins de points ? L’Observatoire national de la sécurité routière lui-même a fini par reconnaître que le permis probatoire n’avait pas eu d’impact ou d’effet bénéfique sur l’accidentalité des moins de vingt-cinq ans.

M. le rapporteur. Mais le supprimer pourrait être compris comme une incitation à la transgression.

M. Jean-Pascal Assailly. Il est fondamental de lui adjoindre un volet éducatif, au travers de mesures post-permis de type « éducation-réhabilitation ».

M. le rapporteur. Qui paiera ces mesures ?

M. Marc Meunier. C’est une vraie question. Tant que le citoyen paie son permis – et je vois mal comment cela pourrait être autrement – et si nous voulons que le permis probatoire soit le plus « indolore » possible, il serait intéressant que le candidat paie un forfait pour une formation globale incluant des heures de formation post-permis.

M. le rapporteur. Cela augmentera le coût du permis !

M. Marc Meunier. Certes, mais un candidat acceptera de payer plus facilement si on lui explique que l’augmentation est liée à l’institution d’une journée de formation complémentaire, à laquelle il participera quelques mois après l’obtention de son permis de conduire.

M. le rapporteur. Le permis probatoire est-il efficace ?

M. Marc Meunier. Si nous nous en tenons aux chiffres, il n’a pas eu d’effets lisibles. En revanche, sur le plan des principes, il me paraît logique. Un conducteur novice commence avec six points et en acquiert d’autres progressivement, et plus rapidement s’il a pratiqué la conduite accompagnée. Ce système ne me paraît pas mauvais et je ne souhaite ni le supprimer ni le durcir. Je ne suis pas certain que démarrer avec quatre points changerait grand-chose.

La masculinité doit naturellement être évoquée en amont et en aval, et pas uniquement au cours de la formation au permis de conduire car c’est un problème de société. Nous ne changerons pas les mentalités uniquement dans le cadre de la formation au permis de conduire.

M. Jean-Pascal Assailly. Il faut expliquer aux gens que l’excès de confiance associé à la masculinité provient des images que la publicité nous adresse, réfléchir à la façon dont nous sommes manipulés et conditionnés et se demander comment fonctionne la masculinité, quels sont ses mécanismes, logiques et psychologiques, et ce qu’elle produit.

M. le président Armand Jung. Cela dépasse largement le cadre de notre mission.

M. Sylvain Lassarre. S’agissant du permis probatoire, n’oublions pas que les jeunes commettent peu d’infractions au cours de leur première année de conduite, car ils roulent peu et se montrent généralement prudents. Cette mesure est donc peu dissuasive.

Certains pays, comme la Nouvelle-Zélande ou l’Australie, et certains États américains ont réussi à faire baisser fortement le taux d’accident chez les jeunes par le biais de mesures contraignantes touchant notamment la mobilité, et allant parfois jusqu’à l’instauration d’un couvre-feu.

M. Jean-Pascal Assailly. Mais sans aucune acceptabilité sociale.

M. Sylvain Lassarre. L’État d’Israël a mis en place un dispositif intéressant pour améliorer le comportement des jeunes au volant. Ainsi, l’autoévaluation est une bonne chose, mais elle doit reposer sur des éléments objectifs. Il serait intéressant de disposer d’un instrument qui recueille certains éléments comme la vitesse, car il nous permettrait de débattre avec le jeune conducteur de son style de conduite.

M. le rapporteur. Vous paraît-il opportun de limiter l’accès aux véhicules puissants en fonction de l’âge du conducteur ou de ses années de possession de permis ?

M. Jean-Yves Salaün. Il convient à cet égard de distinguer les voitures et les deux roues. Je suis favorable à un accès progressif aux grosses cylindrées, voire à repousser le seuil d’accès au-delà de vingt-quatre ans. S’agissant des voitures, un groupe de travail avait soumis il y a plusieurs années une idée au Conseil national de la sécurité routière, laquelle mettait en avant deux éléments : le rapport poids/puissance et la communication. Or, si certains modèles renvoient à une pratique sportive – c’était alors le cas des 205 GTI –, d’autres, comme c’est le cas aujourd’hui, sont souvent utilisés par plusieurs membres de la famille : une limite d’âge poserait donc des problèmes difficiles à résoudre.

M. Christian Vanneste. S’agissant de la disparité entre les deux sexes en matière d’accidentologie, observe-t-on des différences notoires entre les pays latins et les pays nordiques ?

Pour lutter contre l’accidentalité, un certain nombre de solutions apparaissent, dont en premier lieu des solutions matérielles. Vous avez indiqué que les jeunes sont souvent équipés de matériels moins coûteux, donc moins performants et plus dangereux. Devons-nous renforcer le contrôle des véhicules légers afin d’éliminer ceux qui présenteraient des normes de sécurité très inférieures à la moyenne ?

Au permis probatoire, je préférerais un permis progressif. Le terme de bachotage me choque – je suis d’ailleurs défavorable au baccalauréat, lui préférant le contrôle continu. Ne pourrait-on instaurer un contrôle continu en lieu et place de l’examen du permis de conduire, en attribuant au départ un nombre de points très faible, après une formation plus courte et moins coûteuse ? Il me semble que la perspective d’un nouveau contrôle amènerait les jeunes conducteurs à se comporter toujours de façon irréprochable.

Pour les jeunes, les pairs ayant sans doute plus d’importance que le père, il faut que la communication soit davantage ciblée. Pourquoi ne pas utiliser des vecteurs spécifiques – je pense naturellement à Internet – et des techniques de communication qui permettraient de montrer des images choquantes qui ne peuvent être montrées à la télévision ?

M. Jean-Marc Roubaud. Nous avons entendu beaucoup de choses intéressantes. Je souhaite à mon tour vous faire quelques propositions.

Le délai nécessaire pour passer le permis de conduire en France atteint plusieurs mois dans de nombreux départements, contre une semaine en Belgique ou en Allemagne. Ce problème n’a jamais été résolu, ce qui témoigne d’une absence de volonté politique et d’une position dogmatique de l’administration. J’aimerais que nous parvenions à le résoudre une fois pour toutes.

On a évoqué une carence au niveau du lycée, à une période où les jeunes sont amenés à prendre le volant. Pourquoi ne pas mettre en place un module obligatoire en seconde, première ou terminale, qui pourrait être assuré par un professeur ?

Pour prévenir les dangers liés aux sorties de soirées, un certain nombre de pays, dont la Suède et l’Australie, ont réussi à avancer de manière significative. Cela dit, il n’appartient pas au barman, dont le métier est de servir des boissons, de faire de la pédagogie et de la prévention. Pourquoi ne pas institutionnaliser, pour toutes les soirées, privées ou publiques, un responsable sécurité, déclaré en préfecture, qui s’assurerait du retour des personnes à leur sortie de discothèque ?

En ce qui concerne d’éventuelles aides, la situation économique actuelle ne permet pas de recourir à des financements publics. Le permis à un euro répond en partie au problème. Je suis favorable – et ce contre l’avis du ministère des finances – à l’institutionnalisation d’un livret d’épargne associé au permis de conduire, car il permettrait de sensibiliser les familles.

Un certain nombre de pays ont adopté un système de bonus pour les permis de conduire. Cette formule, qui permet aux conducteurs qui n’ont pas eu d’accident de gagner un point chaque année, donne des résultats extrêmement probants.

M. Marc Le Fur. Je ne doute pas qu’il existe un déterminisme en matière d’accidentologie chez les jeunes hommes, mais je vous rappelle que les motards représentent près du quart du nombre de morts sur les routes ; or ce sont essentiellement des jeunes. Si l’on ne prend pas en compte les motards dans le nombre des accidentés de la route, je ne suis pas sûr que la proportion des jeunes hommes victimes d’un accident soit aussi élevée qu’on le dit.

L’idée de calibrer la cylindrée en fonction de l’expérience du jeune conducteur ne me semble pas déplacée.

Je partage l’avis de mon collègue Roubaud s’agissant des délais.

L’examen du permis de conduire représente pour de nombreux jeunes un premier contact avec l’administration ; or il n’est pas très positif. Le permis de conduire ne pourrait-il pas être délivré par des structures agréées – qui seraient bien entendu contrôlées ? Pourquoi un acte d’expert relève-t-il de la puissance publique ? Confier la délivrance du permis au secteur privé permettrait de gagner du temps et de ne plus dépendre d’agents de l’équipement qui ne sont pas suffisamment nombreux, surtout à l’approche de l’été.

M. Olivier Dosne. Le système du capitaine de soirée fonctionne très bien. Pour autant, la bonne solution ne réside-t-elle pas dans le « zéro alcool », d’autant que les jeunes consomment souvent, en plus de l’alcool, du cannabis et différents psychotropes ?

Je suis attaché pour ma part aux contrôles techniques. Il semble que certains deux- roues ne passent pas par les centres de contrôles techniques, dont certains d’ailleurs ne répondent pas aux normes en vigueur. Pour limiter la tricherie, ne faudrait-il pas améliorer la qualité de ces centres et imposer des contrôles. Il conviendrait également d’obliger les assureurs à ne pas assurer les véhicules débridés.

Le président d’une école de commerce m’a indiqué que le président du BDE était juridiquement responsable. Qu’en est-il réellement ?

Mme Pascale Gruny. Le problème de la sécurité routière, en particulier pour les jeunes, me préoccupe tout particulièrement. À la fin de l’année dernière, j’ai organisé à Saint-Quentin une matinée de rencontre pour les lycéens au cours de laquelle nous avons projeté trois courts films, très trash, montrant deux jeunes victimes d’accidents de la route : l’un, handicapé physique, circulant dans une chaise roulante, l’autre cérébrolésé. L’initiative a eu un réel impact. Il faut confronter les jeunes à la réalité, car à vingt ans on se croit invincible. C’est pourquoi je propose que les jeunes suivent un stage pendant la formation au permis de conduire, chez les pompiers ou dans un centre de grands handicapés.

Je suis très favorable à la formule du capitaine de soirée. En Suède, où les jeunes s’alcoolisent très fortement, il n’est pas question pour celui qui boit de prendre le volant. C’est bien une question d’éducation.

Enfin, je pensais que la législation avait condamné les open bar.

M. Philippe Loup. La loi HPST a en effet interdit les open bar. Le récent rapport établi par Mme Martine Daoust, à la demande de Mme Valérie Pécresse, réaffirme cette interdiction et propose de multiplier les contrôles lors des soirées étudiantes et de renforcer la responsabilité juridique des organisateurs. Les contrôles et la déclaration de la soirée en préfecture sont déjà effectifs dans plusieurs départements, le rapport de Mme Daoust préconise de généraliser cette déclaration.

En tant que responsable d’un réseau d’association, la Fédération forme les responsables associatifs à la gestion des risques, qu’elle soit préventive ou curative, les informant par exemple de la conduite à tenir face à un étudiant en état d’ébriété avancée.

L’un des outils dont nous disposons est la Charte nationale des soirées étudiantes responsables. Cette charte incite les associations qui la signent à mettre en place des actions de prévention et une distribution d’alcool raisonnée. Mais la mission de la Fédération ne se limite pas à l’élaboration de textes normatifs. Nous menons également des actions de sensibilisation sur le terrain, qui relèvent quasiment du domaine du médico-social – en effet, selon l’OMS, l’absorption de plus de trois verres au cours d’une soirée pose un problème de santé publique. Certes, il y a encore ici ou là des excès, mais la conscientisation des organiseurs, comme celle des étudiants, est une réalité.

M. Jean-Yves Salaün. Les BDE font preuve de beaucoup de bonne volonté mais les open bar, bien qu’interdits, existent toujours. Il ne faut pas en rejeter la responsabilité sur les gestionnaires des BDE, dont la mission consiste à organiser des soirées. Mais, pour les jeunes, une soirée réussie doit réunir trois éléments : de la bonne musique, un environnement agréable et une importante consommation d’alcool.

J’ai émis l’idée de responsabiliser le président de l’université ou de l’école. Mais il ne faudrait pas pointer du doigt les soirées étudiantes car les BDE choisissent généralement des lieux faciles d’accès, qui ne posent pas de problèmes de sécurité, sachant que nombre de jeunes se tuent en rentrant de discothèques excentrées. Il y aurait également beaucoup à dire sur le report de 5 à 7 heures des horaires de fermeture des discothèques…

S’agissant de l’alcool, il faut être cohérent. Depuis le comité interministériel de la sécurité routière de 2008, tous les établissements qui servent de l’alcool se doivent de mettre des éthylotests à la disposition des participants – les décrets sont en cours de parution. Or, il semble que cette disposition sera limitée aux discothèques et ne s’appliquera pas aux bars. On voit bien que, sur la question de l’alcool, la société a tendance à caler ; si nous voulons progresser comme nous l’avons fait sur la vitesse, il faut prendre des mesures courageuses et cohérentes.

M. Philippe Loup. La conscientisation étant naturellement plus forte au sein des associations, celles-ci accepteront plus facilement de mettre en place des mesures de prévention que les prestataires privés. La loi HPST a interdit les open bar, mais cela a pour conséquence que, désormais, les jeunes arrivent dans les discothèques en état d’ébriété. Le problème de l’alcoolisation a été déplacé vers la sphère privée, où malheureusement toute mesure de prévention est impossible. La loi HPST est intéressante sur le plan de la santé publique en ce qu’elle a diminué la consommation d’alcool en soirée, mais nous en voyons difficilement les effets en termes de sécurité routière.

M. Ahmed Lel Khadiri. Il faut organiser une complémentarité entre la puissance publique et les acteurs de la prévention, demander aux organisations de se montrer responsables et s’assurer qu’il existe des mesures de prévention. Vouloir faire peser la responsabilité sur les présidents et les directeurs des établissements risque de les amener à interdire tout événement, et ceux sur lesquels il serait possible d’intervenir se passeront ailleurs. Il faut une mesure contraignante, qui passe par une déclaration, et on doit pouvoir interdire l’événement si aucune mesure de prévention n’est prévue.

M. Jean-Marc Roubaud. Sachant que les jeunes arrivent de plus en plus tard et déjà alcoolisés dans les discothèques, seriez-vous opposés au fait d’en limiter les horaires d’ouverture ?

M. Philippe Loup. Si vous restreignez les horaires d’ouverture, les jeunes s’alcooliseront beaucoup plus rapidement. C’est ce qui s’est produit en Angleterre, où l’on a vu les étudiants absorber des volumes d’alcool plus importants et plus vite. Cela ne règlerait pas le problème.

Autre élément : comment un étudiant parisien, qui quitte une discothèque à trois heures du matin, rentre-t-il chez lui s’il n’y a pas de transports en commun ? La fermeture des boîtes de nuit à six heures du matin lui permet de prendre le premier métro. La limitation des horaires d’ouverture inciterait les jeunes à utiliser la voiture.

M. Jean-Pascal Assailly. Je vous propose, mesdames et messieurs les députés, de m’adresser vos questions par écrit.

M. le président Armand Jung. De même, messieurs, n’hésitez pas à nous adresser des notes techniques opérationnelles qui nous seront utiles pour rédiger notre rapport.

M. Jean-Yves Salaün. Il serait intéressant que les risques d’accidents chez les jeunes soient évoqués au cours de la Journée défense et citoyenneté car elle s’adresse à tous les jeunes, y compris ceux qui sont sortis du système scolaire.

M. Ahmed Lel Khadiri. Dans la même logique, ne peut-on envisager une formation dans le cadre du Service civique ? Pour notre part, nous sommes résolus à prendre contact avec l’Agence du service civique pour évoquer la possibilité d’inscrire un module de prévention routière dans le cadre des formations civiques obligatoires.

M. Marc Meunier. Un module de huit minutes sur la sécurité routière sera présenté au cours des prochaines Journées défense et citoyenneté. À cette fin, nous avons réalisé un certain nombre de films.

En ce qui concerne le permis probatoire, faut-il partir d’un petit nombre de points et les augmenter progressivement ? C’est un débat récurrent, qui a reçu une réponse il y a quelques années. Nous avions alors décidé de ne pas transiger avec la sécurité routière – ce n’est pas parce qu’un conducteur n’a commis aucune infraction qu’il doit se voir attribuer des points supplémentaires lui ouvrant une sorte de droit à en commettre – et nous avions choisi de laisser aux compagnies d’assurances le soin d’abaisser la prime d’assurance des personnes ne commettant pas d’infraction.

M. Jean-Marc Roubaud. La formule du point bonus fonctionne bien dans un certain nombre de pays. Ne renonçons pas, sous prétexte d’une position dogmatique de l’administration, au droit d’explorer certaines pistes. Rien n’est gravé dans le marbre ! Si tout avait bien fonctionné, nous ne serions pas ici aujourd’hui. Essayons d’améliorer les choses. Le fait qu’un certain nombre de conducteurs ayant perdu tous leurs points conduisent sans permis pose un vrai problème pour la sécurité routière en France.

M. Marc Meunier. Je ne faisais que citer des éléments de nature à éclairer la représentation nationale.

Je reviens sur les délais de présentation au permis de conduire. En France, cet examen est totalement gratuit et organisé par des fonctionnaires d’État, qui sont naturellement en nombre limité. De plus, la répartition des places à l’examen entre les écoles de conduite dépend indirectement du taux de réussite de chaque école : plus les candidats d’une école réussissent, plus cette dernière peut en présenter chaque mois. C’est un système vertueux, mais qui pénalise les écoles de conduite dont le taux de réussite est moins bon. L’examen du permis de conduire dépend donc de deux acteurs : l’État et l’école de conduite – celle-ci, en fonction de sa propre stratégie commerciale, décide de présenter tel ou tel candidat, et l’administration n’en a pas connaissance auparavant. Les candidats ont également leur propre stratégie : les uns décident de se former rapidement, les autres choisissent la conduite accompagnée. Cette complexité, due à la présence de ces différents acteurs, fait qu’il est difficile d’appréhender la question et de trouver un système qui convienne à tout le monde.

Ce qui préoccupe le plus nos concitoyens, c’est le temps qu’il leur faudra attendre pour repasser l’épreuve en cas d’échec, et non pour se présenter la première fois. C’est très variable d’un département à l’autre et d’une école de conduite à l’autre. On peut imaginer de mettre davantage d’inspecteurs sur le terrain… ou de privatiser le système.

Cela étant, nous disposons de deux outils : soit la mise place d’examens supplémentaires le samedi – mais pour cela, il faut trouver des inspecteurs volontaires – ; soit l’organisation d’opérations « coups de main » entre départements. Toutefois, ce n’est pas totalement satisfaisant et il existe toujours des tensions, surtout dans les départements qui comptent peu d’inspecteurs.

Je reviens aussi sur la progressivité du permis moto. La directive européenne nous impose déjà un seuil de vingt-quatre ans pour les grosses cylindrées. Faut-il porter ce seuil à un âge supérieur, étant entendu que la plupart des personnes qui passeront le permis moto seront déjà titulaires du permis voiture et auront une expérience de la conduite sur route ? Je pose la question.

M. le président Armand Jung. Messieurs, je vous remercie.

La table ronde s’achève à dix-neuf heures quinze.

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