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SOMMAIRE
Présidence de M. Bernard Accoyer
1. Régimes spéciaux de retraite.
M. Jean-Claude Sandrier.
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité.
M. Denis Jacquat,
Mme Marisol Touraine,
MM. Roland Muzeau,
Jean-Luc Préel.
M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires cultuelles.
Mme Bérengère Poletti,
MM. Christophe Sirugue,
François de Rugy,
Charles de Courson,
Hervé Mariton,
Guénhaël Huet,
Patrick Roy,
Jean-Frédéric Poisson.
M. le ministre.
2. Ordre du jour de la prochaine séance
(La séance est ouverte à neuf heures trente.)
Déclaration du Gouvernement
et débat sur cette déclaration
Mon rappel au règlement se fonde sur l’article 58, alinéa 1.
Voilà cinq jours seulement que les députés ont été avertis de la modification de l’ordre du jour relative aux régimes spéciaux de retraite. Quelle précipitation pour une discussion non suivie d’un vote, qui se soldera par la simple signature d’un décret ! Comment le Gouvernement peut-il agir ainsi à l’égard des élus du peuple, au moment même où, avec le Président de la République, il dit vouloir accorder plus de pouvoirs au Parlement ?
Cette précipitation et cet acharnement à stigmatiser, sous le faux prétexte d’égalité, quelques corporations gênantes pour mieux s’en prendre demain aux retraites de tous les Français ne nous surprend pas.
Vous n’avez qu’un but en divisant nos concitoyens : tout faire pour masquer le fait que la France a les moyens d’accomplir de nouvelles avancées sociales,…
Les régimes spéciaux reflètent la construction de la couverture du risque vieillesse en France au cours des siècles.
Le meilleur moyen de relever les défis de demain n’est certainement pas l’immobilisme, ni le statu quo.
Car les régimes spéciaux doivent faire face aux mêmes enjeux démographiques et financiers qui ont conduit à ajuster les paramètres des retraites des salariés du secteur privé, des indépendants, des agriculteurs ou, plus récemment, des fonctionnaires. Or ces ajustements, opérés par la loi du 22 juillet 1993 puis par celle du 21 août 2003, n’ont concerné aucun des régimes spéciaux. Cette situation accentue leur singularité et suscite bien des interrogations.
Avant le rendez-vous de 2008 sur les retraites, il nous faut donc veiller à mettre l’ensemble des Français sur un pied d’égalité.
S’agissant des régimes spéciaux, le déséquilibre financier est encore accentué par les évolutions démographiques qui leur sont propres : ils rassemblent aujourd’hui plus de 1 100 000 retraités pour environ 500 000 cotisants, ce qui nécessite cette année l’inscription de plus de 5 milliards d’euros de subventions d’équilibre au budget de l’État. Je précise que le principe de ces subventions est tout à fait justifié, comme est légitime la compensation démographique entre les différents régimes de retraite. C’est là tout simplement l’expression de la solidarité nationale, qu’il n’est pas question de remettre en cause.
Attention cependant : je ne veux faire croire à personne que la réforme des régimes spéciaux apportera immédiatement une solution globale à nos régimes de retraite dans leur ensemble. Les enjeux ne sont pas les mêmes.
N’est-il donc pas tout aussi légitime que les salariés des régimes spéciaux travaillent davantage pour bénéficier d’une retraite à taux plein ? Je suis convaincu que la solidarité sera d’autant plus acceptée par nos concitoyens que les principales règles seront les mêmes pour tous.
Plusieurs rapports récents ont abouti à des conclusions concordantes. Ainsi, dans son rapport sur la sécurité sociale de septembre 2006, la Cour des comptes se livre à une analyse approfondie des régimes de trois entreprises publiques : la RATP, la SNCF et les industries électriques et gazières. Pour sa part, le Conseil d’orientation des retraites indique, dans son rapport de mars 2006, que « dans une perspective d’équité entre les cotisants, il est difficile de ne pas imaginer que la nouvelle étape de la hausse de la durée d’assurance prévue en 2008 ne s’accompagne pas de questions sur l’évolution des régimes spéciaux des entreprises publiques, dont la réglementation n’a jusqu’ici pas évolué ». C’est le COR qui le dit.
S’agissant du contenu de la réforme, nous l’avons dit très clairement, notre objectif est d’harmoniser les règles des régimes spéciaux avec celles de la fonction publique.
Pourquoi les règles de la fonction publique ?
Depuis la réforme de 2003, les principaux paramètres – durée de cotisation et mode d’indexation des pensions en premier lieu – sont communs au régime général et à la fonction publique et sont amenés à évoluer de manière identique à l’avenir. Mais, fondamentalement, le choix de faire converger les régimes spéciaux vers les règles de la fonction publique s’explique par les exigences de service public auxquelles est soumis l’ensemble des agents des entreprises concernées. Il n’est pas question de nier les contraintes particulières inhérentes à la mission de service public ni la pénibilité de certains métiers.
Comme l’a indiqué le Président de la République, tous les sujets, sans exception ni tabou, sont sur la table. Il s’agit en premier lieu de la durée de cotisation, que nous souhaitons harmoniser avec celle de la fonction publique, soit actuellement 40 années. Nous voulons aussi mettre en place un système de décote, mais aussi de surcote, pour inciter à la prolongation d’activité.
Nous devons aussi mettre fin aux pratiques de certaines entreprises qui mettent automatiquement leurs salariés à la retraite dès qu’ils remplissent les conditions pour bénéficier d’une pension.
Il s’agit de donner un vrai choix aux agents qui souhaitent poursuivre leur activité. Je connais, par exemple, dans le Saint-Quentinois – Mme Pascale Gruny pourra en témoigner – un agent de conduite de la SNCF qui a quarante-huit ans et qui sera bientôt obligé de s’arrêter de travailler, alors qu’il préférerait continuer pour pouvoir payer les études de ses enfants qui vont entrer à l’université. Je pense vraiment que ces dates couperet doivent être revues dans l’intérêt des salariés. (« Bien sûr ! » sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Nous discutons également des bonifications, qui sont souvent très différentes d’un régime à l’autre, d’une entreprise à l’autre, voire d’un salarié à l’autre. En outre, la pénibilité des métiers a évolué et ce n’est pas forcément à travers le seul système de retraite qu’il faut en tenir compte. Il faut jouer sur d’autres paramètres, tels que la prévention, les conditions de travail, la rémunération, l’organisation du travail ou encore la gestion des parcours professionnels, notamment dans les deuxième et troisième parties de carrière. En toute hypothèse, les droits acquis, c’est à mes yeux quelque chose qui compte. Ils doivent être pris en compte.
D’autres points sont sur la table. Ainsi, lors de la réforme de 2003, un dispositif de retraite additionnelle a été mis en place pour les agents de la fonction publique. Ne convient-il pas de définir un mécanisme similaire dans les régimes spéciaux, ou d’introduire un dispositif d’épargne-retraite pour tenir compte d’une partie des primes, qui n’entrent pas aujourd’hui dans le calcul de la pension ?
Naturellement, les autres volets de la réforme de la fonction publique de 2003 ont vocation à être également discutés sans tabou, qu’il s’agisse du rachat des années d’études ou des avantages familiaux au regard du principe d’égalité entre les hommes et les femmes.
Enfin, parmi les sujets ouverts à la concertation, un des plus importants concerne le rythme de la convergence avec le régime de la fonction publique. J’ai entendu à ce sujet les interrogations des salariés des régimes spéciaux, qu’ils soient gaziers, électriciens, agents de la RATP, cheminots ou clercs de notaire. Je leur ai dit à tous, et je veux le répéter ici solennellement, que cette réforme ne se fera pas brutalement.
Ce ne sera pas une réforme-couperet. Une chose est claire : nous n’harmoniserons pas les durées de cotisation du jour au lendemain, pas plus que nous n’introduirons brutalement un mécanisme de décote qui bouleverserait, du jour au lendemain, les projets de vie des agents de ces entreprises. Nous ne l’avons pas fait pour les autres régimes. Avec les réformes précédentes, de 1993 et de 2003, les choses se sont faites progressivement. Pourquoi n’appliquerait-on pas la même progressivité pour les agents des services spéciaux ? Nous allons donc agir progressivement, car c’est aussi une question de respect et de considération pour les agents : nous ne pouvons pas raisonnablement dire à un gazier ou à un roulant qui est à deux mois de la retraite qu’il devra, du jour au lendemain, travailler 2,5 années de plus. Nous devons ce respect aux agents et, à travers eux, au service public qu’ils assurent et assument.
En ce qui concerne la méthode, nous avons fait le choix du pragmatisme et de la plus large concertation possible. Cette concertation concerne au premier chef les partenaires sociaux. Je le dis à l’ensemble des parlementaires présents, mais je le dis également à l’ensemble des agents des régimes spéciaux : cette réforme est nécessaire. Et la meilleure façon de la réussir, c’est de la mener avec eux. Je ne sais pas réformer sans concertation. Voilà pourquoi j’ai conduit depuis quinze jours, à la demande du Président de la République, une première concertation pour dresser un état des lieux du dossier.
J’ai reçu l’ensemble des organisations syndicales représentées dans les branches et entreprises concernées, et celles qui en ont fait la demande ainsi que les employeurs et les directions de ces entreprises : la SNCF, la RATP, les représentants de la branche des industries électriques et gazières, d’EDF et de GDF, l’Opéra de Paris, la Comédie-Française et le Conseil supérieur du notariat.
Toutes les organisations, sans exception, ont participé à cette concertation – ce qui est déjà important en soi. Chacun a pu constater que la réforme n’était pas bouclée, mais que nous jouions cartes sur table et qu’il existait de vrais espaces pour la concertation. Sur tous les points, j’ai demandé à l’ensemble des acteurs – fédérations comme entreprises – de me faire part de leurs propositions. Des réunions techniques approfondies continuent aujourd’hui encore à être organisées par mes collaborateurs avec tous ceux qui souhaitent construire et discuter avec nous des modalités pratiques de la réforme. D’autres organisations m’ont fait savoir qu’elles me transmettraient des propositions par écrit.
Mais ce sens de l’ouverture et du dialogue, je veux aussi l’exprimer vis-à-vis du Parlement. Si j’ai souhaité m’exprimer devant vous, après avoir reçu, avant-hier, au ministère, les représentants de l’ensemble des groupes et des commissions concernées, c’est pour rendre compte de notre action à la représentation nationale et montrer que, sur un sujet aussi important, le Gouvernement entendait avancer dans la transparence et le dialogue. C’est tout le sens du débat que nous allons avoir aujourd’hui.
Et si ce débat ne donne pas lieu à un vote, c’est tout simplement parce que les règles et les paramètres des régimes spéciaux ne relèvent pas du domaine de la loi. Il s’agit en effet de dispositions statutaires qui relèvent du domaine réglementaire, du domaine du décret. J’ai pu entendre certains commentaires sur ce passage par la voie réglementaire. Franchement, nul besoin de se lancer dans des polémiques en disant que prendre un décret, ce serait passer en force et refuser le dialogue. Je voudrais simplement rappeler que la loi n’est pas à elle seule la garantie de la concertation et que l’on a déjà vu des lois qui faisaient fi du dialogue (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine), des lois votées par la droite, des lois votées par la gauche – si vous voyez ce que je veux dire. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)
A contrario, l’on peut tout à fait avancer par la voie réglementaire, après avoir écouté les uns et les autres pour trouver les bonnes solutions.
Mesdames, messieurs les députés, j’attends à la fois que vous me fassiez connaître votre position sur ces sujets et que vous me fassiez part – aujourd’hui ou, si possible, demain ou après-demain – de vos éventuelles propositions.
Quelle est, à vos yeux, la bonne durée de convergence ? Quel est, à vos yeux, le bon rythme de montée en charge du système de décote ?
Devant vous, je veux aussi annoncer le calendrier à venir : à la suite du débat que nous allons avoir aujourd’hui, j’engagerai dans le courant du mois d’octobre un second tour de discussions, avec les mêmes acteurs que j’évoquais tout à l’heure. À cette occasion, je leur présenterai un document d’orientation qui précisera, parmi les différents sujets mis sur la table, ce qui relève de la responsabilité gouvernementale – à savoir les principes généraux d’harmonisation – et ce qui relève de la négociation dans les entreprises.
Car l’objectif des concertations que je mène est de dégager les principes communs de l’harmonisation des régimes spéciaux avec le régime de la fonction publique. Ensuite, ces principes seront mis en œuvre entreprise par entreprise, pour tenir compte des spécificités et de l’identité de chaque régime. Des négociations s’ouvriront alors sans délai sur un certain nombre de sujets au sein des branches et des entreprises concernées.
La réforme devra être prête pour la fin de l’année, ce qui nous laisse trois mois pour continuer cette concertation et ces négociations. Cela nous permettra aussi d’expliquer, le plus rapidement et le plus précisément possible, à chaque agent relevant des régimes spéciaux, les objectifs et le contenu de cette réforme, afin qu’il puisse en mesurer les enjeux et les conséquences pour lui-même.
Mesdames et messieurs les députés, voilà ce que je souhaitais vous dire, dans un premier temps, en ouvrant ce débat. J’ai entendu hier, au Sénat, nombre de remarques de forme. J’ai entendu tout à l’heure des remarques de forme. Je pense que les Français attendent de savoir quelle est la position des uns et des autres sur le fond de ce dossier, pour que chacun puisse faire face à ses responsabilités.
La réforme des régimes spéciaux est nécessaire. Voilà pourquoi nous devons la réussir. Nous avons même la possibilité de nous retrouver sur l’essentiel : sur l’idée de justice et sur la nécessité de garantir l’avenir des retraites des salariés concernés par ces régimes spéciaux. J’ai le sentiment que ce débat n’est ni de droite ni de gauche. J’ai le sentiment que, sur un débat comme celui-ci, il est essentiel de bien comprendre les positions et les propositions de chacun. J’ai surtout le sentiment que chacun peut porter un regard serein sur ce dossier, que le dialogue dans cet hémicycle peut être de même nature que le dialogue social : franc bien sûr – je n’en doute pas un seul instant –, mais forcément constructif. J’ai, enfin, le sentiment que, sur ce dossier, avec de la détermination et de la méthode, nous pouvons faire la preuve que la société française de 2007 est tout sauf une société bloquée. Et cela devrait réjouir les uns et les autres. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)
Au nom du groupe de l’Union pour un mouvement populaire, la parole est à M. Denis Jacquat.
Certes, il n’appartient pas au Parlement de fixer les paramètres économiques et financiers d’un régime de sécurité sociale. Seuls l’existence, l’objet des prestations et le mode de gouvernance des régimes d’assurance vieillesse obligatoire relèvent de la loi en application de l’article 34 de la Constitution. Il est néanmoins fondé que le Parlement puisse être saisi au sujet des régimes spéciaux.
Ce débat permet de confirmer publiquement que le Gouvernement peut valablement modifier les paramètres économiques et financiers des régimes spéciaux par voie de décret. Certains régimes spéciaux sont même entièrement régis par un décret, comme c’est le cas du régime de retraite des artistes de l’Opéra de Paris, de la Comédie-Française ou des membres du Conseil économique et social. Dans ce dernier cas, seule l’existence de la caisse figure dans une loi, celle du 10 juillet 1987. C’est d’ailleurs grâce à ce statut entièrement réglementaire que le Gouvernement a pu réformer, après une large concertation, le régime de retraite des agents de la Banque de France par le décret du 27 février 2007, afin de rapprocher ses règles de celles du régime des fonctionnaires civils de l’État.
Je préciserai même que, si certaines règles et paramètres d’assurance de ces régimes spéciaux figurent dans des lois, il sera loisible au Gouvernement de délégaliser les dispositions en cause après avis du Conseil d’État pour les lois antérieures à la Ve République ou après avis du Conseil constitutionnel pour les lois votées sous la Ve République.
Les régimes spéciaux sont une spécificité française. En Allemagne, il n’existe qu’un seul régime spécial, celui des mineurs, qui a d’ailleurs vocation à disparaître avec la fermeture de la dernière mine en 2014.
La France a non seulement multiplié les régimes spéciaux, mais elle a également multiplié les régimes de base, aussi bien dans le secteur privé que dans le secteur public, alors que, à la Libération, les députés avaient été élus pour mettre en place la sécurité sociale généralisée !
Ainsi, pour mettre en place le droit à l’information des assurés sur leur retraite, il a fallu coordonner trente-six régimes d’assurance vieillesse – et encore tous les régimes spéciaux ne sont-ils pas englobés dans cette coordination.
Je ne suis pas un partisan de l’uniformité, mais on est en droit de s’interroger sur cette diversité, cet éparpillement lorsque des régimes couvrent quelques centaines d’assurés et qu’ils ont plus de retraités que d’actifs. Les régimes spéciaux sont inscrits dans l’histoire de France, comme vient de le rappeler M. le ministre.
Par la suite, la loi du 9 juin 1853 unifia le régime des fonctionnaires et mis en place le mode de fonctionnement par répartition. Sous l’impulsion de l’État, qui entendait développer l’activité économique et construire de grandes infrastructures, ce modèle fut décliné par de nombreuses entreprises et établissements sous la forme de caisses de retraites privées permettant d’attirer une main-d’œuvre fidèle. Sont ainsi apparus la plupart des régimes spéciaux actuels : transport parisien, mines, chemins de fer, IEG. Le problème est que le régime des fonctionnaires a évolué, tandis que la plupart des régimes spéciaux ont figé leurs paramètres.
Je ne citerai qu’un seul exemple : la SNCF a, par exemple, conservé l’usage du départ en retraite prévu par la loi du 9 juin 1853, à cinquante et cinquante-cinq ans, ces âges ayant été définis à une époque où l’espérance de vie à la naissance était à peine supérieure à trente-neuf ans pour les hommes.
De même, la règle des 37,5 ans pour la durée d’assurance permettant d’obtenir une pension au taux maximal traduit le maintien dans la plupart des statuts des régimes spéciaux d’une disposition fixée par la loi du 20 septembre 1948 qui a réformé le régime des fonctionnaires. Plus ancien encore : certaines règles en matière de bonifications pour enfants, de retraite anticipée pour les mères de trois enfants, de majoration de pension et de réversion restent issues de la loi du 14 avril 1924 qui a défini ces mécanismes pour les fonctionnaires.
Le caractère figé des régimes spéciaux n’est plus acceptable aujourd’hui, au nom de l’équité.
Dans son troisième rapport, de mars 2006, le Conseil d’orientation des retraites a pointé la nécessité de faire évoluer la réglementation des régimes spéciaux, notamment pour accompagner le relèvement de la hausse de la durée d’assurance votée en 2003.
L’équité exige, en effet, que, lorsque l’on réforme la fonction publique et le secteur privé, les régimes spéciaux ne soient pas tenus à l’écart. Les efforts en matière de retraite doivent être également partagés entre tous les Français. Aujourd’hui, le gouvernement de François Fillon ne fait que mettre en œuvre ce simple principe d’équité.
Certains disent que cette réforme est faite dans la précipitation.
L’approche des régimes spéciaux nécessite toutefois de la prudence : il est hasardeux de comparer un régime spécial à un autre. S’il doit y avoir un point de référence, ce doit être le régime des fonctionnaires de l’État. De plus, chaque régime spécial doit être traité séparément car les règles d’assurance, les conditions de travail et les modes de rémunération forment un tout.
Si l’uniformité n’est pas souhaitable, des règles communes sont toutefois indispensables. L’adaptation de ces règles communes doit être discutée régime par régime, mais il ne serait pas acceptable qu’une fois de plus les régimes spéciaux divergent quant à la substance même de ces règles.
Je préconise donc que nous nous référions aux propositions du Conseil d’orientation des retraites pour arrêter le noyau commun des règles et paramètres d’assurance des régimes spéciaux. Dans son quatrième rapport de janvier 2007, le COR a proposé quatre orientations de réforme des régimes spéciaux.
Premièrement, il faut allonger les durées d’activité et les durées d’assurance, de manière à appliquer les mesures de réforme de la loi du 21 août 2003 qui tendent à prendre en compte l’allongement de la durée de vie des Français. En ce sens, il me paraît inévitable que la durée d’assurance exigée pour obtenir une pension au taux maximum passe de 37,5 ans à 40 ans, comme cela a été fait pour les fonctionnaires et dans certains régimes spéciaux comme celui des députés – j’insiste : comme celui des députés – ou de la Banque de France. De même, il faut réexaminer les âges de départ en retraite inférieurs à soixante ans.
Deuxièmement, cet allongement des durées d’activité et d’assurance doit cependant être apprécié en prenant en compte la politique du travail et de l’emploi des entreprises et administrations ainsi que la pénibilité du travail – je vais y revenir.
Troisièmement, les avantages familiaux et conjugaux doivent être harmonisés et rendus conformes au droit européen comme cela a été fait pour les régimes de fonctionnaires et les régimes de droit commun du secteur privé.
Quatrièmement, les modalités d’indexation des pensions doivent également être harmonisées pour placer les Français dans une position d’égalité, les garanties de pouvoir d’achat doivent être les mêmes pour tous.
À titre personnel, j’ajouterai un item : la mise en place d’un mécanisme de décote et de surcote car il répond à un objectif majeur de la politique des retraites en France, à savoir inciter les Français qui le souhaitent à travailler plus longtemps. Les taux de minoration et de majoration pourraient être adaptés aux spécificités de chaque régime. Pour ma part, je pense que ce mécanisme est indispensable.
Comme je l’ai dit, la réforme des régimes spéciaux ne peut être dissociée d’une prise en compte de la pénibilité au travail. Cette question n’est pas spécifique aux régimes spéciaux. Pierre Méhaignerie va nous expliquer qu’à l’exception des régimes des marins et des mineurs, l’usure physique au travail n’a pas été le facteur motivant la mise sur pied d’un régime spécial de retraite. En outre, la pénibilité au travail est par nature évolutive dans le temps ; il n’est pas ainsi normal que les règles dérogatoires liées aux services actifs de certains régimes spéciaux soient figées depuis cinquante ans.
La pénibilité est une notion dont les contours sont difficiles à tracer. Il est particulièrement délicat de déterminer les critères de pénibilité d’un métier ou d’un emploi. Certes, plusieurs critères sont connus, mais leur combinaison et leur poids est délicat à apprécier. Les mécanismes de compensation de la pénibilité peuvent revêtir plusieurs formes. La compensation ne doit pas, en effet, exclusivement passer par l’adaptation des règles d’assurance vieillesse.
La compensation de la pénibilité peut passer par l’amélioration des conditions de travail, l’aménagement des postes de travail, l’adaptation de la rémunération, l’établissement de rythmes de travail ou de congés adaptés. Beaucoup de travailleurs exerçant objectivement des métiers pénibles prolongent leur activité au-delà de l’âge d’ouverture de leurs droits à la retraite. C’est notamment le cas des marins. Je pense que les critères de la pénibilité doivent être définis nationalement et sur le plan interprofessionnel, au nom de l’équité entre tous les Français. C’est seulement ensuite qu’ils devraient être déclinés entreprise par entreprise, métier par métier ou branche par branche. Si tout était décidé entreprise par entreprise, celles qui disposeraient de fonds propres importants seraient en mesure d’organiser des dispositifs de compensation substantiels contrairement aux marins pêcheurs, aux mineurs ou aux salariés des PME, par exemple.
Le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche m’a fait savoir que M. Pascal Terrasse abandonnait son temps de parole. Mme Touraine disposera donc de vingt minutes.
Quelle urgence y avait-il donc à revoir les régimes spéciaux de retraite, dès maintenant, en engageant une consultation précipitée et donc largement factice, alors que le rendez-vous de 2008 se prépare et que personne – je dis bien : personne – n’envisageait à cette occasion de laisser ces régimes inchangés ? Quelle urgence y avait-il à avancer encore le débat qui nous réunit dans cet hémicycle aujourd’hui, et qui relève plus de l’affichage politique que de la consultation parlementaire ?
Quelle urgence, donc, sinon celle de donner des gages à votre majorité,…
Parlons équité, justement. Pourquoi faudrait-il qu’elle s’arrête aux portes des privilèges des plus favorisés ? Ce qui vaut pour les uns doit valoir pour les autres, qui ont droit à des bonus, des stock-options, des retraites chapeaux et autres parachutes dorés, quand ce n’est pas tout à la fois ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Ces principes, si vous voulez bien les entendre, sont assez précis.
Le premier, c’est qu’il n’y aura pas de réforme réussie sans réforme négociée, au cas par cas, entreprise par entreprise, secteur par secteur.
Vous nous parlez toujours des conducteurs de la RATP ou de la SNCF. Mais permettez-moi d’évoquer les femmes clercs de notaire, qui, elles, n’appartiennent pas au monde des entreprises publiques, que vous citez si systématiquement. Elles gagnent en moyenne 30 % de moins que les hommes de leur profession mais partent à la retraite plus tôt. Dans ces conditions, comment leur imposer de partir plus tard, sans que soit revu parallèlement leur niveau de salaire ?
Le deuxième principe, c’est que la réforme des régimes spéciaux comme de l’ensemble des régimes de retraite doit garantir un taux de remplacement effectif des pensionnés. On ne peut verser des larmes de crocodile sur les petites retraites et dans le même temps rogner le pouvoir d’achat des retraités. Le choix a été fait en 2003 de faire porter le poids de la réforme sur la durée de cotisation. Les Français vivent plus longtemps ; on peut comprendre qu’une partie de ce temps gagné soit consacrée à travailler. (Applaudissement sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Alors, monsieur le ministre, vous pouvez toujours nous annoncer un nouveau plan, mais ce sont les entreprises qu’il faut contraindre d’embaucher plus qu’il faut chercher à nous convaincre.
Le troisième principe concerne la prise en compte de la pénibilité des emplois et la nécessaire revalorisation du travail.
Permettez-moi, pour terminer, d’insister sur la nécessité, au-delà des slogans de campagne, d’accorder davantage de considération à ceux qui travaillent dans des conditions difficiles.
Nous en avons aujourd’hui la parfaite illustration. Vous organisez, monsieur le ministre, un débat sans vote, dans la précipitation, simplement pour informer le Parlement de vos intentions et de vos postures idéologiques. Tout est bouclé.
Le chef de l’État n’a accordé que quinze jours à la discussion entre partenaires sociaux. Est-ce là agir avec le sérieux et le sens des responsabilités dont le Chef de l’État, le Gouvernement et sa majorité se prétendent seuls dépositaires ?
De la même manière, vous prétendez aujourd’hui être les seuls à vouloir réformer. Nous aurions d’un côté les hommes d’action, de l’autre, d’incurables nostalgiques.
Concernant notre système de retraite, je rappellerai simplement, à ce stade, que tout le monde s’accorde sur les difficultés financières que connaît la sécurité sociale depuis vingt ans et sur la nécessité de mener des réformes de grande ampleur.
Nul ne peut se satisfaire d’un déficit de la sécurité sociale estimé à 12 milliards d’euros pour 2008, et qui s’élève à 42 milliards de déficit cumulé en cinq ans – cinq ans de gouvernement de droite. Chacun est également parfaitement conscient, sur ces bancs mais aussi parmi les partenaires sociaux, des déséquilibres financiers des comptes qui affectent la branche vieillesse – 4,5 milliards d’euros de déficit en 2007 – et de la situation financière des régimes spéciaux.
Rappelons qu’en 2002 tous les comptes de la sécurité sociale étaient excédentaires et que les comptes sociaux sont aujourd’hui dramatiquement dans le rouge, du fait de la politique que vous menez depuis cinq ans.
Au moment même où les plus grands dirigeants d’EADS – Forgeard, Lagardère, Enders et quelques autres –
Vous vous gardez bien, par exemple, de rappeler à nos concitoyens comment fonctionnent les régimes spéciaux, quelle est la situation concrète des salariés et retraités des secteurs concernés et vous occultez bien sûr la part de responsabilité qui est celle de votre majorité dans les déséquilibres actuels.
Nous avons compris que votre propos ne visait qu’à faire des salariés relevant des régimes spéciaux des boucs émissaires de l’échec social et financier de vos réformes successives afin de préparer l’opinion à de nouveaux reculs sociaux, notamment à l’allongement de la durée de cotisation à 42 ans pour tous, dès 2012.
Nous y reviendrons, mais penchons-nous tout d’abord sur les éléments de diagnostic. Ils s’écartent pour le moins de vos arguments démagogiques.
Votre projet de réforme des régimes spéciaux vise essentiellement les trois principaux : EDF-GDF, SNCF et RATP. Ces trois régimes touchent près de 500 000 personnes et comptent environ 360 000 cotisants actifs. Ces salariés et retraités ne sont nullement des privilégiés. Contrairement à ce que vous laissez entendre, ceux-ci ne vivent pas aux crochets de l’État ou de l’ensemble des cotisants du régime général, mais ils financent eux-mêmes les acquis de leur régime. Les taux de cotisation sont supérieurs de 12 % à ceux du régime général et correspondent au financement des dispositions particulières visant l’âge du départ à la retraite, la durée de cotisation et l’absence de décote lorsque la durée de cotisation maximale n’est pas atteinte. Les régimes spéciaux apportent solidairement 3,8 milliards d’euros au titre de la compensation et ne reçoivent globalement que 400 millions d’euros. La vérité est que, si l’État intervient, c’est uniquement en compensation des déséquilibres démographiques de ces régimes, mais nullement pour servir des droits spécifiques.
La suppression des droits spécifiques que vous visez ne change donc rien à la situation. Ces droits disparaîtront, mais pas la contribution de l’État. Ce que vous préparez est tout autre : c’est précisément la suppression de la contribution de l’État, laquelle aura pour conséquence de faire peser le déficit démographique des secteurs concernés sur tous les salariés, ce que vous vous gardez bien d’ébruiter !
Vous ne proposez aujourd’hui au fond que de désengager l’État dans le financement des déséquilibres démographiques, en vue de le faire supporter directement à l’ensemble des cotisants, fût-ce en les invitant à se tourner vers les assurances privées.
Cette approche est proprement inacceptable car il est de la responsabilité de l’État, au nom de la solidarité nationale, de contribuer au financement des régimes de retraites.
Cette contribution est d’autant plus nécessaire que les déséquilibres des régimes se sont aggravés du fait des politiques d’emploi menées volontairement par les entreprises publiques concernées, politiques que vous avez soutenues, voire initiées.
Quand EDF annonce 6 000 suppressions d’emplois cette année et que seulement la moitié des 22 000 départs à la retraite seront remplacés entre 2010 et 2015 sans que vous leviez le petit doigt, il y a matière à interrogations.
Il est tout aussi scandaleux de continuer à vouloir faire peser sur le régime général et sur celui de la fonction publique, donc sur les seuls cotisants, le financement des régimes autonomes déficitaires, comme c’est le cas depuis trente ans.
Vous faites ainsi l’impasse sur les régimes autonomes : celui des exploitants agricoles, le régime des salariés agricoles, celui des commerçants et artisans.
Vous faites du désengagement de l’État votre unique priorité. Partant, vous trompez nos concitoyens sur les objectifs et les conséquences de votre réforme. Vous passez également sous silence, et on vous comprend, les conséquences désastreuses de vos précédentes initiatives, lesquelles s’inscrivaient dans le même schéma et aveuglement dogmatique que celui qui préside à vos velléités actuelles.
Elles sont à l’origine de nombre des difficultés que nous rencontrons aujourd’hui et elles sont la cause de l’inquiétude légitime de nos concitoyens, pour leur avenir comme pour celui de leurs enfants.
Je pense en premier lieu à l’échec social et financier de la réforme des retraites de 2003, conduite par l’actuel Premier ministre alors ministre des affaires sociales.
Cette réforme, qui ne proposait aucune solution financière de règlement, s’est traduite, et vous le savez, par la dégradation du taux de remplacement, par davantage d’injustices, notamment pour les femmes, et par l’augmentation du nombre des très petites pensions. Un million de retraités se situent en effet aujourd’hui en dessous du seuil de pauvreté.
On pourrait s’étonner que vous persistiez à vouloir conduire des réformes qui, depuis bientôt quinze ans, ont démontré leur nocivité.
Mais outre que vous tenez à prendre aujourd’hui votre revanche sur l’échec retentissant que le mouvement social vous avait fait subir en 1995, votre politique présente une grande cohérence. Du reste, on ne peut que s’incliner face à un tel acharnement et à un tel zèle dogmatique à reprendre à votre compte les recettes de MM. Bush, Reagan et de Mme Thatcher, autant dire celles de Mme Parisot aujourd’hui.
Qu’il s’agisse de la limitation du droit de grève, de la franchise de soins, de la réforme des retraites ou des modifications à venir du code du travail dans le sens de l’unification des contrats de travail, vous ne poursuivez qu’un seul objectif : remettre en cause l’ensemble des droits collectifs.
Vous prétendez promouvoir de nouveaux droits, mais votre action ne vise qu’à « liquider », pour reprendre la tristement célèbre formule de l’ancien patron du MEDEF, l’héritage de la Libération et les mécanismes de solidarité qui sont au fondement de notre pacte social, pour leur substituer une invitation de plus en plus pressante à recourir aux assurances privées.
Vous ne vous souciez guère de l’avenir des familles modestes, de tous ceux qui vivent déjà dans la précarité et envisagent avec grande inquiétude leur retraite, de ces jeunes qui entrent de plus en plus tard dans la vie professionnelle et voient se profiler les 42, puis peut-être les 45 annuités de cotisations.
« Chacun pour soi, Dieu pour tous » : telle est la formule que vous rêvez peut-être de voir inscrite au frontispice de nos bâtiments publics. (Sourires.) Ce n’est évidemment pas ainsi que nous voyons les choses.
Votre proposition de réforme des régimes spéciaux sert de paravent à votre volonté de pousser l’ensemble des salariés vers la « capitalisation » et de réduire leurs droits.
Les régimes spéciaux sont là en effet pour rappeler combien les réformes engagées par la droite depuis 1993, avec M. Balladur, ont dégradé les droits de l’ensemble des salariés. On comprend donc que vous cherchiez à les faire disparaître, comme vous souhaitez éviter toute amélioration de la situation de certaines catégories de salariés du secteur privé victimes de la pénibilité du travail. De fait, vous n’avez rien fait pour inciter le patronat à revenir à la table des négociations sur cette question importante. Plus ça dure, meilleur c’est : c’est ce que vous indiquez !
Vous avez en revanche tout fait pour dégrader les comptes sociaux. Pas plus tard que cet été, vous avez encore fait voter de nouvelles exonérations patronales. De même, 2,5 milliards d’euros manquent au titre des exonérations de cotisations retraite.
Vous tentez de créer une situation de non-retour en vous cachant derrière l’argument de l’évolution démographique. Or, si cette évolution incite à rechercher de nouvelles sources de financement, elle ne peut servir de prétexte à une stratégie de liquidation.
À nos yeux, l’État, au titre de la solidarité nationale, doit prendre toute sa part dans le financement de notre système de retraite pour compenser le déficit démographique. Il serait plus que temps que vous retiriez vos œillères et que vous vous attachiez moins à réduire les dépenses publiques, avec les effets désastreux que l’on sait pour nos services publics, qu’à garantir les recettes.
Les exonérations de cotisations patronales que vous avez multipliées depuis cinq ans privent les comptes sociaux d’importantes ressources financières. Les baisses d’impôts accordées aux entreprises comme aux ménages les plus aisés continuent à peser sur les finances de l’État, et les 15 milliards accordés aux plus riches cet été auront du mal, que vous le vouliez ou non, monsieur Bertrand, à passer pour de la justice ou de l’équité, non plus que les quasi-exonérations d’ISF ou la menace de TVA repoussée après les élections municipales.
Monsieur le ministre, le temps est clairement venu de se pencher sur le dossier des financements et de la nécessaire taxation des revenus financiers. La Cour des comptes vous y invite implicitement en soulignant, par exemple, que 3 milliards d’euros seraient immédiatement disponibles par la seule taxation des stock-options.
Il semble qu’il vous a aussi échappé que la part des salaires dans le PIB a chuté de 12 % en vingt ans. Cette profonde anomalie bouleverse l’équilibre de nos comptes sociaux.
Non seulement il est utile d’engager un mouvement inverse, mais aussi de ne plus faire reposer le financement de notre régime de retraite sur les seules cotisations, en cherchant les voies et moyens d’une taxation efficace des revenus financiers, lesquels ne sont pas tirés de ce « travail » que vous prétendez abusivement défendre.
Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, nous ne partageons rien de vos décisions. Nous refusons d’adhérer à un discours national qui se veut de « bon sens » car ce « bons sens » dans la bouche du MEDEF,…
Comptez sur notre mobilisation et celle des salariés pour faire obstacle à vos projets de réforme, qui ne se fondent que sur la préoccupation de clouer au pilori les valeurs d’égalité, de justice et de solidarité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
N’entendons-nous pas souvent des jeunes désabusés nous dire : « Je cotise aujourd’hui mais, demain, je n’aurai pas de retraite » ?
Alors, monsieur le ministre, merci. Ce débat est une excellente initiative. Il démontre votre souci d’écoute et de dialogue, et nous souhaitons qu’il soit utile.
Tiendrez-vous compte de nos propositions ?
Pourtant, au nom du Nouveau Centre, contrairement aux socialistes, j’ai des propositions à vous faire, et il me serait agréable que vous puissiez en tirer profit.
Nous souhaitons relancer le dialogue social et responsabiliser les partenaires sociaux. Nous voulons l’équité entre tous les Français, en termes de durée de cotisation mais aussi de taux de cotisation et de salaire de référence.
Nous souhaitons également que la solidarité nationale puisse prendre en compte la pénibilité avérée et permette de revaloriser les petites retraites.
Notre système de retraite est au cœur du pacte républicain, basé sur un principe généreux, celui de la répartition, qui permet une grande solidarité entre les générations puisque ce sont les actifs d’aujourd’hui qui paient pour les retraités d’aujourd’hui.
Mais il est soumis à des contraintes fortes que chacun ici connaît, en raison du papy boom et de l’augmentation de la durée de vie. En 1940, nous comptions 500 000 naissances ; en 1946, 800 000, qui arrivent à la retraite aujourd’hui. En 1950, il y en a eu 830 000.
De plus, nous gagnons en espérance de vie un trimestre par an. La durée de vie du retraité en bonne santé augmente, c’est une bonne nouvelle, mais le financement a du mal à suivre.
Deux réformes courageuses sont intervenues, mais elles n’ont été que partielles.
La réforme de M. Balladur, en 1993, après des années d’atermoiement des gouvernements socialistes, n’a été que partielle puisqu’elle ne concernait que les salariés du privé. Elle comportait cependant trois mesures importantes : l’allongement de la durée de cotisation à 40 ans pour bénéficier d’une retraite à taux plein, la prise en compte des 25 meilleures années et l’indexation des retraites sur l’inflation.
La réforme de M. Fillon de 2003, dont vous étiez le rapporteur, monsieur le ministre, concernait uniquement les fonctionnaires, laissant de côté les régimes spéciaux. De plus, elle ne prévoyait que l’augmentation de la durée de cotisation sans toucher au salaire de référence ni au taux de cotisation. Si bien que, si l’on prend l’exemple des enseignants, des inégalités importantes en termes de cotisations et de prestations demeurent entre les enseignants du public et du privé. Cette réforme n’a pas appliqué le principe pourtant simple : à cotisation égale, prestation égale. Elle comportait de nombreuses autres mesures telles la décote, la surcote, la réforme de la pension de réversion, mais aussi la prise en compte des longues carrières, mesure très attendue et qui a rencontré un franc succès, assez coûteux il faut le reconnaître.
Elle prévoyait l’équilibre financier en se fondant sur deux hypothèses optimistes : une croissance forte et la réduction importante du chômage. Or nous constatons que, cette année, le déficit du régime de base est de l’ordre de 4,6 milliards et qu’il existe de grandes inégalités en termes de durée de cotisation, de taux de cotisation, de salaire de référence, de durée de vie à partir de l’âge de la retraite. Une nouvelle réforme est donc indispensable si nous voulons sauvegarder notre système de retraite.
Monsieur le ministre, au nom du Nouveau Centre, je souhaite vous faire part de nos propositions sur l’ensemble des régimes de retraite, y compris donc les régimes spéciaux, qui seront sans doute revus en 2008. Elles reposent sur deux principes : d’une part, la nécessité de relancer le dialogue social et de responsabiliser les partenaires sociaux ; d’autre part, l’équité entre tous les Français en prenant en compte la pénibilité réelle du travail.
Il faut relancer le dialogue social et responsabiliser les partenaires sociaux dans leur domaine de compétence, c’est-à-dire celui lié au travail et financé par des cotisations salariales et patronales. J’entends par là le chômage, les accidents du travail et les maladies professionnelles – avec la création d’une branche spécifique réellement autonome pour ces deux risques –, les retraites complémentaires et, bien entendu, la retraite de base. Aujourd’hui, les partenaires sociaux participent au conseil d’administration de la CNAV, mais ils ne décident ni des cotisations, ni des prestations. Ils ne sont donc pas en position de responsabilité puisqu’ils gèrent seulement les prestations sociales.
Le Nouveau Centre souhaite donc responsabiliser les partenaires sociaux – lesquels ne peuvent qu’être d’accord avec ce principe fondamental – en donnant une réelle autonomie à la CNAV et en évoluant vers un régime par points. Ainsi, chaque année, les partenaires sociaux décideront de la valeur d’achat et de la valeur de liquidation du point, de façon à permettre l’équilibre financier. De plus, un système par points permet au bénéficiaire de partir à la retraite lorsqu’il estime avoir atteint un nombre suffisant de points. Il préserve donc une grande liberté de choix, réalise ainsi une retraite à la carte, et rend inutile le système complexe de décote et de surcote. Le système permet également une bonification de points pour les trimestres non cotisés : pour les mères de famille, pour les accidents de la vie, pour ceux qui continuent à travailler au-delà de l’âge légal, mais aussi, et surtout, selon la pénibilité du travail.
Quant aux régimes spéciaux, ils ont tous une histoire. Les avantages qui leur ont été consentis par rapport au régime général se justifiaient précisément par la pénibilité des tâches. Il en était ainsi des conducteurs de machines à vapeur de la SNCF. Mais, depuis lors, les conditions de travail ont bien évolué, et il est sans doute plus pénible de ramasser des œufs dans des poulaillers industriels ou de travailler aux abattoirs que de conduire un TGV.
La mise en extinction des régimes spéciaux apparaît comme une mesure simple et de bon sens,...
Il semblerait, monsieur le ministre, que vous proposiez un rapprochement de ces régimes avec celui des fonctionnaires, c’est-à-dire une modification de la seule durée de cotisation. Il persisterait donc de grandes inégalités avec le régime général en ce qui concerne les taux de cotisation et, surtout, le salaire de référence : vingt-cinq ans, au lieu de six, voire un mois.
Pour conclure, monsieur le ministre, je vous remercie encore pour ce débat, qui nous donne l’occasion d’énoncer clairement les propositions du Nouveau Centre. J’espère vous en tiendrez compte, même s’il n’y a pas de vote, même si de mauvaises langues annoncent que tout est déjà bouclé,...
Je vous rappelle que nous souhaitons la sauvegarde de notre système de retraite, l’équité entre tous les Français grâce à la prise en compte de la pénibilité réelle, la responsabilisation des partenaires sociaux en leur confiant la gestion réelle du régime général de retraite, l’évolution vers un régime par points permettant l’équilibre financier et la liberté de choix pour une véritable retraite à la carte, la mise en extinction des régimes spéciaux, l’harmonisation progressive de ces régimes et de celui des fonctionnaires avec le régime général pour aboutir à un régime unique de retraite pour tous les Français.
Nous pensons ainsi sauvegarder notre régime de retraite et parvenir à l’équité chère à nos concitoyens. Il ne faudrait pas qu’après leur avoir annoncé l’équité entre les Français, ce qu’ils approuvent quasiment tous, ils découvrent demain que de grandes inégalités subsistent encore. Ils ne pourraient l’accepter.
Merci, monsieur le ministre, pour votre écoute. (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau Centre et sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Avant d’inviter à s’exprimer les autres orateurs inscrits, je donne la parole à M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.
Vivant dans un monde ouvert, pouvons-nous continuer à alourdir les charges pesant sur l’emploi ? Pouvons-nous continuer à augmenter les prélèvements obligatoires ?
Il faut aussi se référer à ce qui se passe chez nos voisins européens. La France est aujourd’hui le seul pays à avoir une multitude de régimes de retraite catégoriels.
Ensuite, les affiliés à ces régimes spéciaux ont considéré leur avantage retraite comme un élément à part entière de leur contrat de travail, au même titre que leur salaire ou leur traitement. C’est vrai. Mais, il y a quarante ans, personne n’imaginait que l’espérance de vie allait gagner neuf ans supplémentaires. Nous devons donc examiner l’avenir de ces vingt-cinq régimes spéciaux, bien qu’il n’y ait pas d’unité entre eux. Le Conseil d’orientation des retraites a été extrêmement précis. Lors de son audition par notre commission, son président a rappelé qu’une répartition du gain d’espérance de vie d’un tiers pour le temps de travail et de deux tiers pour la retraite avait été retenue en 2003. Cet équilibre entre la durée de vie passée respectivement au travail et à la retraite est un excellent principe à la lumière duquel il convient de réexaminer les âges de départ en retraite et les durées d’assurance pour obtenir les pensions au taux maximal prévus par les régimes spéciaux.
Certes, des considérations particulières peuvent entrer en ligne de compte pour justifier des spécificités en matière de retraite – je pense notamment à la pénibilité du travail. Mais, si personne n’être contre l’équité, madame Touraine, il a tout de même fallu attendre 2003 pour corriger l’inégalité majeure provenant du différentiel d’espérance de vie dans notre pays. Or, avant 2003, d’autres que nous avaient gouverné. C’étaient précisément ceux qui avaient l’espérance de vie la plus faible qui avait la durée d’activité la plus longue ! Le problème n’avait pas été traité.
Oui, madame Marisol Touraine, le différentiel d’espérance de vie est l’inégalité majeure.
Dans un bassin d’emploi de ma circonscription, où 32 % des actifs sont ouvriers, j’ai pu mesurer le progrès qu’a représenté la possibilité de partir à la retraite à cinquante-six, cinquante-sept ou cinquante-huit ans pour les 400 000 personnes qui avaient commencé à travailler à l’âge de quatorze, quinze ou seize ans.
Je note à ce sujet la prudence du Gouvernement, qui n’a jamais parlé que d’augmenter de 37,5 à 40 le nombre d’annuités nécessaires alors que beaucoup de bénéficiaires de régimes spéciaux partent en retraite après 32,5 années d’activité. La progressivité de la réforme doit donc être prise en compte.
Si, même en avançant par étapes, nous cherchons à répondre aux exigences d’équité et de solidarité financière, tous les espoirs sont permis. Et nous faisons confiance au ministre Xavier Bertrand…
Plusieurs possibilités s’offrent à nous. On peut diminuer le montant des pensions de retraite : mais les Français le refusent – et on les comprend. On peut augmenter le montant des cotisations : mais c’est une atteinte au pouvoir d’achat. On peut enfin augmenter la durée d’activité, donc celle des cotisations : c’est le choix qu’ont fait tous nos partenaires européens.
Les réformes de 1993 et 2003 ont déjà permis l’alignement progressif des régimes de la fonction publique et du secteur privé, notamment en ce qui concerne la durée des cotisations. Bien que la réforme des régimes spéciaux ne nécessite pas de vote et puisse être réglée par simple décret, vous avez choisi – et je m’en félicite, monsieur le ministre – d’en débattre avec le Parlement et de consulter nos partenaires sociaux.
Comment en sommes-nous arrivés là ? Les régimes spéciaux ont été créés autrefois pour compenser la pénibilité, la dangerosité ou la spécificité de certains métiers. Aujourd’hui, les conditions de travail ont évolué et ces régimes sont en général très déficitaires et mal compris par la majorité des Français. Ils concernent 1,6 million de personnes, dont 500 000 cotisants et 1,1 million de retraités, et représentent 6 % du montant total des pensions versées ; l’État doit débourser chaque année au moins 5 milliards d’euros afin de les amener à l’équilibre budgétaire.
Il a fallu dix ans pour installer la réforme de 1993, cinq pour celle de 2003. Il faut donc prévoir un délai raisonnable pour mettre en place cette nouvelle réforme – peut-être à nouveau cinq années. En outre, une réforme globale des systèmes de retraite devra permettre de revaloriser les petites retraites et le minimum vieillesse.
Je sais, monsieur le ministre, que cette réforme est difficile à mettre en place ; mais elle est attendue par les Françaises et les Français au nom de l’égalité et de la responsabilité dont nous devons faire preuve afin d’assurer le financement de notre système par répartition. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Encore faut-il ne pas se laisser aller à un discours de nature à culpabiliser leurs bénéficiaires, en oubliant de considérer l’ensemble des éléments qui composent leur statut, comme, par exemple, le rapport entre le temps de travail et le salaire ou les spécificités de certains de ces métiers qui ont un jour justifié la mise en place des régimes spéciaux et qui ne sont pas aujourd’hui nécessairement caduques.
Encore faut-il aussi ne pas monter les salariés les uns contre les autres, et je ne crois pas qu’il soit du rôle de la représentation nationale de comparer les conducteurs de TGV aux ramasseurs d’œufs.
Encore faut-il, surtout, se garder des idées simples, voire simplistes, comme des amalgames qui laisseraient accroire que la question du financement du régime général pourrait être réglée par la remise en cause de ces avantages acquis. Il convient en effet de le rappeler : les régimes spéciaux représentent seulement 6 % du montant des retraites pour environ 500 000 cotisants – chiffre à rapprocher des 16,7 millions de personnes soumises au régime général. Les remettre en cause semble dérisoire, sauf à vouloir donner à cette réforme valeur de symbole.
Le dispositif à venir devra donc faire la part juste entre le système par répartition, auquel nous sommes attachés, qui s’appuie sur la solidarité nationale et doit être harmonisé au maximum, et la prise en compte des spécificités réelles de certaines activités.
À cet égard, la question de la pénibilité mérite d’être posée à l’aune de l’espérance de vie. Admettons qu’un métier puisse être pénible sans pour autant influer sur la durée de la vie : il convient alors d’améliorer les conditions de travail afin que les personnes aient envie de rester plus longtemps. Or, compte tenu de la pénibilité de leur travail, des risques de se retrouver sans emploi et de leur impatience à partir en retraite, l’essentiel des salariés de cinquante-cinq à soixante ans n’ont aujourd’hui pas envie que leur période d’activité soit prolongée de trois à cinq ans.
En revanche, si la pénibilité du travail a un effet à long terme sur la santé, elle peut légitimer un départ anticipé à la retraite.
Monsieur le ministre, vous souhaitez parler des régimes spéciaux, mais vous ne dites rien du scandale des retraites « chapeau » et des stock-options, qui, comme cela vient d’être dit, bénéficient aux grands patrons pour 3 milliards d’euros !
Monsieur le ministre, vous essayez de vous draper dans les habits du réformateur. Les Verts aussi pensent que les réformes sont nécessaires ; mais il ne suffit pas d’en parler, il faut les réussir ! Et pour cela, nous sommes convaincus qu’il faut négocier, et non se contenter de brandir devant l’opinion des symboles, ainsi que vous le faites. Commencez par dire la vérité ; et la vérité, c’est que ces fameux régimes spéciaux répondaient, lorsqu’ils ont été négociés, à des besoins spécifiques.
Bien sûr, certaines situations ont évolué et les conditions de travail ont pu s’améliorer, ce qui peut conduire à des changements de régime, mais ceux-ci doivent être discutés secteur par secteur, parce qu’ils méritent autre chose qu’une mesure autoritaire et générale. Il est du reste étonnant que vous imposiez cette méthode de gouvernement alors même que vous l’aviez dénoncée à propos des 35 heures, mesure qui avait pourtant suscité des négociations comme jamais auparavant dans les entreprises et dans les branches sur l’organisation du travail.
Le devoir de vérité devrait également vous amener non seulement à refuser des mesures aveugles mais également à ne pas vous focaliser sur les régimes spéciaux afin de regarder la diversité des situations dans l’ensemble des secteurs de notre économie, à l’intérieur parfois d’une même entreprise. Vous évoquez souvent la SNCF : on sait que la pénibilité du travail n’est pas la même pour un conducteur de TGV, un conducteur de TER ou un conducteur de RER en banlieue, lequel est soumis à des surcharges, à des pannes de matériel vétuste, sans oublier l’agressivité de certains voyageurs. Croyez-vous également que la pénibilité, voire la dangerosité ait disparu pour un cheminot chargé de l’entretien des voies, qui travaille en permanence dehors et monte sur des échelles afin de réparer des caténaires ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Que dire de la différence constatée entre les espérances de vie des ouvriers et des cadres, notamment entre les ouvriers du bâtiment et d’autres employés dont les conditions de travail sont plus correctes ? S’il est juste de modifier les régimes spéciaux de retraite lorsque les conditions de travail se sont vraiment améliorées, il serait tout aussi juste de tenir compte des conditions de travail dégradées qui existent dans d’autres secteurs de l’économie. À partir du moment où vos prétendues réformes sont à sens unique, nous pensons qu’il ne s’agit ni plus ni moins que d’une régression.
Dans le fond, je ne suis guère étonné que vous refusiez de prendre en considération les situations réellement vécues par les salariés aujourd’hui puisque votre politique n’est pas guidée par l’idée du progrès social – vous l’avez reconnu, monsieur le ministre –, mais par une seule motivation : réduire le coût de la protection sociale afin de pouvoir accorder des cadeaux fiscaux aux plus riches. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Vous commencez donc, au mois de juillet, par creuser les déficits – ceux de la protection sociale comme ceux de l’État – en accordant des cadeaux fiscaux, et, ensuite, vous criez à la faillite !
Si vous étiez vraiment préoccupés par le maintien à long terme de notre système de retraite par répartition, vous accepteriez de traiter la question de son financement de façon ouverte et négociée. Vous n’auriez pas peur de discuter avec les salariés et leurs représentants. Vous n’auriez pas peur de prendre le temps d’explorer toutes les possibilités.
Je prendrai un autre exemple en relation avec la loi votée au mois de juillet sur les cadeaux fiscaux. Pourquoi ne pas parler de la création d’emplois et de la réduction du chômage pour contribuer à rééquilibrer le financement des retraites ? Or vous avez choisi de favoriser les heures supplémentaires au détriment de la création d’emplois,…
Loin de fantasmer sur les retraites financées dans le cadre d’assurances privées, nous voulons conforter le régime de retraites par répartition car nous pensons que c’est le meilleur système pour les salariés. Nous voulons le défendre, non pas comme une sorte de relique d’un passé dont il faudrait rapidement tourner la page mais comme un système d’avenir car il est le seul à garantir la solidarité entre les générations. Si nous nous situons dans une telle optique, il nous appartient alors de débattre des moyens les plus justes et les plus efficaces de garantir son financement. Pour votre part, même si vous ne le dites pas ouvertement – vous avez même essayé de nous faire croire le contraire –, vous avez choisi : ce sera l’allongement de la durée de cotisation, l’âge du droit à la retraite repoussé à soixante-cinq ans et la baisse des pensions versées.
Si des salariés souhaitent travailler plus longtemps, ils le peuvent déjà, vous le savez très bien, et vous n’avez donc pas besoin de repousser l’âge de la retraite pour le leur permettre. Le maintien de la retraite à soixante ans est en revanche à nos yeux le meilleur garde-fou pour les personnes subissant des conditions de travail difficiles,
C’est pourquoi toute discussion sur la durée de cotisation doit avoir deux contreparties : la prise en compte de la pénibilité du travail et la garantie que le calcul des pensions versées assurera à chaque retraité un minimum qui devrait être au moins équivalent au SMIC, et non à 75 % ou 80 % de celui-ci.
De fait, vous cherchez, là aussi, à cacher aux Français que vos réformes successives des retraites, celle de 2003 comme celle que vous préparez pour 2008, dégradent progressivement le niveau des pensions – cela a été déjà démontré –, notamment pour les salariés ayant connu des périodes de temps partiel ou de chômage, ce qui se produit de plus en plus fréquemment aujourd’hui. Après avoir recréé le problème des travailleurs pauvres, vous allez recréer le problème des retraités démunis, lequel avait été progressivement traité depuis 1981.
Monsieur le ministre, plutôt que de nous resservir un énième discours désignant certains salariés à la vindicte des autres, répondez à nos questions sur les mesures que vous préparez pour le régime général des retraites. N’attendez pas que les élections municipales soient passées ! Les Français ne sont pas dupes. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. – Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Toutefois, quelques rares régimes ont déjà entamé leur réforme, tout récemment celui de la Banque de France, ou encore celui de la Chambre de commerce. En 1993, la réforme Balladur avait prudemment exclu de son champ les régimes spéciaux et le fait que le plan Juppé, en 1995, ait exclu le volet retraite, notamment des régimes spéciaux, sous la pression des manifestations, explique que la réforme Fillon de 2003 ait une nouvelle fois exclu les régimes spéciaux. À l’époque, la famille centriste avait proposé d’intégrer les régimes spéciaux dans la réforme Fillon que nous avons soutenue, mais elle n’avait pas été écoutée.
Le gouvernement actuel a le courage de lancer la question des régimes spéciaux : il doit en être remercié, et le débat de ce matin est utile. Au nom du Nouveau Centre, je souhaite faire au Gouvernement deux grandes propositions sur le fond et une sur la forme.
La première proposition sur le fond consiste, monsieur le ministre, à annoncer clairement qu’il faut mettre en extinction l’essentiel – pas tous, j’y reviendrai – des régimes spéciaux. Or le Gouvernement semble hésiter à poser clairement comme objectif une telle extinction.
Quatre raisons de fond plaident pourtant en ce sens.
La première raison est d’ordre politique. L’actuelle majorité présidentielle s’y est en effet engagée. À Paris, le 14 janvier 2007, lors de la campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy a appelé à une République qui mette « les retraités des régimes spéciaux à égalité avec ceux du secteur privé et de la fonction publique ». De plus, le contrat de législature 2007-2012, auquel ont souscrit tous les élus de la majorité présidentielle, mentionne qu’il est nécessaire de « réformer les régimes spéciaux de retraite dans un souci de justice et d’équité afin que chacun prenne sa juste part de l’équilibre des régimes de retraite ».
Pour la première fois depuis 1945, les Français nous ont mandatés pour que nous réformions l’ensemble des régimes de retraite, et en particulier les régimes spéciaux.
La deuxième raison tient aux évolutions de la société française. Les causes qui justifiaient l’existence des régimes spéciaux au cours de l’histoire ont, pour la plupart d’entre elles, disparu – pas toutes, c’est vrai. Ainsi, en ce qui concerne l’électricité et le gaz, le fait que la constitution, dans un cadre communautaire, de grands groupes internationalisés ait entraîné la transformation des deux établissements publics GDF et EDF en sociétés anonymes rend nécessaire une évolution du régime de retraite de leurs salariés. De même, M. le ministre l’a rappelé, le premier régime créé au XVIIe siècle a été celui des marins, en vue de rendre attrayante l’entrée dans la marine française : une telle justification est-elle encore valable ? Rappelons également que, si le régime des mineurs était très favorable, c’est qu’il s’agissait d’un travail très dur et qu’il fallait attirer la main-d’œuvre vers les métiers de la mine. Or le coût élevé d’extraction du charbon français a entraîné la fermeture de toutes les mines de charbon françaises. Faut-il encore mentionner le petit régime des cheminots des chemins de fer d’intérêt secondaire, qui regroupe 200 ressortissants et n’a plus de cotisants ? L’évolution l’a fait lui aussi disparaître.
Les textes créant la Banque centrale européenne – nous l’avons déjà évoqué au moment de leur discussion – rendent impossible le maintien tel quel du régime de retraite des agents de la Banque de France.
L’évolution de l’organisation juridique des groupes, liée au mouvement de filialisation et au mouvement d’internationalisation, et indispensable si nous voulons disposer de groupes puissants, met en évidence la difficulté présentée par la coexistence de plusieurs régimes de retraite au sein des mêmes entreprises.
Certes, il demeure des régimes dont le maintien se justifie par des considérations constitutionnelles. C’est le cas des retraites des députés et sénateurs et des personnels des assemblées, en vertu du principe de séparation des pouvoirs. Reste que, là encore, j’y reviendrai, une chose est de les maintenir, une autre est de rétablir l’égalité, notamment entre ceux de nos collègues issus du privé et ceux issus du public. Il existe en effet une grave discrimination au sein des régimes de retraite des parlementaires puisque, pour le cas des députés, la moitié d’entre eux, grosso modo, proviennent des fonctions publiques.
Plus généralement, l’évolution des technologies ne justifie plus le maintien de certaines spécificités. On cite toujours le cas des « roulants » de la SNCF. Il était tout à fait justifié, du temps de la machine à vapeur, qu’ils partent à la retraite à l’âge de cinquante ans. Mais, aujourd’hui, comment expliquer aux chauffeurs de poids lourds, qui, usés, partent à la retraite à soixante ans, que les conducteurs de TGV prennent la leur à cinquante ans ? On voit donc bien que l’évolution des technologies remet en cause tout une série de traditions en la matière.
La partie de ces déficits prise en charge par le budget de l’État, partie qui ne représente qu’une partie des contributions, est de l’ordre de 5,1 milliards d’euros pour trois régimes : celui de la SNCF pour près de 3,3 milliards d’euros, aux termes du projet de budget 2008 ; celui des mines pour un milliard d’euros ; le régime des marins, enfin, pour 700 millions d’euros. Est-il juste de solliciter la solidarité nationale pour payer un différentiel de prestations entre le régime général – régimes complémentaires compris – et ces trois régimes spéciaux ? Telle est la question.
Ensuite, la plupart des entreprises publiques gestionnaires de ces régimes spéciaux devraient, en application des directives communautaires et des normes comptables internationales, les provisionner.
Ainsi, la SNCF devrait provisionner 111 milliards d’euros. Or, quel est le montant de ses capitaux propres ? Ils s’élèvent à 5,9 milliards d’euros, d’où, d’ailleurs, le souhait exprimé par la présidente de cette société devant la commission des finances que les retraites soient garanties. Seulement, a-t-on le droit, du point de vue de l’équité, de garantir les retraites sans les réformer ? Deuxième exemple : à la RATP, le montant des engagements à provisionner est 23 milliards d’euros pour un total de 4,6 milliards d’euros de capitaux propres. EDF, aurait dû, pour sa part, avant le système d’adossement, provisionner environ 60 milliards d’euros pour un total de capitaux propres de 13,8 milliards d’euros. Enfin, pour ce qui est de Gaz de France, il aurait fallu provisionner 12,5 milliards d’euros, avant adossement ici aussi, pour des capitaux propres à hauteur de 9,2 milliards d’euros.
On voit donc bien que l’adossement, inventé pour EDF – à mon avis à tort –, n’est pas la bonne solution puisque consistant à « tronçonner » les prestations en trois parts : une pour le régime général, une pour le régime complémentaire et une pour le régime chapeau. Or comment finance-t-on le régime chapeau ? Vous savez de quelle manière on a procédé pour une bonne partie : en créant un nouvel impôt, voire en répercutant sur le consommateur le surcoût du régime. Si, dans le cadre des IEG, nous prenons le cas d’EDF, ce surcoût par rapport au régime général – auquel s’ajoute un régime complémentaire généreux négocié avec les partenaires sociaux – représente plus de 4 % de la facture d’électricité. Je rappelle ces chiffres car on discute là de sommes considérables.
La quatrième série de raisons tient à l’équité. Je souhaite, à cet égard, revenir sur certains propos du président de la commission. D’aucuns affirment que la mise à l’écart des régimes spéciaux des précédentes réformes était justifiée par la différence des durées de vie. Eh bien, chers collègues, quand on considère les statistiques, que constate-t-on ? L’espérance de vie des salariés du régime général est de 80,4 ans alors que celle des salariés de plusieurs régimes spéciaux est plus élevée. Ainsi les salariés de la SCNF vivent-ils en moyenne jusqu’à 81,8 ans, ceux de la Banque de France jusqu’à 82,2 ans et ceux de la fonction publique d’État jusqu’à 81,7 ans. Les seuls régimes spéciaux dont les salariés ont une espérance de vie inférieure à celle des salariés du régime général sont le régime des mineurs – 78,8 ans – et celui de la RATP – 79,3 ans.
Rappelons ensuite les chiffres de la durée moyenne de retraite par régime spécial. Elle est de 23,9 années pour les IEG, de 24,8 années à la RATP et atteint même 26,2 années à la SNCF, cependant que les salariés du régime général ne disposent, pour leur part, que d’une moyenne de 17,7 années. Encore faut-il préciser – comme le président Méhaignerie – que l’espérance de retraite de 17,7 années au sein du régime général – qui, je le rappelle, concerne les deux tiers des Français – recouvre un écart énorme entre les manœuvres et les cadres supérieurs, si l’on prend les deux catégories extrêmes. En effet, un manœuvre vit en moyenne sept ans de moins qu’un cadre supérieur.
Le deuxième, monsieur le ministre – je serai très bref –, est de l’inviter à réformer ces régimes en voie d’extinction non sur un seul point, comme, semble-t-il, vous l’annoncez, mais dans leur ensemble.
Le groupe Nouveau Centre formule une troisième proposition concernant le fond, la méthode. Certes, une large concertation est nécessaire, car la réforme de ces régimes en extinction relève d’une négociation avec les partenaires sociaux régime par régime, afin de parvenir à des accords dans la durée. Je suis de ceux qui estiment qu’il faut une trentaine d’années, peut-être trente-cinq ans, pour harmoniser certains de ces régimes en cours d’extinction avec le régime général et les régimes complémentaires. Tous les nouveaux entrants seront soumis au régime général et aux régimes complémentaires négociés entre les partenaires sociaux, comme c’est aujourd’hui le cas pour deux tiers des Français.
Voilà, chers collègues, les positions claires, il est vrai, et, je crois, pleines de sagesse, défendues par le groupe Nouveau centre. (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau Centre et du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Suspension et reprise de la séance
(La séance, suspendue à onze heures quarante, est reprise à onze heures cinquante.)
La parole est à M. Hervé Mariton.
S’agissant du premier point, il faut constater que beaucoup de chemin a été fait au cours de ces dernières années. En ce qui concerne la SCNF, par exemple, le décret du dernier a créé une caisse de retraite autonome de la SNCF ayant le statut d’établissement public. Un certain nombre d’inquiétudes s’étaient manifestées quant à la viabilité des entreprises concernées par les régimes spéciaux et leur compatibilité aux normes IFRS qu’évoquait l’orateur précédent. Ce problème a été pour une bonne part réglé. Ce n’était pas un mince enjeu. Cela a pu se faire paisiblement et utilement.
Et puis, ce qui, dans un régime spécial, est l’essentiel aux yeux de tous nos compatriotes, c’est qu’il permet de prendre sa retraite plus tôt que les autres. Cela pose la question de l’équité, comme vous l’avez dit, monsieur le ministre.
Vous avez proposé une convergence vers le régime de la fonction publique. La question que je souhaitais principalement vous poser, monsieur le ministre, est celle de la réalité de la réforme. Car si je comprends et j’approuve que vous lanciez ce mouvement rapidement – nous nous y sommes engagés –, encore faut-il que l’on aboutisse, et à cet égard les propos que vous avez tenus hier au Sénat m’ont plutôt rassuré, à une réforme dont le contenu soit bien au rendez-vous.
Soyons clairs. Quand les régimes de la fonction publique ont été réformés, certaines catégories sont restées largement en dehors de la réforme. Quand, dans le régime général, la durée de cotisation passe de 37,5 ans à 40 ans, demain à 41 ans, après-demain à 42 ans, certains Français sont plus égaux que d’autres et font 42 ans de carrière en 35 ans, voire en 30 ans.
La réforme du régime de la fonction publique a maintenu des bonifications de carrière et des anticipations d’âge pour certaines situations professionnelles, concernant par exemple les douaniers ou les policiers.
Ma question est donc simple : ce sujet sera-t-il complètement et réellement ouvert dans le débat sur les régimes spéciaux ? C’est tout à fait essentiel. Vous l’avez évoqué dans votre propos. Cela me paraît le point central. Car la question posée par les Français, ce n’est pas seulement celle de la durée de cotisation théorique, c’est aussi celle de la durée réelle. Je le répète, on a présenté la réforme des régimes de la fonction publique comme répondant à l’exigence que tous aient une durée de cotisation égale – en l’occurrence 40 ans, et après-demain 42 ans –, mais certains voient le montant de leur retraite calculé sur 42 années alors qu’en réalité ils auront cotisé 35 ou 30 ans. Vous l’avez très bien dit ce matin, monsieur le ministre, le sujet de la pénibilité ne doit pas se réduire à cette question des bonifications,…
Plusieurs raisons de fond imposent en effet cette rupture.
En premier lieu, notre système de protection sociale, qui reposait à l’origine, dans le consensus politique de l’après-guerre, sur les principes de généralité et d’uniformité, s’est tellement diversifié, notamment en matière d’assurance vieillesse, qu’il est devenu une mosaïque dans laquelle même les plus avertis ont du mal à se retrouver. Il convient donc de redonner à notre protection sociale, et notamment à notre assurance vieillesse, la cohérence qui lui fait cruellement défaut.
J’ajoute que je n’entends jamais personne oser sérieusement contester le caractère unique et indivisible de la République tel qu’il est inscrit dans notre Constitution.
En troisième lieu, l’allongement régulier de la durée de la vie a radicalement transformé nos comportements psychologiques et sociaux, nos habitudes et, plus généralement, nos modes de vie. Il faut naturellement en tirer toutes les conséquences pour l’organisation de nos régimes de retraite, ainsi que pour l’équilibre financier de ceux-ci.
Enfin, dans un contexte économique et social souvent difficile, l’équité est plus que jamais nécessaire. Et bon nombre de nos concitoyens n’acceptent plus aujourd’hui les importantes distorsions entre les différents régimes, qu’elles portent sur la durée de cotisation ou sur le montant des prestations versées. La situation des retraités de l’agriculture, du commerce ou de l’artisanat est à cet égard très révélatrice, et justifie pleinement la formule du Président de la République selon laquelle il existe aujourd’hui des régimes spéciaux de retraite qui ne correspondent pas à des métiers forcément pénibles, et il existe des métiers pénibles qui ne correspondent pas à un régime spécial de retraite.
Telles sont les raisons, monsieur le ministre, qui expliquent le soutien de notre majorité à votre projet de réforme des régimes spéciaux. Ce soutien est d’autant plus affirmé et résolu que votre démarche et vos propositions s’adosseront, comme vous l’avez indiqué tout à l’heure, à une concertation large et très ouverte avec l’ensemble des partenaires sociaux. C’est en effet de cette manière que le fond et la forme pourront se rejoindre.
La légitimité d’une réforme souhaitée par la grande majorité de nos concitoyens et la volonté du Gouvernement d’y associer réellement toutes les parties concernées doivent nous permettre de dégager pour l’avenir un corps de règles qui conciliera la justice sociale, la simplification juridique, l’efficacité économique et, en fin de compte, le maintien de notre système d’assurance vieillesse lui-même. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Tous ces braves gens nous disent qu’ils sont soucieux d’équité, et même de justice sociale. Ce matin même, le ministre rappelait sur les chaînes de télévision qu’il avait une logique de justice sociale : suppression des privilèges. Je me souviens qu’en son temps, une autre Assemblée nationale avait, une nuit du 4 août, supprimé les privilèges. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) C’était un grand moment de la République.
Les vrais privilégiés, ce ne sont pas ceux qui disposent de régimes de retraite spéciaux, qui sont souvent les conséquences d’autres désavantages.
Qu’allez-vous faire, par exemple – car c’est là un domaine qui m’est cher et que je suis de près –, pour permettre aux victimes de l’amiante de partir en retraite avec l’ACAATA ? Aujourd’hui, en effet, elles ne partent pas, parce que le montant de leur retraite est trop faible.
Donc, monsieur le ministre, j’attends, j’espère…
Je conclurai d’un mot : si la droite se précipite, c’est vers le précipice social. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine. – Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Puisque nous sommes parvenus aux cinq dernières minutes, et, même si, à la différence de ce que proposait la télévision voici quelques années, ce n’est pas maintenant que nous aurons la clé de l’énigme, je reviendrai sur quelques points pour affirmer mon soutien de principe à la réforme que vous engagez et dire que je souscris à la majorité des remarques formulées ce matin par mes collègues – y compris d’ailleurs, et j’y reviendrai, par certains collègues de l’opposition.
En premier lieu, la question de la pérennisation du financement du système de retraites, qui est l’un des objectifs de cette réforme, est assurément technique, comme l’a illustré l’exposé détaillé de Charles de Courson sur ce sujet.
Se pose également le problème d’une distribution plus équilibrée des richesses dans notre pays.
Il faudra donc trouver une solution non seulement à la question de l’équilibre entre capitalisation et répartition, mais également à celle de la fiscalisation des richesses qui y échappent aujourd’hui.
Se pose en deuxième lieu la question de l’équité, qui est également importante. Il ne me semble pas que le Gouvernement ait l’intention – ce n’est en tout cas pas la mienne, ni celle de mes collègues qui siègent de ce côté-ci de l’hémicycle – de fustiger ou de montrer du doigt les allocataires des régimes spéciaux. Je constate néanmoins, comme nous le faisons tous, que ces régimes suscitent chez un grand nombre de nos concitoyens une très grande incompréhension, voire un sentiment d’injustice, que nous devons aussi traiter comme il convient. C’est donc là pour moi une deuxième raison d’être pleinement favorable à cette réforme.
J’évoquerai en troisième lieu, monsieur le ministre, la pénibilité, qui a été abordée ce matin par de nombreux orateurs. Je suis sensible notamment aux propos de M. Jacquat, qui a souligné, si je puis les résumer ainsi, que cette notion était très difficile à cerner. Je conclurai donc en complétant cette analyse.
Tout d’abord, on considère habituellement que la pénibilité est principalement liée à des critères physiques – qui sont, je le rappelle, le bruit, le travail de force ou l’exposition à des produits chimiques, c’est-à-dire de critères objectifs et quantifiables sur lesquels il est sans doute possible de s’entendre pour définir de manière concertée des indicateurs. Certes, il arrive qu’on ne parvienne pas à s’entendre,…
S’il n’y a pas lieu de remettre en cause ces critères, il faut toutefois observer qu’ils sont issus d’un monde et d’une organisation du travail marqués par la prédominance de l’industrie. Or nous constatons tous que, dans un monde dominé par le service et où l’importance des métiers des services à la personne est appelée à croître – que ces métiers des services relèvent, d’ailleurs, de la fonction publique ou du secteur privé –, l’univers du travail est devenu, et c’est un chef d’entreprise qui vous le dit, extrêmement brutal. Certains types de métiers, comme l’enseignement ou l’éducation spécialisée, le travail des forces de l’ordre et de tous ceux qui assurent notre sécurité, sont non seulement générateurs de stress, mais ils sont également des mines à dépression, et parfois, hélas, pis encore.
Pour terminer, monsieur le président, je souscris volontiers à l’analyse que formulait Gérard Lasfargues dans une étude d’avril 2005 pour le Centre d’études de l’emploi : « Tous les éléments de précarisation des parcours professionnels, en particulier les périodes de chômage, la précarisation contractuelle, le temps partiel imposé ont des effets clairs sur la santé. » J’ajoute aux propos de M. Lasfargues qu’aujourd’hui, même dans le monde du service et les métiers de la relation à la personne, la nature même du travail produit une fragilisation, une atteinte à la qualité de la vie et, de ce fait, de la pénibilité.
Je souhaite, monsieur le ministre, que, lorsque les partenaires sociaux et les représentants des entreprises se réuniront, comme prévu, le 13 novembre prochain, ils fassent de la pénibilité un thème de travail. Je suis prêt, quant à moi, à travailler sur ce thème en tant que de besoin et ferai partie des membres de la commission des affaires sociales qui soutiendront votre réforme. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Je voudrais également remercier Denis Jacquat pour le soutien qu’il a apporté tout à l’heure la démarche du Gouvernement, mais aussi et surtout, permettez-moi de le dire, pour avoir formulé, outre des remarques, des propositions – lesquelles, je le regrette profondément, n’ont pas été légion dans ce débat. Vous avez notamment formulé, monsieur Jacquat, des propositions sur ce que pourrait être le contenu de la réforme des régimes spéciaux.
Je suis venu devant vous ce matin pour vous rendre compte précisément, personnellement, sans passer par d’autres sources d’information – ni même par la presse –, de l’état des discussions avec les partenaires sociaux, mais aussi pour connaître, à ce point d’étape, votre vision des choses. C’est désormais plus clair pour ce qui vous concerne et grâce à vous, monsieur Jacquat, même s’il faut reconnaître que ce l’est moins pour d’autres – j’aurai l’occasion d’y revenir. (Exclamations sur quelques bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.) Il n’y a rien d’exagéré à le dire.
C’est exactement ce que j’attendais dans le débat comme celui que nous avons eu aujourd’hui, qui permettra d’alimenter non seulement la réflexion du Gouvernement, mais aussi celle des partenaires sociaux que je rencontrerai à nouveau.
Vous avez exprimé des réflexions particulièrement intéressantes sur l’équilibre entre l’uniformité et les spécificités des régimes, car l’enjeu tient aussi à la détermination de ce qui relèvera de la responsabilité du Gouvernement et des discussions d’entreprise. Il fallait donc mettre le doigt sur ce sujet, car, si nous devons avoir des principes communs et des règles du jeu transversales, nous pouvons et devons aussi conserver certaines spécificités liées à l’identité des différents régimes. J’aurai d’ailleurs l’occasion, je le répète, de présenter dans le courant du mois d’octobre ce qui relève de la responsabilité du Gouvernement et ce qui sera discuté dans les entreprises dès qu’un document d’orientation aura été soumis à concertation.
Vous avez également repris et fait vôtres les constats et les pistes du Conseil d’orientation des retraites. Alors que chacun s’accorde à reconnaître l’utilité de ce conseil et qu’il semble que chacun, en son sein, laisse de côté l’idéologie, il est profondément regrettable qu’on ne puisse parvenir un consensus qui aille au-delà d’un diagnostic pourtant partagé. C’est d’autant plus regrettable que d’autres pays savent, sur de tels sujets, aller plus loin, adopter, au-delà d’un diagnostic, des solutions partagées – ce qui semble si difficile, pour ne pas dire impossible, en France.
Oui, vous avez eu raison, monsieur Jacquat, de reprendre les pistes suggérées par le COR, notamment pour ce qui concerne l’allongement de la durée d’assurance, le mode d’indexation des pensions ou même la question des avantages familiaux. Alors que ces principes généraux commencent à faire l’objet d’un consensus, ce consensus serait-il impossible dans un hémicycle ? Nous pouvons, me semble-t-il, progresser sur ce point.
Enfin, vous avez évoqué, comme le président Pierre Méhaignerie, la notion de liberté de choix, et son lien avec les mécanismes de décote et de surcote. C’est effectivement une réflexion que nous devons intégrer : chacun doit pouvoir avoir le choix de partir plus librement, plus tôt parfois, en en assumant bien évidemment les conséquences. Cela était d’ailleurs précisé dans la réforme de 2003, même si je ne suis pas certain que le principe du libre choix ait été totalement compris par les uns et par les autres.
J’en viens à l’intervention de Marisol Touraine.
Madame la députée, je dois dire que j’ai entendu beaucoup de remarques sur la forme, au point que j’aurais pu croire que vous vous évertuiez à ne parler que de la forme pour ne pas vous prononcer sur le fond. Je ne vous ferai pas ce procès d’intention, mais on pouvait sincèrement avoir ce sentiment.
De ce que vous avez dit, que dois-je conclure ? Qu’il ne fallait pas faire ce débat au Parlement ?
La question de l’âge actuel de départ à la retraite, c’est un vrai sujet dans les entreprises concernées par les régimes spéciaux parce qu’aujourd’hui vous avez des salariés qui partent sans avoir le bénéfice d’une retraite à taux plein, notamment du fait des mises à la retraite d’office. Ce n’est pas le seul point à aborder, mais ce sujet-là est sur la table. Il est bon de se prononcer clairement pour ou contre le maintien de ces retraites-couperets, et sur le rythme auquel il faudrait éventuellement envisager leur suppression. J’ai posé clairement la question tout à l’heure, et il n’y avait strictement aucun piège sur ce point
S’agissant de l’urgence du calendrier, vous savez que le débat parlementaire devait normalement avoir lieu la semaine prochaine, mais que la date en a été avancée parce que les syndicats ont tous souhaité être reçus dans la même semaine, et qu’il m’a semblé important, après avoir fini cette première concertation, de vous en rendre compte aussitôt. J’ai entendu des remarques comme quoi la rencontre au ministère aurait été précipitée, alors que voilà dix jours qu’elle était fixée – elle l’avait même été initialement le lundi en question. Il n’y a pas d’accélération du calendrier, mais la volonté de vous rendre compte aussitôt. Rien de plus.
Quant aux déclarations du Président de la République et du Premier ministre, je voudrais juste vous dire une chose, madame Touraine : quand on reprend les propos de quelqu’un, autant aller jusqu’au bout, autant être exhaustif. Cela m’éviterait d’avoir à y revenir. Qu’a dit le Premier ministre ? Que nous étions prêts, quand le Président de la République donnerait le signal, à lancer les négociations. Voilà l’intégralité de la phrase. Car, voyez-vous, moi, je ne sais pas réformer sans concerter. Donner le départ d’une réforme, c’est forcément donner le départ de la concertation. À la différence de vous, M. Guénhaël Huet a repris exactement les propos du Président de la République. Qu’a dit le Chef de l’État ? Qu’il y avait des régimes spéciaux pour des métiers dans lesquels la pénibilité n’était pas certaine, alors que certains métiers pénibles n’étaient pas forcément couverts par des régimes spéciaux, et que cette différence de traitement était indigne. Il n’a stigmatisé personne.
S’agissant de l’absence de vote, vous connaissez suffisamment la matière parlementaire pour être au fait de la ligne de partage entre l’article 34 et l’article 37 de la Constitution, et vous voudriez proposer un vote sur ce qui relève du domaine réglementaire ? Vous savez pourtant bien que ce n’est pas possible juridiquement. Expliquez-moi comment je pourrais, une fois que les discussions dans les entreprises auront eu lieu, déposer un projet de loi sur un sujet d’essence réglementaire, au risque de le voir déclasser par le Conseil constitutionnel ? On ne joue pas ainsi avec nos institutions.
Autre point : vous avez évoqué la question des pensions. Ne vous inquiétez pas. Mais, si vous n’êtes pas de nature à être rassurée par les propos du Gouvernement, je vous indique qu’il y aura une commission de revalorisation des pensions. Je ne suis pas en train de la créer devant vous, elle a été mise en place par la réforme de 2003. Elle va nous dire si, oui ou non, le pouvoir d’achat des retraités a été garanti depuis la loi de 2003. Cette commission est indépendante, elle s’exprimera au grand jour, et je pense que cela permettra de dissiper les phantasmes propagés par certains hommes ou femmes politiques, et de remettre les pendules à l’heure. Il y a suffisamment d’outils dans la réforme de 2003 pour éviter la propagation de contrevérités. Et mettre un terme aux contrevérités ne fera pas de mal, en particulier à ce débat.
Je voudrais en définitive faire une remarque : vous avez été élue en 1997, à nouveau en 2007, et j’ai l’impression que c’est toujours la même attitude qui vous caractérise concernant les retraites : le refus de toute réforme. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Vous me faites furieusement penser à cette phrase du docteur Queuille, qui symbolise réellement votre attitude : « Il n’y a pas de problème si complexe qu’une absence de solution ne finisse par régler. » Je crois qu’elle résume votre intervention et qu’elle est, en l’occurrence, criante de vérité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Je veux redire ici que nous ne cherchons pas à faire disparaître les régimes spéciaux – cela m’amènera à répondre à la fois à Charles de Courson et à Jean-Luc Préel –, mais à les réformer pour assurer et garantir les retraites de leurs ressortissants.
Vous avez évoqué, comme nombre de vos collègues, les stock-options : ne soyez pas impatient, ce débat va venir. Je le dis clairement devant Pierre Méhaignerie, qui a décidé de le lancer dans le cadre de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Le ministre du travail que je suis, qui est aussi en charge de la solidarité, ne redoute pas ce débat. Il l’attend. Parce que cela va être aussi l’occasion de bien déterminer ce qui doit financer la protection sociale, en ayant bien à l’esprit ce sur quoi nous avons été élus : le pouvoir d’achat.
Cela m’amène à faire une différence – je le dis et je l’assume – entre les stock-options, l’intéressement et la participation, car un mode de taxation indifférencié pourrait avoir des conséquences sur le pouvoir d’achat si l’on touchait à l’intéressement ou à la participation. Nous devons avoir ce débat de façon apaisée, et l’on verra que les progressistes ne sont pas forcément ceux qui parlent le plus fort sur ce sujet. Là aussi, parler le plus fort, ce n’est pas toujours parler le plus juste. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.) Je tiens d’ailleurs à dire que, en ce qui concerne la taxation des revenus du capital, il n’y a aucun tabou, sachant qu’à travers la CSG – qui alimente le fonds solidarité vieillesse – ou la taxe de 2 % sur les revenus du capital – qui alimente le fonds de réserve des retraites –, les revenus du capital contribuent déjà à la solidarité. Mais, de grâce, n’allez pas faire croire qu’avec une taxation comme celle-ci vous allez régler aussitôt les questions liées au financement des régimes spéciaux !
S’agissant de la compensation entre les régimes, monsieur Muzeau, vous avez dit que 3,8 milliards d’euros seraient dus aux régimes spéciaux. Mais la Commission des comptes de la sécurité sociale a indiqué très clairement qu’ils étaient en fin de compte bénéficiaires, à hauteur de 116 millions d’euros, au titre de la solidarité nationale. Ce n’est pas le ministre de la solidarité qui vous l’indique, mais la Commission des comptes de la sécurité sociale. Là aussi, je voulais tout simplement remettre les choses à leur place.
Comme vous, monsieur Préel, nous souhaitons que la pénibilité soit prise en compte, d’abord pour les régimes spéciaux, mais aussi lors du rendez-vous de 2008. Je sais que ce n’est pas un sujet facile à évoquer. C’est moi-même qui en 2003, en tant que rapporteur, avais déposé l’amendement incitant les partenaires sociaux à rouvrir la négociation. J’aurais aimé qu’on puisse les obliger à la conclure, mais ce n’est pas pensable en droit français. En 2008, ce sujet sera central. Ce n’est pas parce que d’autres pays européens n’ont pas trouvé la solution que nous ne devons pas essayer. Différents critères ont été évoqués tout à l’heure. Je les reprends parce que je pense que nous aurons besoin de trouver un dispositif qui sera peut-être original, imaginatif. Sur un sujet comme celui-ci, si nous n’essayons rien, ça ne sert pas à grand-chose d’exercer des responsabilités politiques.
Je voudrais aussi indiquer que, si nous ouvrons le dossier des régimes spéciaux aujourd’hui, ce n’est pas pour le rouvrir tous les six mois, mais pour donner aux agents des garanties de lisibilité pour l’avenir et des garanties de financement. C’est aussi une question de respect. Je pense que nous pourrons nous retrouver sur ce point.
Pierre Méhaignerie a fait une intervention qui couvrait de très nombreux aspects de cette réforme. Je voudrais m’arrêter sur quelques-uns d’entre eux.
Oui, vous avez raison, monsieur le président de la commission des affaires sociales, de replacer le débat dans une perspective européenne, en soulignant la tendance, chez nos voisins, à adopter des règles d’harmonisation des régimes. J’ajouterai qu’en termes d’harmonisation européenne, dans les autres pays de l’Union, on quitte le marché du travail plus tard qu’en France : un salarié sur trois de plus de cinquante-cinq ans est encore dans l’entreprise en France, contre 70 % en Suède ; la moyenne européenne est de 50 % – un des objectifs de la stratégie de Lisbonne –, et nous en sommes loin. Je ne me rendrais pas ridicule en tenant devant vous un énième discours disant qu’il faut que les entreprises fassent leur place aux salariés âgés : les discours, ça ne marche pas. Alors, nous passerons à d’autres mesures, désincitatives vis-à-vis des entreprises. Je suis en train d’y travailler pour vous proposer, dans le cadre du rendez-vous de 2008, peut-être des systèmes de bonus/malus pour inciter les entreprises à accueillir des salariés âgés. Mais nous en traiterons déjà dans le PLFSS, et, d’après ce que j’ai entendu, je serais très surpris que, sur certains bancs de l’opposition, on n’apporte pas son soutien à ces mesures gouvernementales.
Vous avez ensuite souligné, monsieur le président de la commission des affaires sociales, le changement majeur qui est intervenu depuis la mise en place des régimes spéciaux : l’allongement de l’espérance de vie – de neuf ans environ sur les quarante dernières années, avez-vous dit. Cela conduit donc à adapter les paramètres de ces régimes spéciaux, pas pour les stigmatiser mais tout simplement pour les préserver. Si nous vivons plus longtemps, il est tout de même logique de travailler un peu plus longtemps.
En outre, vous avez évoqué la notion de pénibilité, qui vous tient à cœur. Je me souviens des débats que nous avons eus ensemble en 2003. Je sais que cette notion est très délicate à manier et que ce débat n’est pas facile, mais si les négociations engagées entre les partenaires sociaux n’avancent pas aussi vite que nous le souhaiterions, nous aurons certainement besoin de mettre un coup d’accélérateur pour qu’en 2008 ce sujet ne soit pas évacué.
On ne peut plus constater cette différence d’espérance de vie entre un ouvrier et un cadre supérieur en se disant : « c’est comme cela ». Non, cet écart n’est pas une fatalité, il nous renvoie à notre responsabilité politique.
En réponse à votre souhait de concertation, je vous l’assure : je mènerai la concertation sur ce dossier jusqu’au bout.
Bérengère Poletti, vous avez très bien situé les enjeux du débat, tout en faisant des propositions précises. Vous avez proposé de reprendre la durée de convergence retenue pour la fonction publique : cinq années. C’est un point à débattre. Cette période d’ajustement avait été fixée à dix ans pour le privé. Quel est le bon rythme ? Il s’agit de l’un des sujets essentiels. Il est important de recueillir les propositions des directions des entreprises et des syndicats. J’attends des réponses précises de leur part, pour élaborer un dossier d’orientation.
Vous avez aussi évoqué la question des petites retraites. Il est vrai que nous ne pouvons plus accepter l’existence de retraites ou de pensions de réversion d’un niveau aussi bas. Ce sera l’un des enjeux majeurs de la réforme de 2008. Mais je tiens encore à vous remercier d’avoir eu le courage de faire des propositions.
Christophe Sirugue est intervenu sur les mises à la retraite d’office. Je ne renvoie pas ce sujet aux calendes grecques, puisqu’il sera abordé dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale. J’ai cru comprendre qu’il considérait que le présent débat sur les régimes spéciaux n’était pas illégitime. Des propositions de sa part ne l’auraient pas été non plus. Dans un débat comme celui-ci, des propositions auraient fait du bien à tout le monde. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
C’est précisément notre logique. Elle nous permet d’apporter une réponse en termes de financement, et de dégager une véritable cohérence d’ensemble, avec une réserve en ce qui concerne la période de référence – vingt-cinq ans comparés aux six derniers mois – sur laquelle je me suis exprimé en vous répondant tout à l’heure, monsieur Préel.
Hervé Mariton a mis le doigt sur l’un des points saillants de la réforme, comme il sait bien le faire. Contrairement à vous, monsieur le député, je considère qu’il existe plusieurs points centraux. La durée de cotisation n’est certainement pas le moindre. Je n’ai pas évacué, non plus, la question de la décote – un outil qui est tout sauf technique. Cet outil doit être manié avec beaucoup de dextérité pour une raison simple : si l’on n’y prend garde, dans des régimes spéciaux où le niveau des retraites est plus faible qu’ailleurs, on peut aboutir à un allongement de la durée des cotisations avec une baisse du niveau des pensions. Je ne le veux pas.
Nous assumons l’augmentation de la durée de cotisations, et il faudra que chacun s’adapte à cette logique. Comme le Président de la République et moi-même l’avons indiqué : la question des bonifications sera discutée. Celle de l’indexation n’est pas non plus accessoire. Mais ce qui prime, c’est l’augmentation de la durée et la décote.
Voilà pourquoi tous les sujets, sans exception et sans tabous, sont sur la table. Il ne m’a pas échappé que cette réforme serait aussi jugée sur sa capacité à apporter des réponses en matière de financement, à terme, de ces régimes. J’ai bien compris cette obligation de résultat. Je vous remercie de l’avoir rappelée tout à l’heure.
Guénhaël Huet a tenu des propos sur la nécessité de mettre tous les Français sur un pied d’égalité. C’est une préoccupation qui nous est commune, monsieur le député. Dans notre pays, demeure le sentiment qu’il existe beaucoup trop d’injustices dans ce domaine. En mettant les choses à plat, en ce qui concerne les régimes spéciaux, nous montrerons que nous pouvons être au rendez-vous de la justice sociale.
Patrick Roy, je tenais à vous dire que je suis très attentif au pouvoir d’achat des retraités. Voilà pourquoi en 2003 – j’étais rapporteur de ce texte – nous avons veillé à la mise en place d’outils qui précisent bien que l’augmentation des retraites ne pouvait pas pénaliser le pouvoir d’achat des retraités. Ce n’est pas au ministre d’en apporter la garantie, mais à cette commission.
Je ne suis pas le porte-parole de l’Observatoire national de la pauvreté, mais ses travaux montrent que le pouvoir d’achat des retraités a cessé de s’écorner depuis une trentaine d’années. Ce n’est pas moi qui le dis, vous pouvez vous référer aux données de l’Observatoire. Je suis prêt à reprendre ce débat où vous voulez, quand vous voulez, même lors des séances de questions au Gouvernement. Mais une chose est certaine : je ne peux pas laisser dire des choses qui ne correspondent pas à la vérité, ou du moins à ce que montre un outil qui fait référence en la matière, l’Observatoire national de la pauvreté.
Jean-Fréderic Poisson, la question de la réforme du financement n’est pas celle de la réforme des droits. Nous nous plaçons, aujourd’hui, dans la logique de la réforme des droits, qui, seule, est de nature à poser les paramètres susceptibles de garantir l’avenir. Le débat sur les financements, vous l’avez esquissé sur les stock-options. Ce débat est important. Il est essentiel que nous l’ayons, car la protection sociale dépend de paramètres que nous sommes en train de définir, mais obéit aussi à des règles de financement. Et ces sujets-là sont tout sauf tabous.
Pour conclure, et de façon transversale, j’ai indiqué en rencontrant les présidents des groupes ou leurs représentants : « Je suis à votre disposition pour poursuivre cet échange. De quelque façon que ce soit. » À vous, monsieur le président de l’Assemblée nationale, à vous, mesdames et messieurs les députés, de me dire comment vous voyez les suites de cette concertation.
Je vous avais vraiment invités, toutes et tous, à jouer le jeu. Quand on parle aujourd’hui de rénover de la vie politique – oui, je le souhaite ! – cela signifie rénover les institutions, la pratique politique, mais aussi le discours politique. Pour que des débats comme celui-ci soient réellement vivants, ils doivent susciter des propositions de toutes parts. J’aimerais trouver, je le dis franchement, une opposition capable de s’opposer, certes, mais aussi de proposer. Et là, je suis resté sur ma faim. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)
Questions au Gouvernement.
Déclaration du Gouvernement sur le Grenelle de l’environnement et débat sur cette déclaration.
La séance est levée.
(La séance est levée à douze heures quarante.)
Le Directeur du service du compte rendu intégral
de l’Assemblée nationale,
Jean-Pierre Carton