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Edition J.O. - débats de la séance

Assemblée nationale
XIIIe législature
Session ordinaire de 2007-2008

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du mardi 1er avril 2008

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Bernard Accoyer

1. Déclaration du Gouvernement sur la situation en Afghanistan et débat sur cette déclaration

M. François Fillon, Premier ministre

M. Bernard Deflesselles

M. Jean-Marc Ayrault

M. Jean-Claude Sandrier

M. Philippe Folliot

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale et des forces armées

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes

M. Hervé Morin, ministre de la défense

2. Démission d’un député

3. Organismes génétiquement modifiés

M. Jean-Louis Borloo, ministre d’État, ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire

M. Michel Barnier, ministre de l’agriculture et de la pêche

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État chargée de l’écologie

M. Antoine Herth, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire

Exception d’irrecevabilité

M. Germinal Peiro

Présidence de M. Marc Laffineur

Présidence de M. Rudy Salles

M. Bernard Debré, M. André Chassaigne, M. Jean Gaubert, M. Philippe Folliot

4. Ordre du jour de la prochaine séance


Présidence de M. Bernard Accoyer

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Déclaration du Gouvernement
sur la situation en Afghanistan
et débat sur cette déclaration

M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement sur la situation en Afghanistan et le débat sur cette déclaration.

La parole est à M. François Fillon, Premier ministre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)

M. François Fillon, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, le 11 septembre 2001 le monde découvrait avec effroi le terrorisme de masse. Ce jour-là un défi sanglant et morbide était lancé à toute la communauté internationale. La source de cet attentat se situait en Afghanistan avec le soutien du régime obscurantiste des talibans.

Dès l’automne 2001, six résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU sont venues préciser le cadre dans lequel devait s’exercer la réponse des nations. La résolution 1368, notamment, ouvrait le droit à la légitime défense, la 1373 appelait à la collaboration de tous les États contre le terrorisme, la 1378 définissait le cadre dans lequel devait s’inscrire l’avenir démocratique de l’Afghanistan et la 1386 créait la Force internationale d’assistance à la sécurité, dont le mandat a été renouvelé chaque année et étendu progressivement à l’ensemble de l’Afghanistan.

Le 7 octobre 2001, les États-Unis engageaient les opérations militaires, épaulés, notamment, par la France qui avait ouvert son espace aérien, noué une coopération navale et offert son appui en matière de renseignements.

Le 3 octobre 2001, Lionel Jospin, alors Premier ministre, venait dans cet hémicycle pour exposer la position française à la suite des attentats du 11 septembre, puis, le 21 novembre, il venait préciser les termes de l’engagement de la France en Afghanistan. Depuis, cette participation n’a cessé d’évoluer en fonction des besoins et des circonstances.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, sur la demande de votre président, Bernard Accoyer, et de l’opposition, le Président de la République a souhaité que la représentation nationale soit informée de la politique de la France en Afghanistan. Il a voulu ce débat afin d’éclairer les décisions que va prendre notre pays. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Tout au long de la Ve République, et contrairement à ce qu’on laisse entendre, le Parlement a été régulièrement informé des opérations militaires.

M. Bernard Roman. Mascarade !

M. le Premier ministre. Mais il est exact qu’il ne partage pas la responsabilité de l’engagement de nos forces. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Une raison l’explique, c’est la Constitution de la Ve République qui ne le permet pas. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. Jean Glavany. Elle ne l’interdit pas !

M. le Premier ministre. Son article 35, qui prescrit que « la déclaration de guerre est autorisée par le Parlement », est aujourd’hui tombé en désuétude. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.) Les formes modernes de la guerre nous ont éloignés de cet article. L’engagement des forces militaires est du ressort du pouvoir exécutif, notamment du Président de la République, chef des armées. Notre situation est d’ailleurs en cela comparable à celle de la Grande-Bretagne. Cette prérogative du pouvoir exécutif n’exclut pas l’information, voire le débat, et je souhaite d’autant plus, mesdames et messieurs les députés, que celui-ci soit utilisé de manière plus systématique que, depuis les années 1980, les grands engagements stratégiques et militaires de notre pays ont tous été conclus dans un esprit d’union nationale, ce dont nous devons nous féliciter.

L’implication du Parlement relève de l’information et du débat en fonction des situations.

M. Jean-Pierre Brard. C’est une violation de la Constitution !

M. le Premier ministre. L’opération sur Kolwezi en 1978…

M. Jean-Pierre Brard. Parlons-en !

M. le Premier ministre. …avait donné lieu à une information de la représentation nationale, de même que notre intervention au Tchad en 1983. Notre intervention au Kosovo, en mars 1999, avait été l’occasion d’un débat sans vote, deux jours après le début des bombardements.

En 2006, un débat a eu lieu deux mois après le vote de la résolution créant la FINUL II. Enfin, la participation de la France aux opérations militaires en Afghanistan à partir de décembre 2001 a donné lieu à un débat sans vote après une intervention de Lionel Jospin.

M. Jean Glavany. Qui était Président de la République ?

M. le Premier ministre. Seul notre engagement militaire au cours de la première guerre du Golfe a fait l’objet d’un vote consécutif au débat, selon la procédure de l’article 49 alinéa 1er, c’est-à-dire l’engagement de la responsabilité du Gouvernement.

M. Jean Glavany. Qui était Président de la République ?

M. le Premier ministre. Il s’agissait d’une opération massive analogue à une entrée en guerre contre un État souverain qui avait envahi son voisin, et personne ici ne peut raisonnablement confondre cet événement avec celui qui nous occupe à présent.

M. Frédéric Lefebvre. Sauf si l’on est malhonnête !

M. le Premier ministre. Dois-je également rappeler que ce vote est intervenu le 16 janvier 1991, à quelques heures du déclenchement des hostilités armées, et alors même que l’ensemble du dispositif Daguet était déjà positionné depuis plusieurs semaines sur le terrain ? Certains d’entre vous ont participé à ce débat et en conservent un souvenir aigu. Pas moi, car je me trouvais à cet instant auprès des forces françaises en Arabie Saoudite. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Aujourd’hui, une partie de l’opposition souhaite un vote. Je lui réponds en reprenant les propres termes de Lionel Jospin du 9 octobre 2001 lors d’une réponse à une question d’actualité posée par Alain Bocquet qui réclamait un débat avec vote : « Vous savez – disait-il dans cet hémicycle – que nous ne pouvons pas faire appel à l’article 35, qui prévoit la déclaration de guerre, car ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Vous savez qu’on peut toujours utiliser l’article 49 alinéa 1er, mais celui-ci suppose un vote de confiance. […] Ce n’est pas un article prévu pour l’engagement de la France dans ce genre d’opérations. » (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)

M. Jean Glavany. Qui était Président ? C’est fallacieux !

M. le Premier ministre. Je ne puis être plus clair que mon prédécesseur, qui avait raison de considérer que la procédure du vote de confiance n’est pas adaptée à l’engagement de nos forces dans une opération de maintien de la paix comme nous en conduisons en Côte d’Ivoire, au Liban ou au Kosovo.

Telle est la situation institutionnelle actuelle. Toutefois, cinquante ans après la création de la Ve République, il vous sera bientôt proposé de renforcer le rôle du Parlement en matière de politique étrangère et d’intervention militaire. L’avant-projet de loi constitutionnelle prévoit que le Parlement sera tenu informé dans les meilleurs délais de l’envoi de nos forces sur des théâtres d’opérations extérieurs et – c’est la novation – que celui-ci autorisera la prolongation éventuelle de ces opérations au-delà de six mois. Il prévoit de plus que les deux assemblées auront le pouvoir de voter des résolutions et qu’elles pourront également le faire sur les sujets de politique étrangère. Je ne doute pas que ces dispositions feront l’unanimité sur vos bancs ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)

M. Richard Mallié. Très bien !

M. le Premier ministre. Mesdames et messieurs les députés, nous sommes en Afghanistan depuis décembre 2001 et il s’agit aujourd’hui de débattre de la prolongation d’un effort engagé de longue date.

Avec un peu plus de 2 300 hommes, dont 1 700 dans la Force internationale, sur près de 61 000, l’engagement militaire de la France la situe au septième rang des quarante nations contributrices de troupes. Nous nous plaçons ainsi entre les Pays-Bas et la Pologne, loin derrière les contributions de plusieurs de nos partenaires européens, qui sont presque tous présents sur le théâtre afghan : la Grande-Bretagne avec 8 600 hommes, l’Allemagne avec 3 500 hommes, l’Italie avec 2 400 soldats et les Pays-Bas avec 2 000 hommes.

Installés autour de Kaboul, les soldats français remplissent des actions de sécurisation ainsi que des missions d’encadrement des troupes afghanes en opération. Ils sont engagés dans des actions de combat : six Rafale et Mirage 2 000 participent au dispositif allié de protection des troupes. Ces avions sont appuyés depuis le Kirghizistan et le Tadjikistan par des moyens de transport et de ravitaillement en vol. Enfin, une force navale française opère depuis l’Océan Indien dans le cadre de l’opération « Liberté immuable ».

M. André Chassaigne. Et ce n’est pas la guerre !

M. le Premier ministre. Depuis plus de six ans, nos soldats contribuent donc à la sécurisation de l’Afghanistan. (Exclamations sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. Jean-Pierre Brard. Pour quel résultat ?

M. le Premier ministre. J’ai à cet instant une pensée particulière, empreinte de gravité et de considération, pour tous ceux qui sont là-bas et qui risquent leur vie. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire, du groupe Nouveau Centre et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) À ce jour, quatorze de nos soldats sont tombés en Afghanistan.

Plusieurs députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine. Quatorze de trop !

M. le Premier ministre. Ces quatorze soldats sont tombés pour une certaine idée de la dignité humaine, à laquelle le peuple afghan aspire, tombés pour qu’il n’y ait plus de 11 septembre, tombés pour rendre ce monde plus sûr. Je sais que votre assemblée soutient nos forces armées et qu’elle ne les oublie pas.

Mesdames et messieurs les députés, l’Afghanistan ne doit plus jamais redevenir le foyer du terrorisme international. Ce pays encore vulnérable est un carrefour stratégique sensible, où voisinent une Asie centrale qui cherche sa voie, un Iran qui biaise avec les règles de la communauté internationale, une démocratie indienne qui lutte contre la menace d’attentats et un Pakistan qui, possédant l’arme nucléaire, est sous la pression des fondamentalistes.

Mesdames et messieurs les députés, quelle était la situation de l’Afghanistan en 2001 ? C’était une dictature médiévale, un foyer de violence, une base arrière du terrorisme international. Al Qaïda y avait implanté ses camps d’entraînement. Des extrémistes, illuminés par une vision dévoyée de l’Islam, y trouvaient accueil et soutien. Sa population était soumise au joug de fer des talibans :…

M. Jean-Pierre Brard. Qui les avait armés ?

M. Maxime Gremetz. Ce sont les Américains qui les avaient armés !

M. le Premier ministre. …abolition des droits les plus fondamentaux ; oppression de la femme, intolérance érigée en doctrine de gouvernement ; interdiction de la musique, du théâtre et de la télévision ; destruction des bouddhas de Bamyan ; lapidation publique des condamnés.

L’Afghanistan d’avant 2001, c’étaient 15 millions de femmes sans visage, interdites d’école et privées de soins ; c’étaient 30 millions d’Afghans ployant sous le régime du fanatisme et de la haine. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)

M. Maxime Gremetz. Et aujourd’hui ?

M. le Premier ministre. Depuis 2001, les efforts de la communauté internationale, des autorités locales et du peuple afghan ont commencé à porter leurs fruits ! L’Afghanistan possède désormais des institutions démocratiques. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. Maxime Gremetz. C’est un discours de Bush !

M. Jean-Claude Sandrier. Rien n’a changé !

M. le président. Monsieur le Premier ministre, je me permets d’intervenir brièvement.

Mes chers collègues, pendant que nous débattons, nos soldats et leurs familles nous regardent. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.) Je vous demande de faire en sorte que ce débat se déroule dans la dignité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre. – Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. François Lamy. C’est honteux, monsieur le président !

M. Jean Glavany. C’est politicien !

M. Maxime Gremetz. C’est scandaleux !

M. le président. Monsieur Gremetz, je vous prie de laisser parler M. le Premier ministre.

M. le Premier ministre. L’Afghanistan possède désormais des institutions démocratiques. Les femmes y jouissent de droits similaires à ceux des hommes. (Exclamations sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

Plusieurs députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine. Ce n’est pas vrai !

M. le Premier ministre. Le nombre d’enfants scolarisés est passé de 900 000 en 2001 à 6,4 millions aujourd’hui. À Kaboul, il existe désormais cinq universités comprenant quatorze facultés et 10 000 étudiants. En ce qui concerne la santé, la mortalité infantile a baissé de 26 %. Aujourd’hui, 80 % de la population a accès aux soins, contre 8 % en 2001. En matière d’infrastructures, 4 000 kilomètres de routes ont été construits.

Un député du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Tout va très bien !

M. le Premier ministre. Dans le domaine économique, les pays de l’OTAN ont conduit plus de mille projets de développement, pour un coût global de plus de 200 millions d’euros. La croissance de l’économie afghane atteint aujourd’hui un rythme de 13 %. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)

M. Jean-Pierre Brard. On peut donc parler de « bilan globalement positif » !

M. le Premier ministre. L’Union européenne a engagé une aide de 3,7 milliards d’euros pour la période 2002-2006 ; 600 millions d’euros ont été annoncés par la Commission européenne entre 2007 et 2010. Ces fonds vont principalement…

M. Jean-Pierre Brard. Aux chefs de guerre !

M. le Premier ministre. …à l’amélioration de l’État de droit, à la réforme des services publics et aux infrastructures.

À la demande du Président Karzaï, la France organisera à Paris, en juin, une grande conférence propre à entraîner une mobilisation accrue de la communauté internationale.

Dans le domaine sécuritaire, l’armée afghane atteint désormais 50 000 hommes et bientôt 80 000. La France prend une part très active à la formation de cette armée. L’Union européenne et les États-Unis travaillent à la mise en place d’une police moderne, déjà dotée de 75 000 hommes. Soixante-dix pour cent des incidents sécuritaires sont aujourd’hui cantonnés à 10 % du territoire.

Tous ces succès, mesdames et messieurs les députés, sont encore insuffisants et sont surtout fragiles, très fragiles. (Exclamations sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. Roland Muzeau. Ils ne sont pas convaincants !

M. le Premier ministre. Ils réclament de notre part de la persévérance, mais également un renouvellement de la stratégie commune. Un renouvellement pour amplifier la sécurisation du pays, pour approfondir son développement économique et social, pour accélérer le plein exercice de la souveraineté nationale par les autorités afghanes.

Ce sont-là les objectifs que le Président de la République fera valoir demain à Bucarest. Comme il l’a indiqué par ailleurs : « La France a proposé à ses alliés de l’Alliance atlantique une stratégie pour permettre au peuple afghan et à son gouvernement légitime de construire la paix. »

M. Jean-Pierre Brard. Comme le disait Brejnev !

M. Maxime Gremetz. C’est une véritable soviétisation !

M. le Premier ministre. « Si ces conditions sont acceptées, la France proposera, lors du sommet de Bucarest, de renforcer sa présence militaire. »

Voilà ce qui a été précisément dit, et voilà pourquoi je vous indique que les modalités de cet effort ne sont pas encore arrêtées.

M. Jean-Pierre Brard. C’est tovaritch Sarkozy !

M. le Premier ministre. Le 18 février, le chef de l’État a écrit à ses homologues de l’OTAN pour leur indiquer les conditions suivantes : la confirmation par les alliés de leur détermination à maintenir leur effort dans la durée ; l’adoption d’une stratégie politique partagée ; une meilleure coordination des efforts civils et militaires sur le terrain ; enfin, l’accroissement de l’effort de formation au profit des forces de sécurité afghanes. Cet effort doit permettre une véritable « afghanisation » de la sécurité du pays, c’est-à-dire la prise en charge par les Afghans de leur propre sécurité – et rien ne nous paraît plus important que cette « afghanisation » qui dessine à moyen terme l’autonomie de l’État afghan et, donc, l’horizon de notre retrait.

M. Jean-Pierre Brard. C’est ce que les Soviétiques affirmaient !

M. le Premier ministre. Ces conditions seront débattues demain, et le Président de la République, au regard de vos analyses et au vu des conclusions du sommet, précisera notre engagement.

Celui-ci devra tenir compte de notre dispositif sur place, des réalités de terrain et des réponses de nos partenaires à nos questions. Nos forces armées engagées en Afghanistan peuvent être amenées à s’investir davantage dans les échelons du commandement, en particulier à Kaboul, mais aussi dans la formation de l’armée afghane, dans les unités réparties dans les provinces d’Afghanistan pour y assurer la sécurité des populations et y garantir les progrès de la reconstruction. Les effectifs pourraient être de l’ordre de quelques centaines de soldats supplémentaires.

M. Maxime Gremetz. Ah !

M. Jean-Pierre Brard. Combien de morts à l’avenir ?

M. le Premier ministre. Mesdames et messieurs les députés, derrière notre débat, trois voies se dessinent. Ou bien nous retirons nos troupes (« Oui ! » sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine),…

M. Maxime Gremetz. Oui, bravo !

M. le Premier ministre. …et alors ce serait le signe que nous n’assumons plus nos responsabilités vis-à-vis de l’ONU et que nous rompons la solidarité qui nous unit à nos plus fidèles alliés, dont plusieurs s’apprêtent à accroître leurs effectifs. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.) D’une certaine manière, le sort de l’Afghanistan nous deviendrait totalement indifférent. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)

Ou bien nous choisissons le statu quo ; et alors c’est l’enlisement de nos objectifs et l’impuissance de la France à peser sur la stratégie de la communauté internationale. (Exclamations sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Ou bien nous accentuons nos efforts, aux conditions que nous avons posées, et alors nous amplifions ensemble les chances de la paix.

M. Jean-Pierre Brard. Comme en Algérie !

M. le Premier ministre. Cette paix pour l’Afghanistan conditionne largement une part de notre sécurité et donc une part de notre liberté. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.) C’est un combat difficile, mais c’est un combat juste. (Mmes et MM. les députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire se lèvent et applaudissent longuement. – Vifs applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau Centre.)

M. Henri Emmanuelli. C’est faux !

M. le président. La parole est à M. Bernard Deflesselles, premier orateur inscrit.

Je précise aux orateurs qu’en aucun cas ils ne pourront dépasser leur temps de parole compte tenu des contraintes de la retransmission de ces débats. (Exclamations sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. Bernard Deflesselles. Monsieur le Président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, chers collègues, depuis la fin de l’année 2001, la France est présente en Afghanistan. Elle est présente à travers des hommes et des femmes qui portent nos idéaux.

M. Maxime Gremetz. Non !

M. Bernard Deflesselles. Ils sont 1 700. Vous comprendrez donc que, loin des polémiques, mes premières pensées leur soient destinées. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Maxime Gremetz. Oh, oui…

M. Bernard Deflesselles. Après les événements du 11 septembre 2001, notre pays a immédiatement approuvé l’envoi de troupes pour combattre les talibans qui abritaient et soutenaient des terroristes.

M. Jean-Pierre Brard. Qui les a soutenus ?

M. Bernard Deflesselles. L’assassinat du commandant Massoud, deux jours avant les attaques contre New York et Washington, avait clairement indiqué que l’une des clés de la lutte contre le terrorisme se trouvait sur le sol afghan.

M. Jean-Pierre Brard. Et à Washington !

M. Bernard Deflesselles. Depuis 2001, pas moins de six résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies régissent le mandat de la Force internationale d’assistance à la sécurité, la FIAS,…

M. Jean-Pierre Brard. Fiasco, oui !

M. Bernard Deflesselles. …plus connue sous son vocable anglais ISAF. L’ISAF n’est certes pas une force des Nations unies – nos soldats ne sont pas des casques bleus –, mais elle est placée sous l’autorité du Conseil de sécurité.

M. Maxime Gremetz. Et alors ?

M. Bernard Deflesselles. Elle est à l’heure actuelle composée de trente-neuf nations qui interviennent à des degrés divers selon leur capacité, vingt-six d’entre elles étant membres de l’OTAN.

Nous sommes donc en Afghanistan avec un mandat clair de l’ONU. Notre mission, dans ce contexte, est actuellement de sécuriser Kaboul et ses environs.

M. François Lamy. Ce n’est pas vrai !

M. Bernard Deflesselles. Nous y assurons, entre autres, des missions de formation de l’armée afghane mais aussi de déminage et de ramassage de munitions non explosées. Nous y soignons des hommes et des femmes touchés par la guerre ou la maladie.

Un député du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Envoyez des médecins !

M. Bernard Deflesselles. Après plusieurs années de combats, la situation demeure des plus complexes. L’OTAN, qui a pris le commandement des opérations en août 2003,…

M. Maxime Gremetz. Eh voilà !

M. le président. Monsieur, Gremetz, je vous en prie !

M. Bernard Deflesselles. …a besoin de troupes supplémentaires pour combattre les forces d’Al Qaïda et les talibans encore présents en nombre dans certaines parties du pays.

La France a donc décidé de répondre favorablement à cet appel.

M. Maxime Gremetz. Ce n’est pas la France, c’est Sarkozy qui a décidé !

M. Bernard Deflesselles. Loin d’être isolée, loin d’être à contre-courant, elle est accompagnée par onze autres nations qui viennent elles aussi d’accepter de renforcer leurs effectifs.

Au-delà de la polémique que cette annonce a suscitée, la seule question que nous devons nous poser, la seule qui vaille demeure celle-ci : notre pays peut-il rester en dehors de cette lutte contre le terrorisme, là où la plupart de nos alliés sont largement impliqués ? (Exclamations sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. Maxime Gremetz. C’est Bush le premier terroriste !

M. Bernard Deflesselles. À cette question, monsieur le Premier ministre, avec le groupe UMP je réponds que notre pays se doit d’assumer sa part de la tâche ; c’est là son devoir mais aussi son honneur vis-à-vis d’un pays qui construit sa démocratie avec un Président élu, un Parlement légitime et près de six millions d’enfants à nouveau scolarisés. Notre pays se doit aussi d’assumer ses responsabilités envers le Conseil de sécurité et ses alliés.

À ce titre, chers collègues, je reprendrai à mon compte la phrase qu’avait prononcée Lionel Jospin, alors Premier ministre,…

M. Jean Glavany. M. Fillon l’a déjà citée, vous n’allez tout de même pas la répéter ? À moins que vous n’ayez pas écouté le Premier ministre…

M. Bernard Deflesselles. …pour justifier devant nous, en novembre 2001, l’envoi de forces supplémentaires en Afghanistan : « […] La lutte armée contre le terrorisme n’est pas achevée. La poursuite de l’action militaire ciblée […] s’impose donc. » Six années plus tard, on peut certes le regretter, mais cette lutte n’est, à l’évidence, pas terminée.

Dois-je rappeler, par ailleurs, que ce débat n’avait pas, en son temps, donné lieu à un vote ? Est-ce à dire que M. Jospin, en 2001, ne respectait pas le Parlement ?

M. Jean Glavany. C’est Chirac qui était Président !

M. Bernard Deflesselles. Personne ne peut le croire ou n’ose l’insinuer ! M. Jospin respectait le Parlement, tout comme il respectait la Constitution, tout comme le Président de la République et le Premier ministre respectent l’un et l’autre aujourd’hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)

M. André Gerin. N’importe quoi !

M. Bernard Deflesselles. Pas plus en 2001 que pour les opérations précédentes nous ne serons, chers collègues, appelés à voter. La Constitution de 1958, chacune et chacun le sait dans cet hémicycle, ne le prévoit pas.

M. Henri Emmanuelli. C’est un mensonge !

M. Bernard Deflesselles. Cela ne doit pas prêter à polémique, monsieur Emmanuelli, et si nous le regrettons, alors saisissons, sur tous ces bancs, l’opportunité qui va se présenter à nous début juin : votons la réforme institutionnelle qui modifiera profondément le rôle et les pouvoirs du Parlement. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. Henri Emmanuelli. Non !

M. André Gerin. Démagogie !

M. Bernard Deflesselles. Elle nous permettra de nous prononcer, de débattre et de voter lorsqu’une opération militaire extérieure se prolongera au-delà de six mois.

M. Jean Glavany. Rien ne nous l’interdit aujourd’hui !

M. Bernard Deflesselles. Pour ce qui concerne le précédent du 16 janvier 1991 et la guerre du Golfe, je me permets de vous rappeler que le contexte était fort différent. Tout d’abord, il s’agissait pour la gauche de consolider par un vote de confiance une majorité qui en avait grand besoin. (« Oh ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. Albert Facon. Et vous ?

M. Bernard Deflesselles. Ensuite, l’opération « Daguet » comptait presque 20 000 hommes et la professionnalisation des armées n’était pas encore décidée.

M. Henri Emmanuelli. Tout ce que vous dites est scandaleux !

M. Bernard Deflesselles. Je vous rappelle aussi que ce vote a eu lieu le 16 janvier et que les bombardements de l’Irak ont commencé dès le 17.

M. Jean Glavany. Votre argumentaire est exactement le même que celui du Premier ministre ! Lisez-vous les mêmes notes ?

M. Bernard Deflesselles. J’ai une grande confiance en la capacité de nos forces armées, mais je doute qu’elles aient attendu notre aval pour se préparer à agir. Je doute également que notre vote de l’époque ait emporté la décision.

M. Henri Emmanuelli. C’est scandaleux !

M. Bernard Deflesselles. En 1991, nous étions en guerre contre un pays qui avait délibérément envahi puis annexé son voisin au mépris de toutes les règles du droit international. En 2001, nous sommes intervenus en Afghanistan contre un régime qui n’avait aucune reconnaissance internationale et qui abritait des organisations terroristes. Aujourd’hui encore, nous sommes en Afghanistan à la demande du Gouvernement légitime et reconnu de ce pays. Cessons donc l’hypocrisie ! Oserai-je dire que celle-ci est tenace ?

M. Pierre Gosnat. C’est vous le tartuffe !

M. Bernard Deflesselles. M. Hollande s’est interrogé sur la « pertinence » de la présence française en Afghanistan. N’est-il pas pertinent de vouloir éradiquer le terrorisme et d’anéantir Al Qaïda ? N’est-il pas pertinent de combattre un pouvoir taliban obscurantiste ? N’est-il pas pertinent de lutter contre ceux qui méprisent et avilissent les femmes ? N’est-il pas pertinent de vouloir neutraliser les narco-trafiquants ? (Bruit sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. Laurent Fabius a quant à lui jugé cette décision « dangereuse et complaisante ». C’est une certitude : il est toujours dangereux de tenter d’éradiquer le terrorisme ! M. de La Palice n’aurait pas dit mieux ! Mais il vaut mieux, en la matière, faire preuve de courage que de complaisance !

À ceux qui sont tentés d’évoquer un alignement de notre pays sur les positions américaines (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine), je rappelle simplement que notre volonté d’agir avec les Américains et l’OTAN dès la fin 2001 en Afghanistan ne nous a pas empêchés par la suite de nous montrer fort critiques à l’intervention américaine en Irak. (Exclamations sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. Maxime Gremetz. C’était Chirac, pas vous !

M. Bernard Deflesselles. Nous voulons lutter contre le terrorisme et ses bases arrière. C’est bien parce que nous savions qu’elles n’étaient pas sur le sol irakien que nous n’avons pas soutenu l’opération américaine, et les événements nous ont donné raison. (Protestations sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Si, aujourd’hui, nous renforçons nos troupes en Afghanistan, c’est parce que nous avons la certitude, malgré les difficultés rencontrées, que la stabilisation de cette région est essentielle pour lutter efficacement contre le terrorisme international. Cette analyse est la même que celle qui nous a amenés à intervenir il y a six ans.

M. Maxime Gremetz. Mais non !

M. Bernard Deflesselles. Elle nous conduit, au sein de l’OTAN, avec nos partenaires, à mener une réflexion de fond sur notre présence en Afghanistan,…

M. Jean Glavany. En êtes-vous capable ? On vous attend !

M. Bernard Deflesselles. …sur une nécessaire approche globale et sur une stratégie partagée qui lient 1’action militaire aux efforts de développement du pays, à sa reconstruction – et vous n’êtes pas contre, vraisemblablement – ainsi que sur la nécessaire « afghanisation » du conflit, c’est-à-dire la prise en charge de la sécurité du pays par l’armée afghane, formée, notamment, par nos militaires.

M. Jean-Pierre Brard. et M. Henri Emmanuelli. Rendez-nous Chirac !

M. Bernard Deflesselles. Mes chers collègues, plus de 11 000 soldats français sont aujourd’hui engagés dans des opérations extérieures à travers le monde : au Liban, au Kosovo, au Tchad, en Côte d’Ivoire... Des hommes et des femmes, des professionnels compétents et reconnus, vont gagner le sol afghan dans les mois à venir.

À tous, mes chers collègues, nous devons la confiance et le soutien sans faille de la représentation nationale.

M. André Gerin. Hypocrite !

M. Bernard Deflesselles. Voilà, monsieur le Premier ministre, la position et l’esprit du groupe UMP, celui de votre majorité.

Esprit mêlé d’une grande reconnaissance et d’un profond respect pour celles et ceux qui demain porteront les couleurs et les valeurs de la France, qui demain porteront nos espérances de paix. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault.

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, le 26 avril 2007, entre les deux tours de l’élection présidentielle, le candidat Nicolas Sarkozy – qui avait proclamé : « Tout ce que je dirai pendant la campagne, je le ferai » – déclarait sur France 2 qu’il retirerait nos troupes d’Afghanistan s’il était élu Président de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Il estimait alors que « la présence à long terme des troupes françaises à cet endroit du monde ne semble pas décisive ». Et il s’engageait à poursuivre la politique de rapatriement de nos forces armées entamée par Jacques Chirac.

Que s’est-il donc passé depuis un an pour que le chef de l’État change de politique ? Pourquoi est-il devenu si urgent que la France renforce son effort de guerre ? Aucune explication n’est venue étayer la volte-face présidentielle.

Seul, oui, seul, sans information du Parlement et, semble-t-il, contre l’avis d’une partie de l’état-major des armées, le chef de l’État bouleverse la nature de l’engagement français en Afghanistan et le consensus national qui l’entourait.

Cet engagement reposait sur le droit de légitime défense collective reconnu par la charte des Nations unies et par l’article 5 de la charte de l’Alliance atlantique. Au lendemain des attentats du 11 septembre, il s’agissait d’empêcher un conflit de civilisations en abattant l’organisation terroriste qui avait organisé ces actes de barbarie et l’État qui s’en était rendu complice.

Il était alors du devoir de la France d’être aux côtés de ses amis américains. Elle ne s’y est pas dérobée ! Et elle a eu raison. Le gouvernement taliban est tombé, et si Al Qaïda n’a pas été détruite, sa capacité de nuisance a été affaiblie.

Mais force est de constater que la seconde partie de la mission, la stabilisation et le développement d’un pays pacifié, démocratisé et intégré à la communauté internationale, est loin d’être remplie. La pauvreté n’a pas reculé. L’aide économique ne répond pas à l’ambition affichée. Les islamistes regagnent du terrain. Et malgré le soutien de la coalition aux efforts du président Karzaï, malgré l’émergence d’un embryon d’État et d’une armée nationale, l’Afghanistan demeure cette nation décomposée, pauvre et tribale dans laquelle, par le passé, toutes les forces militaires étrangères se sont enlisées, qu’elles soient anglaises ou russes.

Aujourd’hui, la coalition se heurte aux mêmes difficultés parce qu’elle a commis les mêmes erreurs. Sûre de son bon droit, elle a privilégié l’éradication militaire des Talibans au détriment de la reconstruction économique, sociale et sanitaire du pays.

Une députée du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Ce n’est pas vrai !

M. Jean-Marc Ayrault. Certaine de sa supériorité technologique, elle n’a jamais trouvé la bonne réponse à une guérilla mobile et invisible où s’enchevêtrent combattants islamistes, seigneurs de la guerre et trafiquants de drogue.

Pis, cette stratégie militaire a été dramatiquement affaiblie par la guerre des États-Unis en Irak, qui a détourné l’essentiel de leurs forces militaires, redonné souffle aux terroristes islamistes et affaibli la légitimité de l’intervention en Afghanistan.

Aucune de ces observations n’a fait l’objet du moindre débat dans notre pays. Le Gouvernement a refusé la mission d’évaluation parlementaire que le groupe socialiste, radical et citoyen a demandée au mois d’octobre.

Et votre gouvernement, monsieur le Premier ministre, n’a pas consulté nos partenaires européens, alors que tout nous invite à une stratégie européenne concertée.

Alors, qu’on ne nous fasse pas de faux procès. Il ne s’agit pas pour nous d’abandonner l’Afghanistan. (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Nous voulons vaincre les talibans et Al Qaïda. Mais cette victoire ne pourra être acquise sans la redéfinition d’une stratégie d’ensemble, où l’effort militaire et l’effort de développement s’accompagnent mutuellement.

Sans cette réorientation, le message présidentiel – « Nous ne pouvons, nous ne devons pas perdre la guerre » – est aussi martial qu’inopérant. Qui peut croire qu’ajouter la guerre à la guerre va la faire cesser, quand aucune leçon de l’échec actuel n’a été tirée ? Nous refusons, nous, les députés socialistes, radicaux et citoyens, cet enlisement dans un conflit sans but et sans fin.

Nous nous opposons à la décision du Président Sarkozy parce qu’elle exposera inutilement la vie de nos soldats dans de vains combats tant que l’intervention alliée n’aura pas été repensée.

Nous nous opposons à cette décision parce qu’elle transformera les unités françaises en forces combattantes de première ligne alors même que la France l’a toujours refusé et l’a fait acter, je le rappelle, dans l’accord de 2003 avec ses alliés.

M. le Premier ministre. Ce n’est pas exact.

M. Jean-Marc Ayrault. Mes chers collègues, il ne s’agit pas là d’une décision technique, mais d’une décision qui met en cause la vie d’hommes et de femmes, c’est-à-dire nos soldats. C’est une décision qui ne peut pas être prise par un seule homme.

M. Jean-Pierre Brard. Très bien !

M. Jean-Marc Ayrault. Nous nous opposons aussi à cette décision parce qu’elle demande à la France de supporter en Afghanistan le fardeau américain de la guerre en Irak,…

M. Jean-Michel Fourgous. Vous faites de l’antiaméricanisme primaire !

M. Jean-Marc Ayrault. …alors même qu’elle avait été la première à s’y opposer. Et même s’il est vrai que le ministre des affaires étrangères que M. Sarkozy a choisi était l’un des rares hommes politiques français à être favorables à la guerre en Irak, c’est l’honneur de la France que d’avoir dit non à cette guerre. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Nous nous opposons à cette décision parce qu’au fond, elle a peu à voir avec l’Afghanistan et beaucoup à voir avec l’obsession atlantiste du Président Sarkozy. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire . – Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Vouloir améliorer la relation avec l’Amérique est une bonne chose s’il s’agit d’un partenariat entre égaux qui respecte les identités et l’indépendance de chacun. Mais ce qui est en train de s’écrire est bien différent !

Du discours devant le Congrès américain au discours de Westminster, de l’engagement renforcé en Afghanistan à la négociation pour revenir dans le commandement intégré de l’OTAN, est en train de s’opérer un changement stratégique, un alignement stratégique global, tout simplement, dont nous récusons la pertinence et l’opportunité pour la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et sur quelques bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Il ne peut y avoir d’autonomie de décision dans une OTAN qui continue de refuser tout directoire partagé, tout pilier européen de défense, toute volonté de contrôle politique et militaire extérieure aux États-Unis. Et quelle que soit la bonne volonté du futur président américain, la logique de puissance finit toujours par l’emporter au sein de l’OTAN.

Voilà pourquoi la rupture qu’est en train d’opérer le Président de la République est inacceptable. Elle brise le consensus national sans aucun débat devant le pays.

Mes chers collègues, et c’est par là que je veux conclure (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), beaucoup d’élus qui siègent dans cet hémicycle ont vécu le discours de Westminster comme une humiliation. Que le Président de la République choisisse les députés britanniques pour annoncer un engagement militaire de notre pays, alors même que nous sommes tenus dans l’ignorance, est un affront sans précédent envers la représentation nationale. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Quelle démocratie peut accepter que le Président engage ses forces dans une guerre sans que les représentants du peuple aient leur mot à dire ? Quelle démocratie peut tolérer que le Président change la stratégie d’autonomie suivie depuis cinquante par la France vis-à-vis de l’OTAN sans en saisir le Parlement ?

C’est ça, la démocratie « exemplaire » de M. Sarkozy : un exécutif, et des exécutants. Voilà sa conception de la démocratie. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

On nous promet une grande réforme institutionnelle qui permettrait au Parlement de se prononcer lorsqu’une opération extérieure se prolongera au-delà de six mois. Alors, pourquoi ne pas commencer dès maintenant ? Pourquoi se contenter de cet ersatz de débat et de consultation ?

C’est pourquoi les députés socialistes, radicaux et citoyens ont proposé au Gouvernement d’engager sa responsabilité devant le Parlement sur ce nouvel engagement militaire – qui engage des hommes, je le répète, qui n’est pas qu’un engagement technique –, comme l’avait fait François Mitterrand en 1991 lors de la guerre du Golfe.

Monsieur le Premier ministre, vous n’avez pas convaincu. Vous avez tout simplement refusé que la représentation nationale puisse se prononcer.

C’est pourquoi, au nom des députés socialistes, radicaux et citoyens, je vous informe que notre groupe déposera une motion de censure en vertu du deuxième alinéa de l’article 49 de la Constitution. Oui, la France doit continuer de préserver sa liberté de choix dans le monde. (Mmes et MM. les députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche se lèvent et applaudissent longuement . – Mmes et MM. les députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Sandrier.

M. Jean-Claude Sandrier. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, chers collègues, nous sommes probablement l’une des rares démocraties dans lesquelles une intervention militaire à l’étranger, sa poursuite, l’accroissement envisagé de ses moyens, ou encore la création d’une base importante dans un autre pays, ne puissent faire l’objet d’un débat au Parlement sans une demande réitérée et pressante de l’opposition. Et ne parlons même pas d’un vote, qui reste aujourd’hui interdit.

Autrement dit, monsieur le Premier ministre, vous n’êtes pas capable d’anticiper de deux mois le texte de loi sur les institutions qui va venir en discussion au mois de mai prochain à l’Assemblée nationale et qui prévoit que lorsqu’une intervention militaire extérieure excédera six mois, sa prolongation devra être autorisée par le Parlement, et ce par un vote. Il y a tout de même de quoi s’inquiéter sur la crédibilité de ce texte.

Il est vrai que pendant les six premiers mois d’une intervention militaire, le Parlement n’aura pas voix au chapitre, il pourra seulement être informé, peut-être avec un débat, mais sans vote.

Que de subtilités pour arriver en fait à limiter le droit du Parlement de s’exprimer et de voter sur la pertinence politique d’un engagement militaire !

Le deuxième point que je voudrais souligner au nom du groupe de la gauche démocrate et républicaine, c’est la dérive atlantiste d’un Président de la République dont je ne suis pas sûr qu’il ait été mandaté pour cela.

Dérive atlantiste qui s’est manifestée à plusieurs reprises.

D’abord, par une cour à George Bush totalement à contretemps : à contretemps de l’évolution de l’opinion des Américains eux-mêmes et de l’opinion mondiale concernant la stratégie dangereuse du Président des États-Unis ; à contretemps aussi car dans dix mois, M. Bush ne sera plus le Président des États-Unis.

Dérive atlantiste, car le Gouvernement soumet complètement la construction d’une politique de sécurité et de défense européenne à une intégration plus forte, pour ne pas dire totale, de la France dans l’OTAN, alors même que la seule justification à l’existence d’une politique de sécurité et de défense européenne, c’est son autonomie et son indépendance. Sinon, elle n’a pas de sens.

Dérive encore accrue quand, sans débat, la France prévoit l’implantation d’une nouvelle base militaire face à l’Iran, s’engageant un peu plus, là aussi, dans les espaces de guerre américains.

Enfin et pour ne pas allonger la liste, dernier avatar de cette dérive atlantiste qui confine à une soumission aux souhaits et enjeux américains, c’est la volonté d’envoyer 1 000 hommes supplémentaires en Afghanistan, soit une augmentation de 60 % des effectifs.

S’agit-il de soulager l’effort de guerre des États-Unis en Irak ? S’agit-il de hâter une solution au problème afghan, alors que tout le monde sait depuis très longtemps que ce type d’intervention se termine par un enlisement irrémédiable et lourd de conséquences, dont l’URSS a donné le plus bel exemple ?

M. Michel Bouvard. C’est un expert qui parle !

M. Jean-Claude Sandrier. A-t-on mesuré les risques, non seulement pour nos soldats, mais pour la France elle-même, pour son peuple ? A-t-on dit aux Français comment, avec des caisses vides, ils allaient payer ces renforts supplémentaires ?

Le Gouvernement s’abrite derrière le combat contre le terrorisme, et l’argument semble imparable, car personne ne soutient le terrorisme aveugle, qui tue des innocents, parfois même des enfants. Encore faudrait-il savoir qui arme ce terrorisme…

M. Maxime Gremetz. Bush !

M. Jean-Claude Sandrier. …et si la croisade américaine a été menée de façon assez efficace pour réduire le nombre de victimes à travers le monde. Notre réponse est non.

Lorsqu’on veut combattre un mal, c’est à ses causes profondes qu’il faut s’attaquer. Combattre le terrorisme, c’est combattre ce qui le fait naître et prospérer. Je ne citerai pas, à l’appui de mon propos, des dirigeants du PCF, mais de hauts responsables de la stratégie dans notre pays s’exprimant devant l’Institut des hautes études de la défense nationale. « Le rouleau compresseur de la globalisation à l’occidentale n’a pas apporté la cohérence escomptée sur la planète », disent-ils. « Au contraire, une déstabilisation profonde du monde est à l’œuvre… le développement d’un fort individualisme est lié à la globalisation. » Face à cela, « des contre forces se sont développées ». Un autre intervenant a même précisé : « Il faudra peut-être trouver autre chose que l’avancée inexorable de la globalisation », autrement dit la mondialisation capitaliste. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Oui, « le monde est malade », comme l’a fort bien expliqué le sociologue allemand Ulrich Beck. Il est malade des déséquilibres économiques et sociaux. Dans les dix dernières années, la production mondiale a doublé et le volume du commerce mondial a triplé, cependant que le nombre de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté a augmenté de 100 millions. Le monde est malade de la pauvreté, mais aussi de l’injustice quand les plus riches étalent leur richesse à la face, non seulement des plus pauvres mais aussi de ceux à qui l’on demande des efforts parce que les caisses sont vides. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Pierre Lang. Quel est le rapport ?

M. Jean-Claude Sandrier. En France, il y a dix ans, les 500 plus grosses fortunes possédaient l’équivalent de 6 % du PIB ; aujourd’hui, elles en possèdent 15 % ! Mais en France comme dans le monde, on s’aperçoit de plus en plus que si les caisses sont vides, les coffres-forts sont pleins !

Imaginer que l’on peut régler par la voie militaire des problèmes qui tiennent aux déséquilibres sociaux et économiques, c’est aller au-devant de conflits encore plus graves, encore plus violents, à l’appui desquels on invoquera encore les prétextes les plus faux : la faute à la religion, à la civilisation de l’autre qui n’est pas la bonne, à sa culture. Ces prétextes ne serviront en fait qu’à masquer les raisons fondamentales qui mènent un monde à la dérive.

Mme Françoise Hostalier. Pas vous, pas ça !

M. Jean-Claude Sandrier. S’attaquer aux causes de nos maux n’est pas un problème militaire : c’est un problème de responsabilité politique et de choix politique.

Une autre politique de sécurité est heureusement possible, qui doit reposer sur quelques grands axes. D’abord, celui de la coopération et du développement, qui est aujourd’hui un fiasco, notamment en Afghanistan. « Nous devons civiliser la Terre », dit Edgar Morin. Combattre le terrorisme, c’est d’abord combattre la pauvreté, l’asservissement, le néo-colonialisme, l’humiliation des peuples du Sud et du Moyen-Orient, car, quand la pauvreté et l’humiliation reculent, la paix progresse ; c’est assurer une autre répartition des richesses, et non pas s’assurer par la force l’accès aux matières premières ; c’est se lancer dans un développement respectueux de leur utilisation et développer la recherche de nouvelles sources d’énergies. Civiliser la terre, c’est permettre à tous d’y vivre dignement. Il faut donc chasser les prédateurs financiers qui s’engraissent à des taux de rentabilité irréels sur le travail des autres. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Oui, il faut stopper la guerre économique, car elle est porteuse de la guerre tout court.

M. Pierre Lequiller. Vos télés sont éteintes !

M. Jean-Claude Sandrier. Aujourd’hui, les premiers facteurs de déséquilibres et de conflits sont le développement des inégalités et les velléités d’hégémonie économique, à commencer par celles des dirigeants américains. (Mêmes mouvements.)

M. le président. Il faudrait songer à conclure.

M. Jean-Claude Sandrier. Nous sommes loin de ces préoccupations lorsque vous souhaitez envoyer 1 000 hommes de plus en Afghanistan. Mais nous nous engageons dans une fuite en avant, qui, dans la militarisation des rapports internationaux, nous soumettra à la stratégie des États-Unis. Celle-ci, non seulement met en danger la paix du monde, mais ne résout aucun des problèmes qu’elle est censée régler.

Il est regrettable que, sur une question aussi grave, les représentants du peuple français soient privés du droit de vote. Cela est tout à fait symbolique d’un pouvoir qui fait passer la peur d’être désavoué avant l’exercice, légitime en démocratie, du droit de vote. Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine unanime s’oppose fermement à cette politique de soumission à quelques dirigeants américains portés essentiellement par leurs intérêts personnels. C’est une politique dangereuse pour le monde et pour la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et sur quelques bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Folliot.

M. Philippe Folliot. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, la victoire est difficile, la défaite interdite, a déclaré en substance le Président de la République lors de sa visite d’État en Grande-Bretagne à propos de la situation en Afghanistan. À nous, parlementaires français, d’ajouter que le débat démocratique est nécessaire. Nos démocraties occidentales, engagées dans la lutte contre le terrorisme sur des théâtres d’opération extérieurs, ne peuvent en effet faire l’économie de débats dans le cadre de leurs institutions parlementaires. Le Parlement doit être le lieu privilégié où rendre compte à nos concitoyens des décisions prises et des moyens militaires engagés. Il doit surtout être le lieu où la stratégie et les options de l’exécutif sont discutées, voire critiquées, afin que toutes les opinions du pays puissent s’exprimer dans leur diversité.

M. Jean-Pierre Brard. C’est mal parti !

M. Philippe Folliot. On peut regretter que ce débat sur la présence militaire de la France en Afghanistan intervienne si tard, alors que notre pays y est présent depuis le début du conflit dans le cadre de la Force internationale d’assistance et de sécurité – FIAS –, c’est-à-dire depuis décembre 2001 ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau Centre.) Nous étions alors sous une autre majorité.

M. Jean-Christophe Lagarde. C’est vrai ! Droit d’inventaire !

M. Philippe Folliot. Gageons que la prochaine réforme constitutionnelle supprimera définitivement cette anomalie, comme l’avant-projet de loi le laisse espérer.

M. Jean-Pierre Brard. Vous y croyez vraiment ?

M. Philippe Folliot. S’agissant du débat dans le débat sur la nécessité d’un vote au terme de cette séance, je ne pense pas qu’il mérite tant de bruit. Certes, un vote aurait permis aux opposants de signer leur protestation contre tout envoi de renforts militaires.

M. Jean-Pierre Brard. Canossa !

M. Philippe Folliot. Mais il faut admettre que cette décision est autant tactique que politique. Comme je l’ai déjà dit, la France est présente depuis plus de sept ans en Afghanistan. Cette décision relève donc des prérogatives régaliennes de l’exécutif, du chef de l’État, en tant que chef des armées, et du ministre de la défense. Pour ce qui concerne les modalités pratiques – mode opérationnel de l’intervention et localisation –, le politique doit composer avec le chef d’état-major des armées et le chef d’état-major de l’armée de terre. Il en va de la responsabilité de chacun, donc des chances de réussite des opérations.

Quant au devenir de l’OTAN, mettons plutôt l’accent sur notre rôle à venir puisque nous nous apprêterions, nous dit-on, à rejoindre son commandement intégré. Cette question devra, selon nous, être discutée par l’Assemblée et tranchée par un vote. Dans ce domaine, où il s’agirait d’imprimer une rupture profonde avec la doctrine gaullienne de la France qui prévaut depuis 1966, chacun devrait pouvoir voter en son âme et conscience, comme ce devrait être aussi le cas s’agissant du concept de défense européenne, auquel les centristes sont très attachés.

Faut-il accroître la présence militaire internationale – dont celle de la France – en Afghanistan ? Le groupe Nouveau centre répond clairement oui. (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau Centre et sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme Françoise Hostalier. Très bien !

M. Philippe Folliot. Ce qui se passe actuellement dans ce pays est décisif à bien des égards. Ne nous y trompons pas, nous sommes à un moment charnière. Tout échec dans la lutte contre le terrorisme et dans la mise en place d’un État de droit en Afghanistan ne serait pas, comme en Irak, l’échec des Américains, mais celui de la communauté internationale tout entière, et de la France aussi.

Tous les experts en géopolitique internationale s’accordent sur ce point :…

M. Roland Muzeau. Les experts se sont toujours trompés !

M. Philippe Folliot. …le terrorisme international a son terreau dans les zones tribales, notamment de part et d’autre de la frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan.

M. Jean-Pierre Brard. Et du Nouveau centre !

M. Philippe Folliot. La guérilla talibane s’est intensifiée en 2007, marquant clairement sa volonté d’une reconquête du pays. Certaines zones du Sud afghan sont retombées aux mains des talibans. Mais, dans le même temps, la reconstruction du pays est en marche, même si tout n’est pas parfait, loin s’en faut : l’État afghan se structure, le Parlement légifère et, malgré les risques d’attentats, les organisations villageoises se mettent en place. Les résultats sont là : 6,4 millions d’enfants sont scolarisés, contre 900 000 il y a cinq ans ; 80 % de la population a aujourd’hui accès aux soins, contre 8 % sous le régime des talibans ; 4 000 kilomètres de routes ont été construits alors qu’il n’en existait que 50 en 2001.

M. Jean-Pierre Brard. M. Fillon l’a déjà dit ! Ça prouve au moins que vous savez lire !

M. Philippe Folliot. Depuis 2001, la France a pris sa part, plutôt positive, dans cette évolution. La capacité de son armée à s’adapter au terrain a été un atout unanimement reconnu par nos partenaires de l’OTAN.

M. Jean-Pierre Brard. Comme en Algérie !

M. Philippe Folliot. Ne pas s’engager aujourd’hui aurait, à terme, des conséquences sur la crédibilité de nos capacités d’action dans des conditions exigeantes sur des théâtres extérieurs difficiles. Il faut avoir le courage de le reconnaître. En effet, l’armée française a, par le passé, démontré en OPEX son savoir-faire particulier et distinct de celui de forces alliées, avec une approche du terrain conciliant les exigences de sécurité et la volonté de respect des populations civiles locales et de dialogue avec elles. (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau Centre.) En Afghanistan, elle a prouvé qu’elle pouvait participer à part entière au commandement des troupes alliées. Elle continue également à jouer un rôle clé dans la formation et la montée en puissance de l’armée nationale afghane, à travers les OMLT, Operational Mentoring Liaison Teams, l’opération Epidote consistant en la formation de plus de 5 000 stagiaires, essentiellement officiers, et la formation de commandos afghans par nos forces spéciales. Tout cela sera le gage d’une sécurité durable dans ce pays.

Au moment où une nouvelle offensive talibane menace, la poursuite de ces actions est nécessaire, faute de quoi nos efforts auront été vains. C’est pourquoi nous approuvons la décision du Président de la République de contribuer au renforcement des forces alliées contre un ennemi qui nous est commun et constitue une menace réelle, quels que soient nos engagements belligérants sur le terrain.

Certains voient dans ce choix une volonté d’alignement sur la superpuissance américaine, d’autres parlent, de manière plus ambiguë, de risques de représailles terroristes sur notre sol. Ces deux arguments, agités à des fins politiciennes, ne doivent pas détourner l’opinion publique de la vérité.

La France est engagée en Afghanistan depuis 2001 dans le cadre de l’OTAN, sur la base de l’article 51 de la Charte des Nations unies et de la résolution 1373 du Conseil de sécurité au titre de la coalition OEF « Liberté immuable ». L’armée française est aussi opérationnelle dans le cadre de la Force internationale d’assistance et de sécurité, créée par la résolution 1386 du Conseil de sécurité du 20 décembre 2001 et prorogée chaque année. La FIAS compte aujourd’hui environ 47 000 soldats originaires de quarante pays, dont vingt-cinq membres de l’Union européenne et treize non-membres de l’Alliance. Sur ces 47 000 hommes, 18 000 seulement sont américains. Toutefois, l’effort consenti par la France ne pourra être efficace sur le terrain que s’il est relayé par d’autres États, qui doivent s’engager, quantitativement et qualitativement, à même hauteur.

Le contexte de la présence française en Afghanistan n’a donc rien de comparable avec celui de l’Irak, où les États-unis et quelques alliés sont intervenus sans mandat international. En Afghanistan, la France a respecté ses principes.

Quant à l’aggravation des risques terroristes sur notre territoire, due au renforcement de la participation française, ne nous faisons pas d’illusions : les terroristes n’auraient pas attendu notre débat d’aujourd’hui et le renforcement de notre présence pour agir.

M. le président. Il va falloir conclure.

M. Philippe Folliot. Ensuite, ce n’est pas aux terroristes de dicter à la France sa politique internationale.

Enfin, les attentats du 11 septembre ont été perpétrés alors que l’Afghanistan était livrée aux talibans, qui toléraient la présence de camps d’entraînement d’Al Qaïda sur leur territoire. Mais la France doit apporter plus que sa puissance militaire en Afghanistan. Nous comptons beaucoup sur la conférence de Paris qui sera organisée en juin prochain pour apporter des réponses à certains dysfonctionnements structurels dans le processus de reconstruction, qui ont été relevés dans le cadre du rapport de l’agence Acbar.

Avant de conclure, je voudrais exprimer – et cela ne peut faire que consensus – la reconnaissance de la représentation nationale à nos soldats engagés sur les théâtres d’opérations extérieures et, en particulier, sur celui, éprouvant et dangereux, de l’Afghanistan : quatorze d’entre eux y ont laissé leur vie depuis 2001.

M. Maxime Gremetz. Malheureusement !

M. Philippe Folliot. Ceux qui partiront demain sur le terrain – je pense notamment au 8e RPIMa de ma chère ville de Castres qui est pressenti – devront affronter le feu, les dangers permanents d’un ennemi caché, mobile, capable de tout, y compris les attentats suicides. Afin d’atteindre au mieux leurs objectifs, ils doivent savoir que la France est fière de leur engagement, tout comme elle est confiante dans les moyens de son armée, qui contribue à la réussite des missions confiées à nos soldats engagés sur le terrain.

M. Maxime Gremetz. Ils préfèrent revenir !

M. Philippe Folliot. Espérons à cette occasion qu’après le Livre blanc et la révision générale des politiques publiques, les moyens humains et matériels nécessaires à nos forces armées et à la sécurité de nos soldats ne feront pas débat, et que nous serons unanimes à voter les crédits adéquats.

Pour nous, les questions de défense doivent transcender les clivages partisans. Il en va de l’honneur et du prestige tant de la France que de son armée ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau Centre et sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères.

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la France est présente en Afghanistan, depuis plus de six ans, aux côtés de ses alliés occidentaux pour lutter à 8 000 kilomètres de ses frontières contre le terrorisme international, qui frappe nos démocraties depuis le 11 septembre 2001.

Depuis plus de six ans, notre pays s’est engagé à mener un combat long et difficile contre les talibans et leurs alliés sur un territoire rude, berceau d’un des États les plus pauvres de la planète.

Ce qui se joue là-bas est fondamental, puisqu’il s’agit – ne l’oublions jamais – de la préservation de notre sécurité et de la défense de nos libertés.

Le Président de la République, en choisissant d’envoyer quelque 1 000 hommes pour venir en renfort des 1 500 militaires français déjà présents sur le terrain, a pris une décision courageuse et réfléchie.

M. Maxime Gremetz. Oh !

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. Le dispositif français actuellement présent en Afghanistan prouve la volonté de la France de participer à toutes les dimensions de l’action internationale qui y est menée. En assurant la sécurité à Kaboul, en contribuant à la formation de l’armée afghane et en apportant depuis Kandahar un appui aérien important, les forces françaises se sont affirmées comme un élément-clé de la Force internationale pour la sécurité en Afghanistan, composée, je le rappelle, de l’apport de quarante nations.

Le renforcement de cet effort est nécessaire, selon le commandement militaire, sur le terrain. D’abord, parce que la nature de l’opération l’exige. Les missions menées par l’armée française en Afghanistan sont typiques de ces nouveaux conflits, dits « asymétriques », dans lesquels une rapide et décisive opération militaire conventionnelle est suivie par un processus, nécessairement lent, de stabilisation, puis de reconstruction.

Ces objectifs, l’histoire est là pour nous le rappeler, exigent, dans le cas afghan, une détermination sans faille sur une longue période. Du point de vue militaire, la configuration géographique du pays est propice pour mener des opérations de guérilla, dans des régions montagneuses, peu accessibles et bénéficiant dans les zones tribales frontalières de solutions de repli ou de bases arrière.

De plus, la situation du pays reste toujours aussi fragile. L’Afghanistan, avec un PIB de 930 dollars par habitant, se classe selon l’ONU au 174e rang des 177 pays évalués sur la base de l’indice de développement humain. Cette extrême pauvreté, dans un État où le trafic de drogue a repris de plus belle et suscitant une corruption quasi généralisée,…

M. Jean-Pierre Brard. Grâce à qui ?

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. …constitue un obstacle supplémentaire. Les mouvements terroristes exploitent cette situation à leur profit. Il faudra encore du temps pour redresser les choses.

En dépit de ce contexte, l’échec n’est pas permis. Vaincre les mouvements terroristes et permettre à un Afghanistan stable de se développer et de se doter des forces nécessaires à sa sécurisation est la seule issue possible.

Pour assurer le succès de ces missions, la France est, encore une fois, appelée à jouer un rôle de premier plan. Consciente de ses responsabilités, elle est prête à les assumer pleinement, bien décidée à ne pas offrir à certains de ses alliés un motif de retrait, ou de relâchement de leurs efforts en Afghanistan.

L’action menée par la France n’est utile et n’a de sens que dans le cadre des opérations menées avec ses alliés. Il revient donc à notre pays d’accompagner l’effort de l’ensemble des membres de cette coalition.

Mes chers collègues, l’envoi des troupes en Afghanistan relève de notre entière souveraineté en raison même de la place que notre pays occupe au sein de l’Alliance atlantique.

M. Maxime Gremetz. Oh !

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. Il n’est pas question de débattre aujourd’hui du retour de la France dans les structures de commandement intégré de L’OTAN. (Exclamations sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.) Ce débat-là sera d’une autre ampleur et d’une autre nature. Ne faisons pas d’amalgame inutile !

M. Maxime Gremetz. Le peuple ne fait pas d’amalgame inutile.

M. le président. Monsieur Gremetz !

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. Je tiens néanmoins à faire observer que la singularité appréciable de notre situation au sein de l’Alliance atlantique ne modifie en rien la solidité, l’intensité et la pérennité de notre engagement en Afghanistan, manifesté dès le lendemain des attentats du 11 septembre par le gouvernement de Lionel Jospin.

La France, tout en préservant son indépendance, comme elle a su le faire lors de l’intervention américaine en Irak, fait aussi preuve de la plus totale loyauté vis-à-vis de ses alliés dès lors qu’elle a pris la décision de s’engager à leurs côtés.

Notre pays a décidé de renforcer sa présence militaire,…

M. Jean-Pierre Brard. Ce n’est pas le pays qui a décidé, mais le monarque !

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. …mais il doit aussi poursuivre parallèlement ses efforts diplomatiques en vue de la reconstruction de l’Afghanistan avec l’organisation à Paris en juin prochain d’une conférence internationale des donateurs.

Mes chers collègues, la réalisation de ce qui doit être notre double ambition – l’aide au développement de l’Afghanistan et la victoire contre le terrorisme – passe par un engagement fiable de la France. Il passe aussi, ne l’oublions pas, par un meilleur contrôle des circuits d’attribution et d’utilisation de l’aide internationale.

Tout cela est un impératif moral ; c’est aussi la condition de notre sécurité future. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)

M. Jean-Pierre Brard. Où est la morale là-dedans ?

M. le président. La parole est à M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale et des forces armées.

M. Jean-Pierre Brard. Le dernier va-t-en-guerre !

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous sommes nombreux aujourd’hui à souligner combien ce débat est rare, trop rare. Au demeurant, la question de l’information et des pouvoirs du Parlement en matière de politique étrangère et de défense n’est pas nouvelle. Je pourrais tenter de l’éluder en soulignant que nous ne sommes pas complètement tenus dans l’ignorance, puisque tant la commission de la défense que celle des affaires étrangères entendent régulièrement les ministres chargés de ces questions, ainsi que les principaux responsables militaires. (Protestations sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. François Lamy. Cela remonte à octobre dernier !

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. Des réponses sont et doivent continuer à être apportées aux questions des parlementaires dans ce cadre, et ce le plus régulièrement possible.

M. Jean-Pierre Brard. Eh oui !

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. Voulez-vous le débat ou le brouhaha ?

M. Jean-Pierre Brard. On ne veut pas du bruit des canons !

M. Maxime Gremetz. Ce n’est pas un débat !

M. le président. Monsieur Teissier, tenez-vous en à votre discours, et, monsieur Gremetz, taisez-vous ! (Exclamations sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. Chacun convient cependant que c’est insuffisant. Que tous aient l’honnêteté de relever que c’est à la majorité actuelle que revient le mérite de réformes augmentant les pouvoirs des assemblées dans des domaines jusqu’ici considérés, à tort, comme relevant exclusivement de l’exécutif, comme le renseignement et la défense. D’autres se sont contentés de rapports, certes brillants, mais malheureusement sans suite.

M. Jean-Marc Roubaud. Eh oui !

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. La réforme prochaine de nos institutions permettra d’associer de façon permanente le Parlement à l’envoi de troupes à l’extérieur, mettant fin à une anomalie française. Sans anticiper sur le débat que nous aurons à cette occasion, je crois déjà pouvoir souligner que les délais d’autorisation de la prolongation des opérations extérieures devront être suffisamment brefs pour ne pas vider en pratique de son contenu le nouveau pouvoir ainsi conféré au Parlement.

M. Jean-Pierre Brard. Enfin un accès de lucidité !

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. J’en viens maintenant au cœur du sujet dont nous sommes appelés à débattre. Nouveau Vietnam, risque d’enlisement, absence de stratégie, absence de garanties pour nos soldats, illégitimité des opérations, assujettissement total aux intérêts américains… : tout, je crois, a été dit ou écrit.

Ces critiques ont toutes un point commun cependant : elles relèvent, au mieux, de l’ignorance, au pire, de la malhonnêteté intellectuelle. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Si la légitimité juridique ne conditionne pas, loin s’en faut, la légitimité politique, il faut souligner une fois encore que la France est présente en Afghanistan aux côtés de la communauté internationale et dans le cadre d’une mission des Nations unies.

M. Jean-Pierre Brard. Comme le disait Coubertin : l’essentiel, c’est de participer !

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. Le mandat confié à l’OTAN a été régulièrement renouvelé.

M. Philippe Vuilque. Non !

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. Si !

La FIAS n’est ni l’empire britannique, ni l’Union soviétique. Nous ne sommes pas en Afghanistan une armée coloniale, mais, au contraire, un facteur de stabilisation.

Ce serait, par ailleurs, une erreur profonde de réduire notre engagement à son seul aspect militaire, même si la sécurité constitue une condition de la reconstruction du pays. Tout d’abord, les forces de l’Alliance elles-mêmes mènent de très nombreuses actions humanitaires et de reconstruction.

M. Jean-Pierre Brard. Comme en Algérie !

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. Et j’en ai été le témoin.

M. Henri Emmanuelli. On a vu le résultat !

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. Ensuite, les Nations unies ont mis en place un programme d’aide au travers de la mission d’assistance des Nations unies en Afghanistan. Enfin, l’Union européenne joue son rôle par le biais du service d’aide humanitaire.

M. Jean-Pierre Brard. C’est Bernard Kouchner et le sac de riz !

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. Malgré l’ampleur des efforts consentis, la reconstruction en est encore à ses débuts dans un pays ruiné par trente ans d’une guerre qui constitue l’un des derniers héritages de l’empire soviétique. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Pierre Brard. Cela n’a pas duré trente ans !

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. Quant à la situation en matière de sécurité, chacun sait combien elle reste difficile. Les talibans restent actifs, privilégiant désormais une action de guérilla diffuse et de terrorisme. L’État afghan est insuffisamment structuré pour faire face efficacement à la tâche considérable qui est la sienne. Enfin, la part croissante de la drogue dans l’économie afghane est préoccupante.

Face à ce constat, faut-il pour autant baisser les bras ? Faut-il laisser nos alliés conduire seuls le travail de stabilisation, au risque de les voir céder l’un après l’autre au découragement et à la lassitude ?

Faut-il accepter le risque d’une victoire des extrémistes, renvoyant les Afghans dans l’époque de ténèbres et de l’obscurantisme qu’ils ont déjà subie ? Je ne le crois pas.

M. Jean-Pierre Brard. Et Teissier arriva !

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. Le Président de la République a eu raison de souligner qu’en Afghanistan, la défaite militaire nous est interdite, même si la victoire politique, nous le savons tous, est incertaine.

Mais, du fait de cette incertitude, la France, qui se veut et qui est une grande puissance, devrait-elle se replier dans une frilosité coupable ? Je ne le pense pas non plus.

Que ceux qui considèrent que nous devons cesser d’aider ce pays pensent au sort des Afghans si, d’aventure,…

Mme Françoise Hostalier. Et des Afghanes !

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. …les talibans l’emportaient de nouveau. La désertion du pays des droits de l’homme serait-elle acceptable ?

Et si cela ne suffit pas, qu’ils s’interrogent sur les conséquences pour notre propre sécurité de la reconstitution d’un bastion de l’islamisme radical, cette fois appuyé sur les ressources considérables tirées de l’opium, et de son impact négatif dans cette région du monde, et sur le Pakistan en particulier.

L’envoi de troupes supplémentaires est donc nécessaire. Ce à quoi il faut réfléchir, c’est à la nature de leur mission et aux modalités de leur déploiement. À titre personnel, je considère que la région Est doit être privilégiée – c’est ce qu’impose la cohérence opérationnelle. Mais l’envoi de nouvelles troupes ne peut prendre tout son sens que s’il s’inscrit dans une stratégie globale d’aide à la reconstruction de l’Afghanistan.

M. le président. Veuillez conclure.

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. Sans nul doute, la situation de nos finances publiques impose des choix. Mais le boulier ne peut être le seul critère d’évaluation lorsqu’il s’agit de notre sécurité et du respect de nos engagements.

À ce sujet, j’aurai deux questions, monsieur le ministre : à combien est évalué le surcoût lié à cette opération ? D’autre part, pouvez-vous nous assurer que ce dernier ne sera pas prélevé sur le programme « Équipements des forces », comme cela a été cas, à ma grande stupéfaction, en 2007 ? (Rires sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. Jean Glavany. Pour être rassuré, vous allez être rassuré !

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. Notre engagement en Afghanistan depuis plus de six ans et l’expérience de nos alliés ont amplement montré combien l’adaptation rapide aux conditions locales est déterminante pour le succès et la sécurité de nos soldats.

Aux hommes et aux femmes qui servent la France, à ces fils et filles de la République qui vont défendre nos valeurs et notre sécurité dans ces rudes contrées, nous devons donner un témoignage concret du fait que cette décision n’a pas été prise à la légère. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Nouveau Centre.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes.

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et de la Gauche démocrate et républicaine. Et ministre de la guerre !

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je vous remercie de la dignité de ce débat et des questions que vous avez posées, auxquelles je vais tenter de répondre.

M. Henri Emmanuelli. Il n’y a même pas de vote !

M. le ministre des affaires étrangères et européennes. Tout d’abord, je remercie M. Deflesselles d’avoir précisé les raisons de notre présence en Afghanistan. Elle est légitime et légale car elle correspond à un mandat des Nations unies, en vertu de résolutions du Conseil de sécurité, dont nous avons pris soin de vous rappeler les références. Nous n’avons pas été appelés par les Américains, …

Plusieurs députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine. Non, bien sûr !

M. le ministre des affaires étrangères et européennes. …même s’ils sont d’accord, mais par nos vingt-six partenaires de l’Union européenne. Sachant que nous ne sommes pas au premier rang, ils nous demandent d’accentuer notre effort, au service du développement. C’est dans ce but spécifique que, avec d’autres nations, nous renforçons les effectifs en place.

Dans le cadre de l’organisation de la conférence sur l’Afghanistan, qui se tiendra le 12 juin, nos partenaires – majoritairement européens même si l’on compte aussi parmi eux le Canada – nous ont demandé que la réflexion porte sur la stratégie militaire et civile de développement. C’est ce que vous demandez également.

Nous ne pouvions continuer comme cela, malgré de valeureux efforts de combat – et je vous sais gré du juste hommage que vous avez rendu aux forces françaises. Il faut que davantage de coordination se fasse jour : entre les États, entre les bataillons mais aussi entre les forces civiles de l’ONU, dans le cadre de la FIAS et de l’opération « Liberté immuable ». C’est pourquoi nous avons attendu qu’un nouvel envoyé spécial du secrétaire général soit nommé. C’est chose faite : il s’agit de M. Kai Eide. C’est pourquoi nous avons également attendu la réponse de tous nos partenaires à la lettre que le Président de la République, M. Sarkozy, leur a envoyée.

Malgré vos encouragements, nous ne pouvions continuer éternellement à nous battre contre le terrorisme, à la place qui est la nôtre, sans avoir une vision, non pas de l’issue, mais des voies de réussite qui permettront aux Afghans de prendre le relais de chacun des projets. Cela implique de leur donner les responsabilités qui leur reviennent à travers la formation des 50 000 à 60 000 hommes des troupes afghanes – il en faudrait plus –, des policiers – ils ne sont que 35 000 et ne sont pas parfaits. L’accent devra porter en particulier sur l’agriculture …

M. Jean-Pierre Brard. Sur le pavot !

M. le ministre des affaires étrangères et européennes. Parlons-en, du pavot ! Il faut certainement faire des efforts en ce domaine, mais en inventant autre chose que ce qui s’est fait jusque-là, car, aujourd’hui, le record du monde de production est atteint, ce qui n’est pas acceptable.

M. Hervé Morin, ministre de la défense. 87 % des exportations mondiales !

M. Jean-Pierre Brard. Bravo !

M. le ministre des affaires étrangères et européennes. Il n’y a pas à dire bravo, cela n’est ni de votre responsabilité, ni de la mienne. Et il faut que cela cesse : pour cela, il faut renforcer nos efforts et ne pas se contenter de crier. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Nous avons maintenant à préciser certaines choses.

Monsieur Ayrault, oui, il y a eu des morts, quatorze au total. Mais quand vous dites que nos troupes n’étaient pas engagées au combat, c’est une erreur. Neuf de ces personnes tuées faisaient partie des forces spéciales engagées dans le combat ?

M. Bernard Deflesselles. Eh oui, il serait bon de s’en souvenir !

M. le ministre des affaires étrangères et européennes. Il faut bien se rendre compte de la différence entre l’engagement des 45 000 hommes de la FIAS et les actions menées dans le cadre de l’opération « Liberté immuable ».

Vous avez cité certaines paroles du Président.

M. Jean-Pierre Brard. Le nouvel évangéliste !

M. le ministre des affaires étrangères et européennes. Eh bien, je vais vous dire ce qui a fait la différence. Lorsque nous nous sommes rendus avec le Président de la République en Afghanistan, le président Karzaï nous a expressément demandé d’organiser la conférence sur l’Afghanistan : elle se tiendra 12 juin et sera précédée par quinze jours de conférence où les organisations non gouvernementales et les forces civiles en Afghanistan nous diront quels sont les progrès pratiques déjà accomplis et lesquels restent à faire. Mais il nous a également demandé de renforcer nos troupes, car notre effort, par rapport à d’autres, était modeste.

Il faut donc absolument le faire pour que la lutte contre les talibans puisse être victorieuse. Le combat contre le terrorisme n’est pas encore gagné, mais nous devons l’achever afin de laisser les Afghans prendre le relais. Personne ici, je pense, ne le contestera.

La pauvreté recule. Je veux vous donner quelques exemples qui me touchent – mais ce ne sera peut-être pas le cas de tout le monde. Il y a 60 % de centres médicaux de plus qu’en 2001 et la mortalité infantile a baissé de 25 % ; le nombre de femmes enceintes bénéficiant de soins prénataux était de 8 500 en 2003, il a atteint 123 000 en 2006. Depuis 2002, plus de 10 000 personnels de santé ont été formés, dont la moitié sont des femmes.

M. Jean-Pierre Brard. Ce sont des statistiques soviétiques !

M. le ministre des affaires étrangères et européennes. En 2006, 64 % des enfants concernés ont bénéficié d’une vaccination contre les maladies infantiles, soit 20 % de plus que dix ans auparavant. Enfin, alors que dans beaucoup de villages, il n’y avait aucune école, il y a désormais 6 millions d’enfants scolarisés, dont un tiers sont des filles. En 2004, les femmes afghanes ont voté pour la première fois, ce que l’on peut considérer comme un succès, même s’il n’est pas total.

S’agissant des transitions démocratiques, je ne dirai pas beaucoup plus. Sachez tout de même que nous avons affaire à un président élu, M. Karzaï, un homme reconnu par toute la communauté, qui travaille du mieux qu’il peut avec un parlement lui aussi élu. Était-ce le cas avant l’intervention internationale ? Non ! Ce sont des progrès, même s’ils sont insuffisants. Et à chaque étape franchie, nous devons non seulement travailler avec les Afghans mais leur donner leurs responsabilités. C’est la seule façon, non pas de s’en sortir, mais d’envisager le départ des troupes internationales.

M. Jean-Pierre Brard. C’est « globalement positif », comme disait Khrouchtchev.

M. le ministre des affaires étrangères et européennes. Oui, c’est globalement positif, comme vous l’avez dit bien souvent.

M. Jean-Pierre Brard. Vous n’avez pas été complet !

M. le ministre des affaires étrangères et européennes. Je n’ai peut-être pas été complet, mais je n’ai pas été mauvais ! (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Vous avez parlé de « stratégie européenne ». C’est justement la dimension à laquelle nous avons le plus travaillé. Des heures de discussion avec les vingt-six autres pays européens nous ont amenés à prendre la décision de ne pas faire une simple conférence de donateurs, mais une conférence stratégique et politique. Je vous invite à venir le 12 juin profiter de l’expérience des Afghans, qui nous diront les progrès accomplis et les espérances qui sont les leurs. Donc, oui au développement concerté : cela correspond exactement au contenu de la lettre du Président de la République.

Vous avez également évoqué un « alignement stratégique sur l’OTAN ». Mais d’où sortez-vous cela ? Je vous invite à écouter les débats et les interventions qui auront lieu demain et après-demain. Et vous aurez la démonstration qu’il n’y a pas d’alignement, s’agissant en particulier, de la demande insistante des Américains à propos de l’Ukraine et la Géorgie. Je peux vous l’assurer. Attendez seulement deux jours.

Quant à la guerre d’Irak, monsieur Ayrault, devrai-je vous renvoyer à mon article une énième fois ? Je vous en rappelle seulement le titre : « Non à la guerre, non à Saddam Hussein ». Ne dites pas, après cela, que j’étais partisan de la guerre. J’étais simplement favorable à ce que le peuple irakien, à l’aide de l’ONU et des forces internationales, se débarrasse de son dictateur et bourreau, ce qui est bien autre chose. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)

Je ne vais pas être trop long. Qui sait ? Vous pourriez être convaincus ! (Sourires.) Je termine avec votre souhait, monsieur Ayrault, d’une réorientation vers la reconstruction. C’est exactement l’objectif de notre démarche. Nous devons faire un dernier effort : il prendra peut-être encore quelques années, mais il permettra de rendre aux Afghans dignité et liberté, ce qui est déjà à moitié fait, mais aussi leurs responsabilités. Et je vous assure que nous approchons de nos objectifs d’afghanisation.

M. Jean-Pierre Brard. Ça finira comme à Saïgon ! (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Monsieur Brard, je vous remercie de vous abstenir de tout commentaire.

M. Jean-Pierre Brard. J’éclaire notre assemblée !

M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.

M. le ministre des affaires étrangères et européennes. Quand une mission de paix commence, on lui fixe toujours un certain délai. Mais il ne se vérifie jamais dans les faits, car il faut du temps, M. Deflesselles l’a rappelé, pour faire en sorte que les buts soient atteints. Rappelons à ce propos quelques données : en Bosnie – à propos de laquelle il n’y a pas eu de débats suffisants ici – nos troupes sont restées dix-sept ans ; au Kosovo, neuf ans ; en République démocratique du Congo, quinze ans ; au Liban, trente ans ; sur le plateau du Golan, trente-cinq ans ; à Chypre, quarante ans.

M. Jean-Pierre Brard. En Amérique latine, quatre siècles !

M. le ministre des affaires étrangères et européennes. Les choses sont ainsi : il faut au moins une génération. En Afghanistan, cela fait sept ans, ce qui n’est pas assez, monsieur Ayrault – j’en suis désolé.

À M. Folliot, je répète qu’aucune décision n’a été prise à propos de l’OTAN. Au contraire, nous pensons qu’il faut aller extrêmement lentement, laisser les aspirations se faire jour sans se précipiter dans des décisions qui ne nous paraissent pas justifiées pour le moment. Un débat aura lieu à Bucarest. Je vous demande de le suivre et vous verrez encore une fois qu’il n’y a en aucune façon alignement.

Monsieur Sandrier, notre collaboration avec la Russie, dont vous avez rappelé le rôle en Afghanistan (Sourires sur divers bancs) est bonne. Nos avions survolent la Russie et elle est prête à construire une route qui nous permettrait un accès plus facile en Afghanistan. Par ailleurs, des collaborations techniques, en particulier pour les hélicoptères, sont à l’étude.

Afficher un taux de croissance de 8 à 10 % alors que c’est l’un des pays les plus pauvres du monde, avouez que ce n’est pas mal, en tout cas c’est mieux qu’il y a quelques années. Certes, vous me répondrez que ce n’est pas assez et que cette croissance est mal répartie. Nos décisions stratégiques privilégieront l’agriculture, …

M. Henri Emmanuelli. La culture du pavot ?

M. le ministre des affaires étrangères et européennes. Pas du pavot...

M. Jean-Pierre Brard. Le cannabis, alors ! Mais ça rapporte moins !

M. le président. Un peu de dignité, je vous prie !

M. le ministre des affaires étrangères et européennes. ...qui, jusqu’à présent, ne recueille que 2 % de l’aide internationale.

Monsieur Sandrier, j’ai apprécié vos propos sur la « civilisation de la terre »...

M. Jean-Pierre Brard. Vous n’êtes pourtant pas un terrien !

M. le ministre des affaires étrangères et européennes. ...et votre allusion à la globalisation-mondialisation.

Mais comment pouvez-vous, d’un côté, vous inquiéter de la sécurité des Français dans la lutte contre le terrorisme tout en souhaitant, de l’autre, que nous nous retirions de ce pays, base arrière du terrorisme ?

M. Camille de Rocca Serra. Eh oui !

M. le ministre des affaires étrangères et européennes. Et c’est même apparemment de cet endroit, dans la zone tribale entre l’Afghanistan et le Pakistan, qu’Oussama Ben Laden continue à émettre ses messages. Il ne nous est donc pas possible de partir.

M. Jean-Pierre Brard. Vous savez bien que c’est la CIA qui payait Oussama Ben Laden ! Vous n’avez donc pas de mémoire ?

M. le ministre des affaires étrangères et européennes. Oh si !

M. le président. Monsieur Brard, je vous en prie !

M. le ministre des affaires étrangères et européennes. En outre, en évoquant un « fiasco de l’aide », vous oubliez, monsieur Sandrier, les millions d’enfants qui ont découvert le chemin de l’école et qui sont en meilleure santé.

M. Jean-Pierre Brard. Comme du temps des Soviétiques !

M. le ministre des affaires étrangères et européennes. Non !

En Afghanistan, 80 % de la population a désormais accès aux soins à proximité de son domicile. C’est tout à fait exceptionnel.

M. Jean-Pierre Brard. À trois jours de dos d’âne !

M. le ministre des affaires étrangères et européennes. Il y va donc de notre sécurité et de nos valeurs, mais aussi du respect de l’exigence de solidarité envers le peuple afghan.

M. Henri Emmanuelli. C’est consternant !

M. le ministre des affaires étrangères et européennes. Monsieur Poniatowski, le circuit de distribution de l’aide est effectivement très perturbé et son harmonisation est extrêmement délicate, comme en témoignent les nombreuses études menées par les organisations non gouvernementales.

Nous allons essayer de proposer des solutions, mais ce n’est pas facile parce que l’insécurité dans le pays ne permet pas aux ONG de se déployer comme elles le souhaiteraient. Voilà pourquoi il faut accomplir des efforts en matière de sécurité sur le terrain.

Vous avez également rappelé la place qu’occupe l’Afghanistan dans l’échelle du développement humain. Or le développement et la sécurité sont intimement liés, et c’est cette approche que nous voulons étendre.

Monsieur Teissier, vous avez raison, la difficulté de la tâche ne doit pas nous faire renoncer. Ce serait pourtant tellement plus facile de partir ! Nous dirions que nous avons effectué notre devoir, et nous laisserions les autres se débrouiller. Or, il y a des appels très précis, en particulier des Hollandais, des Canadiens, de nos amis allemands.

M. Jean-Pierre Brard. Des Allemands ? Oh !

M. le ministre des affaires étrangères et européennes. Oui, et ils sont deux fois plus nombreux que nous !

M. Jean-Pierre Brard. On s’en est rendu compte à trois reprises en un siècle !

M. le ministre des affaires étrangères et européennes. Vous avez raison de rappeler qu’il nous est impossible de nous soustraire à nos responsabilités, au nom de la place que nous voulons occuper et que nous occupons dans le monde. Cet engagement honore la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Hervé Morin, ministre de la défense.

M. Hervé Morin, ministre de la défense. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je n’ajouterai que quelques mots, M. Kouchner ayant répondu sur presque tous les points.

Nous sommes en effet en Afghanistan dans le cadre d’une opération qui relève du droit international, pour lutter contre le terrorisme.

M. Henri Emmanuelli. Ce n’est pas vrai !

M. le ministre de la défense. ...au nom de notre propre sécurité et de celle de nos concitoyens.

Il s’agit de permettre le développement de la paix dans un pays qui a été durement frappé par l’invasion de l’Union soviétique, monsieur Brard,…

M. Jean Roatta. Très bien !

M. Henri Emmanuelli. C’est pitoyable !

M. le ministre de la défense. ...puis par le régime des talibans.

À partir de ce constat, devons-nous nous retirer ? Ce serait nous résigner, laisser le champ libre aux terroristes, auxquels l’Afghanistan fournit une base arrière, et, en quelque sorte, menacer notre sécurité à court ou moyen terme.

M. Henri Emmanuelli. Vous allez la mettre en danger !

M. le ministre de la défense. Nous avons l’obligation d’être en Afghanistan pour faire en sorte que l’arc de crise qui s’étend de l’Asie du sud à l’Atlantique ne connaisse pas un immense foyer de déstabilisation.

M. Henri Emmanuelli. C’est le président Bush qui vous a expliqué cela ?

M. le ministre de la défense. Le Président de la République a déclaré que nous n’avions pas vocation à rester éternellement en Afghanistan.

M. Henri Emmanuelli. Il a même dit qu’on allait partir !

M. le ministre de la défense. Et si nous n’avons pas vocation à y rester éternellement, cela veut dire que durant la période de notre intervention, nous devons tout faire et mettre en oeuvre toutes les politiques – et pas uniquement une politique militaire – pour faire en sorte que la situation en Afghanistan s’améliore. Si la situation s’est légèrement dégradée dans certaines régions, laquelle fait suite à une amélioration continue pendant plusieurs années, nous conservons le contrôle militaire de la zone.

Nous devons avoir une approche globale qui doit concerner à la fois la gouvernance, une politique de développement, une meilleure coordination des moyens civils et militaires, l’« afghanisation » progressive des institutions, c’est-à-dire le transfert aux Afghans du contrôle de leur sécurité, de leur police et de leur justice, ainsi que la lutte contre le narcotrafic, en donnant à ce pays, et notamment aux paysans afghans, les moyens de se développer. Voilà ce que nous devons faire, et c’est dans ce cadre-là que nous devons nous interroger sur les moyens militaires supplémentaires dont nous pourrions avoir besoin pour faire en sorte que notre politique soit efficace.

Nos militaires sont motivés et enthousiastes.

M. Henri Emmanuelli. C’est ça !

M. le ministre de la défense. Ils remplissent des missions pour lesquelles ils ont été parfaitement préparés et entraînés. Ils ont choisi ce métier des armes souvent par vocation, pour défendre le droit, la liberté et pour servir la France.

M. Henri Emmanuelli. Oh, je vous en prie !

M. le ministre de la défense. Ils assument avec fierté de risquer leur vie pour leur pays et de conduire des hommes au combat. C’est ce qu’ils font à l’heure actuelle avec l’armée nationale afghane dans le cadre des Operational mentoring liaison teams, les OMLT. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Nouveau Centre.)

M. Jean-Pierre Brard. C’était déjà le même discours pendant la guerre de Crimée !

M. le ministre de la défense. Mesdames, messieurs les députés du groupe SRC et du groupe GDR, croyez-vous que lorsque le chef des armées et le Gouvernement décident d’envoyer des hommes et des femmes sur un théâtre d’opérations extérieures, ils ne pensent pas à leur sécurité, à leurs conditions d’emploi...

M. Henri Emmanuelli. La preuve !

M. le ministre de la défense. ...et ne mettent pas en oeuvre les mesures permettant d’assurer leur protection, notamment contre les engins explosifs improvisés ?

Les femmes et les hommes qui sont en Afghanistan font leur métier en ayant le sentiment qu’ils accomplissent, au-delà de leur devoir, une mission utile et nécessaire à la sécurité et à la paix de ce pays.

M. Henri Emmanuelli. Vous savez, ils peuvent penser tout seuls !

M. le ministre de la défense. Enfin, Guy Teissier s’est interrogé sur le coût des opérations extérieures. Il s’est élevé à 700 millions d’euros en 2007 et atteindra probablement 850 à 900 millions d’euros en 2008, dont 75 %, soit 475 millions d’euros, ont été votés en loi de finances initiale, la loi de finances rectificative permettant au Premier ministre de prendre les mesures nécessaires, comme il l’a fait en 2007, pour faire en sorte qu’un budget complémentaire soit accordé.

M. Henri Emmanuelli. Il va prendre l’argent ailleurs !

M. le ministre de la défense. Quant au coût de l’opération en Afghanistan, qui représente aujourd’hui entre 150 et 200 millions, il dépendra par la suite d’une décision qui n’est toujours pas prise, celle de l’envoi complémentaire d’hommes et de femmes dans ce pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Pierre Brard. Prenez de l’argent dans la tirelire de Mme Parisot !

M. le président. Le débat est clos.

M. Henri Emmanuelli. Jusqu’à la semaine prochaine !

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures quarante, est reprise à seize heures cinquante.)

M. le président. La séance est reprise.

2

Démission d’un député

M. le président. J’ai reçu de M. Charles-Ange Ginesy, député de la cinquième circonscription des Alpes-Maritimes, une lettre m’informant qu’il se démettait de son mandat de député.

Acte est donné de cette démission qui sera notifiée à M. le Premier ministre.

3

Organismes génétiquement modifiés

Discussion d’un projet de loi adopté par le Sénat
après déclaration d’urgence

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d’urgence, relatif aux organismes génétiquement modifiés (nos 719, 746).

La parole est à M. Jean-Louis Borloo, ministre d’État, ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire.

M. Jean-Louis Borloo, ministre d’État, ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, mon propos liminaire sera bref car nous connaissons tous ici la raison profonde de ce débat sur les biotechnologies, dont les plantes génétiquement modifiées sont l’une des illustrations. Nous devons sortir en toute lucidité et en toute conscience de dix années d'esquive et d'amalgames, dix années pendant lesquelles la situation de fait de ces biotechnologies agricoles fut une situation de non-droit.

Sur ce sujet complexe, encore à l'aube de ses développements possibles, il s'agit aujourd'hui de construire un cadre juridique responsable après en avoir considéré tous les aspects, y compris à moyen et long terme.

Je commencerai par clarifier la situation actuelle. Le 25 octobre 2007, le Président de la République a déclaré que l’intérêt sanitaire et environnemental des OGM doit être prouvé. Sur cette base, et conformément aux conclusions du Grenelle de l’environnement qui furent adoptées à l’unanimité des présents, le Gouvernement a interdit la seule culture OGM pratiquée en France et autorisée par la Commission européenne : le maïs Monsanto 810.

M. Jean Michel. Très bien !

M. le ministre d’État, ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire. La France, en application du principe de précaution, a fait jouer la clause de sauvegarde et notifié sa décision à Bruxelles. Depuis, la Roumanie a pris la même position. Au dernier Conseil européen, le Gouvernement français a demandé que soient réévaluées les procédures d’expertise européennes en matière d'autorisation d'OGM, car il n’est pas possible que subsistent des avis différents selon les pays membres, comme c’est le cas actuellement. Notre pays a été suivi par une majorité d'États membres. Le commissaire à l'environnement vient d'exprimer un avis défavorable à la demande d'autorisation du maïs Bt 11. Des questions sont donc posées sur les effets complexes des opérations sur le génome, et pas seulement en Europe : aux Nations unies, en Australie, en Chine ou en Inde. La situation au moment où nous lançons le débat est claire : l'année dernière, 22 000 hectares de maïs Mon 810 étaient cultivés en France ; aujourd'hui, plus aucune surface ne l’est.

Dans ces conditions, le débat peut s'engager de façon plus sereine, afin d'élaborer un cadre satisfaisant, scientifiquement et juridiquement. Comme l'ont montré les discussions au Sénat, lors de la première lecture, un débat approfondi est possible sur un sujet d’une extraordinaire complexité, qui suscite dans l’esprit de chacun des interrogations sincères et légitimes.

Les biotechnologies font partie des perspectives incontournables du xxie siècle. Elles contiennent peut-être des solutions au traitement des maladies neurodégénératives ; elles sont une des directions de recherche en agriculture, peut-être une des voies possibles pour réduire les besoins en eau des cultures. En tout état de cause, elles font partie des technologies que nous devons absolument regarder de près, parce qu'elles recourent à des procédés souvent inédits et toujours puissants déjà pratiqués sur les végétaux et les animaux ; parce qu'elles occupent une grande place dans la guerre des brevets ; parce que leurs effets, touchant à l'organisation même du vivant, sont encore plus complexes que ceux des procédés chimiques ou physiques. Les biotechnologies comptent déjà parmi les techniques qui auront le plus d'incidence sur nos activités, nos conceptions du vivant et bientôt sur nous-mêmes. Notre honneur politique est d'en sortir par le haut : il s'agit de faire de ces technologies ce que nous voulons, non de nous y soumettre.

C'est dans ce contexte que ce projet de loi, que Nathalie Kosciusko-Morizet va vous expliciter plus avant, entend mettre un terme à plusieurs années de non-dits, de laisser faire et, pour tout dire, d'irresponsabilité.

La société est extrêmement attentive aux nouvelles technologies, surtout lorsqu'elles concernent le vivant et l'alimentation. Elle nous a demandé de dépasser la polémique, les a priori, de dépasser le temps médiatique et les approches sectorielles étroites. C'est ce qu'a exprimé le consensus du Grenelle de l'environnement le 25 octobre dernier.

À l'unanimité de tous les collèges, – je me permets de vous en relire les termes exacts ; c’est à la page 19 – il a été demandé un « cadre rigoureux et transparent pour les OGM et les biotechnologies ». C'est bien ce que tente ce projet de loi.

À l'unanimité encore, les collèges ont demandé de « renforcer la recherche autour des biotechnologies et des OGM », en couvrant tout l'éventail des disciplines concernées : « écotoxicologie, toxicologie, écologie, épidémiologie, agronomie, écologie microbienne, économie agricole ». C'est ce qui a été fait en triplant le budget correspondant, soit 45 millions d'euros par an consacrés aux biotechnologies sur trois ans. Le débat sur une variété particulière de plante génétiquement modifiée, le Monsanto 810, ne doit pas occulter cette accélération programmée des recherches en toutes disciplines autour des biotechnologies.

À l'unanimité toujours, les collèges ont demandé que la loi crée une « Haute autorité des biotechnologies », « de composition diversifiée », qui se substitue aux commissions existantes et « dispose des moyens propres d'une expertise scientifique indépendante, pluridisciplinaire et citoyenne qui puisse s’autosaisir et être saisie largement, y compris par les citoyens » ; qui adopte « des avis transparents, publics et multidisciplinaires sur chaque OGM végétal et animal, sans se substituer à l'échelon politique de la décision » ; qui « couvre, par ses avis, la mise en culture, l'importation, la consommation animale ou humaine par l'évaluation dans la durée des impacts environnementaux sanitaires et socio-économiques, selon les critères du développement durable ».

C’est ce que nous avons prévu dans le projet de loi qui vous est soumis.

À l’unanimité, les collèges ont, en l’absence d’assurance scientifique suffisante et de cadre de responsabilité, demandé le traitement à court terme du Monsanto 810, ce qui a été fait.

À l’unanimité toujours, ils ont réclamé une loi, non pour interdire ou autoriser les biotechnologies et les OGM de façon grossière et en amalgamant toutes les questions, mais afin d’organiser les responsabilités de chaque acteur, en pleine connaissance des interrogations et des enjeux ; un cadre qui corresponde aux plus fortes demandes de la société française, préserve la biodiversité – cruciale pour notre avenir – et les cultures sans OGM, et protège le faible – ce qui est le rôle de la loi –, mais sans tourner le dos à la science. Et que demande la société ? Relisons ce que disent les collèges, une fois encore unanimes : « responsabilité, principe de précaution, transparence et participation, libre choix de produire (règles de coexistence) et de consommer sans OGM ». (« Ah ! » sur quelques bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. Yves Cochet. Oui : « sans », pas « avec » !

M. le ministre d’État, ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire. Cette loi, probablement imparfaite aux yeux de certains acteurs, n’en rompt pas moins avec le laisser-faire de la dernière décennie. Quelle était en effet la situation précédente ? Dès lors qu’une autorisation était donnée au niveau communautaire – avec des méthodes d’expertise datant d’une dizaine d’années –, n’importe qui pouvait, sans responsabilité juridique, sans assurance, sans transparence et sans précaution, exploiter à l’air libre, sur n’importe quelle parcelle, un organisme génétiquement modifié et le vendre. C’était le cas pour le seul OGM alors autorisé à la culture en France : il s’agissait d’un vide juridique et politique exorbitant, eu égard à ce qui était demandé pour n’importe quel produit industriel ou n’importe quelle activité économique ! Paradoxalement, l’utilisation confinée, a priori plus maîtrisable, était plus encadrée. En outre, le droit à la recherche n’était pas affirmé, ce qui conduisait à un amalgame, préjudiciable pour notre recherche et nos relations sociales, entre la culture d’un maïs et les activités des chercheurs.

Ce projet de loi est donc un acte de courage et de foi. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. Noël Mamère. Un acte d’allégeance, oui !

M. le ministre d’État, ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire. Un acte de courage parce que, pour la première fois, nous décidons collectivement de sortir de l’impasse, après des années d’hésitations et de doutes ; un acte de foi parce que notre pays regarde vers l’avenir, la recherche, le progrès au service de l’homme. Ce texte est indissociable des positions prises par le Gouvernement en matière de clause de sauvegarde, d’exigence sur l’expertise et de développement de l’agriculture biologique et diversifiée.

C’est maintenant à vous qu’il revient de mettre un terme au flou juridique, économique et politique actuel, lequel suscite la méfiance et décourage l’investissement sans rien régler. Certes, le Gouvernement avait présenté un texte plus encadrant ; il continuera de le défendre avec conviction,…

Mme Chantal Robin-Rodrigo. Tant mieux !

M. le ministre d’État, ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire. …mais c’est au Parlement qu’il revient, en dernier ressort, de voter la loi.

Pour finir, je rappelle que cette loi n’a pas vocation à dire si notre société doit être pour ou contre les biotechnologies (« Mais si ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche) et les OGM – qui n’en sont qu’un spécimen –, mais à répondre aux aspirations de notre temps : la transparence, la qualité, la prévention des dégâts prévisibles, la précaution vis-à-vis des dommages potentiels graves, la liberté de choisir son mode de production ou de consommation, la protection de la diversité biologique, le respect du droit et de la propriété privée. Elle doit bâtir le cadre d’une confiance retrouvée, que seul un régime de transparence et de responsabilité, équitable et proportionné, scientifiquement et socialement construit, est capable de rétablir. C’est la mission importante qui est la vôtre dans les prochains jours. Je vous remercie de bien vouloir l’assumer. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)

M. le président. La parole est à M. Michel Barnier, ministre de l’agriculture et de la pêche.

M. Michel Barnier, ministre de l’agriculture et de la pêche. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, le Président de la République et le Gouvernement ont décidé le 8 février d’appliquer le principe de précaution sur le seul OGM autorisé à la culture en France, le MON 810, la Haute autorité provisoire ayant soulevé un certain nombre de questions liées à l’environnement. Ce principe de précaution, je le connais bien, puisqu’il a été inscrit dans la loi en février 1995, alors que j’étais ministre de l’environnement.

M. Jean-Pierre Brard. C’est presque la préhistoire ! (Sourires.)

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Pour la première fois, son application ne ferme la porte ni aux progrès scientifiques, ni aux OGM en général, et encore moins au débat qui s’impose à toute société moderne et démocratique. Notre décision donne le temps aux autorités européennes de réévaluer, comme prévu, le MON 810 dix ans après son autorisation, et à nous de poursuivre le débat législatif de manière ouverte, sincère et, je l’espère, plus sereine, afin que la raison l’emporte sur la passion. C’est à ce débat de fond que je vous invite aujourd’hui, en tant que ministre de l’agriculture, un secteur économique directement concerné par ces questions – mais il n’est pas le seul : comme l’a rappelé M. le ministre d’État, la transgenèse et les biotechnologies ont un rôle à jouer dans l’amélioration des pratiques industrielles, la nutrition et certaines thérapies.

Mme Martine Billard et M. Noël Mamère. Cela n’a rien à voir !

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Bénéficiant du travail équilibré et approfondi réalisé par le Sénat, ce projet de loi permet de sécuriser davantage l’utilisation éventuelle des OGM en France et en Europe, et de renforcer ainsi la confiance des citoyens dans le progrès scientifique.

M. Noël Mamère. C’est faux !

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Je voudrais saluer la qualité des relations nouées avec votre commission des affaires économiques, son président et son rapporteur.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. Un excellent rapporteur !

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Vous me permettrez aussi – bien que cela soit en définitive assez naturel – de souligner la bonne intelligence et la confiance avec lesquelles mes services ont travaillé avec l’administration de Jean-Louis Borloo.

Mesdames et messieurs les députés, ce texte constitue un progrès – je dis bien « un progrès » –, en premier lieu parce qu’il permet de garantir davantage de transparence, mais aussi de mieux définir les responsabilités de chacun : ceux qui cultiveraient des OGM et ceux qui n’en veulent pas. (Murmures sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Les principes posés à l’occasion du Grenelle de l’environnement afin d’encadrer l’utilisation éventuelle des OGM sont là : responsabilité, précaution, transparence et libre choix.

La directive 2001/18 a été transposée dans toutes ses dispositions obligatoires. Si vous le voulez bien, la loi précisera les règles d’une meilleure coexistence avec l’agriculture conventionnelle (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche),...

Mme Chantal Robin-Rodrigo. Nous ne voulons pas de coexistence !

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. … et ce, bien entendu, dans le respect des règles communautaires. Ainsi, les mesures que vous prendrez ne pourront pas conduire à interdire la culture éventuelle des OGM dans certaines zones. Je pense en particulier aux appellations d’origine contrôlée : seuls leurs adhérents peuvent décider, au travers de leur cahier des charges, de s’imposer des règles de culture sans OGM – d’ailleurs, certains l’ont déjà fait.

M. Philippe Martin. Tant mieux !

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Ensuite, cette coexistence ne peut fonctionner que si chacun assume pleinement ses responsabilités. Aussi avons-nous besoin d’un régime de responsabilité de plein droit pour le préjudice économique qui pourrait résulter de la présence accidentelle d’OGM, et d’un système d’indemnisation réaliste qui repose sur un champ d’application très précis dans le temps comme dans l’espace.

Enfin, cette coexistence doit s’appuyer sur des règles strictes de transparence : chacun a le droit de connaître la situation qui prévaut autour de son exploitation agricole ; chaque citoyen a le droit d’être informé. Mais il a aussi des devoirs, dont celui de respecter le bien d’autrui. Sur ce point, notre message est clair : il n’y aura aucune tolérance vis-à-vis de ceux qui voudraient s’exonérer de la loi.

Autre progrès, ce texte renforcera notre culture de l’évaluation, en créant un Haut conseil qui aidera à la décision politique. Cette instance regroupera et complétera les expertises scientifiques, mais élargira aussi son expertise aux questions socio-économiques et sociétales, au travers d’un collège réunissant des représentants de la société civile et des spécialistes des sciences sociales.

Il faudra toutefois veiller à ne pas confondre avis scientifique et avis socio-économique. En outre, ce regroupement ne devra pas se faire au détriment d’autres structures autonomes dont nous avons aussi besoin et dont les champs d’intervention dépassent la seule question des OGM – comme l’AFSSA, qui devra garder son mandat d’évaluation du risque sanitaire et travaillera avec le Haut conseil lorsque son expertise sera nécessaire. Il nous faut par ailleurs un comité national de la biovigilance, dont le mandat dépasserait les seules questions relatives aux OGM pour lui permettre de traiter, par exemple, les produits phytosanitaires.

Enfin, ce texte établit les conditions d’une recherche indispensable à notre indépendance nationale et européenne, à notre souveraineté et à notre compétitivité. Prenons garde, en matière de biotechnologies, de décourager davantage les entreprises et les laboratoires, publics et privés, de France et d’Europe ! (Mouvements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Ces entreprises et ces laboratoires, dont beaucoup sont implantés dans vos départements, ont besoin, vous le savez bien, d’un cadre lisible et sécurisé pour investir dans l’innovation, rester dans la course et bâtir l’avenir.

Je le redis : nulle part il n’est écrit que les céréales doivent être américaines, les biocarburants brésiliens, la viande argentine, la recherche indienne ou chinoise (« Très bien ! », applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) et la facture finalement européenne ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. Noël Mamère. Quelle hypocrisie !

M. Philippe Martin. Il ne fallait pas signer les accords !

M. Jean Michel. Et vous voulez réintégrer l’OTAN !

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. L’idéologie et les peurs ne doivent pas nous empêcher de poser les questions et de chercher patiemment les réponses.

M. Noël Mamère. C’est vous, l’idéologue !

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Tout à l’heure, Jean-Louis Borloo a posé quelques questions. Les questions sont nombreuses, mais je veux vous en soumettre trois, qui concernent directement vos circonscriptions.

L’agriculture peut-elle utiliser moins d’intrants, d’engrais ou de pesticides tout en restant compétitive ?

Plusieurs députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine. Oui !

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. Peut-on améliorer la qualité nutritionnelle des aliments afin de répondre aux problèmes de l’alimentation dans les pays en voie de développement ?

Peut-on produire des médicaments sophistiqués à l’aide de micro-organismes plutôt que par la chimie ? (Murmures sur divers bancs.)

Je ne prétends pas que les OGM constituent la seule réponse à ces questions, mais nous devons garder la capacité de chercher toutes les réponses. C’est pourquoi le Gouvernement a décidé d’investir 45 millions d’euros sur trois ans dans la recherche sur les biotechnologies végétales et que – je le dis avec sérénité – nous avons préservé en 2008 la possibilité de mener des recherches en plein champ.

Je rappelle aussi que le décalage qui existe entre le développement des biotechnologies outre-Atlantique et le rythme d’homologation des nouvelles variétés importées en Europe fragilise nos filières de productions animales. (« C’est vrai ! » sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Mesdames et messieurs les députés, sur ce sujet difficile, la loi dont vous allez débattre représente un pas sur le chemin de la confiance – la confiance que la société doit retrouver à l’égard du monde scientifique et du monde politique. Au-delà de ce texte, il faudra prolonger avec ténacité, humilité, mais aussi avec pragmatisme, le débat citoyen sur la recherche et l’usage des biotechnologies dans notre pays et en Europe.

M. Philippe Martin. Les citoyens n’en veulent pas !

M. le ministre de l’agriculture et de la pêche. C’est le silence qui entretient les peurs. Nous ne les ferons reculer que par la démocratie. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État chargée de l’écologie.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État chargée de l’écologie. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, comme l’a noté le ministre d’État, le texte dont nous discutons représente la première grande traduction du Grenelle de l’environnement. Beaucoup d’autres suivront, parmi lesquelles, outre la loi « Grenelle », une loi relative à la responsabilité environnementale.

Grâce aux travaux du Grenelle et, en particulier, de l’intergroupe consacré aux OGM, nous avons pu dépasser l’alternative réductrice dans laquelle ce débat était enfermé dans le passé. M. Borloo a décrit le contexte dans lequel s’inscrit la discussion de ce projet de loi, marqué par trois décisions : mise en jeu de la clause de sauvegarde sur le maïs Monsanto 810, seul OGM commercial cultivé en France ; relance de la recherche sur les biotechnologies – afin de doter la France d’une expertise sur des produits qui, en tout état de cause, continuent à se développer dans le monde – ; discussion, enfin, d’une loi visant à encadrer les OGM, car même si aucune semence à caractère commercial n’est cultivée en France, la question pourra se poser à nouveau dans l’avenir.

Le texte dont nous discutons aujourd’hui constitue donc un des piliers de l’équilibre voulu par les acteurs du Grenelle, qui a contribué à une part non négligeable de son succès. Il vise à compléter le dispositif juridique en vigueur sur le fondement des grands principes de la protection de l’environnement et de la santé publique.

Le principe de responsabilité, tout d’abord, pour l’exploitant qui choisirait de produire des OGM, avec l’obligation qui lui est faite de constituer des garanties financières.

M. André Chassaigne. C’est insuffisant !

Mme la secrétaire d’État chargée de l’écologie. Le principe de précaution, ensuite, en écho direct avec la Charte de l’environnement, dont j’ai eu l’honneur d’être la rapporteure dans cet hémicycle.

M. François Brottes. Un écho bien lointain…

Mme la secrétaire d’État chargée de l’écologie. De même, le principe de prévention implique une expertise objective, pluraliste et pluridisciplinaire.

Principe de transparence, aussi, car en matière d’OGM, tout doit être public : les parcelles cultivées, les avis des experts, les diverses études, les résultats des travaux de la Haute autorité. Il s’agit de consacrer, concrètement, dans les faits, un droit à l’information du citoyen – un droit qui, lui aussi, est inscrit dans notre Constitution à travers la Charte de l’environnement.

Enfin, le dernier principe, évoqué tout à l’heure par le ministre d’État, est celui du libre choix de produire ou de consommer avec ou sans OGM.

Mme Martine Billard, M. Noël Mamère et M. Yves Cochet. Sans !

Mme la secrétaire d’État chargée de l’écologie. Le projet de loi, mesdames, messieurs les députés, repose sur trois piliers essentiels : une expertise réformée, un régime de responsabilité refondu et une information des citoyens garantie.

La création du Haut conseil des biotechnologies met fin à l’éclatement des instances d’expertise existantes, car la nouvelle institution remplace aussi bien la Commission du génie génétique que la Commission du génie biomoléculaire. Elle réunira en son sein toutes les compétences relatives aux OGM, qu’il s’agisse de cultures en milieu ouvert ou confiné, et aura la charge de leur surveillance après mise sur le marché.

Cette instance sera indépendante et pluridisciplinaire. La réalité des OGM n’est en effet pas seulement scientifique, mais elle concerne aussi des sujets éthiques, économiques et juridiques.

M. Yves Cochet. Évidemment !

Mme la secrétaire d'État chargée de l’écologie. La Haute autorité sera donc composée de deux comités d’égale importance : un comité scientifique – qui intégrera, outre la biologie moléculaire, de nouvelles disciplines telles que l’écotoxicologie, l’agronomie ou la microbiologie, qui ont, elles aussi, un regard à porter sur les OGM – et un comité de la société civile.

La Haute autorité disposera des moyens financiers et humains nécessaires à une expertise indépendante et contradictoire et – c’est important – aura la possibilité de s’autosaisir. Elle émettra des avis transparents et publics sur toute question relative aux OGM. S’il s’agit d’autoriser les cultures en plein champ, les deux comités, scientifique et de la société civile, seront consultés. Pour les cultures en milieu confiné, qui posent des problèmes différents, seul le comité scientifique sera sollicité.

Deuxième pilier sur lequel se fonde le projet de loi : la refonte du régime de responsabilité.

Pour respecter le droit de produire et de consommer avec ou sans OGM, il faut éviter les risques de dissémination. Tout exploitant agricole mettant en culture des OGM sera tenu, en premier lieu, de respecter des conditions techniques strictes afin d’éviter les risques de dissémination.

M. Jean Gaubert. Lesquelles ?

Mme la secrétaire d’État chargée de l’écologie. Un régime de responsabilité sans faute pour le préjudice économique éventuel lié à la présence accidentelle d’OGM dans les produits d’une autre exploitation sera par ailleurs instauré. L’exploitant cultivant des OGM devra obligatoirement souscrire une garantie financière, de manière à réparer tout préjudice lié à la dissémination de ses cultures. Cette responsabilité sans faute n’exclut en rien la mise en œuvre des mécanismes classiques de responsabilité pour indemniser les autres préjudices éventuels.

Enfin, le troisième pilier est l’information des citoyens. Un registre national sera ouvert à la consultation du public afin d’indiquer notamment la nature et la localisation des cultures OGM à l’échelle de la parcelle, et non plus au niveau du canton.

Telles sont, rapidement présentées, les dispositions de ce projet de loi. Le ministre d’État l’a qualifié tout à l’heure de courageux ; nous croyons également qu’il est équilibré.

Sur certaines questions, le débat qui a été ouvert au Sénat reste en suspens. Il s’agit par exemple de l’institution éventuelle de zones excluant les OGM dans les territoires à haute valeur en matière de biodiversité, de la protection de certains produits ou signes de qualité comme les indications géographiques protégées, les appellations d’origine contrôlée ou les labels, ou de cas particuliers liés à certains modes de production – comme le « bio » – ou à certaines professions comme l’apiculture, afin de préserver l’intégrité de ces produits. Une indemnisation prenant en compte la spécificité de certains modes de production doit pouvoir être envisagée. Sur toutes ces questions, il vous appartiendra de poursuivre le débat engagé au Sénat et d’apporter des réponses. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Antoine Herth, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire.

M. Antoine Herth, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. Monsieur le président, mesdames, messieurs, nous abordons aujourd’hui – enfin ! oserai-je dire – le projet de loi relatif aux organismes génétiquement modifiés qui, après avoir été initialement frappé d’une déclaration d’urgence, sera finalement examiné selon la procédure classique de la navette. Ce texte, nous le savons, a été voté en première lecture au Sénat, lequel avait déjà adopté un précédent projet de loi en 2006, sans suite.

M. Jean Michel. Et sous la pression !

M. Antoine Herth, rapporteur. Dans un premier temps, je m’attacherai à répondre à la question que posent d’habitude les journalistes : « Quoi de neuf sur les OGM ? ».

Envisageons d’abord le cadre réglementaire européen.

Nos travaux s’inscrivent dans le cadre de la directive 2001/18 relative à la dissémination volontaire d’OGM, laquelle directive met en place une procédure d’autorisation fondée sur une évaluation au cas par cas des risques pour la santé humaine et pour l’environnement assortie d’une double obligation : celle d’informer le public et celle de garantir l’étiquetage et la traçabilité des OGM.

Cette directive a en outre été complétée par deux règlements d’application directe. Le premier règlement – CE n° 1829/2003 –, relatif aux denrées alimentaires et aliments pour animaux composés en tout ou partie d’OGM, prévoit une procédure d’autorisation centralisée au niveau communautaire pour les OGM destinés à l’alimentation humaine et animale sur la base d’une expertise de l’AESA, l’Autorité européenne de sécurité alimentaire. Il précise également les règles d’étiquetage applicables aux aliments. Le second règlement – CE n° 1830/2003 – pose un certain nombre d’obligations en matière de traçabilité des OGM et d’information du consommateur.

Le présent projet de loi s’inscrit également dans le cadre la directive 90/219 relative à l’utilisation confinée de micro-organismes génétiquement modifiés dans la mesure où il a vocation à transposer en droit interne les modifications apportées à cette directive par la directive 98/81, celles-ci n’ayant pas toutes été transcrites par la France.

Ainsi, alors que le projet de loi de 2006 avait pour objectif premier de transposer les directives 2001/18 et 98/81 en droit interne, cette transposition a depuis été réalisée en grande partie, par trois décrets et trois arrêtés publiés au Journal officiel du 20 mars 2007, sans que cela lève totalement le contentieux engagé par la Commission européenne à rencontre de la France au titre de la directive 2001/18.

En outre, en octobre dernier, la Commission européenne a initié une nouvelle procédure contre la France, en lui adressant une mise en demeure au titre de la transposition incomplète de la directive 98/81.

Le texte que nous examinons aujourd’hui s’attache donc à parfaire notre droit tout en intégrant les dernières évolutions réglementaires européennes. Celles-ci portent en particulier sur les mesures de coexistence qui, selon l’article 26 bis de la directive 2001/18, relèvent de la subsidiarité. Cependant – et c’est important –, l’État membre doit s’assurer qu’elles ne constituent pas une entrave aux échanges et, en vertu de la directive 98/34, doit s’acquitter d’une obligation de notification. D’autre part, ces mesures doivent respecter un principe de proportionnalité en n’allant pas au-delà de ce qui est nécessaire pour respecter le seuil d’étiquetage obligatoire tout en conservant un rapport coût-efficacité acceptable.

Enfin, le récent règlement n° 834-2007 précise que ces principes s’appliquent également à l’agriculture biologique.

Vous constaterez avec moi que les marges d’interprétation du cadre réglementaire sont particulièrement étroites et limitent d’autant notre champ législatif. Mais il faut également reconnaître que, sur ce sujet particulièrement sensible, l’opinion publique a évolué plus vite que le droit européen. Cela justifie le travail engagé par la direction générale de l’environnement de la Commission européenne, que j’ai auditionnée et qui souhaite aboutir à une révision des modalités d’expertise de l’AESA et, ce faisant, des procédures d’autorisation actuellement en vigueur.

Gageons que la future Commission et, plus encore, le Parlement européen, qui sera renouvelé l’an prochain et – je le souhaite – doté d’un pouvoir de codécision plus large, s’attacheront à répondre rapidement aux attentes nouvelles des consommateurs.

La seconde nouveauté nous vient des travaux menés durant l'automne 2007 à l'occasion du Grenelle de l'environnement, comme cela a été évoqué tout à l’heure par les ministres présents. Nous nous intéressons plus spécialement aux conclusions de l'intergroupe OGM. Celles-ci ont porté sur les déclinaisons possibles de sept principes dont vous retrouverez les détails dans mon rapport et que je me contenterai d'énumérer : la brevetabilité du vivant, le libre choix de produire, le libre choix de consommation, le principe pollueur-payeur, le principe de précaution, la transparence et, enfin, la subsidiarité.

Lors de l'examen en commission, une première question a porté sur le degré de concordance entre le projet de loi et les orientations du Grenelle. Force est de reconnaître qu'il y a des différences (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine)

M. Jean-Jack Queyranne. Quel aveu !

M. Antoine Herth, rapporteur. …en particulier sur deux des principes que je viens d'évoquer.

D'abord, le principe de brevetabilité du vivant se situe clairement en dehors du champ de ce texte. Une première réponse « législative » serait d'inscrire à l’ordre du jour un nouveau projet de loi sur les obtentions végétales. Mais l'intergroupe OGM a bien compris que l'enjeu se situait d'abord à l'échelle internationale et a proposé de façon consensuelle la tenue d'un sommet européen, voire international, du gène.

Un second principe ne pourra être traité dans ce texte, mais cette fois-ci parce qu'il contrevient au cadre réglementaire que j'ai évoqué plus haut : le principe de subsidiarité. Sans qu'il ait fait l'objet d'un consensus, le souhait de l'intergroupe OGM est d'autoriser une collectivité à prendre des dispositions réglementaires visant à interdire les OGM sur son territoire. Or la réglementation européenne écarte cette possibilité, tout en acceptant cependant que, de façon volontaire et unanime, des groupes de personnes mettent en œuvre ce type de dispositif.

Je voudrais également relever une différence liée aux processus respectifs qui ont guidé les travaux du Grenelle et ceux qui sont spécifiques au fonctionnement d'un parlement.

La richesse du processus du Grenelle réside dans la diversité des points de vue, qu'il convenait de laisser s'exprimer sans obligation d'arbitrage ou de consensus. C'est en cela qu'il constitue pour nous une référence précieuse, à savoir la photographie exacte de l'état de l'opinion des parties prenantes. La force d'un parlement réside, en revanche, dans sa capacité à trancher les questions à travers l'expression d'une majorité sous l'œil critique et enrichissant d'une opposition.

M. Philippe Martin. Comme pour l’Afghanistan !

M. Antoine Herth, rapporteur. Il fixe les principes législatifs qui s'imposent à tous, précise le calendrier et s'inscrit dans le cadre budgétaire qu'il s'est donné. Cette double réalité se retrouve dans la synthèse du Président de la République lorsqu'il a annoncé ce projet de loi dans le but de garantir « la liberté de consommer et de produire avec ou sans OGM ». Ce faisant, il exprime clairement cette volonté de rester fidèle à l'esprit du Grenelle tout en nous fixant un objectif de résultat tenant compte des contraintes du moment. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. Philippe Martin. Il lui tourne le dos ! C’est une volte-face ! C’est honteux !

M. Antoine Herth, rapporteur. Au-delà des rapports du Grenelle, j'ai également pu m'appuyer sur les travaux de la mission Le Déaut-Ménard et sur le rapport de notre collègue Marc Laffineur, que je remercie pour leur contribution.

Lors de mes auditions, j'ai également tenu à rencontrer la plupart des participants au grand débat national – qui m'ont permis, en quelque sorte, d’« instruire à charge et à décharge » –, les instances européennes – les trois directions générales en charge du dossier OGM à Bruxelles : agriculture, environnement, santé-consommation – et les députés européens qui portent ce dossier au Parlement de Strasbourg.

Enfin, je voudrais tout particulièrement remercier le président Ollier d'avoir permis deux déplacements sur le terrain. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Il s'agissait d'abord d'une visite à l’Institut biomoléculaire des plantes de l'Université Louis-Pasteur de Strasbourg. Un dialogue très enrichissant avec ses chercheurs de tout premier plan, m’a permis de prendre conscience des perspectives considérables de la génomique, mais aussi de la somme des questions qui restent aujourd'hui sans réponse. Un signal fort du Parlement en faveur de la poursuite et de l'amplification de ces recherches me paraît indispensable pour être un jour en mesure de répondre à nombre d'interrogations de nos concitoyens.

La seconde étape m'a conduit à l’INRA de Colmar, qui poursuit une expérimentation appliquée à la vigne. Au-delà du thème choisi, l'intérêt de cette recherche se situe dans ce qu'il est convenu de nommer l’« évaluation technologique interactive » permettant à des représentants associatifs, à des professionnels et à des chercheurs d'examiner conjointement les questions posées par la transgénèse, de valider un protocole d'essai et de suivre sa mise en œuvre. Cet exemple m'a convaincu que notre assemblée doit garantir la transparence à travers un dialogue constructif et ouvert.

J'en viens à présent au projet de loi lui-même. Il s'articule autour de plusieurs chapitres, dont le premier est exclusivement consacré à la nouvelle instance d'évaluation, que le Sénat a renommée « Haut conseil des biotechnologies ». Il nous faut garantir l'indépendance et la transparence de cette instance d'expertise, lui donner les moyens matériels de mener ses travaux, ce qui sera à la fois un gage d'efficacité et d'attractivité du Haut conseil. Les polémiques malheureuses autour du comité de préfiguration risquent, en effet, de décourager nos experts les plus qualifiés. Il me paraît donc important de mieux valoriser ces fonctions d'expert dans la carrière des chercheurs.

La loi prévoit d'élargir le champ de compétences du Haut conseil en le dotant, à côté du comité scientifique qui reprend les compétences de l'actuelle Commission du génie biomoléculaire – CGB –, d'un comité dit « de société civile », qui sera chargé d'émettre des recommandations d'ordre économique, éthique et social. Nous retrouvons là aussi l'esprit du Grenelle, qui nous appelle à élargir notre champ de vision sur ces questions sensibles pour l'environnement, et je m'en réjouis.

En revanche, il convient de ne pas confondre le temps des experts et celui de la politique à qui revient, en définitive, la décision en matière d'OGM et la responsabilité d'en assurer la bonne exécution. De ce fait, il serait souhaitable que le Haut conseil s'impose un principe de parcimonie en matière de communication, en s'inspirant, par exemple, des pratiques déontologiques en vigueur dans nos agences d'évaluation.

L'autre point fort de ce texte de loi concerne les règles de transparence, de coexistence des cultures et de responsabilité, qu'il nous appartient de préciser afin de garantir le libre choix de tous. Dans un souci de clarté, la commission des affaires économiques propose de réorganiser les chapitres II et III pour aboutir à une meilleure articulation du texte. La mise en œuvre éventuelle des OGM sera donc strictement encadrée : demande d'autorisation préalable, évaluation indépendante des risques, transparence des localisations, mise en œuvre de bonnes pratiques pour prévenir les disséminations non souhaitées, enfin les sanctions en cas de non-respect incluant, le cas échéant, la destruction des cultures.

Pour parfaire le dispositif, je vous proposerai un amendement permettant d'assurer, à la demande des maires et avec l'aide de l'autorité administrative, une meilleure information des populations dans l'esprit des travaux menés par l'INRA, et un autre permettant à l’INAO de proposer à l'autorité administrative des prescriptions particulières concernant les signes officiels de qualité, afin de répondre aux préoccupations des producteurs.

La coexistence suppose aussi la couverture du risque économique. Il appartient à une future filière OGM de se doter des moyens financiers, y compris assuranciels, lui permettant de couvrir la responsabilité sans faute des exploitants en cas de présence fortuite d’OGM chez d’autres producteurs. Ce système permettra, en effet, d'éviter des procédures de recherche de responsabilité complexes en se concentrant sur la réparation du préjudice, sous forme d’un échange de produit ou d'une indemnité financière qui devra couvrir la différence réelle entre le prix du produit et ce qu’il aurait été s'il n'avait pas été étiqueté.

Enfin, il convient d'intégrer dans les règles de coexistence et les principes de réparation les besoins particuliers de l'apiculture.

Les derniers chapitres du texte de loi sont, je le rappelle, consacrés à la transcription de la directive européenne sur les utilisations confinées des OGM.

Enfin, je veux aborder, une fois de plus, la question de l'expertise. Celle-ci ne constituait pas un axe prioritaire dans le projet de loi initial, mais l’on peut se réjouir des améliorations apportées par les sénateurs sur ce point. Cependant, après expertise, les dispositions de l'article 11 bis semblent peu opérationnelles. Je me suis donc employé à trouver un dispositif alternatif moins coûteux. C'est le sens d'un amendement que je présenterai visant à rendre plus attractifs les dispositifs « jeunes entreprises innovantes » et « jeunes entreprises universitaires » pour les entreprises qui se créent dans le secteur de la génomique végétale.

Le Haut conseil des biotechnologies n'ayant pas de personnalité morale, il ne pourra disposer d'un budget dédié. Cependant, je compte sur notre vigilance collective pour que, lors de l'examen annuel du projet de loi de finances, des moyens suffisants soient bien affectés au fonctionnement de cette instance.

Mes chers collègues, la presse nous annonce que ce débat sera houleux. Il est vrai que le lobbying, le plus souvent initié par les anti-OGM (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine) a pris des proportions rarement atteintes dans ces murs. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Philippe Martin. Quelle caricature !

M. Antoine Herth, rapporteur. Je dis la vérité, toute la vérité !

M. Philippe Martin. Vous représentez les semenciers ! C’est scandaleux !

M. Antoine Herth, rapporteur. Même si je comprends et tente de traduire ces inquiétudes, je suis surpris par l'ampleur des pressions dont nous faisons l'objet, qui frisent parfois la tentative d’intimidation. Certains de nos collègues pourraient en témoigner. À cela, il n'y a qu'une réponse : le professionnalisme et la sérénité. Ce sera notre plus belle valeur ajoutée sur ce sujet complexe.

Mes chers collègues, je souhaite que notre débat soit l'illustration de notre volonté de clarté et de transparence, au nom de la démocratie et de la liberté ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire.

M. Philippe Martin. Monsieur OGM !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaite simplement vous faire part des convictions fortes que j’ai acquises en travaillant sur ce texte.

Rapporteur du projet de loi présenté sous la précédente législature, j’ai eu en effet l’occasion d’approfondir la question que nous allons aborder aujourd’hui, en auditionnant très largement toutes les parties prenantes. Abordant le sujet sans parti pris, j’ai été surpris, je dois l’avouer, par la radicalité des propos qui ont été tenus (« Oh ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche) et la dureté des convictions parfois fort peu étayées de certains. Je l’ai d’autant plus été que notre rôle n’est pas aujourd’hui de trancher le débat sur les OGM. Nous ne sommes pas ici pour nous prononcer pour ou contre les OGM, contrairement à ce que j’entends depuis ce matin à la radio et à la télévision, mais pour organiser en toute sécurité la culture des plantes génétiquement modifiées…

M. Yves Cochet. Non !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. …dès lors que les scientifiques se seront prononcés sur leur mise ou non en culture. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Ceux qui veulent concentrer ce débat sur des questions réductrices se trompent, monsieur Cochet, et trompent les Français ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. Yves Cochet. C’est vous qui trompez les Français !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Aujourd’hui, nous dit-on, 75 % des Français sont opposés aux OGM. (« Oui ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Mais, et c’est bien naturel, 90 % d’entre eux se disent incapables de savoir ce que sont les OGM. Et c’est normal, car le vrai débat consistant à expliquer ce qu’ils sont ou ne sont pas a été pris en otage par certains qui l’ont totalement transformé (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche) en tentant de surfer sur les peurs et les inquiétudes légitimes des Français.

M. Philippe Martin. Ollier, le lanceur d’alerte !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Je souhaite sereinement faire œuvre de pédagogie et éviter les caricatures. Je tiens à cet égard à saluer l’excellent travail de notre courageux et bon rapporteur, Antoine Hert, qui a dû, comme il l’a souligné tout à l’heure, faire face à toutes les agressions et à toutes les pressions des lobbies.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Ça, c’est de la caricature !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Je le remercie pour la qualité de son travail et pour ses propositions ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Faisons simplement en sorte que ce débat sur les OGM se fonde non sur des clichés simplistes et des postures politiciennes, comme le souhaitent les activistes du refus (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche) qui, pour certains d’ailleurs, campent devant les portes de l’Assemblée, mais sur la base de principes objectifs, clairs et tangibles ! Faisons confiance aux scientifiques pour nous éclairer sur des choix de cultures OGM…

Mme Martine Billard. Comme sur l’amiante !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. …mais organisons la vigilance et la transparence autour de ces cultures. Vous avez raison, monsieur le ministre, il faut mettre en œuvre le principe de précaution. Nous devons savoir si elles présentent un bénéfice…

M. Yves Cochet. Un bénéfice financier, oui !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. …pour l’agriculteur, le consommateur, la santé publique ou l’environnement. Laissons à ceux qui ont qualité pour le faire le soin de se prononcer ! Mettons en œuvre le principe de vigilance ! Nous pourrons enfin avoir des avis éclairés grâce à ce Haut conseil des biotechnologies, au collège des scientifiques, mais aussi grâce au collège de la société civile.

Je souhaite que ceux qui ont des inquiétudes légitimes soient rassurés. Je souhaite que l’on s’interroge sincèrement sur l’intérêt de tel ou tel OGM. A-t-on besoin, par exemple, d’OGM résistant aux herbicides totaux ? Doit-on répondre de manière globale en rejetant en bloc tous les OGM, en les diabolisant, en condamnant toute recherche, en détruisant des essais ? Non, bien sûr !

La seule façon de répondre aux questions que les Français se posent, c’est, comme le souhaitent le Gouvernement et la majorité, de mettre en place un Haut conseil des biotechnologies, composé de scientifiques de renom, à même d’évaluer l’ensemble des risques pour la santé humaine et l’environnement et d’éclairer par ses avis et ses recommandations les choix du Gouvernement, mais aussi de membres de la société civile concernés au premier chef par ces questions, représentants d’associations de défense des consommateurs et de défense de l’environnement, agriculteurs ou semenciers. Ce Haut conseil aura pleinement vocation à se prononcer sur ces questions.

La création du Haut conseil des biotechnologies constitue ainsi à mon sens une avancée majeure. Il ne peut que gagner en légitimité grâce à la présence renforcée de la société civile en son sein et favoriser ainsi l’acceptabilité des avancées biotechnologiques au sein de la population.

Mais, pour créer les conditions de la confiance avec les Français, il faut la transparence la plus grande dans les procédures de mise en culture. Le Grenelle de l’environnement l’a souhaitée. Vous vous êtes engagés, madame, messieurs les ministres, à la mettre en œuvre. Votre combat est courageux, et nous le soutenons.

Puisque nous n’avons rien à cacher, la liste des parcelles concernées sera sur Internet. C’est la raison pour laquelle j’ai demandé au rapporteur que l’on examine les dispositions du chapitre III sur la transparence avant celles du chapitre II sur la responsabilité. Organisons d’abord la transparence, puis organisons la responsabilité. C’est parce que la transparence sera garantie qu’est institué le délit de fauchage, qui viendra sanctionner ceux qui pourraient agir illégalement contre une parcelle figurant sur Internet. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Ce délit n’est que la contrepartie de la transparence. (« Non ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.) Il est temps que la représentation nationale envoie un signal fort et que la loi soit enfin respectée.

Ce texte constitue un progrès car il réglemente ce qui était sans règles encore hier en encadrant très strictement la mise en culture des OGM (« Non ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine), et je ne reviendrai pas sur ce que le rapporteur a très bien expliqué.

J’en viens à la recherche.

Aujourd’hui, les chercheurs quittent la France, les brevets sont exclusivement américains à cause des faucheurs volontaires (Protestations sur de nombreux bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine)

M. Philippe Martin. Caricature ! Et si vous leur donniez des moyens ?

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. …qui ont remis en cause systématiquement les essais en plein champ.

M. François Brottes. C’est très nuancé ! (Sourires.)

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Merci de le reconnaître, monsieur Brottes !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Très modéré !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. C’est contraire à mes habitudes mais, aujourd’hui, j’ai décidé de me modérer !

M. le président. Monsieur Ollier, restez-en à vous discours, je vous prie.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Merci de m’appeler à la modération, monsieur le président.

Je ne citerai qu’un seul exemple, qui m’a profondément choqué. En 2004, l’INRA avait procédé à des essais en plein champ de PGM destinés à lutter contre la mucoviscidose. Ces derniers ont été détruits par des faucheurs volontaires. Les essais ont donc été interrompus et l’on a abandonné toute possibilité de réaliser des progrès dans la lutte contre la mucoviscidose grâce aux OGM. Cela me paraît irresponsable et dangereux (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), et je tiens à le dire solennellement de la tribune de cette assemblée car il faut que cela se sache.

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Caricature !

M. Arnaud Montebourg. C’est tout ce que vous avez trouvé ?

Mme Martine Billard. Une telle recherche est possible en espace confiné.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Nous perdons non seulement les entreprises françaises qui œuvrent encore dans ce domaine de la recherche,…

M. Philippe Martin et M. François Brottes. Caricature !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. …que ce soit dans le secteur des semences ou dans celui de la recherche biomédicale, mais également notre capacité d’expertise et, si la France perd sa capacité d’expertise, elle perd son indépendance. Moi, je suis pour l’indépendance de la France,…

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Dans le cadre de l’OTAN ?

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. …et je souhaite que cette capacité d’expertise soit encouragée et renforcée. Pour cela, il faut reprendre les essais en plein champ.

Par ailleurs, dans un contexte de réchauffement climatique, dont nous a parlé Bernard Debré dans un exposé très pertinent l’autre jour, et de raréfaction de la ressource en eau, il faudrait orienter la recherche vers une deuxième ou une troisième génération de plantes génétiquement modifiées pouvant s’adapter à une salinité ou à une aridité plus élevée des sols.

La science au secours de l’humanité, ce n’est pas la première fois. Dans trente ans, il faudra produire deux fois plus sur la planète pour nourrir 9 milliards d’habitants. S’il y a une toute petite chance que les plantes génétiquement modifiées nous permettent de relever ce grand défi, il faut tenter l’expérience, mais avec la plus grande vigilance. Votre texte permet d’avancer, monsieur le ministre, mais en restant vigilant.

M. Philippe Martin. C’est le libéralisme qui affame les peuples ! (Protestations sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Comment ceux qui se réclament de la terre et des paysans pourraient-ils exiger que l’on renonce, sans même avoir essayé, à produire des plantes sélectionnées pour mieux répondre aux besoins de l’humanité, comme l’homme l’a d’ailleurs toujours fait à travers les âges avec les moyens dont il disposait ?

Je crois pour ma part que l’on doit faire confiance à la science et à nos chercheurs. C’est pourquoi j’estime que l’utilisation des OGM ne doit pas être condamnée, mais qu’elle doit être strictement encadrée. Elle doit reposer sur des principes intangibles de respect de l’environnement et de santé publique et faire l’objet d’une évaluation scientifique stricte et incontestable en termes de risque. Vous voyez que nous pouvons être d’accord sur l’essentiel !

Ces principes sont ceux de ce projet de loi adopté en première lecture au Sénat et modifié par notre commission, dans le sens d’ailleurs de ce que souhaite le Gouvernement.

Je veux, au-delà de cet hémicycle, m’adresser à tous ceux qui doutent, à toutes celles et ceux qui, n’ayant pas les données techniques concernant les OGM, se laissent emporter vers le doute puis le rejet par des arguments simplistes, démagogiques, mais, hélas, efficaces de certains que l’on entend à longueur de journée sur les télévisions fustiger les progrès de la science. Ils veulent condamner les OGM en jouant sur les légitimes inquiétudes de la population, en excitant les peurs et en créant la suspicion.

En vérité, les faucheurs volontaires ont anéanti la recherche médicale liée aux OGM (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine),…

M. Yves Cochet. C’est faux !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. …ils ont éliminé toute possibilité de brevet français dans ce domaine. En définitive, ils rendent service à Monsanto, qui profite de la carence de la France dans le domaine de la recherche et récupère nos chercheurs, qui s’expatrient aux États-Unis. Ils contribuent ainsi à faire de la France le dernier wagon de l’Europe en ce domaine. Leur action profite en fait à ceux qu’ils condamnent. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Personnellement, je suis extrêmement choqué par cette attitude et je tenais à le dire publiquement.

M. Philippe Martin. Allez demander aux producteurs de coton en Inde ce qu’ils en pensent !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Aurons-nous le courage, ici, d’aller à contre-courant de ces campagnes partisanes et irresponsables ? Je voudrais que nous ayons, ensemble, ce courage afin de convaincre les Français qu’il ne faut pas avoir peur de la science et de ses progrès, qu’il faut l’aider lorsqu’elle vient au secours de la société, tout en restant vigilant et en se donnant les moyens de mettre en œuvre les principes de précaution dès lors qu’ils sont nécessaires.

Pour être convaincants, gardons-nous d’être partisans. Il faut faire confiance, mais être vigilant, encourager le progrès mais être transparent, permettre à la France de préserver sa puissance de production agricole, mais responsabiliser chacun des acteurs concernés dès lors qu’une plante OGM est autorisée à la culture.

Vigilance, transparence, responsabilité, ce sont les trois objectifs que vous avez fixés à votre texte, monsieur le ministre d’État. Nous le soutenons.

Vous avez voulu que le principe de précaution puisse être appliqué et que les conclusions du Grenelle de l’environnement, notamment sur la transparence, soient respectées. Nous y souscrivons et nous vous soutenons. Vous avez voulu que la vigilance soit mise en œuvre. La commission des affaires économiques vous a entendu.

Pierre Curie disait : « Le combat de la science est celui de la raison contre les forces de l’obscurantisme, c’est le combat de la liberté de l’esprit contre l’esclavage de l’ignorance. »

Pour conclure, je veux faire référence à Fernand Braudel, qui, dans son œuvre sur l’histoire du capitalisme occidental, montre qu’aucune société n’a jamais pu survivre sans être capable de réussir à réunir, en une mystérieuse alchimie, les talents des chercheurs, la volonté des politiques et l’esprit d’entreprise des travailleurs. C’est, mes chers collègues, ce qui vous est proposé à travers ce texte. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Exception d’irrecevabilité

M. le président. J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche une exception d’irrecevabilité déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Germinal Peiro.

M. Germinal Peiro. Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, le débat parlementaire que nous ouvrons aujourd’hui pour la première fois devant notre assemblée porte sur l’un des sujets les plus délicats de ces dernières années.

(M. Marc Laffineur remplace M. Bernard Accoyer au fauteuil de la présidence.)

Présidence de M. Marc Laffineur,
vice-président

M. Germinal Peiro. Monsieur le ministre d’État, le développement agricole des cultures d’organismes génétiquement modifié est un sujet tellement difficile qu’il a fallu deux projets de loi des gouvernements UMP pour que nous puissions discuter de son contenu, et qu’il y a eu des reports successifs pour, à chaque fois, éviter l’écueil des élections.

Il fallait transcrire la législation européenne. Vous avez d’abord choisi la voix réglementaire, évitant le débat. Cette transcription a déjà fait l’objet de trois décrets du 19 mars 2007, encadrant la mise sur le marché d’OGM, la dissémination volontaire, et fixant la liste des techniques de modification génétique et les critères de classement des OGM.

Le déclenchement de la clause de sauvegarde contre le maïs Monsanto 810 est le dernier avatar de la série. Le Conseil d’État a pour l’instant débouté ceux qui ont attaqué le décret du Gouvernement. Tout cela montre les doutes sérieux que nous avons sur cette technologie nouvelle, dont les effets restent largement incertains.

Le Sénat a déjà eu l’honneur de discuter deux fois de ce sujet, alors que vous avez contraint l’Assemblée nationale à rester silencieuse jusqu’à présent. On comprend pourquoi en regardant le contenu du texte que vous présentez aujourd’hui. Le Grenelle de l’environnement, dont la majorité et le Gouvernement n’ont cessé de vanter les conclusions, va subir son premier coup bas.

M. Yves Cochet. Eh oui !

M. Germinal Peiro. Mes chers collègues, le ministre d’État, ministre de l’écologie, expliquait devant le Sénat qu’il fallait admettre que les risques de la culture d’OGM posaient des problèmes radicalement nouveaux. C’est le moins que l’on puisse dire en ce qui concerne la biodiversité, par exemple. Mais il faut aller plus loin, et parler des risques que font peser les OGM sur la structuration de l’économie agricole, des risques d’appauvrissement de la diversité des cultures au profit des plantes génétiquement modifiées qui seraient promues au rang de seules plantes dignes d’être cultivées, au motif qu’elles répondraient à un schéma de profits imposé par les semenciers.

Il y a aussi le risque de la brevetabilité du vivant, qui permettrait une appropriation mercantile du vivant, du patrimoine génétique commun de l’humanité. Nous en connaissons déjà des effets. Nous avons tous vu les comportements révoltants de certaines multinationales, qui n’hésitent pas à breveter des plantes utilisées depuis des millénaires par des peuples entiers.

M. Bernard Debré. C’est vous qui les aidez !

M. Germinal Peiro. Pourquoi le texte qui nous est soumis pose-t-il problème ?

S’il existe un consensus sur l’utilisation des OGM en milieu confiné à des fins pharmaceutiques, il existe un désaccord profond sur la mise en culture des plantes génétiquement modifiées. Or ce texte vise de fait à légaliser les cultures OGM en plein champ, et il ouvre la voie à la mise en place à grande échelle de ces cultures sur le territoire national.

Le groupe socialiste, radical et citoyen s’oppose à ce texte de loi car nous considérons que les doutes ne sont pas levés et que nous risquons de nous engager sur une voie dangereuse. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Sur le plan sanitaire, le Président de la République lui-même, clôturant le Grenelle de l’environnement, a qualifié très justement les plantes génétiquement modifiées, PGM, de plantes pesticides. Oui, mes chers collègues, les plantes pesticides représentent plus de 99 % des OGM alimentaires. Au moment où il est reconnu au plus haut sommet de l’État que les PGM sont de véritables réservoirs à pesticides, on aurait pu s’attendre à ce que ce projet de loi définisse un cadre d’évaluation des PGM au moins équivalent à celui des pesticides, qui constituent aujourd’hui un problème sanitaire majeur, et sûrement le problème de demain. En effet, le protocole fixé par la directive 91/414/CEE pour l’évaluation des pesticides impose de mener des études toxicologiques sur trois espèces animales différentes pendant trois mois, puis des études de un an à deux ans sur le rat.

Contrairement à ce que demandait le comité de préfiguration de la Haute autorité sur les OGM, votre texte ne prévoit rien de tel. À aucun moment vous ne précisez en quoi devra consister l’évaluation des risques pour la santé publique ! À aucun moment n’est précisée la qualité des laboratoires qui effectueront les études d’évaluation sanitaire. Leur indépendance n’est en rien garantie vis-à-vis des demandeurs d’autorisation de dissémination, au risque que ces études soient conduites par des laboratoires soumis aux firmes semencières. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Par exemple.

M. Germinal Peiro. Au travers de la question de l’indépendance vis-à-vis des firmes semencières, c’est toute la crédibilité de votre démarche qui est en cause. Faut-il suivre aveuglément ces entreprises qui développent des semences OGM depuis plus de vingt ans et ne cessent de mener un combat contre l’opinion publique, pour nous obliger, nous, élus, à les suivre ? Qui peut croire que ceux qui ont développé le Round up, puis l’OGM résistant au Round up, ont en vue l’intérêt général ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

Qui peut croire que ceux qui ont fait la promotion des PCB et de la dioxine, qui fabriquent encore aujourd’hui l’hormone de croissance bovine, œuvrent pour le bien commun, alors que nous savons qu’ils ont fréquemment menti sur les effets connus des produits, alors qu’ils se moquent ouvertement de nous tous pour faire tourner un peu plus la roue du jackpot, au mépris de la santé publique et de l’environnement ? Leur bilan est accablant.

Nous ne voulons pas participer à la promotion de leur esprit et de leurs intérêts, comme le fait ce projet de loi. Le débat que nous abordons est donc au cœur des préoccupations de notre société, parce qu’il touche à ce que nous avons de plus intime : notre nourriture et celle des générations futures, mais aussi notre environnement et le devenir de la biodiversité.

Sur le plan environnemental, mes chers collègues, nous savons tous que la décision que nous prendrons sera irréversible. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. Yves Cochet. Eh oui !

M. Germinal Peiro. Et c’est à l’aune de cette impossibilité d’un retour en arrière que nous devons mesurer la responsabilité qui nous incombe. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. Noël Mamère. Très bien !

M. Germinal Peiro. Cette décision est irréversible en effet, pour la simple raison qu’entre de grandes cultures la coexistence ne sera pas possible. C’est un leurre que de vouloir faire croire qu’espacer les cultures de vingt, cinquante, ou même de cent, voire de deux cents mètres suffira à empêcher la dissémination.

Un député du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Ils le savent très bien !

(M. Rudy Salles remplace M. Marc Laffineur au fauteuil de la présidence.)

Présidence de M. Rudy Salles,
vice-président

M. Germinal Peiro. La théorie que je viens de rappeler est à peu près aussi crédible que celle selon laquelle le nuage de Tchernobyl s’était arrêté à la frontière allemande. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

Il est prévisible que la dissémination se fera naturellement par le pollen transporté par le vent, les insectes et les abeilles, dont on sait qu’elles peuvent parcourir jusqu’à quinze kilomètres pour rechercher leur nourriture. Les disséminations se feront aussi par les oiseaux, qui transportent les graines, par les rongeurs, par les pertes de semence lors des récoltes ou durant les transports : autant de paramètres qui engendrent des repousses d’une année sur l’autre.

Si nous passons de 1 % des surfaces cultivées, comme c’est le cas aujourd’hui pour le maïs OGM, à 10 ou 20 %, dans quelques années c’est l’ensemble du territoire national qui sera concerné.

M. Philippe Martin. Eh oui !

M. Germinal Peiro. Avons-nous le droit de prendre ce risque pour les générations futures ?

Pour le groupe socialiste, la réponse est : non ! et je vous propose, mes chers collègues, de lire, ou de relire, les mots de Nicolas Hulot : « Nous savons comme n’importe quel citoyen de la Terre disposant d’un zeste de sens commun, qu’il faut oser crier halte au feu quand, à l’évidence, les logiques industrielle et commerciale dépassent les limites des plus élémentaires précautions. » C’est bien d’un choix politique qu’il s’agit.

La balance des coûts et des avantages de cette technique doit être évaluée avec la plus grande prudence. Or nous ne disposons pas encore du recul suffisant. L’accélération de la découverte de nouveaux possibles doit s’accompagner d’un temps de réflexion : l’accélération n’est pas un progrès en soi.

Depuis des millénaires, depuis que l’homme a arrêté de vivre de chasse et de cueillette pour cultiver la terre, les agriculteurs font progresser naturellement la productivité, sans rompre des barrières jusqu’alors infranchissables du point de vue éthique. Il y a une grande différence entre améliorer des espèces par bouturages ou par fécondations croisées, faire évoluer l’agriculture comme on le fait depuis des siècles avec une efficacité redoutable, et procéder à des échanges de gènes en sautant la barrière des espèces, à l’intérieur du monde végétal ou du monde animal, ou en croisant le monde végétal et le monde animal. Les promoteurs industriels d’une telle innovation doivent admettre que la société a besoin du temps nécessaire pour comprendre et choisir, surtout si le retour à l’état initial s’avère impossible.

Nous vous demandons de pratiquer ce que Mme Kosciusko-Morizet nommait « un exercice de lucidité » dans son rapport sur la Charte de l’environnement de mai 2004. (« Exactement ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Bien dit !

M. Germinal Peiro. Nous voulons du temps et des moyens pour la recherche publique ; nous voulons du temps et des moyens pour que des chercheurs indépendants des intérêts des semenciers viennent éclairer véritablement le débat.

En cela, le procès qui est fait à ceux qui restent sceptiques sur les apports des OGM actuels est un véritable procès en hérésie.

M. Arnaud Montebourg. Les grandes religions ont commencé par être des hérésies !

M. Germinal Peiro. On les accuse d’abord d’être des obscurantistes, comme le président de la commission des affaires économiques l’a fait ce matin sur une radio nationale. (« Il vient de le redire ici ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

Je veux dire ici combien ce procès est faux et réducteur. Il a été lancé par les lobbys semenciers pour défendre leurs intérêts. Personne ne semble s’étonner d’ailleurs que le même procès ait longtemps été intenté à ceux qui critiquaient le développement de l’agriculture intensive à coup d’épandages de pesticides. C’est le même procès que l’on a fait aux promoteurs de l’agriculture biologique, qui ont été accusés, et le sont encore aujourd’hui par certains, de vouloir revenir au xixe siècle. Nous savons tous désormais le ridicule d’un tel procès, tant l’agriculture biologique repose sur l’utilisation de savoirs précis et de techniques innovantes, qui suppose chez les agriculteurs des compétences toujours plus nombreuses.

On accuse ensuite ces prétendus obscurantistes de mettre en péril la biotechnologie en France. Soyons un peu sérieux, chers collègues : ceux qui nous font ce procès sont ceux-là mêmes qui poussent les chercheurs dans la rue. De plus, nous ne comprenons pas très bien pourquoi il faudrait réduire la biotechnologie à la production commerciale d’OGM agricoles. Encore une fois, c’est un faux procès, un procès de lobbyiste sans imagination.

Le groupe socialiste, radical et citoyen a toujours défendu la recherche, notamment à une époque très récente, où la majorité actuelle a sacrifié volontairement les chercheurs, et donc l’avenir de la France, en diminuant les budgets de la recherche publique. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Il est inacceptable que ce soit les mêmes qui nous accusent aujourd’hui d’être contre la science. En vérité, c’est à notre prudence, à notre opposition au profit immédiat gagné au péril de l’humanité qu’ils intentent un procès.

Les socialistes ne peuvent que partager l’angoisse des chercheurs sur le devenir de leurs budgets. Nous avons toujours lutté pour le progrès, pour le développement de la connaissance et des sciences.

M. Gilles Cocquempot. Et contre l’obscurantisme !

M. Germinal Peiro. Mais nous luttons pour que cela soit partagé par tous, durablement. La recherche doit être développée, dans des conditions strictes de contrôle, en favorisant les laboratoires publics. Mais cela ne veut pas dire que la production commerciale des plantes OGM actuellement développées doive être admise.

Pour nous, l’innovation n’a de sens qu’éthique, partagée pour le bien commun, et non si elle est l’objet d’une privatisation, d’une captation au profit de quelques-uns qui ne se soucieraient pas de l’avenir commun. Nous devrions tous sur ces bancs partager cette vérité énoncée par l’historien français Jean-Pierre Vernant : « La science peut s’exprimer sur la question des faits, sur la question des causes, mais pas sur celle du sens. »

Or nous savons que les faits sont encore gravement incertains. Quant à l’altruisme des semenciers, il est douteux. Les risques existent, et il reste difficile de porter des jugements incontestables. Le comité de préfiguration de la Haute autorité sur les organismes génétiquement modifiés a d’ailleurs démontré que les risques imposaient la mise en œuvre de la clause de sauvegarde prévue par les textes européens. Le comité met en avant l’apparition d’éléments nouveaux sur la dissémination et sur les effets toxiques potentiels à long terme. Il fait état de questionnements insuffisamment pris en compte.

Nous pouvons tout de même légitimement nous demander s’il est plus raisonnable d’ingérer des molécules de pesticide directement bombardées au sein même de la plante par la technique de la transgenèse, que des résidus de pesticides épandus sur les champs. Permettez-nous de poser la question, et de vouloir avoir des réponses avant de faire des choix.

Mais le projet de loi ne tient aucun compte de la demande du comité d’une réflexion sur le protocole d’essais. C’est très inquiétant parce que cela signifie que la majorité oublie le rapport du comité et ses conclusions. N’est-ce pas d’ailleurs des rangs de votre majorité que se sont fait entendre les plus vives critiques contre ce rapport ? Même le président de notre assemblée a pris ouvertement partie dans ce dossier, fustigeant le président du comité de préfiguration de la Haute autorité pour sa prudence. (« Scandaleux ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

Il y aurait donc urgence à prendre des risques ! Pis, les travaux en commission ont montré que vous souhaitiez museler les membres du Haut conseil, créé par le texte en remplacement de la Haute autorité. Celle-ci est victime de sa position de prudence. La transparence aurait des limites.

Le projet de loi porte ici les stigmates de la violence des choix opérés par la majorité en faveur d’une technologie érigée au rang de nouveau dogme. (« Exactement ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Tout se passe comme si l’heure de la revanche avait sonné.

Ce comportement est tout à fait contradictoire avec l’idée même de développement de la science, que certains dans vos rangs mettent en avant pour accélérer les disséminations volontaires. Peut-être faut-il vous rappeler qu’il n’y a pas de progrès scientifique sans acceptation du doute. Le doute et la discussion ont fait les Lumières. C’est par le doute qu’un scientifique fait progresser la science. Sans lui, il n’est qu’un disciple. Et « seul le disciple fait légitimement le “sacrifice de l’intellect” en faveur du prophète » rappelait le sociologue allemand Max Weber. Dans cette affaire, vous faites le sacrifice de l’intellect.

En cela, votre comportement nous rappelle ces préceptes de Bernard Gui, grand inquisiteur du xive siècle, tirés de son manuel de l’inquisiteur : « Si quelqu’un discutait ouvertement et manifestement contre la foi, en alléguant les arguments et autorités sur lesquels les hérétiques ont coutume de s’appuyer, celui-là serait facilement convaincu d’hérésie par les fidèles instruits de l’Église, puisqu’on l’estimerait hérétique du fait même qu’il tente de défendre l’erreur. »

Nous savons ce qu’il advenait de ceux qui étaient convaincus d’hérésie. Le projet de loi comporte d’ailleurs un article absolument extraordinaire, qui crée un délit spécial de destruction des champs OGM.

M. Arnaud Montebourg. C’est un droit d’exception !

M. Germinal Peiro. La peine encourue pour destruction d’une culture commerciale est passible de deux ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.

M. Noël Mamère. Scandaleux !

M. Germinal Peiro. Elle est identique à la peine instituée par ce texte pour non-respect des conditions techniques relatives aux distances entre cultures.

Cela signifie, chers collègues, que les destructions de champs OGM seront passibles d’une peine plus lourde que celle prévue par le code pénal pour la destruction, la dégradation ou la détérioration d’un bien appartenant à autrui, qui est fixée à deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende. Cela conduit à une situation juridique où il sera pénalement plus grave de porter atteinte à un champ OGM commercial qu’à un champ classique et même à un champ de culture biologique.

On peine à comprendre cette distinction pour un même délit, à moins que la dimension politique de la destruction d’un champ OGM ne constitue une circonstance aggravante et que la volonté de la majorité ne soit de créer un délit politique !

En réalité, votre texte pose le problème de la soumission du législateur aux intérêts privés. Celle-ci est pour l’instant légitimée par les avancées de la connaissance scientifique, mais une soumission sans recul du législateur aux possibilités scientifiques serait la marque d’un scientisme effréné. En gagnant l’action politique, ce scientisme nous place dans l’incapacité de résister au mouvement de réduction de l’humanité au rang de capital monnayable à d’autres intérêts.

Chers collègues, un haut responsable de l’UMP a expliqué ce matin que les scientifiques donneront leur feu vert. C’est donc à eux de décider, pas à nous ! En nous perdant dans la passivité d’une réception béate d’une « science fétichisée » soumise aux intérêts de l’argent, nous ne ferions, ni plus ni moins, que donner à l’argent le droit de dicter l’avenir du monde et d’instrumentaliser l’homme.

Oui, les OGM sont d’abord des organismes politiques, car ils se trouvent au centre du choix que nous pouvons faire d’une critique du renouveau de la foi scientiste, dont les dérives passées devraient nous alerter gravement. Ce n’est pas aux scientifiques de prendre des décisions : elles relèvent du choix des seuls politiques. (Exclamations sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.) C’est en effet aux responsables politiques d’apprécier, en tenant compte des progrès de la science, mais aussi des problématiques environnementales, économiques, sociétales et éthiques. Science sans conscience n’est que ruine de l’âme, disait Rabelais. C’est bien, chers collègues, à notre conscience que s’adressent les appels à la prudence qui nous sont lancés aujourd’hui.

Au-delà des questions sanitaires ou environnementales, se pose la question de la liberté. Où commence et où s’arrête la liberté de chacun ? Ou commence et où s’arrête la liberté d’entreprendre ?

Pour nous les choses sont claires. La liberté de chacun s’arrête où commence celle d’autrui. En accordant dès l’article 1er la liberté de produire et de consommer avec ou sans OGM, vous avez fait le choix de la liberté des uns contre la liberté des autres. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.) La coexistence étant impossible actuellement, vous faites le choix de favoriser la liberté des pro-OGM et de bafouer la liberté de ceux qui les refusent.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Excellent !

M. Germinal Peiro. Vous faites le choix de ceux qui vont porter attente à la biodiversité contre ceux qui veulent préserver l’environnement. Vous faites le choix de privilégier les intérêts financiers des grandes firmes contre l’avis et l’intérêt du plus grand nombre. (« C’est vrai ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

Ce choix aura des conséquences graves pour tout un pan de notre économie. La plus-value que tirent la France et l’Europe des productions agricoles tient pour la plupart aux productions de qualité attachées à nos terroirs. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Dans bien des domaines, la généralisation des cultures d’OGM sera incompatible avec les cahiers des charges et les démarches de labellisation, que ce soit dans le domaine des AOC, des IGP ou des labels. C’est tout un pan de l’agriculture conventionnelle qui sera mise en danger, comme le sera bien évidemment l’agriculture biologique.

Vous faites le choix d’une agriculture modifiée par l’introduction artificielle du gène d’intérêt financier des semenciers. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. – Exclamations sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Votre texte prévoit que l’agriculteur sera, en bout de chaîne, le seul responsable de plein droit des disséminations et de la contamination des terrains voisins. Aujourd’hui, aucun assureur ne veut assumer un tel risque : c’est dire le danger ! Pour le groupe socialiste, radical et citoyen, il est inconcevable de faire porter la responsabilité aux seuls agriculteurs, transformés en boucs émissaires : ce sont avant tout les détenteurs d’autorisation, les distributeurs, l’ensemble de la filière, qui doivent être appelés à réparer les dégâts déjà prévus dans le texte. Il ne faudrait pas oublier non plus la responsabilité de l’État, qui autorise la mise en cultures alors qu’il en connaît les risques.

Tout juste acceptez-vous de réparer les dégâts que vous savez inévitables – et dans quelles conditions ! Pour vous, la liberté se résume donc à la liberté de polluer si l’on paye.

Les lobbies pro-OGM avancent souvent l’argument que les plantes génétiquement modifiées régleront les problèmes de la faim dans le monde – nous l’avons encore entendu ce soir.

Il ne fait aucun doute que les biotechnologies apporteront, à l’humanité. C’est pourquoi, je le répète, nous vous demandons de soutenir la recherche publique, indépendante. Toutefois, en l’état actuel des choses, les OGM ne sont pas la réponse au problème de la faim dans le monde, qui est moins un problème de biotechnologie qu’un problème politique et agronomique. Au contraire, les technologies nouvelles sont utilisées pour réduire les productions vivrières et rendre dépendants les peuples les plus pauvres. Huit cents millions d’hommes sont sous-alimentés sur notre planète. (« Bien sûr ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

Le problème de la faim dans le monde est, je le répète, un problème politique. Nous voyons aujourd’hui les pays les plus riches accaparer les espaces agricoles pour produire des agrocarburants au détriment des productions alimentaires. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. Philippe Martin. C’est la vérité !

M. Germinal Peiro. À l’heure actuelle, on estime qu’un homme sur sept ne mange pas à sa faim. Or plus de 50 % de la population mondiale est composée d’agriculteurs. L’économiste Marcel Mazoyer montre qu’un milliard de paysans travaillent uniquement avec des outils à main. Ce seul chiffre montre que la révolution génétique est certes fondamentale pour la connaissance et pour l’avenir, mais qu’il relève du pur fantasme de croire qu’elle saura résoudre les problèmes de la faim en augmentant la productivité.

M. Bernard Debré. Il s’agit de l’une des solutions !

M. Germinal Peiro. Les deux tiers des personnes qui souffrent de la faim dans le monde sont des paysans !

Nous attendons les preuves de l’affirmation que les OGM pourront nourrir la planète, mais ces preuves ne viennent pas. En revanche, les milliers, les millions d’hectares accaparés par les agrocarburants sont retirés aux productions agroalimentaires et ne viendront pas en aide aux peuples qui souffrent de la faim.

Nous persistons à penser que nous devons accorder au peuple le droit de retrait. Pour l’instant, le projet de loi gouvernemental sur les OGM ne permet pas ce choix. Il est encore temps de retrouver le sens de l’humanité, qui implique de s’élever au-dessus d’une pensée utilitariste outrancière. À défaut, le Grenelle de l’environnement n’aura été qu’une parenthèse médiatique enchantée dans le désenchantement du monde.

Mes chers collègues, le texte qui nous est proposé ne va pas dans le sens du service de l’homme. Il fait fi des principes humains les plus élémentaires et du principe constitutionnel de précaution. C’est pourquoi, je n’en doute pas, vous voterez l’exception d’irrecevabilité. (Mmes et MM. les députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine se lèvent et applaudissent longuement.)

M. le président. Nous en venons aux explications de vote sur l’exception d’irrecevabilité.

La parole est à M. Bernard Debré, pour le groupe de l’UMP.

M. Bernard Debré. Monsieur le président, mesdames, messieurs, je tiens tout d’abord à m’insurger, à me révolter devant le titre du Monde et les affirmations d’un de nos collègues de l’UMP. À l’en croire, nous serions tous stipendiés par de grands groupes céréaliers. (« Pas tous ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. Jean Michel. Les trois quarts seulement !

M. Philippe Martin. Il y a M. Grosdidier !

Un député du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Vous réglez vos comptes avec votre collègue !

M. Bernard Debré. Si nous votons ce texte, c’est que nous serions à la solde des groupes céréaliers, qui nous auraient tous payés. Or, et je le dis avec sérénité, jamais nous n’avons été autant matraqués par les anti-OGM (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.) Jamais nous n’avons reçu autant de papiers, autant de menaces,…

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Ce que dit Le Monde, ce ne sont pas des menaces : c’est de l’intelligence et de la responsabilité !

M. Bernard Debré. …ni fait l’objet d’autant de manifestations.

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Et pourquoi ?

M. Bernard Debré. Je vais vous l’expliquer tout à l’heure.

C’est la déontologie même des députés qui est mise en cause, la démocratie même qui est bafouée par cette affirmation. Nous sommes totalement libres devant les céréaliers. J’oserai même dire qu’on peut se poser des questions devant l’attitude des anti-OGM, qui favorisent l’expansion des multinationales américaines au détriment de la recherche française. Ça, c’est un vrai problème ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. Daniel Mach. Bien sûr !

M. Bernard Debré. Aujourd’hui, certains d’entre vous l’ont dit, l’accès à la nourriture est difficile pour 800 millions de personnes dans le monde.

M. François Brottes. Sommes-nous dans les explications de vote, ou déjà dans la discussion générale, monsieur le président ?

M. le président. Monsieur Debré a le droit de s’exprimer comme vous.

M. Bernard Debré. Vous n’allez pas empêcher un orateur de parler sur les OGM ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Vous avez assez parlé vous-mêmes, me semble-t-il.

M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Debré.

M. Bernard Debré. Les stocks de céréales – lesquelles qui représentent 70 % de l’alimentation mondiale – sont en baisse depuis dix ans et ne représentent plus aujourd’hui, comme vous le savez, qu’un volume correspondant à soixante jours. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. le président. Veuillez laisser s’exprimer M. Debré, qui jusque-là n’a parlé que deux minutes trente.

M. Bernard Debré. Et j’ai été interrompu ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

Si l’on ajoute à cette constatation l’augmentation de la population mondiale dans les trente ans à venir, la crise alimentaire sera gravissime. Comme l’a indiqué le président Ollier, une population de 9 milliards d’êtres humains nécessite le doublement de la production agricole. L’utilisation des plantes génétiquement modifiées est l’une des solutions à la faim dans le monde.

M. Noël Mamère. Mensonge !

M. Bernard Debré. Cette constatation est si vraie que, depuis 1996, l’évolution des surfaces de culture de plantes génétiquement modifiées, ou PGM, atteint le taux extrêmement élevé de 11 % par an, pour toucher en 2007 114 millions d’hectares et 12 millions d’agriculteurs. Dans cinq ans, ce seront 200 millions d’hectares et plus de 30 millions d’agriculteurs qui utiliseront cette technique. Aujourd’hui, 23 pays en cultivent – 12 pays développés et 11 pays en voie de développement. Les surfaces de cultures transgéniques dans les pays en développement sont en augmentation constante : elles couvriront dans cinq ans un tiers des surfaces cultivées dans le monde.

Bientôt, à cause de l’idéologie de l’activisme des anti-OGM, la France n’en cultivera plus et manquera le train de la modernité. (« Oh ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Bien plus grave : elle perdra l’un de ses grands atouts, la compétitivité de ses filières agroalimentaires, qui représentent l’une des forces et des composantes importantes de l’indépendance nationale et du rayonnement international de notre pays.

La première question à se poser est la suivante : pourquoi les PGM ? Qu’apportent-elles par rapport aux semences traditionnelles ? (« Rien ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Une meilleure efficacité de la production agricole, la tolérance aux herbicides et la résistance aux insectes permettant de se prémunir contre les pertes de production. Certaines PGM cumulent d’ailleurs aujourd’hui les deux avantages et représentent l’une des solutions permettant de concilier productivité agricole et respect de l’environnement. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Aujourd’hui arrivent déjà de nouvelles variétés de PGM, permettant, comme l’a dit notre président Ollier, une amélioration des capacités de production en conditions difficiles. En effet, l’introduction des caractères de tolérance aux stress environnementaux – froid, sécheresse, sel – permettra de cultiver des terres jusqu’ici improductives.

Mme Martine Billard. Ce n’est pas une explication de vote !

M. Bernard Debré. Si ! Je m’efforce de vous dire que vous avez eu tort de déposer cette motion.

Les PGM permettent également une meilleure qualité de production : une meilleure qualité nutritionnelle, tout d’abord, par l’apport de certains glucides, et une meilleure qualité sanitaire, par la diminution de certains composés naturellement présents dans les plantes traditionnelles – il s’agit, si vous me permettez cette précision, des mycotoxines, présentes comme chacun sait dans les lésions des plantes causées par les parasites et hautement cancérigènes. Les maïs transgéniques résistant aux insectes, la présence des mycotoxines y est réduite de 90 %.

Les PGM permettent également de nouvelles applications industrielles, grâce au développement de la production de biocarburants. De fait, l’augmentation de l’amidon utilisé pour le bioéthanol permettra de limiter la déforestation, dont on parle tant.

Il y a aussi de nouvelles applications médicamenteuses : l’apparition de plantes productrices d’insuline est prometteuse étant donné les résultats obtenus grâce aux OGM animaux. Vous savez qu’en Amérique du Sud, un petit cheptel de bovins suffit à fournir en insuline tous les diabétiques de l’Argentine. Oui, les PGM sont à l’évidence une des composantes de l’avenir du globe. Beaucoup de pays l’ont compris puisque, depuis onze ans, 691 millions d’hectares de plantes génétiquement modifiées ont été plantés.

Or les anti-OGM avancent des arguments dont bon nombre sont fallacieux et erronés, exploitant les peurs des néophytes vis-à-vis de la modernité. (Protestations sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et sur de nombreux bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Cela vous gêne d’entendre la vérité ?

M. le président. Mes chers collègues, je vous prie de recouvrer votre calme et de laisser M. Debré s’exprimer, sans l’interrompre. (Mêmes mouvements.)

M. Bernard Debré. J’ajoute que les anti-OGM qui sévissent actuellement en France pénalisent notre pays au profit des États-unis, de la Chine et des autres pays producteurs.

Non, les OGM ne sont pas dangereux pour la santé.

M. Yves Cochet. Prouvez-le !

M. Bernard Debré. L’Organisation mondiale de la santé considère que les aliments avec OGM…

M. Noël Mamère. Vous enfilez des perles et des contrevérités, monsieur Debré !

M. Bernard Debré. …comportent les mêmes risques pour la santé que les aliments traditionnels. Elle précise que les OGM actuellement commercialisés ont subi toutes les évaluations nécessaires avant leur mise sur le marché.

M. le président. Mon cher collègue, je vous prie de conclure.

M. Bernard Debré. Je tiens à vous dire, mes chers collègues, que la France était en tête de la recherche transgénique biogénétique. Elle est maintenant quasiment en queue de peloton. Son indépendance sera bientôt menacée car elle dépendra des pays qui auront su suivre la modernité.

La loi que l’on nous présente aujourd’hui est une bonne loi : Haute autorité, traçabilité, encadrement, responsabilité, information du public.

M. le président. Monsieur Debré…

M. Noël Mamère. Coupez-lui le micro, monsieur le président !

M. Bernard Debré. Voilà pourquoi nous rejetons l’exception d’irrecevabilité – j’allais dire d’irresponsabilité ! (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Noël Mamère. Pour un quart d’heure !

M. le président. C’est moi qui fais le décompte, pas vous, monsieur Mamère !

M. André Chassaigne. J’espère, monsieur le président, que je disposerai d’autant de temps que l’orateur précédent.

Je voudrais d’abord dire quelques mots sur l’intervention de M. Debré, qui a beaucoup développé – je pourrais même employer le mot « délayé » – une argumentation fondée sur les conquêtes scientifiques. Il aurait pu se référer à un texte qui date du 8 août 1945 (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), signé par Albert Camus…

M. Bernard Debré. Grand scientifique !

M. André Chassaigne. …dans Combat : « La civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie [je rappelle que c’était deux jours après Hiroshima]. Il va falloir choisir, dans un avenir plus ou moins proche, entre le suicide collectif ou l’utilisation intelligente des conquêtes scientifiques. » (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et sur de nombreux bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Je crois que, dans toute son intervention, notre collègue Germinal Peiro a fait la démonstration…

M. Bernard Debré. Il n’a rien démontré !

M. André Chassaigne. …qu’il n’y avait pas, d’un côté, la science et les conquêtes scientifiques, et, de l’autre, la société. Il a expliqué qu’il ne fallait pas les cloisonner, les séparer, contrairement, monsieur Debré, à ce que vous avez dit dans votre explication de vote !

Quant aux questions qui ont été fort justement posées par Germinal Peiro, je vais en reprendre quelques-unes pour justifier le vote favorable à l’exception d’irrecevabilité, qui sera celui du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

Est-ce que, oui ou non, le texte de loi permettra demain de revenir sur le développement des OGM si l’on se rend compte qu’il y a problème en raison des conséquences de leur généralisation ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et sur de nombreux bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. François Brottes. Il sera trop tard !

M. André Chassaigne. Y aura-t-il, oui ou non (« Non ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche), réversibilité ? C’est le problème de fond. Or la réponse qui a été fournie, c’est que, dans l’état actuel de la science, le contenu du texte ne permet pas d’établir les garde-fous nécessaires pour rendre réversibles de tels développements.

M. Bernard Debré. Bien sûr que si !

M. André Chassaigne. C’est la première raison de voter cette motion de procédure. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et sur de nombreux bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

Deuxième question fondamentale développée par Germinal Peiro : quel est l’objectif recherché ? S’agit-il de développer une agriculture qui permettra de répondre aux besoins fondamentaux, notamment en ce qui concerne l’alimentation mondiale ?

M. Bernard Debré. Oui, bien sûr !

M. André Chassaigne. Est-ce le bonheur du monde, le bonheur des habitants de notre planète ? Ou bien l’objectif recherché n’est-il pas, dans l’immédiat, le mercantilisme ? (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Vous défendez aujourd’hui uniquement les grands groupes semenciers ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et sur de nombreux bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. Bernard Debré. C’est honteux de dire ça !

M. André Chassaigne. Chacun sait que, dans l’état actuel de la recherche et du texte, c’est, pour demain, la généralisation de la culture que vous préconisez, sans véritable coexistence possible. Les agriculteurs, les uns après les autres, devront y venir, si bien que ce qui aujourd’hui est présenté comme une possibilité sera demain imposé à l’ensemble de l’agriculture de notre pays ! (« Très juste ! » sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et sur de nombreux bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. Bernard Debré. C’est complètement faux !

M. André Chassaigne. Enfin, le troisième domaine que je veux aborder est celui de la recherche. Germinal Peiro a très bien évoqué l’importance du doute. Or y a-t-il dans vos affirmations le moindre doute ?

M. Bernard Debré. Évidemment !

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Bien sûr que l’on doute !

M. André Chassaigne. Pour ma part, je n’affirme pas que, demain, les OGM ne pourront pas apporter quelque chose à l’humanité, mais je dis que je n’en sais rien. L’avenir le dira. C’est la recherche qui le dira. On ne peut pas lire dans le marc de café ce qu’il en sera. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Mais vous et vos collègues de l’UMP, vous affirmez qu’ils constituent indubitablement la réponse universelle. Vous dites qu’il n’y a aucun doute. Et la recherche publique dans ce pays est sacrifiée car ce qui vous motive, ce n’est pas une recherche publique indépendante qui réponde aux intérêts de la population, mais tout simplement l’intérêt mercantile des grands groupes financiers et des laboratoires qui travaillent uniquement pour eux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et sur de nombreux bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. – Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Yves Cochet. Très juste !

M. le président. La parole est à M. Jean Gaubert, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Pour un quart d’heure !

M. Alain Gest. Mes chers collègues, soyons raisonnables !

M. Jean Gaubert. Monsieur le président, faut-il ajouter quelque chose, après ce qui vient d’être dit ?

Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Non !

M. le président. Vous pouvez conclure tout de suite si vous le souhaitez. (Sourires.)

M. Jean Gaubert. Je tiens tout de même à exprimer plusieurs considérations.

Tout d’abord, ce qui frappe dans ce débat, c’est que beaucoup de nos collègues de la majorité en sont à penser : « Puisque tous les autres vont vers le gouffre, pourquoi pas nous ? » (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Monsieur Debré, je vous ai écouté avec beaucoup d’intérêt. Vous avez dit vous-même qu’il fallait vous écouter. Je vous demande d’appliquer la réciprocité.

M. Bernard Debré. La réciprocité de l’interruption ? (Sourires.)

M. Jean Gaubert. Dans ce texte, il n’y a pas de précision sur l’évaluation des risques, pas plus de garantie sur l’évaluation des laboratoires, comme l’a excellemment expliqué notre collègue Germinal Peiro, ni aucune évaluation sur les atteintes à la biodiversité. Par contre, il y a une chose que chacun sait : l’irréversibilité est l’état – je ne parle même pas de règle – qui prévaudra. En clair, la liberté est remise en cause. Certes, j’ai beaucoup entendu dire que certains revendiquaient la liberté de cultiver des plantes génétiquement modifiées. Mais on sait qu’une telle liberté condamne la liberté de ne pas en cultiver et de ne pas en consommer ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. Philippe Martin. Eh oui ! Quelle est votre réponse à cela, chers collègues de l’UMP ?

M. Jean Gaubert. Il est clair que nous devons apporter une réponse à ce dilemme entre deux libertés qui s’affrontent.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. C’est faux ! Elles ne sont pas contradictoires !

M. Jean Gaubert. Quant à la dissémination, chacun sait que ce n’est pas sur vingt, cinquante ou cent mètres que cela se joue : les abeilles, les oiseaux ou le vent vont transporter les pollens et les graines sans doute sur des dizaines de kilomètres, voir sur des centaines.

Par ailleurs, mes chers collègues, il ne faudrait tout de même pas réduire la recherche, y compris en biotechnologies, aux OGM. Ceux qui voteront ce texte commettront la même erreur que celle que notre pays a faite il y a une quarantaine d’années en considérant que la recherche sur l’énergie, c’était seulement le nucléaire.

M. Noël Mamère et M. Yves Cochet. Très juste !

M. Jean Gaubert. Je n’ai pas dit qu’il ne fallait pas faire de recherche sur le nucléaire, mais je pense qu’il fallait aussi en faire sur les énergies nouvelles. C’est l’erreur que les vôtres ont commise, et nous aussi par la suite.

Et puis il y a la culture du doute. Apparemment vous ne la possédez pas.

M. Michel Piron. Ah si !

M. Jean Gaubert. Pourtant, c’est extrêmement important. Après M. Chassaigne, à mon tour de citer un auteur. Dans un texte, il vous précise comment appliquer la culture du doute : « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leur domaine d’attribution, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. » L’auteur de cette citation, mes chers collègues, c’est le Parlement : il s’agit de l’article 5 de la Charte de l’environnement.

Mme Françoise Vallet. Et voilà !

M. Jean Gaubert. Cet article est mis à mal – déjà ! – par le texte qui nous est proposé.

En outre, on nous dit que les scientifiques décideront.

M. Bernard Debré. Pas du tout !

M. Jean Gaubert. Je réponds « non ». Certes, les scientifiques peuvent nous conseiller, mais, dans une démocratie, ce sont les politiques qui doivent décider. Comme nous, vous devez prendre nos responsabilités ! Pourtant, nous avons entendu depuis le début que ce seraient les scientifiques qui devraient prendre les décisions. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Pour conclure, mes chers collègues, je souligne que nous sommes là devant un choix politique : l’alternative entre suivre ceux qui, au mépris des risques présents et à venir, veulent conforter leurs profits, et soutenir ceux qui, ne sachant pas tout, décident de refuser l’irréversible.

M. Bernard Debré. C’est fallacieux !

M. Jean Gaubert. C’est pour les raisons que je viens d’exposer que la motion défendue brillamment par Germinal Peiro mérite votre approbation. Le group SRC votera bien évidemment cette exception d’irrecevabilité avec beaucoup d’enthousiasme. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Folliot, pour le groupe Nouveau Centre.

M. Philippe Folliot. Monsieur le président, mes chers collègues, le débat auquel nous assistons est un débat éminemment passionnant et passionné. La nature des premiers échanges auxquels nous venons d’assister montre, ô combien, que le sujet est sensible. Dès lors, il me paraît important que chacun et chacune puisse s’exprimer, développer et échanger des arguments, en conservant à l’esprit une notion qui doit prévaloir dans cette assemblée : la notion d’écoute et de respect, eu égard à la diversité d’opinions que peuvent avoir les uns et les autres.

S’agissant de l’adoption de cette exception d’irrecevabilité, au-delà du débat de fond dans lequel je n’entrerai pas aujourd’hui – nous en aurons l’occasion dans les deux jours qui suivent –, la question que nous devons nous poser est la suivante : devons-nous arrêter maintenant le débat, alors que nous sommes nombreux à le réclamer depuis longtemps ? Je crois que si nous sommes aujourd’hui dans la situation actuelle, avec des « pro » et des « anti » qui ne se parlent pas, c’est peut-être, entre autres raisons, parce qu’au sein de la représentation nationale nous n’avons pas eu la chance, l’opportunité ou le droit de pouvoir nous exprimer suffisamment longtemps pour échanger nos arguments sur cette question éminemment importante et essentielle.

Essentielle pour la recherche et pour l’agriculture, cette question l’est aussi pour l’environnement. Dans ce cadre, ce qui paraît important au groupe Nouveau Centre, c’est de pouvoir continuer à débattre et échanger. Ne serait-ce que pour cette raison, nous ne voterons pas l’exception d’irrecevabilité car nous souhaitons que le débat se poursuive.

M. le président. Je mets aux voix l'exception d'irrecevabilité.

(L'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.)

M. le président. La suite de la discussion du projet de loi est renvoyée à la prochaine séance.

4

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heure trente :

Suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d’urgence, relatif aux organismes génétiquement modifiés.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-huit heures quarante-cinq.)