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SOMMAIRE
Présidence de M. Marc Le Fur
. Dérogations au repos dominical
Présidence de M. Rudy Salles
M. Xavier Darcos, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité
M. le président. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à neuf heures trente.)
Suite de la discussion,
après engagement de la procédure accélérée,
d'une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, de la proposition de loi sur le repos dominical et les dérogations à ce principe (nos 1685, 1782, 1742).
Le temps de parole restant pour la discussion de ce texte est de treize heures quarante et une minutes pour le groupe UMP, seize heures cinq minutes pour le groupe SRC, six heures quarante-quatre minutes pour le groupe GDR, six heures neuf minutes pour le groupe Nouveau Centre et vingt-quatre minutes pour les députés non-inscrits.
M. le président. Hier soir, l’Assemblée a continué d’entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.
La parole est à M. Jean Mallot.
M. Jean Mallot. Monsieur le président, monsieur le ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, monsieur le rapporteur de la commission des affaires sociales, je devrais dire : monsieur l’auteur-compositeur puisque vous êtes à la fois auteur de la proposition de loi et rapporteur…
M. Richard Mallié, rapporteur de la commission des affaires sociales. Ne soyez pas jaloux, monsieur Mallot !
M. Jean Mallot. Mon jour viendra peut-être, si je m’inspire de votre exemple. Cela dit, quatre versions, quand même ! c’est laborieux, d’autant que la cinquième version est peut-être à venir.
Face à cette proposition de loi qui veut mettre en place une machine à généraliser progressivement le travail du dimanche et à faire de ce jour-là un jour comme les autres, nous voulons réaffirmer tranquillement notre attachement à ce qu’il y ait dans notre société, chaque semaine, un jour de repos commun à tous. C’est une des conditions d’une vie sociale possible avec des activités communes, qu’elles soient familiales, culturelles, sportives, associatives, voire religieuses, ou autres. Nous ne considérons pas que le nec plus ultra de la distraction dominicale consiste à se promener dans des centres commerciaux pour contempler sur des étals des marchandises qu’on ne peut s’acheter.
Sur le plan des principes, il serait bon que vous demandiez à M. Sarkozy – je me tourne vers les parlementaires UMP qui, semble-t-il, rencontrent le Président de la République de temps en temps – de se mettre en cohérence avec lui-même. Il a découvert tout à coup à Versailles, l’autre jour, le programme du Conseil national de la Résistance. Rappelez-lui que ce programme prévoyait d’instaurer le droit au travail et le droit au repos.
M. Richard Dell'Agnola. Personne ne méconnaît cela. Vous n’avez pas lu le texte !
M. Jean Mallot. Simplement je note des contradictions.
Deuxième exemple, le 15 juin dernier, dans un discours devant l’Organisation internationale du travail, le même Président de la République condamnait l’extension de la sphère marchande sur les activités humaines et stigmatisait le droit du commerce par-dessus tout.
M. Richard Dell'Agnola. Nous sommes d’accord.
M. Jean Mallot. Nous avons bien là l’expression claire du double langage du Président de la République, relayé par M. Mallié en l’occurrence et cette proposition de loi.
Le point de départ de cette affaire est cette partie de commune, ce lieu-dit désormais célèbre dans le pays qu’on appelle Plan-de-Campagne – certains disent Plan-de-Campagne électoral, mais cela me semble quand même un peu exagéré !
M. Richard Dell'Agnola. Bien sûr !
M. Jean Mallot. Quel est le problème ? Des commerces ont bénéficié de dérogations temporaires, ils ont pris des habitudes mais voilà, des contestations se sont élevées, ce qui est assez logique puisque les dérogations étaient temporaires. Alors, les responsables politiques locaux – je ne citerai pas de noms, mais certains se seront reconnus – ont pris des engagements à leur égard, ils leur ont dit qu’ils allaient arranger cela. La logique s’est mise en marche et aujourd’hui, il s’agit de régulariser, de blanchir, de couvrir, d’organiser les choses pour que ces entreprises en infraction avec la loi soient désormais couvertes par la loi.
M. Richard Dell'Agnola. Ce n’est pas brillant !
M. Yves Albarello. Cela ne concerne pas que les entreprises !
M. Jean Mallot. Je constate que vous êtes en forme dès le matin, cela me remplit d’aise.
M. Yves Albarello. Cela concerne aussi les salariés.
M. le président. Mes chers collègues, vous avez bien compris que M. Mallot sollicitait vos interventions !
M. Jean Mallot. Ils sont terribles, n’est-ce pas ?
M. le président. Ne tombez pas dans son piège !
M. Jean Mallot. Il n’y a pas de piège, monsieur le président, c’est le débat parlementaire. Je comprends que l’UMP soit embarrassée par cette proposition de loi. Il a fallu que le Président de la République monte en première ligne pour remotiver les troupes, cela devait flageoler quelque peu dans les rangs.
Qui ne peut voir dans cette initiative une incitation à la fraude ? À partir du moment où des entreprises en infraction sentent qu’elles vont être couvertes par une proposition de loi, peu à peu tous les fraudeurs vont espérer la proposition de loi salvatrice. Certes, les députés UMP sont nombreux, et je ils peuvent rédiger beaucoup de propositions, mais si on entre dans cette logique, on risque d’aller assez loin, peut-être même jusqu’à un endroit où nous ne souhaiterions pas aller tant nous tenons aux règles républicaines.
M. Richard Dell'Agnola. Mais oui, bien sûr !
M. Jean Mallot. Il fallait oser aller chercher la règle du jeu sur les communes touristiques à propos de Plan-de-Campagne ! Quant à déclarer Plan-de-Campagne zone frontalière, on pourrait en parler, mais la frontière serait difficile à trouver !
Bref, nous devons examiner cette quatrième version de la proposition de loi Mallié dont nous voyons depuis maintenant deux jours qu’elle est, elle aussi, particulièrement mal rédigée, à tel point que plusieurs députés UMP cherchent à proposer des amendements pour colmater les brèches. C’est le dernier avatar en date d’un texte mal conçu, destiné d’abord à embrouiller le lecteur afin de l’empêcher de voir la mécanique diabolique qu’il mettrait en route pour conduire à la généralisation du travail du dimanche.
Certains ne voient pas cette mécanique diabolique, d’autres feignent de ne pas la voir, le plus bel exemple étant le rapporteur pour avis, M. Reynès, qui a pris le relais de Mme Vautrin laquelle était, en décembre dernier, la rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques mais qui, manifestement, a pris quelque distance avec ce texte, ce que je peux comprendre.
Que dit M. Reynès ? Il suffit de lire les rapports pour trouver d’excellents arguments sur la vraie nature des motivations des rapporteurs ! M. Reynès explique, dans le deuxième paragraphe de la première page de son rapport : « Cette proposition de loi reprend une grande partie des dispositions d’une précédente proposition de loi » discutée en décembre dernier.
M. Richard Dell'Agnola. Nous n’avons rien à cacher !
M. Jean Mallot. Vous parlez d’une version édulcorée qui n’a plus rien à voir avec l’ancienne, mais, c’est écrit dans le rapport pour avis : cette proposition de loi reprend une grande partie de la précédente.
M. Yves Albarello. C’est transparent !
M. Jean Mallot. Je poursuis ce rapport : « L’objectif ici poursuivi n’est nullement […] d’élargir les possibilités de dérogations au principe du repos dominical ».
M. Richard Dell'Agnola. C’est vrai !
M. Jean Mallot. Je suppose que quand M. Reynès aura lu le texte, il votera contre.
M. Richard Dell'Agnola. Vous ne l’avez pas lu !
M. Jean Mallot. « Un tel élargissement […] serait sans effet sur la croissance et risquerait de se traduire par une captation de la clientèle du petit commerce de proximité par les grandes surfaces. »
M. Gérard Bapt. C’est tout à fait ça. Il n’y a pas d’étude d’impact !
M. Jean Mallot. Je lis, toujours au début de son rapport, que l’élargissement de l’ouverture dominicale des commerces traduirait « une vision individualiste et consumériste de la société » qui « compromettrait les équilibres familiaux des salariés contraints de travailler le dimanche ».
M. Gérard Bapt. Il n’y a pas eu d’étude d’impact !
M. Jean Mallot. Et M. Reynès conclut : « En aucune façon, votre rapporteur n’aurait prêté sa main à une telle entreprise. » C’est pourtant ce qu’il fait, mais il lui reste quelques heures pour se ressaisir.
Reprenons la démarche poursuivie ! Au départ, il y a Plan-de-Campagne, que l’on transforme en PUCE, périmètre d’usage commercial exceptionnel – on aurait d’ailleurs dû écrire PUCI : périmètre d’usage commercial illégal. Et comme il faut organiser les choses, tout d’un coup, on se demande comment faire et on définit des zones urbaines de plus de 1 000 000 d’habitants – pourquoi pas 900 000 ou 1 100 000 ? Il est vrai que 1 000 000 est un nombre rond, facile à retenir, même si on se rend compte que cela pose problème par rapport à Lyon, mais des amendements seront proposés.
M. Christian Eckert. C’est vrai !
M. Jean Mallot. Cette façon de faire présente au moins l’avantage de noyer Plan-de-Campagne dans un ensemble. Toutefois, comme ce n’est pas tout à fait assez noyé, on va chercher les communes touristiques et thermales. À force de vouloir noyer, je crains que vous ne finissiez par vous noyer vous-mêmes car vous jouez sur les mots : il y aurait des communes touristiques au sens du code du travail et des communes touristiques au sens du code du tourisme. Essayez d’expliquer cela aux gens !
M. Alain Vidalies. Il y a aussi des poissons volants mais ce n’est pas le commun du genre !
M. Jean Mallot. En effet.
En France, 494 communes seraient concernées. Ce nombre est totalement invraisemblable et indéfendable. Ainsi, d’après les éléments statistiques donnés par M. Mallié en commission des affaires sociales oralement – il avait promis de les transmettre à tous les commissaires de la commission, nous ne les avons pas reçus mais ce n’est pas grave puisqu’il les a donnés à la presse et que Le Monde les a publiés.
M. Richard Mallié, rapporteur. Monsieur Mallot, c’est dans le rapport. Ne dites pas n’importe quoi ! Tout cela vous a été donné !
M. Jean Mallot. Après.
J’ai lu la presse, c’est bien ce qui vous ennuie.
M. Richard Mallié, rapporteur. Cela ne m’ennuie pas, je rectifie les mensonges que vous proférez !
M. Jean Mallot. Ce ne sont pas des mensonges, vous ne nous avez pas transmis ces informations.
M. Richard Mallié, rapporteur. Je vous les ai données, elles figurent dans le rapport !
M. Jean Mallot. Vous les avez données à la presse avant, mais je lis la presse, donc j’ai les informations.
M. Gérard Bapt. La presse qui est encore libre !
M. Jean Mallot. Pour voir qu’une information est invraisemblable, il suffit de la lire et de la comparer à la réalité. D’après cette statistique, dans mon département de l’Allier, il n’y aurait qu’une commune touristique ou thermale.
M. Alain Vidalies. Et pourtant !
M. Jean Mallot. Et pourtant, nous avons déjà trois communes thermales, que vous connaissez tous : Vichy, Bourbon-l’Archambault et Néris-les-Bains.
M. Gérard Bapt. Voilà !
M. Jean Mallot. Chacune a ses thermes, chacune a ses commerces, chacune a son casino, etc. tous les attributs des communes touristiques et thermales sont réunis. Et il n’y en aurait qu’une ? Je n’ai pas vu qu’elles étaient fusionnées, il faut dire qu’elles sont assez distantes les unes des autres quand même ! Donc, il y a un problème.
Toujours selon les statistiques, il n’y aurait aucune commune touristique en Haute-Loire.
M. Gérard Bapt. Incroyable !
M. Jean Mallot. Je ne sais pas si M. Wauquiez, qui est maire du Puy-en-Velay, sera d’accord avec l’affirmation qu’il n’y a pas de tourisme au Puy-en-Velay. Il n’y a pas de pèlerinage, il n’y a rien ! La Chaise-Dieu, connaît pas ! À qui ferez-vous croire qu’il n’y a pas une seule commune touristique en Haute-Loire ?
M. Alain Vidalies. On parle de tourisme commercial !
M. Jean Mallot. Comme cela pose problème, vous allez chercher cette notion assez étrange de commune d’affluence touristique – pas d’influence, d’affluence touristique. Et, lorsque nous vous posons la question de savoir comment vous définissez l’affluence touristique, comment vous la mesurez, avec quel thermomètre, nous n’obtenons pas de réponse. Si on écrit la loi sans savoir comment elle s’applique, on va avoir quelques problèmes !
M. Richard Dell'Agnola. Marcoussis !
Mme Catherine Lemorton. Il y a eu un afflux hier !
M. Jean Mallot. En effet, Marcoussis a été touristique pendant quelques heures hier. Vous démontrez vous-même le flou des définitions proposées par le texte.
Le texte qu’on nous propose de voter, même si des amendements viendront peut-être le modifier, dit que dans les communes touristiques ou thermales, « les établissements de vente au détail », quelle que soit la taille de l’établissement, quelle que soit la nature des produits vendus, « peuvent, de droit, donner le repos hebdomadaire par roulement ». Si c’est de droit, il n’y a pas de contrepartie, pas de refus possible, c’est un élément constitutif du contrat de travail. Et tout cela s’applique en saison ou hors saison dans la commune touristique. Expliquez-moi ce qui distingue une commune touristique d’une commune non touristique hors saison. Par exemple quand elles sont situées à trois kilomètres l’une de l’autre, expliquez-moi pourquoi, hors saison, l’une aura le droit de voir ses commerces ouverts le dimanche et pas l’autre.
Ensuite, j’observe que la liste des communes touristiques et thermales n’est pas fermée puisque le texte prévoit comment elle est élaborée. Donc, le nombre de 494 va forcément évoluer.
Comment cette liste est-elle établie ? Elle est établie par le préfet sur proposition du maire, et sur proposition du préfet à Paris – comme l’a très bien expliqué Christian Eckert, c’est le préfet qui se donne proposition à lui-même. Une fois que le maire a émis le souhait que sa commune soit classée touristique ou thermale – thermale, c’est compliqué mais touristique, c’est plus simple – il est hors jeu : la décision est prise par le préfet, il n’y a pas de retour en arrière possible de la part du maire, il est dans la nasse. On voit bien comment, par cette mécanique, de proche en proche, toutes les communes, pour peu qu’elles aient de temps en temps une affluence touristique, vont vouloir être classées dans cette rubrique.
M. Gaubert a cité en commission l’exemple de Dinan et Saint-Malo. De ces deux villes, seule la seconde est touristique, mais, comme il ne faut qu’un quart d’heure pour joindre l’une à l’autre en voiture, Dinan sera bientôt classée elle aussi comme une ville touristique.
Quels critères définissant les communes touristiques retiennent le code du tourisme et le code du travail ? Ce dernier mentionne, à l’article R. 3132-20, le rapport entre la population permanente et la population saisonnière – sans préciser le taux retenu –, le nombre d’hôtels ou de gîtes, de campings ou de lits – mais quel est le seuil ? –, le nombre de places offertes dans les parcs de stationnement automobile – critère bien curieux, au regard du Grenelle de l'environnement, mais passons ! Le code du tourisme, lui, propose une définition à l’article L. 133-11. Selon la hiérarchie des normes en vigueur dans notre pays, le second prime sur le premier, puisque le législatif l’emporte sur le réglementaire. Les critères du code du tourisme l’emportant sur ceux du code du travail, notre pays comptera plusieurs milliers de communes touristiques.
J’en viens à la seconde partie de mon propos, qui sera consacrée au volontariat.
Le rapporteur, contrairement à ce qu’a prétendu le président de la commission, a indiqué que le volontariat s’exercera non dans les communes touristiques, mais dans les PUCE. Néanmoins, dans les communes touristiques, j’aimerais savoir où sera le volontariat pour le maire qui demandera que sa commune soit classée comme touristique parce qu’il sera sous la pression des commerces des communes voisines. Quant aux salariés qui craignent de perdre leur emploi, parlera-t-on de volontariat s’ils acceptent de travailler le dimanche ?
L’échange que nous avons eu en commission sur le volontariat a été fidèlement repris dans le rapport de M. Reynès. Le président Ollier a affirmé – page 36 – : « Je le répète, tout se fera sur la base du volontariat. », À l’objection de M. Eckert – « Il faut prévoir que dans les zones touristiques aussi, le travail dominical est fondé sur le volontariat » –, le rapporteur pour avis a répondu – page 39 – : « La proposition se limite à simplifier la procédure de mise en œuvre du travail le dimanche dans les zones touristiques et ne modifie pas le régime juridique applicable au salarié. » Et il enfonce le clou page 40 : « Dans les zones touristiques et thermales, le travail dominical ne se fait pas sur la base du volontariat. Avis défavorable. », Et il ajoute : « Le volontariat vaut pour les PUCE. »
Il est vrai que cette théorie du libre choix vous est chère. Vous l’avez déjà invoquée à propos des heures supplémentaires. Selon vous, les salariés seraient volontaires pour effectuer des heures supplémentaires éventuellement défiscalisées. Chacun sait qu’il n’en est rien. S’ils en font c’est que leur patron en a décidé ainsi. Le volontariat n’a rien à voir avec cela. Et vous nous avez également parlé de la rémunération, de l’intéressement et de la participation. Je mentionne aussi, pour mémoire, le cas de la retraite à soixante-dix ans. L’UMP a voté, dans le PLFSS pour 2009, un amendement pour que les salariés qui veulent travailler après soixante-cinq ans ne soient pas mis à la retraite d’office. Mais ceux-ci ne sont en rien volontaires. Simplement, ils savent que leur retraite ne leur permettra pas de vivre. Si le droit du travail prévoit des dispositions d’ordre public, c’est précisément pour protéger les salariés contre la tentation de céder à leur employeur, auquel les lie une relation déséquilibrée, surtout en temps de crise.
Permettez-moi à présent de citer un auteur que vous connaissez tous : Charles-Louis Philippe, écrivain bourbonnais bien connu, mort il y a cent ans. Dans son ouvrage La Mère et l’enfant, il a cette formule : « L’amour est beau pour ceux qui ont de quoi vivre, mais les autres doivent d’abord penser à vivre. » En l’occurrence, les contraintes sociales conditionnent des choix qui n’ont rien de libre.
Sur la question du volontariat, un sondage intéressant a été réalisé par l’IFOP pour la Fondation pour l’innovation politique. Parmi les salariés qui travaillent le dimanche, 39 % considèrent qu’il s’agit d’une contrainte liée à la nature de leur activité et 43 % d’une contrainte contractuelle ou liée à leur statut. C’est dire que 82 % d’entre eux pensent qu’il s’agit d’une contrainte. Seuls 17 % y voient l’effet d’une libre décision de leur part, liée à la volonté d’organiser leur emploi du temps comme ils le veulent ou de percevoir un salaire plus important. Ils sont en outre 51 % à juger que le travail du dimanche est facteur de tensions, notamment avec leurs enfants.
M. Richard Mallié, rapporteur. C’est vous qui créez des tensions !
M. Jean Mallot. Je cite la réponse de plusieurs milliers de salariés à un sondage ! Enfin, 42 % considèrent que le travail du dimanche crée des tensions avec leur conjoint.
On voit à quoi tend la démarche que vous poursuivez avec véhémence : comme à son habitude, l’UMP entend diviser les Français. Vous dressez les uns contre les autres les salariés, qui connaissent des contraintes et des conditions de travail difficiles, et qui sont amenés à travailler le dimanche au prix de difficultés familiales, et les gens plus aisés, parfois retraités, qui peuvent ce jour-là aller se promener dans les magasins. Dès lors, on comprend mieux les chiffres que vous citez : comment ne pas être favorable au travail du dimanche quand il concerne les autres ?
M. Richard Dell'Agnola. Mais 70 % des moins de trente ans y sont favorables !
M. Jean Mallot. Les chiffres que je cite concernent les salariés !
M. Richard Mallié, rapporteur. Justement : 42 % des salariés accepteraient de travailler le dimanche !
M. Jean Mallot. C’est vous qui le dites ! Moi, j’ai cité un sondage très précis, en indiquant sur quelle population il avait été effectué.
Vous inquiétez les Français en avivant des tensions entre eux, alors même qu’ils aspirent à la solidarité et qu’ils voudraient faire « société », surtout par les temps qui courent. Nous, nous préférons nous attacher à retisser les liens sociaux. C’est pourquoi nous nous opposons à votre démarche et nous combattons votre proposition de loi.
Nous défendrons plusieurs amendements, notamment de suppression. J’espère que vous les voterez, chers collègues, quand vous aurez compris la vraie nature de la démarche entreprise par certains membres de la majorité. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. Marcel Rogemont. Excellente conclusion !
(M. Rudy Salles remplace M. Marc Le Fur au fauteuil de la présidence.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Armand Martin.
M. Philippe Armand Martin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous étudions vise à légaliser les dérogations au principe de l’interdiction du travail le dimanche.
Si et seulement si elle ne vise qu’à cela – donner un cadre législatif à une pratique établie depuis longtemps à coups de dérogations –, je n'ai rien à y redire et le compromis trouvé permettra de mettre un peu d'ordre dans des usages parfois un peu obscurs. Cela dit, il faut s'assurer que le volontariat sera bien la seule règle applicable pour les salariés et qu'en aucun cas il n'y aura de « désignés volontaires », de formes de chantage ou de pression. Nous serons sans doute nombreux, monsieur le ministre, à apprécier que vous réaffirmiez ce principe.
Mais si je prends parole aujourd'hui, c'est aussi pour mettre en garde contre un effet d'aubaine qui pourrait modifier les habitudes des consommateurs habitant dans les régions limitrophes des grandes agglomérations et des zones touristiques et thermales.
M. Alain Vidalies. Bien sûr !
M. Philippe Armand Martin. Je pense non seulement à ma région, la Marne, qui ne se trouve qu'à quarante-cinq minutes de Paris, mais aussi à toutes les régions de la grande couronne et à celles situées près des grandes agglomérations touristiques.
M. Alain Vidalies. C’est juste.
M. Philippe Armand Martin. Les Marnais ont tout loisir de faire l'aller-retour dans la journée du dimanche pour effectuer des achats et par là même déserter les commerces locaux le reste de la semaine. Or, ceux-ci sont souvent les derniers maillons d'un tissu social déjà fragilisé dans nos campagnes. On ne va pas tant acheter du pain et quelques conserves à l'épicerie du village que donner des nouvelles et en prendre. Faire ses courses est souvent un moyen de sortir de chez soi pour aller à la rencontre de ses voisins. Si les petits commerces ferment dans nos villages, que restera-t-il ?
Je ne veux pas faire pleurer dans les chaumières, mais c'est un fait que la vie de certains villages de France sera considérablement modifiée si la seule boulangerie ferme – et elle fermera si, dorénavant, on va acheter son pain congelé pour la semaine dans une grande surface.
Mme Catherine Coutelle. Absolument !
M. Philippe Armand Martin. Si l’on ajoute à cette situation le développement exponentiel de l'e-commerce, ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, on en arrive à modifier totalement les habitudes des consommateurs. C'est contre cet effet potentiellement dangereux que je tiens aujourd'hui à vous alerter, car on ne peut pas donner à un commerçant ce qu'on enlève à un autre.
La proposition de loi vise à relancer la consommation, à permettre à ceux qui travaillent d'avoir un jour de plus pour consommer et faire les achats pour lesquels le temps leur manque en semaine. Cela est plus que louable. Elle vise également à arrondir les fins de mois, à défaut des fins de semaines, des salariés qui en feraient la demande. Mais avoir un emploi du temps décalé avec celui de sa famille, n'est-ce pas trop cher payé ? La question est posée.
Je crains, je l'avoue, le revers de la médaille. L'enfer est pavé de bonnes intentions et les plus fragiles, en l'occurrence les commerces de proximité, risquent de payer un lourd tribut s'ils sont désaffectés. C'est pourquoi j'attire votre attention sur la nécessité de préserver le commerce de proximité, véritable lien social dans des zones rurales souvent de plus en plus désaffectées au profit des grandes villes et de leur périphérie.
Il faut conserver au dimanche son statut à part de jour de la semaine. Pour les chrétiens, c'est le jour du Seigneur. Pour Jean Dézert, héros du court roman Les Dimanches de Jean Dézert, de Jean de La Ville de Mirmont, ami de Mauriac,…
M. Xavier Darcos, ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville. Et excellent poète !
M. Philippe Armand Martin. …c'est le jour pour essayer tout ce que vantent les prospectus publicitaires qu'il a accumulés durant la semaine. Pour les enfants, c'est déjà l'ennui de se retrouver en classe le lendemain. Pour les oisifs, c'est le jour de la semaine où on va s'ennuyer tranquille et perdre son temps à regarder le temps se perdre. Pour les familles, c'est le jour où, enfin, après une semaine de travail, on se retrouve ensemble. Pour les sportifs et l'ensemble du tissu associatif, c'est le jour consacré à la pratique que l'on affectionne.
Dimanche est un jour unique. Tous les dimanches se ressemblent, surtout s'il pleut, mais dimanche ne ressemble à aucun autre jour de la semaine. Il faut relancer la consommation, certes, mais sans sombrer dans l’excès. Ne réduisons pas l'homme à son pouvoir d'achat. Un dimanche réussi n'est pas celui durant lequel on aura acheté une montre de luxe.
M. Alain Vidalies. Très juste !
M. Marcel Rogemont. Excellent ! Pas de Rolex !
M. Philippe Armand Martin. Un dimanche réussi, c'est un jour où le temps s'arrête pour offrir à qui sait le voir son entière plénitude : on rit, on pleure, on aime, on s'ennuie, on se fâche… On prend le temps de se retrouver seul ou avec ses proches. Le dimanche, c'est une petite vie en condensé. C'est ce dimanche auquel je tiens, comme bon nombre de nos concitoyens. C'est ce dimanche qu'il faut conserver. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. Christian Eckert. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président. La parole est à M. Christian Eckert.
M. Christian Eckert. Mon rappel au règlement se fonde sur l’article 58, alinéa 1, de notre nouveau règlement.
Notre groupe s’interroge fortement sur le déroulement de nos travaux.
M. Richard Mallié, rapporteur. C’est sûr, on n’entend que vous !
M. Christian Eckert. Ce matin, de nombreuses commissions se réunissent. D’après le feuilleton, c’est le cas de la commission des affaires économiques à 10 heures, de la commission des affaires étrangères à 9 heures 45, de la commission du développement durable à 9 heures 30, de celle des finances à 9 heures, et d’autres encore. Or l’article 41 du nouveau règlement dispose que « quand l’Assemblée tient séance, les commissions permanentes ne peuvent se réunir que pour terminer l’examen d’un texte inscrit à l’ordre du jour. » J’observe, au vu de l’ordre du jour des réunions de commission, que tel n’est pas le cas.
De même, aux termes de l’article 50, alinéa 3, du nouveau règlement « la matinée du mercredi est réservée aux travaux des commissions. Sous réserve des dispositions de l’article 48, alinéas 2 et 3, de la Constitution, au cours de cette matinée, aucune séance ne peut être tenue en application de l’aliéna précédent. » Or j’observe également que les dispositions des alinéas 2 et 3 de l’article 48 de la Constitution n’ont pas lieu de s’appliquer ici.
Au nom de mon groupe, je vous demande donc, monsieur le président, d’interrompre la séance de ce matin, pour le bon respect de notre nouveau règlement.
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. C’est clair !
M. le président. Mon cher collègue, si nous siégeons séance ce matin, c’est suite à la décision de la conférence des présidents, à laquelle participent tous les présidents, y compris votre président de groupe…
M. Jean Mallot. Et alors ?
M. le président.… et les présidents de commission,…
M. Jean Mallot. Et alors ?
M. le président. ...et la décision de siéger ce matin a été prise à l’unanimité.
M. Marcel Rogemont. Le règlement s’impose à chaque député !
M. le président. L’application du règlement est fonction de l’ordre du jour décidé en conférence des présidents. Il en a toujours été ainsi et il en est encore ainsi avec le nouveau règlement.
M. Alain Vidalies. Alors ce n’était pas la peine de faire un nouveau règlement ! Nous devons participer aux travaux de la commission à laquelle nous appartenons, sinon nous serons sanctionnés !
M. le président. Pas du tout, vous avez une bonne excuse. Ne vous inquiétez pas, je vous ferai un mot !
M. Richard Mallié, rapporteur. Qu’ils sont de mauvaise foi !
M. le président. La parole est à M. Jean Mallot.
M. Jean Mallot. Je me tiens strictement dans le cadre du rappel au règlement puisque, dans sa décision de validation de ce règlement, le Conseil constitutionnel a indiqué que, pour satisfaire aux exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire, les élus pouvaient continuer à faire des rappels au règlement.
Le règlement est clair. L’article 41 dispose que, quand l’Assemblée tient séance, les commissions permanentes ne peuvent se réunir que pour terminer l’examen d’un texte inscrit à l’ordre du jour. Or Christian Eckert vient de rappeler les indications portées au feuilleton, et chacun constate que nous ne sommes pas très nombreux dans l’hémicycle : nos collègues travaillent en commission.
M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales. Nous n’étions pas plus nombreux en séance hier soir !
M. Jean Mallot. Manifestement, un élément nouveau est intervenu depuis que la conférence des présidents, réunie hier matin à 10 heures, a arrêté l’ordre du jour : plusieurs présidents de commissions permanentes ont convoqué celles-ci et ces commissions siègent ce matin. Il faut, monsieur le président, que vous en preniez acte et que vous fassiez respecter notre règlement. Il y a deux possibilités pour cela. Soit vous demandez aux présidents des commissions concernées de suspendre leurs travaux et de nous rejoindre, avec leurs collègues, dans l’hémicycle. Soit vous faites droit à la demande de Christian Eckert de suspendre la présente séance, afin que les commissions puissent poursuivre leurs travaux et que nous-mêmes puissions y participer. Nous respecterons ainsi des dispositions du règlement qui sont de bon sens. Dans l’attente de votre décision, je demande, au nom de mon groupe, une suspension de séance d’une demi-heure.
M. le président. Monsieur Mallot, vous n’avez pas la délégation de votre groupe et je ne peux donc pas répondre favorablement à votre demande,…
M. Christian Eckert. Alors, je vais recommencer !
M. le président. …mais je sais les intentions de votre collègue qui a la délégation du groupe, donc c’est entendu. La demande est de droit. Cela dit, la suspension ne sera pas d’une demi-heure, évidemment, car je pense qu’une dizaine de minutes vous suffiront.
M. Alain Vidalies et M. Jean Mallot. C’est pour que vous, vous ayez le temps de décider !
M. Marcel Rogemont. Chaque fois qu’il y a une décision à prendre, vous interprétez le règlement à votre guise !
M. le président. Je vous en prie, ne mettez pas la présidence ou les services en cause ! Le règlement est appliqué à la lettre. Nous n’allons pas créer de l’agitation pour rien ce matin. Cette discussion générale a lieu dans le cadre du nouveau règlement, et chacun s’exprime en prenant tout le temps dont il estime devoir disposer. Appliquer le nouveau règlement donne d’ailleurs un peu moins de travail au président de séance, qui n’est plus obligé de couper la parole à l’orateur : c’est plus agréable pour tout le monde.
Nous respectons donc le nouveau règlement. Vous avez demandé une suspension de séance de quelques minutes, elle vous est accordée.
Suspension et reprise de la séance
M. le président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix heures cinq, est reprise à dix heures vingt.)
M. le président. La séance est reprise.
La parole est à M. Jean-Marc Ayrault, pour un rappel au règlement.
M. Jean-Marc Ayrault. La majorité a adopté le nouveau règlement de l’Assemblée nationale. Pour notre part, nous n’avons pas voté en faveur de ce texte et nous avons émis de nombreuses critiques à son sujet, mais, dès lors qu’il s’agit du règlement de l’Assemblée nationale, nous souhaitons qu’il soit pleinement respecté et, en conséquence, que soit appliqué le premier alinéa de son article 41 : « Quand l’Assemblée tient séance, les commissions permanentes ne peuvent se réunir que pour terminer l’examen d’un texte inscrit à l’ordre du jour. »
L’Assemblée peut donc siéger le mercredi matin, mais la décision prise par la Conférence des présidents en ce sens, afin de poursuivre la discussion générale, a pour conséquence que les commissions ne doivent pas se réunir concomitamment. J’aimerais, monsieur le président, que vous nous rassuriez, et que vous nous confirmiez que le règlement est bien respecté.
M. le président. Monsieur le président Ayrault, comme je l’ai déjà dit à l’un de vos collègues, l’ordre du jour a été fixé en conférence des présidents, en présence des présidents de commissions. Tout le monde a donc accepté que nous siégions ce matin.
Par ailleurs, la proposition de loi que nous examinons a été inscrite à l’ordre du jour par le Gouvernement ; des dispositions réglementaires ne peuvent pas venir contrarier cet ordre du jour.
En outre, hier, afin que le débat se déroule aussi bien que possible et pour ne pas interrompre M. Eckert, nous avons levé la séance du matin à treize heures quarante-cinq, ce qui ne se fait jamais, puisque nous la levons habituellement à treize heures. Cela est, en effet, contraire au règlement qui prévoit un délai minimal d’une heure trente entre deux séances – ne serait-ce que pour le personnel de l’Assemblée. Or, hier, personne ne s’est levé pour demander que la présidence interrompe M. Eckert. Je vous demande donc d’éviter de créer des problèmes ce matin, d’autant que nous sommes dans la discussion générale : chacun vient s’exprimer à la tribune et repart.
La parole est à M. Jean-Marc Ayrault.
M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le président, je vous remercie de nous apporter ces précisions.
Nous apprécions le fait que la présidence ait permis, hier matin, à notre collègue Christian Eckert de mener jusqu’au bout son exposé particulièrement brillant et précis. Nous pourrions objecter qu’il aurait été possible de l’interrompre pour lever la séance, et de lui redonner la parole lors de la séance suivante. Toutefois, il est certain qu’il était préférable qu’il s’exprime d’une seule traite. Mais si, dans cette situation, il appartenait à la présidence d’apprécier, pour le cas qui nous préoccupe, il s’agit d’une question de principe.
La grande difficulté du travail à l’Assemblée nationale réside dans la multiplication des réunions concentrées le mardi et le mercredi, au même moment, en séance publique et en commission, un peu à n’importe quelle heure. Ce n’est pas un hasard si l’article que j’ai cité a été inscrit dans le règlement. Même si nous n’avons pas voté ce dernier, il contient une série de dispositions que nous approuvons.
Parce qu’il y a séance publique ce matin, les présidents de commissions ne doivent pas convoquer celles-ci en même temps. Nous demandons seulement que l’on vérifie que cet article du règlement, approuvé, de fait, par les membres de la Conférence des présidents, est bien respecté.
Ce que nous ferons vaudra pour l’avenir. Si nous banalisons une telle pratique, il y aura régulièrement séance publique en même temps que les commissions se réuniront.
M. Jean Mallot. Cela se reproduira !
M. Jean-Marc Ayrault. Toutes les commissions pourront se réunir en même temps que nous siégeons et on dira : « Il n’y a personne dans l’hémicycle, les députés sont en commission. » En fait, on ne saura pas où sont vraiment les députés ; une telle dérive n’est pas souhaitable.
Il est bon de rappeler le principe posé par le règlement. Il n’est pas anodin, et il faut faire en sorte qu’il soit respecté. Il revient à la présidence de vérifier que la décision de la Conférence des présidents est bien effective.
M. le président. Monsieur Ayrault, comme tous ceux qui sont présents dans cet hémicycle, je partage votre point de vue ; nous souhaitons débattre sereinement, sans que la tenue de réunions de commissions empêche les députés de siéger dans l’hémicycle. (« Voilà ! » sur les bancs du groupe SRC.) Toutefois, votre raisonnement tient totalement la route dès lors que nous examinons des amendements sur le texte en discussion, mais, en ce moment, nous sommes dans la discussion générale. Or nous sommes tous des parlementaires chevronnés, et nous savons ce qu’est la discussion générale. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
M. Jean-Marc Ayrault et M. Jean Mallot. Il n’y a pas de différence !
M. le président. C’est la raison pour laquelle, en conférence des présidents, votre groupe n’a émis aucune objection. Soit nous ajoutions une séance ce matin, soit nous siégions samedi et dimanche !
La parole est à M. Jean-Marc Ayrault.
M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le président, je ne peux pas suivre votre raisonnement.
Je suis désolé de ne pas être d’accord avec vous : vous ne pouvez pas établir une hiérarchie dans les échanges des parlementaires selon qu’ils interviennent lors de la discussion des amendements ou lors de la discussion générale qui éclaire l’Assemblée. Lors de cette dernière, nous écoutons les interventions des uns et des autres, et à la fin, nos opinions peuvent évoluer. Pour notre part, nous présentons des arguments dans la discussion générale parce que nous avons un but : convaincre ceux qui, au départ, ne partagent pas notre point de vue. Évidemment, nous écoutons aussi ce que disent les autres.
La discussion générale n’est donc pas de nature secondaire ; vous ne pouvez pas établir de hiérarchie. Si vous me dites qu’il n’est pas grave que les commissions se réunissent pendant la discussion générale, cela signifie bien qu’elles se réunissent. Or je vous demande de me confirmer que tout a été fait, du côté de la présidence, pour que les articles du règlement concernés soient bien respectés ce matin. Ce qui vaut pour aujourd’hui vaudra aussi pour l’avenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. Nous allons clore ce chapitre.
Je vous rappelle que nous sommes dans le cadre d’une session extraordinaire décidée par le Président de la République ; nous ne sommes pas dans une session ordinaire. (Protestations sur les bancs des groupes SRC.)
MM. Jean-Marc Ayrault, Christophe Caresche et M. Jean Mallot. Et alors ! C’est le même règlement qui s’applique !
M. le président. J’ai apprécié que vous nous disiez que pendant la discussion générale tout le monde écoute. Je vous le rappellerai dans d’autres discussions générales, quand l’hémicycle sera encore plus dégarni que ce matin et qu’aucune réunion de commission ne se tiendra concomitamment.
M. Richard Mallié, rapporteur. Comme hier soir !
M. Jean Mallot. L’hémicycle est dégarni d’un côté et pas de l’autre !
M. Jean-Marc Ayrault. L’UMP doit être en commission !
M. le président. De nombreux membres du groupe socialiste doivent y être aussi !
M. le président. La parole est à Mme Catherine Coutelle.
Mme Catherine Coutelle. Monsieur le président, je ne suis pas une parlementaire chevronnée, mais, ce matin, je me sens écartelée entre la commission à laquelle j’appartiens – elle doit nommer des rapporteurs – et l’hémicycle.
À la veille de Noël, notre assemblée avait déjà été saisie en urgence d’un texte qui devait définir les dérogations au repos dominical. Face à l’émotion soulevée, et faute de réunir une majorité – la majorité est d’ailleurs aujourd’hui aussi peu nombreuse qu’alors –, ce texte avait été retiré.
Pendant les vacances d’été, sur l’injonction de l’Élysée, comme vous venez de le rappeler, monsieur le président, nous devons à nouveau débattre en urgence d’une proposition de loi dont la longueur du titre souligne l’ambiguïté. Quelle hypocrisie de prétendre « réaffirmer le principe du repos dominical », alors qu’il s’agit surtout de multiplier les dérogations en la matière !
C’est qu’entre-temps, notre pays a connu un incident diplomatique majeur : Mme Obama et ses filles ont voulu visiter les magasins parisiens un dimanche (Sourires sur les bancs du groupe SRC), et M. Sarkozy a dû téléphoner lui-même pour demander leur ouverture en toute illégalité.
Nous devrions donc comprendre qu’il y a urgence à discuter à nouveau de ce texte. Il y a urgence à modifier une nouvelle fois le code du travail ; il y a urgence à déréguler un peu plus le travail des salariés à temps partiel. Surtout, il y a urgence à légaliser l’illégal, l’usage constaté, et à étendre l’ouverture du dimanche à tous les commerces des communes touristiques.
Lors des vœux à la nation, en 2007, le Président de la République a annoncé qu’il voulait bâtir une société où la vie serait plus facile. À qui donc s’adressait ce message ? « La vie plus facile » pour qui ? Certainement pas pour les employés des commerces qui sont, pour 70 %, des femmes. En effet, ce texte ne répond nullement à l’attente de ces salariés. Une étude sur les conditions de travail, publiée en mai 2009 par le ministère de l’économie et par celui du travail, réalisée par la DARES, souligne – parmi de nombreux autres points – que les salariés dont les horaires sont atypiques sont ceux qui subissent le plus de contraintes. Il s’agit majoritairement de femmes ayant des emplois à temps partiel, le plus souvent non choisis. Plus de la moitié d’entre elles travaille moins de vingt-deux heures par semaine. On comprend que l’on veuille les faire travailler plus le dimanche pour qu’elles gagnent plus !
Selon cette étude, 15 % d’entre elles travaillent moins de quinze heures par semaine, le plus souvent en CDD, avec une disponibilité de tous les moments, entre neuf heures trente et vingt et une heures ou vingt-deux heures dans les grandes surfaces.
Lorsque le temps partiel est imposé, les horaires le sont également à 74 % – il n’y a aucun volontariat – et il n’est pas possible de trouver un autre emploi pour le compléter. Ces horaires atypiques, flexibles et toujours différents sont entrecoupés de pauses insuffisamment longues pour rentrer chez soi et alourdissent sérieusement les charges familiales, en imposant une multiplication des déplacements, ainsi que des gardes d’enfants à des horaires auxquels la nourrice coûte plus cher. Quant à la famille, quand elle est géographiquement proche, elle risque de se fatiguer si elle est également sollicitée pour s’occuper des enfants le dimanche.
Lorsqu’il était ministre, M. Xavier Bertrand avait annoncé qu’il voulait que les crèches soient ouvertes sept jours sur sept, avec de grandes amplitudes horaires, ce qui suppose que les salariés travaillent et le soir et le dimanche. Or il oublie qu’une fratrie comprend des enfants d’âge différent. Que feront les pères et mères célibataires de leurs enfants plus âgés ? La télévision servira-t-elle de baby-sitter ? Les communes devront-elles ouvrir des garderies le dimanche ?
Quant aux salariés qui travaillent ou qui sont prêts à travailler le dimanche, dont vous nous parlez si souvent, ils le font très rarement par plaisir. Il s’agit surtout pour eux d’améliorer leurs fins de mois, compte tenu de la faiblesse des salaires et du temps de travail dans les secteurs concernés. C’est ainsi que l’on en vient à travailler le dimanche pour essayer de gagner un peu plus.
En effet, comment vivre avec 850 euros par mois pour 35 heures par semaine ? Je ne cite pas ce chiffre par hasard : c’est la proposition qui a été faite à une jeune femme après qu’elle a répondu à une offre d’emploi. Responsable de son stand 35 heures par semaine, elle gagnera 850 euros par mois, auxquels s’ajouteront des primes en fonction des ventes pour atteindre le SMIC. Quant à son jour de repos, il sera variable. Cela se passe en 2009, à deux pas de l’Assemblée, dans un grand magasin chic du centre de Paris. Telle est la dure réalité que vous refusez de voir.
Votre proposition de loi est surtout révélatrice de l’exploitation de ces femmes et de ces hommes qui perçoivent des salaires trop faibles et sont soumis à une organisation défaillante du temps de travail. Aussi votre texte est-il un leurre : il concernera davantage de salariés que la précédente loi. La réaffirmation du droit au repos dominical est un leurre, car ce droit pourra disparaître si la commune est classée commune touristique. Le volontariat et les contreparties sont des leurres. Votre texte aggrave la situation existante et détruit l’équilibre créé par la loi de 1906, qui avait su concilier la nécessité légitime d’ouvrir les commerces le dimanche et les fondements de l’organisation sociale.
Les amendements ne suffiront pas. En effet, notre débat porte, non pas sur des détails, mais sur des principes, des choix de société. Une majorité de salariés considèrent comme primordial que le dimanche reste le jour de repos commun. La conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle est un souci majeur. Or le dimanche est le temps de la famille, du repos. Il permet de prendre du temps pour soi et pour les autres, de pratiquer des activités cultuelles, sportives, culturelles ou associatives. C’est la France des bénévoles, la France conviviale et généreuse des rencontres et des échanges.
La Déclaration universelle des droits de l’homme affirme que « toute personne a droit au repos, aux loisirs et notamment à une limitation raisonnable du temps de travail ». Quant à la Charte sociale européenne, ratifiée par la France en 1999, elle proclame, dans son article 2, que « les parties signataires s’engagent à assurer un repos hebdomadaire qui coïncide autant que possible avec le jour de la semaine reconnu comme jour de repos par les traditions et usages du pays ».
Le Président de la République fait de cette loi une question personnelle, voire un symbole. Nous, nous en faisons une question de justice, d’égalité, une question de société qui a trait aux droits de l’homme. Le marché n’a pas toujours raison, la crise nous l’a rappelé. Cette société-là, ce n’est pas la nôtre. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. Yves Albarello.
M. Yves Albarello. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui dans son ultime version n’est pas du tout l’expression de la volonté de quelques-uns d’imposer coûte que coûte le travail le dimanche, comme certains esprits, mal informés, je l’espère, voudraient le faire croire. Elle est, au contraire, le résultat d’une très large concertation, qui a duré des mois et qui a permis aux opinions les plus variées de se faire entendre.
Elle traduit donc un compromis auquel ont abouti des parlementaires de bonne volonté et désireux d’être constructifs, un compromis équilibré qui, selon les propos de notre excellent collègue Marc Le Fur, initialement opposé à ce texte, doit « permettre de sortir de l’hypocrisie ». (M. Jean Mallot s’exclame.)
Monsieur Mallot, je ne vous ai pas interrompu…
M. Jean Mallot. Si !
M. Yves Albarello. …et le président de votre groupe vient de rappeler combien il est important d’écouter les orateurs.
M. le président. Monsieur Mallot, je vais décompter vos interruptions de votre temps de parole !
M. Yves Albarello. Enrichissons-nous de nos différences pour faire évoluer le texte.
Car, actuellement, nous sommes véritablement dans l’hypocrisie.
M. Jean Mallot. Quel aveu !
M. Yves Albarello. En effet, nous savons tous que la vieille loi de 1906, votée dans la foulée de la loi de séparation et quelque peu conditionnée par celle-ci à l’époque, ne correspond plus du tout à la réalité actuelle. C’est tellement vrai qu’elle a été maintes fois remaniée, au point qu’elle est source d’incohérences, voire d’injustices, comme l’a souligné récemment le Président de la République.
On parle toujours des entreprises, jamais des salariés, monsieur le rapporteur. Or il y a une réalité concrète, celle des sept millions et demi de Français qui travaillent le dimanche, dont près de la moitié d’une manière régulière. Bon nombre d’entre eux sont en infraction avec la loi actuelle. Au moment où nous connaissons des difficultés économiques liées à la crise déclenchée il y a un an, n’est-il pas temps, n’est-il pas enfin raisonnable de leur donner la sécurité juridique nécessaire plutôt que de préférer, parfois pour des motifs fondamentalement idéologiques, les enraciner dans la précarité de l’emploi ? Car c’est bien à cela que conduirait une attitude négative d’hostilité de principe au présent texte.
Sachons aussi regarder plus loin. La France est un des grands pays touristiques du monde et les ressources que la fréquentation touristique apporte à notre pays nous sont absolument indispensables. Comment peut-on imaginer une économie faisant largement appel au tourisme tout en lui fermant la porte dans les faits en empêchant brutalement le travail le dimanche ?
Maire d’une commune d’Île-de-France à taille humaine, puisqu’elle compte 11 000 habitants, je suis quotidiennement confronté au problème. Le plus souvent, des personnes aux ressources modestes, des chefs de famille monoparentale, des jeunes couples, des étudiants, des personnes ayant perdu leur emploi viennent me trouver avec l’espoir d’obtenir un travail, même le dimanche, qui leur offrirait la possibilité de vivre, quelquefois même de survivre.
Il n’est pas question d’imposer le travail le dimanche.
M. Jean Mallot. Bien sûr que non : juste de le conseiller vivement !
M. Yves Albarello. Le principe du repos dominical subsiste. Mais, tout en le conservant, on doit pouvoir l’adapter à notre société, qui n’est plus la même qu’il y a un siècle.
La proposition qui nous est soumise est, sur ce point, très modeste et plus restrictive que les règles qui prévalent à l’étranger. Nous sommes en effet loin de ce qui se fait en Grande-Bretagne, où les commerces sont libres d’ouvrir tous les dimanches, et le texte est également plus restrictif qu’en Allemagne, en Italie, pays concordataire, ou encore en Espagne.
En outre, nous refusons que le travail le dimanche soit imposé aux salariés : il n’est concevable que sur la base du volontariat.
M. Jean Mallot. Vous voterez donc contre le texte !
M. Yves Albarello. L’accord du salarié est indispensable : nous respectons donc scrupuleusement sa volonté et sa liberté.
Enfin, en dehors des zones touristiques – dont la situation est très particulière et pour lesquelles toutes les précisions nécessaires devront être apportées lors de la discussion –, les salariés bénéficieront d’une rémunération double, avantage traduisant bien le caractère exceptionnel des dérogations au principe réaffirmé du repos dominical.
Mes chers collègues, il arrive un moment où le temps de l’élaboration des textes législatifs soumis à notre discussion doit prendre fin. C’est le cas de la présente proposition de loi. Nous avons été nombreux à y travailler depuis deux ans, remettant sans cesse sur le métier notre ouvrage, avec le souci de la perfectionner. Le résultat est à mon sens satisfaisant C’est pourquoi je voterai cette proposition de loi qui, tout en respectant un des engagements pris par le Président de la République lors de la campagne de 2007, apporte une réelle amélioration à une situation existante à laquelle il convenait de remédier. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Frédérique Massat.
Mme Frédérique Massat. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, bien que ses trois premières moutures se soient soldées par un échec, grâce à la mobilisation de l’opposition et de l’opinion publique ainsi qu’au cafouillage de la majorité, vous vous obstinez à présenter, une fois encore, cette proposition de loi, en la justifiant par son aspect restrictif et la crise économique.
Or, ne nous y trompons pas : en permettant de rendre permanentes et collectives les dérogations au repos dominical sur un territoire donné, vous engagez franchement la France dans la généralisation du principe du travail du dimanche. En franchissant ce pas, vous condamnez le repos dominical. Pourquoi revenir sur la réglementation existante ?
La législation européenne considère que le dimanche est le jour de repos hebdomadaire des enfants et des adolescents, ce qui n’est pas conciliable avec le travail des parents. Réunir, un jour par semaine, les parents et les enfants est l’aboutissement d’une vie familiale équilibrée, reflétant une société équilibrée.
Si l’on compare la situation de la France à celle de nos voisins européens, on constate que nous nous situons au-delà de la norme. La réglementation en vigueur offre en effet de nombreux assouplissements, qui permettent d’ouvrir à titre exceptionnel les commerces le dimanche dans des périodes très particulières, telles que les soldes ou les fêtes de fin d’année. Face à un tel constat, on ne peut que s’interroger sur les véritables raisons qui motivent votre acharnement à vouloir adopter ce texte.
Vous avez ainsi choisi l’été, le mois de juillet, durant lequel la mobilisation sociale est par définition restreinte, pour présenter un texte dont les Français ne veulent pas. J’en veux pour preuve la quantité de courriels et de lettres que nos concitoyens nous envoient depuis plusieurs semaines pour nous faire part de leur refus catégorique de voir un tel texte adopté.
Au-delà de notre opposition au travail dominical, nous combattons la conception de la société qui est la vôtre. Selon nous, le dimanche doit rester un jour de repos consacré à la famille, à la vie sportive, culturelle, associative et militante, mais aussi, tout simplement, au repos.
Pour nos concitoyens, l’ouverture des commerces le dimanche ne répond pas à une demande latente et répétée. En effet, quel est l’intérêt d’ouvrir les commerces un jour supplémentaire lorsque le pouvoir d’achat est en chute libre et que, même en temps normal, on ne peut pas faire ses courses ?
L’argument mis en avant par votre majorité, selon lequel l’ouverture des magasins le dimanche favoriserait la relance de la croissance, est tout simplement infondé. Ou alors, si l’on suit votre logique, il faut aller plus loin encore et ouvrir les commerces vingt-quatre heures sur vingt-quatre, la nuit, le jour, les jours fériés, du 1er janvier jusqu’au 31 décembre.
M. Jean Mallot. Et voilà !
Mme Frédérique Massat. De la même façon, justifier l’ouverture le dimanche par le succès du commerce en ligne, au prétexte que les achats à distance peuvent se faire également le dimanche, est une supercherie. En effet, le commerce à distance, qui se fait à domicile n’importe quel jour de la semaine et à n’importe quelle heure, ne sera en rien concurrencé par l’ouverture des commerces le dimanche.
Par ailleurs, l’apologie de la consommation n’est pas une fin en soi. Ce n’est pas élever l’homme que de le ravaler au rang de simple consommateur. Les activités habituellement pratiquées le dimanche sont, me semble-t-il, plus intéressantes et épanouissantes que de pousser un caddie dans un supermarché. Pensez-vous qu’il est plus bénéfique pour un enfant de passer son dimanche dans une galerie marchande que de se promener à la campagne, de visiter un musée ou, tout simplement, de discuter en famille ?
En outre, en banalisant le travail dominical, on fragilise toute une économie et des pratiques. Le dimanche est en effet le temps fort de la vie associative. Les fameuses rencontres entre sportifs amateurs tendront à disparaître si la moitié de l’équipe est contrainte de travailler le dimanche. Il en va de même pour les pratiques culturelles : d’un côté, vous dites vouloir favoriser leur démocratisation, mais, de l’autre, vous incitez les Français et les touristes à se rendre dans les boutiques plutôt que dans les musées. Quel paradoxe !
Pour les salariés concernés, ce texte représente un danger. Tout d’abord, il ne garantit pas le doublement de la rémunération des salariés qui travaillent déjà le septième jour de la semaine, créant ainsi deux catégories de salariés : ceux qui sont nouvellement concernés, et qui seront payés double, et ceux qui travaillaient déjà le dimanche, et qui seront payés normalement. Cette injustice est inadmissible !
De plus, une enquête menée par la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail démontre que la probabilité de maladies et d’absentéisme dans les entreprises travaillant le samedi et le dimanche est 1,3 fois plus élevée que dans les autres entreprises,
Je voudrais également revenir sur les conséquences d’une telle mesure pour la vie familiale de milliers de Français. Même si le travail dominical repose sur la notion de volontariat, il ne faut pas être dupe sur ce que cela signifie. Dans la pratique, la relation de subordination qui caractérise le lien entre l’employeur et son salarié empêchera toujours celui-ci d’être pleinement libre de refuser de travailler le dimanche. La menace n’a pas besoin d’être formulée pour être présente. Et en ces périodes de chiffres records du chômage, les salariés n’ont pas le choix et ils sont davantage enclins à accepter des situations qu’ils auraient, en temps normal, refusées.
M. Frédéric Cuvillier. C’est du chantage à l’emploi !
Mme Frédérique Massat. La vie familiale des personnes concernées s’en trouve chamboulée. En dépit des problématiques de garde d’enfants inhérentes au fait de travailler le dimanche, c’est tout un équilibre de vie qui s’effondre. Le dimanche, jour du repos collectif, permet actuellement aux individus de se retrouver et de passer du temps ensemble. C’est justement parce que la très grande majorité de nos concitoyens bénéficient d’un jour de repos en commun qu’il est fondamental pour nous de le sauvegarder. D’ailleurs, selon un récent sondage Ipsos – pour changer un peu des sondages OpinionWay, auxquels vous faites référence dans votre rapport – 84 % d’entre eux souhaitent que le dimanche reste le jour de repos commun.
Pour conclure, j’ai beau m’interroger, je ne vois pas quel intérêt il y aurait à voter un tel texte dont les avantages économiques sont si faibles comparés aux lourdes conséquences qu’il aura sur la vie des citoyens – à moins qu’il ne s’agisse que de légaliser des pratiques illégales en autorisant l’ouverture le dimanche d’établissements situés dans une zone commerciale où il existe déjà un usage constaté et pour concrétiser les promesses de campagne électorale du Président de la République.
Ce qui est sûr, c’est que ce texte va permettre des dérives futures visant, à terme, à rendre le travail du dimanche obligatoire pour tous les salariés d’établissements commerciaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean Bardet.
M. Jean Bardet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi vise non pas à généraliser le travail du dimanche, mais à régulariser une situation qui existe depuis des années. Je ne parlerai que des PUCE, la question des zones touristiques étant différente. (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC.) Je souhaite en effet évoquer le cas de ma circonscription.
M. Frédéric Cuvillier. Le député est représentant de la nation !
M. Jean Bardet. Le repos hebdomadaire remonte à une loi de 1906. Dans la France de 1906, essentiellement rurale et chrétienne, le dimanche apparaissait comme le jour de repos normal.
Mme Catherine Lemorton. Le principe de laïcité est toujours d’actualité !
M. le président. Allons, laissez les orateurs s’exprimer !
M. Jean Bardet. Depuis pratiquement la fin de la dernière guerre, certains magasins ont pris l’habitude d’ouvrir le dimanche sans que cela ne semble gêner personne. Ce n’est qu’il y a quelques mois que le syndicat FO, bientôt suivi par d’autres, a attaqué ces magasins devant le tribunal administratif.
J’avoue que je n’avais pas de philosophie en la matière. De culture chrétienne comme beaucoup de Français, le dimanche est pour moi un jour particulier, mais étant de profession médicale, j’ai toujours travaillé ce jour-là.
Mme Catherine Lemorton. Et alors ?
M. Jean Bardet. Personnellement, je ne me livre pas à une analyse savante des statistiques, j’écoute les électeurs de ma circonscription.
M. Philippe Plisson. Dommage que vous ne les entendiez pas !
M. Jean Bardet. S’ils étaient venus me voir en disant : « Monsieur le député, enfin on s’occupe de nous, on en a assez de travailler le dimanche sans que personne ne s’en soucie ! », j’aurais peut-être eu un avis différent.
En effet, qu’avez-vous fait, messieurs les bons apôtres, lorsque vous étiez au Gouvernement…
M. Jean Mallot. Il y a si longtemps !
M. Jean Bardet. …et connaissiez-vous même le problème ?
En fait, c’est tout le contraire qui s’est passé : des salariés et des étudiants de ma circonscription sont venus me voir à ma permanence. Ils ont manifesté devant l’Assemblée nationale en disant : « Nous, on veut travailler le dimanche, on le fait depuis des années, on s’est organisé comme cela ! ». Je n’ai reçu aucun syndicat, aucun travailleur hostile au travail du dimanche, non pas parce que je ne voulais pas les recevoir, mais parce qu’aucun ne m’a demandé rendez-vous !
M. Frédéric Cuvillier. Vous êtes représentant de la nation, pas seulement de votre circonscription !
M. le président. Un peu de silence, je vous prie ! Les députés de la majorité ont le droit de s’exprimer tout autant que les autres ! Ce sont les règles du débat démocratique dans cette assemblée.
M. Richard Mallié, rapporteur. C’est un scandale, monsieur le président, il n’y en a que pour eux !
M. le président. Reprenez, monsieur Bardet !
M. Jean Bardet. Merci, monsieur le président. J’espère que ces interruptions n’amputeront pas mon temps de parole.
Si des personnes hostiles au travail du dimanche étaient venues me voir, mon attitude serait peut-être un peu différente, car sans faire de démagogie, les hommes politiques sont aussi là, de temps en temps, pour faire la politique que réclament leurs électeurs.
Les adversaires de cette loi agissent plus par dogmatisme que par désir d’améliorer le sort des salariés. Ils ont des arguments qui, à mon avis, ne résistent pas au bon sens.
Premièrement, cette loi tend à autoriser une situation de fait contraire à la loi antérieure. C’est vrai, mais ce n’est pas la première fois que notre assemblée légalise des pratiques jugées antérieurement illégales. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
M. Jean Mallot. On va légaliser le cannabis ?
M. Jean Bardet. Deuxièmement, cette loi contraindrait les salariés non volontaires à travailler. C’est faux : elle reste sur la base du volontariat, sauf à tomber dans un procès d’intention comme le font certains.
Troisièmement, il est immoral d’encourager le travail du dimanche pour gagner plus. Tel n’est pas mon avis, dans la mesure où c’est un choix ; je pense en particulier aux étudiants. J’ai toujours travaillé quand j’étais étudiant.
Quatrièmement, le repos dominical, le jour du seigneur, c’est sacré. Depuis 1906, la situation a évolué : la France est un pays laïc, ce qui implique, pour moi qui suis catholique, un respect de toutes les religions, y compris de ceux qui n’en ont pas.
Cinquièmement, cela va détruire la vie de famille. C’est faux, tant du coté des salariés, dont beaucoup m’ont dit qu’ils s’étaient organisés et qu’au contraire cela leur permettrait de s’occuper mieux de leurs enfants en semaine, que du côté des clients. Aller dans un centre commercial le dimanche de temps en temps faire des courses avec ses enfants, choisir un lit ou un bureau, peut être un but. Aller au stade ou dans un musée peut en être un autre, mais là aussi, il y a des salariés qui travaillent le dimanche !
Cette loi a évolué depuis sa première mouture…
M. Jean Mallot. Elle a mal évolué. Elle est toujours aussi pernicieuse !
M. Jean Bardet. …et elle m’apparaît actuellement équilibrée. Aujourd’hui, il y a en France environ 7 millions de salariés qui, peu ou prou, travaillent le dimanche. Cette proposition de loi va permettre à 20 000 personnes de plus de le faire.
Enfin, la gauche affirme que l’ouverture du dimanche n’augmentera pas la consommation si l’on n’augmente pas le pouvoir d’achat,…
M. Jean Mallot. C’est exact !
M. Jean Bardet. …mais d’un autre côté, elle nous accuse de faire le jeu des grandes enseignes ! C’est pour le moins paradoxal !
M. Jean Mallot. L’ouverture du dimanche fait le jeu des grandes enseignes au détriment du petit commerce !
M. Jean Bardet. Pour terminer, et afin de retirer tout remords à ceux qui ont des scrupules cultuels, je voudrais vous citer deux passages de l’Évangile.
Luc dit, au chapitre 14, verset 1 : « Si l’un de vous a son fils ou son bœuf qui tombe dans un puits, ne va-t-il pas l’en retirer aussitôt même le jour du Sabbat ? »
M. Jean Mallot. Le sabbat, c’est le samedi !
M. Jean Bardet. Quant à Marc, il dit, au chapitre 2, verset 21 : « Le Sabbat a été fait pour l’Homme et non l’Homme pour le Sabbat ». Vous voyez que le problème ne date pas d’aujourd’hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. Jean Mallot. Remonter 5 000 ans avant Jésus-Christ pour trouver des arguments, il faut le faire !
M. le président. La parole est à Mme Marietta Karamanli.
Mme Marietta Karamanli. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je ne vais pas revenir sur le sabbat, même s’il y aurait beaucoup de choses à dire sur le sujet.
M. Jean Mallot. Vous pourriez faire votre intervention en grec, chère collègue, c’est une si belle langue !
Mme Marietta Karamanli. J’ai prévu de faire quelques références à la Grèce.
L’idée de notre Président d’étendre les dérogations au repos du dimanche au-delà ce qui était initialement prévu par le code du travail, telle qu’elle est reprise aujourd’hui par cette proposition de loi, est une idée « impériale », j’entends par-là une idée digne de l’intuition d’un empereur. S’il nous entend, il sera heureux de se savoir comparé à un tel personnage !
Toutefois, cette proposition marque une rupture en mettant fin à dix-sept siècles d’histoire. C’est en 321 de notre ère que l’empereur romain Constantin a fait du dimanche un jour férié obligatoire ne connaissant qu’une exception : les travaux des champs, c’est-à-dire les travaux qui ne peuvent attendre.
M. Jean Mallot. C’était un « plan de campagne » avant l’heure !
Mme Marietta Karamanli. Si certains entrent dans l’histoire parce qu’ils bâtissent, d’autres sont, il est vrai, malheureusement cités parce qu’ils défont ! On se souvient de certains parce qu’ils permettent un progrès, d’autres parce qu’ils défendent une version trompeuse de la réalité.
Depuis plusieurs mois, le Président de la République explique qu’il faudrait ouvrir le dimanche pour répondre aux demandes des touristes, permettre à des salariés de travailler et de gagner plus sur la base du volontariat et donner, enfin, la possibilité aux familles de faire leurs courses.
Le raisonnement est simple et surtout trompeur. Il est trompeur pour au moins trois raisons. D’abord, la législation actuelle autorise déjà le travail le dimanche. Ensuite, la façon dont est proposée la dérogation relève de l’amphibologie, une formule de style porteuse d’ambiguïté dans les mots et d’incertitude sur la réalité.
M. Frédéric Cuvillier. Ah !
M. Jean Mallot. Très bien !
Mme Michèle Delaunay. Enfin, le niveau du débat s’élève !
Mme Marietta Karamanli. Enfin, le texte participe d’une « réification » sociale, c’est-à-dire d’une généralisation des échanges marchands où les choses priment sur les individus.
Certaines entreprises sont autorisées de manière permanente à organiser le travail le dimanche. Il s’agit non seulement des entreprises industrielles dont la production nécessite un fonctionnement continu au regard de la nature des produits, mais aussi des établissements de vente de denrées alimentaires au détail – dans lesquels le travail du dimanche est autorisé jusqu’à douze heures –, des établissements fabriquant des produits alimentaires à consommation immédiate, des hôtels et des restaurants, et caetera.
D’autres sont autorisées, sous certaines conditions, à organiser de manière permanente le travail le dimanche, par exemple des entreprises industrielles fonctionnant avec des équipes de suppléance et couvertes par un accord collectif étendu prévoyant le travail le dimanche.
Enfin, les commerces de détail non alimentaires habituellement fermés le dimanche ont la possibilité d’ouvrir cinq dimanches par an sur autorisation du préfet.
M. Richard Mallié, rapporteur. Ce n’est pas le préfet, c’est le maire !
Mme Marietta Karamanli. La proposition qui nous est soumise modifie donc en profondeur le régime de la dérogation.
Nonobstant ce changement de perspective sociale, au plan économique, l’extension d’ouverture des magasins permettra seulement un étalement des achats et en aucune façon une augmentation du pouvoir d’achat des consommateurs, notamment des plus modestes.
La rédaction même du texte relève de ce qu’on appelle l’amphibologie. Ce mot vient du grec et veut dire « frappé des deux côtés » ou « équivoque ».
M. Jean Bardet. Il y en a qui parlent anglais et d’autres qui parlent grec, dans cet hémicycle !
Mme Michèle Delaunay. Il y en a aussi qui citent Luc pour justifier l’autorisation du travail du dimanche !
Mme Marietta Karamanli. Je parle français, monsieur Bardet.
L’article 2 indique en effet que « les établissements de vente au détail situés dans les communes touristiques ou thermales et dans les zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente peuvent, de droit, donner le repos hebdomadaire par roulement pour tout ou partie du personnel ».
La définition de « touristique » ou de « zone touristique », la détermination de ce qu’est une « affluence exceptionnelle », ou encore la référence à une « animation culturelle permanente » sont suffisamment floues et extensibles pour que le mot même de dérogation puisse perdre tout ou partie de son sens.
Je note au passage que le texte, à raison même de son périmètre large, ne fait aucun renvoi exprès à la réglementation posée par le code du tourisme. Cette dérogation devenant possiblement la règle dominante pourrait donc toucher, au travers des grandes métropoles et grandes villes, une majorité des 1,7 million de salariés qui travaillent dans le commerce de détail, soit une part significative des salariés français.
Sur le blog de M. François Fillon, notre Premier ministre – sous-titré : « La France peut supporter la vérité » –, j’ai lu hier : « Nous voulons que toutes les réformes législatives fassent d’abord l’objet d’un avis des partenaires sociaux. Nous essayons d’entrer dans une logique de négociation sociale qui est celle qu’un pays comme la Suède connaît depuis longtemps ».
Où est donc cette vérité chère au Premier ministre ? Car cette réforme importante n’a fait l’objet d’aucune négociation sociale importante, et encore moins d’un accord social ! Le ministre du travail s’est contenté de dire que ladite proposition pourrait « évoluer » après « une grande concertation avec les syndicats ». Mais le Président et sa majorité pouvaient organiser la concertation avant l’examen du texte – je rappelle que nous en sommes à la quatrième version. Ils ne l’ont pas fait et c’est dommageable.
Pour en revenir au texte, à l’ambiguïté de rédaction fait pendant une incertitude sur la réalité.
Toujours à l’article 2, le texte fait état d’une possibilité de refus par le salarié. C’est le fameux volontariat dont on nous parle tant. Au plan social, l’idée d’une réglementation spécifique par le droit du travail correspond bien à l’idée que les salariés ne sont pas dans une relation contractuelle classique dont ils auraient la maîtrise. Ils ne peuvent, dans bien des cas, qu’adhérer au contrat qui leur est proposé. Penser que la plupart de ceux qui « choisiront » de travailler le dimanche le feront sans contrainte soit hiérarchique soit salariale est donc illusoire.
De façon plus générale, cette nouvelle modification des règles sociales va devenir un élément de concurrence entre les entreprises d’un même secteur. Les salariés d’une entreprise seront donc soumis au chantage d’un alignement par le bas du fait d’un accord accepté ou d’une pratique adoptée dans une entreprise voisine. Bon nombre de députés ont eu l’occasion de constater le chantage auquel se livraient des entreprises industrielles en menaçant de délocaliser. Ici, nul besoin de délocaliser, les salariés des entreprises de commerce devront s’aligner sur celles qui ouvriront.
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Eh oui !
Mme Marietta Karamanli. On aura ainsi une extension progressive du travail le dimanche avec, en prime, une aggravation des inégalités entre salariés, avec des travailleurs pauvres travaillant un peu et gagnant un peu plus que la moyenne le dimanche, et des travailleurs à temps partiel travaillant la semaine mais gagnant moins que les précédents.
Enfin, ce raisonnement est trompeur parce que, de façon plus fondamentale, l’extension de l’ouverture des magasins est le signe d’une « réification » sociale, c’est-à-dire d’une généralisation des échanges marchands où les choses priment sur les individus. J’estime que nous produisons pour satisfaire des besoins matériels – alimentation, vêtements, logement et équipements, soins, loisirs – mais que nous avons aussi des besoins affectifs et moraux.
La satisfaction de nos besoins matériels domine logiquement notre quotidien, mais produire et vendre n’est pas la finalité de notre vie. Ce qui constitue notre finalité humaine c’est, me semble-t-il, de faire autre chose que produire et vendre. C’est, par exemple, connaître et développer notre savoir sur nous, les autres, la société et améliorer les relations que nous avons ensemble.
Cette position qui peut sembler un peu philosophique est confortée par l’analyse économique : là où le temps de travail est plus limité, la productivité est généralement meilleure. Le phénomène est général, ce qui montre que la réduction du temps de travail fait partie des composantes du développement économique, les économies performantes et développées ayant presque toujours une durée hebdomadaire du travail plus faible.
Face à la crise qui touche les Français, et notamment les plus modestes, c’est d’une véritable relance que nous avons besoin et pas spécialement d’une amplitude plus large du temps d’ouverture des magasins. Réfléchissons à tous ces éléments et faisons en sorte qu’après l’examen des articles, la raison et le bon sens l’emportent. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Depierre.
M. Bernard Depierre. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, le principe du repos le dimanche est un principe fondamental de notre droit social depuis 1906, et aujourd’hui nul n’envisage de le remettre en cause. Le débat a fait couler beaucoup d’encre mais il faut le resituer dans son contexte.
Ce texte n’a rien de révolutionnaire puisqu’il tend seulement à redéfinir les dérogations à la règle du repos dominical. Le dimanche n’est pas un jour comme les autres et doit rester différent pour des raisons familiales, cultuelles, associatives, culturelles, sportives. Cependant, chers collègues, vous le savez aussi bien que moi, il existe aujourd’hui dans notre pays pas moins de 180 dérogations au principe du repos dominical, dérogations qui concernent des domaines très divers, tels que la santé, la sécurité, la communication, les loisirs, la restauration, ou encore le transport.
Cela nous a conduits à un point tel que, pour dire les choses telles qu’elles sont, plus personnes n’y comprenait plus rien. D’ailleurs, ce débat a été lancé en raison des décisions rendues par les tribunaux, ce qui prouve que les règles actuelles sont tout autant floues qu’inadaptées. Il est donc vraiment temps d’introduire un peu de clarté dans cette réglementation pour le moins confuse, tant pour les entreprises qui mettent ces dérogations en pratique que pour les salariés.
M. Frédéric Cuvillier. Ce n’est pas une raison pour aggraver les choses !
M. Bernard Depierre. C'est la raison pour laquelle nous souhaitons faire évoluer la législation actuelle. Je tiens à saluer à ce titre non seulement le courage et la persévérance de Richard Mallié, mais aussi l’écoute dont il a su faire preuve pour que, aujourd’hui, l’ensemble des députés de la majorité se retrouve uni dernière ce texte de loi.
M. Frédéric Cuvillier. On va voir !
M. Bernard Depierre. Chers collègues je vous en prie, ne nous trompons pas de débat. Ne caricaturons pas. Nous ne sommes pas appelés à trancher un débat de société pour savoir si l’on est pour ou contre le travail le dimanche : comme l’indique le titre de cette proposition de loi, il s’agit de déterminer les dérogations possibles au principe du repos dominical.
M. Frédéric Cuvillier. Vous vous cachez derrière votre petit doigt !
M. Bernard Depierre. Le dispositif proposé est clair : il n’entend pas généraliser le travail le dimanche, ni même révolutionner le droit en vigueur. Il vise simplement à corriger certaines anomalies. Nous allons ainsi devoir répondre à plusieurs problèmes existants.
D’abord, dans les zones où le travail dominical se pratique déjà couramment, c’est-à-dire dans les grandes agglomérations, Paris, Marseille, Lille,…
M. Christian Eckert. Lyon !
M. Bernard Depierre.… il faut permettre aux salariés qui ont l’habitude et la volonté de travailler le dimanche de continuer à le faire, et ce avec toutes les garanties qui s’imposent tant sur le plan du volontariat que de la question salariale.
Ensuite, dans les zones touristiques, il faut permettre à tous les commerces de détail d’ouvrir le dimanche, à l’exception, bien sûr, des grandes surfaces alimentaires afin de protéger les commerces de proximité et de quartiers.
Je partage également la volonté du rapporteur d’inscrire une réalité dans le droit, à savoir autoriser les commerces alimentaires à fermer à 13 heures au lieu de 12 heures actuellement.
Enfin, je me réjouis que, par rapport au texte déposé au mois de novembre, ait disparu le volet qui, à la demande de la grande distribution, faisait passer de cinq à huit le nombre des journées pour lesquelles le maire pouvait donner une autorisation d’ouverture.
Chers collègues, le dispositif de ce texte concilie à la fois bon sens et équilibre puisque, sans pour autant remettre en cause le repos dominical, il permet de préserver les emplois, voire d’en créer. Pour les salariés appelés à travailler le dimanche, le texte prévoit la base du volontariat avec doublement du salaire dans les PUCE…
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. C’est faux !
M. Bernard Depierre.…, repos compensateur et, bien sûr, droit de refus et de réversibilité de leur position quant au volontariat.
M. Frédéric Cuvillier. Mais non !
M. Bernard Depierre. Ce texte va dans le sens de la modernité et prend en compte la position de la France, première destination touristique du monde. C’est également un texte raisonnable : il s’agit en fait d’aménager des dérogations qui sont déjà dans la loi.
M. Christian Eckert. Comptez là-dessus !
M. Bernard Depierre. Face à la crise que nous connaissons aujourd’hui, je me félicite donc de constater que le groupe auquel j’appartiens est toujours aux côtés des salariés, dimanche compris. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. - Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
M. Alain Vidalies. Vous êtes à leurs côtés uniquement le dimanche !
M. Philippe Plisson. Vous les soutenez comme la corde soutient le pendu !
M. le président. La parole est à M. Guénhaël Huet.
M. Guénhaël Huet. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, évoquer le travail dominical n’est ni interdit ni anodin. En premier lieu, il n’est pas interdit de s’interroger sur l’évolution de notre société sur nombre d’aspects, économique, social, culturel et familial. Ainsi, personne ne peut contester qu’il y a, depuis plusieurs années, une évolution des modes de consommation dans notre pays.
Il n’est pas interdit non plus de s’interroger en période de crise économique sur le volume de consommation supplémentaire que pourrait générer l’ouverture des commerces le dimanche. Sur ce point, une analyse prudente impose de considérer que le pouvoir d’achat des ménages n’est pas extensible à souhait et qu’il y a de bonnes raisons de penser que l’on assistera pour l’essentiel à un simple transfert de chiffre d’affaires d’un jour sur l’autre.
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. C’est vrai !
M. Guénhaël Huet. Il n’est pas interdit non plus de s’interroger sur la volonté manifestée par de nombreux salariés de travailler le dimanche car, effectivement, dans certaines grandes zones commerciales, des habitudes ont été prises et des emplois dépendent directement de l’ouverture le dimanche.
Inversement, on peut également se poser la question de savoir s’il appartient au législateur d’intervenir pour légaliser des pratiques illégales. Je n’ignore pas l’existence de la procédure des validations législatives. Mais force est de constater qu’elle était jusque-là limitée à des sujets ou des catégories juridiques plus réduits et plus spécifiques.
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Très bien !
M. Guénhaël Huet. Il n’est pas davantage interdit de s’interroger sur l’actuel désordre juridique qui règne en la matière dans les zones à vocation touristique. Rien, sauf une vision très abstraite et très décalée de la société et de l’économie, ne peut en effet justifier, monsieur le rapporteur, que, dans le même secteur, certains commerces puissent ouvrir le dimanche et d’autres non.
Il n’est enfin pas interdit de s’interroger sur la lourdeur et la complexité des régimes dérogatoires au repos dominical, que Bernard Depierre vient d’évoquer.
Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, il y a donc bien une légitimité à s’interroger sur le travail dominical. Mais chacun doit bien reconnaître que notre débat n’est pas anodin, loin s’en faut ! Il n’est pas anodin, car il ne saurait être réduit au risque de réduire aussi l’individu lui-même à des aspects purement économiques et juridiques. En effet, poser le problème du travail dominical, c’est aborder un sujet de fond qui porte en germe une évolution importante de nos comportements, de notre mode de vie et, au final, d’un certain équilibre de notre société.
Chacun a bien conscience, notamment en situation de crise économique, qu’il est nécessaire de maintenir la consommation et de soutenir la croissance. Mais l’imperium des chiffres et des statistiques ne doit pas nous faire oublier que l’individu n’est pas seulement un producteur et un consommateur et que notre responsabilité politique consiste à construire une société équilibrée.
M. Frédéric Cuvillier. Très bien !
M. Guénhaël Huet. L’épanouissement individuel et la cohésion sociale repose certes sur des facteurs économiques, mais également sur des valeurs sociales et morales qu’il ne faut ni banaliser ni négliger.
Servir le court terme ne doit pas nécessairement conduire à sacrifier le long terme. Or je nourris – je l’ai indiqué à mon ami Richard Mallié – des inquiétudes sur une généralisation progressive du travail dominical. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
À cet égard, la reconnaissance des périmètres d’usage de consommation exceptionnelle pose un vrai problème. Comment peut-on en effet expliquer et soutenir que l’enseigne X située à Paris, Lyon ou Marseille pourra ouvrir le dimanche alors qu’elle ne pourra pas le faire sur le reste du territoire national ?
M. Marcel Rogemont. Exactement !
M. Guénhaël Huet. Il y a là une contradiction qui, je le crains, ne résistera pas longtemps à l’épreuve du temps. Il y a là une contradiction qui, un jour ou l’autre, sera levée.
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Voilà un propos courageux !
M. Guénhaël Huet. Je souhaite le rappeler, les grandes agglomérations ne sont pas et ne font pas la France à elles seules. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Je reconnais que des verrous ont été mis dans ce texte et je voudrais saluer l’esprit d’ouverture de Richard Mallié. Mais je crains qu’ils ne résistent pas longtemps à l’épreuve du temps, aux pressions de l’économie et que, dans quelques années, le travail dominical ne devienne effectivement la règle. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. Christian Hutin.
M. Christian Hutin. Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, le président de la commission des affaires sociales n’est pas présent pour l’instant, mais il a bien connu un Président de la République qui avait inventé le concept du « temps libre ». Ça n’a pas duré longtemps !
Nous connaissons, nous, un Président de la République qui a inventé le concept du « temps contraint ». Nous en faisons l’expérience aujourd’hui à l'Assemblée nationale, mais bientôt, malheureusement, ce seront les salariés et les familles qui le subiront ; c’est aux activités intellectuelles, spirituelles, sportives ou festives qu’il s’appliquera.
Je suis un modeste fils de commerçant. Ma maman était fleuriste, et son travail de fleuriste m’a permis de faire des études de médecine. Une grande partie de ce qu’elle a gagné, elle l’a gagné le dimanche matin, car le dimanche matin les grandes surfaces étaient fermées. Elle se levait tôt, terminait tard et, sans subir la concurrence de ces grandes surfaces, elle réussissait à gagner sa croûte. Je mesure donc les problèmes qui vont se poser pour bon nombre de nos petits commerçants, comme ils se posent déjà pour les artisans ayant le statut d’auto-entrepreneur.
Je suis également maire d’une commune de 23 000 habitants, Saint-Pol-sur-Mer, qui n’est pas une commune touristique. Elle a perdu sa façade maritime il y a une cinquantaine d’années, à cause de sa pauvreté, le maire n’ayant pas l’argent pour électrifier cette façade. Nous avons en revanche un magnifique beffroi, qui possède les plus hauts jaquemarts du monde et que je vous invite à venir visiter, monsieur le ministre.
Mme Catherine Lemorton. Dans ce cas, vous êtes en zone touristique !
M. Christian Hutin. Il se trouve par ailleurs que Saint-Pol est à quatre cents mètres de Dunkerque, qui, elle, est commune touristique. Ce sont sans doute mes origines modestes qui m’empêchent de rien comprendre à ce projet de loi. Suis-je une commune d’affluence touristique ? Suis-je un affluent touristique du fleuve Dunkerque ?
Ce que je tiens à dire simplement c’est que ce « plan de campagne » (Sourires) que l’on aurait aussi bien pu appeler plan Auchan, nous conduit à un carrefour de choix de société.
M. Marcel Rogemont. Excellent !
M. Christian Hutin. S’il y a des gagnants dans ce projet de loi ce seront les actionnaires de Carrefour ou Auchan. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. Richard Mallié, rapporteur. Vous n’avez rien compris !
M. Christian Hutin. Sans doute parce que j’ai des origines modestes !
M. Richard Mallié, rapporteur. Moi aussi ! Vous n’avez rien à m’apprendre à ce sujet !
M. le président. La parole est à Mme Catherine Lemorton.
Mme Catherine Lemorton. Monsieur Bardet, vous m’avez navrée.
M. Jean Bardet. Je suis navré de vous avoir navrée !
Mme Catherine Lemorton. Vous faites un parallèle entre l’ouverture des commerces le dimanche et le travail des professionnels de santé, ce qui revient donc à faire de la santé un bien marchand.
M. Jean Bardet. Je n’ai fait aucun parallèle de ce genre !
M. le président. Monsieur Bardet !
M. Jean Bardet. J’ai dit que j’étais médecin et qu’à l’époque où j’étais étudiant j’avais travaillé le dimanche !
M. le président. Monsieur Bardet, s’il vous plaît ! Je souhaite que l’on n’interrompe pas les orateurs.
M. Richard Mallié, rapporteur. Mais c’est une attaque personnelle ! C’est scandaleux !
M. le président. Les faits personnels sont traités en fin de séance.
Madame Lemorton, veuillez poursuivre.
Mme Catherine Lemorton. Il n’y a dans mes propos aucune attaque personnelle, mais je ne comprends pas que l’on puisse évoquer ici les professionnels de santé, qui sont astreints, dans le cadre de la permanence des soins, à des gardes censées répondre à des besoins urgents. Or acheter une savonnette un dimanche n’est pas une urgence vitale pour nos concitoyens.
M. Jean Mallot. Et une machine à laver encore moins !
Mme Catherine Lemorton. Si nous poussons plus loin le raisonnement, les professionnels de santé n’ont qu’à demander le même statut juridique que les commerçants.
Quand j’entends dire ensuite que certains Français préfèrent travailler le dimanche pour mieux s’occuper de leurs enfants pendant la semaine, les bras m’en tombent ! Dans quel monde vit-on ? À moins de vivre dans une secte, les enfants, en France, sont scolarisés, gardés dans des haltes-garderies ou des crèches, où ils sont socialisés. Je ne comprends donc pas cet argument, et les Français en percevront comme moi l’absurdité.
M. Richard Dell'Agnola. Et le mercredi ?
Mme Catherine Lemorton. S’agissant enfin de la religion et de la laïcité, faite pour protéger les religions de chacun, il y a une vraie différence doctrinale entre le sabbat et le dimanche.
M. Jean Bardet. Heureusement que j’ai parlé avant vous ! Sinon qu’auriez-vous eu à dire ?
M. le président. Monsieur Bardet !
Mme Catherine Lemorton. Le sabbat est l’application judaïque de la Genèse, du septième jour, repos de Dieu ; le dimanche est la sanctification du premier jour de la semaine, en rappel hebdomadaire de Pâques. Pour les chrétiens, le dimanche est donc un jour de repos que l’on consacre à Dieu.
M. Richard Dell'Agnola. Vous vous trompez ! Cela remonte à Saint-Paul, quatre siècles après !
Mme Catherine Lemorton. Lorsque l'on interroge un cadre de l’UMP au sujet de cette proposition de loi, les arguments qu’il avance tournent toujours autour de trois notions : la clarification du droit, la promotion de la liberté individuelle et l'adhésion populaire. Permettez-moi donc, mes chers collègues, de revenir d'abord sur ces trois notions.
Comment, en premier lieu, parler de clarification du droit, quand l'origine de cette proposition de loi se situe dans la volonté de certains députés UMP – de l’un d’entre eux, au moins – de venir en aide à de grandes surfaces ouvrant en totale illégalité depuis longtemps ?
M. Frédéric Cuvillier. Eh oui !
Mme Catherine Lemorton. Tel est le cas –notamment – de la zone située à Plan-de-Campagne, dans les Bouches-du-Rhône, zone où l'ouverture au public s'effectue sept jours sur sept. Au-delà de ce léger problème juridique, Plan-de-Campagne est aussi une zone de non-droit pour les salariés des enseignes concernées, qui ne cessent, depuis des années, de dénoncer des conditions d'embauche et des contrats parfaitement scandaleux. Il suffit de se rapprocher – ce que nous avons fait – de la première centrale syndicale venue, pour avoir confirmation, exemples à l'appui, de l'étendue de cette situation.
Entendre dans ces conditions des responsables politiques nationaux évoquer une « clarification » du droit sur le repos dominical pour justifier un texte qui trouve son origine dans des situations illégales ne me semble pas être un argument recevable.
Comme Catherine Coutelle, il me semblait que le rôle du législateur était de faire des lois que chacun doit respecter. J’ai donc l’impression que l’on marche sur la tête : Voici que nous produisons des lois pour rendre légales des situations illégales !
M. Jean Bardet. N’est-ce pas ce qu’on a fait avec l’IVG ? Une loi pour la rendre légale alors qu’elle était illégale ? (Vives protestations sur les bancs du groupe SRC.)
Mme Catherine Lemorton. Quelle comparaison déplacée, monsieur Bardet ! Quelle honte !
M. Jean Bardet. Je ne dis pas que je suis contre, je donne un exemple ! (Nouvelles protestations sur les bancs du groupe SRC.)
M. Alain Vidalies. C’est scandaleux !
M. le président. S’il vous plaît, seule Mme Lemorton a la parole.
Mme Catherine Lemorton. J’espère que le compte rendu de nos débats rendra compte de ce que l’on vient d’entendre.
M. Jean Mallot. M. Bardet a dérapé !
M. Jean Bardet. Je n’ai pris l’IVG que comme exemple !
M. Jean Mallot. Il y a de meilleurs exemples !
Mme Catherine Lemorton. Comment ensuite évoquer la « liberté » laissée au salarié de décider si, oui ou non, il travaillera le dimanche, lorsque l’on connaît un tant soit peu le monde du travail et le contexte économique actuel ? La naïveté affichée par certains cadres de l’UMP est parfois atterrante.
Dans le monde de l'entreprise existe un rapport, le rapport de subordination – et non, comme on l’a entendu hier soir, le rapport de partenariat –, qui fait que les liens entre les salariés et les employeurs se fondent non pas sur la liberté des uns par rapport aux autres mais bel et bien sur ce que peuvent exiger les seconds des premiers. Je doute qu’un salarié qui somme son employeur de le laisser travailler le dimanche ou, au contraire, de lui laisser ce jour-là son repos traditionnel, puisse envisager, après cela, la progression de sa carrière en toute sérénité, a fortiori dans un contexte économique très dur, qui soumet les salariés comme les employeurs à d’extrêmes tensions et dans lequel les rapports de subordination se trouvent exacerbés par la chute générale de l'activité. Là encore, votre argument choc ne résiste pas un instant à la confrontation avec la réalité.
Comment, enfin, évoquer l'adhésion « populaire » que susciterait ce texte ? Nous le savons, l'UMP, à l'instar de M. Guaino, doit imaginer que les sondages sont idiots, mais la constance de certaines conclusions plaide malgré tout pour une tendance lourde parmi les Français, et cette tendance lourde est que nos concitoyens souhaitent conserver le repos dominical.
Nous avons tous reçu des milliers de mails, nous interpellant sur le maintien du repos dominical. Dans ma circonscription, qui comporte 71 000 électeurs, ils sont quatre à m’avoir écrit pour plaider en faveur de la liberté de travailler le dimanche. Tous les autres, soit plus de deux mille, m’ont écrit pour défendre le maintien du repos dominical.
M. Jean Mallot. La proportion est intéressante !
Mme Catherine Lemorton. C’est assez significatif, me semble-t-il, comme est significatif le contenu des courriers dont je vais vous donner lecture.
Anne-Marie C., professeure des école, électrice de Haute-Garonne : « Je tenais à vous informer que j’ai signé la pétition de soutien au repos dominical, dont vous trouverez le texte ci-dessous. »
Michel M., ingénieur, Toulouse : « Je ne suis pas opposé à tout changement mais, en l’occurrence, l’asymétrie entre le pouvoir de l’employeur et celui du salarié est tel que le volontariat est un leurre. »
Marie-Thérèse R., retraitée, Toulouse, « Que faire des enfants lorsque les parents travaillent et qu’il n’y a pas de grands-parents à l’horizon ? Les crèches et les écoles seront-elles ouvertes aussi ? »
M. Jean Mallot. Richard Mallié les gardera !
Mme Catherine Lemorton. Marc B., « À partir du 7 juillet prochain, vous allez être amenée à voter pour ou contre le travail du dimanche. Je suis très inquiet de cette nouvelle attaque contre les salariés de la grande distribution. Marié à une caissière en hypermarché et moi-même ancien vendeur, je connais bien les contraintes horaires imposées par les directions, le chantage à l’emploi pour les temps partiels, les salaires ridicules et la vie de famille perturbée. J’espère vraiment que vous refuserez cette nouvelle loi et saurez en convaincre vos collègues. D’avance, merci. Il ne faut pas que les droits des géants de la distribution passent avant les droits des travailleurs à avoir une vie de famille, et avant les emplois que peuvent générer les petits commerces. »
M. Richard Dell'Agnola. Il n’est pas question des grandes surfaces dans ce texte !
Mme Catherine Lemorton. Bien sur, il est facile de poser une question orientée, biaisée et malhonnête intellectuellement, en demandant par exemple si l'ouverture des magasins le dimanche serait ou non vécue comme une avancée.
M. Richard Mallié, rapporteur. Que fait Libération dans ses sondages ?
Mme Catherine Lemorton. Quand on demande aux gens s’ils veulent que les magasins ouvrent le dimanche, 45 % répondent favorablement. En revanche, quand on leur demande s’ils seraient prêts à travailler le dimanche, ils répondent non pour les deux tiers d’entre eux !
M. Richard Mallié, rapporteur. Et le tiers restant ?
Mme Catherine Lemorton. Je pensais qu’on légiférait selon les vœux de la majorité, monsieur le rapporteur.
M. François Loos. On légifère pour tout le monde !
M. Richard Mallié, rapporteur. Et la liberté de travailler ?
M. Christophe Caresche. La liberté des uns s’arrête où commence la liberté des autres !
Mme Catherine Lemorton. Si les Français répondent donc instinctivement oui à l’ouverture des commerces le dimanche, lorsque, après réflexion, cette ouverture leur apparaît comme un basculement vers la généralisation lente mais certaine du travail dominical, les positions s'inversent et l’on retrouve une préférence marquée pour le maintien du dimanche comme journée « différente », basée sur d'autres rapports que les rapports marchands.
Mes chers collègues, clarification, liberté et adhésion ont une signification précise, signification que l'on ne retrouve en aucun cas dans la proposition de loi que vous présentez aujourd'hui, monsieur Mallié.
Nous pourrions fermer les yeux sur ces quelques manipulations de vocables si la proposition discutée nous semblait de nature à remplir le rôle qu’on lui prête. Ce n’est malheureusement pas le cas : économiquement, socialement, écologiquement, culturellement, cette proposition persiste dans ses erreurs originelles, même à la quatrième version.
Économiquement, le nombre d’emplois susceptibles d’être créés par cette mesure risque d’être inférieur au nombre d’emplois détruits dans le commerce de proximité.
MM. Christian Hutin et Jean Mallot. Bien sûr !
Mme Catherine Lemorton. En effet, cette proposition, nous l’avons vu, est une réponse politique à une pression économique, celle des grands groupes de distribution qui désirent élargir leurs plages d’ouverture afin de récupérer tout ou partie de la manne que représente le résultat du commerce de proximité.
On avance comme argument les ventes sur Internet. Cette proposition de loi en précède-t-elle une seconde, qui permettra d’ouvrir les commerces la nuit ? Internet est accessible la nuit, je m’attends donc à entendre cet argument dans quelque temps. (Approbations et sourires sur les bancs du groupe SRC.)
La qualité du service, la proximité, le lien social, toutes ces réalités se trouveront ainsi balayées par des politiques qui auront simplement cédé aux sirènes des lobbies de la grande distribution et des enseignes.
Et que dire encore de l’argument salarial ? Comme l’a souligné le président Pierre Méhaignerie, « faire croire que tous les salariés qui travailleront le dimanche seront payés double est une grosse bourde ». Merci, monsieur le président : ces propos sont si justes qu’il n’y a rien à ajouter.
Socialement, cette brèche que vous souhaitez ouvrir aura bien évidemment des conséquences profondes et tenaces.
Je pense d’abord aux salariés forcés de travailler le dimanche, avec toutes les conséquences que nous pouvons imaginer ; je pense aussi aux services, notamment aux services publics qui, lentement mais sûrement, subiront des pressions pour ouvrir eux aussi. En effet, si les grandes surfaces sont ouvertes, pourquoi les services publics ne le seraient-ils pas, surtout dans des zones touristiques ou thermales ? Et vous irez chercher des sondages où vous nous montrerez des Français qui demandent que leur bureau de poste soit ouvert le dimanche, car ils ont besoin d’acheter deux timbres !
M. Guy Geoffroy. On vend des timbres dans les bureaux de tabac !
Mme Catherine Lemorton. Oui, mais comme on essaye de mener une politique contre le tabagisme, je suis étonnée de votre réflexion, mon cher collègue !
Écologiquement, cette proposition va à rencontre du Grenelle de l’environnement puisqu’elle permettra l’ouverture de structures qui sont le plus souvent éloignées des centres villes et qui, de fait, imposent l’utilisation de véhicules personnels.
Culturellement, enfin, cette proposition marque l’incohérence complète qui caractérise l’action de la majorité. Les remaniements ministériels vont m’aider à éclairer ce point.
M. Jean Mallot. La cohérence, c’est le fric !
Mme Catherine Lemorton. Bien sûr, mais ce n’est pas des postes supprimés dans l’éducation nationale que je vais parler.
Lorsque le ministre de l’éducation nationale Darcos…
M. Frédéric Cuvillier. Triste période !
M. Marcel Rogemont. Il a aussi supprimé des postes ! Là les salariés on s’en fout !
Mme Catherine Lemorton. …a supprimé l’ouverture des classes le samedi matin, nous avons beaucoup entendu l’argument selon lequel cela permettait aux familles de se retrouver autour d’un véritable week-end et constituerait une véritable cassure avec la semaine afin de profiter les uns des autres, de sortir, de se retrouver, etc.
M. Marcel Rogemont. Ils se retrouveront pour aller au supermarché !
Mme Catherine Lemorton. Aujourd’hui, M. Darcos, ministre d’un autre ministère, va devoir défendre sur ces bancs que le dimanche reste un jour « pas comme les autres » mais au cours duquel on peut faire exactement la même chose que le reste de la semaine.
M. Guy Geoffroy. C’est un peu court !
Mme Catherine Lemorton. Je ne vous envie pas la place que vous tenez aujourd’hui, monsieur le ministre.
M. Xavier Darcos, ministre du travail. Ce n’est pas le cas de tout le monde !
Mme Catherine Lemorton. Où est la cohérence ? Où est le moment privilégié pendant lequel la famille va pouvoir se retrouver si le père, la mère, voire les deux sont absents pour raisons professionnelles ?
M. Marcel Rogemont. Tiens, le rapporteur est parti !
Mme Catherine Lemorton. Avec le travail dominical, tout est déséquilibré.
Les parents ne pourront plus se rendre ensemble pour voir jouer leurs enfants au rugby ou au football, car les jours de congés seront décalés. J’entendais M. Bardet dire que les parents voulaient s’occuper de leurs enfants durant la semaine ; or je n’ai encore jamais vu une structure sportive départementale ou régionale organiser des tournois un jeudi après-midi en période scolaire.
Bref, tout sera mis en oeuvre pour faire baisser le nombre de licenciés sportifs.
Économie, social, écologie, société : cette proposition n’avance dans aucune de ces quatre domaines. Pis, elle déconstruit ce qui assure l’équilibre de notre société.
M. Philippe Plisson. Elle est simplement mauvaise !
Mme Catherine Lemorton. En effet, mes chers collègues, cette proposition de loi incohérente, inefficace, et dont je rappelle qu’elle a pour objectif de venir en aide à des gérants de grandes surfaces en indélicatesse avec la loi, aura une conséquence incroyable pour l’avenir. Cette proposition, qui a évolué, qui est consensuelle à droite nous dit-on, qui est devenue inoffensive par miracle, va néanmoins enfoncer un coin dans notre modèle de société.
Jusqu’à aujourd’hui, même chez certains de nos collègues de droite, la société du tout-marchand, la société du matérialisme à outrance ne constituait pas la vision idéale de ce que l’on pouvait proposer aux Français.
M. Xavier Darcos, ministre du travail. C’est toujours le cas.
Mme Catherine Lemorton. Je n’en suis pas sûre, dans ce texte.
M. Xavier Darcos, ministre du travail. C’est pourtant vrai.
Mme Catherine Lemorton. Les rapports humains, l’accès aux loisirs, au sport, à la culture, au repos tout simplement constituaient encore pour certains une donnée non négociable dans le compromis que nous acceptions de faire avec la société de consommation.
Demain, si cette proposition est votée, le pas sera franchi. La rupture sera réalisée et elle dirigera notre société, doucement mais sûrement, vers un modèle que les Français refusent.
Même si l’on nous jure, la main sur le cœur, que cette proposition de loi ne concerne que certaines zones touristiques – dont il faudra bien définir les contours – même si l’on nous affirme que, jamais, l’exception du travail dominical ne deviendra la règle, même si l’on soutient que les parlementaires UMP seront fermes demain pour dire non aux lobbies auxquels ils ont dit oui aujourd’hui, même avec ces pseudo-garanties, le glissement vers une société où la consommation est le seul dénominateur commun de nos rapports sera enclenché.
Une société évolue constamment, c’est le signe de sa vitalité. Cependant, pour évoluer sereinement, cette société doit se sentir associée à cette évolution ; elle doit sentir que le mouvement qu’on lui fait prendre va naturellement dans le sens de ses aspirations. Dans le cas présent, vous en conviendrez, il n’en est rien.
La société aspire à se recentrer sur des rapports humains profonds, amicaux et familiaux, sur l’émancipation personnelle par d’autres biais que la consommation et le travail ; elle souhaite sortir de l’anxiété dans laquelle la guerre économique la plonge d’une manière permanente. Or, vous, que vous apprêtez-vous à faire ?
Vous allez lui plonger la tête encore un peu plus dans ce système qui l’angoisse et qui la prive des bonheurs autres que ceux liés à la possession matérielle. Au moment où l’histoire nous appelle à réfléchir à la société du post-matériel, vous enclenchez le mouvement vers le tout-matériel.
Mme Michèle Delaunay. Très juste !
Mme Catherine Lemorton. De plus, vous le faites d’une manière insidieuse, par une proposition de loi, afin que le Gouvernement ne soit pas directement associé au bouleversement que vous allez créer.
Cette proposition de loi est inefficace, injuste, infondée. Elle constitue surtout une erreur fondamentale dans la perception que vous avez des besoins de nos concitoyens. Si vous vous entêtez dans cette erreur, les Français s’en souviendront. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. Christian Eckert. Où est donc le rapporteur ?
M. Jean Mallot. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président. La parole est à M. Jean Mallot.
M. Jean Mallot. Puisque nous avons réagi aux propos de M. Bardet et que cela a pu l’amener à dépasser son temps de parole, je voudrais suggérer au groupe UMP, de lui attribuer un temps de parole supplémentaire. Mme Lemorton ayant ensuite réagi à son tour, il pourrait ainsi, éventuellement, répondre aux interpellations. Ce serait courtois de la part du groupe UMP, et nous apprécierions l’échange avec M. Bardet.
M. Jean Bardet. Merci ! (Sourires)
M. Guy Geoffroy. Ce ne sont pas vos affaires !
M. le président. Merci de votre générosité, monsieur Mallot.
La parole est à M. Richard Dell’Agnola.
M. Richard Dell’Agnola. Je veux indiquer à notre collègue M. Mallot qu’il ignore le contexte dans lequel nous nous exprimons aujourd’hui.
Il y a un temps de cinquante heures de débat, temps demandé par le parti socialiste ; ces heures ont été réparties et le temps de chaque orateur est décompté. Nous ne sommes donc pas limités à une ou deux minutes ; si quelqu’un déborde un peu, cela sera pris dans le temps de parole de son groupe.
J’en profite pour dire à notre collègue Mme Lemorton que, sur le plan de l’histoire, elle s’est trompée sur la question du sabbat et du dimanche : les catholiques ont fêté le sabbat pendant quatre siècles. C’est ensuite que Paul de Tarse a transformé le samedi en dimanche et empêché la circoncision ; il s’agissait de convaincre les païens de se convertir. C’est donc Jean Bardet qui avait raison.
Mme Catherine Lemorton. Et vous, vous transformez le dimanche en lundi !
M. le président. Le sabbat est étranger au règlement de l’Assemblée nationale. (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Gaudron.
M. Gérard Gaudron. Nous avons entamé la discussion d’une proposition de loi qui suscite un véritable débat de société.
Au-delà des considérations politiques et religieuses, c’est une question de réalisme qui se pose à nous, et non – comme certains voudraient nous le faire croire – une simple question de chiffre d’affaires.
Réalisme juridique d’abord : chacun convient qu’il faut toiletter notre législation dans ce domaine, puisqu’on trouve tout et son contraire sur le terrain.
Réalisme économique ensuite : des ouvertures de commerce le dimanche sont intéressantes, car ce dispositif permettra en effet de travailler à près de 15 000 salariés volontaires, et à des étudiants.
M. Frédéric Cuvillier. Les étudiants veulent étudier !
M. Gérard Gaudron. Dans cette période particulièrement difficile pour l’emploi, il convient d’expérimenter toutes les pistes. Pourquoi serait-il interdit à ceux et à celles qui le souhaitent de travailler le dimanche ?
M. Marcel Rogemont. Drôle de façon de présenter la liberté ! Et si certains voulaient travailler jusqu’à quatre-vingt-dix ans ?
M. Gérard Gaudron. Parallèlement, bien sûr, si des salariés, pour quelque raison que ce soit, notamment pour des raisons familiales, ne désirent pas ou plus travailler le dimanche, ce sera possible, en vertu d’un amendement déposé par notre rapporteur. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
M. Frédéric Cuvillier. Incroyable !
M. le président. Un peu de calme, s’il vous plaît.
M. Gérard Gaudron. Il y a quelque temps, le Conseil économique et social a étudié l’évolution des modes de vie ; l’activité du dimanche, qui reste toujours celle des familles, des sorties culturelles, du temps associatif, peut être revue compte tenu de l’évolution des mœurs et des pratiques actuelles. Il est donc préférable d’être pragmatique.
Cette proposition de loi a fait l’objet d’un long travail en amont, et les positions des uns et des autres ont été entendues. Il s’agit donc d’un texte équilibré qui rappelle en premier lieu le principe du repos dominical : on ne le répétera jamais assez.
Monsieur le ministre, ce texte a évolué et il répond mieux aux attentes de nombreux Français. Ainsi, à la suite de quelques fermetures administratives de magasins ouverts le dimanche sans autorisation, nous sommes nombreux à avoir reçu des salariés ou des étudiants mécontents de cette mesure les privant de rentrées financières non négligeables. Il est donc temps de mettre fin à cette hypocrisie.
Ce nouveau texte tranche avec l’archaïsme de certains qui, là encore, préfèrent que rien ne bouge par facilité et dogmatisme.
Certains ont cru bon d’agiter le chiffon rouge en ce qui concerne les zones touristiques et thermales, en mélangeant volontairement les dispositions du code du tourisme et du code du travail. Il n’y a que 500 communes touristiques et 30 zones touristiques en France. Notre proposition de loi ne va donc pas étendre indéfiniment ces notions pour remettre en cause le droit du travail. Pour éviter tout malentendu, il faudra figer les zones touristiques concernées par les dérogations.
Cela étant, il semble incompréhensible à des visiteurs étrangers de passage dans notre pays de trouver des rideaux baissés, alors que la France est la première destination touristique mondiale.
M. Marcel Rogemont. Nous sommes déjà la première destination touristique ; la loi n’est donc pas nécessaire !
M. Gérard Gaudron. Je le répète, il ne s’agit ni d’étendre le travail dominical à l’ensemble du territoire ni de faire travailler tout le monde le dimanche.
Par ailleurs, précisons, encore une fois, que le travail du dimanche repose sur le volontariat et que ceux qui accepteront de travailler le dimanche dans les grandes agglomérations concernées par le texte verront leur rémunération doubler et obtiendront un repos compensateur. (Vives protestations sur les bancs du groupe SRC.)
M. Jean Mallot. Lisez le texte et vous verrez que ce n’est pas vrai !
Mme Catherine Génisson. Lisez Libération de ce matin !
M. le président. Mes chers collègues, laissez M. Gaudron s’exprimer.
M. Gérard Gaudron. Bien sûr, il conviendra de demeurer vigilant sur ces points et de vérifier qu’un refus des salariés ne sera pas pénalisant pour eux. Nous n’entendons pas faire preuve de naïveté, contrairement à ce que pense Mme Lemorton.
Mme Catherine Génisson. C’est pourtant ce qui est en train de se passer !
M. Gérard Gaudron. La proposition du président Méhaignerie de créer un comité chargé de veiller au principe du repos dominical, composé à parité de parlementaires de la majorité et de l’opposition, va dans le bon sens.
Ce texte de compromis est aussi un texte d’équilibre. Ainsi, pour ne pas pénaliser le petit commerce, les grandes surfaces alimentaires sont exclues et il leur restera cinq dimanches par an d’ouverture autorisée par le maire, et non huit comme ces grandes surfaces le souhaitaient. L’équilibre commercial doit à tout prix être préservé. Le rôle des élus locaux dans ce domaine reste important.
De nombreux petits commerces dits de proximité rendent un véritable service en étant ouverts depuis fort longtemps le dimanche matin. La proposition de loi fera passer l’heure de fermeture dominicale de douze à treize heures. Cette disposition légalisera logiquement une pratique existante et bien utile.
Mes chers collègues, cette proposition de loi vise à nous faire sortir de l’hypocrisie en vigueur jusqu’à présent, en particulier celle concernant des ouvertures le dimanche sur lesquelles on fermait les yeux.
M. Jean Mallot. L’UMP combat l’hypocrisie ! On aura tout vu !
M. Gérard Gaudron. Ce texte réécrit repose sur un consensus plus large que précédemment, ce dont chacun peut se féliciter.
Par conséquent, il me semble intéressant de soutenir cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Plisson.
M. Philippe Plisson. Monsieur le ministre, contrairement à ce que vous affirmez, la présente proposition de loi concernant le travail du dimanche n'est pas de bon mais de mauvais sens, ce sens qui est l'apanage de votre politique, le sens inverse du progrès social.
Avec obstination, M. Sarkozy démolit méthodiquement le modèle social français.
M. Marcel Rogemont. Eh oui !
M. Philippe Plisson.. Les postures de gauche, les références à Blum ou à Jaurès ne sont que des leurres et la prétendue modernisation et les réformes ne sont en fait que le retour au modèle de classe du passé dont, décidément, vous ne voulez pas faire table rase.
Depuis la toute première loi du quinquennat, ce fameux bouclier fiscal qui a donné le ton, celui du choix des privilégiés de cette société au détriment des plus faibles, toutes les décisions ont été dans le même sens : les franchises médicales, la fermeture des tribunaux de proximité, le démantèlement des services publics avec en particulier la suppression de milliers de postes d'enseignants,...
M. Marcel Rogemont. Eh oui, monsieur Darcos !
M. Philippe Plisson. ...demain le travail à domicile du personnel en arrêt maladie et la perspective réjouissante de la retraite à soixante-sept ans.
Aujourd'hui, c'est le travail du dimanche qui est sur la table. Au gré des interprétations des interlocuteurs de droite, il serait facultatif ou obligatoire, payé double ou simple, réservé aux villes touristiques dont la liste est fluctuante ou pas.
M. Guy Geoffroy. Non ! C’est vous qui la faites fluctuer !
M. Philippe Plisson. En fait, au-delà des gesticulations...
M. Richard Mallié, rapporteur. C’est vous qui gesticulez !
M. Philippe Plisson....nous sommes sur le fond, sur les valeurs, celles qui séparent fondamentalement la droite et la gauche. Est-ce que la loi des marchés prévaut sur le vivre ensemble ? Est-ce que l'argent et la rentabilité sont les seules aunes de notre société ?
M. Richard Mallié, rapporteur. Vous n’avez pas le monopole des valeurs !
M. Philippe Plisson. Est-ce que la consommation, donc l'ouverture non stop de ses églises que sont les grandes surfaces, donne seule du sens à l'existence ? Est-ce que la puissance publique est fondée à faire prévaloir des valeurs collectives ?
Je le répète, nous sommes là sur les principes et les valeurs ; décidément, nous n'avons pas les mêmes.
Le travail du dimanche, nonobstant le recul social flagrant qu’il constitue, c'est le choix de cette société de consommation, qui, au-delà des discours et des postures, reste fondamentalement votre référence. Faire du tourisme le dimanche dans ces temples périphériques de la consommation, quel épanouissement social et culturel pour les familles !
Le développement durable que vous avez récemment découvert, car il est tendance, est aux antipodes de ces valeurs. M. Borloo a beau prendre pour en parler le ton de Frédéric Mitterrand commentant le mariage de la reine Astrid du Danemark (Sourires), le développement durable est l’un des piliers que vous n'avez décidément pas intégré, celui du social, celui d'un autre mode de développement plus économe au service d'un autre monde plus équitable.
Avec ce projet de loi vous affichez clairement la couleur : votre développement durable, c'est Germinal avec de la laine de chanvre dans les combles des corons ! (Exclamations et applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Merci, je suis assez fier de ma formule ! (Sourires.)
Pour toutes ces raisons, notre opposition est frontale, car nous portons les espoirs de ces millions de Français qui, chaque jour, nous expriment leur hantise d’être un jour contraints de travailler le dimanche.
Nous disons non, résolument non à votre projet parce que, pour nous, l’avenir de la société française est aux antipodes de votre modèle, le modèle des maîtres de forges du XIXè siècle avec, pour être dans l’air du temps, des panneaux solaires sur le toit de l’usine.
Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, messieurs les députés de la majorité, je vous le dis solennellement : si vous vous rendez coupables de cette transgression, vous serez comptables devant l’histoire de cette sordide régression sociale. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. Xavier Darcos, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité.
M. Xavier Darcos, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. Mesdames, messieurs les députés, je tiens à réagir aux propos tenus notamment par Mme Karamanli et M. Plisson.
Je trouve tout à fait excessif, pour ne pas dire choquant...
M. Alain Néri. De travailler le dimanche !
M. Xavier Darcos, ministre du travail. ...que l’on puisse déclarer que le but du Gouvernement, avec ce texte de loi, serait de crétiniser la nation, d’interdire de penser, de ne plus acheter de livres, de réifier la population. À cet égard, Mme karamanli a utilisé tout un vocabulaire néo-marxiste que je trouve complètement déplacé.
Est-ce que ceux qui travaillent tous les dimanches pendant quatre mois, dans une station de ski par exemple, cessent subitement de lire, de s’aimer, de se rencontrer, de vivre en famille, d’avoir des intérêts spirituels ou religieux, voire intellectuels ? Évidemment non. Le procès fait au Gouvernement et au rapporteur est inacceptable. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à M. Christophe Caresche.
M. Christophe Caresche. Monsieur le président, avant d’évoquer la situation de Paris, je souhaite formuler deux remarques.
Décidément, il est difficile de légiférer sur des exceptions, et ce n’est pas le premier texte qui nous le prouve. En réalité, monsieur le ministre, vous déplorez un certain nombre d’anomalies qui seraient liées à la législation actuelle en matière de travail du dimanche et à des dérogations qui auraient été accordées dans des conditions tout à fait contestables.
Or, plutôt que d’en revenir à la règle, vous nous proposez un texte qui, s’il résout quelques problèmes, en crée beaucoup d’autres car le Gouvernement et sa majorité ne sont pas d’accord sur la question du repos dominical. Cela vous a donc conduits à élaborer une sorte de compromis bancal et fort contestable qui aura des répercussions bien plus importantes que vous ne le prétendez.
M. Marcel Rogemont. Très bien !
M. Christophe Caresche. Du reste, certains députés de la majorité nous font part ici courageusement de leurs craintes ; je sais que l’exercice est difficile pour eux.
Ce texte va créer des oppositions entre territoires, des ruptures d’égalité. En la matière, n’ayez aucun doute, le Conseil constitutionnel sera extrêmement précis. Les magasins d’une commune pourront ouvrir le dimanche tandis que ceux d’une commune voisine ne le pourront pas. C’est précisément la situation que le Président de la République dénonçait en parlant des Champs-Élysées. Or le texte qui nous est soumis ne règle pas ce problème, loin de là.
Il prévoit en effet que les agglomérations de plus d’un million d’habitants seront bénéficiaires des PUCE et auront la possibilité d’ouvrir le dimanche, sauf Lyon.
M. Richard Mallié, rapporteur. C’est faux ! Nous n’avons pas ajouté « sauf Lyon » !
M. Christophe Caresche. Or, que je sache, cette agglomération compte plus d’un million d’habitants.
M. Richard Mallié, rapporteur. Il n’y a pas d’usage à Lyon ! Lyon n’est pas concernée.
M. Christophe Caresche. Lyon fait-elle partie des agglomérations de plus d’un million d’habitants où il sera possible que les magasins ouvrent le dimanche ?
M. Richard Mallié, rapporteur. Non !
M. Alain Vidalies. Sauf que c’est le juge qui le dira !
M. Richard Mallié, rapporteur. Nous, nous savons lire le texte !
M. Christophe Caresche. Il y a donc bien opposition entre les territoires.
Il y a aussi opposition entre les salariés. Comment allez-vous expliquer à ceux d’une enseigne de la grande distribution que certains pourront être rémunérés double le dimanche parce que l’entreprise est implantée dans un PUCE tandis que d’autres ne le pourront pas parce qu’elle est située dans une zone touristique ? Il y a donc bien rupture d’égalité.
Vous n’avez pas été capables de définir une règle précise. Vous faites la loi sur des exceptions.
M. Christian Eckert. Très juste !
M. Richard Mallié, rapporteur. Vous n’avez pas lu le texte ! Contrairement à ce que vous dites, la règle est précise !
M. Christophe Caresche. Par ailleurs, personne ne peut dire aujourd’hui quelle sera la portée exacte du texte...
M. Richard Mallié, rapporteur. Si !
M. Christophe Caresche....car il repose sur les décisions que les maires prendront dans les communes. Il est évident que le travail du dimanche risque de se développer en tache d’huile, par percolation comme l’a dit hier Christian Eckert, la carte de France du travail du dimanche évoluant au gré des décisions prises par les maires.
Le présent texte aura des conséquences importantes sur la mutation des usages commerciaux. À l’instant, un député a indiqué que si tous les commerces sont ouverts le dimanche à Paris, les habitants des communes situées à une heure de la capitale en voiture...
M. Christian Eckert. Jusqu’à Reims !
M. Christophe Caresche....seraient tentés d’y venir le dimanche.
Vous allez donc entraîner des mutations extrêmement importantes dans les habitudes de consommation qui se feront au détriment d’un certain nombre de communes ou de territoires. Vous n’êtes pas capables aujourd’hui de nous dire exactement quel sera l’impact exact de ce texte sur les territoires et les habitudes de consommation, ce qui est inquiétant.
J’en viens maintenant à la situation à Paris. La question n’est pas anecdotique puisqu’elle concerne 2 millions d’habitants.
M. Richard Mallié, rapporteur. C’est une bonne question !
M. Christophe Caresche. Or vous la réglez d’une manière qui n’est pas acceptable pour la démocratie ni pour les élus de Paris.
Vous donnez ainsi au préfet la possibilité de décider si Paris sera ou non une zone touristique.
M. Gérard Gaudron. Cela vous gêne !
M. Christophe Caresche. D’ailleurs, je note que votre texte est en recul par rapport à la législation actuelle puisque, jusqu’à présent, cette décision supposait que le Conseil de Paris soit saisi, au moins pour avis. Vous allez donner au préfet cette prérogative alors que rien ne le justifie.
M. Richard Dell'Agnola. C’est déjà lui qui donne les dérogations en ce qui concerne le dimanche !
M. Xavier Darcos, ministre du travail. Cela s’appelle la loi !
M. Christophe Caresche. Non, monsieur le ministre, la loi vous la faites dans le texte et vous avez parfaitement la possibilité de revenir sur des dispositions législatives.
Rien ne justifie donc ce statut d’exception dans ce domaine pour Paris.
M. Richard Mallié, rapporteur. Cela fait trente-cinq ans que c’est comme cela !
M. Marcel Rogemont. Si c’est déjà le cas, pourquoi changer la loi ?
M. Christophe Caresche. Votre réponse n’est pas satisfaisante, monsieur le rapporteur !
En vérité, vous vous méfiez de Paris ; la majorité et le Gouvernement n’aiment pas Paris ; ils n’aiment pas les élus parisiens. (Murmures sur les bancs du groupe SRC.)
M. Marcel Rogemont. Parce qu’ils sont socialistes !
M. Christophe Caresche. Il n’est que de voir la manière dont le redécoupage y est fait aujourd’hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
M. Guy Geoffroy. Hors sujet !
M. Christophe Caresche. Du reste, le Premier ministre n’a qu’une obsession : se présenter aux élections à Paris.
Seules des raisons politiques vous poussent à créer un statut d’exception pour Paris,…
M. André Wojciechowski. Hors sujet !
M. Christophe Caresche. ….ce qui est injustifié et inacceptable.
M. André Wojciechowski. C’est un procès d’intention !
M. Christophe Caresche. Je vous le dis clairement : vous n’aimez pas Paris !
M. Guy Geoffroy. Mais si !
M. Christophe Caresche. Nous aurons l’occasion d’en reparler.
M. Richard Mallié, rapporteur. Vous démontrez une fois de plus la suffisance des Parisiens !
M. Guy Geoffroy. Je suis né à Paris et je n’accepte pas de tels propos.
M. le président. Monsieur Caresche, …
M. Christophe Caresche. Je n’en ai plus que pour quelques minutes.
M. le président. Ne vous inquiétez plus du temps de parole. Vous pouvez en effet vous exprimer aussi longtemps que vous voulez, une heure et même une heure et demie si vous le souhaitez.
En revanche je vous demande simplement de ne pas dire à des élus de la République qu’ils n’aiment pas Paris.
M. Christophe Caresche. Eh bien, moi, je vous le dis.
M. le président. Ce n’est pas un propos acceptable et j’aurais fait la même remarque à n’importe quel autre élu à propos de n’importe quelle autre ville de notre pays. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
M. Christophe Caresche. Je maintiens mes propos et je peux les prouver.
M. Guy Geoffroy. Paris n’appartient pas aux socialistes !
M. Christophe Caresche. J’en viens aux conséquences pour Paris de la décision d’y créer une zone touristique.
Député de Montmartre, je fus à l’origine de la création d’une zone touristique dans mon quartier. Malgré nos efforts pour délimiter au maximum le type de commerce qui pourrait être concerné, les enseignes internationales ont peu à peu remplacé les commerces de bouche rue Lepic et rue des Abbesses car elles seules peuvent financer des baux commerciaux revalorisés par la possibilité d’ouvrir le dimanche. Les associations de commerçants de ces rues nous avaient demandé de ne pas les classer en zone touristique. Voilà ce qui se passera dans un certain nombre de quartiers de Paris. Vous allez y accélérer la mutation commerciale.
M. Alain Vidalies. Évidemment !
M. Christophe Caresche. Vous allez mettre, le dimanche, la grande distribution en concurrence avec le commerce de proximité, lequel en sortira affaibli car le dimanche est sans doute l’un des seuls jours où, les grandes surfaces étant fermées, les Parisiens y font leurs courses.
En classant Paris en zone touristique, vous allez faire disparaître le petit commerce au profit de la grande distribution et des grandes enseignes, surtout vestimentaires. Vous allez faire de Paris une sorte de Disneyland !
M. André Wojciechowski. Vous allez bien loin !
M. Marcel Rogemont. Attention, Nicolas Sarkozy va s’y promener avec Carla !
M. Christophe Caresche. Je sais, c’est pour cela que je le dis.
Pour toutes ces raisons, nous voterons contre ce texte.
M. André Wojciechowski. Quel scoop !
M. Christophe Caresche. Depuis le début de la législature, s’il est un texte sur lequel l’opposition du parti socialiste est bien fondée, c’est celui-ci ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. Guy Geoffroy. Malheureusement, vous ne parlez pas de notre texte, mais d’un autre !
André Wojciechowski. Donc elle ne l’est pas sur d’autres textes !
M. le président. La parole est à M. Jacques Valax.
M. Jacques Valax. J’ai écouté attentivement votre intervention, monsieur le ministre, mais permettez-moi de vous lire mon discours tel que je l’ai écrit il y a quelques jours, et n’y voyez aucune provocation de ma part.
M. Marcel Rogemont. Encore que ! (Sourires.)
M. Jacques Valax. Alors que les plans sociaux et les licenciements se multiplient, que les chiffres du chômage explosent, il devient urgent de répondre aux attentes des salariés autrement que par des déréglementations.
L’adoption de votre texte se traduirait par un véritable recul social et sociétal. Nous sommes loin du discours du président Sarkozy se posant en héritier de Jaurès. Contrairement à Nicolas Sarkozy et à votre Gouvernement, Jaurès était avant tout le défenseur des salariés, ce qu’il a prouvé en s’engageant aux côtés des verriers de Carmaux.
Depuis Jaurès, seuls la gauche et l’ensemble des forces de progrès ont fait avancer concrètement le droit des travailleurs. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
M. André Wojciechowski. C’est faux !
M. Jacques Valax. Seule la gauche a conquis de nouveaux droits sociaux que la droite n’a eu de cesse de combattre. Seule la gauche a mené des réformes pour rendre la société moins dure aux plus faibles, à ceux qui travaillent et gagnent peu.
Rappelons rapidement quelques réformes sociales dont nous sommes à l'origine : 1874 : la loi interdisant le travail des enfants de moins de douze ans ; 1884 : la loi Waldeck Rousseau autorisant les syndicats ; 1898 : la première loi sur les accidents du travail ; 1936 : le Front populaire avec les congés payés et la semaine de 40 heures ; 1956 : la loi sur les trois semaines de congés payés ; 1982 : les 39 heures et la cinquième semaine de congés payés ainsi que la retraite à soixante ans ; 1988 : création du RMI, et de 1997 à 2002, ne vous en déplaise, les 35 heures (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)…
M. Richard Mallié, rapporteur. Parlons-en ! Quelles conséquences pour l’économie !
M. Jacques Valax. …les emplois jeunes, la CMU, l'allocation personnalisée d'autonomie.
Nous n’avons pas la même interprétation, ni politique ni philosophique, de l’application des 35 heures, mais il demeure que c’est un progrès social. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Où en serions-nous aujourd'hui, où en serait le monde du travail, l'histoire sociale de notre pays si nous n'avions connu que des gouvernements de droite comme le vôtre ? Hier, Jaurès réclamait une société plus juste et nous devons continuer son combat au moment où votre gouvernement mène une politique ultra libérale et individualiste. Malgré vos incantations, notre combat est diamétralement opposé au vôtre.
Que proposez-vous avec ce texte ? Une offensive en règle contre les avancées sociales de notre pays.
Les salariés ne s'embauchent pas eux-mêmes, ne se licencient pas eux-mêmes, ne se distribuent pas de primes, ne s'accordent pas de RTT, ne choisissent pas leurs jours de travail : l’employeur est bien le seul à décider. Du fait du lien de subordination à l'employeur, de la précarité de l'emploi, de la faiblesse des salaires, très peu de salariés pourront refuser de travailler le dimanche. Là est le vrai problème.
Vous ne pouvez pas faire croire aux Français que la très grande majorité des salariés de la grande distribution, essentiellement des mères de famille à temps partiel, payées entre 650 et 700 euros net, pourront librement décider de ne pas travailler le dimanche alors qu'aujourd’hui elles ne peuvent même pas choisir leurs heures et leurs jours de travail.
En 1889, Jaurès disait : « Les beaux rêves se réveilleront d’eux-mêmes au cœur des citoyens libres. Ils se diront que, dans un intérêt économique aussi bien que dans un intérêt moral, il faut constituer tous les travailleurs dans notre pays à l’état d’hommes, que le vrai moyen d’exciter l’énergie de la production nationale comme de relever le niveau humain, c’est de développer en chaque travailleur toute la valeur d’homme qu’il contient ; qu’il faut pour cela l’arracher, par la solidarité professionnelle, au servage des faibles isolés devant les grands capitaux (Exclamations sur les bancs du groupe UMP. – Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.), aux terribles hasards du chômage et à l’écrasement du labeur irrégulier et démesuré ; qu’il faut subordonner les lois brutales de la concurrence aux lois supérieures de la vie et non celles-ci à celles-là ; qu’il faut » – et c’est pour cela que je cite ce passage – « ménager dans l’existence de tout homme une petite place pour la vie de famille et pour la vie de l’esprit et que, dans ces quelques heures de loisir humain restituées à tout homme il faut, par une éducation incessante et multiple, concentrer tous les rayons de la pensée, comme on pratique dans la forêt enchevêtrée et sombre quelques éclaircies où rit la lumière du soleil. » (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Je m’opposerai à ce texte car je me bats ici, dans la droite ligne de Jaurès, pour une vie meilleure, pour un homme plus spirituel, mieux éduqué, pour une pensée plus libre et plus féconde, pour que le soleil brille pour tous de la même façon, pour une société de vrai progrès social. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Martine Pinville.
Mme Martine Pinville. Ajournée plusieurs fois sous la pression syndicale et politique, c'est une énième mouture de la proposition de loi sur l'extension du travail le dimanche que nous examinons au sein de cet hémicycle.
Elle vise à légaliser des pratiques actuellement hors-la-loi, ce qui est un comble pour une proposition de loi, dans certaines zones commerciales, comme Plan-de-Campagne, dans les Bouches-du-Rhône, située dans une circonscription que vous connaissez bien, monsieur le rapporteur. Elle tend également à banaliser les dérogations de plein droit dans des espaces commerciaux estampillés «périmètres d'usage de consommation exceptionnelle» englobant notamment les zones frontalières et les zones touristiques ou thermales.
La définition élastique que vous nous proposons sera susceptible d'ouvrir la voie à une généralisation à terme du travail dominical, non seulement dans les commerces, mais aussi dans n'importe quelle entreprise, sous couvert de développer de l'activité économique.
Ce texte prétend par ailleurs consacrer le volontariat des salariés concernés alors que celui-ci n'est prévu que pour les employés des établissements pour lesquels l'obtention d'une autorisation administrative est obligatoire. Il en serait de même pour les contreparties et les garanties, en termes de salaire et de repos compensateur et ce, quitte à malmener le principe d'égalité inscrit dans le droit du travail. Pour la majorité des salariés, ce serait donc la contrainte qui primerait.
De surcroît, si la proposition de loi ne reprend plus l'idée d'augmenter le nombre de dimanches travaillés pour les commerces de détail non alimentaire, la porte est désormais ouverte à une généralisation, Nous connaissons bien malheureusement ce processus de déréglementation du droit du travail depuis le début de cette législature.
Le volontariat annoncé pour les centres commerciaux, est de pure forme. En effet, comment envisager qu'une salariée, le plus souvent à temps partiel, puisse refuser de travailler le dimanche alors qu'elle ne perçoit qu'un revenu très modeste, souvent inférieur au SMIC ?
Par ailleurs, ces personnes devront sacrifier une grande partie de leur vie familiale. C’est seulement le week-end que les enfants et les parents peuvent profiter les uns des autres. Est-ce le moment de désorganiser la vie familiale lorsque toute une jeunesse, en manque de repères, est en proie au doute quant à son avenir ?
L'impact économique est, par ailleurs, loin d'être évident. À l’heure où nos concitoyens voient s’effondrer leur pouvoir d'achat, il paraît évident que l'ouverture des commerces le dimanche entraînera un déplacement dans le temps des dépenses et non un surplus de croissance. On peut craindre également des destructions nettes d'emplois entre les magasins ouverts le dimanche, qui embaucheraient, et ceux qui, fermés ce même jour, verraient leurs parts de marché cannibalisées par le jeu concurrentiel.
Dans un tel contexte, les petits commerces de proximité des plus grandes villes, qui réalisent une part non négligeable de leur chiffre d'affaires le week-end, risquent de disparaître rapidement ; cet aspect du texte ne doit pas être négligé.
Enfin, le texte ment par omission puisqu’il prévoit que, « dans les communes touristiques ou thermales », les commerces de détail peuvent « de droit » occuper leurs salariés le dimanche durant toute l'année.Il en résulte qu'un maire, qui obtiendra du préfet le classement de sa ville en commune touristique, donnera le droit aux commerces de sa ville de faire travailler leurs employés tous les dimanches de l'année, qu'ils soient volontaires ou non, sans leur garantir de compensation salariale ou de repos supplémentaire.
Cette généralisation du travail dominical pourra concerner 6 000 communes, dont les plus grandes villes – Paris, Lyon, Marseille, Lille, Nantes, Toulouse ou Bordeaux –, ainsi que bien d'autres sur le territoire national, notamment dans les zones littorales et de montagne. Dans toutes ces communes, l'ouverture des commerces le dimanche sera de plein droit : travailler le dimanche sera une obligation et le refus de s'y soumettre un motif de licenciement.
M. Xavier Darcos, ministre du travail. Non !
Mme Martine Pinville. Vous nous présentez ce projet sous l'angle des « dérogations au principe du repos dominical », en réalité, il instaurera une obligation au travail dominical sur une grande partie des territoires. C’est pourquoi nous ne saurions y être favorables. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Charasse.
M. Gérard Charasse. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l'évidence, le statut particulier du dimanche est un élément structurant de la vie dans notre société. Le fait, incontestable, qu'il s'agisse d'un héritage religieux et historique particulier n'enlève rien à la portée concrète de cette réalité sociale contemporaine.
Certes, aux yeux des progressistes que sont les radicaux de gauche, rien ne saurait être immuable de principe. Toutefois, dans la mesure où nous débattons ici d'un élément structurant de la société, donc de l’économie – et que nous en débattons dans cet ordre –, il est important de nous inviter, de vous inviter tout spécialement, chers collègues de la majorité, à la plus grande prudence.
Devant l'importance de ce dossier, une première question s'impose : que peut-on, et ne peut-on pas, accepter ?
M. Jean-Frédéric Poisson. Bonne question, en effet !
M. Gérard Charasse. C’est même une excellente question et nous verrons bien la réponse que vous y apporterez !
Si la généralisation du travail du dimanche, assortie de garanties effectives en matière de protection des droits des salariés, était l’une des composantes d'un ensemble de mesures cohérentes, notamment en faveur du pouvoir d'achat ou de l’organisation et du renforcement des services publics, alors oui, les radicaux de gauche pourraient éventuellement s’y retrouver. En revanche, s'il s'agit de supprimer le temps social, fondamental et structurant, du dimanche, et de le faire sans garanties effectives ni contrepartie réelle, la réponse des radicaux sera toujours non.
Une seconde question se révèle dès lors nécessaire : que nous propose le texte présenté aujourd'hui ?
Il met en place deux régimes distincts. D'une part, il consacre la liberté d'ouvrir le dimanche dans l’ensemble des communes touristiques et thermales, et ce pour tous les commerces, et non plus seulement pour ceux qui sont directement concernés par les activités de tourisme, condition actuellement posée pour permettre la dérogation au repos dominical. D'autre part, il introduit la notion de « périmètre d'usage de consommation exceptionnel », ou PUCE : le choix de cet acronyme, monsieur le ministre, sous-entendrait-il qu'il ne s'agirait que de petites entités ne représentant finalement que peu de chose à l'échelle nationale ?
M. Marcel Rogemont. Bien gênantes quand même comme toutes les puces ! (Sourires.)
M. Gérard Charasse. Elles seraient gênantes, effectivement et nous attendons, sur le sujet, la réponse à cette seconde question.
Dans le cas précis des PUCE, il s’agit, en effet, de la possibilité pour le préfet, sur demande préalable du conseil municipal, de délimiter des zones où le travail dominical est possible, mais exclusivement sur la base de l'accord écrit de chaque salarié concerné. Le texte prévoit, en outre, des garanties de repos compensateur et des contreparties de rémunérations qui sembleraient, de prime abord, très intéressantes.
Oui, chers collègues, ces dispositions sont bien présentes dans le texte ! Les radicaux de gauche sont opposés à la politique imposée depuis deux ans à notre pays par la majorité présidentielle, mais leur opposition est toujours réfléchie. C’est pourquoi le groupe radical du conseil municipal de Vichy a fait adopter à l'unanimité du conseil, dont la majorité est UMP, un vœu visant à pérenniser le statu quo, car on peut légitimement craindre que le prétendu « volontariat », prévu par le texte dans le cas des PUCE, ne se transforme dans les faits en travail forcé.
L'interdiction, faite aux employeurs par le texte, de refuser d'embaucher les candidats qui ne seraient pas volontaires pour travailler le dimanche, sera impossible à appliquer concrètement, puisque les choix d'embauche, vous le savez, sont arbitraires. Ils ne font l’objet d’aucune obligation de motivation. Comment voulez-vous qu'un débouté puisse prouver que c'est bien en raison de son refus de travailler le dimanche que l'employeur a refusé de l'embaucher ?
La protection contre la discrimination ainsi affichée par le texte risque tout simplement d'être inique. Dès lors ce volontariat, qui n’en porterait plus que le nom, nous semble malheureusement constituer une simple vue de l'esprit, pour ne pas dire un acquit de conscience.
On peut, de même, s'interroger sur la réalité des contreparties proposées : de votre propre aveu, monsieur le rapporteur, il est hors de question que les personnes travaillant actuellement le dimanche bénéficient des nouvelles contreparties prévues par la proposition de loi, lesquelles, en tout état de cause, ne s’appliqueront pas dans les communes touristiques et thermales !
M. Richard Mallié, rapporteur. Je n’ai jamais dit cela !
M. Gérard Charasse. C'est une rupture d'égalité fondamentale. Même si, dans ces communes, des négociations étaient éventuellement imposées par le texte, comme vous l'avez suggéré, cela ne constituerait en rien une garantie réelle, notamment lorsque l'absence d'accord conduit à une décision unilatérale de l'employeur, fût-elle avalisée par la suite par un référendum d'entreprise.
En ces temps de crise et de licenciements, ce sont les salariés qui sont systématiquement en situation de faiblesse dans de pareilles négociations. « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c'est la liberté qui opprime, et la loi qui affranchit ». Cette maxime, formulée à son époque par Lacordaire, reste plus que jamais d'actualité.
Tel est le problème fondamental du texte : les garanties n'étant pas effectives, la grande majorité des employés risquent de se voir imposer le travail du dimanche sans contreparties financières ni repos compensateur ; cela a déjà été dit, mais il faut le répéter.
Il suffira pour une commune de se déclarer « touristique », après une simple demande adressée par le maire au préfet sur la base de critères relativement souples, nous l'avons vu, pour que les salariés échappent complètement aux garanties législatives.
Les députés du groupe SRC défendront et soutiendront de nombreux amendements de nature à améliorer objectivement le dispositif proposé et les garanties qui l’accompagnent. J'espère que notre assemblée en adoptera l'essentiel.
Dans le fond, nous en revenons implacablement au principe humaniste, fondement de toute l'action des radicaux de gauche : l'économie doit être au service de l’homme, jamais l’inverse !
À nos yeux, cette proposition de loi constitue une nouvelle preuve que la majorité présidentielle ne partage pas le principe humaniste. C’est pourquoi nous voterons résolument contre ce texte. (Applaudissements sur de nomberux bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Lou Marcel.
Mme Marie-Lou Marcel. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous voici penchés sur la quatrième version d'un texte qui, décidément, ne passe pas, du fait notamment qu’il suscite un large rejet de la part de nos concitoyens. Cette nouvelle proposition de loi a considérablement durci le dispositif de la précédente, dans le sens d'une plus grande dérégulation.
La question principale que soulève le texte est celle de l’iniquité sociale qu'engendrerait son application. Soyons sérieux.
M. Guy Geoffroy. Ah oui, soyons-le !
M. Gérard Charasse. Soyez-le, plutôt !
Mme Marie-Lou Marcel. Qui viendra travailler le dimanche ? Vous le savez bien, ce sont principalement des femmes aux revenus modestes, majoritairement victimes du travail à temps partiel, ou des jeunes, dont la faiblesse des ressources ne leur permet pas de faire face à leurs frais de scolarité. Que les femmes, les travailleurs à temps partiel, les jeunes, du fait même de leur précarité, soient obligés d'accepter de travailler le dimanche, cela, nous ne saurions l'accepter.
Le dimanche est un jour de repos hebdomadaire pour les enfants. C'est un jour où la famille se retrouve, rencontre ses amis et participe à la vie associative. Le travail du dimanche n'est pas conciliable avec la vie de famille.
M. Guy Geoffroy. La vie de famille, c’est toute la semaine et pas seulement le dimanche.
Mme Marie-Lou Marcel. Le travail du dimanche représente également une menace pour les associations, les clubs sportifs et les activités culturelles et de loisirs.
Le principe du volontariat ne résistera pas à l'épreuve du temps et son caractère réversible est un leurre total.
J’ai reçu, d’un habitant de mon département, un courriel dans lequel il écrit que « l'aspect volontaire des travailleurs du dimanche est une vaste blague. Qui est volontaire pour travailler plutôt que de passer du temps avec ses enfants ? »
M. Jean-Frédéric Poisson. Venez le leur dire sur place ! Cela ne pose aucun problème ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
Mme Marie-Lou Marcel. « J'ai un collègue qui a travaillé longtemps le dimanche et qui n'a pas vu la mauvaise évolution de la scolarisation de son enfant : il a passé sa vie au travail et est donc passé à côté de sa famille ».
Chacun sait aujourd'hui que la disponibilité des candidats à un emploi dans le commerce pour travailler le dimanche sera un critère de recrutement prééminent, voire déterminant.
Chacun sait également que le doublement du salaire le dimanche n'aura qu'un caractère provisoire du fait que votre texte ne prend absolument pas en considération certaines réalités. Que répondrez-vous à un employé de la restauration, à un caissier de théâtre ou à un projectionniste de cinéma qui, travaillant déjà le dimanche verront le salaire du vendeur d’un autre secteur doubler ce jour-là ?
M. Marcel Rogemont. Vous oubliez que l’employé de la restauration verra son salaire doubler grâce à la baisse de la TVA à 5,5 % ! N’est-ce pas, monsieur le ministre ?
Mme Marie-Lou Marcel. Loin d’être dans la réalité, vous naviguez dans un monde improbable où zones touristiques et zones commerciales se confondent allégrement, où dimanche se marie avec lundi !
Que cache votre pragmatisme ? Que recouvre-t-il ?
M. Marcel Rogemont. Une loi de circonstance !
Mme Marie-Lou Marcel. Une seule chose : la volonté d’entériner la situation qui perdure à Plan-de-Campagne, ou d'autres situations, à la faveur desquelles certains commerçants se sont mis délibérément hors-la-loi.
Voilà un sujet d'instruction civique qui devrait être soumis comme cas d'école à des élèves,…
M. Marcel Rogemont. Mais M. Darcos n’est plus ministre de l’éducation : il est précisément devenu ministre du travail !
Mme Marie-Lou Marcel. …un cas qui devrait soulever la réprobation sur tous les rangs de notre assemblée. « A-t-on le droit de faire une loi validant les pratiques des hors-la-loi ? Cette loi n'est rien d'autre qu'une loi d'amnistie des hors-la-loi ! (Approbations sur les bancs du groupe SRC.)
M. Marcel Rogemont. Les fripouilles sont récompensées !
Mme Marie-Lou Marcel. C'est bien la peine de s'insurger, dans le cadre de l'examen du projet de loi HADOPI, contre les téléchargeurs, alors qu’il s’agit, pour beaucoup d'entre eux, d’adolescents qui se bornent, sans les commercialiser, à écouter quelques titres musicaux ou à visionner quelques films.
C’est bien la peine de pénaliser durement les prétendus fraudeurs aux ASSEDIC,…
M. Marcel Rogemont. Exactement !
Mme Marie-Lou Marcel. …de renforcer les systèmes de contrôle des prétendus faux chômeurs, faux Rmistes, faux malades !
Oui, c’est bien la peine de pénaliser la précarité quand, dans le même temps, vous allez, en adoptant ce texte, récompenser des pratiques douteuses, pratiques que vous récompensez déjà : celle des exilés fiscaux qui partent de notre pays ; celle des foyers fiscaux qui bénéficient des largesses du bouclier fiscal…
À travers cette proposition de loi, il s’agit, une fois de plus, de pénaliser ceux qui n’ont rien ou qui ont peu en leur signifiant que ce peu, c’est déjà beaucoup trop, et de décomplexer ceux qui, bénéficiant d’une situation privilégiée, vont se trouver encore plus privilégiés.
M. Marcel Rogemont. Démonstration éclairante !
Mme Marie-Lou Marcel. Toujours plus pour les mêmes et toujours moins pour tous les autres.
Ne venez pas nous dire que vous avez conçu cette loi pour éviter des licenciements et des fermetures de commerces.
M. Guy Geoffroy. Mais si !
Mme Marie-Lou Marcel. C’est faux ! Et ne venez pas nous dire que votre action n’est mue que par le souci de sauvegarder l’emploi : c’est faux !
M. Richard Mallié, rapporteur. Si ! Je persiste et je signe !
M. Georges Mothron. Allez donc sur le terrain !
M. Richard Mallié, rapporteur. Elle est de l’Aveyron, elle ne sait rien de ce terrain !
Mme Marie-Lou Marcel. Sur le terrain, nous y sommes en permanence !
Oser affirmer que ce projet vise à sauvegarder l’emploi ne s’apparente qu’à du chantage. Le même que celui que risquent de faire peser sur la tête des « volontaires » récalcitrants, les enseignes qui ouvriront le dimanche.
Pourquoi ne pas carrément proposer, afin de sauver l’emploi, que nous examinions l’année prochaine un texte visant à étendre les horaires d’ouverture des commerces à vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept ?
M. Marcel Rogemont. Et voilà !
Mme Marie-Lou Marcel. Après tout, on trouvera toujours quelqu’un qui a besoin d’un clou à quatre heures du matin ou d’une bouteille de lait à cinq heures douze !
M. Bernard Debré. Les infirmiers et les médecins, c’est vingt-quatre heures sur vingt-quatre aussi !
Mme Marie-Lou Marcel. Vous voyez bien, au-delà de la caricature, vers quelle société votre proposition de loi nous mènerait si elle était adoptée.
Croyez-vous un seul instant que la multiplication des ouvertures le dimanche permettra aux salariés de multiplier leurs achats ? Non, monsieur le ministre, multiplier les ouvertures ne revient pas à multiplier les salaires et les personnes qui achèteront le dimanche n’achèteront plus en semaine.
Cette proposition de loi est un cadeau pour la grande distribution.
M. Richard Mallié, rapporteur. Tiens ! Il y avait longtemps qu’on ne l’avait pas entendu !
M. Marcel Rogemont. C’est un cadeau Bonux !
Mme Marie-Lou Marcel. La majorité veut légaliser l’ouverture des grands magasins au détriment de nos commerces de proximité. Vous allez porter un coup fatal à notre commerce traditionnel.
Vous voulez nous conduire dans la pire des sociétés de consommation (Rires et exclamations sur les bancs du groupe UMP), celle où toute règle est vécue comme un tabou à enfreindre et où toute attente est vécue comme une frustration à contourner.
M. Guy Geoffroy. Merci pour votre sens de la nuance !
Mme Marie-Lou Marcel. Ce n’est certainement pas cette société que nous souhaitons léguer à nos enfants et petits-enfants.
Avec le Grenelle de l’environnement, vous voulez nous amener collectivement à une vision durable du développement.
M. Jean Mallot. C’est du moins ce qu’ils prétendent !
Mme Marie-Lou Marcel. Et si nous bâtissions ensemble une société durable, où les relations humaines seraient durables et où, surtout, la famille serait durable ? Je vous invite à y réfléchir. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. Axel Poniatowski.
M. Axel Poniatowski. Nous poursuivons aujourd’hui le débat attendu par de nombreuses entreprises et espéré par des milliers de salariés suspendus aux résultats de nos travaux.
M. Régis Juanico. Ben voyons !
M. Axel Poniatowski. À l’occasion de ce débat, aussi bien au sein de cet hémicycle qu’à travers tout le pays, nombreux sont ceux qui ont exprimé leur très fort attachement au caractère chômé du dimanche. Nombreux sont ceux qui ont rappelé qu’il s’agissait d’un élément structurant et marquant de notre vie en société : le dimanche doit rester, par principe, le jour soit de la vie spirituelle, soit de la vie familiale, soit de la vie associative, bref, le jour du temps libre en commun.
M. Guy Geoffroy. Très juste !
M. Axel Poniatowski. L’auteur et les cosignataires de ce texte n’ont jamais eu l’intention de revenir sur ce point.
M. Guy Geoffroy. Très bien !
M. Jean Mallot. Et pourtant !
M. Christian Hutin. Alors pourquoi ce texte ?
M. Axel Poniatowski. Pourquoi, dès lors, débattons-nous d’une proposition de loi sur les dérogations au repos dominical ? Pourquoi faut-il légiférer sur les dérogations à un principe qui nous est cher ? La situation actuelle – une sorte de non-droit qui perdure depuis vingt-cinq à trente ans – était finalement assez confortable ; pourquoi donc ne pas la poursuivre ?
M. Jean Mallot. Le droit existe, appliquez-le !
M. Axel Poniatowski. Les procès intentés depuis quelque temps par certains syndicats, en particulier l’un d’entre eux, ont bouleversé l’équilibre de ces zones commerciales qui avaient trouvé leur rythme avec l’ouverture dominicale.
M. Régis Juanico. Il s’agit de faire respecter le code du travail !
M. Axel Poniatowski. L’annulation des autorisations préfectorales du travail le dimanche par la justice ébranle ces zones. Si le statu quo n’avait pas été remis en cause par ces procès, nous ne serions pas ici en train de débattre de leur survie.
M. Marcel Rogemont. Ouh ! Ces affreux syndicalistes !
M. Axel Poniatowski. Faut-il rappeler que ces zones, ce sont des salariés, des entreprises qui prospèrent et qui, si rien n’est fait, mettront la clef sous la porte au cours de l’été, contraintes, dès lors, de licencier leurs salariés.
Alors que nous travaillons à relancer l’économie, alors que la lutte contre le chômage est une priorité, alors que, depuis tant d’années, les pouvoirs publics mettent en œuvre, avec des succès variables, des plans pour créer des emplois, voilà que l’on risquerait de voir des dizaines de milliers d’emplois supprimés contre toute logique économique.
M. Guy Geoffroy. Très bien !
M. Axel Poniatowski. Face à cette situation, doit-on ne rien faire ? N’avons-nous pas le devoir de trouver une solution ?
Les épilogues judiciaires de cette procédure nous placent devant un choix radical. Si nous rejetons cette proposition de loi et restons par conséquent imperméables aux spécificités des zones existantes, nous allons tout droit vers un désastre économique et social dans les semaines et les mois qui viennent.
M. Régis Juanico. Le désastre est déjà là !
M. Marcel Rogemont. Ce n’est pas parce qu’une grande surface va fermer le dimanche que ce sera une catastrophe !
M. Axel Poniatowski. Dans ma circonscription, au sein du centre commercial Art-de-vivre, le Grand cercle, l’une des plus grandes librairies de France, indépendante, qui emploie 160 salariés, propose des activités ludiques et culturelles appréciées des familles qui viennent le week-end. Cette librairie a été condamnée la semaine dernière à verser une astreinte de 130 000 euros…
M. Guy Geoffroy. C’est une honte !
M. Axel Poniatowski. …pour avoir maintenu l’ouverture du dimanche comme elle le fait depuis sa création en 1993. Comment voulez-vous qu’une librairie, aussi florissante soit-elle, survive en devant payer une astreinte de 130 000 euros par dimanche ?
M. Marcel Rogemont. De très nombreuses librairies fonctionnent sans être ouvertes le dimanche !
M. Axel Poniatowski. Castorama, Planète Saturn et Toys R Us, condamnés eux aussi à de lourdes astreintes, ont déjà jeté l’éponge et ferment le dimanche. Ce sera bientôt le cas de Leroy Merlin dans le même centre commercial.
M. Régis Juanico. On va pleurer pour Leroy Merlin !
M. Axel Poniatowski. La conséquence est immédiate : diminution de la fréquentation, baisse du chiffre d’affaires et des résultats, licenciements massifs et baisse des salaires pour les employés.
Les enseignes s’interrogent sur l’opportunité de leur départ de cette zone commerciale. Les entreprises indépendantes, bien évidemment, suivraient, progressivement étranglées qu’elles seraient par la disparition de leur clientèle.
Dans le Val-d’Oise, le cas d’Eragny-sur-Oise n’est pas isolé : à Herblay et à Franconville, la situation est identique. L’alternative à cette situation ubuesque pour notre territoire est la régularisation des situations existantes – ni plus ni moins.
M. Guy Geoffroy. Absolument !
M. Axel Poniatowski. Cette dernière voie me paraît raisonnable.
M. Régis Juanico. Vous paraît-elle aussi raisonnable pour les sans-papiers ?
M. Jean Mallot. On pourrait aussi appliquer ce principe pour les permis à points !
M. Axel Poniatowski. La création de périmètres d’usage de consommation exceptionnelle dans les agglomérations de plus d’un million d’habitants est un dispositif qui permet à la fois de se prémunir contre toute extension du travail le dimanche et, dans le même temps, d’offrir un avenir à ces zones commerciales, à leurs salariés et à leur clientèle.
Le nouveau système d’autorisation du travail dominical, naturellement fondé sur le volontariat des salariés, comporte des contreparties très importantes. Nous devons notamment veiller à ce que tout salarié puisse changer d’avis et refuser de travailler le dimanche si sa situation personnelle l’y incite et évolue.
Nous pouvons du reste, à cet égard, quelque peu progresser. Ainsi, nous proposerons, avec Richard Mallié et d’autres, quelques améliorations au cours de l’examen des articles.
Je me réjouis que cette proposition procède également à une rénovation des règles applicables dans les zones touristiques. Tout cela concourra à rendre notre droit plus simple, plus performant, prévisible et cohérent.
L’enjeu de cette proposition n’est pas mince. Il s’agit d’un texte d’équilibre qui garantit une meilleure sécurité et offre plus d’avantages aux salariés, tout en assurant la pérennité des entreprises concernées.
M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales. C’est exact !
M. Axel Poniatowski. Cette proposition est celle du progrès social et d’un avenir assuré pour des milliers de salariés menacés et qui vivent aujourd’hui dans l’angoisse et dans l’incertitude. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
M. le président. Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :
Discussion et vote sur une motion de censure déposée en l’application de l’article 49, alinéa 2, de la Constitution ;
Suite de la discussion sur la proposition de loi sur le repos dominical et les dérogations à ce principe.
La séance est levée.
(La séance est levée à douze heures quarante.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale,
Claude Azéma