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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIIIe législature
Session extraordinaire de 2008-2009

Compte rendu
intégral

Première séance du vendredi 24 juillet 2009

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Rudy Salles

1. Cessation de mandat de députés

2. Démission d’un député

3. Protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet

Discussion des articles (suite)

Rappels au règlement

M. Jean-Pierre Brard

M. Patrick Bloche

Article 3 bis (suite)

Amendements nos 15, 453 à 461, 728

Rappel au règlement

M. Jean Mallot

Article 3 bis (suite)

Amendements nos 462 à 470, 903, 735, 70 à 78, 79 à 87, 507 à 515, 737, 471 à 479, 480 à 488, 733, 489 à 497, 498 à 506, 734, 142 à 150, 736, 902, 871 à 879, 738

Après l’article 3 bis

Amendements nos 834, 833

Article 3 ter A

M. Patrick Bloche

Amendements nos 758, 880 à 888, 889 à 897, 151 à 159

Après l’article 3 ter A

Amendements nos 832, 839

Article 3 ter

M. Christian Paul

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture

M. Patrick Bloche

Amendements nos 16, 160 à 168, 835

4. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Rudy Salles,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Cessation de mandat de députés

M. le président. J’informe l’Assemblée que M. le président a pris acte de la cessation, le jeudi 23 juillet 2009, à minuit, du mandat de député de MM. Christian Estrosi, Pierre Lellouche et Benoist Apparu, nommés membres du Gouvernement par décret du 23 juin 2009.

M. Marcel Rogemont et M. Patrick Bloche. Et M. Santini ? Revient-il parmi nous ?

M. le président. Par une communication en date du 23 juillet 2009, de M. le ministre de l’intérieur, de l’outre- mer et des collectivités territoriales, faite en application des articles L.O. 176-1 et L.O. 179 du code électoral, M. le président a été informé de leur remplacement respectivement par M. Charles-Ange Ginesy, Mme Edwige Antier et M. Bruno Bourg-Broc, que je salue.

M. le président a également pris acte, en application de l’article L.O. 176 du code électoral, de la cessation, à la même date, du mandat de député de MM. Frédéric Lefebvre (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC), Gérard Millet et Jean-Frédéric Poisson, et de la reprise de l’exercice du mandat de MM. André Santini et Yves Jego et de Mme Christine Boutin.

M. Marcel Rogemont. Issy-les-Moulineaux aura à nouveau un vrai député !

2

Démission d’un député

M. le président. M. le président a par ailleurs reçu de Mme Christine Boutin, députée de la 10e circonscription des Yvelines, une lettre l’informant qu’elle se démettait de son mandat de députée. (« Oh ! » sur les bancs du groupe SRC.)

Acte est donné de cette démission et de la vacance de ce siège, qui seront notifiées à M. le Premier ministre.

3

Protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet

Suite de la discussion d’un projet de loi adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet (n°s 1831, 1841).

Discussion des articles (suite)

M. le président. Hier soir, l’Assemblée a poursuivi l’examen des articles, s’arrêtant à l’amendement n° 15 à l’article 3 bis.

M. Jean-Pierre Brard. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Rappels au règlement

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président, ce rappel au règlement atypique n’est pas sans lien avec ce que vous venez de nous annoncer : je tiens à souhaiter la bienvenue à notre collègue Bruno Bourg-Broc, député de Valmy – même s’il n’est pas un gauchiste invétéré. (Sourires.) Ainsi, la fougue de la jeunesse inexpérimentée va être remplacée par un socle de la droite expérimentée et pleine de sagesse – de droite, évidemment. (Sourires.) Fait peu commun – peut-être est-ce la première fois dans l’histoire de notre Parlement, au moins sous la Ve République –, un député honoraire redevient un député banal, si j’ose dire, encore qu’avec Bruno Bourg-Broc, rien n’est jamais complètement banal, surtout sous les ailes du moulin ! (Sourires .)

M. Patrick Ollier. Quel rapport avec un rappel au règlement ?

M. le président. C’est un rappel au règlement, monsieur Ollier, sous forme de souhaits de bienvenue à M. Bruno Bourg-Broc. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

La parole est à M. Patrick Bloche, pour un rappel au règlement.

M. Patrick Bloche. Il faut de l’humanité dans nos rapports : à mon tour, je souhaite, au nom du groupe SRC, la bienvenue à nos collègues même si certains ne découvrent pas l’Assemblée nationale. À titre personnel, je veux dire mon regret que Mme Boutin ne soit plus députée, ayant le souvenir de nos échanges, il y a une dizaine d’années, sur le PACS.

Mon rappel au règlement se fonde évidemment sur l’article 58, alinéa 1 : je veux répéter que HADOPI 2 est un projet de loi qui ne ressemble en rien à HADOPI 1, que notre présence dans l’hémicycle et la défense de nos amendements visent à avancer des arguments sur des dispositions dont nous n’avons jamais débattu, que notre démarche ne poursuit aucune stratégie d’obstruction, et que le groupe SRC entend seulement défendre ses convictions dans le respect du règlement de l’Assemblée nationale.

M. Marcel Rogemont. Excellent !

Article 3 bis (suite)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 15.

La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Monsieur le président, madame la ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, monsieur le ministre de la culture et de la communication, mes chers collègues, j’ai bien entendu les propos de notre rapporteur hier soir. À l’entendre, il n’y aurait pas de présomption de culpabilité et c’est au parquet qu’il revient de rechercher les preuves pour établir la culpabilité. Mais que fera le parquet face à un internaute qui se tait ou qui déclare avoir pris les mesures adéquates sans résultat – car tout le problème est d’obtenir un résultat ? Comment exiger que l’abonné fasse la preuve qu’il a bien pris les mesures nécessaires sans rétablir, de fait, la présomption de culpabilité ? Franchement, c’est mission impossible. Établir de l’extérieur qu’un accès à internet a été bien sécurisé ou non est impossible : il faut aller chez l’internaute et examiner le disque dur de son ordinateur. Honnêtement, le parquet a autre chose à faire…

L’alinéa 3 de l’article 3 bis me paraît incongru. Tel qu’il est rédigé, il sous-entend que la négligence caractérisée peut se prouver par des faits. Au vu de nos débats depuis HADOPI 1, mon interprétation de cet alinéa est que l’existence d’un téléchargement illégal est la preuve d’une négligence caractérisée – et l’on retombe sur la présomption de culpabilité censurée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 10 juin dernier.

Cet alinéaest trop ambigu, monsieur le rapporteur ; c’est pourquoi j’en demande la suppression.

M. le président. La parole est à M. Franck Riester, rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, pour donner l’avis de la commission sur l’amendement n°15.

M. Franck Riester, rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. Avis défavorable. Il n’y a pas de renversement de la charge de la preuve, monsieur Tardy. La culpabilité de l’intéressé devra être établie par l’accusation, dans le cadre de la procédure pénale, le juge se livrant à une appréciation globale en tenant compte des circonstances.

M. le président. La parole est à Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, pour donner l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 15.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Monsieur Tardy, nous avons été très clair hier : ce n’est pas le simple fait du téléchargement illégal qui est en cause, mais le téléchargement illégal qui se poursuit après deux mises en garde. Il suffit à l’internaute de dire qu’il a pris les mesures dont nous avons parlé hier, en utilisant notamment les dispositifs de sécurisation proposés et fournis par l’opérateur.

Comme je l’ai répété à plusieurs reprises, ce n’est pas une obligation de résultat, mais une obligation de moyens. Nos débats permettront d’éclairer le juge sur ce que nous voulons. Votre crainte, qui pourrait être légitime, n’a plus lieu d’être après ces explications. C’est pourquoi je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement, monsieur Tardy.

M. le président. Retirez-vous votre amendement, monsieur Tardy ?

M. Lionel Tardy. Non, monsieur le président.

(L’amendement n° 15 n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de dix amendements identiques, nos 453 à 461 et 728.

Présentez-vous l’ensemble des amendements, monsieur Bloche ?

M. Jean Mallot. On peut toujours rêver !

M. Patrick Bloche. Je défends l’amendement n° 453, monsieur le président. N’étant pas signataire des amendements suivants, je ne suis pas habilité à ne pas les présenter ou à les retirer.

Après avoir entendu les propos de Mme la garde des sceaux, je vous invite, mes chers collègues – sans aller jusqu’à demander une minute de silence – à avoir une pensée pour les juges qui auront à appliquer la loi HADOPI. Il faut avoir conscience que nous leur transmettons un monstre juridique, notamment avec cet article 3 bis.

Si l’on entend bien Mme la garde des sceaux, il n’y pas d’obligation de résultats, mais obligation de moyens. Je souhaite bon courage aux juges pour aller vérifier que l’abonné a bien mis en œuvre tous les moyens pour sécuriser sa ligne ! Non seulement votre dispositif donnera lieu à d’innombrables contentieux, mais les juges, déjà très occupés, ne manqueront pas de travail ! C’est la raison pour laquelle notre groupe avait cru nécessaire d’auditionner l’union syndicale des magistrats et pris contact avec le syndicat de la magistrature.

L’amendement n° 453 est un amendement sensible, car il vise à la conservation des données personnelles. Nous souhaitons réduire de un an à six mois la durée durant laquelle la négligence caractérisée s’apprécie sur la base des faits commis après l’envoi de la recommandation mentionnée à l’alinéa 2. Six mois de conservation des données personnelles, c’est mieux qu’un an.

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Gagnaire, pour soutenir l’amendement n° 456.

M. Jean-Louis Gagnaire. Nous avons tous compris cette nuit que les dispositions de l’article 3 bis ne seraient pas opérantes du fait de la confusion entre obligation de moyens et obligation de résultat. Il n’y a pas lieu de conserver des données aussi imprécises aussi longtemps. Nous souhaitons donc que leur durée de conservation soit réduite à six mois au lieu d’un an , ne serait-ce que pour pas encombrer les disques durs de la HADOPI.

S’agissant de la négligence caractérisée, nous n’avons été convaincus ni par les arguments du rapporteur – mais cela fait quelques mois que cela dure –, ni par ceux de Mme la garde des sceaux ou de M. le ministre.

C’est la dernière journée où nous allons débattre de ce projet de loi – encore que nous pourrons toujours poursuivre son examen à la rentrée si nous n’avons pas fini. Il serait temps que le Gouvernement et la commission acceptent certains amendements, qui ne viennent d’ailleurs pas seulement de nos rangs : M.. Tardy, que nous écoutons avec beaucoup d’attention, a tout compris des enjeux de cette loi et vous seriez bien inspirés à l’UMP d’en faire de même !

M. Jean Mallot. M. Tardy est un excellent député et vous devriez l’écouter !

M. Jean-Louis Gagnaire. J’observe enfin que l’un de nos collègues semble être victime d’une addiction à l’informatique : depuis le début du débat, je le vois tout au fond, yeux rivés sur son écran, sans jamais l’avoir entendu une seule fois… J’aimerais qu’il nous fasse part de son expérience – peut-être est-il même connecté à internet sans que nous le sachions…

M. Jean-Pierre Brard. Il télécharge !

M. Jean-Louis Gagnaire. …pour télécharger sur le compte de l’Assemblée nationale ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Lemorton, pour soutenir l’amendement n° 458.

Mme Catherine Lemorton. La vitesse à laquelle leshackers sont capables de s’infiltrer dans un ordinateur est prodigieuse : votre délai d’un an pour la conservation des internautes « épinglés » sera pour eux une véritable incitation à se faire plaisir…

Je vous rappellerai les six règles de « l’éthique du hacker », telle qu’elle a été créée au Massachussets Institute of Technology : « l’accès aux ordinateurs et à tout ce qui peut nous apprendre comment le monde marche vraiment devrait être illimité et total ; l’information devrait être libre et gratuite ; méfiez-vous de l’autorité ; encouragez la décentralisation ; les hackers devraient être jugés selon leurs œuvres, et non seulement des critères qu’ils jugent factices comme la position, l’âge, la nationalité ou les diplômes ; on peut créer l’art et la beauté sur un ordinateur ; les ordinateurs sont faits pour changer la vie ».

Il n’est pas besoin d’entrer dans des aspects liberticides que personne de véritablement sensé ne saurait contester : ce seul rappel suffit à justifier que la durée de conservation des données soit réduite le plus possible afin de ne pas laisser les internautes à la portée des pirates, qui se feront une joie d’utiliser votre texte répressif pour élargir leur champ d’action.

Mme la ministre d’État parle deux avertissements avant la coupure de la connexion à internet. L’internaute concerné se trouvera pris en étau entre deux problème, obligé de se se battre, d’un côté pour prouver que ce n’est pas lui qui a téléchargé illégalement, de l’autre côté pour exiger de son fournisseur d’accès une sécurisation suffisante… La ménagère de moins de soixante ans, très pertinemment évoquée par M. Lionel Tardy, toute contente d’avoir Internet, ne connaît pas forcément les bonnes façons de négocier avec son vendeur de logiciels ou son FAI. Voilà pourquoi je vous demande d’accepter cet amendement n° 458, qui propose de réduire la durée d’un an à six mois.

M. le président. Quel amendement défendez-vous, monsieur Mallot ?

M. Jean Mallot. Monsieur le président, vous souhaite d’abord le bonjour…

M. le président. C’est gentil !

M. Jean-Pierre Brard. Cela s’humanise !

M. Jean Mallot. …et vous indique que je défends l’amendement n° 460, comme l’indique le dossier de séance que vous avez sous les yeux. La distinction est subtile…

M. le président. Je vérifie s’il s’agit bien de celui-ci.

M. Jean Mallot. On peut passer du temps à ce jeu-là : je vous indique que les signataires sont M. Françaix, Mme Lebranchu…

M. le président. Je vous remercie !

Veuillez soutenir votre amendement n°460.

M. Jean Mallot. Je voulais seulement vous aider, monsieur le président. Vos prédécesseurs procédaient selon une autre méthode, en appelant les amendements au fur et à mesure.

M. le président. Chacun la sienne…

M. Jean-Pierre Brard. Là, ce sont les méthodes niçoises !

M. Jean Mallot. Bien sûr, monsieur le président. Si vous pouviez m’accorder les deux minutes auxquelles j’ai droit pour défendre mon amendement, cela me ferait plaisir.

M. le président. Il vous en reste une dix-neuf.

M. Jean Mallot. Nous pouvons jouer à ce jeu-là : j’ai pris soin d’annuler toutes mes obligations jusqu’à dimanche…

Avec l’article 3 bis, le Sénat a introduit la notion de négligence caractérisée qui soulève de très sérieuses difficultés juridiques. Cela m’amène à une observation, qui devrait vous intéresser, monsieur le président, car elle concerne directement le fonctionnement de notre assemblée.

Pour le projet de loi HADOPI 1, c’est la commission des lois qui a été saisie au fond alors que ce texte se voulait essentiellement organisationnel, technique…

M. Patrick Bloche. Pédagogique !

M. Jean Mallot. La commission des lois ayant été désavouée par le Conseil constitutionnel, je comprends que son président, M. Warsmann, en ait conçu quelque amertume. Étrangement, le projet de loi HADOPI 2, qui ne comporte que des dispositions relevant du fonctionnement de la justice, du code de procédure de pénale, etc., n’a pas été soumis, ne serait-ce que pour avis, à la commission des lois…

M. le président. Monsieur Mallot, votre temps de parole est écoulé. Chaque orateur n’a droit qu’à deux minutes, et vous le savez.

M. Jean Mallot. Attendez-vous très rapidement à un rappel au règlement, monsieur le président.

M. le président. La parole est à M. Marcel Rogemont, pour soutenir l’amendement n° 461.

M. Marcel Rogemont. S’agissant de la négligence caractérisée, prenons l’exemple des restaurateurs – d’autant que vous leur vous consacrez plus d’argent qu’à la culture… Qu’en est-il d’un restaurateur offrant un accès wi-fi à ses clients ? Même s’il s’efforce de répondre un tant soit peu aux recommandations en achetant un dispositif de sécurité, je crains qu’il ne se retrouve dans une position délicate, du fait de l’inanité du dispositif de l’article 3 bis. Sans oublier le surcroît de travail pour les juges, ce qui est particulièrement gênant, même si vous trouvez qu’ils ont du temps libre… Il n’y a pas besoin de conserver si longtemps des données personnelles au niveau de la HADOPI.. Mon amendement n° 461, totalement différent de celui de Jean Mallot, vise à ramener ce délai à six mois au lieu d’un an.

M. le président. Monsieur Rogemont, ne vous croyez pas obligé de nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Vous ne pouvez dire que votre amendement est totalement différent alors qu’il est identique !

M. Jean-Pierre Brard. C’était de l’esprit, monsieur le président !

M. Marcel Rogemont. Je voulais dire l’exposé… Sans doute me suis-je rendu coupable de négligence caractérisée !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour soutenir l’amendement n° 728.

M. Jean-Pierre Brard. Nous proposons six mois au lieu d’un an dans cet amendement de repli – puisque vous ne voulez rien céder sur le fond –destiné à protéger les internautes et réduire l’impact de l’atteinte aux libertés que vous leur infligez.

M. Franck Riester, rapporteur. Nous parlons d’internautes qui téléchargent illégalement, monsieur Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur Riester, vous fonctionnez selon une vieille technologie : comme les soixante-dix-huit tours rayés, vous répétez toujours la même chose.

M. Franck Riester, rapporteur. Vous aussi !

M. Jean-Pierre Brard. Mais répéter mille fois une inexactitude ne suffit pas à lui donner la force d’un vrai argument.

Je voudrais profiter de mon temps de parole, monsieur le président, pour souligner une chose, qui n’a pas été évoquée jusqu’à présent. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Je le dis à l’intention de M. Bourg-Broc afin qu’il puisse profiter du débat.

Vous vous gargarisez des accords de l’Élysée…

M. Franck Riester, rapporteur. Exactement !

M. Jean-Pierre Brard. Écoutez la suite !

…et du nombre de leurs signataires. Mais savez-vous combien on dénombre de fournisseurs d’accès en France ? Touché-coulé, monsieur Riester ! Vous ne le savez pas– je ne poserai pas la question à M. Bourg-Broc, qui vient de revenir. Il y en a trois cents. Et savez-vous combien d’entre eux ont signé les accords de l’Élysée ? Cinq, parmi lesquels un s’est retiré et un autre a disparu. Comme vous avec les accords passés avec les syndicats, je compte le nombre de parties prenantes : les signataires qui restent ne représentent que 1 % du nombre total de FAI. Autrement dit, les accords de l’Élysée n’ont aucune légitimité !

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements identiques ?

M. Franck Riester, rapporteur. Défavorable. Il s’agit de délais similaires à HADOPI 1.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Michèle Alliot-Marie, garde des sceaux. M. Bloche nous a bien indiqué qu’il n’y avait aucune volonté d’obstruction de la part de son groupe et que nous allions examiner les problèmes au fond. Je l’en remercie.

Je regrette toutefois que l’on soit revenu sur la non-saisie de la commission des lois ait été évoquée alors cela a déjà fait l’objet d’une motion de procédure de renvoi en commission où le sujet a pu être examiné très largement, puis sur la notion de négligence caractérisée qui nous avait déjà occupés deux heures hier, et d’autres arguments maintes fois évoqués. Pour M. Brard, c’est autre chose : si ses interventions ne sont pas forcément en rapport avec l’amendement défendu, elles sont toujours une occasion d’enrichissement intellectuel pour tout le monde dans l’hémicycle. (Sourires.)

M. Jean-Pierre Brard. Je vous remercie, madame la ministre.

Mme Michèle Alliot-Marie, garde des sceaux. Pour en venir au fond, la durée de conservation des données pendant un an est proportionnée, du point de vue de l’efficacité recherchée mais également du point de vue des libertés individuelles, puisqu’elle permet de mettre en œuvre les recommandations et donc d’éviter, le cas échéant, la poursuite.

M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. Je rappelle que nous développons des arguments à propos de dispositions nouvelles, madame la garde des sceaux.

Quand M. le rapporteur a parlé de délais « HADOPI 1 », j’ai cru comprendre « œdipiens »… Mme Albanel ayant expliqué que HADOPI 1 visait à créer un cadre psychologique, je voulais être certain que nous faisions du droit et non de l’accompagnement psychologique ou thérapeutique !

Nous touchons à la question sensible de la conservation et du traitement des données personnelles, qui intéresse tout particulièrement votre ministère. Vous savez sans doute que ce sujet a fait l’objet d’un débat au Conseil constitutionnel lorsqu’il a préparé sa décision historique du 10 juin dernier. Certaines dispositions ont d’ailleurs été supprimées, notamment le fichier des abonnés ne pouvant souscrire un nouvel abonnement.

Si nous voulons que la durée soit fixée à six mois plutôt qu’un an, c’est avant tout parce que, dans l’esprit de la loi de 1978 Informatique et libertés, nous souhaitons éviter que ces fichiers, de plus en plus contestés par nos concitoyens, ne fassent l’objet d’une utilisation autre que celle pour laquelle ils ont été créés, du fait d’une trop longue durée de conservation.

(Les amendements identiques nos 453 à 461 et 728 ne sont pas adoptés.)

M. Jean Mallot. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Jean Mallot.

M. Jean Mallot. Monsieur le président, tout à l’heure nous avons eu un échange sur la façon dont mon intervention sur l’amendement n° 460 devait se dérouler. Je m’appuierai sur les articles 58-1 et 54 de notre règlement pour faire deux remarques en forme de suggestion pour la suite de nos travaux ce matin, probablement cet après-midi, voire ce soir.

Le fait que je dispose de deux minutes pour défendre un amendement n’est pas contestable. Mais il ne me paraît pas indispensable que je sois amené à consacrer une part importante de ces deux minutes à retrouver le numéro de l’amendement sur lequel je m’exprime.

M. Patrick Ollier. Allons, monsieur Mallot !

M. Jean Mallot. C’est pourtant ce qui s’est passé, monsieur Ollier !

Certes, l’article 54, alinéa 5, de notre règlement prévoit que lorsque le président juge l’Assemblée suffisamment informée, il peut inviter l’orateur à conclure. Mais il ajoute : « Il peut également, dans l’intérêt du débat, l’autoriser à poursuivre son intervention au-delà du temps qui lui est attribué ». Vous savez comme moi que le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 25 juin 2009 relative à la révision de notre règlement, a précisé : « Il appartiendra, dans tous ces cas, au président de séance d’appliquer cette limitation du temps de parole en veillant au respect des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire ». Je sais que nous partageons ce souci ; nous allons donc nous entendre.

M. le président. Faites attention, monsieur Mallot : si j’applique vraiment le règlement à la lettre, dès lors que j’ai compris le sens de votre intervention, je peux parfaitement vous interrompre au bout d’une minute…

Reprenons l’examen des amendements.

Article 3 bis (suite)

M. le président. Je suis saisi de plusieurs amendements identiques, nos 462 à 470.

La parole est à M. Patrick Bloche, pour soutenir l’amendement n° 462.

M. Patrick Bloche. Cet amendement, que je vais défendre dans les deux minutes maximum qui me sont imparties, propose de rédiger ainsi l’alinéa 3 de l’article 3 bis : « La négligence caractérisée – incrimination pour nous insensée – s’apprécie sur la base des faits commis au plus tard un an et au plus tôt trois mois après l’envoi de la recommandation mentionnée à l’alinéa précédent ».

Dans la mesure où l’abonné a l’obligation d’avoir un système de sécurisation sur lequel nous ne savons pas grand-chose, si ce n’est qu’il risque d’être très onéreux, nous souhaitons qu’il ait le temps de l’acquérir et de l’installer. Cela permettrait aux personnes qui n’auront pas forcément les moyens financiers de l’acheter immédiatement de disposer d’un délai de trois mois.

Rappelons enfin qu’aucune réponse ne nous a été donnée hier soir sur l’activation de ces outils de sécurisation.

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Gagnaire, pour soutenir l’amendement n° 465.

M. Jean-Louis Gagnaire. Les internautes ne sont pas toujours des amateurs éclairés. Ils ont besoin de s’informer, de se renseigner, de faire des comparatifs avant d’acquérir des logiciels : comme cela a déjà été indiqué hier, tous les logiciels de protection ne se valent pas. L’internaute mis aura en cause aura à cœur…

M. Jean Mallot. Hacker ? (Sourires.)

M. Jean-Louis Gagnaire. À cœur, en deux mots !

…de trouver le meilleur logiciel de protection. Et même lorsque celui-ci est fourni par le FAI, il faut le temps de signer un contrat et d’activer la protection. Un minimum de trois mois me semble donc nécessaire. On aurait pu demander deux, voire un mois, mais rassurez-vous : nous ne présenterons pas de sous-amendement afin de gagner un peu de temps.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Lemorton, pour soutenir l’amendement n° 467.

Mme Catherine Lemorton. Quand on fait une loi, on la fait pour tout le monde. Or je ne crois pas que nous soyons dans cette logique avec l’article 3 bis. Hier soir, lorsque je lui ai lu le contrat qu’un FAI proposait à un futur abonné, M. le ministre a admis qu’il était complexe. Les contrats spécifieront-ils les grandes lignes de cette de loi ?Le futur internaute amateur – j’en reviens toujours à ma fameuse ménagère de moins de soixante ans – sera-t-il bien informé de ce qu’est la négligence caractérisée, de ce qu’est un moyen de sécurisation et des niveaux de sécurisation que l’HADOPI considérera comme bons ? Nos concitoyens ne sont pas tous des fraudeurs invétérés, certains veulent seulement s’approprier internet, apprendre à l’utiliser, et ils n’ont pas forcément tout de suite en tête l’idée que quelqu’un va leur prendre leur adresse IP pour communiquer à leur place et entrer dans leur vie privée.

J’ajoute que l’internaute n’aura peut-être pas forcément les moyens financiers d’acheter le meilleur outil de sécurisation, qu’il se retrouvera de fait fraudeur et qu’il devra expliquer que ce n’est pas lui qui a téléchargé illégalement…

M. le président. Merci, madame Lemorton.

La parole est à M. Jean Mallot, pour soutenir l’amendement n° 469.

M. Jean Mallot. Nous souhaitons rendre moins mauvais l’alinéa 3 de l’article 3 bis que nous n’avons malheureusement pas réussi à supprimer.

« La négligence caractérisée s’apprécie sur la base des faits commis au plus tard un an après l’envoi de la recommandation mentionnée à l’alinéa précédent ». Je rappelle que la recommandation mentionnée à l’alinéa précédent porte sur l’invitation faite à l’abonné de mettre en œuvre un moyen de sécurisation de son accès à internet, sous peine d’encourir les foudres de la négligence caractérisée.

Sans revenir sur le caractère extrêmement difficile de l’application de ce dispositif, on ne saurait oublier que ces techniques de sécurisation, qui répondent effectivement, Mme la garde des sceaux l’a rappelé, à une obligation de moyens, non seulement peuvent être onéreuses, mais risque également d’avoir une durée de vie éphémère, la technique en la matière évoluant rapidement, et d’être très vite contournées, voire rendues totalement inopérantes. De fait, l’internaute peut parfaitement se retrouver, en fait de moyen de sécurisation, avec une sorte de brimborion, objet de peu de valeur, babiole inopérante. Je sais que le terme « brimborion » est en voie de disparition, mais comme Alexandre Vialatte l’utilisait fréquemment dans ses chroniques, je pensais utile de vous le remettre en mémoire, monsieur le ministre de la culture et de la communication – peut-être pas ministre de la communication pour très longtemps.

Vous aurez remarqué que je n’ai pas utilisé tout mon temps de parole, monsieur le président !

M. le président. Effectivement, vous faites des progrès, monsieur Mallot !

Quel est l’avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. Je tiens à rassurer nos collègues sur l’information que recevront les titulaires de l’accès à internet concernant les moyens de sécurisation.

Hier, je vous ai dit que l’une des missions d’HADOPI sera de dresser la liste des spécifications nécessaires à son accès à internet. En effet, la loi HADOPI 1 prévoit que les FAI informent les titulaires des accès de l’existence de moyens de sécurisation permettant de prévenir les manquements à l’obligation définie à l’article L. 336-3 du code de la propriété intellectuelle et leur propose au moins un des moyens figurant sur la liste prévue au deuxième alinéa de l’article L. 331-2 du même code, autrement dit la liste HADOPI. On voit bien que, dans chaque contrat, il sera bien spécifié aux titulaires de l’accès à internet qu’ils doivent s’équiper de moyens de sécurisation et que les FAI auront l’obligation de proposer ce type de dispositif, comme ils le font aujourd’hui pour les logiciels de contrôle parental. Tout est donc bien prévu dans la loi.

La commission est donc défavorable à ces amendements.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Michèle Alliot-Marie, garde des sceaux. Même avis que la commission.

M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. Madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, vous pourriez faire preuve d’un peu d’ouverture ! Voilà un amendement que vous auriez pu accepter. J’ai cru d’ailleurs deviner que Mme la ministre l’avait examiné attentivement. Mais, visiblement, le sectarisme est dans son dos !

Nous parlons de la recommandation invitant l’abonné à mettre en œuvre un moyen de sécurisation de son accès à internet. Qu’auriez-vous perdu à accepter des amendements accordant trois mois à l’abonné pour qu’il achète et installe – devra-t-il l’activer ? a priori oui – un outil de sécurisation ? Mon incompréhension est totale, surtout quand vous nous répétez à l’envi que ce texte doit être pédagogique, car c’est exactement le contraire ici. Voilà des amendements que vous auriez pu accepter à bon compte, comme vous l’aviez déjà fait pour quelques-uns.

(Les amendements identiques nos 462 à 470 ne sont pas adoptés.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour soutenir l’amendement n° 903.

M. Jean-Pierre Brard. La philosophie de cet amendement...

Mme Michèle Alliot-Marie, garde des sceaux. C’est un amendement de coordination.

M. Jean-Pierre Brard. Certes, madame la ministre d’État, c’est comme lorsque vous lisez Pascal : il peut aussi y voir de la philosophie. Amendement de coordination, certes, mais il a aussi du sens. Nous tenons beaucoup à ce que cet amendement soit adopté...

M. Franck Riester, rapporteur. Il le sera !

M. Jean Mallot. Quelle émotion !

M. Jean-Pierre Brard. Il le sera ? Dans ce cas, je vous fais cadeau de mon temps de parole, monsieur le président ! (Sourires.)

M. le président. C’est très aimable à vous !

Quel est l’avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. Favorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Michèle Alliot-Marie, garde des sceaux. Favorable.

(L’amendement n° 903 est adopté.)

M. le président. Je constate que le vote est acquis à l’unanimité.

La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour soutenir l’amendement n° 735.

M. Jean-Pierre Brard. Le rapporteur et le Gouvernement sont visiblement dans un état d’esprit positif ce matin...

M. Patrick Bloche. Plus à l’égard du groupe GDR que du groupe SRC !

M. Jean-Pierre Brard. C’est normal !

M. Patrick Bloche. C’est l’alliance historique des gaullistes et des communistes…

M. Jean-Pierre Brard. Pourquoi pas ? Dans cet accord historique, nous nous sommes retrouvés historiquement pour défendre les bijoux de famille quand ils étaient menacés par l’occupant.

M. Patrick Bloche. Les socialistes étaient là aussi !

M. Jean-Pierre Brard. N’ouvrons pas ce débat. Je ne parlerai pas aujourd’hui du décret Sérol ni du reste…

Mon amendement n° 735 s’efforce de rendre plus indolores des effets très pervers de votre texte – je suis sûr que M. Tardy partage mon opinion.

M. Lionel Tardy. Exactement !

M. Jean-Pierre Brard. Madame la ministre, monsieur le rapporteur, j’espère que vous allez faire un geste.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. Avis défavorable. La peine d’un mois, déjà très modeste, n’est qu’un plafond. Le juge pourrait même prononcer une peine d’une semaine seulement – ce qui pourrait contenter M. Brard.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Michèle Alliot-Marie, garde des sceaux. Au risque de décevoir M. Brard, je partage l’avis du rapporteur qui vous a très clairement expliqué que le juge userait en la matière de son pouvoir d’appréciation. Avis défavorable.

M. Jean-Pierre Brard. Ne flattez pas l’ego du rapporteur !

(L’amendement n° 735 n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de neuf amendements identiques, nos 70 à 78.

La parole est à M. Patrick Bloche, pour soutenir l’amendement n° 70.

M. Patrick Bloche. Nous voici obligés, si j’ose dire, de faire le travail des autres. Lors de l’examen de HADOPI 1, nous avions voté un amendement très intéressant de M. Warsmann, président de la commission des lois de l’Assemblée nationale. J’insiste sur ce point car le droit d’auteur, qui est à la fois un droit moral et patrimonial, lui revient. Las, suite à la censure du Conseil constitutionnel, cette disposition pertinente a disparu. Notre amendement n° 70 vise à la rétablir. Ainsi que l’avait exposé le président Warsmann à l’appui de son amendement, « il ne serait pas conforme à l’intérêt général que le contribuable français soit conduit à financer un mécanisme bénéficiant à des ayants droit qui résident dans des paradis fiscaux dans le but de soustraire tout ou partie de leurs ressources au fisc. »

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Gagnaire, pour soutenir l’amendement n° 73.

M. Jean-Louis Gagnaire. Vous aurez compris qu’à travers cet amendement, nous ne visons pas un artiste en particulier : nous cherchons à défendre l’intérêt général. Cet amendement avait déjà fait l’objet d’un consensus. Certes, il avait été proposé par le président de la commission des lois, issu de la majorité, mais ses arguments avaient su nous convaincre et nous l’avions tous voté. Il serait assez décevant de le voir rejeté aujourd’hui pour la seule raison qu’il est présenté par des députés de l’opposition !

Nous comptons beaucoup sur votre engagement et votre sincérité – je m’adresse en particulier à vous, monsieur le rapporteur, qui avez suivi les débats depuis le début – et nous espérons ne pas discuté trop longtemps de ce point sur lequel nous étions tous d’accord.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Lemorton, pour soutenir l’amendement n° 75.

Mme Catherine Lemorton. Celui qui télécharge illégalement, vous l’appelez un fraudeur. Soit. Mais il y a pire : que dire de tous ces artistes installés dans des paradis fiscaux – je ne citerai personne pour ne pas me le voir reprocher par la suite – qui déclaraient publiquement, voici deux ans et demi, qu’ils ne reviendraient en France que le jour où le bouclier fiscal passerait à 50 % ? Soit dit entre parenthèses, le président de la République avait promis de s’attaquer aux paradis fiscaux, mais nous n’avons pas encore vu grand-chose ! N’est-il pas scandaleux de revendiquer une telle attitude sur des chaînes de radio ou de télévision, auprès du grand public qui paie ses impôts en France et n’a pas les moyens d’aller vivre dans les paradis fiscaux ? Qui plus est, ces gens-là ont pu faire fortune grâce à la propriété artistique et aux milliers de personnes, souvent modestes, qui, depuis trente-cinq ou quarante ans sont allés les écouter en concert, ont acheté leurs disques ou leurs DVD. Ce sont eux, les vrais fraudeurs !

Je vous demande pour cette raison d’adopter l’amendement n° 75 qui permettrait de remettre un peu de justice fiscale et sociale dans notre pays.

M. le président. La parole est à M. Jean Mallot, pour soutenir l’amendement n° 77.

M. Jean Mallot. L’amendement n° 77 vise à insérer un alinéa supplémentaire que je ne vous relirai pas, puisqu’il a déjà été présenté par M. Bloche et mes prédécesseurs.

Depuis quelques temps, le gouvernement et sa majorité légifèrent par essais et erreurs alors qu’ils devraient au contraire prendre le temps de la réflexion avant de rédiger des textes et nous les présenter.

Je citerai pour exemple le texte sur le travail dominical : nous avons eu le Mallié 1, puis Mallié 2, Mallié 3 et Mallié 4 – adopté par le Sénat à une très courte majorité et qui risque fort de revenir devant nous.

Nous avons aujourd’hui HADOPI 2, après HADOPI 1. Le Conseil constitutionnel, nous le savons bien, fera son œuvre sur HADOPI 2, qui reviendra vraisemblablement à l’Assemblée sous le nom de HADOPI 3. Ne serait-il pas plus simple d’appliquer les bonnes résolutions que le Gouvernement a prétendu mettre en œuvre à travers la révision constitutionnelle et la révision de notre règlement – puisque c’est lui qui l’a dictée finalement – pour faire du travail législatif raisonnable, construit et sérieux ?

Ajoutons qu’en proposant cet alinéa supplémentaire, nous donnons une suite aux conclusions du G20 qui s’est tenu voici quelques mois à grands renforts de presse et d’enthousiasme élyséen pour montrer qu’enfin la communauté internationale, conduite par le grand chef de l’État français, allait s’attaquer aux vrais problèmes, y compris les paradis fiscaux. Allons-y ! Qu’attendons-nous ?

Enfin, je m’étonne que le président de la commission des lois ne soit pas venu défendre lui-même cet amendement qui est tout de même le sien, et je serais extrêmement déçu et surpris que sa majorité ne le vote pas.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. Monsieur Bloche, j’ai bien l’impression que vous vous rendez coupable de contrefaçon. Je n’oserais pas parler de délit parce que je ne suis pas juge, mais vous avez dit que votre amendement reprenait celui de M. Warsmann. Or, il ne s’agit pas de son amendement, mais bien d’une contrefaçon, dans le sens que vous-même avez donné au mot, c’est-à-dire d’une imitation avec dégradation de l’œuvre originale. En effet, alors que M. Warsmann visait le seul cas où tous les ayants droit des œuvres téléchargées illégalement résidaient dans un paradis fiscal, vous élargissez le champ en proposant qu’aucune sanction ne puisse être prise dès lors qu’au moins un des ayants droit réside dans un paradis fiscal… Cette mesure serait d’une parfait injustice car vous priveriez de leurs droits certains des ayants droit – ils peuvent être nombreux – qui, eux, résident en France et y paient leurs impôts. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Michèle Alliot-Marie, garde des sceaux. J’ai beaucoup entendu les rangs de gauche en appeler à la modernité. Vos amendements m’étonnent dans la mesure où, à l’heure de l’Europe et de la mondialisation, vous voulez prendre des mesures en fonction du lieu où les gens s’installent !

Mais surtout, et c’est peut-être le pire, vos amendements sont très flous et, de ce fait, susceptibles de porter atteinte aux droits des personnes. Qu’entendez-vous ainsi par « résider » ? Vous auriez parlé de résidence principale ou de résidence fiscale, cela aurait eu un sens ; mais la seule notion de résidence est trop vague.

M. Jean-Louis Gagnaire. Sous-amendez alors !

Mme Michèle Alliot-Marie, garde des sceaux. Il en va de même de la notion de « régime fiscal privilégié ». De quoi s’agit-il ? De payer moins d’impôts sur les revenus ? Dans certains pays européens, on paie plus d’impôts sur le revenu, dans d’autres plus d’impôts sur la fortune, dans d’autres enfin plus de droits de succession. Comment juger d’un régime fiscal privilégié ? Et qui jugera ? Tout cela, pour reprendre vos propos, n’est pas de bonne façon de faire la loi, car la loi doit être précise et sûre.

M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. Votre réquisitoire, madame la garde des sceaux, est impitoyable, non pas pour notre groupe, mais pour votre premier correspondant à l’Assemblée nationale, c’est-à-dire le président de la commission des lois, M. Warsmann. Peut-être n’avez-vous pas entendu le début de mon intervention : j’ai dit que je reprenais un amendement que M. Warsmann avait présenté et avait fait voter lors de l’examen d’HADOPI 1, avec l’accord de Mme Albanel. Je vous laisse le soin de gérer vos relations avec M. Warsmann et lui expliquer qu’il écrit la loi n’importe comment…

Par ailleurs, je rappelle à M. le rapporteur que l’on ne peut parler de contrefaçon qu’en cas de téléchargement à l’identique ; autrement dit, c’est une duplication parfaite.

M. Franck Riester, rapporteur. Ce n’est pas ce que vous avez dit hier : vous avez mis en avant la dégradation de l’œuvre originale.

M. Patrick Bloche. En l’occurrence, j’ai bien fait référence au droit d’auteur de M. Warsmann sur cet amendement ; et si notre rédaction diffère quelque peu, c’est précisément cette différence qui permettrait à l’amendement d’être effectif. En effet, tout le monde sait ici que chaque œuvre compte de très nombreux ayants droit. Or, les seuls à s’installer dans des paradis fiscaux sont, soit le producteur, soit, le plus souvent, la vedette. Nous voulons que celles et ceux qui ont si peu de patriotisme fiscal ne puissent de surcroît demander au pays où ils ne résident plus de leur assurer une rémunération de leurs droits d’auteur.

(Les amendements identiques nos 70 à 78 ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de neuf amendements identiques, nos 79 à 87.

La parole est à M. Bloche, pour soutenir l’amendement n° 79.

M. Patrick Bloche. Ce n’est pas un amendement de M. Warsmann que nous reprenons cette fois-ci : il s’agit bien de nos amendements…

Je voudrais vraiment que nous en prenions conscience : nous représentons la nation, beaucoup d’entre nous ont en charge des collectivités territoriales et nous partageons tous le souci de ne pas perturber le fragile équilibre économique, surtout dans le contexte de crise actuel – d’autant que bon nombre d’entre nous exercent des responsabilités dans les collectivités territoriales.

De ce fait, et compte tenu de tout le débat qui s’est tenu sur HADOPI 1, nous souhaiterions revenir sur la notion de « négligence caractérisée » que vous avez introduite de manière si contestable. Notre amendement n° 79 tend à ce que les personnes morales, à savoir principalement les entrepreneurs mais aussi les responsables des collectivités territoriales, ne soient pas responsables pénalement en cas de négligence caractérisée. Faute de quoi, non seulement votre projet de loi est une usine à gaz, mais ce sera une boîte de Pandore dont les conséquences économiques pourraient être terribles pour notre pays. Vous allez me répondre que la suspension ne dure qu’un mois, mais dans la vie d’une entreprise aujourd’hui, ne plus avoir d’internet pendant un mois, c’est une véritable catastrophe.

M. Jean-Louis Gagnaire. C’est criminel !

M. Yanick Paternotte. Cela fera des vacances aux entreprises…

M. Jean-Louis Gagnaire. C’est malin ! Allez dire pareilles sottises aux chefs d’entreprises !

M. Yanick Paternotte. Ne parlez pas de ce que vous ne connaissez pas !

M. le président. Je vous en prie !

La parole est à Mme Catherine Génisson, et à elle seule, pour soutenir l’amendement n° 82.

Mme Catherine Génisson. Patrick Bloche a beaucoup insisté sur le handicap que la suspension de l’accès à internet pourrait représenter pour les entreprises et particulièrement, nous l’avons fait remarquer hier soir, pour les toutes petites entreprises. Compte tenu des difficultés économiques et sociales de nos concitoyens, le sujet est majeur.

Il faut également rappeler les possibles conséquences de l’application de cette mesure pour les collectivités territoriales ou les universités.

Non seulement les grands centres urbains, mais également beaucoup de communes rurales ont très largement développé les réseaux wi-fi ou les cybercentres, c’est-à-dire la mise à la disposition de leurs concitoyens de l’informatique et d’internet. Dès lors, on se demande comment l’article 3 bis pourrait s’appliquer aux responsables politiques ou associatifs en particulier en milieu rural. Notre groupe vous invite donc à voter tout particulièrement cet amendement qui relève du plus élémentaire souci de protection de nos concitoyens – pour ne pas dire du plus élémentaire bon sens.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Lemorton, pour soutenir l’amendement n° 84.

Mme Catherine Lemorton. L’amendement n° 84 amendement vise à insérer, après l’alinéa 4, l’alinéa suivant : « Les personnes morales ne sont pas responsables pénalement de l’infraction définie au premier alinéa de cet article commise à partir de leur adresse IP ».

L’argumentation de Patrick Bloche me donne l’occasion de parler de nouveau d’un secteur économique que nous avons évoqué hier soir, la pharmacie.

M. Jean Mallot. Ah ! Enfin !

Mme Catherine Lemorton. C’est un des seuls secteurs d’activités qui génère sa trésorerie par l’utilisation d’internet, puisque 80 % à 85 % de son chiffre d’affaires dépendent de la vente des médicaments, laquelle nécessite des échanges par internet avec la caisse primaire d’assurance maladie. Nous ne sommes pas au pays de Candy, monsieur le rapporteur : il y aura forcément des bugs, des schmurtz et des couacs…

Vous nous décrivez la situation future comme dans un livre, sous prétexte que la disposition est inscrite dans le projet de loi.

M. Franck Riester, rapporteur. Elle sera inscrite dans la loi, en effet.

Mme Catherine Lemorton. Mais cela ne se passera pas aussi bien que vous le prétendez, car cette disposition suscitera de nombreux problèmes !

Le jour où une pharmacie verra son accès à internet suspendu, pas même un mois, mais seulement deux ou trois jours, sa trésorerie sera dans le rouge à la banque.

M. Franck Riester, rapporteur. Ben voyons !

Mme Catherine Lemorton. Cela a l’air de vous faire rire, mais cela ne fera pas rire la profession des pharmaciens d’officine.

M. Michel Havard. Les pharmaciens sont honnêtes, ils ne téléchargent pas illégalement !

Mme Catherine Lemorton. Ce que j’entends prouve que, sur les bancs de l’UMP, on ne suit pas le débat ou qu’on ne veut pas comprendre ! Aucun pharmacien ne télécharge illégalement, certes ; mais il embauche des gens et personne ne peut exclure qu’un salarié se mette à télécharger une fois, puis une deuxième trois mois plus tard – sans être pour autant un fraudeur à mettre en prison, d’ailleurs. Reste que notre pharmacien est la personne morale titulaire de l’adresse IP. Le temps qu’il prouve que ce n’est pas lui qui télécharge,...

M. le président. La parole est à M. Jean Mallot, pour soutenir l’amendement n° 86.

Mme Catherine Lemorton. Monsieur le président, vous auriez pu me laisser terminer ma démonstration !

M. Jean Mallot. Je pense, monsieur le président, que Mme Lemorton aurait pu terminer sa démonstration tout à fait pertinente.

M. le président. Monsieur Mallot, c’est moi qui suis chargé de la police de cette assemblée.

M. Jean-Pierre Brard. La police… Tout de suite les grands mots !

M. Jean Mallot. Bien sûr, monsieur le président… N’y voyez qu’une simple contribution à vos réflexions personnelles, puisque c’est collectivement que nous contribuons à la bonne marche de l’Assemblée et à la qualité de notre travail législatif !

L’amendement n° 86 se propose d’aider le Gouvernement et sa majorité à bien mesurer les conséquences de la disposition que celle-ci s’apprête à voter. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Nous sommes de bonne foi et faisons preuve de bonne volonté pour vous éviter de mettre en place des mécanismes législatifs qui aboutiraient à bloquer le système et vous conduiraient donc à revenir dans l’hémicycle pour HADOPI 3, 4 ou 5, ce qui serait une mauvaise manière de faire la loi.

Je tiens également à revenir sur la question des moyens de sécurisation. M. le rapporteur a indiqué que la HADOPI publiera une liste de moyens de sécurisation agréés ou labellisés : sur quels critères la Haute autorité triera les moyens de sécurisation existants ? Comment déterminera-t-elle les plus pertinents ? Décernera-t-elle des labels, des agréments ? Que faudra-t-il faire pour figurer sur la liste ?

Je rappelle que les règles déontologiques auxquels seront soumis les membres de la HADOPI seront fixées par son propre règlement intérieur, puisque l’amendement que nous avons présenté à ce sujet n’a pas été accepté.

Il est absolument indispensable, monsieur le rapporteur, que vous répondiez à ces questions, à la fois sur le plan technique…

M. le président. Votre temps est épuisé, monsieur Mallot.

Quel est l’avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. Défavorable. Juridiquement, on ne saurait prévoir deux régimes différents, un pour les personnes morales et un pour les personnes physiques : ce serait inconstitutionnel. Sans compter qu’il serait parfaitement possible de créer des associations dans le seul but de contourner le dispositif et d’échapper à la sanction pénale.

Cela dit, je vous le répète, madame Lemorton : si ce n’est pas votre pharmacien qui télécharge illégalement mais un de ses employés, il ne pourra pas tomber sous le coup du délit de contrefaçon et donc voir son accès internet suspendu. C’est clair et net : pour qu’il y ait suspension de l’accès à internet, le titulaire doit être celui qui télécharge illégalement.

M. Jean-Pierre Brard. Comment le prouver ?

M. Franck Riester. Ce sera au juge de le prouver.

Et dans le cas de négligence caractérisée, si le pharmacien n’a pas pris tous les moyens nécessaires pour sécuriser son accès à internet, le juge tiendra compte des circonstances de l’espèce, s’apercevra que, sur le plan professionnel, le pharmacien a besoin de son accès internet pour travailler et ne prononcera donc pas une sanction de suspension de l’accès à Internet, mais seulement une peine d’amende.

M. Jean-Louis Gagnaire. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Michèle Alliot-Marie, garde des sceaux. Défavorable. Il s’agit de revenir, là encore, à certains principes juridiques, notamment à celui de la responsabilité des personnes morales, inscrit dans notre droit, et dont l’objet au demeurant est d’éviter que les personnes physiques ne soient trop fréquemment mises en cause.

Comme vous y a invité le rapporteur, faites un peu confiance au juge pour garantir la proportionnalité de la sanction et en mesurer les effets.

M. Patrick Bloche. Pauvre juge !

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Gagnaire.

M. Jean-Louis Gagnaire. Dans la période où nous vivons, ne croyez-vous pas que les personnes morales et les responsables d’entreprises, que ce soit dans le secteur de la pharmacie ou ailleurs, aient autre chose à faire que de se préoccuper de savoir si leur accès internet sera suspendu durant un mois ou seulement une semaine ? Pour eux, chaque jour de suspension serait réellement catastrophique ! Rappelons que toutes les commandes de médicaments se font par l’intermédiaire d’internet.

M. Franck Riester, rapporteur. Mais puisqu’il ne sera pas possible de couper au pharmacien son accès à internet !

M. Jean-Louis Gagnaire. Si ce n’est pas possible, pourquoi ne pas l’inscrire dans la loi ? Cela évitera de faire perdre du temps aux juges, aux chefs d’entreprises et aux responsables de personnes morales !

M. Franck Riester, rapporteur. C’est inscrit dans le texte !

M. Jean-Louis Gagnaire. Puisque nous sommes dans le cadre d’une riposte graduée, n’oublions pas non plus les effets collatéraux d’une telle disposition : tous les présidents d’universités ou d’établissements publics qui ont ouvert des espaces numériques publics, fermeront ces accès, parce qu’ils ne voudront pas courir le risque d’être mis en cause à raison de leurs structures publiques ou privées ! Tant et si bien que nous assisterons bientôt, dans le domaine numérique, à une véritable glaciation de la France, qui deviendra comme la Corée du Nord ou la Chine populaire – pays que vous aimez à citer, monsieur le ministre, bien qu’ils ne soient pas des plus démocratiques. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Je ne souhaite pas que la France régresse sur le plan numérique parce que les conséquences d’une régression seraient effroyables pour notre économie, qui est déjà en phase de refroidissement brutal.

(Les amendements identiques nos 79 à 87 ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de dix amendements, nos 507 à 515 et 737, pouvant être soumis à une discussion commune.

Les amendements nos 507 à 515 sont identiques.

La parole est à M. Patrick Bloche, pour défendre l’amendement n° 507.

M. Patrick Bloche. Cet amendement concerne le même sujet et nous sommes vraiment navrés de voir que nos arguments ne portent pas.

M. Franck Riester, rapporteur. Ils sont faux !

M. Patrick Bloche. Je souhaite vous rappeler que la CNIL avait fait part, lors de l’examen de HADOPI 1, de son inquiétude relative à une surveillance individualisée des salariés dans les entreprises du fait de l’obligation faite à l’employeur de surveiller l’utilisation de la ligne internet. C’est la raison pour laquelle nous souhaitions que les personnes morales ne soient pas responsables pénalement.

Notre amendement n°507 est de repli, c’est-à-dire de moindre mal, vise à considérer le cas très précis du chef d’entreprise qui a adressé, en tant que responsable, des consignes à ses salariés sur les conditions et les limites de l’utilisation d’internet dans la société qu’il dirige.

Nous proposons que, dans la situation précise où le chef d’entreprise a fait, en tant que personne morale, son boulot en prenant toutes les précautions nécessaires, « aucune sanction ne peut être prise à l’égard du titulaire de l’accès si l’infraction est le fait d’une personne agissant contrairement aux consignes du titulaire de l’accès ».

Cet amendement facilitera grandement le travail des pauvres juges auxquels vous demandez tant !

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Gagnaire, pour soutenir l’amendement n° 510.

M. Jean-Louis Gagnaire. Cet amendement de repli vise à vous rendre responsables.

On peut, en effet, d’autant moins exiger d’un responsable qu’il aille surveiller ce qui se passe sur les ordinateurs de son entreprise ; c’est du reste répréhensible puisqu’il pourrait être accusé d’intrusion dans la correspondance privée. C’est donc une porte de sortie supplémentaire que nous vous offrons. Vous seriez bien avisé de la saisir !

Dans le cadre de responsabilités que j’exerce en dehors de mon mandat de député, je serai conduit à communiquer largement avec les organisations patronales : vos refus systématiques et réitérés de prendre en considération nos amendements relèvent de l’irresponsabilité économique au plus haut point. Je m’étonne, monsieur le rapporteur, vous qui avez hérité de responsabilités en entreprise, que vous ne soyez pas sensible à ce type d’arguments,.

Nous vous invitons de nouveau à vous ressaisir parce que la période n’est pas propice à ce genre de bagarre subalterne.

M. Michel Havard. Caricature !

M. Jean-Louis Gagnaire. Je rappelle qu’il ne s’agira pas de responsables d’entreprises téléchargeant illégalement, mais de responsables imprudents, insuffisamment vigilants ou qui auront pu être piratés parce que leur branchement wi-fi sera mal protégé.

Ressaisissez-vous plutôt que de vous obstiner à appuyer sur l’accélérateur pour foncer dans le mur qui est devant vous !

M. Michel Havard. Comme le PS !

M. Jean Mallot. Que chacun s’occupe de ses affaires !

M. Jean-Pierre Brard. Et les vaches seront bien gardées.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Lemorton, pour soutenir l’amendement n° 512.

Mme Catherine Lemorton. Je voudrais moi aussi appuyer…

M. Gaël Yanno. Là où ça fait mal ?

Mme Catherine Lemorton. …là où ça fait mal, en effet, et m’inquiéter de l’ambiance que cette disposition engendrera dans les entreprises.

L’article L.1121-1 du code du travail dispose que « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».

Au sein de l’entreprise, le salarié, comme l’ensemble des citoyens, a droit au respect de sa vie privée. Ce principe, déjà codifié par le code pénal, le code de procédure pénale et le code de procédure civile,…

M. Jean Mallot. Et voilà !

Mme Catherine Lemorton. …a été réaffirmé en 2001 par la Cour de cassation selon laquelle le salarié a droit, même sur son lieu de travail et pendant les heures de travail, au respect de sa vie privée impliquant « en particulier le secret des correspondances », l’employeur ne pouvant « dès lors, sans violation de cette liberté fondamentale, prendre connaissance des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail et ceci même au cas où l’employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l’ordinateur ».

J’entends ce que dit M. le rapporteur : dès lors que l’employeur – la personne morale – dira que ce n’est pas elle, il n’y aura pas de sanction. Dont acte. Ne me dites toutefois pas que cet employeur, pour peu qu’il soit responsable, restera sans rien faire si le téléchargement illégal continue de temps à autre dans son entreprise, car son problème avec HADOPI demeurera. Il tentera donc de surveiller les correspondances de tous ses salariés pour savoir lesquels téléchargent illégalement. C’est une évidence. Votre loi, monsieur le rapporteur, va générer une ambiance délétère dans les entreprises, en particulier au sein des plus petites, dépourvues de comité d’entreprise et de délégués du personnel. Je vous demande donc de voter mon amendement n° 512.

M. le président. La parole est à M. Jean Mallot, pour soutenir l’amendement n° 514.

M. Jean Mallot. L’amendement n° 514 vise à insérer l’alinéa suivant : « Aucune sanction ne peut être prise à l’égard du titulaire de l’accès si l’infraction est le fait d’une personne agissant contrairement aux consignes du titulaire de l’accès. »

Les réponses de M. le rapporteur et de Mme la garde des sceaux me font penser à ce mot qu’ait pu dire Edgar Faure : « Quand je vois quelque chose de compliqué, je le complique, je le complique… » (Sourires.) Vous êtes en tout cas très forts en ce sens : dès que vous êtes à court d’argument, vous répondez que les dispositions en question ne s’appliqueront jamais – telle disposition ne concernera pas les pharmaciens, telle autre ne touchera pas telle autre catégorie, bref, personne. À l’inverse, quand les dispositions s’appliqueront, vous ignorez de quelle manière…

Le plus simple ne serait-il donc pas de retirer votre texte ou bien de renvoyer carrément à un article du code pénal, au juge et c’en sera terminé ? Mais cessez donc de complexifier à chaque phrase cette usine à gaz dont vous avez depuis longtemps perdu le contrôle.

Catherine Lemorton a évoqué le respect de la vie privée des salariés par leurs employeurs. Nous en avions déjà discuté au cours de l’examen d’une proposition de loi : il s’agissait de la transcription dans la loi de l’accord national interprofessionnel relatif au télétravail, lequel prévoyait notamment le respect de la vie privée du salarié, stipulation qui avait disparu dans le texte de la proposition de loi.

Ce n’est pas un hasard : vous ne voulez pas entrer dans ce débat, laissant les partenaires sociaux se dépêtrer. Vous obtiendrez donc des résultats compliqués.

Dernier point, cet amendement fait allusion à des consignes. Nous aurons l’occasion, je pense…

M. le président. C’était bien essayé, monsieur Mallot, mais votre temps est épuisé !

La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour soutenir l’amendement n° 737.

M. Jean-Pierre Brard. Aux termes de cet amendement, tout employeur ayant établi un règlement intérieur ou une charte d’utilisation de l’internet conforme au texte que nous discutons et l’ayant fait signer à ses employés, serait exonéré de sa responsabilité en cas d’utilisation de la connexion non conforme aux dispositions du présent projet.

Cette disposition apporterait une sécurité juridique non négligeable aux employeurs et les prémunirait contre les agissements de leur personnel, évitant que leur accès ne soit suspendu.

J’entends déjà le rapporteur me répondre : « Mais le juge, le juge, le juge ! » Sauf que plus la loi est précise et plus le juge est à l’aise.

M. Franck Riester, rapporteur. Mais elle est précise, la loi ! Je vais vous la lire !

M. Jean-Pierre Brard. La disposition que nous proposons serait de ce point de vue très pertinente.

Madame la garde des sceaux, vous reprochez à mes interventions d’être parfois hors sujet ; cela arrive mais fait partie de l’exercice et permet d’obtenir des réponses à nos questions. Reste, monsieur le ministre de la culture, que vous n’avez toujours pas répondu à celle que je vous ai posée hier sur le centre de rétention des internautes.

J’en ai une autre à votre adresse, madame la garde des sceaux : pouvez-vous nous assurer que les logiciels de sécurisation ne seront pas discriminants pour les auteurs et utilisateurs de logiciels libres et qu’ils garantiront l’interopérabilité avec les systèmes GNU/Linux, FreeBSD, OpenBSD, et les autres ? Sinon, le Gouvernement serait à l’origine de distorsions de concurrence – un comble pour un gouvernement de droite qui souscrit au principe européen de « concurrence libre et non faussée ».

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur la série d’amendements identiques ainsi que sur l’amendement de M. Brard ?

M. Franck Riester, rapporteur. Vous avez raison, monsieur Brard : la loi doit être précise et c’est la raison pour laquelle celle-ci l’est. Laissez-moi vous relire une partie du second alinéa de l’article 3 ter A : « Pour prononcer la peine de suspension prévue aux articles L. 335-7 et L. 335-7-1 – relatifs au délit de contrefaçon ou de négligence caractérisée – et en déterminer la durée, la juridiction prend en compte les circonstances et la gravité de l’infraction ainsi que la personnalité de son auteur et notamment l’activité professionnelle ou sociale de celui-ci. »

Il est donc très clair que les juges auront à prendre en compte – c’est classique – les circonstances de l’espèce et, notamment, comme le prévoit le texte, le fait de savoir si le titulaire a accès à internet pour des activités professionnelles ou non.

Les consignes, monsieur Bloche, qui seront transmises par le titulaire de l’accès à internet à ses salariés, seront également prises en compte par le juge, tout comme les moyens de sécurisation qu’il aura mis en œuvre.

Ne sous-estimez pas, mes chers collègues, le défi considérable que les entreprises devront affronter dans les années qui viennent en matière de sécurisation de leur accès à internet.

Mme Catherine Génisson. Ça, c’est vrai !

M. Franck Riester, rapporteur. Si cette loi peut permettre à tous les chefs d’entreprise de se poser la question de la sécurisation de leur accès à internet, ce sera déjà une grande victoire pour notre démocratie. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur ces amendements ?

Mme Michèle Alliot-Marie, garde des sceaux. Avis défavorable.

Bien entendu, la correspondance des salariés est protégée au titre de la protection de la vie privée ; nous avons rejeté les amendements de l’opposition tendant à faire disparaître l’obligation de sécurisation. Vous cherchez à nous faire à revenir en arrière ; or nous ne sommes pas d’accord avec vous, puisque nous exigeons l’obligation de sécurisation. Quant à l’interdiction par le chef d’entreprise d’une utilisation par ses salariés autre que professionnelle, ce peut être une condition nécessaire prise en compte par le juge, mais certainement pas une condition suffisante. La condition suffisante étant celle que nous avons demandée et que vous avez refusée.

M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. Le sujet dont nous parlons est sensible. Selon M. le rapporteur, grâce à HADOPI 2, on va « booster » la sécurisation des entreprises. On peut certes se soucier de ce que les entreprises sécurisent mieux leur connexion internet. Fallait-il pour autant adopter le monstre juridique que vous proposez ? Nous ne le pensons pas.

On en demande tant aux juges à travers ces dispositions – et notamment à cause de leur imprécision – qu’aucun d’entre eux ne prendra le risque de « couler » une entreprise, fût-ce en suspendant qu’un mois sa connexion Internet… Il en ira de même avec les universités et les collectivités territoriales qui ont mis en place des réseaux wi-fi ouverts : les juges estimeront, selon toute vraisemblance, que la suspension d’un mois sera disproportionnée par rapport à l’infraction commise.

Autrement dit, si j’ai bien compris vos réponses, le juge sera amené à ne pas suspendre pendant un mois l’accès à internet d’une personne morale mise en cause. Voilà une bonne nouvelle…

M. le président. La parole est à M. Lionel Tardy. Êtes-vous contre l’amendement, mon cher collègue ?

M. Lionel Tardy. Non, monsieur le président …

M. le président. Dans ce cas, je ne peux vous donner la parole.

M. Jean-Pierre Brard. Il fallait dire que vous êtes contre, monsieur Tardy ! Vous manquez de métier ! (Sourires.)

(Les amendements identiques nos 507 à 515 ne sont pas adoptés.)

(L’amendement n° 737 n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’une série d’amendements identiques, nos 471 à 479.

La parole est à M. Patrick Bloche, pour soutenir l’amendement n° 471.

M. Patrick Bloche. Je conseille à M. Tardy d’imiter Sacha Guitry : s’il souhaite s’exprimer sur un amendement qu’il approuve alors qu’il ne pourrait s’exprimer qu’en cas contraire, de dire qu’il est contre, tout contre.

M. Franck Riester, rapporteur. C’est un contournement du règlement !

M. Patrick Bloche. Un contournement du règlement ? Je n’ai pas dépassé mes deux minutes de temps de parole, monsieur le rapporteur !

M. Jean Mallot. C’est une application adaptée !

M. Patrick Bloche. Mon amendement n° 471 vise à obtenir à l’article 3 bis ce que nous n’avons pas obtenu à l’article 3 : nous trouvons paradoxal et même aberrant de voir un internaute sanctionné pour défaut de sécurisation, pour négligence caractérisée avec une suspension pouvant aller jusqu’à un mois, tout simplement parce qu’il aurait téléchargé illégalement une œuvre, certes protégée par un droit d’auteur ou un droit voisin, mais qui ne serait pas disponible dans le cadre de l’offre légale.

Comme nous tenons beaucoup au développement de l’offre légale, nous pensons que le vote de cet amendement contribuerait à la développer – objectif qui d’ailleurs nous rassemble.

Veuillez constater, monsieur le rapporteur, que je n’ai même pas utilisé la totalité des deux minutes dont je disposais pour soutenir un amendement dont le contenu a déjà été présenté à l’article 3.

M. Franck Riester, rapporteur. Cela ne m’a pas échappé !

M. le président. La parole est à Mme Catherine Génisson, pour défendre l’amendement n° 474.

Mme Catherine Génisson. L’amendement n° 474 est défendu.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Lemorton, pour soutenir l’amendement n° 476.

Mme Catherine Lemorton. Il s’agit d’un amendement de bon sens. Les Français, quand nous le leur expliquerons, ne comprendront pas pourquoi vous l’aurez refusé. Il arrive qu’une œuvre, protégée par le droit d’auteur, ne soit pas disponible sur les plateformes de téléchargement légal. Or, et je cite les arguments avancés par Mme Kosciusko-Morizet elle-même dans un entretien du 24 juin dernier, on sait bien que, très souvent, le téléchargement fait l’objet d’un comportement compulsif. Ira-t-on jusqu’à pénaliser un internaute qui aurait téléchargé « illégalement » une chanson ne faisant pas partie de l’offre légale ?

M. le président. La parole est à M. Jean Mallot, pour soutenir l’amendement n° 478.

M. Jean Mallot. Non seulement c’est un amendement de bon sens, mais il protège l’accès à la culture et lutte contre l’obscurantisme.

On peut lire, page 39 du rapport, que le ministre de la culture a précisé, lors du débat en commission, qu’il existait cinquante sites de téléchargement vidéo légaux en France, ce qui représente à peu près 3 000 films et 7 millions de titres de musique sur des dizaines de sites disponibles. Autant dire qu’il existe aussi des œuvres non disponibles…

Imaginons qu’un lycéen préparant un baccalauréat s’ouvre à la culture et souhaite accéder à une œuvre qui n’est pas disponible légalement : ou bien on le condamne à rester ignare, ou bien on lui permet d’utiliser le seul moyen à sa disposition pour se la procurer, à savoir un téléchargement qui, certes, est pour le coup illégal.

Vous devez donc accepter mon amendement n°478, à moins de porter un chapeau dont je reste convaincu, monsieur le ministre, que vous ne souhaitez pas le porter.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur cette série d’amendements identiques ?

M. Franck Riester, rapporteur. Défavorable. Nous avons parlé de ce sujet des dizaines de fois déjà, et dès l’examen du projet HADOPI 1. Je tiens en tout cas à saluer la performance de Patrick Bloche : à l’ère du numérique, il parvient à nous repasser un disque rayé…

M. Jean-Pierre Brard. Je vous ai déjà servi cette métaphore tout à l’heure, monsieur le rapporteur !

M. Franck Riester, rapporteur. Mais c’est justement vous qui m’en avez donné l’idée.

M. Jean-Pierre Brard. Alors il faudra me verser des droits d’auteur ! (Sourires.)

M. Franck Riester, rapporteur. Je vous offrirai un coulommiers !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication. C’est une question qui a été, en effet, très souvent évoquée, et qui soulève effectivement un certain nombre de problèmes, comme les honorables députés l’ont rappelé. Pourtant, je pense que nous avons déjà trouvé plusieurs réponses, qui ont été faites et refaites.

L’application de la loi pénale ne peut être subordonnée à la politique commerciale des ayants droit. C’est malheureusement une vérité que l’on ne peut pas éviter. Avis défavorable.

(Les amendements identiques nos 471 à 479 ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de dix amendements identiques, nos 480 à 488 et 733.

La parole est à M. Patrick Bloche, pour soutenir l’amendement n° 480.

M. Patrick Bloche. Disque rayé, disque rayé…Monsieur le rapporteur, quand j’essaie de soutenir un amendement en une minute au lieu de deux, je suis quand même mal récompensé. De quoi prendre tout mon temps.

Cette fois-ci, ce ne sera pas un disque rayé, comme vous le dites si désagréablement. Cet amendement porte sur une disposition nouvelle. Nous avons été plus qu’interpellés, c’est un euphémisme, par le fait que les trois clauses d’exonération, autrement dit qui exonèrent de tout ce qui est contenu dans cet article 3 bis, prévues dans la loi HADOPI 1 – mise en œuvre de moyens de sécurisation, fait d’une personne qui a frauduleusement utilisé l’accès au service de communication en ligne et force majeure –, ont disparu dans le projet de loi HADOPI 2 !

Aussi proposons-nous de rétablir ces clauses d’exonération – nous le devons à nos concitoyens internautes. Je répète avec insistance que ces dispositions figuraient dans le projet de loi HADOPI 1. Il suffit de dire tout simplement et très clairement qu’aucune sanction ne peut être prise à l’égard du titulaire de l’accès si l’infraction est le fait d’une personne qui a frauduleusement utilisé l’accès au service de communication au public en ligne. 

Ou bien HADOPI 2 durcit HADOPI 1, et vous rejetez notre amendement ; ou bien ce n’est pas un durcissement mais autre chose, auquel cas vous l’adoptez.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Génisson, pour soutenir l’amendement n° 483.

Mme Catherine Génisson. Cet amendement très important vise à éviter une guerre inutile, une guerre qui n’a pas de sens, entre les internautes et les artistes.

Notre collègue Patrick Bloche vient de le dire : la loi HADOPI 1 comportait un certain nombre de clauses d’exonération. Il nous semble tout à fait fondamental de les préserver dans la loi HADOPI 2. Nous devrions nous inscrire beaucoup plus dans une réflexion de fond visant à ce qu’internautes et créateurs puissent se retrouver, afin d’éviter une levée de boucliers et une guerre inutile et délétère. Ce qui nuirait d’ailleurs tant au développement d’internet et de l’activité des internautes qu’à la création artistique.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Lemorton, pour soutenir l’amendement n° 485.

Mme Catherine Lemorton. Le texte marque un recul, bien exprimé dans cet article 3 bis qui montre bien dans quel esprit cette seconde loi a été rédigée. Au risque d’être un peu provocatrice, je dirai que c’est un esprit revanchard. Vexé par les multiples camouflets reçus, et notamment par le fait que la population française refuse de se voir ainsi instrumentalisée – on peut d’ailleurs saluer l’interprétation du Conseil constitutionnel, que nous avions saisi –, le Président de la République a laissé filer ce projet vers plus de répression et moins de pédagogie. Remarquons au passage que l’on n’entend plus parler de pédagogie, alors qu’au cours de la discussion du projet de loi HADOPI 1, le mot pédagogie revenait toutes les dix minutes, voire plus souvent encore, dans la bouche de Mme Albanel...

Répétons-le encore une fois, il n’est pas possible, sauf flagrant délit, d’établir le lien entre l’adresse IP utilisée et l’auteur des faits. Il est donc logique de bien spécifier qu’une tierce personne peut avoir utilisé l’adresse IP. On peut penser, par exemple, aux hackers – j’ai lu leur charte il y a quelques quarts d’heures –, ou encore à une utilisation à l’insu du propriétaire. Il est donc logique de rétablir cette version présentée dans HADOPI 1.

M. le président. La parole est à M. Jean Mallot, pour soutenir l’amendement n° 487.

M. Jean Mallot. Nous proposons par cet amendement une disposition selon laquelle « aucune sanction ne peut être prise à l’égard du titulaire de l’accès si l’infraction est le fait d’une personne qui a frauduleusement utilisé l’accès au service de communication au public en ligne. »

Nous sommes, dans cette partie du texte, plongés dans les paradoxes et les incohérences du Gouvernement et de sa majorité. La loi HADOPI 1 prévoyait des clauses d’exonération. La commission des lois, à l’époque, les avait soutenues. Vous revenez avec le projet de loi HADOPI 2, et les clauses d’exonération ont disparu.

Après tout, pourquoi pas ? Ce peut être une manière de simplifier ce dispositif si complexe. Mais à ce moment-là, allez au bout, simplifiez-le, renvoyez au juge. Mais tous les tuyaux de l’usine à gaz, et non pas une partie. Si vous restez dans la logique de l’usine à gaz, alors il faut tout préciser.

Voilà pourquoi nous voulons vous aider à choisir une des logiques. Ou bien vous retirez tout ce qui complexifie le dispositif, mais c’est à vous de le faire, ou bien vous persévérez dans la complexification et les incohérences, et nous allons vous aider à construire une machine plus cohérente, mais plus complexe : d’où l’introduction cette précision. Je suppose que vous allez nous dire qu’elle va de soi ; pas du tout. Cela vaut pour 90 % de ce qui se trouve dans votre texte. Nous souhaitons, puisque vous êtes dans cette logique et que vous voulez y rester, que vous acceptiez cet amendement précisant qu’en cas d’utilisation frauduleuse, il n’y a pas de sanction possible.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État, garde des sceaux. Je vais peut-être vous étonner, mais je serais assez d’accord avec cet amendement… à ceci près que le Conseil constitutionnel a censuré la disposition au motif que cela aboutirait à obliger l’abonné à démontrer lui-même la preuve de la faute et que cela constituerait donc, dans la mesure où ce serait très difficile pour lui, une nouvelle présomption de culpabilité.

Je comprends parfaitement cet amendement et, encore une fois, je serais assez d’accord vous. Sauf que le Conseil constitutionnel, lui, n’admet pas cette disposition. Et moi, mon but, c’est d’avoir un texte qui ne soit pas censuré par le Conseil constitutionnel. Je ne vais donc pas prendre le risque d’une nouvelle censure en acceptant votre amendement. D’où mon avis défavorable.

(Les amendements identiques nos 480 à 488 et 733 ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de neuf amendements identiques, nos 489 à 497.

La parole est à M. Patrick Bloche, pour soutenir l’amendement n° 489.

M. Patrick Bloche. Indiscutablement, notre échange est intéressant. Nous avons entendu votre réponse, madame la garde des sceaux ; c’est la raison pour laquelle j’ai préféré que nous passions à l’amendement suivant.

Tout à l’heure, j’ai peut-être commis une inexactitude que je voudrais corriger. Il y avait trois clauses d’exonération prévues dans HADOPI 1. Vous nous avez rappelé, madame la garde des sceaux, à l’occasion de l’amendement précédent, que l’une d’elles a été censurée par le Conseil constitutionnel.

J’ai évoqué le cas de force majeure. Nous n’avons pas déposé d’amendement sur ce sujet, puisque cette clause d’exonération est prévue par l’article 121-3 du code pénal sur la négligence caractérisée, que nous avons évoqué assez longuement hier soir.

Il reste donc la troisième clause d’exonération. C’est l’objet de l’amendement n° 489, qui vise à l’insérer dans l’article 3 bis. Je la lis : « Aucune sanction ne peut être prise à l’égard du titulaire de l’accès si ce dernier a installé l’un des moyens de sécurisation figurant sur la liste mentionnée au deuxième alinéa de l’article L. 331-32. » Je crois que nous pourrions avancer ensemble, au moins sur cet amendement.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Génisson, pour soutenir l’amendement n° 492.

Mme Catherine Génisson. L’amendement n° 492 relève du bon sens le plus élémentaire. Il reprend d’ailleurs une clause d’exonération contenue dans la loi HADOPI 1 : dès lors que le titulaire de l’accès fait preuve d’efficacité, dès lors qu’il se montre respectueux de l’esprit de la loi en installant des moyens de sécurisation figurant sur la liste mentionnée au deuxième alinéa de l’article L. 331-32 – nous avons beaucoup d’interrogations, soit dit en passant, sur la validité des moyens de sécurisation, mais c’est là un débat que nous avons déjà eu –, il semble tout à fait évident, et de bon sens, qu’il ne puisse être pénalisé par une sanction, quelle qu’elle soit.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Lemorton, pour soutenir l’amendement n° 494.

Mme Catherine Lemorton. L’amendement n°494 propose d’insérer dans le texte la disposition suivante : « Aucune sanction ne peut être prise à l’égard du titulaire de l’accès si ce dernier a installé l’un des moyens de sécurisation figurant sur la liste mentionnée au deuxième alinéa de l’article L. 331-32. »

On ne peut préjuger de l’efficacité des systèmes de sécurisation. J’expliquais tout à l’heure combien nombre de nos concitoyens se sentent démunis face à cette grande machine, ce grand saut dans l’immatériel qu’est internet. Je vais reprendre un exemple qui va plaire à notre collègue Jean-Pierre Brard : il s’agit de la Chine.

La Chine n’est pas un internaute individuel, c’est un État, qui a voulu mettre en place un « barrage vert » sur tous les nouveaux PC installés sur son territoire. Cela a déclenché une levée de boucliers : de nombreux syndicats, associations, défenseurs des droits de l’homme se sont élevés contre une telle initiative, jugeant ce système politiquement arbitraire et techniquement inefficace. Alors que l’État chinois avait mené les études nécessaires pour que cela marche, on a néanmoins jugé que c’était inefficace. Vous pensez bien qu’un internaute isolé face à son fournisseur de logiciels ne sera pas en capacité de juger si le système de sécurisation est bon ou mauvais.

Je vous demande donc d’accepter raisonnablement cet amendement n° 494.

M. le président. La parole est à M. Jean Mallot, pour soutenir l’amendement n° 496.

M. Jean Mallot. Cet amendement a pour objet d’insérer dans le texte l’alinéa suivant : « Aucune sanction ne peut être prise à l’égard du titulaire de l’accès si ce dernier a installé l’un des moyens de sécurisation figurant sur la liste mentionnée au deuxième alinéa de l’article L. 331-32. »

Le texte, en l’état, évoque simplement des moyens de sécurisation. Nous avons longuement discuté de tout cela, et nous sommes collectivement arrivés à la conclusion qu’il fallait se demander ce qu’était un moyen de sécurisation. Après tout, je peux très bien, après avoir suivi un petit stage d’une semaine, bidouiller un machin que j’appellerai « moyen de sécurisation » et me targuer d’en avoir un…

Nous voulons clarifier les choses, en établissant une distinction entre les moyens de sécurisation bidouillés ici ou là et les dispositifs labellisés par la Haute autorité, puisque l’article L. 331-32 indique qu’au terme d’une procédure d’évaluation certifiée prenant en compte leur conformité aux spécifications visées au premier alinéa du même article et de leur efficacité, la Haute autorité établit une liste labellisant les moyens de sécurisation.

Le moins que vous puissiez faire serait de respecter une certaine cohérence, en acceptant cet amendement, afin qu’une première indication soit donnée sur ce que l’on considère comme étant un moyen de sécurisation cohérent avec les dispositions en vigueur. On peut penser que ce moyen de sécurisation aura non seulement le mérite d’exister, mais aussi quelque effet sur le système…

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État. Je crois que l’amendement est déjà satisfait par ce que nous avons dit : notre système judiciaire impose une obligation de moyens et non une obligation de résultats. Qui plus est, nos travaux d’hier ont totalement clarifié les choses, puisque nous avons dit qu’il s’agissait des moyens de sécurisation recommandés par les opérateurs. Tout a donc été fait sur ce sujet.

Vos amendements sont redondants par rapport à ce que nous avons voté hier. Il ne me semble pas non plus de bonne législation d’en « rajouter » sur les textes. On nous reproche trop souvent de faire des textes trop lourds. Cela dit, je m’en remettrai à la sagesse de l’Assemblée : car si, honnêtement, cela n’apporte, cela ne retranche rien non plus.

M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. Je vous remercie, madame la garde des sceaux, de vous en remettre à la sagesse de l’assemblée.

Je ne pense pas que cet amendement vise à mal écrire la loi en ajoutant une disposition déjà prévue. « Aucune sanction ne peut être prise à l’égard du titulaire d’accès, si ce dernier a installé un des moyens de sécurisation. » Cela permettrait de clarifier un des éléments, sinon de controverse, du moins d’échange, que nous avons eu hier soir.

(Les amendements identiques nos 489 à 497 ne sont pas adoptés.)

M. le président. La série d’amendements identiques nos 498 à 506 et l’amendement n° 734 peuvent être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. Patrick Bloche, pour défendre l’amendement n° 498.

M. Patrick Bloche. L’amendement n° 498 est essentiel pour différentes raisons.

Il s’agit d’insérer après l’alinéa 4 de l’article 3 bis l’alinéa suivant : « Aucune sanction ne peut être prise à l’égard du titulaire de l’accès si aucun des moyens dit « de sécurisation » figurant sur la liste mentionnée au deuxième alinéa de l’article L. 331-32 n’est disponible gratuitement ou interopérable. »

L’obligation d’acquisition par les consommateurs de moyens dits de sécurisation de leur ligne internet a été instaurée par HADOPI 2, afin qu’ils ne puissent être accusés de négligence caractérisée. À partir du moment où le législateur a crée une obligation nouvelle pour le consommateur, celle-ci ne doit pas être financièrement à sa charge. Il va de l’intérêt général que ces moyens de sécurisation soient gratuits : c’est un élément de justice sociale. Nous ne voudrions pas que nos concitoyens les plus modestes soient, de fait, les plus insécurisés juridiquement, parce qu’ils n’auront pas eu les moyens d’acquérir ces moyens de sécurisation.

Nous voulons par ailleurs que les moyens labellisés par HADOPI soient interopérables, afin que les consommateurs, quel que soit leur logiciel d’exploitation puissent les installer – et particulièrement ceux qui utilisent des logiciels libres.

M. le président. La parole est à M. Christian Paul, pour défendre l’amendement n° 499.

M. Christian Paul. Je voudrais compléter les propos de M. Bloche.

Madame la ministre d’État, monsieur le ministre de la culture, si ce texte est adopté quelque part à l’automne ou dans l’hiver qui vient, car vous ne maîtrisez plus le calendrier.

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture. En février, c’est mieux !

M. Christian Paul. Vous avez une préférence pour le mois de février ?

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture. Je serai en vacances ! (Sourires.)

M. Christian Paul. Peut-être ne lisez-vous pas, isolé dans la bulle gouvernementale, les communiqués qui tombent depuis quelques jours émanant des milieux artistiques ? Ils se demandent pourquoi les engagements pris devant d’eux ne sont jamais tenus. Je vus les lirai…

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État. Suggérez-vous de bâcler le travail parlementaire ?

M. Christian Paul. Il ne s’agit pas de bâcler le travail parlementaire, madame la garde des sceaux, mais de le faire bien et de vous mettre en garde. Tout cela remonte à des années, des années d’impasses, des années de lois inabouties. Je vous lirai les communiqués des organismes professionnels. Vous faites peser sur tous les internautes, et pas seulement sur ceux que vous appelez, de façon quelque peu désagréable et assez méprisante, les fraudeurs et les chauffards, un soupçon généralisé. Vous imposez des obligations nouvelles, comme l’a indiqué Patrick Bloche, complexes, coûteuses.

Toute une industrie de la sécurisation et du filtrage va se développer. Et comme les parades devront être en permanence améliorées et renouvelées, elles reviendront donc de plus en plus cher aux internautes, créant un sentiment d’insécurité technologique et juridique généralisé. Vous vous comportez en apprenti sorcier.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Génisson, pour défendre l’amendement n° 501.

Mme Catherine Génisson. Je serais brève, compte tenu des excellentes interventions de MM. Bloche et Christian Paul.

Selon votre logique, vous considérez chaque citoyen comme un fraudeur en puissance. Loin de lui montrer une voie de responsabilisation, il faut le faire entrer dans une démarche coercitive. Dès lors que des moyens de sécurisation doivent être utilisés, nous considérons que ceux-ci ne doivent pénaliser nos concitoyens afin de ne pas devenir un nouvel élément d’injustice sociale.

La demande de gratuité est élémentaire et fondamentale. Connaissant la complexité des offres sur le marché, il est donc fondamental que ces moyens de sécurisation soient interopérables. Cette demande, pour être respectée, doit être inscrite dans le texte.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Lemorton, pour défendre l’amendement n° 503.

Mme Catherine Lemorton. Je vais citer quelques chiffres, pour montrer l’importance de cet amendement.

Je rappelle que nous sommes censés faire la loi pour qu’elle puisse être respectée par tous et toutes, quelles que soient nos origines territoriales ou sociales.

Dans les premiers temps, le Net était essentiellement réservé aux couches socio-professionnelles dites « CSP plus » . Pour 61,9 % d’internautes appartenant aux catégories élevées, on ne trouvait que 13 % de CSP moins.

En 2009, on arrive à une quasi-égalité : 35,7 % de CSP plus et 34,1 % de CSP moins : ce qui signifie que si vous n’acceptez pas notre amendement concernant la gratuité des systèmes de sécurisation, vous allez accentuer la fracture sociale et pousser, si j’ose dire, au crime.

Un jeune de dix-huit ans qui vit seul ou avec quelques copains, s’il ne fait pas partie des 75 % qui ont un emploi, va devoir utiliser internet pour trouver un. Or, Pôle Emploi est totalement débordé. Les agents ne peuvent même plus répondre par téléphone aux demandeurs d’emploi, puisqu’ils en sont réduits à sous-traiter 320 000 demandeurs d’emplois au privé. Ce jeune appartiendra certainement à une CSP moins. Je maintiens que vous risquez de pousser ces jeunes au crime, car il sera onéreux d’utiliser un système de sécurisation performant.

Je vous demande, afin que l’égalité de traitement entre nos concitoyens soit respectée, d’accepter cet amendement n° 503.

M. le président. La parole est à M. Jean Mallot, pour défendre l’amendement n° 505.

M. Jean Mallot. L’amendement n° 505 propose d’insérer après l’alinéa 4 de l’article 3 bis, l’alinéa suivant : « Aucune sanction ne peut être prise à l’égard du titulaire de l’accès si aucun des moyens dits « de sécurisation » figurant sur la liste mentionnée au deuxième alinéa de l’article L. 331-32 n’est disponible gratuitement ou interopérable. »

Nous avons traité la question de la gratuité. À partir du moment, où le législateur impose une obligation, il faut que ceux qui y sont soumis puissent la remplir, sans que la contrainte financière soit un obstacle au respect de cette disposition.

L’article L. 331-32 résulte de la loi HADOPI 1, promulguée le 12 juin. S’agissant de la fameuse liste, nous ne sommes pas dans Don Giovanni, mais quand même !

M. Jean-Pierre Brard. Mille e tre !

M. Jean Mallot. Mille e tre !

Au terme d’une procédure d’évaluation certifiée, la Haute autorité établit une liste labellisant les moyens de sécurisation. Un décret en Conseil d’État précise la procédure d’évaluation et de labellisation de ces moyens de sécurisation. Je m’imagine pas – connaissant assez bien l’appareil d’État pour ce qui me concerne, mais nous sommes nombreux dans ce cas –, que la loi étant promulguée depuis un mois et demi, la Chancellerie n’ait pas avancé dans la rédaction de ce décret.

Madame la ministre d’État, je crois qu’il serait opportun, afin que nous puissions poursuivre nos travaux en toute connaissance de cause, que vous puissiez nous indiquer au moins les grandes lignes de ce projet de décret, afin que nous sachions sur quelle base pourra s’appuyer la Haute autorité pour établir la fameuse liste.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour défendre l’amendement n° 734.

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président, madame la ministre d’État, monsieur le ministre, mon amendement n°734 propose qu’aucune sanction ne puisse être prise à l’égard du titulaire d’un accès si aucun moyen de sécurisation n’est disponible gratuitement ou interopérable. Il est conforme à l’esprit des amendements précédents défendus par nos collègues.

Il serait inacceptable que les populations les plus modestes aient à payer pour installer ce type de logiciel de sécurisation résultant d’une obligation légale.

En outre, pour ne pas introduire une discrimination pour les utilisateurs de logiciels libres, il est nécessaire de prévoir que ces logiciels sont interopérables. À tout le moins, madame la ministre d’État, pouvez-vous nous assurer qu’au moins un des moyens labellisés sera adapté aux systèmes d’exploitation libre en pleine expansion ?

Si vous le permettez, raisonnera par analogie pour justifier cette demande de gratuité pour les utilisateurs. Rappelez-vous lorsque nous avons eu, ici, il y a une dizaine d’années le débat sur la façon de combattre la fraude aux cartes bancaires. Nous avons mis la sécurisation à la charge des banquiers. Miracle ! les banquiers qui s’intéressaient de loin au combat contre la fraude se sont trouvés boostés. Savez-vous, par exemple que certains distributeurs automatiques de billets avaient l’originalité de ne lire que la bande et non la puce de votre carte ? Les banquiers le savaient, mais se refusaient à cet l’investissement.

Dès que nous avons mis le coût de la fraude à leur charge, ils se sont investis… Nous ne faisons que proposer une démarche tout à fait similaire, qui bénéficierait aux internautes.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur la série d’amendements identiques et sur l’amendement n° 734 ?

M. Franck Riester, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Michèle Alliot-Marie, garde des sceaux. Il existe bien sûr des systèmes gratuits. Mais s’il fallait s’imposer la gratuité chaque fois qu’il y a une obligation, ce serait impossible. C’est de la démagogie pure et simple. Donc avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour répondre au Gouvernement.

M. Jean-Pierre Brard. Ce n’est pas de la démagogie, mais la prise en compte de l’avis du Conseil constitutionnel qui a reconnu que le droit à la communication était un droit fondamental. Qu’est-ce que l’exercice d’un droit fondamental, s’il est entravé par une dimension monétaire dans une période, où, je ne vous apprendrai rien, la misère s’étend, la pauvreté touche des catégories de plus en plus importantes ? Ce n’est donc pas de la démagogie que de demander la gratuité : c’est simplement l’esprit de justice !

Vous, madame la garde des sceaux, qui n’étiez pas dans le « carré VIP », vous savez parfaitement que, lorsqu’on célèbre la liberté, l’égalité et la fraternité le 14 juillet, on ne fait pas des ghettos avec, d’un côté, ceux qui peuvent et, de l’autre, ceux qui ne peuvent pas. Nous nous intéressons prioritairement à ceux qui voudraient, mais qui ne peuvent pas du fait des barrières résultant des inégalités de fortune.

Comme il me semble que vous avez pris quelque distance avec ces principes fondateurs de la République ; c’est pourquoi je réactive des points de repère essentiels qui appartiennent précisément à ces bijoux de famille communs que j’évoquais tout à l’heure. J’ai l’impression, madame la garde des sceaux, que vous laissez la poussière s’accumuler. Je vous permets donc, là, de donner sur ces bijoux un coup de chiffon pour voir briller ce qui fait justement l’essence de ces valeurs communes !

(Les amendements identiques nos 498 à 506 ne sont pas adoptés.)

(L’amendement n° 734 n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’une série d’amendements identiques, nos 142 à 150, et 736.

La parole est à M. Christian Paul, pour soutenir l’amendement n° 143.

M. Christian Paul. L’amendement n° 143 tend à supprimer l’alinéa 5 pour d’évidentes raisons. Cet alinéa crée une sanction non prévue dans le projet de loi HADOPI 1. Derrière la bonhomie qui semble entourer les prises de position du Gouvernement, nous constatons, à chaque étape, que le mécanisme devient de plus en plus répressif. En effet, l’internaute sera passible d’une amende de 3 750 euros en cas de contournement de l’interdiction de souscrire un nouveau contrat d’abonnement à internet.

J’aimerais, de plus, interroger M. le rapporteur, car j’ai fort mal dormi à cause d’une question qui me taraudait. Elle concerne la sécurisation, qui vous est chère, et pour laquelle chaque Français devra désormais mettre en place des moyens coûteux et complexes. Conseillez-vous aux internautes de sécuriser leur ordinateur, de sécuriser ce que l’on appelle désormais communément leur « box », c’est-à-dire la boîte remise par leur fournisseur d’accès, ou de sécuriser les deux ? Tel est le motif de mon sommeil agité de cette nuit. Je pense que de nombreux internautes s’en inquiètent également, même s’ils savent, monsieur le ministre de la culture, que tout cela est remis aux calendes grecques !

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Gagnaire, pour soutenir l’amendement n° 145.

M. Jean-Louis Gagnaire. Qu’est-ce qui a présidé au durcissement du texte, s’agissant de cette amende totalement exorbitante et hors de portée de 3 750 euros ? On prend un air badin depuis ce matin pour dire que ce n’est pas très grave, que les suspensions pourront aller jusqu’à un mois, mais que, la plupart du temps, le juge ne condamnera pas les professionnels à de telles sanctions. Or, lorsqu’on prend connaissance de l’alinéa 5, on constate un brusque durcissement dont on n’avait jamais parlé jusque-là. Quelle logique vous a poussés à introduire cette disposition dans le projet de loi, alors qu’on ne l’avait jamais évoquée lors de l’examen du projet de loi HADOPI 1 ?

La censure du Conseil constitutionnel aurait dû vous amener à remettre un peu d’ordre à ce qui n’était pas conforme à la Constitution et non à transformer cette loi, dont je rappelle inlassablement qu’elle avait été normalement conçue pour venir en aide aux artistes, en un texte totalement répressif. Vous vous êtes laissés aller, en fin de session parlementaire, et vous nous présentez un texte qui n’a plus rien à voir avec les intentions du départ !

Il est clair que l’on ne peut que demander l’annulation de cette disposition totalement disproportionnée au regard des délits – si délits il y a. Vous devriez vous montrer un peu plus raisonnable, monsieur le rapporteur, avant que l’on n’achève l’examen de ce texte, ce qui n’est peut-être pas forcément pour aujourd’hui !

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec, pour soutenir l’amendement n° 147.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. La disposition proposée traduit un recul systématique de votre part dès lors que l’inefficacité du dispositif est avérée. Vous n’avez eu de cesse, entendant les critiques sur la fonctionnalité, l’utilité de votre système, de trouver les moyens d’y répondre. Ce chemin, c’est celui de la répression – c’est bien ainsi que cela s’appelle lorsqu’on met en place une nouvelle sanction.

Nous nous querellons toujours sur la nature de la sanction que constitue la suspension. Dans sa dernière décision, le Conseil constitutionnel, a estimé que ce celle-ci procédait d’un droit fondamental et non de l’exercice commun d’une autorisation administrative, comme la pêche ou la circulation automobile. Le Conseil a reconnu que l’atteinte à ce droit fondamental était possible, mais qu’elle devait être très précisément encadré si l’on ne voulait pas qu’elle se traduise par un alourdissement de la sanction.

Ce rajout à la loi exprime, en fait, la complexité des réponses que vous devez apporter. En effet, vous avez toujours le socle de l’HADOPI entre les mains, pour ne pas dire entre les pattes… Si j’utilise une expression aussi vulgaire, c’est parce qu’il sera difficile de vous en sortir. Je préfère ne pas être à votre place… Sur le fond, vous vous heurtez à des impossibilités juridiques que vous ne pouvez contourner. Vous tentez donc un processus de sanction qui sera, bien entendu, totalement inefficace.

M. le président. La parole est à M. Jean Mallot, pour défendre l’amendement n° 149.

M. Jean Mallot. Je tiens, au nom de tous mes collègues, à saluer Jean-Yves Le Bouillonnec qui vient de nous rejoindre et qui, comme à l’habitude, vient de nous faire la démonstration de son grand talent. Il connaît certes bien ce sujet, mais il a défendu son amendement au débotté, après avoir eu à peine le temps de s’asseoir à son banc ! J’ai d’ailleurs vu, au moment où il est entré dans l’hémicycle, les visages des ministres et du rapporteur se crisper… (Sourires.)

M. Christophe Bouillon. Mais non ! Mme la garde des sceaux m’a souri !

M. Jean Mallot. Pour avoir expérimenté Jean-Yves Le Bouillonnec non stop mardi, mercredi et jeudi, ils ont pâti de la pertinence de ses réflexions, de ses analyses et de ses conclusions. Je ne fais pas ici d’humour, mais je décris la réalité d’un talent auquel nous sommes très attachés et dont nous connaissons le prix !

L’amendement n° 149 propose de supprimer l’alinéa 5 de cet article 3 bis ajouté par le Sénat pour la raison suivante. La personne suspectée de négligence caractérisée et condamnée, à ce titre, à une suspension de son abonnement, continue, si j’ai bien compris, à le payer. Elle accumule donc les peines abondamment décrites par Jean-Yves Le Bouillonnec ces derniers jours.

Nous pouvons établir une sorte de parallèle entre cet alinéa 5 de l’article 3 bis et l’alinéa 7 de l’article 3 qui lui-même prévoyait une amende pour les fournisseurs d’accès à internet qui n’auraient pas respecté la sanction de suspension de la connexion de leur abonné. La personne coupable de « négligence caractérisée » est considérée, de fait, comme une sorte de fournisseur d’accès à Internet ! Étrange dévoiement...

M. le président. Monsieur Mallot, je regrette d’être obligé de vous interrompre, mais vous avez consacré la moitié de votre temps de parole à rendre hommage à votre collègue M. Le Bouillonnec au détriment de la défense de vous propres idées.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Mon admiration n’a pas de bornes, monsieur le président… Cela méritait beaucoup plus de temps de parole ! (Rires.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements identiques ?

M. Franck Riester, rapporteur. Monsieur Paul, je conseille évidemment aux internautes de sécuriser, car c’est de bonne pratique. Cela dit, ils n’y sont pas obligés : après tout, il est inutile de sécuriser immédiatement si l’on ne télécharge pas illégalement. Mais tout comme je suis favorable à l’installation d’antivirus, même s’il n’y a aucun risque, je pense que l’accès à internet doit être sécurisé même s’il n’y a pas a priori de risque de téléchargement illégal. En revanche, si, après plusieurs recommandations, les internautes ne mettent pas tout en œuvre pour empêcher que perdurent les pratiques de téléchargement illégal, cela pose effectivement un problème. Si le risque existe, autant sécuriser et, lorsque des recommandations sont envoyées, il est essentiel de tout mettre en œuvre pour que ces téléchargements illégaux ne se reproduisent pas.

Cet alinéa a été introduit par le Sénat. Comme nous l’avons précisé en début de semaine, il était prévu dans HADOPI 1 que les FAI consultent le fichier des titulaires d’accès à internet suspendus avant d’abonner ou de réabonner un de leurs clients. Or cette obligation a été supprimée. Il est cependant fondamental que l’autorité de la justice pénale soit respectée, monsieur Le Bouillonnec, et qu’une sanction soit prévue si tant est que des internautes suspendus ne respectent pas cette autorité.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Michèle Alliot-Marie, garde des sceaux. Mon refus de cet amendement ne traduit aucun embarras lié à la supposée complexité de la réponse que nous apporterions au problème ; il témoigne tout au contraire de la simplicité de ce que sera ma politique pénale. Lorsqu’une sanction est prononcée, elle doit être respectée et tous les moyens doivent être mis en œuvre pour qu’elle le soit.

Mme Isabelle Vasseur. Très bien !

M. Jean-Pierre Brard. C’est du Alliot-Marie dans le texte…

Mme Michèle Alliot-Marie, garde des sceaux. C’est vrai dans tous les domaines, vous le savez. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. Pardonnez-moi d’avoir oublié de vous donner la parole, monsieur Brard, pour soutenir votre amendement n°736. Mais vous-même n’avez pas demandé à intervenir…

M. Jean-Pierre Brard. Non, monsieur le président, j’étais fasciné par la réponse de Mme Alliot-Marie. C’était du Alliot-Marie dans le texte, me disais-je : pour ceux qui la connaissent, elle est fidèle à elle-même… On aurait pu écrire la partition sans qu’elle n’ait eu à la prononcer !

Nous nous opposons au renforcement de la peine sur une simple présomption de culpabilité. C’est très clair entre nous. Nous nous situons dans des logiques totalement opposées. Vous, c’est la trique, le knout ; nous, c’est la bienveillance, car nous faisons confiance a priori !

Cela dit, madame la garde des sceaux, vous n’avez pas répondu à ma précédente question. Pouvez-vous nous assurer que les logiciels de sécurisation ne seront pas discriminants pour les auteurs et utilisateurs de logiciels libres et qu’ils garantiront l’interopérabilité avec les systèmes GNU/linux, Freebase, OpenBSD et autres ? Ma question n’est pas gratuite, si j’ose dire. Je porte la voix de ceux qui ne peuvent pas s’exprimer. Votre réponse, madame la garde des sceaux, est très attendue.

M. Mitterrand ne m’a toujours pas expliqué non plus pourquoi, sur 10 000 lettres qui devraient partir tous les jours, il n’y en aura finalement que 1 000, comment seraient choisis les heureux bénéficiaires qui seraient réprimés et les 9 000 autres qui passeraient à travers les gouttes. Je n’ai toujours pas de réponse. Ce qui est ennuyeux dans la mesure où l’on peut y voir une rupture d’égalité des citoyens devant la sanction.

M. le président. La parole est à M. Christian Paul.

M. Christian Paul. Je voulais réagir aux propos du rapporteur, chez qui je sentais une très forte lassitude, que j’impute du reste moins à la longueur des débats qu’au sentiment d’impuissance et de gâchis qu’il doit éprouver au terme de cette discussion.

D’ici à quelques mois, monsieur le ministre de la culture, il n’y aura plus aucune société de droit, aucun organisme professionnel, aucun artiste qui croira à la crédibilité des lois HADOPI.

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture. C’est vous qui le dites !

M. Christian Paul. Non, c’est le rapporteur, c’est en filigrane dans son discours. Cinq ans d’attente pour rien, un texte reporté de plusieurs mois, et pas à cause de l’opposition, même si je sais bien que vous allez prétendre que c’est à cause de nous.

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture. Vous nous faites toujours dire des choses qu’on ne dit pas !

M. Jean-Pierre Brard. Il faut traduire votre pensée profonde !

M. Christian Paul. Après quelques jours, nous sommes presque en télépathie, monsieur le ministre.

Ce n’est pas à cause de l’opposition que ces textes ne sortent pas, c’est parce que ce sont d’infâmes bricolages sur le plan juridique, technologique, voire philosophique.

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture. Cela vous empêche de dormir, c’est désolant.

M. Christian Paul. Oui, parce que c’est un texte assez angoissant pour la société française.

M. Jean-Pierre Brard. En plus, cela aggrave le déficit de la sécurité sociale !

M. Christian Paul. Ce qui était extraordinaire dans la réponse du rapporteur tout à l’heure, c’est quand il parlait de la sécurisation a posteriori. Cela veut dire que, même si ce texte est voté, même s’il n’est pas censuré par le Conseil constitutionnel, on continuera bien évidemment comme avant, parce que votre dispositif est percé comme un gruyère. C’est une pure loi d’affichage. Parmi ceux qui vous soutiennent, personne ne peut avoir confiance dans ce texte. C’est une pure illusion sécuritaire. Nous y voyons d’ailleurs la patte de l’auteur principal. Vous ne l’êtes pas, monsieur le ministre, vous êtes l’interprète qui arrive.

(Les amendements identiques nos 142 à 150 et 736 ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 902.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Franck Riester, rapporteur. C’est un amendement de coordination.

(L’amendement n° 902, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. Je suis saisi de neuf amendements identiques, nos 871 à 879.

La parole est à M. Patrick Bloche, pour défendre l’amendement n° 871.

M. Patrick Bloche. Vous avez introduit une disposition plus dure que ce qui était prévu dans HADOPI 1 : une amende de 3 750 euros pour tout internaute qui se réabonnerait alors que son accès à internet a été suspendu.

Puisque vous avez refusé de la supprimer, nous essayons d’en atténuer les effets. Comme vous confiez tant de tâches au juge, on le verra un peu plus tard, nous voudrions au moins que celui-ci ait la liberté de moduler le montant de l’amende. Et comme celle-ci se veut dissuasive, nous proposons qu’elle soit d’un montant maximal de 3 750 euros.

Madame la garde des sceaux, je n’ai pas voulu vous ennuyer, mais le débat avance sérieusement et je m’inquiète soudain de n’avoir ni la circulaire que vous devez envoyer aux parquets, ni le projet de décret. Nous aurions voulu les avoir avant la fin de ce débat.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Michèle Alliot-Marie, garde des sceaux. Il va de soi, monsieur Bloche, que le juge peut moduler le montant de l’amende. Cela va de soi ; mais si vous voulez le préciser, il n’y a aucun problème

Quant au projet de décret, il est à votre disposition.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. Cet amendement n’a pas été examiné par la commission mais, à titre personne, j’y suis favorable.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Je voterai évidemment cet amendement, quand bien même je n’y vois qu’une modeste concession du Gouvernement…

Mme Michèle Alliot-Marie, garde des sceaux. Ce n’est même pas une concession, c’est une évidence.

M. Jean-Pierre Brard. Aux innocents les mains pleines ! Moi, c’est la sanction en elle-même qui me choque. Imaginez toujours ce vieux monsieur ou cette vieille dame que vous aurez sanctionnés et qui n’est pas du tout rompu à toutes ces questions. Allant faire les courses dans la ville la plus proche de son village, il va en profiter pour renouveler un abonnement, sans réaliser qu’il n’en a pas le droit. Pour quelqu’un qui n’a qu’un revenu minimum, 3 750 euros, c’est une somme horrible pour sanctionner une simple imprudence.

Je voterai donc cet amendement parce que l’on souligne la faculté du juge de ne pas aller jusqu’au bout de l’injustice de votre texte, mais cela n’efface pas cette injustice.

M. le président. Puis-je considérer que les autres amendements sont défendus ?

M. Patrick Bloche et M. Jean Mallot. Oui

(Les amendements identiques nos 871 à 879 sont adoptés.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 738.

La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Cet amendement ne devrait pas poser de problème puisqu’il ne fait que rétablir une disposition adoptée par l’Assemblée nationale en première lecture de HADOPI 1. Comme il y a la continuité de l’État et que c’est toujours un gouvernement de droite, je ne vois pas ce qui pourrait vous faire changer d’avis, même si l’attelage ministériel a évolué.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. Défavorable, pour les raisons évoquées ce matin.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Michèle Alliot-Marie, garde des sceaux. Défavorable.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Je ne comprends pas : cette disposition avait été adoptée par l’Assemblée en première lecture de HADOPI 1. Pourquoi ce changement ?

Mme Michèle Alliot-Marie, garde des sceaux. Parce que cela va de soi !

M. Jean-Pierre Brard. Puisque cela avait été adopté une première fois, pourquoi faites-vous marche arrière ? Je suis cartésien, j’ai besoin de comprendre. C’est normal que M. Riester le soit moins, dans sa plaine de Brie… Mais vous, madame la ministre ? Pourquoi faire marche arrière ?

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Michèle Alliot-Marie, garde des sceaux. Il ne s’agit pas de faire marche arrière, monsieur Brard, c’est tout simplement évident. Je ne pense pas qu’on gagne à ajouter dans la loi des dispositions qui vont de soi.

M. Jean-Pierre Brard. Il avait été adopté !

M. le président. Peut-être avait-il été adopté à tort, monsieur Brard ; d’où la redondance que Mme la ministre est en train de vous expliquer…

M. Jean-Pierre Brard. Heureusement que je ne suis pas misogyne. Sinon, je penserais à cette formule de Montaigne qui disait : bien souvent femme varie, bien fol qui s’y fie !

Mme Laure de La Raudière. Vous auriez pu trouver une plus jolie citation de Montaigne !

(L’amendement n° 738 n’est pas adopté.)

(L’article 3 bis, amendé, est adopté.)

Après l’article 3 bis

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 834, portant article additionnel après l’article 3 bis.

Monsieur Brard, pourriez-vous présenter en même temps l’amendement n° 833 ?

M. Jean-Pierre Brard. Volontiers, monsieur le président. Ces amendements qui se comprennent par leur texte même.

J’en profite, madame la ministre, pour revenir sur la question de l’interopérabilité, à laquelle vous n’avez pas répondu et qui intéresse les internautes. Elle ne se pose d’ailleurs pas seulement pour Internet ; vous savez bien que c’est un point fort à chaque fois que l’on peut décloisonner. Sujet qui n’a rien à voir, regardez l’avantage de notre système bancaire français sur le système américain, grâce à l’interopérabilité. Allons-nous enfin avoir une réponse, de même, monsieur le ministre, qu’à la question du centre de rétention pour les internautes ?

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Michèle Alliot-Marie, garde des sceaux. Le juge doit pouvoir apprécier chaque situation, c’est un principe général, au vu de toutes les circonstances de l’espèce et donc prendre les mesures les plus adaptées afin de mettre fin aux dommages constatés. Vous voudriez réduire le pouvoir d’appréciation du juge ; je ne puis qu’y être défavorable.

(Les amendements nos 834 et 833, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

Article 3 ter A

M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche, inscrit sur l’article 3 ter A.

M. Patrick Bloche. L’article 3 ter A est une création de notre rapporteur dont j’aimerais souligner toute la créativité, mais, il ne m’en voudra pas, pour m’en amuser quelque peu, car c’est vraiment un pare-feu contre une censure du Conseil constitutionnel. M. Riester est tellement vacciné après avoir vu des dispositions qu’il avait défendues avec conviction censurées par le Conseil constitutionnel qu’il préfère prendre toutes les précautions.

Je me permettrai donc à cet égard d’interpeller le Gouvernement et tout particulièrement Mme la garde des sceaux, car voilà des dispositions qui, juridiquement, ne servent strictement à rien !

« Pour prononcer la peine de suspension prévue aux articles L. 335-7 et L. 335-7-1 – peine de suspension d’un an ou d’un mois – et en déterminer la durée, la juridiction prend en compte les circonstances et la gravité de l’infraction ainsi que la personnalité de son auteur, et notamment l’activité professionnelle ou sociale de celui-ci. » Écoutez la suite, c’est encore mieux : « La durée de la peine prononcée doit concilier la protection des droits de la propriété intellectuelle et le respect du droit de s’exprimer et de communiquer librement, notamment depuis son domicile. » C’est évidemment ce que nous a rappelé le Conseil constitutionnel. On cherche donc à donner une feuille de route au juge. Cela pourrait au mieux faire l’objet d’une circulaire de la garde des sceaux, mais aucunement d’un article d’un projet de loi.

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 758.

La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. C’est un amendement de cohérence. Normalement, l’avis ne peut être que favorable.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture. Défavorable.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Quand on n’a rien à dire et, surtout quand on ne sait comment justifier son point de vue, on peut toujours répondre « défavorable »… Il faudrait tout de même que le rapporteur nous explique comment il peut être défavorable à un amendement de cohérence.

M. Franck Riester, rapporteur. Cette cohérence est inutile.

M. Jean-Pierre Brard. La cohérence inutile ? Ça, c’est un concept nouveau. La cohérence inutile, la rationalité superflue…

M. Christian Paul. L’obscurantisme numérique !

M. Patrick Bloche. Ce qui inutile, c’est cette loi.

M. Jean-Pierre Brard. Comme le dit avec pertinence, comme d’habitude d’ailleurs, Patrick Bloche, ce qui est fondamentalement inutile, c’est votre loi ! Quand, dans cette inutilité globale, dans cette loi dangereuse, nous essayons de mettre un peu de cohérence parce que nous sommes très cartésiens, vous ne voulez même pas ! Vous marchez vraiment sur la tête depuis le début. Mais ce genre d’exercice, à force d’être pratiqué longtemps – demandez à Mme Génisson, qui est médecin par ailleurs –, peut mettre en danger votre équilibre !

(L’amendement n° 758 n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de neuf amendements identiques, nos 880 à 888.

La parole est à M. Patrick Bloche, pour soutenir l’amendement n° 880.

M. Patrick Bloche. À partir du moment où l’on entre dans le petit jeu du rapporteur, il est permis, après tout, de s’amuser un peu. Nous sommes le vendredi 24 juillet à midi ; quitte à écrire la loi pour ne rien dire, participons allègrement à cette écriture!

Le rapporteur ayant fait adopter en commission un amendement visant à préciser que le juge doit prendre en considération la personnalité de l’auteur des faits, notamment son activité professionnelle ou sociale, ce que fait déjà tout juge qui connaît son métier, nous proposons que le juge prenne également en considération la situation socio-économique, notion qui va au-delà de la seule activité professionnelle.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. Monsieur le président, ces amendements ont été repoussés par la commission mais, à titre personnel, j’y suis favorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Michèle Alliot-Marie, garde des sceaux. Ces amendements n’apportent ni n’enlèvent rien. Si cela peut vous faire plaisir, nous voulons bien retenir cette formulation.

M. Jean-Pierre Brard. Quelle bonté ! (Sourires.)

Mme Michèle Alliot-Marie, garde des sceaux. Cela m’arrive ! (Sourires.)

(Les amendements identiques nos 880 à 888 sont adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de neuf amendements identiques, nos 889 à 897.

La parole est à M. Patrick Bloche, pour soutenir l’amendement n° 889.

M. Patrick Bloche. Je remercie Mme la garde des sceaux d’avoir accepté nos amendements en disant qu’ils ne servaient à rien. Mais c’est l’article 3 ter A qui ne sert à rien : « La durée de la peine prononcée doit concilier la protection des droits de la propriété intellectuelle et le respect du droit de s’exprimer librement, notamment depuis son domicile ». Nous souhaitons ajouter après « la protection des droits de la propriété intellectuelle » les mots « , des droits socio-économiques fondamentaux ». Vous serez inévitablement amenés à accepter notre amendement n° 889.

M. le président. La parole est à M. Christian Paul, pour soutenir l’amendement n° 890.

M. Christian Paul. Je mets à profit les quelques secondes dont je dispose pour revenir sur le vote de l’article 3 bis, intervenu furtivement…

M. le président. Monsieur Paul, le vote s’est déroulé tout à fait normalement, sans susciter aucune contestation dans l’hémicycle. L’article 3 bis a été adopté à la majorité.

M. Christian Paul. Je ne conteste pas l’application de la procédure, je porte un jugement politique, monsieur le président. Même depuis la tribune où vous siégez, vous ne pouvez m’en empêcher.

M. le président. Vous ne pouvez pas dire des contrevérités !

M. Christian Paul. Monsieur le président, je souhaite que le décompte de mon temps de parole soit interrompu pendant que nous dialoguons.

M. le président. Je ne peux pas vous laisser dire des contrevérités.

M. Christian Paul. Sur le terrain politique, je considère que nous avons voté à la sauvette un article qui est une hérésie juridique et technologique, et qui scandalise d’ailleurs de nombreux députés de l’UMP. Vous pouvez avoir un avis différent, monsieur le ministre, mais je maintiens que des dizaines de députés de l’UMP désapprouvent le vote de l’article 3 bis. Ils ne sont d’ailleurs pas là pour vous soutenir ce matin.

Mme Isabelle Vasseur. Il y en a qui sont là !

M. Jean Mallot. Il y en a même qui sont là et qui désapprouvent !

M. Christian Paul. En construisant, en quelque sorte, la forteresse de l’internet en France, vous vous privez définitivement des moyens de mettre en place une discussion raisonnable et équilibrée entre l’ensemble des parties en cause, les artistes, les internautes, les acteurs culturels. Vous construisez une forteresse, une forteresse assiégée, et vous en levez le pont-levis. Le vote de cet article 3 bis, avec les sécurisations bidon que vous prévoyez, n’est pas digne du Parlement de la République.

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Gagnaire, pour soutenir l’amendement n° 892.

M. Jean-Louis Gagnaire. Nous discutons d’amendements à un article complètement superfétatoire. J’ai le sentiment que M. Franck Riester est entré dans une forme de contrition : pris par le remords, il a voulu se racheter… C’est donc d’un article thérapeutique qu’il s’agit, parce que le rapporteur a pris conscience de l’inutilité et de l’impraticabilité de ce texte. Les sénateurs, pourtant très attentifs, n’avaient pas osé imaginer un tel article.

Mais puisque nous sommes dans le délire le plus total, allons-y ! J’imagine que les droits socio-économiques fondamentaux ne vous laisseront pas indifférents et que, dans son acte de contrition, le rapporteur acceptera notre amendement.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Lemorton, pour soutenir l’amendement n° 894.

Mme Catherine Lemorton. « Notamment depuis son domicile », lit-on dans l’article 3 ter A. Le récent remaniement ministériel a créé un secrétariat d’État aux personnes âgées. On recensait dans notre pays 1 048 000 personnes âgées au 30 juin 2007, dont 60 % vivaient à domicile.

Nos seniors se connectent de plus en plus pour ne pas être totalement isolés de la société. Lors de la canicule de 2003, épisode douloureux de notre passé récent, l’internet aurait pu être un bon outil pour que ces personnes maintiennent un contact et obtiennent des informations sans avoir à sortir de chez elles.

De même, avec l’arrivée de la grippe H1N1, on va, à juste titre, empêcher les gens de se réunir dans certains lieux pour éviter la propagation du virus. Internet sera, je l’espère, un bon outil pour que les gens s’informent et suivent les conseils de l’Institut national de veille sanitaire, que ce dernier serait d’ailleurs avisé de diffuser dès maintenant.

Pour que les inégalités ne s’accentuent pas et afin de permettre aux personnes âgées dépendantes qui vivent à domicile de rester en contact avec le monde, nous vous demandons d’accepter cet amendement n° 894, qui vise à ajouter les mots « des droits socio-économiques fondamentaux ».

M. le président. La parole est à M. Jean Mallot, pour soutenir l’amendement n° 896.

M. Jean Mallot. L’amendement n° 896 a pour objet de compléter les mots « des droits de la propriété intellectuelle » par les mots « , des droits socio-économiques fondamentaux ».

En le présentant, je voudrais exprimer un certain désaccord avec mon éminent collègue Patrick Bloche et surtout avec Mme la garde des sceaux, qui ont qualifié l’article 3 ter A d’inutile.

Mme Michèle Alliot-Marie, garde des sceaux. J’ai dit que l’amendement était inutile !

M. Jean Mallot. En tout cas, si la procédure d’examen des lois n’avait pas été modifiée par notre règlement, si nous discutions dans l’hémicycle du texte déposé par le Gouvernement et non du texte issu des travaux de la commission, je pense que les dispositions de cet article auraient été présentées en séance sous forme d’amendement et que le Gouvernement y aurait été défavorable.

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, cet article 3 ter A n’est pas une coquecigrue, sorte d’oiseau bizarre, burlesque, réunion d’un coq, d’une cigogne et d’une grue, ni, par analogie littéraire, une baliverne, observation ou réflexion peu sérieuse. Il est certainement le support de la thérapie du rapporteur, mais ce n’est en réalité pas un hasard si sa rédaction est partielle et si le rapporteur a omis la situation socio-économique et les droits socio-économiques fondamentaux des internautes. C’est le résultat d’une conception de la société que nous condamnons…

M. le président. Merci. Quel est l’avis de la commission ?

M. Franck Riester, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Michèle Alliot-Marie, garde des sceaux. Autant j’ai accepté la précédente série d’amendements, autant celle-ci se réfère à des notions qui n’ont pas de réalité concrète.

M. Jean Mallot. Ah bon ?

(Les amendements identiques nos 889 à 897 ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de neuf amendements identiques, nos 151 à 159.

La parole est à M. Patrick Bloche, pour soutenir l’amendement n° 151.

M. Patrick Bloche. Madame la garde des sceaux, nos précédents amendements étaient cohérents mais s’inscrivaient dans un article parfaitement inutile, vous le savez bien.

Nous souhaitons à présent compléter cet article 3 ter A, fruit de la créativité de notre rapporteur, par l’alinéa suivant : « Lorsqu’il apprécie la gravité des manquements, le juge peut se fonder sur le contenu de l’offre légale et notamment sur le fait que les œuvres et objets protégés concernés ne font plus l’objet d’aucune exploitation sur un réseau de communications électroniques depuis une durée manifestement non conforme aux usages de la profession. » C’est une préoccupation que nous avons déjà exprimée.

Je ne relèverai pas la remarque désagréable de M. Riester selon laquelle je ne serais qu’un microsillon rayé…

M. Franck Riester, rapporteur. Je n’ai pas dit « microsillon »…

M. Patrick Bloche. Quitte à retenir un article 3 ter A et à expliquer une nouvelle fois au juge ce qu’est son métier, indiquons-lui qu’il sera intéressant d’aller regarder l’état de l’offre légale disponible.

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Gagnaire, pour soutenir l’amendement n° 154.

M. Jean-Louis Gagnaire. L’article 3 ter A tel qu’il résulte de l’amendement de M. Riester accepté par la commission est absurde et superfétatoire, mais il nous donne l’occasion de revenir sur une notion qui, elle, n’est pas du tout absurde, celle du téléchargement dit illégal alors même qu’il n’existe pas d’offre de téléchargement légal pour un certain nombre d’œuvres cinématographiques ou musicales.

Nous persistons et nous signons : on ne peut condamner des téléchargements, que la personne en cause en ait été acteur ou qu’elle ait, par imprudence, laissé son système internet ouvert ou mal protégé. Mais si l’on est réellement attaché à la diffusion de la culture et à l’accès du plus grand nombre à celle-ci, on ne peut qu’être favorable à ces amendements. Vous avez refusé ceux qui concernaient les personnes téléchargeant activement ; il s’agit à présent des personnes qui ont laissé faire.

Puisque cet article est un acte de contrition, nous vous demandons de revenir sur ce que vous avez refusé. Monsieur Riester, vous seriez bien inspiré d’accepter de compléter votre article afin que nous sortions des absurdités auxquelles nous en sommes arrivés aujourd’hui.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Lemorton, pour soutenir l’amendement n° 156.

Mme Catherine Lemorton. Mme la garde des sceaux nous disait tout à l’heure : « Allons vite ! » On nous avait déjà reprochés d’aller trop lentement sur « HADOPI 1 » et le texte a pourtant été censuré par le Conseil constitutionnel.

M. Christian Paul. La pièce va être rejouée !

Mme Catherine Lemorton. Nous avons donc raison d’insister, puisque vous prenez à nouveau le risque, aujourd’hui, que ce texte soit retoqué.

Cette perspective explique sans doute l’absence d’un certain nombre de nos collègues UMP qui, dans les couloirs, nous disaient qu’ils ne seraient pas présents parce qu’en désaccord avec votre texte, et qu’ils veulent éviter le ridicule d’une nouvelle censure par le Conseil constitutionnel – même si, comme chacun le sait, le ridicule ne tue pas.

L’amendement visent à compléter l’article 3 ter A en précisant que lorsque le juge apprécie la gravité des manquements, il peut se fonder sur le contenu de l’offre légale.

En outre, je rappelle que Mme Nathalie Kosciusko-Morizet a pointé du doigt les difficultés à accéder à l’offre légale. C’est pourquoi nous proposons d’ajouter une précision supplémentaire : le juge peut aussi fonder sa décision « notamment sur le fait que les œuvres et objets protégés concernés ne font plus l’objet d’aucune exploitation sur un réseau de communication électronique depuis une durée manifestement non conforme aux usages de la profession ». En effet, si les nouvelles générations se prenaient un jour d’une passion pour Berthe Sylva ou Jean Sablon, ce serait tout de même dommage qu’elles soient pénalisées. J’aime beaucoup ces artistes, mais il est vrai qu’ils sont un peu oubliés. Non pas par vous, monsieur le ministre, je le sais, ni par moi, je viens de le prouver. Mais, en l’occurrence, on ne peut pas s’attaquer à un jeune qui, tout à coup, aurait découvert Berthe Sylva ou Jean Sablon, et lui faire subir toute la répresssion que vous mettez en place dans ce projet de loi.

M. le président. La parole est à M. Jean Mallot, pour défendre l’ amendement n° 158 .

M. Jean Mallot. Je vous rassure, monsieur le président : je ne chanterai pas une chanson de Berthe Sylva…

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et M. Jean-Pierre Brard. C’est dommage ! (Sourires.)

M. Jean Mallot. Tout le monde le regrette, moi le premier. (Mêmes mouvements.) Je me contenterai de défendre l’amendement n° 158.

Une remarque préalable : madame la garde des sceaux, j’ai été très choqué par votre réponse à notre série d’amendements précédente, où nous proposions de faire référence aux droits socio-économiques fondamentaux : vous avez dit que cela n’avait pas de réalité concrète. Je veux espérer que vos propos ont dépassé votre pensée.

L’amendement vise à compléter l’article 3 ter A par un alinéa concernant le contenu de l’offre légale. Nous sommes vraiment au cœur du débat autour de HADOPI 1 et 2. Nous, nous voulons développer la création, les offres légales, faire en sorte que chacun, par des canaux légaux, puisse se cultiver et accéder aux œuvres de toutes sortes ; nous, nous voulons concevoir une façon de rémunérer convenablement les auteurs, les artistes, les créateurs. Alors que vous, votre obsession, c’est la répression : il faut traquer le fraudeur dans tous les domaines.

M. Jean-Pierre Brard. Sauf au Liechtenstein !

M. Jean Mallot. Sauf dans les paradis fiscaux, en effet, mon cher collègue. Ainsi, dans le domaine social, le Gouvernement n’a rien trouvé de mieux que de proposer que la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale s’intéresse prioritairement à la fraude aux prestations sociales. De même, vous traquez le faux chômeur par rapport à l’offre raisonnable d’emploi. C’est votre obsession. Nous, nous pensons que ce n’est pas de bonne politique : il vaut mieux créer des emplois et développer l’économie. En l’occurrence, nous voulons développer l’offre légale, c’est-à-dire le côté positif de la protection de la propriété littéraire et artistique sur internet.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements identiques ?

M. Franck Riester, rapporteur. Avis défavorable, pour des raisons que j’ai déjà exposées à de multiples reprises. Mais je veux vous réexpliquer le système, mes chers collègues.

M. Jean Mallot. C’est nécessaire !

M. Franck Riester, rapporteur. Il ne s’agit pas d’instaurer une surveillance généralisée.

M. Christian Paul. Mais si !

M. Franck Riester, rapporteur. On va tracer certaines œuvres parce que leurs ayants droit demanderont que celles-ci soient particulièrement protégées. Si des auteurs-compositeurs, des artistes-interprètes ou des ayants droit ne veulent pas se focaliser sur la défense des droits attachés à leurs œuvres, ils ne les marqueront pas comme telles. La personne qui téléchargerait ces œuvres ne risquerait donc pas d’être identifiée par la Haute autorité comme ayant téléchargé illégalement.

En revanche, on ne peut empêcher les auteurs ou les ayants droit de refuser de mettre à disposition du public des œuvres, notamment sur Internet : c’est leur droit, leur droit moral. Les internautes qui téléchargeront les œuvres ainsi marquées s’exposeront à être sanctionnés pour avoir téléchargé illégalement lesdites œuvres.

Enfin, je rappelle que, de toute façon, le juge prononcera la sanction en tenant compte des circonstances de l’espèce et, éventuellement, de la mise à disposition ou non sur internet des œuvres concernées.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture. Savez-vous, madame Lemorton, que Jean Sablon a interprété des chansons qu’il n’a plus voulu voir diffuser à la fin de sa vie et après sa mort ?

M. Jean-Pierre Brard. De même, Goethe avait refusé que l’on republie certains de ces textes.

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture. La question est tout à fait passionnante puisqu’elle soulève le problème de la relation des auteurs, des artistes et des créateurs avec leur œuvre, et éventuellement avec la partie de celle-ci qu’ils ne veulent plus voir mise à disposition. Et puis après, le problème se pose encore différemment avec leurs héritiers. On l’a vu récemment avec l’édition d’un livre de Nabokov : celui-ci avait demandé que l’on brûle un manuscrit, et puis ses héritiers, notamment son fils, ont finalement décidé de le faire publier.

Nous abordons ici un domaine très vaste et très intéressant, et sur lequel je n’avais pas la même appréciation que le rapporteur. Mais j’ai trouvé ses explications particulièrement éclairantes et justes. En conséquence, l’avis du Gouvernement est défavorable.

M. le président. La parole est à M. Christian Paul.

M. Christian Paul. Monsieur le ministre, vous venez de démontrer notre incommunicabilité dans ce débat.

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture. Elle est profonde.

M. Christian Paul. Certes, mais il faut se demander pourquoi, et pas seulement en prendre acte avec regret. Il y a, dans la civilisation numérique, des données totalement neuves. Ainsi, il est extrêmement difficile, dans l’univers des réseaux, d’effacer les traces. Un auteur désireux d’occulter une partie de son œuvre, un Jean Sablon d’aujourd’hui, peut rencontrer d’immenses difficultés à effacer la trace d’une oeuvre. C’est en cela que les barrières traditionnelles sont en permanence bousculées par la révolution technologique.

La discussion de ce projet de loi fait clairement apparaître les difficultés à mettre en place un système répressif pour tenter d’endiguer ce que vous appelez « des actes illégaux ». Mais vous risquez d’être confronté aux mêmes difficultés si vous vous attaquez sérieusement à la question des droits d’auteur, en raison des problèmes que pose la gestion du droit exclusif. Certes, les auteurs d’aujourd’hui peuvent, comme Jean Sablon hier, légitimement estimer qu’ils ont un droit exclusif à mettre ou non leurs œuvres à la disposition du public. Mais, en raison du développement du numérique, il faut mener une réflexion sur l’exercice de ce droit, et peut-être le réinterpréter ou le réécrire. Il ne faut pas entamer cette démarche dans une approche laxiste ni dans l’idée qu’aucune règle ne serait possible, car des règles sont possibles et nécessaires dans le monde numérique, mais ce ne seront pas celles d’avant. Tel est le travail à entreprendre.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture. En fait, monsieur Paul, nous ne sommes peut-être pas si éloignés l’un de l’autre.

M. Christian Paul. La suite le dira !

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture. Vous venez de dire la phrase exacte : c’est la suite qui le dira. Nous sommes face à une évolution technologique considérable, et nous mesurons à chaque instant qu’elle s’accélère sans cesse tout en abordant toutes sortes de domaines de la vie et de la société contemporaines, notamment celui de la protection des droits. Le Gouvernement a décidé d’opter pour une première régulation des droits d’auteurs efficacement adaptée à internet. Ensuite, nous allons étudier les points que vous soulevez. Peut-être alors nous retrouverons-nous sur beaucoup d’entre eux, avec des considérations communes. Mais, pour le moment, nous mettons en place un système de régulation qui protège les auteurs, jusque dans des situations aussi complexes que celle qu’a soulevée Mme Lemorton en évoquant le cas des deux artistes merveilleux qu’étaient Berthe Sylva et Jean Sablon.

(Les amendements identiques nos 151 à 159 ne sont pas adoptés.)

(L’article 3 ter A, amendé, est adopté.)

Après l’article 3 ter A

M. le président. Je suis saisi de deux amendements portant articles additionnels après l’article 3 ter A.

La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour défendre l’amendement n°832.

M. Jean-Pierre Brard. Ce qui est formidable avec notre rapporteur, c’est qu’il est programmé… Il me rappelle les haut-parleurs installés en Chine, dans les années 60-70, ou encore en Corée du Nord : tous les matins, au moment d’aller au travail, les gens recevaient le slogan qu’on leur projetait dans les oreilles. Cela les formatait. Ce dispositif marche si bien que vous-même, monsieur le ministre, après avoir écouté plusieurs fois le rapporteur, vous avez changé d’avis : alors que, dans un premier temps, vous adhériez plutôt à ce que disaient mes collègues socialistes, en fin de compte, vous vous êtes ravisé, même si, dans un ultime sursaut, vous avez prévu d’étudier ultérieurement les points qu’ils ont soulevés. Mais vous n’avez pas répondu à une question que j’ai posée il y a deux jours : de quelle marge disposez-vous vraiment pour faire ce que vous dites ? Vous êtes nouveau au Gouvernement, et bénéficiez d’une image qui n’est pas totalement défavorable – même si le fait d’avoir accepté de participer au Gouvernement ne suscite pas un préjugé favorable à votre égard, j’en conviens.

Notre amendement n° 832 vise à abroger l’article L. 336-1 du code de la propriété intellectuelle, qui pénalise injustement la technologie en tant que telle. En quelque sorte, nous entendons ne pas rendre responsables les fabricants de couteaux des meurtres qui seraient commis à l’aide des outils fabriqués. Il faut s’attaquer au meurtrier et non à l’outil. Il y a quelque chose de pervers dans votre démarche, et à travers cet amendement, nous proposons d’extirper cette perversité de votre texte.

M. le président. Nous sommes dans le roman noir, monsieur Brard. (Sourires.)

Quel est l’avis de la commission sur cet amendement ?

M. Franck Riester, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture. Défavorable.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Encore une fois, je ne sais pas pourquoi les avis sont défavorables.

M. Jean Mallot. Et voilà !

M. le président. Il faudrait lancer une enquête. (Sourires.)

M. Jean-Pierre Brard. L’amendement pose la question : qui est responsable de l’acte illicite ? L’outil ou celui qui l’utilise ? Monsieur le ministre, vous qui êtes un homme de culture, vous connaissez l’importance de l’outil dans la théorie marxiste, puisque si c’est grâce à l’intelligence que l’outil a été fabriqué, le fait que la main soit ainsi libérée et en position de développer des technologies a permis à l’homme de se libérer davantage encore.

Monsieur le rapporteur, en refusant d’expliquer votre réponse, vous êtes dans l’entêtement et l’aveuglement. Dès que l’on essaie de vous déprogrammer, vous perdez les pédales et retombez dans le sillon du microsillon cher à Christian Paul. Vous gagneriez en crédibilité si vous argumentiez au lieu de répéter sans cesse la même réponse laconique : « Défavorable ».

(L’amendement n° 832 n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n°839.

La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. L’article L. 336-2 du code de la propriété intellectuelle est une aberration tant juridique que technique. Par son imprécision, il ouvre grand la boite de Pandore du filtrage de l’internet. Or chacun sait que filtrer internet revient à porter atteinte au principe fondamental de neutralité du réseau, neutralité qui est à la base du modèle de croissance numérique tel que nous le connaissons aujourd’hui, et de tous les bénéfices sociaux, économiques et culturels qui en découlent. En portant atteinte à la neutralité du réseau, vous porterez atteinte aux libertés individuelles, et à la libre concurrence – qui pourtant vous est si chère quand elle vient de Bruxelles –, ainsi qu’à l’innovation à l’ère numérique.

Jean Dionis du Séjour, notre excellent collègue du Nouveau Centre, avait pourtant imploré votre prédécesseure de retirer cet article.

Il est important que vous réalisiez l’ampleur des dégâts qu’il pourrait engendrer en autorisant le filtrage des contenus sur internet. Je ne me mettrai pas à genoux comme Jean Dionis du Séjour, mais je vous demande d’accepter notre amendement : vous ferez une bonne action au terme de cette discussion.

(L’amendement n° 839, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Article 3 ter

M. le président. La parole est à M. Christian Paul, inscrit sur l’article 3 ter..

M. Christian Paul. Puisqu’il nous reste un peu de temps pour mener un débat de fond et d’opposition résolue à ce texte, je voudrais réagir – une dernière fois peut-être ce matin – à vos propos, monsieur le ministre.

Après vous avoir bien écouté depuis le début de la semaine et encore à l’instant, je crois que nos divergences tiennent moins à une philosophie différente qu’à une question de chronologie.

Sur ce sujet, vous exprimez une philosophie d’au moins dix ans d’âge, élaborée à la fin des années quatre-vingt-dix, au moment où les discussions internationales se sont nouées, débouchant sur l’élaboration du traité de l’OMPI et de conventions internationales qui ont tenté très maladroitement de mettre en place des digues juridiques et technologiques face à l’irruption du téléchargement. Cette approche est très profondément datée.

Dans ce domaine, la politique court derrière la société. Très clairement, elle ne la rattrape pas avec HADOPI. Je ne mets pas en doute votre sincérité sur l’après-HADOPI, mais je pense vraiment que la porte se referme et que la forteresse HADOPI, en cours de construction, ne permettra pas le dialogue.

Arrivant là, vous avez sans doute manqué de recul historique pour apprécier pleinement l’ensemble des termes de ce dossier. Comme ce débat va s’interrompre dans quelques heures – nous le reprendrons bien sûr au mois de septembre – et que nous avons sans doute un peu de temps pour des lectures d’été, je voulais vous remettre un ouvrage qui, pardonnez-moi, est en langue anglaise. N’y voyez aucune atteinte à l’exception culturelle, mais comme les industries culturelles – celle de la musique notamment – sont mondialisées…

M. le président. Votre temps est écoulé, monsieur Paul.

M. Patrick Bloche. Il veut faire un cadeau, monsieur le président !

M. le président. Monsieur Bloche, voulez-vous lui laisser votre temps de parole ?

M. Christian Paul. C’est un livre de Steve Knopper, intitulé L’appétit pour l’auto-destruction qui retrace l’histoire de l’industrie musicale de ces dernières années. Je vous l’offre.

M. Franck Gilard. Si c’est l’histoire du PS, j’en veux bien un exemplaire ! (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Pierre Brard. C’est médiocre !

M. le président. La parole est à M. le ministre de la culture.

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture. J’ai plaisir à vous remercier mais, en vérité, je l’ai déjà lu. Il m’a été remis par l’un de vos amis.

M. Jean-Pierre Brard. Vous avez donc un socle culturel commun !

M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. Je voudrais utiliser mon temps de parole sur l’article 3 ter – moins de deux minutes –, pour remercier Mme la garde des sceaux d’avoir transmis le projet de décret. Après l’avoir lu, je me permets de vous faire quelques observations, tout de suite en direct.

Tout d’abord, on y trouve toujours l’expression « communication électronique » qui a pourtant été supprimée dans le projet de loi. Ce n’est pas ma remarque essentielle, car vous allez inévitablement le toiletter.

En revanche, votre projet de décret pas, plus que la loi, ne donne aucune précision sur les moyens de sécurisation. On ne sait toujours pas s’il s’agit de ceux qui sont labellisés par la HADOPI, ou tous les moyens possibles. Une autre question se repose : suffira-t-il de les installer ou faudra-t-il prouver qu’ils sont activés ? Bref, il nous semble nécessaire de préciser ce que veut dire « mettre en œuvre ».

Autre observation : comme il faudra au préalable prouver qu’il y a eu contrefaçon – j’évoque la négligence caractérisée –, qui prouvera qu’il y a eu cette infraction au droit d’auteur et comment ?

Enfin, le décret contient l’expression « à la suite d’une négligence caractérisée » qui nous semble bizarre : laisser sciemment commettre une violation au droit d’auteur n’a rien d’une une négligence ; est-ce à dire qu’il ne peut y avoir de poursuite ?

Telles sont mes observations sur le projet de décret, dont vous pourrez tenir compte si vous le souhaitez.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures trente-cinq, est reprise à douze heures quarante.)

M. le président. La séance est reprise.

Je suis saisi de onze amendements identiques, nos 16, 160 à 168 et 835.

La parole est à M. Lionel Tardy, pour défendre l’amendement n° 16.

M. Lionel Tardy. Tout au long des débats sur HADOPI 1, on nous a vanté le caractère avant tout pédagogique de la loi. C’est ainsi que l’obligation de sécurisation ne devait faire l’objet que de sanctions administratives devant la HADOPI, mais ne donnait pas lieu à des poursuites pénales. Mais avec HADOPI 2, on tombe dans le tout répressif, puisque l’article 3 ter – introduit par les sénateurs, je le rappelle – prévoit des sanctions pénales en cas de non-sécurisation de l’accès à internet. Ce qui me gêne, et c’est pourquoi j’en demande la suppression.

M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. Notre amendement n° 160 tend également à la suppression de cette disposition introduite par le Sénat, comme vient de le rappeler notre collègue Lionel Tardy. Reconnaissons toutefois que, d’une certaine façon, cet article est une preuve d’honnêteté, puisqu’il vise à dire la réalité des choses. Si nous demandons sa suppression, c’est moins pour ce qu’il indique que pour ce qu’il traduit : il acte que l’internaute coupable de défaut de sécurisation de sa connexion à internet, donc de négligence caractérisée, est passé de HADOPI 1 à HADOPI 2, du cadre de la sanction administrative à celui de la sanction pénale. C’est la grande nouveauté de HADOPI 2 sur la négligence caractérisée, le défaut de sécurisation de la connexion à internet : désormais la responsabilité pénale de l’abonné est engagée.

M. le président. La parole est à M. Christian Paul, pour défendre l’amendement n° 161.

M. Christian Paul. On est passé, en quelques années, d’une ambition culturelle, certes maladroite, avec la loi DADVSI, à HADOPI 2, qui se place exclusivement sur le terrain de la protection pénale des œuvres, comme l’a justement souligné Patrick Bloche. C’est dire la dérive croissante dans l’appréhension des questions relatives au droit d’auteur, notamment sur internet. Quand cette affaire rejoindra le musée des horreurs de la civilisation numérique naissante…

M. Jean-Louis Gagnaire. Plutôt le musée des arts premiers !

Mme Laure de La Raudière. Ce n’est pas très gentil pour les arts premiers !

M. Christian Paul. En effet : disons donc les oubliettes de l’histoire, car c’est bien ce qui guette le présent texte ; la seule question est de savoir si ce sera dans quelques mois ou dans quelques années. Du point de vue philosophique, il est en effet monstrueux, et empêche tout travail sérieux, raisonnable et équilibré sur la définition des nouveaux droits d’auteur.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Génisson, pour défendre l’amendement n° 163.

Mme Catherine Génisson. Il est encore temps pour notre assemblée d’exprimer son opposition à la philosophie du texte : il lui suffit pour cela de voter la suppression de l’article. Notre logique est d’établir une synergie entre les auteurs et cette nouvelle génération de citoyens que sont les internautes ; la vôtre est purement répressive. De ce point de vue, HADOPI 2 aggrave les choses puisqu’il pénalise certains comportements.

L’article 3 ter s’inscrivant dans cette logique, nous le condamnons bien sûr totalement. Nous souhaitons une approche constructive, et non une loi répressive qui ne permet pas de responsabiliser collectivement nos concitoyens, et ne respecte pas davantage la création artistique.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Lemorton, pour défendre l’amendement n° 165.

Mme Catherine Lemorton. Nous assistons à une dangereuse dérive. Beaucoup d’internautes qui suivent et commentent nos débats, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, vous regardent et vous observent.

M. Jean-Pierre Brard. Et vous jugent !

Mme Catherine Lemorton. Force est de constater que l’on dérive vers l’hyper-répression. Nous ne parlons que du seul droit d’auteur – droit que, pour autant, je ne méprise évidemment pas. Mais permettez-moi de faire un parallèle avec la santé publique : pour punir les jeunes fumeurs de cannabis qui, montés sur les barricades en 1968, avaient semé le désordre dans le pays, on avait imaginé une loi très répressive.

M. Christian Paul. La chienlit !

Mme Catherine Lemorton. Je ne parle évidemment que du cannabis, et non des drogues dites dures. Depuis le 31 décembre 1970, nous nous empêtrons dans des discussions et des dispositifs invraisemblables car cette loi, terriblement répressive, ne sert à rien aujourd’hui. Qui plus est, elle est inégalement appliquée selon les territoires et les origines sociales, et parfois pas appliquée du tout. C’est ainsi que l’on décrédibilise le monde des adultes qui a fait de telles lois – et en l’occurrence les parlementaires.

Les jeunes d’aujourd’hui comprennent d’autant moins ces excès que notre pays, bien qu’il ait la législation la plus répressive d’Europe en matière de stupéfiants, se retrouve à être celui où l’on compte le plus grand nombre de consommateurs.

Mme Michèle Alliot-Marie, garde des sceaux. C’est faux.

Mme Catherine Lemorton. Non, madame la garde des sceaux : croyez-moi, je connais ce problème depuis vingt ans !

M. le président. La parole est à M. Jean Mallot, pour défendre l’amendement n° 167.

M. Jean Mallot. Nous souhaitons la suppression de l’article 3 ter.

Aux termes de l’article L. 336-3 du code de la propriété intellectuelle, « la personne titulaire de l’accès à des services de communication au public en ligne a l’obligation de veiller à ce que cet accès ne fasse pas l’objet d’une utilisation » illégale. Le dernier alinéa du même article dispose : « Le manquement de la personne titulaire de l’accès à l’obligation définie au premier alinéa n’a pas pour effet d’engager la responsabilité pénale de l’intéressé. » Les choses sont donc claires.

Or la majorité UMP a décidé de suivre le Sénat, qui a souhaité compléter ce dernier alinéa par les mots : « sous réserve des dispositions des articles L. 335-7 et L. 335-7-1. » L’explication, maladroite, de cette adjonction se trouve à la page 87 du rapport de M. Riester : « Si le défaut de surveillance n’est pas, par lui-même, de nature à engager la responsabilité pénale de l’abonné, il peut, en revanche, constituer un élément qui sera pris en compte par le juge dans le cadre d’une procédure pénale. » On comprend la mécanique que vous avez construite pour raccrocher ces morceaux dans le cadre pénal.

Moins la commission des lois est présente dans nos débats, plus vous empiétez sur ses compétences. On s’interroge sur une telle obsession répressive : jusqu’où irez-vous dans l’enchaînement des peines ? Ne vous arrêterez-vous donc jamais ? Vous ne pouvez vous empêcher de relancer sans cesse la mécanique répressive.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour défendre l’amendement n° 835.

M. Jean-Pierre Brard. Cet amendement propose de renoncer à la suppression du dernier alinéa de l’article L. 336-3, qui prévoit que le manquement à l’obligation de surveillance de l’accès à internet n’engage pas « la responsabilité pénale de l’intéressé ».

La loi HADOPI 1 mettait en effet en place des sanctions administratives, et renonçait donc à maintenir la responsabilité pénale des personnes suspectées d’infraction au droit d’auteur, et ce afin d’éviter une double pleine, administrative et pénale. Les juges constitutionnels ont estimé que de telles sanctions administratives étaient en totale contradiction avec nos principes fondamentaux, vous infligeant par là même un rappel à l’ordre cinglant.

À l’issue de nos débats sur les articles 3 et 3 bis, nous avons bien vu dans quelles conditions les personnes suspectées d’infraction au droit d’auteur allaient être jugées au cours d’une procédure pénale expéditive : non seulement vous avez souhaité instaurer une responsabilité pénale en violation des droits de la défense, mais vous prévoyez, en plus, de vous en prendre à la liberté d’expression de nos concitoyens !

Le Gouvernement est très cohérent – ou plutôt le sultan, qui décide de tout : le Premier ministre n’est plus que le grand vizir… Après donc que le sultan eut pris le contrôle des médias en s’octroyant le pouvoir de nomination et de révocation des dirigeants de l’audiovisuel public, a été mis en place le nouveau règlement de l’Assemblée, dont on voit qu’il permet de nous couper la parole. Et voilà maintenant la muselière pour les internautes : cette nouvelle atteinte aux libertés témoigne de la dérive autoritaire du régime.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements de suppression ?

M. Franck Riester, rapporteur. Défavorable. Je rappelle le principe de la riposte graduée : une partie pédagogique, administrative, avec de multiples avertissements, éventuellement suivie de sanctions dissuasives en cas de récidive. La partie administrative doit pouvoir être prolongée au besoin par la voie pénale ; c’est ce que prévoit le présent article.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture. Ces amendements relèvent d’un malentendu. L’article 3 ter propose simplement que les recommandations adressées par la HADOPI puissent être utilisées comme éléments de preuve, afin notamment d’établir la négligence caractérisée. Avis défavorable.

(Les amendements identiques nos 16 à 835 ne sont pas adoptés.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

4

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :

Suite du projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet.

La séance est levée.

(La séance est levée à douze heures cinquante-cinq.)