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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIIIe législature
Session ordinaire de 2009-2010

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du jeudi 20 mai 2010

Abrogation du bouclier fiscal

Deuxième séance du jeudi 20 mai 2010

Présidence de Mme Danielle Bousquet,
vice-présidente

Mme la présidente . La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

Abrogation du bouclier fiscal

Discussion d’une proposition de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Jean-Marc Ayrault et plusieurs de ses collègues tendant à abroger le bouclier fiscal (n os 2441, 2493).

M. Jean Mallot. Enfin !

M. Pascal Deguilhem. Ce n’est pas trop tôt !

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Alain Muet, rapporteur de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire.

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire . Madame la présidente, monsieur le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, mes chers collègues, face à l’ampleur des déficits, nos compatriotes ont compris que la question qui se pose aujourd’hui n’est pas de savoir s’il y aura ou non des hausses d’impôt – vous les avez déjà inscrites, monsieur le ministre, dans les documents que vous envoyez à la Commission européenne : vous envisagez d’augmenter de deux points, c’est-à-dire de 40 milliards d’euros, les prélèvements obligatoires d’ici à 2012 – mais plutôt de savoir sur qui porteront les hausses.

M. Jean Mallot. Voilà !

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur . Dans ce contexte, le débat que nous ouvrons une nouvelle fois sur le bouclier fiscal nous semble plus que jamais d’actualité.

Est-il légitime, monsieur le ministre, de protéger les plus riches quand vous appelez tous les Français à faire un effort ? Cette question, je sais que beaucoup de parlementaires se la posent, et sur tous les bancs de notre assemblée : il suffit d’écouter les déclarations de certains de nos collègues de la majorité qui expriment leurs doutes, déclarent leur trouble, ou encore proposent la suspension du bouclier.

Trois années d’application nous ont en effet éclairés sur les injustices du bouclier fiscal.

Tout d’abord, nous avons appris que la réalité du bouclier fiscal était très éloignée du discours selon lequel il s’agit d’éviter qu’un contribuable travaille un jour sur deux pour l’État. Nous le savons bien aujourd’hui, il est impossible d’atteindre la limite du bouclier par les seuls revenus du travail. Non seulement le bouclier fiscal ne joue que lorsque l’on détient un patrimoine, mais il ne joue de façon importante que lorsque l’on détient un grand patrimoine.

Certes, la moitié des bénéficiaires du bouclier fiscal ne paient pas l’ISF, mais les sommes qui leur sont distribuées ne représentent que 1 % du montant du bouclier et le cas de ces contribuables était déjà pris en compte par l’administration fiscale sous la forme de remises gracieuses. Le bouclier fiscal, c’est d’abord un bouclier pour les grandes fortunes.

M. Jean Mallot. Eh oui !

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur . Les deux tiers de son montant vont aux mille contribuables qui possèdent à la fois les plus hauts revenus et les plus gros patrimoines.

Trouvez-vous normal, mes chers collègues, qu’au moment où l’on parle de solidarité nationale, l’État verse un chèque de 376 000 euros, en moyenne, à des contribuables qui possèdent 16 millions d’euros de patrimoine ?

M. Dominique Baert. C’est tragique !

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur . Trouvez-vous normal, monsieur le ministre, que l’État verse un chèque de 1 800 000 euros, en moyenne, aux cent contribuables les plus fortunés quand votre Gouvernement refuse, depuis trois ans, tout coup de pouce au SMIC ?

M. Dominique Baert. Eh oui !

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur . Je sais bien que beaucoup d’entre vous à droite de cette assemblée partagent ce sentiment d’une profonde injustice, même si aujourd’hui, vous serez peu à l’exprimer. Mais il y a encore pire en matière d’injustice, parce que la conjugaison des niches fiscales et du bouclier fiscal conduit à des situations inacceptables.

Notre système fiscal, on le sait, est miné par l’optimisation fiscale qui conduit à un impôt sur le revenu régressif pour les très hauts revenus. Lorsque l’on regarde les impôts réellement payés, on attendrait que le taux d’imposition croisse lorsqu’on monte dans l’échelle des revenus, et puisse même approcher les 40 % de taux marginal.

M. Jean Mallot. On l’espère ! Ce serait logique, ce serait juste !

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur . Eh bien non ! Pour les mille plus hauts revenus, ce taux est de 25 % et pour les dix plus hauts revenus, ce taux tombe en dessous de 20 % – ces chiffres figurent dans des rapports de notre assemblée. La raison en est que ceux qui utilisent l’optimisation fiscale sont ceux qui ont les moyens de faire appel à des spécialistes pour réduire leurs impôts.

Ainsi, un de ces contribuables ayant 16 millions d’euros de patrimoine – je rappelle que les deux tiers du montant du bouclier fiscal leur sont consacrés – non seulement peut, grâce aux niches, s’exonérer d’impôt sur le revenu, mais également, par le jeu du bouclier fiscal, et se voir rembourser, avec le bouclier fiscal, tout son ISF, ses impôts locaux et une partie de sa CSG.

M. Jean Mallot. Il gagne au grattage, il gagne au tirage !

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur . Seuls les contribuables qui ont des patrimoines considérables peuvent s’exonérer de CSG.

M. Jean Mallot. Un comble !

Mme Laurence Dumont. Il y en a qui ne veulent pas de scandale !

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur . La mise à jour de ces effets pervers que nous n’avons eu de cesse de dénoncer tout au long des débats budgétaires a certes conduit notre assemblée à plafonner un certain nombre de niches, plusieurs niches d’assiette ont été remplacées par des réductions d’impôts moins inéquitables…

M. Pascal Deguilhem. C’est marginal !

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur . …mais il existe encore de très nombreux dispositifs qui permettent de diminuer son revenu imposable dans des proportions très importantes : le dispositif « monuments historiques » sans aucune limite, le dispositif sur les revenus tirés de certaines plus-values, le dispositif sur les revenus placés pour se constituer une retraite par capitalisation, ou encore le mécanisme d’abattement pour les revenus tirés des dividendes.

Surtout, le plafonnement des niches fiscales, évidemment nécessaire, aboutit avec le bouclier fiscal à ce paradoxe surprenant : seul un contribuable ne disposant pas d’un patrimoine important sera appelé à payer davantage d’impôts demain au titre du plafonnement. Dans mon rapport, je compare la situation de deux contribuables ayant des revenus élevés mais comparables, 400 000 euros, et qui utilisent tous les deux des niches fiscales pour réduire leur revenu imposable. L’un possède une résidence principale d’une valeur inférieure à 1 million d’euros ; l’autre a hérité d’un patrimoine de 15 millions d’euros. Le paradoxe est que seul le premier, celui qui a le patrimoine le plus faible, sera amené à payer plus d’impôt du fait du plafonnement des niches.

Cet exemple nous renvoie à l’injustice la plus criante du bouclier : qui peut accepter qu’au moment où la crise exige un effort de tous, les seuls qui soient exonérés de tout effort de solidarité soient précisément les plus fortunés de nos concitoyens ?

Quand a été instituée la taxe pour financer le RSA, les seuls qui en ont été exonérés sont les titulaires du bouclier fiscal.

M. Pascal Deguilhem. C’est tout de même scandaleux !

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur . Prenant conscience de cette injustice, vous avez annoncé ce week-end que, pour financer les retraites, le Gouvernement envisageait un impôt sur les revenus du capital et les plus hauts revenus qui ne donnera pas droit à restitution au titre du bouclier fiscal. Les titulaires des plus hauts revenus vont peut-être payer quelques milliers d’euros supplémentaires, mais ils auront une assurance : tant que subsistera le bouclier fiscal, le chèque de plusieurs centaines de milliers d’euros, voire plusieurs millions, qu’ils touchent au titre du bouclier fiscal ne sera pas remis en cause.

Tout cela pour quel impact économique ? Au vu des chiffres que vous nous avez transmis, monsieur le ministre, il paraît évident que ce bouclier fiscal n’a pas ramené en France les contribuables inciviques dont on nous promettait le retour.

M. Jean Mallot. Même pas ça !

M. Gérard Bapt. Johnny, reviens !

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur . Depuis le début, nous vous demandions des évaluations de cet effet. Aujourd’hui un résultat ressort : le bouclier est, de ce point de vue, sans impact économique.

Avec cette proposition de loi, non seulement nous vous proposons de mettre fin à une terrible injustice, mais nous vous offrons – je le dis aussi en me tournant vers nos collègues de la majorité qui, au fil du temps, ont découvert que ce dispositif était très éloigné dans les faits de l’idée qu’ils avaient pu s’en faire au début – la possibilité d’en finir avec un dispositif qui, pour vous, est devenu un véritable boulet. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. François de Rugy. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire.

M. Alain Néri. On nous avait promis le changement, il est là ! C’est le printemps ! (Sourires.)

M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Nous avons donc à nouveau un débat sur le bouclier fiscal, trois ans après l’instauration de la deuxième version du bouclier fiscal – la première, on s’en souvient, fut en réalité votée par notre assemblée lors de la précédente mandature.

On connaît les arguments des uns et des autres ; reste que, trois ans après le vote de ce dispositif par la majorité de cette assemblée, certains éléments doivent être relativisés par rapport à ce qui était avancé lorsque ce bouclier fut présenté pour la première fois dans cet hémicycle.

On sait ce que ce bouclier n’est pas : ce n’est pas un moyen de protéger le travail. On aurait pu le penser – je suis certain que bon nombre de vous en étaient convaincus à l’été 2007. Mais trois ans après, le bilan étant fait, on peut affirmer que le bouclier fiscal ne protège pas les revenus du travail. La campagne 2009 l’a montré de façon indiscutable, puisque 99 % du coût du bouclier fiscal ne sert qu’à annuler en tout ou partie la cotisation d’ISF acquittée par certains de nos concitoyens. Prétendre, dans ces conditions, que le bouclier fiscal protège la valeur travail, c’est confondre le rendement du capital avec les revenus du travail, et ce n’est pas entrer dans un débat fiscal de la meilleure des façons que de procéder ainsi.

Le bouclier fiscal ne protège donc pas les revenus du travail ; affirmer, comme on nous l’a maintes fois répété, qu’il fallait l’instaurer et le maintenir pour qu’aucun Français ne travaille plus d’un jour sur deux pour l’État est certainement une très belle formule, mais ne correspond en rien à la réalité.

Le bouclier fiscal devait être un élément de compétitivité fiscale de notre pays. Il faut reconnaître qu’il y a trois ans, cet argument était plus convaincant que le premier. Mais là encore, sa valeur devient très relative. Les chiffres communiqués par le ministère du budget – et je remercie François Baroin de faire part à l’égard de la commission des finances, et donc du Parlement, d’une transparence qui porte notre système démocratique à des standards très élevés – témoignent au mieux d’une certaine indécision. Il est impossible de démontrer que des expatriés fiscaux rentrent au pays pour y bénéficier du bouclier fiscal, ou que d’autres n’en partent pas, espérant eux aussi bénéficier du dispositif. C’est donc au mieux l’indécision et au pire la déception. Car d’année en année, personne ne peut prétendre que ceux qui sont rentrés sont revenus parce que le bouclier existe, et pas davantage affirmer en conscience que ceux qui sont partis l’ont fait parce que le bouclier serait insuffisant. Les chiffres sont là, et les faits sont têtus : le bouclier fiscal n’est pas un instrument de compétitivité fiscale, à supposer qu’il l’ait jamais été.

M. Pascal Deguilhem. Alors à quoi sert-il ?

Mme Laurence Dumont. À se faire des amis !

M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances. Dès lors que le bouclier fiscal n’est pas ce pour quoi il avait été créé, on peut s’interroger sur ce qu’il est en réalité.

Le bouclier fiscal, c’est d’abord un coût, que d’aucuns jugent modeste, 600 millions d’euros par an, somme pourtant supérieure à l’économie réalisée par l’État par le non-remplacement du départ en retraite d’un fonctionnaire sur deux. On ne peut affirmer dans un premier temps que grâce à ces mesures courageuses, l’État économise 500 millions d’euros et que cela est considérable, et dans un deuxième temps, juger dérisoire les 600 millions d’euros que coûte le bouclier fiscal.

Mme Laurence Dumont. Il faut être honnête !

M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances. De deux choses l’une : ou bien l’on tient le premier discours, et alors le bouclier fiscal coûte cher ; ou bien on tient le second, auquel cas il faut admettre que la suppression de cent mille fonctionnaires, les plans sociaux réalisés dans les différentes fonctions publiques et notamment la fonction publique hospitalière, toute la politique de l’emploi menée par la majorité durant cette mandature aura eu de lourdes conséquences pour une économie finalement bien faible.

S’il est d’abord un coût, le bouclier fiscal est peut-être aussi une astuce, une commodité, un truc à un moment où, paraît-il, la vérité doit être présentée aux Français, à un moment où l’on s’apprête à leur demander un effort, à un moment où tant les marchés financiers que l’Allemagne demandent à notre pays des efforts que tous les Français vont devoir faire.

M. Jean Mallot. Cela s’appelle la rigueur…

M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances. Quoi qu’il en soit, ce truc n’est pas à la hauteur du courage que les plus hautes autorités de l’État s’apprêtent à demander d’abord aux élus, et ensuite aux Français.

Le courage, c’est d’abord de reconnaître ce qui est. Le bouclier fiscal a été inventé parce que l’actuelle majorité, issue des urnes en 2007, comme celle qui l’avait précédée, issue des urnes de 2002, n’a pas eu le courage de supprimer l’ISF alors même qu’un consensus se serait probablement dégagé sur ces bancs pour le faire. Vous n’avez pas su, ou voulu supprimer l’ISF ; or il se trouve qu’aujourd’hui vous ne le pouvez plus, car l’ISF rapporte entre trois et quatre milliards d’euros au fisc et que les finances de notre pays sont dans un état tel qu’il n’est plus possible de se passer de cette recette alors que le budget, hors prélèvement sur recettes, est de 260 milliards d’euros. Notre pays est désormais effectivement à quelques milliards près. Vous maintenez le bouclier fiscal parce que vous souhaitez annuler en tout ou partie la cotisation ISF de ceux qui sont parmi les plus gros contribuables au titre de cet impôt. Et comme vous n’osez dire que le bouclier fiscal est là pour cela, vous utilisez deux arguments dont je vous ai démontré qu’ils étaient désormais irrecevables.

Le bouclier est donc un moyen, un truc.

M. Louis Giscard d’Estaing. Créé par Dominique Strauss-Kahn !

M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances. Monsieur Giscard d’Estaing, vous avez raison. La question n’est pas une question de principe, c’est une question de niveau et de contenu. La vérité est que le niveau auquel vous l’avez fixé n’a rien à voir avec celui fixé à l’origine, cher collègue, tout comme le contenu que vous avez voté n’a rien à voir avec le contenu initialement imaginé. Ces deux différences, anodines en apparence mais en fait majeures, font qu’aujourd’hui le bouclier fiscal, simple truc destiné à masquer l’absence de courage de la majorité pour supprimer l’ISF, est devenu aujourd’hui un symbole particulièrement gênant dont vous ne pouvez parvenir à vous détacher, sauf à donner l’impression de vous renier. Or c’est précisément au moment où l’on exige des Français beaucoup de courage que ceux qui le leur demandent devraient en faire preuve, montrer l’exemple, en renonçant à ce en quoi ils ont cru, en reconnaissant que les temps ne sont plus ceux qui avaient, à l’époque et à leurs yeux, légitimé cette création.

Ce symbole est aujourd’hui gênant pour tout le monde. Pour la majorité, bien sûr, mais aussi et surtout pour le pays, car tant que ce symbole sera là, il n’est pas vrai que nous pourrons rétablir l’équilibre de nos finances publiques. Aussi loin que notre pays décide d’aller dans la réduction de la dépense publique, aussi loin qu’il demande des efforts à nos concitoyens – ne nous a-t-on pas confirmé ce matin même que les dépenses d’intervention de l’État telles que l’allocation adulte handicapé ou l’aide personnalisée au logement seraient réduites de 5 % ? –, aussi loin qu’aille la réduction de la dépense publique, dans tous les secteurs de l’État, de la protection sociale ou des collectivités publiques, cela ne suffira pas.

Un document a été transmis par le Gouvernement français aux autorités communautaires – la commission des finances en a eu connaissance, mais pas le Parlement dans son ensemble ; ce sera peut-être le cas en juin. Ce document reconnaît que la diminution de la dépense publique, pour nécessaire qu’elle soit, ne pourra être suffisante pour rétablir l’équilibre de nos finances. Ce document dit très clairement et de la façon la plus explicite qui soit que, d’ici à 2013, 40 milliards d’euros de prélèvements obligatoires devront être obtenus par l’État auprès des contribuables.

Certains affirment, il est vrai, que ces recettes parviendront spontanément dans les caisses de l’État sitôt que la croissance reviendra ; mais même ceux qui se réfugient derrière cet argument n’y croient pas, si j’en juge par leurs écrits : à supposer que cette hypothèse d’élasticité des recettes se vérifie, ce qui supposerait une croissance de 2,5 % en 2011, et la même en 2012, et générerait un surplus de recettes que notre pays n’a jamais connu, il en manquerait au moins la moitié. Nous savons donc les uns et les autres, y compris, je veux l’espérer, certains membres du Gouvernement, qu’il faudra bien augmenter les impôts. Or la chose n’est pas possible tant que le bouclier fiscal est là, car si nous sommes au moins d’accord sur une chose, c’est bien celle-là : comment augmenter les impôts des Français en leur expliquant que ceux qui pourraient le plus et le mieux contribuer à l’effort du pays en seront exonérés, par le jeu précisément du bouclier fiscal ?

Ce symbole, dont vous avez décidé de faire une pierre angulaire de votre politique, est aujourd’hui toujours une pierre angulaire : celle de notre incapacité à redresser nos finances publiques, car aussi loin qu’aillent les efforts que le pays fera dans la réduction de ses dépenses publiques, cela ne suffira pas.

Les pouvoirs publics n’agissent pas sous le seul contrôle des Français, même si c’est d’abord à nos concitoyens qu’ils ont des comptes à rendre : les pouvoirs publics agissent aussi sous le contrôle d’une contrainte extérieure. Il s’agit d’une part de cette entité sans nom que l’on appelle les marchés, et d’autre part d’un pays, l’Allemagne. Les marchés comme l’Allemagne exigent de notre pays qu’il accepte ces efforts par des symboles. Aussi forts que soient ces symboles, nous ne les convaincrons durablement que notre pays s’engage effectivement sur la voie du redressement de ses finances publiques qu’en prenant des mesures crédibles non seulement aux yeux des parlementaires qui auront à en juger en conscience, mais aussi à l’égard de ceux qui, de l’extérieur, jugent désormais les politiques menées. Car ces politiques, que vous avez acceptées mes chers collègues, font qu’aujourd’hui, notre pays doit agir certes sous le contrôle des Français, mais aussi sous la contrainte extérieure. Rien que pour lever cela et rétablir pleinement ce qui n’aurait jamais dû être entamé, et que j’appelle pour ma part la souveraineté nationale, la suppression du bouclier fiscal serait non seulement un symbole fort, mais le début d’une politique crédible à nos yeux, aux yeux des Français, aux yeux de tous. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire.

M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me contenterai de développer deux points : premièrement, je vous démontrerai que le plafonnement socialiste comme le bouclier fiscal sont totalement liés à l’existence de l’ISF – nous sommes le seul pays en Europe à avoir une imposition de ce genre…

M. Louis Giscard d’Estaing. Très bien !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. En second point, après l’intervention largement idéologique de Jérôme Cahuzac, j’essaierai de me livrer à un historique objectif.

M. Jean Mallot. Ça, ce n’est pas idéologique du tout !

M. François de Rugy. On vous a connu plus inspiré !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Souvenez-vous : nous sommes en 1981. (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean Mallot. En 1936 !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Nos collègues socialistes de l’époque – M. Emmanuelli y était – mettent en place l’impôt sur les grandes fortunes. Comment fonctionne-t-il ? Prenons l’exemple d’un bon citoyen de l’époque. Ce bon citoyen investit toute son épargne en achetant des obligations d’État, du Delors – à l’époque il avait fallu énormément emprunter pour couvrir les déficits.

M. Louis Giscard d’Estaing. Et la dévaluation !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Ces obligations Delors lui rapportent à l’époque 17 %. À l’époque, le taux de l’IGF est de 1,5 %. On lui prélève donc au titre de l’IGF moins de 10 % du revenu de son patrimoine.

M. Michel Sapin. Et de combien était l’inflation ?

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Sept ans plus tard, nous sommes en 1988. Les mêmes socialistes rétablissent l’IGF, sous la forme de l’ISF.

M. Jean Mallot. Vous l’aviez supprimé entre-temps, ce qui vous a coûté cher électoralement !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Mais ils se rendent bien compte que les conditions ont changé. Ils inventent donc le plafonnement. Le plafonnement à 70 %, c’est eux ! La suite est assez savoureuse : la CSG, qui n’existe pas encore en 1988, ne sera créée que deux ans plus tard. Et c’est Dominique Strauss-Kahn, par un arrêté de mai 1999, qui inclut la CSG dans le plafonnement socialiste ! C’est dire à quel point le plafonnement et le bouclier sont complètement liés à l’ISF.

M. Michel Sapin. Et dites qui a supprimé le plafonnement !

M. Gilles Carrez, rapporteur général . M. Muet veut supprimer le bouclier. Mais le plafonnement à 85 %, lui-même plafonné en 1995 – et j’ai l’honnêteté de dire qu’en instituant ce plafonnement du plafonnement en 1995, notre majorité a commis une erreur –…

M. Jean Mallot. Alors, votez son abrogation !

M. Gérard Bapt. Ils plafonnent tout !

M. Gilles Carrez, rapporteur général. … a engendré des départs et même une véritable hémorragie. Si nous vous suivions et que, dans la période actuelle, nous suspendions le bouclier, ce serait un désastre pour l’économie, pour l’emploi, pour la croissance. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC. – Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. François de Rugy. Mais vos évadés fiscaux ne sont pas revenus !

M. Gilles Carrez, rapporteur général . Nos collègues veulent faire croire que quand on est riche, on est protégé par le bouclier fiscal et qu’avec le bouclier fiscal, on ne paye pas d’impôt. C’est un raisonnement faux, et même fallacieux.

M. Jean Mallot. Ce n’est pas qu’on ne paie pas d’impôt : on récupère de l’argent, c’est pire !

M. Gilles Carrez, rapporteur général . Je prends comme exemples les chiffres extrêmes : les bénéficiaires du bouclier fiscal, pour le dernier centile, ont des revenus supérieurs à 700 000 euros par an. Il est vrai que, grâce au bouclier, on restitue en moyenne à ces 536 personnes 336 000 euros. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Mais on oublie de dire qu’après cette restitution, ils payent en moyenne plus de 800 000 euros d’impôt…

M. Jean Mallot. Les pauvres ! C’est affreux ! Organisons une quête !

M. Gérard Bapt et M. Alain Néri. Sortez les mouchoirs !

M. Gilles Carrez, rapporteur général . On ne leur rend si je puis dire qu’un quart de l’impôt qu’ils payent. Quant à ceux qui ont les plus gros patrimoines, on leur restitue 563 000 euros en moyenne, mais ils payent finalement plus de 1 million d’euros d’impôt en moyenne.

M. Dominique Baert. Mon Dieu, quelle horreur !

M. Michel Sapin. On aimerait bien en payer autant !

M. Gilles Carrez, rapporteur général . Autrement dit, on ne leur « rend » que moins d’un tiers.

J’ai regardé attentivement le rapport de notre collègue Muet.

M. Alain Néri. Le muet, il vaudrait mieux que ce soit vous !

M. Gilles Carrez, rapporteur général . M. Muet tient un raisonnement extraordinaire.

M. Dominique Baert. Car lui-même est extraordinaire !

M. Gilles Carrez, rapporteur général . Il reconnaît que le plafonnement à 85 % pose un problème. Il aurait pu en conclure qu’il nous appartient de prendre nos responsabilités ; mais non, il propose de laisser le Conseil constitutionnel juger si un tel niveau est confiscatoire ou pas ! Alors que nos collègues socialistes sont d’ordinaire si sourcilleux sur les responsabilités du Parlement assume ses responsabilités, il nous renvoie tout simplement ici à des décisions du Conseil constitutionnel… Ce n’est pas très glorieux ni très courageux !

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur . Je vais répondre.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Je le répète, tant que l’ISF existe, il faut le plafonnement et le bouclier. Et je m’honore d’avoir, avec Didier Migaud, profondément modifié le fonctionnement du bouclier fiscal au cours des deux dernières années, ce que vous n’aviez pas été capables de faire entre 1997 et 2002. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Michel Vergnier. Et depuis 2002, qu’avez-vous fait ?

M. Gilles Carrez, rapporteur général . Nous avons modifié toutes les niches fiscales qui permettaient de minorer l’assiette, donc le dénominateur, ce qui augmentait d’autant la restitution, en les transformant en réductions d’impôt. Nous avons interdit l’imputation des moins-values des exercices précédents.

M. Jean Mallot. Plus on pédale moins vite, moins on va plus loin !

M. Gilles Carrez, rapporteur général . En loi de finances 2010, j’ai corrigé le mode de prise en compte des dividendes.

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur . Jusqu’à quand ?

M. Alain Néri. Allez dire cela à ceux qui gagnent moins de 1 500 euros par mois !

M. Gilles Carrez, rapporteur général . Nous avons donc vraiment effectué des réformes substantielles qui n’avaient pas été faites dans la période précédente

M. Jean Mallot. Je ne comprends rien !

M. Gilles Carrez, rapporteur général . Cela ne m’étonne pas, monsieur Mallot. Mais je continue.

Le principe selon lequel l’impôt ne peut pas être confiscatoire, spoliateur, le principe selon lequel donc on ne peut pas donner en impôt plus de la moitié du revenu de son travail…

M. Jean-Marc Ayrault. Mais ce n’est jamais le cas !

M. Gilles Carrez, rapporteur général … est un excellent principe. C’est reconnaître la valeur travail. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Pascal Deguilhem. C’est un slogan !

M. Michel Vergnier. Et il faut gagner combien ?

M. Gilles Carrez, rapporteur général . Mais la bonne proposition – et si vous étiez aussi responsables que vos collègues socialistes suédois, socialistes allemands, socialistes espagnols, vous nous accompagneriez dans cette voie –, c’est de remettre à plat notre fiscalité.

Mme Laurence Dumont. Chiche !

M. Gilles Carrez, rapporteur général . Il faudrait procéder de la manière suivante : supprimer l’ISF, supprimer le bouclier fiscal, créer une tranche supplémentaire d’impôt sur le revenu, monsieur Méhaignerie.

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Chiche !

M. Gilles Carrez, rapporteur général . Mais aussi remettre à plat certains éléments de fiscalité du patrimoine.

Ceci exige de répondre à un certain nombre de questions. Elles sont difficiles, et cela exige du temps.

M. Christian Bataille. À vous de le faire maintenant !

Mme Laurence Dumont. Mais c’est comme pour la parité ce matin, il faut du temps !

M. Gilles Carrez, rapporteur général . Comment doit-on définir la capacité contributive ? Comment maintenir une imposition du patrimoine accumulé ?

Je discutais récemment avec Pierre-Alain Muet du système hollandais. C’était une conversion privée, je ne veux pas en faire état en détail. Mais nous avons convenu tous les deux que ce système était intéressant et pourrait nourrir notre réflexion.

Une autre question qui pourrait se poser est de savoir quelle doit être la progressivité de l’impôt pour les différentes catégories de revenus.

Autre question encore : Quel équilibre assurer entre l’imposition des revenus du travail et celle des revenus du patrimoine ?

M. Jean Mallot. Ne posez pas des questions, donnez des réponses !

M. Gilles Carrez, rapporteur général . Prenons un exemple. Si l’on supprime l’ISF, on supprime l’impôt pour 500 000 contribuables. Mais si l’on crée une tranche supplémentaire d’impôt sur le revenu et que l’on se borne à cela, d’un côté on a diminué la fiscalité du patrimoine mais de l’autre on alourdit celle du travail, qui ne pèse pas sur les mêmes contribuables. Ce genre de mesures doit être soigneusement étudié. De même, quelle doit être l’imposition des non-résidents qui acquittent l’ISF ?

Mme Laurence Dumont. Vous avez eu huit ans !

M. Gilles Carrez, rapporteur général . Question également très difficile : quelle doit être l’imposition sur le patrimoine de toutes les participations liées à l’entreprise comme les biens professionnels, les détentions longues, les participations risquées ? Ne faut-il pas leur accorder un régime particulier ? Il faut aussi s’interroger sur la fiscalité dérogatoire d’un certain nombre de produits, et je n’hésite pas à citer les PEA, l’assurance-vie…

M. Jean Mallot. Quelle audace !

M. Yves Censi. Très bien !

M. Gilles Carrez, rapporteur général . Nous avons donc devant nous un véritable chantier pour opérer cette remise à plat : suppression de l’ISF, suppression du bouclier fiscal, création d’une tranche supplémentaire de l’impôt sur le revenu, remise à plat de la fiscalité sur le patrimoine. Cela exige de la réflexion, cela exige du travail. Vous à gauche, vous préférez rester dans une posture idéologique (Protestations sur les bancs du groupe SRC.) Vous avez tort. Nous, nous sommes animés avant tout par un souci de justice et d’équité fiscale !

Mme Laurence Dumont. La justice fiscale ! Il fallait oser !

M. Gilles Carrez, rapporteur général . Nous souhaitons un bon équilibre entre l’imposition des revenus du travail et celle des revenus du capital. Et il est une chose, que nous souhaitons, et sur laquelle, pour ma part, j’ai toujours été clair : si tel ou tel impôt inclus dans la somme figurant au numérateur de la formule qui sert à calculer la restitution pour bouclier fiscal doit être augmenté au nom de la solidarité, en particulier dans le cadre de la réforme des retraites, il va de soi que cette augmentation ne devra pas être annulée par le jeu du bouclier fiscal. (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC.) Cher René Couanau, vous le savez, elle sortira du calcul pour le bouclier fiscal.

M. Louis Giscard d’Estaing. C’est logique.

M. Gilles Carrez, rapporteur général . Dès novembre dernier, la commission des finances s’est prononcée à l’unanimité sur ce principe. Dès lors, s’il y a une augmentation d’impôt au nom de la solidarité, au nom de la justice fiscale, qui est notre premier souci, cette augmentation ne sera pas prise en compte pour le bouclier fiscal.

M. Jean Mallot. Et le RSA ?

M. Gilles Carrez, rapporteur général . La différence entre vous et nous, c’est que nous nous prenons des mesures pratiques pour la justice et l’équité ; vous, vous restez confinés dans l’idéologie ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État.

M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État . Madame la présidente, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs – une belle assistance – M. Muet m’a posé sur ce sujet une question d’actualité il y a quelques jours, me rappelant celles que certains de ses collègues m’avaient posées il y a une dizaine de jours dans le même lieu, presque à la même heure…

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. C’est toujours d’actualité !

M. François Baroin, ministre du budget . Cela fait deux mois que cela dure. J’ai quelque souvenir de ma trajectoire parlementaire au cours de cette législature. J’ai cru entendre comme un disque rayé. Mêmes arguments, même absence de conviction…

M. Jean Mallot. Ce n’est pas gentil pour M. Carrez !

M. François Baroin, ministre du budget . Quand je vois les positions d’hommes et de femmes que je tiens en estime, dont je lis les écrits, qui ont exercé des responsabilités de Gouvernement, dont le parti se dit parti de gouvernement, et qui a – pardonnez-moi l’expression – pondu ce qu’il a pondu cette semaine sur la question des retraites, (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.- Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) je comprends mieux votre acharnement inutile, stérile, que je qualifiais, nuitamment, sur un autre texte d’héroïsme obscur, je comprends mieux que vous n’ayez plus que cela ! Comment pouvez-vous avoir passé autant de temps à dire que vous alliez réfléchir sur un sujet essentiel, sur lequel vous avez une responsabilité majeure ? Dans les années 1980 vous avez abaissé à 60 ans l’âge de la retraite, et tous aujourd’hui nous devons essayer de sortir de cette situation…

M. Germinal Peiro. Quel mépris !

M. François Baroin, ministre du budget .… Mais depuis trois ans vous êtes mobilisés exclusivement sur le bouclier fiscal qui ne rapporte que 60 millions…

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. 600 millions !

M. François Baroin, ministre du budget . …600 millions pour quelques milliers de personnes. Le parti socialiste n’a rien appris, rien compris de ses défaites, n’a tiré de leçon ni de 2002 ni de 2007. Je vous souhaite bon courage pour, dans les mois qui viennent, choisir celui qui portera vos couleurs : car pour l’heure, elles sont fanées, jaunies, passées et dépassées ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Je ne veux citer aucun de ceux dont je croise ici le regard, car il y a, je le sais, des gens sérieux et responsables parmi vous. J’espère, pour vous et pour le parti socialiste, que vous allez très rapidement corriger votre copie sur les retraites…

M. Germinal Peiro. Arrêtez de donner des leçons !

M. François Baroin, ministre du budget . C’est incroyable, hallucinant pour qui réfléchit un peu et travaille sur ces sujets…

Mme Marylise Lebranchu. Hallucinant, en effet ! Tout va bien en France !

M. François Baroin, ministre du budget . …d’être parvenu à une telle impasse !

Mais venons-en au sujet qui nous anime, nous occupe, nous préoccupe, et nous amuse aussi parfois car la constance avec laquelle vous posez les mêmes questions nous amène, avec la même constance, à vous apporter les mêmes réponses.

Je reviens sur ce qu’a dit Gilles Carrez avec talent et énergie. C’est vrai que je comprends qu’une fois de plus vous soyez gênés par cette affaire.

Mme Laurence Dumont. Il a la grosse tête !

M. François Baroin, ministre du budget . C’est Rocard qui a mis en place le premier le dispositif de réflexion sur l’annulation d’un principe confiscatoire…

Mme Marylise Lebranchu. Dites ce que vous pensez, au lieu de commenter l’action des autres.

M. François Baroin, ministre du budget . Ayons l’honnêteté de dire que le plafonnement était à 70 %. J’ai appartenu au gouvernement de Dominique de Villepin, avec Thierry Breton, ministre de l’économie et Jean-François Copé, ministre du budget ; c’est ce gouvernement qui a mis en place ce qu’on a appelé le bouclier, à hauteur de 60 %. Et j’ai appartenu au groupe de la majorité qui a accompagné l’un des engagements de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy, pour fixer une idée simple, un principe que personne ne peut valablement contester…

Mme Laurence Dumont. Plus on est riche, moins on paye !

M. François Baroin, ministre du budget . On ne travaille pas plus d’un jour sur deux pour son pays.

M. Jean-Marc Ayrault. Mais ce n’est pas vrai !

M. François Baroin, ministre du budget . Ce principe est compréhensible par tous. Quoi que l’on pense des résultats du bouclier fiscal, de son évolution, de son impact, du succès ou non par rapport aux objectifs fixés, on ne peut pas sérieusement contester ce principe.

M. Germinal Peiro. Contribuer à proportion de ses ressources, c’est cela la justice.

M. François Baroin, ministre du budget . Venons-en aux chiffres. Le président Cahuzac l’a évoqué, je ne doute pas que certains des orateurs le souligneront également et j’ai encore en mémoire la petite musique de M. Muet, en commission des finances, lors des questions d’actualité et encore aujourd’hui…

Mme Marylise Lebranchu. Mais quel mépris ! Pouvez-vous respecter le Parlement et vous adresser à nous normalement ?

M. François Baroin, ministre du budget . 600 millions pour 16 000 personnes et selon vous, le bouclier fiscal n’a pas fonctionné. C’est en 2007 que l’Assemblée a voté le plafond de 50 %. Les chiffres dont vous parlez sont ceux que j’ai portés à la connaissance de la commission des finances dans un esprit de transparence. Le président Cahuzac l’a souligné et je l’en remercie. C’est bien la moindre des choses que le Gouvernement mette à votre disposition les chiffres qu’il possède.

Le problème, c’est que vous vous accrochez aux chiffres de 2008 comme des petites souris à des grains de blé dans une stabulation agricole alors qu’il ne s’est passé qu’un an depuis le vote de la loi…

Pourquoi le bouclier a-t-il été mis en place ? Pour respecter le principe de justice fiscale que j’ai évoqué, mais aussi pour nous rendre plus compétitifs par rapport à nos partenaires européens. (Rires et exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Mme Laurence Dumont. Vous avez bien appris votre leçon !

M. Jean-Pierre Dufau. Quelle originalité !

M. Jean-Christophe Cambadélis. Allez dire cela à Angela Merkel !

M. François Baroin, ministre du budget . C’est pour cette dernière raison que nous avons besoin de stabilité.

M. Dominique Baert. Nous avons aussi besoin de justice et d’équité fiscale !

M. François Baroin, ministre du budget . Il n’est donc ni sérieux ni responsable de s’accrocher aujourd’hui à des chiffres établis un an seulement après la mise en place du dispositif alors que les chiffres relatifs à l’année 2009 ne seront connus qu’à la fin du mois de juillet. Nous avons besoin de constater sur pièces ce qu’il en est, et au moins une ou deux législatures seront nécessaires pour apprécier l’évolution et l’efficacité du dispositif.

M. Jean Mallot. Pourquoi pas trois, quatre ou cinq législatures, tant que vous y êtes !

M. François Baroin, ministre du budget . Comment pouvez-vous dire sérieusement que cela n’a pas marché alors que nous sommes seulement au début d’un processus ?

M. Jean Mallot. Nous le disons parce que c’est vrai !

M. François Baroin, ministre du budget . Ce débat correspond bien à l’image que nous renvoyons à l’extérieur de nos frontières où l’on craint notre instabilité fiscale.

M. Alain Néri. Où est Johnny ? Est-il rentré ?

Mme Laurence Dumont. Le dispositif aurait donc fonctionné !

M. Michel Sapin. Pour une personne !

M. François Baroin, ministre du budget . La droite a mis en place un dispositif qui, comme le rappelait Michel Rocard, est d’inspiration de gauche. Quelques mois après qu’il a été voté, il a été contesté et, aujourd’hui, vous secouez le tout en espérant que la noix de coco va tomber du cocotier.

Le message que vous adressez à nos partenaires étrangers, notamment européens, et à celles et ceux qui ont quitté la France pour des raisons professionnelles (Rires et exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC) ou fiscales…

M. Jean Mallot. Des noms !

M. François Baroin, ministre du budget . …n’est pas de nature à les rassurer. Faisons une hypothèse d’école – même si personne sur les bancs de la droite ne souhaite qu’elle devienne réalité : un jour, vous reviendrez au pouvoir. Cela signifie que le bouclier fiscal sera remis en cause. Autrement dit, il est clair que le débat de cet après-midi et les questions que vous posez ne sont pas de nature à permettre à ce dispositif de montrer pleinement sa force et son efficacité.

Si vous acceptiez de sortir de votre idéologie…

M. Patrick Roy. L’idéologie est à droite !

M. François Baroin, ministre du budget . …et de produire un discours plus sérieux sur les sujets les plus importants (Exclamations sur les bancs du groupe SRC)  ; si vous acceptiez de réagir comme un parti de gouvernement responsable, vous abandonneriez ce débat marginal et, au fond, désormais relativement décalé par rapport à l’importance des enjeux.

M. Jean Mallot. Si le bouclier est marginal, supprimez-le !

Mme Marylise Lebranchu. Nous ne vivons pas du tout dans le même monde !

M. François Baroin, ministre du budget . Vous pourriez, par exemple, vous intéresser aux mesures que nous avons présentées ce matin, sous l’autorité du Président de la République, dans le cadre de la conférence des déficits publics. Il y a tant de chose à dire,…

Mme Laurence Dumont. Effectivement, et nous les dirons !

M. François Baroin, ministre du budget . Nous attendons tant des propositions de la gauche sur la manière dont nous pouvons réduire intelligemment le déficit budgétaire. Quelles sont vos contre-propositions ?

Vous nous accusez de mener une politique de rigueur…

M. Alain Néri. Une politique anti-sociale !

M. François Baroin, ministre du budget . … alors que nous allons stabiliser les dépenses de l’État et ses dotations aux collectivités locales au même niveau que l’an passé. Oui, il s’agit d’une inflexion budgétaire et d’un élément de discipline budgétaire. Mais je ne vous entends pas protester lorsque vos amis Zapatero et Socrates baissent les dépenses publiques et le traitement des fonctionnaires de plus de 5, 10 ou même 15 %.

M. Michel Vergnier. La situation n’est pas la même !

M. François Baroin, ministre du budget . Je ne vous entends pas lorsque les mêmes augmentent la TVA de deux points ou qu’ils mènent une politique fiscale qui se traduit par une baisse des salaires et une augmentation des impôts.

M. Yves Censi. Là, ils sont muets !

Mme Marylise Lebranchu. Au contraire, nous en débattons largement !

M. François Baroin, ministre du budget . Pourquoi restez-vous silencieux sur des questions aussi importantes ?

M. Marc Francina. Muets !

M. François Baroin, ministre du budget . Pourquoi êtes-vous si taiseux sur les mesures que prennent ceux de votre camp : elles sont pourtant, dans une véritable logique d’austérité, autrement plus dures et rigoureuses que les nôtres ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.) Au lieu de cela, vous vous accrochez, cet après-midi, à une proposition de loi sur le bouclier fiscal.

Je vous attends aussi sur la question des relations avec les collectivités locales, sur celle de l’évolution des dépenses maladies…

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. On sera là !

M. Jean Mallot. Vous ne perdez rien pour attendre !

M. François Baroin, ministre du budget . Nous attendons également avec intérêt votre réaction à la piste ouverte par le Président de la République pour une révision constitutionnelle destinée à renforcer les pouvoirs du Parlement. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Elle va donner à la loi de finances les moyens de tenir bon sur les dépenses fiscales, et elle permettra au Parlement de se prononcer sur les engagements français envers nos partenaires européens, comme nous l’avons tous toujours demandé.

M. Jean Mallot. Vous parvenez à dire tout cela sans rire ?

Mme George Pau-Langevin. Le sujet ne vous plaît pas ?

Mme Marylise Lebranchu. Le sujet, le ministre ne le connaît pas !

M. François Baroin, ministre du budget . Nous vous attendons pour un consensus autour de cette révision constitutionnelle, pour qu’au début de la prochaine législature, quel que soit le Gouvernement issu des urnes de 2012, une trajectoire fixe l’objectif de maîtrise des déficits publics, des dépenses publiques et de notre gestion de dette…

Mme Marylise Lebranchu. C’est du niveau de la première année de sciences-po !

M. Jean Mallot. C’est Baroin baratin !

M. François Baroin, ministre du budget . Nous serons ainsi tous au rendez-vous de ce qui ne sera ni du laxisme ni de la rigueur, mais seulement de la bonne gestion.

Je me suis un peu éloigné du sujet mais, en parlant du passé, j’ai retrouvé l’actualité du groupe socialiste, et en parlant de l’actualité, j’ai pu évoquer ce que proposent aujourd’hui le Président de la République et le Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Mme Laurence Dumont. C’est un peu court !

M. Jean-Pierre Dufau. Consternant !

M. Christian Bataille. Nul !

M. Jean-Marc Ayrault. Je demande la parole pour un rappel au règlement

Rappel au règlement

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault.

M. Jean-Marc Ayrault. Madame la présidente, au début de ce débat, je souhaite, pour le bon déroulement de nos travaux, faire une mise au point au nom de mon groupe, afin que nos échanges conservent un minimum d’honnêteté.

M. Yves Censi. Sortez les mouchoirs !

M. Jean-Marc Ayrault. Je dois vous dire ma consternation devant le manque d’honnêteté intellectuelle du discours du ministre. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

Il est vrai, monsieur le ministre, que, nouveau converti au sarkozisme, vous êtes peut-être enclin à faire beaucoup de zèle pour servir votre nouveau maître.

M. Jean-François Lamour. Donneur de leçons !

M. Jean-Marc Ayrault. On vous avait connu plus modeste et un peu plus respectueux de ceux qui ne pensent pas systématiquement comme vous. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Malheureusement, vous persévérez dans une malhonnêteté intellectuelle qui fausse le débat. (Mêmes mouvements.)

M. Jean-François Lamour. Cela n’a rien à voir avec un rappel au règlement !

M. Jean-Marc Ayrault. Vous dites qu’il n’est pas acceptable que les Français travaillent un jour sur deux pour l’État ; mais ce raisonnement est totalement faux…

M. Jean-François Lamour. Madame la présidente, c’est scandaleux ! Ce n’est pas un rappel au règlement !

M. Jean-Marc Ayrault. …dans la mesure où, et vous le savez parfaitement, le bouclier fiscal ne concerne par les revenus du travail. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Vous savez très bien qu’un salarié dont les seules ressources proviennent des revenus de son travail ne paie jamais plus de 50 % d’impôts à l’État. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Ce que nous contestons, c’est le le fait que vous vouliez privilégier les revenus du patrimoine, de la rente et du capital, plutôt que ceux du travail. C’est cette indécence que nous dénonçons et que nous vous demandons de supprimer. (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR. – Exclamations sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Pierre Moscovici.

M. Pierre Moscovici. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, monsieur le rapporteur et mes chers collègues, à mon tour, je veux dire à François Baroin ma stupéfaction et ma déception.

Je l’ai entendu parler de disque rayé. J’ai trouvé qu’il attaquait l’opposition en faisant preuve d’un mépris assez scandaleux, sinon d’une certaine arrogance dans un discours assez stéréotypé. Nous n’avons que faire de votre commisération, cher François Baroin,. Je préférais celui que vous fûtes qui semblait avoir le respect du débat et penser que l’on pouvait échanger et écouter des arguments. Vous étiez autrefois attaché à la vérité ; aujourd’hui, il n’y avait dans vos propos aucune forme de sincérité.

Paris peut valoir une messe, et un portefeuille peut valoir une conversion, mais vous n’avez été ni crédible ni convaincu. Votre présentation était parfaitement idéologique, arrogante et pour tout dire assez grossière. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Protestations sur les bancs du groupe UMP.) Cela n’était pas digne de ce que vous êtes.

M. Alain Cousin. C’est petit bras !

M. Georges Mothron. M. Moscovici est candidat à l’élection présidentielle !

M. Jean-Michel Fourgous. Il se trompe de tribune !

M. Pierre Moscovici. La proposition de loi dont nous discutons aujourd’hui à une portée bien plus grande que la seule abrogation du bouclier fiscal – Jérôme Cahuzac lui-même le qualifiait de symbole gênant.

Les historiens qui se pencheront un jour sur le quinquennat de Nicolas Sarkozy, s’il s’en trouve,…

M. Nicolas Perruchot. Vous parlez de son premier quinquennat ? (Sourires sur les bancs du groupe UMP.)

M. Pierre Moscovici. …porteront une attention toute particulière aux cent premiers jours de cette période et aux premières mesures prises.

Depuis Roosevelt, on sait en effet, tout l’intérêt de cette question des cent premiers jours. Les premiers textes d’une législature en donnent toujours le sens. En 1997, Lionel Jospin et le gouvernement de la gauche plurielle avaient souhaité mettre l’emploi et la jeunesse au cœur de l’action publique en demandant au Parlement d’examiner comme tout premier texte le projet de loi sur les emplois jeunes.

M. Patrick Roy. Très bien !

M. Pierre Moscovici. En 2007, François Fillon et le Gouvernement ont proposé au Parlement d’adopter la loi TEPA, promesse de campagne essentielle du candidat de l’UMP,…

Mme Laurence Dumont. À chacun ses priorités !

M. Yves Censi. Les Français ont tranché !

M. Pierre Moscovici. Il s’agissait notamment, de renforcer le bouclier fiscal dont le seuil passait de 60 % à 50 %.

M. Patrick Roy. Scandaleux !

M. Pierre Moscovici. Ce contraste dit tout, ou presque. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) À l’aune de cette mesure, quelle lecture auront les économistes et les historiens de la politique fiscale et du sarkozysme économique ? Ils s’interrogeront sur la puissance d’un tel dispositif en faveur d’une minorité aussi restreinte de contribuables. Ils feront sans doute le lien entre ce dispositif de la loi TEPA et le mouvement des idées économiques, et ils y verront le signe d’un ralliement tardif et négatif de la France au courant conservateur et ultra-libéral des années 1970 et 1980, illustré par le reaganisme et le thatchérisme.

Il est vrai que ce mouvement s’est inscrit en rupture, mot cher au Président de la République, avec une certaine conception de l’État-providence qui pendant plus de trente ans s’est efforcée de réduire les inégalités et de veiller par les prélèvements obligatoires à redistribuer de la richesse.

Une nouvelle donne économique est désormais orchestrée. Inspirée depuis trente ans par les néolibéraux, elle est d’une tout autre nature. Considérant que la croissance se fonde sur l’investissement, et l’investissement sur les seuls profits, elle privilégie les rendements du capital au détriment des revenus du travail, et elle compense la contraction des revenus salariaux par un accès plus large et plus long au crédit.

Vous vous êtes inspirés de ce modèle économique, mais il est dépassé. Il appartient au dernier tiers du XX e  siècle, et il s’est fracassé sous nos yeux avec la crise du crédit immobilier américain et des subprimes . Ses conséquences, nous les connaissons : une crise économique majeure dont nous commençons à peine à mesurer l’ampleur et dont témoignent les statistiques du chômage et le retour dans nos pays de la précarité et de la pauvreté.

Je l’affirme sans ambages : dans ce contexte économique et social, le bouclier fiscal est tout simplement une aberration.

M. Jean Mallot. Une ânerie !

M. Pierre Moscovici. Quant à l’obstination du Gouvernement à le conserver malgré la crise qui frappe chaque jour un peu plus nos concitoyens, et malgré la dégradation catastrophique des finances publiques – Jérôme Cahuzac a dit l’essentiel sur ce sujet –, elle donne l’impression aux Français que leurs dirigeants préfèrent aller droit dans le mur, tête la première, plutôt que de faire marche arrière avec sagesse ou de changer de direction. Qui n’aurait pas l’impression en comparant les déclarations aux chiffres et à la réalité que nous sommes devant une aberration ?

L’argument principal du Président de la République, lorsqu’il a défendu et fait instaurer cette mesure en 2007, était qu’il trouvait inadmissible qu’on puisse travailler plus d’un jour sur deux pour l’État. Jean-Marc Ayrault l’a dit : c’est une contre-vérité flagrante, un mensonge absolu. Personne ne paie 50 % d’impôts sur des revenus gagnés grâce au travail !

En réalité, le bouclier fiscal protège surtout les revenus du patrimoine, comme les portefeuilles en bourse ou les revenus immobiliers, dont la part dans le revenu global grandit à mesure que croît la richesse du contribuable. En fait, c’est la rente des Français les plus nantis,…

M. Jean Mallot. Voilà !

M. Patrick Roy. Les amis du Fouquet’s !

M. Pierre Moscovici. …et non le fruit du labeur des Français issus des couches populaires et des couches moyennes que le bouclier fiscal protège. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Pierre-Alain Muet nous a rappelé les chiffres ; ils sont tout à la fois éloquents et simples – même si vous pouvez toujours tenter de les contourner par des effets de style.

Il est désormais établi que deux tiers des sommes restituées au titre du bouclier fiscal, soit 376 000 euros en moyenne en 2009, sont allées à des contribuables possédant, en moyenne, plus de quinze millions d’euros de patrimoine, tandis que ceux qui ne paient pas l’ISF se partagent seulement moins de 1 % du coût du bouclier fiscal, qui est tout sauf négligeable.

En outre, le bouclier, longtemps arboré comme un instrument de compétitivité, voire une condition sine qua non de la croissance, a un coût significatif sans avoir aucun effet. On nous avait fait miroiter l’idée que le dispositif inciterait à un retour en masse des exilés fiscaux, dépeints comme des citoyens attendant impatiemment aux portes de la France de pouvoir y investir de nouveau une fois la fiscalité devenue moins confiscatoire.

M. Alain Néri. Johnny, reviens ! Sarko t’attend !

M. Jean-Pierre Dufau. Ah que non ! (Sourires.)

M. Pierre Moscovici. Madame la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi , je me souviens que vous avez beaucoup utilisé cet argument. Or, d’après les données que vous avez communiquées à la commission des finances, le constat n’est même pas ambigu : pour la période concernée, il y a moins d’expatriés fiscaux de retour que de contribuables assujettis à l’ISF ayant quitté la France. Bilan : quelque 17 millions d’euros sont entrés dans les caisses du Trésor public tandis que le coût du bouclier fiscal s’est élevé à 600 millions. Vous pouvez présenter ces chiffres comme vous voudrez, ils sont incontestables et la démonstration est implacable. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Jean Mallot. D’un seul coup, la droite est muette !

M. Patrick Roy. Les ministres ne connaissent pas les chiffres !

M. Pierre Moscovici. On ne peut s’empêcher d’y voir une sorte de retour sur investissement pour tous ceux qui ont apporté leur soutien au candidat à la présidence de la République.

Comment le Gouvernement et la majorité peuvent-ils continuer à défendre jusqu’à l’absurde – nous savons d’ailleurs que beaucoup de ceux qui siègent sur les bancs de la droite ne sont pas convaincus –, je dirais même jusqu’à l’indécence, le maintien d’une mesure aussi coûteuse, tout en prônant un plan de rigueur qui ne dit pas son nom ? Et cela alors même que les premières personnes à ressentir les effets de ce plan seront, pour ne pas changer, les plus fragiles d’entre nous, c’est-à-dire ceux qui ont besoin des services publics et des assurances sociales. L’absurdité confine à l’indécence !

Madame la ministre, monsieur le ministre, chers collègues de la majorité, il est plus que temps, en cette période difficile, de redonner sens à un concept républicain, que vous avez trop oublié et qui porte un beau nom : la solidarité !

En effet, où est-elle passée, la solidarité nationale, dans cette France où les mieux lotis affrontent la brutalité de la crise protégés par un bouclier fiscal, tandis que le reste du peuple doit se contenter d’une simple couverture sociale ? Si la majorité – j’ai entendu le rapporteur général – croit vraiment nécessaire de faire contribuer tous les éléments de la nation au financement de la réforme des retraites, pourquoi parle-t-elle d’une simple entaille ou d’une brèche dans ce bouclier fiscal devenu sans raison d’être, indécent et absurde, quand il lui est donné l’occasion de le briser, c’est-à-dire de l’abroger ? Car tel est bien l’objet de notre proposition de loi.

Il est temps de mobiliser toutes les énergies et de mettre en œuvre la solidarité nécessaire pour sortir de crise, de veiller à la cohésion sociale indispensable à la préparation de l’avenir. C’est pourquoi vous auriez tout intérêt à entendre ce que disent certains des vôtres, et non des moindres, puisque certains sont même membres du Gouvernement, et à abandonner ce tabou incompréhensible du sarkozysme en prenant en compte la proposition de loi du parti socialiste.

M. Yves Censi. Que pensez-vous de l’ISF et des propos de Manuel Valls à ce sujet ?

M. Pierre Moscovici. Il est grand temps de corriger cette erreur qu’est le bouclier fiscal, car, ainsi que l’a dit Jérôme Cahuzac, c’est un symbole gênant. Pis, c’est une tache ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. François de Rugy. Très bien !

M. Dominique Baert. C’est même une tare !

M. Jean-Pierre Dufau. Et une tare, par définition, c’est lourd !

Mme la présidente. La parole est à M. François de Rugy.

M. François de Rugy. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, que nous le voulions ou non, que le Gouvernement le reconnaisse ou non, nous allons vers une politique de rigueur. On ne peut donc que se réjouir de discuter aujourd’hui du bouclier fiscal, une mesure qui est financièrement aussi peu rigoureuse qu’elle est fiscalement et socialement injuste. Nous, écologistes, avions d’ailleurs proposé sa suppression, ainsi celle de l’ensemble des mesures de la loi dite du « paquet fiscal » de 2007 – qui constitue décidément le péché originel du sarkozysme – dans la proposition de loi de transformation écologique de l’économie, que j’ai défendue ici même il y a un an.

À de multiples reprises, le Premier ministre ainsi que les ministres du budget qui se sont succédé ont voulu faire accroire que notre volonté d’abolir le bouclier fiscal était le fruit d’une sorte de culte que l’opposition vouerait à l’impôt ; M. Fillon l’a encore répété hier, lors des questions au Gouvernement. Mais les Français ont appris à leurs dépens qu’en matière de création de taxes, ce gouvernement a l’imagination fertile et que, derrière ses déclarations souvent hostiles à la contribution des particuliers, se cache en fait une politique très fruste et très brutale, qui consiste à multiplier les taxes payées par tous tout en limitant la contribution de quelques-uns, toujours les mêmes, et qui ne sont jamais les plus démunis.

M. le rapporteur général, Gilles Carrez, a indiqué tout à l’heure qu’aucune des nouvelles contributions de solidarité, notamment celle envisagée dans le cadre de la réforme des retraites, ne devrait pas être incluse dans le bouclier fiscal. Cela sonne comme un aveu – M. Sarkozy ne déclarait-il pas il y a quelques jours : « un bouclier qui laisserait passer une flèche ne serait plus un bouclier » ? Surtout, vous avez déjà eu l’occasion d’appliquer ce principe lorsqu’a été créée une taxe pour financer le revenu de solidarité active.

En cette période de déficits abyssaux, comment ne pas voir que le bouclier fiscal est une aberration fiscale, économique et sociale ? Alors que nous sommes si prompts à critiquer les autorités d’autres pays européens pour leur imprévoyance, voire leur incompétence, et leur incapacité à assurer la juste collecte de l’impôt, comment pouvons-nous encore supporter ici, et dans la légalité, une disposition qui dispense de la contribution publique les plus favorisés de nos concitoyens ?

Le Premier ministre justifiait la création de ce bouclier par la volonté de mettre fin à l’évasion fiscale et il nous annonçait que sa mise en œuvre permettrait – je ne fais que citer des responsables de la majorité, notamment vous, madame la ministre – de « faire revenir » ceux que le poids des impôts avait fait fuir vers d’autres cieux. Or, ces Français prétendument accablés par les charges, émigrés à quelques kilomètres de nos frontières – en Suisse et en Belgique –, sont-ils revenus ? Non, si l’on en croit les chiffres que vous avez vous-même fournis, monsieur le ministre du budget, à la commission des finances il y a quelques semaines, lorsque celle-ci vous a auditionné à propos du boulier fiscal.

En 2007, le Président de la République nous annonçait une « nouvelle culture de gouvernement », fondée sur l’évaluation et la culture du résultat. Eh bien, chiche ! Puisque, à l’évidence, les résultats ne sont pas à la hauteur des prétentions, tirons-en les conséquences et procédons à l’abolition d’une mesure qui, en baisse de rentrées fiscales, a coûté à la collectivité autrement plus que ce qu’elle lui a rapporté en recettes nouvelles. La rigueur, ce ne sont pas de nouveaux impôts : c’est la nécessité de revisiter notre politique fiscale, avec l’impératif d’optimiser toutes les ressources qui peuvent l’être pour ne pas creuser la dette. À ce propos, le président de la commission des finances a fort justement énuméré, tout à l’heure, les nombreuses niches fiscales qui pourraient être revues. Alors que le Gouvernement multiplie les déclarations nous appelant à prendre conscience de la difficile situation budgétaire de la France, alors que l’on somme nos partenaires au sein de l’Union européenne de faire preuve de responsabilité, balayons devant notre porte !

Parce que nous sommes responsables, nous ne verserons pas dans la facilité qui consisterait à faire croire à nos concitoyens que la suppression du bouclier fiscal réglerait tous nos problèmes. Au reste, je crois que, sur ces bancs, chacun est bien convaincu de l’impérieuse nécessité de dire à nos compatriotes qu’il n’y a pas, dans ce pays, une source magique qui, à elle seule, nous permettrait de nous dispenser de l’effort qui est devant nous.

M. Patrick Roy. Ce serait tout de même un bon premier pas !

M. François de Rugy. Le paradoxe, c’est que le maintien du bouclier fiscal contribue à entretenir ce mythe d’une cagnotte cachée, pour reprendre une expression qui, en son temps, fut, hélas, médiatiquement efficace, à défaut d’être financièrement juste.

Aberration financière, cette disposition est aussi une aberration sociale. Notre identité nationale, dont on nous a sommés de trouver une définition, n’est pas une culture, une religion, ou une ethnie : c’est un pacte. Un pacte conclu entre chaque citoyen et la République, une République qui est démocratique, laïque, décentralisée, mais aussi, ne l’oublions pas – c’est inscrit dans notre Constitution – sociale. Ce pacte, nous devons le protéger et le cultiver, car il est à la fois le fruit de notre histoire et le gage de notre avenir.

Notre pacte social doit se concrétiser par deux bornes claires, qui l’encadrent et lui donnent sa cohérence : le minimum vital, afin qu’aucun des habitants de ce pays ne puisse sombrer dans la pauvreté, et le maximum moral, afin que personne ne puisse s’exclure de la nécessaire solidarité qui lie entre eux les citoyens de notre République.

L’autre soir, sur un plateau de télévision, un des responsables de la majorité déclarait : « On ne réglera pas les difficultés financières de nos comptes publics en abolissant le bouclier fiscal. » Il a raison. Il faudra en effet autrement plus d’imagination et de doigté pour mieux répartir les charges et mieux distinguer entre investissements utiles et productifs et dépenses superflues ou reportables – je pense notamment à certains projets d’infrastructures. Il faudra revenir sur certaines dispositions de la loi dite du « paquet fiscal », notamment dans le cadre de la limitation des niches fiscales. Nous devrons également remettre en cause ces mesures absolument aberrantes que sont l’exonération de cotisations sociales sur les heures supplémentaires et l’exonération d’impôt sur les plus grosses successions et, de manière générale, ces dispositions qui n’ont rien à voir ni avec la valeur travail, dont vous vous gargarisez, ni avec les revenus du travail, puisqu’elles visent des revenus du patrimoine, de l’argent gagné grâce à l’économie de la rente. Je pense encore à ces autres réformes fiscales – la réforme de la taxe professionnelle et la baisse de la TVA dans la restauration – qui ne bénéficient pas aux Français qui travaillent, aux salariés.

C’est donc bien une nouvelle logique fiscale qu’il faudra définir, une nouvelle cohérence entre pays de la zone euro qu’il faudra assurer, de nouveaux choix économiques et industriels qu’il faudra faire. En un mot, il nous faudra définir, puis mener une nouvelle politique. Ce sera l’enjeu des échéances électorales à venir. Mais notre pays ne peut pas attendre ; il faut, dès aujourd’hui, commencer à rétablir la situation de nos finances publiques. Dans cette perspective, il convient de compléter la phrase prononcée par le dirigeant de l’UMP que je citais à l’instant : « On ne réglera pas les difficultés financières de nos comptes publics en abolissant le bouclier fiscal », mais on ne pourra pas y parvenir sans le supprimer. À nos yeux, cette suppression n’est ni une fin ni un moyen suffisant : c’est tout simplement une condition nécessaire.

Le bouclier fiscal est un symbole. La majorité elle-même en a fait un symbole, en s’y accrochant envers et contre tout, alors que la crise frappe nos concitoyens et que les déficits n’ont jamais été aussi importants. C’est le symbole de l’injustice fiscale, qui vient s’ajouter aux injustices économiques, sociales et environnementales. Si j’ai bonne mémoire, monsieur le ministre du budget, vous avez vous-même déclaré devant la commission des finances que les petits revenus bénéficiant du bouclier fiscal étaient les plus nombreux, mais qu’ils ne représentaient que 1 % du coût de cette mesure pour le budget de l’État.

Pour reprendre le chemin de la justice sociale, il faut mettre à bas tous les obstacles qui s’y trouvent, à commencer par le bouclier fiscal. C’est pourquoi les députés du groupe GDR voteront la proposition de loi du groupe socialiste. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Nicolas Perruchot.

M. Nicolas Perruchot. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, en préambule, je souhaiterais répondre à Pierre Moscovici, qui a débuté son intervention en évoquant l’arrogance : dans la bouche d’un homme qui a exercé des responsabilités gouvernementales et pour qui beaucoup de députés ont de l’estime, de tels propos sont fort déplacés, à l’heure de la crise européenne et mondiale que nous vivons au plan financier et budgétaire. Si nous voulons trouver ensemble des solutions aux problèmes que nous traversons, y compris en ce qui concerne le problème du bouclier fiscal, mieux vaut que nous évitions ce genre de déclarations. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Éric Straumann. Tout à fait !

M. Patrick Roy. Moscovici, il sait de quoi il parle, lui !

Mme la présidente. Monsieur Roy, s’il vous plaît !

M. Nicolas Perruchot. Notre assemblée est aujourd’hui saisie d’une proposition de loi socialiste visant à abroger le bouclier fiscal, dont la discussion sera pour moi l’occasion de rappeler la position du groupe Nouveau Centre sur ce sujet et de redire toute la différence qu’il y a aujourd’hui entre une gauche qui est clairement dans l’affichage politique et la majorité présidentielle qui, elle, place la crédibilité économique au cœur de sa réflexion.

M. Patrick Roy. Surtout pour les invités du Fouquet’s !

Mme la présidente. Monsieur Roy, je vous en prie !

M. Nicolas Perruchot. Au-delà de la posture purement idéologique de nos collègues de l’opposition, cette proposition pose le problème plus large de la justice sociale et de l’indispensable refonte de notre système fiscal, que le Nouveau Centre appelle depuis longtemps de ses vœux. Ce véritable Grenelle de la fiscalité embrasserait, à dire vrai, un champ bien plus large que celui du plafonnement de l’impôt qui n’est en réalité qu’un micro-sujet budgétaire, au regard des défis économiques beaucoup plus lourds auxquels notre pays est confronté.

C’est une bien mauvaise pédagogie que de faire croire à l’opinion publique que le problème, c’est le bouclier fiscal et qu’en le supprimant, on parviendrait à réduire les déficits, comme le prétendent Mme Aubry, M. Hamon ou M. Bartolone. Celles et ceux qui étudient la question du déficit depuis quelques années à la commission des finances savent qu’un gain de 600 millions ne permettrait pas de réduire grand-chose.

M. Jean Mallot. Ça aiderait beaucoup !

M. Nicolas Perruchot. Le bouclier fiscal n’est qu’une mauvaise solution apportée à un mauvais impôt qui ne réduit pas les inégalités et qui n’a que des effets pervers dont le premier est l’évasion fiscale. Tant qu’il y aura un ISF, nous serons condamnés à maintenir un mécanisme de plafonnement.

M. Yves Censi. Tout à fait !

M. Jean Mallot. Pas du tout !

M. Nicolas Perruchot. Alors, je vous le demande, mes chers collègues de l’opposition, pourquoi n’avez-vous pas le courage de faire ce que presque tous vos homologues ont fait en Europe et de discuter d’une proposition directement inspirée des mesures prises par le PSOE il y a deux ans ? Dans ce débat, le groupe Nouveau Centre a, une nouvelle fois, le courage politique de poser le problème de fond, en demandant l’abrogation de l’ISF.

M. Jean Mallot. Pourquoi ne le faites-vous pas ?

M. Éric Straumann. On y viendra !

M. Nicolas Perruchot. Nous le proposons chaque année. En contrepartie, il propose la création d’un nouveau taux marginal de l’impôt sur le revenu de 45 % pour la fraction supérieure à 100 000 euros, ainsi qu’un relèvement de la fiscalité du patrimoine, qui a été trop abaissée par rapport à celle pesant sur le travail. C’est de cela qu’il faut discuter.

Néanmoins, malgré son faible impact budgétaire, le bouclier fiscal est un dispositif qui sous-tend de véritables choix politiques, de véritables choix de société. C’est la raison pour laquelle la discussion que nous allons avoir cet après-midi est d’une importance majeure.

Mes chers collègues, comme vous le savez, le texte dont nous allons aborder l’examen est un texte d’abrogation pure et simple du plafonnement de l’impôt et de ses conditions d’application. Vous me permettrez ici de souligner toute l’ironie d’une telle proposition : si elle était adoptée, rappelons-le, notre pays reviendrait à une situation antérieure au plafonnement de l’impôt décidé par le gouvernement de Michel Rocard en 1988… C’est là une situation assez paradoxale pour le groupe socialiste !

C’est en 1988 en effet qu’a été adoptée l’idée d’un plafonnement de l’ISF limitant à 70 % des revenus le poids combiné de cet impôt et de l’impôt sur le revenu. Sur ce sujet, le groupe Nouveau Centre a formulé des propositions constantes et très claires depuis l’instauration du bouclier fiscal par la loi TEPA de juillet 2007.

M. Jean Mallot. Le Nouveau Centre, c’est la vieille droite, comme chacun sait !

M. Nicolas Perruchot. En effet, nous ne sommes en aucun cas hostiles au principe même du bouclier fiscal, qui vise à ce que soient plafonnés les impôts directs payés par le contribuable. C’est aussi la raison pour laquelle nous ne nous associons pas à la proposition de suspension du bouclier de notre collègue René Couanau.

M. Alain Néri. Serait-il trop à gauche pour vous ?

M. Jean Mallot. Couanau, gauchiste !

M. Nicolas Perruchot. Je vois au moins trois raisons à cela. La première tient dans le fait qu’une fiscalité ne doit en aucun cas être confiscatoire, à la fois pour une raison politique et pour une raison économique. La raison politique, c’est le choix que la majorité présidentielle a fait depuis 2007, consistant à favoriser et à récompenser le travail et dont le plafonnement de l’impôt à 50 % des revenus est un des facteurs incitateurs. Quant à la raison économique, elle est toute simple : c’est le principe du « trop d’impôt tue l’impôt », s’inspirant de la célèbre courbe de l’économiste Arthur Laffer, que Pierre-Alain Muet connaît très bien.

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur . Oui, c’est totalement bidon !

M. Nicolas Perruchot. Nous le savons : au-delà d’un certain seuil d’imposition, les effets de l’impôt deviennent préjudiciables aussi bien pour l’État que pour les contribuables.

La seconde raison trouve son fondement dans la lutte contre l’évasion fiscale, le rapatriement des capitaux placés à l’étranger et, par là même, la bataille pour la compétitivité de notre pays. Un impôt non plafonné serait, en ce sens, un formidable gage d’évasion fiscale. Bien sûr, les chiffres ne sont pas encore au rendez-vous, puisque le bouclier n’a pas empêché une hausse des expatriations des ménages les plus aisés en 2008. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean Mallot. Et voilà ! C’est donc que cela ne marche pas !

M. Nicolas Perruchot. Malgré tout, j’en suis convaincu, le plafonnement de l’impôt est un signal fort adressé à toutes celles et ceux qui, jusqu’alors, hésitaient à faire de la France un terrain d’investissement.

Je vous le redis : la France n’est pas une île…

M. Jean Mallot. Et le Nouveau Centre, c’est une île ?

M. Nicolas Perruchot. C’est une nation en compétition avec d’autres économies, qui doit donc faire des choix politiques en conséquence.

La France a l’un des taux les plus élevés en matière de prélèvements obligatoires parmi les pays de l’OCDE, c’est un fait que personne ne peut ignorer.

M. Jean Mallot. Et alors ? Est-ce une raison pour faire payer les plus pauvres ?

M. Jean-Michel Fourgous. N’importe quoi !

M. Nicolas Perruchot. Vous comprendrez donc que je ne peux que déplorer, une nouvelle fois, l’absence de réalisme dans les choix qui sont faits par une gauche qui n’a pas encore pris la mesure des défis que l’économie globalisée nous impose.

La dernière raison – que semblent ignorer aujourd’hui nos collègues socialistes –, c’est que le bouclier fiscal n’est pas simplement une mesure destinée aux plus favorisés de nos concitoyens puisque, en 2009, 53 % de ses bénéficiaires n’étaient pas assujettis à l’ISF – il faudrait, me semble-t-il, méditer ce pourcentage – et que la quasi-totalité d’entre eux avaient des revenus inférieurs à 1 000 euros par mois. Il s’agit, comme vous le savez, de contribuables à faible revenus qui peuvent être éligibles au bouclier s’ils sont propriétaires de leur logement du fait des taxes foncières.

Aussi, pour toutes ces raisons, nous ne nous retrouvons pas dans la position dogmatique de la gauche de suppression pure et simple du bouclier fiscal, que suggère la présente proposition de loi. Toutefois, si nous sommes favorables au principe du plafonnement de l’impôt, nous pensons qu’à la fois le contenu et le niveau du bouclier doivent être aménagés. Encore une fois, ce n’est pas une posture de circonstance que nous adoptons aujourd’hui devant vous…

M. Jean Mallot. Non, bien sûr !

M. Nicolas Perruchot. …c’est un discours de tempérance fiscale que nous ne cessons de marteler depuis maintenant trois ans.

Je développerai quatre arguments pour le démontrer. Premièrement, pour que le bouclier fiscal remplisse véritablement son rôle (Exclamations sur les bancs du groupe SRC)

M. Jean Mallot. C’est donc qu’il ne le remplit pas ! Quel aveu !

M. Nicolas Perruchot. …il doit se concentrer sur l’imposition des revenus du travail, mais non sur les cotisations sociales.

Deuxièmement, la plupart de nos concitoyens ont aujourd’hui le sentiment de vivre dans un pays où les notions de justice sociale et fiscale sont bafouées.

M. Jean Mallot. Après avoir défendu le bouclier fiscal, il le démonte ! C’est bien un centriste !

M. Nicolas Perruchot. C’est un sentiment très puissant dans les couches les plus modestes de notre société, un sentiment qui cultive la défiance envers le politique – droite et gauche confondues –, alimentant aussi bien le vote extrême que l’abstention lors des élections. Pour y répondre, la majorité présidentielle a d’ailleurs mis en place un « bouclier social » avec, notamment, le RSA. Même si c’est insuffisant, nous devons aujourd’hui envoyer un signal fort à nos concitoyens en amendant le bouclier fiscal, ce qui ne serait ni un renoncement, ni un acte timide, mais un acte politique fort.

Troisièmement, l’indispensable réforme de notre système de retraites ne pourra se faire sans un rehaussement inévitable des cotisations sociales. Au Nouveau Centre, nous ne pouvons pas imaginer que cette hausse soit neutralisée par les effets du bouclier fiscal actuellement en vigueur et dont le calcul, à l’inverse du précédent plafonnement, inclut les cotisations sociales.

Quatrièmement, enfin, s’il ne faut pas supprimer purement et simplement cette mesure mais l’amender, l’améliorer, c’est aussi en raison de sa jeunesse. L’esprit de responsabilité nous impose en effet de ne pas céder à la facilité du renoncement, comme le ministre l’a brillamment rappelé. Mais cela ne signifie pas pour autant que nous ne devions pas aménager un dispositif instauré avant les circonstances exceptionnelles de crise, de chômage et de récession qui ont paupérisé nombre de nos concitoyens.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe Nouveau Centre a formulé une proposition très claire dans ce débat en suggérant de modifier le contenu du bouclier fiscal. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Patrick Roy. Tellement clair que l’on n’y comprend rien !

M. Nicolas Perruchot. Nous proposons ainsi le maintien du plafond du bouclier à 50 %, mais avec la sortie des cotisations sociales de son calcul – CSG, CRDS et RSA ou, à défaut CSG et CRDS –, comme c’était le cas lors de l’instauration, en 2005, du bouclier à 60 % de Dominique de Villepin.

M. Jean Mallot. Le bouclier fiscal plus la bonne conscience !

M. Nicolas Perruchot. Je vous rappelle en effet que le pourcentage de 60 % incluait alors l’impôt sur le revenu, l’ISF, les taxes foncières et la taxe d’habitation, mais non les cotisations sociales, si bien que son seuil effectif était en réalité de 71 %.

Mes chers collègues, la tempérance fiscale n’est pas un vain mot. Elle exige le maintien du principe du plafonnement de l’impôt pour ne pas pénaliser le travail et lutter contre l’évasion fiscale. Mais elle exige également que le calcul des impositions prises en compte réponde aux défis tout à la fois économiques et sociaux que fait peser la crise économique et financière sur nos concitoyens.

M. Jean Mallot. C’est totalement raté !

M. Nicolas Perruchot. Je suis convaincu que cette position – qui n’est pas une position moyenne, mais une position médiane…

M. Jean Mallot. Disons centriste !

M. Nicolas Perruchot. …saura, dans un avenir proche, rallier ceux d’entre vous pour qui l’esprit de responsabilité et de justice sociale a un sens. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Carré.

M. Olivier Carré. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans un débat aussi manichéen, il est difficile de se placer du côté des méchants. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Dominique Baert. Ah, vous le reconnaissez !

M. Jean Mallot. Quel aveu !

M. Patrick Roy. Allons ! Faute avouée est à moitié pardonnée !

M. Olivier Carré. Sans aller jusqu’à dire qu’il s’agit d’un débat démagogique, force est de reconnaître qu’il flatte l’opinion publique dans le sens du poil !

Je me suis penché sur la genèse des dispositions fiscales dont nous débattons, qui ont déjà été évoquées : le gouvernement Rocard, le gouvernement Villepin, le gouvernement Fillon. Lors des débats qui ont eu lieu lors de ces trois étapes, deux points sont systématiquement revenus, qui semblent faire consensus sur tous les bancs.

Premièrement, l’impôt ne peut pas être confiscatoire. Deuxièmement, à chaque création d’un impôt nouveau – notamment l’impôt sur les sociétés – se pose la question de la compétitivité fiscale de la France.

Je ne crains pas de dire que le cœur du problème est que le bouclier fiscal est lié à l’impôt sur le capital – sur le stock de capital – plus qu’à la question des revenus…

M. Jean Mallot. Et voilà !

M. Olivier Carré. …et personnellement, j’assume l’opinion selon laquelle le capital doit être rémunéré.

En fait, le bouclier cherche à résoudre une équation difficilement soutenable : comment les fruits du travail et du capital, les revenus, peuvent-ils ne pas disparaître par la seule taxation du capital ? C’est d’autant plus vrai que l’on se trouve confronté à deux situations extrêmes.

La première est celle des détenteurs de patrimoine – que certains désignent par le terme de rentiers. Comme l’a rappelé Gilles Carrez tout à l’heure, à l’époque où l’ISF a été institué, sa rémunération n’avait rien à voir avec le taux marginal d’imposition. Le taux n’était alors pas confiscatoire, mais en s’ajoutant à toute une série de prélèvements obligatoires – en termes de taux, et non de masse –, il a abouti à un système où, comme cela a été montré en 1988, une personne pouvait se voir prendre entre 90 % et 150 % du montant de ses revenus, ce qui posait évidemment des problèmes sur le plan constitutionnel et sur le plan européen. C’est ce qui a conduit au plafonnement, dans les conditions qui ont déjà été évoquées.

La deuxième situation, figurant d’ailleurs dans le rapport de cette proposition de loi, sur laquelle je veux attirer votre attention, est celle des personnes, souvent beaucoup plus jeunes – leur moyenne d’âge serait inférieure de douze ans à la première catégorie –, qui viennent de se constituer un patrimoine. Ce sont des créateurs de richesse, des cadres, des entrepreneurs, des personnes qui, par leur travail, cherchent à faire vivre, à rentabiliser et développer le patrimoine qu’ils ont constitué. En présence d’un taux marginal de prélèvement d’une telle importance en France, ces personnes vont avoir tendance à transférer leur patrimoine dans un autre pays, où ils continueront à le faire fructifier. Cet argent ne s’investira donc pas en France.

Ces deux situations sont peut-être schématiques, mais elles montrent bien l’utilité économique du bouclier fiscal dès lors que nous misons sur l’innovation, la création de richesses et, au final, la croissance. Il n’est pas surprenant que constater que c’est à partir du travail et du capital que se constitue la richesse.

Certes, mon cher collègue Couanau, on ne peut rester sourd à ceux qui dénoncent la restitution d’une manne fiscale, là où, comme l’aurait dit un ancien président de notre commission, elle est rare.

M. Jean Mallot. Couanau superstar !

M. Olivier Carré. Rappeler que les mille premiers bénéficiaires du bouclier ont payé un total net de près de 500 millions d’euros d’impôt n’est même plus entendu : on ne s’occupe plus du montant que versent les assujettis, mais uniquement de celui qui leur est restitué.

Surtout, vous êtes persuadé que la promesse, faite par le candidat Nicolas Sarkozy, que les taux de prélèvements obligatoires de 2007 resteront inchangés en 2012, ne sera pas tenue. Or, elle le sera…

M. Jean Mallot. Les promesses de Nicolas Sarkozy, on peut y croire !

M. Olivier Carré. ...même s’il faut mettre à contribution les hauts revenus pour financer la pénibilité et même si, demain, il faudra sans doute financer le cinquième risque ou la dépendance.

Je vous demande juste de prendre acte que, depuis 2007, ce sont surtout les revenus du patrimoine qui ont été visés, et pas les revenus du travail. Là encore, de réforme en réforme, un fil rouge est en train de se dessiner. Il engage ceux qui se sont fait élire sur le programme de 2007…

Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Olivier Carré. …et pas seulement les mille personnes, désignées par M. Moscovici, susceptibles de bénéficier d’un retour sur investissement.

Pour conclure, votre combat contre le bouclier fiscal, c’est le combat contre l’ISF.

M. Gilles Carrez, rapporteur général . Très bien !

M. Olivier Carré. Si la question mérite d’être posée clairement, il est tout aussi clair que nous avons fait le choix de ne pas inscrire cette mesure dans les engagements pris à l’égard des Français dans cette mandature.

Nous allons aborder, cet automne, un débat que Gilles Carrez a déjà esquissé, sur les niches fiscales et sur la simplification d’une bonne partie de la fiscalité sur les revenus, qu’ils viennent du capital ou du travail – avec pour objectif le respect de l’égalité, ou de l’équité, entre les deux. Les modalités de calculs des revenus entrant dans le bouclier ne pourront pas échapper à cet examen, même si un travail important a déjà été effectué. Il s’agit donc davantage de prendre un rendez-vous que de prendre position dès aujourd’hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Bapt.

M. Gérard Bapt. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le hasard a voulu que deux débats se soient télescopés ces dernières semaines : celui sur les inégalités de revenus suite à la publication d’une étude de l’INSEE et celui sur l’impôt, en particulier par rapport à la question du bouclier fiscal. Ces deux débats sont en fait intimement liés, puisque c’est à travers la fiscalité que s’opèrent la redistribution et la correction des inégalités.

De ce point de vue, force est de constater que la majorité a, depuis 2002, sciemment organisé la régression – une régression devenue considérable depuis le vote de la loi TEPA en juillet 2007. Nous n’avions cessé de dénoncer cet emblème de l’injustice fiscale : en effet, le plafonnement à 50 % des impôts directs, déjà inadmissible en période de croissance dans la mesure où il ne bénéficie de fait qu’aux détenteurs de gros patrimoines, s’avère encore plus indigne en période de crise, alors que des efforts et des sacrifices vont être demandés à tous les Français.

Les arguments contre le bouclier fiscal sont innombrables. En premier lieu, il ne profite qu’aux contribuables les plus nantis. De plus, le fait de poser une règle absolue de limitation des prélèvements obligatoires à 50 % des revenus signifie que chaque nouvel effort demandé aux Français – qu’il s’agisse de fiscalité locale ou de prélèvements sociaux – reposera sur les classes moyennes, exonérant de fait la minorité que constituent les contribuables bénéficiaires du bouclier. C’est le principe de progressivité de l’impôt, socle de notre pacte social, que la majorité foule aux pieds en s’accrochant coûte que coûte à ce symbole de la fiscalité à deux vitesses.

Le bouclier était censé empêcher l’exil fiscal, et même faire revenir en France certains de nos compatriotes, qui avaient courageusement décidé d’aller déclarer leurs revenus sous des cieux plus cléments. Las, en 2008, première année de son application, 821 contribuables sont partis, contre 719 en 2007, à croire les chiffres de Bercy ! Autant dire que le bouclier fiscal n’a exercé qu’une incitation modeste à rester en France.

Enfin, l’idée selon laquelle un contribuable ne doit pas travailler plus d’un jour sur deux pour l’État, en apparence séduisante et légitime, relève également de la manipulation – Jean-Marc Ayrault l’a montré –, puisqu’il est quasiment impossible de bénéficier du bouclier fiscal grâce aux seuls revenus du travail. Il est intellectuellement malhonnête d’utiliser la défense des travailleurs pour justifier la protection des rentiers. Ayez au moins le courage – vous n’en manquez pas dans certaines occasions, madame la ministre – d’expliquer aux Français que les 500 millions d’euros économisés chaque année en ne remplaçant qu’un fonctionnaire sur deux, vous les rendez sous forme de dépense fiscale aux 16 350 contribuables les plus aisés… Vous avez parfaitement le droit de conduire une politique pour les riches. Et nous, nous avons celui d’en proposer une autre pour la majorité de nos compatriotes.

M. Yves Censi. Quel raccourci !

M. Gérard Bapt. Les Français se sont rendus compte des vrais objectifs du bouclier fiscal : ils ne sont plus dupes de la langue de bois pratiquée par l’UMP. Un sondage publié mardi montre que 61 % d’entre eux – y compris parmi vos électeurs, mesdames et messieurs de la majorité – réclament sa suppression. Du reste, on sent ces dernières semaines que le dispositif commence à se fissurer au sein même de la majorité. Les doutes montent. On ne compte plus les déclarations, de Philippe Marini à Gilles Carrez, en passant par Alain Juppé ou Gérard Longuet.

J’ai du reste voté en commission des finances l’amendement proposé par notre excellent collègue René Couanau qui tend à suspendre l’application du bouclier fiscal pour les revenus de 2009, voire simplement ceux de 2010. Je reprends à mon compte son argumentation. Cette disposition du code fiscal génère en effet un sentiment d’injustice. Elle proscrit toute possibilité d’évolution de notre système fiscal de financement de la protection sociale. La situation profondément dégradée des finances publiques contraint à remettre en cause ces dispositions. Le contexte économique est différent et le sentiment d’injustice va grandissant. Notre proposition de loi tend à souligner ces éléments.

Avant de conclure, je donnerai une illustration concrète de l’intérêt de ce dispositif, auquel s’accroche mordicus le Président de la République pour « valoriser l’effort, le mérite et la réussite ». Un salarié aussi méritant que le directeur général de la BNP, dont les pertes en 2008 se sont élevées à 1,4 milliard d’euros, a pu conserver pour lui la moitié des 2 470 000 euros gagnés en 2009 à la sueur de son front.

M. Jean Mallot. C’était pour l’aider à éponger cette sueur !

M. Gérard Bapt. Il lui reste donc l’équivalent de 95 années de SMIC pour le récompenser de ses efforts et de sa réussite, grâce au bouclier fiscal ! De tels exemples laissent imaginer à quel point la moitié des salariés qui gagnent moins de 1 500 euros par mois peuvent être reconnaissants envers le Président de la République pour son obstination !

M. Yves Censi. Nous voilà revenus en 1981 !

M. Gérard Bapt. Aujourd’hui, madame la ministre, et je m’exprime devant ce que je pense être une experte en économie et en macro-économie, il faut changer d’attitude. La question de l’injustice fiscale et des inégalités de revenus et de patrimoine n’est plus seulement choquante moralement. Elle devient insupportable socialement et dangereuse économiquement. La crise vient démontrer que la remontée des inégalités à des niveaux que l’on ne connaissait plus depuis le XIX e  siècle,…

M. Yves Censi. C’est faux !

M. Gérard Bapt. …qui profite à une petite minorité située tout en haut de l’échelle sociale et pour laquelle on a par ailleurs quasiment supprimé les droits de succession, a une origine claire. L’origine de la crise, c’est un appât du gain désormais sans limite, faute de frein fiscal. Or, tant pour notre économie que pour la cohésion sociale dans notre pays, il est urgent d’en prévoir un. Abrogez donc le bouclier fiscal ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Michel Fourgous.

M. Bruno Le Roux. Encore un gauchiste ! C’est en tout cas en tant que tel que M. Fourgous a commencé sa vie politique. Il a mal tourné par la suite !

M. Michel Vergnier. Sympathique, mais libéral !

M. Jean-Michel Fourgous. La France est souvent unique : alors qu’en pleine guerre mondiale économique, tous les pays se battent pour attirer les capitaux et les talents, nous débattons à l’Assemblée nationale d’une proposition de loi visant à supprimer le bouclier fiscal.

Nos compatriotes pensent que personne ne doit travailler plus de six mois par an, plus d’un jour sur deux pour l’État. C’est pourtant ce principe fondamental que nos grands amis du PS souhaitent remettre en cause. J’ai interrogé nos concitoyens sur les marchés – j’ai même posé la question à des élus socialistes –, je leur ai demandé combien ils considéreraient normal de reverser à l’État s’ils gagnaient un million d’euros, après avoir déposé un brevet à la suite d’une découverte, par exemple. Aucun n’est allé au-delà de 200 000 euros. J’ai dû leur expliquer que l’opposition était prête à leur reprendre 700 000 euros… Comme quoi, le décalage est grand entre la présente discussion et la réalité.

M. Bruno Le Roux. Gauchiste !

M. Victorin Lurel. Ce n’est pas sérieux de dire cela !

M. Jean-Michel Fourgous. Grâce au courage du Gouvernement, la contribution des Français est plus juste. Je le rappelle, 53 % des bénéficiaires du bouclier fiscal ne paient pas l’ISF. Il protège donc d’abord les petits propriétaires au chômage dont les impôts locaux dépassent 50 %. Sans le bouclier fiscal, les 100 contribuables les plus riches paieraient l’équivalent de 130 % de leurs revenus.

M. Daniel Vaillant. Et alors ?

M. Bruno Le Roux. Les pauvres !

M. Jean-Michel Fourgous. En pleine crise de manque de capitaux, il n’est pas moral de jouer – parce que c’est bien de cela qu’il s’agit, mesdames, messieurs – à relancer la fuite des capitaux et des cerveaux. Certes, le bouclier fiscal n’est pas parfait. Il n’a pas complètement enrayé l’exode fiscal – plus 14 %.

M. Jean Mallot. Tiens donc !

M. Jean-Michel Fourgous. Il a néanmoins permis le retour de nos exilés dans des proportions bien plus importantes : plus 27 %. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Patrick Roy. Tous les chanteurs sont-ils revenus en France ?

M. Jean-Michel Fourgous. Vous ne vous battez pas contre le bouclier fiscal : vous pratiquez un vieux sport national, je veux parler de la casse morale des investisseurs en montant – c’est votre jeu préféré – les pauvres contre les riches, les salariés contre les patrons…

M. Jean Mallot. Vous, vous préférez monter les patrons contre les ouvriers !

M. Jean-Michel Fourgous. C’est la vieille technique des catcheurs de base mise au point au parti socialiste, voire au sein de l’extrême gauche. Même le prix Nobel d’économie, Edmund Phelps rappelle que la France perd plus d’un point de croissance par sa méconnaissance économique.

M. Bruno Le Roux. Avez-vous donc tout oublié de vos premières amours ?

M. Jean-Michel Fourgous. Le cynisme avec lequel nos grands amis du parti socialiste exploitent cette méconnaissance des Français à des fins purement électorales relève presque des pratiques d’une entreprise ultra-libérale prête à vendre du poison pour faire des profits.

Commençons par rétablir un certain nombre de vérités. Il faut dire d’abord que le bouclier fiscal est une arme qui bénéficie à la collectivité. Dans le cadre de la mondialisation, guerre mondiale économique, il importe de contrôler le capital. Tous les pays se battent pour attirer les capitaux et développer la croissance. Et qu’est-ce que la croissance, sinon des sous, des bras et des cerveaux ? Les sous, c’est le capital. Et il n’y a pas de croissance sans relation de confiance entre ces trois éléments.

Chers amis socialistes, cessez donc de marteler, tous les mardis et tous les mercredis, que le plus gros problème de la France c’est l’inégalité. C’est complètement faux. Les inégalités se sont en effet réduites.

M. Jean Gaubert. Les pauvres devraient être heureux mais ils ne le savent pas !

M. Jean-Michel Fourgous. La différence entre le décile des plus riches et celui des plus modestes est inférieure à la moyenne européenne. Il n’y a donc pas de quoi reprendre votre rengaine tous les mardis et tous les mercredis, pour exacerber la haine des pauvres contre les riches. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Depuis les Trente glorieuses, on est passé d’un rapport de un à cinq à un rapport de un à trois entre les plus riches et les plus pauvres.

Le plus grand problème de la France est bien celui de la fuite des capitaux et des cerveaux. Dans ce contexte, peut-on continuer à ostraciser les riches et les employeurs ? Quelques exemples de désinformation. La moyenne des salaires des chefs d’entreprise français est de 2 800 euros par mois, 1 800 euros pour les patrons de TPE. Sur les chiffres d’affaires que dégagent ces hommes et ces femmes, plus de 80 % est redéployé sur le pays. Vous dénoncez régulièrement, messieurs les socialistes, l’enrichissement des « vilains actionnaires » du CAC 40 : seuls 3 % du chiffre d’affaires généré par ceux-ci revient aux actionnaires.

Au cours de sa dernière campagne électorale, Mme Royal a affirmé que le SMIC français était le plus bas d’Europe : c’est totalement faux. Il est l’un des plus élevé. Et si l’on prend en compte les 35 heures, il est même le plus élevé.

M. François Hollande. Baissez-le !

M. Jean-Michel Fourgous. Dans la vie, il y a la réalité, la perception de la réalité et le comportement. Or ce dernier dépend, non pas de la réalité, mais de sa perception. Les socialistes l’ont beaucoup mieux compris que nous, à droite.

M. Yves Censi. C’est le fameux sentiment d’insécurité !

M. Jean Gaubert. Un philosophe, maintenant !

M. Jean Mallot. On sent les amours déçus !

M. Jean-Michel Fourgous. Mais la réalité, c’est que les autres pays socialistes d’Europe ont décidé de mettre en place un bouclier fiscal.

Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur Fourgous !

M. Jean-Michel Fourgous. Pour conclure, je rappelle que les « salauds de riches »,…

M. Patrick Roy. Enfin un bon mot !

M. François Hollande. Cela appelle un fait personnel !

M. Jean-Michel Fourgous. …soit 2 % des contribuables paient près de la moitié de l’impôt sur le revenu. Quand les riches seront partis, qui paiera les impôts des riches ? Vous ? C’est la France profonde qui vous pose la question. Si vous comptez taper sur la classe moyenne, dites-le clairement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean Mallot. M. Fourgous est toujours aussi peu clair !

M. Daniel Vaillant. Il faut enrichir les riches et appauvrir les pauvres !

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Garrigue.

M. Jean-Pierre Dufau. Enfin, quelqu’un de sérieux !

M. Jean Mallot. On peut l’applaudir par avance !

M. Daniel Garrigue. En 2007, nous avons voté l’instauration d’un premier bouclier fiscal qui n’avait pas pour objectif de traiter le problème de l’ISF. Il s’inscrivait dans une logique de baisse des prélèvements obligatoires. Il était alors plafonné à 60 % et ne portait pas sur les cotisations sociales.

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Absolument !

M. Daniel Garrigue. À l’époque, un débat avait d’ailleurs eu lieu au sein de la majorité car nous étions un certain nombre à accepter avec réticence ce dispositif.

M. Jean-Pierre Dufau. Déjà !

M. Daniel Garrigue. Au lendemain des élections présidentielles et législatives, nous avons voté le dispositif TEPA, qui est allé beaucoup plus loin. Il était fondé sur le sentiment qu’on s’engageait dans une période de croissance et de rétablissement des comptes. Reconnaissons-le, le scénario n’a pas du tout été celui-là ! La crise est survenue, au contraire. La France n’en est pas à l’origine mais elle la subit.

M. Jean-Pierre Dufau. C’était probablement la faute aux socialistes…

M. Daniel Garrigue. Or, dans une situation de crise, il faut renforcer la solidarité.

M. Jean Mallot. Très bien !

M. Daniel Garrigue. Dès lors qu’on demande davantage d’efforts aux Français, il faut renforcer en effet la justice fiscale et la justice sociale. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) C’est l’esprit de la V e  République !

M. Jean Mallot. Voilà un vrai gaulliste !

M. Daniel Garrigue. Depuis un certain nombre d’années, nous avons assisté au creusement continu de l’écart des revenus. En période de crise, la solution n’est évidemment pas de conforter cet écart : il faut au contraire s’attacher à le réduire, ce qui revient à mettre en cause le maintien du bouclier fiscal.

Nous avons également assisté à l’aggravation des déficits des comptes sociaux et des comptes publics. Nous sommes à 30 milliards de déficit par an pour les premiers. Il en résulte que le mécanisme concernant l’ACOSS et la Caisse d’amortissement de la dette sociale est totalement grippé. S’agissant des comptes publics, nous sommes confrontés à une situation de dégradation – déficit, endettement – sans précédent. Or, à partir d’un certain point, nous ne pourrons rétablir les choses qu’en faisant appel à des prélèvements nouveaux. C’est ce qu’a expliqué, en commission des finances, Marie-Anne Montchamp à propos de la protection sociale.

M. Jean Mallot. Eh oui !

M. Daniel Garrigue. Mais nous sommes confrontés à un blocage. Chaque fois, en effet, qu’on envisage de poser le problème de l’augmentation des prélèvements, on se heurte à une réalité juridique. Il faut avoir un vrai débat sur le bouclier fiscal. Or cela semble impossible. Ce dispositif constitue pourtant un élément de blocage dans le rétablissement des comptes sociaux et des comptes publics. Voilà une raison supplémentaire de le remettre en cause ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Il faut en finir avec cette facilité qui consiste à fixer des règles incontournables : bouclier fiscal, règle d’or des budgets publics que certains ont voulu introduire dans la Constitution, il y a deux ans. Aujourd’hui, on nous annonce un système d’encadrement, sur cinq ans, de l’évolution de la dette publique. En matière économique et financière, c’est l’imprévisible qui prévaut.

Quand les circonstances sont favorables, on peut se permettre de donner un peu de souplesse ; quand elles deviennent difficiles, il faut renforcer la solidarité et la justice en matière fiscale et sociale.

M. Jean-Pierre Dufau. Écoutez-le : c’est le bon sens !

M. Daniel Garrigue. Il faut sortir de ces facilités.

M. Michel Vergnier. C’est plutôt un carcan !

M. Daniel Garrigue. Face à une situation comme celle que nous connaissons aujourd’hui, la solution n’est pas dans des recettes toutes faites, mais dans l’analyse des réalités, dans la cohérence de l’action, dans l’effort de coordination au niveau européen, dans la détermination et dans le courage politique. Et, pour cela, nous devons faire sauter ce type d’instruments ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean Mallot. Lui, au moins, il est applaudi de bon cœur ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Dufau. C’est un homme libre et honnête !

M. Patrick Roy. Le bouclier doit exploser !

M. Jean Mallot. Il faut le dynamiter !

Mme la présidente. La parole est à Mme Aurélie Filippetti.

Mme Aurélie Filippetti. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le jour où se tient la conférence nationale sur les déficits publics, nous aimerions, comme notre collègue M. Garrigue, pouvoir discuter de bonne foi avec vous de la pertinence du dispositif du bouclier fiscal et notamment de son efficacité économique.

Ce bouclier protège une poignée de contribuables. Il n’a aucun impact – ou presque – sur le retour des exilés fiscaux ; vous l’avez reconnu vous-même, monsieur le ministre, en commission des finances. Surtout, il mine l’un des principes sur lesquels repose le pacte républicain depuis 1789 : le consentement à l’impôt, fondé sur sa juste répartition. En effet, pourquoi certains contribuables devraient-ils être protégés contre une fiscalité votée par nous tous et qui sert à l’ensemble de la collectivité, alors qu’un salarié au SMIC, par exemple, paie deux mois de salaire environ en cotisations sociales, TVA, CSG et impôts locaux.

Enfin, ce bouclier est absurde du point de vue de l’efficacité économique et de l’équité, car ce qui caractérise la situation des revenus en France – et dans le monde, d’ailleurs – depuis environ dix ans, c’est l’explosion des inégalités. Or ces inégalités ne se creusent non pas entre une moitié des Français et l’autre, mais entre les 0,01 % des Français les plus riches…

M. Patrick Roy. Les petits copains du Gouvernement ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean Mallot. Il a raison !

Mme Aurélie Filippetti. …et les 99,99 % des Français les plus pauvres.

Alors que les revenus moyens ont stagné au cours des dix dernières années, le bout de la chaîne de redistribution, le dernier centile, et même la millième partie, a vu sa part dans le revenu global augmenter de 34 %. Pourquoi ? Parce que la santé des revenus du patrimoine est très bonne, et surtout parce qu’il y a une explosion des hauts salaires – ce sont les éléments déterminants. Or ce sont précisément ces contribuables, extrêmement privilégiés, qui sont protégés par le bouclier fiscal, ceux qui ont vu leurs revenus croître de près de 43 % en dix ans ! Ce sont les 0,01 % des Français les plus riches qui sont aussi ceux qui bénéficient du bouclier fiscal.

Cette hyperconcentration des inégalités est donc concomitante à l’hyperconcentration des bénéficiaires du bouclier fiscal. Et c’est pourquoi ce dispositif est un amplificateur des inégalités, alors que l’urgence politique devrait être de les réduire et de redonner du pouvoir d’achat, mais surtout le sentiment de la justice sociale et de la justice fiscale à l’ensemble de nos concitoyens.

Nous l’avons dit : vos arguments ne tiennent pas. Ne pas travailler plus d’un jour sur deux pour l’État, dites-vous ; or on sait qu’il est impossible d’accéder au bouclier fiscal par les seuls revenus du travail. Quant au retour des émigrés fiscaux, ces nouveaux émigrés de Coblence, on sait bien aujourd’hui qu’il y a eu plus de départs à l’étranger du fait des défiscalisations que de retours. L’hyperconcentration du dispositif s’est traduite par le fait que les cent premiers bénéficiaires ont touché un chèque de 1,8 million d’euros en moyenne.

M. Daniel Vaillant. Vous vous rendez compte !

Mme Aurélie Filippetti. Enfin, tout effort qui sera demandé à l’ensemble de la collectivité par une hausse – inévitable selon vous-même – des prélèvements obligatoires ne reposera pas sur ces bénéficiaires du bouclier fiscal.

Il y a donc une profonde injustice, une profonde inégalité et une profonde inefficacité de ce dispositif. En accroissant la complexité et les défauts de notre système fiscal, déjà profondément mité en raison d’innombrables niches, il permet à certains d’échapper à l’impôt et minore l’effet redistributif de la fiscalité.

J’ai le souvenir de débats sur la nécessaire valeur pédagogique de l’impôt. Certains nous disaient que ceux qui ne paient pas l’impôt sur le revenu devraient le payer, même a minima , parce que cela aurait pour eux une vertu civique. Eh bien, d’accord : redonnons sa vertu civique à l’impôt, mais d’abord et avant tout en visant ceux qui devraient en payer le plus, les bénéficiaires du bouclier fiscal.

M. Jean Gaubert. Très bien !

Mme Aurélie Filippetti. Ont-ils vraiment besoin, à l’heure où vous demandez des efforts à tous les Français, que ce privilège exorbitant soit maintenu ? En période de crise, monsieur le ministre, ce privilège s’apparente à un privilège d’Ancien Régime. Ce n’est pas acceptable à l’heure où résonnent les appels à l’effort, à la sueur, au sang et aux larmes.

Si nous devons faire des efforts tous ensemble, alors ils doivent être équitablement partagés, c’est-à-dire aussi par les plus riches. Cette discussion parlementaire devrait donc être en quelque sorte notre nuit du 4 août fiscale et nous savons tous – y compris sur les bancs de la majorité – que nous devrions appeler à la raison et à la dignité. Si la situation est grave – et elle l’est –, nous devrions nous rappeler ce poème d’Aragon, « La rose et le réséda », qui commence par les vers « Celui qui croyait au ciel / Celui qui n’y croyait pas » :

« Quand les blés sont sous la grêle

Fou qui fait le délicat

Fou qui songe à ses querelles

Au cœur du commun combat. »

Au vu des circonstances exceptionnelles que représente la crise financière européenne, nous devrions trouver dans la redéfinition d’une politique fiscale juste et équitable l’occasion d’un commun combat. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Vergnier.

M. Michel Vergnier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France, comme l’Europe, traverse une période difficile. Personne ne s’en réjouit et, alors que vous dites que nous sommes toujours éloignés de vous, nous avons pourtant, lorsque vous avez pris certaines initiatives, soutenu le plan d’intervention pour la Grèce mis en place au niveau européen. Rien n’est donc jamais définitif.

Certaines nations de la zone euro sont dans une situation dramatique. La France n’échappe pas à la difficulté, même si sa situation est moins alarmante. Dans notre pays, au cours de ces dernières années, les déficits se sont considérablement accrus, atteignant aujourd’hui un niveau record.

Il faut accepter de l’entendre car, en matière de finances publiques, ce sont toujours les mesures que l’on prend qui sont responsables des déficits créés. C’est donc la politique mise en place depuis huit ans qui a largement contribué aux déficits présents.

Inlassablement – vous avez parlé de disque rayé, mais le vôtre l’est aussi, monsieur le ministre –…

M. François Baroin, ministre du budget . C’est vrai, je le reconnais à regret ! (Sourires.)

M. Michel Vergnier. …vous cherchez les responsabilités ailleurs, dans la gestion des précédentes majorités. Vous parlez souvent de 1981 ; je m’attends donc à vous entendre évoquer un jour 1936 ou d’autres moments de notre histoire !

Mais c’est à vous seuls que revient cette responsabilité. Il faut l’assumer ; il faut vous expliquer et non pas renvoyer la responsabilité aux autres. Car, si certaines mesures vous ennuient et vous gênent pour votre gestion – je pense notamment aux 35 heures et à l’ISF –, pourquoi diable, en huit ans, ne les avez-vous pas tout simplement abrogées ?

M. Yves Censi. Nous les avons modifiées !

M. Michel Vergnier. Certes, vous les avez modifiées, mais jamais vous ne les avez abrogées !

M. Jean Mallot. Ils ont peur !

M. Yves Censi. Les 35 heures coûtent plus cher que le bouclier fiscal !

M. Henri Emmanuelli. Non !

M. Michel Vergnier. Lorsque nous avons combattu la loi TEPA, ce n’était pas sans avancer des arguments dont la pertinence se révèle hélas aujourd’hui, car, depuis, contrairement à ce que vous promettiez, la situation économique ne s’est pas améliorée, elle s’est considérablement dégradée. Bien entendu, vous n’êtes pas les seuls responsables de cette situation. Ce n’est pas une raison pour ne pas en tenir compte. Or, si le Président de la République – et cela m’étonne dans une démocratie – vous dit qu’il faut maintenir le cap, vous le faites, envers et contre tout. C’est le principal reproche que nous vous adressons.

À un moment où vous vous apprêtez à mettre en place une politique de rigueur, ou rigoureuse – appelez-la comme vous voulez –, qui touchera l’ensemble des Français, à commencer par les plus fragiles, et surtout les retraités et les classes moyennes, vous refusez, malgré nos demandes, de faire participer à l’effort national ceux qui ont les plus hauts revenus. Dès lors, bien sûr, nous ne pouvons que considérer que vous les protégez honteusement.

Non, monsieur le ministre – et je regrette de jouer de nouveau mon disque rayé –, le bouclier fiscal n’a pas été une arme au service de l’activité économique, contrairement à ce que vous aviez prétendu. Les faits sont là et ils le démontrent. Non, il n’a pas permis, contrairement là aussi à ce que vous aviez dit, le retour des Français les plus fortunés. Au contraire, aujourd’hui, le nombre d’exilés fiscaux est supérieur à ce qu’il était avant que vous ne mettiez en place le bouclier fiscal. Ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les statistiques.

M. Yves Censi. Sans le bouclier, cela aurait été pire !

M. Michel Vergnier. En tout cas, vous ne pouvez pas nous dire que le montant des capitaux qui sont rentrés est supérieur. Nous savons aussi quel est le rapport du bouclier fiscal. Inutile, donc, d’engager une bataille de chiffres !

Nous savons aussi que la suppression du bouclier fiscal ne résoudra pas le problème du déficit ; personne ici n’a pu affirmer le contraire. Mais comment accepter que des contribuables aisés bénéficient d’avantages aussi exorbitants, étant donné la situation où nous sommes aujourd’hui ?

M. Jean Mallot. C’est insupportable !

M. Michel Vergnier. Effectivement, ce n’est pas supportable.

Vous tentez souvent de faire diversion en parlant du revenu de contribuables plus modestes, mais vous savez parfaitement où gît l’injustice. Vous êtes d’ailleurs nombreux à considérer, aussi, que ce n’est pas acceptable : dès que nous sortons de l’hémicycle, les langues se délient – mais il est vrai que ce sont les paroles prononcées ici qui comptent.

M. Lellouche avait raison de parler, avant son repentir forcé – favorisé, sans doute, pas un coup de téléphone nocturne –…

M. Jean Mallot. Il a été sincère pendant un moment, ensuite il s’est repris, ou plutôt a été repris !

M. Michel Vergnier. …des hauts revenus et des revenus du capital qui bénéficient de cette ristourne. Il a été rattrapé par l’Élysée, mais ce qu’il a dit était juste : 16 350 contribuables, soit moins de 0,05 % des contribuables français, ont bénéficié d’un montant total de 585 millions d’euros, ce qui représente plus de 35 000 euros par personne. Voilà ce qu’il faut d’abord considérer !

Mme la présidente. Merci de conclure, mon cher collègue !

M. Michel Vergnier. Je termine donc, madame la présidente. Je sais que M. le ministre est un démocrate. Or c’est bien le lieu et le moment de faire vivre la démocratie. En ce qui concerne d’ailleurs le règlement de notre assemblée, laissons les choses aller à leur terme ! Si vous n’êtes pas d’accord avec nous, c’est votre droit, tout comme c’est le nôtre de ne pas être d’accord avec vous ! Mais laissons les débats aller à leur terme. Les demandes de suppression d’articles ou les votes bloqués ne nous permettent plus jamais, dans cette assemblée, d’avoir un véritable débat démocratique, et cela, c’est tout aussi insupportable que le bouclier fiscal !

M. Patrick Roy. L’opposition est muselée ! (Sourires.)

M. Georges Mothron. Vous, en tout cas, vous ne l’êtes pas ! (Sourires.)

M. Michel Vergnier. Le but, ce n’est pas que nous ayons tous le même avis – cela n’arrivera jamais. Mais nous pouvons toujours parler les uns avec les autres ! Puisque vous avez la majorité, ce qui vous garantit le résultat, n’ayez pas peur du débat. Laissez-nous aller au bout de nos discussions ; laissez-nous nous exprimer ! La manière dont les choses se passent ici n’est vraiment pas supportable. On a quand même connu beaucoup mieux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Yves Censi. Je ne crois pas !

Mme la présidente. La parole est à Mme Danièle Hoffman-Rispal.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, on a pu lire, ici ou là, ces derniers jours, que l’hypothèse d’une avancée sociale était envisagée. La chose est suffisamment rare pour que l’on s’y arrête ! Dans le dossier des retraites, le Gouvernement réfléchirait en effet à l’instauration d’une « contribution supplémentaire de solidarité sur les hauts revenus et les revenus du capital », qui ne serait pas intégrée dans le périmètre du bouclier fiscal. La belle affaire ! Nous avons appris à nous méfier des promesses du Gouvernement. Il avait tenté de nous faire croire à une augmentation du pouvoir d’achat, à une recherche de la croissance « avec les dents » et à la fin des paradis fiscaux.

Il conviendra donc de juger cette contribution de solidarité sur pièces. Si elle ne représente que quelques centaines d’euros, quand des contribuables reçoivent des chèques de 1,8 million d’euros de la part du trésor public, l’éraflure dans le bouclier fiscal relèvera de l’esthétique plutôt que de la faille défensive !

Présenter comme une avancée sociale ce qui ne constitue qu’une reculade politique demeurera, quoi qu’il en soit, largement insuffisant – cette avancée sociale annoncée s’annonçant de toute façon bien limitée, tant par la portée de la mesure que par la comparaison avec d’autres dossiers que celui des retraites. La sauvegarde du système de retraite fera appel à la solidarité, soit. Mais je rappelle que, lors de l’instauration du RSA, les bénéficiaires du bouclier fiscal ont été dispensés de participation à la solidarité, par un raisonnement qui paraît bien abscons.

Dès le 25 septembre 2008, nous pointions d’ailleurs l’incohérence du dispositif retenu pour financer le revenu de solidarité active. Les revenus du patrimoine et les revenus de placements ont été taxés à hauteur de 1,1 % ; mais on exclut les bénéficiaires du bouclier fiscal de la taxation : le caractère inique de cette mesure nous avait stupéfaits. Les difficultés rencontrées depuis par les départements pour financer le RSA ont confirmé qu’il n’aurait pourtant pas été inutile de les mettre à contribution.

Je rappelle, à titre d’illustration, les chiffres donnés par notre collègue Henri Nayrou lors de la séance de questions au Gouvernement de mardi dernier. De la fin de l’année 2009 à la fin de l’année 2010, le montant que représente le RSA au sein des dépenses du département de l’Ariège a augmenté de 12 %, progressant jusqu’à 23 millions d’euros, alors que l’État s’en tenait aux 19 millions prévus à l’origine.

Malgré ces chiffres inquiétants, les plus fortunés de nos concitoyens ne déboursent toujours pas un centime pour financer le revenu de solidarité active : le Gouvernement ne voudrait pas prendre le risque de les effaroucher. Il faut les choyer pour les empêcher de partir, si ce n’est pour les inciter à rentrer.

Rappelez-vous les promesses qu’on nous avait faites sur le retour des exilés fiscaux : le rapport de notre collègue Pierre-Alain Muet démontre que l’objectif n’est pas rempli, tant s’en faut. Le bouclier fiscal, conçu pour ne bénéficier qu’aux plus aisés, est aussi inefficace – et aussi coûteux – que la ligne Maginot.

Il suffit de lire, dans la presse régionale, le courrier des lecteurs, et d’ailleurs d’être, comme nous, tous les jours aux côtés de nos concitoyens, pour voir qu’ils sont inquiets. Je voudrais vous faire part d’une citation d’Alphonse Allais qui me semble illustrer le sentiment d’une grande partie de nos concitoyens à propos de cette mauvaise histoire de bouclier fiscal : « Il faut prendre l’argent là où il se trouve, c’est-à-dire chez les pauvres. Bon, d’accord, ils n’ont pas beaucoup d’argent, mais il y a beaucoup de pauvres ! »

M. Serge Blisko. Bravo !

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Cet adepte de l’absurde aurait apprécié à sa juste valeur le bouclier fiscal. Il est temps d’arrêter la plaisanterie : mettre un terme au bouclier fiscal, c’est l’objet de la proposition de loi que nous vous soumettons aujourd’hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur . Nous sommes au terme de ce débat : il n’ira vraiment pas au fond des choses, et je le regrette. Nous avons, nous, fait des efforts pour avancer des arguments ; nous n’avons rien entendu en face.

Monsieur le ministre, vous dites que le bouclier fiscal se justifie pour maintenir ou améliorer la compétitivité des entreprises, et de notre pays en général. Vous êtes ministre du budget et votre administration, Bercy, a l’habitude de regarder les chiffres ; je vais donc vous en rappeler quelques-uns. Entre 1997 et 2002, l’excédent commercial de la France se situait entre 1,5 % et 3 % du PIB, soit entre 20 et 40 milliards d’euros. Depuis 2003, le déficit s’est installé, puis régulièrement dégradé : il représente aujourd’hui 2 % du PIB, soit 40 milliards d’euros.

Qu’a fait le bouclier fiscal ? De 1997 à 2002, il n’existait pas, quand la France gagnait en compétitivité et dégageait un fort excédent commercial ; il a été instauré au moment où la compétitivité a commencé à chuter – je ne pense pas qu’il y ait une relation : il y a bien d’autres raisons pour expliquer cette dégradation apparue lorsque votre majorité est arrivée au pouvoir. Mais en tout cas, le bouclier fiscal ne l’a en aucune façon arrêtée.

Ensuite, monsieur le ministre, évoquant le débat budgétaire et la conférence des déficits qui s’est tenue ce matin, vous annoncez qu’il est nécessaire de geler les subventions aux collectivités locales. Mais, quand le déficit des administrations publiques relève essentiellement de l’État, quand l’État emprunte tous les jours sur les marchés un demi-milliard d’euros, voire plus, pour financer à 90 % des dépenses courantes, je trouve profondément scandaleux qu’il se défausse sur des collectivités locales qui sont tenues par la loi de ne financer par le déficit que l’investissement. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Monsieur le rapporteur général, vous m’avez dit tout à l’heure que je ne comptais, dans mon rapport, que sur le Conseil constitutionnel. Mais non ! Je sais que vous lisez attentivement les rapports en temps normal ; vous avez dû lire celui-ci un peu vite. (Sourires.)

Je dis seulement que, si l’on supprime le bouclier fiscal, on en reviendra au plafonnement de l’ISF à 85 %. Aujourd’hui, il faudrait, nous le savons, améliorer ce dispositif, notamment en améliorant la mesure du revenu. La question pourrait même se poser, avec un plafonnement à 85 %, de relever, voire de supprimer le plafonnement du plafonnement. Nous aurions un dispositif qui permettrait à l’impôt de solidarité sur la fortune de fonctionner sans être pour autant confiscatoire. Cela ne poserait, je crois, aucun problème.

Je suis de ceux qui pensent – avec beaucoup d’économistes – que l’impôt sur le patrimoine est non seulement juste, mais aussi efficace économiquement. Lors de la mise en place de l’ISF, le Conseil constitutionnel avait estimé que le patrimoine constituait un facteur contributif au même titre que les revenus, et qu’il n’y avait pas de raison de ne pas le prendre en compte.

Tous les pays, d’ailleurs, imposent le patrimoine – peut-être pas sous la forme d’un impôt national, mais sous celle d’un impôt local. Les pays qui imposent le plus le patrimoine sont la Grande-Bretagne et les États-Unis : leur imposition locale est beaucoup plus élevée que notre taxe foncière.

L’imposition du patrimoine n’est donc pas une chose nouvelle, et un certain nombre d’économistes parmi les plus célèbres, et parmi les plus libéraux – je pense bien sûr à Maurice Allais –, estiment qu’imposer le patrimoine, c’est obliger le patrimoine à vivre, c’est l’empêcher de dormir. Cela a donc une efficacité économique.

M. Jean Gaubert. Très bien !

M. Yves Censi. Nous ne disons pas le contraire.

M. Gilles Carrez, rapporteur général . Je suis d’accord avec cela, mais pas avec l’ISF !

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur . Si vous êtes d’accord avec cela, il faut – c’est très simple – supprimer le bouclier fiscal et en revenir à la situation antérieure. On peut, bien sûr, chercher de meilleures façons de taxer le patrimoine ; moi-même, j’ai fait quelques propositions en ce sens, mais là n’est pas la question.

Supprimer le bouclier fiscal permettrait, dans un premier temps, de supprimer quelque chose de profondément injuste qui ne répond pas à la vraie question, et qui ne répond même pas à la question de la moitié des contribuables qui bénéficient du bouclier fiscal sans payer l’ISF. Il suffirait, soit de revenir au dispositif antérieur, avec des exonérations consenties par l’administration fiscale, soit tout simplement de plafonner la taxe foncière en fonction du revenu. Pour notre part, nous n’y serions pas opposés.

Monsieur le rapporteur général, vous l’avez presque dit : votre proposition, qui est aussi celle du Nouveau Centre et qui consisterait à remplacer l’ISF par une tranche supplémentaire de l’impôt sur le revenu, reviendrait à taxer à nouveau le travail.

M. Gilles Carrez, rapporteur général . Je proposais aussi une fiscalité sur le patrimoine !

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur . Or quel est le problème de la France ? C’est que notre imposition du patrimoine est absolument dérisoire, à cause du prélèvement libératoire de 18 % – je sais bien qu’un amendement a été déposé pour le porter à 20 %, et nous y viendrons. Mais il y a aussi des abattements qui font qu’un certain nombre de dividendes ne comptent pas dans le barème ; et de nombreux dispositifs empêchent de taxer les revenus du patrimoine au même barème que les autres.

La justice fiscale, c’est très simple : c’est de taxer tous les revenus de la même façon, en fonction du montant des revenus, quelle que soit leur origine ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Nous en sommes très loin, et ce n’est pas la mesure que vous proposez, monsieur le rapporteur général, qui permettra de corriger ce problème. Pour le corriger, il faudrait une vraie réforme de l’imposition du revenu : c’est un autre sujet, dont nous aurons certainement l’occasion de débattre.

Il est dommage que nous n’ayons pas eu un véritable débat : chacun reconnaît, sur ces bancs, que notre fiscalité est mitée. C’est vrai de l’impôt sur le revenu, c’est vrai de l’impôt sur les sociétés : qui sait que l’impôt sur les sociétés, pour celles qui dépassent 2 000 salariés, n’est pas de 33 % mais plutôt de 13 % ? C’est dû aux multiples niches fiscales – certaines bien connues, notamment l’une inventée par M. Copé, et qui coûte assez cher.

Notre pays a besoin de profondes réformes fiscales. Mais la première chose à faire, c’est de supprimer le bouclier fiscal. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des finances.

M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances. Cette séance ne sera pas conclusive, comme d’aucuns l’auraient aimé. Mais, contrairement à l’impression de certains, il me semble néanmoins que le débat progresse.

M. le rapporteur général l’a lui-même reconnu : le bouclier fiscal n’a qu’une mission, qu’une fonction, qu’un objet ; il ne sert qu’à atténuer les effets de l’ISF pour ceux qui en sont redevables. Plus personne ne peut, en conscience, prétendre que le bouclier fiscal protège les revenus du travail. Au moins de ce point de vue-là, nous avons donc progressé.

Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, je veux bien comprendre que le Gouvernement et la majorité attendent de l’opposition des initiatives permettant à la majorité de sortir d’une situation dans laquelle elle s’est elle-même délibérément fourrée, en instaurant le bouclier fiscal faute d’avoir le courage de supprimer l’ISF. Mais, en démocratie parlementaire, c’est tout de même à la majorité et au Gouvernement de proposer.

M. Dominique Baert. …et à l’opposition de s’opposer.

M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances. Le rôle de l’opposition est de dire, ensuite, ce qu’elle pense de ces propositions, de dire si elle les accepte, si elle les rejette, si elle les accepte sous conditions.

Puisque M. le rapporteur général suggère que l’opposition pourrait être à l’initiative d’une suppression simultanée de l’ISF et du bouclier fiscal, je me permets de dire à M. le ministre comme à mes collègues de la majorité : prenez l’initiative ! Vous savez ce que nous pensons ; si vous avez peur de notre vote, discutons-en avant, mais cessez au moins de nous renvoyer une initiative gouvernementale que les électeurs vous ont confiée et que vous ne pouvez, me semble-t-il, pas déléguer à d’autres que vous-mêmes !

M. René Couanau. Tout à fait !

Mme Laurence Dumont. Mais ils n’ont aucun courage !

M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances. Il est probable que celles et ceux qui sont ici verront la disparition du bouclier fiscal, probablement avant celle de l’ISF.

Mme Laurence Dumont. Oui, en 2012 !

M. Henri Emmanuelli. Et même avant.

M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances . Je crois, comme Pierre-Alain Muet, qu’il n’y a pas de fiscalité juste sans taxation des revenus du travail et des revenus du capital. Les deux assiettes sont nécessaires à un système fiscal équilibré.

C’est la raison pour laquelle, cher Gilles Carrez, je ne crois pas raisonnable d’envisager une suppression du bouclier fiscal et de l’ISF, et la compensation de cette perte de recettes de 3 à 4 milliards d’euros par une nouvelle imposition sur le travail. Si l’ISF était supprimé, ce serait une nouvelle imposition sur le patrimoine qu’il faudrait imaginer. Puisque, nous dit-on, la preuve a été apportée que la taxation du stock de patrimoine n’avait pas les vertus économiques que certains espéraient – les mêmes imaginaient peut-être y voir un jour une quelconque vertu de justice sociale –, mettons-nous au moins d’accord sur le fait que la taxation du flux du patrimoine serait juste. Le flux, c’est la transmission, la cession, le rendement.

Mes chers collègues, nous ne sortirons pas de ce débat. Soit vous supprimez toute taxation du patrimoine et vous taxez le travail pour doter l’État des moyens dont il a besoin, soit vous estimez – et je crois que nous sommes une très grande majorité ici à le penser – qu’il faut taxer et les revenus du travail et les revenus du patrimoine. Et puisque, selon vous, la taxation du stock est antiéconomique, étudiez sérieusement la possibilité de taxer les flux du patrimoine, comme cela se fait dans nombre de démocraties avancées à système fiscal plus juste et plus efficace.

Telles sont les trois remarques que je souhaitais formuler, en espérant que le rapporteur général n’aura pas trouvé qu’elles sont marquées du sceau de l’idéologie, même si je ne suis pas sûr que ce soit forcément toujours un défaut. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. François Baroin, ministre du budget . Monsieur le rapporteur, je vous reconnais beaucoup de qualités et d’avoir fait beaucoup d’efforts pour donner à ce débat une tournure politique. En effet, on note, parmi les signataires de la proposition de loi, un ancien secrétaire du parti socialiste, le président de votre groupe, M. Sapin, ancien ministre de l’économie, et quelques autres responsables que je tiens en estime,…

M. Dominique Baert. Plus tous les futurs responsables !

M. François Baroin, ministre du budget . …et dont, depuis des années, je lis les écrits, qui sont des sources de réflexion. Vous êtes un parti de Gouvernement, vous avez exercé des responsabilités. Dès lors, ne vous étonnez pas que, lorsqu’il y a une opération politique,…

M. Jean Gaubert. Politique, mais pas politicienne !

M. François Baroin, ministre du budget . …une sorte d’épreuve de force, il y ait une réponse politique. Il n’y a rien d’indigne ni de mesquin, c’est le débat. S’il n’y a pas de débat ici, où y en aura-t-il ?

M. René Couanau. Absolument !

M. François Baroin, ministre du budget . J’en viens maintenant au fond.

Une fois encore, vous avez rappelé les arguments que vos collègues et vous-même développez depuis des semaines sur l’iniquité du bouclier fiscal. Aussi, permettez-moi, à mon tour, de répéter quelques idées simples.

D’abord, le dispositif est récent, les chiffres n’ont que deux ans. Peut-être considérez-vous que cet enfant est mal né, que c’est un énorme siège et qu’il ne se développera pas – c’est peut-être à la fois un souhait et un vœu, mais méfions-nous de confondre les deux, surtout à quelques semaines de la Coupe du monde – mais laissons-lui le temps de vivre. C’est un mal français, depuis des décennies, que de ne jamais laisser un dispositif en place jusqu’à ce que l’on puisse vérifier s’il a produit de véritables effets.

En ce qui concerne la période 1997-2002, c’est à regret, puisque nous avions perdu le pouvoir, que j’évoquerai, dès le lendemain de l’arrivée de Lionel Jospin à Matignon, le changement de parité entre nos différentes monnaies qui a produit un rebond économique et développé la croissance, ce qui a permis d’améliorer le solde extérieur et de favoriser le financement de la mise en place des 35 heures dont on paie encore aujourd’hui les pots cassés.

M. Henri Emmanuelli. Vous aviez dissous l’Assemblée parce que rien n’était possible !

M. François Baroin, ministre du budget . Vous allez encore me dire que c’est de la politique. Excusez-moi, j’ai encore fauté, mais cela m’a fait plaisir !

Je veux remercier les uns et les autres qui se sont exprimés avec leurs convictions que je respecte. C’est le cas de M. Garrigue, dont je connais les positions, qui rejoignent celles de René Couanau qui s’exprime très régulièrement sur le sujet. Il y a, à droite comme à gauche, des sensibilités, des repères, des convictions. Mais il y a, au Gouvernement, une ligne, et au sein de la majorité, une majorité pour soutenir le maintien du bouclier fiscal.

Nous accueillons avec bienveillance le soutien de M. Perruchot et de M. Carré sur la politique du Gouvernement. Quant à M. Fourgous, son courage singulier dans son département, comme toujours au sein de la majorité, lui permet d’insister un peu plus sur la ligne qu’il soutient.

M. Jean-Pierre Dufau. C’est la séquence brosse à reluire !

M. François Baroin, ministre du budget . Je veux dire enfin aux autres orateurs que nous ne trouverons pas de point d’accord, ni aujourd’hui ni demain, sur ce sujet, mais que ce n’est pas très grave.

M. Jean-Pierre Dufau. Demain est un autre jour !

M. François Baroin, ministre du budget . Enfin, l’évocation poétique d’Aragon par Mme Filippetti est toujours un supplément d’âme dans ce contexte singulier et ce combat un peu viril. C’est à la fois une touche d’intelligence et de littérature. (Sourires sur les bancs du groupe SRC.) En tant que Creusois, M. Vergnier aurait pu tout autant citer le poète Berniguet ou bien la montée des maçons de la Creuse à Paris qui fait l’objet de magnifiques écrits, ce qui aurait montré qu’un mur peut tenir même s’il est très fortement attaqué. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Application de l’article 96 du règlement

M. François Baroin, ministre du budget . Madame la présidente, en application de l’article 96 du règlement de l’Assemblée nationale, le Gouvernement demande la réserve des votes des articles et des amendements de la présente proposition de loi.

M. Henri Emmanuelli. Quelle lâcheté ! Courage fuyons !

M. Dominique Baert. Les députés UMP vont pouvoir prendre leur train !

Mme la présidente. La réserve est de droit.

Discussion des articles

Mme la présidente. J’appelle maintenant les articles de la proposition de loi dans le texte dont l’Assemblée a été saisie initialement puisque la commission n’a pas adopté de texte.

Avant l’article 1 er

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements, n os  12 et 11, portant articles additionnels avant l’article 1 er .

La parole est à M. Nicolas Perruchot, pour les soutenir.

M. Nicolas Perruchot. Je regrette la réserve demandée par le Gouvernement sur le vote des articles et des amendements. Il aurait été bon, alors que nous avons pris le temps de discuter, tant en commission qu’en séance publique, que le Gouvernement nous permette de nous prononcer.

Le sujet est complexe. Il s’agit d’un débat de fond, à propos duquel les Français nous font connaître, dans nos circonscriptions, leur appréciation de la situation. Alors que nous vivons une grave crise européenne, nous devons aller au bout de ces dispositifs. Puissions-nous, dans les prochaines semaines ou dans les prochains mois, présenter des propositions qui recevront un écho favorable. Car, chers collègues de la majorité, il est inéluctable de modifier le bouclier fiscal, ou en tout cas de le rendre plus acceptable.

Les amendements n os  12 et 11 sont de bon sens. L’amendement n° 12 tend à relever de 18 à 20 % le prélèvement libératoire applicable aux plus-values mobilières et l’amendement n° 11 de 18 à 19 %. Voilà une mesure que nous défendons, avec Charles de Courson et Philippe Vigier, depuis longtemps. Le prélèvement dit libératoire est une retenue fiscale appliquée par la banque ou l’assureur lors du versement des intérêts d’une créance, et qui évite ensuite d’avoir à déclarer la somme versée dans les revenus imposables. Or chacun sait que cette retenue fiscale est aujourd’hui plus avantageuse pour les contribuables soumis aux taux d’imposition les plus élevés.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur . La commission a rejeté ces amendements.

Le mieux serait d’imposer les revenus du capital au barème et qu’il n’y ait pas de prélèvement libératoire. Si l’Europe s’accorde un jour sur les échanges d’informations entre pays, cela deviendra possible partout. Il n’y a en effet aucune raison que les revenus du capital soient moins taxés que les revenus du travail.

Dès lors qu’un prélèvement libératoire existe, plus il se rapproche du taux marginal le plus élevé – il en est encore loin, puisque vous proposez de le relever à 20 % –, mieux ce sera. On sait très bien que le prélèvement libératoire est utilisé par des personnes ayant de très hauts revenus du capital. Il faudrait donc qu’elles soient taxées à hauteur de 40 %. Cela dit, il vaut mieux qu’elles le soient à hauteur de 20 % plutôt qu’à 18 %.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. François Baroin, ministre du budget . Défavorable.

Mme la présidente. Les votes sur les amendements n os  12 et 11 sont réservés.

Je suis saisie d’un amendement n° 13.

La parole est à M. Nicolas Perruchot.

M. Nicolas Perruchot. Là encore, je pense que cet amendement aurait été adopté sans la réserve.

Pendant la crise, toutes les banques se sont engagées à jouer leur rôle en matière de financement des PME et TPE. Or on a constaté qu’elles ne respectaient pas ces engagements en matière de distribution de crédits – j’ai d’ailleurs interrogé, il y a quelques semaines, Mme la ministre de l’économie à ce sujet. Dès lors, le sauvetage que l’État leur a prodigué il y a quelques mois devient obsolète. Puisque les banques ne respectent pas leurs engagements – on le voit encore avec la crise de l’euro –, il est nécessaire que nous leur envoyions quelques signaux clairs. Nous proposons donc que les établissements de crédits s’acquittent d’une taxe de 10 % dont le produit servirait à financer les TPE et PME via OSEO.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur . La commission a repoussé cet amendement, comme tous ceux qui lui ont été présentés, à l’exception de ceux du rapporteur général.

Il est évident que la taxation prévue ici a un sens. Elle avait été proposée par le précédent président de la commission des finances, Didier Migaud. Tous les pays se posent cette question, car la crise résulte de l’irresponsabilité de l’ensemble du secteur financier, à des degrés divers selon les pays. Mais, pour financer une partie des déficits induits par la crise – ou pour financer les retraites –, la logique veut que les revenus des banques soient taxés.

À titre personnel, je suis donc favorable à cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. François Baroin, ministre du budget . Défavorable.

Mme la présidente. Le vote sur l’amendement n° 13 est réservé.

Je suis saisie d’un amendement n° 14.

La parole est à M. Nicolas Perruchot.

M. Nicolas Perruchot. Il s’agit là d’une nouvelle mesure de bon sens. Au cœur de la crise, nous avions pris un certain nombre de dispositions, certaines pérennes, d’autres qui devaient prendre fin au bout d’un an. Cet amendement vise à pérenniser la taxation sur les rémunérations variables des opérateurs de marché.

Rappelons que, au cœur de la crise, alors que l’incertitude régnait et que les États avaient été appelés à la rescousse à coup de dizaines de milliards, les banques avaient trouvé intelligent d’augmenter les bonus de leurs opérateurs, ceux qui agissent dans les salles de marché, ceux qui créent des produits dérivés très particuliers, les remerciant ainsi d’avoir créé une crise sans précédent !

Pour toutes ces raisons, il serait utile de pérenniser ce dispositif. Nous ne pourrons malheureusement pas nous prononcer sur cet amendement, mais nous y reviendrons.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur . La commission a donné un avis défavorable, mais il est évident que, si l’on veut responsabiliser les opérateurs de marché, il ne faut pas se contenter d’agir en période de crise, il faut prendre des mesures structurelles. Prolonger le dispositif que nous avions adopté, tous, aurait du sens.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. François Baroin, ministre du budget . Avis défavorable.

Mme la présidente. Le vote sur l’amendement n° 14 est réservé.

Article 1 er

Mme la présidente. Plusieurs orateurs sont inscrits sur l’article 1 er .

La parole est à M. Jean-Yves Cousin.

M. Jean-Yves Cousin. Proposer l’abrogation du bouclier fiscal, c’est évoquer le sous-ensemble d’un problème sans prendre en compte l’ensemble de la question de notre fiscalité, et donc de la justice fiscale.

Avec quelques collègues, nous considérons qu’il faut suspendre le bouclier fiscal et envisager notre fiscalité de manière globale. La crise grave que nous connaissons a modifié les choses et le problème posé par les retraites va demander à tous un effort.

Le ciment d’une nation, d’un peuple, c’est l’équité. On peut comprendre et accepter des efforts si l’on a le sentiment qu’ils sont partagés par tous. Il convient donc de suspendre le bouclier fiscal et d’engager dans le même temps une réforme globale de notre fiscalité. Je rappelle que notre pays doit faire face à de grands défis : réduction des déficits, maîtrise de la dépense publique et une plus grande justice fiscale.

Sur ce dernier point, trois pistes paraissent devoir être approfondies. Il convient d’abord de revoir l’impôt sur le revenu, avec la création d’une tranche supplémentaire pour les revenus les plus élevés, et d’aller plus loin sur les niches fiscales, même si j’ai conscience que le sujet est plus complexe qu’il n’y paraît. Il faut ensuite examiner le problème de l’impôt sur la fortune, qui, je le rappelle, est quasiment le seul de ce type dans l’Union européenne. Il faut enfin se pencher sur la fiscalité du patrimoine qui me semble sous-évaluée. Je pourrais encore citer la fiscalité des plus-values immobilières ou mobilières, et certaines exonérations de CSG qui existent en ce domaine. Bien sûr, la liste n’est pas exhaustive.

La suspension du bouclier fiscal et l’examen de notre fiscalité de manière globale, voilà à mes yeux la bonne piste. C’est ce qui peut conduire à considérer que l’effort est consenti et partagé par tous. Les sentiments d’équité et de justice fiscale, voilà ce qui fait le ciment d’une nation.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Roy.

M. Patrick Roy. Depuis le début de cette séance, j’écoute attentivement tous les orateurs. Certains propos furent lucides et empreints de bon sens – je pense notamment à ceux de M. Cahuzac –, alors que d’autres furent totalement idéologiques ou mensongers. Malgré toute l’estime que je peux vous porter, comme tous les membres de cette Assemblée, je puis vous dire, monsieur le ministre, que vous n’avez pas été le dernier à répéter des argumentaires fallacieux et mensongers – et vous ne l’ignorez pas, du reste.

Au moment même où vous entonnez le refrain, entendu des milliers de fois, selon lequel on ne saurait travailler plus d’une journée sur deux, plus de la moitié de l’année, pour l’État, vous savez bien – car vous êtes éminemment intelligent et reconnu dans le monde de l’économie – qu’il n’est plus possible de soutenir une telle position. Pourtant, vous participez à ce mensonge collectif et à cette ignominie qu’est le maintien du bouclier fiscal, lequel est destiné en premier lieu à protéger les revenus du patrimoine, des rentes, du capital. Là est son seul objectif puisqu’il ne sert pas la France mais une poignée de Français, ceux que l’on surnomme « les amis du Fouquet’s », voire, selon certaines personnes bien informées, les « financeurs de l’UMP », tant il est vrai que les relations entre les uns et les autres restent troubles. Dans le contexte actuel, vous devriez faire preuve d’un peu de lucidité.

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Dumont.

Mme Laurence Dumont. C’est vrai, face à la crise, les Français ne sont pas égaux. Alors que les plus fragiles d’entre nous éprouvent de plus en plus de difficultés dans leur vie quotidienne, le Gouvernement, contre vents et marées, maintient sa politique clientéliste en faveur des plus nantis. « Touche pas au grisbi » ou plutôt : « Touche pas au bouclier fiscal ! », tel est le credo que l’Élysée impose au Gouvernement.

Arc-boutés que vous êtes sur une mesure qui célèbre l’argent roi, l’argent de la rente, ce dispositif, qui bénéficie à 17 000 familles fortunées, dont près de 1 000 qui reçoivent du Trésor public un chèque d’une valeur moyenne de 376 000 euros, est maintenu. Le seul énoncé de ces deux chiffres démontre le caractère indécent du bouclier fiscal. Monsieur le ministre, si vous souhaitez, grâce à cette mesure, permettre aux plus riches de le rester, assumez-le.

Rappelons que le bouclier fiscal représente la marque indélébile, la faute originelle d’une politique d’injustice fiscale que ce Gouvernement mène depuis 2007. Injustice, indécence, échec : c’est bien ainsi que l’on peut qualifier le scandale d’une mesure qui ne repose que sur des choix idéologiques.

Après les contorsions et l’agitation médiatique de certains députés de la majorité appelant ces derniers mois à suspendre l’application du bouclier fiscal, nous voici à l’heure du vrai choix – je le dis tout particulièrement pour M. Cousin. Il est facile de demander la suspension : le vrai problème, c’est de se positionner en faveur ou non de l’abrogation. L’équité fiscale, tant réclamée, dans la majorité, par ceux qui souhaitent se donner bonne conscience, et par l’ensemble de l’opposition, doit se traduire par un vote en faveur de l’abrogation pure et simple de ce bouclier.

Dans le cas contraire, ne doutez pas, monsieur le ministre, que nous ne cesserons, comme nous le faisons depuis trois ans, de dénoncer cette injustice, jusqu’à ce que mort du funeste bouclier s’ensuive.

Mme la présidente. La parole est à M. René Couanau.

M. René Couanau. Il ne vous étonnera pas, monsieur le ministre, que, fidèle à mes convictions, je joigne ma voix à celle de M. Cousin – et peut-être à d’autres, puisque nous sommes une vingtaine à avoir signé une proposition de loi visant à suspendre l’application du bouclier fiscal – et prenne des positions différentes des vôtres.

L’on ne peut rester indéfiniment aveugle et sourd en refusant d’admettre l’évidence : l’efficacité économique du bouclier fiscal est quasi-nulle et le sentiment d’injustice sociale et fiscale qu’il génère ne cesse de croître au fur et à mesure que les effets de la crise se font ressentir et que le pouvoir d’achat baisse.

Maintenant que nous savons tous que sont en jeu, non pas les revenus du travail, mais le patrimoine et les revenus du patrimoine,…

M. Dominique Baert. Mais oui !

M. René Couanau. …il est temps d’en tirer les conséquences et de reprendre le débat sur la fiscalité du patrimoine, l’ISF, la progressivité de l’impôt sur le revenu, de réfléchir éventuellement à une nouvelle contribution CSG ou CRDS pour financer la solidarité sociale. Vous ne pourrez pas y échapper.

Le dogme de l’article 1 er du code général des impôts, qui se veut intangible, ne tiendra pas. Nous savons bien que le débat s’ouvrira, grâce notamment à la proposition socialiste. Des déclarations fusent de toutes parts, des dits, des non-dits, des doutes, des critiques, jusqu’au sein même du Gouvernement. Pourquoi ne pas en tirer courageusement les conséquences et en discuter ?

M. Henri Emmanuelli. Parce que le chef ne le veut pas !

M. René Couanau. J’ai proposé des amendements pour suspendre l’application de ce dispositif, soit pour les revenus 2009, soit pour les revenus 2010, c’est-à-dire d’anticiper quelque peu la discussion sur la loi de finances 2011, puisque vous-même, monsieur le ministre, avez accepté en commission que des simulations soient échangées entre la commission et le ministère sur l’impact de telle ou telle mesure qui accompagnerait la suppression ou la suspension du bouclier fiscal.

Mme la présidente. Je vous remercie, monsieur Couanau.

M. Dominique Baert. Ce qu’il dit est important ! Il y a quelques sages, à droite.

M. René Couanau. Il ne s’agit pas là d’adopter une posture médiatique ou politique, mais d’exprimer une conviction, en orant, de façon lucide et courageuse, en vous invitant à la prendre en considération. En effet, il importe aujourd’hui de tenir compte du besoin, de la demande sociale et non pas d’obéir à une stratégie politique, contre laquelle je mets d’ailleurs en garde mes collègues de la majorité, car le bouclier pourrait bien se transformer en boomerang. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Imbert.

Mme Françoise Imbert. Cette proposition de loi vise à réparer une profonde injustice, insupportable pour tous les Français.

Selon vous, monsieur le ministre, le bouclier fiscal représenterait une certaine idée de l’équité fiscale dans la durée : ces mots ne revêtent certainement pas la même signification pour vous que pour nous. Comment pouvez-vous rester sourd et aveugle face aux difficultés que subissent nos compatriotes ? Où se trouve l’équité fiscale quand quelques centaines de contribuables, ceux qui perçoivent les plus hauts revenus et possèdent les plus gros patrimoines, se voient accorder un avantage exorbitant ?

Au-delà de quelques centaines de contribuables, en quoi ce marqueur politique qu’est pour vous le bouclier fiscal est-il efficace ? Il n’a pas su ramener dans notre pays des contribuables inciviques, des évadés fiscaux. En France, aujourd’hui, plus on est riche, moins l’on est proportionnellement imposé sur ses revenus.

M. Henri Emmanuelli. C’est vrai !

Mme Françoise Imbert. Le bouclier fiscal n’est pas un dispositif efficace : il est au contraire exagéré et totalement inadapté à la conjoncture actuelle, à la situation économique et sociale de notre pays. Les Français attendent que l’on revienne à davantage de solidarité nationale. N’attendons pas plus longtemps pour abroger le dispositif du bouclier fiscal. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Néri.

M. Dominique Baert. Une autre voix sage.

M. Alain Néri. Monsieur le ministre, j’ai souffert de vous voir si mal à l’aise à la tribune. Je vous entends, vous et votre majorité, prisonniers du bouclier fiscal, nous dire : « Bouclier fiscal, quand tu nous tiens ! », alors que 67 % des Français vous disent : « Bouclier fiscal, quand nous lâcheras-tu enfin ? »

Oui, le bouclier fiscal est injuste socialement, inefficace économiquement et coûteux pour les finances publiques. Il est moralement et économiquement indécent. Cette mesure ne présente qu’un seul mérite, celui de ressouder la majorité, en particulier M. de Villepin et M. Sarkozy, puisque tous les deux ont participé à sa création. L’un voulant faire mieux que l’autre, après les 60 % de M. de Villepin, nous avons eu droit aux 50 % de M. Sarkozy, de sorte que, en 2007, M. de Villepin avait fait un cadeau royal de 229 millions d’euros à 13 700 contribuables, tandis que M. Sarkozy, voulant dépasser son prédécesseur, offrait 563 millions en 2008 à 15 446 contribuables et 585 millions en 2009 à 16 350 contribuables, les plus riches bien entendu.

Si seulement cette mesure était économiquement efficace ! Mais tout le monde a pu se rendre compte qu’elle n’a servi à rien et que l’activité n’en a pas été relancée pour autant. Vous nous aviez promis le retour des expatriés fiscaux. J’attendais Johnny Hallyday avec impatience ! Je pensais qu’il rentrerait au pas de course, avec son capital, dès que Nicolas Sarkozy le lui demanderait. Il n’en a rien été !

Cette mesure est de surcroît injuste du point de vue social, car le bouclier fiscal ne protège pas les revenus du travail mais uniquement les plus gros patrimoines, la rente et la spéculation.

Mme la présidente. Veuillez conclure, monsieur Néri.

M. Alain Néri. J’aurais souhaité que certains, au sein de la majorité, écoutent ce que le peuple français avait dit lors des élections régionales. Monsieur Couanau, vous avez fait une proposition susceptible d’ouvrir la discussion : sans aller jusqu’à abroger le bouclier fiscal, suspendons-le au moins. Si vous aviez été entendu, vous auriez été de bon conseil pour le Gouvernement, car je suis bien d’accord avec vous : si le bouclier fiscal peut protéger un instant les plus riches, le boomerang qui repartira dans la face du Gouvernement risque de causer sa perte. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Victorin Lurel.

M. Victorin Lurel. Merci, madame la présidente, de m’accorder la parole en dernière minute. Je n’ai pas l’intention de prolonger les débats – je n’avais d’ailleurs pas l’intention de m’exprimer sur ce texte –, mais il me semble important de souligner que, si cette séance peut paraître anodine, elle est en vérité historique.

J’entends nos collègues de la majorité nous accuser d’idéologie fiscale. En effet, il s’agit bien de cela : de vision, de choix de société, ce qui va bien au-delà des techniques et des astuces recherchées pour différer une décision de bon sens – que chacun paie en fonction de ses facultés contributives.

Quand on prétend que l’on doit maintenir le bouclier fiscal pour ne pas supprimer l’ISF – or tout le monde sait que le bouclier n’a pas été instauré pour sauvegarder l’ISF –, quand des ministres avancent que le bouclier fiscal se réduit à un « micro sujet budgétaire » qui ne concerne que 600 millions d’euros, affirmons franchement qu’il s’agit en réalité d’un troc entre la suppression de postes de fonctionnaires et une situation avantageuse faite aux rentiers. Je suis assez étonné en outre par la répartition géographique de ceux qui profitent du bouclier. La crise profonde des finances publiques devrait nous faire réfléchir à notre conception de la justice. Refuser ce texte, c’est refuser le bon sens. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. Le vote sur l’article 1 er est réservé.

Après l’article 1 er

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements, n os  3 rectifié et 4 rectifié, portant articles additionnels après l’article 1 er , qui peuvent faire l’objet d’une présentation commune.

M. René Couanau. Je regrette, monsieur le ministre, alors que cette séance aurait pu aboutir à une décision consensuelle consistant à suspendre le bouclier fiscal, que le Gouvernement ait soudainement décidé de réserver le vote des articles et des amendements, procédé habituel qui empêche la tenue d’un vrai débat.

M. Dominique Baert. Ne parlons pas de réserve mais de blocage !

M. René Couanau. Je ne voudrais pas me montrer exagérément critique mais, entre nous, à quoi a-t-il servi de modifier le règlement de l’Assemblée pour ouvrir le débat à l’opposition ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Henri Emmanuelli. C’est toute la question !

M. René Couanau. Après tout, nous avons élu spontanément et majoritairement un président de la commission des finances issu du groupe socialiste. Quel mal y aurait-il donc à entreprendre un débat avec le parti socialiste à l’occasion d’une niche législative ? Il faut aller au bout des choses et ne pas se contenter, encore une fois, d’artifices.

L’amendement n o  3 rectifié vise à suspendre l’application de l’article 1 er du code général des impôts sur les revenus au titre de l’année 2009. Quant à l’amendement n° 4 rectifié, il prévoit la même disposition pour les revenus au titre de l’année 2010.

Je ferai remarquer à M. le rapporteur général que je vais dans son sens, puisque je contribue ainsi à la préparation de la loi de finances pour 2011. Je pense donc que nous pouvons parcourir un bout de chemin ensemble sur cette question.

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur . Très juste !

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur . La commission a repoussé ces amendements mais M. Couanau a raison de considérer qu’ils offraient au rapporteur général un moyen de mettre en pratique ses propres propositions.

M. Henri Emmanuelli. Le rapporteur général est un bon soldat, un fantassin du sarkozysme !

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. François Baroin, ministre du budget . Défavorable.

Mme la présidente. Les votes sur les amendements n os  3 rectifié et 4 rectifié sont réservés.

Article 2

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Néri, inscrit sur l’article 2.

M. Alain Néri. Voilà encore une occasion manquée ou un acte manqué, au point qu’il faudrait peut-être faire un peu de psychanalyse pour déceler ce que l’attitude du Gouvernement peut recouvrir. Force est de reconnaître que le bouclier fiscal est indécent et même antirépublicain en ce qu’il s’oppose au principe même de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen selon lequel chaque citoyen contribue aux dépenses de la nation en fonction de ses capacités. À l’inverse, à cause du bouclier fiscal, les citoyens les plus aisés échappent à l’impôt sur le revenu et aux impôts sur le patrimoine.

Comment avoir l’audace, monsieur le ministre, d’appeler à l’union nationale quand vous demandez l’effort le plus important aux plus faibles ? Comment avez-vous pu penser que, face à autant d’injustices, nos concitoyens vivant déjà très mal leur situation d’urgence et d’exaspération sociale – et peut-être faudra-t-il parler demain d’explosion sociale –, nous pourrions tirer la charrette tous ensemble ? Comment le pouvez-vous quand 15 % des Français vivent en dessous du seuil de pauvreté avec moins de 800 euros par mois et n’ont plus un euro dans leur porte-monnaie le 20 du mois et deviennent les victimes d’un surendettement cruel pour leur famille et pour eux-mêmes ; quand 15 millions de Français bouclent leurs fins de mois avec moins de cinquante euros en poche, et quand votre prédécesseur avait eu le culot de nous dire ici, le mardi 26 janvier, qu’il était impossible de trouver 130 millions d’euros pour augmenter la retraite des agriculteurs, celle de leurs conjoints et celle des aides familiaux, alors que vous trouvez aisément 250 millions d’euros pour M. Tapie…

M. Louis Giscard d’Estaing. De qui donc était-il le ministre, M. Tapie ?

M. Nicolas Perruchot. De François Mitterrand !

M. Alain Néri. …et 585 millions d’euros pour le bouclier fiscal ?

M. Victorin Lurel. C’est un scandale !

M. Alain Néri. Dans mon département, les soixante-quatre contribuables les plus riches vont se partager 3 millions d’euros. N’est-ce pas une honte au moment où tant de Français n’ont plus un centime en poche le 20 du mois, où certains – disons la réalité telle qu’elle est – crèvent la faim ? Et vous voudriez leur donner des leçons de morale ? C’est intolérable !

La seule mesure qui pourrait vous permettre de vous rattraper consisterait à lever la réserve sur le vote des articles et à laisser l’Assemblée mener le débat jusqu’au bout, afin qu’ensemble nous prenions une décision consensuelle de solidarité. Ensemble, supprimons ce bouclier fiscal odieux et scélérat qui creuse l’écart entre les revenus et provoque une rupture du lien social.

Mme la présidente. Merci de bien vouloir conclure, monsieur Néri.

M. Alain Néri. Monsieur le ministre, je vous appelle à la responsabilité. Vous avez su, dans d’autres circonstances, montrer un esprit d’indépendance ; faites de même aujourd’hui, cela vous grandira ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Pierre Dufau. Indépendant mais pas autonome !

Mme la présidente. Je suis saisie de six amendements, n os  7 rectifié, 10, 6, 9 rectifié, 5 et 8, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. Nicolas Perruchot, pour soutenir ces amendements.

M. Nicolas Perruchot. Je ne reviens pas sur l’amendement n° 7 rectifié que nous avons déjà défendu en commission : il vise à rendre plus crédible, en tout cas plus acceptable la notion de plafonnement de l’imposition en retirant du calcul du bouclier fiscal le montant des cotisations sociales comme la CSG ou la CRDS, ainsi que les impôts locaux.

L’amendement n° 9 concerne le plafonnement des impôts directs payés par le contribuable, plafonnement qui ne doit pas être remis en cause comme le suggère le texte.

L’amendement n° 10 et les suivants vont dans le même sens et visent à retirer du calcul du bouclier fiscal les prestations sociales et les impositions locales.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur . Défavorable. Néanmoins, le fait que les plus gros patrimoines, ceux possédant plus de 16 millions d’euros, parviennent à s’exonérer de la CSG et de la CRDS, reste l’un des aspects les plus choquants du bouclier fiscal. La logique voudrait que l’on sorte ces deux contributions du bouclier.

M. Dominique Baert. C’est un minimum !

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur . Ces amendements ont bien sûr un sens.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. François Baroin, ministre du budget . Défavorable.

M. Dominique Baert. Ça, c’est un argument !

M. François Baroin, ministre du budget . C’est le meilleur, monsieur Baert !

Mme la présidente. Le vote est réservé sur les amendements n os  7 rectifié, 10, 6, 9 rectifié, 5 et 8, ainsi que sur l’article 2.

M. Henri Emmanuelli. À quoi servons-nous ?

Après l’article 2

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 15, portant article additionnel après l’article 2.

La parole est à M. Nicolas Perruchot.

M. Nicolas Perruchot. Il eût été utile que, sur les amendements précédents, le Gouvernement dise tout de même un mot. Nous menons ce débat utile depuis de longs mois et il conviendrait que nous en discutions ici sur le fond. J’y insiste, je suis intimement convaincu qu’il n’est plus possible de maintenir le bouclier tel quel. Avec nos collègues Courson et Vigier, nous proposerons à nouveau des dispositifs logiques selon lesquels le plafonnement des impôts directs payés par le contribuable ne doit pas concerner les cotisations sociales.

L’amendement n° 15 prévoit l’abrogation de l’ISF à compter de 2010. Nous souhaitons, de la même manière qu’a été organisé un Grenelle pour l’environnement, mettre en place un Grenelle de la fiscalité. Déjà, ce matin, dans le même ordre d’idées, s’est tenue une conférence des déficits. Il s’agit de réfléchir aux difficultés liées à la crise et aux crises qui s’y ajoutent.

M. Henri Emmanuelli. Et ce n’est pas fini ! Les Bourses replongent aujourd’hui !

M. Nicolas Perruchot. Nous estimons par conséquent nécessaire la remise à plat de la fiscalité à l’occasion d’un Grenelle qui y serait consacré.

Le présent amendement va dans ce sens puisque le groupe Nouveau Centre souhaite créer un nouveau taux marginal à 45 % pour la fraction de revenu supérieure à 100 000 euros. Nous souhaitons relever le prélèvement libératoire applicable aux plus-values sur valeurs mobilières de 18 % à 19 ou 20 %. Et, dans un souci de cohérence des dispositifs fiscaux en vigueur, il s’agirait en même temps, je l’ai dit, de supprimer l’ISF.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur . La commission a émis un avis défavorable. J’ai déjà expliqué pourquoi le remplacement de l’ISF par une nouvelle tranche supérieure de l’impôt sur le revenu ne paraissait pas pertinent dans la mesure où il s’agissait d’une autre façon de taxer le travail, alors que c’est l’inverse qu’il faut faire.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. François Baroin, ministre du budget . Défavorable.

Mme la présidente. Le vote sur l’amendement n° 15 est réservé.

La parole est à M. René Couanau, pour soutenir l’amendement n° 16.

M. René Couanau. Le rapporteur et moi-même allons sans doute nous rapprocher. Cet amendement vise à ne pas appliquer les dispositions de l’article 1649-0 A du code général des impôts pour les revenus perçus en 2010. On ne saurait donc lui opposer le principe de non-rétroactivité puisque les revenus perçus en 2010 feront l’objet de la loi de finances pour 2011.

Voilà une excellente occasion, monsieur le ministre, que vous n’allez pas laisser passer ! Sinon, dans six mois ou dans un an, quand nous en reparlerons et que la parole sera libérée,…

M. Henri Emmanuelli. Libérez-nous !

M. René Couanau. …vous regretterez d’avoir perdu du temps.

Le rapporteur général a lui-même souligné combien il faudrait de temps pour essayer d’ajuster le système après suppression ou suspension du bouclier fiscal.

C’est, pour le moment, ma dernière tentative pour essayer de vous persuader de montrer quelque ouverture d’esprit sur ce point, et l’on ne pourra pas vous le reprocher car nombre de vos collègues au Gouvernement et de nombreuses personnalités de la majorité seront de votre avis. Nous vous attendons donc dans l’action, monsieur le ministre.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur . Défavorable. Toutefois, le Gouvernement a tort de ne pas écouter M. Couanau qui lui offre tout de même une possibilité de développer une vraie réflexion sur le bouclier fiscal.

Quant à l’argument sur la rétroactivité qu’on retrouve dans l’exposé des motifs de l’amendement n° 2 du rapporteur général, amendement de suppression de l’article 2 qui n’a pas été défendu, je crois me souvenir que la disposition selon laquelle le bouclier fiscal est passé de 60 % à 50 % s’est appliquée sur les revenus de l’année précédente. Je ne vois pas pourquoi ce qui est possible dans un sens ne le serait pas dans l’autre.

M. Jean-Pierre Dufau. Ce ne sont pas les mêmes qui en profitent !

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. François Baroin, ministre du budget . Avec toute l’estime, le respect et l’amitié que j’ai pour René Couanau, le Gouvernement émet un avis défavorable.

M. Henri Emmanuelli. Gardez donc votre estime et votre pitié pour ses amendements !

Mme la présidente. Le vote sur l’amendement n os  16 est réservé.

Je suis saisie d’un amendement n° 17.

La parole est à M. René Couanau.

M. René Couanau. Cet amendement est défendu.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur . Défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. François Baroin, ministre du budget . Défavorable.

Mme la présidente. Le vote sur l’amendement n° 17 est réservé.

Mme la présidente. Je suis saisie de sept amendements, n os  22, 20, 21, 23, 24, 19 et 18, qui peuvent faire l’objet d’une présentation commune.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur . Ces amendements visent à retirer du calcul du bouclier fiscal un certain nombre d’impôts tels que la CSG, la CRDS – nous en avons déjà débattu. Il s’agit d’excellents amendements sur lesquels la commission a néanmoins émis un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. François Baroin, ministre du budget . Le Gouvernement y est défavorable. Nous n’allons pas refaire le débat sur le débat du débat. En outre, j’ai compris, en vous écoutant, monsieur le rapporteur, que nous aurons d’autres occasions d’en reparler.

En application de l’article 44-3 de la Constitution, le Gouvernement demande à l’Assemblée de se prononcer par un seul vote sur l’ensemble des articles de la proposition de loi, à l’exclusion de tous les amendements.

Mme la présidente. Les votes sur les amendements n os  22, 20, 21, 23, 24, 19 et 18 sont réservés.

La parole est à M. Alain Néri.

M. Alain Néri. Je voudrais répondre au Gouvernement. Nous arrivons à la fin d’un débat croupion, et un débat croupion n’a jamais été la preuve de la force d’une démocratie.

Votre tâche n’est pas facile, monsieur le ministre, car je sais que, au fond de vous-même, vous partagez un certain nombre de nos observations. Certains, dans la majorité, nous disent que « le disque est rayé ». C’est faux. Il y a un peu plus d’un an, nous avions déjà voulu engager la discussion sur le bouclier fiscal. Déjà, vous aviez refusé le débat, comme vous le faites aujourd’hui. Monsieur le ministre, vous ne tiendrez pas longtemps comme ça. Et vous vous trompez si vous pensez nous faire renoncer en vous montrant sourd et aveugle aux mesures de justice sociale que nous proposons. J’ai d’ailleurs cru comprendre que certains membres de la majorité proposaient également d’engager un débat constructif.

Monsieur le ministre, j’ai peur que vous n’ayez à subir encore de nombreuses fois nos assauts contre ce bouclier fiscal. Vous ne pouvez pas défendre l’indéfendable. Lorsque vous êtes dans la rue, sur les marchés, à Troyes ou à La Chapelle-Saint-Luc, pour rencontrer les électeurs de votre circonscription – parce que, bien que vous soyez ministre, vous continuez à le faire –, je suis sûr qu’ils vous disent : « Alors, monsieur le ministre, allez-vous faire preuve d’un peu de courage et vous démarquer de ce gouvernement ? »

Lorsque vous êtes entré au Gouvernement, pour y exercer une responsabilité importante, on avait pu espérer, pourtant, qu’un peu de gaullisme social entrerait dans les actions du gouvernement Fillon V, VI, ou VII – je ne sais plus où nous en sommes, tant les remaniements sont fréquents, le Gouvernement issu du dernier en date étant d’ailleurs appelé à ne pas durer très longtemps. Au demeurant, moins longtemps il durera, mieux ça vaudra.

Mme la présidente. Nous avons achevé l’examen des articles de la proposition de loi.

Je rappelle que la Conférence des présidents a décidé que les explications de vote et le vote par scrutin public sur l’ensemble de la proposition de loi auront lieu le mardi 25 mai, après les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures, est reprise à dix-huit heures quinze.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Titres d’identité

Discussion d’une proposition de résolution

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution de M. Jean-Pierre Dufau et plusieurs de ses collègues sur l’égale reconnaissance des titres d’identité de tous les citoyens français sans distinction d’origine ou de lieu de naissance (n° 2376).

La parole est à M. Jean-Pierre Dufau, auteur de la proposition de résolution.

M. Jean-Pierre Dufau. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État à la justice, mes chers et nombreux collègues (Sourires) , les députés du groupe socialiste, radical et citoyen ont inscrit cette proposition de résolution réaffirmant le principe républicain d’égalité des droits. Elle a un objet précis : l’égale reconnaissance des titres de tous les citoyens français, sans distinction d’origine ou de lieu de naissance. Elle est justifiée et d’application simple.

Depuis des décennies, le renouvellement des papiers d’identité des citoyens français fait l’objet de tracasseries administratives. Depuis plusieurs mois, la situation s’est considérablement aggravée, jusqu’à devenir intolérable. Aux questions au Gouvernement de nos collègues – Jean Glavany le 14 octobre 2009, Serge Blisko le 12 janvier 2010, Annick Girardin, le 10 février 2010, entre autres – s’est ajouté un courrier d’interpellation de Jean-Marc Ayrault au Premier ministre François Fillon, le 11 janvier dernier.

Faut-il rappeler le cas de ce soldat français d’origine sénégalaise ayant servi en Afghanistan, qui, en octobre 2009, se voyait soudain contester sa nationalité française ? Faut-il rappeler les difficultés pour renouveler son passeport dont faisait part Michka Assayas, journaliste et écrivain français, dans une tribune publiée par Le Monde le 31 décembre 2009 ? Son problème ? Avoir une mère réfugiée hongroise, originaire d’une petite ville dont le grand-père paternel de Nicolas Sarkozy fut l’adjoint au maire !

M. Alain Néri. Ah !

M. Jean-Pierre Dufau. Le Médiateur de la République a relayé les difficultés rencontrées pour le renouvellement de son passeport par un haut fonctionnaire retraité du ministère de l’économie, né à Lyon, en 1942, de parents nés à l’étranger.

Hier soir, sur LCP, une Française d’origine italienne a souligné les difficultés pour obtenir, en janvier 2010, le renouvellement du passeport de sa fille aînée, suivies, trois mois plus tard, du refus de passeport opposé à sa fille cadette.

M. Alain Néri. Sarkozy aussi !

M. Jean-Pierre Dufau. Résultat : cette famille ne pourra pas partir en vacances ! On pourrait multiplier les exemples, d’autres intervenants le feront sans doute.

Ces obstacles résultent d’une suspicion à l’égard de citoyens français lors du renouvellement de leurs passeports et cartes d’identité s’ils sont nés à l’étranger, ou de parents nés à l’étranger ou dans un ancien territoire français ayant accédé à l’indépendance. En 2008, l’INSEE évaluait ces cas potentiels à plus de 3 millions de personnes.

Vous-même, monsieur le ministre, m’avez confirmé que, chaque année, 130 000 à 150 000 Français sollicitaient un certificat de nationalité auprès du tribunal d’instance. Vous n’avez pas été en mesure de me préciser combien le faisaient au titre du renouvellement de papiers d’identité. Peut-être aurai-je la réponse tout à l’heure.

Il ne faut pas mésestimer l’ampleur ni la gravité des ces situations. Ce qui paraît à l’administration un simple complément d’information se révèle pour les administrés un humiliant parcours du combattant.

M. Serge Blisko. Tout à fait !

M. Jean-Pierre Dufau. Pour eux, ces multiples documents exigés sont l’espoir d’obtenir le certificat de nationalité, véritable sésame pour la délivrance ou le renouvellement d’une pièce d’identité. S’engagent alors des recherches fastidieuses pour retrouver des documents perdus ou conservés à l’étranger. Ce n’est qu’au bout de plusieurs mois, voire plusieurs années, qu’enfin le renouvellement est accordé – quand on ne renvoie pas le demandeur à la case départ parce qu’il a présenté des papiers périmés depuis plus de deux ans. On considère alors qu’il doit faire une nouvelle demande, et donc recommencer tout le parcours. Entre-temps, ces Français n’ont pu se rendre à leurs obligations professionnelles ou familiales – mariage, décès ou maladie d’un proche – faute de passeport ou de carte d’identité. C’est un drame humain et familial.

M. Alain Néri. C’est tristement vrai !

M. Jean-Pierre Dufau. Force est de constater que ces difficultés, récurrentes depuis de trop nombreuses années, ont sensiblement augmenté ces derniers mois et deviennent intolérables. Le Gouvernement reconnaît ces réalités, puisqu’il multiplie les circulaires en la matière : le 10 janvier 2000, le 31 décembre 2004, le 24 septembre 2007, le 2 décembre 2009, le 2 février 2010 et, enfin – coïncidence heureuse ! –, un nouveau décret le 18 mai 2010. C’est bien la preuve que cette résolution est totalement justifiée et pointe un phénomène de société très actuel.

Malheureusement, les textes que je viens de citer ne règlent pas les problèmes – même s’ils constituent des avancées, je suis le premier à le reconnaître. Nous avons été écoutés, mais non pas entendus.

Ainsi, le décret du 18 mai, censé regrouper le contenu de l’ensemble des textes précédents, n’est pas du tout satisfaisant. D’abord, conformément à la loi du genre, il est incompréhensible et illisible par tout individu normalement constitué – il est, selon l’expression consacrée, abscons. En ce sens, on ne peut pas parler de simplification administrative, et la devise des Shadoks est toujours d’actualité : « Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?»

Citons, par exemple, l’alinéa c) du paragraphe I de l’article 4-1 :

« En cas de demande de renouvellement, la carte nationale d’identité est délivrée sur production par le demandeur : c) Ou, sous réserve de la vérification des informations produites à l’appui de la demande de cet ancien titre, de sa carte nationale d’identité délivrée en application des articles 2 à 5 du décret du 22 octobre 1955 susvisé dans sa version antérieure au décret n° 87-178 du 19 mars 1987, valide ou périmée depuis moins de deux ans à la date de la demande de renouvellement ».

En clair, cela signifie qu’un citoyen français ayant obtenu légalement ses papiers d’identité est toujours susceptible, dans le cas d’un renouvellement, de se voir imposer la vérification a priori des informations produites par les pièces anciennes qu’il présente.

Ceci est vécu comme une intolérable suspicion. Faut-il rappeler que ces Français étaient déjà en possession de titres d’identité délivrés par l’administration française ? Ce n’est pas à l’administré de prouver une nouvelle fois sa nationalité déjà reconnue : en cas de doute, la charge de la preuve incombe à l’administration, et non l’inverse. Ces situations kafkaïennes, fondées sur une suspicion généralisée, sont vécues par les intéressés comme vexatoires et discriminatoires : vexatoires par le caractère humiliant de la présomption de fraude pesant sur eux du simple fait de leur origine familiale ou géographique ; discriminatoires car ils considèrent que l’égalité des droits est bafouée et que la loi n’est pas la même pour tous.

On sait que, dans les préfectures notamment, des bureaux spécifiques accueillent les Français nés à l’étranger ou de parents étrangers. Si le terme de discrimination peut choquer, il faut a minima admettre qu’il n’y a pas égalité de traitement administratif selon que l’on est né en France, à l’étranger ou de parents nés à l’étranger.

M. Alain Néri. C’est vrai !

M. Jean-Pierre Dufau. Il serait plus simple que le renouvellement – je parle bien du seul renouvellement – des passeports et des cartes nationales d’identité de tous les Français, nés à l’étranger ou non, soit automatique et de plein droit. Cette proposition est simple, claire, lisible par tous et, je crois, partagée sur tous les bancs de l’hémicycle.

J’en viens à l’examen de l’article unique, qui s’appuie sur le principe fondateur de la République : l’égalité de tous les citoyens devant la loi. Ce principe a inspiré la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et s’est étendu à la Déclaration universelle des droits de l’homme. Il est emblématique de la France.

Au-delà des attendus, cet article unique se décompose en trois paragraphes. Les deux premiers ne posent aucun problème et sont ainsi rédigés.

« 1. Affirme que la République française doit reconnaître la nationalité de tous les citoyens français sans distinction d’origine ou de lieu de naissance. » Nous serons tous d’accord.

« 2. Considère que chaque citoyen français ne peut avoir sa nationalité contestée par l’administration française sans preuve apportée par cette dernière. » Même consensus.

En revanche, après discussion, il semble que nos collègues de la majorité aient un problème avec la rédaction du troisième paragraphe :

« 3. Souhaite qu’il soit mis fin aux pratiques administratives vexatoires et discriminatoires visant spécifiquement les Français du fait de leur origine ou de leur lieu de naissance lors du renouvellement de leurs titres d’identité. » Il semble qu’ils n’admettent pas les mots « vexatoires » et « discriminatoires ».

J’en prends acte et je tiens à lever toute équivoque pour qu’un malentendu ne constitue pas un mauvais prétexte au rejet de cette résolution. Quand sont évoquées les pratiques administratives vexatoires et discriminatoires, monsieur Lamour,…

M. Jean-François Lamour. Ne me prenez pas à partie, je vous écoute très poliment !

M. Jean-Pierre Dufau. Je vous remercie de votre écoute attentive…

L’évocation, donc, des pratiques administratives vexatoires et discriminatoires ne vise aucunement l’actuel Gouvernement. Il ne s’agit pas d’un procès d’intention, que cela soit clair ! J’ai d’ailleurs précisé que ces tracasseries administratives duraient depuis des décennies. En tout cas, aucun parlementaire de bonne foi ne peut nier que les administrés vivent ces pratiques administratives comme vexatoires et discriminatoires. Il s’agit d’un ressenti compréhensible. C’est un état de fait et les témoignages sont nombreux dans ce sens, tant la notion d’identité française est pour chaque citoyen une valeur forte, vécue affectivement par ceux qui, d’origine étrangère, ont acquis notre nationalité.

Toute suspicion de procès d’intention étant levée, l’application de la résolution est simple : renouvellement automatique et de plein droit des papiers d’identité de tous les Français, sans distinction. Au moment où le vote aura lieu, j’appelle chacun d’entre vous à sa responsabilité à l’égard de l’attente des personnes concernées.

L’adoption de cette résolution par l’ensemble des députés serait fidèle à l’image de la France ; elle honorerait la représentation nationale et distinguerait le gouvernement chargé de la mettre en œuvre. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État à la justice.

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État à la justice. Monsieur Dufau, vous êtes l’auteur d’une proposition de résolution qui concerne un sujet primordial : l’égalité de tous les Français devant la loi, principe fondateur de notre République, sur lequel on ne saurait transiger et qui doit naturellement s’appliquer à la délivrance des titres d’identité. Nous sommes tous d’accord là-dessus.

Parce que c’est un sujet majeur, je n’entrerai pas dans le jeu de la polémique politicienne. Bien au contraire, je voudrais d’abord vous rappeler, en toute objectivité, l’état actuel du dossier, avant de vous exposer les raisons qui militent, du point de vue du Gouvernement, en faveur du rejet de cette proposition de résolution.

M. Alain Néri. Oh non !

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État. Les médias ont relayé à plusieurs reprises, en début d’année, des situations individuelles tout à fait anormales. Vous en avez cité quelques exemples. Certains de nos concitoyens, français depuis longtemps, se trouvaient dans l’obligation de justifier de leur nationalité française à l’occasion du renouvellement de leur carte nationale d’identité ou de leur passeport.

L’Alsacien que je suis a eu à connaître de ce genre de situation depuis des décennies. Des personnes de la génération de nos parents, de par les aléas de l’histoire, sont nées avec une autre nationalité et ont rencontré des difficultés.

M. Alain Néri. Il faut régler cela d’urgence !

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État. Ne pouvons-nous nous écouter les uns les autres ? J’ai écouté de manière très respectueuse M. Dufau.

M. Henri Emmanuelli. Nous sommes respectueux, mais nous voulons des résultats !

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État. Monsieur Emmanuelli, mon propos sera extrêmement concret.

Il existait par endroits – je pars d’un constat que nous pouvons partager – des tracasseries administratives inacceptables, qui pouvaient être légitimement vécues par certains de nos concitoyens comme une blessure ou même comme une humiliation.

Dès qu’il a eu connaissance de ces dysfonctionnements, le ministre de l’intérieur, que je représente dans ce débat, a immédiatement réagi.

Il a d’abord demandé aux préfets, sans attendre, de faire preuve de davantage de discernement et d’éviter toute pratique offensante pour nos administrés. Il a saisi, parallèlement, l’Inspection générale de l’administration afin de comprendre la nature précise du problème rencontré et de le régler rapidement et définitivement. L’IGA a fait plusieurs visites de terrain dans les mairies et les préfectures, et est parvenue à un double constat.

Pour l’ensemble de nos compatriotes – en dehors de certaines situations particulières –, une partie des justificatifs demandés étaient superflus, notamment dans le cas de demande de renouvellement avec présentation de l’ancien titre sécurisé.

Pour nos compatriotes nés à l’étranger, ou nés en France de parents nés eux-mêmes à l’étranger et dont la nationalité française, pour cette raison, ne se déduit pas facilement de l’acte d’état civil présenté, la procédure aboutissait trop souvent à saisir le greffe du tribunal d’instance en vue de la délivrance d’un certificat de nationalité française. Cette démarche, parfois superfétatoire, était perçue par les intéressés comme une remise en question, par la puissance publique, de leur nationalité française. Cela revient à l’exemple que j’ai cité tout à l’heure.

Le constat était donc sans appel. Il fallait donner un coup d’arrêt à ces errements. Le Gouvernement s’y est immédiatement employé, en saisissant l’occasion pour simplifier considérablement l’ensemble des procédures, de sorte que cette simplification profite à tous nos compatriotes. C’est chose faite depuis le 1 er  mars, sans pour autant porter atteinte à l’efficacité de la lutte contre la fraude et l’usurpation d’identité.

La circulaire – mais il n’y a pas que la circulaire – adressée par Brice Hortefeux et Bernard Kouchner aux préfets et aux ambassadeurs le 1 er  mars dernier a posé quatre nouveaux principes.

Premier principe : pour l’obtention d’un titre, carte nationale d’identité et passeport sont désormais interchangeables. Posséder une CNI plastifiée permet d’obtenir un passeport sans avoir à justifier à nouveau de son état civil ou de sa nationalité française, et posséder un passeport électronique ou biométrique permet d’obtenir une CNI dans les mêmes conditions.

M. Jean-Pierre Dufau. Et pour ceux qui n’ont pas ces documents ?

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État. Deuxième principe : pour le renouvellement d’un titre, les justificatifs à fournir sont moins nombreux que pour une première demande. Dès lors que ni l’authenticité du titre à renouveler, ni l’identité du demandeur n’est contestée par l’administration, il n’y a aucune raison que l’intéressé ait à prouver une nouvelle fois qu’il est français. Pour les renouvellements de carte d’identité ou de passeport, donc, la nationalité française du demandeur n’a plus à être revérifiée.

Troisième principe : en cas de présentation d’une carte nationale d’identité plastifiée ou d’un passeport électronique ou biométrique, les démarches sont simplifiées à l’extrême. En effet, dans cette hypothèse, l’état civil du demandeur et sa nationalité française se lisent directement sur le titre à renouveler. Il n’est donc plus demandé, dans ce cas, de justificatif de nationalité française, ni même d’acte d’état civil, ce qui constitue pour les usagers et pour les communes un allégement considérable des charges administratives. Les deux tiers des neuf millions de titres produits chaque année étant des renouvellements, cela représente plusieurs millions de justificatifs en moins chaque année. Ce n’est pas rien !

Quatrième principe : dans les cas, bien précis, où la vérification de la nationalité reste nécessaire, les moyens les plus simples pour le demandeur sont privilégiés. En particulier, la saisine du greffe du tribunal d’instance en vue de la délivrance d’un certificat de nationalité française n’est désormais qu’une solution de tout dernier recours, une fois épuisées tous les autres moyens de preuve : document, même ancien, attestant de la nationalité française, possession d’état de Français, etc.

En application de ces principes, les demandeurs qui renouvellent leur CNI plastifiée ou leur passeport biométrique ou électronique n’ont désormais à fournir que des pièces élémentaires : photographies, justificatif de domicile, formulaire CERFA, timbre fiscal le cas échéant. Ils n’ont plus à justifier de leur nationalité, ni même à fournir un acte d’état civil.

M. Jean-Pierre Dufau. Bref, tout va bien ?

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État. J’ai l’impression que cela vous dérange que nous ayons fait le travail que vous attendiez que l’on fasse ! Vous avez dit vous-même, en insistant sur votre absence d’esprit polémique, que cette affaire durait depuis longtemps, et vous avez cité différents exemples. Nous sommes ici dans le concret.

Ces principes étant posés, trois mesures ont été prises sans délai afin de garantir leur mise en œuvre immédiate. Parce que les agents des mairies assurent l’accueil des demandeurs, le ministre de l’intérieur a écrit dès le 3 mars, soit deux jours après la signature de la circulaire, à tous les maires de France pour les informer du nouveau dispositif et leur demander de le mettre en application immédiatement.

M. Jean-Pierre Dufau. Ça ne marche pas !

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État. Si, ça marche !

Dans le même temps, les préfets ont reçu instruction d’organiser une réunion d’explication de cette réforme avec les communes de leur département.

Enfin, monsieur Dufau, une plaquette d’information sur les nouvelles règles, destinée au grand public, a été mise à la disposition des mairies et tirée à 500 000 exemplaires – à quoi s’ajoute sa diffusion sur Internet.

Lorsque vous avez dit qu’il s’agissait d’un document abscons, je l’ai relu attentivement, avec l’œil d’un élu local, en me disant qu’il fallait que cela soit simple, pour que les gens comprennent bien.

M. Jean-Pierre Dufau. Je sais de quoi je parle !

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État. Ce document est pratique, simple, excellent.

M. Henri Emmanuelli. Tout va bien, alors ?

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État. Monsieur Emmanuelli, si vous ne l’avez pas lu, étudiez-le. C’est un document très facile à utiliser. Je ne comprends pas les critiques que vous lui adressez.

Monsieur Dufau, j’ai écouté votre propos sur ce sujet qui nous passionne tous. Vous prétendez que le dispositif ne marche pas, mais le bilan est bel et bien positif. J’en veux pour preuve qu’aucune situation individuelle problématique postérieure au 1 er  mars ne nous a été signalée.

M. Jean-Pierre Dufau. C’est faux !

M. Jean-François Lamour. Non, c’est vrai !

M. Jean-Pierre Dufau. C’est faux ! J’en ai des preuves !

Mme la présidente. Je vous en prie, mes chers collègues.

Poursuivez, monsieur le secrétaire d’État.

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État. Je ne souhaite pas polémiquer. Je ne prétends pas tout savoir, je ne prétends pas qu’il n’y ait aucun problème. Je sais simplement que, lorsque les choses ne vont pas, les protestations remontent, parfois massivement. En l’occurrence, nous avons le sentiment que les choses vont mieux, ce qui montre que les mairies et les préfectures ont bien intégré les nouvelles directives.

M. Jean-Pierre Dufau. Pour vous, il n’y a pas de problèmes ?

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État. Il n’y a pas de problèmes d’application de cette directive.

Ce constat est confirmé par un rapport de l’Inspection générale de l’administration, remis le 22 mars dernier. Elle avait fait un premier rapport, qui était sans concessions ; on ne peut donc la soupçonner de ne pas avoir pris sa mission au sérieux. Ce nouveau rapport indique que « la circulaire du 1 er  mars est connue et diffusée sur l’ensemble des sites visités » et que « les agents municipaux, qui avaient souvent le sentiment de faire un travail extrêmement tatillon au regard des usagers, reconnaissent l’intérêt de la simplification ».

M. Jean-Pierre Dufau. Si je comprends bien, les Français ont tort et le Gouvernement a raison !

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État. Enfin, le Conseil d’État a été saisi d’un projet de décret modifiant la réglementation applicable dans le sens posé par la circulaire du 1 er  mars. Vous faisiez allusion, dans vos propos, à ce décret. Il a été publié hier, 19 mai, au Journal officiel .

M. Jean-Pierre Dufau. J’ai parlé de la circulaire du 1 er mars !

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État. Monsieur Dufau, la circulaire du 1 er  mars n’a pas été, comme vous l’avez indiqué tout à l’heure, « une circulaire de plus ». En outre, un décret est supérieur à une circulaire.

Aujourd’hui, le droit et la pratique sont profondément modifiés, dans le sens d’une simplification sans précédent, qui bénéficie à tous nos concitoyens sans exception. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

J’ai l’impression que mes propos vous dérangent en ce qu’ils tendent à montrer l’inutilité de votre proposition de résolution.

M. Henri Emmanuelli. L’inutilité, c’est vous !

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État. À la lumière de ces évolutions, l’adoption de la proposition de résolution n’aurait pas de sens. Elle a, au moins, deux défauts majeurs. Le premier est qu’elle se borne à donner une explication caricaturale et partisane d’un problème réel qui ne date pas de 2010.

M. Jean-Pierre Dufau. Le texte de la résolution n’est pas caricatural !

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État. Je vous rappelle que neuf millions de titres sont délivrés chaque année. Des règles inutilement tatillonnes ont été modifiées, au bénéfice de tous nos compatriotes sans exception,…

M. Jean-Pierre Dufau. C’est faux !

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État. … qu’ils soient nés en France ou à l’étranger, et quelle que soit leur histoire familiale.

Votre proposition de résolution est en outre dépassée…

M. Jean-Pierre Dufau. Non !

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État. …au regard des mesures vigoureuses, que je viens de rappeler, prises en lien avec le groupe de travail dirigé par votre collègue Jean-François Lamour, qui s’est également impliqué dans ce dossier. Il s’est intéressé, autant que vous, à ces difficultés.

Les implications de chacun, la vôtre comme la sienne, sont respectables. De même, l’engagement du Gouvernement est respectable. On peut certes avoir des désaccords sur le sujet, mais personne ne reste indifférent à cette situation et chacun a la volonté de résoudre les difficultés.

Nous avons enregistré un progrès, et c’est pourquoi le Gouvernement conclut au rejet de cette proposition de résolution. Si certains des principes évoqués dans cette proposition de résolution sont des principes républicains, auxquels nous adhérons tous pleinement, certaines formulations, quoi que vous en disiez, sont inutilement polémiques et montrent que leurs auteurs n’ont pas cherché à rédiger un texte consensuel.

Vous avez du mal à écouter les faits que je rappelle, et je m’interroge.

M. Jean-Pierre Dufau. Je ne sais pas qui a du mal à écouter l’autre !

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État. Je pensais que vous souhaitiez que nous vous entendions, que nous apportions des réponses concrètes. Votre proposition de résolution peut être considérée, dans sa genèse, comme une interpellation. Or, un travail a été fait, je l’ai rappelé. Le Gouvernement, ne vous en déplaise, a fait son travail dans l’esprit de ce que vous attendiez légitimement, dans l’esprit qu’un certain nombre de nos concitoyens, d’élus locaux, de fonctionnaires attendaient.

C’est la raison pour laquelle je pense que cette proposition de résolution n’a pas de raison d’être. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Henri Emmanuelli. Vous faites un sale boulot !

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Philippe Folliot, pour le groupe Nouveau Centre.

M. Philippe Folliot. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je commencerai mon propos par la lecture d’une lettre reçue, il y a quelques semaines, d’un de mes amis, Jean-François, qui habite à Lacaune, dans le Tarn :

« Je viens de faire renouveler ma carte d’identité nationale. J’ai eu la malchance de naître à Madagascar, colonie française à l’époque. Mon père était fonctionnaire français en poste sur cette île en 1943.

« Je n’ai pas pu faire inscrire en mention marginale sur mon extrait de naissance à Nantes l’inscription “Français” – le jugement qui le confirme est antérieur à 1998. Ce jugement, je l’ai obtenu en 1969 lorsqu’il avait fallu que je prouve que j’étais français, après avoir fait mon service militaire, pour obtenir mon inscription au Conseil national de l’ordre des chirurgiens dentistes.

« Ma fille aînée a eu des problèmes l’année dernière pour le renouvellement de sa carte d’identité, alors qu’elle est née à Castres, parce que mon extrait de naissance ne portait pas la mention marginale “Français”.

« J’aimerais bien régulariser ma situation pour éviter dans le futur des problèmes à mes enfants et à mes petits- enfants.

« Pouvez vous saisir le Médiateur de la République à ce sujet ?

« Comment un jugement peut-il être trop ancien ? »

M. Henri Emmanuelli. C’est une nouveauté juridique !

M. Philippe Folliot. « Faut-il en faire faire régulièrement ?

« Sans compter que les archives de mes parents et de mes grands-parents, nés tous deux à La Réunion sont pratiquement impossibles à obtenir vu l’éloignement géographique.

« J’ai bien sûr fait mon service militaire en son temps –1969-1970. »

M. Jean-Pierre Dufau. Et comment cela se passe-t-il pour les femmes, qui ne faisaient pas de service militaire ?

M. Philippe Folliot. « Il est inadmissible, à mon âge, d’avoir des difficultés à prouver que je suis français. Dans l’attente de voir ma nationalité définitivement mentionnée sur mon extrait d’acte de naissance à Nantes, soyez assuré, monsieur le député, de mon plus profond respect. »

J’aurais tout aussi bien pu vous citer les courriers de Mme Marie-Christine A., habitante de Castres née en Algérie, qui m’a renvoyé sa carte d’électeur, de Mme Lylie D., d’origine britannique, devenue française en 2009 devant le tribunal de Castres, ou de Mme Gloria S., née au Pérou.

M. Jean-Pierre Dufau. Hélas, les cas sont nombreux !

M. Philippe Folliot. Il y a là un enjeu majeur lié à la notion d’attachement à la nation. Permettez-moi de citer John Dos Passos : « Vous pouvez arracher l’homme du pays, mais vous ne pouvez pas arracher le pays du cœur de l’homme. »

M. Serge Blisko. Très juste !

M. Philippe Folliot. Pour nos concitoyens, la pièce d’identité est le symbole de l’appartenance à la communauté nationale.

M. Henri Emmanuelli. Il n’y a que Johnny Hallyday qui n’a pas perdu sa nationalité : il est juste exilé fiscal !

M. Philippe Folliot. La communauté nationale doit être infiniment respectée, et l’on ne peut, sous couvert de liberté artistique, y porter atteinte, comme ce fut le cas il y a quelques semaines dans le cadre d’une exposition à Nice, où notre drapeau fut scandaleusement outragé.

Votre proposition de résolution fait écho à un problème réel. Il est des valeurs exprimées par nos collègues socialistes avec lesquelles on ne peut qu’être en accord, et qui sont les fondements de notre République. Tant le premier point de la résolution – « Affirme que la République française doit reconnaître la nationalité de tous les citoyens français sans distinction d’origine ou de lieu de naissance » – que le deuxième point – « Considère que chaque citoyen français ne peut avoir sa nationalité contestée par l’administration française sans preuve apportée à cette dernière » – sont des principes républicains auxquels chaque parlementaire, qu’il soit de droite, de gauche ou du centre, adhère pleinement. Il est en effet injuste et injustifié que les Français nés à l’étranger ou nés en France de parents étrangers fassent l’objet de soupçons, et que leur soient demandés de nombreux justificatifs – de manière excessive et parfois vexatoire – afin de prouver leur nationalité française. En cela, nous nous devons de reconnaître la pertinence de cette initiative.

M. Jean-Pierre Dufau. Très bien !

M. Philippe Folliot. Toutefois,…

M. Jean-Pierre Dufau. Ah !

M. Philippe Folliot. …la délivrance et le renouvellement des cartes nationales d’identité et des passeports ont fait l’objet, le 1 er  mars 2010, d’une simplification majeure.

L’Inspection générale de l’administration, saisie d’urgence par le Gouvernement en février 2010, a confirmé que la demande de certaines pièces était superflue, …

M. Jean-Pierre Dufau. Ça alors !

M. Philippe Folliot. …particulièrement dans le cas d’un simple renouvellement, a fortiori lorsque le demandeur présentait son ancien titre. En outre, une circulaire adressée par le ministre de l’intérieur ainsi que celui des affaires étrangères aux préfets et aux ambassadeurs a posé quatre principes forts.

Pour l’obtention d’un titre, la carte nationale d’identité et le passeport sont désormais interchangeables. Cette disposition vient donc contrecarrer l’argument avancé dans la proposition de résolution, selon lequel « des doutes existent sur la légalité des titres d’identité délivrés précédemment ».

M. Jean-François Lamour. Très bien !

M. Philippe Folliot. De plus, lors d’un renouvellement, les justificatifs à fournir sont moins nombreux que pour une première demande : en particulier, la nationalité française du demandeur n’a pas à être revérifiée.

Lorsque le demandeur présente une carte nationale d’identité plastifiée ou un passeport électronique ou biométrique, l’état civil du demandeur et sa nationalité française sont considérés comme établis. Dans ce cas, il n’est donc plus demandé ni de justificatif de nationalité ni même d’acte d’état civil, ce qui constitue pour les usagers et pour les communes un allégement considérable des charges administratives, soit plusieurs millions de justificatifs en moins chaque année.

Enfin, la saisine du greffe du tribunal d’instance en vue de la délivrance d’un certificat de nationalité française n’est désormais envisagée qu’en tout dernier recours, une fois épuisé l’ensemble des autres moyens, tels que la production de documents, même anciens, attestant de la nationalité française.

Cette circulaire est donc venue alléger considérablement le nombre de justificatifs à fournir, et il n’est plus demandé, désormais, que des pièces élémentaires.

De plus, il nous paraît important de préciser que cette circulaire est assortie d’une explication expresse aux maires de la part du ministre de l’intérieur, afin de leur faire connaître le dispositif pour application immédiate.

M. Jean-Pierre Dufau. Ce ne sont pas les maires qui l’appliquent !

M. Philippe Folliot. Les préfets ont également reçu l’instruction d’organiser une réunion pour expliquer la réforme aux communes du département dont ils ont la charge.

Tout paraît donc avoir été mis en place pour remédier au plus vite à ces situations choquantes, scandaleuses, inconvenantes, et nous ne pouvons que constater les avancées réalisées. En effet, il semble que le ministère de l’intérieur n’ait pas été saisi de nouveaux cas depuis la mise en application de la circulaire en mars dernier. Remis le 22 mars 2010, un rapport de l’Inspection générale de l’administration indique également que « la circulaire du 1 er  mars est connue et diffusée sur l’ensemble des sites visités » et que « les agents municipaux, qui avaient, souvent, le sentiment de faire un travail extrêmement tatillon à l’égard des usagers, reconnaissent l’intérêt de la simplification ».

M. Jean-François Lamour. Exactement !

M. Philippe Folliot. Les deux premiers points soulevés par la présente proposition, s’ils étaient justifiés, ont donc été résolus en grande partie depuis.

M. Jean-Pierre Dufau. En partie seulement !

M. Philippe Folliot. Cette résolution aurait eu d’autant plus de portée si elle avait été réellement consensuelle.

M. Henri Emmanuelli. Ah oui ?

M. Philippe Folliot. Voter cette proposition telle qu’elle nous est présentée, et plus précisément au vu de son troisième point, reviendrait, pour nous centristes,…

M. Jean-Pierre Dufau. Ah !

M. Philippe Folliot. …à considérer que rien n’a été fait avant cette initiative du parti socialiste pour identifier et régler un problème soulevé au demeurant à juste titre, nous le reconnaissons tous.

M. Jean-Pierre Dufau. Vous n’avez rien écouté ! Je n’ai jamais dit cela !

M. Philippe Folliot. Or, comme je viens de l’indiquer, la circulaire du 1 er  mars 2010, d’application immédiate, semble porter ses fruits…

M. Jean-Pierre Dufau. Il y a des fruits pourris !

M. Philippe Folliot. …en mettant fin à l’excès de pièces justificatives exigées.

D’autre part, voter la proposition de résolution reviendrait à dire que le problème reste entier, alors que, dans bien des cas, il est réglé depuis mars 2010…

M. Jean-Pierre Dufau. Non !

M. Philippe Folliot. …et qu’un décret du Conseil d’État en instance de publication au Journal officiel , viendra bientôt modifier le droit et la pratique, conformément aux principes évoqués par la résolution elle-même.

M. Jean-Pierre Dufau. Le centre est partout, la circonférence nulle part, disait Blaise Pascal !

M. Philippe Folliot. Je vous ai écouté sans vous interrompre, monsieur Dufau, et j’estime être en droit d’attendre le même comportement de votre part, vous qui d’habitude êtes si courtois et si respectueux,…

M. Jean-Pierre Dufau. Le respect se mérite ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. Je vous en prie, chers collègues.

Poursuivez, monsieur Folliot.

M. Philippe Folliot. …d’autant que je m’apprêtais à citer votre exposé des motifs : « Alors que le Gouvernement a conduit un débat sur l’identité nationale (…) », « le principe d’égalité entre Français ne s’applique plus sur le territoire de la République ».

Permettez-moi de conclure en citant le point 3 de la proposition, aux termes duquel l’Assemblée nationale « Souhaite qu’il soit mis fin aux pratiques administratives vexatoires et discriminatoires visant spécifiquement les Français du fait de leur origine ou de leur lieu de naissance lors du renouvellement de leurs titres d’identité ». Selon les auteurs de la proposition de résolution, les principes fondateurs de la République que sont l’égalité et l’équité seraient remis en question. Il nous paraît déplacé d’écrire cela.

M. Jean-Pierre Dufau. Interrogez les gens !

M. Henri Emmanuelli. Que faites-vous de la lettre que vous avez lue ?

M. Philippe Folliot. De tels propos jettent le discrédit sur le travail très difficile des fonctionnaires dans les mairies, les préfectures et les ambassades.

M. Henri Emmanuelli. C’est encore la faute des fonctionnaires !

Mme la présidente. Veuillez conclure, monsieur Folliot.

M. Philippe Folliot. N’était ce troisième point, voter cette résolution ne nous poserait pas de difficulté majeure. Au demeurant, vous avez bien senti, monsieur Dufau, qu’il faisait problème puisque vous avez, avec conviction, tenté de le corriger. Mais dans la mesure où il n’est pas possible d’amender le texte et où vous n’avez pas voulu, pour des motifs politiciens, le rédiger différemment, nous ne pouvons voter un texte qui aurait pu et dû être consensuel.

M. Jean-Pierre Dufau. C’est un prétexte ! En fait, cela vous tire une épine du pied !

M. Philippe Folliot. Aussi le groupe Nouveau Centre et apparentés regrette-t-il très sincèrement (Exclamations sur les bancs du groupe SRC) d’être amené à ne pas pouvoir voter cette proposition de résolution. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. Henri Emmanuelli. Quel faux-cul !

M. Philippe Folliot. Je n’ai pas de leçons à recevoir !

Mme la présidente. Je vous en prie, mes chers collègues.

M. Henri Emmanuelli. J’ai beaucoup de défauts, mais pas celui-là !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Lamour.

M. Jean-François Lamour. Madame la présidente, mes chers collègues, la nationalité, c’est ce lien indéfectible qui rattache un homme ou une femme à son pays. Si elle ne se résume heureusement pas à une carte d’identité ou à un passeport, il n’en demeure pas moins que seuls ces deux documents permettent d’en faire la preuve dans les démarches de la vie quotidienne.

Depuis le mois de janvier dernier, nous savons que certains de nos compatriotes, nés à l’étranger ou de parents nés à l’étranger, ont éprouvé de grandes difficultés à obtenir les papiers d’identité auxquels ils pouvaient légitimement prétendre, à cause d’une procédure administrative dont les dysfonctionnements ont été rapidement établis. Des courriers et messages électroniques à l’instar de la lettre citée par Philippe Folliot, nous en avons reçu, nous aussi, des dizaines, des centaines.

M. Jean-Pierre Dufau. Tout à fait !

M. Jean-François Lamour. Nous avons rencontré dans nos permanences des citoyens, des familles qui ne comprenaient pas pourquoi l’on remettait en question leur appartenance, celle de leurs parents et grands-parents, à la nation.

M. Jean-Pierre Dufau. Cela continue !

M. Jean-François Lamour. On ne saurait naturellement vous reprocher, monsieur Dufau, de vous inquiéter de ces difficultés. On ne saurait non plus vous faire grief de souhaiter qu’elles n’existent plus. On se doit néanmoins de noter que vous arrivez après la bataille…

M. Jean-Pierre Dufau. Pas du tout !

M. Jean-François Lamour. …en dénonçant un problème dont la majorité s’est emparée il y a plusieurs mois, et auquel elle a déjà mis un terme. Et l’on se doit par conséquent de relever la manœuvre politicienne qui se cache derrière votre proposition de résolution.

La fonction d’une résolution soumise au vote de l’Assemblée nationale est de permettre au Parlement de se prononcer solennellement sur une question qui intéresse toute la société,…

M. Jean-Pierre Dufau. C’est le cas !

M. Jean-François Lamour. …en l’absence de disposition normative. Dès lors, quelle est l’utilité d’une résolution, lorsque la question qu’elle prétend soulever a déjà été réglée ?

M. Jean-Pierre Dufau. Justement, elle ne l’a pas été !

M. Jean-François Lamour. Je vous le dis : une telle résolution n’a aucune utilité sur le fond. Pour ceux qui la déposent, en revanche, elle est un bon moyen de tirer la couverture à eux, en faisant croire qu’ils ont pris une part au règlement du problème.

Chers collègues de l’opposition, monsieur Dufau, croyez- bien que les Français ne sont pas dupes de la récupération que vous tentez aujourd’hui.

M. Jean-Pierre Dufau. Ce n’est pas très correct !

M. Jean-François Lamour. Ceux de nos concitoyens qui ont été confrontés à ces situations délicates savent en effet parfaitement que ce sont les députés de la majorité qui ont relayé, auprès des pouvoirs publics, les dysfonctionnements qu’ils rencontraient.

M. Jean-Pierre Dufau. Et c’est vous qui parlez de tirer la couverture à soi ?

M. Jean-François Lamour. Ils savent aussi que le gouvernement de François Fillon a adopté, à l’initiative de Brice Hortefeux et aussitôt qu’il a eu connaissance de ces dysfonctionnements, des dispositions visant à les faire cesser.

M. Jean-Pierre Dufau. Cela fait huit ans que vous êtes au pouvoir !

M. Jean-François Lamour. Et, si vous écoutiez attentivement les réponses aux questions que vous-mêmes posez – rappelez-vous, le 10 février dernier, c’était une question de Mme Annick Girardin, qui parlait, avec un indéniable sens de la nuance, « de centaines de milliers de Français traités comme des sous-citoyens » –, vous sauriez que, dès le début de l’année, le ministre de l’intérieur avait annoncé la préparation d’un décret pour y mettre un point final.

Qu’il me soit permis d’employer le temps qui m’est imparti à une courte séance de rattrapage, qui précisera utilement le déroulement chronologique des événements.

Au mois de janvier, nous avons reçu les plaintes de certains de nos compatriotes auxquels l’administration refusait de délivrer des papiers d’identité.

Dès le 9 février, le président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, Jean-François Copé, annonçait la création d’un groupe de travail chargé de recueillir et de signaler les cas de non-renouvellement manifestement infondés. François Vannson, Jean-Marc Roubaud et moi-même avions la charge de mener à bien cette mission.

Parallèlement, l’Inspection générale de l’administration, saisie sans délai par le ministre de l’intérieur, Brice Hortefeux, confirmait les faits dénoncés et énumérait les documents superflus.

Il n’a pas fallu un mois de plus pour qu’une circulaire, adressée aux préfets et aux ambassadeurs par les ministres de l’intérieur et des affaires étrangères, vienne, le 1 er  mars, simplifier radicalement la procédure, de telle sorte qu’il n’est désormais plus exigé de justificatif de nationalité ni d’acte d’état civil.

Pour inscrire cette nouvelle procédure dans la réglementation, un décret a été publié hier au Journal officiel , conformément aux engagements qui avaient été pris devant vous dans cet hémicycle.

Au sein de notre groupe de travail, mes collègues députés et moi-même avons immédiatement entrepris de centraliser et de transmettre les réclamations qui nous étaient communiquées. Ces réclamations se sont totalement taries après l’adoption de la circulaire du 1 er  mars.

M. Jean-Pierre Dufau. Non !

M. Jean-François Lamour. Je l’ai encore vérifié hier à l’antenne de police du 15 e  arrondissement de Paris. Les fonctionnaires en charge de ce secteur me l’ont confirmé.

M. Jean-Pierre Dufau. Moi, j’ai d’autres preuves qui vont en sens contraire !

M. Jean-François Lamour. L’efficacité de la circulaire ne fait donc aucun doute, et nous ne pouvons que nous satisfaire de la publication du décret, qui prend acte de ces avancées.

Ces précisions étant faites, je souhaite à présent vous exposer les sérieuses réserves qu’a notre groupe à l’égard de la proposition de résolution.

Une réserve juridique, tout d’abord. Il est écrit dans l’exposé des motifs qu’il est « désormais » demandé aux Français nés à l’étranger ou dont les parents sont nés à l’étranger un extrait d’acte de naissance et un justificatif de nationalité française. Vous avez deux mois et demi de retard, monsieur le député ! Depuis le 1 er  mars, en effet, ces documents ne sont plus requis que dans les cas extrêmes, lorsque la nationalité ne peut être établie par un document d’identité ou par possession d’état.

Une réserve politique, par ailleurs, car la résolution que vous proposez à notre Assemblée, infondée dans ses motifs, est outrancière dans son expression. Vous ne pouvez en effet affirmer en toute honnêteté que le principe d’égalité entre Français ne s’applique plus sur le territoire de la République. Vous ne pouvez non plus parler de pratiques administratives vexatoires et discriminatoires…

M. Jean-Pierre Dufau. Demandez aux personnes concernées !

M. Jean-François Lamour. …visant spécifiquement des citoyens du fait de leur origine, car cela donne insidieusement à penser que l’administration aurait sciemment poursuivi un but inavouable, alors qu’elle se contentait d’appliquer une procédure dont nous avons nous-mêmes dénoncé les incohérences.

Chacune de ces deux réserves justifie à elle seule le rejet de votre proposition. Vous comprendrez donc aisément que nous nous opposions à son adoption. Tel est le propos que je souhaitais vous tenir pour vous expliquer la démarche de notre groupe politique et les fondements de son vote. En résumé, mon cher collègue, votre résolution, c’est comme un coup d’épée dans l’eau ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Dufau. Venant de vous, j’apprécie. C’est un orfèvre qui parle !

Mme la présidente. La parole est à M. Serge Blisko.

M. Serge Blisko. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, vous avez été saisis par nos concitoyens des difficultés qu’ils rencontrent pour le renouvellement de leurs papiers d’identité, et vous avez tous reconnu que ces difficultés existent.

À cette occasion, chacun de nous a pu constater la complexité d’être français ou, plutôt, à demeurer français aux yeux de l’administration.

La lecture de la presse, de notre courrier, l’écoute dans nos permanences, nous ont révélé le traitement discriminatoire dont nombre de nos concitoyens sont victimes par la faute d’une administration tatillonne, qui méconnaît notre histoire.

Deux éléments apparaissent dans ce traitement discriminatoire.

Le premier, c’est l’ignorance, qui conduit à la méfiance envers ceux qui sont nés à l’étranger. Cette ignorance touche des personnes dont la situation devrait pourtant être parfaitement connue. Je pense à ceux qui sont nés de parents fonctionnaires en poste à l’étranger, aux enfants de militaires en zone d’occupation, en Allemagne ou en Autriche, à qui l’on demande pourquoi leurs parents étaient dans ces pays en 1946 ou 1947 !

M. Philippe Folliot. Ou à Madagascar !

M. Serge Blisko. Je pense aussi à nos concitoyens nés dans notre ancien empire colonial. II y a bien là une ignorance troublante de l’histoire de notre pays, qui est tout de même plus complexe que celle du seul Hexagone, même en y ajoutant – et cela pose aussi des problèmes – les collectivités d’outre-mer.

M. Philippe Folliot. Cela s’appelle le métropolicentrisme !

M. Serge Blisko. Le second, c’est la suspicion dont sont victimes les citoyens nés en France de parents nés à l’étranger. Certains ont renvoyé leur carte d’électeur en expliquant que, d’après l’administration, ils n’étaient plus dignes d’être Français. Une telle suspicion, on le voit, altère très profondément la confiance que leurs parents ou grands-parents avaient témoignée à notre pays.

Un grand nombre de ces enfants nés de parents devenus Français par naturalisation – le droit des étrangers était déjà compliqué, vous n’avez fait que le complexifier ! – étaient très fiers de savoir que leurs parents avaient rejoint la France parce que c’était une terre d’égalité, de liberté, un refuge que beaucoup avaient défendu d’ailleurs en s’engageant volontairement dans l’armée française pendant la Seconde Guerre mondiale ou en rejoignant les rangs de la Résistance.

Les chars de la colonne Leclerc qui libérèrent Paris en août 1944 s’appelaient Teruel ou Aragon car leurs canonniers étaient des républicains espagnols qui voulaient s’associer à la victoire de la France Libre en dépit de l’accueil très médiocre, pour ne pas dire plus, qu’ils avaient reçu en 1939 lors de la victoire du franquisme.

Outre ces étrangers devenus français non par le sang reçu mais par le sang versé, combien, plus modestement, sont devenus français par respect et amour de notre pays, qui leur avait donné la liberté, un toit, une éducation et un avenir ?

Je pense à ces milliers d’ouvriers de l’industrie, aux mineurs de Lorraine, du Pas-de-Calais, du Nord, qui ont laissé leur santé, parfois leur vie, pour rebâtir notre pays après chacune des deux guerres mondiales.

Je pense à ces travailleurs venus d’Espagne, du Portugal, du Maghreb, qui ont reconstruit la France après la guerre, qui en on fait un pays moderne en bâtissant nos écoles, nos hôpitaux, nos aéroports, nos routes.

Aujourd’hui, notre administration exige de leurs enfants des preuves de leur nationalité française, des papiers, toujours des papiers, souvent même des papiers introuvables.

Je pense à cette dame, née dans la Somme de parents ouvriers agricoles polonais venus en 1926. Elle a soixante-dix-neuf ans, et le minuscule village où ses parents sont nés, situé sur le territoire allemand avant 1918, a changé de nom en devenant polonais. Notre présumée fraudeuse ou terroriste de soixante-dix-neuf ans m’explique en pleurant qu’elle n’a plus personne à qui demander où était ce village !

Pensez aux enfants et adolescents rescapés des camps nazis, comme les 426 enfants que le général de Gaulle a fait venir de Buchenwald en France en 1945. L’administration leur demande aujourd’hui des preuves de leur nationalité française. Ils doivent fournir des papiers d’état civil de leurs parents ou de leurs grands parents. Quelle aberration honteuse ! Parmi ces enfants à qui la France a donné une éducation, un métier et un avenir, il y avait Élie Wiesel, Samuel Pisar, et bien d’autres qui ont contribué au rayonnement de notre pays. C’est non seulement ubuesque mais, il faut bien le reconnaître, indigne.

Les refusés du renouvellement sont ceux-là, des personnes âgées, parfois d’anciens combattants, décorés pour des services civils ou militaires. Ils témoignent des cicatrices de l’histoire européenne. Ils témoignent aussi d’un temps où la France étendait sa protection aux minorités du Levant, de l’Orient, de l’Afrique, et accordait la nationalité française à ceux qui, par leur travail, leur amour de la langue française, par leur engagement patriotique, nous avaient choisis.

Au moment même où vous avez développé ce mauvais débat sur l’identité nationale, vous avez fait mine d’oublier qu’à une certaine époque, c’étaient ces étrangers qui choisissaient la France. Ne leur donnez pas l’impression que leurs parents ont fait une erreur en choisissant notre pays.

M. Jean-Pierre Dufau. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Danièle Hoffman-Rispal.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de résolution constitue l’épilogue d’une longue série d’alarmes lancées par les parlementaires socialistes. Les sénateurs des Français de l’étranger et notre ami, le sénateur-maire de Dijon, François Rebsamen, avaient, dès le mois de janvier, sonné le tocsin à propos des difficultés rencontrées par les Français nés à l’étranger ou de parents nés à l’étranger pour faire renouveler leurs papiers d’identité. Je vous rappelle que les différentes questions au Gouvernement posées par mes collègues, de même que le dépôt de cette résolution, sont antérieurs à la circulaire du 1 er  mars. Je finis presque par me demander qui, finalement, récupère depuis un certain temps les propositions que nous faisons !

M. Jean-Pierre Dufau. Eh oui ! Belle riposte !

M. Jean-François Lamour. Il y a la parade !

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Monsieur le secrétaire d’État, nous avons pris connaissance avec attention du décret du 18 mai 2010 relatif à la simplification de la procédure de délivrance et de renouvellement de la carte nationale d’identité et du passeport, mais ce décret arrive bien tard. Pourtant, le Gouvernement a montré qu’il pouvait se hâter, en publiant les décrets relatifs aux jeux en ligne en un temps record…

M. Serge Blisko. Ah ! Les copains !

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Nous espérons que ce décret réglera les cas de rupture d’égalité qui avaient pu être observés en la matière, mais nous craignons que les références aux passeports biométriques et aux cartes d’identité infalsifiables ne laissent de côté les possesseurs de papiers officiels plus anciens. Pour eux, la vérification des informations produites à l’appui de la demande de l’ancien titre pourrait rester la règle en cas de renouvellement.

Je pense ainsi à ces dames très âgées que je connais, qui habitent le 11 e ou le 20 arrondissement, et dont la carte d’identité est périmée depuis plus de deux ans. Un jour, à l’hôpital ou ailleurs, on va leur demander une carte d’identité valide. Elles sont là depuis quatre-vingts, quatre-vingt-dix, quatre-vingt-quinze ans, certaines d’entre elles sont nées ici mais de parents étrangers, et l’acte de naturalisation de leurs parents a plus d’un siècle. Que vont-elles devenir ? Elles n’entrent dans aucun des cas de figure de la circulaire ou du décret.

M. Jean-Pierre Dufau. Aucune humanité !

Mme Danièle Hoffman-Rispal. La suspicion demeure envisageable, sans que l’on sache pour quelle raison. La lutte contre la fraude est évoquée. J’ai du mal à comprendre le raisonne ment tortueux qui pourrait conduire des fraudeurs à utiliser la procédure de renouvellement. Je sais par contre que certains Français sont effrayés par les demandes à effectuer dans les services publics pour un renouvellement légal de papiers.

Voici une autre histoire, celle d’un citoyen français qui s’est présenté à ma permanence il y a quatre mois. Cet homme venait pour obtenir un renseignement somme toute banal, il désirait connaître l’adresse de M. Besson, à qui il voulait écrire pour lui faire part de sa déception autant que de sa colère. Il sortait à peine de l’antenne de police où l’on venait de lui apprendre qu’il n’est pas Français.

Venu déposer une demande de naturalisation pour son épouse, de nationalité algérienne, il lui faut décliner son identité, montrer qu’il est lui-même français. Sa carte d’identité étant périmée, il veut la faire renouveler. On lui demande alors un certificat de nationalité mais il ignore ce que c’est et on ne le lui explique pas. Il doit prouver son ascendance française. Né en Algérie en 1956 d’un père français puis algérien réintégré dans la nationalité française en 1991, il s’est toujours cru français, ayant grandi en métropole. Il n’a, du reste, jamais rencontré de difficultés à obtenir ses papiers, à les faire renouveler ou bien encore à voter. L’administration l’a toujours considéré comme étant citoyen de notre vieux pays, au point de le convoquer pour lui faire subir deux ans de service militaire, privilège réservé aux nationaux.

Entré français dans l’antenne de police, il en est sorti sans plus de nationalité, apatride dirait-on si ce statut existait encore.

Notre proposition de résolution, monsieur le secrétaire d’État, vise à empêcher ces aventures ubuesques. À titre de comparaison, en Belgique, l’établissement d’une carte d’identité nécessite seulement une photo et l’ancienne carte d’identité et encore la procédure est-elle souvent automatique.

Les députés du groupe UMP partagent nos préoccupations puisqu’ils s’étaient saisis de cette question après que nous l’avions portée à leur connaissance lors d’un groupe de travail. M. Folliot lui-même déposera peut-être le mois prochain, à son tour, une proposition de résolution sur le même sujet, que nous voterons bien volontiers.

Circulaires et décrets sont autant de choses compliquées, y compris pour l’administration, monsieur le secrétaire d’État. Adopter cette simple résolution qui permet à tout le monde d’être éclairé et d’empêcher nos concitoyens, en particulier les vieilles dames que j’évoquais, de subir ces tracasseries administratives et ces vexations ne ferait-il pas honneur à notre pays ?

M. Serge Blisko. Très bien !

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur la proposition de résolution auront lieu le mardi 25 mai, après les questions au Gouvernement.

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, mardi 25 mai à quinze heures :

Questions au Gouvernement ;

Explications de vote et vote par scrutin public sur la proposition de loi visant à renforcer l’exigence de parité des candidatures aux élections législatives ;

Explications de vote et vote par scrutin public sur la proposition de loi visant à abroger le bouclier fiscal ;

Explications de vote et votes par scrutin public sur la proposition de résolution sur l’égale reconnaissance des titres d’identité ;

Discussion du projet de loi de réforme des collectivités territoriales.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures quinze.)

Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l’Assemblée nationale,
Claude Azéma