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Commission des affaires européennes

mercredi 9 juin 2010

16 h 15

Compte rendu n° 154

Présidence de M. Pierre Lequiller Président

I. Audition de M. Alex Türk, Président de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL)

II. Examen du rapport d’information de M. Robert Lecou sur une pêche durable en Méditerranée

III. Communication de M. Thierry Mariani sur l’aide macro-financière à l’Ukraine (E 4927)

IV. Communication de M. Jérôme Lambert sur la XLIIIe COSAC à Madrid

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPEENNES

Mercredi 9 juin 2010

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président de la Commission

(ouvert à la presse)

La séance est ouverte à 16 h 15.

I. Audition de M. Alex Türk, Président de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL)

Le Président Pierre Lequiller. Monsieur le Président, nous vous avons déjà reçu à deux reprises, notamment en septembre dernier pour évoquer le dossier « Swift ». Je souhaite aujourd’hui vous interroger plus spécifiquement sur la question des standards internationaux de protection des données personnelles, comme sur l’évolution du dossier Swift et PNR.

M. Alex Türk. Je vous remercie de m’accueillir de nouveau. S’agissant des standards internationaux, quels en sont les enjeux ? Aujourd’hui se développent très rapidement de nombreuses technologies liées au numérique, telles que la biométrie, la vidéosurveillance, ainsi que les réseaux sociaux sur Internet, qui soulèvent des problèmes importants. Or face à ces questions, le monde se divise en deux groupes de pays : d’un côté, l’Europe, quelques pays du Commonwealth comme le Canada, ainsi que plusieurs autres Etats comme la Suisse, l’Argentine ou le Burkina Faso – soit au total 45 pays – partagent une vision commune pour préserver les droits des individus. De l’autre, des pays aussi divers que la Chine, les Etats-Unis, l’Inde, la majeure partie de l’Amérique latine et de l’Afrique, qui ont soit une vision radicalement différente, soit aucune position sur le sujet. De grands acteurs, principalement américains comme Google ou Facebook, développent leurs activités sur le territoire européen mais créent des problèmes juridiques considérables car ils refusent de reconnaître et d’appliquer le droit européen. A cela, il y a trois réponses possibles :

- la solution technologique, pour remédier aux excès de la technologie elle-même, mais encore faut-il que les pays qui sont en mesure de financer les recherches en ce sens le fassent, ce qu’ils n’ont clairement pas intérêt à faire ;

- la pédagogie, qui est en tout état de cause indispensable, pour aider les citoyens à comprendre qu’ils doivent protéger eux-mêmes leurs droits et être vigilants ;

- la solution qui doit être la réponse de long terme : la solution juridique. Il faudrait élaborer d’urgence une vision internationale commune, car la vitesse des évolutions technologiques est bien plus rapide que le « temps juridique ». Mais nous savons que ceci va prendre des années, et entre-temps la situation va continuer à se dégrader jusqu’à devenir, peut-être, irréversible.

Aujourd’hui, lorsque des données sont transférées d’un Etat membre de l’Union européenne vers un pays tiers, la directive de 1995 subordonne ce transfert à la vérification que le pays tiers assure une protection équivalente des droits par rapport à celle garantie par les règles européennes. Mais en réalité cette équivalence n’est pas assurée. D’où la réflexion sur des standards internationaux : est-il possible de se mettre d’accord au niveau international sur des principes fondamentaux de protection des citoyens ? Une approche réaliste, que j’avais préconisée, a été retenue, consistant à procéder en deux temps.

Première étape : à Madrid en novembre 2009, lors de la Conférence des commissaires à la protection des données et à la vie privée, une quarantaine de délégations ont approuvé la définition et le contenu d’un certain nombre de principes fondamentaux.

C’est un progrès historique, mais insuffisant : quelle valeur juridique contraignante peut être donnée à ces principes ? Il faut à présent résoudre ce deuxième problème, sinon aucune protection n’est possible. Les autorités de contrôle dans l’Union européenne doivent convaincre les Etats membres d’entreprendre ensemble un travail commun menant à la rédaction d’une convention internationale, et de la proposer à leurs partenaires mondiaux. Mais beaucoup de ces autorités sont un peu frileuses. En ce qui concerne la France, j’ai écrit au Premier ministre pendant la Conférence de novembre pour lui faire part de ces préoccupations. Et nous cherchons maintenant à rencontrer parlementaires et représentants du gouvernement, car c’est à eux de se saisir du sujet.

Nous faisons donc un gros travail pour créer un groupe de pression global. La CNIL agit en ce sens au sein de la Francophonie, les Espagnols font de même dans la zone hispanophone, et il convient d’entreprendre aussi des démarches en direction des Etats-Unis et des pays d’Asie, notamment. A cet égard, je trouve tout à fait dommageable que la France et le Royaume-Uni ne revendiquent pas une place à l’APEC, puisque ces deux Etats sont présents dans le Pacifique. Ceci nous donnerait la possibilité de nous faire entendre dans cette région du monde alors que les Etats-Unis sont en train d’y introduire leur conception, bien moins étendue, de la protection des données personnelles.

Je suis actuellement très pessimiste. Les enjeux sont graves, lourds et urgents. Les mastodontes anglo-saxons sont en voie de prendre des positions monopolistiques telles que la situation deviendra irréversible. Je vous appelle, messieurs les députés, à reprendre en charge cette problématique qui conditionne non seulement l’exercice de nos libertés mais aussi nos capacités concurrentielles à l’échelle mondiale.

M. André Schneider. Parmi les trois solutions que vous nous présentez comme envisageables, je me place sur le terrain de la pédagogie. Je reçois chaque jour de nombreux e-mails dont les auteurs sont souvent anonymes et le contenu, d’intérêt variable et présentant parfois des risques. Tous les utilisateurs de messageries électroniques, enfants et adultes, reçoivent des messages qui leur demandent, sous des prétextes divers, de communiquer leurs coordonnées, d’adhérer à des réseaux tels que Facebook en y diffusant des photos personnelles qui se retrouvent ensuite visibles dans le monde entier, etc. Comme maire, j’ai financé des activités d’initiation à l’informatique, destinées par exemple à des personnes âgées. Mais les risques sont réels. Nous le voyons bien nous-mêmes, pendant les campagnes électorales par exemple nous sommes sollicités, interpellés et commentés par des interlocuteurs dont nous ignorons l’identité et la localisation. Que peut-on faire face à ces phénomènes ?

M. Pierre Bourguignon. Quelles sont les perspectives d’accord entre l’Europe et les Etats-Unis sur le financement du terrorisme à travers l’affaire Swift ? Les conditions pour un accord sont-elles remplies ? On retrouve dans ce dossier des problématiques fondamentales liées au précédent sujet : le problème des recours judiciaires, celui des acteurs qui ne reconnaissent pas le droit européen, celui de la conservation et de l’élimination des données collectées, le transfert de données en vrac ou vers des pays tiers… Comment créer de nouveaux rapports de force ? Va-t-on se diriger vers un programme européen de lutte contre le financement du terrorisme ?

Le Président Pierre Lequiller. Merci de nous sensibiliser ainsi à la nécessité d’une convention internationale. C’est un élément qui intéresse notamment le rapporteur de la Commission des affaires européennes sur ces questions, M. Guy Geoffroy.

M. Alex Türk. Depuis un an et demi, nous avions alerté les pouvoirs publics sur la question Swift. Le Parlement européen a réagi et il y a des négociations menées, de manière plus ou moins clandestines, avec les Etats-Unis sur ce point. Le G29 va reprendre ces questions. L’objectif est clair. Il ne s’agit pas de s’opposer à l’utilisation de données dans la lutte contre le terrorisme, mais de permettre à l’Union européenne d’effectuer des contrôles sur l’usage qui est fait des données intra-bancaires qui la concernent.

Les deux exemples donnés par M. Schneider sont caractéristiques. La question des spam ne peut être réglée en l’état car les Etats-Unis ne s’intéressent pas au sujet et 90 % des spam en proviennent. Facebook pose de réelles difficultés vis-à-vis des publics les plus jeunes. Récemment j’ai pu constater dans le nord, en visitant deux classes de CM2, que plus de 90 % des élèves y était affiliés alors que Facebook, dans ses conditions générales d’utilisation, déclare être interdit au moins de 13 ans. Néanmoins, cette entité ne s’estime pas tenue sur le plan juridique. Les déclarations de son président directeur général, Mark Zuckerberg, selon lesquelles il convient de réviser notre conception des libertés individuelles et de la vie privée pour l’adapter aux nouvelles technologies, ne sont pas acceptables. Je pense au contraire que la technologie doit être maîtrisée pour pouvoir être l’instrument d’enrichissement personnel et de dialogue social qu’elle peut être, en respectant notre conception partagée de la liberté, de la vie privée ainsi que les principes d’identité et d’intimité. Telle qu’elle est exposée, cette conception d’adaptation des libertés publiques à la technologie est insupportable. L’une des difficultés de Facebook est que celui qui sort du système ne peut avoir aucune certitude que l’ensemble des informations qu’il a données à un moment sont effacées. C’est d’ailleurs un problème plus vaste puisque Google a reconnu avoir, pour la technique de géo-localisation, utilisé un logiciel qui permettait également de récupérer à un moment précis la totalité des informations des utilisateurs en train d’utiliser leur e-mail. La réponse de Google face à cette atteinte à la vie privée a été la suivante, en substance : une erreur a été commise mais elle sera corrigée. Ce n’est pas non plus admissible car une infraction a été commise.

Pour résoudre ces difficultés, il faut expliquer aux opérateurs qu’ils doivent respecter les règles européennes sur la protection des données ainsi que celles du droit de la consommation. Une évolution du droit est nécessaire et il convient que la France et l’Union européenne se mobilisent et mobilisent leur partenaire américain pour définir des règles juridiques d’usage de ces réseaux qui devraient fonctionner suivant des standards internationaux acceptés, mis en œuvre avec des règles juridiques contraignantes.

M. André Schneider. Il faut agir. Il y a un certain nombre de risques majeurs comme celui d’une importante vague suicide chez les jeunes.

M. Alex Türk. Le problème se pose effectivement avec les jeunes qui ont donné des informations ou diffusé des documents qui à un moment les mettent en difficulté sur le plan personnel ou sur le plan professionnel. S’ils ont oublié une tête de réseau lorsqu’ils ont souhaité retirer ces informations, c’est le principe de l’hydre qui fonctionne. Tout peut se reconstituer à partir de cette seule tête qui a échappé aux opérations.

Sur un plan plus général, c’est d’ailleurs le problème plus vaste du cloud-computing ou du nuage informatique. Il y a dans différents entrepôts des systèmes informatiques qui stockent des milliards de données dont personne n’a réellement la maîtrise. Google a indiqué détenir une quarantaine de ces sites. Nombre de ces sites contiennent des données personnelles que des grandes sociétés ne traitent pas elles-mêmes mais confient à des opérateurs externes. En définitive, on se trouve face à ce que j’appelle des déchets info-actifs. Nul ne sait qui en a la propriété et la maîtrise. C’est un point de vulnérabilité essentiel sur lequel il faut aussi un engagement international des pays et la création de règles.

Le Président Pierre Lequiller. N’y a-t-il pas également un problème de concurrence car les trois sociétés en cause sont américaines ? Qu’est-ce qui pourrait amener les autorités concernées à signer une convention internationale telle que celle proposée ?

M. Christophe Caresche. Une mission d’information a été créée au sein de l’Assemblée nationale sur ces sujets. J’ai sur le fond un point de vue plus optimiste sur ces réseaux dans la mesure où les responsables ne sont pas inconscients, qu’à long terme ces problèmes sont bien perçus, le risque étant une mise en cause de l’existence même de ces réseaux. Leurs utilisateurs peuvent avoir des réactions qui les obligent à bouger.

M. Alex Türk. C’est vrai notamment pour les grandes sociétés, lesquelles sont plus sensibles à ces risques car leur développement économique ne peut se faire sans la confiance. Mais cela ne résout pas la totalité du problème.

En fait, il convient de revenir aux fondamentaux, et appliquer le droit de consommateurs. Un internaute est plutôt dans la situation d’un consommateur avec des droits ou des devoirs. Aussi essaie-t-on en ce moment de faire intégrer l’autorité américaine de protection des consommateurs, la FTC, l’autorité internationale de protection des données, de telle sorte que les règles puissent également s’appliquer et être respectées sur le territoire américain. Il y a néanmoins une difficulté avec les internautes. Lorsque l’on met en évidence des comportements contestables des opérateurs, les victimes les défendent au nom d’une certaine vision libertaire de la société. La critique qui est adressée à la CNIL est celle de la censure alors que l’on cherche uniquement à protéger la vie privée. C’est toute la force des opérateurs que de pouvoir être défendus par des internautes qui sont leurs victimes potentiels. En termes de communication la lutte est très difficile. Néanmoins l’approche du droit de la consommation est adaptée pour régler les difficultés.

M. André Schneider. Je pourrais vous citer des exemples extrêmement précis où des jeunes, après avoir procédé à des publications qu’ils regrettent, se retrouvent en situation difficile. Le risque de suicide est important.

M. Alex Türk. Si vous avez des cas aussi à signaler, n’hésitez pas.

Le Président Pierre Lequiller. Je vous remercie, Monsieur le Président, de ces éléments. Internet et la protection des données personnelles sont des sujets que notre Commission suit avec une grande attention.

II. Examen du rapport d’information de M. Robert Lecou sur une pêche durable en Méditerranée

M. Robert Lecou, rapporteur. Je souhaite d’abord saluer la mémoire de notre regrettée collègue Arlette Franco, députée des Pyrénées-Orientales, qui, frappée par les conséquences sur l’activité humaine du déclin de la pêche sur le littoral méditerranéen, avait été à l’origine de ce rapport.

Les controverses autour de la pêche au thon rouge ont attiré l’attention du public depuis plusieurs années mais elle n’est pas la seule pêche pratiquée en Méditerranée. Beaucoup d’autres ont marqué l’histoire de cette mer et des continents l’entourant. Cette activité essentielle doit subsister pour permettre aux femmes et aux hommes de continuer à en vivre dignement et à la civilisation méditerranéenne d’être toujours rayonnante.

La Méditerranée est particulière car c’est une mer fermée au sens de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. D’une superficie de trois millions de km2, elle est délimitée par 46 000 km de côtes très découpées et de longueur très différentes selon les vingt et un Etats, de superficies très diverses, qui la bordent. Les plateaux continentaux, zones les plus riches en nutriments, y sont rares, ce qui en fait une mer particulièrement pauvre.

Juridiquement, la Méditerranée est partagée par des zones de différentes natures.

On y trouve en effet :

- des zones économiques exclusives (ZEE) instituées par quelques Etats (Maroc, Tunisie, Chypre, Liban, Syrie), d’autres, comme la France, réfléchissant à en instaurer une ;

- des zones de pêche réglementées par la Convention sur la pêche et la conservation des ressources biologiques de 1996 et créées par l’Algérie, Malte, l’Espagne et la Tunisie ;

- des zones de protection écologique pour la préservation du milieu marin à l’exemple de la mer Tyrrhénienne.

La Libye a, quant à elle, étendu de façon unilatérale, en 1973, sa souveraineté sur le Golfe de Syrte où abondent les thons rouges.

La Méditerranée est une mer carrefour de multiples environnements :

- humains : 150 millions de personnes vivent sur ses bords où se trouvent 600 villes de plus de 10 000 habitants et où 240 millions de touristes passent chaque année. L’évolution démographique est très différente entre les pays non membres de l’Union européenne dont la population a crû de 13 % entre 2000 et 2007, celle des pays membres croissant de seulement 2,6 % ;

- culturel et politique : des différences importantes existent entre les rives Sud et Nord, entre les pays membres et non membres de l’Union européenne, entre les pays de vieille tradition démocratique et ceux où elle est encore en devenir ;

- économique : il y a un clivage entre le Nord industrialisé et le Sud en voie de développement et à forte population.

C’est aussi une mer dont la qualité écologique est très menacée par les pollutions de l’agriculture, de l’industrie, des rejets domestiques (55 % seulement des villes côtières de plus de 10 000 habitants disposant de stations d’épuration) et des transports (30 % du commerce international et 25 % des hydrocarbures y transitent).

La Méditerranée renferme plus de 500 espèces de poissons, de mollusques, crustacés, de mammifères, de tortues… La pêche est surtout celle des poissons bleus (anchois, maquereaux, thons rouges…) et, ensuite, celle des poissons blancs (merlus, soles, loups…). Les principaux pays pêcheurs sont la Turquie, l’Espagne, l’Italie et la Grèce, la France n’occupant que la dixième place.

L’aquaculture méditerranéenne produit principalement des poissons bancs (bars, daurades), la Grèce et la Turquie étant les principaux producteurs. L’élevage des poissons bleus, surtout le thon rouge, est essentiellement effectué à Malte, en Italie, Espagne et Turquie. La France n’est pas bien placée ici, à cause de la concurrence des activités touristiques sur les côtes, mais occupe une forte position en matière d’écloseries. L’aquaculture mérite une réflexion car elle se développe au niveau mondial et sera une réponse au problème alimentaire de la planète.

La pêche au thon rouge est une pêche traditionnelle de la Méditerranée depuis la plus haute Antiquité.

Les prises évoluent de la façon suivante depuis 1950 : 1950–1982 : environ 5 000 tonnes par an ; 1983–1988 : environ 9 000 tonnes par an ; 1989–1990 : environ 10 000 tonnes par an ; 1991–2007 : plus de 16 000 tonnes par an, avec un maximum de 33 000 tonnes en 1994 ; 2008–2010 : environ 10 000 tonnes par an : c’est la période de la réglementation et de l’application des quotas.

La France, premier pays pêcheur depuis 1965, réalise environ 35 % des prises, les autres pays importants étant l’Espagne, la Croatie et la Turquie. L’Algérie et la Tunisie accroissent leur pêche, deux pays non européens étant présents dans cette mer : le Japon et la Corée.

Les ressources en thon rouge font l’objet depuis des années d’une importante controverse entre les pêcheurs considérant que leur état est bon alors que les organisations de défense de l’environnement estiment le contraire. Les scientifiques, quant à eux, reconnaissent une surexploitation du stock et une capacité internationale de pêche excessive sans toutefois conclure à l’extinction de l’espèce.

Il est impossible de trancher ce débat tout en soulignant que les pêcheurs connaissent très bien leur activité et que les scientifiques travaillent de façon rigoureuse. Il serait nécessaire que toutes les parties prenantes puissent confronter leurs points de vue pour établir, de façon consensuelle, un état des lieux.

Depuis la fin des années 1980, le Japon fait une forte consommation (44 000 tonnes par an), de thon rouge, qui peut y atteindre des prix très importants. Des fermes d’engraissement de jeunes thons capturés se sont développées. Actuellement au nombre de 70, elles se situent principalement en Italie, à Malte et en Espagne.

Les fermes et la pêche au thon rouge sont réglementées par la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l’Atlantique (CICTA) créée en 1966.

Le contrôle de la pêche s’effectue d’abord par des quotas qui ont très fortement décru à la suite des Conférences de Dubvrovnik (2006), Marrakech (2008) et Recife (2009) : ils sont passés de 29 500 tonnes (2007) à 28 500 tonnes (2008), 22 000 tonnes (2009) et 13 500 tonnes (2010). Le quota de la France est passé de 3 591 tonnes en 2009 à 2 022 tonnes en 2010.

Des mesures de gestion et de contrôle ont aussi été adoptées : réduction de la campagne de pêche de deux mois à un mois ; présence d’observateurs de la CICTA à bord des senneurs et dans les fermes d’engraissement ; traçabilité du poisson ; déclaration des captures quasiment en temps réel ; pénalisation des contrevenants.

Ces mesures de lutte contre la surpêche entraînent une baisse de rentabilité des senneurs, le plus souvent achetés avec des subventions européennes. Un certain nombre d’entre eux (une douzaine en France en 2010) bénéficient actuellement de plans de sortie de flotte.

La pêche au thon rouge a failli être interdite de fait par la CITES lors de sa dernière réunion de Doha ; la CICTA se réunissant en novembre prochain à Paris après avoir fait procéder à une évaluation de la ressource. Les très graves incidents qui viennent d’avoir lieu en Méditerranée entre des pêcheurs et Greenpeace doivent être condamnés très fermement car les pêcheurs exerçaient leur activité en toute légalité. La Commission vient juste d’arrêter la pêche au thon rouge avant le terme fixé au 15 juin prochain sans avoir encore indiqué les fondements de sa décision.

Une organisation propre à la Méditerranée française organise la gestion communautaire de la pêche : les Prud’homies dont l’origine remonte au Xème siècle. Au nombre de 33 sur le littoral méditerranéen, elles regroupent tous les patrons pêcheurs d’un même port, gèrent quotidiennement les ressources et peuvent rechercher et constater les infractions à la police de la pêche. Mode d’administration au plus près des territoires, elles assurent une exploitation réellement durable de la mer. Elles pourraient servir de modèle à la régionalisation de la pêche qui pourrait être instaurée par la réforme de la politique commune de la pêche.

S’opposant à la pêche industrielle qui repose sur des principes très différents, la pêche artisanale, avec ses institutions communautaires et sa discipline librement consentie, demeure un élément déterminant de la civilisation méditerranéenne dont elle est un puissant élément d’attraction.

Le Président Pierre Lequiller. Je remercie le rapporteur pour son rapport très complet.

M. André Schneider. Dans la mesure où tous les pays sont consommateurs de poissons, il serait utile de connaître la position des autres Etats membres sur ce dossier.

M. Robert Lecou, rapporteur. Le premier juin dernier, je me suis rendu , avec un autre député et deux sénateurs, à une réunion interparlementaire au Parlement européen à laquelle étaient invités l’ensemble des parlementaires nationaux. Au cours de cette journée de larges échanges, la Commission européenne a acté la nécessité d’une régionalisation de la politique commune de la pêche. En effet, il faut éviter de calquer sur des territoires différents, des méthodes uniformes. Pourquoi la Grèce devrait-elle faire ce qui se fait en Mer Baltique ? Je pense que les 27 Etats membres ont bien compris l’enjeu de la prise en compte de la spécificité des régions de pêche.

Le problème de la pêche est très sensible. En effet, si l’homme a pu passer de la cueillette à l’agriculture et de la chasse à l’élevage, il n’a pas réussi à dompter la mer. L’aquaculture n’a pas , pour le moment, été en mesure de se substituer à la pêche. Il faut 15 kilos de poissons sauvages pour nourrir un kilo de thon rouge…L’aquaculture ne peut , dans ces conditions, répondre aux besoins de la consommation.

M. Thierry Mariani. Le hasard de la campagne électorale pour les élections régionales m’a conduit dans des zones de pêche du thon rouge en Méditerranée. J’ai été frappé par le fait que personne ne peut dire quel est l’état exact des réserves . Les écologistes estiment qu’elles sont en baisse. L’IFREMER, dont les scientifiques ne peuvent être soupçonnés de partialité, indique en revanche, dans ses travaux établis à partir de survols aériens du golfe du Lion, que la ressource a été améliorée.

Je regrette l’emballement médiatique autour de la campagne engagée par le Prince de Monaco et je souhaiterais savoir sur la base de quelles informations scientifiques elle a été initiée.

Par ailleurs, va-t-on disposer d’une autre étude que celle de l’IFREMER dont on ne peut mettre en cause la neutralité scientifique ?

Enfin, je voudrais souligner que les pays européens se doivent d’être tous exemplaires en matière de respect de la réglementation. Or on peut regretter la fragilité des dispositifs de contrôle dans certains pays du Sud. Si les pêcheurs bénéficient d’aides en contrepartie d’acceptation de contrôles, il est nécessaire que tous respectent leurs obligations et que les pays du Nord ne soient pas les seuls à faire les frais d’une réglementation rigoureuse.

M. Robert Lecou, rapporteur. L’état de la ressource est une question très controversée. Il faudrait que les chercheurs disposent de plus de moyens car quadriller la mer n’est pas chose facile. Dès lors, les ressources et les stocks sont très difficiles à appréhender. En tout état de cause, si personne ne peut établir de manière certaine le niveau des ressources, il est incontestable qu’il y a eu une « surpêche ». L’IFREMER travaille encore sur ce sujet. La CITA qui est en liaison avec des scientifiques du monde entier, va prochainement faire connaître les résultats de sa dernière campagne de recherche sur lesquels elle se calera pour faire des préconisations. Si, en l’état actuel des travaux, on ne peut affirmer de manière certaine que l’espèce est en voie de disparition, la prudence est cependant de mise. Il est cependant certain qu’avec la restriction sur les périodes de pêche et la réduction des quotas, cette pêche va devenir de moins en moins rentable. Si les quotas sont restreints, il sera nécessaire de les affecter prioritairement aux pêcheurs artisanaux.

Je souhaiterais redire que les comportements violents de ce week-end vis-à-vis de pêcheurs qui agissaient en plein respect de la réglementation ne sont pas acceptables.

M. Pierre Forgues. Je voudrais également féliciter le rapporteur pour ce travail approfondi et de l’occasion que nous avons ainsi de nous saisir d’une question qui intéresse tout le monde, que l’on appartienne aux rives de la Méditerranée ou non.

Vous avez évoqué un temps où la Méditerranée nourrissait sa population. Maintenant, les choses ont changé : il s’agit de nourrir 6 milliards d’humains et les technologies ont radicalement évolué.

Peut-on définir la notion de « pêche artisanale » ? Alors que je me trouvais sur le bassin d’Arcachon, j’ai vu un catamaran de pêche – dont j’ai su qu’il avait été financé par l’Union européenne – qui avait une capacité équivalente à celle de deux cents petits bateaux. Il faut que la politique communautaire soit cohérente. Si l’on dit que l’on veut maintenir une pêche artisanale, certaines technologies comme l’emploi de filets qui raclent le sol, ne doivent pas être admises. La pêche au thon est vouée à disparaître si elle n’est plus rentable. Les quotas accordés étaient de 2 000 tonnes en 2010. Or , sur vingt-huit bateaux, seuls dix-sept sont partis en campagne, chacun réalisant 200 tonnes. Le calcul est vite fait : le quota est déjà dépassé d’une fois et demie…

Il est très difficile d’évaluer le niveau de la ressource et chacun a sa propre expertise scientifique, les pêcheurs et Greenpeace…Il est donc indispensable d’avoir des scientifiques indépendants pour réaliser l’exercice délicat qu’est celui de l’évaluation des réserves de thon rouge.

Les politiques et l’ensemble des pays européens doivent se saisir de cette question qui doit être une priorité forte.

Je voudrais faire un certain nombre de remarques sur la proposition de résolution, au-delà des bonnes intentions qui la sous-tendent. Vous indiquez que la pêche au thon rouge va devenir non rentable. Cela semble être déjà le cas ! Vous demandez que les quotas soient affectés vers les pêcheurs artisanaux. Mais sur la base de quels critères ? Comment concrètement privilégier ces pêcheurs ?

Si les pays riverains doivent s’engager, c’est dans le cadre de l’Union pour la Méditerranée que cela doit se faire.

M. Robert Lecou, rapporteur. Il est vrai que les besoins alimentaires sont immenses, ce qui rend nécessaire de développer les recherches en aquaculture. Les critères de distinction entre pêche artisanale et pêche industrielle tiennent essentiellement aux méthodes employées. Ainsi, la pêche à la senne consiste à jeter un filet tournant qui permet , avec de petits bateaux , d’encercler le poisson et de pêcher, en une seule prise, deux cents tonnes . La pêche industrielle se caractérise aussi par le repérage électronique (radars, bateaux repères) des bancs de poissons ainsi que par la taille des bateaux.

En tout état de cause, il est important de maintenir la pêche artisanale dans les ports afin que le littoral ne dépende pas seulement du tourisme.

M. Pierre Forgues. Pourquoi ne pas dire aux pêcheurs que la pêche au thon rouge ne sera plus rentable ?

M. Robert Lecou, rapporteur. On s’en approche. Si on baisse les quotas et si les périodes sont limitées, de facto, la rentabilité va encore diminuer. On n’interdit certes pas la pêche mais l’on crée les conditions de son étouffement. Il faudrait avoir le courage de ne pas accepter les méthodes traditionnelles. En tout état de cause, les pêcheurs ont eu des financements pour investir et donc, après 2012, il faudra prévoir un réel accompagnement. Aussi suis-je inquiet quand j’entends Mme Maria Damanaki, commissaire chargée de la mer et de la pêche, dire que l’argent manquera…

M. Pierre Forgues. J’estime que la proposition de résolution n’est pas assez forte même si je suis d’accord avec les termes généraux, et que donc je la voterai.

M. Robert Lecou, rapporteur. Il ne s’agit que d’un cadre général et l’on a parfois besoin de loi-cadre !

Puis la Commission a adopté la proposition de résolution suivante :

« L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu le règlement (CE) n° 1967/2006 du Conseil du 21 décembre 2006 concernant les mesures de gestion pour l’exploitation durable des ressources halieutiques en Méditerranée et modifiant le règlement (CEE) n° 2847/93 et abrogeant le règlement (CE) n° 1626/94 (COM [2003] 589 final/n° E 2404),

1. Juge indispensable de renforcer la lutte contre la dégradation de l’environnement en Méditerranée, cette action devant être principalement conduite dans le cadre de l’Union pour la Méditerranée (UpM) afin qu’y soient pleinement associés tous les pays méditerranéens ;

2. Souhaite que la future Politique commune de la pêche qui doit être réformée en 2012 adopte une approche régionalisée pour tenir compte des caractéristiques et conditions particulières des activités de pêche, notamment en Méditerranée ;

3.  Demande que des conversations s’engagent entre les pays méditerranéens pour définir les moyens de sanctionner les contrevenants aux règles de la pêche en Méditerranée afin de garantir une concurrence équitable ;

4. Juge indispensable de renforcer les moyens d’action et de contrôle de la Commission générale des pêches pour la Méditerranée (C.G.P.M.) ;

5. Demande que les Prud’homies soient reconnues au niveau européen comme organisme de gestion locale de la pêche dans le cadre d’une décentralisation accrue de la politique commune de la pêche ;

6. Estime que tous les pays de l’Union européenne riverains de la Méditerranée doivent instituer une zone économique exclusive au large de leurs côtes pour pouvoir, notamment, y exercer un contrôle rigoureux des activités de pêche ;

7. Souligne la nécessité de développer une approche écosystémique de la pêche en Méditerranée afin de placer les activités humaines au centre de l’écosystème en optimisant, tout en préservant la biodiversité, facteur de richesses dans le futur, les équilibres entre les différents usages de cette mer ;

8. Souhaite que le maintien de la pêche artisanale méditerranéenne soit une priorité forte de la future Politique commune de la pêche dans la mesure où cette activité est essentielle au maintien d’un tissu économique et social dense sur les littoraux de cette mer ;

9. Demande que les recherches sur l’évaluation des stocks de poissons méditerranéens fassent l’objet d’une action importante en y associant réellement les pêcheurs ;

10. Constate que la pêche au thon rouge, du fait de la diminution incessante des quotas et des périodes de pêche, va devenir, pour les pêcheurs à la senne, économiquement non rentable ;

11. Souhaite donc que ces pêcheurs soient indemnisés pour leur permettre de se réorienter vers d’autres activités de pêche ;

12. Demande que les quotas de thon rouge soient affectés à l’avenir aux pêcheurs artisanaux ;

13. Souhaite que les fonds européens accordent un soutien important aux recherches sur le cycle complet d’élevage du thon rouge pour permettre à l’Europe d’occuper les premières places dans ce domaine. »

III. Communication de M. Thierry Mariani sur l’aide macro-financière à l’Ukraine (E 4927)

M. Thierry Mariani, rapporteur. Le Conseil devrait adopter à la mi-juin cette proposition accordant une assistance macro-financière à l’Ukraine, après le vote favorable du Parlement européen le 18 mai. Cet examen est l’occasion de faire le point sur l’évolution des relations entre l’Union européenne et l’Ukraine après le changement de Président de la République et de coalition gouvernementale intervenu dans ce pays à la suite des élections présidentielles de février 2010.

La Commission européenne propose d’accorder à l’Ukraine un prêt d’un montant maximal de 500 millions d’euros, complétant un prêt de 110 millions d’euros approuvé par le Conseil en 2002 mais non utilisé, au titre de l’assistance macro-financière, afin de l’aider à faire face aux conséquences de la crise mondiale et de garantir la viabilité des comptes extérieurs et des finances publiques.

Ce pays est particulièrement frappé par la crise puisque la croissance du PIB a chuté à – 15,1 % en 2009.

L’assistance comporterait un prêt en deux tranches pour une durée maximale de quinze ans. Elle complèterait le soutien macroéconomique apporté par le Fonds monétaire international, ainsi que le soutien budgétaire accordé par l’Union européenne au titre de l’instrument européen de voisinage et de partenariat (130 millions d’euros par an). Le FMI a en effet décidé en novembre 2008 d’attribuer à l’Ukraine un prêt de 16,5 milliards de dollars d’une durée de 24 mois. En novembre 2009, l’Ukraine avait tiré 10,6 milliards de dollars en trois versements et le solde fut mis de côté dans l’attente du résultat des élections présidentielles de février 2010.

Le 20 avril, le gouvernement a annoncé qu’il demanderait au FMI un nouveau prêt de 12 milliards de dollars pour les prochaines deux années et demie et qu’il aurait besoin de 5 milliards de dollars immédiatement.

La négociation sur un nouvel accord de prêt avec le FMI, alors que l’ancien accord expire en principe en novembre 2010, porte sur des réformes structurelles pour ramener les finances publiques à un niveau soutenable, en particulier l’âge de la retraite, la réforme du secteur bancaire, la hausse des prix intérieurs du gaz naturel et des coupes dans les dépenses sociales.

Le versement de cette assistance macro-financière de 610 millions d’euros (500 plus 110) dépendra de l’accord entre l’Ukraine et le FMI sur les conditions du prêt du FMI relatives aux réformes.

Les liens entre l’Union européenne et l’Ukraine se sont renforcés.

Les négociations d’un accord d’association avec l’Ukraine pour remplacer l’accord de partenariat et de coopération (APC) UE-Ukraine ont commencé en mars 2007, mais se sont accélérées depuis l’entrée de l’Ukraine à l’Organisation mondiale du commerce en mai 2008 dans la mesure où elle permet d’envisager un accord pour une zone de libre-échange complète et approfondie entre l’Union européenne et l’Ukraine.

Le sommet de Paris du 9 septembre 2008, sous présidence française de l’Union européenne, a été une étape décisive. La déclaration du sommet prévoit que le futur accord sera un accord d’association, que son préambule ne préjuge pas et laisse ouverts de futurs développements de la relation UE-Ukraine, que l’Ukraine est un pays européen qui partage avec les pays de l’Union européenne une histoire et des valeurs communes et qu’un dialogue est lancé sur la suppression des visas dans une perspective de long terme.

Un programme d’association a été conclu en 2009 et sert de feuille de route pour les réformes à mettre en œuvre en prévision de l’accord d’association.

Le Président Ianoukovitch a tenu des propos rassurants sur l’orientation pro-européenne de son pays lors de sa visite à Bruxelles le 1er mars et la perspective d’une conclusion de l’accord d’association à la fin de l’année 2010 serait possible si la négociation sur la partie libre-échange du futur accord d’association se débloquait.

Or le onzième cycle de négociation, les 27 et 28 mai, ne s’est traduit par aucune avancée et suscite des doutes sur la volonté ukrainienne de progresser.

Des accords de facilitation des visas et de réadmission sont entrés en vigueur avec l’Ukraine depuis le 1er janvier 2008 et un dialogue sur les visas a été lancé fin octobre 2008. L’Union européenne pourrait proposer à l’Ukraine une feuille de route menant dans le futur à l’établissement d’un régime sans visa si ce pays appliquait une série de réformes pour combler les lacunes dans le système de contrôle des migrations. Toutefois, le Conseil n’a pris aucune décision formelle à ce sujet.

Des incertitudes pèsent néanmoins sur les engagements de réforme pris par l’Ukraine après l’accord russo-ukrainien sur le gaz

L’accord signé le 21 avril 2010 entre les présidents russe et ukrainien prévoit une réduction de 30 % du prix du gaz russe fourni à l’Ukraine en contrepartie d’une prolongation de 25 ans du bail de la flotte russe à la base navale de Sébastopol jusqu’en 2042. L’accord a été ratifié le 27 avril par la Rada après un débat houleux.

Après l’échec des deux candidats issus de la révolution orange de 2004 à l’élection présidentielle, cet accord met fin à une période de tensions entre la Russie et l’Ukraine.

Cet accord est également signé dans un contexte de détente entre la Russie et les Etats-Unis.

Le Président Barroso et le Président Ianoukovitch qui avait choisi l’Union européenne pour sa première visite à l’étranger le 1er mars avant de se rendre le 5 mars à Moscou, ont tous deux souligné que la Russie était un partenaire important pour eux et qu’avoir de bonnes relations avec la Russie, chacun de son côté, n’empêchait pas l’Union européenne et l’Ukraine d’approfondir les leurs.

Toute la question est de savoir si cet accord de détente entre la Russie et l’Ukraine ne va pas replacer l’Ukraine dans une dépendance énergétique et la conduire à différer les réformes énergétiques et les autres réformes attendues par le FMI et l’Union européenne.

En juillet 2009, la Commission européenne et les institutions financières internationales étaient parvenues à un accord avec l’Ukraine sur un programme de prêts de 1,7 milliard d’euros et de dons de plusieurs centaines de millions d’euros pour 2009-2010, afin d’aider l’Ukraine à résoudre les défis de la modernisation de son réseau et de son efficacité énergétique, tout en visant une intégration de l’Ukraine au marché énergétique européen fondé sur la régulation et la transparence.

En contrepartie, l’Ukraine s’était engagée à mettre en œuvre les mesures demandées par le FMI et l’Union européenne dès 2008 : augmentation du prix intérieur du gaz, transparence accrue du secteur énergétique, modernisation des infrastructures, travaux d’efficacité énergétique.

L’adhésion de l’Ukraine à la Communauté de l’énergie en décembre 2009 l’engage à reprendre progressivement de 2012 à 2018 l’ensemble de l’acquis communautaire dans le domaine énergétique. Toutefois cette adhésion ne sera effective qu’après transposition par l’Ukraine dans sa législation, avant juillet 2010, de la directive 2003/55/CE concernant les règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel.

La transposition prochaine de cette directive apportera donc un signal très fort sur la confirmation du choix de l’Ukraine en faveur du modèle européen de transparence et de régulation du marché énergétique et, au-delà, sur son engagement en faveur des autres réformes structurelles que l’Union européenne est prête à soutenir.

Sur proposition de son rapporteur, la Commission a ensuite approuvé la proposition accordant une assistance macrofinancière à l’Ukraine qui constitue l’une des marques de soutien de l’Union européenne aux efforts de ce pays pour stabiliser son économie.

IV. Communication de M. Jérôme Lambert sur la XLIIIe COSAC à Madrid

M. Jérôme Lambert. La XLIIIe COSAC s’est tenue à Madrid les 30 mai et 1er juin derniers. M. Michel Herbillon et moi-même y représentions notre Commission.

Les débats furent notamment marqués par les évènements de Gaza connus le jour même où nous débutions nos travaux, relayant les inquiétudes unanimement partagées face aux derniers soubresauts de la crise financière et budgétaire.

La tempête financière fut en effet au cœur de l’intervention du Président du Conseil espagnol, M. José Luis Zapatero, qui a ouvert la Conférence en défendant avec force la nécessité d’avancer dans la voie d’un gouvernement économique européen.

Les discussions ont reflété la profonde communauté de préoccupations des délégations, toutes attentives à briser la spirale de la spéculation sur l’endettement public et conscientes que l’euro ne peut fonctionner sans une coordination économique ambitieuse. Mais les interventions ont souligné tout autant l’ampleur des divergences qui nous éloignent encore des solutions d’avenir, au moins sur certains sujets. Il n’en reste pas moins que l’idée de confronter à vingt-sept nos choix budgétaires fait son chemin, en dépit des réticences traditionnelles exprimées par certaines délégations.

Le modèle de la stratégie de Lisbonne fait pour sa part désormais l’objet d’un scepticisme unanime, et chacun convient de l’importance d’assortir des objectifs concrets de réelles incitations à agir et d’un suivi rigoureux.

A titre personnel, je fus soulagé de constater que certaines délégations partageaient ma vive inquiétude face aux conséquences concrètes sur la vie de nos citoyens et sur une reprise encore hypothétique des mesures récessives sur lesquelles les gouvernements se précipitent. Dans un même esprit, une impatience semble poindre dans certains pays face aux lenteurs de l’Union dans l’édification d’une régulation financière apte à nous épargner la reproduction à l’infini des crises de l’ampleur de celle que nous connaissons aujourd’hui.

Les contributions adoptées témoignent des points de consensus auxquels les délégations sont parvenues. La COSAC soutient ainsi la stratégie Europe 2020 en invitant les parlements nationaux à mettre en œuvre un suivi régulier et efficace du respect des engagements souscrits. Elle renouvelle avec force son attachement à la monnaie unique, sans laquelle les effets de la crise « auraient été encore plus graves », et milite pour la création de « mécanismes efficaces pour réglementer et surveiller les marchés ».

Ensuite, nos discussions se sont concentrées sur l’avenir de la coopération interparlementaire. Deux défauts bien connus obèrent en effet le rayonnement des divers forums de coopération qui réunissent régulièrement les parlementaires nationaux.

Tout d’abord, leur multiplication nuit manifestement à leur visibilité médiatique. Difficile en effet de s’y retrouver entre les multiples conférences des commissions spécialisées, la COSAC, qui se limite aux délégations des Commission des affaires européennes, la Conférence des présidents des parlements, les Joint Parliamentary meetings organisés par le Parlement européen… Surtout, jusqu’à présent, chaque enceinte fixe aujourd’hui de manière totalement autonome, et sans grande considération des travaux des autres forums, les sujets de ses débats et les formes que prennent ses contributions.

La Conférence des présidents des parlements des 14 et 15 mai derniers à Stockholm s’est saisie de cette question. M. Per Westerberg, Président du Parlement suédois, nous a ainsi présenté les diverses initiatives sur laquelle les speakers se sont entendus. Afin d’encourager le développement d’une programmation « souple », ils se sont en effet engagés à établir et à gérer un calendrier de 18 mois recensant et rationalisant l’organisation et le choix des thèmes abordés par l’ensemble des rencontres interparlementaires. Si les parlements de chaque présidence tournante garderont une complète autonomie de décision, ils devront toutefois veiller à inscrire leurs initiatives dans une programmation à moyen terme qui devrait spontanément réduire le risque de redondance et induire une meilleure coordination des actions. En contrepartie de cet élagage des « grands messes » parlementaires, M. Per Westerberg a estimé que chaque parlement devait veiller à développer des contacts directs et réguliers avec ses homologues, en particulier en faisant meilleur usage des nouvelles technologies de communication. L’expérience de notre Commission, qui fut la première à organiser le 27 janvier dernier une visioconférence avec une commission du Parlement européen, a à cet égard été érigée en exemple.

Dans un même esprit, nous avons débattu longuement du futur de la COSAC. L’impression d’émiettement de la coopération interparlementaire doit aussi beaucoup au flou qui entoure parfois les missions respectives des divers forums.

Notre délégation a notamment souhaité insister sur la qualité du travail accompli en matière de subsidiarité. Grâce aux huit tests pilotes menés en commun depuis que M. José Manuel Barroso a décidé d’expérimenter la procédure, près de 200 avis ont été adoptés, impliquant l’immense majorité des chambres. Le test sur le règlement relatif aux successions transfrontalières a ainsi permis à 38 assemblées sur 40, pour 25 Etats membres, de s’exprimer. Ce succès nous a encouragés à affirmer avec force, dans les conclusions adoptées, la vocation de la COSAC à coordonner les contrôles de subsidiarité.

Pour l’avenir, nous nous sommes entendus pour reprendre l’idée du Président Pierre Lequiller de débattre au cours des réunions de la COSAC des propositions législatives concrètes qui justifient l’organisation d’une discussion à 27.

La seconde limite de la coopération interparlementaire tient, à mes yeux, au fait que les discussions ne débouchent que très rarement sur des positions concrètes, susceptibles d’affirmer les opinions des parlements nationaux. La « tiédeur » des conclusions de nos travaux tient souvent à la répugnance des délégations à décider, lorsque s’est utile, à la majorité, comme l’autorise par exemple le statut de la COSAC. C’est pourquoi je me félicite que l’on n’ait pas hésité à Madrid à recourir au vote pour adopter des positions fortes, comme par exemple sur le rejet ferme des violences au Moyen-Orient.

Dans un même esprit, un débat sensible est intervenu entre une partie des parlementaires nationaux – en particulier la délégation de la Finlande – et les députés européens présents à propos de l’accord interinstitutionnel en cours de négociation entre la Commission européenne et le Parlement européen. Beaucoup ont craint que cet accord ne soit pas conforme à l’esprit du traité en réduisant significativement la capacité d’action de la Commission vis-à-vis du Parlement européen. La contribution majoritaire adoptée reprend cette préoccupation en appelant à une préservation de « l’équilibre interinstitutionnel » et en souhaitant qu’« aucun changement [ne soit apporté au] statut du Conseil [afin de garantir] la capacité des parlements nationaux à influencer la politique européenne ».

En conclusion, sans doute en raison du contexte de la crise, je remarque qu’au cours de cette COSAC, nous sommes enfin allés directement à l’essentiel, en débattant réellement de politique, chose à vrai dire nouvelle pour ce type de réunion.

La séance est levée à 18 h 15

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Réunion du mercredi 9 juin 2010 à 16 h 15

Présents. - M. Pierre Bourguignon, M. Christophe Caresche, M. Pierre Forgues, M. Jérôme Lambert, M. Robert Lecou, M. Pierre Lequiller, M. Lionnel Luca, M. Thierry Mariani, M. André Schneider, M. Philippe Tourtelier

Excusés. - M. Michel Delebarre, M. Jacques Desallangre, M. Michel Herbillon, Mme Marietta Karamanli, Mme Odile Saugues.