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le 27 février 2008


N° 377

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 novembre 2007.

PROPOSITION DE LOI

visant à supprimer l’impôt de solidarité sur la fortune,

(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du Plan, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

PAR MM. Lionnel LUCA, Bernard BROCHAND, Louis COSYNS, Olivier DASSAULT, Bernard DEBRÉ, Claude GOASGUEN, Mme Françoise HOSTALIER, M. Didier JULIA, Mme Geneviève LEVY, MM. Daniel MACH, Thierry MARIANI, Christian MÉNARD, Étienne MOURRUT, Mme Marie-Anne MONTCHAMP, MM. Alain MOYNE-BRESSAND, Jacques MYARD, Christophe PRIOU, Jacques REMILLER, Rudy SALLES, Philippe VITEL et Michel VOISIN,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Les articles 2 à 9 de la loi n° 81-1160 ont institué à compter du 1er janvier 1982 un impôt annuel sur les grandes fortunes (IGF). Celui-ci a été abrogé par l’article 24 de la loi n° 86-824 du 11 juillet 1986. Mais, l’article 26 de la loi n° 88-1149 du 23 décembre 1988 a mis en place un impôt annuel de solidarité sur la fortune (ISF) à compter du 1er janvier 1989, qui est régi par les mêmes règles que l’impôt sur les grandes fortunes.

Pourtant, institué dans le but de financer le RMI, l’impôt de solidarité sur la fortune relève, selon d’éminents juristes, d’une conception pervertie de l’impôt puisqu’un impôt n’a pas pour vocation de couvrir une charge particulière de l’État. Alors qu’il est un impôt symbolique qui n’a pas pour fonction véritable de fournir des revenus, l’ISF porte atteinte à la neutralité fiscale en induisant certains comportements chez les contribuables telle que la contrainte de l’expatriation. Portant également atteinte au droit de propriété, l’ISF est devenu un impôt confiscatoire.

En effet, il est un débat particulièrement complexe et central au sujet de l’impôt de solidarité sur la fortune : que rapporte (1) réellement l’ISF ?

À la création de l’ISF en 1988, 129 000 contribuables étaient redevables et ce chiffre atteint 520 000 en 2007. En 1989, le coût du RMI était de l’ordre de 900 millions d’euros et l’ISF rapportait environ 800 millions d’euros. Aujourd’hui, le RMI coûte 5 milliards d’euros et le produit de l’ISF est de 4,3 milliards d’euros. L’ISF coûte globalement plus cher qu’il ne rapporte en raison des expatriations qu’il provoque malgré la pression immobilière qui crée artificiellement de nouveaux contribuables riches « virtuellement ».

Mesurer l’importance de l’expatriation est certes une tâche délicate. Néanmoins, à en croire les professionnels du patrimoine, la réalité est bien différente et les principaux spécialistes de l’ingénierie patrimoniale estiment à près de 100 milliards d’euros les patrimoines qui ont quitté le pays depuis l’instauration de l’ISF (ils sont en outre unanimes à confirmer l’accélération des départs depuis 1995).

Quant aux destinations privilégiées, le tiercé de tête comprend nos voisins francophones : la Suisse (qui connaît une forme d’impôt sur la fortune purement symbolique), la Belgique ainsi que la Grande-Bretagne.

La première cause de l’expatriation des grandes fortunes est le poids de l’ISF lui-même, aggravé par le déplafonnement du plafonnement et par l’instauration dans la loi de finances pour 1999 de la 6e tranche.

Alors que la France maintient l’impôt de solidarité sur la fortune, ses voisins se livrent à un dumping fiscal. On sait qu’aux pays qui ne connaissent pas d’impôt sur la fortune, il faut ajouter ceux, en Europe même, qui avaient auparavant un impôt sur la fortune et qui l’ont supprimé, comme l’Autriche, l’Allemagne et plus récemment la Suède. Outre-Rhin, le faible rapport de l’impôt sur la fortune (4,5 milliards d’euros sur un produit total des impôts de 407,6 milliards d’euros) a, en partie, justifié sa suppression en 1997. La décision de la cour constitutionnelle fédérale de limiter à 50 % des revenus le total des impôts payés par un contribuable a également, et très fortement, poussé à cette suspension de la collecte de l’ISF. Aujourd’hui, le prélèvement de cet impôt ne pourrait être rétabli, le Bundesrat et les Landers (qui en percevaient le produit) y étant résolument opposés.

En conséquence, on observe en France, un changement d’attitude chez les redevables de l’ISF. Ils ne rêvent plus de partir, ils partent ! Surtout ceux qui atteignent un montant de patrimoine imposable proche du seuil d’expatriation, qui se situe, d’après différentes sources, aux environs immédiats de 80 millions d’euros.

Pour le Trésor, l’expatriation se traduit par deux types de conséquences : des conséquences directes en termes de recettes au titre de l’ISF (par exemple, en 1998, il manquait près de 100 millions d’euros au produit de l’ISF et ce chiffre était de 250 millions d’euros en 1999), et des conséquences indirectes. Les pertes fiscales ne s’arrêtent alors pas au simple manque à gagner sur l’ISF. Les expatriés ne paient plus d’impôt sur le revenu, ni de taxe d’habitation. Devant demeurer, dans la plupart des cas, plus de 183 jours hors de France pour bénéficier du statut de non-résidents, ils ne consomment plus, ou moins, en France, ce qui génère un manque à gagner sur la TVA, sur la TIPP... Ces pertes sont d’autant plus importantes que les redevables dont il s’agit ont des revenus élevés, dépensent plus que la moyenne et disposent donc de « facultés contributives nettement supérieures à la moyenne ».

Au total, si l’on inclut l’ensemble des impôts auxquels sont soumis les contribuables, les pertes fiscales liées à l’expatriation des grandes fortunes s’élèvent à 5 milliards d’euros par an qu’il convient de rapprocher du produit de l’ISF, soit 2,7 milliards. Par conséquent, l’ISF coûterait au bas mot 2,3 milliards d’euros par an aux Français.

Cependant, deux types de contribuables subissent le coût de l’expatriation : ceux dont le patrimoine, situé entre 732 000 € et 2,5 millions d’euros, est essentiellement immobilier et dont l’ISF ne justifie pas le départ – telle est la situation d’un nombre croissant de propriétaires fonciers aux revenus modestes, qui ont été rattrapés par l’ISF en raison de l’envolée du marché immobilier, notamment dans l’Île-de-France et la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur, et dont l’association de défense des habitants de l’Île de Ré fait entendre la voix. Ainsi le nombre de contribuables a grimpé en flèche de 394 000 en 2005, 445 000 en 2006 et 520 000 en 2007. Mais ils ne sont pas les seuls, les « non-assujettis », c’est-à-dire 99 % de la population, comblent également le trou de 2,3 milliards d’euros par le biais de la TVA, premier impôt français. Comme le déplore le professeur Pichet, on en arrive ainsi au résultat paradoxal selon lequel ce sont les moins fortunés qui compensent le coût de l’ISF.

Quelles que soient les intentions louables d’exonérations partielles et les réajustements effectués d’une loi de finances à une autre – qui démontrent, s’il en était besoin, l’absurdité de cette imposition –, elles risquent de générer des effets pervers et une complexité administrative aussi inutile que coûteuse. Voilà pourquoi, comme Édouard Balladur et Jacques Chirac l’ont fait en 1986, comme vient de le décider durant l’été 2007 la Suède et comme s’apprête à le faire le gouvernement socialiste de M. Zapatero, il est nécessaire et indispensable de supprimer un impôt qui n’a plus de solidarité que le nom.

Tel est, Mesdames, Messieurs, l’objet de la présente proposition de loi que nous vous demandons de bien vouloir adopter.

PROPOSITION DE LOI

Article unique

I. – Les articles 885 A à 885 Z du code général des impôts sont abrogés.

II. – Les pertes de recettes résultant de l’application du I sont compensées par le relèvement à due concurrence de la taxe visée à l’article 991 du code général des impôts.

1 ()Voir Eric PICHET, Le véritable coût de l’ISF, CEREFI, Cahier de Recherche n° 23-00.


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