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le 3 décembre 2007


N° 413

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 novembre 2007.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête en vue d’évaluer la dégradation des conditions de vie et de travail de toutes les catégories de salariés et d’élaborer des propositions afin d’améliorer leurs protections, leurs droits et leurs pouvoirs dans l’entreprise,

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

PAR M. André GERIN, Mme Marie-Hélène AMIABLE, MM. François ASENSI, Alain BOCQUET, Patrick BRAOUEZEC, Jean-Pierre BRARD, Mme Marie-George BUFFET, MM. Jacques CANDELIER, André CHASSAIGNE, Jacques DESALLANGRE, Mme Jacqueline FRAYSSE, MM. Pierre GOSNAT, Maxime GREMETZ, Jean-Paul LECOQ, Roland MUZEAU, Daniel PAUL Jean-Claude SANDRIER et Michel VAXÈS,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En un an, neuf salariés de l’industrie automobile se sont suicidés :

– octobre 2006 : un ingénieur se défenestre au Technocentre Renault de Guyancourt ;

– janvier 2007 : un technicien se noie dans un étang au Technocentre Renault de Guyancourt ;

– février 2007 : un technicien du Technocentre Renault de Guyancourt est retrouvé pendu à son domicile ;

– mars 2007 : un chef de groupe du restaurant Sodexho de Renault-Truck Saint-Priest (Rhône) se suicide en dénonçant les pressions qu’il subissait dans son travail ;

– avril-mai 2007 : quatre ouvriers de PSA Mulhouse mettent fin à leurs jours ;

– juin 2007 : un ouvrier de Valéo Saint-Ouen l’Aumône se suicide ;

– juillet 2007 : un ouvrier magasinier de PSA Mulhouse se suicide sur le site ;

– septembre 2007 : un technicien du centre d’essai d’Aubervoye dans l’Eure, rattaché au Technocentre Renault de Guyancourt se suicide à son domicile.

Un cabinet d’expertise indépendant a conduit une étude sur les conditions de travail au sein du Technocentre de Renault à Guyancourt où deux salariés sont morts.

Le rapport fait apparaître un taux de 31,2 % des salariés (cadres et ingénieurs) sous tension et donc un niveau « particulièrement élevé » de « risques psychosociaux ». Selon l’Inserm, ce chiffre est de 10,30 % pour cette catégorie dans la population française.

Le secteur automobile n’est pas le seul concerné. Chez IBM, un médecin du travail alertait récemment sur les risques de suicides au sein du site de La Gaude dans les Alpes-Maritimes, qui emploie informaticiens et ingénieurs. Sont touchés les banques, la Poste, EDF, la Réunion des musées nationaux (RMN)...

Quatre cents suicides par an auraient un lien direct avec une souffrance provoquée par les conditions de travail. Entre 220 500 et 335 000 personnes sont atteintes d’une maladie liée au stress professionnel, soit 1 à 1,4 % des actifs.

À Clairoix dans l’Oise, un chef d’équipe de l’entreprise Continental, fabricant de pneumatiques, est décédé sur le site d’une crise cardiaque foudroyante. La médecine du travail a clairement établi que l’accident vasculaire était très directement lié au stress professionnel. Depuis plusieurs mois, dans cette usine, les salariés sont sous la pression d’une exigence de diminution des coûts de production, à défaut de laquelle l’avenir du site pourrait être menacé selon les injonctions de la direction allemande du groupe.

Ils viennent d’ailleurs de renoncer aux 35 heures et de repasser aux 40 heures hebdomadaires, sous couvert du « travailler plus pour gagner plus », dont nous voyons qu’il relève non du libre choix des salariés mais d’un moyen d’exploitation supplémentaire pour le patronat, qui en dispose. Concernant le décès de son chef d’équipe, le directeur de l’entreprise affirmait qu’évidemment la vie n’était pas facile à Clairoix, mais qu’il fallait relever le défi de la compétitivité et de la concurrence. D’autres l’affirment en des termes encore moins choisis.

Ainsi pouvait-on lire, dans la livraison d’octobre du mensuel «Management » qui affichait, à sa une, un titre « Domptez votre stress », l’éditorial suivant sous la plume de la rédactrice en chef :

« C’est bien connu : dangereux à haute dose, le stress est en revanche un formidable stimulant professionnel quand il est bien maîtrisé. Car il ne s’agit pas d’une maladie, mais d’un puissant mécanisme de défense et, dans les cas extrêmes, d’un réflexe de survie. Sans lui, notre ancêtre des cavernes aurait laissé s’éteindre le feu et fini dévoré par les ours ».

Et de conclure, un peu plus loin, que « le stress, c’est comme le cholestérol : il y a le mauvais et le bon » avant de conseiller aux salariés des régimes alimentaires, de l’acupuncture, des exercices de relaxation et de citer le PDG de Renault comme exemple de ces patrons qui « ont pris des mesures pour regonfler le moral de leurs troupes ». Les « suicidés » du Technocentre de Guyancourt n’ont sans doute pas su en tirer tout le bénéfice à temps.

Pour sa part, Jean-Marie Descarpentries, ancien PDG de Bull, déclarait « la haute tension est mortelle, une tension raisonnable n’a jamais tué personne ; mais en l’absence de toute pression, on peut mourir d’ennui ».

Le cynisme, nous le voyons, est à son comble et si la droite se veut à présent décomplexée, le patronat ne l’est pas moins.

Nous ne disposons pas d’indicateurs scientifiques indiscutables permettant de mesurer le nombre de salariés exposés au stress et aux pressions ou d’évaluer les effets de ces risques sur la santé des travailleurs.

Selon l’Institut français d’action sur le stress (IFAS) un homme sur quatre serait victime de « surstress ». Les enquêtes périodiques « conditions de travail » de la DARES donnent également des indications :

– 56 % des ouvriers subissent quatre pénibilités physiques ou plus au travail ;

– plus d’un sur deux travaille dans l’urgence ;

– 56 % de la population active doit fréquemment interrompre une tâche pour en effectuer une autre non prévue et 52 % déclarent se dépêcher souvent ou toujours ;

– plus d’un salarié sur trois (35 % de la population active) reçoit des ordres ou indications contradictoires ;

– plus d’un salarié sur trois déclare vivre souvent des situations de tension dans leurs rapports avec leurs collègues ou leur hiérarchie.

Le cabinet d’expertise qui a analysé la situation du Technocentre Renault à Guyancourt souligne que les situations de tension sont « fortement liées au manque de reconnaissance, d’informations claires, de temps et d’effectifs ». Il en résulte une diminution du niveau global de motivation. La moitié des salariés estime aller au travail avec « moins d’enthousiasme qu’avant ». Chez les salariés sous tension, « cette population atteint 71 %. Ils ont le sentiment d’une perte de sens au travail ». N’oublions pas qu’en l’espèce nous avons à faire à des ingénieurs et cadres, concepteurs des modèles Renault et donc investis de responsabilités, ce qui suppose une implication totale.

Toutes les enquêtes statistiques le confirment : les salariés se reconnaissent de moins en moins dans les finalités de leur travail et c’est chez les cadres que ce processus de désengagement est le plus flagrant, étant écartés des principales décisions stratégiques.

Selon un sondage CSA pour l’agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT), 15 % de ceux qui sont en contrat à durée indéterminée disent n’avoir « aucune envie » d’aller travailler en se levant le matin et 38 % affirment qu’ils ne sont « pas satisfaits de la reconnaissance de leur investissement dans le travail ».

À ces pressions croissantes facteurs de « surstress » s’ajoute l’exposition à d’autres dangers entraînant des conséquences sur la santé des travailleurs. En témoignent :

- les accidents du travail à propos desquels le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité déclarait, le 4 octobre dernier, à l’ouverture de la conférence tripartite sur les conditions de travail, se féliciter qu’en vingt ans, ils aient pu être divisés par deux pour les plus graves d’entre eux et par trois pour ceux qui ont été mortels.

Or, nous savons que les chiffres rendus publics ne reflètent pas la réalité, que les entreprises s’efforcent de ne pas les déclarer et de les minimiser.

Ainsi, l’inspection du travail a mené une enquête chez Renault Cléon. Il en ressort qu’il existe au sein de l’établissement un système organisé de pressions visant à ce que les salariés, victimes d’accidents au travail, auxquels un arrêt de travail a été prescrit, renoncent à le prendre en tout ou partie.

Et ce cas n’est pas isolé.

La Fondation pour l’amélioration des conditions de vie et de travail de Dublin révèle qu’au niveau européen :

– 33 % de salariés souffrent de douleurs au dos ;

– 23 % éprouvent des douleurs musculaires dans les bras ou dans les jambes ;

– 47 % travaillent dans des positions pénibles,

– 56 % déclarent être soumis à des cadences de travail élevées et, parmi eux, 46 % disent souffrir de douleurs dorsales et 40 % de stress.

Nous ne disposons pas d’études spécifiques à la France, mais les chiffres doivent être proches de ceux qui viennent d’être cités.

Les maladies professionnelles :

Selon la DARES,

– 2 370 000 salariés seraient exposés dans leur travail à un ou plusieurs produits classés cancérigènes, soit 13,5 % des salariés. 20 000 cancers par an sont d’origine professionnelle ;

– environ 186 000 salariés seraient exposés à des produits mutagènes, soit 1,1 % des salariés ;

– près de 180 000 salariés seraient exposés à des produits reprotoxiques, soit 1 % des salariés.

De ce point de vue, l’exposition de centaines de milliers de salariés à l’amiante restera l’un des plus grands scandales du siècle dernier. Il devrait en résulter entre 100 000 et 120 000 décès, alors que depuis longtemps, les directions des entreprises connaissaient les risques encourus et que beaucoup d’entre elles sont condamnées pour faute inexcusable.

Ces dégradations lourdes des conditions de travail sont telles que le gouvernement n’a pu les ignorer au point d’organiser une conférence sociale tripartite (patronat-gouvernement-syndicats) sur ce thème, le 4 octobre dernier.

Pour leur part, les associations de victimes, telles la FNATH et l’ANDEVA, appelaient, le 13 octobre, à une journée de mobilisation, relevant que pas grand-chose de concret ne sortait de la conférence du 4 octobre.

L’Assemblée nationale se doit d’apporter sa contribution à ce qui constitue un défi de société majeur.

L’organisation du travail et les conditions, qui en résultent, ont connu de profonds bouleversements avec les conséquences préoccupantes que nous venons de décrire.

Nous sommes passés d’une organisation collective du travail, dont le taylorisme était l’expression la plus aboutie, à une organisation qui isole l’individu et brise les solidarités.

Cette conception érige en principe et en méthode la concurrence entre travailleurs, entre secteurs de l’entreprise. Chacun est le fournisseur de quelqu’un d’autre et il est en permanence évalué, selon la formule consacrée, dans ses résultats et ses performances.

Dans ce cadre, il est demandé aux salariés chaque jour davantage jusqu’à des objectifs inaccessibles. S’il n’y parvient pas, il est stigmatisé, culpabilisé.

De ce fait, chacun se trouve isolé et le travail est de plus en plus subi. Quand cela devient impossible, les pathologies apparaissent.

Et quand il faut aller toujours plus vite, être de plus en plus réactif aux changements parfois brutaux, on néglige les règles de sécurité et les protections, s’exposant aux accidents et aux toxicités.

Les ouvriers, les employés ne sont pas seuls à être confrontés à ces nouvelles conditions d’exploitation. Les ingénieurs, les techniciens et les cadres sont directement concernés.

Ces évolutions sont liées aux objectifs nouveaux fixés aux entreprises, qui privilégient désormais sur la production elle-même ou sur le service, le quantitatif, les ratios financiers et, au final, la rémunération des actionnaires toujours plus exigeants.

Pour sortir de cette logique inhumaine, il est utile de dresser un état des lieux des conséquences de ces nouvelles règles sur les conditions de travail et sur la santé des salariés, sur l’imbrication de cette course au profit financier et de l’organisation du travail, sur les exigences insupportables de rendement physique auxquelles s’ajoutent les conditionnements psychologique et moral.

Cette analyse peut nous permettre de dégager des propositions qui redonnent de l’espace à l’initiative collective des salariés, qui permettent que les problèmes individuels soient collectivement pris en compte.

Cela passe par de nouveaux droits et pouvoirs des travailleurs dans l’entreprise, par une amélioration de notre législation en matière de lutte contre le harcèlement moral au travail, inscrit dans le code du travail sur initiative parlementaire en 2000.

Telles seront les missions confiées à la commission d’enquête que nous proposons de créer.

Telles sont les raisons, Mesdames, Messieurs, pour lesquelles il vous est demandé de bien vouloir adopter la proposition de résolution suivante :

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

En application de l’article 140 et suivants du règlement, il est créé une commission d’enquête de trente membres dont la mission sera d’évaluer la dégradation des conditions de vie et de travail de toutes les catégories de salariés, les conséquences sur leur santé. Elle devra élaborer des propositions afin d’améliorer la protection des travailleurs et de leur garantir de nouveaux droits et pouvoirs en la matière dans l’entreprise.

Elle doit rendre son rapport le 31 mars 2008 au plus tard.


© Assemblée nationale