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le 4 février 2008


N° 643

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 29 janvier 2008.

PROPOSITION DE LOI

relative au suivi des conséquences sanitaires
et
environnementales des essais nucléaires,

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

PAR M. François de RUGY, Mme Martine BILLARD,
MM. Yves COCHET et
Noël MAMÈRE,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La présente proposition de loi a pour objet de répondre à l’attente de toutes les personnes qui ont soit participé en tant que militaires ou civils aux essais nucléaires effectués par la France entre le 13 février 1960 et le 27 janvier 1996, soit vécu à proximité des sites d’expérimentation du Sahara (Reggane et In Eker) ou de Polynésie française.

Bien que le nombre des personnes – civils et militaires – qui ont participé aux essais nucléaires de la France n’ait jamais été rendu public (150 000 personnes selon une association), nombreux sont ceux et celles, aujourd’hui regroupés en associations, qui font état de graves problèmes de santé, notamment cancéreux, mais aussi ophtalmologiques et cardiovasculaires. Les mêmes problèmes de santé se retrouvent chez les personnels militaires, les civils du Commissariat à l’énergie atomique et des entreprises sous-traitantes d’origine métropolitaine que chez nos concitoyens de Polynésie française ou même des populations qui ont été employées en Algérie sur les sites d’essais du Sahara.

De plus, des informations alarmantes font également état de problèmes sanitaires inexpliqués au sein des populations vivant à proximité des anciens sites d’essais nucléaires français, notamment celles des oasis proches de Reggane (Sahara) ou qui font pâturer leurs troupeaux dans la région d’In Eker (Sahara) et celles des îles et atolls proches de Moruroa et Fangataufa en Polynésie française.

Contrairement à ce qui est avancé habituellement par les autorités françaises, les conséquences sur la santé des expériences nucléaires sont loin d’être négligeables, même après plusieurs dizaines d’années. Les témoignages abondent de vétérans ou d’anciens travailleurs décédés dans la force de l’âge de pathologies que certains médecins n’hésitent pas à attribuer à la présence de leur patient sur un site d’essais nucléaires.

Les mêmes pathologies se retrouvent chez les vétérans ou les populations ayant vécu à proximité des sites d’essais nucléaires des autres États qui ont effectué les mêmes expérimentations. C’est le cas notamment aux États-Unis et en Grande-Bretagne, mais aussi en Australie, en Nouvelle-Zélande et aux Fidji où des ressortissants de ces pays ont participé aux essais anglais en Australie et aux Îles Christmas et également aux îles Marshall où ont été effectués des essais nucléaires par les États-Unis.

Dans ces différents États, considérés comme ayant un système démocratique semblable au nôtre, les Gouvernements ont pris – certains depuis longtemps – des dispositions concrètes pour faire droit aux revendications de leurs ressortissants :

– depuis la fin des années 1950, les États-Unis ont mis en place un suivi médical spécifique des populations des îles Marshall et ont créé un fonds d’indemnisation pour les populations déplacées de ces atolls ;

– le 25 avril 1988, le Sénat américain a adopté une loi d’indemnisation des vétérans exposés aux radiations, en établissant une présomption d’un lien avec le service, pour des maladies dont souffrent les vétérans ayant été exposés aux radiations. Cette loi américaine, révisée en août 2001, a ainsi défini une liste de dix-huit maladies cancéreuses ;

– en Nouvelle-Zélande, le gouvernement a mis en route, en septembre 2001, une étude sur un groupe de cent vétérans utilisant la méthode des tests radiobiologiques permettant d’affirmer l’exposition aux radiations. Un système de prise en charge des vétérans et de leurs descendants a également été mis en place ;

– le gouvernement australien a publié en août 2001 la liste nominative des personnes affectées aux essais britanniques sur son territoire (environ 16 500) ;

– le gouvernement britannique, après la publication – fin 1999 – d’une étude épidémiologique indépendante sur la santé des membres de l’association des vétérans anglais, a décidé de réviser ses propres études épidémiologiques ;

– le gouvernement canadien a annoncé en novembre 2007 l’imminente reconnaissance officielle des vétérans canadiens exposés dans les années 50 aux effets nuisibles d’armes atomiques dans le désert américain du Nevada.

En France, plusieurs vétérans ou leurs familles ont engagé des procédures en justice pour obtenir droit à pension ou à indemnisation en réparations aux préjudices qu’ils attribuent aux essais nucléaires. La jurisprudence commence à leur donner raison comme en témoignent deux décisions récentes :

– Le 4 mai 2007, la cour régionale des pensions militaires de Rennes a confirmé le droit à pension de Michel Cariou, un ancien militaire victime d’un cancer de la thyroïde qu’il liait à sa participation aux essais nucléaires dans le Pacifique. Âgé de 69 ans, M. Cariou a en effet participé en tant qu’officier à six campagnes d’essais à Mururoa de 1966 à 1972, soit 31 tirs. Ce jugement confirme celui de première instance du tribunal des pensions de Brest (Finistère) avait octroyé, le 13 juin 2005, une pension d’invalidité à Michel Cariou. Dans son jugement, le tribunal avait constaté que sa contamination aux radiations, « imputable au service », avait créé un « risque de développement du cancer ».

Le 26 novembre 2007, l’État français a été condamné, par la cour d’appel de Douai à indemniser la veuve d’un militaire français. Jean-Luc Norberciak, qui avait participé à des essais nucléaires souterrains en 1979 et 1980, est mort en 1997 d’un cancer broncho-pulmonaire, à l’âge de 49 ans. La cour d’appel de Douai a reconnu que la maladie de ce militaire était liée à son service dans le Pacifique, et a établi un lien direct entre l’exposition aux tirs et le décès. L’intérêt de cet arrêt réside également dans le fait qu’il s’agit d’une première judiciaire concernant des essais souterrains.

Il faut noter que dans ces deux cas, comme dans d’autres, le ministère de la défense avait fait appel des jugements de première instance favorables aux vétérans.

En février 2006, la commission d’enquête sur les conséquences des essais aériens français en Polynésie, mise en place en juillet 2005 par l’Assemblée de la Polynésie française, a rendu son rapport.

Adopté à l’unanimité des présents, il a apporté les preuves que les quarante-six expériences aériennes qui se sont déroulées de 1966 à 1974 ont, à chaque tir, provoqué des retombées radioactives sur l’ensemble des archipels habités de la Polynésie, contrairement à ce qu’ont toujours affirmé les autorités militaires françaises.

Le ministère de la défense a refusé tout contact et toute collaboration avec la commission d’enquête. Grâce à des contributions indépendantes, la commission a publié vingt-cinq documents militaires secrets des années 1966 et 1967 dans leur version intégrale. Ces documents démontrent à l’évidence que non seulement les autorités militaires n’ont pas dit toute la vérité sur la réalité des retombées radioactives, mais qu’elles ont, par ordre, intimé le silence sur les dangers auxquels ont été exposés les habitants des îles et atolls proches de Mururoa.

Il s’avère donc qu’une initiative du Parlement français représenterait un message fort de reconnaissance vis-à-vis de tous ceux et celles qui ont eu à subir des séquelles sur leur santé et celle de leurs descendants du seul fait de leur participation aux expériences nucléaires de la France.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Il est établi le principe de présomption de lien avec le service pour la ou les maladies dont souffre toute personne, civil ou militaire, ayant participé à une activité à risque radioactif lorsqu’il était en service actif, c’est-à-dire lorsqu’il a participé sur site à une explosion d’un dispositif nucléaire entre le 13 février 1960 et le 27 janvier 1996.

Article 2

Pour être considérées comme liées au service, la loi exige que ces maladies aient été contractées à un niveau de 10 % ou plus, dans les quarante années après la dernière date à laquelle la personne désignée à l’article 1er participait à une activité à risque radioactif, cette durée étant réduite à trente ans après cette date dans les cas d’une leucémie.

Article 3

La liste des pathologies considérées comme liées à une activité à risque radioactif est fixée par décret.

Article 4

Il est créé un fonds d’indemnisation des victimes civiles et militaires des essais nucléaires et un droit à pension pour les personnels civils et militaires et leurs ayants droit. Ce fonds d’indemnisation est alimenté pour partie par les crédits de la défense alloués au titre de la compensation de l’arrêt des essais nucléaires.

Article 5

Il est créé auprès du Premier ministre une Commission nationale de suivi des essais nucléaires. Cette commission est composée des ministres chargés de la défense, de la santé et de l’environnement ou de leur représentant, du Président du Gouvernement de Polynésie française ou de son représentant, de deux députés et deux sénateurs, de représentants des associations représentatives des personnes civils ou militaires concernées, de représentants des organisations syndicales patronales et de salariés ou des personnes qualifiées. La répartition des membres de cette commission, les modalités de leur désignation, son organisation et son fonctionnement sont précisés par décret en Conseil d’État. Le président de la Commission nationale de suivi des essais nucléaires est membre de droit de la direction du département de suivi des centres d’expérimentations nucléaires.

Article 6

Le suivi des questions relatives à l’épidémiologie et à l’environnement, jusqu’à présent attribué au département de suivi des centres d’expérimentations nucléaires, est attribué à la Commission nationale de suivi des essais nucléaires. La Commission nationale de suivi des essais nucléaires assure le suivi de l’application de la présente loi. La commission assure en outre le suivi des populations qui vivent ou ont vécu à proximité des sites d’essais tant au Sahara qu’en Polynésie française.

Article 7

La décision concernant l’application du principe de présomption de lien avec le service défini à l’article 1er est prise par le Premier ministre sur proposition de l’un ou l’autre des ministres désignés à l’article 5.

Article 8

La Commission nationale de suivi des essais nucléaires publie chaque année un rapport sur l’application de la loi.

Article 9

Les dépenses de l’État résultant des dispositions de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits de consommation sur les tabacs visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

Article 10

La présente loi est applicable aux territoires d’outre-mer et à la collectivité territoriale de Mayotte.


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