Accueil > Documents parlementaires > Propositions de loi
La version en format HTML, à la différence de celle en PDF, ne comprend pas la numérotation des alinéas.
Version PDF
Retour vers le dossier législatif

Document

mis en distribution

le 9 avril 2008


N° 761

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 27 mars 2008.

PROPOSITION DE LOI

sur la procédure d’inhumation des enfants mort-nés,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

PAR M. Jean-Claude BOUCHET,

député.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Il n’existe pas, à l’heure actuelle, de législation qui prenne en compte la détresse des parents endeuillés, suite à la perte, durant la grossesse, de leurs bébés nés avant vingt-deux semaines d’aménorrhée ou pesant moins de cinq cents grammes.

C’est ainsi que ces enfants décédés sont, la plupart du temps, qualifiés de « pièces anatomiques », de « déchets hospitaliers », de « produits innomés » ou de « débris humains » et sont incinérés dans les services hospitaliers avec les autres pièces opératoires.

Dans le contexte de la perte d’un enfant, de telles formules et les procédures qui en résultent sont psychologiquement traumatisantes et douloureuses pour les parents car cette existence in utero, fugitive, était néanmoins porteuse de l’espérance d’un couple.

Par trois arrêts rendus le 6 février 2008, la première chambre de la Cour de cassation est venue préciser le statut des enfants nés sans vie en permettant à des familles plaignantes de donner un état civil à leurs bébés mort-nés alors que leur âge et leur poids étaient inférieurs aux vingt-deux semaines d’aménorrhée et cinq cents grammes que l’OMS prévoit dans sa réglementation.

La Cour de cassation a ainsi résolu une contradiction insupportable entre, d’une part, les évolutions techniques et médicales qui permettent d’avoir très tôt, au cours de la grossesse, une représentation très précise, tant visuelle par l’échographie, que sonore par le Doppler, de la vie du fœtus et, d’autre part, la non-prise en compte de la réalité de cette existence en raison d’un vide juridique.

Lors de sa promulgation, le code civil n’avait envisagé que la déclaration de naissance d’un enfant vivant au moment de celle-ci. L’enfant devait d’ailleurs être présenté à l’officier d’état civil qui établissait un acte de naissance, preuve de l’accouchement et de l’existence d’un enfant vivant et viable.

C’est un décret du 4 juillet 1806, qui n’a été abrogé que par la loi du 8 janvier 1993, qui a prévu qu’en cas de décès antérieur à la déclaration de naissance, il ne serait dressé ni un acte de décès (car la naissance n’avait pas été déclarée), ni un acte de naissance (car l’enfant ne pouvait pas être présenté vivant à l’officier d’état civil) mais un acte se bornant à constater qu’un accouchement avait eu lieu et que l’enfant qui en était issu se trouvait sans vie au moment de sa présentation à l’officier d’état civil. Cet « acte de présentation d’un enfant sans vie » devient l’« acte d’enfant sans vie » à compter de 1919, date à laquelle l’obligation de présenter l’enfant à l’officier d’état civil est supprimée. Cet acte est inscrit sur le registre des décès.

Mais la jurisprudence pénale a dû résoudre la question de savoir si tous les accouchements d’enfants ou de fœtus mort-nés devaient être déclarés à l’état civil, ou si seuls étaient concernés ceux ayant donné lieu à l’expulsion d’un fœtus après un certain stade de développement.

Un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 7 août 1874 a décidé que seuls les enfants mort-nés viables devaient être présentés à l’officier d’état civil :

« attendu que l’article 345 § 3 du code pénal qui punit de six jours à deux mois de prison la suppression de l’enfant lors même qu’il était bien établi qu’il n’a pas vécu, doit être combiné avec l’article 312 du code civil, aux termes duquel l’enfant n’est réputé viable qu’après un minimum de 180 jours, ou 6 mois de gestation ; que l’être qui vient au monde avant ce terme, privé non seulement de la vie, mais des conditions organiques indispensables à l’existence, ne constitue qu’un produit innomé et non un « enfant », dans le sens que le législateur a attaché à cette expression ; que ce n’est point en vue d’un pareil être qui, suivant que sa venue au jour se rapproche davantage de l’époque de la conception, peut ne pas même présenter les signes distinctifs de la forme humaine que le décret du 3 juillet 1806 a prescrit la présentation du cadavre du tout petit enfant mort-né à l’officier d’état civil ; qu’une telle présentation, sans utilité pour l’intérêt social, pourrait dans certains cas, blesser la pudeur publique. »

A donc été défini un critère général de viabilité par rapport à une durée de gestation. Ce critère résultant de la combinaison des règles du droit de la filiation (présomption légale de conception, irréfragable jusqu’en 1972) avec celles relatives à l’état civil va perdurer jusqu’à nos jours.

Ainsi, avant la loi du 8 janvier 1993, parmi les enfants décédés avant la déclaration de leur naissance, seuls les enfants viables devaient faire l’objet d’une déclaration à l’état civil et n’étaient considérés comme viables que les enfants nés après une grossesse ayant duré au moins 180 jours ou 6 mois, l’acte établi alors était un acte d’enfant sans vie, sauf aux parents à saisir le tribunal de grande instance pour faire juger que l’enfant avait vécu.

Les enfants nés avant 180 jours de gestation ne faisaient l’objet d’aucune déclaration pour absence présumée de viabilité. Dans la mesure où l’existence d’une personnalité juridique supposait un enfant vivant et viable, on estimait qu’il n’y avait pas lieu de garder trace à l’état civil de l’existence d’un être qui, en tout état de cause, n’aurait pu avoir de personnalité juridique.

Ces règles ont été critiquées, notamment parce qu’une même disposition (l’acte d’enfant sans vie) régissait des situations différentes : parmi les enfants décédés avant la déclaration de leur naissance, soit avant un délai de trois jours après l’accouchement, certains étaient nés vivants et viables et avaient vécu quelques heures, ils avaient donc eu, même brièvement, la personnalité juridique, – et les parents ressentaient douloureusement l’établissement d’un acte qui ne mentionnait pas la courte vie de leur enfant – d’autres étaient nés vivants même s’ils n’étaient pas viables (les faux mort-nés) ; d’autres étaient décédés durant l’accouchement ou in utero.

La loi n° 93-22 du 8 janvier 1993 a abrogé le décret de 1806 et introduit dans le code civil l’acte d’enfant sans vie dans un article 79-1, tout en restreignant son domaine. Cet article dispose que : « Lorsqu’un enfant est décédé avant que sa naissance ait été déclarée à l’état civil, l’officier de l’état civil établit un acte de naissance et un acte de décès sur production d’un certificat médical indiquant que l’enfant est né vivant et viable et précisant les jours et heures de sa naissance et de son décès.

« À défaut du certificat médical prévu à l’alinéa précédent, l’officier de l’état civil établit un acte d’enfant sans vie. Cet acte est inscrit à sa date sur les registres de décès et il énonce les jour, heure et lieu de l’accouchement, les prénoms et noms, dates et lieux de naissance, professions et domiciles des père et mère et, s’il y a lieu, ceux du déclarant. L’acte dressé ne préjuge pas de savoir si l’enfant a vécu ou non; tout intéressé pourra saisir le tribunal de grande instance à l’effet de statuer sur la question. »

Le premier alinéa de l’article 79-1 permet désormais de donner un état civil complet aux enfants nés vivants et viables mais décédés avant leur déclaration de naissance. Un acte de naissance et un acte de décès sont dressés, même si l’enfant n’a vécu que quelques minutes. Sa filiation pourra être mentionnée et établie (la reconnaissance anténatale sera mentionnée en marge de l’acte de naissance), ses noms et prénoms figureront dans l’acte, la législation funéraire s’appliquera (délivrance d’un permis d’inhumer, obsèques obligatoires, etc.). La naissance devra être déclarée dans les trois jours de l’accouchement.

Mais l’établissement de l’acte de naissance et de décès est subordonné à la délivrance d’un certificat médical indiquant que l’enfant est né vivant et viable et précisant les jour et heure de naissance et de décès.

La définition de l’enfant né vivant semble assez unanimement admise comme étant le fait pour l’enfant « de produire aussitôt après l’expulsion du ventre de sa mère une secousse respiratoire qui atteste que de l’air est entré dans ses poumons et qu’il a eu une activité cardiaque » ; la viabilité d’un enfant est plus difficile à définir : c’est sa capacité naturelle de vivre.

Une circulaire du ministère de la santé datant du 22 juillet 1993 a recommandé aux médecins chargés de constater la viabilité de ne pas avoir égard aux éventuelles malformations ou à l’absence d’organes vitaux mais de retenir le seuil de viabilité tel que défini en 1977 par l’Organisation mondiale de la santé par rapport à la durée de la grossesse ou le poids du fœtus soit un terme de vingt-deux semaines d’aménorrhée ou un poids de cinq cents grammes.

Aux termes de l’alinéa 2 de l’article 79-1 du code civil, en l’absence de certificat médical ou lorsque celui-ci ne comporte pas la double indication que l’enfant décédé est né vivant et viable, l’officier d’état civil établit un acte d’enfant sans vie. Mais en ce cas, les parents peuvent saisir les tribunaux pour démontrer par exemple que leur enfant viable a vécu même quelques minutes pour qu’un acte de naissance et un acte de décès soient dressés.

La circulaire d’application de la loi du 8 janvier 1993, datée du 3 mars 1993 (J.O. du 24 mars 1993 p. 4551), dont les termes ont été repris par l’instruction générale de l’état civil dans sa version de 1999, a maintenu un seuil de gestation en dessous duquel l’enfant mort-né n’est pas enregistré à l’état civil, en retenant la durée minimale de 180 jours de gestation (vingt-huit semaines d’aménorrhée) par référence à l’article 311 du code civil sur la période légale de conception.

Ce seuil a été critiqué par ceux qui voudraient supprimer toute référence à la notion de viabilité mais aussi par ceux qui souhaitaient que les définitions médicale et juridique de la viabilité coïncident.

Finalement, une circulaire conjointe des ministères de la solidarité de la justice et de l’intérieur en date du 30 novembre 2001 (n° 2001-576) intégrée à l’instruction générale de l’état civil (IGEC) a abaissé le seuil de déclaration à l’état civil des enfants mort-nés en se référant à la définition de la viabilité donnée par l’OMS soit vingt-deux semaines d’aménorrhée (cent quarante jours ou quatre mois et demi de grossesse) ou un poids du fœtus de plus de cinq cents grammes.

L’article 1-1 de la circulaire de 2001 prévoit : « En labsence de certificat médical attestant que lenfant est né vivant et viable, lofficier de létat civil établit un acte denfant sans vie.

« Il en est ainsi :

«  lorsque lenfant est né vivant mais non viable ;

«  ou lorsque lenfant est mort-né après un terme de vingt-deux semaines daménorrhée ou ayant un poids de cinq cents grammes [...]»

Aujourd’hui donc, seul l’enfant mort-né avant le terme de vingt-deux semaines d’aménorrhée (soit quatre mois et demi de grossesse) ou ayant un poids de moins de cinq cents grammes ne fait l’objet d’aucune déclaration à l’état civil.

Mais ce nouveau seuil n’est pas fixé par la loi et résulte d’une circulaire et d’une instruction à l’usage des officiers d’état civil et des parquets.

Cette circulaire ne vaut que sous réserve de l’interprétation des tribunaux et n’a pas valeur normative. Toutefois, l’instruction générale de l’état civil est souvent considérée comme une véritable « bible » par les fonctionnaires en charge de l’état civil qui ont tendance à estimer que ce qui est mentionné dans l’IGEC est « la seule expression du droit en la matière ». Ainsi l’instruction générale affiche clairement une « attitude doctrinale » en réservant l’établissement d’un acte d’enfant sans vie aux enfants mort-nés après une gestation supérieure à 180 jours alors que la loi n’opère aucune distinction selon la durée de gestation. On ne peut que constater le caractère inévitable de ces « interprétations créatrices » puisque par définition le droit législatif et le droit réglementaire ne sont pas directement opérationnels.

En général, les officiers d’état civil ont suivi l’interprétation donnée par l’IGEC pour refuser d’établir des actes d’enfants sans vie.

Dans les cas où il est établi, l’acte d’enfant sans vie emporte des effets importants même si beaucoup estiment ses effets insuffisants. Il convient de souligner que contrairement à l’acte de naissance qui ne peut être établi que dans les trois jours de la naissance, l’acte d’enfant sans vie peut être dressé à tout moment.

L’établissement d’un acte d’enfant sans vie permet tout d’abord aux parents de faire jouer à l’état civil, son rôle symbolique (trace de l’existence de leur enfant, individualisation de celui-ci).

Il permet l’attribution d’un ou plusieurs prénoms. Cette possibilité qui ne résulte pas de la lettre du texte est admise par l’instruction générale de l’état civil qui propose des modèles d’actes. En revanche, le nom patronymique de l’enfant n’est pas porté sur l’acte. L’acte d’enfant sans vie ne permet pas d’établir juridiquement le lien de filiation de l’enfant (puisque dans la conception traditionnelle, critiquée en doctrine, la filiation ne peut être établie que pour l’enfant qui a la personnalité juridique et qui est donc né vivant et viable) mais il désigne les parents « les père et mère » aux termes de l’article 79-1 alinéa 2 du code civil.

Il autorise l’inscription sur le livret de famille à titre de mention administrative (lorsque les parents ou l’un d’eux en détiennent déjà un), mais la mention ne figure pas à la suite des extraits de naissance concernant les autres enfants.

Son établissement donne accès à certains droits sociaux et notamment l’attribution d’un congé de maternité et le droit à une protection contre le licenciement pendant ce congé et à la reprise du travail et le droit à la majoration du montant de l’assurance vieillesse (cf. L. 351-12 du code de la sécurité sociale et arrêt de la chambre sociale - 9 décembre 1985 - bull. n° 589).

Surtout, l’établissement d’un acte d’enfant sans vie permet aux parents de réclamer à l’établissement de santé, dans les dix jours de l’accouchement, le corps de leur enfant décédé et d’en obtenir la remise afin d’organiser, s’ils le souhaitent, des obsèques.

Cette possibilité qui était jusqu’alors mentionnée dans une simple circulaire (celle du 30 novembre 2001 précitée) est désormais consacrée par un texte réglementaire mais uniquement pour le corps des enfants « pouvant être déclarés sans vie à l’état civil » aux termes d’un décret n° 2006-965 du 1er août 2006.

Ainsi, la délivrance d’un acte d’enfant sans vie permet la délivrance d’une autorisation administrative de fermeture du cercueil et donc, aux familles qui le souhaitent, de prévoir à leur charge une sépulture traditionnelle par inhumation ou la crémation.

Si le corps de l’enfant « pouvant être déclaré sans vie à l’état civil » n’est pas réclamé, l’établissement procédera, dans les deux jours qui suivent le délai de 10 jours pour le réclamer, à sa crémation ou, lorsqu’une convention avec la commune le prévoit, à son inhumation.

Ces nouvelles dispositions, codifiées aux articles R. 112-75 et suivants du code de la santé publique, si elles clarifient le sort des enfants qui peuvent faire l’objet d’un acte d’enfant sans vie, laissent hors de leur champ d’application le cas des fœtus extraits sans vie de moins de cinq cents grammes ou de moins de vingt-deux semaines d’aménorrhée. Le corps de ces fœtus est incinéré par l’établissement de santé comme un déchet anatomique de façon collective et anonyme dans les conditions des articles R. 1335-9 à R. 1335-11 du code de la santé publique.

Toutefois, la circulaire interministérielle précitée du 30 novembre 2001 rappelle que certaines communes acceptent même en l’absence d’acte d’enfant sans vie, d’accueillir le corps des fœtus dans le cimetière communal. Il existe également des registres administratifs d’enfants mort-nés créés à l’initiative des préfets, l’inscription sur ces registres permettant l’obtention d’une autorisation de fermeture de cercueil et d’inhumation. Les plus anciennes circulaires préfectorales autorisant de telles inhumations sans acte d’enfant sans vie sont celles du préfet de la Seine concernant la ville de Paris, des 26 novembre 1868 et 15 janvier 1869.

Mais ces initiatives locales, qui répondent à un réel besoin, ne sont pas généralisées à l’ensemble du territoire et entraînent une disparité de traitement selon le lieu de l’accouchement.

Il apparaît donc indispensable d’harmoniser sur l’ensemble du territoire national une procédure respectant la dignité d’une vie interrompue, fut-elle en devenir, et aider tous les parents confrontés à cette épreuve à mieux la surmonter.

C’est pourquoi, il vous est proposé d’introduire la possibilité de délivrer un acte d’enfant sans vie pour les enfants nés vivants mais non viables ou mort-nés avant le seuil de viabilité actuellement fixé par l’OMS.

Tel est, Mesdames et Messieurs, l’objet de la présente proposition de loi qu’il vous est demandé d’adopter.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

La dernière phrase du dernier alinéa de l’article 79-1 du code civil est remplacée par deux phrases ainsi rédigées :

« Il en est ainsi lorsque l’enfant, sans vie au moment de la déclaration à l’état civil, est né vivant mais non viable ou lorsque l’enfant est mort-né, quels que soient son poids et la durée de la gestation. L’acte dressé ne concerne pas les interruptions volontaires de grossesse. »

Article 2

Les charges qui pourraient résulter de l’application de la présente loi pour les régimes de sécurité sociale sont compensées, à due concurrence, par le relèvement des droits prévus par les articles 575 et 575 A du code général des impôts.

Article 3

Un décret en Conseil d’État fixera les conditions d’application de la présente loi.


© Assemblée nationale