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le 10 décembre 2008


N° 1117

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 septembre 2008.

PROPOSITION DE LOI

visant à réduire l’utilisation des pesticides
et les
risques liés à cette utilisation,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Yves COCHET, Martine BILLARD,
Noël MAMÈRE et
François de RUGY,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Du 20 au 30 mars 2008 a eu lieu la semaine pour les alternatives aux pesticides, à l’initiative du réseau ACAP (Association citoyenne pour les alternatives aux pesticides) lancé en 2004 par l’Association de référence sur la question des pesticides : le MDRGF (Mouvement pour les droits et le respect des générations futures). Cet événement citoyen avait pour objectifs d’informer sur les risques associés à l’utilisation des pesticides et surtout de promouvoir les alternatives à leur utilisation.

Pour désigner les pesticides, on utilise parfois d’autres termes comme « phytosanitaires », « phytopharmaceutiques » ou encore « produits de santé des plantes ». Le mot « pesticides » est un terme générique qui englobe plus spécifiquement les produits phytopharmaceutiques et les produits biocides souvent caractérisés comme des produits à usage non-agricole. Ces deux types de produits font l’objet de deux réglementations différentes. Ce sont les articles L. 253-1 et suivants du code rural qui réglementent la mise sur le marché, la distribution et l’application des produits phytopharmaceutiques. Ces règles résultent pour l’essentiel de la transposition en droit interne de la Directive 91/414/CEE concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques. Les articles L. 522-1 et suivants du code de l’environnement réglementent la mise sur le marché des produits biocides et sont issus de la transposition en droit français de la Directive 98/8/CE relative à la mise sur le marché des produits biocides.

Ces pesticides sont la cause d’une pollution généralisée de notre environnement et de nombreux problèmes de santé publique. On constate une contamination de tous les milieux : eau (96 % des rivières testées en contiennent), air (on retrouve des pesticides jusque dans l’air des grandes villes : Paris, Lille, etc.), aliments (on retrouve des résidus de pesticides dans plus de 50 % des fruits et légumes conventionnels consommés en Europe), et en bout de chaîne, le corps humain se trouve aussi contaminé. Ces exposition et contamination généralisées ont des conséquences pour la santé humaine. Si les utilisateurs de pesticides sont les premiers concernés, la population entière peut être victime de la nocivité de ses produits. Des travaux épidémiologiques ont montré que les personnes exposées aux pesticides courent un plus grand risque de développer certaines maladies : certains cancers (au premier rang desquels les lymphomes non hodgkiniens, les leucémies, ou encore les cancers du cerveau, etc.), des malformations congénitales, des problèmes de fertilité, des maladies neurodégénératives de types Alzheimer ou Parkinson. En outre, ces toxiques peuvent engendrer l’affaiblissement de la fonction immunitaire et une plus grande sensibilité aux agents pathogènes.

La littérature scientifique internationale s’accorde à reconnaître la nocivité des pesticides. La synthèse du rapport d’expertise de l’INRA/Cemagref de 2005, qui traitait de l’impact environnemental des pesticides, met en avant «la nécessité de réduire les utilisations de pesticides pour en limiter les impacts ». Il ajoute que « les pesticides ont nécessairement des effets sur les organismes non-cibles et les écosystèmes ».

Des institutions internationales viennent appuyer ces expertises scientifiques. Au niveau communautaire, en juillet 2002, la Commission européenne a reconnu dans son sixième programme d’action pour l’environnement qu’il y a « des preuves suffisantes pour suggérer que les problèmes associés à la contamination de l’environnement et des aliments par les pesticides sont sérieux et s’aggravent ». En 2007, la commission Environnement du Parlement européen a demandé une réduction de 50 % de l’utilisation des pesticides d’ici à 2018.

Il est donc nécessaire, à la vue de ce constat, de changer de système. Lutter contre les pesticides revient à promouvoir une alimentation plus saine et plus sûre pour tous, préserver notre environnement et donc notre santé. C’est pourquoi, il faut encourager l’agriculture biologique, seul modèle agricole excluant totalement les phytosanitaires de synthèse (sauf cas particulier) et promouvoir les systèmes qui réduisent fortement le recours à ces produits, comme par exemple la production intégrée. Cette proposition de loi repose sur un double objectif : garantir la sécurité sanitaire et alimentaire des populations et assurer des conditions de travail satisfaisantes et sans risque pour les utilisateurs.

L’ensemble des règles qui régissent les pesticides vise essentiellement le début de cycle de vie des pesticides. La phase d’utilisation de ces produits n’est que partiellement envisagée par des dispositions de nature réglementaire en ce qui concerne les produits phytopharmaceutiques et qui résultent de l’arrêté du 12 septembre 2006 prévoyant quelques mesures d’ordre générale lors des pulvérisations. La réglementation française paraît donc insuffisante au regard des engagements qui ont été pris dans le cadre du Grenelle et quant à la prise de conscience nationale et européenne amorcée depuis plusieurs mois sur les problèmes liés aux pesticides.

Ainsi, nous proposons un processus en trois temps développé dans les trois parties de cette loi. Il faut dans un premier temps, réduire les usages de pesticides avec un objectif de - 50% à l’horizon 2018 et poursuivre cette baisse après cette date. Il convient ensuite de réduire la dangerosité des produits et, enfin, d’améliorer les pratiques. Ces trois axes principaux s’accompagneront de mesures transversales comme la formation des acteurs (aussi bien professionnels : – agriculteurs, employés des espaces verts, chercheurs – qu’amateurs : jardinier amateur) ou encore le développement de l’information pour plus de transparence.

Ces trois axes sont parfaitement en cohérence avec les décisions prises dans le cadre des engagements numérotés du Grenelle de l’environnement qui prévoit de supprimer les produits phytosanitaires les plus préoccupants : 30 d’ici fin 2008, 10 d’ici fin 2010, et réduction de moitié d’ici fin 2012 des produits pour lesquels il n’existe pas de substitution, ainsi que la réduction de 50 % des usage d’ici 2018. Cette réduction doit s’accompagner de l’accélération de la diffusion des méthodes alternatives.

PROPOSITION DE LOI

TITRE Ier

POUR LA RÉDUCTION
DE L’UTILISATION DES PESTICIDES

Article 1er

Un programme de réduction de l’usage des pesticides en milieu agricole est fixé selon un échéancier. On prévoit une réduction de 25 % d’ici 2013 et 50 % d’ici 2018. L’indice de référence pris en compte est l’IFT (Indice de fréquence des traitements).

Un décret du ministre chargé de l’agriculture fixe les conditions d’application de ce programme.

Article 2

Les agences compétentes en matière de produits phytosanitaires à usage agricole sont l’Institut national de recherche agronomique (INRA), l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (AFSSET), l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (INERIS), l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS), l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA).

Elles désignent des délégués pour participer au collège d’experts visant à mettre en œuvre l’objectif de réduction de l’utilisation des pesticides.

Ce collège d’experts est constitué des délégués des agences mentionnées ci-dessus, de représentants des ministères de la santé, de l’environnement et de l’agriculture, des associations écologistes nationales et locales, ainsi que des élus des organisations professionnelles.

Ce collège doit rédiger les cahiers des charges par type de culture et d’élevage en fonction des spécificités régionales et en se fondant sur les définitions établies par l’OILB (Organisation internationale de lutte biologique et intégrée) pour promouvoir les systèmes de production intégrée.

Ces cahiers des charges fixent des objectifs chiffrés de réduction d’utilisation des pesticides en lien avec les objectifs généraux fixés à l’article 1er de la présente loi et définissent les étapes de transition vers des systèmes de production intégrée.

Un décret du ministre chargé de l’agriculture et de la pêche et du ministre chargé de l’écologie, du développement et de l’aménagement durables fixe les modalités d’organisation de ce travail commun entre les différents acteurs.

Un décret du ministre chargé de l’agriculture et de la pêche et du ministre chargé de l’écologie, du développement et de l’aménagement durables dégage les moyens nécessaires aux financements de la recherche agronomique visant à définir les systèmes de production intégrée par type de culture et d’élevage.

Article 3

La totalité des exploitations qui ne sont pas certifiées « Agriculture biologique » doivent adopter des systèmes de production intégrée d’ici à 2018, tel que défini à l’article 2.

Un décret du ministre chargé de l’agriculture et de la pêche et du ministre chargé de l’écologie, du développement et de l’aménagement durables détermine les étapes de transition et les modes d’application de cet objectif.

Article 4

1. Un plan de développement de l’agriculture biologique est mis en place incluant : une incitation financière pour les agriculteurs qui souhaiteraient convertir leur système de production, une aide au maintien économique de leurs exploitations et un programme de recherche agronomique. Un objectif de 30 % de la surface agricole utile conduite en agriculture biologique est fixé pour 2020.

2. Les frais engendrés par cette mesure ainsi que ceux engendrés par le dernier alinéa de l’article 2 sont couverts par une majoration, à due concurrence, de la taxation des pesticides.

Article 5

I. – L’article L. 522-4 du code de l’environnement est complété par un IV ainsi rédigé :

« IV. – Les produits mentionnés au I ne peuvent être vendus en libre service aux particuliers. Ces produits ne peuvent être vendus que sur demande par un vendeur professionnel formé. Seuls peuvent être vendus en libre service les produits autorisés en agriculture biologique. »

II. – L’article L. 253-1 du code rural est complété par un V ainsi rédigé :

« V. – Les produits mentionnés au II ne peuvent être vendus aux particuliers et sont interdits à la vente en libre-service. Ces produits ne peuvent être vendus que sur demande d’un professionnel par un vendeur formé ».

Article 6

Toute institution ou organisation agricole ou non agricole utilisant ou vendant des pesticides est incitée à établir des partenariats.

Ces partenariats visent à promouvoir les techniques limitant, voire supprimant le recours aux pesticides afin de réduire leur dépendance à ces produits et de mettre en place des méthodes alternatives.

Des accords-cadres avec l’État pourront être mis en place.

Sont concernés par cette mesure : les collectivités territoriales, l’association des maires de France, l’éducation nationale et les distributeurs de type grande distribution, jardineries ou magasins de bricolage.

TITRE II

POUR LA RÉDUCTION
DE LA DANGEROSITÉ DES PRODUITS

Article 7

Le plan interministériel de réduction des risques liés aux pesticides (PIRRP) 2006-2009 est amendé. Sont exclus de la vente tout produit contenant des substances CMR 1,2 et 3, ainsi que les perturbateurs endocriniens et les inhibiteurs d’acétylcholinestérase.

Un décret du ministre chargé de l’écologie, du développement et de l’aménagement durables modifie la liste des produits cités dans l’Axe 5 du PIRPP.

Article 8

L’usage de mélanges extemporanés de produits phytopharmaceutiques est interdit, sauf avis favorables de l’AFSSA.

Un décret du ministre chargé de l’écologie, du développement et de l’aménagement durables fixe les conditions d’application de cette interdiction.

Article 9

Les produits phytopharmaceutiques et biocides doivent faire l’objet d’une substitution systématique lorsqu’il existe des substances de moindre nocivité ou des techniques alternatives.

Un principe de substitution catégorisant les différents produits et leurs substituts est établi par le collège d’experts mentionné à l’article 2 de la présente loi.

Article 10

Les décisions d’autorisation de mise sur le marché (AMM) sont tripartites. Elles relèvent de trois ministères : le ministère de la santé, le ministère de l’écologie, du développement et de l’aménagement durables et le ministère de l’agriculture.

Ces décisions doivent être signés par les trois ministres.

Article 11

Afin d’accroître l’efficacité et la rapidité de l’évaluation des pesticides et des biocides, les tests intègrent les avancées techniques de la toxicogémonique. Des facteurs de risques supplémentaires sont ajoutés pour les populations les plus vulnérables : enfants en bas âge, femmes enceintes, personnes âgées. Les calculs des valeurs guides sont réévalués.

Un décret du ministre de la santé, du ministre chargé de l’écologie, du développement et de l’aménagement durables et du ministre de l’agriculture fixe les conditions d’application de cette mesure.

TITRE III

POUR L’AMÉLIORATION DES PRATIQUES

Article 12

Les pulvérisations de pesticides par aéronefs sont interdites.

Article 13

1. Les pulvérisations de pesticides sont interdites dans les zones sensibles : les parcs, les jardins publics, les terrains de sport, les zones d’habitation et les écoles.

Par ailleurs, une zone non traitée de 100 mètres minimum est mise en place autour des zones sensibles citées ci-dessus.

2. En zone agricole, afin de protéger la population et de prévenir l’exposition du public, les parcelles faisant l’objet de pulvérisations sont signalées de manière visible et les registres d’utilisation des pesticides tenus par les agriculteurs sont mis à disposition des tiers sur simple demande.

3. Une zone de sécurité de 50 mètres minimum est établie entre des parcelles faisant l’objet d’une pulvérisation et toutes habitations contiguës à ces parcelles.

Article 14

La protection des cours d’eau est renforcée.

Un décret vient amender les articles 11 et 12 de l’arrêté ministériel du 12 septembre 2006 concernant les dispositions particulières relatives aux zones non traitée au voisinage des points d’eau.

Les zones non traitées sont élargies de 5 à 10 mètres.

Des plans de protection par bassins versants sont déterminés par les agences de l’eau.

Les périmètres de protection autour des captages d’alimentation en eau potable prévus par la loi (immédiat, rapproché ou éloigné) devront impérativement être mis en œuvre dans les cinq ans à compter de la promulgation de cette loi. De plus, dans les zones sensibles, des actions de protection à l’échelle des bassins versants sont mis en œuvre dans les cinq ans à compter de la promulgation de cette loi.

Article 15

Il est officiellement créé une filière de récupération et de traitement des déchets de produits phytopharmaceutiques et biocides.

Chaque municipalité met en place une filière de récupération obligatoire et de traitement de tous les déchets de pesticides ou biocides.

Ces déchets font l’objet d’un retraitement non polluant.

Les frais engendrés par la récupération et le retraitement des pesticides sont financés à 50% par les industriels fabricants, 30% par les distributeurs et 20% par les utilisateurs, en vertu du principe du pollueur-payeur.

Un décret fixe les modalités d’organisation de cette filière.

Article 16

Des formations obligatoires sont organisées pour tous les agents susceptibles de vendre ou d’utiliser ces produits : distributeurs, sous-traitants, vendeurs, agents des jardins communaux, agriculteurs.

Ces formations portent sur les dangers des pesticides et les moyens alternatifs existants pouvant s’y substituer.

Ces formations sont assurées par un organisme certificateur agréé par les pouvoirs publics.

Cette formation est renouvelée tous les quatre ans pour mettre à jour les connaissances sur les nouveaux produits.

Un décret fixe les modalités de financement de ces formations.

Article 17

Tous les agents utilisateurs de pesticides doivent obligatoirement tenir un registre type pour faire état de leur quantité d’utilisation et de leur effort à la réduction.

Ces informations sont centralisées et rendues accessibles au public sur la base SCEES.

Article 18

L’article L. 253-6 du code rural est complété par alinéa ainsi rédigé :

« Les emballages et étiquettes doivent obligatoirement porter la mention “Nuit à la santé” et “Nuit à l’environnement” pour tous les produits classés 1 et 3 selon le classement de la taxe générale sur les activités polluantes ou “nuit gravement à la santé” et “nuit gravement à l’environnement” pour tous les produits classés 4 et 7 selon le classement de cette taxe.

Article 19

Le port des équipements de protection individuelle (EPI) est obligatoire pour tous les utilisateurs professionnels. L’employeur agricole vérifie que ses salariés portent les EPI prévus à cet effet. Les salariés agricoles doivent porter leurs EPI sous peine de contravention pénale. Un décret du ministre de l’agriculture et de la pêche et du ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité fixe les modalités d’application du présent article.

L’équipement individuel doit être composé d’une combinaison, d’un masque et d’une paire de gants certifiés.

Article 20

Les classes de la redevance sont réévaluées et réaffectées notamment aux agences de l’eau, au collège d’experts tel que défini à l’article 2, à l’ITAB ou encore aux organisations professionnelles agricoles faisant la promotion de l’agriculture biologique ou de la production intégrée. Un décret modifie et relève significativement cette redevance en fonction des dangers toxicologiques et éco-toxicologiques des produits.

Article 21

Les charges éventuelles qui résulteraient pour l’État de l’application de la présente loi sont compensées à due concurrence par la redevance visée à l’article 84 et suivants de la loi n° 2006-1772 sur l’eau et les milieux aquatiques.

Article 22

Les sanctions pénales prévues en cas d’infraction aux règles d’utilisation des produits phytosanitaires sont renforcées.

Dans le code rural, à l’article L. 253-17, le premier aliéna du I est supprimé. Il est remplacé par :

« I.- Est puni de trois ans d’emprisonnement et de 90 000 euros d’amende : »

Le premier alinéa du II est supprimé et est remplacé par :

« II.- Est puni d’un an d’emprisonnement et de 40 000 euros d’amende : »

Il est complété par le paragraphe suivant :

« L’arrêté du 12 septembre 2006 relatif à la mise sur le marché et à l’utilisation des produits visés à l’article L. 253-1 du code rural est complété au vu des article 13 et 14. »


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