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le 2 mars 2009


N° 1434

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 4 février 2009.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

visant à créer une commission d’enquête relative à la vulnérabilité du réseau de transport et de distribution d’électricité en France,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire,
à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus
par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Madame et Messieurs

François de RUGY, Martine BILLARD, Yves COCHET
et Noël MAMÈRE,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le samedi 24 janvier 2009, une violente tempête a secoué la France. Le sud-ouest, particulièrement touché, a déploré jusque 1,7 million de foyers privés d’électricité. Selon le gestionnaire du Réseau de transport d’électricité français (RTE), 118 lignes à haute et très haute tension et 93 postes de transformation ont été hors service au plus fort de la crise. Les lignes à basse et moyenne tension ont subi de graves avaries.

Cet effondrement du réseau électrique a entraîné des réactions en chaîne qui ont aggravé les dégâts déjà considérables causés directement par la tempête : problèmes d’accès à l’eau potable, signalisations routière et ferroviaire en panne et trains paralysés, foyers privés de chauffage, centraux téléphoniques arrêtés… L’utilisation sans préparation de groupes électrogènes par des particuliers, dans des pièces non ventilées, aurait tué quatre personnes et intoxiqué beaucoup d’autres.

Malgré la rapidité et l’ampleur des moyens mis en œuvre, il aura fallu plus d’une semaine pour rétablir l’électricité partout. Beaucoup plus de temps sera nécessaire pour remettre le réseau en état : selon Électricité Réseau Distribution France (ERDF), il faudra « plusieurs années pour que le réseau électrique (…) redevienne tel qu’il était avant la tempête ».

Cette tempête était prévue, annoncée. Des alertes météo avaient été diffusées, les pouvoirs publics, la population était informée. On ne peut dès lors que constater l’extrême fragilité du réseau électrique français face aux aléas climatiques.

Cette vulnérabilité est inquiétante, à l’heure où de nombreux experts s’accordent sur la forte probabilité d’une multiplication imminente des aléas météorologiques extrêmes dus au changement climatique. Et cela ne concerne malheureusement pas que les tempêtes. Nous avons en mémoire les difficultés rencontrées dans nos réseaux de production, de transport et de distribution lors de situations de fortes chaleurs (problèmes notamment de refroidissement des centrales nucléaires) ou de grands froids (risque de rupture d’approvisionnement) notamment.

Cette fragilité est d’autant plus inquiétante que les pouvoirs publics, EDF et RTE nous disaient avoir tiré les leçons de la tempête de décembre 1999 qui avait nécessité trois semaines d’intervention pour que tous les foyers soient à nouveau alimentés en électricité.

À partir de 2001, RTE a ainsi mis en œuvre un plan se voulant ambitieux de sécurisation des lignes fondé notamment sur le renforcement des fondations de certains pylônes afin d’éviter les chutes en chaîne. Ce programme, estimé à 2,4 milliards d’euros, doit s’achever en 2017. Il suffit à expliquer, selon RTE, des dégâts moindres qu’en 1999 sur les lignes à haute tension. Peut-on pour autant s’en satisfaire ? Rien n’est moins sûr.

Les lignes moyenne et basse tension, gérées par ERDF, ont quant à elles subi des dégâts plus lourds qu’en 1999. Ces dégâts sont pour partie dus à des investissements très insuffisants pour leur sécurisation. Ils sont également dus au choix d’un réseau de distribution très majoritairement aérien et donc plus vulnérable que le réseau souterrain. Aujourd’hui, un peu plus de 30 % du réseau basse et moyenne tension en France est enfoui, contre plus de 70 % pour l’Allemagne. ERDF compte combler son retard en portant ses investissements de 1,5 milliard en 2005 à 2,6 milliards d’euros en 2011.

Ces efforts méritent d’être salués, mais nous restons dubitatifs quant à leur efficacité réelle. D’autant que les objectifs affichés (d’ici à 2017, en cas de tempête similaire, deux fois moins de foyers coupés, réalimentés deux fois plus rapidement) se veulent ambitieux mais ne remettent pas en cause la fragilité inhérente du système.

Nous considérons en effet que notre réseau de production, transport et distribution d’électricité est beaucoup trop vulnérable aux aléas climatiques pour trois raisons principales :

– L’insuffisant enfouissement des lignes basse et moyenne tension ;

– La concentration excessive de la production sur de grosses centrales électriques au premier rang desquelles les centrales nucléaires. Ceci implique la nécessité d’entretenir un réseau important de lignes à haute tension qui, quand elles sont touchées, affectent des populations importantes. Notons ici que l’Allemagne, concernée par la question récurrente de la saturation de ses lignes à haute tension envisage de revenir au principe sur la base duquel ses réseaux avaient été construits : l’électricité est consommée là où elle est produite. Concrètement, la piste explorée pour éviter à la fois de saturer les réseaux et de subir les pénuries : l’électricité « faite maison » ;

– Une trop forte demande d’électricité, due à la « tradition politique française » de mettre en avant le chauffage électrique au détriment d’autres modes pour promouvoir et rentabiliser la filière nucléaire. La question du chauffage est emblématique. Les divers amendements présentés lors de la loi Grenelle 1 visant à exonérer en partie l’électricité des nouvelles normes thermiques applicables au bâti neuf montrent à quel point cette tradition perdure. Cette dépendance oblige la France, pendant les pics de consommation, à atteindre les limites du système et à risquer le « black-out ». Elle oblige notre pays à avoir recours à l’importation depuis d’autres pays européens ce qui, encore une fois, nécessite des lignes à haute et très haute tension.

Il nous paraît donc judicieux, afin de renforcer nos réseaux électriques, de travailler à réduire ces trois facteurs de risques. L’objet de cette commission d’enquête sera d’analyser précisément ces risques, leur impact respectif et les différents moyens d’y remédier.

Concernant l’enfouissement, nous notons la volonté exprimée par le gouvernement de favoriser cette solution dans les investissements à venir. Mais concernant le réseau existant (78 000 Km de lignes HT et THT pour RTE, et 1,26 million de Km pour ERDF), les réticences sont plus fortes. Répondant le 28 janvier 2009 à une question de François de Rugy sur le sujet, Mme Alliot-Marie, ministre de l’Intérieur, a chiffré à 100 milliards d’euros le coût de l’enfouissement de tout le réseau. Elle a ajouté que cette mesure s’avérerait techniquement impossible pour les lignes à très haute tension. Outre nos interrogations quant à ce dernier point, nous sommes dubitatifs à propos du montant annoncé : quels sont les chiffres sur lesquels se base Mme Alliot-Marie ? Ces chiffres sont-ils mis en regard des économies susceptibles d’être réalisées grâce à l’enfouissement ? Ces chiffres concernent-ils l’ensemble du réseau alors que des portions devraient être traitées prioritairement ?

La trop grande concentration de la production d’électricité engendre la multiplication des lignes à haute tension pour transporter de grandes quantités de courant sur des longues distances. Lors de la dernière loi d’orientation sur l’énergie ainsi que pendant le processus du Grenelle, on a beaucoup parlé de « bouquet » énergétique, c’est-à-dire de diversification des sources d’énergie avec le développement des énergies renouvelables. Cette diversification est fondamentale pour notre indépendance énergétique et pour notre sécurité d’approvisionnement. Elle doit s’accompagner d’une décentralisation des productions d’électricité pour rapprocher le plus possible le producteur du consommateur. Si cette politique était mise en œuvre, elle permettrait de diminuer les besoins de transport d’électricité et leurs risques induits. Elle permettrait d’accroître l’autosuffisance énergétique locale. Au lieu de cela, le programme électronucléaire est relancé avec les EPR de Flamanville et de Penly. Les projets de lignes THT sont soutenus, comme celui de la ligne Cotentin-Maine, dont l’objectif est de transporter l’électricité produite par l’EPR Flamanville vers la Bretagne et les Pays de Loire notamment. Ce projet regroupe à lui seul l’ensemble des objections que nous formulons à propos des options choisies par l’État. Outre les questions essentielles d’atteintes à la santé et à l’environnement des populations riveraines on constate, en lisant les documents de la Commission du débat public, que d’autres options étaient envisageables mais qu’elles ont été très vite écartées, essentiellement pour des questions de coût. La question n’est pas ici seulement celle de l’enfouissement mais celle de la pertinence même de cette ligne. Encore une fois les coûts exposés ne sont que ceux de l’investissement lui-même. Sont négligées les économies et les moindres atteintes à l’environnement (qui elles aussi ont un coût) induites par d’autres solutions. Abandonner ce projet nous apparaît ainsi la première mesure à prendre. Nous n’abordons pas ici les risques environnementaux liés spécifiquement à la filière nucléaire (dangerosité, question des déchets, etc.), qui condamnent à nos yeux ce mode de production d’électricité.

Enfin, il est urgent de réduire notre consommation énergétique. Les mesures prises actuellement pour l’isolation de l’habitat vont dans ce sens. Mais elles ne seront pas suffisantes pour nous mettre à l’abri de la situation que le sud-ouest vient de connaître. Une politique plus ambitieuse reste à définir, notamment dans le soutien à l’activité du secteur du bâtiment. En parallèle, la mise en place de mesures préventives comme le développement de groupes électrogènes autonomes en cas de panne doivent être envisagées.

Sous le bénéfice de ces observations, nous vous proposons, Mesdames et Messieurs, d’adopter la proposition de résolution suivante.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

En application des articles 140 et suivants du Règlement, est créée une commission d’enquête de vingt-cinq membres relative à la vulnérabilité du réseau de transport et de distribution d’électricité en France.

Elle devra notamment :

– établir un bilan le plus précis possible des coûts engendrés par la tempête du 24 janvier 2009 pour la remise en état des réseaux électriques ;

– évaluer la capacité de résistance des réseaux de production, transport et distribution d’électricité face aux risques de tempêtes, inondations, fortes chaleurs et grands froids ;

– calculer le coût réel de l’enfouissement total du réseau basse et moyenne tension, en y incluant les économies réalisées par la suite grâce à cet enfouissement ;

– évaluer la faisabilité et le coût de l’enfouissement du réseau haute tension et très haute tension ;

– étudier l’impact sur la santé et l’environnement des lignes THT, aériennes et enterrées ;

– élaborer un scénario chiffré de réorientation de notre production d’électricité vers plus de décentralisation et de diversité ;

– recenser les mesures à mettre en œuvre en priorité pour réduire significativement notre consommation d’électricité ;

– proposer la trame d’un plan d’urgence visant à faire face aux conséquences des aléas climatiques extrêmes.


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